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XIVèmes Journées Internationales de Sociologie du travail - JIST 2014

« Les marges du travail et de l’emploi : formes, enjeux, processus »


Villeneuve d’Ascq, 17 - 19 juin 2014

Pourquoi devenir aide à domicile ?


Une interprétation de la mobilité professionnelle à l’issue du chômage

Murielle MATUS
Pôle Emploi, département Études et Recherche
murielle.matus@pole-emploi.fr
et
Nicolas PROKOVAS
Pôle Emploi, département Études et Recherche et Université de Paris 3, ICEE
nicolas.prokovas@univ-paris3.fr

Résumé : Forts pourvoyeurs d’emploi peu qualifié, sous-payé, occupé par une
main-d’œuvre féminine à faible qualification, les services à la personne
souffrent d’un flou sémantique quant à leur définition. Les anciens chômeurs
accèdent à l’emploi dans ce domaine le plus souvent par défaut. Cette mobilité
essentiellement féminine conduit à un sous-emploi précaire.

Mots clés : aide à domicile, chômage, emploi, emploi féminin, marché du


travail, mobilité professionnelle, précarité, services à la personne, sous-emploi

1
Pourquoi devenir aide à domicile ?
Une interprétation de la mobilité professionnelle à l’issue du chômage

Murielle Matus, Pôle Emploi, murielle.matus@pole-emploi.fr


Nicolas Prokovas, Pôle Emploi et Université Paris 3, nicolas.prokovas@univ-paris3.fr

L’idée de travailler sur ce sujet, « devenir aide à domicile », nous est venue
dans le cadre d’une étude plus large que nous effectuons sur les caractéristiques
de la mobilité professionnelle1 observée auprès des anciens chômeurs qui
accèdent à un emploi ; nous avons ainsi constaté que la mobilité vers le
domaine professionnel Services aux particuliers et aux collectivités concernait
une personne sur six et, de ce fait, elle représentait le volume le plus important,
tous domaines confondus. De surcroît, la moitié des personnes en mobilité vers
ce domaine avaient repris un emploi d’employé de maison, d’aide à domicile ou
d’assistante maternelle. À 93 % féminine, cette main-d’œuvre directement issue
du chômage semblait a priori avoir des caractéristiques comparables à celles de
la population en emploi, bien qu’elle fût nettement plus jeune que celle-là
(10 % seulement étaient âgées de plus de 49 ans, contre 37 % de la population
active en emploi dans ce domaine).
Nous nous sommes, donc, lancés dans une étude afin d’identifier les raisons
ayant conduit cette population, des emplois industriels ou tertiaires qu’elle
occupait avant de connaître le chômage, aux emplois de services à la personne2
et nous avons pour cela mobilisé les résultats de deux enquêtes spécifiques que
nous avons menées auprès des demandeurs d’emploi, ainsi que les données
administratives issues du Fichier historique de Pôle Emploi. Nous avons enrichi
notre analyse en portant un regard plus général sur la situation qui prévaut sur
ce segment du marché du travail, à partir de données de cadrage fournies par
l’enquête Emploi. Le présent papier ne donne qu’un aperçu de notre travail,
toujours en cours.
Dans une première partie, nous présenterons la complexité sémantique qui
caractérise le champ de notre analyse, palpable aussi bien au niveau des publics
étudiés que des emplois exercés ; la deuxième partie aura pour thème la
mobilité à la sortie du chômage vers les métiers des services à la personne et les
caractéristiques des personnes qui ont fait ce choix ; dans une troisième partie,
enfin, nous décrirons les motifs qui ont présidé à cette mobilité, les
caractéristiques des emplois trouvés dans ce domaine et les conditions de travail
qui y règnent.

1
Dans une acception très stricte, intégrant exclusivement les changements de domaine
professionnel, au sens de la nomenclature des Familles professionnelles (FAP) de 2009. Pour
plus de précisions, cf. encadré méthodologique.
2
À la fois pour des questions de proximité sémantique et de volumétrie, notre étude englobe le
champ des « services à la personne », incluant les aides à domicile, les employées de maison et
les assistantes maternelles.

2
1 Les services à la personne, une agrégation hétérogène, disparate et
hétéroclite d’emplois précaires
1.1 Une mobilité professionnelle massive vers un domaine créateur d’emplois
Notre premier constat concerne le rôle important que jouent les métiers des
services à la personne dans les flux de mobilité professionnelle. Les effectifs du
domaine professionnel Services aux particuliers et aux collectivités ayant
progressé deux fois plus vite que la population totale en emploi entre 1994 et
2011 (+ 12 %)3, les flux d’entrée à ce domaine ont dû être très puissants. De
surcroît, les effectifs des familles professionnelles davantage concernées par les
services aux particuliers que par les services aux collectivités – employés de
maison, aides à domicile, assistantes maternelles – ont progressé de 64 %
pendant cette même période, ce qui témoigne d’une forte mobilité au profit de
ces métiers.
L’hypothèse de la forte mobilité professionnelle en direction des trois métiers
des services aux particuliers que nous avons isolés (employés de maison, aides
à domicile, assistantes maternelles) se confirme également au niveau des flux
entre chômage et emploi ; en effet, ces trois métiers concentrent 50 % des
effectifs du domaine Services aux particuliers et aux collectivités, domaine qui
lui-même concentre les effectifs les plus nombreux des anciens chômeurs à la
fois en reprise d’emploi et en mobilité professionnelle4. Parmi ces trois métiers,
ce sont les employés de maison qui ont enregistré les flux les plus importants en
volume. Cela s’écarte de la structure des emplois dans ce domaine où les aides
à domicile sont largement majoritaires (tableau 1).
Tableau 1. Emplois dans le domaine des services à la personne en 2011
Employés de maison 244 000 20 %
Aides à domicile et aides ménagères 537 000 44 %
Assistantes maternelles 440 000 36 %
Ensemble 1 221 000 100 %
Source : Enquête Emploi, DARES, Les familles professionnelles, Portraits statistiques 1982 -
2009, op. cit.
Le passage du chômage à l’emploi peut se réaliser dans la continuité du passé
professionnel du chômeur ou, au contraire en rupture avec celui-ci. Cette
rupture, qui aboutit à un changement, parfois radical, de métier et/ou de secteur
d’activité peut être temporaire, le temps que les conditions soient réunies pour
que la personne revienne à son métier initial ; elle peut aussi s’inscrire dans la
durée et constituer une véritable réorientation professionnelle. Or, cette
réorientation – qui n’est pas toujours un choix délibéré – se trouve souvent
contrainte par les opportunités (ou le manque d’opportunités) offertes par le
marché du travail. Avec la montée du chômage, les mobilités involontaires

3
Cf. DARES, Les familles professionnelles – Portraits statistiques 1982 – 2009 (http://travail-
emploi.gouv.fr/etudes-recherche-statistiques-de,76/statistiques,78/metiers-et-
qualifications,83/portraits-statistiques-des-metiers,2052/).
4
En dehors des services aux particuliers, les autres domaines concernés par la mobilité
professionnelle des anciens chômeurs sont : Transports, logistique et tourisme, Commerce,
Hôtellerie, restauration, alimentation et Santé, action sociale, culturelle et sportive.

