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Éditions First, un département d’Édi8, 2017

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atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

ISBN : 978-2-4120-2176-7

ISBN numérique : 978-2-4120-2642-7

Dépôt légal : mars 2017

Couverture et mise en page : Guillaume Lab

Éditions First, un département d’Édi8

12, avenue d’Italie

75013 Paris

Tel. 01 44 16 09 00 / Fax 01 44 16 09 01

Courriel : firstinfo@efirst.com

Internet : www.editionsfirst.fr

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


À Augustin et Chloé,

À Esther, Madeleine et Samuel,

Et aussi un peu à leurs parents.


LE LIVRE DONT VOUS ÊTES

DÉJÀ LE HÉROS
Dès l’ouverture de sa Rhétorique, Aristote donne le ton :

« [La rhétorique] est en quelque façon accessible à tous les esprits,


et ne réclame aucune connaissance spéciale […] car tous
entreprennent, jusqu’à un certain point, d’attaquer une opinion ou
de la soutenir, d’accuser ou de défendre. Mais dans la foule des
hommes, certains le font au hasard et sans règle, les autres par
habitude qu’ils tiennent de l’exercice 1. »

Dans le cadre de mes études, puis de mon enseignement à l’université, j’ai


d’abord été du côté de l’exercice  : l’un des cours que je devais assurer
pendant six  mois s’intitulait même «  Les figures de style  ». Véritable
détecteur de métaphores et autres euphémismes, je disséquais le texte et
j’apprenais à mes étudiants à faire de même.
Et puis il y a eu le lycée, en Seine-Saint-Denis. La rhétorique était dans la
rue, et j’en prenais conscience pour la première fois, en découvrant la
puissance de ce qu’on appelle le «  bagou  ». Comme Aristote l’avait
pressenti, il n’était pas nécessaire d’avoir lu sa Rhétorique pour être un as
des figures de style. Cela m’a semblé d’excellent augure pour mes élèves,
parfois méfiants à l’égard du cadre scolaire, mais néanmoins passionnés
au quotidien par l’évolution de la langue. Car enseigner dans le 93, c’est
aussi avoir la chance d’évoluer dans un incroyable vivier linguistique et de
penser à autre chose qu’à « l’obscure clarté qui tombe des étoiles » pour
illustrer l’oxymore et au discutable « va, je ne te hais point » pour la litote.
Si mes élèves incarnent un certain renouveau des figures de style, ils ne
sont toutefois pas, je crois, les seuls qu’elles fascinent : oui, les figures de
style ont des noms à coucher dehors, mais elles sont néanmoins partout
-  et c’est pour ça que vous trouverez de temps à autre un exemple
emprunté à votre collègue ou à ma coiffeuse.
À l’heure où le pouvoir des mots n’est plus à démontrer, il est certes utile,
dans la vie quotidienne, de pouvoir nommer la figure 2 que l’on choisit
d’employer, mais il est tout aussi primordial de savoir l’identifier chez votre
interlocuteur, afin de lui casser la baraque en deux temps trois
mouvements : les vicieuses hyperbates de votre patron n’auront ainsi plus
de secrets pour vous.
Pour finir, il me semble que ce livre donne à mon métier tout son sens,
puisque c’est désormais à moi d’avoir besoin de mes élèves pour mieux
comprendre une langue dont les perpétuelles évolutions parfois
m’échappent.
Et c’est un peu de mon plaisir que j’espère vous faire partager, en
souhaitant qu’à votre tour vous ne ferez plus de rhétorique « au hasard ».

1. Aristote, La Rhétorique, édition et traduction de Norbert Bonafous, Paris, A. Durand, 1856.


2. Les plus tatillons d’entre vous remarqueront que ce livre ne contient pas seulement des figures,
mais aussi d’autres procédés rhétoriques fort utiles en temps de crise : abondance de biens ne
nuit pas, dès lors qu’il s’agit de briller en société.
CHAPITRE 1

DÉSTABILISER

SON

INTERLOCUTEUR
 
La rhétorique est avant tout affaire de pouvoir.
 
Nombreuses sont les figures qui permettent d’ébranler votre
interlocuteur, voire de lui fermer son clapet afin de triompher
fièrement.

CONTEXTE FAVORABLE
Les figures présentes dans ce chapitre vous seront utiles en cas de
conflit, de désaccord ou même de négociation.

INTERLOCUTEURS DE PRÉDILECTION
1. les susceptibles et les paranoïaques, qui sont des proies toutes
désignées, en raison de leur faille narcissique dans laquelle
peuvent s’engouffrer les stratégies de manipulation ;
2. les rigoristes maniaques – par exemple les patrons ultra-rigides
–, qui constituent aussi un public de choix, car la moindre
originalité les bouleverse et leur fait perdre tous leurs moyens ;
3. les naïfs et autres inattentifs, qui ne voient jamais rien venir.

CHANCES DE RÉUSSITE
En tenant bon : 98 %.
Si vous êtes vous-même paranoïaque ou corruptible : 17 % (car
l’interlocuteur peut essayer lui aussi de vous manipuler).

PLAN B EN CAS D’ÉCHEC
La bagarre ou l’exil.
ANTÉOCCUPATION

On pourrait croire que « les jeunes d’aujourd’hui » n’ont que faire de ce que
pense autrui, et que ce sont des chenapans individualistes qui ne voient
pas plus loin que le bout de leur nez.
Ce serait une erreur.
Au contraire, ils connaissent précisément les attentes de l’autre. Ils
manient parfaitement l’antéoccupation, qui consiste à anticiper les
reproches de l’interlocuteur… pour mieux les mettre à distance.
Examinons ensemble le potentiel astucieux de cette entourloupe :

-  Madaaaaaame  ! Je sais que vous n’acceptez pas les


devoirs en retard et que vous ne faites aucune
exception mais c’est la première fois que ça m’arrive et
en plus j’ai passé toute la nuit sur mon DM ! Du coup, je
l’ai déposé dans votre casier, hein !

En anticipant mes objections, Élodie me coupe l’herbe sous le pied, me


prive de ma force argumentative légendaire, et se montre tout à fait
soucieuse de mes préoccupations de correctrice rigide et acariâtre.
Elle a ensuite le champ libre pour proposer (voire imposer) ce qu’elle
souhaite, puisqu’elle affirme avoir agi en connaissance de cause.
Plus l’antéoccupation est longue, plus votre interlocuteur se sent brossé
dans le sens du poil ; il y a alors une forme de sadisme à casser ce bel élan
avec une toute petite chute de rien du tout :

- Élodie, c’est vrai que je suis inhumaine, peu compréhensive et que


je donne beaucoup de travail, c’est vrai aussi que vous avez
toujours rendu vos devoirs à l’heure et parfois même en avance,
c’est vrai enfin que c’est le parcours du combattant pour accéder à
mon casier et encore plus pour arriver à y mettre une copie simple ;
mais [sentez-vous le basculement arriver  ?] je n’accepte en effet
aucun retard.

Car soyons honnêtes : tout ce que vous risquez avec votre antéoccupation,
c’est qu’on vous la rende au centuple.
APARTÉ
Grâce à l’aparté, vous montrez à votre interlocuteur que vous ne le calculez
pas. Plus exactement, vous débriefez devant lui ce qu’il est en train de
vous dire, mais en parlant dans votre coin – d’où le nom d’« aparté ».
C’est un phénomène essentiellement étudié au théâtre, mais que nos
grand-mères pratiquaient déjà quand, alors que l’institutrice les
sermonnait, elles marmonnaient dans leurs barbes : « Cause toujours ! »
De nos jours, l’aparté est le meilleur ami de l’insolence, et c’est terrible. En
effet, comme chacun sait, les profs souffrent d’un délire de toute-
puissance et ne supportent pas que la moindre chose leur échappe.
Considérons cet exemple qui m’est cher :

-  Madaaaame  ! Madame, vous pouvez venir, s’il vous


plaît ?
-  Oui, alors vous attendez deux minutes, je suis pas
Shiva !
-  [À la voisine] Vas-y, elle m’a dit «  va chier  », là, la
prof ?????

C’est bien la seule fois où j’ai pu entendre distinctement un aparté, mais


croyez-moi : j’ai fait comme si je n’avais rien entendu.
CHLEUASME

ASTÉISME
Le chleuasme, dont le nom est méconnu, est paradoxalement l’une des
figures qui rencontrent le plus de succès auprès des élèves.
Son étymologie nous ramène à l’idée d’ironie ou de sarcasme  ; plus
précisément, cette figure consiste à faire semblant de vous dévaloriser,
pour que votre interlocuteur vous couvre d’éloges.
Vous l’avez compris  : le chleuasme, par une stratégie perverse, vient
chercher le compliment. Je requiers ici toute votre attention, car c’est
probablement le seul moment où les bons élèves vont avoir leur dose de
satire.
Écoutons quelques instants Stacy, au sortir de ce devoir de quatre heures
où le seul enjeu est en réalité de savoir si elle aura 18 ou 19 :

-  Haaaaan, je suis dégoûtée  ! J’ai trop foiré  ! Je n’ai


quasiment répondu à rien et je pense que même ce que
j’ai répondu est faux  ! Je vais jamais passer en
Terminale !

Stacy risque sa vie à chaque fois qu’elle sort de devoir, car ses petits
camarades qui, eux, ont « foiré » pour de bon, n’ont qu’une envie : lui faire
avaler sa copie.
Pour lutter contre le chleuasme, on peut toujours tenter l’astéisme. Cette
figure consiste au contraire à dissimuler l’éloge derrière la critique,
autrement dit à faire semblant d’attaquer pour dissimuler un compliment.
C’est ainsi que Timothée et Rayane ont un jour pu prendre Stacy au
dépourvu, à la sortie d’un devoir :

-  Franchement, on espère que cette fois t’auras la


moyenne.

Paf. La Stacy a avalé son 19 sans broncher.


DIGRESSION
S’il est une figure que nos élèves partagent allègrement avec leurs profs,
c’est bien la digression, c’est-à-dire le détour qui n’a qu’un tout petit
rapport avec ce qu’on était en train de raconter  ; le latin digressio
signifiait déjà « action de s’éloigner ».
Je dois bien avouer que le plus souvent, ce sont nos élèves qui se chargent
de digresser pour nous :

- Bien, aujourd’hui on va devoir avancer un peu vite car


on a fait la moitié du programme et il reste
quatre  heures de cours avant le bac. Donc on y va, la
suite du commentaire de Du Bellay.
- Ah au fait, Madame, rien à voir mais vous savez d’où
vient l’expression « Du balai ! » ?

L’enseignement peut ainsi être défini comme une lutte perpétuelle contre
la tentation digressive de ces petits coquinous qui saisissent la moindre
occasion de parler d’autre chose que du programme.
NB  : D’après mon tableau Excel sur la fréquence des expressions
employées en classe, «  au fait, Madame, rien à voir mais  » arrive très
largement en tête, devançant même le très populaire «  nan mais là,
Madame, chuis choqué(e) » dont nous reparlerons.
ÉNALLAGE
Ah, voilà une figure sociologiquement intéressante !
L’énallage consiste à employer un temps, un mode ou une personne à la
place d’un(e) autre.
La situation que nous avons tous expérimentée, c’est l’arrivée chez le
coiffeur : « Et alors, on fait quoi aujourd’hui ? » Cet emploi inclusif du on
semble indiquer que vous allez participer à votre propre coiffure, ce qui est
absurde.
Plus agaçant encore, l’emploi inapproprié du futur : « Alors avec ce vin, on
sera sur un retour en bouche un peu boisé. » Ou encore : « Les toilettes, ce
sera au fond du magasin à droite. » Un besoin irrépressible de se projeter,
sans doute.
Nos élèves, eux, ont inconsciemment recours à l’énallage car ils semblent
croire en l’existence d’une forme de puissance supra-humaine, un comité
secret qui serait à l’origine de la conception de tous les sujets de devoir :

- Mais Madame, dans la consigne, quand ils disent qu’il


faut définir le mouvement baroque, ça veut dire quoi
exactement ?

Tous les ans, il me faut ainsi briser le mythe : c’est bien moi qui conçois
mes propres sujets. Toute seule, comme une grande.
On remarquera au passage la porosité de ce ils que l’on retrouve cité à
tous les coins de rue, sans qu’il ne renvoie jamais aux mêmes personnes :
«  Ils ont dit que le chômage avait baissé… Ils ont dit qu’il ferait beau ce
week-end… Ils ont dit que y’avait pas cours demain. »
Merci de vérifier vos sources.
ÉPANORTHOSE
L’épanorthose est la figure de prédilection des gens consciencieux et
méthodiques, voire un peu maniaques. L’étymologie du mot est très claire :
le grec epanorthosis signifie « redressement ».
Grâce à l’épanorthose, on peut s’autocorriger, donc réajuster sa phrase
en cours de route.
Cette figure est par conséquent très utile lorsque vous êtes en position de
négociation :

-  Madame, vous ne pouvez pas décaler le devoir à


vendredi, enfin au moins à demain quoi ?

Admirez l’astuce  et placez-vous quelques instants à la place de ce fin


négociateur  : s’il commence par demander de reporter le devoir au
lendemain, il sait que ce sera non ; alors qu’en commençant par demander
le vendredi, pour ensuite avoir l’air de faire un effort en proposant un délai
moindre… bon, c’est vrai que ce sera non aussi.
L’épanorthose est fort commode à l’oral, et vous permet de rectifier le tir
quand vous voyez que votre interlocuteur fait clairement la gueule.
Je sens que vous voulez une petite mise en situation :

-  Madame, franchement, c’est abusé, j’ai rien fait [ici


mon visage se crispe, je vire au rouge et de la fumée sort
de mes oreilles], enfin presque rien !
Et nous voilà tous deux contents, moi parce que j’ai presque un aveu,
l’élève parce qu’il garde son rien.
HYPALLAGE
En grec ancien, hypallagê, qui a donné « hypallage », signifie « échange ».
C’est sans doute de là qu’il faut partir : l’hypallage consiste à associer à
un nom un adjectif qui en réalité qualifie un autre élément de la phrase.
Il faut bien le dire, on n’y comprend rien.
Jetons plutôt un coup d’œil à ce vent de révolte :

- Ah nan, Madame, on va pas encore parler de cet auteur


atroce ! Il raconte des histoires d’inceste et tout 1 !

Dans ce cas, il est évident que ce n’est pas le pauvre auteur 2 qui est
atroce, mais, éventuellement, les « histoires » qu’il raconte : on voit donc
clairement le lien entre hypallage et métonymie, puisque l’auteur est
spontanément associé au contenu de son livre, au point de se voir
attribuer l’adjectif qui caractérise ce contenu.
Les élèves utilisent assez peu l’hypallage, qui est une figure bien trop
sournoise pour leur franc-parler. Toutefois, à mesure que les années
passent, je me demande si c’est bien de mon cours qu’il s’agit lorsque
j’entends au détour d’un couloir :

- Ah naaaaaan ! On a français avec Madame Levesque !


J’en peux plus de son vieux cours, là !
N.B. : Maintenant que j’y pense, n’oubliez pas qu’« hypallage » est féminin,
et ce, même si «  chantage  », «  cafouillage  », «  lynchage  » ou encore
« potage » (mais ça n’a rien à voir) sont masculins.

1. Ne vous méprenez pas sur le contenu de mes cours : il s’agit ici tout bonnement de Racine, et
donc de Phèdre.
2. Ici par exemple, « pauvre » est un adjectif hypocoristique (voir article plus loin)  : «  le pauvre
auteur  » n’a rien à voir avec «  l’auteur pauvre  », même si en général le second explique le
premier.
HYPERBATE
Pour ne rien vous cacher, j’ai longuement hésité pour savoir dans quel
chapitre je mettrais l’hyperbate.
Étymologiquement, le mot vient du grec huper (« au-delà, au-dessus ») et
bainein (« aller »), mais ne veut pourtant pas dire « aller trop loin ». Il y a
hyperbate quand on ajoute un mot ou une expression à une phrase qui
pourtant semblait finie (quel bazar !).
L’hyperbate la plus fréquente est celle des étourdis ou des bordéliques :

- Ah tiens, ben puisque tu descends tu me rapporteras du pain, du


fil à broder et du ketchup, s’il te plaît, merci – ah et douze packs
d’eau aussi. 

Pour la personne à qui s’adresse cette injonction, il est assez évident que
l’hyperbate est un ajout.
Mais l’effet le plus intéressant de la figure est bien celui de la surprise,
comme le montre l’exemple suivant :

- T’as vu, mec, me poser tranquille et choper des meufs,


c’est tout ce que je vais faire pendant les vacances – et
préparer le concours général de maths.

En fait, l’hyperbate est encore mieux que l’effet d’attente, puisque la


surprise vous tombe dessus sans même que vous ayez eu besoin de
poireauter.
ADJECTIF

HYPOCORISTIQUE
Un truc est rigolo comme tout avec les adjectifs qualificatifs  : certains
d’entre eux changent de sens en fonction de la place qu’ils occupent dans
la phrase.
Ainsi, les hypocoristiques –  dont l’étymologie grecque signifie
«  caressant  »  – prennent une valeur affective dès lors qu’ils passent
devant le nom.
Vous comprenez bien qu’on ne dit pas la même chose du tout dans les
deux phrases suivantes : « Ce pauvre élève ne passera pas en 1ère» 1  et « Cet
élève pauvre ne passera pas en 1ère» 2 .
Les adjectifs hypocoristiques aspirent le plus souvent la connotation des
noms qu’ils précèdent, et peuvent donc renforcer aussi bien l’amour que la
haine :

- Wesh, mon p’tit cœur, tu m’aimes ?


