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Clo Magdeleine. La panoplie de Persée : fonctions de l’objet-attribut. In: Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce
Archaïque, numéro 16, 2013. pp. 43-58;
doi : 10.3406/gaia.2013.1598
http://www.persee.fr/doc/gaia_1287-3349_2013_num_16_1_1598
Résumé
L’objet se définit comme un élément essentiel d’une tenue d’un personnage et permet de
l’identifier. L’histoire de cet objet, qu’il soit vêtement, accessoire, arme, ou autre, lui est liée. Quel
rôle joue alors l’objet dans l’épisode mythologique ? Comment devient-il un attribut de ce dernier ?
Persée est un héros qui est entouré de nombreux objets lorsqu’il accomplit ses exploits : les
sandales ailées d’Hermès, le casque d’Hadès, une besace, un bouclier et la harpè. Mais ces
objets ne sont pas là par hasard. S’ils paraissent redondants aux yeux des lecteurs des mythes,
c’est qu’ils ont chacun un rôle et une fonction précis. C’est précisément l’utilisation particulière que
fait Persée de ces objets qui permet sa victoire sur la Gorgone et c’est la raison pour laquelle ce
sont précisément les objets qui marquent le lecteur lorsqu’il se représente Persée, tant dans cet
épisode que dans celui de la délivrance d’Andromède. Les objets qui entourent le personnage
mythologique ne peuvent être négligés et ont une signifi cation toute particulière : ils le constituent
en tant que héros.
La panoplie de Persée :
fonctions de l’objet-attribut
MAGDELEINE CLO
Université Grenoble 3
1. Pour cette étude, nous nous intéressons uniquement aux occurrences littéraires des
objets, et non iconographiques, que nous laissons pour les notes : les représentations pic-
turales, pléthoriques, de Persée devraient constituer une étude à part entière.
2. Cet auteur ne fait pas partie de notre corpus de textes car aucun objet de la panoplie de
Persée n’est mentionné.
de la tête de Méduse 3, mais il ne mentionne pas celui qui l’a tuée. Il nous
faut attendre Ovide et Apollodore, avec leur long récit sur les exploits
du héros, pour avoir une version complète du mythe de Persée 4, avec sa
panoplie d’objets. Néanmoins, dès l’époque archaïque, il est indéniable
que le mythe est parfaitement connu et diffusé : s’il n’est pas connu par
l’écrit, il est tout de même présent sur des représentations picturales 5. Le
héros est accompagné le plus souvent des objets qui vont lui permettre de
réaliser ses exploits. Le mythe de Persée semble donc particulièrement
intéressant pour notre étude : les représentations littéraires du héros et de
ses objets que le mythe véhicule, sont riches de sens.
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quel guerrier est le héros 7. Dès lors, l’objet est signifiant et révélateur de
l’identité du héros et participe pleinement à sa construction identitaire.
Si l’objet n’a d’existence que pour et par le personnage, alors les objets
inutiles n’ont dès lors pas leur place au sein de la narration. Les objets qui
n’ont précisément pas d’incidence sur le récit sont les seules œuvres d’art,
ou les daidala, selon la terminologie de Françoise Frontisi-Ducroux 8, dont
on justifie l’existence par leur seul caractère extraordinaire. Ils trouvent
leur place dans le récit sous la forme d’ekphraseis par exemple. L’objet ordi-
naire, qui est manipulé au quotidien par les héros, n’est pas indépendant ;
il est même intimement lié aux personnages, l’accompagnant tout au long
du récit, véritable support dans les péripéties de la narration.