3
s’accroissent (de Larquier, Remillon, 2008) et participent à l’essor d’une
nouvelle domesticité autour des services à la personne, métiers réputés peu
qualifiés, mais qui sont considérés comme un gisement d’emploi pour une
main-d’œuvre également peu qualifiée que la crise actuelle a contribué à mettre
au ban de l’activité industrielle.
Ces métiers se sont nettement développés depuis vingt ans avec l’allongement
de la vie, une réduction de la cohabitation entre générations et les politiques
publiques orientées vers le maintien à domicile (Argouarc’h et al., 2013). Dans
le même temps, « les mesures publiques renforcent la précarité de ces emplois,
leur fermeture sur l’espace domestique et le développement de la mobilisation
des femmes dans les familles » (Pennec, 2002). Les métiers d’aide à la
personne sont ainsi les figures emblématiques de la ségrégation professionnelle
entre les femmes et les hommes. L’évidence donnée aux « qualités féminines »
pour exercer ces emplois et la prédominance des femmes dans ces activités
laissent suspecter, dans leur construction, une certaine tolérance sociale de
l’absence de professionnalisation et du sous-emploi en général qui caractérisent
ces emplois. Ces métiers féminins sont remarquables par l’absence
d’encadrement des conditions d’exercice de l’activité professionnelle, des
carrières ou encore d’un niveau de salaire décent, éléments structurants d’une
égalité professionnelle. De manière plus générale, au même titre que la qualité
des services fournis à l’individu – donc à la collectivité –, se pose l’exigence de
la qualité des emplois dans ce domaine professionnel (Jany-Catrice, 2011 et
Lefebvre, 2009).

1.2 Quelle cohérence des services à la personne ?


Ni secteur d’activité ni domaine professionnel, les services à la personne
procèdent d’une agrégation artificielle, car hétérogène (« dont les éléments sont
de nature différente et/ou présentent des différences de structure, de fonction,
de répartition », selon la définition du Trésor de la langue française) : présenté
comme un secteur dans le Plan Borloo, l’on y trouve, pêle-mêle, des services
d’aide, d’assistance, de soins, de confort, d’accompagnement, de santé, de
développement personnel, de culture physique, d’appui domestique, de soutien
scolaire… Si ce regroupement répond à une logique politique (Jany-Catrice,
2010), il semble dénué de toute logique économique : aussi bien l’offre que la
demande de ces services sont disparates, dissemblables et contrastées.
Au-delà du flou sémantique qui existe entre services de proximité, services aux
particuliers, services à la personne et services domestiques, ce qui y prédomine
ce n’est pas la notion de service, ce n’est même pas celle de la personne, mais
bien celle du domicile. La cohérence de l’ensemble ne repose ni sur la nature du
service ni sur les caractéristiques des publics auxquels elle est destinée, elle
repose sur une délimitation spatiale, à savoir le lieu où le service est presté.
C’est, en effet, le seul dénominateur commun entre faire du baby-sitting ou
préparer le déjeuner pour une personne âgée, faire du jardinage ou faire de
l’assistance informatique, prodiguer des soins esthétiques à une personne
handicapée ou promener le chien d’une personne absente. Dans la plupart des

4
cas, il s’agit du domicile de la personne qui reçoit le service, sans pour autant
exclure les cas où le service se produit au domicile du travailleur (assistantes
maternelles). Nous y reviendrons.
Si les contours du secteur d’activité sont flous, l’intégration de l’ensemble de
ces services à un poste dédié au sein d’une nomenclature de professions relève
d’une véritable gageure5. Ce constat a été clairement établi dans le rapport
établi par le groupe de travail du CNIS sur la connaissance statistique des
emplois dans les services à la personne (Colin, 2012). Encore une fois,
l’accomplissement de tâches domestiques chez une personne handicapée ou
chez un couple biactif relève de logiques différentes, se met en place
différemment, fait appel à des dextérités différentes, se base sur des pratiques
différentes, nécessite une conception différente, exige une implication
différente. Cette comparaison entre deux métiers très proches mais tellement
éloignés l’un de l’autre n’est qu’un exemple. Dans ce domaine, l’on est en
présence de métiers « dont le style, la construction, l’expression n’ont pas
d’unité » ; ils sont, donc, hétéroclites (Trésor de la langue française). En
somme, « ni tout à fait services sur la personne […] ni tout à fait services pour
la personne » (Jany-Catrice, Puissant, 2010).
Les mêmes observations ont pu être faites dans le cadre de l’enquête que nous
avons effectuée auprès des anciens chômeurs qui trouvent un emploi dans le
domaine des services à la personne.

1.3 Entre exigences, complexité du service et précarité de l’emploi


Cependant, d’autres points communs existent entre ces métiers, qui rendent
plausible leur approche en bloc : le taux de féminisation, légèrement plus
concentré aux âges supérieurs à 30 ans, est de 95 % pour les employés de
maison, 97 % pour les aides à domicile, 99 % pour les assistantes maternelles6.
Dans ces métiers, la précarité de l’emploi ne se traduit pas par une faible
ancienneté dans l’entreprise qui est conforme à la moyenne de la population
active en emploi (exception faite des aides à domicile, où elle ne dépasse pas
cinq ans). Elle n’y est pas mesurable non plus sur la base traditionnelle du
rapport entre contrats non pérennes et contrats à durée indéterminée (CDI) ; en
effet, cet indicateur ne permet pas de discerner un écart à la moyenne (91 % de
CDI pour les employés de maison en 2011, 86 % pour les aides à domicile et
les assistantes maternelles, 87 % en moyenne tous métiers). Or, ce sont des CDI
qui, dans une très large proportion, concernent des emplois directs, conclus –
explicitement ou implicitement, via les chèques emploi service universels
(CESU) – avec des particuliers employeurs (87 % des employés de maison,
82 % des assistantes maternelles), négociés de gré à gré, ne donnant pas lieu
aux protections légales auxquelles ouvre droit la convention collective
(Devetter et al., 2009). Dans ce domaine plus qu’ailleurs, l’échange supposé

5
Mais, après tout, une nomenclature n’est évaluée que par rapport à l’usage qui en est fait…
(Desrosières, Thévenot, 2002).
6
Données 2011. DARES, op. cit.

5
libre entre offreurs et demandeurs égaux peine à être démontré : le droit du
consommateur prime souvent sur le droit du travail. De surcroît, le fait que
l’activité s’exerce au domicile la rend peu accessible aux regards extérieurs,
tandis que la nature de l’activité exclut de fait l’existence d’un collectif de
travail susceptible d’y exercer un contrôle ou de se prononcer sur les conditions
de travail. Dans ce domaine plus qu’ailleurs, l’arbitraire se nourrit de l’intimité
et tend à brouiller les frontières entre travail formel et travail informel.
Champions du sous-emploi, ces métiers se caractérisent par des taux de temps
partiel irrationnels (68 % pour les aides à domicile en 2011, 77 % pour les
employés de maison), qui sont non seulement bien supérieurs à la moyenne
(18 %), mais bien au-delà de ceux que l’on relève auprès des métiers qui
souffrent le plus du sous-emploi : caissiers et employés de libre service (43 %)
ou surveillants et professionnels de l’action socioculturelle et sportive (44 %).
C’est que la proximité du service se traduit par une exigence accrue de
disponibilité, « quand l’utilisateur du service en éprouve le besoin » (Dussuet,
2009), renvoyant par cela à un concept de domesticité qui fut en déclin depuis
plusieurs décennies7. L’explosion des temps partiels rend obligatoire le recours
à des employeurs multiples (phénomène peu visible, d’ailleurs, dans les
statistiques officielles qui recensent l’employeur principal). Il y a dans certains
cas des salariés qui cumulent jusqu’à 13 employeurs différents en une semaine
(Devetter et al., 2009). Or, en même temps, la plurivocité de la nature du
service (impératif de présence – ou pas – de l’utilisateur sur le lieu de
production : aide aux handicapées ou soutien scolaire dans un cas, ménage ou
repassage dans l’autre), la flexibilisation du travail et la complexification des
temps sociaux (horaires décalés, temps de transport, rythmes scolaires…),
rendent extrêmement difficile pour les personnes qui exercent ces activités
d’arriver à les exercer à plein temps. Ce qui se traduit par une rémunération
bien plus faible que dans les autres domaines (le salaire mensuel médian, en
équivalent temps plein, est de 1 100 euros pour les assistantes maternelles, de
1 200 euros pour les employés de maison et les aides à domicile, contre 1 700
euros en moyenne pour la population active occupée). Dans la pratique, ces
emplois à temps (très) partiel, payés au Smic ou presque, sont rémunérés entre
320 et 550 euros par mois (Jany-Catrice, Puissant, 2010). Quelques années plus
tôt, le salaire mensuel médian net des employées de maison et des aides à
domicile ne dépassait pas le RMI (Dussuet, 2009). Dans 40 % des cas, cette
rémunération constitue le seul ou le principal revenu du ménage8. C’est