- Nan.
- P’tit con, va.

Avouez quand même que l’adjectif, c’est sensass.

1. Autrement dit : « Il est vraiment très méritant mais malheureusement, il n’a pas les capacités
nécessaires pour s’en sortir l’an prochain. »
2. Je vous rassure : personne ne dit jamais ça.
IN MEDIAS RES

Parmi toutes les expressions latines qui hantent les cours de français,
l’incipit in medias res est l’une de celles que l’on croise le plus souvent.
Vous me direz 1 : « Mais pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom, et
toujours aller chercher les vieilleries d’une langue morte  ?  » Je vous
réponds immédiatement que la traduction littérale serait « début au milieu
des choses », et que non seulement ce n’est pas plus clair, mais en plus
c’est moche.
L’expression, appliquée aux premiers mots d’un récit, désigne le fait de
plonger le lecteur au cœur de l’action, sans préambule. Ce n’est donc
pas le cas dans les contes qui, introduits par le célèbre « il était une fois »,
nous donnent tout le cadre de l’histoire dès la page 1.
Ce n’est souvent pas le cas non plus dans les écritures d’invention des
élèves, qui sont bien plus consciencieux qu’on le pense, et qui rechignent
à commencer comme ça, au milieu de nulle part. En témoignent les
premiers mots de ce devoir sur l’argumentation :

- Bonjour !
- Bonjour !
- Ça va ?
- Oui et toi ?
- Oui. Je te propose qu’on débatte sur les avantages et
les inconvénients du progrès depuis le XVIIIe siècle.
- D’accord !

On voit ce que ce type d’amorce peut avoir d’artificiel. À l’inverse, les élèves
expérimentent sans complexe l’entrée in medias res lorsqu’ils débarquent
en cours en retard et essoufflés :

-  (…) il faut donc retenir que Les Regrets de Du Bellay


sont divisés en trois sections de trois registres diff…
-  PARDON, MADAME, JE SUIS EN RETARD, ON EN EST
OÙ ?????

Le problème, c’est qu’à ce stade de la conversation, je ne sais plus moi-


même !

1. Avez-vous repéré l’antéoccupation ?


INTERROGATION

RHÉTORIQUE

INTERROGATION

ORIENTÉE

Ces deux types d’interrogation relèvent d’une forme de manipulation, car


tout en semblant demander à l’autre son avis, elles imposent en réalité le
vôtre.
L’interrogation rhétorique est une question qui n’attend pas de réponse
– ce qui remet en cause, vous l’avouerez, la fonction même de la question.
Elle se rencontre sans difficulté dans les couloirs ou dans la cour :

- T’es sérieux ? T’as cru que j’étais ton pote ? Nan mais
t’es sincère ? Sérieux, tu crois que je vais te calculer là ?
L’ensemble de ces questions est en réalité une affirmation déguisée : « Tu
ne m’intéresses pas, passe ton chemin.  » Il serait en effet fort cocasse
mais incongru d’imaginer l’interlocuteur répondre consciencieusement à
chacune de ces questions 1.
L’interrogation orientée, elle, accorde un tout petit peu plus de place à
l’interlocuteur, mais ne lui laisse malgré tout pas le choix de la réponse,
cette dernière étant en réalité contenue dans la question.
Selon votre statut, vous pouvez ou non jouer avec l’orientation de
l’interrogation :

- Jimmy, vous n’allez pas encore vous faire remarquer ?


[réponse attendue : non]
- Non, non.
- Très bien.

Flairant la sanction, Jimmy fait ici le bon choix. Mais parfois, on peut
s’amuser un peu plus :

- Madame, vous allez pas encore nous faire un devoir la


semaine prochaine, hein ? [réponse attendue : non]
- Eh si !
- Raaaaaaah !

C’est ce qu’on appelle le privilège de l’âge.

1. Certaines questions ont fini par devenir rhétoriques, en raison de l’affaissement du «  vivre
ensemble ». C’est le cas notamment du « Salut, ça va ? » que l’on vous adresse le matin en vous
croisant. Dieu merci personne n’a jamais répondu « Bof, je suis à deux doigts de me jeter par la
fenêtre », car au moment où vous répondez votre interlocuteur est déjà loin.
OXYMORE
Une précision avant toute chose : « oxymore » est de genre masculin. Eh
oui. Tous les mots qui se terminent par -e ne sont pas forcément
féminins.

Le mot vient du grec oxymoros qui signifie «  sot malin  », autrement dit
« individu qui dissimule sa finesse d’esprit sous une apparente stupidité ».
La figure est donc ce qu’elle désigne, à savoir la conciliation de deux
mots de sens a priori contraires  : c’est la fameuse «  obscure clarté qui
tombe des étoiles  » de Corneille (mais personnellement, je ne peux plus
voir cet exemple en peinture).
L’oxymore est un petit rigolo, voyez-vous, car son caractère surprenant est
déstabilisant pour l’interlocuteur. Considérons en ce sens cet échange :

- Adim, mais c’est pas possible, vous êtes vraiment un


cancre !
- Peut-être Madame, mais un cancre sérieux !

L’ingéniosité d’Adim consiste ici non seulement à ne pas contester mes


dires, mais surtout à réorienter un peu le débat en signalant que sur
l’échelle des cancres, il fait partie des plus sérieux. C’est ainsi que se
résout la contradiction, et qu’Adim sauve sa conscience.
Les élèves sont très friands de l’oxymore, car il fait travailler l’esprit encore
plus que le sudoku.
De mon point de vue, son grand avantage est qu’il permet de penser la
réalité autrement (et si je puis me permettre, ce n’est pas du luxe en ces
temps de certitudes absolues).
PARADOXE
Étymologiquement, le paradoxe est ce qui s’oppose à la doxa, donc à
l’opinion commune. C’est l’apanage des petits provocateurs et autres
intellectuels en tout genre, qui veulent toujours se faire remarquer (voir
Éloge paradoxal), en prétendant par exemple que les araignées sont trop
mignonnes.
Mais le paradoxe en tant que figure de rhétorique désigne plutôt,
comme l’oxymore, la volonté de réunir deux idées (et non plus deux
mots) en apparence contradictoires.
Examinons quelques instants cette scène entre Nejma et Lilia :

-  WOW, MAIS C’EST PAS POSSIBLE, J’EN PEUX PLUS, LA


CAFET’ EST TOUJOURS FERMÉE, C'EST QUOI CE BAHUT
POURRI ? ON SE CROIRAIT SOUS CRO-MAGNON !
- WOW, C’EST BON LÀ, TU ME CASSES LA TÊTE, ÉNERVE-TOI
EN SILENCE !

On voit bien l’efficacité du paradoxe « énerve-toi en silence » : comme pour


l’oxymore, Nejma ne retire pas à Lilia le droit de s’énerver, elle lui conseille
juste de garder sa colère pour elle. Le fait qu’elle-même hurle à pleins
tubes relève d’un autre débat.
Le paradoxe est enfin utile car il permet, dans une même phrase, de
concilier deux points de vue opposés – ici celui du prof et de l’élève :
- Madame, mais faut vraiment qu’on sache la différence
entre sonnet français et italien, là ?
- Évidemment ! C’est très utile, vous verrez.
- Ouais ben, c’est de l’utile qui sert à rien quoi.

PARAPHRASE
Disons pour faire joli que nos élèves sont attachés à la paraphrase comme
une moule à son rocher.
Cette figure consiste à dire exactement la même chose que quelqu’un
(en l’occurrence, le texte), mais de manière différente. Et depuis que le
monde est monde, des générations entières de petits rigolos pensent que
ça passera crème et que le prof ne se rendra compte de rien.
Saurez-vous à votre tour retrouver de quel texte s’inspire cette
paraphrase ?

- Dans le texte, l’auteur dit que ça ne sert à rien de se


dépêcher, et que l’essentiel c’est de ne pas manquer le
départ.

Vous voyez ici à quel point la paraphrase n’apporte le plus souvent rien,
puisqu’elle répète au lieu d’analyser.
Toutefois, elle est parfois bien pratique, car en reformulant mes propos, les
élèves les replacent dans un contexte qui leur est familier, et c’est super.
Je me permets de citer à nouveau la paraphrase de Yanis, dont j’ai déjà
parlé ailleurs :

- Donc comme vous le savez, Phèdre tombe amoureuse


d’Hippolyte, qui est le fils de son mari.
-  Ouais, en gros ça veut dire que Phèdre, c’est la
première cougar de l’histoire quoi.
Dans mon tableau Excel des expressions les plus utilisées en cours,
«  ouais, en gros ça veut dire que  » arrive en quatrième  position, juste
devant « Madame, mais si vous restez devant, on ne voit pas le tableau ».
PARENTHÈSE

IL FAUT ABSOLUMENT ARRÊTER DE DIRE «  ENTRE PARENTHÈSES  » À LA


PLACE DE « ENTRE GUILLEMETS », ET RÉCIPROQUEMENT.
Merci de votre attention.

Les guillemets –  qu’il est interdit d’imiter avec les doigts depuis 1997  –
servent à citer un autre discours que le vôtre, ou éventuellement à marquer
une approximation.
La parenthèse, elle, est comme le petit tiroir secret de la phrase : elle
permet d’y glisser une information, ou de nuancer un propos. Par
exemple : « L’auteur du Bourgeois gentilhomme (Molière) a écrit plusieurs
comédies.  » Ou encore  : «  Les poètes écrivent tous sur l’amour ou sur la
mort (enfin ça dépend). »
Parfois, l’astuce rhétorique consiste à faire croire que l’information placée
entre parenthèses est secondaire, alors qu’en réalité, pas du tout.
Le mot d’excuse suivant, déposé dans mon casier, est à ce titre éloquent :

-  Madame, je suis désolé mais ce n’est pas moi qui ai


lancé un char d’assaut sur le tableau pendant que vous
étiez retournée (c’est Mélanie).

Le diable est dans les détails : méfiez-vous donc des parenthèses comme
de la peste.
N.B. : La progressive expansion des échanges SMS a engendré un nouvel
usage de ce signe de ponctuation. Dans ce cadre, on l’emploie pour parler
d’un truc qui n’a rien à voir avec la conversation principale :

-  Tu vas en cours
aujourd’hui ?

- Ben ouais et toi ?

- Ouais, t’apportes le livre de


français ?

-  Pas de problème (je suis


allée au McDo hier, c’était
trop bon).
PAR’HYPONOIAN
Il s’agit là d’une de mes figures préférées, parce qu’à l’image de son
orthographe, c’est un as de l’embrouille.
Si vous êtes pressé et que vous ne savez plus où sont le h et l’apostrophe,
vous pouvez parler « d’attente trompée », ça marche aussi.
Contrairement à l’hyperbate, le par’hyponoian joue avec l’attente de votre
interlocuteur, qui a l’impression de savoir où vous allez –  ce qui se
traduit en général par des hochements de tête compréhensifs  – alors
qu’en fait, pas du tout.
Le par’hyponoian joue avec les attendus, les clichés et les présupposés, et
peut parfois être extrêmement resserré :

- Ah non mais lui, c’est un prof, donc je l’adore.

Ici, il y a attente trompée, parce qu’on part du principe que les élèves
n’aiment pas les profs. Ça marche aussi avec « Il était généreux comme un
patron », ou encore « Elle avait agi avec l’honnêteté d’une politicienne ».
En gros, s’il y avait moins de généralités, il n’y aurait plus de
par’hyponoians.
PRÉTÉRITION
Comme me l’a dit un jour un de mes élèves qui n’était pas le dernier pour
faire des rimes, « la prétérition, c’est un truc de daron 1 ».
La prétérition consiste à prétendre qu’on ne dit pas quelque chose, mais
à le dire quand même. On comprend dès lors pourquoi c’est une figure que
les jeunes affectionnent peu, puisqu’en général, lorsqu’ils ont quelque
chose à dire, ils le disent. Point barre.
C’est en effet plutôt une figure de daron, donc de prof :

- Bon, écoutez maintenant, ça suffit, j’en ai ras le bol. Je ne vais pas


vous répéter [attention, le bluff commence ici] pour la 573e fois qu’il
faut souligner les titres, faire une introduction, des alinéas et une
conclusion. À partir de maintenant, ne comptez plus sur moi pour
vous dire [retour de l’arnaque] de faire vos devoirs et d’apprendre
vos cours. Plus jamais !

Voilà où on en arrive quand on est au bout du rouleau  : répéter une


e
573  fois, mais dire que non (pour sauver l’honneur).
La prétérition reste pour moi associée à cette saillie remarquable de la part
res
de mes 1  S, dont je salue le génie :

- Madame, mais quand on dit « sans transition », c’est


pourtant une façon d’en faire une, non ?

Vous aurez donc au moins appris aujourd’hui que PPDA était le roi de la
prétérition.
1. Pour les darons qui ne sauraient pas ce que signifie « darons » : le mot désigne initialement les
parents, puis par extension, toute personne de cette génération, c’est-à-dire de plus de 20 ans.
ZEUGMA

Le zeugme (oui, c’est son autre nom) consiste à coordonner deux


éléments dans la dépendance d’un autre, éléments qui semblent être
sur le même plan mais en réalité ne le sont pas.
Bon, on ne comprend rien.
Examinons donc sans tarder un exemple :

Elle a mangé une pizza au jambon et au centre commercial.

Vous aurez sans doute reconnu un extrait d’une chanson de Renaud,


considéré par une de mes collègues comme le zeugma par excellence.
L’effet comique repose ici sur un décalage grammatical entre deux
éléments apparemment sur le même plan (coordonnés par «  et  »), mais
dont l’un est un complément du nom («  au jambon  ») et l’autre un
complément circonstanciel (« au centre commercial »). On sent bien qu’il y
a un truc qui cloche.
Le zeugma est parfois le moyen d’exprimer un regard original sur le monde :

- J’ai le seum 1 mais de nouvelles baskets.

On voit ainsi que dans la même phrase, le verbe «  avoir  » a deux sens
simultanés 2 : celui de la possession (pour les baskets), et un sens figé et
figuré dans l’expression « avoir le seum ».
Ce qui est super dans le zeugma, c’est que les éléments pris séparément
fonctionnent parfaitement (« j’ai le seum », « j’ai de nouvelles baskets »),
mais que l’alliance des deux (« j’ai le seum mais de nouvelles baskets »)
crée une gêne, un couac, une forme de nausée existentielle.
En fait, c’est exactement comme les chaussettes et les sandales.

1. Pour la signification de cette expression, voir Emprunt.


2. Voir Syllepse.
CHAPITRE 2

NOYER

LE POISSON
 
Vous trouverez ici tout ce dont vous avez besoin pour brouiller les
pistes.

CONTEXTE FAVORABLE :
Noyer le poisson est utile essentiellement dans deux cas de figure :
un conflit susceptible de dégénérer, ou une situation gênante.

INTERLOCUTEURS DE PRÉDILECTION :
1. le bon copain qui vous connaît par cœur et pour qui vous n’avez
plus aucun secret ;
2. un patron pas très fute-fute pour pouvoir éventuellement
retomber sur vos pieds ;
3. un petit être fragile qui a besoin d’être ménagé ;

CHANCES DE RÉUSSITE :
100 % avec les interlocuteurs de prédilection.
0 % avec tous ceux qui sont hermétiques au second degré.

PLAN B EN CAS D’ÉCHEC :
Si le conflit est trop violent, voir chapitre 1.
 
Si vraiment personne ne vous comprend jamais, changez d’amis.
ABSURDE

On a toujours l’impression de savoir ce qu’est l’absurde, sans doute parce


qu’on le trouve à la fois en philosophie, en logique et en mathématiques, et
parce que le mot est entré dans le langage courant (on a pu voir que ce
n’est pas le cas de tous les mots de ce livre). Pourtant, il est souvent
difficile de le définir et surtout d’en saisir les enjeux.
À l’origine, l’absurde désigne ce qui est discordant, ce qui s’éloigne de la
voix dominante – en d’autres termes : ce qui n’a rien à voir.
De nos jours 1 et dans le domaine qui nous intéresse, l’absurde désigne
quelque chose qui n’a pas de sens et agresse donc l’oreille et l’esprit.
La rhétorique n’étant pas la dernière des petites rigolotes, il est parfois
possible d’utiliser l’absurde pour prendre l’interlocuteur à son propre piège.
Observons la situation suivante, dans laquelle surgit la question à plein
volume, en général sans main levée :
- Madame, ça s’écrit comment « hystérie » ?
- I-S-S-T-E-R-I-E
- Pff, n’importe quoi, Madame, ça commence par hy- !!!!

