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Communication pour les JIST 2016, Athènes, 11 - 13 mai 2016

Fuir son univers professionnel en période de crise.


Une mobilité à la sortie du chômage fondée sur le rejet de l’ancien métier

Murielle Matus, murielle.matus@pole-emploi.fr


Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (LISE), CNRS : UMR3320,
Conservatoire National des Arts et Métiers [CNAM]

Nicolas Prokovas, nicolas.prokovas@univ-paris3.fr


Intégration et Coopération dans l'Espace Européen (ICEE), Université Paris III - Sorbonne
nouvelle

Résumé
Les évolutions que le marché du travail français a connues depuis plus trente ans en ont
profondément modifié le fonctionnement. La précarité croissante a notamment contribué à la
multiplication des transitions entre emploi et chômage. Cette mobilité entraîne souvent des
changements de métier qui, à leur tour, interrogent la construction de l’identité
professionnelle que heurte le passage par le chômage. La reprise d’emploi apparaît alors
comme un moment charnière pour essayer de réconcilier sa perception de soi-même avec le
regard que portent les autres, pour rapprocher identité « subjective » et identité « pour
autrui ». L’obligation de sortir du chômage laisse cependant peu d’espace aux velléités de
trouver un métier conforme à son identité professionnelle. Interroger cette possibilité revient à
s’introduire dans les interstices que laissent le déterminisme social et la normativité du
marché du travail. Les personnes qui revendiquent la rupture avec leur passé professionnel à
travers le rejet du métier qu’elles exerçaient avant de connaître le chômage, pour des raisons
liées à sa nature ou à ses caractéristiques, font l’objet de la présente étude.

Mots-clés :
Chômage, emploi, identité professionnelle, métier, mobilité professionnelle, transition

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Fuir son univers professionnel en période de crise.
Une mobilité à la sortie du chômage fondée sur le rejet de l’ancien métier

Murielle Matus, (murielle.matus@pole-emploi.fr), CNAM, LISE


Nicolas Prokovas, (nicolas.prokovas@univ-paris3.fr), Université Paris 3, ICEE

1. Introduction
La recomposition sectorielle de l’économie française et la précarisation de l’emploi avaient
déjà conduit à un fort accroissement des mobilités externes, surtout autour des emplois non
qualifiés (Picart, 2014). Le dualisme du marché du travail français passe ainsi par la
segmentation des salariés entre qualifiés et non-qualifiés et la segmentation des emplois entre
pérennes et non-pérennes. Les mobilités professionnelles qui alimentent cette segmentation
sont essentiellement contraintes. Ce sont les personnes les moins diplômées qui y sont
exposées (Amossé, 2002), les portes des emplois qualifiés leur étant closes. La prise en
compte des conditions de travail renforce le caractère contraint des mobilités professionnelles
du fait d’une forte corrélation entre la précarité et les secteurs d’activité peu attractifs où
contrats courts, temps partiels contraints, conditions de travail difficiles et salaires insuffisants
accroissent le turn-over (Gollac et Volkoff, 2007).
Déjà au début des années 2000, les mobilités descendantes étaient deux fois plus importantes
qu’au début des années 1980, phénomène qu’en partie expliquait le passage par le chômage
(Monso, 2006). De plus en plus, la segmentation du marché du travail limite l’accès aux
« bons emplois » pour les personnes les plus fragiles (Liégey, 2009), les transitions du
chômage vers l’emploi conduisent beaucoup plus souvent vers des emplois précaires ou vers
des situations de sous-emploi et ces sorties vers des emplois de moindre qualité alimentent à
leur tour le chômage récurrent (Lizé et Prokovas, 2011). En effet, la mobilité professionnelle
externe des sortants du chômage, temps pendant lequel un repositionnement ou une
réorientation professionnels peuvent être envisagés, implique des bifurcations dans le
parcours professionnel qui percutent ou restructurent le processus de construction de l’identité
professionnelle, et cela bien plus souvent que dans le cadre d’autres formes de mobilité
externe (sorties du système scolaire, par exemple). Les trajectoires professionnelles peuvent
ainsi se modifier, dans le sens ascendant ou descendant. Par ailleurs, les motifs qui président à
la mobilité professionnelle sont très complexes (Matus et Prokovas, 2014).
Notre étude s’intéresse particulièrement, parmi les différents évènements générateurs de
ruptures, à une certaine forme de mobilité professionnelle « doublement » choisie : celle qui
consiste à la fois à sortir du chômage vers l’emploi et à refuser de reprendre le même métier
que celui précédemment exercé. À l’aide de données qualitatives et quantitatives issues d’une
enquête spécifique réalisée auprès d’anciens chômeurs, et du fichier historique des
demandeurs d’emploi, nous décrivons les logiques à l’œuvre dans la mobilité synonyme de
fuite du métier précédent en testant les causalités qui relient caractéristiques individuelles,
emplois actuel et précédent (métier, conditions de travail et d’emploi, expérience du
chômage).
Nos résultats montrent que la mobilité étudiée traduit un double rejet du secteur professionnel
et des conditions de travail et d’emploi ; elle s’avère réussie, dans la mesure où elle épouse les
grandes tendances de reconfiguration du système productif, mais en même temps elle est
limitée par la dynamique de précarisation de l’emploi à laquelle elle se heurte.

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2. Tendances sur le marché du travail