7
Jusqu’à à la loi de janvier 1981, autorisant le temps partiel « à l’initiative de l’employeur » et
l’instauration de réductions de cotisations sociales sur le travail à temps partiel à partir de 1991
(Gadrey, 2009). À noter que l’emploi de domestique était soumis à une taxation spécifique
depuis la Révolution et que les taxes étaient bien plus élevées en cas d’emploi de domestiques
hommes.
8
C’est le cas des employées de maison et des aides à domicile, femmes seules avec enfant(s) à
charge ou dont le conjoint est au chômage ou inactif, sans revenus. Pour le reste, le conjoint est
ouvrier, souvent non qualifié (Jany-Catrice, Puissant, 2010).

6
précisément ce qui fait que ces emplois soient considérés comme des vrais
emplois et non comme des petits boulots.
Ce qui renvoie à une autre dimension de ces emplois, déjà citée, leur taux de
féminisation tellement élevé qu’il devient indécent de citer ces emplois au
masculin. Les tâches afférentes (travaux domestiques, soins aux enfants ou aux
personnes âgées…) étant socialement perçues comme naturellement féminines,
un consensus se met en place sur le fait que leur externalisation aussi doive être
prise en charge par des femmes. La forte progression de l’emploi dans les
services à la personne ne s’est ainsi pas accompagnée d’un rééquilibrage en
matière de sexes. Pire, elle a officiellement été interprétée comme un moyen
d’augmentation du taux d’activité et du taux d’emploi féminins, en occultant le
fait qu’il s’agisse davantage de sous-emploi que de vrais emplois, conduisant à
une « assignation "naturelle" des femmes peu qualifiées au sous-emploi
subventionné » (Gadrey, 2009). Car, pour rendre la demande solvable, des aides
publiques (notamment la réduction d’impôts) interviennent pour déplacer la
limite entre le faire soi-même et le faire faire9. C’est ce qui a permis la
démocratisation du recours à cette consommation de luxe qu’est l’emploi d’une
femme de ménage.
Cette solvabilité de la demande, à l’origine du développement des services à la
personne, est également responsable de leur diversification. Conçus au départ
comme un palliatif des tâches que certains ménages ne peuvent ou ne veulent
assumer, ces métiers ne seraient que le prolongement des tâches naturellement
et historiquement effectuées par les femmes, quel que soit leur statut au sein du
ménage, des tâches, donc, que chaque femme doit pouvoir effectuer (Dussuet,
2009). Dès lors, il s’agit d’une représentation sociale, sexuée, qui méconnaît
voire méprise la complexité des tâches effectuées et, de ce fait, nie à la fois la
qualification du travail et le besoin de qualification pour les personnes qui
l’exercent. Les voies de reconnaissance de la qualification, récemment
ouvertes10, ne visent pas à faciliter la sortie de ces métiers, elles permettent,
justement, d’obtenir une meilleure reconnaissance (Jany-Catrice, 2011).
Enfermées dans cette « trappe à services à la personne » (Jany-Catrice, 2012),
certes, mais avec une qualification reconnue, les travailleuses auront la
possibilité de construire leur identité professionnelle spécifique. D’ailleurs, la
reconnaissance de la qualification se fait aussi à travers la paie ; dans certains
cas, le salaire horaire peut ainsi varier du simple au double (Flipo, Olier, 1998).
Cependant, la présumée homogénéité des profils des travailleuses s’inscrit dans
une logique de double domination qui permet aux hommes d’obtenir la
disponibilité temporelle des femmes et aux CSP supérieures de ne rémunérer
que le travail effectif assuré pour eux par les CSP inférieures. Car, même si,
potentiellement, la quasi totalité des ménages sont susceptibles d’avoir besoin
d’une prestation à un moment ou à un autre de leur vie, le recours à ces

9
Le soutien public aux services domestiques pour les personnes actives représente un coût pour
les finances publiques de l’ordre de deux milliards d’euros par an (Devetter et al., 2009).
10
VAE, diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS)…

7
prestations ne concerne qu’un ménage sur dix et n’émane que des ménages
aisés, dans la mesure où la variable déterminante de la demande est le coût de
revient et notamment le différentiel entre le revenu (horaire) du ménage et le
taux horaire de rémunération du service. Autrement dit, ce qui soutient la
demande ce sont les inégalités économiques et sociales11. C’est ainsi qu’ un
ménage sur trois dont la personne de référence est cadre a recours à une femme
de ménage, contre moins de 2 % des ménages dont la personne de référence
appartient aux catégories d’ouvriers ou d’employés (Devetter et al., 2009).
Parmi les variables explicatives du recours aux services à la personne, le revenu
et le niveau de vie du ménage arrivent en tête (Flipo, Olier, 1998), tandis que
les autres variables sociales ou démographiques (le nombre et l’âge des enfants,
la composition du ménage, l’activité féminine, le niveau de diplôme et de
qualification de l’homme et de la femme, le temps de travail…), exercent des
effets qui, quand ils sont significatifs, témoignent de la prédominance des
caractéristiques des femmes sur celles de leurs conjoints12 (Marbot, 2008).

1.4 Des emplois partiels, partiellement rémunérés


Revenons à la qualification des emplois. La multiplicité des contenus des
tâches, des employeurs et des relations d’emploi rend complexe l’emploi lui-
même. Plus la prestation se globalise, plus elle nécessite une combinaison de
dextérité, de maîtrise, de technicité, d’adaptabilité, de discrétion, qualités dont
l’acquisition n’a rien de spontané (Outin, 2011). Dès lors, parler d’emplois
dépourvus de qualification ne coule pas de source (Gadrey et al., 2005) ; au
contraire, cela forge un regard spécifique, déclassant, sur ces emplois et sur les
personnes qui les exercent. Louer l’essor d’un secteur qui permet l’emploi de
personnes sans qualification constitue ainsi un double mensonge. Par ailleurs,
intervenir en tant que prestataire direct ou sous mandat peut modifier la nature
de l’intervention (Jany-Catrice et al., 2009). Préparer le plat pour une personne
dépendante prend une dimension tout autre selon que l’activité comprend un
temps d’échange avec la personne ou qu’elle se limite juste au temps minuté
nécessaire pour effectuer la tâche prescrite (Jany-Catrice, Puissant, 2010)13.
Chercher les enfants à la sortie de l’école idem, surtout lorsque les parents
rentrent en retard.
Ces exemples, glanés au hasard parmi tant d’autres, laissent facilement
entrevoir que les temps périphériques à l’activité principale sont aussi morcelés,
incluent des tâches périphériques, pas forcément comprises – du moins pas
explicitement spécifiées – dans le contrat de travail. Surtout, que ces temps

11
L’importance des salariés étrangers dans ces métiers témoigne également du recours à une
population spécifique, susceptible d’accepter des emplois peu rémunérés (Devetter et al., 2008).
12
À titre d’exemple, ce qui détermine le recours à une femme de ménage ce n’est pas tant le fait
que la femme qui l’emploie ait une activité professionnelle, mais qu’elle ait un niveau de
qualification élevé, qu’elle appartienne à une des CSP supérieures (Flipo, Olier, 1998).
13
À noter que cette tendance se répand de plus en plus, sous l’effet de la « rationalisation et la
professionnalisation du mode de gestion de la main-d’œuvre » et de la « gestion efficiente des
subventions publiques ».

