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Éléments de réponse pour le cas pratique n° 4

Faits : un couple qui réside depuis plusieurs années sur le territoire d’une commune française
a demandé le 20 août 2020 au maire d'inscrire leurs enfants âgés de sept et neuf ans dans une
école de la commune à compter de la rentrée 2020. Le maire a cependant prononcé
l'admission des deux enfants dans une école un peu particulière ouverte il y a peu à la suite de
travaux réalisés en moins de trois mois, un record.
Cette école a été construite après la signature le 6 juin 2019, sans appel d’offre préalable, d’un
contrat passé entre la commune et une société privée spécialisée dans l’enseignement
primaire. Le contrat a autorisé cette société à définir un cadre innovant d’enseignement et
d’accueil des enfants, à construire le bâtiment chargé d’accueillir les enfants et à exploiter le
service public de l’enseignement primaire dans la commune pour 20 ans. Pour limiter la
contribution versée par les parents, la commune a exonéré la société de tout impôt local
pendant cette période.
Les parents des deux enfants sont outrés : ils vont devoir payer 5 000 euros de frais
d’inscription annuels alors qu’ils avaient demandé l’inscription de leurs enfants dans l’une des
deux écoles publiques et gratuites de la commune. Ils ont fini par se résoudre à inscrire leurs
enfants mais ils sont rapidement confrontés à de graves dysfonctionnements : pour réduire les
coûts, les responsables de cette école ont réuni trois classes de niveau différent. Pire encore,
l’école n’assure des enseignements que trois jours par semaine qui sont dispensés par des
étudiants non diplômés.

Questions (10 points par question ; vous vous situerez au 1er septembre 2020) :

1. Quelle est selon vous la nature du contrat en cause : marché public, marché de
partenariat ou concession ?

L’état du droit : pour ne pas commettre un hors-sujet (sanctionné par un retrait de points), il
était indispensable de ne pas reprendre les critères jurisprudentiels d’identification du contrat
alors qu’il paraît évident (de par déjà le libellé de la question) que le contrat est qualifié par la
loi, plus exactement le code de la commande publique. Il était donc nécessaire d’exposer les
critères du marché public, du marché de partenariat et de la concession.
Trois grandes options sont ouvertes par le code de la commande publique.
La première prend la forme d’un marché public « classique » pour permettre à
l’administration de répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de
services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent.
La seconde option concerne le marché de partenariat qui se singularise par son objet (un achat
d’importance financière couvrant une prestation « globale » excédant le cadre d’une
construction ou d’une gestion, urgente et complexe qui justifie le recours à cette technique
contractuelle, la seule invocation de la complexité ne justifiant pas à elle-seule le recours au
contrat de partenariat) et un mode de financement reposant sur un loyer supporté par
l’administration et des bonus liés notamment à des objectifs de performance. Compte tenu de
l’importance des investissements, le marché de partenariat est un contrat de longue durée qui
permet à l’administration de « lisser » la dépense dans le temps.
L’administration peut enfin recourir au contrat de concession si elle souhaite confier
l'exécution de travaux et/ou la gestion d'un service public à un concessionnaire qui assumera
un risque d'exploitation en contrepartie du droit d'exploiter un service public. La part de
risque ainsi transféré implique une réelle exposition aux aléas du marché : le concessionnaire
assume le risque d'exploitation dans des conditions d'exploitation normales sans subvention
publique d’importance. La concession se singularise par une relation triangulaire
(l’administration investit un concessionnaire et contrôle son activité ; le concessionnaire
assure l’exploitation de l’activité sur une longue durée pour amortir ses investissements ;
l’usager finance la concession, sans relation directe avec l’administration concédante) et non
binaire comme dans les cas du marché public ou du marché de partenariat.