2.1. Instabilité, insécurité et segmentation


Depuis les années 1980, la recomposition sectorielle de l’économie française et la
précarisation de l’emploi ont conduit à un fort accroissement des mobilités externes. Cette
croissance de la rotation de la main d’œuvre se concentre sur des contrats à durée déterminée
(CDD) ou en intérim de plus en plus courts. Plus de 80 % des embauches sont effectuées sur
des contrats en CDD ou en intérim tandis que « la transformation de CDD en CDI diminue et
passe de plus en plus par une étape préalable de récurrence en CDD » (Picard, 2014, p 33).
Les emplois non qualifiés sont les plus exposés à ce type de contrats temporaires et en
conséquence à l’intensification des rotations. La concentration de ces rotations est par ailleurs
de moins en moins liée à l’âge (et donc à l’avancée dans la vie active), mais de plus en plus au
métier exercé (ibid.). Tout ceci a contribué à la montée de l’instabilité professionnelle, bien
visible sur le marché du travail français, quoique difficile à mesurer de manière précise
(Givord et Maurin, 2003). La mesure de l’instabilité professionnelle, adoptée par ces auteurs,
est le risque de perte d’emploi calculé à partir des transitions entre emploi au chômage, à
l’exclusion des sorties de l’emploi supposées choisies, à savoir les démissions. Ils arrivent à la
conclusion que les salariés faiblement diplômés et de faible ancienneté dans l’emploi sont
davantage exposés à ce risque, risque qui, néanmoins, s’est davantage accru pour les salariés
ayant un niveau de formation supérieur au baccalauréat et une ancienneté dans l’entreprise
supérieure à un an, rejoignant en cela la thèse de « déstabilisation des stables », théorisée par
R. Castel (1995). À l’aide d’une série de modèles économétriques, ils ont en outre estimé que
l’instabilité professionnelle affecte particulièrement les salariés – notamment les plus anciens
– dans les secteurs où les nouvelles technologies de l’information se sont développées plus
rapidement.
Ces évolutions sur le marché du travail résultent de la conjonction d’au moins deux
phénomènes qui se sont produits concomitamment : le recul du taux de croissance qui a
entraîné un ralentissement de l’activité des entreprises et la détérioration de leur santé
économique, difficultés qui à leur tour se sont traduites par une diminution des embauches,
une augmentation des licenciements, la hausse du chômage ; l’assouplissement des règles de
gestion de la main-d’œuvre qui s’est traduit par une moindre protection contre les
licenciements et une remise en cause du CDI en tant que norme d’emploi.
L’intensification du recours aux emplois temporaires dans les pratiques de gestion de la main-
d’œuvre des entreprises implique une augmentation sur le marché du travail français de la
mobilité liée à la multiplication des transitions entre emploi et chômage (Amossé, 2002). Le
chômage prend ainsi une place de plus en plus importante dans les modalités de circulation de
la main d’œuvre.
Le marché du travail français est tout sauf figé. Son fonctionnement s’est profondément
modifié les trente dernières années. Désormais, toute évolution de l’emploi total, à la hausse
comme à la baisse, implique un nombre grandissant d’embauches et de licenciements
simultanés. Cela est à la fois source d’instabilité et de mobilité professionnelles.
La diversification des parcours et des formes de mobilité sur le marché du travail, qui résulte
de ces évolutions structurelles, s’agence ainsi selon une segmentation et une dualisation du
marché du travail. D’un côté davantage de travailleurs « stables » protégés par des marchés
internes connaissent un allongement de leur ancienneté dans l’emploi, et de l’autre, davantage
de travailleurs « mobiles », exposés aux ajustements conjoncturels, connaissent des
trajectoires précaires marquées par des passages récurrents par le chômage (Amossé et Ben
Halima, 2010).
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2.2. Chômage, mobilité et identité professionnelles
Les mobilités externes se traduisent souvent par un changement de métier. Les transitions du
chômage vers l’emploi n’échappent pas à ce constat : un tiers des demandeurs d’emploi
changent de métier à la reprise d’un emploi (Poujouly et Prokovas, 2009). Le changement
d’orientation professionnelle dépend généralement du métier initialement exercé. Certains
métiers conduisent ainsi vers d’autres métiers du même domaine professionnel ou vers des
métiers de nature différente (Simonnet et Ulrich, 2009).
Le travail est généralement considéré en sociologie du travail comme un élément occupant
une place centrale dans la construction de l’identité sociale des individus (voir notamment le
panorama théorique dressé par Garner et al., 2006). En interaction avec d’autres instances de
socialisation (comme la famille) et parfois en concurrence avec elles, il participe au rapport à
« soi », la manière dont on se définit, et au rapport à « l’autre », la manière dont on est
qualifié par les autres (Dubar, 2000). Ces deux dimensions identitaires (subjective et
objective) ne sont pas toujours placées sous le signe d’une cohabitation harmonieuse : des
tensions, des conflits, des confrontations peuvent se faire jour, notamment en cas de
changement ou de rupture professionnels.
C’est en cela que la notion de « profession » devient centrale pour la compréhension des
vertus identitaire et intégratrice du travail dans le processus de socialisation de l’individu.
Notion polysémique par excellence, elle renvoie à la fois au contenu précis de l’activité
exercée, à la façon dont elle est cataloguée, à la façon dont elle est déclarée et à la façon dont
elle est perçue (Dubar et al., 2015). C’est ainsi que « déclarer sa profession engage un travail
à la fois cognitif (des savoirs) et affectif (des valeurs, des préférences) … » (ibid.). Or,
l’environnement, le « contexte politico-économique » dans lequel s’inscrit cette identification
subjective et objective au travail et, au-delà, à la profession, est mouvant, heurté par des
ruptures, notamment par le chômage, de plus en plus fréquentes, comme nous l’avons
précédemment constaté.
Dans la situation de chômage, le travail n’organise et ne rythme plus le quotidien, et la durée
de l’absence de travail s’allongeant, le chômage peut se traduire par un certain affaiblissement
des liens sociaux. « L’image de soi, l’estime de soi, la définition même que la personne
[donne] « de soi à soi-même » (Dubar, 2000, p 167) peuvent être perturbées. Le parcours
professionnel antérieur et les conditions plus ou moins subies d’entrée dans le chômage
(licenciement, démission, fin de contrat, reprise d’activité…) peuvent également peser sur son
vécu. L’épreuve du chômage correspond ainsi à une période critique dans laquelle des crises
de l’identité peuvent apparaître (Schnapper, 1994).
Le chômage constitue ainsi une remise en cause de la professionnalité du travailleur qui
s’efforcera, pour en sortir, de « prouver » ses qualités professionnelles. Pour ce faire, il entrera
dans un « processus dialectique » avec de multiples acteurs (employeurs, hiérarchiques,
clients, collègues…), lors duquel il confrontera sa propre conception de sa capacité à effectuer
un travail précis aux exigences explicitement ou implicitement formulées par les autres. Dans
un contexte où l’embauche se joue de plus en plus sur les « qualités professionnelles » ou les
« compétences » que les autres vous reconnaissent et vous valident, dans un contexte où vous
vous sentez – et vous êtes – en permanence « évalué », il faut constamment faire preuve de
« créativité », d’« engagement », il faut constamment se montrer « impliqué », être acteur de
sa situation de travail (Demazière et Gadéa, 2009). C’est d’une question de reconnaissance de
soi qu’il s’agit et qui n’est pas dépourvue de conflictualité potentielle. Ce constat a une valeur
universelle, au sens où il est applicable aussi bien aux chômeurs en quête de réinsertion
professionnelle qu’aux salariés qui se sentent menacés du chômage.
4  