L’astuce consiste ici à abandonner l’attitude de reproche (« Non mais ce


n’est pas possible ! Après deux semaines de cours sur Médée, tu ne sais
toujours pas écrire «hystérie» ? ») au profit d’un double bénéfice :
1. stigmatiser l’absurdité de la question en étant plus absurde encore ;
2. ne pas se fatiguer à donner la bonne réponse, l’interlocuteur la
trouvant souvent tout seul.
Plus généralement, toutes les digressions qui innervent mon cours et qui
sont introduites par le désormais célèbre «  au fait, madame, rien à voir
mais » créent un sentiment d’absurde :

- Donc, dans cette épître, Marot s’adresse à François Ier


et…
- Au fait, Madame, rien à voir mais c’est quoi la marque
de votre scooter ?

Patience et longueur de temps…

1. Conformément aux perceptions chronologiques de mes élèves, « de nos jours » s’oppose à « à
l’époque » ou « à l’ancienne », ces deux dernières expressions renvoyant à l’empan qui s’étend
de 6000 avant J.-C. à 2008 après.
ACTE INDIRECT

DE LANGAGE
L’acte indirect de langage n’est certes pas une figure de style, mais c’est
un procédé rhétorique fort répandu.
C’est l’incarnation même de l’astuce, car il consiste à demander, voire
ordonner quelque chose à votre interlocuteur, sans en avoir l’air –  de
manière indirecte, donc.
Ainsi, les phrases « J’ai froid » ou « J’ai faim » ne doivent pas être perçues
comme de simples données informatives, car, comme on dit, ça ne va pas
mieux en le disant.
Soyons honnêtes : ce qu’on demande dans ce cas à l’autre, c’est de fermer
la fenêtre et de faire à manger.
Les ados sont spécialistes des actes indirects de langage, car ils sont bien
élevés et ont surtout compris que « ça se fait pas de demander ». Il n’est
donc pas rare que des cours entiers se fondent sur des requêtes
implicites :

- Madame, je vois pas le tableau !


- Madame, j’ai pas eu la feuille !
- Madame, j’ai pas eu le temps d’aller aux toilettes !
- Madame, vous m’avez oublié un point 1 !

En ce qui me concerne, j’affectionne particulièrement le «  À demain  !  »


quand une de mes ouailles se présente en retard à mon cours.
On dira ce qu’on voudra, c’est quand même rudement moins agressif que le
conflit.
1. Certains élèves, voire certaines classes, privilégient bien sûr la version directe  : «  Madame,
poussez-vous, s’il vous plaît ! Donnez-moi la feuille ! Laissez-moi aller aux toilettes ! Mettez-moi
un point de plus ! »
ALLUSION

L’allusion est rigolote comme tout et ses pouvoirs sont multiples. Elle est
associée dès son origine à l’idée de jeu (en latin ludere signifiant « jouer »).
Le principe de l’allusion, c’est de montrer à l’autre qu’on se comprend,
qu’on a les mêmes références, et qu’on peut se dispenser des sous-
titres. Je voue ainsi une admiration sans bornes à cet élève très agité,
gratifié par le conseil de classe d’un avertissement conduite :

- Alors Lionel, que devez-vous retenir de cette décision ?


-  Que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge
flatteur, hein, Madame !
L’astuce rhétorique consiste, dans un contexte un peu tendu, à faire
allusion à la célèbre maxime du Figaro de Beaumarchais pour-faire-plaisir-
à-sa-prof-de-français-chérie.
C’est pour cet élève une excellente manière de montrer qu’il a compris le
principe : le compliment n’a de réelle valeur que si la critique peut exister.
Attention  ! Parfois des êtres malsains utilisent l’allusion pour vous faire
croire qu’ils partagent les mêmes références que vous, alors qu’en fait, ils
savent très bien que non. Les profs sont assez spécialistes de ce genre
d’entourloupes :

- Madame, franchement, j’essaie mais j’y arrive jamais,


quoi !
- N’oubliez jamais Pierre de Coubertin !
- Hein ?

La seule mention de Coubertin est ici beaucoup plus obscure que sa


célèbre phrase : « L’important, c’est de participer 1. »

1. Bon, en réalité, personne n’a jamais dit ça. La phrase exacte est : « L’essentiel n’est pas d’avoir
vaincu mais de s’être bien battu. » Mais là n’est pas la question.
ANTIPHRASE

L’antiphrase est trop souvent confondue avec l’ironie, dont elle fait certes
partie, mais qu’elle ne représente pas à elle seule.
Il s’agit d’une figure à tendance schizophrène, qui consiste à dissocier ce
que l’on pense de ce que l’on dit. Comme l’indique son nom, vous dites
même le contraire de ce que vous pensez.
Il faut voir à cela un double avantage : d’une part, vous pouvez être la pire
des pourritures en ayant l’air d’être la personne la plus aimable du monde ;
d’autre part, vous pouvez faire le tri dans vos amis, en éliminant ceux qui
ne sont pas fichus de repérer l’antiphrase.
L’antiphrase est un atout précieux quand votre interlocuteur est un petit
rigolo qui joue la provocation –  autant vous dire que ça ne manque pas
dans les salles de classe :
-  Madame, de toute façon, l’école, ça me saoule, c’est
tout pourri et ça sert à rien. Moi, je vais arrêter de venir
en cours.
- Excellente idée, Jason !

Provocation et antiphrase font rarement bon ménage. Tandis que le


provocateur cherche à vous faire sortir de vos gonds, vous lui coupez
l’herbe sous le pied et allez dans le sens de sa provocation : du coup, il se
retrouve Gros-Jean comme devant.
Nos élèves affectionnent particulièrement l’antiphrase, dont ils se servent
plutôt comme un plan B quand les choses tournent mal. Examinons à titre
d’exemple cet échange avec la jeune Natacha :

- Ohlala, Madame, ça a pas l’air d’aller aujourd’hui, vous


êtes coiffée n’importe comment !
- Je vous demande pardon ? [= « Là, ma petite cocotte, tu
as une demi-seconde pour trouver une solution, sans quoi
j’en connais une autre qui va avoir un souci de coiffure. »]
- Mais non, Madame, c’est de l’antiphrase !
- Parfait !
ÉLOGE PARADOXAL

Pour comprendre ce qu’est l’éloge paradoxal, j’admets qu’il faut savoir ce


qu’est le paradoxe. Ensuite, comme l’indique l’accord de l’adjectif, on
retiendra une bonne fois pour toutes qu’« éloge » est masculin, et qu’il
est donc désormais passible de peine de mort de parler d’UNE éloge.
Merci pour votre attention.

L’éloge paradoxal souligne donc les qualités de quelqu’un ou quelque


chose qui s’attire d’habitude les foudres du peuple  : l’exemple le plus
connu est celui de Don Juan, qui vante dans une longue tirade les mérites
de l’inconstance amoureuse.
Cette définition bien trop longue étant posée, place à l’observation. En tant
que parents, vous aurez bien remarqué que votre enfant est dans la
provocation systématique  ; en tant qu’adolescent, vous savez bien que
vous mettez un point d’honneur à dire le contraire de tout le monde 1.
Lisons ensemble ce petit dialogue tout droit sorti du couloir :

-  Walis, je peux savoir pourquoi vous mettez des


chaussettes dans vos Crocs™ pour venir à l’école ?
- Eh mais Madame, vous êtes ouf ! C’est trop stylé ! C’est
trop swag  ! Le matin ça me prend deux  secondes, en
cours je peux les enlever en trois  secondes si j’ai trop
chaud, et en même temps grâce aux chaussettes, j’ai
pas froid non plus !

Ainsi, être adolescent, c’est aussi défendre l’indéfendable : la fainéantise,


rouler sans casque sur une roue, inscrire son petit frère de 4  ans sur
Facebook, ne pas se laver, ou manger le seau de nuggets au KFC.
S’il faut saluer l’éloge paradoxal car toute tentative d’argumentation est
bonne à prendre, on ne manquera pas de remarquer en revanche que la
qualité des arguments laisse dans ce cas à désirer.

1. J’en profite pour faire une petite parenthèse, les jeunes : certes, il est important de savoir se
démarquer, mais si vous vouliez vraiment le faire, vous éviteriez la crise d’adolescence, et vous
rendriez service à tout le monde.
EUPHÉMISME

LITOTE
De manière tout à fait exceptionnelle, ces deux figures seront traitées
ensemble, car elles sont toujours confondues et qu’on n’en peut plus.
L’euphémisme est la figure réfléchie par excellence ; c’était déjà le cas
avec le grec ancien euphêmismós, qui traduisait le fait de « dire le bon
mot ».

Structurellement, c’est une figure qui permet d’adoucir, d’atténuer la


réalité. L’euphémisme est très fréquemment employé dans les discours
médiatiques, lorsqu’il s’agit de ménager le peuple  : c’est ainsi que le
licenciement de masse se mue en « plan social », que le gigantesque krach
de la Caisse d’Épargne en 2012 se transforme en « incident de marché », et
que la récession cède la place à la «  croissance négative  ». Face à un
sentiment confus de gêne sociale, les Noirs deviennent des « hommes de
couleur  », et le viol d’une femme de ménage un «  troussage de
1
domestique  ». Vous l’avez compris : dans ce contexte, l’euphémisme, c’est
la langue de bois, le « politiquement correct ».
En conseil de classe, les enjeux sont moindres, mais bon, quand même :

«  C’est une classe un peu bruyante [= je me suis fait


poser des sonotones le mois dernier car ils m’ont défoncé
le tympan] mais ils sont sympathiques. »
Mais revenons à nos moutons. Si vous voulez voir un jeune utiliser
l’euphémisme, embarquez-le dans une discussion (ou un texte) sur la
sexualité. Car, s’ils sont complètement débridés sur ce sujet entre eux, on
les retrouve bien engoncés face à un adulte :

- Dites donc, Peter, vous voulez bien m’expliquer ce qui


se passe aux lignes 30 à 37 ?
- Ben… euh… ben, ils l’ont fait, quoi !

Soyons honnêtes  : l’euphémisme est souvent requis dans les domaines


tabous, à savoir le sexe, la mort et le salaire des politiciens.
Je n’en dirai pas plus car, comme vous l’aurez sans doute remarqué, je
l’utilise assez peu. En revanche, ce qu’il est important d’enregistrer jusqu’à
la fin de vos jours, c’est que, bien que très proches, l’euphémisme et la
litote sont différents du point de vue de l’implicite.
Là où l’euphémisme dit ce qu’il dit et c’est tout (vous cherchez à
atténuer, pas à montrer que vous le faites), la litote a quant à elle une
grosse puissance suggestive. Autrement dit, avec la litote, vous signifiez
que vous faites l’effort de descendre de quelques crans, mais que vous
attendez que votre interlocuteur rectifie  : c’est pourquoi vous
l’accompagnez souvent de « c’est le moins qu’on puisse dire ».
Ainsi, dans :

- Madame, franchement, le français, c’est pas marrant-


marrant, et c’est le moins qu’on puisse dire, hein !
vous devez comprendre que vos cours ont l’efficacité approximative d’une
boîte de Lexomil™.
 
N.B. : La célébrissime litote « Va, je ne te hais point » n’en est pas une du
tout, et elle est à prendre au sens propre  : Chimène informe simplement
Rodrigue que les voyants sont au vert et qu’elle ne lui en veut pas d’avoir
tué son père. Point barre.

1. Cette expression malheureuse a été prononcée par Jean-François Kahn, cofondateur de


Marianne, lors de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’affaire DSK ».
FAUTE
Je vous vois déjà frémir d’angoisse : que vient faire l’article « Faute » dans
un livre consacré aux trucs et astuces de la rhétorique  ? Je vous
réponds  donc illico  : la faute fait de vous un beau gosse lorsque votre
interlocuteur croit que vous en faites une alors qu’en fait c’est lui qui se
trompe. Exemple :

- Bon, les jeunes, vous sortirez après que je serai sortie,


si ça ne vous dérange pas.
- Haaaaan, Madame ! On dit « après que je sois sortie » !
- Eh non ! Pourquoi employer le subjonctif après « après
que », puisque l’action a déjà eu lieu 1 ?

Voilà quelque chose qui me fascine dans l’étude de la langue : si une faute
est banalisée et donc employée par le plus grand nombre, on finit par
croire que c’est elle, la norme. Et donc les trois pelés qui, eux, ne se
trompent pas, passent pour des boloss 2.
Alors évidemment, vous n’avez pas toujours sous la main une classe au
taquet qui réagit à la moindre de vos paroles. Dans ce cas, n’hésitez quand
même pas à employer l’indicatif après «  après que  »  : vos interlocuteurs
vous prendront pour un âne, et tandis qu’ils se moqueront de vous avec
leurs autres amis qui font la faute, il y aura bien un prof de français pour
sortir du frigo et leur dire que c’est vous qui avez raison.
Soyez patients.
1. Qu’on me pardonne ce petit ton pédagogico-agaçant, mais c’était trop tentant.
2. « Boloss » s’oppose métaphoriquement à « beau gosse », lequel est souvent abrégé en « BG ». En
revanche dans le premier, le [o] est fermé, alors que dans le second, il est ouvert. Je n’ai jamais
compris pourquoi.
IMPLICITE

L’implicite désigne – vous allez rire – ce qui n’est pas dit explicitement. Il
regroupe à la fois les présupposés et les sous-entendus (je rappelle ici à
toutes fins utiles que ces derniers ne sont pas toujours sexuels).
Utiliser l’implicite, c’est vérifier que votre interlocuteur vous connaît comme
sa poche. Ainsi dans la phrase :

-  Madame, on va pas encore avoir un devoir jeudi


prochain !

Il est important pour le professeur de comprendre toute la souffrance


implicite contenue dans le « encore » : l’adverbe signifie bien qu’il y a déjà
eu des centaines, voire des milliers de devoirs de français, et que ce serait
celui de trop. Notons à ce stade que ce n’est pas parce que je saisis
l’implicite que j’annule le devoir : tels sont les aléas de la vie.
Il n’en demeure pas moins que ne pas saisir l’implicite d’un énoncé crée un
petit bug :

- Ah Madame, j’ai vu que si vous me mettiez 12 au lieu de


11 au dernier devoir, je pourrais avoir la moyenne !
- Vous avez clairement des dons en maths !

On repère ici chez Matteo un acte indirect de langage : en faisant mine de


constater qu’il lui manque un point, il me demande implicitement de lui en
ajouter un. Dans ce genre de cas, j’avoue que je fais celle qui ne comprend
rien.
Attention toutefois à ne pas tout mettre sur le dos de l’implicite :

-  Dites donc Sara, l’orthographe, c’est en option chez


vous ?
- Elle 1 est implicite, Madame !

(Mais saluons tout de même le génie de cette réplique.)

1. Enfin une qui sait que c’est féminin !


IRONIE

NON, l’ironie ne consiste pas uniquement à « dire le contraire de ce que


l’on pense ».
C’est le cas uniquement de l’ironie par antiphrase, qui, comme son nom
l’indique, affiche un décalage entre la pensée et la parole. Vous mettez
ainsi votre interlocuteur au défi de comprendre qu’il y a un couac.

En témoigne cet échange SMS avec Sana, élève de 1re :

- Le bac approchant, je vous


prends quatre  heures en
plus mercredi prochain pour
les révisions.
-  Oh merci, Madame, c’est
super !

- Mais je vous en prie !

-  C’était ironique, hein,


Madame… :(

- Ah.

(J’avais bien évidemment compris.)


Toutefois, il est tout à fait possible d’être ironique en disant ce que l’on
pense. L’ironie est dans ce cas plus proche du sarcasme, qui repose soit
sur le ton employé, soit sur la moquerie, soit sur l’autodérision.
Là où les profs affectionnent l’antiphrase (« Ah ben c’est ça, Nejma, bravo,
continuez à arriver dix minutes en retard à tous les cours, c’est bien »), les
élèves, eux, privilégient le sarcasme :

- Coucou, les djeun’s ! Alors, ça farte ? Vous avez vu, hein


je parle trop grave comme les ados !
- Madame, franchement, on se croirait en 1993, là…

Ici, pour Benjamin, l’ironie ne consiste pas à dire le contraire de ce qu’il


pense (loin de là), mais bien à se moquer de sa pauvre prof en signifiant le
décalage entre ce qu’elle croit et ce qui est vraiment.
Astuce : en cas de conflit, privilégiez l’ironie – ça fait moins de dégâts que
les insultes.
PÉRIPHRASE
La périphrase est utile pour noyer le poisson, dans la mesure où elle
permet de désigner de manière détournée (et plus longue) quelque
chose qu’on ne veut ou ne peut pas nommer.
Conformément à sa racine grecque péri-, la figure consiste à tourner
autour du pot.
La périphrase vous rendra bien des services, notamment pour éviter une
expression un peu crue. Chez nos jeunes élèves, elle est l’alliée de
l’euphémisme dans la pudeur face à la chose sexuelle, comme en
témoigne ce débrief autour de Rayane et Mélissa :

- Eh, mais ils l’ont fait, hein !


- Ils ont fait quoi ?
- Ben, le truc qu’on fait quand on est mariés !

Figure de contournement, la périphrase a aussi une fonction descriptive,


par exemple lorsqu’il s’agit d’identifier les profs entre septembre et mai –
 délai nécessaire pour arriver à retenir leur nom :

- T’as qui en français ?


