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EXPO DBU

L'identification
des topiques
dans les dialogues
Champs linguistiques

Collection dirigée par


Dominique Willems (Université de l'État à Gand)
et Marc Wilmet (Université Libre de Bruxelles)
ANNEGROBET

Uidentification
des topiques
dans les dialogues

Publié avec le concours


de la Communauté française de Belgique,
Service de la langue française

Cha m p s n 9 u st que s
Duculot
Publié avec l'appui du Fonds national suisse de la recherche scientifique.

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de
spécialisation, consultez notre site web: htt.p://www.deboeck.be

© De Boeck & Larcier s.a., 2002 1re édition


Éditions Duculot
Rue des Minimes 39, B-lOOO Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.


Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, de reproduire (notamment par photocopie)
partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le
communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique
ISSN 1374-089X
Dépôt légal 2002/0035/9 ISBN 2-8011-1312-3
SOMMAIRE

Avant-propos 5

Sommaire 7

Introduction 9

Partie 1
L'ORGANISATION INFORMATIONNELLE 13

Chapitre 1 État de la question 15

Chapitre 2 Hypothèses de travail 73

Partie II
LES FACTEURS LINGUISTIQUES
DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 121

Chapitre 3 Les marques lexicales du topique 123

Chapitre 4 Les marques syntaxiques de la structure informationnelle 175

Partie III
LES FACTEURS DISCURSIFS DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 245

Chapitre 5 La structure hiérarchique et relationnelle du discours 247

Chapitre 6 La structure conceptuelle du discours 301

7
L'identification des topiques dans les dialogues

Partie IV
L'IDENTIFICATION DES TOPIQUES DANS LES DIALOGUES:
BILAN 343

Chapitre 7 L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs


dans l'identification du topique 345

Conclusion 385

Conventions de transcription 389

Références bibliographiques 391

Index des auteurs 411

Index 415

Table des matières 417

8
AVANT-PROPOS

J'aimerais exprimer ma gratitude à toutes les personnes qui m'ont soutenue,


tant sur le plan scientifique qu'humain, dans l'élaboration de la thèse de docto-
rat (soutenue en 2000 à l'Université de Genève) d'où est issu cet ouvrage. Je
remercie tout particulièrement le professeur Eddy Roulet pour ses conseils ju-
dicieux et ses encouragements, ainsi que les professeurs Bernard Combettes,
Georges Kleiber, Gottfried Kolde' et Knud Lambrecht qui ont accepté de faire
partie du jury de cette thèse. J'adresse également mes remerciements les plus
sincères aux membres du département de linguistique de l'Université de Genè-
ve : Antoine Auchlin, Marcel Burger, Laurent Filliettaz, Annie Kuyumcuyan,
Élisabeth Miche, Jacques Moeschler, Laurent Perrin, Corinne Rossari, ainsi
que Kim Stroumza et Kirsten Adamzik - sans oublier Eva Capitao pour sa
bonne humeur sans faille - ainsi que tous ceux de Genève et de Strasbourg que
je n'évoque pas mais qui m'ont aussi soutenue par leur amitié.

Je remercie la Société Académique pour la bourse dont j'ai bénéficié durant


l'année académique 1998-1999 et pour le prix Charles Bally dont elle a bien
voulu honorer ma recherche. Merci aussi au Fonds National Suisse de la Re-
cherche Scientifique pour le subside qui a permis sa publication.

J'adresse enfin mon immense gratitude à ma famille, en particulier à mes pa-


rents et à Olivier, sans qui cette recherche n'aurait tout simplement pas été pos-
sible.

5
BÉRENGER
Qu'est-ce que vous buvez?
JEAN
Vous avez soif, vous, dès le matin ?
BÉRENGER
Il fait tellement chaud, tellement sec.
JEAN
Plus on boit, plus on a soif, dit la science populaire ...
BÉRENGER
Il ferait moins sec, on aurait moins soif, si on pouvait faire venir
dans notre ciel des nuages scientifiques.
JEAN, examinant Bérenger.
Ça neferait pas votre affaire. Ce n'est pas d'eau que vous avez soif,
mon cher Bérenger ...
BÉRENGER
Que voulez-vous dire par là, mon cher Jean?
JEAN
Vous me comprenez très bien. Je parle de l'aridité de votre gosier.
C'est une terre insatiable. (Rhinocéros, Ionesco 1959: 15-16)

INTRODUCTION

« De quoi ça parle? » Cette question, triviale au premier abord, exprime de


manière informelle le problème de l'identification du topique (ou thème) d'un
discours. S'il paraît parfois évident de formuler en deux mots «de quoi par-
le », d'une manière très générale, un film ou un livre, c'est loin d'être toujours
le cas. Par exemple, dans le bref extrait de Rhinocéros d'Eugène Ionesco cité
en exergue, il est possible de dire, d'une manière très générale, que Jean et Bé-
renger parlent de la soif de Bérenger. Mais lorsque Jean dit à Bérenger: ce
n'est pas d'eau que vous avez soif, mon cher Bérenger, Bérenger ne comprend
pas, ou fait comme s'il ne comprenait pas, cette remarque (Que voulez-vous
dire par là, mon cher Jean ?). Et de fait, sa question paraît légitime, car au-
delà de l'interprétation la plus directe selon laquelle Bérenger, qui présente une
sérieuse gueule de bois, a soif de vin, il est aussi possible d'identifier, à partir
de l'association appelée par les nuages scientifiques, sa soif comme une soif de
spiritualité. La nature du ou des topique(s) est ici ambiguë, et cette ambiguïté
même contribue à l'émergence d'effets interprétatifs supplémentaires.

9
L'identification des topiques dans les dialogues

En quittant le théâtre pour le discours ordinaire oral ou écrit, on retrouve le


problème de l'identification du topique, qui se manifeste dans l'émergence de
malentendus ainsi que dans l'existence de structures syntaxiques et d'expres-
sions spécialisées, telles que à propos de ... , en ce qui concerne ... , pour revenir
au problème de ... , en parlant de ... , qui visent précisément à prévenir ces ma-
lentendus. Ainsi, même lorsqu'elle est considérée sous un angle très général et
non technique, l'identification du topique apparaît non comme quelque chose
qui va toujours de soi, mais plutôt comme un processus impliquant un certain
« travail », plus ou moins important, de la part des interprétants.

La présente recherche a pour objectif d'approfondir l'étude de l'identification


des topiques dans les dialogues, en prenant appui sur trois hypothèses de tra-
vail que j'aimerais brièvement présenter ici. Premièrement, je me propose
d'adopter une approche « discursive» de la structure informationnelle, afin de
rendre compte d'exemples discursifs. En effet, s'il est intéressant, dans la re-
cherche et la formulation d'hypothèses, de s'appuyer à titre heuristique sur des
exemples brefs et fabriqués qui se prêtent à des manipulations, il me semble
nécessaire de situer l'objectif descriptif de l'analyse informationnelle au ni-
veau de l'analyse d'exemples discursifs étendus et effectivement réalisés.

Deuxièmement, je suivrai une approche qui peut être qualifiée de modulaire.


Ainsi que l'a souligné en particulier Galmiche (1992), la notion de topique et
la structure informationnelle ne constituent pas des données primitives, mais
elles résultent plutôt de l'interrelation de facteurs sémantiques, syntaxiques et
pragmatiques ou discursifs. Pour rendre compte de l'interrelation de ces diffé-
rents facteurs dans l'identification du topique, j'adopterai le cadre théorique et
méthodologique de l'approche modulaire développée à Genève par Eddy Rou-
let et ses collaborateurs (1991a, 1996, 1998, 1999b et c). Dès lors, cette étude
s'inscrit dans la continuité du projet de recherche, réalisé à Genève de 1995 à
2000 sous la direction d'Eddy Roulet, intitulé: les interrelations entre les dif-
férents plans d'organisation des dialogues dans le cadre d'une approche mo-
dulaire des structures du discours l (pour une synthèse, voir Roulet, Filliettaz
& Grobet 2001).

Troisièmement, j'aimerais souligner le caractère heuristique de la notion de to-


pique, qui réunit des éléments sémantiques, syntaxiques et pragmatiques ou
discursifs. En effet, mon approche de l'identification du topique ne présuppose
pas qu'il soit possible, ni même nécessaire, de toujours trouver un et un seul
« bon» topique. Outre son caractère illusoire, une telle tentative serait

1. Projet financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique


(numéro 1214-043145.95).

10
Introduction

nécessairement réductrice, comme l'illustre bien l'extrait de Rhinocéros de Io-


nesco, qui joue précisément sur la pluralité des topiques possibles. Il paraît
donc primordial de reconnaître qu'il peut exister plusieurs topiques possibles,
qui correspondent à différentes interprétations ne s'excluant pas nécessaire-
ment. L'identification des topiques m'intéresse ainsi non pas comme un but en
soi, mais plutôt comme un fil conducteur permettant d'étudier l'interrelation
des éléments lexicaux, syntaxiques et discursifs qui y interviennent.

À partir de ces trois hypothèses générales, ma recherche s'organise de la ma-


nière suivante :

La première partie de cette étude est essentiellement théorique. Le premier


chapitre contient une présentation et une discussion des principaux concepts et
problèmes traités par les travaux portant sur le topique et l'organisation infor-
mationnelle. Cet état de la question est complété par l'examen des différents
niveaux d'analyse impliqués et par la discussion de trois approches de l'orga-
nisation informationnelle du discours (Danes 1974, Maynard 1986 et Roulet
1999b, Grobet 1999c). Dans le deuxième chapitre, je tente de préciser, en te-
nant compte des observations effectuées dans l'état de la question, les défini-
tions et les hypothèses de travail sur lesquelles je m'appuierai par la suite; je
reformule le problème de l'identification du topique de manière plus spécifi-
que et propose de le considérer comme un processus décomposable en plu-
sieurs étapes.

La deuxième partie de cet ouvrage approfondit l'étude des facteurs linguisti-


ques intervenant dans l'identification du topique. Le troisième chapitre est cen-
tré sur le rôle des expressions référentielles anaphoriques et déictiques. Prenant
pour point de départ les notions d'accessibilité, d'identifiabilité et d'état d'acti-
vation, je tente de montrer comment une approche sémantico-pragmatique, tel-
le que celle de Kleiber (1994a), permet de rendre compte du rôle de ces
marques dans l'identification du topique. Dans le chapitre 4, je décris le rôle,
souvent décisif, de la syntaxe dans l'identification du topique. En m'appuyant
en particulier sur les travaux de Lambrecht (1994), j'étudie le rôle du sujet
syntaxique ainsi que celui des structures segmentées et clivées.

La troisième partie de cette étude concerne le rôle des facteurs discursifs in-
fluençant l'accessibilité du topique et pouvant guider son identification, en
particulier lorsque les marques linguistiques se révèlent insuffisantes. Dans le
chapitre 5, j'étudie, à l'aide du modèle hiérarchique et relationnel genevois
(Roulet et al. 1985, Roulet 1999c), le rôle de la structure hiérarchique et de
quelques relations de discours dans l'identification du topique. Dans le chapi-
tre 6, je tente de montrer comment la structure conceptuelle du discours, qui

11
L'identification des topiques dans les dialogues

peut être rapprochée du « topique discursif» étudié par les approches conver-
sationnelles, peut contribuer à leur identification, et cela même lorsque la
structure hiérarchique ne peut plus être convoquée.

Dans ce parcours, l'interrelation des facteurs intervenant dans l'identification


du topique apparaît à travers l'analyse de certains exemples repris et analysés
sous des angles différents dans les chapitres successifs. En outre, dans la qua-
trième partie de cette recherche, je reprends les résultats des chapitres 3 à 6
pour étudier cette interrelation de manière plus systématique, à partir de l' ana-
lyse de segments discursifs mono logiques et dialogiques étendus. La discus-
sion de ces exemples me permet de dégager différentes configurations dans
lesquelles l'identification des topiques soulève de plus ou moins grandes diffi-
cultés. Elle me conduit aussi à esquisser un parcours méthodologique que peu-
vent suivre par exemple le linguiste ou l'apprenant pour identifier les topiques
d'une séquence discursive donnée. Ce travail s'achève sur une brève conclu-
sion qui souligne les principaux apports de ma recherche par rapport aux tra-
vaux antérieurs ainsi que les développements possibles.

12
Partie 1

L'ORGANISATION
INFORMATIONNELLE
Chapitre 1
,
ETAT DE LA QUESTION

Les notions de « thème », de « topique )) et de « rhème )), de « propos )) ou de


« focus )), qui se trouvent au centre de l'analyse de l'organisation information-
nelle, ont fait l'objet de tant de descriptions différentes par des courants théori-
ques divers qu'il n'est à présent guère pensable de s'y référer sans avoir au
préalable clarifié leurs acceptions. Le débat n'est pas neuf: certains relèvent
que l'étude de la structure informationnelle tire son origine de l'opposition
onoma/rhêma présente dans le Cratyle de Platon! et des observations d'Aristo-
te concernant le caractère binaire de l'interprétation de la proposition2 • On
considère généralement que c'est Henri Weil, avec son ouvrage De l'ordre des
mots dans les langues anciennes comparées aux langues modernes publié en
1844, qui constitue le véritable précurseur de l'École de Prague (Firbas 1974 :
11-12, Maynard 1986: 77-78, Mondada 1994: 29-30, Tschida 1995: 32ss.),
laquelle s'est elle-même développée à partir des travaux de Mathesius (Firbas
1964, 1974, Danes et al. 1974: 219). Parallèlement à cela, les notions de« thè-
me)) et de «propOS)) ont aussi été développées par Bally (1965 [1932]).

1. Cf. par exemple Tschida (1995 : 12ss.) qui évoque aussi les travaux de Zemb et Siblot
(1999: 34).
2. « Die Termini Subjekt und Priidikat wurden also eigentlich in doppeltem Sinne gebraucht.
Eine iihnliche Doppeldeutigkeit scheint freilich schon den Termini des Aristoteles "hypo-
keimenon" ("das Zugrundeliegende") und "kategoroumenon" ("das dazu Gesagte") in-
negewohnt zu haben. Aristoteles hat zwar diese Termini gepriigt, um logische Begriffe zu
beschreiben ; da sie aber der Sprache abgelesen hat, spiegeln sie eher die Gegliedertheit des
Satzes in einen thematischen (expositionellen) und einen explizierenden Teil, in "Thema"
und "Aussage" wider» (Danes et al. 1974: 217-218). Voir aussi Tschida (1995: 14ss.) et
Siblot (1999: 34).

15
L'organisation informationnelle

Comme le rappelle Maynard (1986: 82), les tenants de l'École de Prague sont
déjà confrontés, dès les années 1960, à des divergences terminologiques et
conceptuelles :

Tatsachlich ist eine terminologische Einigung auf diesem Gebiet deshalb schwie-
rig, weil der begriffiiche InhaIt dieser Termini von verschiedenen Forschern recht
unterschiedlich interpretiert wird. (Danes et al. 1974 : 221)

La solution à ces problèmes terminologiques réside, pour ces auteurs, dans la


recherche d'un consensus conceptuel:

Eine terminologische Einigung ware dringend nôtig. Voraussetzung dafür ist aller-
dings, dass man sich zunachst über die Grundbegriffe einigt, die terminologisch
festgehalten werden sollen. (Danes et al. 1974: 222)

À l'heure actuelle, il apparaît toutefois qu'un tel consensus n'a pu être trouvé
et que les divergences terminologiques, loin de se résoudre, ont plutôt eu ten-
dance à s'aggraver avec l'utilisation des notions de« thème» et de« topique»
dans des domaines aussi divers que la grammaire générative, la pragmatique,
l'analyse textuelle, la psycholinguistique, etc. 3 Comme le soulignent Fradin &
Cadiot (1988), plus que les différences des définitions, ce sont les glissements
terminologiques involontaires qui posent problème:

Ce n'est pas la diversité typologique de ces caractéristiques qui est en elle-même


problématique. On pourrait en effet être en présence d'élaborations notionnelles
largement indépendantes, parce qu'appliquées dans des pratiques déconnectées
[ ... ]. Mais il en va malheureusement tout autrement dans le cas qui nous occupe.
Ces différentes définitions de fait, cette pluralité des usages des mots thème et thé-
matisation, n'émergent pas séparément et se font même souvent écho (comme en
témoignent les renvois croisés entre les travaux). (Fradin & Cadiot 1988 : 4)4

Il paraît indispensable, pour éviter de nouveaux malentendus, d'expliciter et de


situer les termes et concepts utilisés par les différentes approches.

Une telle tâche est toutefois loin d'être évidente, car l'analyse de l'organisation
informationnelle, qu'elle se situe au niveau de la proposition, de l'énoncé ou
du discours, a fait - et fait encore -l'objet de publications si nombreuses qu'il
paraît utopique de vouloir les prendre toutes en considération. Mais un tel foi-
sonnement ne présente pas que des inconvénients. Il convient de relever l' exis-
tence, parmi ces travaux, d'un grand nombre de discussions terminologiques et

3. Lambrecht (1994: 2), Mondada (1994: 30), Tschida (1995: 2), Lutz (1981 : 105ss.).
4. Cf. Prévost (1998 : 34) pour une remarque similaire.

16
État de la question

d'états de la question (livres et articles). Dès lors, il ne s'agit pas ici de refaire
ce travail comme s'il n'existait pas déjà. Il paraît plus intéressant de prendre
appui sur ces réflexions, d'une part, pour se forger une vision aussi large que
possible de ce vaste domaine de recherche et de ses contradictions, et d'autre
part, pour les compléter en fonction des objectifs propres à la présente étude.

1.1 Pour un survol des états de la question


J'aborderai la discussion des problèmes liés à la notion de « topique» par le
biais du survol d'autres états de la question: un bref examen de la méthode
suivie par ces travaux me conduira à préciser mon angle d'attaque (1.1.1).
Après cela, je reprendrai brièvement les principales définitions du « topique»
ou « thème» (1.1.2), avant de soulever les principaux problèmes qu'elles po-
sent (1.1.3) ainsi que la question - fréquemment posée - de l'abandon des no-
tions de « thème» et de « topique» (1.1.4). Il s'agira par là de voir si l'attitude
souvent très négative des commentateurs à l'encontre de cette notion se justifie
ou non (1.1.5).

1.1.1 Question de méthodologie


Les états de la question concernant la structure informationnelle, qu'ils s'ins-
crivent ou non dans des ouvrages qui y sont spécifiquement consacrés, suivent
généralement deux démarches assez différentes, mais complémentaires et pou-
vant d'ailleurs être combinées (par exemple chez Schlobinsky & Schütze-Co-
burn 1992 et G6mez-Gonzalez 2001).

Un premier courant se concentre sur la discussion des termes et concepts utili-


sés dans différents courants théoriques. Par exemple, on peut citer les discus-
sions terminologiques et conceptuelles internes à l'École de Prague menées
par Danes et al. (1974) ainsi que par Firbas (1964, 1974). Plus récemment,
l'article de Galmiche (1992) survole différentes conceptions de la structure in-
formationnelle proches ou issues de l'École de Prague tout en soulignant leurs
contradictions et leurs insuffisances. Les arguments de Galmiche sont partiel-
lement repris et développés par plusieurs auteurs, dont Mondada (1994) et Pré-
vost (1998). On peut également citer les discussions de Zaccaria (1989) ainsi
que celle de Fradin & Cadiot (1988). Dans ce courant peuvent également être
situés les auteurs qui ne s'intéressent pas uniquement à la structure informa-
tionnelle, mais qui prennent néanmoins la peine de se situer par rapport aux
paradigmes existants (Kleiber 1992a, 1994a: 105-124, N,."lke 1994: 104ss.,
Schnedecker 1997 : 64 note 24, Moeschler & Reboul1994a : 456-463, etc.).

17
L'organisation informationnelle

L'apport principal de ce courant essentiellement théorique réside dans la con-


frontation, sur un espace restreint, des notions divergentes utilisées par diffé-
rentes approches. Par exemple, Galmiche (1992 : 3-4) souligne l'incohérence
du système de dénomination qui associe entre autres le « thème» au «pro-
pos », au « prédicat» ou au « rhème », sans pour autant garantir l'équivalence
notionnelle de la notion de « thème» saisie par le biais de ces différents systè-
mes d'oppositions. Dans un même esprit, Mondada (1994: 32), Berthoud
(1996: 3-4), Guimier (1999: 9) et Prévost (1998 : 14) soulignent les problè-
mes de traduction existant entre le terme de « thème» et celui de « topic )), qui
ne peuvent être considérés comme des synonymes 5, et cela, d'autant plus
qu'ils peuvent coexister au sein d'un même système6 .

De tels éclairages sont indispensables, car ils soulignent, à juste titre, la simpli-
cité trompeuse de certains termes souvent issus du langage ordinaire (comme
c'est le cas pour le « thème )), défini par le Petit Robert comme le sujet, l'idée
ou la proposition qu'on développe). Ces travaux présentent néanmoins aussi
certains inconvénients: leur objectif étant de survoler un grand nombre de ter-
mes et de notions dans un espace limité, ils mettent généralement l'accent sur
les contradictions, au détriment parfois des éléments qui font l'objet d'un plus
large consensus (comme par exemple les différents degrés dans la connaissan-
ce partagée dégagés par Prince 1981). En outre, la juxtaposition rapide des dé-
finitions utilisées par différents courants présente le risque de créer des
contradictions qui n'existent pas nécessairement à l'intérieur de chaque appro-
che. Par exemple, Galmiche commente de la manière suivante les différentes
définitions utilisées pour les notions de « thème-propos », « topic-comment )),
etc., qu'il a lui-même transcrites sur deux colonnes:

Il n'est pas difficile, en effet, de solliciter le sens (et les connotations) de certaines
expressions pour les voir glisser d'un versant vers l'autre. Ainsi, plus informatif,
dynamique,figure ont tendance à évoquer une mise en relief, un accent particulier,
voire une charge affective. Or il ne fait guère de doute que ces associations entre-
tiennent une affinité tout à fait plausible avec celles qui sont suggérées par activité,
saillant, centre d'intérêt (et qui appartiennent à l'autre colonne). (Galmiche 1992 : 4)

5. « Enfin, pour parachever le tout, le rapport qu'entretiennent Thème et Topic est complexe.
Termes qui peuvent être échangeables, le premier semble pourtant avoir un éventail de défi-
nitions plus large que le second: [... ] Topic correspond rarement à celles de" connu", "peu
informatif', "faible degré de dynamisme communicatif'. Dans le cadre de ce rapport de
partielle synonymie, thème peut être utilisé comme traduction française de topic, lequel est
parfois maintenu en topic, et parfois traduit par topique, et, dans ce cas, souvent associé à
commentaire, pour traduire topie/comment. »(Prévost 1998 : 14)
6. L'utilisation conjointe des termes de « thème» et de « topique» se retrouve par exemple
chez Tschida (1995), Combettes (1999) et G6mez-Gonzâlez (2001).

18
État de la question

Il me semble qu'un tel commentaire, qui souligne l'existence d'une affinité qui
n'existe pas nécessairement (par exemple, un référent « saillant» ou« déjà ac-
tif» n'est jamais, à ma connaissance, considéré simultanément comme étant
« plus informatif»), crée plus de confusion qu'il n'en dissipe. Il paraît donc
nécessaire de compléter ces bilans théoriques par la discussion d'exemples
particuliers.

Un second courant accorde une plus grande place aux discussions d'exemples,
en prenant pour point de départ non pas la confrontation des termes et concepts
entre eux, mais plutôt la présentation de différents modèles 7 qui sont considé-
rés pour eux-mêmes avant d'être comparés aux autres. L'ouvrage de Lutz
(1981), consacré tout entier à la présentation des travaux de l'École de Prague,
ainsi que les discussions menées par exemple chez Prince (1981), Chafe
(1994: 161-185), Tschida (1995: 10-96) et G6mez-Gonzalez (1998), illustrent
ce type d'états de la question.

Ce courant plus richement illustré présente l'avantage, par rapport au premier,


de mettre en relief non seulement les inconvénients, mais aussi les apports de
chaque modèle théorique; il autorise également une plus grande finesse dans
le commentaire critique, qui concerne non seulement la définition des notions
utilisées, mais aussi les modalités de leur application. Ce type de commentaire
est toutefois limité par l'espace qu'on peut lui accorder, car il entraîne rapide-
ment des développements qui peuvent prendre une grande ampleur (par exem-
ple, chez Lutz 1981, Tschida 1995) et doit de ce fait le plus souvent être
combiné à des synthèses plus rapides.

Les deux types d'états de la question qui viennent d'être esquissés apparaissent
comme complémentaires : alors que la discussion théorique confronte les no-
tions utilisées pour situer les différentes approches les unes par rapport aux
autres, l'illustration des approches évite les simplifications trop grossières tout
en permettant des observations plus fines. Dès lors, il paraît judicieux de com-
biner ces deux démarches pour obtenir une vision à la fois globale et détaillée
de la problématique de l'analyse informationnelle; c'est à cela que je m'em-
ploierai dans la suite de cet état de la question.

7. J'utilise ici le terme de « modèle» dans un sens non technique.

19
l'organisation informationnelle

1.1.2 Divergences terminologiques et conceptuelles:


les différentes définitions du « topique» ou « thème»
S'il est un point sur lequel tout le monde s'accorde, c'est bien sur la constata-
tion des divergences terminologiques et conceptuelles liées à la notion de « to-
pique» ou « thème ». De fait, ces termes sont utilisés de manière plus ou
moins technique et différenciée pour désigner des objets très différents, com-
me:
le contenu du discours (par exemple, de manière informelle, chez Bakhtine
19848, ou encore dans le domaine des études littéraires, comme le relèvent
Ducrot & Schaeffer 1995 : 531) ;
une position syntaxique (par exemple chez Chomsky ou chez Rizzi 1997) ;
la représentation d'un référent du discours (Giv6n 1983, 1992) ;
l'objet central d'une description (voir la notion de « thème-titre)) chez
Adam 1992);
un segment d'énoncé vs un constituant fournissant un cadre à la proposi-
tion (Stark 19999) ;
le premier élément de l'énoncé (Halliday 1967) ;
un premier segment de l'énoncé facultatif caractérisé par une intonation fi-
nale montante (Danon-Boileau et al. 1991 : 115) ;
une proposition à propos de laquelle le locuteur demande ou fournit une in-
formation (Keenan & Schieffelin 1976) ;
l'élément de l'énoncé porteur du plus bas degré de dynamisme communi-
catif(Firbas 1964, 1972, 1974, 1992) ;
un élément assurant la cohérence de la suite des énoncés (Danes 1974) ;
une contrainte d'enchaînement entre les interventions (RouI et et al. 1985) ;
Fradin & Cadiot évoquent encore le rôle actanciel (Gruber, Jackendoft), un
centre psychologique d'attention (Li & Thompson) et une condition de
pertinence pour l'interprétation des énoncés (Comulier et Haiman).

8. « L'utilisation de la langue s'effectue sous fonne d'énoncés concrets, uniques (oraux ou


écrits) qui émanent des représentants de tel ou tel domaine de l'activité humaine. L'énoncé
reflète les conditions spécifiques et les finalités de chacun de ces domaines, non seulement
par son contenu (thèmatique) et son style de langue, autrement dit par la sélection opérée
dans les moyens de la langue - moyens lexicaux, phraséologiques et grammaticaux -, mais
aussi et surtout par sa construction compositionnelle. » (Bakhtine 1984 : 265)
9. « Nous utiliserons par la suite thème pour désigner le segment de l'énoncé qui renvoie à
l'objet de la prédication et topie pour parler des constituants qui confèrent un cadre à la pro-
position entière [ ... ]. » (Stark 1999 : 339)

20
État de la question

Une telle liste, non exhaustive, suffit à donner une idée de l'hétérogénéité des
objets décrits à l'aide des termes de « topique )) et de « thème )) et confirme,
s'il en était besoin, la nécessité d'une entreprise de clarification.

Le grand nombre et 1'hétérogénéité des éléments désignés par les termes de


« thème )) et de « topique )) me semblent résulter de deux difficultés: la pre-
mière réside dans la multiplicité des définitions qui en ont été proposées, et la
deuxième, que j'aborderai ultérieurement, tient à ce que ces notions fonction-
nent de manière transversale (Fradin & Cadiot 1988) et qu'elles impliquent si-
multanément plusieurs niveaux d'analyse différents.

Les problèmes terminologiques associés à la structure informationnelle, rele-


vés par de nombreux auteurs (comme par exemple Galmiche 1992, Nelke
1994: 105, Prévost 1997, 1998), sont résumés de la manière suivante par
Mondada:

Tous les auteurs sont d'accord pour constater une énorme diversité terminologique
en la matière. Cette diversité se manifeste autant au niveau des termes à définir,
souvent mais pas toujours articulés en couples oppositifs, et à celui des termes qui
les définissent. Ainsi, pour le definiens on trouve les oppositions thème/rhème,
thème/propos, thème/commentaire ou topie/comment, topic/focus, présupposition/
focus. Thème et topic peuvent être soit considérés comme étant l'un la traduction
de l'autre ou bien comme étant opposés. Du côté du definiendum on trouve des
couples tels que donné/non donné, connu/non connu, ancien/nouveau, présup-
posé/focalisé, point de départ/but, moins informatif/plus informatif, fond/forme,
avant/arrière-plan ou des termes uniques tels que emphatique, activé, saillant,
centre de l'attention définissant le thème ou topic - sans compter les parallélismes
entre topic et sujet ou agent. (Mondada 1994: 31-32)

. Certains auteurs tentent parfois d'associer les différents couples oppositifs à


des niveaux d'analyse ou des approches spécifiques lO . Toutefois, l'apport
d'une telle mise en relation ne peut être que restreint, car la plupart des notions
fonctionnent à différents niveaux. Il en va ainsi, par exemple, pour la notion de
« topique )) définie comme le « point de départ)) de l'énoncé, qui peut être sai-
sie à la fois au niveau syntaxique-positionnel et au niveau psychologique
(Schlobinsky & Schütze-Cobum 1992 : 96).

10. Par exemple, dans le Dictionnaire encyclopédique de Pragmatique: « L'opposition sujet/


prédicat est à la fois une distinction linguistique et logique; le couple topique/commentaire
est de nature syntaxique, alors que la relation thème/propos est fonctionnelle; enfm, [la dif-
férence] entre information donnée et information nouvelle est psychologique, alors que la
distinctionfoyer/présupposition est sémantique» (Moeschler & Reboul 1994a : 456).

21
l'organisation informationnelle

Au-delà de ces listes étourdissantes, les commentateurs dégagent le plus sou-


vent des définitions générales qui permettent de regrouper différents travaux.
Quatre types de définitions peuvent être distingués; comme ces définitions
s'appliquent le plus souvent au topique de l'énoncé (<< sentence topic », Schlo-
binsky & Schütze-Coburn 1992 : 90), je les complète par la notion de « topi-
que discursif». Il convient de préciser que la distinction de ces différentes
définitions est nécessairement grossière 11 : il existe souvent différents emplois
à l'intérieur d'un même type de définition. De plus, il est fréquent qu'un même
linguiste utilise successivement plusieurs définitions (Lutz 1981). Enfin, con-
trairement à ce que ma présentation pourrait laisser croire, ces différentes défi-
nitions ne sont pas nécessairement exclusives : elles permettent au contraire
des recouvrements et des croisements 12 .

1.1.2.1 Le topique défini comme l'information donnée


Dans un premier type de définition, le topique est défini comme une informa-
tion présentée comme connue, ou donnée, en regard du savoir partagé des in-
terlocuteurs I3. L'expression d'« information présentée comme connue ou
donnée» renvoie au fait qu'une telle information n'est pas nécessairement ef-
fectivement connue par l'interlocuteur, mais qu'elle est présentée comme telle
par le locuteur. En d'autres termes, cela revient à dire que dans la plupart des
cas (c'est-à-dire, sauf quand il y a recherche d'un effet stylistique particulier),
ce locuteur suppose que cette information est connue de son interlocuteur.
Comme le montre Prince (1981), cette définition peut faire l'objet de plusieurs
interprétations : le caractère donné d'une information peut être évalué en fonc-
tion de l'aspect prévisible ou récupérable de l'information l4 (Halliday 1967,
Halliday & Hassan 1976), de la saillance de cette information dans la

Il. Je reprends les principales définitions dégagées par Schlobinsky & Schütze-Coburn (1992),
évoquées aussi, au moins partiellement et dans des perspectives parfois différentes, chez
Lutz (1981), Mondada (1994), Tschida (1995), Prévost (1998), Gomez-Gonzâlez (1998).
On trouvera chez ces auteurs des commentaires plus détaillés ainsi que de plus amples réfé-
rences.
12. Par commodité, j'utiliserai dorénavant le terme de « topique» plutôt que celui de « thè-
me» ; ce dernier terme n'apparaîtra que dans les citations et références à des approches
spécifiques.
13. Comme le relève Lutz (1981), cette définition se retrouve dans certains travaux de l'École
de Prague. Elle a également été reprise entre autres par Halliday (1967), qui ne l'associe
toutefois pas au terme de« thème ».
14. « The speaker assumes that the hearer CAN PREDICT OR COULD HAVE PREDICTED
that a PARTICULAR LINGUISTIC ITEM will or would occur in a particu1ar position WI-
THIN A SENTENCE. » (Prince 1981 : 226)

22
État de la question

conscience de l'interlocuteur 15 (Chafe 1980), ou de la connaissance parta-


gée 16 . Approfondissant ce dernier type d'information donnée, Prince y distin-
gue différents degrés: elle peut être évoquée (textuellement ou
situationnellement), être inférable (au sens strict ou non) ou nouvelle (inutili-
sée ou nouvelle et ancrée au contexte ou non) 17. La notion d'information
«donnée» a été reprise sous un angle cognitif par Chafe (1994) à l'aide de la
notion d'« état d'activation» qui renvoie au statut présumé d'un référent dans
la conscience de l'interlocuteur (une information peut être inactive, semi-acti-
ve ou active)18, qu'il complète par la notion d'« identifiabilité », qui renvoie à
la présence présumée de cette information dans le savoir encyclopédique de
l' interlocuteur 19 .