 
Le métier étant une composante de l’identité professionnelle, en changer peut impliquer de se
définir autrement et d’être défini différemment par les autres. Dans le cas de reconversions
volontaires, certains auteurs parlent même de « conversion de soi » (Négroni, 2005). Dans le
cas de reconversions non anticipées, en raison de difficultés à retrouver un emploi, la question
de la possibilité du choix de l’orientation et de la (re)définition de « soi » se posent. Dans tous
les cas, où que se situe cet « espace d’identification », il est issu d’un processus temporel à
forte dominante subjective : la reconstitution du passé est intimement liée à la projection dans
l’avenir et c’est à cette aune que la trajectoire professionnelle est mesurée (Dubar, 1992).
Trouver un emploi pour échapper au chômage peut, par définition, être considéré comme une
mobilité choisie. Mais au regard du vécu des expériences professionnelles antérieures, de la
fragilisation identitaire que peut provoquer le passage par le chômage et des configurations du
système productif et des normes d’emploi (notamment sexuées) en vigueur sur le marché du
travail, dans quelle mesure un changement de métier intervenant dans ce contexte peut l’être
également ?
Les données recueillies à partir de deux enquêtes spécifiques (voir Source et méthodes) nous
permettront de réfléchir à cette question. À partir de l’étude des raisons évoquées par
d’anciens chômeurs pour expliquer leur mobilité professionnelle à la sortie du chômage, en
particulier celle qui consiste à rejeter l’ancien métier, nous essaierons de dégager les logiques
sous-jacentes à ce type de mobilité par exclusion. Les éléments dont nous disposons sur les
caractéristiques des personnes concernées et des emplois qu’elles exercent nous permettront
d’approfondir nos hypothèses.

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Source et méthodes
Afin d’étudier les logiques (potentiellement « subies » ou « choisies ») à l’œuvre dans les
réorientations professionnelles à l’issue du chômage, les flux entre métiers ainsi que la nature
des emplois retrouvés, nous avons réalisé deux enquêtes par téléphone auprès d’anciens
chômeurs. Les anciens chômeurs interrogés sont issus d’un échantillon de demandeurs
d’emploi inscrits à Pôle Emploi fin décembre 2009, tenus de faire des actes positifs de
recherche d’emploi (c’est à dire inscrits en catégorie A, B ou C)1 et sortis des listes pendant
une période de 12 mois consécutifs minimum entre janvier 2010 et juin 2012. Nous
souhaitions en effet observer des changements de métier (et par conséquent des reprises
d’emploi) qui s’inscrivent dans la durée. Certains demandeurs d’emploi se sont réinscrits dans
la fenêtre d’observation, d’autres non (les plus nombreux). Ont été exclus les individus entrant
sur le marché du travail2 et les demandeurs ayant une ancienneté au chômage inférieure à trois
mois afin d’analyser des mobilités emploi-chômage-emploi comprenant une période de
chômage minimale afin d’en étudier l’impact sur les parcours professionnels.
Dans les deux enquêtes, la mobilité professionnelle est identifiée par un mode déclaratif. Les
enquêtés ayant déclaré avoir changé de métier à leur sortie du chômage sont ensuite interrogés
sur le nouveau métier exercé, les motifs de leur mobilité et sur les caractéristiques de l’emploi
retrouvé. La reprise d’un emploi et le fait d’avoir changé de métier ou non ont fait l’objet de
deux questions « filtre » afin d’interroger la population ciblée par l’enquête.
La première enquête a été réalisée dans une démarche exploratoire en décembre 2012 avec
deux objectifs principaux : identifier les principaux motifs de la mobilité professionnelle
exprimés par les anciens chômeurs et tester l’atteinte des cibles (en emploi et en mobilité à la
sortie) en prévision de la deuxième enquête. Trois questions ouvertes ont été posées aux 2 000
répondants en mobilité professionnelle afin de recueillir des verbatims permettant de dégager
les motifs de mobilité principaux exprimés par les demandeurs d’emploi : « pour quelles
raisons avez-vous changé de métier ? », « quels sont les aspects positifs et les aspects négatifs
de ce changement ? » (en deux questions distinctes). En analysant les réponses à ces questions
nous avons identifié six raisons principales.
La deuxième enquête a été réalisée avec l’objectif essentiel de permettre une analyse
quantitative plus précise avec un échantillon beaucoup plus important (objectif atteint de
5 000 répondants en mobilité professionnelle). Le recueil des motifs de la mobilité s’est
effectué sous la forme de deux questions fermées comprenant les raisons principales
identifiées dans la première enquête en six modalités, la deuxième question excluant de la
liste proposée la première motivation choisie par l’enquêté et incluant la possibilité de ne pas
exprimer une deuxième raison. La motivation de la mobilité à la sortie du chômage s’exprime
ainsi en deux temps : d’abord par une raison principale, puis par une deuxième raison, quand
la mobilité ne se résume pas à un seul motif pour les personnes interviewées.

                                                                                                                       
1
Les autres demandeurs d’emploi, inscrits en catégorie D ou E, sont pour les premiers en formation et les
2
Elles ont pu être exclues dès l’étape d’échantillonnage grâce au motif d’inscription renseigné dans les fichiers
de Pôle Emploi.
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3. Peut-on choisir son métier à la sortie du chômage ?
Les raisons évoquées par les personnes en mobilité sont multiples. La première enquête que
nous avons réalisée nous a permis de dégager six raisons principales évoquées par les
enquêtés, que nous avons approfondies et enrichies lors de la deuxième enquête. Ont ainsi été
recueillis tous les motifs cités par chaque individu, justifiant le changement de métier à sa
sortie du chômage. La nécessité de trouver un emploi à défaut d’en trouver un dans son
domaine (motif le plus récurrent) et les contraintes personnelles (familiales, de santé,…)
appartiennent à des logiques que nous considérons comme « subies » dans la mesure où une
contrainte a pesé dans le processus de réorientation. D’autres relèvent d’un « choix » au sens
d’un intérêt pour le métier, d’une volonté d’améliorer ses conditions de travail et/ou d’emploi,
de revenir à un ancien métier (que l’individu a déjà exercé ou pour lequel il a été formé) ou
encore de fuir/ rejeter l’ancien métier. L’association de plus de deux motifs dans le discours
des enquêtés étant peu répandue, la deuxième enquête s’est limitée au recueil de deux motifs
principaux.
Près d’un ancien chômeur sur six (15 %) évoque la volonté de ne plus exercer l’ancien métier
(que ce soit en premier ou en deuxième motif le cas échéant) pour expliquer leur mobilité
professionnelle à la sortie du chômage. Pour 13 % d’entre eux il s’agit de la seule raison
parmi celles proposées (Tableau 1).

