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Préparation

centralisée
des chimiothérapies
Enjeux et perspectives

En partenariat
avec
Entretiens avec sommaire
Françoise Blanc-Légier
Service de Pharmacie,
Institut Sainte Catherine - Avignon Une activité en plein essor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Marie-Laure Brandely
Des contraintes accrues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Service de Pharmacie,
Hôtel-Dieu - Paris
L’incidence des cancers en augmentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Laurent Havard
Service de Pharmacie, Des chimiothérapies de plus en plus nombreuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Hôpital Européen Georges Pompidou - Paris
Une recherche clinique ambitieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Coordination
Une gestion délicate des ressources humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Brigitte Bonan
Service de Pharmacie,
Hôpital Européen Georges Pompidou - Paris Entretien avec le Dr Marie-Laure Brandely . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Des exigences permanentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Assurer la sécurité du personnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Gérer les risques encourus par les patients . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Entretien avec le Dr Françoise Blanc-Légier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Entretien avec le Dr Laurent Havard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Des perspectives encourageantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16


Une activité en plein essor Des contraintes accrues
La préparation et la manipulation de médicaments cytotoxiques ont toujours L’incidence des cancers en augmentation
été des préoccupations constantes au sein des pharmacies hospitalières et des
services de soins. Afin d’améliorer la qualité des préparations administrées aux Aujourd’hui en France, un tiers des décès chez l’homme et un quart des
patients, et la sécurité du personnel infirmier et pharmaceutique, le développement décès chez la femme sont dus aux cancers. Entre 1980 et 2000, le nombre
de la centralisation des préparations de cytotoxiques au sein des pharmacies de cas de cancers a augmenté de près de 60 %. Cette évolution est en partie
hospitalières s’est imposé dans de nombreux établissements et n’a cessé de se due à l’accroissement et au vieillissement de la population mais aussi à une
développer depuis les années 1980 jusqu’à devenir obligatoire dans les centres anticipation des diagnostics liée à l’amélioration des techniques d’exploration
de référence en cancérologie. et au dépistage.
Cette évolution a été favorisée par la mise en place du plan Cancer et confortée En 2005, Plus de 920 000 patients ont été pris en charge pour un
par la réglementation, en particulier le contrat de Bon Usage des Médicaments cancer dans un établissement hospitalier français, ce qui correspond à une
et la circulaire du 22 février 2005 concernant l’organisation des soins en augmentation de 6 % par rapport à l’année précédente.
cancérologie.
Selon cette dernière, en sus de la conformité aux référentiels de Bonnes Pratiques Ensemble des cancers
Cliniques, la préparation des cytotoxiques doit être réalisée dans une unité
spécifique avec isolateur ou hotte à flux laminaire sous la responsabilité d’un Évolution de l’incidence
pharmacien. Hommes : d
 e 96 819 cas en 1990 à 161 025 en 2000
de 302/100 000* en 1990 à 349/100 000* en 2000
En 2005, 38 % seulement des établissements réalisant des chimiothérapies
Femmes : d
 e 73 358 cas en 1990 à 117 228 en 2000
répondaient à cette condition ; la généralisation de cette mesure constitue donc de 196/100 000* en 1990 à 226/100 000* en 2000
un objectif des SROS de 3ème génération.
*Taux standardisé monde
Pour les unités existantes ou à venir, les enjeux sont multiples et de taille face
à des contraintes grandissantes : augmenter la productivité tout en assurant la
sécurité du personnel et des patients, garantir la qualité du médicament, éviter le Des chimiothérapies de plus en plus nombreuses
˝gaspillage“ de produits onéreux et offrir au corps médical et infirmier un service
rendu pharmaceutique efficace.
En 2005, 96 % de plus de 1 500 établissements hospitaliers français
Dans ce contexte, la préparation par anticipation apparaît comme une solution pratiquant une activité de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) prennent en
potentielle pour optimiser l’organisation du travail au sein de ces unités ; elle charge des patients souffrant d’un cancer.
permet de fabriquer des chimiothérapies à l’avance sans avoir à attendre le feu
vert du médecin prescripteur. L’évolution sur 3 ans montre une croissance relative de l’activité cancer
avec une augmentation de 3 % des séances de radiothérapie et de 13 % des
séances de chimiothérapie.
En 2001, l’unité pharmaceutique d’isotechnie et d’oncologie de l’HEGP a
réalisé une étude visant à vérifier la pertinence de la production programmée de Cette croissance d’activité s’est principalement concentrée sur la chimiothérapie
5 FU, molécule stable, peu onéreuse et largement prescrite dans le cadre des (46 % de croissance en volume) et sur la chirurgie (10 % en volume).
protocoles de l’établissement.
Si l’on ajoute à ces chiffres le coût croissant des molécules onéreuses de
Les résultats de ce travail ont confirmé l’intérêt d’une fabrication par anticipation chimiothérapie (croissance de 70 % entre 2003 et 2005 pour les établissements
dans un contexte de production particulièrement exigeant, tant en termes de coût publics et PSPH), il apparaît clairement que la prise en charge du cancer à
que de gain de temps. l’hôpital est en progression rapide en termes de volume d’activité et de coût.