1.1.2.2 Le topique défini comme ce dont parle l'énoncé


Le deuxième type de définition, issu de la tradition antique, repose sur la dis-
tinction d'un « thème» et d'un «propos )) dans l'énoncé, qui correspondent
aux notions de « sujet psychologique)) et «prédicat psychologique)) (Bally
1965 [1932] : 38)20. Bien que cette définition soit aussi utilisée par les repré-
sentants de l'École de Prague (Danes 1974: 107), la définition de Bally est la
plus connue:

La pensée qu'on veut faire connaître est [ ... ] le but, la fin de l'énoncé, ce qu'on se
propose, en un mot: le propos; on l'énonce à l'occasion d'une autre chose qui en
forme la base, le substrat, le motif: c'est le thème. (Bally 1965 [1932] : 53)

15. « The speaker assumes that the hearer has or could appropriately have sorne particular
thing/entity/ ... in hislher CONSCIOUSNESS at the time ofhearing the utterance. » (Prince
1981 :228)
16. « The speaker assumes that the hearer « knOWS», assumes, or can infer a particular thing
(but is not necessarily thinking about it). » (Prince 1981 : 230)
17. Voir aussi la reformulation en français par Combettes & Tomassone (1988) et Combettes
(1992b).
18. « A more accurate characterization of new is thus newly activated at this point in the con-
versation. Conversely, given can be characterized as already active at this point in the con-
versation. We can add a third possibility to the distinctions just made by labelling
information that has been activated from a previously semiactive state as accessible. »
(Chafe 1994 : 72)
19. Cf. aussi la présentation très claire de Lambrecht (1994), ainsi que celle de Kotschi (1996)
pour une tentative de repérage systématique des éléments de divers degrés informatifs.
20. « Charakteristisch fiir dieses Modell ist die Gliederung der Rede in zwei Basiselemente :
Das, woriiber gesprochen werden soli, der Satzgegenstand, die Grundgrôsse, das Topik
oder Thema, und das, was über den Satzgegenstand ausgesagt wird, die Satzaussage, das
Priidikat, der Comment oder das Rhema. Diese binaristische Konzeption der Thema-Rhe-
ma-Theorie liisst sich durch ihre Verwandtschaft mit dem abendliindischen Tradition der
Sprachphilosophie betrachten, auf die sich einige der Vertreter dieses Modells auch aus-
driicklich berufen. » (Tschida 1995 : 11)

23
L'organisation informationnelle

Schlobinsky & Schütze-Coburn (1992) relèvent que cette définition a été con-
sidérée d'un point de vue tantôt pragmatique et tantôt syntaxique (l'accent est
alors mis sur la relation entre le topique et le sujet, comme chez Givon 1983).
Elle connaît un large écho, même si son caractère vague est souvent relevé
(p. ex. Stark 1999 : 340). Elle est toutefois présentée de manière plus élaborée
chez Lambrecht :

TOPIC : A referent is interpreted as the topic of a proposition if in a given situa-


tion the proposition is construed as being about this referent, i.e. as expressing
information which is relevant to and which increases the addressee's knowledge of
this referent.

TOPIC EXPRESSION: A constituent is a topic expression if the proposition


expressed by the clause with which it is associated is pragmatically construed as
being about the referent of this constituent. (Lambrecht 1994 : 131)

Pour préciser la définition du topique en « à propos » (aboutness), Lambrecht


propose, d'une part, de la combiner avec la prise en compte d'une relation de
pertinence existant entre le topique et la proposition avec laquelle il s'articule,
et d'autre part, de distinguer le topique (topie) de la marque linguistique qui y
renvoie (topie expression).

1.1.2.3 Le topique défini comme le point de départ de l'énoncé


Comme la définition précédente, avec laquelle elle se confond parfois, cette
définition peut faire l'objet d'une interprétation fonctionnelle et/ou syntaxi-
que-positionnelle. L'interprétation fonctionnelle est définie par Halliday com-
me suit:
The theme is what is being talked about, the point of departure for the clause as a
message; and the speaker has within certain limits the option of selecting any ele-
ment in the clause as thematic. (Halliday 1967 : 212)

Elle se traduit, dans la structure syntaxique, par une correspondance entre le


topique et l'élément le plus à gauche:

This structuring is into two parts, a theme and a rheme, and is realized simply by
the sequence of elements : the theme is assigned initial position in the clause, and
all that follows is the rheme. (Halliday 1967 : 212)

De ces deux facettes de la définition du topique comme point de départ, c'est


néanmoins le versant syntaxique qui paraît avoir eu le plus large écho (cf. par
exemple Nelke 1994: 107, Tschida 1995, G6mez-Gonzalez (2001), ainsi que
les travaux de Chomsky et Gundel évoqués par Schlobinsky & Schütze-Co-
bum 1992: 96ss.).

24
État de la question

1.1.2.4 Le topique défini comme l'élément porteur du plus bas degré


de dynamisme communicatif

Contrairement aux trois définitions précédentes, la quatrième repose non pas


sur une dichotomie, mais sur la prise en compte d'un continuum informatif ca-
ractérisant les différents éléments de l'énoncé. Dans ce cadre, le topique est
conçu comme l'élément le moins informatif, c'est-à-dire porteur du plus bas
degré de dynamisme communicatiF l :

the theme is constituted by the sentence element (or elements) carrying the 10west
degree(s) of CD within the sentence. (Firbas 1964: 272)

Comme le relève Lutz (1981 : 30), une telle définition ne suffit pas à identifier
le topique, dans la mesure où l'évaluation du dynamisme communicatif consti-
tue en elle-même une inconnue dont la valeur doit être déterminée par le jeu
des facteurs constitués par l'ordre linéaire des mots, le contexte, la dimension
sémantique et la mise en relief prosodique (voir aussi Chafe 1994: 162). Cette
approche a été développée essentiellement par Firbas lui-même (1964, 1972,
1974, 1992), même si la conception scalaire du topique est intégrée, d'une ma-
nière ou d'une autre, dans d'autres travaux (p. ex. Combettes 1998b, Prévost
1997, Giv6n 1983, 1992). L'écho relativement limité rencontré par la défini-
tion de Firbas tient probablement à la difficulté de l'évaluation concrète des
degrés de dynamisme communicatif (voir par exemple les critiques de Schlo-
binsky & Schütze-Coburn 1992 : 105ss.).

1.1.2.5 Le topique discursif


Le topique discursif est souvent exclu des discussions terminologiques (par
exemple, chez Tschida 1995 et Prévost 1998), même si la question de l'utilisa-
tion de l'approche fonctionnelle pour l'analyse de segments discursifs étendus
est déjà présente dans les travaux pragois (Danes 1974, Dressler 1974 et Fili-
pec 1974). Le terme de «topique discursif» est explicitement introduit par
Keenan & Schieffelin en 1976 :

We take the term discourse topic to refer to the PROPOSITION (or set ofproposi-
tions) about which the speaker is either providing or requesting new information.
(Keenan & Schieffelin 1976 : 338)

21. Le dynamisme communicatif est défini de la manière suivante par Firbas : « By CD 1 un-
derstand a property of communication, displayed in the course of the development of the in-
formation to be conveyed and consisting in advancing this development. By the degree of
CD carried by a linguistic element, 1 understand the extent to which the element contributes
to the development of the communication, to which, as it were, it "pushes the communica-
tion forward"» (Firbas 1972 : 78).

25
l'organisation informationnelle

Contrairement au topique de l'énoncé, le topique discursif n'est généralement


pas présenté comme le premier membre d'une opposition binaire (telle que
thème/rhème, thème/propos) ou d'un continuum; il fait toutefois lui aussi l'ob-
jet de plusieurs définitions; j'en évoquerai deux en guise d'exemples.

Chez van Dijk (1977) et van Dijk & Kintsch (1983), qui s'intéressent essen-
tiellement à des textes monologiques écrits, le topique discursif est défini com-
me une proposition complexe, correspondant à une macro-structure 22 , issue de
l'ensemble des propositions exprimées par le texte : .

That is, a macro-structure of a sequence of sentences is a SEMANTIC REPRE-


SENTATION ofsome kind, viz a proposition entailed by the sequence ofproposi-
tions underlying the discourse (or part ofit). (van Dijk 1977 : 137)

Compris dans ce sens, le topique discursif constitue un principe organisateur


qui résume et organise la représentation sémantique du discours (van Dijk
1977: 132).

L'approche conversationnelle s'appuie quant à elle sur une définition énoncia-


tive du topique discursif pouvant être paraphrasée par « ce dont parle le dis-
cours» (Schlobinsky & Schütze-Coburn 1992 : 112, Crow 1983 : 137). Cette
définition ne correspond pas nécessairement à la distinction d'un topique parti-
culier : Brown & Yule (1983) soulignent que le topique discursif se constitue à
partir d'un ensemble d'éléments contextuellement saillants23 • Ces mêmes
auteurs insistent de plus sur le fait que chaque locuteur, au cours d'une conver-
sation, (re)négocie le topique dont il parle24 :

If there is an entity identifiable as « the topic of conversation », the analyst should


consider what evidence from each individual speaker's contributions he is using to
make that identification. He should also remain aware of the fact that conversation

22. « A second notion oftopic is that of diseourse topie or theme of discourse or discourse epi-
sodes as a whole, which we have made explicit in terms of semantic macrostructures. Note
that such topics are propositions and not functions of semantic representations (that is, of
semantic subtrees) of sentences. »(van Dijk & Kintsch 1983 : 169)
23. « Those aspects of the context which are directly reflected in the text, and which need to be
called up to interpret the text, we shall refer to as aetivated features of eontext and suggest
that they constitute the contextual framework within which the topic is constituted, that is
the topieframework. »(Brown & Yule 1983 : 75)
24. Laparra propose une définition similaire: « pour nous le thème n'est pas ce dont on parle,
mais ce dont JE parle, ou plutôt il est ce que JE me donne comme support de ma prédication
Ge peux me donner ce que je veux en fonction de la situation de communication) : mais
l'opération par laquelle je me donne quelque chose modifie ce quelque chose» (Laparra
1982: 234, citée par Berthoud 1996 : 10).

26
État de la question

is a process and that each contribution should be treated as part of the negociation
of « what is being talked about ». Above aH, he should remember that it is spea-
kers, and not conversations or discourses, that have « topics ». (Brown & Yule
1983 : 94)

Brown & Yule soulignent la part de subjectivité inhérente à l'identification du


topique discursif qui, dans les conversations, dépend des points de vue, pas né-
cessairement symétriques, des deux interlocuteurs.

1.1.3 Les principaux problèmes de la notion de topique


Au terme de ce parcours - non exhaustif - de différentes définitions du topi-
que, les principaux problèmes soulevés par ces notions, que n'ont pas manqué
de relever de nombreux commentateurs, apparaissent plus clairement.

Premièrement, la plupart des critiques mentionnent la faiblesse des définitions


du topique et leur caractère intuitif. La définition énonciative du topique à
l'aide de la paraphrase en « à propos », également utilisée au niveau de la défi-
nition du topique discursif, est particulièrement visée par ce type de critiques.
Par exemple, Fradin & Cadiot (1988) dénoncent la démarche de la « dénomi-
nation interprétante »25 :

L'escamotage en question conduit dans la pratique à substituer l'interprétation au


concept absent. On va se servir des expressions interprétantes « ce dont on parle »,
« ce à propos de quoi est dit X », etc., comme des équivalents définitoires de la
notion. Or, à ce stade, elle n'est pas conceptualisée, mais l'évidence intuitive
qu'apporte le recours à la langue naturelle donne (et conforte) l'illusion qu'elle a
un statut conceptuel. (Fradin & Cadiot 1988 : 7)

Ces auteurs critiquent le remplacement d'un « concept» théorisé par des formu-
lations paraphrastiques en termes « d'à propos », qui font manifestement plus
appel à l'intuition qu'à des notions linguistiques au sens strict; ce type d'obser-
vation conduit directement à la conclusion que l'on a affaire non à un « con-
cept », mais plutôt à une notion « pré-théorique» (Brown & Yule 1983 : 73).

Les autres définitions ne sont guère mieux reçues par les commentateurs, qui
soulignent pour la plupart leur caractère vague et peu opératoire : Danes et al.
(1974: 217-218) relèvent la confusion existant sur la nature du topique, consi-
déré tantôt comme un matériau linguistique et tantôt comme un référent (voir

25. Voir aussi Schlobinsky & Schütze-Coburn (1992: 99), Kleiber (1992a, 1994a), G6mez-
Gonzalez (1998 : 63), ainsi que les références citées par ces auteurs.

27
l'organisation informationnelle

aussi Galmiche 1992: 5). La définition du « rhème» ou du «propOS)) est


quant à elle le plus souvent négligée, celui-ci étant décrit uniquement comme
«ce qui n'est pas le topique)) (Danes 1974: 113, Tschida 1995 : 95). Ce flou
définitoire suscite visiblement un malaise :

on ne peut s'empêcher d'évoquer l'extrême inconfort que l'on éprouve devant une
notion (un concept ?) aux dénominations multiples, aux caractérisations variées,
souvent équivoques, voire contradictoires - car on peut difficilement parler de
définitions - sans oublier quelques rares critères d'identification, peu fiables ou à
la limite de la circularité. (Galmiche 1992 : 3)

Ni les définitions proposées, ni les tests utilisés pour les ne parais-


sent en effet pennettre d'identifier clairement le topique, comme le montrent
les tentatives d'application de Schlobinsky & Schütze-Cobum (1992)27.

Deuxièmement, on relève fréquemment que les éléments discursifs auxquels


renvoie la notion de topique varient entre les différents modèles, et parfois
même dans le cadre d'une même approche28 :

Le topic [est] défini tantôt comme une information déjà connue, tantôt comme le
centre de l'attention des interlocuteurs et se retrouve soit à l'arrière-plan, soit au
premier plan du discours. (Mondada 1994 : 34)

Ces glissements conceptuels ne sont pas limités au cadre de l'énoncé: Monda-


da souligne qu'on « retrouve au niveau textuel les oscillations définitoires en-
tre le topic garantissant les savoirs d'arrière-plan et le topic au centre de
i
l'attention )) (Mondada 1994 : 51 9• Cette deuxième critique n'est pas indé-
pendante de la première, car les fluctuations notionnelles sont naturellement
favorisées par le caractère flou des définitions.

26. On trouve chez Galmiche (1992) et Tschida (1995: 74-89) une critique des tests habituelle-
ment proposés (question, négation, paraphrase, etc.). Voir aussi en 2.4.
27. Voir aussi Marandin (1988), pour la critique d'un « thème-agrégat» réunissant les principa-
les caractéristiques énoncées dans les définitions les plus connues.
28. Par exemple, Galmiche (1992 : 4) et Kleiber (1992a, 1994a) évoquent les problèmes asso-
ciés à la notion de « focus », qui est utilisée à la fois pour désigner le thème et le rhème.
29. Ces problèmes tiennent en partie, pour Mondada, au refus d'abandonner radicalement le ca-
dre d'analyse de l'énoncé (ou la phrase) : «Cette notion [de topic discursif] présente l'inté-
rêt de déplacer le problème du topic de son cadre traditionnel, limité à la phrase, dans un
autre cadre, pragmatique et discursif. Toutefois cet élargissement ne résout pas les problè-
mes antérieurs; ceux-ci se maintiennent d'autant mieux que souvent la dimension discursi-
ve continue à être définie en termes de suites de phrases» (Mondada 1994: 61).

28
État de la question

Enfin, le troisième problème souvent évoqué réside dans la question de la mise


en relation entre les formes linguistiques et les fonctions :

Put generally, we must ask, how reliably can sentential elements be identified for
any particular category or set of categories? And perhaps more importantly, how
is the chosen formulation of topic linguistically relevant? Does it adequately deli-
neate and de scribe the phenomena under investigation? (Schlobinsky & Schütze-
Coburn 1992 : 93)

Ces questions jouent un rôle crucial dans la problématique informationnelle,


dont l'un des principaux objectifs est d'établir, dans la mesure où cela se justi-
fie, des relations entre marques linguistiques et catégories fonctionnelles 3o •
Deux types d'approches ont tenté d'apporter une réponse à ces questions, selon
Mondada: une approche conceptuelle, ou sémasiologique, qui s'appuie essen-
tiellement sur des définitions sémantico-pragmatiques du topique, et une ap-
proche formelle, ou onomasiologique, qui vise avant tout une analyse des
marques morpho-syntaxiques de la structure informationnelle. Alors que ces
deux perspectives devraient être complémentaires, Mondada relève qu'elles ne
sont pas congruentes :

les tenants de l'approche conceptuelle constatent qu'un grand nombre de formes


est susceptible de marquer la nouveauté ou l'ancienneté, etc., alors que les tenants
de l'approche formelle constatent que les marques qu'ils observent peuvent avoir
un grand nombre de fonctions et de significations différentes, parfois même con-
tradictoires. S'il y a consensus quant à la non correspondance biunivoque entre les
formes et les fonctions, tout le reste est sujet à dissension. (Mondada 1994 : 31)

La faiblesse des définitions, larluctuation de la notion de topique et la difficul-


té de son ajustement avec les marques formelles ne constituent pas les seuls
problèmes auxquels se heurte l'analyse de la structure informationnelle, mais il
me semble que ce sont ces éléments qui se trouvent à l'origine de la majeure
partie des difficultés que rencontre l'analyse de la structure informationnelle.

30. Voir par exemple l'approche de Lambrecht : « 1 see my own research as located somewhere
in between the "formaI" and the "functional" approaches to syntax. 1 do not believe that lin-
guistic form can be exhaustively accounted for in terms of its communicative function in
discourse. Nor do 1 believe that syntax is autonomous in the sense that it does not directly
reflect communicative needs. As 1 said before, this book is based on the assumption that
there are aspects of grammatical form which require pragrnatic explanations » (1994 : Il).

29
l'organisation informationnelle

1.1.4 Faut-il abandonner la notion de topique?


Ces difficultés conduisent un certain nombre d'auteurs à rejeter radicalement
la notion de topique. Par exemple :

Terminological profusion and confusion, and underlying conceptual vagueness,


plague the relevant literature to a point where little may be salvageable. (Levinson
1983 : X, cité par Lambrecht 1994 : 1)
While the theme-rheme distinction may be a valuable way of highlighting intui-
tions, it has no place in the technical descriptive vocabulary of either linguistics or
pragmatics. (Sperber & Wilson 1986 : 216, cité par Tschida 1995 : 75)
La notion traditionnelle, vague et psychologisante de thème apparaît donc trop peu
fine au regard des distinctions inscrites dans la langue, et demande à être rempla-
cée par un paradigme détaillé d'opérations logico-sémantiques, à définir formelle-
ment en accord avec un modèle des savoirs partagés discursifs auxquels elles
s'appliquent. (Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997)

De telles prises de position, émanant de pragmaticiens reconnus, conduisent à


envisager sérieusement la question de l'abandon de la notion de topique: faut-
il vraiment renoncer à cette notion ?

Avant de répondre à cette question, une constatation s'impose: les partisans du


rejet de la notion de topique ne sont pas (encore) suivis. En effet, comme le
soulignent Fradin & Cadiot (1988 : 3), la notion de topique a été, et est tou-
jours mise à contribution dans un très grand nombre de travaux dont les objec-
tifs théoriques et pratiques sont variés: syntaxe (par exemple Bally 1965
[1932]), analyse diachronique (p. ex. Combettes 1998b, 1999), typologie des
langues (p. ex. Li & Thompson cités en particulier par Tschida 1995), pragma-
tique (p. ex. Auchlin 1986, 1986-87, 1993), analyse conversationnelle (p. ex.
Keenan & Schieffelin 1976), typologie textuelle (p. ex. Adam 1992), étude de
la ponctuation et de la présentation typographique (p. ex. Védénina 1989), ana-
lyse de l'intonation (p. ex. Wunderli et al. 1978), etc. Un tel état de fait conduit
de nombreux auteurs à souligner la situation pour le moins paradoxale de la
notion de topique 31 :

31. Pour des observations similaires: « La notion de thème est problématique dans la mesure où
elle apparaît à la fois indispensable et impossible à conceptualiser» (Fradin & Cadiot
1988 : 5). « Die Therna-Rherna-Theorie befindet sich in einer paradoxen Situation: Zum ei-
nen werden allenthalben die ungenügende defmitorische Fixierung und die divergenten theo-
retischen Fundierungen moniert ; zum anderen gibt es kaum mehr eine grossere Publikation
zur Syntax, Semantik oder Pragrnatik, die sich nicht in irgendeiner Weise mit der Thema-Rhe-
ma-Theorie auseinandersetzte. Die Thema-Rhema-Theorie wird in mehreren Teildisziplinen
der Sprachwissenschaft angewandt : so beispielsweise in der Syntax, insbesondere in der
Analyse von Wortstellungsregularitiiten, aber auch in der Intonationsforschung, der Texttypo-
logie und der Analyse des mündlichen Sprachgebrauchs » (Tschida 1995 : 2).

30
État de la question

Yet the basis for the identification of « topic» is rarely made explicit. In fact,
« topic » could be described as the most frequently used, unexplained, term in the
analysis of discourse. (Brown & Yule 1983 : 70)

Naturellement, la seule constatation que de très nombreux linguistes, tous do-


maines confondus, font appel à la notion de topique ne peut en aucun cas être
considérée comme une garantie suffisante de la pertinence de cette notion.
Mais elle constitue tout de même un indice digne d'attention, comme le relè-
vent Fradin & Cadiot :

S'il est vrai que chacune de ces approches reconnaît la nécessité de recourir expli-
citement à une notion de thème, n'y a-t-il pas fort à parier que ce qu'elle vise à sai-
sir n'est pas un artefact théorique, mais correspond bien à une réalité dont il va
falloir rendre compte? (Fradin & Cadiot 1988 : 4)

Un argument allant dans ce sens pourrait être constitué par le fait que l'on trou-
ve, dans les mêmes travaux qui rejettent plus ou moins directement la notion
de topique, des appels à cette notion ou aux phénomènes qu'elle recouvre.
C'est le cas par exemple pour Levinson (1983) qui, comme le relève Lam-
brecht (1994: 1-2), se contredit en soulignant l'intérêt que pourrait avoir la no-
tion de topique pour l'étude de la syntaxe dans les conversations. De manière
similaire, Mondada, après avoir dénoncé les apories de la notion de topique,
propose de remplacer cette notion par celle d'« objet de discours », issue de la
logique naturelle de Grize. A la différence du topique, souvent assimilé à un
référent présumé autonome et externe au discours, l'objet de discours renvoie
pour Mondada à une entité purement discursive 32 • Mais hormis cette restric-
tion, 1'« objet de discours» rejoint la notion de topique discursif, car Mondada
le définit comme « ce à propos de quoi le «je» énonce son discours» (Mon-
dada 1994: 63).

De manière légèrement différente, Apothéloz (1995) évite soigneusement toute


référence explicite à la notion de topique. Pour décrire le fonctionnement tex-
tuel des termes anaphoriques, il est néanmoins amené à traiter l'accessibilité
des référents et à distinguer, à la suite de Berrendonner, deux types de saillan-
ce: d'un côté, la saillance « locale» d'un référent dépend directement de la
proximité de son évocation antérieure, textuelle ou non; de l'autre, la saillance
« cognitive» dépend du statut du référent qui peut être plus ou moins « central

32. Mondada précise ainsi que « c'est dans et par le discours que sont posés, délimités, déve-
loppés, transformés, des objets de discours qui ne lui préexistent pas et qui n'ont pas une
structure fixe, mais qui au contraire émergent et s'élaborent progressivement dans la dyna-
mique discursive» (1994 : 62). Cf. aussi Apothéloz & Reichler-Béguelin (1995) et, pour la
suite du débat autour de cette notion, Charolles (1997) et Kleiber (1997e).

31
l'organisation informationnelle

relativement au sens qui se construit» (Apothéloz 1995 : 315). Bien que le ter-
me de « topique» ne soit pas explicitement utilisé, on retrouve ici des descrip-
tions susceptibles de lui être appliquées33 . Ainsi, même si Apothéloz ne recourt
pas explicitement à la notion de topique, il ne renonce pas pour autant au trai-
tement du (ou des) phénomène( s) qu'elle recouvre.

Il apparaît donc que de nombreux auteurs qui rejettent plus ou moins explicite-
ment la notion de topique se voient malgré tout conduits à faire appel aux phé-
nomènes qu'elle recouvre. Cette situation paradoxale se résume par une
formule toute simple: «je thème - moi non plus» (Auchlin 1986-87) ... Plus
sérieusement, il me semble que la difficulté à évacuer entièrement le topique
indique que cette notion, aussi problématique qu'elle puisse être, joue un rôle
central dans le discours. Pour cette raison, il me paraît plus que jamais intéres-
sant de poursuivre son étude, malgré les difficultés de son analyse.

1.1.5 Réexamen des principaux problèmes


de la notion de topique

Reconnaître l'intérêt de la notion de topique ne permet toutefois pas d'ignorer


les principales critiques, rappelées ci-dessus (1.1.3), auxquelles se heurte son
étude. Il convient au contraire de reconsidérer ces objections, afin de trouver
des moyens de les surmonter.

La première critique, qui porte sur le caractère flou de la définition du topique,


a des incidences méthodologiques directes, qui ont par ailleurs déjà été souli-
gnées au début de ce chapitre. Dans l'état actuel de la recherche, il ne paraît
pas judicieux d'utiliser directement cette notion comme un simple outil des-
criptif (ou comme une hypothèse externe, au sens de Ducrot et al. 1980) sans
une explicitation préalable. En effet, la notion de topique demande à être stabi-
lisée conceptuellement, et les critères de son identification doivent être étudiés
pour eux-mêmes, avant de pouvoir être utilisés dans la description d'autres as-
pects de la langue ou du discours.

La critique de la fluctuation du topique n'invalide à mon avis pas tant la notion


en elle-même que l'utilisation plus ou moins rigoureuse qui en est faite. Or,
cette utilisation peut très bien être systématique et précise, comme le montre
par exemple la démonstration éclairante de Lambrecht (1994). Il me semble en
outre que l'importance du problème de la fluctuation du topique a été quelque

33. Cf. les termes « saillant»,« centre d'intérêt»,« lié à la conscience immédiate» relevés par
Galmiche (1992: 4).

32
État de la question

peu surestimée, ce qui s'explique en particulier par les nombreux « raccour-


cis » exigés par les discussions terminologiques (voir 1.1.1) : un grand nombre
de commentateurs font comme s'il n'existait qu'un seul topique mal défini,
alors qu'il existe manifestement plusieurs notions répondant à des définitions
différentes (voir 1.1.2).

J'aimerais enfin m'attarder sur la question de l'absence de correspondance en-


tre les fonctions informationnelles (topique, commentaire, etc.) et les marques
formelles (lexicales, syntaxiques, etc.) qui est d'une importance cruciale. Les
auteurs de cette critique admettent implicitement, me semble-t-il, qu'il serait
préférable de pouvoir établir une relation directe entre la structure information-
nelle et certaines formes linguistiques, c'est-à-dire de pouvoir réduire l'étude
du topique à l'analyse d'une seule dimension linguistique. De même, certains
souhaitent pouvoir assigner un statut précis à cette notion (tel que « catégorie
syntaxique, trait sémantique, principe d'interprétation, etc. » comme le suggè-
rent Fradin & Cadiot 1988 : 7)34.

Bien que séduisant de prime abord, ce type de solution ne me paraît toutefois


guère envisageable ni souhaitable. Il convient premièrement de relever qu'une
telle exigence contredit le fait, pourtant largement admis par ailleurs, que la
notion de topique constitue une notion intrinsèquement complexe qui ne peut
se réduire à un seul niveau d'analyse. Par exemple, Galmiche relève à propos
du topique que:

le phénomène en question ressortit à une multitude de points de vue : sémantique,


logique, psychologique, pragmatique, énonciatif, à quoi se mêlent des considéra-
tions relatives à la phonologie (intonation) et à la syntaxe (constructions).
(1992 : 4)35

34. Développant un point de vue proche, Schnedecker souligne «l'hétérogénéité des critères
définitoires qui relèvent aussi bien de la syntaxe (l'opposition entre sujet/objet, par exem-
ple), de l'ordre des mots d'un système linguistique (l'opposition entre constructions cli-
vées/neutres, par exemple), de la sémantique (l'opposition agent/patient), de la nature des
expressions référentielles» (Schnedecker 1997 : 64, note 24).
35. Dans un autre cadre théorique, Berthoud & Mondada soulignent: «En tant que trajectoire
discursive définie collectivement par la dynamique des apports des interlocuteurs, il met en
jeu un espace d'intersubjectivité qu'il contribue à construire; en tant que phénomène dis-
cursif complexe il exploite différents niveaux de marquage et de structuration, allant de la
morphosyntaxe à l'organisation du discours» (1995 : 205). Voir aussi Guimier : «Même si
de nombreux problèmes terminologiques subsistent, la plupart des auteurs admettent, impli-
citement ou explicitement, la nécessité de reconnaître plusieurs niveaux d'analyse» (Gui-
mier 1999 : 11).

33
L'organisation informationnelle

De plus, il serait impossible de réduire le topique à une dimension particu-


lière sans ôter du même coup tout intérêt à cette notion. Par exemple, une
correspondance directe entre le topique et le référent verbalisé par un pronom
anaphorique entraînerait presque inévitablement le problème de circularité dé-
noncé notamment par Kleiber (1992a, 1994a)36. En fait, si l'on parvenait effec-
tivement à réduire le topique à un aspect particulier de la langue ou du discours
(première position de la proposition, référent du pronom, rôle thématique,
etc.), il ne resterait plus aucun motif valable de continuer à utiliser une telle no-
tion, car celle-ci pourrait alors simplement être remplacée par la catégorie lin-
guistique correspondante37 . Ainsi, l'impossibilité de réduire le topique à une
seule dimension est non seulement inévitable, mais c'est encore elle qui fournit
la justification de l'étude de cette notion.

Pour conclure cette discussion en reformulant ma position, j'aimerais souli-


gner que l'étude du topique ne se justifie que si l'on saisit cette notion comme
le produit complexe d'une interrelation entre plusieurs dimensions linguisti-
ques et pragmatiques. Cette perspective implique, comme le relève Lambrecht,
une position qui est loin d'être toujours confortable:

Infonnation-structure research neither offers the comfort which many syntacticians


find in the idea of studying an autonomous fonnal object or provides the possibility
enjoyed by sociolinguists of putting aside issues of fonnal structure for the sake of
capturing the function oflanguage in social interaction. (Lambrecht 1994 : 1)

L'étude du topique nécessite le traitement simultané de phénomènes tant lin-


guistiques que pragmatiques et interactionnels. Une telle tâche ne me paraît
toutefois pas insurmontable avec l'aide des travaux existants : plutôt que de les
considérer uniquement du point de vue de leurs divergences, il me paraît judi-
cieux, en adoptant les précautions décrites ci-dessus, de prendre appui sur ces
recherches, dans une perspective résolument cumulative (Kleiber 1994a: 19).
Enfin, il convient de souligner que la complexité des phénomènes impliqués
dans la notion de topique lui confère un intérêt heuristique direct, dans la me-
sure où, comme le relève Mondada (1994)38, elle a permis - et permet encore -

36. « Ainsi, d'un côté, le pronom il se trouve défini à l'aide de la notion de thème discursif et,
de l'autre, le thème se détermine en termes d'anaphore. » (Kleiber 1992a : 18)
37. Schlobinsky & Schütze-Coburn proposent une réduction de ce type: « Another option for
us, then, is to abandon the term « topic » altogether, at least for the moment. Instead, we
suggest, its components, whether one or several, could be laid out explicitly in each case
and handled directly. That is, we advocate the independent treatment of alllinguistically re-
levant categories (at allievels) that are usually factored into the topic equation in one place
or another» (1992 : 114).
38. « La notion de topic possède le mérite heuristique d'avoir permis très tôt des formulations
théoriques et analytiques qui ont tenté de faire le lien entre les sphères syntaxique, sémanti-
que et pragmatique. » (Mondada 1994 : 27)

34
État de la question

l'étude de l'interrelation des phénomènes syntaxiques, sémantiques, pragmati-


ques, interactionnels, qu'elle réunit.

1.2 Les différents niveaux d'analyse impliqués


par l'analyse de la structure informationnelle
Le constat de la complexité de la notion de topique ne peut en aucun cas être
considéré à lui seul comme suffisant. Les glissements terminologiques et con-
ceptuels évoqués ci-dessus rendent en effet indispensable de préciser les ni-
veaux d'analyse impliqués dans la structure informationnelle. Pour le faire, je
commencerai par rappeler la distinc;tion des deux niveaux d'analyse constitués
par l'énoncé et le discours, qui correspondent à deux types d'approches de la
structure informationnelle39 (1.2.1), avant d'évoquer les différentes dimen-
sions et organisations impliquées dans l'analyse de la structure informationnel-
le à ces deux niveaux (1.2.2). Ce survol me conduira à souligner l'intérêt d'une
approche modulaire pour rendre compte de cette pluralité de dimensions
(1.2.3).

1.2.1 La structure informationnelle de l'énoncé et du discours


Les travaux portant sur l'analyse de la structure informationnelle situent géné-
ralement leur objectif descriptif soit au niveau de la structure interne de l'énon-
cé, soit au niveau de séquences discursives impliquant plusieurs énoncés. Cette
diversité s'explique par le caractère récursif de la structure informationnelle,
relevé en particulier par Auchlin :

la relation d'à propos pragmatique peut s'établir entre des objets sémantiques dont
les correspondants en surface (topique et commentaire) ne sont pas limités dans
leur taille. (Auchlin 1986-87 : 66)

J'aimerais montrer ici les apports des approches s'intéressant à la structure in-
fonnationnelle de l'énoncé et du discours, non pas en les présentant comme
antagonistes, comme cela se fait souvent, mais en soulignant leur complémen-
tarité.

39. J'utilise l'expression de « structure informationnelle» en suivant une tradition assez large-
ment répandue. Dans la mesure où elle recouvre des phénomènes discursifs complexes, cet-
te expression peut ici être considérée comme équivalente à celle d' « organisation
informationnelle ». Pour une première esquisse de la distinction des différents niveaux
d'analyse de l'organisation informationnelle, voir Grobet (200 la).

35
l'organisation informationnelle

Un premier courant de recherche, qui peut être considéré comme l 'héritier le


plus direct de l'École de Prague, situe son cadre de référence au niveau de la
structure de l'énoncé4o . Par exemple, pour Lambrecht, la structure information-
nelle se définit comme l'une des composantes de la grammaire de la phrase:

Infonnation structure: That component of sentence grammar in which proposi-


tions as conceptual representations of states of affairs are paired with lexicogram-
matical structures in accordance with the mental states of interlocutors who use
and interpret these structures as units of infonnation in given discourse contexts.
(Lambrecht 1994 : 5)

Dans ce cadre, la structure informationnelle constitue, à l'instar de la syntaxe,


de la sémantique, de la morphologie et de la prosodie, un principe structurant
de la phrase en contexte, c'est-à-dire de l'énoncé. Une telle approche, dont
l'intérêt n'est plus à démontrer, permet des études précises des marques for-
melles mises en relation avec la structure informationnelle, comme par exem-
ple l'ordre des mots (p. ex. Firbas 1992, Combettes 1996, Prévost 1997), les
structures syntaxiques spécifiques telles que les constructions segmentées, pré-
sentatives, etc. (p. ex. Lambrecht 1981, 1988, 1994), le choix des expressions
référentielles (p. ex. Combettes & Tomassone 1988, Kleiber 1992a, Muller
1999) et la structure prosodique (p. ex. Morel & Danon-Boileau 1999, Lache-
ret-Dujour et al. 1998).

Comme cela apparaît dans la définition de Lambrecht qui vient d'être citée,
même si le cadre de référence de cette approche est l'énoncé, le repérage de la
structure informationnelle implique toujours la prise en compte du contexte
textuel et/ou situationnel. Par exemple, pour un énoncé comme:

(1.1) Le lapin a effrayé Alice.

il faut recourir au contexte pour identifier le topique (défini comme une infor-
mation connue, donnée ou caractérisée par le plus faible degré de dynamisme
communicatif), car le « lapin », «Alice» ou le « fait que le lapin a effrayé
quelqu'un» sont tous des topiques possibles. En outre, la définition même du
topique comme information donnée implique souvent la prise en compte d'une
évocation dans le contexte :

Given or known is that infonnation which is derivable or recoverable (to use Hal-
liday's wording) from the context, situation and the common knowledge of the
speaker and listener. (Danes 1974: 109).

40. Ce courant paraît actuellement dominant en France si l'on regarde la place importante qui
lui est accordée dans le numéro 30 des Cahiers de praxématique (Fuchs & Machello-Nizia
éds 1998) et dans les actes du colloque de Caen (Guimier éd. 1999).

