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Devoir de fin de séquence sur le théâtre :

RACINE, Bérénice (1670)

avec le texte Bérénice ainsi que les cours.

Question posée : "Titus m'aime, il peut tout,


il n'a plus qu'à parler". Est-ce si simple ?

Appuyez-vous, a minima, pour répondre de manière construite,


argumentée et illustrée, sur les cours réalisés en classe et mis à
votre disposition. Vous pourrez également faire appel à votre
lecture personnelle de l'œuvre au moyen d'exemples que vous
aurez repérés par vous-même.

Durée totale, répartie sur deux séances successives : 3h30


Coefficient 1, notation /20
Compte pour le semestre 1.

Critères de réussite

→ Un travail rédigé.
→ Un travail qui s’appuie sur l’œuvre Bérénice
→ Un travail qui utilise tous les cours réalisés (sur Antiochus, sur
Bérénice et sur Titus)

Vous pourrez adopter le schéma de réponse suivant :

→ Présentation synthétique de la pièce et de son enjeu selon vous,


→ Explicitation et discussion de la question posée
→ Réponse en plusieurs arguments, progressifs, expliqués,
illustrés par le texte et votre analyse.
→ Conclusion avec bilan et ouverture.
Question de réflexion de fin de séquence sur le théâtre :
Bérénice
« Titus m’aime, il peut tout, il n’a plus qu’à parler. » Est-ce si simple ?

Points d’appui
 I, 4 (Antiochus à Bérénice)
 I, 5 (hypotypose de Bérénice)
 IV, 5 (Titus à Bérénice)

Introduction

Racine présente, dans sa préface, la tragédie qui l’installe définitivement comme le


dramaturge à succès, Bérénice, comme la pièce de la simplicité : de l’intrigue
(histoire de rupture), des émotions (amour, dépit, jalousie) et du schéma (un trio
amoureux).

Elle déclare même à l’acte I sc. 5 « Titus m’aime, il peut tout, il n’a plus qu’à parler ».

Est-ce si facile ? Titus n’est-il mu que par le sentiment amoureux, dans la mesure où
le prince (la pièce insiste bien sur les « cinq ans » qui se sont déjà écoulés) du début
n’est plus le même que celui qui sera bientôt couronné empereur ? Titus est-il vraiment
le monarque omnipotent, omniscient, implacable qu’il dit ou voudrait être à la suite de
son père Vespasien ? Est-il pensable, en plein siècle qui pense les passions
amoureuses, s’affirmer sujet triomphant et autonome ? Enfin, Titus qui se définit lui-
même comme le prince « barbare », c’est-à-dire incapable de parler, est-il en mesure
de parler, d’autant qu’il parle tardivement dans la pièce (bien après Antiochus), ne
parle pas volontiers (délègue volontiers à Antiochus) et qu’une fois qu’il a parlé, rien
ne se résout ?
Bref, la déclaration enthousiaste de Bérénice, sous la forme d’un alexandrin graduel,
est-elle tenable ?

Développement

Titus m’aime
Bien-sûr Titus a construit au fil des cinq années avec Bérénice, une relation
galante puis affective puissante.

Pour autant, le problème, pourrait-on objecter à Bérénice, est que Titus n’est
pas le seul à l’aimer. Antiochus vient se mêler à l’affaire qui se corse sensiblement
quand le duo devient trio. A l’acte I sc. 4, Antiochus révèle vite, tout en tenant un
discours de loyauté à Titus, qu’il aime Bérénice de façon obsessionnelle, comme en
témoigne l’omniprésence de Bérénice puisque sur dix vers,on la retrouve à 7 reprises
(usage de la 2epersonne qui renvoie à Bérénice).On la retrouve à la fois au
début («vous») et à la fin (du «vôtre»); quatre fois en fin d’alexandrin ce qui mime la
trajectoire d’Antiochus qui a fait tout ce chemin (Orient -> Occident) pour la trouver au
bout du compte, autant dans la géographie mondiale, et qu’au terme du vers.
En outre, Bérénice idéalise l’amour et s’en fait une image stéréotypée ; alors, quelle
applicabilité de ses projections dans la vie ? Est-ce bien un amour réalisable ? Que
vaut l’amour dont elle parle ? Quand elle exprime son amour sous la forme d’une
métaphore filée, c’est pour revenir à l’image, précieuse, galante, facile, de la flamme
: « bucher », « enflammer », « flambeau », « éclat » dans son aveu à Phénice (I, 5).

Il peut tout
Titus futur empereur est l’homme fort.
Cela ressort particulièrement dans la tirade d’Antiochus (I, 4) : V. 218 prise de
conscience Titus revient en force « La valeur de Titus surpassait ma fureur. » Titus
nommé, propulsé en début d’alexandrin, sujet, accompagné de termes à connotation
positive (champ lexical de l’héroïsme, «valeur», «surpassait»). Même image
valorisante chez Bérénice, qui pare aussi Titus de toutes les qualités et vertus, lui
octroyant des qualifications mélioratives : « majestueux », « douce », « grandeur », «
victoire » dont « gloire », «victoire», «grandeur», «éclat» placés à la rime. Elle ne
lésine pas sur les hyperboles pour caractériser l’impact de Titusv. 318
«Rome entière», «tous les cœurs» (v.313), «le monde en le voyant» (v.316).