8
périphériques nécessitent beaucoup de disponibilité, d’empathie, de réciprocité,
de don de soi, éléments qui renforcent la division sexuée du travail (Périvier,
2010). Le fait que ces temps ne soient pas rémunérés à leur juste valeur –
souvent même pas rémunérés tout court –, le fait que les salariées qui les
fournissent aient tendance à les minimiser ou à les extraire de la relation
marchande [elles considèrent rendre service, au-delà de leurs obligations
contractuelles (Molinier, 2009)], contribue, justement, à la dévalorisation de
l’activité elle-même, à la dévalorisation des tâches effectuées. Or, les temps
périphériques constituent un élément structurant de l’offre de travail, un
élément essentiel de la proximité qui lui est consubstantielle. Les recrutements,
d’ailleurs, se font sur cette base, la période d’essai sert le plus souvent à tester
non tellement les compétences professionnelles des futures salariées, mais leur
adaptabilité, leur disponibilité, leurs compétences relationnelles (Devetter et al.,
2009). En d’autres termes, elle sert à quantifier le surtravail non rémunéré
fourni par ces femmes. Par temps de crise, les choses parfois gagnent en
simplicité ; dans une offre d’emploi en Grèce, on a ainsi pu lire récemment :
« femmes de ménage, sans salaire, contre nourriture et gîte »14…
Les contours de l’acceptation sociale qui sous-tend l’expansion des services à la
personne sont visibles. Reste à essayer de comprendre pourquoi les femmes
acceptent des emplois qui exigent tant d’elles, alors qu’ils leur donnent si peu
en retour. Les réponses des personnes qui ont participé à nos enquêtes
renvoient, à tout point de vue, à la réalité du domaine. Elles ont accepté ces
emplois car elles voulaient « être proche des gens », « voir heureux chez eux les
personnes dont je m’occupe », « voir dans quelles difficultés étaient les
personnes âgées », « être à l’écoute […], en contact […] », « me sentir utile à
aider les personnes en difficulté »…, sans pour autant perdre de vue les aspects
moins agréables de l’activité : « travail dur psychologiquement », « tomber sur
des personnes pas faciles », « faire des tâches rébarbatives », « avoir du mal à
compléter l’emploi du temps », « des remplacements de dernière minute »,
« des clients [qui] partent et annulent, donc, les prestations », « trop de route
pour certaines missions », « travailler pour plusieurs entreprises », « conditions
de travail pénibles », « travail usant et fatigant », « des journées de travail de
dix heures et d’autres de trois heures », « travailler les week-ends et les jours
fériés », « des trous par rapport à l’emploi du temps », « tarif horaire trop bas »,
« être moins payée qu’auparavant »… De la satisfaction de gagner un salaire,
même faible, et de la fierté de rendre un service utile, à la souffrance liée aux
conditions de travail difficiles et au sentiment de ne pas être reconnue, tout y
est.

2. Les mobilités à la sortie du chômage vers des services à la personne et à


la collectivité
2.1 Les transitions d’une main d’œuvre fragilisée…

14
Cité par P. Grigoriou dans « Visite guidée de la nouvelle Athènes », Le Monde diplomatique,
avril 2014.

9
Les transitions à la sortie du chômage vers le domaine professionnel des
services à la personne et à la collectivité s’effectuent le plus souvent à défaut de
trouver un emploi dans le métier initial. Ces mobilités majoritairement
contraintes sont essentiellement féminines. Six demandeurs d’emploi sur dix
qui changent de métier pour un emploi dans ce domaine professionnel sont des
femmes.
Ces transitions sont aussi emblématiques d’une main-d’œuvre peu qualifiée ou
sans diplôme, 38% étaient ouvriers ou employés non qualifiés dans leur emploi
précédent contre 31% de l’ensemble des demandeurs d’emploi en mobilité à la
sortie du chômage. Les sans diplôme représentent près de 20% des personnes
s’orientant vers les services à la personne et à la collectivité contre 11% de
l’ensemble des demandeurs d’emploi en mobilité à la sortie du chômage. Ils
sont aussi plus nombreux à détenir un CAP/BEP (43% contre 38% pour
l’ensemble), diplôme spécialisé qui rend plus difficile la valorisation de
compétences transférables vers d’autres domaines professionnels.
Tableau 2. Caractéristiques des anciens chômeurs en mobilité professionnelle
vers les services à la personne
Vers les services à Ensemble des
la personne et à la domaines
collectivité d’arrivée
Sexe
Hommes 40% 55%
Femmes 60% 45%
Age
Moins de 25 ans 14% 26%
De 25 à 34 ans 30% 35%
De 35 à 49 ans 41% 31%
50 ans ou plus 15% 8%
Niveau de formation
sans formation/collège/enseignement secondaire 19% 11%
CAP/BEP 43% 38%
Bac 25% 24%
Bac+2 8% 14%
Bac+3 ou plus 4% 12%
Qualification
Ouvriers non qualifiés 10% 11%
Employés non qualifiés 27% 20%
Ouvriers qualifiés 8% 12%
Employés qualifiés 49% 42%
Techniciens/Agents de maîtrise 2% 9%
Cadres 2% 6%
Ancienneté au chômage
Moins de 12 mois 30% 36%
De 12 à moins de 24 mois 37% 41%
24 mois ou plus 33% 23%
Indemnisation
ARE 54% 63%

10
ASS 8% 5%
RMI/RSA 14% 11%
Non Indemnisé 24% 21%
Ensemble 100% 100%
Champ : demandeurs d’emploi en mobilité (changement de domaine professionnel) à la reprise
d’un emploi salarié.
Source : Pôle Emploi, enquête de juin 2013 sur les mobilités professionnelles.
Davantage bénéficiaires des minima sociaux (22% contre 16% pour
l’ensemble), ils sont plus nombreux à être au chômage depuis deux ans ou plus
(plus d’un tiers contre moins d’un quart pour l’ensemble). Cette part importante
de chômeurs de très longue durée est fortement liée à l’âge. En effet, les
personnes qui s’orientent vers les métiers des services à la personne et à la
collectivité sont plus âgées que l’ensemble : quatre sur dix ont moins de 35 ans
contre six sortants en mobilité sur dix. Les femmes en particulier sont plus
âgées. Si globalement les femmes qui changent de métier à la sortie du
chômage sont plus âgées que leurs homologues masculins, celles qui s’orientent
vers le domaine des services à la personne et à la collectivité le sont encore
davantage. Les femmes de 50 ans ou plus sont nombreuses parmi celles qui se
réorientent vers les services à la personne et à la collectivité : 17% d’entre elles
ont plus de 49 ans contre seulement 11% des hommes. De même, 45% d’entre
elles ont entre 35 et 49 ans contre seulement 35% des hommes.
La main-d’œuvre peu qualifiée qui s’oriente vers les services à la personne et à
la collectivité provient essentiellement de trois domaines professionnels : le
commerce (23%), la gestion, administration des entreprises (22%) et le
transport, logistique et tourisme (15%).
Les deux premières transitions correspondent à des transitions féminines. Plus
de 80% des personnes provenant de ces domaines sont des femmes. Anciennes
caissières, employées libre-service, vendeuses ou encore anciennes secrétaires,
employées administratives ou hôtesses d’accueil, elles exerçaient soit des
métiers peu qualifiés et fortement soumis au temps partiel et aux horaires
décalés (travail tard le soir ou le weekend), soit de métiers en déclin comme
celui de secrétaire (Argouarc’h et al., 2013). La dernière est une transition
masculine (plus de 80% des personnes provenant de ce domaine sont des
hommes). Anciens manutentionnaires, magasiniers ou encore anciens
conducteurs de véhicules, ils représentent plus d’un tiers des hommes qui
changent de métier pour un emploi dans le domaine des services à la personne
et à la collectivité.

