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Ardant †
Bertrand Mathieu
Professeur à l'École de droit
de la Sorbonne - Université Paris 1
29 édition
e
2017-2018
PHILIPPE ARDANT
BERTRAND MATHIEU
2004.
2016.
Olivier GOHIN. – Droit constitutionnel, 3 éd., LexisNexis, 2016.
e
Manuels spécialisés
2014.
Guillaume DRAGO. – Contentieux constitutionnel français, PUF, 3 éd., 2016. e
2016.
Recueils et commentaires de textes
Recueils de jurisprudence
Revues
Constitutions (Dalloz, depuis 2010).
Pouvoirs – Revue française d'études constitutionnelles et politiques (depuis
1977).
Revue du droit public et de la science politique (RDP, depuis 1893).
Revue française de droit constitutionnel (depuis 1990).
L'Année politique.
Les cahiers du Conseil constitutionnel (depuis 1996).
Lexiques
Essais
Sites internet
1. S'il est une constante dans l'histoire de la vie politique, c'est bien son
institutionnalisation continue. Du chef absolu des premiers groupes humains, au
pouvoir fondé sur son courage, son habileté ou sa sagesse, que de chemin
parcouru jusqu'aux Parlements contemporains, légitimés par l'élection et soumis
à des règles contraignantes et compliquées.
7. L'État est à la fois une idée et un fait, une abstraction et une organisation. Il
n'a pas de réalité concrète, mais sa présence est sensible dans la vie de tous les
jours.
C'est un artifice qui sert de support au pouvoir – le support abstrait du
pouvoir – ; il permet de fonder le pouvoir en dehors de la personne des
gouvernants, le pouvoir est exercé au nom de l'État.
Le terme lui-même connaît plusieurs acceptions :
— L'État, c'est tout d'abord le pouvoir central par opposition aux collectivités
locales. En France : communes, départements, régions et collectivités d'outre-
mer.
— L'État désigne aussi les gouvernants pour les différencier des gouvernés, il
évoque les pouvoirs publics dans leur ensemble : « l'État est responsable du
maintien de l'ordre ».
En ce sens, le domaine de l'État s'oppose à celui de « la société civile »
composé des particuliers et des groupements privés.
— Enfin, on appelle État une société politique organisée : l'État français,
l'État espagnol, l'État japonais, etc. Ce dernier sens est celui qui est pris en
considération ici.
Section 1
Les éléments constitutifs de l'État
§ 1. Un pouvoir de contrainte
11. Mais seul l'État a le pouvoir d'exiger, par la force si besoin est, le respect
des règles ainsi posées. Si l'État n'a pas le monopole du pouvoir normatif, il a le
monopole de la force, ou tout au moins de l'usage légitime de la force. Les
gouvernants, agissant au nom de l'État, disposent de l'Administration et aussi de
la force armée (police, armée, gendarmerie) pour faire appliquer les décisions
prises par l'État. La volonté des gouvernés plie devant la contrainte exercée par
les autorités étatiques. Ce pouvoir va très loin puisqu'il permet à l'État de
déposséder des individus de leurs biens, d'envoyer les citoyens à la mort (en cas
de guerre, par exemple) et de donner lui-même la mort, parfois, à ceux qui
s'opposent par la violence à l'exercice de sa propre force.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que non seulement l'État peut user de la
force pour exécuter ses propres décisions, mais que les particuliers doivent
recourir à l'État pour obtenir le respect des règles qu'ils ont eux-mêmes fixées
dans leurs rapports entre eux. Ils n'ont pas le droit d'user de la force, de « se faire
justice eux-mêmes ». Les règles posées par eux ne peuvent être sanctionnées que
par l'État.
Tout l'effort de l'État moderne a tendu vers la captation à son profit de la
violence pour faire admettre que lui seul pouvait l'exercer légitimement, à
interdire son usage entre individus. Normalement, pour être légitime, ce pouvoir
de contrainte doit être accepté par les gouvernés. Ils y renoncent pour le remettre
à l'État, c'est une des conditions de la paix civile. Mais ce consentement des
gouvernés n'est pas indispensable à l'existence de l'État. L'État peut exercer une
violence illégitime, élaborer et appliquer un droit oppressif ne respectant pas les
droits de l'homme et des citoyens, il n'en perd pas pour cela son caractère d'État,
simplement il n'est pas démocratique mais autoritaire ou dictatorial.
Le monopole de la contrainte, de la force, apparaît comme l'élément capital
de la définition de l'État. Tout État qui laisse se développer des pouvoirs de
contrainte privés, qui lui échappent, abdique. La multiplication de ces atteintes à
son autorité entraîne l'anarchie et déclenche un processus qui peut aboutir à sa
désagrégation (le Liban, à partir de 1972, le Zaïre et le Congo en 1997, la
Somalie, l’Irak ou la Lybie aujourd'hui encore).
Dans les sociétés libérales, l'autorité de l'État est menacée de façon plus
insidieuse par sa démission devant des formes considérées – à tort – comme plus
bénignes d'exercice de la force privée. Ainsi, en France, la violence est
considérée couramment comme un moyen d'expression et de revendication :
barrages sur les routes, destructions de cultures d'organismes génétiquement
modifiés ou de récoltes, entrave à la circulation des chemins de fer, séquestration
de dirigeants d'entreprises ou de cadres, constitution de milices privées...
§ 2. Une population
12. Il ne saurait y avoir d'État sans population. Le pouvoir de donner des
ordres s'exerce sur un groupe humain. Pendant un temps, on a considéré que ce
groupe humain était une Nation. Il y aurait coïncidence entre l'État et la Nation.
Cette thèse est difficile à défendre aujourd'hui.
14. Alors que dans le passé (où on se définissait par sa religion plus que par
sa Nation) en général la Nation précédait l'État – qu'on songe à l'Allemagne ;
mais pas toujours : qu'on songe à la France –, souvent maintenant l'État précède
la Nation. Ce fut le cas en Amérique latine au XIX siècle, c'est celui aujourd'hui
e
de nombre d'États africains dont les frontières ignorent les liens ethniques et
nationaux. Des peuples sont donc écartelés entre plusieurs États alors que des
États sont multinationaux. La géographie politique porte les traces des conflits
de l'époque contemporaine : la Première Guerre mondiale a produit les États
multinationaux d'Europe centrale, la colonisation et la décolonisation ont dessiné
la carte de l'Afrique, la Seconde Guerre mondiale a longtemps partagé les
Allemands entre deux États, ainsi qu'en Asie les Vietnamiens et aujourd'hui
encore les Coréens.
C Et les étrangers ?
17. La population est établie sur un territoire, un espace, délimité par des
frontières ; sans territoire, le pouvoir de l'État, ses compétences, ne pourraient
s'exercer. Un État qui perd son territoire n'est plus un État ; mais il ne se confond
pas avec lui, s'il est amputé l'État demeure. Aussi s'agit-il d'un élément objectif
essentiel de la définition de l'État.
Le territoire peut présenter certaines particularités qui n'ont pas de
répercussion nécessaire sur l'État : il peut être constitué par plusieurs entités avec
des solutions de continuité : c'est le cas de la France avec les collectivités
d'outre-mer, des États-Unis avec l'Alaska. Sa taille peut-être très variable. Il
existe des micro-États tels le Lichtenstein, Monaco, le Vatican, ou l'Île Nauru
avec ses 6 000 habitants.
Tout État doit défendre son territoire, comme il doit protéger sa population,
mais de tout temps, les États se sont efforcés d'élargir leurs frontières – tendance
qui n'est pas éteinte aujourd'hui si on en juge, par exemple, par l'âpreté des
querelles concernant la propriété des fonds marins ou, en Asie, de certaines îles
– et les ambitions territoriales ont été dans l'Histoire l'une des causes essentielles
des guerres.
Beaucoup de Constitutions posent le principe de son intangibilité et
interdisent aux pouvoirs publics de consentir à des abandons de territoire.
Section 2
Les caractères juridiques de l'État
18. D'un point de vue juridique, l'État présente deux caractères importants :
— l'État est une organisation dotée de la personnalité morale ;
— l'État est souverain.
19. Le pouvoir de l'État s'exerce à travers une organisation, l'État est une
collectivité organisée. Les formes de cet agencement peuvent varier, mais elles
reposent toujours sur une distinction des gouvernants et des gouvernés, sur
l'existence d'organes de l'État et sur des règles déterminant les relations entre ces
organes et avec les gouvernés. Cette structuration est indispensable pour que
l'État puisse exprimer sa volonté et la mettre en œuvre.
On dit que l'État est une personne morale (par opposition aux personnes
physiques), un être fictif. La notion de personnalité morale a été conçue pour
donner une existence et une capacité juridiques à des groupements d'individus
poursuivant un intérêt légitime. L'État partage cette qualité avec d'autres
institutions comme les sociétés commerciales, les associations, les départements,
les communes, etc. La théorie de la personnalité morale sera étudiée en droit
civil.
Le recours à la notion de personnalité morale permet d'expliquer certains
aspects du statut de l'État.
— La personnalité de l'État ne se confond pas avec la personne de ses
dirigeants. Ainsi organisé, l'État est une entité qui se distingue de la personne de
ceux qui parlent en son nom. Ce qui implique :
• que les dirigeants ne sont pas propriétaires de leurs fonctions, ils en sont
titulaires, investis, elles peuvent leur être retirées ;
• que les décisions prises par les autorités étatiques sont réputées prises non
par elles personnellement : par F. Hollande ou par M. X., préfet de tel
département, mais par l'État. Le pouvoir est attaché à la fonction et non à
la personne de son titulaire. On obéit à la règle et non à celui qui l'a
édictée ;
• que le patrimoine des gouvernants est distinct du patrimoine de l'État.
L'idée était apparue à Rome. Après avoir disparu, elle a eu beaucoup de
mal à s'imposer à nouveau, et elle semble parfois perdue de vue
aujourd'hui encore dans certains États. En effet, pendant longtemps, on a
eu une conception patrimoniale de l'État, le monarque était
personnellement propriétaire du pouvoir et des moyens du pouvoir. En
conséquence, il l'était aussi du « domaine de la couronne » qui confondait
dans la même masse ses biens personnels et ceux qui de nos jours font
partie du domaine public (routes, cours d'eaux, édifices publics...).
Le Trésor public (c'est-à-dire l'argent de l'État, ses ressources) ne se
différenciait pas de la cassette du souverain, de ses fonds personnels.
— La personnalité morale explique aussi que l'État peut posséder des biens,
passer des conventions, contracter des dettes, engager sa responsabilité. L'État a
une existence juridique, comparable à celle des personnes physiques, et qui lui
offre les mêmes possibilités d'action.
— Enfin, la personnalité morale symbolise l'existence de l'État à l'extérieur et
la continuité de la communauté au-delà de la succession des individus qui la
composent. Les gouvernants changent, des citoyens meurent, d'autres naissent,
l'État demeure.
1 - Le principe
22. Dire que son pouvoir est non subordonné, cela signifie que l'État peut
s'organiser comme il l'entend, que sa volonté prédomine sur celles des individus
et des groupes et aussi bien qu'il n'est lié par aucune règle, sa liberté est totale. Il
n'a pas non plus de rivaux. Son pouvoir est originaire et illimité, c'est-à-dire qu'il
ne le tient que de lui-même et qu'il peut poser des normes sans se soucier
d'autres règles extérieures à lui. À ce titre, il élabore sa Constitution, il forge les
lois, il édicte des règlements. La souveraineté en ce sens est le pouvoir de poser
librement des règles. Les auteurs allemands disent que l'État a la « compétence
de ses compétences », formule heureuse qui met bien en lumière le pouvoir de
l'État d'intervenir quand il veut, où il veut, comme il veut.