Tableau 1. Motifs justifiant le changement de métier à la sortie du chômage


Choix Améliorer Retour à Rejet du Contraintes Trouver Aucune Total
du les un dernier personnelles un autre
métier conditions ancien métier ou familiales emploi raison
d'emploi et métier exercé
de travail

Choix du métier 24% 10% 17% 8% 24% 17% 100%


Améliorer les
conditions d'emploi
et de travail 17% 5% 9% 7% 51% 12% 100%
Retour à un ancien
métier 28% 21% 7% 7% 24% 14% 100%
Rejet du dernier
métier exercé 32% 23% 4% 10% 18% 13% 100%
Contraintes
personnelles ou
familiales 13% 16% 4% 9% 35% 23% 100%
Trouver un emploi 12% 35% 4% 5% 10% 34% 100%
Avertissement : en raison des arrondis, le total des pourcentages peut ne pas être strictement égal à la
somme des lignes et des colonnes.
Lecture : quand le motif du rejet de l’ancien métier est évoqué (en premier ou en deuxième choix), il
est associé dans 32 % des cas au motif du choix du métier.
Champ : demandeurs d’emploi sortis des listes de Pôle Emploi pendant au moins douze mois en
continu, ayant repris un emploi et déclaré avoir changé de métier.
Source : Pôle Emploi, deuxième enquête sur les mobilités professionnelles (sauf mention contraire,
tous les tableaux proviennent de l’exploitation de la même source).

Quand le rejet de l’ancien métier est cité, la volonté d’exercer un métier qui plaît l’est
également dans un tiers des cas. Même si le sens inverse se vérifie moins, rejet de
l’expérience professionnelle précédente et choix d’un nouveau métier correspondant aux
attentes et aux appétences professionnelles peuvent représenter les deux faces d’une même

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pièce. Le processus menant à réorienter sa vie professionnelle passe généralement par une
phase plus ou moins longue de mise à distance du métier précédemment exercé. Les
expériences passées sont remises en question négativement pour « repenser sa trajectoire »
(Negroni, 2005). Ce rejet des expériences professionnelles antérieures facilite alors le passage
à l’idée de reconversion et sa mise en œuvre.
Par ailleurs, l’urgence de trouver du travail est peu prégnante dans une logique de rejet de
l’ancien métier. Celui-ci est en revanche synonyme d’un rejet des anciennes conditions de
travail et d’emploi. Pour plus de la moitié des anciens chômeurs, le rejet de l’ancien métier
s’exprime par une récusation des conditions de travail (52 %) de leur dernier emploi. Le
métier lui-même (34 %), l’entreprise où ils travaillaient auparavant (23 %) et le domaine
d’activité (16 %) sont souvent cités mais apparaissent plus secondaires. Cette dimension est
d’ailleurs commune aux logiques « choisies » de la mobilité professionnelle à la sortie du
chômage (rejet ou retour à un ancien métier, choix du métier). Quand elles ne sont pas liées à
des motivations identitaires (dimension subjective de l’identité professionnelle) ni à une
considération méprisante de l’ancien métier (jugé « déclassé »), elles sont fortement associées
à une volonté d’améliorer les conditions de travail et/ou d’emploi.
Une analyse des caractéristiques sociodémographiques de la population enquêtée (tableau 2)
fait apparaître, parmi ceux qui rejettent leur ancien métier, une relative surreprésentation des
hommes (57 %) et des personnes appartenant à la classe d’âge 35-49 ans (39,7 %). Il s’agit
également d’une population diplômée : les deux tiers ont un niveau équivalent au CAP/BEP
ou au baccalauréat. Tout compte fait, la volonté de ne plus exercer l’ancien métier, même et
surtout quand la personne se trouve dans la nécessité et l’obligation de trouver un emploi,
semble « réservée » à ceux dont l’employabilité est relativement élevée.

Tableau 2. Répartition des motifs de mobilité professionnelle selon les caractéristiques


sociodémographiques des personnes
Rejet de Intérêt Améliorer Revenir Contraintes Trouver Ensemble
Motif l'ancien du les à un personnelles un
métier métier conditions ancien ou familiales emploi
de travail métier
Caractéristiques et/ou
sociodémographiques d'emploi
Sexe
Hommes 57,0 52,8 54,3 57,9 40,4 51,1 52,9
Femmes 43,0 47,2 45,7 42,1 59,6 48,9 47,1
Age
Moins de 25 ans 21,5 24,1 22,7 17,8 11,6 24,3 22,0
De 25 à 34 ans 33,2 33,6 37,6 35,6 29,1 31,5 33,5
De 35 à 49 ans 39,7 35,3 33,0 36,9 50,9 33,6 35,8
50 ans ou plus 5,6 7,0 6,7 9,7 8,5 10,6 8,8
Niveau de formation
Sans formation/collège/
9,9 11,0 11,5 12,2 13,6 13,1 12,4
enseignement secondaire
CAP/BEP 40,4 32,1 37,6 40,7 41,1 37,3 37,5
Bac 24,5 23,8 25,0 19,0 19,7 23,1 22,8
Bac+2 12,2 13,2 12,7 13,0 14,9 13,7 13,4
Bac+3 ou plus 13,0 19,9 13,2 15,1 10,7 12,7 14,0

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Si l’on s’intéresse au domaine professionnel auquel appartenait le métier exercé avant que la
personne ne se trouve au chômage, l’on constate que la mobilité professionnelle au départ des
domaines industriels relève essentiellement de deux motifs, le besoin de trouver un emploi et
la volonté d’améliorer les conditions de travail ou d’avoir un contrat de travail plus stable.
Ceci s’explique par le fait que les embauches dans l’industrie se font fréquemment sous forme
de contrats intérimaires.
Les domaines qui regroupent le plus grand nombre de cas de mobilité professionnelle pour un
motif de rejet de l’ancien métier sont, logiquement, ceux qui comptabilisent le plus grand
nombre d’individus dans notre enquête : commerce, services aux particuliers at aux
collectivités, gestion et administration des entreprises, transport – logistique – tourisme
(tableau 3). Cependant, ce motif n’apparaît plus fréquemment qu’en moyenne que dans un
nombre relativement réduit de domaines professionnels. Parmi ces domaines a priori récusés
(regroupant des métiers que les personnes enquêtées ont déclaré fuir), ceux de la mécanique et
du travail des métaux (6,3 % des rejets, contre 4,6 % en moyenne), des banques et assurances
(2,3 % contre 1,2 % en moyenne), des services aux particuliers et aux collectivités (15,9 %
contre 13,8 % en moyenne). Dans ces trois cas, les conditions de travail et les caractéristiques
de l’emploi expliquent le rejet. Le domaine des banques et assurances donne, par ailleurs, un
bon exemple de la segmentation du marché du travail à la française où, à côté des insiders,
protégés, bénéficiant de la sécurité d’emploi et de conditions de travail correctes, les outsiders
cumulent stress et précarité. À noter également que les départs du domaine des services aux
particuliers et aux collectivités sont souvent mues par la difficulté de concilier le contenu de
l’activité, la faible durée du travail et le besoin de multiplier les contrats et les employeurs
avec les contraintes liées à l’âge de la personne, son état de santé ou à l’organisation de sa vie
familiale.
La légère surreprésentation de personnes ayant connu le chômage suite à un licenciement au
sein du motif « rejet de l’ancien métier » (27,9 % contre 25 % en moyenne) pourrait
s’expliquer par le traumatisme provoqué par le fait d’avoir été licencié (tableau 4). Ce
traumatisme pourrait également être à l’origine de leur manque d’optimisme quant à leur
possibilité d’accéder à un emploi ayant de meilleures caractéristiques ou offrant de meilleures
conditions de travail. Plus généralement, dans notre enquête, les personnes semblent avoir
« profité » de leur licenciement pour changer d’orientation professionnelle ; leur mobilité
apparaît alors souvent comme un acte décidé (trouver un métier qui les intéresse, reprendre un
métier déjà exercé par le passé) et non un fait subi, intervenu par défaut (besoin de trouver un
emploi).
L’on constate également une surreprésentation de personnes inscrites après l’expiration de
leur contrat de travail (CDD ou intérim) au sein de celles dont la mobilité professionnelle,
fortuite, n’a eu lieu que parce qu’il leur fallait, coûte que coûte, sortir du chômage. La
précarité ne semble pas privilégier la recherche d’un emploi convenable ou du déroulement
d’une carrière professionnelle, ni même de la conciliation entre la vie familiale et la vie
professionnelle ; tout au mieux, elle semble inciter à la recherche d’un emploi plus stable
(42,6 % contre 38,5 % en moyenne).