- Ben tu sais, la prof qui adore les périphrases et qui est
toujours ébouriffée !
- Ah ! Madame Levesque !
Bon. Après tout, pourquoi pas.
PROSOPOPÉE
Issue du grec prosopopoeia qui signifie « personnification », la prosopopée
est très proche de cette autre figure, mais elle a un champ d’action plus
restreint. Elle consiste à faire parler – de manière fictive évidemment  –
une personne morte ou un objet inanimé.
Je vous le dis pour que vous sachiez reconnaître la prosopopée si elle se
présente à vous ; mais ce n’est pas une figure pratiquée par mes élèves car
dieu merci, ils ne font pas encore parler les morts ni les tables.
En revanche, ils aiment imiter les auteurs dans le contexte qui était le leur :

-  Nan, mais Madame, franchement, au XVIIe  siècle, ils


s’embrouillaient vraiment pour des trucs comme
ça ???? Genre Boileau, il arrivait direct sur Perrault en
mode : « Vas-y, j’te jure, c’était grave mieux à l’époque
des Grecs et des Latins. » Et l’autre, il répondait : « Mais
non mec, t’es grave guez, moi j’vais créer une nouvelle
littérature ! » Ça se passait vraiment comme ça ????

Si ce dialogue fictif permet incontestablement de rendre plus vivante la


Querelle des Anciens et des Modernes, il ne peut toutefois pas être
considéré à proprement parler comme une prosopopée, compte tenu du
caractère un peu olé-olé – et donc invraisemblable – de l’échange.
CHAPITRE 3

RENTABILISER

SA FLEMME
 
Les deux chapitres précédents ont pu faire croire –  à tort
cependant – que la maîtrise de la rhétorique nécessitait beaucoup
d’anticipation, de minutie et de perversité.
 
Que nenni ! La rhétorique est aussi l’alliée des flemmards, et sait se
révéler parfaitement compatible avec la loi du moindre effort.

CONTEXTE FAVORABLE :
Les figures de style et procédés recensés ici n’ont pas de domaine
d’application particulier : ils permettent essentiellement de gagner
du temps, tout en arborant une caution rhétorique.

INTERLOCUTEURS DE PRÉDILECTION :
1. toute personne née après 2000, pour qui un mot (a fortiori une
phrase) est toujours trop long ;
2. les hystériques et autres impatients, qui ne tiennent pas en
place et qui sont souvent déjà partis quand vous arrivez à la fin
de votre phrase ;
3. les usagers de Twitter, coutumiers des
cent quarante caractères.

CHANCES DE RÉUSSITE :
Environ 78 %, en raison de la présence encore trop importante
des gens qui vous font répéter.

PLAN B EN CAS D’ÉCHEC :
La dissertation en trois parties.
ACRONYME

SIGLE

Ce duo de folie vous fait gagner beaucoup de temps car vous ne prononcez
qu’un cinquième de chaque mot en moyenne.
L’acronyme ressemble à un mot, mais ne vous méprenez pas  : il n’est
constitué en réalité que de l’initiale de mots qui se succèdent.
Chez les ados, qui ne sont pas les derniers pour en ramer le moins
possible, vous devrez comprendre par exemple  : «  YOLO  »,  qui est un
acronyme anglais pour « You Only Live Once ». Autrement dit : « Lâche-moi
avec tes conseils pourris, on n’a qu’une vie.  » Attention toutefois  : cet
acronyme datant de 2011, vous passerez pour un daron si vous l’employez.
L’acronyme, qui se prononce donc comme un mot à part entière, ne doit
pas être confondu avec le sigle, dans lequel on prononce
successivement les initiales de chaque mot.
Par exemple, CPE :

-  Mohamed, si vous continuez, je vous envoie chez le


CPE !
- Vous savez ce que ça veut dire, Madame, « CPE » ?
- Est-ce vraiment la question ?
- Ça veut dire « Créé Pour Embêter » !

À l’heure où j’écris ces lignes, un nouveau sigle a fait son apparition chez
mes élèves ; il s’agit de « PLS », que nous connaissions jusque-là dans le
langage des premiers secours. Si je peux aisément comprendre que « PLS »
soit beaucoup plus rapide à prononcer que « Position latérale de sécurité »
dans un contexte d’apoplexie, je suis en revanche plus sceptique face à
cette exclamation de Nilay :

-  Madaaaaaaame  ! J’suis trop en  PLS, là  ! J’ai perdu


6 euros !

Je dois bien avouer qu’il m’est aussi arrivé de recevoir ce SMS de la part
d’une de mes collègues : « Si tu me cherches, je suis en PLS au Quick. »
ANALEPSE

PROLEPSE

COUCOU, j’ai une information exclusive à dévoiler  : il existe un mot


français équivalent de «  flashback  »  dans une narration, c’est
«  analepse  ». De même, le procédé qui consiste à mentionner des
éléments futurs s’appelle la prolepse.

Ces deux procédés permettent de gagner un temps conséquent car ils


nous dispensent d’explications supplémentaires.
J’en veux pour preuve l’analepse (retour en arrière, donc) suivante 

-  Mais enfin, Johanna, qu’avez-vous à vous agiter


comme ça, vous me donnez le tournis 1 !
-  Ah mais, Madame, c’est parce que j’ai eu des
problèmes quand j’étais petite !

Nous voyons ici sans encombre que Johanna fait un bond dans le passé
qui lui permet en une seconde de légitimer son comportement du jour.
Pour ce qui est de la prolepse, je voudrais tirer la sonnette d’alarme : non,
on ne sauve pas une copie avec « une ouverture » en conclusion qui nous
projette un an ou un siècle plus tard.
Merci donc de nous épargner désormais ce genre de choses :

On voit donc que Ronsard est très amoureux de sa


femme. Mais les poètes du XIXe  siècle feront eux aussi
des poèmes d’amour  : c’est ce qu’on appellera le
romantisme…

Vraiment, ça n’apporte rien.


N.B. : Il existe aussi une utilisation rhétorique de la prolepse, palme d’or du
gain de temps :

- Dites donc Willy, on peut savoir pour quelle raison vous


êtes en retard ?
- Ohlala, Madame, ça serait trop long à expliquer.

Ben tiens.

1. À ce stade de notre promenade dans le monde merveilleux des figures de style, vous aurez
compris que je lisse extrêmement mon langage afin de me faire passer pour une prof modèle.
En réalité, au grand dam de ma grand-mère, j’ai toujours eu du mal à conserver un langage
châtié plus de 3 minutes 47.
ANTONOMASE

L’antonomase consiste à transformer un nom propre en nom commun,


ce qui pose, vous vous en doutez, le problème de la majuscule. En effet,
si la majuscule a été créée, c’est pour marquer une certaine forme
d’exception : une table est une table parmi d’autres, mais Paul n’est pas
Jacques.
Cela dit, lorsque l’antonomase vient du nom d’un personnage, on conserve
la majuscule.
Par exemple, Don Juan 1 est un personnage de Molière 2, dont on sait (même
sans avoir lu la pièce, n’est-ce pas ?) qu’il est un séducteur invétéré. C’est
sa caractéristique première, et donc, par métonymie, un Don Juan désigne
un séducteur un peu foufou.
C’est pourquoi au lieu de dire  : «  Wesh, Timothée, c’est trop un BG, il se
serre toutes les meufs qu’il veut ! »
on dira plutôt :

Ce Timothée, quel Don Juan ! 

Il va de soi que l’antonomase repose sur une culture commune, car il faut
que votre interlocuteur vous comprenne. Imaginez en effet l’échange
suivant :

- Le rêve de ma vie, ce serait de m’acheter un Picasso… Mais bon,


laisse tomber, j’aurai jamais assez d’argent, ça vaut des millions !
- Oh ben si tu prends pas les sièges en cuir, ça reste accessible,
hein !

Évidemment, en cours, nous avons par définition le même univers de


référence.
Tandis que j’étudiais Flaubert avec mes TL, une de mes élèves lança un jour
à l’une de ses camarades qui affichait ostensiblement une mélancolie
profonde en s’appuyant avec épuisement sur sa paume droite :

- Vas-y, wesh, fais pas ta Bovary !

Et c’est alors qu’en un seul mot, nous vîmes une existence entière de
mélancolie et de désirs inassouvis s’incarner dans cette jeune adolescente
qui, tout simplement, n’avait pas assez dormi.
N.B. : Certaines antonomases sont complètement lexicalisées et ont ainsi
perdu leur majuscule. C’est par exemple le cas de la « poubelle », qui tient
son nom de son inventeur (tant que la poubelle n’existait pas, donc, ce
n’était pas pire de s’appeler Poubelle que Durand).
1. J’en profite pour vous livrer une petite astuce  : quand on parle du personnage, on écrit «
Don Juan », mais quand il s’agit de l’œuvre, c’est Dom Juan.
2. Cela dit, il apparaît dans d’autres œuvres avant Molière, mais que voulez-vous, tous les auteurs
n’ont pas accès à la même célébrité.
APHÉRÈSE

APOCOPE
L’apocope et l’aphérèse, toutes deux de genre féminin, sont deux
castratrices  : la première est issue du grec apokoptein qui signifie
« retrancher », et la seconde de aphaíresis, « ablation ».
Bien que l’aphérèse appartienne initialement au domaine médical, nous ne
sommes pas là pour parler boyaux. Les deux figures consistent à retirer
une partie d’un mot : l’aphérèse grignote le début, et l’apocope la fin.
C’est l’apocope qui se rencontre le plus souvent, car, dieu merci, la flemme
de terminer est plus fréquente que celle de commencer.
L’apocope actuellement la plus en vogue est doublée d’une contraction :

-  Wesh, askip' 1, la prof de français elle fait partie des


Illuminati.

En ce qui concerne l’aphérèse, je ne citerai qu’un exemple, car voici venue


l’heure de la mise au point. On écrit donc :

- Wesh, gro !

En effet, «  gro  » est l’aphérèse de negro, utilisé aux États-Unis pour


désigner les personnes de couleur noire. Ce serait donc une erreur de
croire que tout à coup, l’embonpoint serait devenu une façon de
s’interpeller, avec l’accord grammatical qui va avec (« Wesh, grosse ! ») –
  même si, défaillance de mémoire historique oblige, de plus en plus de
monde écrit « gros ».

1. Il s’agit d’une apocope un peu étrange, censée remplacer « à ce qu’il paraît ».
APOSIOPÈSE
L’aposiopèse nous vient tout droit du grec aposiopesis, preuve s’il en est
que la rhétorique ne nous a pas attendus pour être efficace.
«  À l’époque  », elle désignait déjà le fait de s’interrompre en cours de
phrase, laissant ainsi le sens en suspens : c’est pourquoi l’aposiopèse
est souvent repérable grâce aux points de suspension (que vous êtes
priés désormais de ne plus jamais appeler « trois petits points », car ces
points ne sont pas plus petits que d’autres).
L’aposiopèse déstabilise l’interlocuteur en ce sens qu’elle lui laisse le soin
d’interpréter la fin de la phrase  : ainsi, en faisant mine de laisser l’autre
achever la phrase à son gré, on le plonge en réalité dans des abîmes
d’angoisse, puisqu’il sait bien que nous seuls détenons la Vérité.
L’aposiopèse est un outil très fréquemment utilisé par nous autres
enseignants :

-  Myriam, vous cessez tout de suite de discuter, sinon… [ici, on


pourra éventuellement agiter l’index et froncer les sourcils]

Les points de suspension sont lourds de charge suggestive, et c’est à


Myriam d’imaginer, parmi l’immensité des possibles, le supplice qui
l’attend si elle continue de jacasser.
Toutefois, l’aposiopèse n’est pas l’apanage des enseignants, et il n’est pas
rare qu’on l’entende vociférée au détour d’un couloir :
-  Wesh, la vie de ma mère, tu fermes ta bouche, sinon
j’te jure que…

Nous voyons ici que la conjonction «  que  », censée ouvrir sur une
subordonnée, reste en quelque sorte suspendue dans le vide. Là encore,
l’interlocuteur aura compris qu’il vaut mieux fermer sa bouche plutôt que
de laisser la phrase se finir.
Attention toutefois : il ne s’agit pas de crier à l’aposiopèse à tous les coins
de rue, et ce n’est pas parce qu’il y a points de suspension qu’il y a
aposiopèse.
Trois cas sont ainsi à exclure :
 
1 - La syntaxe pseudo-romantique

J’espère que tu vas bien. Je pense à toi…

Ici, la ponctuation a bien une valeur suggestive, mais aux dernières


nouvelles, la phrase est finie.
 
2 - La parole coupée par l’interlocuteur

- Tu vois, moi je trouve que Pikachu a vachement plus de valeur que
Salamèche, parce que…
- Tu veux pas te taire ?

Dans ce cas, désolée, mais ce n’est pas vous qui interrompez votre propre
phrase, mais quelqu’un qui vous coupe la chique parce que ce que vous
racontez est pénible comme un jour de pluie.
 
3 - L’ignorance

-  Boris, vous voulez bien me dire quelle était la pointure de


Toutankhamon ?
- Ben… C’est… Euh…

Ici, il ne faut pas en vouloir à Boris ; mais même si c’est lui qui interrompt
sa phrase, il ne suggère rien pour autant  : c’est juste qu’il ne sait pas
comment continuer.
ASYNDÈTE

PARATAXE

Cette figure est l’apanage des pressés ou des feignants, puisqu’elle


permet d’enchaîner plusieurs éléments sans exprimer le lien de
conjonction qui les unit.
Ce qui est dommage, c’est que vous perdez une occasion de caser les
fameuses conjonctions « mais, ou, et, donc, or, ni, car », soit à peu près la
seule classe de mots dont on se souvient avec certitude après le CM2.
L’asyndète consiste donc à se passer de conjonctions copulatives 1, ce qui
exige de votre interlocuteur qu’il les restitue. J’ai constaté une prolifération
des asyndètes ces dernières années, parallèlement à la disparition des
marques de subordination.
Amusons-nous ensemble à restituer les conjonctions manquantes dans les
exemples suivants, tous tirés du cours du lundi 8 heures :

-  J’ai pas fait mon français, c’est pas grave parce que
j’ai fait mes maths !
- J’ai pas fait mon français, j’avais autre chose à faire.
- J’ai pas fait mon français, j’ai pas fait mes maths non
plus.
-  J’ai pas fait mon français, je vais encore me faire
engueuler.

L’asyndète relève de la parataxe, phénomène plus global qui consiste à


ne pas exprimer les liens de conjonction NI de subordination.
Constatons ensemble à ce propos à quel point la grammaire est la chose
du monde la plus éloquente  : qui n’a jamais remarqué en effet que nos
libertaires élèves expriment leur insubordination jusque dans la
grammaire ?

- Eh franchement, je pense ça sert à rien, hein, Madame,


de nous saouler avec la grammaire !

Étonnant, non ?

1. Je ne suis absolument pas responsable du choix de l’adjectif, ça s’appelle comme ça.


ELLIPSE

«  Ellipse  » vient du grec élleipsis, qui traduit l’idée d’un manque, d’une
insuffisance – donc l’absence de quelque chose qu’on attendrait.
Le procédé consiste à ne pas exprimer un certain nombre d’éléments,
pour éviter une répétition, pour aller plus vite, ou pour créer du mystère.
L’ellipse (narrative) crée l’impression plus ou moins forte d’un saut dans le
temps.
Dans Le Seigneur des Anneaux ou dans Game of Thrones par exemple, on
remarquera que les moments où les personnages font pipi sont
systématiquement passés sous silence  : il ne faut y voir aucune
ingéniosité rhétorique de la part de l’auteur, simplement une capacité à
évaluer les éléments dignes d’être racontés.
Bien qu’ils passent 87 % de leur journée tanqués sur leur smartphone, les
ados adoptent volontiers un style elliptique dans les SMS adressés à leurs
parents, soucieux de connaître leur heure de retour au bercail :

- 16 h. Bizzzzzz

On ne comprend pas très bien en quoi les douze z de « bizzz » sont moins
longs à taper qu’une réponse entière, et l’on plaint les générations entières
de parents qui, avant que les smartphones ne mémorisent l’ensemble des
conversations, ont dû bien des fois se demander à quoi répondait le :

- OK.

reçu quatre heures après le « Tu rentres dans dix minutes, s’il te plaît. »


Ici, on voit bien que ce n’est pas la même chose selon que «  OK  » est
l’ellipse de « OK, j’arrive » ou de « OK, j’ai lu ».
ÉPIPHONÈME

ÉPIPHRASE

Conformément au sens d’épi- qui signifie «  en plus  », ces deux figures


consistent à ajouter quelque chose à la fin d’un texte, à achever un récit
par une conclusion incisive ; mais là où l’épiphonème permet de conclure
avec une vérité générale, l’épiphrase, elle, permet de donner votre point
de vue sur ce que vous venez de raconter.
L’épiphonème le plus fréquent apparaît dans la morale des fables, ces
quelques vers qui, en dix  mots, synthétisent les soixante-sept  vers
précédents.
Mais, une fois de plus, remarquons ensemble que les figures de style ne se
limitent pas au champ littéraire, comme en témoigne ce récit palpitant
(accrochez-vous) :
-  Madaaaaaaame  ! Je suis trop content  ! Alors, vous
voyez, jeudi dernier, on a eu devoir de maths et c’était
sur un truc que je connaissais pas trop, et du coup,
j’étais méga en stress mais j’ai fait ce que j’ai pu, et là
le prof a rendu les copies, et là vous savez quoi ? Il s’est
trompé, il m’a mis un point en trop, j’ai recompté  ! Du
coup, j’ai la moyenne ! [ici s’achève la partie récit, NDLR]
Franchement, vaut mieux pas grand-chose que rien  !
[épiphonème]

Toutefois, je suis bien obligée d’admettre que la structure même des


adolescents les porte plus volontiers vers l’épiphrase qui leur permet de
donner leur avis, au cas où on ne l’aurait pas vu venir :

-  Madaaaaaaame  ! Je suis trop dégoûté  ! Alors vous


voyez, jeudi dernier, on a eu devoir de maths et c’était
sur un truc que je connaissais pas trop, et du coup,
j’étais méga en stress mais j’ai fait ce que j’ai pu, et là
le prof a rendu les copies, et là vous savez quoi ? Il m’a
oublié un point, j’ai recompté  ! Du coup, j’ai pas la
moyenne  ! [ici s’achève la partie récit, NDLR]
Franchement, je suis dégoûté, j’ai trop la haine, c’est
abusé, ça se fait pas, j’ai envie de mourir là ! [épiphrase]

Merci d’avouer qu’il faut de la patience, quand même, pour faire ce métier.
MÉTONYMIE

SYNECDOQUE

Je dois bien avouer que ces deux figures sont très proches ; néanmoins,
vous conviendrez facilement que si elles s’appellent différemment, c’est
qu’il doit bien y avoir une raison.
La synecdoque consiste, schématiquement, à désigner un ensemble par
l’une de ses parties.
L’exemple traditionnellement donné («  Regarde la voile qui s’éloigne sur
l’océan ! » au lieu de « Regarde le bateau à voile qui s’éloigne sur l’océan ! »)
ne me semble pas vraiment mettre en valeur l’intérêt de la synecdoque.
En revanche, c’est beaucoup plus clair dans :

- C’est quoi déjà, le prénom de Victor Hugo ?


