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H5. Méthodologie du commentaire de théâtre.

Vos priorités.
Un commentaire de texte au théâtre porte sur UN passage précis dont il faut analyser la
FONCTION DRAMATIQUE : c’est-à-dire déterminer à quoi il sert PRÉCISÉMENT dans la
pièce. Non pas à le situer par rapport aux autres événements (cela reviendrait à
résumer ce qui précède et ce qui suit) mais à dire comment il s’intègre dans l’ensemble :
quelles nouvelles informations sont données, qu’apprennent les personnages,
qu’apprend le public, qui parle et pourquoi, que se passe-t-il éventuellement pendant
cette scène, comment les spectateurs réagissent-ils (plusieurs hypothèses sont
possibles), quel/s personnage/s en sait/savent autant / plus / moins que le public ? etc.
Le résumé de ce qui précède et de ce qui suit peut trouver sa place en début
d’introduction, mais il ne peut faire l’objet du devoir.
IL serait maladroit d’élargir le champ en soulevant quelques aspects – mentionnées
dans l’extrait - dont l’importance dans l’ensemble de la pièce serait débattu! Il faut se
limiter au passage qui vous est soumis !!!
Les allusions à d’autres passages de l’œuvre sont possibles s’ils permettent de mieux
cerner la spécificité de l’extrait à étudier : par ex, vous pouvez comparer
ponctuellement l’acte I scène 2 (la scène avec Lady Anne) avec l’acte IV scène 4 (la
scène avec Elizabeth) pour montrer que Richard utilise les mêmes outils rhétoriques
dans la pièce. Un jeu de miroir est ainsi à l’œuvre entre le début et la fin de la pièce.
Mais vous ne devez jamais perdre de vue votre priorité : démontrer COMMENT une scène
précise fonctionne, POURQUOI elle a été conçue de cette manière précise.

Le public.
L’un des aspects les plus importants dans l’analyse du théâtre est la PRISE EN COMPTE
DU PUBLIC : une pièce est conçue pour être JOUÉE, c’est un SPECTACLE (et non pas un
roman qu’on lit). Il faut donc essayer de déterminer les réaction du public lors de la
représentation de cette scène : vous pouvez suggérer des réceptions différentes, des
mises en scène différentes à partir du moment où vous les JUSTIFIEZ grâce au texte.
Une certaine latitude est permise puisque les metteurs en scène successifs proposent
des interprétations des pièces. Il faut juste vous assurer que le texte (dans son
ensemble) permet de justifier votre interprétation.
L’analyse de la réception de la scène passe donc par l’analyse du rapport que les
spectateurs entretiennent avec les personnages. Il vous appartient de préciser s’ils se
placent sur le même plan: si les spectateurs en savent autant que les personnages, une
sorte de ‘fusion’ est à l’œuvre et tout le monde peut ressentir les mêmes sentiments :
angoisse, suspense, peur, surprise… Si les spectateurs en savent plus que les
personnages (c’est très souvent le cas avec Shakespeare) le phénomène produit est
l’ironie dramatique. Nous anticipons les événements et nous nous trouvons dans une
situation de supériorité par rapport aux personnages. Ce que nous ressentons – en tant
que spectateurs – est DIFFERENT de ce que ressentent les personnages qui ne voient
pas venir les événements. Il est rare – mais pas exclu - que les spectateurs en sachent
moins que les personnages.