 
Activité par type d’hospitalisation en 2003, 2004 et 2005.
Une recherche clinique ambitieuse
Evolution
2003 2004 2005
2003-2005
Le Plan Cancer prévoit de favoriser la recherche clinique de façon à atteindre
Hospitalisation complète Total MCO 10 793 10 776 10 871 0,7 % le plus rapidement possible l’un de ses objectifs quantifiables : l’inclusion de
(en séjours) Cancérologie 816 483 211 4,2 %
1 162 324 1 184 236 1 211 560 10 % des malades atteints d’un cancer en France dans un protocole d’essai
clinique, d’abord dans les hôpitaux de référence et, à plus long terme, dans
Hospitalisation de jour Total MCO 5 160 843 5 475 594 6 195 547 20,0 %
(en séjours) Cancérologie 542 127 586 630 662 867 22,3 % l’ensemble des structures de soins et des réseaux du territoire national. Cet
objectif ambitieux, essentiel pour maintenir la France au premier rang mondial
Séances de radiothérapie Total MCO 3 743 195 3 912 084 3 851 770 2,9 %
Cancérologie 3 742 819 3 911 887 3 851 570 2,9 %
du développement de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques en
cancérologie, intégrera d’autres objectifs du Plan Cancer, notamment l’accès de
Séances de chimiothérapie Total MCO 1 422 276 1 529 713 1 604 642 12,8 %
Cancérologie 1 421 823 1 529 553 1 604 506 12,8 %
tous les malades aux nouvelles thérapeutiques et leur étroite implication dans le
processus de la recherche.
Autres séances Total MCO 2 675 847 2 675 847 2 754 058 6,7 %
Cancérologie 669 290 599 555 669 290 19,8 % Le pharmacien hospitalier est très impliqué dans l’évaluation des nouvelles
Sources : Bases PMSI MCO 2003, 2004 et 2005 ; Bases SAE 2003, 2004 et 2005 thérapeutiques ou des nouveaux dispositifs médicaux. Il assure la gestion, la
Traitement : Institut National du Cancer, 2007 préparation et le suivi des molécules testées dans les essais thérapeutiques dans
le respect des bonnes pratiques de recherche clinique. Le temps de préparation
de certains essais cliniques peut s’avérer supérieur aux préparations classiques
200 du fait de la nécessité de s’adapter aux conditions particulières de ces essais :
180
160
matériels de préparation et/ou d’administration différents des dispositifs habituels
140 (exemple : cassettes adaptées à certaines pompes de perfusion fournies dans le
120 cadre de l’essai…)
100 133 173 194
80
60
40
20 Une gestion délicate des ressources humaines
0
2003 2004 2005
Depuis 2002, les comptes épargne-temps (CET) sont utilisés dans les
Evolution du volume d’activité de chimiothérapie (Analyse en base 100 en 1999). établissements hospitaliers pour gérer l’application des 35 heures afin de pallier
Cette évolution concerne les chimiothérapies administrées au sein des le manque de personnel (35 000 à 45 000 postes).
établissements de santé, le plus souvent en hospitalisation de jour, mais aussi les Rendu public en juillet dernier, le rapport Acker sur l’utilisation de ces CET chiffre
chimiothérapies administrées à domicile, dans le cadre d’une hospitalisation à à 2,2 millions le nombre de journées accumulées entre 2002 et 2005. Une
domicile (HAD) ou d’un réseau de santé. facture qui sera difficile à honorer en l’absence de réforme !
Le Plan Cancer (mesure 41) prévoit d’ailleurs le développement de ces Ce rapport propose certaines recommandations visant à “rendre la réduction
chimiothérapies à domicile, sous réserve de pouvoir garantir les meilleures du temps de travail effective pour tous sans dégrader la qualité des soins” et
conditions de qualité et de sécurité. insiste “pour que soient réglés en priorité les problèmes de fond concernant
Des recommandations concernant les critères d’éligibilité des patients à une l’organisation des activités et la capacité à maintenir des personnels qualifiés en
chimiothérapie anticancéreuse à domicile ont été édictées par l’ANAES en nombre suffisant“.
septembre 2003 et depuis la loi de santé publique du 9 août 2004, les pharmacies
hospitalières sont autorisées à délivrer des préparations à d’autres établissements Au sein des unités de préparation des chimiothérapies, le manque chronique
de santé ainsi qu’aux professionnels libéraux participant à un réseau de santé. de personnel ainsi que les contraintes de temps inhérentes à l’activité en flux
tendu menacent sans cesse l’équilibre fragile entre la charge de travail et la
En 2002, il y avait 4 739 places autorisées d’HAD, en septembre 2004, capacité de production.
on en comptait 5 718 et au 1er décembre 2005, ce chiffre s’élevait à 6 826,
soit une progression de 44 % entre 2002 et 2005. En 2007, l’objectif était De la même façon, la nécessité de prendre en charge des patients dans un
de 8 000 places et de 15 000 places fin 2010. temps plus limité oblige le personnel infirmier à effectuer de nouvelles tâches