Le récit mythologique construit une relation de proximité et de dépen-
dance entre l’objet et le héros, lors de la réalisation de l’exploit, mais cette
relation ne suffit pas pour créer la relation d’identité supposée par l’idée d’at-
tribut : on dit généralement d’un objet qu’il est un « attribut » lorsqu’il permet
l’identification irréfutable du personnage auquel il est lié. Il est nécessaire
alors de passer par la représentation figurée pour comprendre cette rela-
tion. Le mythe fait le récit d’un événement qui peut être mis en images : les
peintures de vases représentent le plus souvent le moment crucial du mythe
(le moment où le héros est victorieux), en figurant parfois d’autres éléments
antérieurs. C’est ainsi que tel dieu est représenté sur une coupe parce qu’il a
donné ses armes au héros et qu’il guide par là son geste 9. Le don de l’objet
indique implicitement la présence de celui qui l’a donné.
À travers la représentation figurée de l’événement, la relation entre
le héros et l’objet qu’il utilise se resserre encore : le moment représenté
fige cette relation et permet d’accorder une grande importance à l’objet,
en tant qu’il est au cœur de l’action. Le personnage ne peut plus alors
être envisagé sans son objet. Selon les dictionnaires, un attribut est un
« signe distinctif conventionnel, souvent peint, sculpté ou brodé et utilisé
à des fins artistiques, qui accompagne une figure mythologique ou allé-
gorique, un personnage, une chose personnifiée, etc. 10 ». En restreignant
cette définition à l’objet, nous pouvons dire que l’objet-attribut 11 est un
7. La lance de Bellérophon, par exemple, ne peut être utilisée que par un cavalier, celui
qui chevauche Pégase. Notons que c’est également l’arme d’Athéna, qui a aidé le héros à
dompter le cheval ailé.
8. Voir Frontisi-Ducroux (1974, p. 25-26).
9. Voir par exemple la coupe attribuée à Paseas, « Héraclès et Cerbère », datant de 530-
500 av. J.-C. (exposée au Museum of Fine Arts de Boston, no 01.8025), où Hermès, qui,
selon Apollodore, a donné ses armes à Héraclès, est représenté en second plan.
10. Trésor de la langue française informatisé.
11. Nous gardons à dessein un trait d’union entre les deux termes car nous concevons
l’objet-attribut comme un élément unique qui occupe une fonction essentielle dans les
représentations picturales ou littéraires.
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12. Voir par exemple le relief votif de la grotte des Nymphes, datant de 330 av. J.-C.
(musée national d’Archéologie, Athènes). Le dieu Pan est représenté assis, tenant une
syrinx à la main, aux côtés des Nymphes et d’Hermès. Une représentation étrusque plus
ancienne (450-400 av. J.-C.) figure le dieu en train de jouer de la syrinx (British Museum,
Londres).
13. Ce mythe est notamment raconté par Ovide, dans les Métamorphoses, en I, 689 et suiv.,
et chez les romanciers grecs, Achille Tatius dans Leucippé et Clitophon, en VIII, 6, et Longus,
dans Daphnis et Chloé, en II, 34.
14. Pour certains personnages mythologiques, une particularité physique suffit pour l’iden-
tification : le Cyclope, par exemple, n’a qu’un seul œil, ou le dieu Pan a des pieds de bouc
(mais ce type de représentation n’est pas systématique).
15. Voir par exemple le lécythe à figures rouges attribué à Tithonos représentant Hermès
seul, avec ses attributs : le caducée bien sûr, mais aussi la chlamyde, le petasos et les sandales
ailées (480-470 av. J.-C., MET, New York – Fletcher Fund, 1925, 25.78.2).
16. En l’occurrence, le caducée, en grec κηρύκειον, est l’emblème des hérauts et est néces-
saire lors des négociations.
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17. Les filles de Phorcys sont notamment les Grées et les Gorgones.
18. Par commodité, nous choisissons de ne pas différencier les auteurs des Fables et du
traité De l’astronomie, mais certains critiques estiment qu’ils étaient bel et bien différents.
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Persée est équipé d’un ensemble de cinq objets : les sandales ailées, le
casque d’Hadès, la besace, l’épée recourbée et le bouclier. Ces objets sont
des accessoires ou des armes nécessaires à la réussite de l’entreprise. On
pourrait donc parler pour ces armes de « panoplie », en grec πανοπλία,
c’est-à-dire, selon la définition, « armure complète d’un chevalier, accom-
pagnée des armes offensives et défensives qui constituaient son équipe-
ment 19 ». Même si tous ces éléments ne sont pas des armes telles que
la définition habituelle le suppose, nous pouvons tout de même parler
de collection d’éléments dont la fonction est de permettre au héros de
remporter la bataille contre le monstre.