La réponse : la qualification de marché public « classique » pouvait d’emblée être écartée : le


contrat ne porte pas sur la seule construction d’une école.
L’hésitation portait entre une concession et un marché de partenariat. Trois éléments devaient
être pris en considération : la durée du contrat (20 ans) ; le mode de rémunération (une
contribution est versée par les parents et une subvention déguisée) ; l’objet du contrat (une
prestation complexe pour assurer une mission globale et urgente). Le premier critère
s’applique aux deux contrats ; il n’est donc pas pertinent. L’objet du contrat (un « cadre
innovant d’enseignement » et pas seulement l’accueil des enfants et la construction du
bâtiment chargé d’accueillir les enfants) peut conduire à retenir le marché de partenariat mais
le paiement direct par l’administration fait défaut (en dépit de la subvention déguisée).
La concession peut être retenue, les restrictions de mise en concurrence pouvant être admises
sous réserves. Mais il est indiqué que la commune a exonéré la société de tout impôt local
pendant 20 ans. Sous cet angle, le risque financier fait défaut (la concession doit être financée
par les usagers ; tel ne serait pas le cas). Il reste que des aides publiques sont autorisées (CE,
30 mars 1916, Cie générale éclairage de Bordeaux) si elles restent modérées et adaptées au
contrat. On peut en douter ici (de sorte que le contrat est illégal pour cette seule raison car la
subvention fait échec au risque financier, qui constitue un élément substantiel de la
concession). En réalité, le contrat emprunte aux caractéristiques de la concession et du marché
de partenariat car la commune n’a respecté aucune des exigences de ces deux contrats.
Si ce point n’était pas directement soulevé par la question, on pouvait remarquer que
l’administration a signé un contrat dont l’objet est entaché d’illégalité (la commune doit
financer le service public de l’enseignement primaire mais les programmes et le volet
pédagogique relèvent de l’État).

2. Les parents peuvent-ils contester l’exécution du contrat signé il y a 18 mois ?

L’état du droit : pour ne pas commettre un hors-sujet, devaient être présentées non pas
l’ensemble des voies de recours mais celles qui sont ouvertes au tiers-usagers. Le choix des
éléments pouvait toutefois être assez large car le tiers-usagers peut solliciter du préfet qu’il
agisse.
Le contrat étant en cours d’exécution, le référé pré-contractuel (CJA, art. L. 551-1 et suiv.),
qui doit être engagé avant la conclusion du contrat, et le référé contractuel (CJA, art. L. 551-
13 et suiv.) qui doit être engagé dans les 31 jours suivant la publication de l’avis d’attribution
du contrat devaient être écartés. Quoi qu’il en soit, ces actions sont réservées aux personnes
ayant intérêt à conclure le contrat et susceptibles d’être lésées par un manquement aux règles
de publicité et de concurrence, ce qui exclut l’usager. Ce dernier peut toutefois demander au
préfet, pour les contrats des collectivités territoriales, d’agir à leur place (« déféré
provoqué »).
Une action en plein contentieux est ouverte dans les deux mois suivant l'accomplissement des
mesures de publicité appropriées à un tiers lésé dans ses intérêts de façon suffisamment
directe et certaine par la passation du contrat ou ses clauses (CE ass., 16 juillet 2007, Soc.
Tropic travaux signalisation et CE, ass., 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne).
L’action permet de contester la régularité d’un contrat dont l’exécution a déjà commencé
(contenu illicite, vice de consentement, vice d’une particulière gravité qui ne peut pas être
régularisé). Cette action est possible dans les deux mois suivant l'accomplissement des
mesures de publicité appropriées. La notion de tiers inclut depuis 2020 l’usager. Si ces
conditions sont respectées, le juge peut inviter les parties à régulariser dans un délai qu’il
détermine ou, en présence d'irrégularités substantielles et sous les réserves de l'intérêt général,
résilier le contrat pour l’avenir ou, en cas d’irrégularité très grave, prononcer une annulation
totale ou partielle.
Une troisième voie d’action est ouverte aux tiers intéressés contre le refus de mettre fin à un
contrat (CE sect., 30 juin 2017, Sociétés France-Manche). Ce recours ne peut porter que sur
trois moyens qui établissent l’impossibilité de poursuivre l’exécution du contrat :
l’administration était tenue de mettre fin à l’exécution du contrat du fait de dispositions
législatives applicables aux contrats, le contrat est entaché d'irrégularités graves de nature à
faire obstacle à la poursuite de son exécution, la poursuite de l'exécution du contrat est
manifestement contraire à l'intérêt général. Dans ce cas et sous les réserves d’intérêt général,
le juge du contrat apprécie si les moyens soulevés justifient qu'il soit mis fin à l'exécution du
contrat, le cas échéant avec un effet différé.
Les usagers peuvent enfin demander à l’administration d’intervenir dans l’exécution d’un
contrat pour imposer le respect des clauses réglementaires relatives à l’exécution d’un contrat
(CE, 21 déc. 1906, Syndicat des habitants du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli). Cette action
est toutefois sans conséquence directe sur l’exécution du contrat.
Prolongeant cette action, les usagers peuvent dénoncer des clauses réglementaires illégales
dans les deux mois suivant la publication de ces clauses (CE ass., 10 juill. 1996, Cayzeele).
L’annulation d’une clause réglementaire rend difficile voire impossible la poursuite du
contrat. Revêtent un caractère réglementaire les clauses d'un contrat qui ont, par elles-mêmes,
pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un service public.

