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Nom 

: Ali
Prénom : Kenza
Le texte à commenter : Groupe : 01

À part ces ennuis, je n'étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois,
était de tuer le temps. J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où j'ai
appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en
imagination, je partais d'un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce qui
se trouvait sur mon chemin. Au début, c'était vite fait. Mais chaque fois que je
recommençais, c'était un peu plus long. Car je me souvenais de chaque meuble, et,
pour chacun d'entre eux, de chaque objet qui s'y trouvait et, pour chaque objet, de tous
les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bord
ébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j'essayais de ne pas perdre
le fil de mon inventaire, de faire une énumération complète. Si bien qu'au bout de
quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu'à dénombrer ce qui se trouvait
dans ma chambre. Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et oubliées
je sortais de ma mémoire. J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul
jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs
pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage.
Il y avait aussi le sommeil. Au début, je dormais mal la nuit et pas du tout le jour.
Peu à peu, mes nuits ont été meilleures et j'ai pu dormir aussi le jour. Je peux dire que,
dans les derniers mois, je dormais de seize à dix-huit heures par jour. Il me restait alors
six heures à tuer avec les repas, les besoins naturels, mes souvenirs et l'histoire du
Tchécoslovaque.
Entre ma paillasse et la planche du lit, j'avais trouvé, en effet, un vieux morceau de
journal presque collé à l'étoffe, jauni et transparent. Il relatait un fait divers dont le
début manquait, mais qui avait dû se passer en Tchécoslovaquie. Un homme était parti
d'un village tchèque pour faire fortune. Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu
avec une femme et un enfant. Sa mère tenait un hôtel avec sa sœur dans son village
natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre
établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par
plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans
la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et
avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans
le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La sœur s'était jetée dans un
puits. J'ai dû lire cette histoire des milliers de fois. D'un côté, elle était invraisemblable.
D'un autre, elle était naturelle. De toute façon, je trouvais que le voyageur l'avait un
peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer.
Ainsi, avec les heures de sommeil, les souvenirs, la lecture de mon fait divers et
l'alternance de la lumière et de l'ombre, le temps a passé. J'avais bien lu qu'on finissait
par perdre la notion du temps en prison. Mais cela n'avait pas beaucoup de sens pour
moi. Je n'avais pas compris à quel point les jours pouvaient être à la fois longs et
courts. Longs à vivre sans doute, mais tellement distendus qu'ils finissaient par
déborder les uns sur les autres. Ils y perdaient leur nom. Les mots hier ou demain
étaient les seuls qui gardaient un sens pour moi.
Albert Camus, L’étranger. Roman (1942)
Partie deux-ChapitreⅡl’attente du procès de Meursault
XXe siècle L’absurde
(P115-P118)
Le commentaire :

En 1942, l’écrivain Albert Camus avait divulgué son premier roman intitulé « L’étranger »
Cet œuvre nous emmène dans l’univers de l’absurde XXe siècle (seconde guerre mondiale)
d’ailleurs considérée comme "le roman de l'absurde" où l’écrivain raconte l’absurdité du
monde qui se révèle à un homme « Meursault » qui n’a jamais trouvé de sens à l’existence,
mais qui se trouvait plutôt étranger à soi-même, au monde et à la société.
L’extrait qui nous occupe appartient à la deuxième partie, chapitre Ⅱ « L’attente du procès »
de Meursault qui voyait sa condamnation à mort se dessiner au fil des jours.
Problématique : Comment cet extrait illustre-il la notion du temps chez Meursault ?
D’abord, la simplicité et le naturel du ton choisi par Camus désigne l’imperturbabilité du
personnage principale. Un vocabulaire simple, une série de phrases longues et courtes,
focalisation interne, enchainement des idées (souvenir, imagination, lecture) et beaucoup de
répétition également. Tout cela en étant toujours sur le même ton.
Ce roman est une sorte de diariste d’un personnage qui est indifférent à tel sentiment ou telle
émotion, c’est d’où la simplicité et le naturel domine dans l’œuvre en montrant que le héros
est déroutant, passif, qui se raconte sans jamais essayer de se justifier ni s’expliquer sur ses
agissements.
Pour Meursault rien ne pourrais le rendre mélancolique, il n’éprouvait pas grand-chose face à
son destin : "A part ces ennuis, je n’étais pas trop malheureux". En revanche son unique
problème était de "tuer le temps" en vue de s’échapper à l’ennui, d’ailleurs le champ lexical
lié a l’ennui est assez présent : "tuer le temps", "s’ennuyer", "six heures à tuer"…
Malgré son style d’écriture marqué par la simplicité, il n’est pas évident de saisir correctement
le sens du roman où l’effet de l’insolite prend le dessus.
Ensuite, on voit que le personnage cherchait à trouver des occupations et son premier
refuge était « le souvenir » : "me souvenir", "penser", "imagination", "souvenais", "pas perdre
le fil", "réfléchissais", "mentalement", "mémoire", "souvenir". Les souvenirs qui revenaient
au narrateur était masqués il fallait s’acharner presque comme dans les math : "dénombrant",
"énumération", "inventaire"… Et ça l’aider ainsi à combattre l’oubli.
Comme le souvenir, le sommeil était également son moyen pour combattre le dégoût :
"sommeil", "dormir", "dormais", "heures de sommeil"…
On voit un effet de gradation de sommeil "Au début, je dormais mal", "Peu à peu, mes nuits
ont été meilleures", "dans les derniers mois, je dormais de seize à dix-huit heures par jour" le
personnage passe son temps à dormir donc à rêver et à imaginer.
Quant au fait divers trouvé par le narrateur dans un vieux papier journal est un fait
mystérieux : "vieux morceau", "jauni", "transparent". Il s’agissait de l’histoire d’un homme
qui a fait fortune et revient des années après avec une femme et un enfant en voulant
surprendre sa mère et sœur, il cacha son identité, sa mère et sa sœur le tuent pour son argent.
La femme de l’homme leur apprend qui il était, mère et sœur se suicident. Ici un simple
lecteur prend comme moralité de l’histoire que l’humain est mauvais, tuer un étranger semble
normal mais se culpabiliser s’il s’agissait d’un proche. Quant au narrateur il jette la faute sur
l’homme "il l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer" comme quoi qu’on est toujours
un peu fautif. Ce fait divers l’aider à tuer le temps d’une part en réfléchissant à l’histoire et
d’autre part en la lisant des milliers de fois.
En somme, le temps est le centre de cet extrait, au commencement le narrateur se plaint et
attends la fin : "tuer le temps" puis il occupa son temps au fur et à mesure : "quelques
semaines", "des heures", "peu à peu"…
Au début du texte : « il faut tuer le temps », à la fin « le temps a passé »
En définitive, on confirme les deux points centraux du texte : la simplicité du style qui
reflète typiquement le sang froid de l’auteur face à son sort comme s’il n’était pas le concerné
mais plutôt qu’un simple spectateur, et son unique intention qui consiste à tromper son ennui.

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