2.2 … vers des univers professionnels restant éminemment sexués


Au niveau agrégé du domaine professionnel, on peut observer que la
ségrégation professionnelle (au sens d’ Hakim, 1993) entre hommes et femmes
s’attenue globalement (tableau 3). Toutefois, ce niveau agrégé masque des
transitions professionnelles éminemment sexuées. Nous avons vu
précédemment que les hommes et les femmes s’orientant vers le domaine des
services à la personne et à la collectivité d’univers professionnels différents et

11
correspondant respectivement à des métiers masculins du domaine des
transports, logistique et tourisme et à des métiers féminins ou mixtes des
services et du commerce. Le « métier d’arrivée » reste dans cette logique
sexuée.
Dans la mesure où les métiers d’employés de maison, d’aides à domicile et
d’assistantes maternelles15 contribuent le plus à la ségrégation professionnelle
entre hommes et femmes (Argouarc’h et al., 2013), il n’est guère étonnant de
constater que les transitions féminines se concentrent autour de ces emplois
domestiques, tandis que les transitions masculines vers le domaine des services
à la personne et à la collectivité se concentrent autour des emplois d’agent de
sécurité ou de gardiennage. Seuls les métiers d’agents d’entretien et des
employés des services divers sont relativement mixtes.
Tableau 3. Répartition par sexe des métiers de départ et d’arrivée
métier de départ métier d’arrivée
Domaines professionnels Hommes Femmes Hommes Femmes
Agriculture, marine, pêche 83% 17% 76% 24%
Bâtiment, travaux publics 95% 5% 98% 2%
Électricité, électronique 97% 3% 69% 31%
Mécanique, travail des métaux 86% 14% 79% 21%
Industries de process 47% 53% 76% 24%
Matériaux souples, bois, industries graphiques 42% 58% 60% 40%
Maintenance 98% 2% 77% 23%
Ingénieurs et cadres de l’industrie 84% 16% 88% 12%
Transports, logistique et tourisme 82% 18% 75% 25%
Artisanat 43% 57% 28% 72%
Gestion, administration des entreprises 25% 75% 34% 66%
Informatique et télécommunications 82% 18% 59% 41%
Études et recherche 67% 33% 60% 40%
Administration publique, professions
juridiques, armée et police 44% 56% 52% 48%
Banque et assurances 53% 47% 30% 70%
Commerce 42% 58% 44% 56%
Hôtellerie, restauration, alimentation 56% 44% 42% 58%
Services aux particuliers et aux collectivités 28% 72% 40% 60%
Communication, information, art et spectacle 50% 50% 61% 39%
Santé, action sociale, culturelle et sportive 34% 66% 33% 67%
Enseignement, formation 19% 81% 45% 55%
Ensemble 56% 44% 56% 44%
Champ : demandeurs d’emploi en mobilité (changement de domaine professionnel) à la reprise
d’un emploi salarié.
Source : Pôle Emploi, enquête de juin 2013 sur les mobilités professionnelles
Si la grande majorité des personnes qui quittent ces métiers des services à la
personne et à la collectivité sont des employés (88%, qualifiés ou non), celles
qui s’y dirigent le sont aussi massivement (74%). Toutefois, l’on observe un

15
Afin de faciliter la lecture, dans le reste de ce papier nous regrouperons ces métiers sous la
seule dénomination d’« aides aux personnes ».

12
peu plus de mixité en termes de niveau de formation avec un certain nombre de
personnes avec un diplôme d’études supérieures (Bac+2 ou plus) en raison de la
provenance de certaines femmes diplômées en déclassement, ayant auparavant
travaillé dans le domaine de la gestion, administration des entreprises.
Qu’il s’agisse de devenir agent de sécurité ou de gardiennage, employé de
maison, aide aux personnes, ces emplois ne nécessitent pas de qualification
particulière pour leur exercice et leur accès est donc plus facile pour des
personnes sans diplôme ni qualification ou encore dans l’impasse face à la
faiblesse des opportunités d’emploi dans leur métier d’origine. Mais le marché
du travail offre des opportunités d’emploi différenciées selon le genre du
demandeur d’emploi en entretenant pour ces métiers non qualifiés une certaine
division sexuelle du travail.

3. Devenir aide à la personne : une opportunité féminine d’accès à


l’emploi… dans l’espace domestique
3.1 Une mobilité sous contrainte…
3.1.1 « Je ne trouvais pas autre chose »
Si le changement de métier peut être motivé en tout ou partie par l’intérêt du
métier lui-même ou l’adéquation entre les souhaits et la réalité, par la volonté
d’améliorer les conditions d’emploi et de travail, le rejet du dernier métier ou au
contraire le souhait de revenir à l’ancien métier (métier déjà exercé et/ou pour
lequel la personne a été formée), ou encore par des contraintes personnelles ou
familiales, la réorientation professionnelle à la sortie du chômage se résume
souvent à l’emploi disponible sur le marché du travail. L’urgence de travailler
préside, dès lors, aux exigences initiales en termes de métier, d’activité, de
conditions de travail, de salaire concernant l’emploi désiré, et plus encore
quand l’épisode de chômage n’en finit pas et quand les droits à l’indemnisation
s’épuisent. Or, le motif même de mobilité influence fortement le maintien dans
l’emploi retrouvé et évidemment l’inscription dans la durée de cette
réorientation.
Changer de métier pour un emploi d’aide aux personnes est souvent une
mobilité féminine (plus de 90% sont des femmes16), mobilité contrainte par
l’absence d’autres alternatives pour trouver du travail. Cette réorientation
professionnelle est en effet dictée principalement par l’urgence de reprendre un
emploi.
J’ai pris ce que j’ai trouvé. À ce moment, j’ai postulé pour ce métier.
Dans mon secteur, je n’ai pas trouvé particulièrement. (ancienne
couturière, 28 ans, devenue aide ménagère après un an de chômage)
Je ne trouvais pas autre chose et j’étais en fin de droit. (ancienne hôtesse
d’accueil, 59 ans, devenue gouvernante après plus de 3 ans de chômage)
Je n’ai pas trouvé d’autre emploi. (ancienne vendeuse en lingerie, 44 ans,
devenue auxiliaire de vie après plus d’un an de chômage)