 
visant à assurer la fluidité de l’organisation du travail. Ainsi, dans un service de Entretien avec le Dr Marie-Laure Brandely
jour de chimiothérapie, les infirmières doivent non seulement assurer les soins
(accueil des patients, vérification des constantes, des effets secondaires, pose
de perfusion…), mais aussi obtenir le “OK chimio“ des médecins et ensuite
l’enclenchement de la production des médicaments par la pharmacie et disposer
rapidement des chimiothérapies à administrer… Tout cela exige un travail Comment, au sein de votre unité, arrivez vous en pratique à gérer
supplémentaire de communication avec les différents acteurs du circuit ainsi que l’augmentation constante des demandes de chimiothérapies ?
de logistique et entraîne là encore des répercussions au niveau de l’organisation
des unités de préparation des chimiothérapies. En fait, plus que l’augmentation globale du volume à produire, ce
sont surtout les pics d’activité qui compliquent l’organisation du travail.
En conséquence, le surplus de charge de travail avec un personnel hospitalier
ayant un temps réduit, ainsi qu’une activité médicale avec des pics importants, Préparer 80 chimiothérapies dans une même journée ne constitue
nécessitent un lissage de l’activité pharmaceutique afin que la chimiothérapie pas en soi un problème si cela se fait de façon régulière et continue,
attende le patient et non le contraire… mais peut devenir un vrai cauchemar si la moitié d’entre elles est prescrite
ensemble en fin d’après-midi.
Or, l’organisation des services en hôpitaux de jour impose une pro-
duction en temps réel dans des délais souvent très courts. Le taux d’occu-
pation des lits en hôpital de jour est en constante augmentation et nous
devons faire face à des contraintes horaires d’ouverture et de fermeture
nous obligeant à respecter scrupuleusement les délais afin de ne pas
perturber le fonctionnement du service. Tout retard pris peut avoir des
conséquences économiques et humaines, qu’il s’agisse d’heures supplé-
mentaires pour le personnel ou d’hospitalisation imposée au patient…

Ce problème est-il commun à toutes les Unités de Préparation


Centralisée des Cytotoxiques ?
Très probablement, mais il s’exprime à des degrés divers en fonction
de l’organisation des services et des habitudes des prescripteurs et per-
sonnel infirmier, parfois installés bien avant la création de l’unité et de ce
fait plus difficiles à faire évoluer… Néanmoins cela est possible, ainsi,
dans notre unité, aujourd’hui 70 % des prescriptions sont faites la veille
ce qui représente une nette amélioration par rapport à ce qui se faisait
auparavant…
En revanche, nous fabriquons pour le service d’hématologie des
chimiothérapies dont les protocoles sont plus lourds que ceux d’onco-
logie. Une seule prescription peut donc engendrer un pic d’activité de
production car il faut alors fabriquer parfois jusque 10 préparations dans
un laps de temps réduit.