- Vas-y, j’en sais rien, moi, demande à l’autre tronche !

« La tronche » est ici l’équivalent familier de « le cerveau », qui représente
par synecdoque le meilleur élève de la classe. La figure permet ainsi entre
autres de réduire un individu à une seule de ses composantes (qui peut
être plus ou moins flatteuse).
La métonymie, elle, a un potentiel beaucoup plus vaste, puisqu’elle
traduit non plus un rapport d’inclusion, mais un lien d’association.
Examinons ainsi cette tentative avortée de mettre les élèves en autonomie :

-  Benjamin, vous voulez bien vous mettre en binôme


avec Nicolas pour faire l’exercice ?
- Ça va pas, non ? C’est trop un vice, lui !

Ici, le mot «  vice  », dont j’imagine d’après sa prononciation qu’il est


emprunté à l’anglais, désigne un jeune homme non plus par une partie de
lui-même mais par ce qui le caractérise, à savoir un nombre inquantifiable
de défauts : le vice, c’est celui qui ne sert à rien (même si, d’après mes
1
sources, il peut avoir d’importantes qualités intellectuelles ).

1. Je remercie ici Sana de la 1re  S3 pour ses explications lexicologiques aussi détaillées que
pertinentes.
CHAPITRE 4

CHARGER

LA MULE
 
Il n’est pas toujours judicieux d’être dans la retenue ou dans la
synthèse expéditive. Parfois au contraire, il est astucieux voire
indispensable d’en faire des tonnes pour espérer être un peu
entendu.
 
Pour certains d’entre nous, la démesure et l’emphase sont choses
spontanées  ; pour les autres, c’est dans ce chapitre que ça se
passe.

CONTEXTE FAVORABLE :
Les diverses formes de l’amplification sont requises dans tout type
de discours, notamment politique (dans les lettres de motivation
aussi, mais avec modération, au risque de passer soit pour un
flatteur soit pour un fanfaron).
 
Elles vous seront aussi utiles dès lors que vous aurez besoin de
persuader votre interlocuteur, c’est-à-dire de jouer avec ses
sentiments pour le faire changer d’avis.

INTERLOCUTEURS DE PRÉDILECTION :
1. les enfants (avec eux, plus on en fait, mieux ça marche. Y’a qu’à
voir le Père Noël) ;
2. les timides, qui se sentent vite dépassés ;
3. les jurés si vous êtes avocat ;
4. votre chef si vous êtes leader syndical ;
5. tout le monde, en fait (sauf les revêches qui ne jurent que par la
mesure).
CHANCES DE RÉUSSITE :
300 %.

PLAN B EN CAS D’ÉCHEC :
Vous installer à Marseille.
ANADIPLOSE
L’anadiplose consiste à reprendre un mot ou un groupe de mots à la fin
d’une phrase ou d’une proposition et au début de la suivante  : en
fonction du contexte, cela sera perçu comme astucieux ou lourdingue.
Les exemples littéraires sont légion, jusque dans les chansons de
Brassens (« Mourir pour des idées, l’idée est excellente ») : il est inutile d’en
citer d’autres ici, puisqu’on les trouve partout.
En revanche, j’ai pu observer au cours de ces dernières années l’apparition
d’un tic syntaxique relevant de l’anadiplose chez mes chers élèves :

- Et là, il m’a dit quoi ? Il m’a dit « Va chercher ta sœur à
l’école » !

On retrouve ici tout d’abord une tendance farouche à faire les questions et
les réponses, caractéristique d’une jeunesse indépendante voire
autarcique.
Mais si l’anadiplose permet incontestablement de structurer le discours,
elle est aussi dans ce cas une façon de se poser à soi-même les questions
que plus personne ne nous pose, affaiblissement du lien social oblige ( ).
ANAPHORE

ÉPIPHORE

ANTÉPIPHORE

L’anaphore avait traversé les siècles dans l’indifférence la plus totale,


jusqu’à ce que François Hollande fît son apparition lors du débat l’opposant
à Nicolas Sarkozy en 2012 1 :
 
Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne
recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée.
Moi président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de
collaborateur.
Moi président de la République, je ne participerai pas à des collectes de
fonds pour mon propre parti, dans un hôtel parisien […].
 
L’anaphore «  Moi président de la République  », structurée en
quinze répliques, fut tellement efficace qu’on n’a retenu qu’elle, oubliant du
même coup les promesses en chaîne, qui étaient autant de manières de se
positionner contre les choix ou les agissements du candidat adverse.
L’anaphore est sans conteste une figure d’insistance : mais il faut savoir
raison garder, et, très clairement, quinze, c’est un poil trop.
Nos élèves ne sont pas les derniers quand il s’agit d’en remettre une
couche, et bien souvent chez eux aussi, l’anaphore contient l’essentiel de
l’information :

Si je passe en 1re S, je travaillerai.


Si je passe en 1re S, j’arrêterai de bavarder.
Si je passe en 1re S, je sècherai plus les cours.
Si je passe en 1re S, je me ferai pas déboîter par mon
père.
[Conclusion : je veux passer en 1re S.]

Vous aurez remarqué que l’anaphore consiste en la répétition d’un mot ou


groupe de mots en début de phrase ou de vers. Bon ben, l’épiphore, c’est
pareil, mais à la fin. Et du coup, l’antépiphore est un mix des deux –  on
répète donc la même chose au début ET à la fin :

- C’est pas moi, Madame  ! J’ai rien fait  ! C’est toujours


moi qui prends ! Aux autres, vous dites rien ! C’est pas
moi !
Oui oui, je vois bien, vous trouvez ça fastidieux. Eh ben, dites-vous bien
que dans notre métier de planqués toujours en vacances, c’est ça trente
fois par jour, tous les jours de l’année (sauf pendant les vacances).

1. Bon, d’accord, il y a eu le « J’accuse » de Zola avant.


ANTIMÉTABOLE
L’antimétabole est sans aucun doute le plus grand mal de notre siècle, car
on la trouve partout. Assez proche du chiasme, elle consiste en une
inversion croisée de mots.
Rendue célèbre par le «  Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour
manger » de Molière, l’antimétabole envahit désormais le moindre titre de
presse (par exemple, « le monde des affaires ne doit pas diriger les affaires
du monde »).
Employer cette figure vous fait passer pour un être inspiré, qui semble
avoir compris la complexité des choses, et leur réversibilité possible. Vous
laissez votre interlocuteur se débrouiller avec votre phrase inspirante et
pendant ce temps, vous vous dispensez d’une argumentation construite.
Je dois bien avouer que je n’ai jamais entendu d’antimétabole dans la
bouche de mes élèves ; en revanche, tout le monde connaît cet exemple
célèbre, emprunté à la jeunesse révoltée de 68 :

1
Les murs ont des oreilles, vos oreilles ont des murs .

Pourquoi pense-t-on susciter l’admiration en employant l’antimétabole  ?


Tout simplement parce que, a priori, on ne peut dire dans une même
phrase une chose et son inverse. Pour que ce soit possible, il faut ici
opérer un petit glissement métaphorique : les murs ont des oreilles = on
vous écoute ; vos oreilles ont des murs = vous ne voulez pas entendre la
vérité.
Si je n’en avais pas autant ras-le-bol de croiser une antimétabole à chaque
fois que j’ouvre le journal ou une thèse de doctorat, je trouverais que c’est
quand même une figure drôlement astucieuse.
1. On voit ici que l'antimétabole est un chiasme parfait.
ÉPITROCHASME
Voilà une figure qui certes porte un nom à coucher dehors, mais dont
l’étymologie est rigolote comme tout, et dont l’usage est plus que fréquent
pendant les récrés.
Le mot est issu du grec épi- («  en plus  ») et -trokhaikos («  propre à la
course »). La figure consiste ainsi en une succession de termes brefs à
forte valeur expressive.
Les salutations dans les couloirs à 8 heures du matin sont ainsi
assimilables à une explosion d’épitrochasmes :

- Wesh, gro, bien, posé, OKLM 1 ?

On ne m’enlèvera pas de l’idée que l’enchaînement de ces termes – aussi


brefs soient-ils  – prend quand même plus de temps qu’un simple
« Bonjour ».
Mais l’épitrochasme incarne à lui seul le paradoxe de notre trépidante
jeunesse : il faut faire vite, mais dans la surenchère coûte que coûte.

1. Depuis 2014 et un single de Booba, « OKLM » est la version stylée de « Au calme ».
ÉPIZEUXE
Je ne sais pas si ça a un lien quelconque avec ma personnalité, mais j’ai
l’impression de ne pas en finir avec les figures d’amplification.
L’épizeuxe repose sur la répétition à l’identique d’un même terme ; dans
une copie, elle est considérée comme une faute, mais envisagée d’un point
de vue rhétorique, elle a la classe. Elle permet de marquer une pause dans
la phrase, et de donner de l’importance au mot répété.
Ainsi, dans l’exemple :

- Ah non mais alors lui, il est guez, guez de chez guez 1 !

on comprend toute la nécessité de l’épizeuxe : le jeune homme en question


n’est pas seulement naze, mais il est carrément sa propre surenchère dans
le domaine de la nazitude.
Cette astuce permet par exemple de faire la différence avec quelqu’un qui
ne serait que guez.
N.B. : L’épizeuxe ne doit pas, à l’oral, être confondue avec le bégaiement.

1. « Guez » est l’aphérèse de « merguez », et signifie donc « nul ». Je n’y suis pour rien.
EXPOLITION
Pour les grands rhéteurs de l’Antiquité, l’expolition est le meilleur moyen de
perfectionner son style. Voilà une façon optimiste de voir les choses, dans
la mesure où, stricto sensu, cette figure consiste surtout à reformuler une
même idée de plusieurs façons différentes.
Utilisée dans un contexte argumentatif, elle est un genre de Roue de la
fortune : si vous n’arrivez pas à convaincre lors de la première tentative,
vous y arriverez peut-être au bout de la deuxième, ou de la cinquante-
quatrième (si vous êtes tenace).
Considérons à titre d’exemple cet échange :

- J’aimerais que vous vous levassiez afin de vous rendre


chez le CPE.
- Hein ?
-  Ce serait bien que vous quittiez le cours maintenant
pour aller justifier vos absences.
- Pourquoi ?
- Veuillez aller voir la vie scolaire, s’il vous plaît.
- Ben pourquoi ?
- Bon, maintenant ça suffit. Dehors.
- OK, OK, c’est bon…

On voit beaucoup plus nettement le fonctionnement de l’expolition dans un


contexte de dialogue.
Toi-même tu sais, parent, éducateur ou prof  : avoir un enfant ou un ado
devant soi, c’est maîtriser l’expolition comme un dieu.
GRADATION
La gradation est l’apanage des gens qui savent ventiler leur puissance
argumentative. On la définit souvent comme une énumération avec
variation de degré.
Quand le sens des mots est de plus en fort, on parle de gradation
ascendante. Cette dernière a une très forte valeur impressive, comme en
témoigne l’exemple suivant :

-  Eh Madame, j’ai bossé comme un guedin 1 pour ce


devoir ! Si j’ai pas la moyenne, j’arrête tout, j’casse tout,
j’me suiciiiiiiide !

On voit très clairement que l’énumération suit une courbe évolutive


destinée à me faire trembler de tous mes membres. Hélas, il en va de la
gradation comme de l’hyperbole, et elle est tellement fréquente dans la
bouche des élèves et dans la mienne («  Vous me saoulez, vous me
fatiguez, vous M’ÉPUISEZ  !  »), qu’elle en a perdu toute sa force de
persuasion.
À l’inverse, la gradation descendante est assez rare dans une salle de
classe – en tout cas dans la mienne. Elle exige en effet de savoir non plus
monter mais descendre de plusieurs crans. Franchement, c’est pas le
genre de la maison. Imaginez un peu :

« Madame j’ai trop réussi mon devoir de maths ! J’ai eu 20 ! Je suis
fou de joie, content, satisfait. »
La gradation descendante est, vous l’aurez compris, beaucoup plus rare.
Donc si vous en entendez une un de ces quatre, n’hésitez pas, envoyez
BINGO au 81212.

1. Quelques mots en verlan persistent encore, malgré la disparition de cette mode vers  2013.
« Guedin » fait partie des rescapés.
HYPERBOLE

L’hyperbole, pour les ascètes et autres allergiques au gluten qui


l’ignoreraient, est LA figure d’exagération par excellence.
C’est un cas très intéressant d’un point de vue rhétorique : tous ceux qui
ont un jour été jeunes savent à quel point, chez les moins de 25  ans,
l’hyperbole n’est plus sentie comme une figure : elle est tellement utilisée
qu’elle finit par faire partie du langage ordinaire.
Je ne leur jette pas la pierre, n’étant moi-même pas une inconditionnelle de
la nuance et de la modération. Toutefois, j’ai remarqué qu’il était quasiment
impossible pour un ado d’employer un adjectif sans l’agrémenter de
l’adverbe « trop ». Tout est « trop » – ou « grave ».

- Ah non, mais Madame, c’est trop abusé, on va pas faire


Phèdre, c’est trop guez. On pourrait regarder un film, ça,
c’est trop bien. Franchement, on a cours depuis ce
matin, on est grave fatigués !

Dans le même genre, on a vu apparaître vers  2013 l’expression «  j’suis


mort  » devenue omniprésente. Il est évident qu’il ne s’agit pas d’une
prosopopée (car dans ce cas, il faudrait que les ados fussent vraiment
morts pour pouvoir parler), et que c’est donc bien une hyperbole. Les
élèves se déclarent morts à peu près pour les mêmes raisons qu’ils sont
« choqués » (le rire, la joie, la colère, la surprise…) :

- Jimmy, vous avez eu 18 à votre devoir !


- Eh Madame, franchement j’suis mort !
-  Oui mais en revanche, vous avez un avertissement
conduite !
- Eh Madame, j’suis mort !
- Oh regardez par la fenêtre ! Une soucoupe volante !
- Eh Madame, mais là franchement, j’suis mort !

Bref, vous imaginez ce que la conjonction de leurs hyperboles et des


miennes peut donner quand on est tous au max.
HYPOZEUXE
L’hypozeuxe est assez proche de l’anaphore, dont elle est une variante
plus étendue  : il s’agit d’un parallélisme syntaxique, autrement dit de
plusieurs propositions ou phrases construites sur le même modèle.
Cela donne de l’uniformité au discours, en même temps que cela force le
respect pour votre incroyable capacité à organiser vos idées.
Assistons ensemble à un début de cours :

-  THOMAS, JE PEUX SAVOIR CE QUE C’EST QUE TOUT CE


BAZAR ???!!!
-  Ben, mon téléphone c’est pour avoir l’heure, ma
doudoune c’est pour avoir chaud, mes écouteurs c’est
pour faire swag, et le sourire c’est pour faire passer tout
le reste !

La figure est ici construite sur la répétition de la structure suivante :


Groupe nominal + « c’est pour » + groupe verbal à l’infinitif.
Voilà qui m’amène à souligner le vrai paradoxe dans cette histoire  : mes
élèves rechignent toujours à faire des écrits argumentatifs, alors qu’ils
PASSENT LEUR VIE à argumenter.
MÉTALANGAGE

Conformément à son étymologie, le métalangage consiste à parler sur le


langage ; grosso modo, il permet de débriefer en direct ce que dit votre
interlocuteur, en mode Nelson Monfort.
Ce peut être une manière habile de vous assurer que vous avez bien
compris les propos de votre interlocuteur :

- Ah Madame, vous êtes bien coiffée aujourd’hui !