36
État de la question

De même, si l'on définit le topique comme «ce dont parle l'énoncé », il faut
pouvoir s'appuyer sur le contexte pour préciser si l'on parle du «lapin »,
d'« Alice », de «ce qui se qui se passe dans le premier chapitre d'Alice au
pays des merveilles », etc. Seule la définition selon laquelle le topique est
constitué par le point de départ syntaxique de l'énoncé semble pouvoir être
considérée comme indépendante du contexte. Toutefois, on peut relever que
cette définition n'est jamais utilisée seule et qu'elle est complétée par la prise
en compte des informations données et/ou des mécanismes de focalisation
(Halliday 1967, Tschida 1995, Nelke 1994)41. La relation que l'énoncé entre-
tient avec le contexte apparaît donc comme un élément indispensable dans la
définition du topique42 •

Si l'importance du contexte est assez largement admise, la manière dont il est


pris en compte varie. Certains recourent à des manipulations comme les ques-
tions, illustrées ci-dessous:

(1.2) Que s'est-il passé?


Qu'a fait le lapin?
Qui le lapin a-t-il effrayé?
Qu'est-il arrivé à Alice?

qui créent (artificiellement) un contexte permettant l'interprétation de la struc-


ture informationnelle de l'énoncé (cf. la discussion dans le chapitre suivant,
en 2.4). D'autres étudient les énoncés non pas isolés mais intégrés dans un
contexte plus large (Firbas 1992, Lambrecht 1994). Toutefois, même dans ce
cas, l'influence de facteurs contextuels, comme par exemple la saillance dis-
cursive des référents, sur l'interprétation de la structure informationnelle est
mentionnée, mais elle n'est pas étudiée pour elle-même.

La constatation du rôle important joué par le contexte discursif conduit


d'autres auteurs à préconiser une analyse située au niveau discursif. C'est le
cas par exemple pour Mondada :

Une grande partie des apories dans le traitement du topic sont provoquées par un
cadre de référence maintenant la phrase, éventuellement l'énoncé, comme dimen-
sion suffisante et pertinente. Or même le traitement des phrases isolées présuppose
un environnement co-textuel ou un contexte cognitif, que l'analyste construit sous
forme de tests, questions, négations, contrastes, enchaînements. Cette construction

41. Cette définition soulève par ailleurs d'autres types de difficultés, discutées en particulier par
Tschida (1995) et G6mez-Gonzâlez (1998, 2001).
42. « Therefore, the notion of topic can only be appropriately defined in terms of the relations
between a sentence and the (con-)text.» (van Dijk & Kintsch 1983 : 155)

37
L'organisation informationnelle

du contexte ne vise toutefois qu'à spécifier le statut informationnel de la phrase


analysée; elle ignore par contre comment ce statut a été atteint et quelles consé-
quences et transformations il peut provoquer sur la suite. Travailler dans le cadre
de la phrase correspond ainsi à se cantonner dans une identification statique d'un
état informationnel. Par contre dès que l'on pose la question des processus dyna-
miques par lesquels des syntagmes deviennent des topics, se développent comme
tels ou se transforment voire sont abandonnés, le passage à un cadre discursif
s'impose. (Mondada 1994: 44-45)

L'approche discursive saisit la notion de topique comme étant pertinente avant


tout au niveau du discours (Giv6n 1992)43. Le plus souvent, elle s'inscrit en
rupture avec les travaux portant sur la structure de l'énoncé :

les descriptions de la grammaire de discours qui font alterner les notions de


« thème de discours» et de « thème phrastique» (Prince 1981 ; Givon 1983) sans
prendre en compte structurellement le problème de la constitution du thème dans
des corpus plus longs, ne font que la moitié du chemin. (Dittmar 1988 : 88)

Particulièrement représentatif de ce type d'approche, le courant d'analyse con-


versationnelle d'origine anglo-saxonne a mis en évidence le lien étroit existant
entre la (co-)construction du topique discursif et la structure de l'interaction.
Ainsi, plusieurs auteurs montrent comment s'effectuent, dans l'interaction,
l'introduction du topic, son maintien, sa réintroduction ou son changement
(Keenan & Schieffelin 1976, Crow 1983), accordant une attention particulière
aux marques de cette trajectoire (voir par exemple les questions génératrices
de topique et les demandes de nouvelles analysées par Button & Casey 1984,
1985, 1988-89).

Le topique discursif est, dans ce type d'approche, traité indépendamment de la


structure informationnelle de l'énoncé. Même si Chafe paraît parfois rattacher
le topique discursif à la notion d'état d'activation44 :

«(
43. « Thematic coherence across a multi-clause chain means continuity recurrence») of the
sub-e1ements of coherence, chief among which are the referents/topics. Coherent discourse
is thus characterized by equitopic clause chains. And « topic» is a relevant functional no-
tion only at the discourse level. Put plainly and in operational terms, the topic is only « tal-
ked about» or « important» if it remains « talked about» or « important» through a
number of successive clauses. » (Giv6n 1992 : 12)
44. Je rappelle que la notion d'état d'activation permet à Chafe de reformuler sous un angle co-
gnitif la définition du topique comme information donnée, qui est généralement utilisée au
niveau de l'énoncé.

38
État de la question

We can think of each such topic as an aggregate of coherently related events, sta-
tes, and referents that are held together in sorne form in the speaker's semiactive
consciousness. (Chafe 1994: 121)

et le considérer comme constitué par un ensemble de propositions semi-actives


ou accessibles, il considère que l'état d'activation du topique est variable:

there is no reason to think that everything within a topie bec ornes semiactive as
soon as the topic as a whole has entered that state. Sorne parts may be more imme-
diately available than other parts, which may remain inactive until scanning of the
topic is weIl advanced, ifthey even become semiactive at aIl. We need to allow for
the variable availability ofideas within a topic. (Chafe 1994 : 121)

Dans la mesure où le topique discursifn'est pas saisi par rapport à un état d'ac-
tivation spécifique, on peut se demander comment s'effectue son identifica-
tion. Le plus souvent, l'observation des marques formelles remplace une
définition plus précise45 :

Defining « topic» with any greater specificity than « what a conversation is


about» usually entails focusing on topie boundaries and shifts. (Crow 1983 : 137)

Cependant, en refusant les contraintes liées à l'analyse de la structure informa-


tionnelle de l'énoncé, l'observation des marques linguistiques peut s'avérer
décevante. Par exemple, le topique peut correspondre à un référent nouvelle-
ment activé, comme c'est le cas dans l'extrait suivant emprunté à Berthoud
(1996: 75) :

(1.3)
Xl: quelle est votre question ?
Y2: euh: j'ai un problème de santé, j'aimerais savoir quand c'est que j'en verrai
le bout (Berthoud 1996)

En Y2, le topique est une information nouvellement activée marquée par un in-
défini et un existentiel; l'anaphorique en n'étant pas pris en considération par
Berthoud. Mais le topique peut aussi être exprimé comme une information ac-
cessible, voire donnée, comme l'illustre la suite de l'exemple:

X7: ben ça devait être le même problème aussi


Y8: le problème
X9: revient périodiquement
YIO: le problème, il était là
XlI : ouais (Berthoud 1996)

45. Cf., pour l'expression d'une démarche similaire, Berthoud & Mondada (1995) par exemple.

39
L'organisation informationnelle

En Y7, Y8 et YlO le topique est marqué par une reprise définie et les anaphori-
ques en X9 et YlO sont cette fois pris en considération: le topique n'est plus
présenté comme une information nouvellement activée, mais comme une in-
formation donnéé 6 . Il apparaît ainsi que, comme le topique discursif oscille
entre l'information nouvellement activée et l'information donnée, des expres-
sions référentielles telles que les syntagmes nominaux indéfinis et les pronoms
se retrouvent placées au même niveau, étant toutes considérées comme des
marques du topique, et cela, malgré leur contenu sémantique très différent
(Kleiber 1994a). Un autre problème rencontré par cette conception discursive
du topique, qui s'appuie essentiellement sur les marques linguistiques, réside
dans la difficulté du traitement des changements de topiques qui ne sont pas
spécifiquement marqués (Schlobinsky et Schütze-Coburn 1992: 114). Pour
ces deux raisons, il semble que l'approche discursive du topique gagnerait à
prendre en compte, même de manière minimale, la distinction de différents états
d'activation au niveau de la structure informationnelle interne de l'énoncé.

Les approches étudiant la structure informationnelle de l'énoncé et celle du


discours apparaissent en fin de compte comme complémentaires. Alors que la
première permet l'étude détaillée de la réalisation linguistique de l'énoncé,
mais s'avère peu apte à décrire le contexte discursif, la seconde effectue des
observations intéressantes sur la constitution du topique discursif dans l'inte-
raction, mais ne permet pas de traiter les marques formelles du topique de ma-
nière différenciée. Il conviendra donc, par la suite, d'accorder une attention
particulière aux modèles à vocation unificatrice qui, à l'instar de celui de Da-
nes (1974), concilient la prise en compte de la structure informationnelle de
l'énoncé et de celle du discours: tout porte à croire que de tels modèles pour-
raient combiner les apports des deux perspectives.

1.2.2 Les différentes dimensions impliquées par l'analyse


de l'organisation informationnelle
Qu'elle soit saisie au niveau de l'énoncé ou du discours, la structure informa-
tionnelle peut être décrite comme le produit complexe de l'interrelation de dif-
férentes dimensions (1.1.5). Pour préciser ces propos, j'aimerais brièvement
dénombrer, à partir des travaux existants, les principales dimensions interve-
nant dans l'analyse de l'organisation informationnelle.

46. Mon commentaire se limite aux expressions référentielles. Il conviendrait également de re-
lever les structures syntaxiques marquées qui interviennent dans cet exemple.

40
État de la question

Les dimensions impliquées par la structure informationnelle de l'énoncé ont


été clairement posées dans l'approche à trois niveaux de Danes:

(1) level of the grammatical structure of the sentence


(2) level of the semantic structure of the sentence
(3) level of the organization of utterance (Danes 1964 : 225)

Au niveau syntaxique, les éléments peuvent être classés dans des catégories
grammaticales telles que « sujet », « verbe» et « objet» et ils sont liés entre
eux par des relations de dépendance syntaxique. Au niveau sémantique sont si-
tuées les significations lexicales générales qui prennent la forme de catégories
telles que « être vivant », « individu », qualité », « action» ou de relations en-
tre ces catégories (<< action comme attribut d'un individu ») (Danes 1964:
226). Le troisième niveau est celui de l'actualisation de l'énoncé dans l'acte ef-
fectif de communication, et c'est là que Danes situe l'analyse fonctionnelle. Ce
troisième niveau est déterminé par la matérialisation linéaire de l'énoncé et sa
perception, ainsi que par le contenu extra-linguistique du message, la situation
et l'attitude des interlocuteurs (Danes 1964: 227). Contrairement aux deux
autres niveaux décrits comme abstraits et statiques, ce troisième niveau impli-
que la prise en compte du caractère dynamique de l'énoncé et des aspects lexi-
caux et syntaxiques qui le caractérisent, ainsi que de la prosodie:

Further, aIl extra-grammatical means of organizing utterance as the minimal com-


municative unit are contained on this level as weIl. Such means are: rythm, into-
nation (as a complex of « melody» and « stress »), the order of words and of
clauses, sorne lexical devices, etc. (Still, sorne ofthem may be operative on the
grammaticallevel, too.) (Danes 1964; 228)

Le troisième niveau apparaît donc d'une complexité bien supérieure aux deux
premiers, puisqu'il inclut des éléments syntaxiques et lexicaux parmi l'ensem-
ble des phénomènes caractérisant l'actualisation de l'énoncé (Zaccaria
1989)47.

Lorsque l'on considère la structure informationnelle au niveau du discours, on


retrouve les dimensions impliquées par la structure informationnelle de l' énon-
cé, à savoir les dimensions syntaxique et lexicale (voir par exemple l'étude de

47. La complexité sous-jacente à ce niveau d'analyse est également relevée par Chafe, qui re-
proche à Firbas de réunir sous un même aspect - le dynamisme communicatif - différents
facteurs; « there is a single dimension (communicative dynamism) that is « determined
by » a complex interaction of word order (!inear modification), activation cost and identi-
fiability (the contextual factor), various semantic elements and relations that under!ie gram-
mar (the semantic factor), and prosody» (1994; 165).

41
L'organisation informationnelle

marques de la structure informationnelle chez Laparra 1982, Crow 1983, de


Fornel 1988, Berthoud 1996) ainsi que prosodique: l'intonation intervient
dans les phénomènes d'accentuation et dans la structuration d'unités discursi-
ves d'ampleurs diverses (p. ex. «intonation unit» chez Chafe 1994 ou« para-
tone» chez Brown & Yule 1983; voir aussi Selting 1995, Couper-Kuhlen &
Selting éds 1996). A ces différents éléments déjà présents au niveau de la
structure de l'énoncé s'ajoutent ceux dont seule la prise en compte du contexte
discursif étendu permet l'étude. On peut d'abord évoquer la structure du dis-
cours monologique ou dialogique qui, comme l'ont bien montré les approches
conversationnelles, est étroitement liée à la co-construction du topique (Button
& Casey 1984, 1985, 1988-89, Dittmar 1988, de Fornel 1986, 1988, Chafe
1980, 1994 et 1997). A la structure du discours s'ajoutent les référents du dis-
cours, c'est-à-dire des représentations d'êtres, de choses ou de concepts, maté-
riellement présents dans la situation ou activés par le discours, qui sont
susceptibles d'être interprétés comme « ce dont parle le discours» (p. ex. Ditt-
mar 1988). L'étude du topique discursif implique également la structure ac-
tionnelle dans laquelle s'inscrit le discours (de Fornel 1986, Lôtscher 1989,
Linell & Korolija 1997), ainsi que les connaissances liées à l'interaction en gé-
néral et aux normes sociales qui la gouvernent (Goffman 1987, Maynard
1986). A ces nombreux éléments s'ajoute enfin la part de subjectivité des in-
terlocuteurs intervenant nécessairement dans l'évaluation du topique d'une
conversation48 .

Ce bref survol, aussi sommaire soit-il, suffit à donner une idée des nombreux
éléments impliqués dans l'analyse de la structure informationnelle de l'énoncé
et du discours. De cette constatation découle la nécessité de se munir d'un ca-
dre d'analyse permettant de rendre compte de cette pluralité de facteurs et de
se positionner clairement par rapport aux différents niveaux d'analyse.

1.2.3 Pour une approche « modulaire»


de l'organisation informationnelle
Si la complexité de l'organisation informationnelle est largement admise, le
traitement de l'ensemble des éléments qui y interviennent soulève des difficul-
tés qui sont encore loin d'être résolues, et qui, selon Guimier (1999), sont pro-
bablement responsables d'une partie des confusions terminologiques et

48. «The evaluation of (the degree of) contextual giveness depends also on the delicacy (deter-
mined by various factors, partly objective - e.g., stylistic - partly subjective) with which the
speaker (and listener) evaluates a given expression as semantically implied in a certain pre-
ceding expression. » (Danes 1974: 110)

42
État de la question

conceptuelles évoquées ci-dessus 49. Pour cette raison, il paraît nécessaire de se


munir d'un cadre d'analyse autorisant la prise en compte de tous les facteurs
intervenant dans la structure informationnelle. À cet égard, une approche de
type « modulaire» présente un certain nombre d'avantages que j'aimerais
brièvement présenter.

Au vu des problèmes soulevés par l'analyse du topique et de la structure infor-


mationnelle, il paraît judicieux de commencer par distinguer, comme le permet
une approche modulaire, les dimensions et niveaux d'organisation qui y sont
impliqués: une telle démarche permet de décomposer les problèmes généraux
en sous-problèmes, qui sont d'abord traités pour eux-mêmes avant d'être re-
considérés dans le tout que constitue la structure informationnelle. Je rejoins
sur ce point une proposition de Schlobinsky & Schütze-Coburn, même si je ne
considère pas l'abandon de la notion de topique comme un préalable nécessaire:

That is, we advocate the independent treatrnent of aIl linguistically relevant cate-
gories (at aIllevels) that are usually factored into the topic equation in one place or
another. (Schlobinsky & Schütze-Cobum 1992 : 114)

Il est intéressant de constater que, indépendamment des modèles strictement


« modulaires» tels que ceux qui ont été développés en syntaxe ou en analyse
du discours, comme ceux d'Adam (1992), Motsch (éd.) (1996), N0lke (1994)
et Roulet (1991 a, 1997a, 1999b et c), le principe d'une telle approche paraît as-
sez largement admis, sous une forme ou une autre, dans les études portant sur
la structure informationnelle. En effet, bon nombre de travaux s'efforcent de
distinguer rigoureusement les différentes dimensions intervenant dans l' analy-
se de la structure informationnelle. Cette démarche de « découplage» se mani-
feste de manière particulièrement claire à travers la notion d' « échelle de
topicalité », développée par plusieurs auteurs et qui rencontre actuellement un
écho assez large5o • À titre d'exemple, j'évoquerai les propositions de Giv6n
(1983), qui a, dans un premier temps, fait l'hypothèse que l'ensemble des
moyens utilisés pour coder l'accessibilité du topique pourraient être inclus
dans une seule et même échelle valable pour toutes les langues :

49. « La thématisation met globalement en cause les opérations de structuration de l'énoncé. Or


celles-ci sont complexes et peuvent être envisagées sous différents angles: structuration in-
terne de l'énoncé [ ... ], structuration de l'énoncé par rapport à des éléments extérieurs [ ... ],
qui peuvent être de nature linguistique [ ... ], ou de nature extra-linguistique [ ... ], etc. C'est
de la difficulté à prendre en compte tous ces éléments à la fois que résulte en grande partie
le flou qui entoure les notions de thème et de thématisation. »(Guimier 1999 : 11-12)
50. Voir par exemple Kleiber (1992a, 1994a), Schnedecker (1997), Furukawa (1996) et les tra-
vaux cités par ces auteurs.

43
L'organisation informationnelle

most eontinuous/aeeessible topie


zero anaphora
unstressed/bound pronouns or grammatical agreement
stressed/independent pronouns
R-dislocated DEF-NP's
neutral-ordered DEF-NP's
L-dislocated DEF-NP's
Y-moved NP's (( constrastive topicalization »)
cleftlfocus constructions
referential indefinite NP's
most diseontinuous/inaecessible topie (Giv6n 1983 : 17)51

Figure 1.1. L'échelle de la cohtinuité topicale de Givon

À une extrémité de cette échelle, les anaphores dites «zéro» sont utilisées
pour coder les topiques les plus accessibles, tandis qu'à l'autre, les syntagmes
nominaux indéfinis permettent de coder les topiques inaccessibles. Constatant
qu'une telle échelle reste néanmoins trop attachée à certaines langues, Givon
est amené à distinguer plusieurs échelles, moins hétérogènes, qui reflètent cha-
cune certains aspects du codage linguistique du topique 52 • Il distingue ainsi
une échelle pour la taille phonologique53 :

most eontinuous/aeeessible topie

!
zero anaphora
unstressed/bound pronouns (( agreement»)
stressed/independent pronouns
full NP's
most diseontinuous/inaecessible topie (Giv6n 1983 : 18)

Figure 1.2. L'échelle de la taille phonologique de Givon

Une échelle pour l'ordre des mots, dont les constituants les plus à gauche co-
dent les topiques les plus continus :

R-dislocated DEF-NP's > neutral-ordered DEF-NP's > L-dislocated DEF-NP's


(Giv6n 1983 ; 19)

51. Schnedecker (1997 : 65) propose une traduction française de cette échelle.
52. « While our cross-language studies largely upholds this scale, it is clear now that, to begin
with, the scale is still too language-specifie, and that better and typologically more relevant
predictions can be made by recognizing a number of scales each reflecting sorne specifie
syntactic coding means - be those word-order, morphology, intonation or phonological size
- which alone or in various combinations make up the syntactic constructions that code our
scalar domain. » (Givon 1983 : 18)
53. Givon envisage également d'autres échelles qui tiendraient compte des phénomènes d'ac-
centuation (1983: 18).

44
État de la question

Une échelle pour les rôles sémantiques :

AGT > DATIBEN > ACC > OTHERS (Giv6n 1983 : 22)

à laquelle correspond une échelle des rôles grammaticaux:

SUBJ > DO > OTHERS (Giv6n 1983 : 22)

Givon justifie cette correspondance par l'existence d'une tendance universelle


du langage humain à exprimer les agents à travers des sujets, les bénéficiaires
par des objets, etc. (Givon 1983 : 22).

De telles échelles concernent uniquement le codage linguistique du topique :


elles ne permettent pas encore de saisir le rôle de la structure du discours sur la
saillance du topique. Pour le faire, Givon s'appuie sur des mesures quantitati-
ves de la distance de l'évocation précédente du référent topique, des interféren-
ces potentielles et de la persistance du topique dans le paragraphe suivant. L'un
des problèmes que soulève une telle approche réside dans la linéarité de ces
mesures qui ne tiennent pas compte de la structure hiérarchique des textes,
comme le rappellent Schlobinsky & Schütze-Cobum (1992: 108). D'autres
auteurs, comme Pause citée par Kleiber (1992a, 1994a) et Schnedecker (1997),
combinent de telles échelles avec l'échelle de la familiarité supposée dévelop-
pée par Prince (1981) et reprise par Lambrecht (1994), ainsi que par une dis-
tinction de différents plans dans le discours :

actif> accessible> non utilisé> flambant neuf

arrière-plan> focus (Kleiber 1992a : 20)

Ces dernières échelles sont néanmoins elles aussi problématiques du fait que,
contrairement aux premières, elles renvoient à des notions elles-mêmes com-
plexes, ne relevant plus uniquement de la structure linguistique de l'énoncé, et
qui devraient par conséquent faire l'objet d'études approfondies plutôt que
d'être uniquement convoquées au titre de prémisses54 . En outre, il convient de
souligner que de telles échelles sont encore loin de pouvoir rendre compte du
lien étroit, mis en évidence par les approches conversationnelles, entre le topi-
que et la structure du discours.

54. Kleiber (1 992a) et Schnedecker (1997) signalent tous deux en note le problème que soulève
la distinction textuelle de l'arrière-plan et du focus. Combettes (1992a, 1994) montre bien
la multiplicité des facteurs intervenant dans la distinction du premier et du second plan, qui
implique non seulement le choix de certaines formes verbales (telles que passé simple pour
le premier plan, imparfait pour le second plan), mais encore des phénomènes tels que la
transitivité ou la subordination. Cf. aussi Weinrich (1973) et Reinhart (1986).

45
L'organisation informationnelle

Même si elles ne sont pas entièrement satisfaisantes, ces échelles de topicalité


illustrent bien la démarche consistant à distinguer les différents facteurs inter-
venant dans la structure informationnelle. Cette méthode se retrouve, cette fois
dans un cadre explicitement modulaire, dans 1'approche de N0lke (1994) par
exemple. Celui-ci, qui situe son analyse au niveau de l'énoncé, distingue l'arti-
culation thème-rhème, qu'il saisit au niveau syntaxique et sans référence au
contexte (le thème étant défini comme le premier segment de l'énoncé), des
phénomènes pragmatico-sémantiques de présupposition et de focalisation.
F10ttum (1999) montre qu'un tel cadre théorique permet de décrire les diffé-
rentes facettes d'un marqueur comme quant à. Alors que le système modulaire
de N0lke (1994) concerne avant tout la structure de l'énoncé, le modèle déve-
loppé par Roulet (1991 a, 1997, 1999b et 1999c) autorise le traitement conjoint
des aspects linguistiques, textuels et situationnels de la structure information-
nelle : le modèle hiérarchique développé par Roulet et al. (1985) permet en
particulier d'étudier le rôle de la structure du discours dans l'organisation in-
formationnelle. C'est donc ce modèle qui me paraît le plus directement intéres-
sant pour rendre compte de la complexité de la structure informationnelle.

Il convient de préciser que le choix d'un cadre d'analyse modulaire est pour
moi uniquement méthodologique et qu'il n'implique pas d'hypothèse sur le
fonctionnement du cerveau humain. Je rejoins ici la position adoptée par Rou-
let dès 1991 (Roulet 1991a: 58) et reformulée récemment:

Il est important de préciser aussi que, comme Motsch (1989, 1991) et N0lke
(1994: 86), et à la différence de Fodor (1983), j'adopte l'approche modulaire seu-
lement comme hypothèse méthodologique. Il est prématuré de considérer la modu-
larité comme un reflet de mécanismes psychologiques, du fonctionnement de
l'esprit humain, mais elle constitue une hypothèse prometteuse pour décrire la
complexité de l'organisation du discours. (Roulet 1999c: 193)

Plus précisément, la «méthode modulaire» revient à décomposer l'organisa-


tion du discours en un ensemble de sous-systèmes (modules et organisations)
qui peuvent eux-mêmes faire l'objet de découplages jusqu'à l'obtention de
systèmes aussi élémentaires que possibles. Une fois étudiés de manière indé-
pendante, les sous-systèmes d'informations sont à nouveau mis en relation
(dans une phase de « couplage»), et leurs interrelations sont alors étudiées de
manière systématique55 .

55. «Il nous est apparu clairement qu'une approche modulaire impliquait une réduction de cha-
que dimension à ses constituants et principes les plus élémentaires, l'intérêt principal du
modèle résidant dans la possibilité de rendre compte de la complexité des différentes for-
mes d'organisation du discours à partir de composants élémentaires.» (Roulet 1997b : 8)

46
État de la question

Après avoir tenté de montrer que l'adoption d'une approche modulaire s'ins-
crit dans la continuité des travaux menés jusqu'à présent sur la structure infor-
mationnelle, il reste à discuter brièvement quelques critiques formulées à
l'encontre des modèles modulaires par Berthoud (1996), qui prône quant à elle
une analyse intégrée de la structure informationnelle du discours :

Appréhender la construction des topics dans une perspective intégrée nous conduit
par ailleurs à nous démarquer de « modèles modulaires », qui fondent l'analyse du
discours sur un ensemble de paradigmes isolés les uns des autres et dont on ne
saisit pas aisément les « clés» de passage. Traiter le discours alternativement en
termes de « connexité », de « structure compositionnelle », de « cohésion sé-
mantique », de « prise en charge énonciative », ou de « visée illocutoire », au sens
de la linguistique textuelle, permet en effet de distinguer les facteurs complexes
qui y interviennent, mais présente à notre sens une vision relativement statique du
discours ; le discours y est considéré comme un espace fermé, où les principes de
construction sont envisagés seuls à seuls à partir de la globalité construite (cf. la
critique que nous avons faite plus haut à propos des notions de macrostructure ou
de schéma). (Berthoud 1996 : 19-20)

Ces critiques pointent deux éléments importants : le caractère statique et fermé


de l'analyse modulaire du discours et l'isolation des paradigmes résultant des
découplages.

La première de ces critiques ne s'adresse pas spécifiquement aux modèles mo-


dulaires. Elle est en effet reprise par Reboul & Moeschler à propos de l'analyse
du discours (qu'ils appellent ANALYSE DE DISCOURS) en général:

En d'autres termes, décrire un fonctionnement cognitif quelconque, cela suppose


la description de l'interaction de données perceptuelles, données linguistiques,
etc., toutes choses qui sont largement, si ce n'est totalement, absentes de l'ANALYSE
DE DISCOURS « cognitiviste» contemporaine. Il faut bien voir en effet que l'ANA-
LYSE DE DISCOURS peut se comprendre comme une tentative pour perpétuer une tra-
dition d'isolement linguistique où, à défaut de pouvoir dire que tout est dans la
phrase, on dit que tout est dans le discours. (Reboul & Moeschler 1998 : 17)

Une telle critique du caractère clos de l'analyse du discours ne me paraît pas


justifiée. En effet, le système d'analyse modulaire du discours développé à Ge-
nève vise précisément à dépasser une conception statique et fermée du dis-
cours, en particulier grâce au récent développement de l'étude des dimensions
référentielle (Filliettaz 1996, 1997, 1999a, à paraître) et interactionnelle (Bur-
ger 1995, 1996, 1997, 1999)56. De plus, le modèle modulaire offre, comme je

56. Voir également les arguments développés dans Roulet (2000) et Roulet, Filliettaz & Grobet
(2001).

47
L'organisation informationnelle

viens de le souligner, un cadre méthodologique privilégié pour étudier l'inte-


raction des données linguistiques, perceptuelles ou inférentielles.

Cette remarque me conduit au deuxième point soulevé par Berthoud, qui con-
cerne l'isolation des différents systèmes d'informations. Il est en effet impor-
tant de souligner que celle-ci n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour
parvenir à rendre compte du discours dans toute sa complexité. À l'instar de
Berthoud, il me semble indispensable de faire aboutir l'analyse à une prise en
compte intégrée des différents facteurs. À ce niveau, l'objectif de l'approche
modulaire me paraît rejoindre en tout point celui qui est posé par Berthoud :

Tenter de montrer, non seulement comment les différents facteurs interviennent


dans l'organisation du discours, mais encore comment ils s'articulent, s'interpénè-
trent au fil du discours, doit conduire à une conception dynamique de la construc-
tion de ces discours [ ... J. (Berthoud 1996 : 20)

Pour conclure, il convient de souligner que dans la mesure où l'adoption de la


méthodologie modulaire ne représente dans cette recherche qu'un moyen par-
mi d'autres permettant le traitement de la structure informationnelle dans toute
sa complexité, je n'insisterai pas sur les aspects les plus techniques de la dis-
tinction des modules et organisations dans le modèle genevois, renvoyant pour
ces éléments aux publications dans les Cahiers de linguistique française (Gro-
bet 1996a, 1997a, 1999a et b, Filliettaz & Grobet 1999) et à Roulet, Filliettaz
& Grobet (2001).

1.3 L'analyse de la structure informationnelle


des dialogues oraux

Après avoir considéré la notion de topique et l'analyse de la structure informa-


tionnelle d'un point de vue général et essentiellement théorique, je me propose
de discuter de manière plus approfondie la question de son étude dans les dia-
logues oraux. En effet, malgré le rôle de précurseur de Bally (1965 [1932]) qui
a souligné l'intérêt de la prise en considération du discours oral, la structure in-
formationnelle des dialogues oraux n'a fait l'objet, jusqu'à présent, que de peu
de travaux comparativement au très grand nombre d'études qui se sont atta-
chées à décrire la structure informationnelle du discours écrit57 • Plus précisé-
ment, s'il existe déjà de nombreux travaux qui se sont intéressés soit à la

57. Cf. par exemple Givon (1983,1992), van Dijk (1977) et van Dijk & Kintsch (1983), Maran-
din (1988), et, de manière plus ponctuelle, Bronckart (1996). La différence entre les dis-
cours écrits et oraux est discutée par exemple par Tannen (éd.) (1984).

48
État de la question

structure informationnelle de l'énoncé oral58 , soit à son organisation topicale


globale59 , on trouve en revanche beaucoup moins d'approches qui, dans le
sillage des travaux pragois (Danes 1974), tentent de faire le lien entre l'analyse
de la structure informationnelle de chaque énoncé et celle du discours dans le-
quel il s'inscrit6o . Pour cette raison, je reprendrai les propositions de Danes
(1974) et montrerai en quoi elles laissent encore à désirer lorsqu'il s'agit de
rendre compte de dialogues oraux. Je discuterai ensuite l'approche de Maynard
(1986) et celle développée à Genève à l'instigation de Roulet (1996), qui ten-
tent toutes deux de résoudre les problèmes posés par l'application de ce modè-
le à un corpus dialogique, ce qui me conduira à formuler l'enjeu de la question
de l'identification du topique.

1.3.1 Les différents types de progression informationnelle:


de l'énoncé au discours (Danes 1974)
L'approche de Danes (1974) présente l'intérêt de poser clairement les enjeux et
les difficultés de l'intégration de l'analyse de la structure informationnelle de
l'énoncé dans le cadre plus large du discours 61 . Danes discute essentiellement
deux aspects complémentaires de la structure informationnelle : il s'efforce,
d'une part, de préciser la définition de l'information « connue» et « nouvel-
le », et il distingue, d'autre part, des types généraux de progressions thémati-
ques.

Les propositions terminologiques de Danes témoignent de la difficulté de l'in-


tégration de l'analyse de la structure informationnelle dans un contexte discur-
sif large. À la suite des travaux de Halliday (1967), Danes prend pour point de

58. D'une part, on peut évoquer les travaux concernant les structures syntaxiques particulière-
ment fréquentes dans le français parlé, comme par exemple Lambrecht (1981, 1994),
Gülich (1982), Ashby (1988), Stark (1997,1999), etc. et les travaux sur l'intonation comme
Danon-Boi1eau et al. (1991), Morel (1992a, 1992b), Morel & Danon-Boileau (1999), Wun-
derli et al. (1978), Rossi (1981, 1985).
59. Cf. les travaux de l'approche conversationnelle, comme par exemple Keenan & Schietfelin
(1976), Button & Casey (1984, 1985, 1988-89), Crow (1983), Berthoud (1996), Dittmar
(1988), etc.
60. Pour des raisons de place, je n'évoquerai pas la théorie du centrage, issue des recherches en
intelligence articifielle, qui met en relation la structure informationnelle des énoncés et la
cohérence des segments de discours dans lesquels ils s'inscrivent. Voir néanmoins pour des
travaux récents Wa1ker, Joshi & Prince (1998) ainsi que le numéro 22 de Verbum (Cornish
éd. 2000).
6l. Cette approche a été utilisée pour le français notamment par Combettes (1983, 1992a),
Combettes & Tomassone (1988). Elle est également reprise dans la première version du
modèle modulaire genevois (Rou1et 1991 a).

49
L'organisation informationnelle

départ l'existence de deux types de thèmes62 de l'énoncé: celui qui est consti-
tué par « l'information connue» et celui qui forme le «point de départ» de
l'énoncé. Danes considère que le point de départ de l'énoncé peut être identifié
de manière objective à partir du test de la question (1974: 114-115). En revan-
che, il souligne l'aspect problématique de l'évaluation du caractère connu ou
donné d'une information, même si celui-ci est défini, en suivant Halliday,
comme découlant de la récupérabilité de l'information dans le contexte et le
savoir partagé des interlocuteurs (cf. 1.2.1): Danes relève que le caractère
donné d'une information n'est pas nécessairement partagé par les deux interlo-
cuteurs, qu'il est graduel et dépend de l'étendue du segment précédent (1974 :
109). Il est d'autant plus difficile à évaluer qu'il n'implique pas nécessaire-
ment une évocation directe :

We might tentative1y suggest that as « contextually given » may be regarded such


semantic information that has been somehow mentioned in a qualified portion
(interval) of the preceding text. It can be mentioned directly, or indirectly. (Danes
1974: 110)

Tandis que l'évocation directe se fait par des synonymes ou des paraphrases,
l'évocation indirecte fait entrer en jeu des associations reposant sur des infé-
rences (par exemple, hyponymie ou hyperonymie). Même si les remarques de
Danes restent dans l'ensemble assez vagues, elles ouvrent déjà la voie aux tra-
vaux qui aborderont, à la suite de Chafe (1994), la notion d'information don-
née sous un angle plus cognitif et à travers la notion d'accessibilité, tout en
esquissant déjà les principaux problèmes que ces notions rencontreront (p. ex.
le problème de savoir combien de temps une information peut rester saillante à
l'esprit des interlocuteurs).

