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Commentaire L’Etranger, Albert Camus de « Quand je suis entré en prison » à « Dans

un sens, c’était un avantage ».

Meursault, le narrateur, se laisse entraîner dans une histoire de vengeance qui le conduit
à tuer un homme. Il est aussitôt mis en prison.

1 Quand je suis entré en prison, on m'a pris ma ceinture, mes cordons de souliers, ma
cravate et tout ce que je portais dans mes poches, mes cigarettes en particulier. Une
fois en cellule, j'ai demandé qu'on me les rende. Mais on m'a dit que c'était défendu.
Les premiers jours ont été très durs. C'est peut-être cela qui m'a le plus abattu. Je
suçais des morceaux de bois que j'arrachais de fa planche de mon lit. Je promenais
toute la journée une nausée perpétuelle. Je ne comprenais pas pourquoi on me privait
de cela qui ne faisait de mal à personne. Plus tard, j'ai compris que cela faisait partie
5 aussi de la punition. Mais à ce moment-là, je m'étais habitué à ne plus fumer et cette
punition n'en était plus une pour moi.

A part ces ennuis, je n'étais pas trop malheureux. Toute la question, encore une fois,
était de tuer le temps. J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir de l'instant où
j'ai appris à me souvenir. Je me mettais quelquefois à penser à ma chambre et, en
imagination, je partais d'un coin pour y revenir en dénombrant mentalement tout ce
qui se trouvait sur mon chemin. Au début, c'était vite fait. Mais chaque fois que je
recommençais, c'était un peu plus long. Car je me souvenais de chaque meuble, et,
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pour chacun d'entre eux, de chaque objet qui s'y trouvait et, pour chaque objet, de
tous les détails et pour les détails eux-mêmes, une incrustation, une fêlure ou un bord
ébréché, de leur couleur ou de leur grain. En même temps, j'essayais de ne pas perdre
le fil de mon inventaire, de faire une énumération complète. Si bien qu'au bout de
quelques semaines, je pouvais passer des heures, rien qu'à dénombrer ce qui se
trouvait dans ma chambre. Ainsi, plus je réfléchissais et plus de choses méconnues et
oubliées je sortais de ma mémoire. J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu
qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de
souvenirs pour ne pas s'ennuyer. Dans un sens, c'était un avantage.

Introduction :

L'Etranger est un roman d'Albert Camus publié en 1942 la même année que le mythe
de Sisyphe dont il reprend sous forme romanesque le thème de l'absurde. Meursault le
narrateur vit à Alger au temps de l'Algérie française. Il retrace son existence mécanique. Il
vit dans une espèce d'indifférence face à tout ce qui lui arrive comme la mort de sa mère
ou le meurtre de l'arabe ou son procès et même sa condamnation. Il se comporte comme
si la vie n'avait pas de sens. Dans cette scène on assiste à la mise en application de cette
indifférence lors de son arrivée à la prison et nous nous demanderons comment le texte
parvient à rendre compte de l'absurdité de la situation. Dans une première partie nous
analyserons la monotonie de la vie du personnage, puis dans une 2e partie nous
montrerons que le prisonnier tente, malgré tout, de s'adapter à sa situation
d'emprisonnement

I/ Une vie monotone

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Meursault parle à la première personne et raconte un moment de sa vie où il est
emprisonné après avoir tué un homme. L'attitude du personnage est déroutante car il ne
parle jamais de l'acte qui l'a conduit en prison et la seule narration qu'il fait renvoie à la
monotonie de sa vie Du fait d'une part de sa solitude mais aussi de la répétition des actes
qu'il s'impose.

a. Un personnage solitaire

Tout d'abord on peut constater une narration à la première personne. En effet le


narrateur utilise une multitude de pronoms personnels et de déterminants à la première
personne du singulier comme je me ma mais. On peut comptabiliser 10 occurrences dans
les 2 premières lignes. Ainsi tout passe par la pensée du personnage. Pourtant le prisonnier
n'est pas seul, il a des interlocuteurs qu’il englobe sous la forme impersonnelle ont qui
revient elle aussi à de nombreuses reprises comme « on m'a pris qu'on me les rende » « on
m'a dit » ou « on me privait ».