16
Comme il s’agit quasi exclusivement de femmes, nous décrirons ces emplois au féminin.

13
En l’absence d’alternative, l’aide aux personnes devient un « emploi-refuge »
(Avril, 2006) pour ces femmes peu qualifiées qui n’ont pas trouvé d’emploi
dans leur métier initial. Ces emplois domestiques ne requièrent pas de
qualification particulière pour y entrer. Ils sont d’autant plus « accessibles »
pour des femmes de tous horizons et qui souvent ont peu d’atouts à faire valoir
sur le marché du travail (faible niveau de qualification ou de diplôme,
considérées par les employeurs comme trop âgées pour exercer certains
métiers), qu’ils reposent sur l’exécution de tâches reconnues implicitement
comme relevant de « qualités» féminines.
Je ne trouvais pas dans mon métier. Avant j’étais sur Montpellier, pas sur
Perpignan. J’ai cherché pendant plusieurs années. J’ai un Bac pro. J’ai
fait plusieurs entretiens, mais j’ai changé pour un métier qui
m’intéressait : l’aide à domicile. C’était quelque chose que je pouvais
faire, qui était accessible pour moi. Et après j’avais fait des stages pour
découvrir ce métier avec l’ANPE. J’ai fait un peu d’expérience et
maintenant je me suis mise dans ce métier. Je ne cherche plus dans le
secrétariat. C’est fini pour moi depuis quelques années. (ancienne
secrétaire, 30 ans, devenue aide à domicile pour personnes âgées après
plus d’un an de chômage)
L’âge peut être un sérieux obstacle pour retrouver un emploi et en particulier
dans le métier initial. La nécessité de changer de métier pour trouver du travail
et l’absence de choix concernant le nouveau métier en est encore plus patente.
À cet obstacle, viennent parfois s’ajouter des contraintes familiales devenues
difficilement compatibles avec les conditions de travail inhérentes au métier
initial.
Pour quelles raisons avez-vous changé de métier ? (question ouverte, enquête
sur les mobilités professionnelles, décembre 2012)
J’avais à l’époque 58 ans, secrétaire. On n’en veut plus donc j’ai pris ce
qu’on m’offrait. (ancienne secrétaire de direction, 58 ans, devenue femme
de ménage après 21 mois de chômage)
Je ne trouvais pas d’emploi. À plus de 50 ans, on a du mal à trouver un
emploi. (ancienne conseillère de clientèle bancaire, 53 ans, devenue
assistante maternelle après plus de 4 ans de chômage)
Si la part des contraintes imposées par Pôle Emploi parmi les motifs faisant état
de l’obligation de travailler est plutôt insignifiante (4% de ces motifs, enquête
de juin 2013), l’institution publique a indéniablement une influence sur les
orientations prises en proposant des offres d’emploi et/ou des formations vers
ces métiers considérés comme « porteurs ». Même si cette influence est
difficilement mesurable, elle est visible parfois dans les déclarations des
enquêtées quand elles utilisent le jargon institutionnel, citent l’institution
comme initiatrice ou aide pour l’orientation, ou encore invoquent le seul emploi
qu’« on » leur a proposé pour expliquer les raisons de leur réorientation
professionnelle.

14
J’ai eu un licenciement abusif. Pôle Emploi m’a réorientée. (ancienne
vendeuse en boulangerie-pâtisserie, 52 ans, devenue auxiliaire de vie
après 22 mois de chômage)
Car dans la branche que je voulais, il n’y avait pas trop de demande à
l’époque, donc j’ai pris le premier que l’on m’a proposé. (ancienne
vendeuse en alimentation, 32 ans, devenue auxiliaire de vie après 4 ans de
chômage)
L’opportunité de trouver du travail dans le secteur de l’aide à domicile
qui était porteur au moment où je cherchais un emploi. (ancienne
caissière, 35 ans, devenue aide à domicile après plus de 2 ans de
chômage)
Un autre aspect de la réorientation des demandeuses d’emploi vers l’aide à la
personne à leur sortie du chômage est la prégnance du « choix » de
reconversion pour concilier vie professionnelle et vie familiale.

3.1.2 Le « choix » de concilier vies professionnelle et familiale


Les contraintes familiales peuvent en effet peser sur le « choix » d’une
réorientation. Six aides aux personnes sur dix ont des enfants (dont plus de la
moitié en ont 2 ou plus), qu’elles doivent parfois assumer seules. Et même
lorsqu’elles vivent en couple (70% d’entre elles), elles assument certainement
l’essentiel des tâches afférentes à la garde et à l’éducation des enfants.
Provenant pour beaucoup d’entre elles d’univers professionnels pratiquant des
horaires décalés ou tardifs, certaines trouvent dans l’aide aux personnes des
conditions de travail leur permettant de mieux concilier activité professionnelle
et contraintes familiales.
Par rapport aux horaires. Ça m’arrangeait pour la garde des enfants.
J’ai trouvé ça. Je n’ai pas cherché plus loin. (ancienne opératrice de
conditionnement manuel dans l’industrie, 36 ans, devenue aide à domicile
après plus de 11 mois de chômage)
Mon conjoint est dans la restauration et nous avons une petite fille. Le
métier de restauration n’est pas compatible avec la vie de famille car les
horaires sont décalés. Il faut travailler jusqu’à 23h-minuit et c’est
compliqué de trouver une garde d’enfant le soir. Mon conjoint a un poste
de responsable. Moi, j’étais simple serveuse sans diplôme. J’ai donc
préféré, moi, me reconvertir. Je peux changer mon emploi du temps en
fonction des besoins : fêtes d’école ou si j’ai besoin d’une journée, on
modifie mon planning. Je peux profiter de ma fille. Je la vois tous les
jours. (ancienne serveuse, 31 ans, devenue aide ménagère après plus de 3
ans de chômage)
Par rapport à mes enfants. Je me suis retrouvée toute seule avec les
enfants et les horaires du commerce c’était très tard. Le soir, les jours
fériés, les weekends avec les enfants, ce n’était pas évident. Je ne pouvais
pas les laisser seuls. Quand je me présentais dans le commerce, on me
disait que j’étais un peu vieille. (ancienne opératrice de conditionnement

15
manuel dans l’industrie, 43 ans, devenue aide à domicile après plus de 4
ans de chômage)
Toutefois, cette nouvelle profession consiste à un enfermement dans l’espace
domestique parfois mal vécu. Dans ces cas, le nouveau métier peut n’être
qu’une étape pour revenir au métier désiré qui lui s’exerce en dehors de
l’espace privé. Les assistantes maternelles qui travaillent le plus souvent chez
elles sont les figures de cette assignation à domicile où se mêlent complètement
l’espace professionnel et l’espace privé. D’ailleurs, il est notable que les
assistantes maternelles évoquent peu le fait de travailler chez elles parmi les
raisons de leur changement de métier, mais plutôt parmi les points positifs ou
négatifs de l’exercice de leur nouvelle profession.
Parce que je ne trouvais plus dans mon secteur. Je me suis arrêtée
longtemps pour m’occuper de mes enfants. J’ai un CAP Petite enfance
pour partir ailleurs.
Quels sont pour vous les points positifs de votre changement de métier ?
(question ouverte, enquête sur les mobilités professionnelles, décembre 2012)
On trouve difficilement du travail dans ce secteur-là (petite enfance).
Parce que je ne veux pas être assistante maternelle et être chez moi
surtout. Il y a quand même pas mal de ménage à faire et je n’aime pas ça
du tout. Au niveau des horaires, je devais y retourner le soir de 17h à 20h.
(ancienne employée administrative, 47 ans, devenue assistante maternelle
après 6 mois de chômage)
Instabilité des contrats. Enfermement. Pas de monde à la maison. Métier
où on n’est cloîtrée à la maison. (ancienne préparatrice de commandes, 39
ans, devenue assistante maternelle après plus de deux ans de chômage)
Pour certaines, si la conciliation entre vies professionnelle et familiale n’était
pas la priorité au moment de la reconversion, elles expriment une certaine
satisfaction d’avoir plus de temps pour leur famille comparativement à leur
ancienne profession.
Au-delà de l’urgence de trouver un emploi, de la satisfaction exprimée de
pouvoir concilier tâches professionnelles et familiales ou encore celle de
pouvoir travailler chez soi, les points positifs du nouveau métier évoqués par de
nombreuses enquêtées touchent également à l’intérêt du métier, à la qualité des
relations humaines dans l’exercice de la profession et même à une amélioration
par rapport à l’emploi précédent.