Par rapport au thème compris comme un élément donné ou connu, le rhème,


l'élément nouveau, est défini de la manière suivante :

the property of being new has two, independent, aspects: (1) « new » in the sense
of « not mentioned in the preceding context », (2) in the sense « related as Rheme
to a Theme to which it has not yet been related ». In the former case, the property
« new » is assigned to the expression itself, while in the latter it is the T - R nexus
that appears as new. (DaneS 1974 : Ill)

Cette double définition du rhème est particulièrement intéressante lorsqu'il


s'agit de rendre compte de la structure informationnelle d'énoncés saisis dans
un contexte discursif étendu, car elle permet de traiter à la fois les rhèmes « au

62. Je reprends pour cette discussion le terme de « thème» parce que c'est celui qui est utilisé
par Danes (1974).

50
État de la question

sens strict », qui n'ont pas encore été évoqués, et les rhèmes ayant déjà été ver-
balisés antérieurement, mais qui apparaissent dans la seconde partie de l'énon-
cé et tirent leur nouveauté du lien qu'ils entretiennent avec le contexte. On
retrouve une telle conception notamment chez Lambrecht (1994 : 57-58), qui
souligne le caractère relationnel de l'assertion.

Même si l'information connue et le thème «point de départ» ne concordent


pas nécessairement - et c'est ce qui a conduit les linguistes pragois à les distin-
guer - ils sont liés l'un à l'autre, dans la mesure où les «points de départ» des
énoncés sont généralement choisis en fonction de l'information introduite par
le discours antérieur (Danes 1974 : 109). C'est à ce niveau que s'inscrit l'étude
des progressions thématiques :

Thus we must not be content with a statement that certain sentence elements con-
vey the known information (in contrast to others, conveying the new one), but we
ought to find out the principles exactly according to which this and not another
portion of the mass of known information has been selected. In other words, we
have to inquire into the princip les underlying thematic choice and thematic pro-
gression. (Danes 1974: 112)

À travers la notion de progression thématique, Danes propose d'étudier le


choix des thèmes des énoncés, leurs relations et leurs hiérarchies, ainsi que
leurs liens avec les hyperthèmes des paragraphes, des chapitres, avec le texte
entier et avec la situation (Danes 1974 : 114). Dans ce cadre, le thème joue un
rôle essentiel, car c'est lui qui assure la construction du texte:

It is obviously not by chance that the studies ofFSP [Functional Sentence Perspec-
tive] predominantly concem the problems oftheme (and not those ofrheme - cf.
the frequent term « thematization » and the rarely used term « rhematization »), in
spite of the fact that it is just the rheme that represents the core of the utterance
(the message proper) and « pushes the communication forward» (Firbas) : from
the point ofview oftext organization, it is the theme that plays an important cons-
tructional role. (Danes 1974: 113)

À partir de l'analyse de textes écrits tchèques, allemands et anglais, Danes


(1974) dégage trois progressions thématiques fonctionnant comme des types
abstraits (1974 : 121) et se réalisant de manière combinée ou avec des varian-
tes (omissions, insertions). Le premier type de progression thématique, le plus
élémentaire, est formé par la progression linéaire simple, dans laquelle le rhè-
me d'un énoncé devient le thème de l'énoncé ultérieur. Il l'illustre par l'exem-
ple suivant63 :

63. Je souligne les marques des thèmes. Pour des exemples similaires en français, cf. Combet-
tes & Tomassone (1988).

51
L'organisation informationnelle

(1.4) The first of the antibiotics was discovered by Sir Alexander Flemming in
1928. He was busy at the time investigating a certain species of germ which
is responsible for boils and other troubles. (Danes 1974: 118)

Danes (1974 : 118) représente cette progression par le schéma suivant:

Tl - RI

Figure 1.3. La progression linéaire chez Danes

Le deuxième type de progression repose sur un thème constant, comme c'est le


cas dans:

(1.5) The Rousseauist especially feels an inner kinship with Prometheus and
other Titans. He is fascinated by any form of insurgency ... He must show an
elementary energy in his explosion against the established order and at the
same time a boundless sympathy for the victims of it. .. Further the Rous-
seauist is ever ready to discover beauty of soul in anyone who is under the
reprobation of society. (Danes 1974: 119)

Danes (1974 : 118) représente cette progression par le schéma suivant:

Tl - R I

t
Tl - R 2

t
Tl - R 3

Figure 1.4. La progression à thème constant

52
État de la question

Enfin, le troisième type de progression implique des thèmes dérivés d'un « hy-
perthème », comme dans l'exemple:

(1.6) New Jersey is flat along the coast and southern portion; the north-western
region is mountainous. The coastal climate is mild, but there is considerable
cold in the mountain areas during the winter months. Summers are fairly
hot. The leading industrial production includes chemicals, processed food,
coal, petroleum, metals and electrical equipment. The most important cities
are Newark, Jersey City, Paterson, Trenton, Camden. Vacation districts
include Asbury Park, Lakewood, Cape May, and others. (Danes 1974 : 120)

Cette progression est représentée par le schéma suivant (Danes 1974 : 119) :

[T]

T2 - - R 2

T3 - - R3

Figure 1.5. La progression à thèmes dérivés

L'une des variantes les plus importantes de ces progressions est la rupture thé-
matique, qui résulte de l'omission d'un lien dans une progression de type li-
néaire. Une autre variante est constituée par une progression impliquant des
thèmes issus d'un rhème fractionné, comme dans l'exemple suivant:

(1.7) AU substances can be divided into two classes: elementary substances and
compounds. An e1ementary substance is a substance which consists of
atoms of only one kind ... A compound is a substance which consists of
atoms oftwo or more different kinds. (DaneS 1974 : 121)

Le rhème initial implique deux éléments qui fonctionnent chacun successive-


ment comme thèmes des phrases suivantes (Danes 1974: 120) :

53
L'organisation informationnelle

Tj
-- Rj (=R'j +R"j)
1

t
T2
-- R2

t
T3
-- R3

Figure 1.6. La combinaison de différentes progressions

La plupart des travaux utilisant ces progressions thématiques s'appuient géné-


ralement sur un corpus formé de textes écrits64, à visée scientifique ou didacti-
que (Danes 1974, Combettes et Tomassone 1988, Dubois 1987). Hormis
quelques rares exceptions, comme l'application du modèle pragois à un texte
dramatique tchèque par Filipec (1974) et le travail de Maynard (1986)65, ce
modèle ne semble guère avoir été appliqué à des dialogues. Cette situation
peut s'expliquer par la sensibilité de ces progressions au genre dans lequel elles
s'inscrivent, relevée par Fries (199St 6 , qui rend problématique leur applica-
tion aux dialogues oraux.

La brève discussion d'un exemple dialogique permettra de préciser ces propos


généraux. Celui-ci est extrait d'un entretien radiophonique se déroulant entre
Jacques Chancel et Michelle Maurois, au début de l'émission Radioscopie du
11 janvier 198067 :

(1.8)
Je: Michelle Maurois écrivain / et. je dis tout de suite / euh qu'il ne doit pas
être très facile euh d'être la fille d'André Maurois / les grands noms parfois
euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <acc.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects / en même temps c'est une
facilité /

64. À l'exception des conférences transcrites par Dubois (1987) qui peuvent être considérées
comme une forme de discours « hybride» impliquant à la fois un support écrit et une trans-
mission orale (Gadet 1996, Grobet 1998).
65. Les propositions de Maynard (1986) seront discutées ultérieurement.
66. Fries développe l'hypothèse selon laquelle les schémas des progressions thématiques sont
étroitement liés aux genres : « different patterns of Thematic progression correlate with dif-
ferent genres, i.e. patterns of thematic progression do not occur randomly but are sensitive
to genre» (Fries 1995 : 319).
67. Les conventions de transcription sont indiquées en annexe.

54
État de la question

Je: rnhm=
MM: quand on commence à écrire 1 et qu'on va chez un éditeur 1 c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu 1
Je: la première fois 1
MM : la première fois 1 mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
Je: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il
MM: oui on a un complexe évidemment 1 seulement j'ai eu un père 1 euh ça
l'amusait énormément que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1 et .
euh finalement ça ne m'a pas pesé \\ (Radioscopie)

L'application des progressions thématiques décrites par Danes à un dialogue


comme celui-ci soulève d'emblée une difficulté caractéristique de l'analyse du
discours oral, à savoir celle de la détermination de l'unité de référence. En ef-
fet, Danes (1974 : 115ss.) s'appuie sur l'unité de l'énoncé (utterance), en pré-
cisant que sa structure informationnelle peut être simple (c'est-à-dire
comprendre une seule articulation thème-rhème) ou complexe, lorsque l'énon-
cé est formé soit de la combinaison de plusieurs énoncés, soit de leur conden-
sation. Pour repérer ces énoncés, Danes utilise les phrases dont les frontières
sont signalées typographiquement à l'écrit (par une majuscule et un point). Or,
même si le discours oral possède lui aussi ses propres ponctuants (prosodiques
et lexicaux), il est difficile de l'analyser en« phrases» : comment faut-il traiter
une bribe telle que Michelle Maurois écrivain ou une confirmation comme la
première fois ? Faut-il considérer que l'intervention de M. Maurois, qui va de
c'est-à-dire ... jusqu'à un autre auteur, constitue une seule et même phrase,
malgré les interruptions, ou faut-il au contraire tenir compte des interventions
de J. Chancel? Ces interruptions peuvent éventuellement être considérées
comme relevant du «back-channel» décrit par Laforest (1992, 1996), de
Gaulmyn (1987), Müller (1996) et Schmidt (1983), mais il convient de distin-
guer un simple régulateur comme mhm d'une demande de confirmation com-
me la première fois. Comme l'ont déjà souligné de nombreux auteurs
(Blanche-Benveniste et al. 1990, Blanche-Benveniste 1997, Berrendonner &
Reichler-Béguelin 1997, Roulet 1994), la phrase n'est pas entièrement satisfai-
sante lorsqu'il s'agit de rendre compte de l'organisation du discours oral68 .

En écartant provisoirement le problème de la détermination de l'unité de réfé-


rence, l'observation de ces progressions thématiques soulève d'autres difficul-
tés. Une partie d'entre elles peut être attribuée au caractère idéal et abstrait de
ces progressions, qui se combinent le plus souvent. Par exemple, elles ne per-
mettent pas directement de traiter la multiplication des thèmes pour un même
énoncé. Dans le dialogue issu de Radioscopie, les « interlocuteurs », auxquels

68. Cette question sera approfondie dans le chapitre suivant (2.1).

55
l'organisation informationnelle

renvoient les pronoms de première et deuxième personnes, peuvent être consi-


dérés comme des thèmes constants (même s'ils ne sont pas évoqués dans tou-
tes les interventions). À cela s'ajoutent plusieurs autres informations pouvant
être interprétées comme connues ou données, dans la mesure où elles sont in-
troduites par le début du dialogue: pour le segment ça l'amusait beaucoup que
j'écrive, le « fait que M. Maurois écrit» peut être considéré comme donné,
puisque la première intervention de J. Chancel commence par Michelle Mau-
rois écrivain; de plus, le pronom l' renvoie au « père de Michelle Maurois »,
qui peut lui aussi être traité comme donné car il est évoqué juste avant (j'ai eu
un père euh). Ainsi, un segment aussi court que ça l'amusait beaucoup que
j'écrive peut être analysé comme impliquant au moins trois thèmes: la « locu-
trice », son « père », et le « fait que M. Maurois écrit ».

Pour justifier la présence de ce grand nombre de thèmes, il est possible d'évo-


quer la combinaison de progressions thématiques constantes (sur « Michelle
Maurois ») et linéaires (sur le « père» et le « fait qu'elle écrive »). Cependant,
une telle analyse ne permet pas de préciser l'articulation et l'éventuelle hiérar-
chie de ces thèmes. La solution la plus simple paraît alors de considérer que
ces différents thèmes se situent tous sur le même plan. Cette proposition n'est
toutefois pas entièrement satisfaisante, car la progression à thème constant sur
les « interlocuteurs », qui caractérise tout dialogue oral (Brown & Yule
1983)69, ne permet pas de faire apparaître la spécificité de la structure informa-
tionnelle de ce dialogue particulier. Pour cette raison, je serais tentée de consi-
dérer que cette progression thématique constante doit être située à un niveau
différent des autres.

Une autre difficulté que rencontre cette approche est formée par le traitement
insuffisant des thèmes implicites 7o . Or, Bally (1965 [1932] : 54) a pourtant
bien montré, à propos d'énoncés comme quelle horreur! que ces thèmes im-
plicites jouent un rôle important dans le discours oral:

Les circonstances extérieures qui déclenchent une phrase monorème peuvent être
aperçues obscurément, être même tout à fait subconscientes; mais il y a un abîme
entre ce que l'on pense imparfaitement et ce qu'on ne pense pas du tout. On peut
s'écrier « Quelle horreur! » à propos d'un ensemble indétenniné de faits qu'on
aurait peut-être de la peine à définir; mais personne ne songera à dire « Quelle
horreur! » sans aucun motif. D'autre part, celui qui entend cette expression peut

69. « It is a characteristic of primarily interactional conversational speech in our data that the
interactional aspect, marked by 1 and You, is frequently thematised [... ]. » (Brown & Yule
1983: 142)
70. Combettes et Tomassone relèvent uniquement que l'hyperthème d'une progression à thè-
mes dérivés peut ne pas être explicitement mentionné (1988 : 99).

56
État de la question

en ignorer la raison; pourtant, il n'imaginera pas un seul instant que cette cause
n'existe pas. (Bally 1965 [1932] : 53-54)

Par exemple, dans le dialogue de Radioscopie, l'intervention de J. Chancel la


première fois n'aurait pas de thème si l'on s'appuyait uniquement sur le repé-
rage des marques à la surface du texte. Or, il est intuitivement évident que cette
intervention s'applique aux propos qui viennent d'être tenus par M. Maurois
(c'est plus facile d'avoir un nom connu). De même, on pourrait dégager, dans
la longue intervention de M. Maurois, une progression complexe, telle qu'elle
est décrite par Danes, impliquant un rhème double (c'est-à-dire qu'il y a deux
aspects) duquel sont extraits successivement deux éléments par en même
temps c'est une facilité ... et mais ensuite on vous demande plus. Mais si les
expressions en même temps et mais ensuite marquent clairement l'articulation
des deux sous-thèmes, on ne trouve pas, dans ces actes, de renvois explicites
aux « deux aspects» mentionnés initialement, qui pourraient être considérés
comme les traces des sous-thèmes. Ainsi, en limitant le repérage des thèmes au
repérage des thèmes explicites, l'approche pragoise se prive des moyens qui
permettraient de rendre compte des progressions informationnelles de ce type
de séquences.

Ces quelques remarques suffisent à montrer que ces progressions thématiques


ont été élaborées essentiellement pour décrire la structure de textes monologi-
ques écrits?!. Comme le relèvent Schlobinsky & Schütze-Cobum (1992: 112)
et Roulet (1991a : 69), elles ne permettent pas, en l'état, de rendre compte du
caractère interactionnel et polygéré de la construction des topiques dans les
dialogues. Observant également cette lacune, Maynard tente d'adapter ce mo-
dèle pour qu'il puisse rendre compte de la structure informationnelle des dialo-
gues.

1.3.2 Du discours monologique au discours dialogique:


la perspective fonctionnelle interactionniste
de Maynard (1986)
Maynard (1986) propose une analyse interactionniste des progressions infor-
mationnelles dans les dialogues qui se situe à l'intersection du modèle pragois,
explicitement convoqué, et de l'approche conversationnelle, à laquelle elle se
rattache à de nombreux égards.

71. Ces progressions thématiques soulèvent également d'autres problèmes discutés notamment
par Dubois (1987). J'y reviendrai dans le chapitre suivant (2.3.3.2).

57
L'organisation informationnelle

L'objectif de Maynard est de montrer que l'approche développée par l'École


de Prague, et en particulier les progressions thématiques dégagées par Danes
(1974), peuvent être appliquées à l'analyse du discours oral dialogique. Dans
ce cadre, il est amené à redéfinir le thème de la manière suivante:

Theme is the element that presents a framework to which information is linked ; or


to which the propositions apply, and that provides a thematic cohesion in dis-
course. (Maynard 1986 : 82)

Cette définition s'applique tant au thème de l'énoncé qu'à celui du discours,


qui fait l'objet d'une construction conjointe par les interlocuteurs et auquel
Maynard s'intéresse plus spécifiquement. Dans les deux cas, le thème doit être
identifié rétrospectivement, comme le souligne Maynard, soit à partir du rhè-
me, soit à partir des énoncés ultérieurs 72. De ce fait, les interlocuteurs d'un dia-
logue n'ont pas nécessairement conscience du thème courant avant que celui-
ci ait change3 :

Potential thematic elements may be introduced, rejected, or picked up in the nego-


ciation process of conversation, and only after information which may be linked to
a potential theme is revealed in the other speaker's tum can we retrospectively
identify« theme ». (Maynard 1986 : 83)

Pour rendre compte de la négociation du thème dans les interactions, Maynard


introduit encore d'autres notions. La première est celle de « tronçon thémati-
que» (thematic chunk), qui est un extrait de conversation minimalement formé
de deux tours de parole74 et caractérisé par une unité thématique (Maynard
1986: 84). Maynard distingue trois types de tours de parole: le T-turn, le R-
turn et le S-turn. Le T-turn se caractérise par le fait qu'il contient un élément
qui peut être identifié ultérieurement comme le thème d'un tronçon thémati-
que ; incluant souvent plusieurs énoncés, il peut également contenir des élé-
ments rhématiques. Tous les tours qui suivent et qui peuvent être rattachés au

72. «When theme is identified only within a sentence or an utterance, the remaining part ofthe
sentence or utterance, the rheme, will provide this information. When we identify theme on
the level beyond a single sentence or utterance we must be able to identify subsequent in-
formation (across sentence and utterance boundaries) that is linked back to the already men-
tioned element(s). In this sense, « theme » is identifiable only retrospectively. » (Maynard
1986 : 82-83)
73. Voir aussi Auchlin (1987-87 : 70) pour le caractère rétrospectif de l'identification du thème
de l'énoncé.
74. Maynard définit le tour de parole à la suite de Markel : « A speaking tum begins when the
one interlocutor starts speaking solo. For every speaking tum there is a concurrent listening
tum, which is the behavior of one or more nontalking interlocutors present ». Le back-chan-
nel est exclu de cette définition (Maynard 1986 : 85).

58
État de la question

thème sont alors considérés comme des R-turn 75 : relevant le caractère vague
de la relation qui lie les R-turn au T-turn, Maynard souligne que cette relation
peut se manifester soit par des répétitions lexicales, expressions anaphoriques,
identités référentielles, ellipses, etc., soit par une relation sémantique latente
interne au texte. Maynard précise qu'un même tour peut être un R-turn et in-
troduire un nouveau thème (R1T-turn). Enfin, les tours de parole qui ne se ratta-
chent à aucun tronçon thématique sont appelés S-turn.

En s'appuyant sur ces notions, Maynard retrouve, dans les conversations, les
trois principaux types de progressions infonnationnelles dégagés par Danes
(1974), à savoir les progressions impliquant un thème linéairement issu du rhè-
me qui précède, un thème constant et des thèmes dérivés. Comme chez Danes,
ces progressions représentent des types idéaux et abstraits. Les exemples fabri-
qués proposés par Maynard pennettront de les illustrer. Le premier type
d'échange illustre une progression linéaire76 :

(1.9)
ALI went to see a movie with Sally the other day. Tl (T-turn)
B 2. That's nice. 1 saw her last night at the language labo Rl/T2 (RiT-turn)
A 3. Really? 1 didn't know that the lab is open in the R2 (R-tum)
evenings. (Maynard 1986 : 87)

Cet exemple implique deux tronçons thématiques distincts: chaque locuteur


introduit un thème (marqués rétrospectivement par her et the Zab), auquel ré-
pond le tour rhématique qui suit.

Dans le deuxième type d'échange, une série de R-turn s'appliquent à un thème


constant activé par un T-turn :

(LlO)
A 1. 1 went to see a movie with Sally the other day. Tl (T-turn)
B 2. That's nice. 1 know Sally likes movies a lot. RU (R-tum)
A 3 Yeah, she likes just about any movies - romantic R1.2 (R-turn)
ones and science fiction - or anything.
B 4 Did you and Sally see « Back to the Future» yet ? Rl.3 (R-turn)
(Maynard 1986 : 88)

75. «When a T-turn is already established, aU turns that foUow and that add infonnation which
either links or provides propositions that apply to a given theme are assigned R-turn value»
(Maynard 1986 : 85).
76. Tet R correspondent au thème et rhème saisis au niveau du discours. Les thèmes et les rhè-
mes correspondants sont numérotés.

59
l'organisation informationnelle

Le thème initial, que Maynard paraphrase comme « aller au cinéma avec Sally»,
est marqué par des reprises lexicales dans les tours ultérieurs qui le commentent.

Le troisième type d'échange implique des thèmes dérivés:

(1.11)
A 1. 1 went to see « Cocoon » with Sally the other day. Ti (T-turn)
B 2. Yeah? 1 bet you liked it. 1 saw« Back to the Ri/Tii (RiT-tum)
Future» last week.
A 3. Oh, that movie is entertaining, lots ofhumor, Rii/Tiii (RiT-tum)
you know. Did you see « Rambo » ?
B 4. No, not yet. (Maynard 1986 : 89) Riii (R-turn)

Les deux interlocuteurs sont conscients, d'après Maynard, de l'existence d'un


thème général (ici: aller au cinéma) à partir duquel des sous-thèmes sont déri-
vés : chaque locuteur introduit un sous-thème distinct (<< Cocoon », « Back to
the Future », « Rambo ») auquel son interlocuteur répond.

Après avoir décrit ces trois types de progressions, Maynard évoque quelques
implications de son approche à la fois fonctionnelle et interactionniste. Il sug-
gère par exemple la possibilité de se guider sur ces progressions pour décrire le
style interactionnel des conversations en fonction des conditions matérielles et
sociales des interactants, rejoignant par là certaines observations de Goffman
(1987). Contrairement à l'approche pragoise traditionnelle, ce type d'approche
paraît permettre de rendre compte du caractère interactionnel et polygéré de la
progression informationnelle dans les dialogues.

Il est aisé de vérifier que l'approche de Maynard est directement applicable à


l'analyse d'un dialogue authentique tel que l'extrait de Radioscopie de l'exem-
ple 1.8 :

(1.12)
JC: Michelle Maurois écrivain / et . je dis tout de Tl (T-turn)
suite / euh qu'il ne doit pas être très facile euh
d'être la fille d'André Maurois / les grands noms
parfois euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <acc.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects / RU (R-tum)
en même temps c'est une facilité /
JC: rnhm=
MM : quand on commence à écrire / et qu'on va chez
un éditeur / c'est c'est plus facile .(s) d'avoir un
nom connu/
JC: la première fois / R1.2 (R-turn)
MM : la première fois / mais ensuite on vous demande R1.3 (R-turn)
plus. peut-être qu'à un autre auteur \\

60
État de la question

Je: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il T2 (T-turn)


MM : oui on a un complexe évidemment 1 seulement
j'ai eu un père 1 euh ça l'amusait énormément
que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1 et .
euh finalement ça ne m'a pas pesé \\ R2 (R-turn)

En suivant le même type de raisonnement que Maynard (1986), il est possible


de dégager un premier thème qui peut être paraphrasé par« la difficulté d'être
la fille d'André Maurois» et une série de tours rhématiques qui s'y appliquent.
La dernière question de J. Chancel introduit un nouveau thème (<< avoir un
complexe») auquel répond M. Maurois. Mais si cette approche paraît plus fa-
cilement applicable à l'analyse de dialogues que ne l'est le modèle pragois,
elle présente toutefois un certain nombre d'inconvénients.

Le premier problème est lié au statut hybride de la définition du thème propo-


sée par Maynard, qui devrait s'appliquer tant au niveau de l'énoncé qu'à celui
du discours. Dans les exemples fabriqués de Maynard où le T-turn est formé
d'un seul énoncé, le thème de discours, introduit par ce tour, correspond à l'in-
formation rhématique de cet énoncé (<< aller au cinéma avec Sally») : il n'a
plus grand chose à voir avec le thème défini comme un « point de départ» par
Danes (1974). En revanche, le thème de Maynard paraît très proche du« topi-
que discursif» utilisé par exemple par Crow (1983 : 155), qui ne fait pas inter-
venir de critère définitoire plus précis que la relation d'à propos unissant le
topique et la conversation à un moment donné. Il n'est donc guère surprenant
que certaines progressions décrites par Maynard (progression linéaire et pro-
gression sur un thème constant) se retrouvent dans les typologies qui ne se ré-
fèrent pas directement au modèle pragois (Keenan & SchiefIelin 1976, Crow
1983). Par exemple, Keenan & SchiefIelin distinguent la « collaboration topi-
cale» (topic-collaboratingf 7 et 1'« incorporation du topique discursif» (in-
corporating discourse topicf8, qui correspondent respectivement aux
progressions à thèmes constants et linéaires. Le recours à la notion de topique
discursif permet toutefois à ces auteurs de rendre compte des ruptures liées à
l'introduction ou la réintroduction de nouveaux topiques, qui ne sont que très
partiellement décrites à travers la notion de « tronçon thématique» chez May-
nard.

En outre, Maynard relève lui-même que le repérage des R-turn s'avère souvent
problématique:

77. « We refer to a topic that matches exactly that of the immediatly preceding utterance as a
COLLABORATING DISCOURSE TOPIC.» (Keenan & Schieffelin 1976: 341)
78. « Sequences in which a discourse topic integrates a c1aim and/or presupposition of an im-
mediately prior utterance are TOPIC-INCORPORATING sequences. » (Keenan & Schief-
felin 1976 : 341)

61
L'organisation informationnelle

First, assigning R-turns is somewhat subjective although we often identified lin-


guistic evidence such as anaphora to assign an R-turn to a tum, the distinction
between R-tum and non-R-turn, particularly S-tum, remains fuzzy. (Maynard
1986: 101)

Maynard attribue cette difficulté au caractère vague du lien qui unit un R-turn
à un T-turn, qui n'est pas nécessairement marqué linguistiquement. Par exem-
ple, dans l'analyse de l'échange entre J. Chancel et M. Maurois, j'ai assigné la
valeur de T-turn à la deuxième question de C : on a un complexe euh dans dans
ces temps-là. On pourrait cependant aussi bien considérer cette question com-
me un R-turn, qui s'appliquerait à l'information activée par les grands noms
parfois euh doivent être très lourds à porter.

Si l'explication de Maynard me paraît pertinente, il me semble cependant


qu'une partie des difficultés que rencontre la distinction des R-turn tient aussi
au fait que Maynard s'intéresse uniquement à l'aspect thématique de la struc-
ture conversationnelle, sans prendre en compte les autres éléments qui y inter-
viennent, tels que la fonction illocutoire, l'orientation argumentative, etc. Ces
différents éléments sont pris en considération par exemple dans Roulet et al.
(1985 : 209) ainsi que Moeschler & Reboul (1994a: 468), où ils apparaissent
sous la forme de contraintes d'enchaînements:

(i) La condition thématique (CT) impose au constituant réactif le même thème


que celui du constituant initiatif.
(ii) La condition de contenu propositionnel (CCP) impose au constituant réactif
d'être en relation sémantique (oppositive, implicative ou paraphrastique)
avec le constituant initiatif.
(iii) La condition illocutionnaire (CI) impose au constituant réactif le type de sa
fonction illocutionnaire.
(iv) La condition d'orientation argumentative (COA) impose au constituant
réactif d'être coorienté argumentativement avec le constituant initiatif.
(Moeschler & Reboul 1994 : 468)

Dans un tel cadre, la condition thématique est présentée comme distincte de la


condition il/ocutionnaire. Et il apparaît effectivement, dans l'exemple issu de
Radioscopie, que l'information activée par on a un complexe euh dans dans
ces temps-là est bien liée, du point de vue sémantico-référentiel, au premier
thème (<< la difficulté de porter un grand nom »). En revanche, elle ne paraît
pas s'y rattacher directement au niveau illocutionnaire79 , puisque l'on a affaire
à une question qui ouvre un nouvel échange.

79. Même s'il reste possible, en tenant compte de la structure hiérarchique de l'échange, de rat-
tacher cette question au constituant initial, comme je le montrerai ultérieurement.

62
État de la question

Enfin, le dernier problème que j'évoquerai est constitué par le recours à la no-
tion de tour de parole8o • En effet, si cette unité paraît adéquate pour rendre
compte du lien existant entre l'organisation informationnelle et l'alternance
des locuteurs, elle ne permet pas de traiter la structure interne des interventions
qui peuvent s'avérer assez longues, comme c'est le cas pour l'intervention de
M. Maurois dans cet exemple. De plus, le repérage de tels tours de parole est
loin d'être toujours évident, par exemple pour l'échange initié par la première
fois, qui semble jouer un simple rôle de confirmation, mais qui, à la différence
de certains régulateurs (mhm, oui), ne peut être ignoré car il est pris en consi-
dération par les deux interlocuteurs. Pour ces raisons, l'unité du tour de parole
ne paraît pas non plus constituer un cadre de référence idéal (Roulet 2000).

1.3.3 L'organisation informationnelle et topicale du discours


dialogique (Roulet 1999b, Crobet 1999c)
D'une manière très générale, on peut dire que l'approche développée à l'insti-
gation de Roulet dans le cadre du système d'analyse modulaire genevois vise à
réunir les approches fonctionnelles et conversationnelles, tout en s'en démar-
quant à plusieurs égards. Plus précisément, l'approche genevoise fait interve-
nir deux étapes dans l'analyse (Roulet 1996, 1998, 1999b et c, Grobet 1997a) :
celle de l'organisation informationnelle, qui peut être grosso modo décrite
comme un modèle d'inspiration pragoise remanié pour rendre compte de la
structure informationnelle des dialogues 8 1, et celle de l'organisation topicale,
qui vise à rendre compte de la hiérarchie et des relations de dérivation caracté-
risant les référents discursifs. Je présenterai successivement ces deux niveaux
d'analyse, en m'appuyant sur le commentaire du dialogue entre J. Chancel et
M. Maurois82 •

80. Je n'aborderai pas le problème lié à l'aspect idéal de ces progressions qui, comme c'était le
cas chez Danes (1974), peuvent faire l'objet de variantes et de combinaisons complexes.
Pour d'autres remarques, voir Maynard (1986 : 102).
81. Le lien étroit unissant l'organisation informationnelle à l'approche pragoise s'explique en-
tre autres par le développement chronologique du modèle genevois, qui a d'abord intégré
l'approche pragoise (Roulet 199Ia), avant que l'organisation informationnelle ne fasse
l'objet de recherches spécifiques.
82. Cette discussion reprend et complète certains éléments de la présentation de Grobet
(1999c). Elle diffère légèrement de la version proposée par Roulet (1996) et Grobet
(1996a), où l'organisation informationnelle est présentée comme une dimension élémentai-
re du discours (c'est-à-dire un module). Il est en effet rapidement apparu qu'il s'agit plutôt
d'une organisation, au vu de l'hétérogénéité des éléments linguistiques, textuels, inféren-
tiels, etc. qui y interviennent (cf. 1.2.2 et Grobet 1997a, 1999c, 2001b).

63
l'organisation informationnelle

L'analyse de l'organisation informationnelle vise à rendre compte, à l'instar du


modèle de Danes pour les textes écrits, de la continuité et de la progression in-
formationnelle du discours, qu'il soit monologique ou dialogique, oral ou écrit.
Le traitement unitaire de tous ces genres de textes est rendu possible par une
conception « mémorielle» des topiques, qui ne sont pas uniquement considé-
rés comme des éléments textuels, mais comme des informations stockées en
mémoire discursive qui peuvent - mais ne doivent pas - avoir été introduites
par le texte. La mémoire discursive est définie, d'après Berrendonner (1983),
comme l'ensemble des connaissances partagées par les interlocuteurs, qui sont
composées par « les divers prérequis culturels [ ... ] qui servent d'axiomes aux
interlocuteurs pour mener une activité déductive », et qui sont alimentées en
permanence par les événements extra-linguistiques et « les énonciations suc-
cessives qui constituent le discours» (Berrendonner 1983 : 230-231).

En s'appuyant sur cette notion et sur certaines propositions de Chafe (1994),


Rou1et propose une analyse qui dépasse la prise en compte des seules informa-
tions explicites :

Partant de la distinction établie par Chafe (1994 : 53-56) entre informations inac-
tive, semi-active et active (ou, mieux, activée) et de l'hypothèse qu'il formule
selon laquelle une seule idée peut être activée à la fois (<< only one idea cons-
traint », 108-109), je pose que chaque acte introduit une information dite alors
activée, et que l'introduction de cette information implique au moins un point
d'ancrage en mémoire discursive, sous la forme d'une information semi-active,
qui peut être verbalisée ou non. (Roulet 1996 : 18)

Dans ce modèle, chaque acte (l'unité discursive minimale) active une informa-
tion, éventuellement complexe, qui est aussi appelée « objet de discours» (p.
ex. «quelle horreur! »). Cet objet de discours n'a pas besoin d'être «nou-
veau» en lui-même, car il suffit qu'il soit « activé ». La notion de « thème »,
telle qu'elle est conçue dans le modèle pragois, se trouve diffractée dans la no-
tion de «point d'ancrage », correspondant au thème saisi en tant qu'informa-
tion (p. ex. la «coiffure d'une amie »), et dans celle de «trace de point
d'ancrage », qui désigne la verbalisation linguistique de cette information
(p. ex. dans cette coiffure quelle horreur 1)83.

83. De nombreux autres linguistes soulignent la nécessité d'une telle distinction, comme par
exemple Lambrecht (1994) (cf. 1.1.2.2) et Auchlin (1986-87), lequel distingue le «topi-
que », c'est-à-dire l'élément de surface, du «thème », qui forme le versant interprétatif.
Pour éviter de confondre ces deux éléments, j'utilise l'italique pour citer dans le corps du
texte un segment linguistique (Michelle Maurois) et les guillemets pour désigner le référent
sous-jacent (<< Michelle Maurois »).

64
État de la question

L'analyse de l'organisation informationnelle est effectuée par le biais d'une


transcription spécifique, que j'illustre dans l'exemple suivant:

(1.13)
Je: 1.
les grands noms [André Maurois] parfois euh doivent être très lourds à
porter \\
MM : 2. (porter un grand nom) c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects /
3. en même temps c'[porter un grand nom] est une facilité /
MM: 4. (c'est une facilité) quand on commence à écrire /

Chaque acte, numéroté, active un objet de discours. Les traces de points d'an-
crage sont indiquées par un style italique ou gras84 ; elles peuvent être prono-
minales (c', on), pleines (les grands noms), ou absentes (acte 2, si l'on ne
prend pas en compte le pronomy).-Les points d'ancrage sont explicités entre
crochets après leur trace, ou, lorsqu'ils sont implicites, restitués entre parenthè-
ses au début de l'acte (actes 2 et 4). Lorsque les points d'ancrage sont implici-
tes, comme c'est le cas dans ces actes, leur identification se fait par défaut à
partir de l'information la plus récemment activée; en dernier recours, on peut
considérer, avec Auchlin, qu'ils sont issus de la situation d'énonciation
(Auchlin 1986 : 183).

Dans cette approche, les points d'ancrage sont formés par des informations si-
tuées en mémoire discursive, qui peuvent être issues du cotexte (<< porter un
grand nom»), de la situation (par exemple, les « interlocuteurs» en 1.14
et 1.15), ou d'inférences tirées de l'un ou de l'autre (par exemple, le point
d'ancrage marqué par les grands noms est obtenu à partir de l'information
« André Maurois» activée par l'acte précédent).