 
L’organisation n’est-elle pas rendue plus difficile du fait de la multiplicité Ce travail en flux tendu auquel s’ajoute l’application de la réduction
des acteurs impliqués dans l’ensemble du circuit ? du temps de travail n’autorise guère de souplesse dans la gestion des
ressources humaines ?
Bien sûr, mais chaque maillon du circuit est important. La coordi-
nation des différentes étapes rend indispensable une informatisation C’est certain, actuellement notre principal problème concerne
en réseau au sein duquel tous les acteurs doivent rentrer leurs données. le week-end et les jours de semaine après 18 heures. Le samedi, nous
Pour sécuriser toutes les étapes du circuit, de la prescription, à l’admi- avons une petite équipe de garde qui n’est pas uniquement dédiée à
nistration, nous utilisons, comme beaucoup d’autres structures, le logiciel la préparation des chimiothérapies et qui se compose d’un préparateur,
CHIMIO. Lorsqu’un chaînon est manquant c’est toute la mécanique qui d’un pharmacien, de 2 internes en pharmacie le matin et un seul l’après
s’enraye ! Ainsi, pour exemple, si l’infirmière n’administre pas informati- midi de même que le dimanche.
quement une chimiothérapie cela peut bloquer le logiciel et la fabrication
Lorsque cet interne de garde se trouve dans l’obligation de préparer
de la cure suivante n’est pas générée.
en urgence une nouvelle chimiothérapie - pour cause de poche qui fuit
Le bon fonctionnement dépend donc du respect des différentes procé- par exemple - le double contrôle qui permet de garantir une assurance
dures auxquelles les pharmaciens sont habitués, car sensibilisés aux bon- qualité optimale ne peut pas être effectué comme cela est fait les jours
nes pratiques de fabrication, mais les services cliniques un peu moins. de semaine.
Par ailleurs, tout cela exige du temps et la priorité du personnel infirmier,
Pour notre part, nous avons choisi de ne pas confier la fabrication
en sous-effectif constant, est d’améliorer la qualité des soins délivrés aux
des chimiothérapies aux infirmières le week-end. Certaines pharmacies
patients.
le font en utilisant des kits avec matériel de reconstitution en système clos
ce qui limite les risques en évitant tout contact avec le produit.
D’autres établissements conservent des hottes à fabrication au sein
Répondre dans un temps minimum à des prescriptions qui affluent
des services cliniques.
au même moment doit constituer un facteur de stress supplémentaire
pour le personnel… Idéalement, il faudrait plus de personnel pour permettre la production
le week-end au sein de l’unité…
Tout à fait, et à ce titre le développement de la production par an-
ticipation devrait permettre au personnel de travailler plus sereinement.
Le fait de savoir que l’on manipule des produits toxiques, onéreux, et la
crainte d’une possible erreur pouvant être lourde de conséquences pour Qu’en est-il de la production pour l’HAD dont le développement est
le patient constituent déjà des facteurs de stress majorés par la production un des objectifs du Plan Cancer ?
en flux tendu.
Dans l’état actuel des choses, cette production n’est pas encore ef-
D’ailleurs, il n’est pas rare que certains manipulateurs, voire même fective chez nous. Beaucoup de difficultés persistent parmi lesquelles les
des internes, souhaitent ne plus travailler à la préparation des chimio- problèmes de financement et les interrogations sur les responsabilités ad-
thérapies. Si on ajoute à cela les contraintes de la législation du travail ministratives, médicales et pharmaceutiques.
inhérentes aux risques d’exposition à des agents toxiques, je pense en
particulier aux femmes enceintes car notre personnel est très majoritaire- Les moyens techniques existent, mais leur mise en œuvre nécessite
ment féminin, toutes les conditions d’un “turn over” important de person- des ressources humaines supplémentaires en termes de préparateurs et
nel sont réunies ce qui bien évidemment ne facilite pas l’organisation du de pharmaciens. Il faudra en effet organiser un système de veille pharma-
travail et nous oblige à recruter et par conséquent à former régulièrement ceutique pour répondre à toutes les questions que pourront être amenés
de nouvelles personnes, ce qui prend du temps et coûte de l’argent. à poser les médecins traitants et les infirmières administrant les chimiothé-
rapies… Sont également encore en suspens les questions du transport à
domicile qui doit être rapide, sécurisé, et respecter la chaîne du froid,
ainsi que du traitement des déchets. L’INCA élabore actuellement des
recommandations sur ces sujets ainsi qu’une charte décrivant les enga-
gements des professionnels de santé impliqués dans l’administration des
chimiothérapies à domicile.