Cette accumulation accroît le sentiment de solitude du personnage ainsi que de son


désintérêt pour tout ce qui l'entoure. Il se montre incapable d'identifier un gardien plutôt
qu'un autre d'autant plus que dès le 2e paragraphe ce semblant de liens avec l'extérieur
disparaît complètement pour laisser le personnage seul avec ses pensées point comme si
le fait de ne plus se sentir puni par la privation de cigarettes occultait son emprisonnement.

b. Soumission à l’autorité

Pourtant l'homme aurait pu se révolter tel Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-
Cristo mais il se contente d'exposer les faits on peut citer « les premiers jours ont été très
durs » ou « je ne comprenais pas tout » cela sans laisser paraître d'états d'âme. On peut
même lire une certaine forme de soumission à l'autorité. Il ne cherche en fait qu'à calmer
le manque que provoque en lui l'absence de cigarettes, son attitude paraît absurde au vu
de la punition bien plus grande qu'il attend dans son meurtre et dont il ne semble pas se
préoccuper. Il cherche surtout, écrit le narrateur, à « tuer le temps ». On notera l'ironie de
cette expression qui renvoie à l'incompréhension du personnage et à son décalage
permanent avec la réalité. Camus rend parfaitement compte de cet éloignement des choses
en utilisant des phrases courtes, souvent juxtaposées où coordonnées Il n'y a pas de
discours logique, aucune construction, ni explication, comme si le prisonnier n'avait pas
vraiment conscience de l'origine de ces phrases et qu'il parlait en même temps qu'il pensait.
Cette solitude du personnage le conduit à devenir totalement étranger au monde qui
l'entoure. Il s'agit d'un rapport au temps particulier.

La chronologie perd ses repères, les événements se succèdent, mais le temps n'est pas
marqué de façon précise. Ainsi dès le début on ignore quand exactement il est entré en
prison. On sait juste que ce moment marque son entrée dans un autre univers. Puis les
événements se succèdent de façon elliptique et on retrouve le personnage « une fois en
cellule ». La locution adverbiale « plus tard » Ne précise pas le temps qui s'est écoulé avant
que le prisonnier cesse de se sentir privé de cigarettes. Le paragraphe se conclut par un à
ce moment-là qui clôt le premier cycle et on ouvre un 2e, celui où il va chercher à « tuer le
temps ». Il va finir par ne plus s'ennuyer. La nouvelle action liée à son travail de la mémoire
va elle aussi être encadrée par un début peut-on dire et par une fin: au bout de quelques
semaines est-il écrit. Meursault est donc comme retranché de la vie,il sort du déroulement

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du temps, qui n'est plus marqué que par ses propres actes. Initialement, avant d'être en
prison, Meursault vivait la vie comme une espèce de routine ou de répétitivité. Son début
d'expérience en prison a rompu cette monotonie, ce qui l’a « abattu ». De nouveau il ne
parvient pas à comprendre ce qui lui arrive. Mais très vite, il va trouver des repères et
réinventer une routine marquée dans le texte par la répétition du mot « chaque ». Il se
comporte comme si la vie se résumait à se répéter interminablement. Il n'a aucune
conscience de l'absurdité et de sa position et de son occupation.

Transition : Meursault est un personnage déroutant car le lecteur ne peut se retrouver


dans son attitude et sa réaction face à son emprisonnement. L'ennui et la monotonie se
dégagent du texte, mais sans que le personnage paraisse en souffrir point au contraire, c'est
ce qui lui permet d'oublier la punition et de tuer le temps. Il est pourtant passé par une
phase d'adaptation avant de découvrir le jeu de la mémoire.

II/ Une adaptation particulièrement étrange à la situation.

a. Un personnage en quête d’une adaptation illusoire


Après un meurtre, le personnage est envoyé en prison. Or il ne comprend pas la punition qui
lui est imposée, mais ils s'en accommodent en cherchant à combattre sa nausée perpétuelle,
allant même jusqu'à sucer des morceaux de bois qu'il arrachait de la planche de son lit. La
juxtaposition des deux expressions contradictoires « je ne comprenais pas » et « plus tard j'ai
compris » renforce la sensation de soumission qui se dégage du personnage, ainsi que son
adaptation quant au monde qui l'entoure. À la fin du texte on retrouve de nouveau « j'ai
compris » comme si c'était un passage obligé pour lui de chercher à comprendre pour accepter.
Il s'agit d'une logique propre au personnage… La logique de Meursault est différente de celle
d'un personnage banal. Ainsi le prisonnier de Victor Hugo à conscience qu'il est condamné à
mort, alors que Meursault n'en parle même pas. Il envisage cela comme une punition, comme
on punirait un enfant pour une bêtise qu'il a faite et qu'il doit accepter. Aucune révolte ne jaillit
de sa façon de vivre son emprisonnement poids la privation dont il a été victime fait partie des
« ennuis » peut-on lire de sa vie mais ne le traumatise pas. Même, il trouve une occupation,
par le biais de sa mémoire, qui lui procure une sorte de plaisir, puisqu'on peut lire « j'ai fini par
ne plus m'ennuyer du tout », si tenté que le plaisir puisse exister pour ce personnage.