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Tableau 3. Répartition des motifs de mobilité professionnelle selon le domaine professionnel
d’origine
Rejet de Intérêt Améliorer Revenir Contraintes Trouver Ensemble
Motif l'ancien du les à un personnelles un
métier métier conditions ancien ou familiales emploi
de travail métier
et/ou
Domaine de provenance d'emploi
Agriculture, marine, pêche 2,7 3,8 2,3 3,1 3,1 2,4 2,7
Bâtiment, travaux publics 8,2 7,4 9,1 9,8 5,9 8,8 8,3
Électricité, électronique 0,2 0,4 0,8 0,6 0,1 0,8 0,6
Mécanique, travail des métaux 6,3 3,0 5,7 3,2 2,2 5,4 4,8
Industries de process 3,0 2,6 5,0 3,2 1,6 3,2 3,5
Matériaux souples, bois, 1,0 0,8 0,4 0,9 1,4 1,0 1,0
industries graphiques
Maintenance 2,8 3,4 5,0 5,3 4,1 4,2 4,0
Ingénieurs et cadres de
0,3 0,3 0,8 0,5 0,3 0,9 0,7
l'industrie
Transports, logistique, tourisme 10,9 8,6 12,8 12,5 10,1 10,7 11,0
Artisanat 0,1 0,6 0,2 0,0 0,0 0,3 0,2
Gestion, administration des
14,5 14,8 13,2 13,4 16,7 14,6 14,4
entreprises
Informatique et
0,7 0,8 0,4 1,4 0,8 1,8 1,3
télécommunications
Études et recherche 0,0 0,6 0,3 0,9 0,7 1,0 0,7
Administration publique,
professions juridiques, armée, 1,1 1,4 1,1 0,3 0,5 0,9 1,0
police
Banque et assurances 2,3 1,6 0,9 1,0 1,0 1,3 1,2
Commerce 17,2 17,3 16,6 18,0 14,0 16,9 16,8
Hôtellerie, restauration, alim. 5,3 4,5 5,3 5,1 6,6 4,6 5,0
Services aux particuliers et aux
15,9 15,5 11,3 14,4 21,1 13,2 13,8
collectivités
Communication, information, 3,0 4,2 3,1 2,0 2,8 3,0 3,1
arts et spectacle
Santé, action sociale, culturelle 3,6 6,9 4,3 3,2 6,1 4,4 4,8
et sportive
Enseignement, formation 1,2 1,7 1,6 1,4 0,9 0,8 1,1

Les chômeurs de longue durée (entre un et deux ans d’inscription au chômage) et ceux qui
sont indemnisées au titre de l’assurance chômage sont relativement plus nombreux à avoir
rejeté leur ancien métier (43,4 % contre 40,4 % en moyenne et 65,7 % contre 62,1 % en
moyenne, respectivement). Les personnes qui touchent les minima sociaux n’auront pas le
luxe d’insister sur le conflit entre leur situation réelle et la perception qu’ils ont d’eux-mêmes,
entre leur « identité subjective » et leur « identité pour autrui », au sens de Dubar3 : pour eux,
il est impératif de trouver un emploi, un emploi qui, au mieux, soit compatible avec leur état
de santé, avec leurs contraintes familiales. Leur mobilité n’a rien de vertueux.
Enfin, la récurrence au chômage va se traduire en partie par la volonté de s’en sortir (trouver
un emploi, concilier les contraintes personnelles/familiales avec le contexte professionnel),
mais également par la décision de renoncer à l’ancien métier, en partie responsable de cette
                                                                                                                       
3
Dubar (2000), op. cit.
10  

 
récurrence (ce dernier motif est cité par 9,2 % des personnes ayant eu au moins une nouvelle
expérience de chômage après en être sortis pendant au moins un an, contre 7,8 % en
moyenne).

Tableau 4. Répartition des motifs de mobilité professionnelle selon le parcours au chômage


Rejet Intérêt Améliorer Retour Contraintes Trouver Ensemble
Motif de du les à un personnelles un
l'ancien métier conditions ancien ou familiales emploi
métier de travail ou métier
Parcours au chômage d'emploi

Licenciement 27,9 29,6 22,2 31,5 28,6 21,7 25,0


Démission 4,7 4,0 3,4 2,3 5,5 3,9 4,1
Fin de contrat 34,4 33,7 42,6 34,3 30,1 41,8 38,5
Autres motifs 33,0 32,7 31,8 32,0 35,8 32,6 32,4
Ancienneté d'inscription
Moins de 12 mois 34,9 34,8 37,0 35,3 35,2 34,7 35,0
De 12 à moins de 24 mois 43,4 39,6 38,9 43,7 40,0 39,8 40,4
24 mois ou plus 21,7 25,7 24,1 21,0 24,9 25,5 24,6
Indemnisation
ARE 65,7 60,2 65,3 61,7 60,3 61,0 62,1
ASS 5,4 5,8 5,4 5,3 6,3 5,6 5,7
RMI/RSA 8,3 9,7 9,0 10,7 12,2 12,1 10,6
Non indemnisable 20,5 24,4 20,3 22,2 21,3 21,4 21,6
Au moins une réinscription
après une sortie des listes
9,2 6,7 6,3 7,7 8,5 8,1 7,8
d'au moins 12 mois
consécutifs