 
Sans aucun doute, c’est une évolution dont il faudra tenir compte Des exigences permanentes
dans un avenir proche et tous les moyens possibles permettant d’optimiser
notre production devront être mis en oeuvre. Garantir la sécurité des personnes et la qualité des activités des établissements
de santé est un objectif constant des politiques de santé. L’Etat a fortement affirmé
sa volonté d’améliorer la sécurité sanitaire, notamment à travers de la loi de
sécurité sanitaire (1998) et la loi relative aux droits du malade et à la qualité du
La préparation de chimiothérapies dans le cadre d’études cliniques système de santé (2002). La lutte contre les accidents iatrogènes évitables est
a-t-elle une incidence particulière en termes de charge de travail ? depuis plusieurs années une priorité de santé publique.
Oui, car les temps de procédures de préparation sont plus longs. La préparation des chimiothérapies est guidée par une préoccupation
La sécurité des patients et la qualité requise des essais nécessitent des essentielle : la sécurité, à la fois pour les malades qui reçoivent les médicaments
mesures spécifiques concernant la présentation des produits administrés, et pour le personnel qui les manipule et les administre. Un équipement adapté,
leur stockage différencié et confidentiel par protocole, le matériel une formation spécifique du personnel et le respect de procédures rigoureuses
d’administration... Le suivi est très important, il faut veiller à bien respecter sont indispensables pour pratiquer cette activité en toute sécurité.
la méthodologie en aveugle…
Tout cela implique également de former le personnel.
Assurer la sécurité du personnel

Selon le décret du 1er février 2001 établissant les règles particulières de


prévention des risques cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction
La production par anticipation que vous évoquiez précédemment
et modifiant le code du travail :
apparaît être un bon moyen d’optimiser l’organisation, quels sont
les freins actuels à son développement ? • un travailleur ne peut être affecté à des travaux l’exposant à un agent
cancérigène, mutagène ou toxique pour la reproduction que s’il a fait
Il s’agit principalement des problèmes de stabilité des produits, de
l’objet d’un examen préalable par le médecin du travail et si la fiche
standardisation des doses et d’une nécessaire planification rigoureuse
d’aptitude atteste qu’il ne présente pas de contre-indication médicale à
et à l’avance des cures de chimiothérapies en collaboration avec les
ces travaux ;
services prescripteurs.
• les femmes enceintes et les femmes allaitantes ne peuvent être affectées
ou maintenues à des postes de travail les exposant à des agents avérés
toxiques pour la reproduction.
D’autres moyens sont-ils envisageables ?
Depuis un an, nous assistons au développement d’automates de fa- En septembre 2006, l’Afssaps a publié un nouveau texte concernant les
brication ainsi que de matériels d’administration conçus pour faciliter la bonnes pratiques de préparation. Ce texte, mis en enquête publique dans le
tâche du personnel et donc permettre par un gain de temps l’augmenta- courant de l’année 2007, précise les directives relatives à la manipulation des
tion de la productivité. médicaments cytotoxiques et dangereux.

Gérer les risques encourus par les patients


Propos recueillis par le Dr Pascale Lefèvre
Depuis 6 ans, pas moins de 4 lois sur les vigilances, le signalement et la
réduction des risques ont été publiées :
• la loi de sécurité sanitaire du 1er juillet 1998 relative au renforcement
de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits
destinés à l’Homme ;