En outre, on l'a vu, l'État a le monopole de la contrainte, à l'égard de ceux qui
vivent sur son territoire, lui seul peut utiliser la force publique pour assurer le
respect des règles qu'il a posées et des décisions qu'il a prises. Bien plus, les
particuliers doivent passer par son intermédiaire pour obtenir la mise en œuvre
des droits qu'ils ont les uns vis-à-vis des autres.
24. La souveraineté a aussi un aspect externe, tourné vers les autres États,
vers la société internationale. L'État n'est soumis à l'égard des autres États à
aucune obligation qu'il n'ait librement souscrite : il est indépendant, mais ici il
connaît des rivaux, il se heurte à la souveraineté des autres États qui sont ses
égaux. Aussi sa souveraineté peut-elle être volontairement limitée par des traités
ou par son adhésion à des organismes comme les Nations unies ou l'Union
européenne.
Sous cette forme aussi, la notion de souveraineté a été contestée. Si on peut à
la rigueur admettre que les États acceptent de limiter leur souveraineté par des
traités, celle-ci dès lors n'est plus absolue puisqu'on suppose que les États
reconnaissent une règle extérieure à eux selon laquelle « les traités doivent être
respectés » : pacta sunt servanda.
Section 1
L'État phénomène volontaire et les théories du contrat social
27. Pour certains auteurs, l'État est un phénomène volontaire. Les hommes
créent consciemment l'État.
Cette idée s'est construite autour des théories du Contrat social, développées
au XVII et au XVIII siècles en particulier par Th. Hobbes, S. von Pufendorf,
e e
J. Locke et J.-J. Rousseau : les hommes se sont associés de façon délibérée, pour
des raisons et sous des formes que ces auteurs analysent
différemment. La réflexion de J.-J. Rousseau apparaît comme la plus riche. Elle
peut se schématiser de la façon suivante :
28. L'état de nature. – J.-J. Rousseau s'interroge sur l'origine des sociétés
politiques. Il imagine comme ses prédécesseurs qu'au départ les hommes sont
dans l'état de nature, aucun lien social n'existe entre eux : ils sont libres et
égaux. Son célèbre ouvrage : Du contrat social (1762) s'ouvre par ce postulat
« l'homme est né libre ». Sans la société organisée, l'homme est libre. Mais cette
situation idyllique où les hommes étaient bons, s'est transformée en une société
pleine de tares, où les hommes sont « dans des fers », déjà décrite dans le
Discours sur l'inégalité (1756). La distinction des riches et des pauvres, la
propriété privée, la séparation des gouvernants et des gouvernés, du maître et de
l'esclave, ont perverti l'homme. La théorie de J.-J. Rousseau est profondément
révolutionnaire, surtout dans le contexte de l'époque. Elle prend le contre-pied de
l'enseignement du christianisme, pour lequel, du fait du péché originel, l'homme
est partagé entre le bien et le mal. Pour J.-J. Rousseau, si on change la société,
on rendra l'homme à sa nature, qui est bonne. Son point de départ est assez
proche de celui de K. Marx comme le montre cette citation du Discours :
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : ceci est à moi, et
trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société
civile. ».
30. Observations. – Il est bien entendu que le contrat social n'est jamais
formalisé dans un accord juridique – et J.-J. Rousseau ne s'appuie pas sur des
faits, pour lui c'était plutôt un postulat logique, une parabole, qu'une réalité
historique. Il résulte de ce qu'on appellerait aujourd'hui un consensus des
hommes sur la nécessité de se soumettre à un pouvoir commun, à une autorité, et
fixant aussi les buts de ce pouvoir : la sécurité, la paix, le bonheur de tous. En
réalité, si l'âge d'or de l'état de nature est un mythe que toute notre connaissance
du lointain passé contredit (et que Th. Hobbes et J. Locke ne défendaient pas),
l'idée qu'à un certain stade de l'évolution des sociétés les hommes éprouvent le
besoin de se regrouper pour se protéger est, elle, acceptable. Ce qui ne veut pas
dire que de cette société découleront tous les bienfaits décrits par J.-J. Rousseau.
En particulier, comment protéger l'individu si dans la pratique la volonté
générale viole les droits ? Il ne dispose d'aucun recours.
Section 2
L'État phénomène naturel
Platon et à Aristote pour théoriser la Cité idéale et qui annoncent l'État moderne.
Puis, avec un changement d'échelle, on se rapproche de l'État avec l'Empire
romain. La religion tiendra une grande place dans cet embryon d'État jusqu'au
jour où le christianisme proclama que la religion n'est plus l'État : « rendez à
César ce qui est à César ».
— Ou encore un nouvel État naîtra en quelques jours, par la conquête ou la
violence, de la décomposition d'une entité étatique préexistante ou de la
décolonisation d'un Empire.
On ne saurait tracer, en tout cas, un modèle unique de l'apparition des États,
On ne saurait tracer, en tout cas, un modèle unique de l'apparition des États,
mais celle-ci passe toujours par un fait fondateur ou une succession d'étapes et
ne résulte pas d'un engagement juridique.
Chapitre 3
Les formes de l'État
32. Près de 200 États existent actuellement dans le monde (35 ont une
population inférieure à 500 000 habitants). Ils n'ont pas tous la même forme, il
existe des variétés différentes d'États selon leur degré d'unification juridique. On
distingue essentiellement les États unitaires des États composés.
Section 1
L'État unitaire
33. Dans l'État unitaire, tous les citoyens sont soumis au même et unique
pouvoir. Un Parlement unique légifère pour l'ensemble des citoyens, ceux-ci sont
soumis à l'autorité d'un seul Gouvernement et d'un droit identique où qu'ils
habitent.
L'État unitaire constitue la forme la plus répandue d'État : la Chine, l'Algérie,
la Thaïlande, la Pologne... sont des États unitaires. La France aussi où la
Constituante, reprenant le principe consacré par la monarchie, a proclamé en
1792 que « la République est une et indivisible », coupant court aux tentations
fédéralistes inspirées des États-Unis (et qui constituaient plutôt un
« départementalisme », c'est-à-dire un renforcement des compétences des
départements) ; la peine de mort étant requise contre ceux qui se réclamaient des
idées fédéralistes (v. infra n 667).
o
Section 2
Les États composés
36. Ici l'État se décompose en plusieurs entités, qui se présentent comme des
États dépouillés de certains de leurs attributs et entre lesquelles existent des liens
d'union.
Historiquement, plusieurs types de cette forme d'État ont existé (comme les
unions personnelles ou les unions réelles, situations ou deux États étaient placés
sous l'autorité du même souverain), qui aujourd'hui se réduisent à l'État fédéral,
lui-même né de la Confédération.
§ 1. La Confédération
37. Elle constitue une forme assez rare d'État composé, qui n'est pratiquement
plus représentée dans la société internationale d'aujourd'hui. La Confédération
suisse, malgré son nom, n'est plus depuis 1848 une Confédération, mais un État
fédéral. De même pour l'Argentine depuis 1860. Au moment du Congrès
de Vienne en 1815 l'Allemagne était une Confédération associant 41 États. Elle
devait durer jusqu'en 1871. De leur côté, les États-Unis ont été une
Confédération de 1776 à 1787.
La Confédération est une association d'États qui, par traité, décident
d'exercer par l'intermédiaire d'organes communs un certain nombre de
compétences et de tenter d'unifier leur politique dans divers domaines. À
l'origine, elle est donc contractuelle et une modification de ses compétences
initiales suppose une révision du traité constitutif.
Il n'y a pas de représentation des populations dans un organe, ou Parlement,
central et la Confédération n'a pas de rapports directs avec les individus.
En général, des représentants désignés par les États (et non par les citoyens)
se réunissent dans une Diète, ou Conférence, qui élabore, à l'unanimité en
principe, des décisions qui seront réputées prises par les États, mais qui ne
pourront être exécutées sur le territoire de chaque État qu'avec son
assentiment. Les délégués des États sont mandatés par eux pour défendre un
certain point de vue, pour voter dans un sens convenu ; les décisions prises ne
s'appliquent qu'après ratification par chaque État.
Aussi, la Confédération n'est-elle pas un simple État – est-elle même un
État ? – chaque État membre conserve la plénitude de sa personnalité et sa
souveraineté. En revanche, elle est autre chose qu'une simple alliance.
Dans la pratique, ou la Confédération se dissout, ou elle se transforme en État
fédéral, comme ce fut le cas aux États-Unis en 1787 et pour l'Allemagne en
1871. Elle n'est donc jusqu'à présent qu'une solution transitoire.
S'il n'existe pas aujourd'hui de véritable Confédération, certaines formes
d'organisations internationales s'en rapprochent : Commonwealth, et, dans une
moindre mesure, Union européenne, déjà plus proche d'une fédération.
§ 2. L'État fédéral
39. L'État fédéral est composé par un certain nombre d'entités, dont le nom
varie : États fédérés, cantons, Länder..., qui ont les apparences d'un État
(Constitution, Parlement, Gouvernement, tribunaux), mais qui sont privées de la
souveraineté externe (elles n'ont pas de relations directes avec l'étranger), et dont
les compétences ne sont pas illimitées, car elles s'exercent dans les règles fixées
par la Constitution de l'État fédéral, c'est-à-dire que leur souveraineté interne est
elle-même réduite. Les États fédérés ne sont donc pas de véritables États :
— les États fédérés bénéficient d'une autonomie et d'attributions beaucoup
plus importantes que celles dont disposent habituellement les collectivités
décentralisées.
Ces attributions ne peuvent être modifiées en dehors d'eux, ce qui ne veut pas
nécessairement dire avec leur accord, mais qu'ils doivent être associés aux
modifications, si celles-ci sont adoptées malgré leur opposition elles s'imposent
cependant à eux ;
— les États fédérés participent en tant que tels au pouvoir central, au
contraire des collectivités décentralisées ;
— l'État fédéral exerce des compétences directes sur les individus.
Il n'y a pas de rupture de l'État unitaire décentralisé à l'État fédéral, à travers
la variété des aménagements on passe insensiblement de l'un à l'autre (v. le cas
de l'Espagne où les provinces sont très autonomes).
En même temps, les États fédéraux ne constituent pas une catégorie
homogène. Ils sont très nombreux dans la société internationale contemporaine :
États-Unis, Allemagne, Suisse, ex-URSS (et aussi l'Autriche, l'Inde, le Canada,
l'Australie, le Brésil...), et l'ingéniosité des auteurs de Constitutions a donné
naissance à toutes sortes d'aménagements multipliant ainsi les formes de
fédéralisme.
Comment distinguer l'État fédéral de l'État unitaire ?
40. L'État fédéral apparaît en 1787 aux États-Unis, réalisant une hypothèse
classique, et la plus simple, de formation d'un État fédéral : des États
préexistants décident de s'unir pour constituer ensemble un État fédéral ; cette
origine se retrouve en Allemagne et en Suisse par exemple. Mais l'État fédéral
peut associer aussi des composantes sans caractère étatique à l'origine, des
provinces, des collectivités, des territoires, simples divisions administratives plus
ou moins décentralisées : c'est ainsi qu'ont été édifiés les systèmes fédéraux de
certains Dominions britanniques : Canada, Australie, Inde. De même la
Communauté française, imaginée par la Constitution de 1958, regroupait dans
une sorte de Fédération, autour de la France, ses anciennes colonies qui
obtenaient le statut d'État. Enfin, on peut concevoir qu'un État unitaire choisisse
de se transformer en État fédéral (dissociation) : l'hypothèse est plus rare :
Mexique, Brésil, Belgique depuis 1993 (pour doter Flamands et Wallons
d'institutions propres).