En outre, un objet de discours peut s'ancrer sur plusieurs points d'ancrage, qui
se situent à différents niveaux de la mémoire discursive. On distingue les
points d'ancrage immédiats - également appelés « topiques» -, dont les traces
sont marquées en gras, et les points d'ancrage d'arrière-fond, qui concernent le
plus souvent les interlocuteurs du dialogue et dont les traces sont signalées en
italique. Cette distinction permet de traiter la pluralité des thèmes relevée plus
haut pour le deuxième de ces actes:

(1.14)
MM: (un complexe) seulement j'ai eu un père /
euh ça l'[père] amusait énormément que j'écrive /

84. Cette différence de transcription est explicitée ci-dessous.

65
L'organisation informationnelle

Le point d'ancrage immédiat, c'est-à-dire le topique, du deuxième acte est


constitué par le « père activé par l'acte qui précède. Il est verbalisé par une
trace (l J. Les pronoms personnels de la première personne (je) renvoient à des
points d'ancrage situés à l'arrière-fond de l'ensemble de l'entretien. Le fait que
M. Maurois soit écrivain constitue également un point d'ancrage qui peut être
situé plus à l'arrière-fond, repris par les traces ça et que j'écrive. Il convient de
souligner que seuls les points d'ancrage immédiats -les topiques - sont expli-
cités entre crochets ou entre parenthèses.

Cette approche permet de rendre compte de la pluralité des points d'ancrage,


fréquente dans le discours dialogique, de leur importance variable et de leur
caractère souvent implicite. Elle autorise également l'analyse informationnelle
détaillée de segments discursifs étendus, comme le montre 1.15 :

(1.15)
Je: 1. Michelle Maurois [sit.] écrivain /
2. (M. M. écrivain) et .je dis tout de suite / euh qu'il ne doit pas être très
facile euh d'être lafille d'André Maurois /
3. les grands noms [André Maurois] parfois euh doivent être très lourds à
porter \\
MM: 4. (porter un grand nom) c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects /
5. en même temps c' [porter un grand nom] est une facilité /
Je: rnhm=
MM: 6. (une facilité) quand on commence à écrire /
7. (on commence ... ) et qu'on va chez un éditeur /
8. (on va chez un éditeur) c'est c'est plus facile. (s) d'avoir un nom connu /
Je: 9. (c'est plus facile ... ) la première fois /
MM : 10. (c'est plus facile ... ) la première fois /
11. (la première fois) mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
Je: 12. on a un complexe / euh dans dans ces temps-là [ensuite] //
MM : 13 . (on a un complexe) oui on a un complexe évidemment /
14. (oui on a ... ) seulement j'ai eu un père /
15. euh ça l'[père] amusait énormément que j'écrive /
16. et qui [père] m 'a encouragée beaucoup /
17. et. euh finalement ça [un complexe/porter un grand nom] ne m'a pas
pesé \\

À partir des topiques repérés par une telle analyse, il est possible de décrire les
différents modes d'enchaînement: linéaire (pour les actes 2, 3, 4,6, 7,8,9, Il,
12, 13, 14, 15), constant (pour les actes 5, 10, 16) et un enchaînement à distan-
ce pour l'acte 17.

66
État de la question

Dans le système d'analyse modulaire, cette étude de l'organisation informa-


tionnelle constitue la première étape de l'analyse de l'organisation topicale,
qui fait également intervenir d'autres dimensions du discours. Je présenterai
brièvement ce deuxième niveau d'analyse, renvoyant aux travaux de Roulet
(1996, 1998, 1999b et c) et Grobet (2001 b) pour une présentation plus complète.

Dans le cadre de l'organisation topicale, l'organisation informationnelle est


mise en relation avec d'autres structures discursives qui peuvent être notam-
ment hiérarchiques et référentielles. Cette mise en relation permet d'approfon-
dir et de justifier certains mécanismes qui ne sont que constatés en surface au
niveau de l'organisation informationnelle, ainsi que de rendre compte des rela-
tions hiérarchiques et de dérivation entre les objets de discours, en dépassant la
linéarité de l'analyse de l'organisation informationnelle.

À titre illustratif, je propose l'analyse d'un extrait de l'exemple discuté ci-des-


sus (actes 3 à 6). Il convient d'abord de mettre en relation la structure informa-
tionnelle et la structure hiérarchique de cet échange, afin de rendre compte de
la hiérarchie des objets de discours. La structure hiérarchique de l'exemple 1.8
peut être décrite comme impliquant globalement un échange (abrégé E) formé
par une intervention (l) de 1. Chancel (une question) et la réponse de M. Mau-
rois. Celle-ci articule un acte subordonné (As) de préparation (c'est-à-dire
qu'il y a deux aspects) et une intervention principale (Ip), elle-même formée de
plusieurs constituants principaux et subordonnés que je n'étudie pas en détail.
Cette structure hiérarchique se combine avec la structure informationnelle de
la manière suivante :

Iles grands noms [André Maurois] parfois euh doivent être très lourds
E à porter
[ 1[ As (porter un grand nom) c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects

Ap en même temps c'[porter un grand nom] est une facilité


Ip [
Is (c'est une facilité) quand on commence à écrire

Figure 1.7. Structure hiérarchique et informationnelle (simplifiée)

67
L'organisation informationnelle

Même simplifiéé5, cette structure pennet de distinguer les relations hiérarchi-


ques entre les objets de discours. Par exemple, l'objet de discours activé par la
question de J. Chancel occupe un statut principal par rapport à l'objet de dis-
cours activé par c'est-à-dire qu'il y a deux aspects. Ce dernier peut être consi-
déré comme subordonné par rapport aux objets de discours suivants, qui
appartiennent à une intervention principale.

Outre la distinction des objets de discours principaux et subordonnés, il est


possible de détenniner les objets de discours premiers et dérivés à partir des
structures référentielles. J'esquisse de manière infonnelle la structure concep-
tuelle des actes 3 à 6 : J. Chancel demande à M. Maurois s'il est difficile de
porter un nom connu. M. Maurois souligne l'existence de deux aspects: la fa-
cilité, qui concerne les débuts de l'écriture, et la difficulté, qui sera évoquée
plus tard, et qui fait écho à la question de J. Chancel. Cette structure peut être
esquissée de la manière suivante :

Figure 7.8. Structure conceptuelle

La mise en relation de cette structure conceptuelle et de la structure infonna-


tionnelle pennet de distinguer les objets de discours dont le statut est premier
(par exemple, l'objet de discours activé par c'est-à-dire qu'il y a deux aspects),
et les objets de discours qui en sont dérivés (en même temps c'est unefacili-
tél 6 . Il n'est pas inutile de souligner que les objets de discours premiers ne
correspondent pas nécessairement aux objets de discours principaux; cette ab-
sence de congruence s'observe notamment pour l'objet de discours activé par
c'est-à-dire qu'il y a deux aspects, qui est à la fois premier au niveau référen-
tiel et subordonné au niveau hiérarchique87 •

85. L'étude de cette structure sera développée dans le sixième chapitre.


86. De manière similaire, l'objet de discours «deux aspects » est dérivé de «porter un grand
nom». L'analyse de la structure conceptuelle sera approfondie dans le septième chapitre.
87. Roulet (l999b) propose de compléter l'étude de l'organisation topicale par une analyse de
la gestion interactionnelle dynamique des objets de discours, à partir du schéma de la négo-
ciation sous-jacent. Je ne développerai pas cet aspect de l'analyse, qui peut difficilement
être illustré sur un exemple aussi court, mais on trouvera d'autres propositions dans Grobet
(200 lb).

68
État de la question

Par rapport aux approches examinées précédemment, ce modèle présente


l'avantage d'envisager de manière détaillée le passage de l'analyse informa-
tionnelle de chaque acte à l'analyse de l'organisation topicale des dialogues.
La notion de topique décrite comme un phénomène d'ancrage me paraît inté-
ressante à plusieurs titres. Premièrement, elle distingue le point d'ancrage,
c'est-à-dire l'élément informationnel sous-jacent, de la trace linguistique qui y
renvoie. Deuxièmement, elle peut rendre compte, grâce à la notion de mémoire
discursive, du fait que ce point d'ancrage peut avoir sa source aussi bien dans
le texte que dans la situation. Troisièmement, cette approche admet les topi-
ques implicites, et surtout, elle permet le traitement de plusieurs points d'an-
crage en leur reconnaissant différents niveaux de pertinence. Enfin,
l'inscription de ce modèle dans le cadre plus large du système d'analyse modu-
laire du discours permet de prendre en considération la complexité de l'organi-
sation informationnelle et topicale, ainsi que d'envisager le développement
d'autres mises en relation encore non étudiées jusqu'à présent.

Ceci dit, ce modèle présente lui aussi certains inconvénients: j'évoquerai uni-
quement ceux qui concernent directement l'analyse de l'organisation informa-
tionnelle. Le premier problème est lié à l'unité de l'acte, qui a été
progressivement élaborée à partir de l'analyse hiérarchique du discours pré-
sentée dans Roulet et al. (1985). Le recours à cette unité permet certes d'éviter
certaines difficultés rencontrées par des unités comme l'énoncé, difficile à dé-
finir et moins adapté au discours oral, et par le tour de parole, trop large pour
décrire la structure informationnelle interne des interventions. Il reste toutefois
à déterminer comment l'unité de l'acte se situe par rapport à d'autres unités
comme la proposition syntaxique, par exemple, et à préciser les critères de son
repérage effectif dans les dialogues.

Le deuxième problème, le plus évident peut-être, est constitué par le flou qui
continue à entourer les notions de topique et d'objet de discours, qui sont défi-
nies de manière minimale, sans se rattacher directement aux acceptions les
plus courantes de ces termes. De plus, il n'existe pas de distinction, au niveau
de l'objet de discours, entre verbalisation linguistique et information, contrai-
rement à ce qui se passe pour les points d'ancrage et leurs traces. Enfin, la dif-
férence entre les points d'ancrage' d'arrière-fond et le point d'ancrage
immédiat, c'est-à-dire le topique, est loin d'être claire: ces deux types de point
d'ancrage s'opposent-ils à cause de la distance de leur précédente évocation
(qu'elle soit textuelle ou situationnelle), comme le laisserait entendre le terme
d'« immédiat », ou plutôt par la constance de leur évocation, ou encore par
leur nature, ce que pourrait indiquer le fait que les locuteurs constituent géné-
ralement des points d'ancrage d'arrière-fond?

69
L'organisation informationnelle

Le troisième problème, qui découle en même temps des définitions vagues et


de la conception du« topique» comme un point d'ancrage, est constitué par le
mode d'identification du topique. En effet, en refusant de travailler unique-
ment sur des exemples fabriqués, en reconnaissant que le topique peut être im-
plicite et en ne limitant pas le topique aux référents des syntagmes nominaux,
on se prive de moyens commodes pour restreindre le nombre des informations
susceptibles d'être interprétées comme des topiques. On est alors en droit de se
demander comment s'effectue et se justifie, dans un tel cadre, l'identification
du topique de chaque acte.

Pour identifier le topique, Roulet fait appel à l'intuition de l'interprétant, à


l'instar de Brown & Yule (1983), Auchlin (1986-87, 1993) et Berthoud &
Mondada (1995). Dans l'organisation informationnelle, le topique est faible-
ment conceptualisé et saisi de manière intuitive à partir de marques linguisti-
ques et de manipulations formelles telles que le détachement à gauche et le
clivage (Roulet 1999b). Dans un tel cadre, l'identification du topique n'est pas
problématisée pour elle-même: on admet qu'elle repose uniquement sur un re-
pérage intuitif et qu'il reste le plus souvent plusieurs solutions possibles. On
peut éventuellement compléter ce repérage par la description du parcours infé-
rentiel des interprétants (Roulet 1997c), mais une telle étude excède le cadre de
l'organisation informationnelle 88 •

Une telle approche ne me paraît pas entièrement satisfaisante. Il existe un


grand nombre de situations dans lesquelles l'intuition ne permet pas d'identi-
fier un topique particulier et dans lesquelles il faut admettre l'existence de plu-
sieurs topiques possibles. En outre, quand bien même on pourrait toujours
identifier le topique à l'aide de l'intuition, un tel repérage ne serait guère inté-
ressant. En effet, qu'a-t-on appris de plus sur la structure informationnelle, une
fois qu'on a relevé un topique pour un acte donné?

L'enjeu de cette question peut être explicité en faisant appel à l'analyse des ex-
pressions référentielles, où la question de l'identification des référents joue un
rôle central :

Le principal problème que pose toute expression référentielle est, bien entendu,
celui de la « trouvaille» du référent et, de préférence, ... celle du « bon» référent.
(Kleiber 1994a : 7)

88. L'analyse de l'organisation inférentielle, telle qu'elle est présentée par Roulet (1997c), sera
discutée dans le chapitre suivant (2.4.2.3).

70
État de la question

Kleiber souligne que la questIon de l'identification du référent est intéressante


non seulement en raison du référent lui-même, mais surtout parce qu'elle con-
duit à s'interroger sur son mode de donation référentielle, c'est-à-dire sur la
manière dont ce référent est donné par les expressions référentielles 89 .

La problématique de l'identification du topique peut être rapprochée de celle


des expressions référentielles. Le topique n'est pas intéressant en tant que tel,
et cela d'autant plus que, contrairement au référent des expressions référentiel-
les, il n'existe pas nécessairement un seul « bon» topique mais souvent plu-
sieurs topiques possibles, qui peuvent coexister. En revanche, il me semble
qu'en étudiant les différents facteurs qui conduisent l'analyste à identifier tel
topique particulier - ou au contraire à se trouver face à plusieurs interpréta-
tions possibles - il devrait être possible d'approfondir la connaissance du fonc-
tionnement de l'organisation informationnelle. Pour ces raisons, la question de
l'identification du topique me semble avoir une importance cruciale; je me
propose de l'utiliser comme un fil conducteur permettant l'étude systématique
des différents facteurs qui y interviennent.

1.3.4 La problématique de l'organisation informationnelle:


bilan

Cet état de la question, indispensable au vu des problèmes soulevés par l'ana-


lyse de l'organisation informationnelle, a permis de survoler les principaux
éléments de la problématique de l'analyse informationnelle en alliant une dis-
cussion conceptuelle générale avec l'examen de quelques modèles particuliers.
La discussion théorique générale, qui s'est largement appuyée sur d'autres
états de la question, a rappelé les principales conceptions du topique et les pro-
blèmes les plus importants. J'ai tenté de montrer que si les problèmes défini-
toires doivent être pris au sérieux et nécessitent une grande rigueur
terminologique, les points de vue défaitistes préconisant l'abandon de la notion
de topique ne se justifient pas. J'ai en particulier souligné l'importance de sai-
sir la structure informationnelle comme le produit d'une organisation impli-
quant différents niveaux d'analyse (l'énoncé et le discours) et différentes
dimensions tant linguistiques que discursives. Pour rendre compte de ces diffé-
rents éléments, j'ai relevé l'intérêt d'une approche de type modulaire comme
le système d'analyse modulaire du discours développé par Roulet (1996,
1997a, 1998, 1999a, b et c). Cette discussion générale a été complétée par la

89. «Un des défauts les plus courants des analyses référentielles est d'oublier qu'avec l'identi-
fication du référent l'affaire n'est pas finie pour autant et que le mode de donation du réfé-
rent est tout aussi important que le référent lui-même. » (Kleiber 1994a: 18)

71
L'organisation informationnelle

discussion et l'illustration de différents modèles permettant l'analyse de la


structure informationnelle du discours oral. Si le dernier d'entre eux, le modèle
genevois de l'organisation informationnelle et topicale, me paraît le mieux
adapté pour rendre compte de la structure informationnelle de chaque acte
dans les dialogues oraux, il soulève encore certains problèmes, car les défini-
tions de l'acte ainsi que du topique et de l'objet de discours ne sont pas suffi-
samment précises. Enfin, j'ai tenté de montrer, en m'appuyant sur une
comparaison avec la problématique de la référence, que la question de l'identi-
fication du topique ne peut être considérée comme close avec le seul repérage
intuitif du topique: il s'agit plutôt d'approfondir le mode de cette identifica-
tion et d'étudier les différents facteurs qui conduisent au topique.

72
Chapitre 2
HYPOTHÈSES DE TRAVAIL

La discussion qui précède a souligné la complexité de l'organisation informa-


tionnelle, qui implique des niveaux d'analyse très différents, et l'intérêt d'une
approche modulaire pour en rendre compte. Après avoir montré comment l'or-
ganisation informationnelle et topicale décrit la structure informationnelle des
dialogues, je tenterai d'apporter une solution aux problèmes qui y subsistent
encore, ce qui me permettra de préciser mes hypothèses de travail. Je commen-
cerai par étudier l'unité discursive minimale qui me servira de cadre de réfé-
rence (2.1). Dans un deuxième temps, j'approfondirai la définition des notions
utilisées dans l'analyse de la structure informationnelle (2.2). Cette mise au
point me permettra de décrire plus précisément la continuité et la progression
informationnelles (2.3). C'est après avoir traité ces différents éléments que je
pourrai revenir de manière plus détaillée sur le problème de l'identification du
topique et préciser ma démarche (2.4).

2.1 Le problème de l'unité discursive minimale


Dans la mesure où l'analyse de la structure informationnelle peut être envisa-
gée à différents niveaux, il convient de préciser la définition de l'unité minima-
le du discours qui lui sert de cadre de référence. Comme l'a déjà laissé
entrevoir la discussion de l'organisation informationnelle des dialogues, cette
question est particulièrement complexe et loin d'être résolue, ce dont témoi-
gnent les nombreux travaux qui s'intéressent à la langue orale (p. ex. Blanche-
Benveniste et al. 1990, Blanche-Benveniste 1997, Berrendonner 1990, 1993,
Roulet 1994, 2000, Selting 1995, 1998, Rossari 1996, Schwitalla 1997,

73
l'organisation informationnelle

Apothéloz & Zay 1999, Auchlin 1999). Au vu de ces difficultés, je me propose


de choisir, dans les travaux existants, une unité pertinente et suffisamment ma-
niable pour l'étude de la structure informationnelle, en précisant ce choix à
deux niveaux, à savoir, d'une part, au niveau théorique de la définition de
l'unité, et, d'autre part, au niveau pratique des critères de son repérage.

2.1.1 La définition de l'unité discursive minimale


L'étude de la structure informationnelle implique, si elle entend être précise et
éviter des glissements involontaires entre différents niveaux d'analyse, la prise
en compte préalable d'une unité discursive minimale. Pour répondre aux ob-
jectifs de la présente recherche, l'unité de l'acte paraît se présenter comme la
plus pertinente, car c'est sur elle que repose l'organisation informationnelle
dans le cadre du système d'analyse modulaire du discours (Roui et 1999b et c).
L'examen d'autres unités permettra néanmoins de rappeler quelques argu-
ments étayant ce choix ainsi que de situer l'acte par rapport à ces autres unités.

J'ai souligné, dans le chapitre précédent, que le tour de parole ne constitue pas
une unité discursive minimale satisfaisante, car il ne forme pas une unité mini-
male et son repérage peut s'avérer problématique (1.3.2)1. Le tour de parole
peut lui-même être analysé en unités internes, à savoir les Turn Construction al
Unit (TCU), discutées en particulier par Selting (1998). Les TCU soulèvent
toutefois de gros problèmes définitoires, comme le rappelle Roulet (2000).
C'est pourquoi je ne les retiendrai pas comme unités minimales.

Comme je l'ai relevé à propos de l'approche de Danes (1974), l'énoncé formé


par une phrase ne constitue pas non plus une unité minimale idéale pour l'ana-
lyse du discours oral. Blanche-Benveniste et al. (1990: 39) remarquent que
l'on ne parvient pas à définir, pour le discours oral, une unité du type de la
phrase à partir de bases syntaxiques homogènes2 . Berrendonner souligne éga-
lement que la phrase est peu efficace pour décrire les structures de l'oral :

La phrase traditionnelle, parce qu'elle n'est que l'approximation graphique, intui-


tive et informelle d'une unité de langue constitue, de l'aveu commun, un instrument

1. Schwitalla relève lui aussi les difficultés que rencontre le repérage des tours de parole:
« Sogar die scheinbar ais gesichert geltende Einheit des Redebeitrags (Redezug, turn, con-
tribution) geriit bei genauerem Hinsehen ins Vague» (Schwitalla 1997 : 50).
2. S'appuyant en particulier sur l'exemple des constructions détachées, Charolles & Combet-
tes (1999) soulignent quant à eux que, d'un point de vue sémantique et énonciatif, le fonc-
tionnement de la phrase n'est pas fondamentalement différent de celui du discours. Pour
d'autres arguments, cf. Roulet (2000).

74
Hypothèses de travail

grammatical à peu près inefficace lorsqu'il s'agit de segmenter un discours oral, ou


même d'analyser à l'écrit certaines configurations syntaxiques non rectionnelles
(appositions, détachements, incises, etc.). (Berrendonner 1990 : 25)

La phrase se caractérise avant tout par sa spécificité graphique, qui est de com-
mencer par une majuscule et de se terminer par un point, ainsi que le relève
Roulet (1994)3. Or, ces caractéristiques ne se retrouvent naturellement pas
dans le discours oral et ne peuvent être reconstituées qu'au prix d'une « traduc-
tion » nécessairement coûteuse. De plus, la notion de phrase peut difficilement
rendre compte de la différence existant entre des structures de type rectionnel,
telles que:

(2.1) De ce film, je n'ai pas entendu parler.

et des configurations dans lesquelles le constituant extraposé n'est pas régi par
le verbe, comme :

(2.2) Ce film, je n'en ai pas entendu parler.

Dans ce deuxième type de structure, c'est le pronom clitique qui est régi par le
verbe, et non le constituant détaché (Berrendonner 1990). Comme ces deux ty-
pes de structures segmentées s'insèrent dans une phrase (comprise au sens tra-
ditionnel), cette unité ne permet pas, à elle seule, de rendre compte de leur
différence. Par conséquent, je considérerai, avec Roulet (1994), que la phrase
ne constitue pas tant une unité minimale du discours qu'un mode de réalisation
écrit du mouvement périodique, qui relève de l'organisation périodique du dis-
cours4 .

La proposition, qui forme l'unité syntaxique maximale, ne paraît pas non plus
constituer l'unité discursive minimale la plus adéquate. La proposition est cer-
tes une unité qui permet de traiter un grand nombre d'exemples, comme 2.3 :

3. Roulet (1994) montre que la phrase ne possède pas de propriétés syntaxiques intrinsèques,
car elle peut être réduite, au niveau syntaxique, à l'unité de la proposition. La phrase se ca-
ractérise donc surtout par ses propriétés graphiques.
4. L'organisation périodique décrit, dans le modèle genevois, le développement du discours
par étapes dans le temps et/ou dans l'espace (Grobet 1997a, 2001c). Pour Auchlin (1999),
l'organisation périodique concerne uniquement et nécessairement le développement tempo-
rel du discours, dans la mesure où tout discours écrit implique, pour être réellement saisi en
tant que «discours », une expérience subjective qui est nécessairement temporelle. Cette
dimension temporelle n'empêche pas, à mon avis, la prise en compte des caractéristiques
« spatiales» du discours telles que sa présentation typographique (Védénina 1989, Defays
et al. 1998).

75
L'organisation informationnelle

(2.3)
BP: vous êtes romantique / vous êtes naïf / vous êtes timide / vous êtes bon /
(Apostrophes)

Dans ce bref extrait, les unités discursives minimales coïncident régulièrement


avec des propositions. Cependant, si ce type de correspondance est fréquent, il
ne constitue pas une règle absolue. Rubattel (1987) montre que certaines unités
inférieures à la proposition peuvent être considérées comme fonctionnellement
équivalentes à des unités de la taille de la proposition. Cette observation peut
être illustrée sur la base des exemples suivants :

(2.4) Bien qu'il pleuve, je vais me promener.

(2.5) Malgré la pluie, je vais me promener.

La proposition initiale du premier exemple (bien qu'il pleuve) et le syntagme


prépositionnel (malgré la pluie) du second ont des fonctions identiques: dans
les deux cas le premier constituant, propositionnel ou non propositionnel, a
une fonction de contre-argument. Pour pouvoir rendre compte de ce parallélis-
me fonctionnel, il paraît nécessaire de distinguer l'unité de la proposition, ré-
gie par des relations syntaxiques de type rectionnel (Berrendonner 1990), de
l'unité discursive minimale, qui peut être inférieure à la proposition5 .

La troisième unité susceptible de servir de base à une analyse de l'organisation


informationnelle du discours est constituée par l'unité prosodique parfois ap-
pelée «contour intonatif» (Selting 1995, Grobet 1997a), ou « syntagme into-
natif» (Nespor & Vogell986, Auchlin & Ferrari 1994)6. Comme la prosodie7
joue un rôle structurant de tout premier plan dans le discours oral, certains
s'appuient sur cette dimension pour définir les unités discursives minimales :

L'organisation d'un énoncé oral ne peut être décrite qu'en prenant en considéra-
tion en premier lieu les marques prosodiques et mélodiques, qui constituent les
seuls indices permettant d'une part de segmenter la chaîne sonore en unités mélo-
diques et en groupes prosodiques - unités minimales du discours oral- et d'autre

5. Voir aussi Roulet (1995b, 2000).


6. Ou encore « groupe intonatif» (Mertens 1990), « groupe rythmique » (Danon-Boileau et
al. 1991), etc. Wunderli et al. (1978 :180) et Auchlin & Ferrari (1994 : 188-190) relèvent
que les divergences terminologiques ne correspondent pas nécessairement à des unités fon-
damentalement différentes. Le terme de «contour intonatif», utilisé par Selting (1995),
présente l'avantage de ne pas véhiculer de connotation syntaxique.
7. La prosodie regroupe les aspects suprasegmentaux du discours qui résultent de l'interaction
des paramètres de la fréquence fondamentale (FO), de l'intensité et de la durée (Selting
1995 : 1).

76
Hypothèses de travail

part d'opérer un regroupement des groupes prosodiques successifs en une unité


discursive plus large: l'énoncé. (Morel 1992a : 26)

Pour Morel, les unités discursives minimales du discours oral sont nécessaire-
ment de nature prosodique, et c'est seulement dans un second temps qu'elles
s'intègrent dans l'unité plus complexe que constitue l'énoncé.

Tout en reconnaissant l'importance de la segmentation réalisée par la prosodie


dans le discours oral, je ne pense pas qu'il soit approprié de définir les unités
minimales du discours sur cette base. En effet, une telle définition conduit à
postuler une différence radicale entre le traitement du discours oral et celui du
discours écrit ou non ponctué prosodiquement : seules les unités du premier
seraient délimitées par la prosodie, tandis que celles du second devraient être
traitées d'une autre manière, qui resterait à définir. Or, une telle position est
difficilement soutenable si l'on considère que la distinction entre le discours
oral et le discours écrit relève plus d'un continuum que d'une opposition tran-
chée, comme en témoignent les multiples genres de textes « hybrides» tels que
les interviews écrites, les messages e-mail, etc. (Gadet 1996, Grobet 1997a).
En outre, il reste possible de percevoir des unités discursives dans un texte non
ponctué prosodiquement, même si leur délimitation peut s'avérer problémati-
que.

Plutôt que de recourir à une unité de type interactionnel, comme le tour de pa-
role, périodique, comme la phrase, syntaxique, comme la proposition, ou pro-
sodique, comme le contour intonatif, Roulet considère que c'est l'acte
hiérarchique qui doit être considéré comme l'unité discursive minimale. Il dé-
finit l'acte de la manière suivante :

la catégorie acte ne doit pas être confondue avec le concept d'acte de langage que
nous avions retenu dans le premier modèle et qui se réalisait nécessairement sous
la forme d'une proposition; il a été redéfini à partir des réflexions d' Auchlin
(1993) sur la thématisation, de Rubattel (1987) sur les semi-actes et de Berrendon-
ner (1983, 1990) sur la clause. L'acte, qui constitue l'unité textuelle minimale, est
défini comme la plus petite unité délimitée de part et d'autre par un passage en
mémoire discursive, dans le sens de Berrendonner (1983). (Roulet 1999c : 210)

À l'instar de l'unité de la« clause» ou de 1'« énonciation »8, utilisée par Ber-
rendonner, l'acte se définit avant tout par le fait que ses frontières gauche et

8. Après avoir, comme Berrendonner (1990), utilisé les termes de « clause» et d'« énoncia-
tion » comme synonymes, Roulet propose de les distinguer (Roulet, Filliettaz & Grobet
2001 : 58ss.) ; dans ce cadre, seule l'énonciation peut être considérée comme équivalente à
l'acte.

77
L'organisation informationnelle

droite sont marquées par un passage en mémoire discursive. Vers la gauche,


chaque acte s'appuie sur des connaissances qui peuvent être encyclopédiques,
issues du contexte ou du cotexte ; l'acte entretient un « rapport de présupposi-
tion» avec ces informations (Berrendonner 1990 : 28). Vers la droite, l'énon-
ciation de chaque acte entraîne le stockage des informations qu'il active en
vertu d'une «règle de production» (Berrendonner 1990: 28). Le rapport de
présupposition et la règle de production sont des relations qui, faisant interve-
nir la mémoire discursive, relèvent de la « macro-syntaxe ». Parce qu'ils sont
liés par de telles relations, les actes (ou les énonciations) doivent être radicale-
ment distingués des constituants de la proposition, dont les relations, qui ne
font pas intervenir la mémoire discursive, relèvent de la syntaxe (Blanche-
Benveniste et al. 1990, Berrendonner 1990).

Si les unités de l'acte et de l'énonciation peuvent être considérées comme


équivalentes dans la mesure où elles impliquent toutes deux des frontières liées
à un passage par la mémoire discursive, elles se distinguent au niveau du statut
théorique qui leur est accordé dans l'organisation discursive : à la différence de
Berrendonner, Roulet considère que l'acte relève de la dimension hiérarchique
du discours, dont il constitue la plus petite unité (Roulet 1991, 1999c, 2000).
Le choix d'une unité hiérarchique comme unité minimale du discours ne re-
vient pas à nier toute pertinence aux autres unités, qui restent utiles au niveau
des dimensions auxquelles elles ressortissent, mais il entérine le rôle central at-
tribué, dans le modèle genevois, à la dimension hiérarchique.

Selon Roulet (1991a, 1995,2000), l'unité de l'acte permet en outre, mieux que
la phrase ou la proposition, de rendre compte de la différence existant entre des
structures segmentées telles que :

(2.1) De ce film, je n'ai pas entendu parler.

(2.2) Ce film, je n'en ai pas entendu parler. (Berrendonner 1990)

Comme le montrent les travaux de Berrendonner (1990), quand le constituant


extraposé est régi par le verbe, ce qui apparaît par la présence d'une préposi-
tion (de) et l'absence de pronom clitique, on a affaire à un seul acte qui pour-
rait également être formulé sous la forme suivante :je n'ai pas entendu parler
de ce film. En revanche, quand, d'une part, le constituant extraposé n'est pas
introduit par une préposition et, d'autre part, le verbe régit déjà un pronom, la
structure segmentée est formée d'une proposition complète (je n'en ai pas en-
tendu parler) ainsi que d'un constituant extraposé (cefilm) : on considère alors
qu'elle fait intervenir deux actes.

78
Hypothèses de travail

L'unité de l'acte permet de plus de traiter le parallélisme fonctionnel existant


entre des structures formées d'une ou de deux propositions:

(2.4) Bien qu'il pleuve, je vais me promener.

(2.5) Malgré la pluie, je vais me promener.

En suivant Rubattel (1987), il est possible de considérer, en s'appuyant sur


l'existence d'une relation de contre-argument se manifestant dans ces deux
exemples, que l'on a affaire chaque fois à deux actes. Enfin, il reste à préciser
que l'acte est souvent marqué par un contour intonatif, mais sans que ce mar-
quage soit indispensable (Grobet 1997a); la définition de l'acte ne dépend
donc pas directement de la ponctuation orale.

Si le choix de l'acte comme unité discursive minimale paraît légitimé par les
raisons qui viennent d'être évoquées, il soulève néanmoins le problème du
mode de son repérage effectif. En effet, la définition de l'acte par les règles de
la dimension hiérarchique ne fournit pas d'indication sur ses frontières. De
plus, comme il n'existe à ma connaissance pas d'étude psycho-linguistique
précisant le lieu des passages en mémoire discursive marquant ces frontières, il
est nécessaire de s'aider d'autres critères pour segmenter le discours en actes.
Je me propose de les discuter brièvement pour justifier la segmentation sur la-
quelle je m'appuierai ultérieurement.

2.1.2 Les critères de la segmentation en actes


Le repérage d'une unité discursive minimale telle que l'acte implique néces-
sairement la prise en compte de critères issus de différents niveaux d'organisa-
tion du discours :

le repérage des actes dans un discours donné soulève des problèmes pratiques, qui
peuvent être résolus à l'aide d'instruments heuristiques relevant d'autres dimen-
sions du discours. (Roulet 1999c : 211)

Schwitalla (1997 : 50) rappelle que, selon les cadres théoriques, les niveaux
mobilisés pour délimiter l'unité discursive minimale9 peuvent être fonction-
nels (structure informationnelle, structure illocutionnaire, projection des acti-
vités discursives) et/ou formels (structure syntaxique, structure prosodique,

9. Schwitalla discute le repérage de l'ffusserungseinheit, qu'il décrit de la manière suivante:


« Die Einheitenstufe, um die es hier geht, ist diejenige, auf denen Mitteilungen sozusagen
in einem Zuge formuliert (und psychisch verarbeitet) werden» (Schwitalla 1997 : 50).

79
l'organisation informationnelle

marqueurs lexicaux etc.). Si l'intervention de différents facteurs dans le repé-


rage des unités discursives minimales paraît assez largement admise, la ques-
tion de la dominance d'un ou de plusieurs facteurs est sujette à controverses.
J'aimerais commencer par esquisser, de manière schématique (et un peu cari-
caturale), deux positions opposées : la première accorde la priorité aux indices
de nature prosodique, tandis que la seconde s'appuie avant tout sur le contenu
linguistique 10.

2.1.2.1 Les critères prosodiques vs linguistiques


Le premier type d'approche considère que la prosodie est plus pertinente que
le contenu morpho-syntaxique pour segmenter le discours!!. Un argument fré-
quemment évoqué est celui de l'immédiateté perceptive de la segmentation
prosodique:

Dabei gehe ich von der Pravalenz der unmittelbar hOrbaren, also der prosodischen
Gliederung aus [ ... ] und der untergeordneten lexikalischen und syntaktischen
Gliederung [ ... ]. (Schwitalla 1997 : 59)

Pour défendre une position similaire, Auchlin évoque l'exemple du discours


vindicatif, où les données prosodiques paraissent primer sur le contenu linguis-
tique!2. Cet exemple ne me paraît toutefois pas suffisant, car les éléments pro-
sodiques saillants dans le discours vindicatif (intensité, hauteur tonale, durée,
qualité de la voix, etc.) ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui in-
terviennent au niveau du marquage de la segmentation en actes. Peut-être est-
ce pour cette raison qu'Auchlin propose un autre exemple, cité en 2.6 :

(2.6) et alors peu importe dans lequel on va y aller

qu'il décrit comme étant «prononcé d'un seul tenant ». Auchlin relève qu'un
tel énoncé serait perçu comme agrammatical par beaucoup de francophones,
car on y trouve« deux pronoms co-référentiels à l'intérieur d'une même unité
de liage )) (Auchlin 1999 : 12). Pour le rendre grammatical, il serait possible,
d'après Auchlin, soit de modifier sa forme prosodique (<< montée et pause brève

10. Cette discussion poursuit le débat entamé par Auchlin & Ferrari (1994), Grobet (1 997a) et
Auchlin (1999).
Il. Cette position se retrouve dans la notion d'intonation unit chez Chafe (1994: 53ss.) ainsi
que dans les travaux accordant la priorité aux unités prosodiques (Auchlin & Ferrari 1994,
Danon-Boileau et al. 1991, Morel 1992a, Morel & Danon-Boileau 1999).
12. «Que ce soit dans les mégaphones d'une manifestation, ou dans le couloir de l'apparte-
ment, certains propos semblent émis uniquement comme occasions de vociférer. » (Auchlin
1999: 11).