-  Comment ça «  aujourd’hui  »  ? Comment ça «  bien
coiffée » ? Êtes-vous en train de me faire un compliment
ou de me dire que tous les autres jours, je ne ressemble
à rien ???!!!!
Mais c’est aussi une façon d’attaquer votre interlocuteur au sein même de
son discours. Vous lui prouvez ainsi que vous l’écoutez, mais ça ne vous
empêche pas de décrypter la pertinence de ses propos :

- Coucou les djeun’s !


-  Han Madame  ! «  Les djeun’s  »  ! Ça se dit plus
depuis 1997, ça ! Il aurait fallu que vous le sachiez pour
entrer en cours en mode BG !

Ah ben là, je préfère vous dire que ça m’a bien coupé la chique  ! Mais
regardez un peu ce que fut ma riposte métalangagière :

- On ne dit pas « il aurait fallu que vous le sachiez » mais
« il aurait fallu que vous le sussiez ».
- HAAAAAAAAAAAAAN !

Et hop, un partout, balle au centre.


PLÉONASME
Le pléonasme est l’expression redondante d’une même idée ; autrement dit,
il consiste à dire deux fois de suite la même chose.
Les traditionnels « au jour d’aujourd’hui », « monter en haut » et « descendre
en bas » me donnent la nausée, même quand l’orthographe est correcte. Si
vous voulez à votre tour traquer le pléonasme, rendez-vous sur les forums
de discussion : ils en sont farcis.
Le pléonasme est une faute, disons-le. Mais je me souviens de ce spirituel
élève, qui savait en dénicher là où on ne les attendait pas :

-  Bon alors, Christopher  : comment s’appelle ce


théoricien du classicisme un peu maniaque ?
- Ah mais c’est un pléonasme, ça, Madame 1 !

PS  : Comme je suis une petite rigolote, j’ai caché dans cet article
trois pléonasmes : les avez-vous vus ? Saurez-vous les retrouver ?
 
 
 
3 - « forums de discussion », car on fait rarement autre chose que discuter sur les forums
2 - « orthographe correcte », car « ortho » signifie déjà « correct » ;
1 - « redondante d’une même idée », la redondance étant précisément la répétition d’une même idée ;
Réponse :

1. C’est vrai que les théoriciens en question ne sont pas connus pour être des clowns.
POLYSYNDÈTE
Si l’asyndète a les faveurs des ados pour son effet « gain de temps », la
polysyndète a la cote parce qu’elle permet d’étendre les limites de la
phrase et d’ajouter des choses à l’infini grâce à une multiplication des
liens de coordination.
Théoriquement, une énumération n’a pas de limites ; la seule chose qu’on
vous demande, c’est de mettre une virgule entre chaque élément de la
liste, et d’introduire le dernier – et seulement le dernier – par « et ».
La polysyndète, elle, autorise la multiplication des «  et  », ce qui crée un
effet non plus d’énumération, mais d’accumulation.
Comme mon facétieux beau-père, les élèves racontent n’importe quelle
anecdote à grand renfort de polysyndètes, et la font immanquablement
tourner en par’hyponoians. Autrement dit, ils mettent tant d’ardeur à
relancer le récit que la fin s’en trouve décevante :

- Je suis allé au grec, ET là j’ai vu Emma, ET j’lui ai dit


« wesh, bien, tranquille ? », ET là elle m’a dit quoi ? Elle
m’a dit «  Vas-y j’te calcule pas  », ET donc moi ça m’a
foutu le seum, ET là j’ai appelé et mon pote, ET puis…
ben voilà, quoi.

Un récit chiant ? Une petite polysyndète, et hop, le tour est joué !


CHAPITRE 5

CHATOUILLER

UN PEU

LES MOTS
 
La rhétorique n’a pas qu’une finalité argumentative.
En voici, sans plus tarder, la preuve.

CONTEXTE FAVORABLE :
À part le conseil de discipline et le coup de fil aux impôts, il n’y a
pas de contre-indication pour le jeu de mots.
Veillez toutefois à ne pas franchir la limite qui vous fait passer de
spirituel à lourdingue (raison pour laquelle vous ne trouverez ici ni
le calembour ni la contrepèterie).

INTERLOCUTEURS DE PRÉDILECTION :
1. tout auditeur du jeu des mille euros ;
2. un interlocuteur fâché/coincé ;
3. moi.

CHANCES DE RÉUSSITE :
52,4 %, car les gens sont de moins en moins joueurs.

PLAN B EN CAS D’ÉCHEC :
Le calembour ou la contrepèterie.
ANTANACLASE

L’antanaclase est souvent confondue – mais on ne vous en veut pas – avec


la syllepse.
À cette première difficulté s’ajoute d’une part l’inexistence criante de
moyens mnémotechniques pour retenir le nom de cette figure, et d’autre
part l’indifférence assumée de l’étymologie qui ne nous est d’aucune aide
(formation par composition savante à partir du préfixe grec anti- et du
substantif -anaklasis, signifiant « répercussion »).
Pourtant, l’antanaclase est aussi simple que son nom est complexe : elle
consiste tout bonnement à employer deux fois le même mot
successivement, MAIS avec un sens différent à chaque fois.
Attardons-nous quelques instants sur cette pirouette rhétorique qui force
l’admiration et dans laquelle la polysémie trouve enfin un intérêt :
-  Alors Charly, vous nous rappelez comment s’écrit
« saynète » ?
- Avec un accent.
- Oui ! Et comment il est ?
- Il est grave.
- Bravooooooo ! Champagne !!!
-  En même temps, y’a pas que lui qu’est grave, hein
Madame.

C’est ainsi que je fus renvoyée à mes préoccupations archaïques comme à


mon enthousiasme excessif.
L’antanaclase est évidemment d’autant plus rentable qu’elle est
polyphonique  : autrement dit, il est encore plus habile de reprendre les
mots de quelqu’un en leur donnant un autre sens.
L’exemple est canonique, qu’on me pardonne :

- Hamza, vous me fatiguez. Prenez la porte.


- Mais j’la démonte comment ?

L’antanaclase consiste ici à jouer sur le sens littéral et métaphorique de


l’expression « prendre la porte ». Il n’y a pas grand-chose d’autre à en dire,
étant donné que si le dialogue s’interrompt en effet ici le plus souvent, cela
n’empêche aucunement Hamza de prendre la porte, ainsi que les jambes à
son cou (voir Zeugma).
ANTITHÈSE
L’antithèse, souvent confondue à tort avec le paradoxe et l’oxymore, ne
recherche pas la conciliation des contraires ; de manière un peu binaire,
elle révèle des oppositions.
Considérons par exemple cette analyse sociologique pointue, dont l’auteur
est né en 2001 :

-  De toute façon, vous les vieux, vous comprenez rien


aux jeunes ; vous croyez trop qu’on fout rien alors qu’on
bosse comme des oufs pour avoir notre bac ; vous avez
eu la vie facile, vous, à l’époque, alors que nous, on
galère tous les jours.

Il est à noter que pour mes élèves, le monde se divise en deux catégories :
les jeunes (nés après 2000), et les vieux (avant 2000). Ceux nés en 2000
sont perdus quelque part dans un no man’s land et ne sont pas reconnus,
1
car il paraît que c’est un mauvais cru .
D’un côté donc, les «  jeunes  » qui «  bossent comme des oufs  » et qui
« galèrent ». De l’autre, les « vieux », qui, eux, ont eu « la vie facile » et qui
pensent que les jeunes ne « foutent rien ».
C’est très clair ici : pas question de rassembler les deux univers opposés.
Chacun chez soi. Comme disait Johnny à Bébé dans Dirty Dancing : « Ça,
c’est mon espace, et ça, c’est ton espace.
Tu n’envahis pas mon espace, je n’envahis pas ton espace. »
1. En témoigne la métonymie méprisante apparue en 2015 : « Lui, c’est un 2000, je le calcule pas. »
ARCHAÏSME

L’archaïsme n’est pas considéré comme une figure de rhétorique  ;


toutefois, il en a toute l’efficacité. Il s’agit d’un mot (ou d’une expression)
très daté(e), et qui n’appartient plus à la langue contemporaine.
Le mot vient du grec archaïsmos, qui signifie «  imitation des anciens  ».
Vous l’aurez compris : dans le contexte qui nous intéresse, à savoir celui de
l’école, les anciens, c’est moi.
Lorsque nos talentueux élèves nous imitent, c’est souvent caricatural (voir
Pastiche/Parodie)  : dans leur imaginaire fantasmé, les profs de français
parlent tous plus ou moins comme au XIIIe siècle.
J’ai remarqué que parmi les nombreuses évolutions de la langue française
chez mes élèves, l’archaïsme figure étonnamment en bonne place, les
vieilleries devenant paradoxalement un moyen d’innover.
Le cas le plus flagrant est sans doute celui de cette élève de 2nde qui hurlait
à peu près soixante-sept fois par cours : « Madame, chuis choquée ! » Le
problème, que vous aurez identifié si vous vivez à moins de
deux  kilomètres d’un ado, c’est que cet adjectif, dont le sens s’est très
affadi, était pour Farah une façon de dire aussi bien qu’elle était contente,
triste, surprise, voire choquée. Je lui avais donc interdit l’usage de ce mot,
et c’est ainsi qu’elle popularisa au sein de la classe des expressions fort
archaïques :

-  Madame, je suis outrée  ! Franchement, je suis


interloquée !

- Madame, je suis dépitée, là !

-  Madame, dites à Steven de se taire  ! Il est vraiment


culotté, lui !

Ces mots, s’ils ne sont pas des archaïsmes à proprement parler, le sont en
tout cas dans l’imaginaire linguistique des plus jeunes, persuadés que
personne ne les a employés depuis 1412. Cette élève – puis sa classe – a
ainsi fait revivre la langue en ressuscitant ses cellules moribondes, tout en
pensant fièrement « parler comme les profs ».
La langue vit, meurt et renaît, et seul l’usage, c’est-à-dire l’état de la
langue au moment où vous parlez, compte. Ainsi, l’accent circonflexe, dont
l’éventuelle disparition angoisse aujourd’hui les puristes, était absent des
e
grands dictionnaires de la fin du XVII  siècle. Comme quoi, hein.
CHIASME
En grec, χιασμός (chiasmos) signifie «  disposition en croix  »,
conformément à son initiale : vous allez comprendre pourquoi dans un
instant.
L’un des chiasmes les plus drôles qu’il m’ait été donné d’entendre est le
suivant :

-  Madame  ! Pourquoi «  séparément  » ça s’écrit tout


attaché alors que «  tout attaché  » ça s’écrit
séparément ?

Le chiasme repose ici dans la disposition symétrique en miroir :

séparément – tout attaché // tout attaché – séparément

Il s’agit là de la forme de chiasme la plus simple, puisque ce sont les


mêmes mots qui se répètent. Mais pour nos chères têtes blondes
décolorées, le chiasme est plus le condensé d’un monde fondé sur
l’injustice. Il est alors doublé d’une antithèse :

-  Mais Madame, franchement, c’est trop injuste  : vous


pardonnez tout aux autres, et à moi vous laissez rien
passer !
L’opposition est donc double : d’un côté, la tolérance absolue à tendance
laxiste, appliquée à la terre entière  ; de l’autre, une rigidité revêche et
réservée, comme chacun sait, à un seul élève.
Quitte à entendre tous les ans les mêmes crises paranoïaques, on
préfèrerait à tout prendre qu’elles s’exprimassent en chiasme.
À bon entendeur.
CRATYLISME
Le cratylisme n’est pas une figure, mais plutôt un héritage philosophique
de Platon (comme à peu près tout, sauf le cassoulet et le smartphone).
Pour faire vite, le cratylisme veut que les choses portent bien leur nom.
D’ailleurs, cette théorie elle-même est issue du Cratyle de Platon.
Je me souviens ainsi de cet échange près de la cafet’, qui n’a rien à envier
à la poésie de Ronsard :

- Salut, c’est quoi ton nom ?


- Sibel.
- Ça pouvait pas être autrement, vu comme t’es jolie.

En un sens, le cratylisme rassure : il donne l’illusion qu’on peut trouver un


sens au monde. D’ailleurs, quand les choses tournaient à peu près rond,
Édith Cresson était ministre de l’Agriculture et Jacques Delors ministre des
Finances.
De nos jours, plus rien n’a de sens, comme en témoigne notamment
1
l’existence du Juge Gentil .

1. Voir Antiphrase.
DÉRIVATION

POLYPTOTE
Voici encore un binôme infernal. Ces deux figures dont les noms ne se
ressemblent guère ont pourtant un fonctionnement similaire.
Le polyptote consiste à utiliser plusieurs mots appartenant à la même
classe grammaticale, donc par exemple plusieurs fois le même verbe,
avec des personnes et des temps différents : c’est le fameux « Je t’aimais,
je t’aime et je t’aimerai » de Francis Cabrel.
La dérivation, elle, consiste à employer plusieurs mots de même racine,
mais qui n’appartiennent pas à la même classe de mots : c’est le fameux
«  la routourne tournera  » de Ribéry, qui a pris sur lui de créer le nom
« routourne », supposément dérivé du verbe « (rou)tourner ».
Bref. Un jour que j’expliquais à une classe de 2nde les formes et les enjeux
du roman réaliste, voici ce qui se passa :

- Le roman réaliste, voyez-vous, doit être vraisemblable,


mais on ne lui demande pas d’être vrai. Pourriez-vous, à
l’inverse, me donner l’exemple de quelque chose de vrai,
mais qui n’est pas vraisemblable 1 ?
- La coupe de cheveux de Donald Trump !

Cette réplique n’est pas seulement la marque d’un esprit vif et affûté ; c’est
aussi la preuve que l’invraisemblable peut arriver au pouvoir.

1. J’utilise donc ici un polyptote, puisque «  vrai  » et «  vraisemblable  » sont tous les deux des
adjectifs.
EMPRUNT
Rappelons que, grâce à mes élèves notamment, le français s’enrichit
quotidiennement de mots empruntés à d’autres langues.
Je vous fais grâce de week-end et autre timing. Analysons plutôt cette
confidence entendue au détour d’un couloir :

- Raaaah, j’ai le seum ! Il veut pas de moi, lui ! Pourtant,


j’le kiffe grave, il est trop kawaï !

Vous me direz sans doute – et vous aurez raison – que mon exemple est
peu probant, puisqu’ici, les mots gardent leur consonance étrangère,
qu’elle soit arabe (« seum », « kiffer ») ou japonaise (« kawaï 1 »).
Soit. Jouons alors au même jeu dans ce deuxième échange :

- Tu es allé faire les courses ?


-  Oui, en allant acheter du sirop pour le petit, j’ai vu un nouveau
magasin, à deux rues d’ici.
- Celui qui fait l’angle, avec la jupe rouge en vitrine ?

En lisant ceci, d’une part vous partagerez la douleur des grammairiens qui
doivent sans cesse inventer des exemples coupés de toute spontanéité,
mais d’autre part vous remarquerez que les emprunts à l’arabe ont
parfaitement intégré le bagage lexical français.
« Magasin » nous vient tout droit de l’arabe mahāzin, pluriel de mahzan, qui
signifie « entrepôt ». « Sirop » et « jupe » existaient en arabe avant d’être
récupérés par le latin, souvent médiéval (gubba signifiant «  veste de
dessous », et šarāb « boisson ; sirop »).
Vous je ne sais pas, mais moi je trouve ça super.

1. En arabe en effet, seum signifie « venin » et donc, par extension, avoir le seum équivaut à « être
dégoûté ». Kawaï est le mot japonais pour dire « mignon ». Enfin, kif signifie « amusement » en
arabe, et plus généralement kiffer est synonyme d’« aimer ».
ÉTYMOLOGIE

Tout prof de français (et a fortiori de latin) vous dira que les langues mortes
sont sur le point de mourir une seconde fois.
Toutefois, pour des raisons que je n’ai pas encore élucidées, l’étymologie
passionne les foules chaque année.
Étymologiquement, étymologie signifie « recherche du vrai », et c’est peut-
être pour ça que nos élèves lui sont attachés  : ils ont ainsi l’impression
qu’il n’y a pas d’arbitraire de la langue, et sont rassurés en apprenant que
les mots ont une histoire.
Combien d’élèves ont hurlé leur déception parce que j’ignorais l’étymologie
de tel mot, ou parce que tel autre ne venait ni du latin ni du grec ? Car oui,
pour nos élèves, si un mot n’a pas d’origine antique, c’est la dépression
direct.
Le mot dont l’histoire a le plus de succès est sans aucun doute « travail »,
dont l’étymon latin tripalium désigne un instrument de torture. Tant que
vous êtes debout, sachez aussi que le mot « ministre », qui a vocation à
susciter déférence et soumission, vient pourtant du latin minus (qui
signifie « moins ») et partage sa racine indo-européenne avec les adjectifs
«  minable  » et «  minuscule  » –  car initialement, le ministre est un
subalterne. Vous me direz après coup que ça ne vous surprend pas, mais
j’en connais qui seraient bien marris de connaître cette origine.
L’étymologie n’est pas qu’affaire de scoop  : j’ai remarqué que les élèves
accèdent souvent au sens des mots en les découpant de manière
morphologique. La méthode n’est pas absurde lorsqu’il y a des préfixes ou
des suffixes, mais donne parfois des résultats surprenants :

- À votre avis, qu’est-ce qu’un apothicaire ?