42. L'acte fondateur d'un État fédéral est une Constitution (et non un traité,
comme dans la Confédération). Les entités fédérées y organisent (par une
Assemblée constituante) les institutions du nouvel État et répartissent les
compétences entre l'Union (c'est-à-dire l'État central) et les États fédérés. Surtout
y sont inscrites :
— les garanties juridiques concernant leur autonomie (principe d'autonomie),
c'est-à-dire la liberté qui leur est laissée concrètement ;
— les règles leur assurant qu'il ne sera pas touché à leur statut sans leur
participation (principe de participation). En particulier, est consacrée l'égalité
des États fédérés entre eux, quelle que soit leur superficie, leur population ou
leur richesse – car elle est la condition à laquelle les petits États ont pris le risque
de s'associer avec les plus grands.
Ceci amène deux observations :
— Dans la décentralisation, au contraire, le statut des collectivités
décentralisées – et même leur existence – peut être modifié sans qu'elles soient
consultées, il n'y a pas de principe de participation et l'autonomie peut être
remise en cause à tout moment.
— L'expérience prouve que les garanties juridiques accordées aux entités
fédérées sont parfois bien fragiles et que, lorsque des conflits éclatent, les États
les plus faibles ont du mal à faire respecter leur point de vue et leurs intérêts.
B Organisation interne
43. Le territoire de l'État fédéral est constitué par l'ensemble des territoires
des États fédérés.
45. L'État fédéral a lui-même, on l'a vu, sa Constitution. Celle-ci peut être
modifiée, non à l'unanimité en général mais avec l'accord d'une majorité
renforcée des États fédérés (variable selon les systèmes : 2/3, 3/4). En d'autres
termes, l'accord initial peut être bouleversé contre la volonté d'un certain
nombre d'associés. Même si de telles mesures ne peuvent être prises sans que
tous les intéressés aient défendu leur point de vue (principe de participation),
cette situation montre l'abdication considérable de liberté consentie par les États
membres lors de leur entrée dans la Fédération. À la limite, on peut interdire à
l'un des États membres de sortir de la Fédération (c'est le cas aux États-Unis).
La structure des institutions fédérales se caractérise par l'existence
(exception : le Venezuela) d'un Parlement composé de deux Chambres : Sénat et
Chambre des représentants aux États-Unis, Bundesrat et Bundestag en
Allemagne, Rajya Sabha (Chambre des États), Lok Sabha (Chambre du peuple),
en Inde. L'une de ces Chambres représente la population dans son ensemble et
chaque État y envoie des délégués en nombre proportionnel à sa population.
La seconde est la Chambre des États, chaque État y siège sur un pied d'égalité
avec les autres, indépendamment de sa population ; ainsi l'Alaska, avec ses
599 000 habitants, a deux sièges au Sénat américain, tout comme l'État
de Californie, avec une population de 31 millions de personnes. En pondérant un
peu la représentation à la seconde Chambre en fonction de la population, les
régimes fédéraux récents tendent à corriger ce que cette égalité peut avoir de
choquant en apparence (Allemagne, Canada, Autriche). En apparence seulement,
car la règle est liée à l'essence du fédéralisme et symbolise l'égalité théorique des
États fédérés.
49. Entre les États fédéraux et les États unitaires, de nombreuses situations
intermédiaires peuvent se rencontrer, qui font penser qu'il y a parfois des
différences de degré plus que de nature sur une échelle qui irait de l'État le plus
unitaire jusqu'à la fédération pure. C'est ainsi que des États, notamment en
Europe, ont conçu des modes d'organisation baptisés du nom d'État régional ou
État autonomique. Il s'agit principalement de l'Italie puis de l'Espagne et, de
manière plus limitée, du Portugal. Ces États reconnaissent une véritable
autonomie politique à des entités, régions ou communautés autonomes, qui sont
dotées d'un pouvoir normatif autonome, c'est-à-dire qui ne consiste pas
seulement à appliquer la loi nationale (v. L. Favoreu et alii, Dalloz). Dans ces
États, la juridiction constitutionnelle joue un rôle spécifique de protection de la
répartition des compétences entre les niveaux territoriaux, telle qu'elle est
inscrite dans la Constitution. Mais les États restent unitaires en ce qu'il existe un
contrôle sur les actes des collectivités régionales et que celles-ci ne disposent pas
d'un pouvoir constituant ou d'auto-organisation. Néanmoins, un État régional
peut assez facilement se transformer en État fédéral, comme l'a montré
l'évolution de la Belgique, à la fin du XX siècle.
e
Section 1
Les fondements de la séparation des pouvoirs
54. Au départ : une analyse des tâches de l'État. C'est à elle que procèdent
Aristote comme J. Locke. Un certain nombre de fonctions du pouvoir, ou de
l'État, apparaissent, dont la liste va varier de l'un à l'autre : délibérer,
commander, juger, pour Aristote ; faire la loi, exécuter la loi, mener les relations
avec l'étranger, pour J. Locke.
De cette constatation banale, on passe à l'idée que si ces fonctions peuvent
être exercées par le même organe, comme ce fut le cas pendant presque toute
l'histoire, on peut aussi concevoir qu'elles soient confiées à des organes
différents : celui qui fait la loi n'est pas celui qui est chargé de l'appliquer, etc.
Apparaît alors une spécialisation des organes dans une fonction définie. Si
Aristote avait entrevu la distinction des tâches, il revient à J. Locke d'avoir
compris qu'elles peuvent être exercées par des organes distincts. Montesquieu
devait aller plus loin encore.
Section 2
La nature des pouvoirs
58. Finalement, ce n'est pas être infidèle à Montesquieu que d'affirmer que ce
qui compte c'est la séparation des pouvoirs, leur nature et leur nombre important
peu. La division préconisée dans l'Esprit des lois reposait sur une analyse des
tâches de l'État, celle-ci peut être reprise sur d'autres bases ou souligner
l'importance d'autres fonctions. Ainsi dans la Chine ancienne on distinguait cinq
pouvoirs, le pouvoir de contrôle et le pouvoir d'examen (au sens universitaire du
terme) s'ajoutant à la trilogie traditionnelle.
Quoi qu'il en soit, la théorie classique distingue trois pouvoirs : le législatif,
l'exécutif et le judiciaire dont il faut rechercher les caractères.
§ 1. Le pouvoir législatif
59. En théorie, le pouvoir législatif est celui qui pose les règles à portée
générale, celles qui organisent la vie dans la société, c'est-à-dire les lois
(définition matérielle de la loi). Il est confié au Parlement.
Pendant longtemps, à la suite de J.-J. Rousseau, on a considéré que la loi était
l'expression de la volonté générale. Ce n'est plus soutenable en France depuis
que la création du Conseil constitutionnel oblige à ajouter : à condition qu'elle
soit conforme à la Constitution (v. infra n 190).
o
légitimité dont les autres pouvoirs ne sont pas toujours pourvus. Il en résulte une
certaine suprématie théorique du Parlement.
Cependant, en pratique, le Parlement ne pose pas que des règles générales, et,
en outre, il n'en a pas le monopole.
— D'une part, il est possible que le Parlement prenne des mesures
individuelles. En France, on évoque les lois réintégrant dans l'armée le capitaine
Dreyfus, celles accordant une pension au maréchal Foch et, plus près de nous, la
dispense des droits de succession des héritiers du général de Gaulle. En Grande-
Bretagne et aux États-Unis, il s'agit d'une pratique fréquente présentant la
particularité d'intervenir à l'initiative des intéressés eux-mêmes et non des
parlementaires (private bills).
— D'autre part, le Gouvernement, organe de l'exécutif, est lui-même amené à
prendre, pour permettre l'application de la loi, des décisions à portée générale
dans l'exercice de ce qu'on appelle son pouvoir réglementaire (v. infra n 899). o
seul la loi, puis de participer à son élaboration, mais qui restait chargé de la faire
respecter, d'en imposer, par la force au besoin, la mise en œuvre par les citoyens.
Il disposait alors de la force armée et à ce titre était chargé aussi de la défense
nationale.
L'exécutif est le pouvoir qui a le plus profité de la transformation des sociétés
modernes. En même temps qu'il passait du monarque au Gouvernement et aux
ministres, il héritait les fonctions nouvelles que le Parlement n'était pas en
mesure d'exercer. Ses attributions se sont ainsi élargies et multipliées.
— L'exécutif dispose du pouvoir réglementaire. Le Gouvernement, ou
Cabinet, est chargé à l'origine d'élaborer les mesures d'application des lois, les
règlements : décrets, arrêtés, circulaires.
— Le Gouvernement a autorité sur l'Administration, et dans les sociétés
actuelles, celle-ci comprend un ensemble de services publics très ramifiés,
puissants, aux nombreux personnels et aux budgets considérables, elle joue un
rôle essentiel dans la vie de la Nation.
Directement ou par son intermédiaire, le Gouvernement prend des mesures
individuelles (par opposition aux règlements) : nominations de hauts
fonctionnaires, permis de construire, classement d'un site...
— Sa maîtrise de la force armée a étendu aussi les attributions du
Gouvernement dans le domaine du maintien de l'ordre public, la police est
placée sous sa responsabilité.
Section 3
Les limites à la séparation des pouvoirs : la séparation
aujourd'hui
63. Déjà J.-J. Rousseau n'admettait pas que l'exercice de la souveraineté soit
démembré entre des pouvoirs indépendants. S'il accepte à la rigueur une
séparation des fonctions, puisque le Gouvernement ne peut être confié à la
généralité des citoyens et doit donc être distinct du législatif, il insiste sur le fait
que s'il est en même temps subordonné à celui-ci (et donc non indépendant), ce
n'est pas alors un véritable pouvoir.
Mais c'est surtout la pratique dans les sociétés contemporaines qui a fait
apparaître ses limites.
Montesquieu insistait sur la spécialisation des pouvoirs et sur leur
indépendance. Or celles-ci ne sont pas toujours assurées, là où pourtant on se
réclame de la séparation. Déjà d'ailleurs Montesquieu avait quelque peu sollicité
les institutions anglaises pour les besoins de sa démonstration.
et l'exécutif sont contrôlés par la même majorité (le « fait majoritaire », v. infra
n 681). Le pouvoir juridictionnel incarne alors la division du pouvoir,
o
dont elle a appris à faire preuve à l'égard des pouvoirs politique, économique
et social (v. infra n 970). Cette montée en puissance est liée à la place toujours
o
68. Tous les États du monde ont une Constitution. L'un des premiers gestes
d'un nouvel État est de se donner, avec un drapeau, un hymne et une monnaie,
une Constitution.
Pourquoi ? La Constitution présente à la fois une valeur symbolique, une
valeur philosophique, une valeur juridique.
Section 1
La Constitution a une signification symbolique
69. La Constitution est un symbole avant d'être une loi. Souvent elle apparaît
comme l'acte fondateur d'un État (par ex. aux États-Unis ou dans les États
africains nés de la décolonisation), consacrant la naissance et l'entrée d'un
nouveau membre dans la société internationale.