3.2 … pour une nouvelle carrière marquée par la précarité et le sous-emploi


3.2.1 Un progrès (relatif) par rapport au dernier métier
Comme nous l’avons vu plus haut, s’orienter vers un métier d’aide à la
personne à la sortie du chômage est rarement une vocation. Pourtant, cette
réorientation correspond pour certaines au retour à un « ancien » métier ou à
une formation initiale. Pour d’autres, l’intérêt pour le métier intervient une fois
l’emploi trouvé.

16
J’ai trouvé un métier qui m’intéresse et qui correspond à mes études.
(ancienne opératrice de piquage dans le textile, 37 ans, devenue assistante
maternelle après plus de deux ans de chômage)
C’était la première opportunité d’embauche. (ancienne vendeuse en
produits frais, 47 ans, devenue garde-malade après plus de deux ans de
chômage)
Quels sont pour vous les points positifs de votre changement de métier ?
(question ouverte, enquête sur les mobilités professionnelles, décembre 2012)
Je fais le métier que j’aime.
Bien que près de deux aides à la personne sur cinq déclarent avoir accepté une
baisse de qualification pour exercer cet emploi, l’exercice de ces métiers peu
valorisés est parfois vu comme un progrès par rapport aux emplois précédents,
compte tenu de la faible qualité de ces derniers. Certaines aides à la personne
ressentent des améliorations en termes de conditions d’emploi (contrat), de
conditions de travail, de salaire, voire même des perspectives d’évolution vers
des métiers plus qualifiés d’aide à la personne. Or, ce discours positif sur cette
activité est très lié au fait que les emplois précédents étaient d’encore plus
mauvaise qualité. Ils étaient moins stables, moins bien rémunérés avec parfois
peu de reconnaissance du travail effectué. Les conditions d’emploi et de travail
du nouveau métier d’aide à la personne constituent ainsi une amélioration par
rapport aux emplois précédemment exercés ou tout simplement par rapport à la
situation de chômage, même si le temps de travail reste très partiel. Toutefois,
nous le verrons un peu plus loin, un nombre important d’entre elles regrettent le
manque de reconnaissance de leur travail et la faiblesse des rémunérations dans
leur nouvelle profession.
Parce qu’en fait, il n’y a aucun débouché. J’étais en bijouterie dans
l’artisanat. Dans la région, il n’y avait rien du tout. J’avais quatre ans
d’études. J’étais payée au SMIC et j’ai fait quatre mois de formation pour
être auxiliaire de vie, et j’étais payée au-dessus du SMIC. J’ai au moins
vingt ou trente centimes de plus, c’est toujours ça. En bijouterie, tout ce
qui était niveau matériel de sécurité… Il n’y a pas beaucoup d’ateliers qui
sont au point et qui s’en fichent de leurs employés. Tandis que là, j’ai des
chaussures de sécurité, j’ai mon matériel donné par la boîte. J’ai
vachement plus de reconnaissance. J’ai choisi mon orientation trop jeune.
J’ai été orientée, j’avais quatorze-quinze ans et j’étais un peu jeune pour
choisir, même si c’est moi qui avais choisi. On n’a pas du tout conscience
de la réalité du monde du travail, on n’est trop jeune pour se rendre
compte de ce que c’est. (ancienne ouvrière en bijouterie, 22 ans, devenue
auxiliaire de vie à domicile après 3 mois de chômage)
Quels sont pour vous les points positifs de votre changement de métier ?
(question ouverte, enquête sur les mobilités professionnelles, décembre 2012)
Un bon salaire, des horaires flexibles et adaptées à ma situation. Un
travail moins contraignant. (ancienne vendeuse en boulangerie-pâtisserie,
30 ans, devenue aide à domicile après plus deux ans de chômage)

17
Ça correspond déjà plus à mes diplômes. Je touche un peu plus de
salaire. C’est un épanouissement professionnel. Davantage qu’avec
l’autre, et là je le suis encore plus. (ancienne secrétaire médicosociale, 28
ans, devenue assistante maternelle en crèche après plus d’un an de
chômage)
J’ai de l’emploi là-dedans et c’est un emploi où j’ai l’impression d’être
utile. J’aime bien aider les gens. Pour moi, c’est des points positifs. Même
si je ne suis pas diplômée, j’ai trouvé cet emploi. Je fais au moins deux
heures par jour. (ancienne secrétaire, 29 ans, devenue aide à domicile
après plus d’un an de chômage)
Même si l’intérêt pour le métier ou des améliorations peuvent être exprimées en
termes de conditions d’emploi ou de travail, pour beaucoup d’aides à la
personne l’exercice du métier reste difficile et le travail effectué peu reconnu,
avec une prégnance du temps partiel et de très faibles rémunérations.

3.2.2 Sous-emploi et faible reconnaissance du travail


Dans le secteur des services à la personne, le temps partiel et la précarité sont la
règle. Plus de six aides à la personne sur dix déclarent travailler à temps partiel.
Dans les trois quarts des cas ce temps partiel est subi (tableau 4). Ce sous-
emploi (Maruani, 2004) implique des rémunérations très faibles avec des
variations non négligeables d’un mois à l’autre (près d’une aide à la personne
sur deux touchait moins de 700 euros net mensuel à son embauche). Le niveau
de salaire est fortement dépendant des besoins des employeurs qui dans de
nombreux cas sont des particuliers, parents ou personnes âgées. S’ajoutent à
cela des temps de travail morcelés tout au long la journée, parfois avec des
temps de transports très longs entre les différents clients ou « patients » comme
les appellent certaines des aides à la personne, sans qu’il n’y ait de prise en
compte des frais de déplacements quand il s’agit de particuliers-employeurs.
Tableau 4. Temps de travail de l’emploi trouvé à la sortie du chômage
Aides à la Ensemble des Ensemble des anciens
personne femmes en mobilité chômeurs en mobilité
à temps plein 36% 60% 72%
à temps partiel 64% 40% 28%
dont temps partiel subi 75% 73% 75%
Ensemble 100% 100% 100%
Champ : demandeurs d’emploi en mobilité (changement de domaine professionnel) à la reprise
d’un emploi salarié.
Source : Pôle Emploi, enquête de juin 2013 sur les mobilités professionnelles, données brutes.
Par ailleurs, le travail domestique d’aide aux personnes consiste à effectuer des
tâches peu valorisantes (ménage, soins…) et quelque peu banales dans la
mesure où elles sont effectuées dans d’autres configurations par les femmes
dans le cadre familial. Et si la richesse du contact humain est valorisée pour
manifester l’intérêt pour le nouveau métier, les tâches ménagères ingrates
constituent un motif de rejet exprimé vis-à-vis de la profession.