Le tableau 5 récapitule les constats qui ont pu être faits jusqu’à maintenant à partir des
statistiques descriptives : à partir d’une analyse discriminante linéaire (modèle logit), nous
avons modélisé les variables qui influent sur le risque de connaître une mobilité
professionnelle, à la sortie du chômage, liée à la volonté de ne plus exercer son ancien métier,
par rapport à tout autre motif de mobilité professionnelle. L’on voit ainsi apparaître, de
manière significative, le sexe (être un homme augmente les probabilités d’une telle mobilité
de 4,7 points de pourcentage), l’âge (la classe de 35 à 49 ans a davantage de probabilités que
celle de 25 à 34 ans, la classe de 50 ans et plus nettement moins), le niveau de formation (les
plus diplômés, d’un niveau supérieure au baccalauréat, ont moins de probabilités de récuser
l’ancien métier qui, probablement, était déjà plus en adéquation avec leurs aspirations), le
domaine professionnel auquel appartenait l’ancien métier (11,8 points de pourcentage de plus
pour les personnes issues du domaine de la banque et des assurances, par rapport à celles
issues du commerce ; 10,6 points de moins pour les anciens artisans, métiers qui sont
nettement moins rejetés que les métiers commerciaux), moins de probabilités pour les
personnes dont le motif d’inscription au chômage fut autre qu’une fin de CDD ou une fin de
mission d’intérim, plus de probabilités (+ 3 points de pourcentage) pour ceux qui ont connu
une récurrence au chômage. Il est également à noter que le nouveau métier apparaît d’autant
plus désirable qu’il n’avait jamais été exercé auparavant : le rejet de son ancien métier peut
ainsi parfois entraîner des mobilités professionnelles qui s’avèrent moins concluantes que ce
qu’on avait imaginé, la dégradation que connaît le marché du travail français pouvant, dans
une certaine mesure, expliquer ce constat.
11  

 
Tableau 5. Probabilité de rejeter l’ancien métier (modèle logit)
Probabilité Écart à la
estimée référence
Intercept 13,5%***
Hommes (réf.=Femmes) 18,2%*** +4,7
Moins de 25 ans (réf.=De 25 à 34 ans) ns ns
De 35 à 49 ans 14,9%*** +1,5
50 ans ou plus 8,3%*** -5,2
Sans formation/collège/enseignement secondaire
(réf.=CAP/BEP) 10,5%*** -2,9
Bac 13,8%* +0,3
Bac+2 11,6%*** -1,9
Bac+3 ou plus 11,8%*** -1,7
Agriculture, marine, pêche (réf.=Commerce) 12,2%*** -1,3
Bâtiment, travaux publics 11,3%*** -2,2
Électricité, électronique 4,1%*** -9,3
Mécanique, travail des métaux 15,6%*** +2,1
Industries de process 11,9%*** -1,6
Matériaux souples, bois, industries graphiques ns ns
Maintenance 7,4%*** -6,1
Ingénieurs et cadres de l'industrie 5,2%*** -8,2
Transports, logistique et tourisme 11,7%*** -1,8
Artisanat 2,9%*** -10,6
Gestion, administration des entreprises 14,0%* +0,5
Informatique et télécommunications 5,7%*** -7,8
Études et recherche ns ns
Admin. publique, professions juridiques, armée et police 14,7%* +1,2
Banque et assurances 25,2%*** +11,8
Hôtellerie, restauration, alimentation ns ns
Services aux particuliers et aux collectivités 16,7%*** +3,2
Communication, information, art et spectacle 12,2%*** -1,3
Santé, action sociale, culturelle et sportive 10,1%*** -3,4
Enseignement, formation 15,0%** +1,5
Licenciement (réf.=Fin de contrat) 16,2%*** +2,7
Démission 16,5%*** +3,0
Reprise d'activité 15,2%*** +1,7
Au moins une réinscription (réf.= Pas de réinscription
pendant la période d'observation) 16,5%*** +3,0
Nouveau métier exercé seulement avant la période de
chômage (réf.= Nouveau métier jamais exercé auparavant) 8,7%*** -4,7
Nouveau métier exercé pendant la période de chômage 9,0%*** -4,5
Seuils de significativité : *=significativement différent de 0 au seuil de 10% ; **=significativement
différent de 0 au seuil de 5%; ***=significativement différent de 0 au seuil de 1%; ns: non significatif.

12  

 
Enfin, un dernier regard sur l’emploi retrouvé par les personnes qui ont exprimé le souhait de
rompre avec leur ancien métier (tableau 6) laisse apparaître leur relative fragilité : s’ils ne
créent pas leur propre emploi (ceux qui montent leur propre entreprise sont relativement
surreprésentés – 13 %, contre 12 % en moyenne, tous motifs confondus), ils accèdent moins à
un emploi pérenne (CDI), mais plutôt à un CDD long, de 6 mois ou plus (28 % contre 23 %
en moyenne). Les contrats courts sont l’apanage de ceux qui sont dans l’obligation ou
l’urgence de reprendre un emploi, tandis que ceux qui s’engagent dans une mobilité
professionnelle afin d’exercer le métier précis qu’ils ont choisi, adoptent relativement plus
souvent le choix de créer leur propre entreprise.

Tableau 6. Type d’emploi retrouvé à la sortie du chômage (en %)


CDD
création CDD >= < NSP/
d'entreprise CDI 6 mois 6mois NR Total
Choix du métier 22 38 23 16 2 100
Améliorer les conditions d'emploi et de travail 7 49 20 23 1 100
Retour à un ancien métier 14 46 21 19 1 100
Rejet du dernier métier exercé 13 40 28 18 1 100
Contraintes personnelles ou familiales 14 44 23 18 1 100
Trouver un emploi 8 40 24 26 2 100
Ensemble 12 42 23 21 2 100