Son symbolisme ne se limite pas à l'apparition de l'État. Il se manifeste aussi
à l'occasion d'un changement de régime. Elle est alors l'acte fondateur d'un
régime. Les nouveaux maîtres d'un pays veulent souligner leur rupture avec le
régime précédent et marquent, par l'élaboration de la Constitution, le début d'une
étape dans la vie de la Nation, l'entrée dans une ère nouvelle. Elle est à la fois
rupture avec le passé et projection vers l'avenir, souvent elle prendra figure de
manifeste répudiant certains principes pour exalter des valeurs autres. Une suite
de Constitutions jalonne ainsi l'histoire des peuples à l'humeur politique
frondeuse ou instable. Les vainqueurs des luttes politiques et des guerres civiles
légitiment par elle leur pouvoir. Ainsi la France a vécu depuis 1791 sous 11
Constitutions (la plus durable, celle de la III République, ayant été appliquée
e
Section 2
La Constitution a une portée philosophique : l'État de droit
Section 3
La Constitution met en place un système juridique
Section 1
Les origines des Constitutions
76. Des coutumes aux Constitutions écrites. – Depuis un très lointain passé,
en l'absence de textes, il n'y en avait pas moins des règles qui s'imposaient au
pouvoir.
L'organisation de la société, le statut des institutions sont alors fixés par la
coutume, une Constitution peut être coutumière, c'est-à-dire ne pas être enfermée
dans un écrit. Au cours des temps, on a pris l'habitude de se comporter d'une
certaine façon en certaines circonstances, des règles naissent un peu au hasard
qui s'accumulent et régissent les institutions, une Constitution coutumière se met
peu à peu en place.
Parallèlement, des textes se sont ajoutés à la Constitution coutumière : il en
est ainsi par exemple des Chartes qui, en Grande-Bretagne depuis le XI siècle, ne
e
prétendent pas organiser le pouvoir dans son intégralité, mais posent des règles
particulières traduisant le rapport des forces entre le pouvoir royal et ceux qui lui
résistent : barons, Église. Ceux-ci passaient avec le pouvoir royal un accord aux
termes duquel leur étaient reconnus des droits et des privilèges. Mais non
seulement la coutume subsistait à côté de ces textes, mais elle réglait très
largement, à titre principal, le fonctionnement du pouvoir. Des éléments écrits et
coutumiers coexistent alors dans la Constitution.
Les premières Constitutions d'ensemble inscrites dans des textes, dont
l'existence nous est connue, sont celles des Cités grecques entre le VII et lee
Section 2
La Constitution sans l'État ?
79. Alors même que la Cour de justice des communautés européennes avait
dès 1986 (23 avril, Parti écologiste « Les Verts ») qualifié le traité de Rome de
« Charte constitutionnelle d'une communauté de droit », il convient de savoir si
l'ordre juridique communautaire relève du champ du droit constitutionnel. Une
réponse affirmative pourrait être justifiée par l'appréhension de l'Union
européenne comme un État fédéral en formation. Cependant, tel ne semble pas
être le cas. En effet, l'Union européenne ne détient pas de pouvoir souverain ;
son existence, ses compétences, son organisation sont conditionnées par une
volonté supérieure, celle des États. Il est cependant possible, au-delà de l'échec
du premier projet de Constitution européenne, de considérer que l'Union
européenne est dotée d'un embryon de Constitution matérielle. En effet, l'Union
européenne s'est vue attribuer des compétences qui relèvent par nature des États,
des compétences régaliennes, par exemple le fait de battre monnaie, et ces
abandons de compétences relevant de la souveraineté nationale ont exigé la
modification des Constitutions nationales.
Le processus de développement de la construction européenne traduit une
dissociation volontaire entre l'élaboration d'une Constitution et l'évolution vers
une structure étatique. L'utilisation du terme « Constitution » ne renvoie pas au
modèle étatique ; mais il viserait à marquer symboliquement la reconnaissance
d'une communauté politique qui s'affirme en tant que telle et dont la Constitution
est l'attribut. En bref, si l'Europe n'a pas encore de véritable « Constitution », sa
transformation en une société politique et en un ordre juridique doté de règles
d'organisation, de fonctionnement et d'un système de valeurs communes en font
incontestablement un objet du droit constitutionnel contemporain.
Section 3
Formes de la Constitution
A La Constitution écrite
1 - Le principe
82. La Constitution, au sens étroit, ne peut régler tout ce qui concerne les
Pouvoirs publics. En dehors des inconvénients signalés ci-dessus, la minutie des
détails risquerait de compromettre la majesté du texte et sa pérennité.
À côté de la Constitution, on trouve donc souvent des lois qui la complètent,
la précisent, la prolongent.
Les lois organiques prévues par la Constitution française de 1958 en
fournissent une bonne illustration. Sur beaucoup de points en effet, la
Constitution prévoit que des lois spéciales, dites lois organiques, interviendront
pour la compléter, pour développer les règles d'organisation et de
fonctionnement des pouvoirs publics. Il ne s'agit pas exactement d'une
innovation dans notre histoire constitutionnelle puisque dès la II , puis sous la
e
IV République, le législateur avait été habilité à prendre des lois de cette nature.
e
83. La Constitution française prévoit les domaines dans lesquels une loi
organique doit, ou peut, intervenir. Cette énumération est limitative, c'est-à-dire
que le Parlement ne peut voter une loi organique que si elle se rapporte à l'une
de ces matières.
Celles-ci sont toujours importantes : procédure de désignation du président de
la République, organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel, statut
des magistrats, composition et fonctionnement de la Cour de justice de la
République, fixation de la liste des emplois auxquels il est pourvu en Conseil des
ministres, etc.
— Par ailleurs sur le plan de la procédure, si elle se déroule sans solennité
particulière, les votes ayant lieu à mains levées, les lois organiques obéissent
cependant à des règles propres (art. 46), les formes sont ici plus sévères que pour
les lois ordinaires :
• l'initiative d'une loi organique peut venir du Gouvernement (projet) ou des
parlementaires (proposition). Rien d'original en cela ;
• le projet, ou la proposition, de loi organique doit être déposé devant l'une
des Chambres au moins 15 jours avant que ne commence sa discussion.
On impose par-là au législateur un délai de réflexion et on ouvre aussi au
pays la possibilité de faire connaître son sentiment sur le texte soumis aux
parlementaires. En présence d'une décision importante, on veut éviter les
votes de surprise, mal préparés et permettre au pays, à la presse, d'être
prévenus et de peser sur le débat ;
• si les deux Chambres ne parviennent pas à un accord, l'Assemblée
nationale peut, à la demande du Gouvernement, adopter le texte en
dernière lecture (après un dernier examen) à la majorité absolue de ses
membres. Cette disposition assure la primauté de l'Assemblée nationale
sur le Sénat : l'opposition de celui-ci ne permet pas de faire échouer une
loi organique. Mais, la décision étant grave, la loi doit être votée à la
majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale et non
des votants (là est une des différences avec les lois ordinaires) ;
• à cette suprématie de l'Assemblée nationale, il est deux exceptions. En
premier lieu, toute loi organique concernant le Sénat doit être votée dans
les mêmes termes par les deux assemblées, c'est-à-dire qu'en fait, l'accord
du Sénat est obligatoire pour toute loi organique portant atteinte à son
statut. À défaut de son assentiment, ce statut peut seulement être modifié
par une révision constitutionnelle ; il y a là une garantie considérable
pour le Sénat (d'autant que, comme on le verra, la révision de la
Constitution exige elle aussi l'accord du Sénat). En second lieu, depuis la
révision constitutionnelle du 23 juin 1992, la loi organique concernant le
droit de vote et d'éligibilité des étrangers, citoyens de l'Union européenne,
résidant en France, doit elle aussi être approuvée dans les mêmes termes
par les deux Chambres (v. infra n 121) ;
o
B La coutume constitutionnelle
88. À côté des règles constitutionnelles écrites, peut-on admettre que naissent
peu à peu, par une succession de précédents, des règles coutumières dotées de la
même valeur obligatoire que les premières ? Dans quels cas, dans quels
domaines ces règles pourraient-elles apparaître ?
— La coutume interviendrait d'abord pour compléter la Constitution, on parle
alors de coutume praeter legem. Quel que soit, en effet, le soin avec lequel les
Constitutions sont élaborées, leur application fait apparaître des lacunes, des
problèmes auxquels aucune solution n'est prévue. La coutume peut combler ces
vides. Elle sera d'autant plus riche que le texte sera bref et sibyllin, c'est ce qui
expliquerait le rôle important qu'elle aurait joué sous la III République, où l'on
e
89. En France aujourd'hui, la question n'a qu'un intérêt pratique limité. Elle
ne se pose pas pour la coutume contra legem. Celle-ci serait un « monstre
juridique ». La Constitution ne peut être modifiée qu'en suivant les procédures
prévues à cet effet par le texte de 1958. À quoi servirait d'avoir choisi des règles
compliquées pour réviser la Constitution s'il suffit de violations renouvelées pour
arriver au même résultat ?
En revanche, on peut s'interroger sur certains comportements ou « usages » :
ainsi l'habitude prise depuis la III République par les Gouvernements de
e
§ 3. La pratique constitutionnelle
90. Une Constitution n'est pas un texte mort, elle s'applique, elle produit des
effets, elle vit. P.-P. Royer-Collard écrivait en 1820 : « les Constitutions ne sont
pas des tentes dressées pour le sommeil ; les Gouvernements sont placés sous la
loi universelle de la création et sont condamnés au travail. » À l'usage, le
schéma tracé va jouer, se déformer, s'adapter aux mouvements de la société et
aux variations du rapport entre les forces politiques.
A Le principe
91. Apparaissent ainsi des pratiques. Elles ne créent pas d'obligation, n'ont
pas de valeur juridique, mais seulement une valeur politique en ce sens que
rompre avec elles est susceptible de troubler l'opinion publique, qui s'interrogera
sur les raisons pour lesquelles on a jugé bon de déroger à un comportement
considéré comme normal. Mais elles ne sont pas véritablement contraignantes.
L'existence des pratiques est une simple constatation, laissant de côté la
question de leur conformité à la Constitution. Elles la respecteront, comme elles
peuvent parfois la violer.
— Les pratiques sont présentes dans tous les aspects de l'action des pouvoirs
publics. Elles peuvent concerner leurs relations avec les citoyens, comme par
exemple en France l'usage de fixer les élections le dimanche. D'autres touchent à
l'organisation du travail du Gouvernement : l'habitude de réunir le Conseil des
ministres le mercredi matin. Une pratique pourra aussi consister dans le choix
systématique d'une procédure lorsque la Constitution ouvre une option entre
plusieurs possibilités : aux États-Unis, la révision constitutionnelle a toujours été
ratifiée (sauf une fois) par les législatures (Parlements) des États et non par des
Conventions d'État spécialement convoquées (v. infra n 484). o
utilisé son droit de demander une seconde lecture de la loi votée par le
Parlement.
— Mais les pratiques les plus importantes concernent la façon dont une
autorité envisage son rôle. Elles seront donc liées soit à la personnalité d'un
homme, soit au contexte politique. Tel chef de l'État effacé n'usera pas de ses
prérogatives, tel autre au contraire les utilisera pleinement. Ainsi l'attitude des
présidents de la V République a créé une pratique qui leur donne la
e
Section 4
Contenu de la Constitution
du citoyen de 1789 qui fut ensuite placée en tête de notre première Constitution,
celle de 1791.