Titus n’échappe cependant pas à la règle universelle : mu par ses désirs et


passions, et dépendant des autres, notamment de Rome ; il ne peut pas tout.
Antiochus l’a très bien compris. Même si, se comparant à lui lors de sa première
entrevue avec Bérénice, Antiochus, vient après (sens des phrases, « suivre », et
chronologiquement il vient après dans la succession des vers), des
tournures passives réduisent aussi Titus à l’état de victime : il est « haï » après avoir
été « chéri »). Tout prince qu’il est, il n’est jamais que ce que les autres font de lui,
objet plus que sujet.

Il n’a qu’à parler


La parole semble le vecteur entre les personnages et la communication l’enjeu
de la pièce. Dès le début, Antiochus veut provoquer la parole : « Va chez elle : dis-lui
qu'importun à regret, J'ose lui demander un entretien secret. » et « Vois si je puis
bientôt lui parler sans témoins. ». Ses deux premières répliques insistent sur l’urgence
d’une audience auprès de Bérénice. En fin de pièce, lasse des discours, Bérénice
conclut paradoxalement par deux longues répliques qui sont pour clôturer les débats,
à cause des rumeurs et proclamations terribles : « Je ne vois que des pleurs, et je
n'entends parler Que de trouble, d'horreurs, de sang prêt à couler. » Après avoir été
souhaitée, la parole est maudite.

La parole révèle surtout les manquements et les échecs. Elle n’arrange rien ;
pire, elle aggrave et appuie là où ça fait mal. Bérénice mise tout sur la parole, comme
si elle ignorait ce qui est déjà inscrit dans les faits, à savoir que Titus est le fils de
Vespasien et va régner, se soumettant aux lois romaines. La parole est bien le lieu où
tout s’est joué : parole d’aveu et de promesses entre amants (ainsi Bérénice à Titus à
l’acte IV sc. 5 : « Ignoriez-vous vos lois, Quand je vous l'avouai pour la première fois
? »), parole de serment juré à Rome pour l’empereur et parole qui trahit ses
engagements (Que cette même bouche, après mille serments / D'un amour qui devait
unir tous nos moments, / Cette bouche, à mes yeux s'avouant infidèle / M'ordonnât
elle-même une absence éternelle.) : dans cette réplique, en quatre vers, la parole
revient à cinq reprises (« bouche », « serments », « bouche », « avouant »,
« ordonnât ») ; loin de calmer Bérénice, la parole peut aussi révéler sa douleur et
cristalliser son ressentiment. La difficulté de dire (exprimer, puis en assumer les
conséquence) est résumée à Titus qui clôture la scène 7 par une réplique qu’il ne bâtit
qu’avec l’aide d’Arsace, et qui en une interrogative pose la question de la parole :
« Hélas ! quel mot puis-je lui dire ? Moi-même en ce moment sais-je si je respire ? ».
L’accumulation des marques émotives (exclamative, interrogative et de nouveau
interrogative) couplée à la gradation (deux syllabes puis un hémistiche puis un
alexandrin) noie Titus dans une parole insurmontable : la parole (puisque c’est bien le
problème du dire qui est ici évoqué) l’entraîne dans un désarroi toujours plus grand.

Pourtant, on pourrait aussi prendre l’affirmation de Bérénice au pied de la lettre


et se demander si ce n’est finalement pas en paroles, que l’amour n’est pas le plus
vrai et le plus réussi : en mots, davantage que dans les actions, le monde semble
logique et conforme à ses vœux, car lorsque Bérénice parle de son amour pour Titus,
le tableau semble parfait : Tendance à surévaluer Titus, voire à le diviniser (« foi », «
ciel »). Le lexique se verticalise, (« rehaussait », « aigle », « ciel ! ») tandis que les
arrêts sur image permettent à l’âme de divaguer à loisir, le temps s’arrête (sans que
les lois romaines ne viennent imposer leur dure loi). Pour cela, plusieurs imparfaits de
durée figent la scène : « empruntaient », « rehaussait », « voyait » pour signifier le
temps long pour ne pas dire éternel, pour ainsi dire décroché de la réalité.

Conclusion
En conclusion, l’affirmation de Bérénice à l’acte I sc. 5 (« Titus m’aime, il peut
tout, il n’a plus qu’à parler ») est à la fois naïve, fausse et vraie. La parole est tout dans
Bérénice : elle peut nouer, dénouer, jurer ou trahir, chérir ou répudier, acter ou
magnifier.
La parole est souvent l’enjeu des tragédies raciniennes, comme dans Phèdre où
l’héroïne a besoin de plusieurs scènes (I, 3 et II,5) pour avouer l’inavouable.
Au théâtre, la parole se substitue de fait à l’action, puisque tout dépend des
répliques des personnages : au 20e siècle, ce présupposé sera remis en question
avec des paroles désarticulées (chez IONESCO), dérisoires (chez LAGARCE) ou
injurieuses (chez PINTER).

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