80
Hypothèses de travail

après dans lequel, nouvelle attaque sur on va ... »), soit de supprimer le pronom
y. Ces deux modifications ne sont toutefois pas également accessibles :

La fonne prosodique constitue un donné manifeste plus immédiat, plus « accré-


dité », et plus difficile à réfuter, en tant que manifeste, que le matériau morpho-
syntaxique, susceptible d'être falsifié, en étant corrigé. (Auchlin 1999 : 12)

Le caractère plus difficilement réfutable de la forme prosodique témoigne, se-


lon Auchlin, du primat de ce type de données sur le contenu linguistique.

Cet exemple ne me paraît toutefois pas décisif pour la délimitation de l'acte,


car l'interprétation selon laquelle les pronoms lequel et y sont co-référentiels
n'est pas la seule possible ni - selon moi -la plus accessible. Il me semble en
effet que l'expression y aller est souvent utilisée, à l'oral, comme équivalente
au verbe aller. Selon cette interprétation, le pronom y ne renvoie pas nécessai-
rement à un référent précis. Par exemple, en admettant que l'on parle d'un châ-
teau à visiter, l'exemple 2.6 peut être paraphrasé par:

(2.7) et alors peu importe dans quel château on va aller faire cette visite

Le pronom y renvoie à un référent vague que j'ai paraphrasé par cette visite; il
peut donc facilement être supprimé. Pour cette raison, l'exemple 2.6 ne suffit
pas, d'après moi, à prouver le caractère plus difficilement réfutable de la pro-
sodie, et partant, que les indications prosodiques priment sur les indications
linguistiques pour la segmentation en actes 13.

Il est aussi possible de baser le repérage des unités discursives minimales sur
des informations de nature morpho-syntaxique. Par exemple, on peut faire
l'hypothèse que la proposition correspond souvent à une unité discursive mini-
male assimilable à l'acte, car ses frontières se caractérisent par un stockage des
informations en mémoire discursive. C'est le cas dans un exemple comme 2.8 :

(2.8)
GS: ma première femme m'avait dit qu'elle se suiciderait / si je la trompais \ or
comme j'avais un besoin / elle était très peu euh :. attirée par l'amour physi-
que \ très très peu \ euh :. et je devais prendre des précautions / j'ai pas
besoin de vous dire d'indiquer lesquelles / qui rendaient la chose assez péni-
ble \ par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée
de sa vie \ (Apostrophes)

où les actes sont majoritairement propositionnels.

13. L'exemple 2.6 ne permet d'ailleurs pas plus, à mon sens, de montrer que les indications lin-
guistiques priment sur les indications prosodiques.

81
L'organisation informationnelle

Cet exemple montre toutefois aussi que certains éléments susceptibles d'être
considérés comme des unités (p. ex. très très peu) peuvent être inférieurs à la
proposition, qui, de ce fait, ne peut être considérée comme un critère suffisant.
Pour pallier cet inconvénient, Roulet propose de considérer le test de la substi-
tution comme un critère décisif pour évaluer la présence d'un stockage des in-
formations en mémoire discursive :

Ainsi, comme le suggère Berrendonner (1983, 1990), le passage en mémoire dis-


cursive, qui indique la frontière entre deux actes, est marqué en particulier par la
possibilité d'utiliser indifféremment comme anaphore un pronom ou une expres-
sion définie pour indiquer la co-référence (voir les exemples dans Roulet 1991a).
(Roulet 1999c : 211)

Lorsque les termes anaphoriques fonctionnent comme des variables liées à


l'intérieur d'un seul acte, ils ne permettent pas la substitution par une expres-
sion définie. C'est le cas dans l'exemple suivant, emprunté à Berrendonner
(1990) :

(2.9) Un philosophej n'ignore pas qu'i!j est mortel.

Le pronom il entre dans une relation de liage; cette relation se caractérise par
plusieurs propriétés, dont celle de ne pas admettre la substitution par une for-
me pleine (le N, ce N, ou nom propre). Ainsi, dans cet exemple:

(2.9') * Un philosophej n'ignore pas que cet auteurj est mortel.


la substitution par une forme définie entraîne une perte du lien associatif, ce
qui témoigne, pour Berrendonner (1990: 28), de l'existence d'une relation de
liage. En revanche, dans un exemple comme:

(2.1 0) Marie a consulté un philosophej. !!ï lui a rappelé qu'elle était mortelle.

le pronom il fonctionne comme une forme de rappel, effectuant un pointage


sur l'information introduite par l'antécédent «un philosophe ». Cette relation
de pointage est caractérisée par Berrendonner comme ayant les propriétés in-
verses de la relation de liage 14 et permettant en particulier le remplacement du
pronom pointeur par une expression nominale :

14. La présence d'un point, qui opère une totalisation des inférences, peut être considérée com-
me une marque décisive de la frontière d'un acte et par là même, d'une relation de pointage
(Ferrari & Auchlin 1995). Cependant, il ne s'agit pas là d'un critère suffisant, car la relation
de pointage n'est pas liée à la présence d'un point. Ainsi, dans cet exemple, le point pourrait
être remplacé par une virgule sans changement au niveau de la relation de pointage.

82
Hypothèses de travail

(2.10') Marie a consulté un philosophej. Cet auteurj lui a rappelé qu'elle était mor-
telle.

Cette possibilité de substitution constitue, d'après Roulet, un test pennettant


d'évaluer de manière fiable l'existence d'un passage par la mémoire discursive.'

S'il me semble que le test de la substitution peut être considéré comme un ins-
trument intéressant pour segmenter le discours en actes, je pense toutefois que
son importance a été quelque peu surestimée. Les limites de ce critère tiennent
d'abord au fait qu'il ne peut pas s'appliquer à tous les actes. Par exemple,
en 2.8, il ne pennet pas de rendre compte d'un segment comme très très peu
qui paraît néanmoins interprétable comme un acte, si l'on s'appuie sur sa réali-
sation prosodique. De plus, le repérage d'une relation de pointage ne me paraît
pas pouvoir être réduit au seul test de la substitution, comme le montrent les
travaux de Berrendonner (1990) et Zribi-Hertz (1992, 1996). Enfin, il ressort
de travaux plus récents de Berrendonner et Reichler-Béguelin (1995) que les
relations « macro-syntaxiques» (impliquant un passage par la mémoire discur-
sive) peuvent s'établir même entre le sujet et le verbe d'une proposition:

Enfin, nous voudrions souligner ce qui constitue à nos yeux une conséquence
méthodologique et théorique importante de nos données: l'imbrication, à l'inté-
rieur même de la plus simple des phrases, de contraintes micro- et macro-syntaxi-
ques, i.e. en termes plus classiques, le mélange de régularités morpho-syntaxiques
vs pragmatico-discursives. (Berrendonner & Reichler-Béguelin 1995 : 42)

D'une telle remarque peuvent découler deux conséquences qui toutes deux re-
lativisent l'intérêt du repérage de relations « macro-syntaxiques»: soit on
considère que la présence d'une relation de pointage n'est pas décisive puis-
qu'elle peut intervenir à l'intérieur même de la proposition, soit on admet que
les unités discursives peuvent être plus petites que la proposition (être fonnées,
par exemple, du sujet seul ou du verbe seul), et à nouveau, le critère de la subs-
titution n'est d'aucun intérêt pour repérer de telles unités. Pour ces raisons, le
test de la substitution ne peut être considéré, à lui seul, comme suffisant pour la
segmentation en actes.

2.1.2.2 La segmentation en actes: le produit de l'interrelation


de différents indices de contextualisation
La discussion qui précède montre clairement, me semble-t-il, que les indices
prosodiques et linguistiques se combinent dans la segmentation du discours 15 .

15. Dans un cadre théorique différent, Halford parvient à une description similaire: « The talk
unit is the minimal self-contained message unit and at the same time the maximal message
unit which is language specifie and conventional. [... ] The presentation structure is a func-
tion of intonation, sequential aspects, and the use of particles. The talk unit is the maximal
unit defined by syntax plus intonation» (Halford 1996 : 33).

83
L'organisation informationnelle

Pour rendre compte de leurs interrelations, j'ai proposé, à la suite de Selting


(1995, 1996, 1998), Couper-Kuhlen (1996) et Auer (1996), de prendre appui
sur la notion d'« indice de contextualisation» issue des travaux de Gumperz
(1982)16. D'après ce dernier, les indices de contextualisation sont des traits de
surface du message, de nature syntaxique, lexicale ou prosodique, qui orientent
le processus interprétatif:

That is, constellations of surface features of message form are the means by which
speakers and listeners interpret what the activity is, how semantic content is to be
understood and how each sentence relates to what precedes or follows. (Gumperz
1982: 131)

Les indices de contextualisation marquent la présence de présupposés contex-


tuels qui orientent l'interprétation des énoncés l7 . Au niveau de la segmentation
du discours, les indices de contextualisation lexicaux, syntaxiques et prosodi-
ques contribuent à marquer la cohésion interne des unités ainsi que leur fron-
tières. Celles-ci sont marquées à la fois prospectivement par l'achèvement
d'une structure syntaxique, par la présence d'éventuels ponctuants (Vincent
1993) et d'un intonème continuatif ou conclusifl8, et rétrospectivement par le
début d'une nouvelle structure syntaxique, par certains connecteurs (p. ex.
mais, eh bien) ou régulateurs (de Gaulmyn 1987, Laforest 1992, Müller 1996,
Schmidt 1983) ainsi que par la présence d'une pause, voire d'une augmenta-
tion du débit des premières syllabes qui suivent (Selting 1995, Auer 1996).

Il n'est pas inutile de préciser que la notion d'« indice de contextualisation »


n'est pour moi en aucun cas dépréciative et qu'elle ne tombe pas, selon moi,
sous le coup de la critique d'Auchlin (1999)19. L'utilisation de cette notion vise
plutôt à souligner que ces indices sont ininterprétables considérés de manière
isolée, mais qu'ils acquièrent leur valeur en fonction du contexte discursif et

16. Je résume et reconsidère certaines propositions de Grobet (1997a). On y trouvera une plus
ample description des phénomènes prosodiques liés à la segmentation en actes et en unités
périodiques.
17. Dans ce cadre, plutôt que d'être donné d'avance, le contexte est considéré comme le produit
de l'interaction: « Pour Gurnperz, le processus de contextualisation est un processus par le-
quel les énoncés se voient ancrés dans des contextes, contextes, qui à leur tour rendent
possible l'interprétation de ces énoncés» (de Fornel1991 : 32).
18. Les intonèmes, dont la reconnaissance constitue déjà le résultat d'un processus interprétatif,
soulèvent de nombreuses questions quant à leur nombre, leur portée et la variété de leurs
réalisations intonatives, sur lesquelles je ne me prononcerai pas ici. Voir Rossi (1981, 1985)
et Wunderli et al. (1978) pour une discussion de cette question.
19. « Cette hypothèse présente le désavantage de suggérer fortement que la chaîne verbale
constitue un nucléus dont la prosodie ne constituerait qu'une enveloppe externe, un embal-
lage, susceptible au mieux de donner des infonnations utiles du point de vue de l'intelli-
gibilité des énoncés (voir le fameux "faciliter l'interprétation"). » (Auchlin 1999 : 11)

84
Hypothèses de travail

de l'expérience de l'auditeur (Gumperz 1982: 104). La critique d'Auchlin à


l'encontre de la notion d'indice de contextualisation s'explique peut-être par le
fait que pour plusieurs auteurs utilisant cette notion, la syntaxe remplit un rôle
premier par rapport à la prosodie: .

Into this model of a division of labour, syntax brings its capacity to build relatively
far-reaching gestalts, the completion ofwhich becomes more and more projectable
in time ; prosody, particularly intonation, brings in its local flexibility to revise and
adjust these gestalts while they are being « put to speech ». Thus, syntax retains its
priority, but prosody/intonation is nevertheless independent from it. (Auer
1996:75)

Auer souligne que la prosodie ajuste à un niveau local la segmentation globale


projetée par la syntaxe; une telle observation, qui peut être mise en relation
avec l'immédiateté perceptive de la prosodie, décrit de manière intéressante,
me semble-t-il, la répartition des rôles de ces deux dimensions. En revanche,
dans la mesure où c'est en fin de compte de la segmentation prosodique que va
dépendre le résultat final, je ne soutiendrai pas, avec Auer, que la syntaxe est
nécessairement toujours première par rapport à la prosodie2o •

Cette approche traite la segmentation du discours en actes comme le produit de


l'interrelation de différents indices de contextualisation. Dans certains cas sim-
ples, comme dans l'exemple 2.8, les indices syntaxiques, prosodiques et lexi-
caux coïncident:

(2.8)
GS: ma première femme m'avait dit qu'elle se suiciderait / si je la trompais \ or
comme j'avais un besoin / elle était très peu euh :. attirée par l'amour physi-
que \ très très peu \ euh :. et je devais prendre des précautions / j'ai pas
besoin de vous dire d'indiquer lesquelles / qui rendaient la chose assez péni-
ble \ par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autànt trompée
de sa vie \

Dans cet exemple, la segmentation ne soulève pas de problème particulier car


les frontières des actes sont marquées à la fois aux niveaux syntaxique (par les
fins de propositions et de l'unité non propositionnelle très très peu), prosodi-
que (par les intonèmes continuatifs et conclusifs) et lexical (p. ex. par les

20. Comme me l'a fait remarquer Auchlin, la notion d'indice de contextualisation ne suffit pro-
bablement pas à rendre compte de toutes les fonctions (p. ex. émotives) de la prosodie. EUe
suffit néanmoins, dans une large mesure, à remplir les buts que je poursuis ici, puisque je
m'intéresse à la prosodie uniquement dans la mesure où elle intervient dans la démarcation
des unités discursives.

85
L'organisation informationnelle

connecteurs or, par conséquent marquant le début de nouveaux actes)21. Ce


type de segmentation témoigne certainement d'un souci de clarté; il se retrou-
ve par exemple dans le discours de certains politiciens22 •

Les indices syntaxiques, lexicaux et prosodiques peuvent aussi se combiner


pour marquer non pas des frontières d'actes, mais des interruptions internes
dues à des hésitations qui sont contextualisées comme telles, comme le montre
Selting (1995). D'après elle, ces interruptions sont généralement marquées par
des signaux comme les marques d'hésitation (p. ex. euh en français) et l'allon-
gement de la voyelle qui précède23 . D'après mes propres observations, les hé-
sitations ont une réalisation prosodique extrêmement variable, mais leur
reconnaissance ne pose généralement aucune difficulté. Rétrospectivement, la
présence d'une hésitation qui reste interne à un acte est marquée par la conti-
nuation de la courbe mélodique interrompue et éventuellement par un signal de
correction et/ou par une reprise de l'élément lexical situé avant la pause. Par
exemple, en 2.11 :

(2.11) je ne suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / (Radioscopie)

L'acte est interrompu par une hésitation qui n'est pas interprétable comme une
frontière. La continuité est en effet maintenue par la courbe intonative, qui se
poursuit après la pause exactement au niveau auquel elle se situait avant la
pause:

je ne suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait

Figure 2.1. Schématisation de la variation de la courbe mélodique de 2. Il

21. Seule la segmentation du ou des premiers actes (ma première femme m'avait dit qu'elle se
suiciderait sije la trompais) pourrait prêter à discussion, car la structure syntaxique semble
indiquer un seul acte, tandis que la segmentation prosodique, doublée par la présence d'un
régulateur (voilà) que je n'ai pas rappelé dans la transcription, paraît plutôt signaler l'exis-
tence de deux actes.
22. «Politiker, besonders wenn sie langsam und eindringlich reden, segmentieren ihre Rede oft
nach syntaktischen Grôssen [ ... ]. »(Schwitalla 1997 : 52, note 6)
23. Selting (1995) mentionne également la présence d'un ton localement suspendu qui semble
être caractéristique de l'allemand, car on ne le retrouve pas systématiquement en français.

86
Hypothèses de travail

La poursuite de la courbe intonative va de pair avec une reprise de l'élément


lexical situé juste avant l'hésitation (un) et la poursuite de la structure syntaxi-
que entamée. Dans un tel exemple, la prosodie, la syntaxe et le lexique se com-
binent pour indiquer que l'on a affaire non pas à deux unités, mais à une seule
unité discursive.

Les indices lexicaux, syntaxiques et prosodiques peuvent aussi indiquer une


rupture provoquée par une correction et l'abandon de l'unité en cours. Par
exemple, dans :

(2.12) parce que ce n'était pas dans ... ça ce n'était pas possible \ (Radioscopie)

L'interruption n'est cette fois-ci pas intégrée dans l'unité dans laquelle elle sur-
vient. La continuité n'est pas maintenue au niveau prosodique, comme le mon-
tre la figure 2.2 :

parce que ce n'était pas dans .. ça ce n'était pas possible

Figure 2.2. Schématisation de la variation de la courbe mélodique de 2.12

L'interruption est plus longue que dans l'exemple 2.11, ce que j'ai représenté
par les deux points. Après cette pause, la courbe intonative du segment initial
n'est pas reprise, mais abandonnée au profit du démarrage d'un nouveau con-
tour intonatif. Cette interruption se manifeste également au niveau syntaxique,
où l'on observe l'abandon de la structure entamée et le démarrage d'une nou-
velle proposition (cf. Apothéloz & Zay 1999).

Dans un bon nombre de cas, la prise en compte des indices marquant la conti-
nuité des unités discursives ou leurs frontières permet de segmenter le dis-
cours. Cependant, dans d'autres situations, les indices linguistiques et
prosodiques ne sont pas congruents ou, pour reprendre une expression
d'Auchlin, on peut dire que les dimensions prosodique, syntaxique et lexicale
ne sont pas « en phase »24. La segmentation en actes est alors beaucoup plus
problématique. Différents cas de figure se retrouvent dans l'exemple 2.13 :

24. Ces situations peuvent être rapprochées des métanalyses traitées par Berrendonner (1990),
qui correspondent à des séquences pouvant être analysées en une ou plusieurs unités discur-
sives minimales. Voir aussi Selting (1995) qui décrit de manière détaillée les différentes re-
lations possibles entre la prosodie et la syntaxe. '

87
l'organisation informationnelle

(2.13)
MM : <acc.> quand il a voulu écrire euh: ses: .. ses mémoires aux États-Unis
pendant la guerre / il euh .. il avait choisi un titre / euh .. q. qu'je n'sais plus
exactement / enfin c'était. quelque chose comme Une vie difficile <acc.>
(ou j'sais pas bien) / (Radioscopie)

Cet exemple s'inscrit dans une intervention à travers laquelle Michelle Mau-
rois tente de répondre à la question de savoir si son père a été heureux ou non.
La difficulté de cette question se manifeste dans les nombreuses hésitations qui
ponctuent le discours de M. Maurois et rendent sa segmentation problémati-
que.

D'une part, la prosodie réunit parfois des entités qui seraient autrement inter-
prétables comme deux actes distincts. C'est le cas pour le premier contour in-
tonatif qui aurait pu, avec une segmentation prosodique différente, être
interprété comme étant formé de deux actes au moins :.

(2.14) quand il a voulu écrire euh: ses: .. ses mémoires aux États-Unis / pendant
la guerre / il euh .. il avait choisi un titre /

Mais étant donné qu'en 2.13, le segment pendant la guerre n'est ni pleinement
propositionnel, ni détaché prosodiquement, il est possible de considérer qu'il
s'intègre dans l'acte qui le précède. De manière différente, le dernier contour
se termine par un segment prononcé très rapidement avec une faible intensi-
té 25 :

(2.15) enfin c'était. quelque chose comme Une vie difficile <acc.> (ou j'sais pas
bien) /

La structuration prosodique amoindrit l'autonomie du second segment, mais


celui-ci paraît tout de même pouvoir être interprété comme un acte distinct, du
fait de son caractère propositionnel. Un regroupement prosodique peut donc
porter sur un ou plusieurs actes, en fonction de la structure du constituant con-
cerné.

D'autre part, la segmentation prosodique peut intervenir à l'intérieur d'une en-


tité syntaxique. Elle peut alors permettre la distinction de plusieurs unités
elliptiques, comme c'est le cas, dans 2.8, pour le segment formé par très très
peu qui s'achève sur un intonème continuatif et qui est interprétable comme un
acte. Les exemples 2.16 et 2.17 :

25. La compréhension de ce segment est même rendue difficile, ce que je transcris par les pa-
renthèses.

88
Hypothèses de travail

(2.16) Je le ferai. Demain.

(2.17) J'ai rencontré Marie. Avec Pierre. (Rossari 1996 : 163)

anal ysés par Rossari (1996) peuvent être traités de manière similaire: la ponc-
tuation autorise à considérer que le second segment constitue un acte autono-
me (Ferrari & Auchlin 1995)26. Dans l'exemple 2.13, il Y a aussi une hésitation
accompagnée d'une forte interruption qui aboutit à la scission d'une unité po-
tentiellement plus large :

(2.18) il euh .. il avait choisi un titre / euh .. q . qu'je n'sais plus exactement /

Contrairement à la première interruption (il euh ... il avait choisi) qui est mar-
quée aux niveaux lexical, syntaxique et prosodique comme une hésitation
n'entravant pas la continuité de l'acte (cf. ex. 2.11), la seconde, qui suit le mot
titre, paraît plus profonde. Malgré la présence d'une marque lexicale d'hésita-
tion et la poursuite de la structure syntaxique, il y a une rupture prosodique se
traduisant par une pause assez longue et par un décrochement mélodique mar-
quant, comme en 2.12, le début d'une nouvelle unité.

Le repérage de l'acte fait donc intervenir des indices syntaxiques, lexicaux et


prosodiques qui peuvent être congruents, auquel cas la segmentation ne
soulève pas de problème particulier, mais également être décalés: plusieurs
unités syntaxiques peuvent être incluses dans un contour prosodique, et à l'in-
verse, une unité syntaxique peut être scindée en plusieurs contours prosodi-
ques. Ces configurations devraient faire l'objet d'une étude plus détaillée si
l'on s'intéressait spécifiquement au problème de la segmentation du discours
en unités minimales, mais comme ce n'est pas mon objectif, je ne m'y arrêterai
pas plus longtemps.

2.2 La définition des notions de topique


et d'objet de discours
L'organisation informationnelle et topicale repose sur les notions de topique
(ou point d'ancrage immédiat) et d'objet de discours qui sont directement liées
à l'unité de l'acte: tout acte active un objet de discours et s'ancre sur au moins
un topique situé en mémoire discursive. J'ai relevé dans le chapitre précédent

26. Rossari propose également la prise en compte d'un troisième critère qui est celui de j'auto-
nomie pragmatique, dépendant de la possibilité de reconstruire une forme prédicative à
l'aide d'une paraphrase commençant par et ce ... (Rossari 1996).

89
L'organisation informationnelle

que, malgré les précautions terminologiques, les définitions de ces notions sont
encore trop floues et demandent à être précisées.

2.2.1 Le topique
Dans l'organisation informationnelle, le topique est défini comme une informa-
tion située en mémoire discursive. Par exemple, pour le deuxième acte de 2.19 :

(2.19)
GS: vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant (Apostrophes)

le topique peut être identifié intuitivement comme étant formé par la « timidité
de Simenon », introduite en mémoire discursive par le premier acte, et à la-
quelle renvoie le pronom ce. Selon les propositions de Roulet (1996), le topi-
que est un point d'ancrage immédiat qui s'oppose aux points d'ancrage
d'arrière-fond constitués par les interlocuteurs (auxquels renvoient les pro-
noms de première et deuxième personnes). Cependant, la distinction entre ces
deux types de points d'ancrage est loin d'être claire, comme je l'ai relevé dans
le premier chapitre (1.3.3). Je commencerai donc par situer le topique par rap-
port aux points d'ancrage d'arrière-fond: la mise en évidence des similitudes
et des différences entre ces deux points d'ancrage permettra de préciser la défi-
nition du topique.

Les points d'ancrage immédiats (ou topiques) et d'arrière-fond ont en commun


de constituer des informations situées en mémoire discursive (Berrendonner
1990), qui ont leur source dans le cotexte, dans la situation, ou dans les infé-
rences qui peuvent en être issues. Il s'agit d'informations que le locuteur sup-
pose être présentes dans la mémoire discursive de son interlocuteur ou qu'il
verbalise (ou non) comme telles par des pronoms et expressions anaphoriques
(vous, ce, me dans l'exemple 2.19).

La distinction entre les points d'ancrage immédiats et d'arrière-fond se justifie,


d'après Roulet (1996: 19), par une différence de niveau en mémoire discursi-
ve. Le repérage de ces deux types de points d'ancrage diffère tant au niveau de
l'importance qu'on leur accorde dans l'organisation informationnelle - les
points d'ancrage d'arrière-fond sont considérés comme secondaires par rap-
port au topique - qu'au niveau des contraintes auxquelles il est soumis. Pour le
montrer, j'aimerais commenter l'analyse de la structure informationnelle de
l'exemple 2.20 effectuée par Roulet (1996: 20)27 :

27. Les conventions de transcription de la structure informationnelle ont été présentées dans le
premier chapitre (1.3.3).

90
Hypothèses de travail

(2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d' être heureux
vous pensez qu ' il!' [heureux] a été
MM : par moments e certainement il a il a été heureux
j'crois qu ' il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies (Roulet 1996 : 20)

Les points d'ancrage d'arrière-fond, marqués par les traces il, lui et vous (en
italique), renvoient respectivement à « André Maurois », qui fait depuis un
moment l'objet de la discussion, et à « Michelle Maurois », qui s'entretient
avec Jacques Chancel. Dans cette structure informationnelle, Roulet ne tient
pas compte de l'information « Jacques Chancel », qui se situe, au même titre
que « Michelle Maurois », à l'arrière-fond de cette discussion. Cette observa-
tion conduit à dégager l'une des caractéristiques des points d'ancrage d'arriè-
re-fond: ceux-ci sont repérés uniquement lorsqu'ils sont marqués par une
trace. En outre, il peut y avoir plusieurs points d 'ancrage d 'arrière-fond, com-
me c'est le cas dans le deuxième acte avec les points d'ancrage marqués par
vous et il. Enfin, contrairement à celui du topique, le repérage des points d'an-
crage d 'arrière-fond est facultatif.

En revanche, l'analyse de l'organisation informationnelle implique nécessaire-


ment le repérage, pour chaque acte, d'au moins un topique (ou point d'ancrage
immédiat) : dans l'exemple 2.20, celui-ci est précisé pour tous les actes (à l'ex-
ception du premier, car on ne dispose pas du contexte qui permettrait de l'iden-
tifier). En outre, il yale plus souvent un seul topique par acte, comme c'est le
cas ci-dessus. Celui-ci peut être implicite: ainsi, dans le cinquième acte de cet
exemple, le point d'ancrage immédiat est implicite et restitué entre parenthè-
ses. Ces observations peuvent être résumées dans le tableau suivant:

Tableau 2. j . Les points d'a ncrage d'arrière-fond et le topique

information stockée en mémoire discursive, dont la source se


nature trouve dans le cotexte, le contexte ou les inférences de l'un ou
de l'autre
repérage trace nécessaire trace ou implicite
statut facultatif obligatoire
nombre (par acte) indéterminé (au moins) un

91
L'organisation informationnelle

Pour rendre compte des différences qui se manifestent entre ces deux types de
points d'ancrage, il est possible de s'appuyer sur la distinction, proposée par
Chafe (1994) et reprise par Lambrecht (1994), entre l' identifiabilité et l'état
d'activation. En effet, les points d'ancrage d'arrière-fond peuvent être considé-
rés comme des informations identifiables, dans le sens où il s'agit d'informa-
tions présentées comme connues, indépendamment du caractère récent de leur
activation dans le discours. Ces informations identifiables sont en nombre in-
déterminé; pour cette raison, on ne les repère que lorsque leur présence se ma-
nifeste dans le discours par exemple à travers des traces pronominales.

Le point d'ancrage immédiat peut, quant à lui, être caractérisé comme une in-
formation active dans le sens de Lambrecht (1994), c'est-à-dire comme une in-
formation que le locuteur suppose être non seulement identifiable, mais aussi
présente dans la conscience de l'interlocuteur, généralement parce qu'elle y a
récemment été introduite28 • En effet, l'adjectif « immédiat» exprime à la fois
l'idée d'une grande accessibilité dans la conscience et celle du caractère récent
de l'évocation. Les principales caractéristiques du point d'ancrage immédiat
(nombre limité, verbalisation éventuellement implicite, etc.) correspondent à
celles qui résultent, dans la terminologie de Chafe (1994 : 71ss.), d'un faible
coût d'activation.

Les notions d'identifiabilité et d'état d'activation permettent de préciser les


notions de point d'ancrage immédiat et de point d'ancrage d'arrière-fond. Tou-
tefois, elles ne suffisent pas toujours, à elles seules, à justifier la sélection de
telle information comme topique et de telle autre comme point d'ancrage d'ar-
rière-fond. Ainsi, dans l'exemple 2.20, les notions d'identifiabilité et d'état
d'activation n'expliquent pas pourquoi, dans les quatrième et cinquième actes
par exemple, l'information « André Maurois» ne constitue pas un topique. En
effet, étant verbalisée par des pronoms anaphoriques dans chaque acte, cette
information devrait se trouver dans un état d'activation similaire à celle formée
par le « bonheur d'André Maurois ».

Pour rendre compte de cette interprétation, il est nécessaire de préciser la diffé-


rence notionnelle qui sépare le topique des points d'ancrage d'arrière-fond.
Dans cette perspective, j'aimerais faire l 'hypothèse que, si les points d'ancrage
ont en commun de constituer généralement des informations identifiables et/ou

28. Lambrecht rappelle les propositions de Chafe de la manière suivante: « An ACTIVE concept
is one "that is currently lit up, a concept in a person's focus of consciousness at a particular
moment." An ACCESSIBLE/SEMI-ACTIVE concept is one "that is in a person's peripheral
consciousness, a concept ofwhich a person has a background awareness, but one that is not
being directly focused on." An INACTIVE concept is one "that is currently in a person's long-
term memory, neither focally nor peripherally active." »(Lambrecht 1994 : 94).

92
Hypothèses de travail

actives, le topique répond à une contrainte supplémentaire, qui peut être for-
mulée en termes « de relation d'à propos », en s'appuyant sur la définition de
Lambrecht:

A referent is interpreted as the topic of a proposition if IN A GIVEN DISCOURSE the


proposition is construed as being ABOUT this referent, i.e. as expressing infonna-
tion which is RELEVANT TO and which increases the addressee's KNOWLEDGE OF
this referent. (Lambrecht 1994 : 127)

À partir de cette définition, il est possible de dégager au moins deux caractéris-


tiques du topique29 . D'une part, le topique est lié par une relation d'à propos
avec l'objet de discours 3o • D'autre part, comme il existe toujours plusieurs to-
piques possibles, on peut admettre que le topique choisi constitue l'informa-
tion perçue comme « la plus immédiatement pertinente» à propos de laquelle
l'objet de discours apporte de l'information. Comme le souligne Lambrecht,
ces deux caractéristiques ne s'appliquent pas dans l'absolu, mais à l'intérieur
d'un discours donné.

La prise en compte de cette contrainte supplémentaire permet de rendre comp-


te de l'interprétation de la structure informationnelle du quatrième acte de
l'exemple 2.20 :

(2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d'être heureux
vous pensez qu' il l' [heureux] a été
MM : par moments e certainement il a il a été heureux
j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies

Le référent « André Maurois» peut, comme « le bonheur d'André Maurois »,


être interprété comme le topique du dernier acte, ce que l'on peut expliciter par
les paraphrases suivantes :

(2.21) À propos d'André Maurois, j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire

(2.22) À propos du bonheur d'André Maurois, j'crois qu'il a été heureux dans sa
vie littéraire

29. Je reviendrai ultérieurement sur la question de la nature référentielle du topique chez Lam-
brecht (1994).
30. Auchlin (1986) propose une définition similaire: «Ce que j'entendrai ici par thème c'est
donc l'entité sémantique (dont la trace éventuelle dans les énoncés est le topique) présentée
comme "ce par rapport à quoi ce que l'on dit est pertinent". »(174).

93
L'organisation informationnelle

Dans la première interprétation (2.21), l'objet de discours s'applique à André


Maurois, à propos duquel on dit qu'il a été heureux dans sa vie littéraire, com-
me s'il n'avait pas encore été question de son bonheur. Dans la seconde inter-
prétation (2.22), on s'appuie sur l'information que André Maurois a été
. heureux (ce que je paraphrase par « le bonheur d'André Maurois»), et on dit à
propos de cette information qu'elle s'applique au domaine de sa vie littéraire.
Ainsi, les informations « André Maurois» et « le bonheur d'André Maurois»
entrent toutes deux en relation d'à propos avec l'information activée par l'acte
et il ne serait pas possible de trancher entre ces deux interprétations dans l'ab-
solu. Cependant, étant donné le contexte dans lequel se situe cet acte, dans le-
quel le «bonheur d'André Maurois» a déjà fait l'objet de plusieurs
évocations, il est possible de faire l'hypothèse que ce référent constitue le topi-
que le plus immédiatement pertinent.

Il convient de souligner que les caractéristiques de l'identifiabilité, de l'état


d'activation et de la relation d'à propos doivent être prises en compte simulta-
nément. En effet, les notions d'identifiabilité et d'activation ne suffisent pas, à
elles seules, à identifier le point d'ancrage immédiat. De plus, la détermination
de l'information la plus immédiatement pertinente à laquelle s'applique l'objet
de discours ne peut se faire autrement qu'à partir d'informations pouvant être
considérées comme identifiables ou déjà actives. Faute de quoi, on risque de
confondre les notions d'objet de discours et de topique, ce que les distinctions
terminologiques visent précisément à éviter. Dans l'exemple qui vient d'être
traité, le critère de la relation d'à propos utilisé seul pourrait conduire à l'inter-
prétation selon laquelle Michelle Maurois affirme, à propos de la vie littéraire
de son père, qu'elle croit qu'il a été heureux (et pas malheureux). Or, une telle
interprétation - possible dans l'absolu - est peu pertinente (au sens de Sperber
& Wilson 1986) dans ce contexte particulier, car l'information « il a été heu-
reux» est déjà rendue active par l'acte précédent (par moments e certainement
il a il a été heureux). Pour en rendre compte, il est nécessaire de s'appuyer éga-
lement sur les facteurs de l'identifiabilité et de l'état d'activation.

Après avoir tenté de préciser la notion de topique en la situant par rapport aux
points d'ancrage d'arrière-fond et en recourant aux définitions proposées par
Lambrecht (1994), j'aimerais brièvement évoquer un autre élément central
chez Lambrecht, à savoir la nature nécessairement référentielle du topique 31 .
Lambrecht distingue en effet rigoureusement les référents 32 - représentations

31. Comme le relèvent à juste titre Combettes (1998a : 139-140) et Prévost (1998 : 22), il s'agit
là d'une problématique particulièrement complexe que je ne ferai qu'esquisser. Cf. aussi
Lôtscher (1992).
32. Dans ce cadre, le tenne de « référent» renvoie à la représentation mentale du référent
(Lambrecht 1994 : 74). Lambrecht utilise également le tenne de « proposition» pour dési-
gner les situations, états ou événements dénotés par les propositions (1994 : 53 ; 347, note
1). J'adopte également ces conventions.