Dans les Constitutions actuelles, on trouve donc toute une série de
dispositions qui consacrent la liberté de pensée, d'expression, d'aller et venir, la
sûreté (c'est-à-dire la liberté personnelle contre les arrestations et internements
arbitraires), l'égalité entre les citoyens, etc. Ainsi est formulé un embryon de
statut du citoyen dont la valeur symbolique est peut-être plus importante encore
que celle attachée aux dispositions concernant les institutions politiques et les
procédures. Les contemporains de la Révolution française ont été sensibles à cet
aspect plus qu'à l'agencement des pouvoirs réalisé par la Constitution.
La proclamation des Droits à la fin du XVIII siècle a véritablement revêtu un
e
— D'autres enfin sont de simples pouvoirs, leur titulaire est libre de les
utiliser ou non : l'article 12 de la Constitution de la V République donne au
e
§ 3. Dispositions diverses
96. Les Constitutions peuvent contenir aussi toute une série de dispositions
d'importance et de valeur inégales. On profite du caractère solennel du texte, de
son autorité juridique exceptionnelle, de sa pérennité, de son rayonnement
international, pour préciser certains attributs de l'État, proclamer des principes
variés.
On peut y trouver : le nom de l'État (ex. : la « République de Chine »,
Taïwan, qui s'oppose à la « République populaire de Chine ») ; la forme du
régime : monarchie, république ; le drapeau : ses couleurs, signes, dimensions ;
la devise nationale ; la capitale de l'État ; l'hymne national. Et encore la langue et
la religion officielles.
On peut également y trouver des références historiques (par exemple, la
Couronne de Saint Étienne en Hongrie) et l’affirmation de valeurs (par exemple,
le principe de dignité en Allemagne, et le caractère laïc de la République en
France).
Chapitre 2
L'élaboration de la Constitution, sa révision, son
abrogation
Section 1
La rédaction de la Constitution
100. Ici, le pouvoir constituant originaire est partagé entre le monarque (ou
dictateur) et le peuple.
La Constitution résulte d'un accord, d'un pacte, entre le monarque et les
représentants de la Nation. L'hypothèse est assez rare et se rencontre parfois lors
d'un changement de dynastie ou lors de l'accession d'un nouveau monarque sur
le Trône. Des exemples de cette sorte de contrat existent sous une forme
imparfaite en Angleterre (Acte d'établissement de 1701) et sous une forme
classique en France avec la Charte de 1830 : votée par les Chambres elle est
acceptée par le roi ; celui-ci se considère comme appelé sur le trône par le
peuple. De même en Belgique la même année. En sens inverse en 1852 Louis
Napoléon élabora la Constitution en respectant cinq conditions énoncées dans sa
proclamation du 2 décembre 1851 et approuvées par référendum populaire le 20.
§ 3. L'élaboration démocratique
A L'Assemblée constituante
102. Une Assemblée est élue par le peuple, elle a pour tâche d'élaborer la
Constitution. Cette Assemblée est généralement unique alors que le Parlement
institué par elle sera peut-être composé de deux Chambres.
Le plus souvent, c'est un Gouvernement provisoire de fait qui assure la
transition entre deux régimes et deux Constitutions. Il lui appartient de
convoquer le corps électoral pour qu'il désigne l'Assemblée constituante.
B L'approbation populaire
105. Pour donner plus d'autorité à la Constitution, le texte est soumis pour
approbation au peuple.
Cette procédure peut être utilisée dans des perspectives différentes :
— Le texte a été élaboré par une Assemblée constituante élue, mais celle-ci
n'était pas souveraine, on a voulu en effet que la Constitution apparaisse comme
l'œuvre du peuple lui-même, l'assemblée n'a rédigé qu'un projet proposé à
l'approbation des citoyens. L'instrument de l'approbation populaire est le
référendum. La Constitution de 1946 a été approuvée par cette voie, renouant
avec la pratique inaugurée pour l'élaboration de la Constitution de 1793.
— Le projet a été rédigé par l'exécutif : Gouvernement ou chef de l'État,
assisté le cas échéant d'un comité d'experts. C'est la voie suivie en 1993 en
Russie par B. Eltsine. Un projet de constitution élaboré par lui et par ses
conseillers fut soumis au peuple, directement sans débat parlementaire.
La procédure fut la même en France en 1958.
Pourtant, il est difficilement concevable aujourd'hui qu'une Constitution soit
mise en vigueur sans avoir été soumise au suffrage populaire.
Section 2
La révision de la Constitution
108. La distinction est fondée sur la plus ou moins grande facilité avec
laquelle la Constitution peut être révisée. Mais il n'y a pas d'opposition radicale,
on constate seulement que des Constitutions sont plus souples que d'autres.
Ainsi, soit on fait confiance au législateur : constitution souple ; soit on
souhaite opérer une séparation entre le pouvoir du souverain (pouvoir
constituant) et celui du législateur (pouvoir constitué) : constitution rigide.
110. Le cas extrême est celui où une Constitution écrite ne prévoit pas de
procédure spéciale de révision. La Constitution chinoise de 1978 laissait
l'Assemblée nationale populaire libre d'amender la Constitution. En France, les
Chartes de 1814 et de 1830 abandonnaient ce pouvoir au roi, qui pouvait
reprendre ce qu'il avait donné.
Mais la référence à la souplesse est relative et n'est pas réservée aux
Constitutions modifiables par une simple loi. On dira ainsi qu'une Constitution
dont la révision doit être approuvée par les Chambres à la majorité des deux tiers
est plus souple qu'une autre pour laquelle la majorité exigée est des trois quarts ;
de même si la révision est impossible dans les cinq premières années de la
promulgation de la Constitution, celle-ci est moins souple qu'une autre révisable
sans condition de délai...
coutumières.
112. Une Constitution est dite « rigide » lorsqu'une procédure spéciale est
prévue pour la révision, plus difficile que celle suivie pour l'élaboration de la loi
ordinaire. Les Constitutions rigides sont apparues à la fin du XVIII siècle avec les
e
§ 2. L'initiative de la révision
A L'initiative gouvernementale
B L'initiative parlementaire
§ 3. La procédure de révision
A L'organe compétent
118. Celui qui prend l'initiative de la révision n'est pas toujours compétent
pour la mener à son terme. On peut confier le soin de réaliser la révision à divers
organes :
— au Parlement, ou à une de ses Chambres. Cette voie est la plus répandue,
elle est traditionnelle en France ;
— à une Assemblée ad hoc (spéciale) : aux États-Unis on peut avoir recours
ainsi à une Assemblée spécialement élue pour réviser la Constitution : la
Convention. Une règle identique était retenue par notre Constitution de 1848 ;
— au peuple : le projet de révision (préparé par le Parlement, le
Gouvernement ou une Convention) est soumis au peuple par référendum pour
adoption.
Toutes n'ont pas le même sens et la même importance. Les quatre plus
importantes sont celles de 1962 introduisant l'élection du président au suffrage
universel direct, celle de 1974 ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel aux
parlementaires celle de 1992 parce qu'elle introduit pour la première fois
l'Europe dans la Constitution (v. infra n 697 et s.) et celle de 2000 relative au
o
A La procédure de l'article 89
123. Les deux Chambres sont ici placées sur un pied d'égalité, chaque député
ou chaque sénateur peut prendre l'initiative d'une révision. Si l'Assemblée à
laquelle il appartient débat de cette proposition et l'approuve, la procédure de
révision est engagée.
La « proposition » de révision approuvée par la Chambre sera transmise pour
discussion à l'autre Chambre. Son adoption suppose que les deux Chambres se
mettent d'accord sur un texte identique, le vote étant acquis sans règle
particulière de majorité (majorité simple des suffrages exprimés). L'opposition
d'une des deux Chambres suffit à faire échouer la proposition. La procédure
ne se termine pas là : le texte adopté doit ensuite être soumis au peuple par
référendum.
Le président de la République et le Gouvernement n'ont aucune possibilité
d'intervenir dans la procédure, en cas de désaccord ils pourraient seulement faire
campagne contre elle et appeler les parlementaires amis à un vote hostile. En
particulier, ils seraient obligés d'organiser un référendum après l'approbation par
les Chambres d'un texte identique. En théorie donc, la révision est possible
contre la volonté de l'exécutif.
Cette voie n'a guère été utilisée et n'a jamais abouti. Le Gouvernement, en
effet, a eu longtemps la maîtrise de l'ordre du jour, c'est-à-dire de faire venir en
discussion au Parlement les propositions qu'il veut, et d'« enterrer »
définitivement les autres. En pratique, il apparaît comme à peu près impossible
qu'un texte soit adopté contre la volonté du Gouvernement. Si les propositions de
révision ont été assez nombreuses, aucune n'a été inscrite à l'ordre du jour de
l'Assemblée, deux l'ont été au Sénat, sans succès.
minutes des explications de vote. Si cette voie est suivie, il n'y a pas lieu de
recourir au référendum.
Le président, lorsqu'il s'entend avec le Premier ministre, est ainsi maître de
cette procédure. Non seulement il a le choix entre les deux voies indiquées, mais
la procédure ne lui échappe pas après avoir été engagée, elle ne se déroule pas
d'elle-même, le président peut la suspendre quand il veut : après le vote d'une
Chambre, après une navette (v. infra n 928), après le vote des deux Chambres...
o
G. Pompidou en 1973, V. Giscard d'Estaing en 1974 ont usé de ce pouvoir. De
même il peut faire traîner la convocation du Congrès, voire y renoncer, même
après l'avoir convoqué (J. Chirac en janvier 2000 pour la réforme du CSM)
(v. infra n 969). La révision ne va donc à son terme que si le président le veut
o
bien. Mais le parlement peut reprendre une proposition qui n'a pas abouti. Elle
ne devient pas caduque du fait de l'écoulement du temps et du renouvellement
des assemblées. Ainsi, en décembre 2012, le Sénat a examiné une proposition de
loi constitutionnelle relative au droit de vote des étrangers adoptée par
l'Assemblée nationale en mai 2000.
3 - Observations
1 - Les faits
4 - Avenir de l'article 11
longtemps sur ce que pourraient être les grands axes d'une nouvelle Constitution.
La VI République n'est pas pour demain et c'est bien ainsi. En ce sens, le comité
e
Section 3
L'abrogation de la Constitution
134. Dans la plupart des États modernes, la Constitution est l'acte qui possède
la plus haute autorité. À ce titre, des procédures sont prévues pour la faire
respecter.
Section 1
La hiérarchie des normes
136. Les normes supérieures étant moins nombreuses que les normes
subordonnées, la hiérarchie des normes peut être représentée par l'image d'une
« pyramide », à laquelle le juriste autrichien H. Kelsen a attaché son nom :
« l'ordre juridique n'est pas un système de normes juridiques placées au même
rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide, ou une
hiérarchie, formée d'un certain nombre d'étages ou couches de normes
successives. »
Dans le système de la hiérarchie pyramidale des normes, on trouve au
sommet de la hiérarchie la « norme-mère » (Grundnorm), celle qui commande
tout le système juridique, à laquelle sont subordonnées directement ou
indirectement toutes les autres. Au-dessous d'elle se situent d'autres normes,
placées sur le même plan, qui à leur tour commandent à d'autres, lesquelles elles-
mêmes s'imposent à celles qui les suivent et ainsi de suite. À chaque degré le
nombre des normes s'accroît et par là s'élargit la base de la pyramide. Au fur et à
mesure que l'on descend dans la hiérarchie, le pouvoir discrétionnaire, c'est-à-
dire la liberté de celui qui élabore les normes, diminue. On constate aussi que
plus une norme est élevée dans la hiérarchie, plus elle est générale et abstraite.
naturel et positivisme peut être réduit, à défaut d'être résolu, si l'on considère que
les normes constitutionnelles sont enracinées dans un système de valeurs (par
exemple la dignité humaine ou l'égalité entre les hommes) auxquelles elles
donnent valeur juridique.