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Le casque d’Hadès
Ce casque a été obtenu par Hadès lors du partage du monde : Zeus a
obtenu la foudre, Poséidon le trident, Hadès le casque d’invisibilité 24.
L’Ἄιδος κυνέη, l’expression courante, « contient les ténèbres lugubres de
la nuit 25 », ce qui permet à celui qui le porte d’être dissimulé aux yeux du
monde 26.
Ce n’est que dans le mythe de Persée que ce casque a ce pouvoir
d’invisibilité. On ne connaît pas d’autres utilisations de cet objet dans
la mythologie. D’ailleurs, ce sont également les Nymphes qui l’offrent à
Persée, selon Apollodore, ce qui suscite des divergences d’interprétation
sur le possesseur de ce casque.
Hygin lui-même, dans son De l’astronomie ( II, 12), affirme que le pou-
voir du casque n’induit pas qu’il appartienne à Hadès :
Praeterea galeam, qua indutus ex adverso non poterat videri. Itaque Graeci Aidos
galeam dixerunt esse, non ut quidam inscientissime interpretantur, eum Orci
galeam usum ; quae res nemini docto potest probari.
De plus un casque, qui permet à celui qui le porte de ne pas être vu par un
ennemi. Les Grecs ont dit alors que c’était le casque d’Hadès, bien que Persée
ne l’utilise pas, contrairement à ce que certains interprètent par ignorance, le
casque d’Orcus lui-même, ce que personne de savant ne peut croire.
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La besace
La besace de Persée, qui n’est pas mentionnée par tous les auteurs, est
désignée par un terme très rare, κίβισις, parfois glosé par πήρα, notam-
ment par Apollodore qui en donne une définition : κεῖσθαι ἐκεῖ ἐσθῆτα
καὶ τὴν τροφήν (« on peut y mettre des vêtements et de la nourriture »).
C’est la définition exacte de la πήρα. Le terme de κίβισις aurait des ori-
gines chypriotes 29, mais il est mentionné déjà dans le texte hésiodique.
D’ailleurs, dans les représentations picturales, la besace apparaît dès la
toute première représentation du mythe de Persée (env. 630 av. J.-C.).
Elle a pour fonction de cacher la tête et de la montrer à la fois 30 :
πᾶν δὲ μετάφρενον εἶχε κάρη δεινοῖο πελώρου,
Γοργοῦς·
et son dos disparaissait tout entier sous la tête d’un monstre effrayant – la
Gorgone 31 !
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La harpè est l’arme dont Hermès s’est servi pour tuer, par décapitation,
le géant Argos sur les ordres de Zeus 33. Pour Lucain, c’est la même arme
qu’a obtenue Persée des Nymphes :
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Il est intéressant de noter que la faucille, avec sa lame courbe, est une
arme qui décapite ou qui ampute : Nonnos de Panopolis 35 insiste sur le
pouvoir meurtrier du héros Persée, il est Γοργοφονεύς, le créateur du futur
Γοργόνειον. Cette arme est caractéristique de Persée et nécessaire pour
trancher la tête de Méduse.
Le bouclier
Le bouclier est l’élément le plus ambigu dans le mythe de Persée. En effet,
c’est le seul objet de sa panoplie qui n’est pas donné par les dieux ou les
Nymphes, selon la majorité des sources : il n’apparaît que dans l’épisode
de la Gorgone. Nous pouvons nous interroger sur cette place du bouclier
et sur l’usage qu’en fait Persée. La plupart des versions mentionnent la
déesse Athéna qui guide le bras de Persée au moment de frapper Méduse.