94
Hypothèses de travail

mentales concernées par les catégories de l'identifiabilité et de l'état d'activa-


tion et susceptibles de fonctionner comme topiques - des informations propo-
sitionnelles telles que la présupposition et l'assertion. Pour Lambrecht, on ne
peut pas parler, comme je l'ai fait jusqu'à présent, d'« information» identifia-
ble ou déjà active, car seuls les référents discursifs sont concernés par ces caté-
gories. Ces référents discursifs peuvent être formés soit d'entités, soit de
propositions, dans la mesure où le locuteur peut supposer que celles-ci sont
connues de l'interlocuteur (Lambrecht 1994 : 74). Plus précisément:

Discourse referents are syntactically expressed in ARGUMENT (including adjunct)


categories, such as noun phrases, pronouns, various kinds of tensed or non-tensed
subordinate clauses, and certain adverbial phrases (those that can be said to refer
to the circumstances of a predication). They cannot normally be expressed in phra-
ses which serve as PREDICATES. » (Lambrecht 1994 : 75)

Lambrecht justifie cette distinction en soulignant que les prédicats ne peuvent


jouer le rôle d'argument dans une phrase finie sans être nominalisés, comme le
montre le caractère inacceptable d'un exemple tel que:

(2.23) * Went to the movies yesterday was a mistake (Lambrecht 1994)


Les propositions de Lambrecht me paraissent intéressantes pour l'analyse de la
structure informationnelle de l'énoncé, où l'on ne rencontre le plus souvent pas
de topique dénoté par un prédicat qui n'est pas en position d'argument. Il con-
vient toutefois de préciser que les catégories de l'identifiabilité et de l'état
d'activation peuvent probablement aussi être appliquées aux prédicats, même
si ceux-ci sont, d'après Chafe, moins persistants dans la conscience:

Whereas events and states are activated transiently, many referents remain active
for longer periods than any of the events or states in which they participate. (Chafe
1994: 68)

De plus, Lambrecht reconnaît lui-même que la restriction du topique aux réfé-


rents rend problématique le traitement d'un exemple comme:

(2.24)
Est-ce qu'il est intelligent?
Ça il l' est (Lambrecht 1994)

où les pronoms ça et l' renvoient au prédicat « intelligent ». Les structures cli-


vées peuvent être considérées comme une autre exception. Par exemple,
dans 2.25 :

(2.25) c'est le commissaire Maigret qui parle (Apostrophes)

95
L'organisation informationnelle

le topique paraît pouvoir être interprété comme étant formé par la proposition
ouverte activée par la deuxième partie de la clivée, à savoir « quelqu'un par-
le ». Pour en rendre compte, il est possible de décrire cette proposition comme
un « référent propositionnel », mais cet usage terminologique ne peut manquer
d'atténuer la différence entre référent et proposition33 . En outre, ces excep-
tions, encore limitées si l'on travaille dans le cadre de l'énoncé, deviennent
plus nombreuses lorsque l'on s'intéresse au topique conçu comme un point
d'ancrage. Par exemple, dans 2.20 :

(2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d'être heureux
vous pensez qu'ill'[heureux] a été
MM : par moments e certainement il a il a été heureux
j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies

tous les topiques peuvent être considérés comme étant de nature prédicative.
Pour ces différentes raisons, je ne suivrai pas Lambrecht sur ce point et n'asso-
cierai pas systématiquement le topique à un référent.

En résumé, le topique peut être défini de la manière suivante:

Le topique se définit comme une information (un référent ou un prédicat) identi-


fiable et présente à la conscience des interlocuteurs, qui constitue, pour chaque
acte, l'information la plus immédiatement pertinente liée par une relation d'à pro-
pos avec l'information activée par cet acte.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les notions d'identifiabilité et d'ac-
tivation se définissent toujours par rapport à un acte de communication effectif.
Est identifiable (ou déjà active34) une information que le locuteur suppose être
identifiable (ou active) chez son interlocuteur et qu'il présente comme telle.

2.2.2 Le propos (l'objet de discours)


J'ai relevé dans le premier chapitre (1.3.3) que le terme d'« objet de discours»
est insatisfaisant, car il renvoie à la fois à l'information activée par un acte et
aux traces linguistiques de cette information. Or, ce que l'on veut décrire par

33. À cela s'ajoute le fait qu'un tel usage rend problématique, comme me l'a fait remarquer
Lambrecht, l'emploi de la notion d'« expression référentielle ».
34. Le terme est compris ici dans le sens de Chafe (1994) et Lambrecht (1994); il faudrait par-
ler d'information « semi-active » dans la perspective de Roulet (1996).

96
Hypothèses de travail

cette notion, c'est avant tout l'infonnation nouvellement activée par un acte.
Par exemple, pour 2.26 :

(2.26) vous pensez qu'il l'a été

il paraît plus intéressant de rendre compte de l'infonnation activée par l'en-


semble de l'acte que des éléments linguistiques qui ne renvoient pas à des
points d'ancrage, à savoir: pensez qu ' ... a étë 5•

De plus, le tenne d'« objet de discours» me paraît mal choisi, parce qu'il ren-
voie habituellement à des entités discursives sémantico-référentielles qui ne
sont pas liées à l'unité de l'acte36 . En revanche, l'infonnation appelée «objet
de discours» dans l'organisation infonnationnelle est intrinsèquement liée à
l'unité de l'acte, qui lui confère son unité: comme l'acte est borné par des pha-
ses de stockage des infonnations en mémoire discursive, on peut dire que ce
sont ces passages par la mémoire discursive qui confèrent son unité à l'objet de
discours.

Renoncer à l'usage du tenne d'« objet de discours» implique de choisir un


autre tenne plus adéquat. Or, rien ne paraît moins évident, puisque la plupart
des tennes disponibles sont déjà liés à des définitions différentes et divergentes
qui risquent d'engendrer de nouvelles confusions. Par exemple, le tenne de
« commentaire », souvent associé à celui de topique dans la littérature anglo-
saxonne (topic-comment), désigne dans le modèle genevois une fonction inte-
ractive caractérisant des constituants subordonnés. Il en va de même pour le
tenne d'« assertion (pragmatique) », utilisé par Lambrecht, qui décrit habituel-
lement un acte illocutionnaire. Je me rabattrai donc, à défaut d'une autre solu-
tion plus satisfaisante, sur le tenne de propos, introduit par Bally 37, qui
présente l'avantage de rendre compte de la relation liant le propos au topique :
le propos peut être défini comme étant « ce que l'on dit» concernant le topi-
que, le topique et le propos étant complémentaires et se définissant mutuelle-
ment.

Il est possible de préciser la notion de propos en recourant une fois de plus aux
propositions de Lambrecht (1994), car le propos peut être considéré comme
l'équivalent de 1'« assertion pragmatique ». Celle-ci est chez Lambrecht oppo-
sée à la présupposition pragmatique et définie de la manière suivante :

35. Il faudrait de plus déterminer si la marque de la deuxième personne portée par le verbe ne
peut pas être considérée comme la trace d'un point d'ancrage formé par l'interlocuteur.
36. Voir la définition de Mondada (1994) et les autres références citées en note dans le chapitre
précédent (1.1.4).
37. La définition du propos de Bally (1965 [1932]) est citée en 1.1.2.2.

97
l' organ isation information nelle

PRAGMATIC ASSERTION: The proposition expressed by a sentence which the hea-


rer is expected to know or take for granted as a result of hearing the sentence utte-
red. (Lambrecht 1994 : 52)

Le propos, comme l'assertion, peut être considéré comme une proposition. Il


se distingue donc des éléments informatifs que l'on peut percevoir dans un
acte comme:

(2.27) le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d'être heureux

où différents éléments sont évoqués: le « philosophe Alain », « André Mau-


rois» à qui renvoie le pronom lui, le « devoir d'être heureux ». Ceux-ci peu-
vent être classés en fonction de leur statut informationnel donné (lui), inférable
(le philosophe Alain) ou nouveau (avait enseigné le devoir d'être heureux),
comme le montrent Kotschi (1996) et Schwitalla (1997), qui s'inspirent eux-
mêmes de propositions de Chafe (1994). Le propos peut quant à lui être défini
comme une proposition qui intègre ces différents éléments et dont la connais-
sance peut être considérée comme étant le résultat de la compréhension (ou
l'interprétation) de l'acte.

De même que l'assertion, le propos n'est généralement pas uniquement consti-


tué d'éléments informatifs entièrement nouveaux, car il s'agit d'une entité re-
lationnelle :

To make an assertion is to establish a RELATION between a presupposed set ofpro-


positions (which, as we shaH see, may be empty) and a non-presupposed proposi-
tion, the latter being in sorne sense added to, or superimposed on, the former. The
assertion is therefore not to be seen as the utterance « minus the presupposition»
but rather as a combination oftwo sets of propositions. (Lambrecht 1994: 57-58)

En suivant Lambrecht, la nouveauté du propos ne tient pas tant à la nouveauté


de l'information considérée pour elle-même qu'à l'existence d'une nouvelle
relation que l'information activée entretient avec les informations données
existantes 38 . Par exemple, dans le dernier acte de 2.28 :

(2.28)
GS: oui. c'est peut-être pour ça que quelquefois. je parle trop fort et j'élève trop
fort la voix / c'est comme tous les timides / on a des moments. où on
explose / euh :
BP: vous avez des colères de temps en temps \\ (Apostrophes)

38. Cette idée est déjà présente chez Danes (1974), comme je l'ai relevé dans le chapitre précé-
dent (1.3.1).

98
Hypothèses de travail

B. Pivot active une infonnation, par vous avez des colères de temps en temps,
qui venait d'être activée par G. Simenon sous une fonne très proche (quelque-
fois je parle trop fort et j'élève trop fort la voix, on a des moments où on explo-
se). Le propos du dernier acte ne peut être considéré comme entièrement
nouveau en lui-même, mais il tire sa nouveauté de la relation qui le lie avec
l'intervention qui précède39 .

Les observations effectuées ci-dessus peuvent être résumées dans la définition


suivante:

Le propos se définit comme la proposition activée par un acte et dont la connais-


sance peut être considérée comme étant le résultat de la compréhension de l'acte.
La nouveauté de cette proposition résulte de sa relation avec les informations don-
nées par le contexte.

Pour conclure, j'aimerais préciser que le propos, tel qu'il vient d'être défini, ne
rend pas compte de la structure infonnationnelle interne de l'acte qui com-
prend entre autres les phénomènes de mise en relief marqués par la syntaxe ou
par l'accentuation prosodique. Pour les traiter, il convient de recourir à la no-
tion de « focus », qui renvoie selon Lambrecht à l'élément par lequell'asser-
tion diffère de la présupposition (Lambrecht 1994: 213). Cependant, comme
la notion de focus n'est pas directement liée à la problématique de l'identifica-
tion du topique qui m'intéresse, je ne m'y attarderai pas ici4o .

2.3 La continuité et la progression informationnelles

Après avoir précisé les définitions de l'acte, du topique et du propos, j' aime-
rais montrer comment ces notions se combinent dans l'établissement de la con-
tinuité infonnationnelle, avant de décrire les différentes origines possibles du
topique et de revenir sur la question des différents types de progressions infor-
mationnelles.

2.3.1 L'établissement de la continuité informationnelle


Considérée d'une manière très générale, la continuité infonnationnelle résulte
d'un processus réalisé en deux temps. Ce processus apparaît distinctement

39. Ce propos, qui remplit une fonction de demande de confirmation, est en partie implicite, car
la question (est-ce que ... ) n'est pas marquée linguistiquement.
40. Pour une étude approfondie de la notion de focus, je renvoie au cinquième chapitre de Lam-
brecht (1994), qui en propose un traitement très intéressant.

99
L'organisation informationnelle

dans le principe de la séparation de la référence et du rôle (PSRR) mis en évi-


dence par Lambrecht :

Do not introduce a referent and talk about it in the same clause. (Lambrecht 1994 :
185)

Vidée centrale d'un tel principe est qu'il faut d'abord introduire une entité
pour pouvoir ensuite l'utiliser comme topique. C'est de ces deux étapes que ré-
sulte la continuité informationnelle. En s'appuyant sur ce principe ainsi que sur
les notions qui viennent d'être présentées, la continuité informationnelle
peut être représentée par le schéma suivant41. Celui-ci est illustré par
l'exemple 2.19:

(2.19) vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant

" ... -,
" ,.
, • 4-- memOIre
" "1 discursive

".
,

situation • ,'I

\ ,
\
, /
,
"
ce qui me paraît surprenant
texte {
acte 2

Figure 2.3. La continuité informationnelle

Chaque acte active un propos qui incrémente la mémoire discursive, ce que re-
présente la flèche qui part de l'acte 1 sur le schéma. Certains référents peuvent
être introduits par la situation, comme c'est le cas par exemple pour les interlo-
cuteurs du dialogue, auxquels renvoient les pronoms de première et deuxième
personne. La mémoire discursive contient les informations disponibles (les
points d ' ancrage) sur lesquelles l'acte ultérieur peut enchaîner; chaque acte
sélectionne rétroactivement un topique parmi ces points d'ancrage. Pour le
deuxième acte de l'exemple 2.19, les points d'ancrage disponibles sont formés
par les « interlocuteurs» et la « timidité de Simenon », à quoi s'ajoutent des
informations accessibles par la situation ou parce qu'elles ont été évoquées an-
térieurement. Parmi ces points d'ancrage, la « timidité de Simenon» paraît

41. Pour une représentation schématique légèrement différente de la structure informationnelle,


cf. Roulet (1996: 19).

100
Hypothèses de travail

être le topique le plus directement accessible et pertinent sur lequel porte le


propoS42.

2.3.2 Les différentes origines possibles du topique


Dans cette approche, le topique n'est jamais défini à l'avance. Il peut avoir des
origines diverses, qui correspondent à différentes formes de continuité infor-
mationnelle.

2.3.2.1 Le topique issu du propos activé par l'acte qui précède


Comme c'est le cas pour l'exemple 2.19, le topique est le plus souvent issu du
propos activé par l'acte qui précède. Dans cette situation, un même propos
peut donner lieu, pour l'acte ultérieur, à un grand nombre de topiques possi-
bles. Par exemple:

(2.29)
as: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ seulement m'humiliait / (Apostrophes)

Le propos activé par par conséquent aucune femme n'a jamais autant été:
autant trompée de sa vie est complexe. Le topique de l'acte suivant, verbalisé
par le pronom ça, est formé par un élément extrait de ce propos, c'est-à-dire
par le « fait que G. Simenon a trompé sa femme ». Mais G. Simenon aurait pu
enchaîner sur d'autres topiques formés, par exemple, par sa femme:

(2.30)
as: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ elle a énormément souffert

par l'acte de dire :

(2.31)
as: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ je ne vous choque pas en disant cela

ou encore par un référent issu de propos antérieurs, comme « Teresa )) dont il a


déjà été question:

42. Cette conception de la continuité informationnelle n'est pas très éloignée de celle de la
théorie du centrage, qui s'appuie sur la notion de« centre rétroactif». Toutefois, cette théo-
rie vise également à prédire le centre rétroactif de l'énoncé ultérieur à l'aide de la hiérarchie
des «centres anticipateurs »(d'après la traduction de Cornish 2000).

101
L'organisation informationnelle

(2.32)
GS: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ mais Teresa n'a jamais eu à se plaindre

De plus, le topique n'est pas nécessairement issu du propos qui précède. Il con-
vient donc d'examiner les autres origines possibles du topique.

2.3.2.2 Le topique issu de la situation


Ainsi que je l'ai déjà relevé plusieurs fois, le topique peut avoir sa source dans
la situation. Ce type de topique intervient en particulier dans des segments dis-
cursifs qui, sans manifester par ailleurs de liens textuels, ne soulèvent aucun
problème de compréhension pour les interlocuteurs. Par exemple, lorsque
quelqu'un s'interrompt au milieu d'une discussion parce que le chat vient de
lui sauter sur les genoux:

(2.33)
X: Françoise va se marier avec ...
[saut du chat sur les genoux]
!! ne se gêne pas !

Le topique du second acte peut être interprété comme étant le « chat» qui
vient de sauter sur les genoux du locuteur et auquel renvoie le pronom il: mal-
gré la rupture informationnelle apparente, il y a continuité si l'on prend en
compte la situation et les informations qui peuvent en être issues. De manière
similaire, les débuts de dialogues s'ancrent généralement, en l'absence de texte
antérieur, sur une information issue de la situation d'interaction. Par exemple,
quelqu'un frappe à la porte, et la personne qui se trouve à l'intérieur l'invite à
entrer:

(2.34)
[bruit: on frappe]
X: entrez!

L'invitation à entrer n'est pas issue du vide, mais elle s'ancre sur le fait que
quelqu'un vient de frapper43 .

Différents types de points d'ancrage situationnels peuvent être distingués. Les


interlocuteurs, auxquels renvoient les pronoms de première et deuxième per-
sonnes (je, tu, vous, etc.), fonctionnent fréquemment comme des topiques

43. Évoquant le topique d'une exclamation comme Quelle horreur J, Bally (1965 [1932]) se ré-
fère à ce type de topique (cf. 1.3.1).

102
Hypothèses de travail

situationnels. L'interaction fournit également des topiques, auxquels renvoient


des marqueurs phatiques :

Les marqueurs phatiques expriment un ancrage sur la relation d'interaction, un


appel à l'acte conversationnel; ils renvoient à une série d'actes où les énonciateurs
se signifient explicitement qu'ils veulent entrer en communication; ils sont du
type : eh, écoute, dis, dis donc, alors, alors ben ... (Berthoud 1996 : 45)

La source d'un point d'ancrage situationnel peut également être formée par un
élément issu du cadre spatio-temporel de l'interaction, tel que le lieu (ici), le
moment (maintenant), etc.

Ces différents points d'ancrage issus de la situation se retrouvent dans 2.35 qui
est issu d'un dialogue en librairie. La cliente (C) y montre au libraire une liste
de titres que son amie aimerait commander:

(2.35)
C33 : Lai trouvé par exemple regardez
L34: ouais
C35 : k vais vous montrer. ce qu'elle .m'a dit. <parle à voix basse pour elle>
qu'est-ce qu'elle m'a (XX).li: cherche depuis c'matin j'ai une crampe à la
jambe.li: : . <plus fort> elle a déchiré même d'un des livres qu'elle a
L36: ouais
C37: elle .m'a écrit ici elle a elle a elle veut celui-là. alors après ici elle a
celui-là
L38 : f'est en français
C39 : oui c'est elle a coupé d'une: d'un livre d'Harlequin
L40: on peut commander (Harlequin)

Les pronoms personnels (je, vous) renvoient aux interlocuteurs, le verbe regar-
der, qui semble ici avoir un rôle phatique car la cliente n'a manifestement pas
encore sorti la liste qu'elle aimerait montrer, ainsi que les pronoms démonstra-
tifs (ça, c') et l'adverbe ici renvoient à la situation de l'interaction44 •

Le cadre spatio-temporel, les interlocuteurs et l'interaction elle-même consti-


tuent des points d'ancrage disponibles tout au long de l'interaction. À ce titre,
il s'agit souvent d'informations fonctionnant comme des points d'ancrage
d'arrière-fond, mais elles peuvent en tout temps être mobilisées en tant que to-
piques. Il convient de préciser que si de tels topiques sont fréquents dans les
dialogues s'inscrivant dans le cadre d'interactions finalisées, comme c'est le

44. Pour la description de ces formes à l'aide de la notion de symbole indexical, cf. Kleiber
(l986c, 1993, 1995b, 1997a).

103
L'organisation informationnelle

cas dans les dialogues en librairie (cf. exemple 2.35), ils sont beaucoup plus ra-
res dans les dialogues et entretiens médiatiques de mon COrpUS45 .

2.3.2.3 Le topique métadiscursif


Le topique peut avoir sa source dans le contenu du discours (le dit) ou dans le
discours lui-même (le dire). Même si l'étude du premier type de topique est
souvent privilégiée, les topiques métadiscursifs constituent une ressource fré-
quemment exploitée dans les dialogues oraux, comme le souligne Berthoud
(1996, 1999), et également dans les textes écrits (Velcic-Canivez 1999). Ils
peuvent apparaître de manière cumulée, comme dans l'exemple suivant:

(2.36)
X: À propos / pour en revenir à ce qu'on disait hier / je voulais te demander / il
est revenu ton fils ? (Berthoud 1996 : 49)

Berthoud analyse ces différents segments comme des marqueurs préliminaires


métadiscursifs. Ces marqueurs s'ancrent sur des topiques issus du discours lui-
même, ce qui apparaît plus clairement si on les explicite entre parenthèses:

(2.36')
X: (notre discussion) À propos / (à propos) pour en revenir à ce qu'on disait
hier / (pour en revenir à ce qu'on disait. .. ) je voulais te demander / (je vou-
lais te demander) il est revenu ton fils ?

Dans cet exemple, les topiques métadiscursifs sont régulièrement issus des
propos, eux-mêmes métadiscursifs, qui les précèdent. Ces topiques, bien qu'ils
puissent tous globalement être qualifiés de métadiscursifs, relèvent de diffé-
rentes sous-catégories mises en évidence par Berthoud (1996: 46ss.). Ainsi,
une expression comme « à propos» manifeste un ancrage sur le fait même de
prendre la parole, soit « l'acte de dire». L'ancrage sur l'information activée
parje voulais te demander porte sur le type d'acte illocutoire que l'on va réali-
ser en prenant la parole: Berthoud le décrit comme un ancrage « sur le
de dire ». Le topique « pour en revenir à ce qu'on disait hier» peut quant à lui
être décrit comme impliquant « le dire conçu comme un parcours».

45. Cette différence tient non pas au caractère médiatique de ces interactions, mais plutôt à leur
structure praxéologique peu marquée. La situation est très différente dans d'autres types
d'interactions médiatiques, comme les jeux télévisés, dont la structure praxéologique et in-
teractionnelle sous-tend directement l'organisation informationnelle (Linell & Korolija
1997).

104
Hypothèses de travail

Le recours à ces topiques métadiscursifs constitue, comme le souligne Ber-


thoud (1996), un moyen privilégié pour ménager un changement de sujet qui
pourrait sinon être perçu comme une rupture. Auchlin relève quant à lui que le
dire fournit également une ressource lorsque ni le texte, ni la situation n'ont
activé d'information susceptible d'être interprétée comme un topique:

[Le fait même de parler] constitue un domaine thématique à la fois fréquemment


exploité dans les enchaînements, argumentativement puissant (les prédicats qu'on
lui associe orientent généralement vers des conclusions du type « j'ai raison»),
mais qui semble d'un accès beaucoup moins direct que des domaines thématiques
à référence extra-discursive; on y accède généralement par défaut de thème com-
mun. (Auchlin 1986 : 183)

Il convient toutefois de préciser que de tels enchaînements peuvent se trouver


parfois à la limite de l'interprétabilité lorsqu'ils ne sont pas explicitement mar-
qués 46 .

2.3.2.4 Les ruptures informationnelles


Il reste à préciser que la continuité informationnelle implique que le topique
soit disponible en mémoire discursive. Lorsque ce n'est pas le cas, on observe
une rupture, comme dans l'exemple 2.37 :

(2.37) ? Ce matin à cinq heures j'ai pris le train. Selle de cheval.

En dehors de tout contexte, cet exemple est très difficile, voire impossible à in-
terpréter, car le topique du propos activé par selle de cheval ne peut être récu-
péré à partir du premier acte. En revanche, dans la comptine bien connue:

(2.38) marabout / bout de ficelle / selle de cheval/etc.

les topiques, atypiques, sont issus du signifiant des éléments finaux activant le
propos. De tels topiques ne seraient pas interprétables dans toutes les situa-
tions, mais tout porte à croire que, en particulier dans les textes dont le caractère
autotélique est fortement marqué, tels que les poèmes, les publicités ou les
comptines, le signifiant est une information aussi disponible qu'une autre en
mémoire discursive.

46. Auchlin propose un exemple tiré des chroniques de « Monsieur Météo» de Libération:
« Après un premier paragraphe [ ... ] qui se termine par : Nous deviendrons tous homos, et le
ML.F. périra par extinction, dites, ça en vaut la peine. le paragraphe suivant enchaîne ain-
si: Mais le temps, lui, ne vaut pas un clou. » (1986: 183). Si j'ai bien compris l'analyse
d'Auchlin, le seul topique accessible pour le début du deuxième paragraphe est formé par le
« fait de parler ».

105
L'organisation informationnelle

2.3.3 Typologie des progressions informationnelles


Après avoir précisé le mode de l'établissement de la continuité informationnelle
et les différentes origines possibles du topique, j'aimerais revenir sur l'étude
des progressions thématiques de Danes (1974), de manière à la rendre à la fois
compatible avec le présent cadre théorique et plus générale.

2.3.3.1 Les progressions linéaire et à topique constant


Les progressions linéaire et à topique constant sont évoquées d'une manière ou
d'une autre dans tous les modèles qui décrivent l'organisation informationnel-
le du discours, et cela, indépendamment du cadre théorique adopté: elles sont
distinguées par Danes (1974), et elles se retrouvent par exemple chez Maynard
(1986), Keenan & Schieffelin (1976) et Crow (1983)47. Cette récurrence té-
moigne, me semble-t-il, de la grande généralité de ces progressions informa-
tionnelles.

La progression linéaire, dans laquelle le topique est issu d'une information qui
vient d'être activée, est la progression informationnelle la plus fréquente. Elle
peut impliquer un topique explicite, comme dans l'exemple 2.19 :

(2.19) vous êtes timide / ce [votre timidité] qui me paraît surprenant

où le topique (<< la timidité de Simenon ») est explicité par le pronom ce. De


plus, la progression linéaire intervient fréquemment en l'absence de toute tra-
ce, comme dans l'exemple 2.39 :

(2.39)
MM :j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies

où le topique du second propos est implicitement issu de l'information activée


par le premier acte.

La progression à topique constant implique quant à elle un topique identique à


celui du propos précédent. Par exemple:

(2.40)
BP: vous êtes romantique / vous êtes naïf / vous êtes timide

47. Cf. le chapitre précédent (points 1.3.1. et 1.3.2).

106
Hypothèses de travail

Dans cet exemple, la répétition de vous êtes renvoie à un topique formé par la
proposition ouverte «vous êtes X» (Lambrecht & Michaelis 1998), que l'on
peut paraphraser par le « caractère de Simenon »48 ; il peut être interprété com-
me le topique constant de ce passage. Contrairement à la progression linéaire,
la progression à topique constant implique généralement un topique verbalisé
par un pronom ou une reprise lexicale.

Ces deux progressions informationnelles sont générales et simples. Elles peu-


vent faire l'objet de variantes en fonction d'une éventuelle origine situation-
nelle ou métadiscursive du topique (cf. 2.3.2). Elles peuvent également être
utilisées pour décrire ce que j'appellerai une «progression à topiques déri-
vés », par analogie avec la« progression à thèmes dérivés» de Danes (1974).

2.3.3.2 la progression à topiques dérivés


J'aimerais défendre l'hypothèse, en m'appuyant en particulier sur les proposi-
tions de Dubois (1987), que la progression à topiques dérivés peut être consi-
dérée comme une variante des progressions linéaire et à topique constant49 .
Cette hypothèse se justifie par la similitude existant entre la progression à topi-
ques dérivés et la « variante» décrite par Danes (1974), qui implique deux élé-
ments issus d'un rhème (cf. 1.3.1). En effet, la seule différence entre la
progression à topiques dérivés et la variante de Danes réside dans le statut in-
formationnel de 1'« hypertopique »50. Dans la progression à topiques dérivés
«classique », telle qu'elle est illustrée par 2.41 :

(2.41) Les touaregs sont un peuple fier et belliqueux. [ ... ] Les hommes et les jeu-
nes gens s'occupent des troupeaux; les femmes et les jeunes filles ramas-
sent le bois, font la cuisine, filent la laine, tannent et teignent le cuir, et
prennent soin des enfants. (Combettes & Tomassone 1988)

l 'hypertopique (les « touaregs»), verbalisé par une expression définie, occupe


la position de sujet et constitue par là même le « point de départ» de l'énoncé:
il peut être considéré comme le topique de l'acte dans lequel il s'inscrit. Dans
la variante de Danes (1974), l'hypertopique se trouve intégré au propos, com-
me c'est le cas dans 2.42 :

48. La paraphrase exacte par laquelle le topique est désigné ne joue pas un rôle décisif. Il n'est
pas inutile de préciser que le pronom vous renvoie à la fois à une partie du topique (raison
pour laquelle il est transcrit en gras) et à un point d'ancrage d'arrière-fond: « Simenon».
49. Pour une discussion plus détaillée de la progression à topiques dérivés et du rôle qu'y joue
la relation partie-tout, cf. Grobet (2000a).
50. Ou 1'« hyperthème», selon la terminologie traditionnelle.

107
L'organisation informationnelle

(2.42) Le regard d'Hastings caresse le drakkar avec orgueil. De la poupe à la


proue, les planches des bordages s'étirent en courbes élégantes comme des
lames d'arcs ... Le mât ... s'implante dans un gros bloc de bois d'orme .. .
Les haubans en peau de phoque vibrent ... Dans la partie médiane, ... ,
s'entassent les armes, les vivres, les boucliers jaunes et noirs et les outres à
eau. (Combettes et Tomassone 1988)

L'hypertopique (le «drakkar») constitue une information présentée comme


identifiable par l'article défini, mais située dans une position postverbale qui
est plutôt l'indice d'une information nouvellement activée 5 !. Une troisième va-
riante implique, comme le relèvent Combettes & Tomassone (1988), un hyper-
topique implicite52 • C'est le cas par exemple lorsqu'il y a succession
chronologique:

(2.43) Au cours du 1er siècle ap. J. c., un grec nommé Diogène écrit« Le périple
de la mer d'Etyrée », ...
Quelques siècles plus tard, les commerçants arabes et leurs scribes font
allusion aux activités qu'ils ont avec les habitants noirs du littoral. À partir
du IX e s., se produit de leur part une forte immigration ... (Combettes et
Tomassone 1988)

L'hypertopique est ici une entité abstraite, aux contours plutôt indistincts, infé-
rable à partir des topiques dérivés (verbalisés par au cours du r siècle ap. J-
e, quelques siècles plus tard, à partir du IX' s.). Si la principale différence en-
tre la progression à topiques dérivés et ses variantes réside, comme ces exem-
ples le montrent, dans le statut informationnel de l'hypertopique, il paraît
problématique de soutenir que la progression à topiques dérivés serait « pre-
mière» tandis que les autres n'en seraient que des « variantes ». Il me semble
au contraire que ces progressions doivent être situées au même niveau.

Cette proposition est étayée par le fait qu'il est possible d'analyser ces trois
progressions à l'aide des progressions linéaire et à topique constant, pour peu
que l'on tienne compte du fait que la continuité topicale ne repose pas néces-
sairement sur la répétition littérale du topique, mais qu'elle peut impliquer une
relation indirecte. Dubois le rappelle à juste titre :

51. Dans mes exemples, 1'hypertopique est situé avant les sous-topiques. Comme le montrent
les travaux d'Adam (1992) sur la description, l'hypertopique peut également apparaître à la
fin d'une description (Adam parle alors de reformulation).
52. Combettes & Tomassone décrivent la progression à thèmes dérivés de la manière suivante:
« pratiquement, les phrases successibles comportent des thèmes différents, sous-thèmes
d'un hyperthème, qui peut être ou ne pas être explicitement exprimé» (Combettes & To-
massone 1988 : 97).

108
Hypothèses de travail

In his discussion of the hierarchy of giveness, Danes indicates that giveness can be
direct and also indirect (semantic inference or implication) via hyponymy, hypero-
nomy, association, and the like. (Dubois 1987: 108)

On peut alors admettre, à la suite de Dubois (1987: 108ss.), que la progression


à topiques dérivés traditionnelle constitue une variante de la progression à to-
pique constant, reposant non pas sur une relation de coréférence mais sur une
forme de référence indirecte. Cette référence indirecte peut faire intervenir les
acteurs ou les constituants d'une activité (Combettes & Tomassone 1988 : 97),
mais elle repose généralement sur une relation d'inclusion entre un tout et dès
parties 53 • Ainsi, dans l'exemple 2.41, les touaregs active un référent fonction-
nant comme un tout, duquel sont dérivés «les hommes et les jeunes gens »,
ainsi que « les femmes et les jeunes filles ». Dans l'exemple 2.42, le « drak-
kar» constitue le tout auquel appartiennent la «poupe », la «proue », le
«mât », etc. En 2.43, l'hypertopique implicite peut être considéré comme un
tout inféré à partir de l'évocation des périodes successives. Plus précisément, il
semble que l'on a affaire à un type particulier de progression à topique cons-
tant lorsque l'hypertopique a le statut d'un topique (comme les« touaregs» en
2.41 et la« succession chronologique» en 2.43) et de progression linéaire lors-
que l 'hypertopique est constitué par une information activée dans un propos (le
« drakkar» en 2.42).

La description de la relation entre l'hypertopique et les sous-topiques doit être


complétée par la prise en compte de la relation que les sous-topiques peuvent
entretenir entre eux. Par exemple, dans 2.44 :

(2.44) La population réagit de façon très variable: certains demandent qu'on les
photographie ... D'autres acceptent, moyennant un petit cadeau. Enfin,
beaucoup refusent catégoriquement. (Combettes et Tomassone 1988)

Les référents verbalisés par certains54 , d'autres et beaucoup ne sont pas liés
uniquement par leur appartenance à un même tout (l'ensemble de la« popula-
tion »), mais aussi par des relations « horizontales» découlant de la succession
de leurs évocations. Ces relations apparaissent dans l'impossibilité de permu-
ter ces éléments :

(2.44') ? La population réagit de façon très variable: d'autres demandent qu'on


les photographie ... Certains ...

53. Cette description reste volontairement très sommaire. Voir le troisième chapitre (3.1) pour
une description plus détaillée de l'anaphore associative et d'autres références.
54. Kleiber (à paraître) souligne que le pronom indéfini certains a toujours un emploi partitif
(cf. aussi Benninger à paraître).

109
L'organisation informationnelle

Le sous-ensemble désigné par d'autres ne peut être évoqué qu'après la men-


tion d'un autre sous-ensemble de la « population ». Cette impossibilité de per-
mutation témoigne de l'existence d'une relation horizontale entre les différents
sous-topiques, qui se traduit, au niveau informationnel, par une progression li-
néaire.

Ces propositions permettent de rendre compte de manière unitaire de la pro-


gression à topiques dérivés et de ses variantes. Par exemple, en 2.45 :

(2.45)
[contexte: Jérôme Garein présente un film de Xavier Beauvois]
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1 certains qui ado-
rent 1 comme les Cahiers du Cinéma 1 qui parlent d'un grand film euh
intime 1. et à l'opposé. les lnrockuptibles 1. où j'ai pu lire Beauvois n'est
pas doué pour le cinéma 1. et . un grand film bête \\ <rires> (Le Masque et la
Plume)

la structure informationnelle peut être décrite de la manière suivante (sans les


points d'ancrage d'arrière-fond) :

(2.45')
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1
certains [avis très tranchés] qui adorent 1
(certains qui adorent) comme les Cahiers du Cinéma 1
qui [Cahiers du Cinéma] parlent d'un grand film euh intime 1.
(avis très tranchés 1 les Cahiers du Cinéma) et à l'opposé. les lnrockuptibles 1.
où [les Inrockuptibles] j'ai pu lire Beauvois n'est pas doué pour le cinéma 1.
(pas doué pour le Cinéma) et un grand film bête \\

L'hypertopique de cet exemple est formé par les « avis très tranchés dans la
presse cette semaine ». Deux sous-ensembles en sont extraits: le premier, acti-
vé par certains qui adorent, est lié par une progression à topique constant à
l'hypertopique, tandis que le second, activé par et à l'opposé. les Inrockupti-
hIes, enchaîne à la fois par une progression à topique constant sur l'hypertopi-
que (<< avis très tranchés dans la presse cette semaine») et par une progression
linéaire sur les «Cahiers du Cinéma », présentés comme représentatifs de
« ceux qui adorent le film de Xavier Beauvois ».