b. L’imagination au secours de l’inadaptation.

En fait, le prisonnier parvient à tuer le temps en se réfugiant dans ses pensées et dans sa
mémoire. On peut relever toutes les occurrences qui ont rapport avec ce fonctionnement
interne comme souvenir où penser ou bien encore imagination où mentalement je me
souvenais je réfléchissais ou enfin mémoire. On voit ainsi que toute la 2e partie du texte est
exclusivement consacrée aux pensées du personnage à son repli sur lui-même.

Pourtant, malgré le jeu utilisé qui devrait permettre l'exploration de l'intimité, Meursault
narrateur tient à distance morceau héros, comme s'il s'agissait d'une autre personne. La fin de
son raisonnement tient presque de l'aphorisme. En effet, le terme « homme » semble
généraliser son cas particulier à l'ensemble de l'humanité point cette généralisation déroute le
lecteur car les intentions demeurent sault demeurent opaques. La vie intérieure du héros reste
secrète malgré la multitude de détails sur ces souvenirs. Son rapport à la mémoire et à
l'imaginaire est très étrange. Il se réfugie dans un appel à sa mémoire d'abord superficiel
puisqu'il est écrit au début « c'était vite fait » puis depuis de plus en plus fouillé. Alors que son

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but initial était de tuer le temps, il finit par se passionner pour une énumération complète des
objets de sa chambre. Sa remémoration est de plus en plus précise, comme un zoom au cinéma.
Il revoit d'abord peut-on lire tout ce qui se trouvait sur son chemin, puis les objets sur les
meubles, puis les détails des objets, puis les incrustations sur les détails. Par cette figure
d'insistance, l'énumération de tout ce qu'il revoit par son souvenir, l'auteur cherche à accentuer
l'effet d'abondance et de profusion. Cela met aussi en perspective l'effervescence intellectuelle
du personnage, qui s'enflamme pour un simple exercice de mémoire. Le décalage entre
l'intérêt de la chose et l'exaltation, relative, du personnage rend la situation absurde aux yeux
du lecteur.

On peut considérer qu'en rentrant ainsi au fond des choses, et en parvenant à les mémoriser,
Meursault ne fait pas que « « tuer le temps », il réinvente une vie puisqu'il parvient à se
souvenir de « choses méconnues et oubliée. ». Au final, l'absurde de la situation éclate aux yeux
du lecteur lorsque le personnage parvient à la conclusion que « c'était un avantage ».

Meursault demeure un personnage positif dans la mesure où il prend du bon côté tout ce qui
lui arrive. Cependant on peut douter de sa capacité à prendre conscience de la réalité. Ainsi le
fait de se raccrocher à sa mémoire et à l'exploration mentale de sa chambre lui permet
d'oublier, ou tout au moins d'occulter, la raison qui le fait demeurer en prison.

Conclusion :

Pour conclure, nous pourrons relever que Meursault est un personnage sans relief. Il n'existe
que par et pour le temps présent, il ne sait pas de se projeter dans le futur. Au fil du texte, la
prison disparaît, le temps devient confus .Sa mémoire prend le relais de sa conscience, de la
réalité; il se protège du milieu hostile de la prison en se transposant dans sa chambre, qu'il
recrée de mémoire avec une très grande précision. Rien de ce qu'il fait ne semble prémédité.
La situation, le risque de mort qu'il encourt, ne le touchent pas, il n'a aucune conscience de son
environnement humain, spatial où temporel. Meursault est un personnage absurde, auquel le
monde échappe. Il apparaît au lecteur comme étranger et à l'univers des hommes, parce qu'il
ne réagit pas comme on l'attendait.

Cécile Caure 4

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