10 11
• la loi sur les droits des patients du 4 mars 2002 exigeant une complète Entretien avec le Dr Françoise Blanc-Légier
transparence vis-à-vis des patients en cas d’incident ;
• la loi de santé publique du 9 août 2004 qui demande une réduction de
la iatrogenèse évitable de 30 % et une obligation de signalement des
événements indésirables graves liés aux soins ; Aujourd’hui, les pharmacies hospitalières doivent travailler
• la loi d’Assurance Maladie du 13 août 2004 instituant la création d’un dans un contexte d’exigence et de transparence accrues face à des
Observatoire des risques médicaux au sein de la Haute Autorité de contraintes inévitables : l’augmentation constante des demandes
Santé. de chimiothérapies et surtout les fluctuations très importantes de la
charge de travail dans la semaine et dans une même journée. Il y a
La circulaire DHOS du 29 mars 2004 relative aux recommandations pour
donc un aspect quantitatif mais également qualitatif car la validation
la mise en place d’un programme de gestion des risques dans les établissements
pharmaceutique reste la même, il faut garantir la traçabilité des
de santé appuie cette politique.
produits et en minimiser en permanence les pertes compte tenu de
leur caractère souvent très onéreux.

Les conséquences de cette évolution sont d’autant plus


importantes que le nombre de préparations est élevé et posent de
sérieux problèmes en termes de gestions des ressources humaines.
Ainsi, dans notre unité, nous fabriquons 30 000 préparations
par an et disposons de 6 préparateurs à l’Unité de Reconstitution
Centralisée. En pratique, entre les congés divers et les vacances...il
en manque toujours un. La production dans le cadre d’essais cliniques
constitue également une charge très “chronophage” et à laquelle est
d’ailleurs dédié un préparateur travaillant bien sûr sous le contrôle
d’un pharmacien. Enfin, même si actuellement notre production pour
l’HAD est très modeste, son développement dans un avenir proche
paraît inévitable.

Dans le climat économique actuel et compte tenu de l’insuffisance


des crédits alloués, on ne peut guère espérer une augmentation des
effectifs.

Rationaliser la production en utilisant tous les moyens possibles


est donc devenu indispensable et urgent pour réussir à gérer au mieux
l’adéquation de la charge de travail et les ressources humaines tout
en respectant les contraintes de sécurité et d’assurance qualité.

12 13
Entretien avec le Dr Laurent Havard Ce dernier point est un paramètre majeur dans la production par anti-
cipation. A ce titre, nous avons, au sein d’un groupe d’experts, établi des
critères d’exigence d’analyse d’articles scientifiques et à ce jour après
Au sein de l’unité de contrôle, nous sommes confrontés, comme à la revue de la littérature sélectionnée, sur les 45 molécules les plus fréquem-
production, à des afflux de demandes qu’il nous faut gérer très rapide- ment étudiées, nous avons sélectionné 35 molécules dont les caractéristi-
ment, en quelques minutes. Idéalement, il faudrait pouvoir “lisser” cette ques de stabilité sont compatibles avec une fabrication anticipée.
activité. Cette contrainte de temps constitue d’ailleurs une inquiétude per-
manente pour le personnel et, afin d’alléger ce stress, nous veillons à
Toujours dans la perspective d’optimiser la productivité, la prépara-
ce que chacun ne travaille jamais une journée entière au contrôle des
tion de doses standardisées s’inscrit dans une logique non seulement de
chimiothérapies mais uniquement par demi-journée.
fabrication mais aussi médicale - on dispose aujourd’hui de formes orales
d’anticancéreux à doses fixes permettant d’ajuster les posologies - et éco-
Même si les méthodes d’analyses que nous avons mises au point nomique en permettant de réduire les pertes liées à la non administration
ont été conçues afin de rendre un résultat en 3 à 4 minutes pour ne pas des préparations, certes faibles mais difficilement acceptables dans le
retarder la mise à disposition et la dispensation des produits, les exigen- contexte économique hospitalier actuel.
ces renforcées relatives au contrôle (Bonnes Pratiques de Préparation)
nécessitent des investissements en termes de personnel et de matériel,
Le statut de préparation magistrale passerait à celui de préparation
difficilement envisageables sur le plan économique. Nous n’avons donc
hospitalière fabriquée sans ordonnance mais dispensée après prescrip-
pas d’autre solution que d’optimiser notre organisation.
tion, et cependant fabriquée dans un cadre d’assurance qualité parti-
culièrement rigoureux et dont le niveau de qualité est objectivé par un
La production par anticipation permet d’envisager, sans atteindre le contrôle physicochimique performant.
feu vert du médecin prescripteur, la fabrication, le contrôle et l’achemine-
ment des chimiothérapies.