- Un vendeur de vieilles poteries ?

Confrontée à un mot inconnu, Caroline a déduit qu’«  apothicaire  » était


formé de poterie et d’antiquaire. Ce genre de réflexe me semble
caractéristique d’une inquiétude face à un langage qui nous échappe : la
paronomase et l’étymologie sont alors des bouées qui permettent de se
raccrocher à ce que l’on connaît.
Pour finir, je vous laisse partager mon moment de solitude lorsqu’un de
mes petits rigolos s’est lancé dans des hypothèses sur l’étymologie
d’« hétéroclite ».
KAKEMPHATON
Déjà en grec, le kakemphaton renvoie à quelque chose de dissonant  : il
s’agit d’un calembour, d’autant plus drôle qu’il est involontaire.
En d’autres termes, vous croyez faire une phrase toute sérieuse, bien
construite, voire philosophiquement profonde, et là un petit malin vient
entendre autre chose que ce que vous dites. Une de mes élèves de 2nde
était ainsi spécialiste de ce genre de choses :

(On frappe à la porte)


- C’est ouvert 1 !
- Euh... Un extraterrestre, Madame ?

S’il est parfois nécessaire de répéter 975  654  fois les mêmes choses, je
peux vous garantir que le kakemphaton, lui, ne passe jamais inaperçu.
C’est la raison pour laquelle j’ai dû délaisser une expression un peu
désuète que je chérissais pourtant : « Un doute m’habite. »

1. Quand c’est un prof de français qui le dit, on entend « c’est tout vert ».
LAPSUS

Le lapsus, dont le nom lui-même est assez cocasse, a été théorisé par
Freud, qui accordait une consistance et une profondeur transcendantales
à ce qui vous faisait passer avant lui pour un gros obsédé sexuel. Par
exemple, lorsque Rachida Dati parle de « fellation » au lieu d’« inflation », la
psychanalyse évoque le « parler-vrai de l’inconscient ».
Dans le milieu scolaire, il existe deux formes de lapsus. Le premier, lapsus
linguae, est l’angoisse du prof, et nous tombe donc évidemment dessus au
moins une fois par an.
En témoigne ce délectable exemple qui ne m’est heureusement pas arrivé
à moi :

- Madame, on fait quoi avec nos copies ?


- Vous les léchez… laissez dans mon casier !
Peu de temps après, ce fut mon tour de m’y coller :

- Bonjour tout le monde ! Allez, on continue le commentaire, sortez


vos sexes… vos textes, donc !

Ce sont des moments où l’on a tout simplement envie de mourir. Dieu


merci, comme personne n’écoute, ça passe crème si j’ose dire.
Le deuxième type de lapsus est un fake, souvent utilisé par les élèves pour
rattraper le coup :

- Madame, mais Victor Hugo dans « J’accuse »…


- Ce n’est pas Hugo, c’est Zola !
- Oups pardon, c’était un lapsus 1 !
- Ben tiens.

N.B.  : Le correcteur automatique de l’iPhone™ vous fait bien souvent


commettre des lapsus appelés lapsus calami, propres à l’écrit. L’algorithme
qui fait que j’écris systématiquement «  gros bisons  » reste encore un
mystère.

1. C’est sans doute ce qui s’est passé pour le fameux « Le livre qui m’a le plus marqué ? Zadig et
Voltaire » de Frédéric Lefebvre.
NÉOLOGISME
Le néologisme, comme son nom l’indique, est un mot inventé de toutes
pièces.
Lorsque vous en faites un, vous passez le plus souvent pour un beau
gosse, une espèce de savant fou qui joue avec les mots pour en créer de
nouveaux. Ainsi le gugus qui le premier s’exclama « Ah tiens, plutôt que de
prendre le train, je vais covoiturer ! » créa non seulement un nouveau mot,
mais aussi une nouvelle réalité. Le Robert lui rendit hommage en faisant
entrer le mot dans le dictionnaire en 2016.
En revanche, les créateurs du verbe « zlataner 1 » n’ont pas réussi à faire de
même, ce qui est bien dommage, je trouve.
J’attire votre attention sur le fait qu’il faut arrêter de bomber le torse d’un
air viril dès que vous dites : « Euh, alors ça, c’est un peu capillotracté ! » En
effet, il s’agit dès l’origine d’un néologisme erroné, signifiant non pas « tiré
par les cheveux » mais « traîné par les cheveux ».
De même, prenez garde aux néologismes involontaires qui, loin de vous
faire passer pour un dieu du lexique, vous transforment en gros boloss du
barbarisme : c’est le cas, sans vouloir faire de politique, de la « bravitude »
de Ségolène Royal, ou de la « méprisance » de Nicolas Sarkozy.
D’après les statistiques de mon tableau Excel, le néologisme le plus
employé par les élèves est l’adjectif «  ennuyant  ». Je n’en tire aucune
conclusion.

1. Il s’agit des scénaristes des Guignols de l’Info, sachez-le.


PALINDROME
Le mot «  palindrome  » vient du grec pálin qui signifie «  en arrière  » et
drómos, qui signifie «  course  »  ; pour autant, il n’a rien à voir avec le
moonwalk.
Le palindrome est un mot qui se lit de la même façon dans les deux sens,
et il est pour cette raison difficile à improviser. Toutefois, sachez que des
gens se sont donné pour mission d’en construire, et que certains sont
devenus célèbres : « Esope reste ici et se repose », ou encore « élu par cette
crapule ». Georges Pérec, qui n’était pas à un défi près, en a pour sa part
proposé un de 1 247 mots.
Ce que je dis souvent à mes élèves anglicistes, c’est que LOL est aussi un
palindrome. Il y a un super bouquin qui porte ce titre, d’ailleurs…
PASTICHE

PARODIE
Voici deux énergumènes qui, s’ils peuvent paraître semblables dans leur
forme, ont un objectif sensiblement différent : là où le pastiche imite un
style avec l’intention de l’honorer ou de lui rendre hommage, la parodie
penche du côté de l’imitation moqueuse et satirique.
Tous deux sont à distinguer du plagiat, qui consiste à pomper
intégralement ce qu’a dit ou écrit un autre, et qui en quatorze  secondes
vous transforme en boloss de la rhétorique.
Le pastiche constitue à peu près 87,9 % des sujets d’écriture donnés aux
lycéens : « Vous réécrirez ce texte à la manière de Zola », « Vous imaginerez
la suite de cette nouvelle de Maupassant  », «  Vous écrirez un sonnet
semblable à ceux de la Pléiade ».
Notez bien que ce n’est pas parce qu’on demande un pastiche qu’il est
réussi.
La parodie est beaucoup plus rigolote  : exigeant le même don
d’observation, elle requiert de plus un talent de caricaturiste. Il s’agit donc,
pour pasticher un style, d’en repérer les traits les plus marquants, et de les
grossir à outrance (on se croirait place du Tertre à Montmartre).
Je vous mets mon billet que dans 99,99 % des cas, vous obtiendrez ceci si
vous demandez à un élève de parodier son prof de français :

-  Ciel, Ahmed, vous êtes en retard  ! Y fûtes-vous


autorisé ? Que nenni ! Cela va vous porter préjudice !
Le pire, dans tout ça, c’est qu’en multipliant les archaïsmes, ils restent
persuadés d’imiter leur prof le plus fidèlement du monde.
Il est donc temps de remettre les pendules à l’heure, briser la glace, mettre
les points sur les i et tout ce que vous voulez : les profs de français aussi
font pipi, mangent des barbes à papa à la foire du Trône, et parlent comme
des charretiers en salle des profs.
PONCTUATION

Bien qu’elle représente la partie la moins visible de notre langue, la


ponctuation est indispensable : comme chacun sait, le diable est dans les
détails, et l’oubli d’une virgule peut vous coûter un point 1.
Dans l’exemple désormais canonique «  On va manger, grand-mère  !  »,
l’absence de virgule après « manger » transforme une courtoise invitation à
passer à table en une orgie cannibale.
Mais les ambiguïtés de ponctuation ne se limitent pas à la virgule, ou au
point d’interrogation et autres points de suspension précédemment traités
(voir Interrogation  rhétorique et Aposiopèse). La question du point
d’exclamation est fondamentale chez nos jeunes ouailles qui, en
choisissant ou non de l’utiliser, en disent beaucoup sur leur rapport rebelle
au monde.
On peut ainsi constater que l’enthousiasme associé au point d’exclamation
est réservé en priorité aux amis, mais que les parents en sont globalement
privés.
Étude comparative :

- wesh, rv dtaleur à l’arrêt de


bus.

- wééééé ! trop stylééééééé !

-  Mon chéri, papa vient te


chercher en voiture à la fin
des cours pour que tu n’aies
pas à prendre le bus. Et ce
soir on fait ce que tu veux !

- ok @+

En revanche, pour ce qui est de la valeur d’indignation de ce même signe


de ponctuation, nous autres professeurs sommes en général plutôt bien
servis :

- Prenez vos agendas pour lun…


- Madaaaaammmeeeeuh !!!!!! C’est abusééééééé !!!!!!!

Mais bon, ne nous plaignons pas, c’est quand même mieux que d’avoir un
auditoire larvaire et indifférent.
1. Pour le jeu de mots ici présent, voir Syllepse.
REGISTRES
Je profite de cet article pour faire une petite mise au point : les registres
NE SONT PAS les niveaux de langue.
Plutôt utilisés pour l’analyse des textes, les registres désignent
l’impression que ces textes sont supposés provoquer chez le lecteur.
Il convient donc de savoir en toutes circonstances choisir le registre
adapté à la fois à ce que vous voulez dire et à votre interlocuteur.
JOUONS ENSEMBLE  : SAUREZ-VOUS RETROUVER À  QUEL REGISTRE
APPARTIENNENT LES PHRASES SUIVANTES, GLANÉES AU FIL DE MES COURS ?

NB : Il va de soi qu’on ne commence à s’amuser que quand les registres ne


sont pas employés à bon escient : on pourra ainsi tenter l’élégiaque à un
mariage, ou le comique face à un agent de police. Envoyez-moi vos
expériences au 83234.
 
Registre comique (qui prête à rire, donc) •
 
Registre élégiaque (associé à la plainte) •
 
Registre épique (associé aux combats et aux batailles) •
 
Registre didactique (qui vise à transmettre un enseignement) •
 
Registre pathétique (qui vise à susciter la compassion de
l’interlocuteur) •
 
Registre satirique (dont le but est à la fois de se moquer et d’être
critique) •
 
Registre lyrique (qui correspond à l’expression de sentiments
intérieurs) •

•— « Madaaaaame ! Je sais, je suis en retard mais alors, quand je suis sorti


de chez moi, y’a un mec qui m’a embrouillé, puis après ils étaient cinq,
ils m’ont frappé, et moi j’ai dit que j’avais cours avec vous, je les ai tous
défoncés avec mon sac et y’en avait même un qui saignait, et après j’ai
dû courir derrière le bus pendant vingt minutes, il voulait pas s’arrêter, et
après… »

«  Madaaaaaame  ! Mais vous avez jamais joué à la PS4  ????!!!! Alors,


vous appuyez sur le bouton «allumer» de la télévision puis de la
•— console, ensuite vous placez vos mains de chaque côté de la manette,
la droite à droite et la gauche à gauche, après vous… »

« Madaaaame ! Vous dites toujours qu’à cause de nous, vous allez avoir
•— des cheveux blancs, mais pardon mais y’en a déjà qui sont passés
avant nous, non ? »

«  Madaaaaame  ! Vous savez qu’il existe au moins un écrivain non


•— alcoolique ! Ben oui, c’est Boileau ! »

« Madaaaaaame ! Je suis trop triste, l’an prochain je vous aurai pas, vous
allez trop me manquer, franchement j’ai jamais eu une prof comme vous,
•— mon cœur saigne, j’ai jamais autant souffert (ad libitum). Vous pouvez
pas juste me rajouter un point dans la moyenne du troisième
trimestre ? »

« Madaaaaaaame ! Mais vous ne pouvez pas faire ça, on a trop de travail,


•— on est épuisés, si vous nous donnez un DM en plus on va mourir, vous
vous rendez pas compte. »

« Madaaaaame ! Mais si vous me mettez pas la moyenne, ma mère, elle


va m’empêcher de manger pendant une semaine encore, puis elle va me
•— dévaloriser devant ma petite sœur, alors que Madame, franchement, moi
je travaille dur et j’y arrive jamais. »
SYLLEPSE

Proche de l’antanaclase, la syllepse signifie dès son origine «  action de


prendre ensemble ». Elle consiste à employer un mot en sollicitant à la
fois son sens littéral et son sens métaphorique.
La syllepse est donc encore plus admirable que l’antanaclase – mais c’est
un avis totalement subjectif.
Observons-la chez cet élève de 2nde un peu agité :

-  Madame, aujourd’hui, c’est mon mercredi sans


retenue !

Nicolas joue ainsi sur deux sens du mot «  retenue  », sollicités en même
temps alors qu’en contexte, ils sont contradictoires : le mercredi est à la
fois le jour sans pudeur et celui sans heures de colle.
Il existe également une syllepse grammaticale (appellation stylée pour
« faute de grammaire ») où l’accord se fait non pas en fonction du genre
mais en fonction du sens.
Ainsi, lorsque vous dites « J’ai vu un espèce de requin dans la mer ! » et que
le prof de français dans la caravane d’à côté vous crie «  On dit UNE
espèce ! », vous pouvez lui rétorquer avec bonhomie : « Désolée cher ami, je
fais une syllepse grammaticale, c’est-à-dire que je choisis mon
déterminant non pas en fonction d’ “espèce” mais de “requin”. »
Force est de constater que l’erreur est devenue figure.
De même dans cet exemple :

- Madame, je suis allée à l’administration et ils m’ont dit


que c’était bon pour mon certificat de scolarité !
- « Elle » m’a dit, non ?
-  Non, je parle des gens de l’administration  ! C’est une
syllepse grammaticale !

Voyez comme cette brave figure peut vous tirer de situations plus que
délicates, car n’oubliez pas  : où que vous soyez, un prof de français est
probablement caché derrière un pilier à guetter la faute.
SYLLOGISME
Le syllogisme s’inscrit dans la dimension logique de la rhétorique. Il s’agit
d’un raisonnement argumentatif très resserré, dans lequel, à partir d’un
constat général dont vous extrayez un cas particulier, vous tirez une
conclusion qui se veut incontestable.
Les exemples sont nombreux depuis  Aristote (qui a tout inventé sauf la
machine à pain et la trottinette électrique).
Si nos élèves ne respectent pas toujours les critères formels du syllogisme,
ils sont en revanche très au point sur les argumentations expéditives :

-  Tous les profs sont relous. (proposition majeure  :


énonciation d’une loi globale marquée par un pluriel
exhaustif et un présent de vérité générale)
Or vous êtes prof, Madame. (proposition mineure  : on
extrait un élément particulier de l’ensemble dont on vient
de parler)
Donc vous êtes relou. (conclusion, dans laquelle le cas
particulier a nécessairement les mêmes caractéristiques
que l’ensemble dont il est extrait)

On voit bien à quel point la rhétorique peut être une entourloupe, puisque
toute l’argumentation se construit ici à partir d’un présupposé tout à fait
contestable, mais présenté comme une vérité communément admise et
inébranlable.
Je vous aurais bien présenté l’auteur de ce syllogisme, mais il n’est
évidemment plus de ce monde.
CHAPITRE 6

CRÉER DU SON

ET DE l’IMAGE
 
Il faut bien le dire : l’esprit humain a besoin de visualiser quand il ne
peut pas voir.
 
Nombreuses sont les figures qui peuvent dans ce cas venir à votre
rescousse, en créant un spectacle son et lumière digne du Puy du
Fou.

CONTEXTE FAVORABLE :
Les figures qui suivent vous aideront surtout si on vous demande
de raconter ou d’expliquer quelque chose. En effet, n’appuyez pas
sur votre touche play si votre interlocuteur est tranquillement en
train de lire le journal et essaie désespérément de vous faire taire.
Certaines d’entre elles (mais je ne vous dis pas lesquelles) sont
aussi, lorsqu’elles sont bien maîtrisées, de précieux atouts de
séduction.

INTERLOCUTEURS DE PRÉDILECTION :
1. les gens « bon public » ;
2. les pointilleux qui veulent tout savoir et croisent leurs sources ;
3. les romantiques ;
4. les musicos.