Aujourd'hui, la place centrale de la Constitution est contestée au profit de
normes internationales, ou européennes. Il n'en reste pas moins que la place de
ces normes dans la hiérarchie de l'ordre juridique est fixée par la Constitution.
Ainsi, si le juge français fait prévaloir les dispositions de la Convention
européenne des droits de l'homme sur la loi nationale, c'est en application d'une
disposition de la Constitution (art. 55 C). De même, si le Conseil constitutionnel
n'examine pas, en principe, la constitutionnalité des lois qui transposent des
directives communautaires (édictées par les institutions de l'Union européenne)
dans le droit français, c'est en vertu d'une autre disposition de la Constitution
(art. 88-1 C). Cependant l'existence de plusieurs ordres juridiques, par exemple
l'ordre juridique national et l'ordre juridique de l'Union européenne, conduit à ce
que la hiérarchie des normes puisse être différente dans chacun des ordres
juridiques. Ainsi dans l'ordre juridique communautaire, le droit communautaire
prévaut sur l'ensemble des droits nationaux, y compris la Constitution, alors que
dans l'ordre juridique national, est reconnue la primauté de la Constitution sur le
droit communautaire. Les conflits qui pourraient naître de cette situation sont le
plus souvent évités par les juges qui interprètent les différentes normes en cause
de manière à les rendre compatibles. C'est pourquoi l'on a pu considérer que le
réseau se substituait, pour partie, à la pyramide (v. F. Ost et M. Delmas-Marty).
L'une des pistes qui permettrait d'éviter des conflits toujours possibles entre
les normes fondamentales des différents ordres juridiques serait de distinguer
aux niveaux européens (Union européenne et Convention européenne des droits
de l'homme) les principes communs et les principes relevant de l'identité
constitutionnelle des États afin d'opérer une forme de répartition des
compétences entre les ordres juridiques, s'agissant en particulier des droits et
libertés fondamentaux.
Il faut enfin noter que les juges, notamment la Cour européenne des droits de
l'homme, font parfois référence à des normes dépourvues de caractère juridique
(par exemple des résolutions d'organisations gouvernementales ou des avis
d'organisations non gouvernementales) pour interpréter les normes juridiques.
Section 2
La garantie de la suprématie de la Constitution
142. Le contrôle des actes du législateur est tout à fait logique. On doit
pouvoir soit faire annuler une loi inconstitutionnelle (on verra plus loin qu'on
parlera alors de contrôle par voie d'action), soit faire écarter l'application de la
loi dans un cas précis (contrôle par voie d'exception).
Sauf aux États-Unis (v. infra n 161), il a fallu attendre les années 1920
o
(Tchécoslovaquie, puis Autriche) pour voir se généraliser progressivement ce
contrôle.
Deux objections résument les réticences à l'égard du contrôle :
146. Dès avant, puis sous la Révolution, le problème du contrôle de la loi fut
aperçu par Sieyès – qui dénonçait l'idée d'une constitution « abandonnée à elle-
même » dès sa naissance – et quelques autres. Sieyès proposa, lors de
l'élaboration de la Constitution de l'an III, la création d'un organe politique « la
jurie constitutionnaire » à laquelle la Nation confierait la tâche d'annuler les
actes contraires à la Constitution. Suggestion repoussée avec indignation : ce
serait un « pouvoir monstrueux » (Thibaudeau), le Parlement voulait-il se donner
un maître ?
Une fausse solution fut ensuite apportée par les Sénats conservateurs des I et er
II Empires. Sieyès fit en effet inscrire dans la Constitution de l'an VIII l'idée que
e
148. Dans les systèmes qui ont décidé d'instituer un véritable contrôle de la
constitutionnalité, son aménagement suppose une série de choix concernant tant
l'organe compétent que la procédure du contrôle.
1 - L'organe compétent
150. L'accent n'est pas mis alors sur l'indépendance des contrôleurs et sur leur
compétence, sur leur aptitude à trancher des litiges aux aspects juridiques subtils.
L'organe de contrôle est conçu de manière à ménager la susceptibilité des auteurs
de la loi. Le Parlement (et à travers lui les partis politiques) sera associé à la
désignation de ses membres et le Gouvernement – à l'origine souvent du texte
contesté – parfois aussi.
La formule donne satisfaction au législateur en le garantissant que son œuvre
ne pourra être défaite que par les contrôleurs choisis par lui et donc peu portés à
adopter une attitude systématiquement critique.
C'est là en même temps la faiblesse essentielle du système. L'organe de
contrôle ne dispose pas d'une indépendance suffisante à l'égard des auteurs de la
loi : tenant ses pouvoirs d'eux, il ne leur est pas véritablement extérieur, il
dépend trop d'eux, il apparaît comme leur obligé ou même leur subordonné.
En outre, il n'est pas sûr que l'organe politique se limitera toujours à statuer
en droit. Il ne vérifiera pas uniquement la conformité de la loi à la Constitution,
il sera tenté de glisser vers l'appréciation de l'opportunité de la mesure
envisagée, de toute façon il s'expose à en être accusé. Le sort de la loi ne sera
plus lié à sa constitutionnalité mais à la conformité de son contenu aux choix
politiques des censeurs.
Ceci explique que cette forme de contrôle n'a jamais pris une grande
extension. En France, l'expérience des Sénats napoléoniens et du Comité
constitutionnel de 1946, illustre bien les limites du système. Pourtant, comme on
va le voir, les frontières avec le contrôle par un organe juridictionnel peuvent
devenir assez floues.
b) Le contrôle par un organe juridictionnel
151. Une autre voie consiste à confier le contrôle à une juridiction, à des
juges qui statueront en droit. Le problème de la constitutionnalité est alors
considéré comme technique – la loi est-elle conforme à la Constitution ?
La solution est demandée à des techniciens du droit. Le législateur sera peut-être
plus réticent devant cette forme de contrôle où il perd toute autorité sur les
censeurs, en revanche elle sera bien acceptée par les citoyens qui voient dans
l'intervention du juge une garantie de compétence, d'impartialité, en un mot de
crédibilité du contrôle.
La juridiction peut être, soit un tribunal quelconque inséré dans la hiérarchie
juridictionnelle ordinaire et statuant sur toutes sortes d'autres affaires (système
américain), soit une institution spécialement créée à cet effet et à laquelle on
confère le statut d'une juridiction, c'est-à-dire essentiellement l'indépendance à
l'égard du pouvoir (système autrichien, 1920).
En effet, si la supériorité du système repose certes sur la compétence
juridique de l'organe de contrôle, elle tient avant tout à son indépendance.
Encore faut-il alors que cette indépendance soit assurée. Les régimes
démocratiques s'y efforcent, mais les conditions dans lesquelles s'exerce le
contrôle de la constitutionnalité risquent de la mettre à l'épreuve. À ce niveau,
tout est politique.
2 - La procédure de contrôle
156. Le contrôle par voie d'action. – Ici, l'auteur du recours demande que si
la loi est reconnue non conforme à la Constitution, elle soit privée de tout effet.
C'est-à-dire que, dans le contrôle a priori, elle ne puisse être promulguée et, dans
le contrôle a posteriori, qu'elle soit annulée et considérée comme n'ayant jamais
existé.
Lorsque le contrôle est a posteriori la situation risque d'être inextricable si
l'annulation intervient des années après la mise en vigueur de la loi. Se pose en
effet le problème de l'attitude à adopter à l'égard de toutes ses applications
antérieures. Va-t-on les remettre en cause ? S'agissant par exemple d'une loi
créant un impôt, devra-t-on rembourser toutes les sommes perçues au titre de cet
impôt ? Si la loi réformait le régime de l'adoption, annulera-t-on toutes les
adoptions réalisées sous son empire (on notera que la situation est la même
lorsqu'un décret, par exemple, est annulé à l'issue d'un recours pour excès de
pouvoir) ?
Aussi le contrôle par voie d'action est-il en général enfermé dans des
conditions assez strictes : la saisine sera étroite et les citoyens en seront le plus
souvent exclus ; le contrôle sera confié, non pas au juge ordinaire, mais à un
organe spécial. Par ailleurs, le juge pourra moduler dans le temps les effets d'une
déclaration d'inconstitutionnalité.
En dépit de ces difficultés pratiques, le contrôle par voie d'action a le mérite
d'aboutir à une situation claire, la loi inconstitutionnelle est éliminée de l'ordre
juridique.
159. Effets. – Soit la décision rendue ne vaut pas erga omnes, c'est-à-dire à
l'égard de tous, comme dans le contrôle par voie d'action. La loi n'est pas
annulée, elle subsiste, son application est simplement écartée dans le litige
considéré (effet relatif de la chose jugée). Les personnes touchées par la suite
saisiront un juge devant lequel elles soulèveront à leur tour une exception
d'inconstitutionnalité pour faire écarter l'application de la loi. Les requérants
pourront d'ailleurs invoquer « le précédent » constitué par le premier jugement,
mais le nouveau juge n'est pas lié par la décision de son collègue. C'est en
général le cas lorsque c'est un juge ordinaire qui se prononce sur la
constitutionnalité. Soit le juge abrogera la loi, c'est-à-dire l'annulera pour
l'avenir. Dans ce cas, l'intervention d'un juge spécialisé, d'une juridiction
constitutionnelle, est en général requise. C'est la procédure retenue, en France,
par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Ainsi l'atteinte à l'autorité de la loi sera moins éclatante.
Les systèmes de contrôle de la constitutionnalité des lois combinent les
solutions techniques exposées : le contrôle peut être confié à la fois aux juges
ordinaires et à un organe spécial ; le contrôle a priori peut céder la place à un
contrôle a posteriori une fois la promulgation intervenue ; enfin, des pays
comme l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne, pratiquent à la fois contrôle par voie
d'action et par voie d'exception, on parle alors de systèmes mixtes.
A Origine
161. La Constitution américaine, qui date de 1787, si elle crée une Cour
suprême, n'a prévu aucune procédure de contrôle de la constitutionnalité.
L'apparition du contrôle est due à la façon dont le juge américain conçoit son
rôle.
— Ce juge considère qu'il doit appliquer toutes les lois, lois
constitutionnelles comme lois ordinaires. Si un conflit apparaît entre deux lois
(c'est-à-dire si une ou plusieurs de leurs dispositions apparaissent comme
inconciliables), il est compétent pour le trancher, c'est-à-dire pour écarter s'il le
faut l'une des lois en présence. Si l'une des lois en conflit est la Constitution, elle
doit l'emporter sur la loi ordinaire.
— Cette attitude se justifie par le caractère très rigide de la séparation des
pouvoirs aux États-Unis. Chaque pouvoir est très indépendant des autres. En
particulier, le pouvoir judiciaire n'est pas subordonné au pouvoir législatif, il est
autonome à son égard. En même temps la Constitution s'impose aux trois
pouvoirs. Si le Congrès vote une loi inconstitutionnelle, il ne peut, sans violer la
séparation des pouvoirs, en imposer le respect au juge, celui-ci doit déclarer la
loi irrégulière.