Plus tardivement, Lucain affirme que c’est Athéna qui a elle-même donné
le bouclier à Persée : « et clipeum laeuae fuluo dedit aere nitentem 36 » ( IX,
669). Certes le dedit paraît clair, mais on peut imaginer que la déesse ne
fait bien que guider Persée en plaçant dans sa main le bouclier. Il ne me
semble pas que l’on puisse strictement interpréter le bouclier comme exo-
gène d’après ce vers.
Le bouclier est la pièce la plus controversée de l’équipement de Persée,
car elle n’apparaît tout d’abord pas dans l’iconographie avant 400 av. J.-C.
Selon les fragments de Phérécyde, Athéna et Hermès tenaient un miroir
pour aider directement Persée. Dans d’autres versions perdues ou tardives,
le miroir pouvait être fait d’eau. La première mention du bouclier, clipeus,
se trouve chez Ovide sans que l’on sache qui lui a donné, ou s’il l’avait
déjà. Ce bouclier est particulièrement brillant puisqu’il est assimilé (voire
confondu avec cet objet) à un miroir. C’est là sa principale caractéristique.
Il n’est donc pas magique comme les autres objets de la panoplie.
Le bouclier occupe la même fonction que le casque d’Hadès : il permet
d’atténuer la puissance du regard de Méduse et donc d’échapper à la pétri-
fication. Certains critiques ont donc écarté le bouclier de la panoplie. Il
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Le regard de Méduse
Si nous estimons que tous les éléments de la panoplie de Persée ont une
fonction dans le mythe, on est en droit de se demander quel est le rôle
exact du bouclier du héros, quand le casque d’invisibilité le dérobe déjà aux
regards meurtriers de la Gorgone. Les problèmes soulevés par Méduse et
son pouvoir de pétrification ont été largement abordés par la critique, et
même Freud lui a consacré un essai en 1922, Das Medusenhaupt. Pour
notre étude de la panoplie de Persée, nous pouvons nous y intéresser en
restreignant la question du regard aux objets du mythe : que nous disent
le casque et le bouclier sur le pouvoir pétrificateur de Méduse ?
Le pouvoir de Méduse a été interprété de deux manières : soit être
regardé par Méduse pétrifie (il faut que la Gorgone pose ses yeux sur celui
qu’elle tue et donc l’avoir dans son champ de vision n’est pas mortel), soit
voir Méduse pétrifie (c’est-à-dire que la seule présence de la tête pétrifie
celui qui la voit). Pour le premier cas, au moment de l’arrivée de Persée,
on constate que le bouclier n’est pas essentiel, puisque Persée est rendu
invisible par le casque : il peut voir sans être vu. Méduse ne le pétrifie pas,
puisqu’elle ne pose pas son regard sur lui directement.
in Space, le vaisseau spatial dans la série télévisée de la BBC, Doctor Who] ne semble pas être
pris en charge par les sources antiques »).
40. Pour la justification de la présence du casque et du bouclier à propos du regard de
Méduse, qui sont les deux seuls objets qui possèdent vraisemblablement une fonction
identique, c’est-à-dire de protéger Persée du regard de Méduse.
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41. La déesse Athéna refuse l’attribut habituel des femmes, le miroir, car elle n’a pas
supporté de voir son visage déformé lorsqu’elle joua de l’aulos, selon Frontisi-Ducroux
(1997, p. 87).
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42. Il s’agit de l’artiste peintre qui a représenté sur un lécythe un miroir avec une tête de
femme à l’arrière, comme c’était souvent le cas sur les miroirs à boîtier.
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καὶ τὸ μὲν ὅσον τοῦ κήτους εἶδε τὴν Μέδουσαν, ἤδη λίθος ἐστίν, τὸ δ´ ὅσον
ἔμψυχον μένει, τῇ ἅρπῃ κόπτεται. ( Lucien, Sur l’appartement, 22)
La partie du monstre qui a regardé la Méduse est déjà pétrifiée, le reste
encore vivant est sous le tranchant de la serpe 43.
Bibliographie
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