CHANCES DE RÉUSSITE :
Tant que vous ne cherchez pas à séduire (car là, il y a trop de
variables), on est dans les 98 %.
0,4 % avec ma mère, qui déteste l’article « poésie ».
PLAN B EN CAS D’ÉCHEC :
Se faire embaucher au Puy du Fou.
ALEXANDRIN
Au XVIIe siècle, qui est quand même une des périodes de l’histoire littéraire
où on a le moins rigolé, Nicolas  Boileau établit que l’alexandrin doit se
composer de deux  hémistiches, donc de deux segments de six  syllabes,
séparés par une pause assez forte appelée césure :
Qui n’a pu l’obtenir / ne le méritait pas (Corneille)
6 6
Au XIXe siècle, ce gros punk qu’était Victor Hugo s’exclama :
J’ai disloqué / ce grand niais / d’alexandrin.
4 4 4
Il intégra alors le gang de ceux qui ne respectaient pas le rythme 6/6, lui
préférant par exemple un rythme 4/4/4.
Nos élèves confessent avoir du mal à entendre le rythme majestueux de
l’alexandrin, notamment lors de la lecture des textes classiques. C’est sans
doute la raison pour laquelle ils n’entendent pas non plus lorsqu’ils en font
involontairement.
Je me souviens ainsi qu’au beau milieu d’un cours de 2nde, un de mes
élèves s’était exclamé, voyant mon nouveau porte-clés :

- Mais quelle est donc / cette breloque misérable ?

Tout occupé à sa joie d’avoir réutilisé le mot « breloque » découvert la veille


en cours, Sam venait de faire un alexandrin digne de La Pléiade.
Voilà qui vous pose un homme.
ALLÉGORIE
D’après son étymologie grecque, allégorie signifie « dire autre chose que ce
qu’on paraît dire  » –  ce qui n’est pas franchement éclairant dans le cas
précis.
Assez proche de la métaphore et de la personnification, l’allégorie consiste
en peinture comme en littérature à représenter de manière concrète un
concept abstrait.
Pour ceux d’entre vous qui sont déjà passés par un tribunal (ça ne me
regarde pas), vous avouerez par exemple que vous n’y avez jamais croisé
cette jeune femme aux yeux bandés, svelte et diaphane, portant à bout de
bras un glaive et une balance en bronze  : c’est pourtant ainsi que se
présente l’allégorie de la Justice.
Pour montrer qu’on fait une allégorie, on met en général une majuscule au
nom commun : la justice c’est une instance, la Justice c’est une dame aux
yeux bandés qui se trimbale avec une balance et un glaive.
Je me souviens avec délectation du message de cet élève qui me racontait
son exposé dans un autre cours :

- Je pense que ça s’est bien passé, et j’ai eu la chance et


l’honneur d’être accompagné par ce cher Chronos, qui a
fait retentir la sonnerie pile au moment de mon dernier
mot !

Chronos est ici l’allégorie du temps ; dans ses représentations picturales, il


arbore, lui, une faux et un sablier (car oui, en général les attributs
allégoriques sont un peu lourdingues en termes de symbolique).
Bref, tout ça pour dire que le recours à l’allégorie est la condition sine qua
non d’une soirée réussie.
ASSONANCE

ALLITÉRATION
Ces deux figures sont, avec le champ lexical, les chouchoutes de vos
enfants lorsqu’ils entrent au lycée. Il s’agit de figures phonétiques
auxquelles je ne trouve pas grand intérêt, mais qui nécessitent quelques
mises au point.
1 - Merci de retenir jusqu’à la tombe qu’« assonance » contient deux s
et un n, et qu’« allitération » contient deux l et un t.
2 - C’est vrai qu’«  assonance  » ressemble plus à «  consonne  » qu’à
« voyelle » ; toutefois, c’est l’assonance qui est liée aux voyelles, et
l’allitération aux consonnes.
3 - Ces deux figures ne sont pas associées à des lettres, mais à des
sons.

L’assonance consiste donc en une répétition de sons vocaliques, et non


de voyelles. Considérons à titre d’exemple cette phrase prononcée par
Jessica après obtention d’un 14 en commentaire :

- Hiiiiiiii ! Hiiiiiiiiii ! Hiiiiiiiiii ! Ouiiiiiiiiii ! Merciiiiiiii !

On note donc ici une assonance en [i].


L’allitération quant à elle consiste en une répétition de sons
consonantiques. On ne sait jamais trop quoi en faire, sauf dans le cas où
l’allitération imite un serpent (« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur
vos têtes ? ») ou la brutalité d’une rupture (« Ta Katie t’a quitté »).
COMPARAISON
S’il y a bien quelque chose qu’on n’a pas besoin de répéter soixante-
quinze fois par minute, c’est la différence entre comparaison et métaphore.
Les élèves ont bien compris que la première était définie par la présence
« d’un outil de comparaison ». Il faut dire que ça ne manque pas tout à fait
de logique.
J’en profite néanmoins pour rappeler que la longue liste de ces outils ne se
limite pas à « comme ».
La comparaison a deux fonctions essentielles, et vous dépannera dans
bien des circonstances  que je vous laisse découvrir en page suivante.
Première fonction : didactique
Le registre didactique consiste à transmettre un enseignement, ce qui – je
suis payée pour le savoir – nécessite avant tout de se faire comprendre. La
comparaison est alors un outil malin qui permet d’établir un lien entre
l’univers inaccessible dont vous êtes en train de parler et celui qui est
familier à vos interlocuteurs.
Assistons ensemble à l’une de mes galères quotidiennes :

-  Alors vous voyez, dans le roman naturaliste, les


personnages sont placés en observation, on les regarde
évoluer dans un milieu social donné et…
- Hein ? Mais ça veut dire quoi, ça, encore ?
-  Bon, en gros, c’est comme [=je m’apprête à jouer ma
dernière carte] les rats de laboratoire, quoi.
- Aaaaaaah ! D’accord !

La jouissance pédagogique est indissociablement liée au moment où c’est


l’élève lui-même qui restitue la comparaison :

- Madame, ça veut dire quoi « échevelé » ?


-  Alors, d’après la signification du préfixe latin ex-
auquel s’ajoute un radical dérivé du mot cheveu… [ici
figure un discours lexicologique aussi passionnant
qu’hermétique]
- Aaaaaah ! Mais c’est comme vous quand on a cours à
8 heures, quoi !
Sans commentaire.
Deuxième fonction : poétique
Notre monde étant triste à pleurer – et c’est pas près de s’arranger –, on
peut néanmoins essayer de l’embellir un peu en le comparant à quelque
chose de plus chouette. C’est déjà ce qu’avait fait Éluard avec son illustre
« La Terre est bleue comme une orange » : on ne comprend rien, mais que
voulez-vous, c’est beau.
De là à faire le beau gosse, il n’y a qu’un pas : vous prenez un air inspiré
pour faire une comparaison poétique et profonde, et l’autre se sent démuni,
persuadé de ne pas avoir accès à la richesse de votre monde intérieur. Qui
en effet a déjà compris le «  Je t’aime comme un fou, comme un soldat,
comme une star de cinéma » de Lara Fabian ?
 
N.B. : Vous ne séduirez jamais personne avec des comparaisons telles que
« Tu es belle comme le soleil » ou « Tes yeux sont bleus comme l’océan ».
HOMÉOTÉLEUTE
Je vous vois déjà râler en disant  : «  C’est quoi ce nom barbare encore  ?
Y’aurait quand même moyen de faire plus simple ! » Eh bien, sachez que les
deux autres noms de la figure sont « homoïotéleute » et « homoïotéleuton » :
comme quoi il faut se satisfaire de ce que l’on a.
Cette figure consiste en une répétition de sons identiques en fin de mots ;
elle crée en quelque sorte un effet de rime dans la prose.
Je ne prendrai qu’un exemple, issu d’une vieille mais authentique chanson
paillarde, qui pratique l’homéotéleute et s’en sert pour construire son effet
de chute : « Tu avances et tu recules, t’es vraiment nulle, tu avances et tu
recules, comment veux-tu que je t’en… -lace ? »
Voyez comme on s’habitue à l’homéotéleute et comme on est presque déçu
qu’elle disparaisse.
Je vous l’ai dit, il y a de la rhétorique partout pour qui veut bien la voir.
HYPOTYPOSE
L’hypotypose est fort souvent employée par notre jeunesse, à son insu.
Elle consiste en une description vive et imagée d’une scène à laquelle
votre interlocuteur n’a pas assisté, mais qu’il doit avoir l’impression de
voir se reproduire sous ses yeux tellement vous la lui racontez bien.
C’est une figure que l’on trouvait souvent dans le théâtre classique, car au
e
XVII  siècle, on n’avait pas le droit de représenter la violence sur scène : du

coup, il était fort astucieux de faire intervenir un personnage pour raconter


tout ce qui était un peu trash.
L’hypotypose est aussi rudement commode pour intimider votre adversaire,
en lui montrant, en gros, ce qui l’attend. Qu’on pense par exemple à la
menace de Raoul dans les célèbres Tontons flingueurs, où l’hyperbole se
double d’une gradation :

« Je vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins
de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits
bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop,
j’correctionne plus : j’dynamite, j’disperse, j’ventile ! »

Ce n’est pas parce que nos élèves ne nous menacent pas qu’ils ne passent
pas leur vie à enchaîner les hypotyposes :

-  Ah mais Madame, y’avait une aaaaaaraignéééééée


dans le coooouuulllllooooiiiir ! Elle avait six pattes avec
plein de poils dessus, on aurait dit les cils de Jessie, et
ses yeux, Madame, ses yeux ! Elle nous regardait comme
si elle voulait nous manger, en pointant ses antennes
sur nous ! Et elle avançait sur le côté comme un crabe !

En fait, il s’avère que ce n’était qu’une mouche  ; mais là n’est pas la


question.
N.B. : Très souvent, l’hypotypose est associée à l’hyperbole. Moi-même, je
les pratique volontiers lorsque je veux expliquer ma demande
d’avertissement conduite.
MÉTAPHORE
Très proche de la comparaison, mais fonctionnant sans outil comparatif,
la métaphore a moins une fonction didactique que poétique.
Elle a aussi un certain nombre de points communs avec la personnification
et l’allégorie.
Selon que vous voulez ou non vous faire comprendre, vous choisirez la
métaphore in praesentia –  dans laquelle sont exprimés le comparé et le
comparant – ou la métaphore in absentia – dans laquelle n’est mentionné
que le comparant.
J’emprunte l’exemple suivant à l’élève d’une de mes collègues, qui évoque
à sa façon la noblesse de l’alexandrin :

-  (…) et les alexandrins, grands messieurs en costume


qui ne voyagent qu’en première classe.

Il s’agit ici d’une métaphore in praesentia, dans laquelle « les alexandrins »


font office de comparé, et les «  grands messieurs en costume  » de
comparant. La présence des deux est ici indispensable, car sinon on se
demanderait bien de qui on parle.
Certaines métaphores in  absentia sont néanmoins très claires dans un
contexte donné. C’est le cas par exemple dans la phrase suivante,
entendue en cours il y a peu :

- Attention ! Le dragon va cracher du feu !


Je préfère vous dire que quand je suis en colère en face de vous, pas
besoin qu’on vous explicite le comparé – IL SE VOIT TRÈS BIEN !
PARONOMASE
La paronomase est un genre d’homophonie foirée. Tandis que
l’homophonie –  comme son étymologie l’indique  – désigne deux mots ou
expressions qui se prononcent de la même façon, la paronomase – comme
son nom ne l’indique pas  – désigne deux mots ou expressions qui se
prononcent presque de la même façon.
La paronomase la plus célèbre reste incontestablement celle de Verlaine :
« Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville. »
Moins illustre mais tout aussi brillant, cet exemple d’une de mes élèves de
1re L :

- Laetitia, vous ne voulez pas vous calmer, un peu ? Ça


nous ferait des vacances.
-  OK, OK, Madame, regardez  : j’inspire, Shakespeare,
j’inspire, Shakespeare…
- …
-  Eh ouais, je respire comme une vraie littéraire
maintenant !

On rigole bien, quand même.


PERSONNIFICATION

Figure assez connue, la personnification consiste à attribuer des


caractéristiques humaines à ce qui n’en a pas ; si le renard et la cigale
des Fables de La Fontaine parlent, c’est grâce à la personnification.
Dans l’exemple suivant :

-  Mais c’est pas de ma faute si je suis en retard,


Madame, c’est l’heure qui est en avance !

la personnification est un habile moyen de se déculpabiliser, en renvoyant


le monde à ses responsabilités.
Puisqu’on en est aux confidences, il faut bien avouer qu’avec l’âge vient la
facilité à parler aux choses qui nous entourent ; dieu merci, elles ne nous
répondent pas encore (voir Prosopopée).
Il n’est ainsi pas rare d’entendre en salle des profs des tirades virulentes
adressées à la photocopieuse qui, comme vous le savez, fonctionne à peu
près une fois sur quatre.
Examinons dans cet exemple pris au hasard les marqueurs de la
personnification :

- P**** mais c’est pas vrai ! Tu te fous de moi, là ? Allez, avoue, tu te
fous de moi ! Tu fais exprès de pas marcher quand j’ai un devoir de
quatre heures et trente-cinq photocopies à faire ! Allez allez, fais un
effort, allez steuplé, voilà, voilà… Oui c’est bien, comme ça  !
Aaaaaaaaah, mais tu le fais exprès !

Plusieurs indices sont à analyser ici comme les premiers symptômes d’une
démence légère :

- pronom de l’interlocution « tu » (en effet, quand tout va bien là-


haut, on a plutôt tendance à parler de la photocopieuse à la
troisième personne) ;
- procès d’intention («  tu te fous de moi  ») qui prête à la
photocopieuse une forme de perversité sadique ;
- culpabilisation (« tu le fais exprès ») ;
- supplication (« steuplé ») ;
- infantilisation (« voilà, voilà, c’est bien ! »).

Ce ne sont pas là des manières de s’adresser à un objet, avouez-le.


POÉSIE
La touche de poésie peut indéniablement être un atout rhétorique : encore
faut-il être clair sur ce qu’on entend par « poésie ».
ALERTE !
Non, la poésie ne se limite pas à « ce qui a des rimes », « ce qui est en
alexandrins », « ce qui est en vers » : car non, nous ne sommes plus « à
l’époque » et dieu merci, depuis le XIXe siècle, on fait un peu autre chose. Il y
a même de la poésie en prose (voir Oxymore).
La poésie se définit par sa beauté, sa gratuité, son rythme et une forme
de langage qui, intuitivement, nous semble différent de la prose
traditionnelle.
Qu’on me pardonne cet unique exemple un peu grivois, lu sur le mur des
toilettes de l’université Paris-Sorbonne où j’enseignais alors :

Dans le vent j’ai vu tes cheveux,


Sur le banc suce ma queue.

La rupture est ici évidente entre la première proposition qui se veut


poétique (ne serait-ce que par l’antéposition du complément «  Dans le
vent »), et la seconde, particulièrement grossière, conçue comme un effet
de chute dans ce qui s’annonçait comme un poème d’amour (dont la
qualité laissait elle-même à désirer).
En dépit de cette grossièreté, on remarque pourtant la présence de ce qui
est associé à la poésie traditionnelle, en l’occurrence les rimes, qu’elles
soient externes (cheveux/queue) ou même internes (vent/banc).
Voyez un peu comme la poésie est un phénomène complexe, et comme on
peut avoir un rythme poétique associé à quelque chose d’extrêmement olé-
olé.
N.B.  : Il est déconseillé d’essayer de «  faire de la poésie  », surtout pour
séduire, car c’est un exercice difficile et dans lequel il n’est pas rare de se
ridiculiser.
<3
Il est évident, je crois, que ce livre est une œuvre collective et que je
n’aurais jamais pu le faire seule. Je tiens donc à remercier tous ceux qui,
d’une manière ou d’une autre, ont participé à son élaboration :
Marion  Alline tout d’abord, dont les facétieux élèves émaillent ces
pages, et qui a relu la moindre ligne avec un regard aussi bienveillant
qu’exigeant : chaque fois que vous avez ri, c’est grâce à elle.
Mes élèves du lycée Voillaume à Aulnay-sous-Bois, qui se démènent au
quotidien pour que la langue française ne redevienne pas comme « à
l’époque ». Dans ce livre se reconnaîtront, pour les années 2012-2016 :
les 2ndes 9, 13, 3, 1 et 15 ; les 1res STMG2, L1, S3 et STMG1 ; la TL1 ; les 1TSIOc
et 1TSCRSA. Merci aussi à ceux qui ont participé au choix de la première
de couverture : la 2nde 1, la 2nde 15 et la 1re STMG1.
Laure-Hélène Accaoui, meilleure éditrice du monde et éternelle amie.
Ma précieuse équipe de Plouha, qui a contribué à la résolution
d’épineux problèmes. Merci donc à Julien  Marsay, Aurélia  Dal  Zotto et
Judith Aquien, intraitable relectrice et généreuse lexicologue (elle saura
reconnaître la notice qui lui est dédiée).
Stéphanie  Lefèvre, Marie-Cécile  Kovacs et Émilie  Paulin, avec qui je
travaille ou aurais rêvé de le faire, et dont les voix résonnent çà et là.
Delphine  Denis, ma directrice de thèse, qui n’a jamais cessé de me
soutenir et grâce à qui ce livre a pour moi du sens aujourd’hui.
Enfin, tous ceux que je n’ai pas cités et qui, entre éclats de rire et
soupirs ennuyés, ont accepté d’être mes cobayes de lecture.Ma
gratitude va notamment à ma mère.

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