La première application de ces principes en matière de constitutionnalité au
niveau fédéral a été faite en 1803 par la Cour suprême à l'instigation du juge
Marshall dans l'affaire Marbury c/Madison. Il s'agissait d'une nomination de
fonctionnaire à laquelle, au lendemain d'une élection présidentielle, la nouvelle
administration ne voulait pas donner suite. Le principe posé par la Cour est
important : la Cour saisie d'un litige mettant en cause la conformité d'une loi à la
Constitution, doit se prononcer sur la constitutionnalité de cette loi.
Contrairement pourtant à ce qu'on aurait pu penser, le contrôle de la
constitutionnalité n'a pas pris une extension rapide mais s'est affirmé de façon
très prudente. La Cour suprême au début du XIX siècle était une institution
e
B Procédure
1 - Le principe
165. Rôle de la Cour. Elle tient une grande place dans le contrôle de
constitutionnalité mais, même s'il s'agit d'une part considérable de son activité,
• elle n'est pas un organe uniquement chargé de statuer sur la
constitutionnalité,
• elle n'a pas de compétence particulière ici, il s'agit pour elle d'une
compétence parmi d'autres,
• elle ne peut se saisir elle-même.
En matière de constitutionnalité, comme dans les autres domaines, la Cour a
pour rôle d'unifier la jurisprudence. Une affaire posant une question de
conformité d'une loi à la Constitution ne peut être portée directement devant
elle. Simplement, elle peut être invitée à trancher définitivement, après que les
juges précédents se soient prononcés. Saisie d'appels contre les décisions des
tribunaux inférieurs, elle imposera son interprétation, harmonisera les solutions.
— En principe la Cour s'estime incompétente pour statuer sur les questions
politiques, elle ne s'immisce pas dans les relations entre les pouvoirs. Mais elle
délimite de plus en plus strictement le domaine des questions politiques. Ainsi,
lorsqu'en 2000 lors de la première élection de G. W. Bush, elle a accepté de se
prononcer sur le comptage des voix effectué par la Cour suprême de Floride,
donnant par là la victoire aux républicains, peut-on soutenir qu'on ne se trouvait
pas alors en présence d'une « question politique » ?
— Particularité importante : « la Cour est maîtresse de son rôle » : c'est-à-
dire qu'elle sélectionne (par un « writ of certiorari »), selon des critères qu'elle
détermine librement, les affaires sur lesquelles elle accepte de se prononcer. Il
faut qu'elles présentent un intérêt substantiel, qu'elles soulèvent des problèmes
majeurs, qu'elles soient dignes d'être jugées par la Cour et qu'il faille faire cesser
un conflit de jurisprudence. Sur 8 000 requêtes environ chaque année, elle n'en
juge que 70 ou 80.
— La Cour prend ses décisions à la majorité. Il est fréquent qu'elles
n'interviennent qu'à une voix de majorité (1 fois sur 3 en 2000). Les juges qui ne
sont pas d'accord sur la décision adoptée peuvent rédiger une opinion
concourante (accord sur le sens de la décision mais non sur sa motivation) ou
dissidente (dissent) qui sera jointe à l'arrêt.
3 - Portée de la décision du juge et évolution de la procédure
Chadha, v. infra n 529). Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour peut être mise
o
en échec par une révision de la Constitution, cela s'est produit à quatre reprises.
— Le contrôle de la Cour suprême s'est amélioré, et approfondi, depuis
l'origine. La Cour ne se contente pas d'interpréter les dispositions claires de la
Constitution, elle tient compte de son esprit, le faisant prévaloir sur la volonté du
législateur ; elle renforce par là ses moyens de contrôle. Ainsi par l'intermédiaire
du « due process of law » : une disposition inscrite dans le V amendement à la
e
anglais et plus précisément à la Grande Charte de 1215, prévoit que nul ne peut
être privé de sa vie, de sa liberté, de ses biens sans « due process of law », en
d'autres termes « sans procédure régulière » (ou conforme aux lois). Qu'est-ce
qu'une procédure régulière ? La notion est extrêmement imprécise et la Cour
suprême en a profité pour analyser très en profondeur toute législation
concernant de près ou de loin la vie, la liberté ou la propriété. Progressivement,
elle ne s'est pas contentée de rechercher si le citoyen disposait bien d'une
procédure régulière, efficace, pour se défendre, mais si la loi elle-même n'était
pas arbitraire, inopportune, si elle était bien conforme à l'esprit du système
constitutionnel américain.
Il est vrai que l'expérience montre que les juges s'éloignent en général de la
sensibilité politique qui était la leur lors de leur nomination pour prendre des
positions modérées, l'institution change les hommes et permet à la Cour suprême
d'être la conscience, bonne ou mauvaise, des États-Unis.
La Cour est, à nouveau, dominée par les conservateurs qui s'opposent
régulièrement aux libéraux : sur les discriminations en matière d'emploi, les
seconds soutiennent les salariés alors que les premiers sont favorables aux
entrepreneurs-employeurs. Organe indépendant certes, la Cour n'est pas pour
autant impartiale. Quoi qu'il en soit, plus que la Constitution de 1787, c'est la
Cour qui a façonné la démocratie américaine. Actuellement, la Cour suprême est
aux prises avec une polarisation politique. Selon un sondage Gallup de 2015,
48 % des Américains sondés désapprouvent son action.
Section 3
Le système français actuel : le Conseil constitutionnel
n 13, rééd., 1991 et n 105, 2003. – Pierre AVRIL, Jean GICQUEL, Le Conseil
o o
Le système mis en place est relativement efficace, même s'il connaît certaines
limites.
A Composition du Conseil
173. Les membres nommés du Conseil constitutionnel le sont pour neuf ans.
Pour garantir la continuité de l'institution, et de sa jurisprudence, ils sont
renouvelés par tiers. Tous les trois ans, les trois autorités qui disposent du
pouvoir de nomination désignent chacune une nouvelle personnalité.
Aucune condition de recrutement n'a été imposée. Tout au plus peut-on
estimer que les membres doivent être citoyens français et jouir de leurs droits
civiques, mais aucune compétence ou expérience juridique n'est requise. Dans la
pratique on constate cependant que la plupart ont, au moins, reçu, dans le passé,
une formation juridique. Les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent être
révoqués, mais ils ne peuvent pas non plus être renouvelés dans leurs fonctions,
ils ne peuvent accomplir qu'un seul mandat. La rigueur de cette dernière règle a
été atténuée en faveur de celui qui a succédé à un membre du Conseil
démissionnaire, ou décédé, dans les trois dernières années de son mandat. Un
renouvellement pour neuf ans est alors possible, ce qui porte à douze ans, dans
ce cas, la durée maximum des fonctions. Cinq membres du Conseil ont bénéficié
jusqu'à présent de cette possibilité.
Pourquoi se prive-t-on ainsi de l'expérience acquise par ces personnalités au
long des neuf années de leur mandat ? On a voulu renforcer par là
l'indépendance du Conseil. On a pensé que la perspective d'une nouvelle
désignation risquerait d'inciter parfois un membre du Conseil à éviter les
occasions de déplaire – c'est un euphémisme – à celui qui peut le nommer à
nouveau. D'ailleurs, dans ce genre d'institutions, ou bien on procède à des
désignations à vie (Cour suprême américaine) ou on interdit le renouvellement
des fonctions.
— La préoccupation d'assurer l'indépendance des membres du Conseil se
traduit aussi par une série d'interdictions de cumul : avec des fonctions
gouvernementales ou un siège au Conseil économique, et avec tout mandat
électif et donc parlementaire (LO 19 I 1995). Ils sont en outre soumis aux
incompatibilités professionnelles des parlementaires (v. infra n 869) et ne
o
2 - Le contrôle impossible
176. Lorsque le peuple adopte une loi par référendum, selon la procédure
prévue par l'article 11 de la Constitution, le Conseil n'est pas compétent pour se
prononcer sur sa constitutionnalité, il ne peut contrôler que les lois adoptées par
le Parlement.
Cette limite ne figure pas dans la Constitution mais résulte de l'interprétation
que le Conseil en a donné par sa décision du 6 novembre 1962. Il avait alors été
saisi par le président du Sénat d'un recours contre la loi, votée par le peuple, qui
modifiait le régime de l'élection du président de la République. Le Conseil a
estimé qu'il ne pouvait contrôler une loi correspondant, du fait de sa procédure
d'adoption, « à l'expression directe de la souveraineté nationale ». Il admet par
là que lorsque le peuple exprime directement sa volonté, il est affranchi de tout
contrôle et n'est donc pas assujetti au respect de la Constitution.
Cette solution, confirmée en 1992 (Maastricht III), nous paraît politiquement
fort sage : le Conseil peut-il désavouer le peuple souverain ? En même temps
elle peut permettre de tourner la censure du Conseil en soumettant au
référendum une loi dont on sait qu'elle n'est pas conforme à la Constitution.
Ainsi pour la loi sur la Nouvelle-Calédonie, soumise au référendum en 1988,
dont une disposition au moins n'aurait probablement pas franchi l'obstacle du
contrôle par le Conseil.
De même le Conseil a estimé qu'il n'était pas compétent pour se prononcer
sur une loi de révision constitutionnelle adoptée par le Congrès (26 mars 2003).
La Constitution l'autorise, en effet, à connaître seulement des lois organiques et
des lois ordinaires (art. 61).
Au total, le Conseil ne peut se prononcer sur une loi de révision
constitutionnelle, qu'elle soit approuvée par référendum ou par le Congrès. Cette
jurisprudence doit être approuvée. En effet, le constituant peut toujours mettre
fin à une jurisprudence du Conseil constitutionnel en modifiant la Constitution
fin à une jurisprudence du Conseil constitutionnel en modifiant la Constitution
(il l'a fait en 1993 à propos du droit d'asile). Il serait, en effet, contraire au
principe démocratique que le juge puisse avoir le dernier mot. Telle est pourtant
la situation en Allemagne et en Italie, alors que le juge se reconnaît la faculté de
contrôler les lois de révision constitutionnelle au regard de certaines dispositions
de la Constitution considérées comme immuables.
b) Principe
178. C'est le plus courant. Certains textes peuvent être déférés au Conseil.
β) Les lois ordinaires (art. 61, al. 2)
180. Ils peuvent aussi être déférés au Conseil, pour vérifier qu'ils ne sont pas
contraires à la Constitution, par le président de la République (neuf fois depuis
1958), le Premier ministre ou le président de l'une des assemblées, ainsi que,
depuis la révision constitutionnelle de 1992, par 60 députés ou 60 sénateurs ; on
parle alors de « contrôle de compatibilité ».
a) Déroulement de la procédure
11 février 1982) ;
• le président de la République peut demander aux assemblées une « nouvelle
délibération » de la loi ou des articles contestés (art. 10 de la Constitution), ou
une « nouvelle lecture » (art. 23 de l'ordonnance du 7 novembre 1958). Il laisse
aux parlementaires (ou au Gouvernement) l'initiative de se conformer par voie
d'amendement à la décision du Conseil et évite, s'il s'agit d'un projet, d'avoir à
repasser devant le Conseil d'État et le Conseil des ministres (v. infra n 912).
o
Le nouveau texte pourra être soumis à son tour au Conseil comme dans
l'hypothèse précédente.