18
Enfin, même quand l’emploi est à temps plein, le tarif horaire reste dérisoire. Il
marque la faible reconnaissance du travail effectué et il implique d’avoir la
possibilité de pouvoir faire des journées de travail très longues pour obtenir une
rémunération satisfaisante.
Quels sont pour vous les points négatifs de votre changement de métier ?
(question ouverte, enquête sur les mobilités professionnelles, décembre 2012)
Il n’y en a pas. Non, parce que dans tous les cas que je sois bijoutière ou
auxiliaire de vie, il n’y a rien de négatif. Après j’aimerais bien que l’on
augmente le tarif horaire. On devrait être plus reconnu au niveau du tarif
horaire. (ancienne ouvrière en bijouterie, 22 ans, devenue auxiliaire de vie
à domicile après 3 mois de chômage)
D’avoir un salaire plus petit, de travailler à temps partiel. (ancienne
opératrice de piquage dans le textile, 37 ans, devenue assistante
maternelle après plus de deux ans de chômage)
Je fais quelque chose de fatiguant et pas intéressant. (ancienne hôtesse
d’accueil, 59 ans, devenue gouvernante après plus de 3 ans de chômage)
Ce n’est pas tous les jours facile. Les tâches sont rébarbatives. Les
transports sont longs entre deux patients. (ancienne préparatrice de
commande, 37 ans, devenue aide à domicile dans une association après
plus de 3 ans de chômage)
Cependant, la question de la rémunération est étroitement liée à la nature de
l’employeur. La majorité des personnes de notre échantillon a trouvé un emploi
direct, chez des particuliers ; le niveau de rémunération ne dépasse que
rarement le SMIC, le salaire net mensuel à l’embauche est moins élevé que
pour celles qui ont été embauchées par une collectivité ou par un mandataire,
association ou entreprise (tableau 5).
Tableau 5. Salaire net mensuel à l’embauche, en fonction du type d’employeur
Employeur Salaire net mensuel à l’embauche
Total Inférieur à 700€ De 700 à 1 000€ De 1 000 à 1 500€ Autres, nsp
Particulier 42 % 60 % 20 % 13 % 7%
Collectivité 24 % 29 % 34 % 32 % 5%
Mandataire 34 % 41 % 32 % 22 % 5%
Ensemble 100 % 46 % 28 % 21 % 5%
Champ : demandeurs d’emploi en mobilité (changement de domaine professionnel) à la reprise
d’un emploi salarié d’aide à la personne.
Source : Pôle Emploi, enquête de juin 2013 sur les mobilités professionnelles, données brutes
Celles qui s’occupent de personnes âgées dépendantes ou encore de personnes
handicapées doivent faire face à des situations difficiles psychologiquement
(comportements irascibles des « patients », misère sociale, décès…) et sans
qu’il n’y ait de soutien professionnel structuré pour les aider à gérer et à les
surmonter.
Ce n’est pas un métier que j’aime beaucoup car travailler avec les
personnes âgées c’est plutôt dur. Je suis trop sentimentale avec les
personnes avec qui je travaille. (ancienne hôtesse d’accueil, 46 ans,
devenue aide à domicile après 18 mois de chômage)

19
On travaille les weekend, les jours fériés, c’est de l’aide à la personne.
C’est très usant et très fatiguant parce que je travaille beaucoup avec des
handicapés. On rentre dans le quotidien de ces personnes, dans la misère
quelque part. (ancienne animatrice socioculturelle, 31 ans, devenue
auxiliaire de vie dans une association après 10 mois de chômage)
Même si les conditions de travail sont difficiles, le travail peu reconnu donc peu
rémunéré, l’exercice de ce nouvel emploi peut être toutefois une amélioration
par rapport au dernier métier ou encore par rapport à la situation de chômage.
Un nombre important de ces femmes est ainsi resté dans ces emplois et la
reconversion à la sortie du chômage s’apparente à une « véritable » mobilité
professionnelle.

3.2.3 Une « véritable » reconversion professionnelle ?


L’étude cible une population de demandeurs d’emploi sortis des listes de Pôle
Emploi au moins 12 mois consécutifs, suite à une reprise d’emploi, afin
d’exclure tout changement « provisoire » de métier. Les mobilités observées
vers l’aide à domicile sont donc majoritairement des mobilités qui s’inscrivent
dans la durée.
Plus d’un an après leur sortie du chômage pour un emploi d’aide à la personne,
près de sept demandeuses d’emploi sur dix sont toujours en emploi. Parmi elles,
huit sur dix exercent toujours ce métier et les trois quart pour le(s) même(s)
employeur(s). Le temps de travail (temps plein ou temps partiel) n’a pas évolué
pour sept sur dix d’entre elles.
Pour les autres qui ne sont plus en emploi, plus de 80% ont exercé le métier
d’aide aux personnes pendant un an ou plus longtemps après leur sortie du
chômage et près de 70% d’entre elles recherchent un emploi dans le domaine
des services à la personne. Même si le métier d’inscription à Pôle Emploi
correspond essentiellement au dernier métier exercé, l’hypothèse que leur
recherche d’emploi est pour la plupart dans la continuité de leur dernière
reconversion est quasiment certaine. En effet, l’on constate que les personnes
recherchant un emploi dans domaine professionnel des services aux particuliers
et à la collectivité font partie des moins mobiles à la sortie du chômage. Ce
domaine professionnel est davantage un domaine où l’on entre (facilement)
qu’un domaine que l’on quitte pour trouver un emploi, en particulier quand l’on
est une femme, peu qualifiée et relativement âgée.

Encadré. Méthodologie des enquêtes sur les mobilités professionnelles


Il s’agit de deux enquêtes portant sur les mobilités professionnelles des
demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A, B ou C à la fin décembre 2009 et
sortis des listes suite à une reprise d’emploi pendant une période minimale de
12 mois consécutifs. Parmi eux, certains se sont réinscrits par la suite à Pôle
emploi, d’autres non.
L’objectif était d’étudier le changement de domaine professionnel consécutif à
un passage par le chômage, afin d’analyser l’impact de cette période de
chômage sur la mobilité professionnelle. Le champ des enquêtes comprend les

20
seules personnes susceptibles d’être en emploi à leur sortie ; les sorties pour
maladie, maternité ou congé parental, retraite ou dispense de recherche
d’emploi ont été exclues, de même que les primo-inscrits et les demandeurs
ayant une ancienneté au chômage inférieure à trois mois.
La première enquête, réalisée en décembre 2012 auprès de 2 000 personnes,
avait pour objectif d’identifier de manière fine les motifs de la mobilité ; deux
questions ouvertes* ont été posées afin d’identifier les principaux motifs de
mobilité exprimés. La deuxième enquête a été réalisée en juin-juillet 2013
auprès de 4 000 personnes, pour laquelle les verbatim précédemment recueillis
ont été recodés en 7 motifs principaux sous la forme d’une question fermée.
* Pour quelles raisons avez-vous changé de métier ? Quels sont pour vous les points positifs
et/ou négatifs de votre changement de métier ?
***
*
La mobilité professionnelle à la sortie du chômage s’effectue le plus souvent
sous contrainte : l’urgence de reprendre un emploi conduit ces personnes vers
des métiers facilement accessibles dans des secteurs « qui embauchent », où les
conditions de travail sont médiocres, les rémunérations sont faibles et le sous-
emploi est la norme. Les métiers des services à la personne en font partie.
Massivement féminine, souvent âgée, pas très qualifiée, cette population subit
parfois un déclassement, mais souvent elle provient d’univers professionnels où
les conditions de travail n’étaient guère meilleures. Les services à la personne
permettent alors de concilier, à un prix non négligeable, vie professionnelle et
vie familiale et apparaissent comme une porte de sortie du chômage pour le
segment le plus fragilisé de la population active.

Bibliographie
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