Le rythme.
L’analyse du rapport aux spectateurs peut être affinée grâce à la prise en compte du fait
que les spectateurs sont ‘entraînés’ par le spectacle qui défile à une vitesse propre. Ils
ne peuvent pas faire d’arrêt sur image ou faire une pause. Leur capacité à ‘analyser’ est
donc limitée et s’ils sont facilement « divertis » il est plus délicat d’analyser
précisément l’apport ‘intellectuel’ de la représentation. Ont-ils le temps de penser
vraiment? En tout cas, lorsque vous analysez un extrait de pièce de théâtre, vous
pouvez vous demander pertinemment ce que les spectateurs ont pu ‘apprendre’ à ce
moment là. Parfois, le rythme de la représentation ralentit, le texte devient
particulièrement redondant, et l’on sent bien que le dramaturge a voulu que son
argument soit compris par le public. Le ton peut devenir plus (trop, parfois ?) didactique,
les personnages peuvent parfois devenir les porte-paroles du dramaturge qui entend
faire passer un message précis.
Soyez vigilants quant aux changements de ton dans le passage. Le style est-il plus ou
moins lyrique, poétique, haché ?... Si c’est le cas, essayez de déterminer pourquoi. La
réponse est souvent à trouver du côté des spectateurs dont on oriente les réactions,
dont on essaie d’accaparer l’attention dans un but précis (dont il vous appartient aussi
de faire l’hypothèse.) Un personnage peut jouer les poètes, par exemple, pour séduire un
autre personnage et pour, de cette manière, séduire le public indirectement.

Les personnages.
Je souhaite attirer votre attention sur les limites des « personnages » de théâtre afin
d’éviter toute analyse maladroite, car fondée sur une conception incorrecte de la notion
de ‘personnage’ au théâtre. C’est un écueil majeur ! Les personnages de théâtre ne sont
pas des êtres vivants animés d’une volonté autonome. Ils sont des créatures de mots,
des illusions, au même titre que le décor absent – la scène est nue – qu’ils font naître
grâce à leur évocation des lieux. Le talent de Shakespeare consiste en partie à les
rendre aussi denses et riches que des êtres humains mais ils demeurent des
instruments au service d’une expérience dramatique (le mot ‘dramatique’ désigne le
théâtre : drama = action). En d’autres termes, le personnage de théâtre ne veut rien ! Le
dramaturge « le fait vouloir » des choses – de même que le marionnettiste « fait vouloir
des choses » à ses marionnettes - afin qu’une histoire soit racontée et qu’elle plaise.
Votre priorité est donc la construction de l’histoire, pas la marionnette !!! Comment
l’histoire est-elle mise en place, comment le marionnettiste nous fait-il oublier que la
marionnette est une marionnette ? Comment se fait-il que nous soyons émus par le
spectacle (suspension of disbelief) ? Pourquoi acceptons-nous tacitement d’oublier qu’il
s’agit d’un spectacle ? Votre commentaire doit permettre de rendre compte des
phénomènes à l’œuvre lors de la représentation (et que rappelle le Prologue d’Henry V.)
Il faut être très précis lorsqu’il est question des personnages et de leur utilisation de
certains procédés, comme par exemple l’ironie ou l’humour. Si un personnage « est
ironique, » (c’est-à-dire qu’il faut comprendre le contraire de ce qu’il dit) il faut
déterminer qui perçoit cette ironie : est-ce le personnage qui en joue, celui qui en est la
victime, ou bien s’établit-elle sans que le personnage ironique se rende compte qu’il est
ironique ? Dans ce cas là, c’est Shakespeare qui joue avec son personnage et le public
seulement qui perçoit l’ironie. En d’autres termes, qui est ironique, très précisément, et
qui perçoit l’ironie ? Parfois, un personnage utilise un humour que seul le public peut
saisir car il bénéficie de connaissances qui échappent aux autres personnages
(dramatic irony). Il faut là aussi être très précis : qui peut rire de ces mots d’esprit ? Qui
peut les comprendre sur la scène ?
Lorsqu’un personnage se met à parler sur un ton solennel, on peut avoir l’impression que
le dramaturge se glisse dans son personnage, s’en « sert » en quelque sorte, pour
exprimer un point de vue qui dépasse le cadre de la pièce et de la représentation. Ainsi,
lorsque Paulina affirme dans The Winter’s Tale (2,3, 114) « ‘Tis an heretic that makes
the fire, not she which burns in it, » on peut avoir l’impression qu’une autre voix, une
voix politique, nous parvient indirectement. Il faut bien sûr se garder d’affirmer qu’il
s’agit là de l’opinion du dramaturge. Mais on peut dire que l’on sent que le personnage
transcende ses propres limites en tant que personnage de théâtre. Une opinion se fait
entendre et résonne sur la scène de théâtre qui lui sert de vecteur. Le personnage parle,
mais à travers lui s’exprime un courant (humaniste ? critique ? subversif ?), un regard
que les spectateurs ont pu partager et auquel ils ont réagi.

