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1S BAC BLANC février 2012 corrigé de la DISSERTATION

LE RÔLE DE L’OBJET AU THEÂTRE

[amorce] Objet essentiel pour le comédien de l’Antiquité, le masque permettait au spectateur d’identifier le
personnage joué et de voir de quel registre il s’agissait (tragique ou comique). En revanche, certains accessoires du
décor, dans les pièces classiques par exemple, ne servent apparemment qu’à remplir l’espace scénique afin de créer
l’illusion théâtrale.
Au théâtre, l’objet est-il accessoire, utile ou indispensable ? A-t-il trait au décor, au personnage ou à l’action ?
[problématique] En somme, quel est le rôle de l’objet au théâtre ?
[plan] L’objet au théâtre apporte d’abord des indications sur le cadre ou les personnages. C’est aussi un élément en
lien avec le personnage qui peut avoir un rôle par rapport à lui. Il se peut enfin qu’il ait un rôle déterminant dans
l’action.

Sur scène, l’objet peut être considéré comme un panneau indicateur qui délivre une information au
spectateur.
Les objets ont d’abord pour mission de représenter, c’est-à-dire de rendre concrète et visible la fiction qui
est vécue par les personnages. Ils permettent au spectateur d’entrer dans l’illusion théâtrale en recréant un décor
vraisemblable en en conférant aux personnages une activité. Telle est la fonction des objets qui occupent Roxane
dans la dernière scène de Cyrano de Bergerac : « Elle revient à son métier, le replie, range ses laines »(v.8). Cela crée
pour le spectateur l’illusion de la réalité.
Les objets permettent également de « dire » au spectateur où se déroule l’action sans pour autant prendre
le temps de la description. On reconnaît tel objet caractéristique d’une époque ou d’un pays. Les romantiques ont
beaucoup développé cet aspect informatif avec l’idée de « couleur locale » : il s’agissait de décrire très précisément
le décor, dans la didascalie initiale notamment, pour que sa représentation soit proche de la réalité historique
évoquée. En effet, dans Ruy Blas de Victor Hugo, le dramaturge commence la pièce en décrivant très précisément le
décor et les costumes, ce qui permet de situer la scène dans l’Espagne du XVII ème siècle. Un regard avisé suffit pour
situer la scène.
Porteur d’indications temporelles ou spatiales, l’objet peut aussi donner une indication sur l’identité des
personnages : leur âge ou leur statut social peut être signifié par un objet. Une couronne par exemple suffit à
identifier un roi, un torchon disposé sur le bras un serveur, une canne un vieillard. L’objet peut même servir, comme
dans l’Antiquité, à définir l’identité du personnage. C’est ainsi que deux jumeaux ont été joué par le même comédien
dans la représentation de la Comédie des Erreurs de Shakespeare (à Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse, mars 2011) : le
spectateur reconnaissait aisément duquel il s’agissait car un chapeau et une paire de lunettes servaient à distinguer
les deux rôles. L’objet incarne alors le rôle autant que le comédien.

Accessoire utile, mais pas toujours indispensable, l’objet permet au lecteur/spectateur de situer l’action et
d’identifier les personnages. Mais lorsqu’il est utilisé par un personnage, son importance grandit et sa signification
s’enrichit.