13  

 
4. Se redéfinir sur le marché du travail : entre espoirs et réalités
4.1. Rompre avec son passé professionnel
L’étude des verbatims recueillis grâce à la première enquête sur les mobilités professionnelles
(voir Sources et méthodes) nous permet d’étayer certaines logiques sous-jacentes au rejet de
l’ancien métier. La première se caractérise par un rejet pur et simple du métier lui-même pour
expliquer la mobilité professionnelle.
« Parce que j’ai voulu quitter le métier que je faisais avant »
Veilleur de nuit, ancien vendeur opticien, 22 ans, de nouveau au chômage au moment de
l’interrogation.
« Je ne voulais plus travailler dans l’électricité, ça ne me plaisait pas »
Chef de rayon, ancien ouvrier qualifié de la maintenance en électricité – électronique, 25 ans.
Elle s’accompagne toutefois souvent d’une certaine amélioration du vécu de l’activité
professionnelle et du rapport au travail, voire d’un sentiment d’épanouissement personnel. La
mobilité professionnelle apporte ainsi la possibilité de se sentir en accord avec ses appétences
et ses aspirations professionnelles ou même de découvrir une vocation. Même si l’emploi
retrouvé n’est pas pérenne et se traduit par la suite par un nouveau passage par le chômage, le
choix d’abandonner l’ancien métier n’est pas remis en cause. Le choix de réorientation
s’exprime comme une décision durable et sans réversibilité possible. Parfois cette transition
s’effectue d’ailleurs via une formation ou même une reprise d’étude. Dans ce cas de figure,
son anticipation est sans équivoque.
« Je voulais arrêter mon métier donc c’est forcément positif. Je me sens mieux dans ce que
j’ai fait après »
Veilleur de nuit, ancien vendeur opticien, 22 ans, de nouveau au chômage au moment de
l’interrogation.
« On redécouvre avec ce métier la petite enfance, on revoit les étapes de la vie et c’est
épanouissant »
Assistante maternelle, 37 ans.
« Ce n’était pas la filière dans laquelle je voulais m’épanouir »
Vendeur dans le textile, ancien agent de maintenance en informatique, 23 ans.
« J’ai fait une formation entre temps. Parce que ce que j’avais fait avant ne me plaisait pas.
J’ai fait ce que je veux. C’est le métier que j’ai choisi. Je travaille avec des enfants »
Agente spécialisée en école maternelle, 42 ans .
Pour certains, le changement de profession peut être vécu comme « une nouvelle vie ». Il
s’agit véritablement d’un turning point dans leur trajectoire personnelle. Il signifie un
changement qui a des incidences non seulement sur l’engagement au travail mais aussi sur la
vie hors travail. En outre, des ruptures familiales soulignent certaines ruptures
professionnelles qui s’apparentent ainsi à des bifurcations biographiques.
« Car avant j’étais agriculteur. Je ne gagnais pas assez. Je gagnais beaucoup au départ mais
ensuite c’était trop de frais et ça ne me convenait plus. Suite à un divorce également »
Chauffeur de transport en commun, ancien agriculteur indépendant, 56 ans.
De la même manière, il s’agit pour d’autres de rectifier un parcours soumis à un déclassement
professionnel passé, qui plus est dans un domaine d’activité qu’ils n’avaient pas choisi. Le
nouveau métier correspond (enfin ou de nouveau) au niveau de qualification de la personne
ou à sa formation initiale. L’ancien métier exercé faute de mieux est repoussé, fuit, rejeté et il
prend rétrospectivement un statut de métier « transitoire » dans le parcours.
14  

 
Toutefois, l’influence des difficultés à trouver un emploi dans l’ancien domaine professionnel
dans la remise en cause de l’ancien métier n’est pas à sous-estimer. Même si celui ne plaît
plus (ou n’a jamais plu) ou ne convient plus aux aspirations professionnelles, l’ancien métier
est un métier connu. Il est le domaine où l’on cherche d’abord un nouveau travail car on
dispose d’une expérience et de compétences, permettant a priori de trouver plus facilement un
emploi. Les difficultés à trouver ce travail dans l’ancien domaine apparaissent ainsi parfois
comme « déclencheur ». Elles poussent la personne à remettre en question son identité
professionnelle et à sauter le pas de la réorientation. Dans cette configuration, le choix d’un
métier « vocationnel » peut être absent et l’orientation non anticipée. La logique est alors de
trouver un emploi quel qu’il soit, même si les conditions de travail sont difficiles, pourvu qu’il
ne s’agisse pas du métier précédemment exercé.
« Je ne trouvais pas de travail dans l’électromécanique et je ne trouvais pas d’intérêt dans ce
métier-là. [Le nouveau métier me permet de] ne plus travailler le samedi. Je ne suis plus trop
dans l’électronique, ça ne me plaisait pas »
Ouvrier de process dans l’agro-alimentaire porcin, ancien électromécanicien, 19 ans.
« Je n’ai pas envie de travailler dans le bâtiment et c’est le seul emploi proposé par Pôle
Emploi »
Agent de la police nationale, ancien peintre en bâtiment, 22 ans.
La transition peut également être le résultat d’une opportunité et par laquelle le souhait de
changer d’orientation se réalise. Ce souhait peut simplement se caractériser par un rejet d’un
environnement de travail mais aussi de conditions de travail ou d’emploi devenues trop
pénibles ou trop précaires. Pour correspondre aux aspirations professionnelles le nouveau
métier doit posséder certaines caractéristiques précises, notamment en termes de conditions de
travail, en opposition au dernier métier, sans qu’un métier précis soit forcément identifié
comme destination avant la réorientation effective.
« Parce que c’est ce qui s’est proposé à moi. Un collègue m’a fait entrer. Je ne voulais plus
travailler à l’usine. Je voulais être à l’extérieur. [Points positifs :] Je travaille de jour. Je ne
fais plus les postes. Je ne travaille plus en horaires décalés. [Points négatifs :] L’hiver il fait
froid dehors »
Technicien de maintenance en téléphonie, ancien tourneur-fraiseur, 27 ans.

4.2. Refuser des conditions de travail ou d’emploi insoutenables


Ne plus vouloir exercer son ancien métier appartient à une logique où le rejet des anciennes
conditions de travail et/ou d’emploi associées au métier initial apparaissent comme moteur
dans le processus de reconversion. Ainsi, la volonté de ne plus travailler à temps partiel, en
horaires décalés, le weekend et les jours fériés ou encore trouver un emploi stable passe par
refuser de se maintenir dans son métier d’origine.
« La vente ne me convenait plus. On me propose que des petits contrats avec peu d’heures, 10
ou 15 par semaine »
Aide à domicile, ancienne vendeuse en boulangerie-pâtisserie, 38 ans.
Par exemple travailler dans le secteur de la vente ou de l’hôtellerie-restauration, nécessite de
travailler le weekend ou tard le soir. Ces contraintes horaires liées à l’activité du secteur où
s’exerce le métier peuvent devenir de moins en moins supportables ou incompatibles avec une
vie de famille. Pour parvenir à concilier de manière plus satisfaisante vie professionnelle et
vie personnelle la reconversion s’impose.