La réponse : les voies d’action des parents contre ce contrat entaché d’une illégalité (absence
d’appel d’offre ; objet illégal) sont minces. D’emblée, devaient être écartés pour des questions
de délais et d’intérêt à agir le référé précontractuel (actionnable avant la conclusion du
contrat) et le référé contractuel (actionnable dans les 31 jours suivant la publication d'un avis
d'attribution du contrat ou la notification de sa conclusion). Les parents auraient dû agir plus
tôt en demandant au préfet d’agir (« déféré »). Il en est de même pour le recours contre la
validité du contrat en application des jurisprudences Tarn-et-Garonne (2014) et Tropic (2007)
car les délais sont dépassés (deux mois suivant les mesures de publicité). Cette action était
envisageable directement depuis 2020 en leur qualité de contribuable local ou indirectement
en saisissant le préfet ou un élu local pour contester la validité d’une clause du contrat (ici la
possibilité pour le gestionnaire de définir des modes d’enseignement). Le tribunal
administratif aurait pu prononcer l’annulation du contrat ou sa résiliation pour l’avenir.
Pour des raisons de délais, l’action « Cayzeele » est également exclue, ce qui est dommage
car elle était sans doute la plus efficace.
Il reste en revanche l’action ouverte en 2017 par le Conseil d'État (Société France Manche)
contre le refus de mettre fin à un contrat pour l’inexécution d’une obligation contraire à
l’intérêt général en invoquant les droits d’inscription exorbitant, les modalités d’exécution du
contrat et l’objet même du contrat. Cette action est ouverte pour toute la durée du contrat. Les
parents pourraient ici satisfaire à la condition prévue par le Conseil d'État (« tiers à un contrat
administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine
par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat »).
Si cette qualité ne leur est pas reconnue, il leur faudra demander à un élu local ou au préfet
d’intervenir.
Sans aucune garantie de résultat, le couple pouvait également demander au maire de résilier le
contrat dans la mesure où le cocontractant n’est plus en mesure d’assurer la bonne marche du
contrat qui se rapporte à un service public. Cette action emprunte à la démarche de la
jurisprudence « Croix-de-Seguey-Tivoli »).

Remarque terminale pour aller plus loin : la décision du maire constitue, en raison de sa
généralité, non seulement un refus d'admission dans une école primaire particulière de la
commune, mais aussi un refus d'inscription sur la liste des enfants soumis à l'obligation
scolaire. Le maire a donc commis une illégalité (la loi impose une obligation de faire à
l’administration locale) qui constitue une faute simple (cette situation ne requiert pas la
démonstration d’une « faute lourde » qui est réservée à des situations de grande complexité)
de service. Par ailleurs, elle n’est pas détachable du service car elle ne présente notamment
pas un caractère de gravité suffisante.
La faute devait être imputée à l’État (et non à la commune) car le maire agit en son nom. Le
préfet est donc intervenu en qualité d’autorité hiérarchique trop tardivement pour imposer une
obligation de faire au maire. L’illégalité commise par le maire pourrait justifier des poursuites
disciplinaires à son encontre.
Le préjudice moral (perte de chance en raison du défaut de scolarisation pendant plusieurs
semaines, puis par le défaut d’organisation du service public de l’éducation) et matériel (si des
frais ont été exposées en raison de l’absence de scolarisation pendant plusieurs semaines et en
raison des droits d’inscription qui ont été demandés) pouvait être indemnisé (pour
information, dans l’affaire réellement jugée, le Conseil d'État a condamné l’État à verser aux
parents 1 000 euros et 500 euros par enfant). Comme signalé en cours, sur demande des
requérants, des intérêts moratoires (pour compenser le versement tardif de l’indemnité) et
compensatoires (pour sanctionner la mauvaise volonté de l’administration) pourront être
ajoutés à la condamnation.

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