L’objet porté par un personnage peut être considéré comme un prolongement de son corps et lui est conféré
alors une valeur symbolique. Phèdre ne parvient pas à convaincre Hippolyte de la tuer, c’est pourquoi elle lui
demande son épée, avec le projet de se donner la mort avec. Dans ce cas, elle considère l’objet comme un attribut
du jeune homme qui le symbolise et dont elle se saisit, faute de pouvoir séduire son possesseur. L’épée de Dom
Diègue dans Le Cid de Corneille a également une valeur symbolique : elle représente sa gloire passée et sa défaite
présente : « et toi, de mes exploits glorieux instrument,/Mais d’un corps tout de glace inutile ornement  ». Harpagon,
l’Avare de Molière ne parveint pas à exister sans sa cassette d’argent. Plus qu’un indicateur, l’objet peut être alors
un symbole dont le sens est à décrypter.
L’objet peut aussi provoquer diverses réactions chez les personnages et devenir le témoin de l’expression de
ses sentiments. C’est alors presque un personnage, tel le confident dans les tragédies, qui permet au spectateur de
découvrir les émotions des personnages. C’est ainsi que la reine manifeste son tiraillement intérieur dans Ruy Blas :
irrésistiblement attirée par la lettre de l’inconnu, elle tente vainement de s’en éloigner pour y revenir ensuite. Elle
exprime alors ses états d’âme et les objets (ici la lettre et la statue) permettent de rendre visible le tiraillement
intérieur qui la déchire. De même dans les Fausses Confidences de Marivaux, la lettre qu’Araminte demande à
Dorante d’écrire est un artifice pour découvrir ses sentiments envers elle.
Il arrive enfin que l’objet se hisse jusqu’au rang du personnage et acquière la même importance sur la scène
en tant qu’actant. Dans Dom Juan, la statue du commandeur n’est-elle pas un objet qui parle et qui agit comme un
autre personnage ? Considérons également le théâtre de vaudeville qui met parfois en scène des objets qui agissent
comme des personnages, comme s’ils étaient acteurs dans l’intrigue. Dans Un Chapeau de paille d’Italie en effet, le
protagoniste est un chapeau qui est mangé par un cheval puis qui circulera dans tout Paris, tout déchiqueté qu’il est.
Et toute l’intrigue va consister à en retrouver un autre identique  ; c’est donc ce chapeau qui mène l’action dans cette
pièce de Labiche. Il en est de même pour le tableau blanc dans « Art » de Yasmina Reza : ce nouvel achat va
bouleverser les relations entre les trois amis et prendre toute la place dans leurs conversations. L’objet devient le
plus important des actants, avant même les personnages, pour mener l’action. Ionesco octroye enfin toute la place
dans l’intrigue et sur la scène aux chaises dans la pièce du même nom, tout en ne les rendant pas visibles. Celles-ci
envahissent l’espace et créent une atmosphère angoissante et dérisoire.

Ainsi l’objet peut-il représenter symboliquement le personnage, permettre de découvrir ses sentiments ou
devenir lui-même un personnage qui agit dans l’intrigue. Mais il n’a pas forcément besoin d’être comme un
personnage pour avoir un rôle fondamental dans l’intrigue : certains objets sont indispensables au bon déroulement
de la pièce alors qu’ils ne prennent pas sur scène la place d’un personnage.

Il y a d’abord des objets sans lesquels la scène ne peut être représentée sous peine de ne pas être crédible.
Comment jouer la scène dans laquelle Scapin se joue de Géronte sans le sac et le bâton  (Molière, Les Fourberies de
Scapin) ? Et comment jouer le dialogue entre Elmire et Tartuffe sans la table qui sert à cacher le mari (Molière,
Tartuffe) ? Dans ces deux cas l’objet permet à un quiproquo de se dérouler sur scène puisque le spectateur en sait
plus que l’un des personnages qui se fait duper par un autre. L’objet est donc indispensable tant pour exécuter
l’action que pour assurer le comique de situation.
De certains objets peuvent ensuite dépendre l’évolution de l’action : la lettre qu’Agnès envoie à Horace
provoque un retournement de situation au cœur de la pièce de l’Ecole des Femmes qui va bouleverser les plans
d’Argante en lui faisant découvrir qu’Agnès n’est pas si naïve qu’il croyait et qu’Horace n’est autre que son rival. La
lettre est alors un ressort dramatique qui agit directement sur la progression de l’intrigue.
L’objet peut enfin conditionner le dénouement de l’action en apportant les éléments de résolution. Dans
Cyrano de Bergerac, la lettre que Roxane croit être écrite par Christian et sur laquelle s’appuie le quiproquo de toute
la pièce va dévoiler la véritable identité de Cyrano aux yeux de celle qu’il aime. Cette reconnaissance tardive est
d’autant plus émouvante que Cyrano déclare son amour et annonce sa mort imminente en récitant un texte écrit
plusieurs années auparavant. Cette lettre d’amour est donc le moteur dramatique essentiel de la pièce.

Le rôle de l’objet au théâtre est donc variable selon qu’il sert le décor, les personnages ou l’action. En ce qui
concerne la portée de sa signification, il sera utile de distinguer les objets qui sont présents dans le texte de théâtre
et ceux qui sont ajoutés par le metteur en scène. Alors que l’on voit peu d’objets dans le texte de théâtre classique,
le théâtre contemporain en abonde dans certains textes. Se développe même le « théâtre d’objets » où l’objet a
remplacé le personnage, avec des marionnettes ou des objets plus quotidiens.

complément
réflexion intérssante sur le masque et sur la marionnette
http://www.festi.tv/Reportage-festival-Conference-autour-des-masques-d-Etienne-Champion_v229.html

ex de théâtre d’objets:


http://www.turak-theatre.com/#
http://www.festi.tv/Rencontre-Debat-La-Marionnette-et-le-Theatre-Objet-pour-Ados-Adultes_v435.html

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