15  

 
« À cause des contraintes horaires de l’hôtellerie. Les contraintes horaires »
Chargée d’accueil dans une administration, ancienne réceptionniste en hôtellerie, 28 ans.
« Avant j’étais chauffeur routier. J’en avais marre de faire la route donc j’ai fait une
formation AFPA et après j’ai été recruté chez Airbus. [Le nouveau métier me permet] de
pouvoir être avec ma famille tout le temps. La tranquillité du travail, c’est plus reposant. On
a plus la pression des livraisons que quand j’étais chauffeur routier »
Mécanicien avion, ancien chauffeur routier, 39 ans.
Ces conditions de travail devenues de moins en moins supportables sont parfois dues à des
changements organisationnels dans l’entreprise, dégradant les conditions de travail voire
provoquant une intensification du travail. Ces situations mal vécues par les salariés peuvent
les pousser à quitter l’entreprise. Ainsi, le « contexte de restructuration sert de moteur au
départ car il vient augmenter l’insatisfaction professionnelle et faciliter le processus de
désengagement de l’entreprise et de l’activité qui y est exercée » (Berton et Perez, 2010). Ce
départ qui s’est traduit par un passage par le chômage, qu’il ait été bref ou non, peut avoir été
anticipé avec un projet de reconversion vers une activité permettant d’être en accord avec ses
aspirations professionnelles et personnelles.
« Le changement d’horaire dans mon usine. On est passé des 3/8 en 5/8. Avec les 5/8, on
travaillait le weekend c'est-à-dire 6 sur 7. On travaillait donc le weekend et la semaine. Ils
proposaient des formations et une prime pour partir donc j’ai passé mes permis poids lourd
et super poids lourd et puis donc j’ai trouvé une place pratiquement tout de suite. Raison
familiale parce que j’ai des enfants »
Chauffeur poids lourd dans les travaux publics, ancien ouvrier de l’industrie, 36 ans.
« La clinique a été rachetée et la prise en charge ne me convenait plus, c’est pour cela que
j’ai cherché ailleurs. Une nouvelle vie. J’ai eu mon permis. Je suis en formation pour avoir
un diplôme d’état et une meilleure qualification »
Aide médico-psychologique, ancienne agente hospitalière polyvalente, 39 ans.
De la même manière, un environnement et des conditions de travail trop stressants ou
psychologiquement difficiles à supporter peuvent être mises en avant pour expliquer les
raisons de la mobilité professionnelle. En outre, le manque de perspectives d’évolution
professionnelle ou de reconnaissance et un travail « mal payé » ou peu rémunérateur sont
également souvent cités pour exprimer la volonté de ne plus exercer l’ancienne profession.
« Je ne supportais plus psychologiquement l’environnement dans lequel je travaillais »
Opératrice de peinture, ancienne aide à domicile, 51 ans.
« Je ne supportais plus les conditions de travail dans lesquelles j’exerçais mon métier.
Conditions psychologiques »
Vendeuse à domicile, ancienne secrétaire de direction trilingue 46 ans.
« L’ancien métier ne me plaisait plus. Trop de stress, de pression pour ne pas être sûre
d’avoir un salaire à la fin du mois. Le métier de conductrice me plaisait plus. Contact avec la
clientèle je suis toujours seule et à la fois accompagnée, j’ai un salaire qui me convient bien »
Conductrice de bus, ancienne attachée commerciale en services auprès des entreprises, 28 ans.
Certains anciens chômeurs évoquent également l’atteinte d’une étape dans le cours de leur vie
où l’avancée en âge a participé à la remise en question de leur trajectoire professionnelle. Ces
anciens chômeurs qui donnent sens à l’âge comme élément structurant de leur rupture
professionnelle ont tous entre 40 et 60 ans. Pour certains, il s’agit de fuir l’exercice d’un
métier physique devenu trop fatiguant pour d’autres l’avancée en âge participe de manière

16  

 
plus ténue à une crise identitaire dans laquelle repenser sa trajectoire mène au rejet de
l’ancienne activité professionnelle.
« Je ne pouvais plus être dans le domaine social et il me fallait un vrai métier. Et la mobilité
géographique. Manque de suivi des ayants droits dans le milieu social. Je n’évoluais plus.
L’âge correspondait à un tournant dans la vie »
Employée polyvalente en bâtiment, ancienne travailleuse sociale, 42 ans.
« J’ai fait une rupture conventionnelle car je travaillais dans le béton et comme j’avais 40
ans, je voulais trouver un métier moins fatiguant et plus propre »
Conducteur de lignes automatisées dans un tunnel de lavage de lingettes industrielles,
ancien ouvrier du bâtiment, 41 ans.
Les nouvelles conditions d’emploi et de travail sont souvent vécues comme de réelles
améliorations, parfois non. Ainsi le souhait de meilleures conditions de travail et d’un métier
permettant de « se réaliser » ne se concrétise pas toujours. Le nouveau métier peut parfois
nécessiter de nombreux sacrifices, qu’ils soient en termes de conditions de travail, d’emploi,
de salaire ou de contenu du métier lui-même.
« Ce n’est pas reconnu comme un métier. C’est mal payé. On est considérés comme des pions,
c’est à nous de faire nos emplois du temps, de se déplacer d’une école à une autre. Et on suit
des enfants différents »
Auxiliaire de vie scolaire, ancienne assistante maternelle, 56 ans.
« En cuisine les horaires ne me convenaient pas. [Points positifs :] Les horaires sont plus
aménagés et agréables. [Points négatifs :] Physiquement le travail est pénible »
Trancheuse dans une usine de transformation de saumon, ancienne cuisinière, 25 ans.
[Points positifs :] « Je n’ai plus les contraintes horaires d’avant. [Points négatifs :] Baisse de
salaire »
Chargée d’accueil dans une administration, ancienne réceptionniste en hôtellerie, 28 ans.

5. Conclusion
Malgré l’importance du chômage de masse, pour certains anciens chômeurs, la reprise
d’emploi est conditionnée par un changement de métier, notamment par leur refus d’exercer
le métier qui était le leur avant de se trouver au chômage. Ce rejet s’explique aussi bien par le
contenu que par les modes d’exercice de ce métier. La mobilité professionnelle volontaire et
revendiquée qu’ils opèrent est susceptible de leur ouvrir de nouveaux horizons professionnels,
voire de leur permettre d’obtenir une meilleure adéquation entre l’image de soi et le
positionnement social ; elle est partie intégrante de leur processus de socialisation.
Bien que cette stratégie – qui reste cependant réservée à certains profils, aux caractéristiques
individuelles n’obérant pas leurs chances de réinsertion (hommes, expérimentés, diplômés),
marqués par une mauvaise expérience suivie d’une rupture brutale (licenciement, démission)
– émane d’une population employable (au sens où elle a trouvé un emploi), sa réussite se
heurte à l’implacable réalité du marché du travail : parfois, l’idée que l’on se faisait du métier
souhaité s’avère illusoire, les conditions de travail se durcissent, les contrats deviennent de
plus en plus précaires. Elle a, cependant, le mérite d’exister du moins pour cette partie de la
population des chômeurs qui refuse de subir son sort, qui a encore le courage de croire que le
processus de sa construction identitaire est en cours et qui considère son expérience
professionnelle avortée comme un accident de parcours. Et cela dans un contexte social et
administratif très pesant, où la rapidité de la sortie du chômage prime sur la qualité de
l’emploi.
17  

 
6. Bibliographie
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18  

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