Au niveau du contrôle, elle permettrait, sans augmenter les effectifs,


de gagner en fluidité dans l’organisation car les chimiothérapies fabri-
quées à l’avance pourraient être traitées en milieu et en fin de journée. La
programmation de l’automate pour une analyse des échantillons durant
la nuit libèrerait du temps dans la journée pour la machine et pour le
personnel qui pourrait plus facilement se consacrer aux chimiothérapies
fabriquées après le “OK chimio” du prescripteur.

Par ailleurs, les chimiothérapies fabriquées à l’avance seraient autant


de chimiothérapies en moins à préparer au fur et à mesure des “OK
chimio”…

La surcharge de travail liée à la gestion des protocoles d’essais clini-


ques pose moins de problème en matière de contrôle que de production
car une chimiothérapie, qu’elle fasse l’objet ou non d’un essai clinique,
doit être contrôlée de la même façon. Néanmoins, mathématiquement,
plus il y a d’essais cliniques plus notre charge de travail quotidienne
s’alourdit. De plus, nous poursuivons au laboratoire de contrôle une
activité de recherche et développement dont l’objectif est d’améliorer
l’assurance qualité et qui exige également du temps. Nous travaillons
principalement sur l’optimisation des systèmes de prélèvement et sur la
stabilité des produits.

14 15
Des perspectives encourageantes Bibliographie

Plusieurs pistes visant à améliorer la productivité tout en tenant compte des •C


 irculaire n° DHOS/SDO/2005/101 du 22 février 2005 relative à l’organisation
contraintes et exigences précédemment évoquées sont actuellement à l’étude. des soins en cancérologie
On assiste en particulier au développement d’automates de préparation des • R apport sur les comptes épargne temps des personnels médicaux et non médicaux
chimiothérapies en optimisant les conditions de stérilité, de traçabilité et de dans les établissements publics de santé. Paris Ministère de la santé, de la jeunesse et
sécurité tant pour les patients que pour les préparateurs. des sports ; 2007 ; 82 pages.
Parallèlement, la standardisation des doses (dose-banding), axe de •A
 NAES Critères d’éligibilité des patients à une chimiothérapie anticancéreuse à
recherche particulièrement développé par les anglo-saxons, pourrait faciliter domicile. Septembre 2003.
l’analyse des prescriptions, limiter les erreurs de préparation, optimiser le système
d’assurance qualité, faciliter la mise à disposition du traitement par le biais d’une •A
 fssaps. Les Bonnes Pratiques de Préparation en Etablissements de Santé, en
production par anticipation et réduire les pertes liées à la non administration des Etablissements Médico-Sociaux et en Officines de pharmacie. 26 septembre 2006.
produits. • Bilan Plan Cancer 2003-2007. Mission Interministérielle pour la lutte contre le Cancer
Enfin, la production par anticipation a pour objectif de permettre l’équilibre
• L’organisation des soins en cancérologie en application du plan cancer 2003-2007.
entre charge de travail et capacités de production, tout en respectant l’assurance Rapport du groupe de travail DHOS. Ministère de la santé et de la protection sociale.
qualité et le ratio coût/gain de temps. Avant d’envisager la production anticipée Septembre 2004.
d’un médicament anticancéreux, il est donc indispensable d’en déterminer
l’éligibilité non seulement sur la base de ses constantes de stabilité, mais aussi • J. Fellous-Jerome, B. Bonan, M. Rigal, L. Azieu, C. Jacquot. Optimisation de la
en fonction de son coût et de son volume à produire. production de 5-Fluorouracile. Gestions hospitalières. 2003 : 48-50.

Selon les contraintes inhérentes à chaque unité de fabrication, les décideurs •A


 ssistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Plan cancer et Pharmacies. Gestions
auront un choix calculé à faire en tenant compte du poids respectif de chacun de hospitalières. Mars 2006 : 681-90.
ces critères et à ce titre la mise au point d’un outil d’aide à la décision pourrait
• Loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
leur faciliter la tâche. système de santé
De fait, une réflexion et un travail de collaboration ont été engagés par des
• Loi 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
pharmaciens hospitaliers avec l’Ecole Centrale de Paris permettant l’élaboration
d’un logiciel de choix multicritère de médicaments anticancéreux à fabriquer par
anticipation.

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