β) Autorité des décisions du Conseil
186. Deux autres procédures font intervenir le Conseil pour obtenir le respect
de la Constitution par le législateur. Elles sont liées à la distinction des domaines
législatif et réglementaire (v. infra n 899) :
o
C'est son rôle initial, le constituant l'a créé dans cette intention. Aussi, dans un
premier temps, le Conseil est-il apparu comme un organe régulateur de l'activité
des pouvoirs publics à travers la combinaison des articles 61, 41 et 37, alinéa 2.
La Constitution a en effet défini des domaines d'action séparés pour le
Gouvernement et le Parlement, et le Conseil devait empêcher les empiétements
du législatif sur l'exécutif en déclarant inconstitutionnelles les propositions de loi
déposées par les parlementaires dans des domaines relevant du Gouvernement.
De même, il pouvait autoriser le Gouvernement à modifier par décret une loi
votée par le Parlement dans un domaine qui n'était pas le sien. Le Conseil prenait
figure ainsi de gardien des prérogatives de l'exécutif contre le Parlement, il serait
« un canon braqué contre le Parlement ».
Cette image doit être singulièrement nuancée, car on a assisté dès 1960 à une
extension constante du domaine législatif avec la complicité du Gouvernement
et sous l'œil bienveillant du Conseil. Jusqu'en 1974, en effet, la décision de saisir
le Conseil supposait, en fait (v. supra n 194), l'accord du Gouvernement et
o
celui-ci n'a pas toujours montré beaucoup de zèle à défendre son domaine
réservé. Cette attitude s'explique en premier lieu par des raisons techniques : on
risque de désarticuler une loi, de la rendre incohérente, en en retirant les
dispositions de nature réglementaire. Elle se justifie ensuite politiquement : elle
permet d'ouvrir au Parlement un débat public sur un problème délicat pour ne
pas être accusé de l'avoir réglé sans concertation dans le secret des bureaux.
La réforme de 1974 n'y a rien changé et, bien plus, précision capitale, dans
une décision du 30 juillet 1982 (blocage des prix et des revenus), le Conseil a
décidé que si le Gouvernement n'avait pas lui-même engagé la procédure de
l'article 41 contre une proposition de loi, ou un amendement, empiétant sur son
domaine, les parlementaires ne pouvaient, après le vote, demander au Conseil de
déclarer la loi non conforme à la Constitution. Il appartient au Gouvernement
seul de défendre son domaine. Il n'y est pas obligé, mais s'il le fait, ce doit être
en cours de débat (art. 41) ; une fois la loi votée, il est trop tard, l'article 61 n'est
pas destiné à lui permettre – ou aux parlementaires – de défendre a posteriori la
répartition des compétences. En revanche, le Conseil estime que le législateur
ne peut renoncer au profit du pouvoir réglementaire à des matières qui lui sont
attribuées par la Constitution (v. par ex. 16 janvier 1982, sur les
nationalisations). Aujourd'hui il est parfois considéré que cette évolution va trop
loin. D'une part, le Conseil a considéré qu'à l'occasion de l'examen de la
constitutionnalité d'une loi selon la procédure de l'article 61, il pouvait déclasser
une disposition réglementaire en lui reconnaissant ce caractère. D'autre part, la
révision constitutionnelle de 2008 permet qu'au cours de la procédure non
seulement le Gouvernement mais aussi le président de l’Assemblée saisie
puissent soulever le caractère réglementaire d'une disposition discutée devant le
Parlement, dans le cadre de la procédure de l'article 41 C. C'est une inflexion
sensible en faveur du caractère objectif de la distinction entre le domaine de la
loi et celui du règlement.
Aujourd'hui, le Conseil constitutionnel apparaît de plus en plus comme le
défenseur du Parlement contre un Gouvernement tenté d'abuser des moyens,
procéduraux en particulier, dont il dispose : pouvoir d'amendement par exemple
(décis. du 23 janvier 1987, amendement Seguin).
Comme on le voit, le contrôle du Conseil sur une loi peut se situer dans le
temps à trois moments différents :
— lors de la discussion devant le Parlement : article 41 ;
— après le vote de la loi, mais avant sa promulgation : article 61, alinéa 2 ;
— après la promulgation de la loi : article 37, alinéa 2.
Mais la procédure et la portée de sa décision ne sont pas les mêmes dans
chaque cas.
190. Comment le Conseil a-t-il utilisé ses pouvoirs ? Comment a-t-il compris
son rôle ?
Le Conseil a résumé, dans une décision du 23 août 1985, le principe sur
lequel est fondée sa mission : « La loi (...) n'exprime la volonté générale que
dans le respect de la Constitution ». Cela signifie que la loi n'est pas
automatiquement l'expression de la volonté générale, la volonté du législateur
n'est volonté générale que si elle est conforme à la Constitution. Par ce rappel de
la soumission du Parlement à la Constitution, le Conseil confirme la rupture,
voulue par le constituant de 1958, avec un passé (III et IV Républiques) où ce
e e
principe avait été bien oublié. Aujourd'hui, il n'est de loi que conforme à la
Constitution ; le Conseil est le gardien de cette conformité, mais depuis
cinquante ans ses méthodes se sont perfectionnées alors que parallèlement son
rôle évoluait. On évoquera dans le titre suivant et de manière sommaire sa
jurisprudence s'agissant de la protection des droits et libertés fondamentaux.
191. La multiplication des dossiers qui lui ont été soumis a permis au Conseil
d'affiner ses méthodes.
1 - L'ouverture du contrôle
respecter d'autres textes et des principes qui font corps avec la Constitution et
auxquels le Conseil peut aussi « se référer » pour en imposer le respect au
législateur.
C'est à partir de cette extension des normes de référence que le Conseil
constitutionnel est devenu le gardien des libertés. En effet, le rôle du Conseil
s'est infléchi à partir de 1971. Il fait alors preuve d'audace en se posant en
gardien des libertés, ce qui n'était pas dans l'intention du constituant de 1958.
L'occasion choisie fut en 1971 un projet de loi relatif à la liberté
d'association. Une loi avait été votée à l'initiative du Gouvernement qui modifiait
la procédure de déclaration des associations. La décision du Conseil en date du
16 juillet 1971 est la plus importante qu'il ait jamais rendue. Le Conseil
estime en effet que la Déclaration des droits de 1789 et le Préambule de la
Constitution de 1946 étant visés dans le Préambule de la Constitution de 1958
(« le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de
l'homme (...) tels qu'ils sont définis par la déclaration de 1789, confirmée et
complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 ») le contrôle de la
constitutionnalité doit porter sur la conformité de la loi à ces textes. Par là, il a
étendu d'autant plus largement – le doublant – le champ de son contrôle que les
principes proclamés en 1789 et en 1946 sont souvent vagues et parfois
contradictoires. Bien plus, le second texte se référant aux « principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République », il estime devoir en
assurer également le respect. En l'espèce, le Conseil décida que la liberté
d'association était l'un de ces principes fondamentaux qui s'imposent au
législateur et sanctionna comme inconstitutionnelle l'atteinte qui lui avait été
portée par le Parlement.
De façon non prévue à l'origine, le Conseil est ainsi devenu un gardien des
libertés. Pouvait-il d'ailleurs rester sur le seuil de leur domaine au prétexte
qu'elles ne sont pas énoncées dans le texte même de la Constitution ? Si un
contrôle du législateur se justifie, c'est bien ici. Le Conseil l'a compris et a saisi
la référence du Préambule pour dépasser le rôle d'arbitre des conflits entre
l'exécutif et le législatif et s'affirmer comme un défenseur des citoyens.
Ce nouveau rôle éclipse aujourd'hui, tout en la laissant subsister, sa première
mission.
Ainsi ces normes de référence, très disparates, comprennent :
— la Constitution du 4 octobre 1958,
— la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789,
— le Préambule de la Constitution du 7 octobre 1946,
— la Charte de l'environnement,
— les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (c'est-
à-dire, en réalité, essentiellement de la III République). Aucune liste de ces
e
principes ne figure dans un document à valeur normative, leur contenu est lui-
même incertain ; le Conseil les dégage et les délimite assez librement en
s'appuyant sur la législation républicaine antérieure à 1946. Ils sont au nombre
de onze. Parmi les plus connus on peut citer : la liberté d'association et la liberté
de l'enseignement. Mais le Conseil se montre prudent dans leur reconnaissance,
— les principes de valeur constitutionnelle. À la différence des précédents ils
ne reposent pas sur un texte précis, le Conseil les « découvre » dans l'« esprit »
d'un certain nombre de dispositions. La construction est très audacieuse, le
Conseil y recourt très rarement depuis 1989. Il a cependant procédé ainsi, d'une
manière qui a pu être jugée contestable, s'agissant de la reconnaissance du
principe de non-rétroactivité en matière de rétention de sûreté (décis. 2008-562
DC).
d) Qu'en est-il des autres normes ?
194. Les lois organiques n'ont pas valeur constitutionnelle mais le Conseil les
protège contre les lois ordinaires. La Constitution prévoit en effet qu'une loi
organique est élaborée en suivant une procédure spéciale. Une loi ordinaire
contraire à une loi organique, déférée au Conseil, ne serait pas sanctionnée pour
non-conformité à la loi organique, elle serait déclarée inconstitutionnelle pour
avoir modifié cette dernière sans suivre la procédure prévue pour cela par la
Constitution. Une loi organique ne peut être modifiée que par une loi organique.
Ne font pas partie, non plus, des normes de référence : les traités
internationaux. « Une loi contraire à un traité n'est pas, pour autant, contraire à
la Constitution » (CC, 15 janvier 1975, IVG). Il n'y a pas de « contrôle de la
conventionnaliste », mais le Conseil suggère aux tribunaux ordinaires de s'y
livrer (ce que la Cour de cassation a fait dès 1975, Société Jacques Vabre et le
Conseil d'État en 1989, Nicolo). Les tribunaux ordinaires peuvent donc refuser
d'appliquer une loi si celle-ci est contraire à un traité international. Ceci est
conforme à l'article 55 de la Constitution conférant aux traités une autorité
supérieure à la loi.
On notera aussi que le Conseil se refuse (CC, 10 juin 2004) à contrôler une
loi qui se borne à transposer une directive communautaire (v. infra n 710), sauf
o
2 - L'approfondissement du contrôle
203. Alors que l'État légal traduit une conception politique ayant trait à
l'organisation fondamentale des pouvoirs, l'État de droit vise essentiellement à
assurer la protection des droits des citoyens (R. Carré de Malberg).
Ces droits fondamentaux, notamment constitutionnels – mais il existe d'autres
sources formelles à ces droits fondamentaux, notamment le droit européen –,
irriguent l'ensemble du système juridique, le droit privé comme le droit public.
En effet, en étendant aux droits fondamentaux le champ des normes que le
législateur doit respecter au-delà de la Constitution elle-même, le Conseil a
accru, dans des proportions considérables, le nombre des règles de fond ayant
une valeur constitutionnelle : la loi doit respecter la liberté des citoyens de
s'associer, le pluralisme de l'information, l'égalité des hommes et des femmes,
etc. À l'occasion de lois intervenues dans les différentes branches du droit (pénal,
social, civil, fiscal...), le Conseil a dégagé des règles qui s'imposent au
législateur, il a fait pénétrer le droit constitutionnel dans chaque branche du
droit, il leur donne leurs fondements constitutionnels, par-là il contribue à
l'unification du droit français autour de la Constitution au sens large.
Le développement d'un contrôle a posteriori de la constitutionnalité de la loi
amplifie ce mouvement.