La mise en forme du devoir.


L’une des tâches qui vous incombent est de mettre en forme le commentaire de l’extrait
considéré. L’introduction doit situer rapidement le passage dans la pièce (début, milieu,
scène importante, avant / après une scène importante, etc) et se terminer par l’annonce
du plan. L’introduction est constituée d’UN SEUL PARAGRAPHE. Il n’y a pas d’alinéas,
même pour annoncer le plan. Sa présentation doit être assez claire pour que le lecteur
sache que l’annonce du plan commence. Mieux vaut être un peu trop directif que pas
assez. Des formulations telles que « First one/we could analyse the [presence of]…
Then, why not suggest that… Do not these approaches boil down to saying that… »
peuvent être utilisées. Mais aussi, « First, we will consider… Then, why not suggest… In
a third phase, we could also consider the problem of… »
Je vous rappelle que lorsque vous citez le titre d’une pièce de théâtre il faut en
souligner le nom. (Richard III ) Par ailleurs, il faut essayer d’éviter de dire ‘I’ dans
l’introduction et dans le reste du devoir. Les formes impersonnelles comme « One » ou
bien « We » sont préférées.
Il est important que les 2 ou 3 parties qui constituent votre devoir soient articulées,
c’est-à-dire qu’elles s’enchaînent logiquement et de façon fluide. Vous ne devez pas faire
se juxtaposer des idées sans lien les unes avec les autres. L’annonce du plan mettra
d’ailleurs en évidence la présence ou l’absence de ce lien. L’utilisation de mots de
liaison (Thus we will demontrate that… / This suggestion implies that… / These two
suggestions invite us to think that… etc) rendra cet aspect manifeste dès le début de la
lecture du devoir. Si ce travail est bien fait, les examinateurs pourraient se contenter de
lire l’introduction des devoirs car elle annonce et révèle tout ce qui suit (nous ne faisons
pas cela dans notre université ! Nous lisons tout !).
Chaque partie est suivie par une ou deux phrases de transition qui résume/nt l’idée
précédente et annonce/nt la suivante. De même, la conclusion reprend sommairement
l’ensemble du devoir et suggère une autre interprétation du passage. Elle propose de
porter un autre regard sur son contenu et sa fonction.
À la lecture de travaux d’étudiants de tous niveaux, j’ai remarqué une maladresse
constante : le fait que les candidats annoncent en début de partie le contenu des
paragraphes suivants. En d’autres termes, vous dites « We are now going to see that the
scene under scrutiny demonstrates that the main character is not as … as he pretends
he is » au lieu de dire par exemple : « We are now going to see that the scene under
scrutiny provides intersting hints about the nature of the main character. » En d’autres
termes, vous devez donner envie de lire à votre lecteur et pour ce faire, n’annoncer le
résultat de votre analyse qu’À LA FIN de l’analyse. Ne dites pas au début ce qui doit être
révélé à la fin. Ménagez du suspense. Soyez très précis mais sans ‘désamorcer’ votre
propre démonstration. D’ailleurs ’examinateur doit savoir très précisément où il en est
dans votre démonstration : il doit pouvoir se repérer dans votre travail et cela est
possible s’il sent qu’il est ‘guidé’ dans sa lecture. On lui démontre quelque chose, on lui
apprend quelque chose de façon raisonnée. Il faut qu’il sente la présence d’une
démarche construite et ordonnée. Ainsi, on évitera les parties ‘catalogues’ dans
lesquelles les exemples sont juxtaposés sans suite, les développements excessifs d’une
même idée paraphrasée, le passage inopiné d’une idée à une autre car de telles
méthodes font perdre le fil au lecteur, le déstabilisent.

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