Cette description permet, me semble-t-il, de rendre compte des différentes pro-


gressions informationnelles de manière simple et homogène. On pourrait lui
reprocher de ne pas montrer ce qui différencie, au niveau informationnel, la
progression à topiques dérivés des autres types de progressions informationnel-
les. À cela je répondrai que la spécificité de la progression à topiques dérivés

110
Hypothèses de travail

ne doit pas être située au niveau de la structure informationnelle, mais plutôt à


celui de la structure conceptuelle (illustrée en 1.3.3), où il est possible de ren-
dre compte de l'arborescence caractérisant cette progression55 .

2.4 L'identification du topique


Après avoir précisé les définitions de l'acte, du topique et du propos, et avoir
montré comment rendre compte de la continuité et de la progression informa-
tionnelles, il est enfin possible de revenir sur la question de l'identification du
topique qui joue un rôle central dans l'organisation informationnelle et topica-
le, mais n'y est pas traitée de manière suffisamment précise. Je me propose de
rappeler les données du problème à l'aide de quelques exemples et d'évoquer
les solutions qui ont été proposées, ce qui me conduira à préciser la démarche
que j'adopterai dans la suite de cette étude.

2.4.1 Le problème de l'identification du topique:


deux exemples
L'identification du topique soulève le problème suivant: alors que dans cer-
tains cas, l'identification intuitive du topique ne pose pas de difficulté particu-
lière, elle s'avère problématique dans d'autres. Par exemple, dans 2.46, le
repérage des topiques paraît évident56 :

(2.46)
JG: un film dont on parle beaucoup cette semaine dans la presse 1
c'[un film] est N'oublie pas que tu vas mourir 1
le film de Xavier Beauvois avec ... 1
et qui [le film] a reçu au Festival de Cannes le prix du: jury Il
l'histoire [du film] est la suivante 1. (Le Masque et la Plume)

Le « film de Xavier Beauvois» constitue un topique constant tout au long de


cet exemple: il est explicité par des pronoms (démonstratif et relatif), par un
syntagme nominal défini, et indirectement, par l'évocation de son « histoire ».
En revanche, dans un exemple comme 2.47, qui suit de peu 2.46 :

(2.47)
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1 certains qui ado-
rent 1 comme Les Cahiers du Cinéma 1 qui parlent d'un grand film euh

55. L'étude de la structure conceptuelle sera approfondie dans le sixième chapitre. Pour une
étude du rôle joué par notamment dans une telle structure, cf. Grobet (à paraître b).
56. Il est intéressant de constater que dans des analyses conduites séparément par E. Roulet,
É. Miche et moi-même, cet exemple a fait l'objet d'une même interprétation.

111
l'organisation informationnelle

intime 1. et à l'opposé. les Inrockuptibles 1. où j'ai pu lire Beauvois n'est


pas doué pour le cinéma 1. et. un grand film bête \\ <rires> alors je précise
que ce ne sont pas des lignes de Serge Kaganski 1 mais d'un de ses confrères
et camarade de des Inrockuptibles 1 mais. <acc.> (X) c'est vrai que les avis.
cette semaine 1j'ai lu à peu près tous les quotidiens et tous les hebdos 1 sont 1
. on peut dire 1 diamétralement opposés sur ce film comme ça a été un peu
le cas au Festival de Cannes 1. euh: y a pas de. y a pas de juste milieu 1
<acc.> -+ alors. est-ce que tu partages en tout cas la sévérité de ton: con-
frère des lnrock euh : Serge Il (Le Masque et la Plume)

il me semble particulièrement difficile de déterminer le topique de la question


fmale de J. Garein: cette question a-t-elle pour topique la « sévérité du confrè-
re»? le «journaliste Serge» à qui elle s'adresse? le« film»? Tous ces réfé-
rents sont accessibles et, qui plus est, explicités par des pronoms et expressions
lexicales qui en font des topiques possibles. Dans une telle situation, il paraît
problématique de décider lequel (ou lesquels) d'entre eux est le plus immédia-
tement pertinent et, par là même, le meilleur candidat.

2.4.2 Les réponses proposées pour identifier le topique


Différentes réponses ont été proposées pour résoudre la question de l'identifi-
cation du topique. La première, déjà évoquée plus haut (1.3.3), est celle de
l'approche intuitive (adoptée entre autres par Brown & Yule 1983 et Auchlin
1986-87). Mais s'il est évident que l'intuition joue un rôle important dans
l'identification du topique, se contenter d'y faire appel ne suffit ni à expliquer,
ni à justifier l'analyse de la structure informationnelle, et, de ce fait, ne peut
être considéré comme une solution satisfaisante. D'autres réponses ont été pro-
posées, à savoir les manipulations formelles (l'interrogation, la négation et la
reformulation), la prise en compte de l'intonation, et enfin, dans le cadre du
modèle genevois, l'étude de l'organisation inférentielle. Leur survol permettra
de préciser leurs apports respectifs et leurs limites.

2.4.2.1 L'interrogation, la négation et la reformulation

Pour rendre l'identification du topique (ou du propos) plus objective, de nom-


breux linguistes recourent à des tests tels que l'interrogation, la négation et la
reformulation57 • Je les rappellerai brièvement en mentionnant les problèmes
qui leur sont attachés.

57. Ces tests sont utilisés et/ou critiqués par un grand nombre d'auteurs, parmi lesquels Danes
(1974), Dressler (1974), CombeUes (1983), Rothenberg (1989: 148), Galmiche (1992),
Kleiber (1994a : 114), Tschida (1995).

112
Hypothèses de travail

Le test de l'interrogation, utilisé par exemple par Danes (1974 : 114-115), re-
pose sur l 'hypothèse que pour chaque phrase assertive, au moins une question
peut être posée58 : l'élément rhématique de la phrase correspond à l'élément
appelé par le mot interrogatif9. Par exemple, une phrase comme:

(2.48) Paul s'est entraîné pour les Jeux Olympiques l'été dernier à Grenoble.
(Rothenberg 1989)

répond, pour Rothenberg (1989: 148) à la question« Où Paul s'est-il entraîné


pour les Jeux Olympiques l'été dernier? ».

Ce test a fait l'objet de plusieurs critiques qui montrent ses limites. Dressler
(1974 : 92) souligne par exemple que tous les énoncés ne sont pas nécessaire-
ment des réponses à des questions 6o . De plus, le genre de dialogue émergeant
de ces couples de questions-réponses est difficile à attester dans la réalité,
comme le relève également Galmiche (1992: 8). Par exemple, un dialogue
comme:

(2.49)
X : Qui a cassé cet ordinateur ?
Y: C'est Francis qui a cassé cet ordinateur

paraît très peu naturel ; la réponse attendue serait plutôt:

Y' : (C'est) Francis

La validité de ce test est aussi limitée structurellement, par le fait qu'il n'est
pas possible d'interroger tous les éléments d'une proposition (verbes, éléments
contenus dans les subordonnées) (Tschida 1995 : 78). Enfin, ces interrogations
ne paraissent pas tant devoir être considérées comme des indications « objecti-
ves» du topique que comme des (re)constructions du contexte, qui présuppo-
sent déjà un repérage préalable de la structure informationnelle (Tschida
1995 : 79)61.

58. On trouve déjà chez Bally (1965 [1932] : 62) l'idée que« le thème est une sorte de question
dont le propos est la réponse », comme le rappelle Galmiche (1992 : 6).
59. «Generally speaking, we assume that it is possible to assign to any sentence (taken as a
grammatical unit) a set of wh-questions, representing ail possible types of context in which
the given sentence is applicable, and consequently, revealing ail possible FSP-structures
which it can acquire. » (Danes 1974 : 114-115)
60. Cf. aussi Galmiche (1992 : 8).
61. Galmiche observe lui aussi la circularité de la démarche: « Donc le dialogue pertinent est
celui qui révèle la propriété des phrases et il est construit en fonction de la propriété de ces
mêmes phrases. » (1992: 8).

113
L'organisation informationnelle

Un deuxième test souvent évoqué est celui de la négation: il est généralement


admis que le topique est hors de la portée de la négation (Lambrecht 1994 :
154). Rothenberg (1989: 148) propose les exemples suivants:

(2.50) Paul s'est entraîné pour les Jeux Olympiques (et non pas pour la Coupe
Davis).

(2.51) Paul ne s'est pas entraîné pour la Coupe Davis (mais pour les Jeux Olym-
piques).

où la négation de l'énoncé par et non pas ... ou et ne ... pas permet de mettre en
évidence l'élément rhématique. L'utilisation de ce test présuppose toutefois
aussi que l'élément rhématique ait déjà été repéré en fonction du contexte
(Tschida 1995 : 82). À cela s'ajoutent les problèmes liés à la portée de la néga-
tion, qui constituent en eux-mêmes un objet d'étude et qui rendent problémati-
que l'utilisation de ce test (Galmiche 1992 : 9).

L'interrogation et la négation concernent avant tout l'identification de l'élé-


ment rhématique (ou nouveau) et ne sont qu'indirectement utiles pour identi-
fier le topique. Le troisième test concerne quant à lui le topique: il s'agit de la
reformulation à l'aide de structures segmentées éventuellement combinées
avec des marques telles que à propos de, au sujet de, en ce qui concerne ou Je
vous dis, au sujet de X; que P (Combettes 1983 : 45, cité par Tschida 1995 : 82,
Reinhart 1982 citée par Galmiche 1992 : 10)62. Par exemple, pour un énoncé
tel que:

(2.52) Francis a cassé cet ordinateur.

on peut proposer les reformulations suivantes :

(2.53) À propos de cet ordinateur, Francis l'a cassé.

(2.54) À propos de Francis, il a cassé cet ordinateur.

Comme c'était le cas pour les précédents, ce test ne permet pas de déterminer
« objectivement» le topique, mais il permet au mieux d'expliciter une inter-
prétation préalable de la structure informationnelle. Ce type de paraphrase s'ap-
plique de manière privilégiée aux syntagmes nominaux (Galmiche 1992 : 10),

62. Comme celui de la négation, ce test est lié au fait que le topique s'inscrit dans la présuppo-
sition (au sens de Lambrecht), car la reformulation en à propos marque explicitement ce
statut présupposé (Lambrecht 1994: 152).

114
Hypothèses de travail

mais plus difficilement au prédicat. Il est néanmoins possible d'utiliser une pa-
raphrase comme 2.55 :

(2.55) À propos de ce qui a été cassé, Francis a cassé cet ordinateur.

Enfin, il faut souligner que ce test, à la différence des deux précédents, ne per-
met pas uniquement de mettre en évidence un topique verbalisé dans l'énoncé,
mais qu'il peut également expliciter un topique implicite issu du contexte. Par
exemple, si 2.52 s'inscrit dans un contexte conversationnel précis (on parle de
maladresses), le topique implicite peut être celui qui est explicité en 2.56 :

(2.56) À propos de maladresses, Francis a cassé cet ordinateur.

De ces trois tests, c'est donc le dernier qui apparaît comme le plus intéressant
pour identifier le topique, et cela, dans un cadre de référence qui dépasse
l'énoncé. Toutefois, comme les deux précédents, ce test ne doit pas être consi-
déré comme un critère «objectif» permettant d'identifier le topique indépen-
damment du contexte et de la subjectivité de l'interprétant, mais bien plutôt
comme une manipulation heuristique, qui permet au mieux d'expliciter une in-
terprétation intuitive préexistante, voire de comparer deux interprétations dif-
férentes.

2.4.2.2 Le rôle de l'intonation


J'aimerais brièvement évoquer la question de l'intonation, parfois considérée
comme un critère permettant, au même titre que les manipulations qui viennent
d'être évoquées, d'identifier le topique (Tschida 1995). L'existence de rela-
tions entre l'intonation et le marquage de la structure informationnelle est ef-
fectivement largement admise dans les travaux antérieurs (p. ex. Halliday
196763 , Firbas 1992). Cependant, l'évaluation précise du rôle de l'intonation
dans le marquage de la structure informationnelle est loin d'être simple.

Plusieurs travaux portant sur l'intonation relèvent sa fonction informationnelle


(Wunderli et al. 1978, Rossi 1981, 1985, Danon-Boileau et al. 1991, Morel
1992a, Morel & Danon-Boileau 1999). De manière très simplifiée, on peut dire
que pour ces auteurs, la segmentation de la chaîne discursive en unités proso-
diques porteuses d'intonèmes marque la structure informationnelle de l'énon-
cé : le thème se caractérise par un intonème continuatif généralement montant
et le rhème par un intonème conclusif dont la mélodie peut varier.

63. «Infonnation structure is realized phonologically by "tonality", the distribution of the text
into tone groups: one infonnation unit is realized as one tone group. » (Halliday 1967 :
199)

115
L'organisation informationnelle

Danon-Boileau et al. (1991) et Morel (1992a) relèvent que ce rhème peut être
suivi par un segment postrhématique caractérisé par une intonation basse et
plate64 .

L'utilisation de ce genre d'observations dans l'analyse de la structure informa-


tionnelle reste toutefois très problématique. En effet, les auteurs cités s'ap-
puient sur des conceptions du thème et du rhème divergentes, qui sont de plus
généralement associées à des segments de l'énoncé. Elles ne peuvent par con-
séquent pas être directement mises en relation avec les notions que j'utilise,
qui ne correspondent pas nécessairement à des segments linguistiques. Au
mieux, il serait possible de faire l'hypothèse que le marquage prosodique per-
met, dans certains cas impliquant un topique explicite, de marquer la trace lin-
guistique du topique 65 .

En outre, le codage de la structure informationnelle par l'intonation diffère


d'une langue à l'autre; Wunderli et al. (1978) soulignent en particulier que le
placement de l'accent est moins libre en français qu'en allemand ou qu'en an-
glais. Par exemple, une phrase comme :

(2.57) My CAR broke down. 66 (Lambrecht 1994)

se traduira en français non pas par 2.58 :

(2.58) Ma VOITURE est en panne.

mais par 2.59 :

(2.59) C'est ma voiture qui est en panne.

En français, la structure syntaxique clivée exprime l'accentuation que la proso-


die ne pourrait pas exprimer. Ce partage des rôles montre que la prosodie ne
marque pas la structure informationnelle de manière indépendante, mais au
contraire qu'elle interagit en permanence avec les autres dimensions impli-
quées dans la structure informationnelle:

What syntax does not code, prosody does, and what is not coded by prosody may
be expressed by morphology or 1exicon. (Lambrecht 1994 : 31)

64. Selon Danon-Boileau et al. : «l'intonation finale du thème est montante, celle du rhème est
variable, celle du postrhème est basse» (1991 : 115). Rossi (1985) décrit quant à lui le seg-
ment postrhématique comme un thème postposé.
65. Pour une tentative dans ce sens à partir du repérage des marques d'hésitation, voir Grobet
(1 997a):
66. Selon les conventions de Lambrecht, les petites majuscules signalent un accent.

116
Hypothèses de travail

Dans ces conditions, il est difficilement pensable d'utiliser l'intonation comme


un simple « test» pour identifier le topique, car l'intonation apparaît bien plu-
tôt comme un objet d'étude en soi, devant être pris en compte au même titre
que la syntaxe et le lexique. Ceci dit, mon objectif n'étant pas d'accorder la
priorité à l'étude de l'intonation, je me contenterai d'indiquer son traitement
lorsque j'aborderai l'étude des structures syntaxiques.

2.4.2.3 L'organisation inférentielle


Le problème de l'identification du topique reçoit encore une autre réponse
dans le cadre du système d'analyse modulaire du discours genevois. Si Roulet
considère que l'intuition est suffisante pour repérer le topique dans le cadre de
l'organisation informationnelle, il propose de préciser le parcours interprétatif
menant à ce repérage dans le cadre de l'organisation inférentielle. Par cette or-
ganisation, Roulet entend décrire un modèle de l'inférence permettant de relier
prémisses et conclusion:

Selon Sperber & Wilson (cf. Moeschler et al. 1994: 21-26), l'interprétation com-
porte au moins deux étapes: a) l'explicitation de la forme logique (comportant
principalement l'identification des référents) pour aboutir à la forme proposition-
nelle, et b) le mécanisme d'implicitation de la forme propositionnelle pour aboutir
à l'interprétation. Ce dernier mécanisme comporte nécessairement deux entrées,
d'une part la forme propositionnelle de l'énoncé, d'autre part les hypothèses con-
textuelles qu'il faut sélectionner, à l'aide du principe de pertinence, pour aboutir à
l'interprétation. (Roulet 1997c : 166)

Dans ce cadre, l'identification du topique fait intervenir des informations lin-


guistiques et contextuelles. Chaque acte introduit une prémisse de nature lin-
guistique, qui résume des informations syntaxiques et sémantiques. À cette
première prémisse est associée une (ou plusieurs) prémisse(s) de nature réfé-
rentielle, qui conceme(nt) des données contextuelles qui peuvent - mais ne
doivent pas - être appelées par une marque linguistique. La conclusion livre
l'identification du topique. Roulet illustre sa démarche notamment sur un
exemple extrait de Blanche ou l'oubli d'Aragon (Roui et 1997c : 171-172) :

(2.60)
voilà quinze jours que j'ai les places.
prémisse 1 information linguistique: voilà quinze jours que j'ai les places
prémisse 2 information référentielle: Philippe a rappelé à Marie-Noire à
(appelée par les) plusieurs reprises leur projet d'aller
au concert de JH du jeudi 25
conclusion interprétation : c'est l'information concernant les places
pour le concert de JH qui constitue le
point d'ancrage de l'objet de discours
« voilà quinze jours que j'ai»

117
L'organisation informationnelle

Une telle approche présente des avantages théoriques indéniables. Première-


ment, en rattachant l'identification du topique aux mécanismes inférentiels fai-
sant intervenir à la fois des données linguistiques et des données référentielles
(ou pragmatiques), Roulet obtient un mécanisme d'une grande généralité dont
les fondements semblent difficilement contestables. Deuxièmement, d'un
point de vue interne au système d'analyse modulaire du discours, la simplicité
de cette approche de l'inférence la rend compatible avec les exigences du mo-
dèle qui vise à ramener la description de phénomènes complexes à l'étude de
dimensions aussi élémentaires que possibles (Roulet 1997b).

Toutefois, les avantages théoriques de l'organisation inférentielle n'en font pas


pour autant une approche directement utilisable, dans son état actuel, pour étu-
dier l'identification du topique et la structure informationnelle. En effet, le par-
cours inférentiel est décrit uniquement de manière « informelle et indicative»
(Roulet 1997c : 167). Au niveau des prémisses linguistiques, il n'est pas pro-
posé de description précise des structures syntaxiques et sémantiques, auxquel-
les Roulet reconnaît ne pas s'intéresser en tant que telles 67 . Les prémisses
référentielles sont quant à elles hétérogènes et concernent soit des informations
co-textuelles générales, comme dans 2.60, soit des connaissances encyclopédi-
ques générales, soit des informations sur le dernier objet traité (Roulet 1997c :
172). L'origine et le mode d'interaction des prémisses restent assez imprécis:
pour l'exemple 2.60, comment aboutit-on à l'identification du topique formé
par les «places»? Cette interprétation s'explique-t-elle uniquement par la
présence de l'article défini ? Par la structure syntaxique (voici... que ... ) ? Par
les informations référentielles ?

Il apparaît en fin de compte que dans l'organisation inférentielle, l'identifica-


tion du topique est malgré tout effectuée au cas par cas, d'une manière qui res-
te intuitive et difficilement généralisable. Ce flou s'explique probablement par
la visée de ce modèle qui tente de simuler les processus déductifs des interac-
tants, lesquels ne peuvent, dans l'état des recherches, guère être décrits de ma-
nière plus systématique. Toutefois, pour étudier l'identification du topique et le
fonctionnement de la structure informationnelle, il est nécessaire de préciser
1'« input» des entrées linguistiques et référentielles. Ce faisant, il ne s'agit pas,
dans le cadre de cette recherche, de rendre compte des processus inférentiels des
interactants eux-mêmes, mais plutôt de décrire comment, en tant qu'analyste,

67. L'analyse de l'exemple cité s'accompagne néanmoins d'une brève note explicative: « Gro-
bet (1996: 77) rappelle que "dans un SN défini le a pour fonction, d'après Corblin, d'impo-
ser un domaine de référence dont les éléments sont manifestes à l'esprit de l'interlocuteur
(par exemple, lorsqu'ils ont été évoqués antérieurement) et d'en extraire un élément" »
(Roulet 1997c: 171).

118
Hypothèses de travail

je parviens à identifier le (ou les) topique(s), et comment je pourrais expliquer


ce cheminement à des apprenants.

2.4.3 L'identification du topique:


un processus en plusieurs étapes
Cette revue de quelques solutions apportées au problème de l'identification du
topique permet de préciser les hypothèses et objectifs qui sous-tendent ma dé-
marche.

Premièrement, il convient de rappeler le rôle essentiel joué par l'intuition et la


subjectivité de l'analyste dans l'identification du topiquë 8 . En effet, tenter
d'expliciter le processus qui mène à l'identification du topique ne revient pas à
nier le caractère subjectif de cette identification, mais, au contraire, à prendre
appui sur le repérage intuitif qui constitue la base de l'analyse. Dans ce cadre,
les manipulations comme l'interrogation, la négation et la paraphrase consti-
tuent des moyens permettant d'expliciter des interprétations intuitives effec-
tuées à l'appui d'un contexte préexistant. Cependant, à la différence de ceux
qui se contentent d'un tel repérage intuitif du topique, je considère qu'il ne
constitue que le point de départ qui permet, dans un second temps, d'expliciter
les différents éléments qui y interviennent.

J'aimerais deuxièmement souligner que mon objectif est de pouvoir rendre


compte non seulement d'exemples simples et fabriqués, mais surtout d'exem-
ples discursifs attestés saisis dans le cadre de séquences étendues. Pour cela, je
m'appuierai sur un corpus formé d'extraits d'entretiens médiatiques télévisés
(Apostrophes) et radiophoniques (Radioscopie, le Masque et la Plume, Forum,
la Tribune des critiques), auxquels s'ajoutent deux dialogues en librairie (Har-
lequin, Flournoy) ainsi que deux conversations téléphoniques empruntées à
Schmale-Buton & Schmale (1984)69.

68. Auchlin (1996a et b) souligne que la subjectivité est inhérente à l'interprétation du dis-
cours: « Il n'y a pas de discours sans une expérience subjective particulière et originale, qui
est déclenchée, contrainte et alimentée - médiatisée - par un "protocole linguistique pour
de virtuelles expériences subjectives"» (Auchlin 1996a: 335).
69. Une partie des exemples de ce corpus a été utilisée par d'autres linguistes genevois, notam-
ment dans le cadre du projet de recherche, dirigé par Eddy Roulet, sur les interrelations en-
tre les différents plans d'organisation des dialogues dans le cadre d'une approche
modulaire des structures du discours (Burger 1995, 1996 et 1997, Filliettaz 1996, 1999a et
à paraître, Grobet 1996c, 1997a, 1999b et c, 2001b, Miche 1997, Roulet 1991a, 1996,
1999b et c).

119
L'organisation informationnelle

Troisièmement, je me propose de défendre une conception heuristique du topi-


que. En effet, il ne s'agit pas de viser à repérer systématiquement le « bon » to-
pique, car il peut toujours y avoir plusieurs topiques possibles. Mon objectif
est plutôt d'étudier comment les facteurs linguistiques et discursifs interagis-
sent pour guider l'interprétation en la clarifiant ou au contraire, en laissant sub-
sister plusieurs interprétations possibles. Par exemple, pour l'analyse du
topique problématique de la question de 2.47 (alors. est-ce que tu partages en
tout cas la sévérité de ton: confrère des lnrock euh: Serge /1), il me semble
qu'il faut admettre l'existence de plusieurs topiques possibles (la « sévérité du
confrère », « Serge », le « film », etc.). À partir de là, il est intéressant de cher-
cher à expliquer les raisons de cette pluralité de topiques possibles. L'une d'en-
tre elles peut être la présence de nombreuses expressions référentielles
susceptibles de fonctionner comme des traces du topique (tu, la sévérité de ton
confrère des lnrock, Serge). On observe également une rupture prosodique et
textuelle entre la présentation précédente et la question (Filliettaz 1999a), qui
empêche un lien direct entre cette question et le propos qui précède. De plus, le
fait que le « film de Xavier Beauvois» joue un rôle central dans l'intervention
de J. Garcin ne doit probablement pas être négligé. Je me propose donc d'étu-
dier, d'abord isolément puis conjointement, les différents facteurs intervenant
dans l'identification du ou des topique(s).

Plus précisément, j'étudierai, dans la deuxième partie de ce travail, les élé-


ments linguistiques qui verbalisent le topique et conduisent donc de manière
directe à son identification. Parmi ces marques linguistiques du topique, les ex-
pressions référentielles anaphoriques et déictiques, souvent associées aux réfé-
rents accessibles, jouent un rôle de premier plan, et leur étude constituera mon
point de départ 7o • Je me propose ensuite de montrer comment la syntaxe per-
met de lever certaines ambiguïtés laissées ouvertes par les expressions référen-
tielles. Dans la troisième partie, j'approfondirai l'étude de facteurs plus
spécifiquement discursifs pouvant influencer la saillance du topique, à savoir
la structure hiérarchique et relationnelle du discours ainsi que la structure con-
ceptuelle. Ce survol n'épuise naturellement pas les facteurs qui peuvent inter-
venir dans l'identification du topique (il faudrait par exemple prendre en
compte les paramètres liés à la situation d'interaction), mais il traite ceux qui
m'apparaissent comme étant les plus directement utiles pour identifier les topi-
ques des dialogues de mon corpus. Dans la quatrième partie, j'étudierai l'inter-
relation de ces différents facteurs à partir de l'analyse de segments discursifs
étendus.

70. Sans exclure le fait que les connecteurs puissent également, dans certaines situations, parti-
ciper au marquage du topique (Auchlin 1986), je ne les traiterai pas, car leur fonction pre-
mière n'est pas tant d'opérer un renvoi à une information déjà située en mémoire discursive
que de marquer une relation entre l'acte qu'ils introduisent et cette information (Rossari
1996,2000, Grobet 1996a et c, 1999a).

120
Partie Il

LES FACTEURS
LINGUISTIQUES
DE L'IDENTIFICATION .
DU TOPIQUE
Chapitre 3
LES MARQUES LEXICALES DU TOPIQUE

Je me propose d'aborder l'étude du rôle des expressions référentielles dans


l'identification du topique par un bref rappel de deux approches de la référence
et une discussion des relations générales existant entre les expressions référen-
tielles et la structure informationnelle, ce qui me conduira à étudier plus préci-
sément le rôle de certaines expressions référentielles dans le marquage du
topique.

3.1 Approche textuelle et approche cognitive


de la référence

Afin de préciser l'angle d'attaque que j'adopterai pour l'étude des expressions
référentielles, il n'est pas inutile de rappeler la distinction entre l'approche tex-
tuelle et l'approche cognitive de l'anaphore proposée par Kleiber (1994a).

Le premier type d'approche évoqué par Kleiber saisit les expressions référen-
tielles anaphoriques à un niveau textuel. Par exemple, la définition de Ducrot
et Schaeffer est représentative de cette perspective :

Un segment de discours est dit anaphorique lorsqu'il fait allusion à un autre seg-
ment, bien détenniné, du même discours, sans lequel on ne saurait lui donner une
interprétation (même simplement littérale). (Ducrot & Schaeffer 1995 : 457)

Ce qui importe, c'est la dépendance interprétative du segment anaphorique


d'un autre segment textuel. Adoptant un point de vue similaire, Corblin précise

123
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

que le tenne d'anaphore s'applique uniquement à une relation entre les expres-
sions: «l'anaphore est un rapport entre des expressions linguistiques et il
s'agit d'un rapport dissymétrique entre un tenne, dit en français anaphorique,
et un antécédent ou source» (Corblin 1995 : 31). Le rapport est dissymétrique
car il y a emprunt sémantique au tenne antécédent, qui « se comporte vérita-
blement comme source en fixant une composante de l'interprétation du tenne
anaphorique» (Corblin 1995 : 34).

Kleiber (1994a) évoque certaines difficultés rencontrées par cette conception


textuelle de l'anaphore. Panni celles-ci, on peut relever le problème de l'écla-
tement des analyses reposant sur une définition textuelle de l'anaphore, provo-
qué par les disparités de fonctionnement des expressions référentielles. Par
exemple, la plupart des expressions anaphoriques ne sont pas réservées uni-
quement à cet usage, comme le montre Zribi-Hertz (1992). Kleiber souligne
que même le pronom il, pourtant considéré comme l'exemple prototypique de
l'anaphore, peut parfois avoir un emploi déictique; il en propose l'exemple
suivant:

(3.1) Attention! ne t'approche pas.!! est dangereux (emploi de il sans antécédent


prononcé par le père dans la situation où le fils s'approche trop près du
chien). (Kleiber 1994a: 24)

Une approche textuelle de l'anaphore se voit dans la nécessité de distinguer le


fonctionnement d'un tel il déictique, qui n'est pas lié à un antécédent textuel,
avec celui d'un il anaphorique; cette position peut ensuite conduire à postuler
un fonctionnement différent du pronom il dans les deux situations, ce qui sem-
ble pourtant contre-intuitif.

La seconde approche évoquée par Kleiber définit l'anaphore à partir du critère


de la saillance préalable du référent. L'anaphore est considérée sous un angle
cognitif (ou mémoriel) comme « un processus qui indique une référence à un
référent déjà connu par l'interlocuteur, c'est-à-dire un référent « présent» ou
déjà manifeste dans la mémoire immédiate [ ... ] » (Kleiber 1994a: 25)1. Dans
la mesure où cette approche met l'accent sur l'aspect cognitif du processus
anaphorique et la saillance préalable du référent, l'origine textuelle de l' anté-
cédent ne constitue plus un critère définitoire. Ainsi, Berrendonner relève
qu'« un anaphorique peut avoir comme antécédent aussi bien un événement
extra-linguistique qu'un segment de discours antérieur» (1983 : 225-226).

1. Kleiber relève en outre différentes dénominations de cette mémoire immédiate, comme par
exemple mémoire discursive (Berrendonner 1983, 1990, Reichler-Béguelin 1988), univers
de discours chez Lyons, modèle contextuel chez Bosch (1985) et modèle du discours chez
Cornish (1990).

124
Les marques lexicales du topique

Cette approche mémorielle conduit à un déplacement de l'opposition entre


deixis et anaphore au niveau du « mode de validation» des informations en
mémoire discursive :

dans l'anaphore ou la référence contextuelle, l'information est validée parce


qu'elle est objet de discours ailleurs dans le texte; dans la deixis, elle est validée
parce qu'elle fait l'objet d'une perception concomitante à l'énonciation. L'opposi-
tion deixis/anaphore porte donc sur la façon dont est alimentée la mémoire discur-
sive, et non sur la façon dont les informations en sont extraites. (Reichler-Béguelin
1988: 21)

Ainsi, dans un exemple comme 3.1 :

(3.1) Attention! ne t'approche pas.!! est dangereux.

le pronom il marque un appel à un référent saillant en mémoire discursive,


mais dont la source est situationnelle plutôt que textuelle 2 .

Il convient de préciser que dans une telle approche, le référent d'une expres-
sion anaphorique peut tirer son accessibilité d'éléments déjà présents dans le
texte ou la situation, mais également de processus inférentiels qui s'appuient
sur ces éléments. C'est le cas notamment dans les anaphores associatives3 . Un
exemple bien connu est discuté par Apothéloz (1995 : 40) :

(3.2) Nous arrivâmes dans un village. L'église était fermée.

Le SN défini l'église présente les deux caractéristiques suivantes: d'une part,


il n'y a pas de coréférence avec l'expression qui a introduit le référent (un

2. L'approche cognitive peut aussi conduire à redéfinir la catégorie de la deixis en s'appuyant


non plus sur le traditionnel critère de la localisation, mais sur celui de sa saillance préalable.
Cette conception, discutée par Kleiber (1992b, 1994a) et Apothé1oz (1995 : 33), donne une
signification pragmatique à la deixis, qui est considérée indépendamment de l'origine de
l'antécédent comme le fait d'attirer l'attention sur un référent, par opposition au fait de la
maintenir. Kleiber (1994a : 26) reprend un exemple à Ehlich : « Paul est rentré à la maison.
Je trouve cela regrettable ». Le pronom démonstratif cela est alors considéré comme un
déictique, car il attire l'attention sur un objet de référence qui n'est pas encore saillant pour
l'interlocuteur au moment de l'énonciation de cela (l'objet de référence étant constitué par
le fait que Paul soit rentré à la maison). Cette approche va de pair avec la conception du
contexte propre à l'approche cognitive (p. ex. chez Sperber & Wilson 1986) comme étant
non pas prédéterminé, mais plutôt construit par l'interprétation des énoncés (Kleiber
1994b).
3. Pour des études plus détaillées de l'anaphore associative, cf. K1eiber, Schnedecker & Ujma
(1995), Kleiber (1995a, 1997d, 1999,2001), Bianco & Schnedecker (1995), Charolles &
Choi-Jonin (1995), Dubois & Lavigne-Tomps (1995) et Herslund (1996).

125
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

village), et d'autre part, on observe malgré tout une certaine dépendance inter-
prétative entre l'expression anaphorique (l'église) et l'expression introductrice
(un village). On peut admettre avec Kleiber que l'anaphore associative fonc-
tionne par pointage sur des stéréotypes associés à l'antécédent qui pourraient
dans le cas présent être formulés ainsi: tout village a une église (Kleiber
1990a: 247).

Dans certains exemples, il peut être difficile de déterminer avec précision le ou


les éléments à l'origine de l'accessibilité d'un référent. C'est le cas dans
l'exemple suivant, qui fait intervenir un processus inférentiel plus complexe:

(3.3)
B7: ah excusez-moi vous faites partie de la commission de l'allocation compen-
satrice
C8: oui
B9: ah bon. euh je voudrais savoir euh quels sont les critères qui vous f. qui
vous. qui obligent la commission au rejet
CIO: ah qui obligent euh oui enfin il y a des critères bien sûr pour [obtenir
BII : ouais
CI2 : en tout cas. hein. (Allocations)

Cet exemple a été traité par Reboul (1988-89, 1989) et par Kleiber (1994a :
61ss.). Reboul relève que le référent du pronom [' (c'est-à-dire 1'« allocation
compensatrice») n'est pas linguistiquement représenté dans le texte, mais
qu'il y apparaît en tant que composant du syntagme nominal complexe com-
mission de l'allocation compensatrice. Des inférences effectuées à partir de ce
syntagme nominal permettent d'interpréter le référent de l'. L'interprétation de
Kleiber est légèrement différente, dans la mesure où celui-ci conçoit le référent
(1'« allocation compensatrice ») comme issu d'une structure situationnelle
saillante pour C, qu'il glose par« (je sais que) vous m'interrogez sur ou me de-
mandez des informations sur l'allocation compensatrice» (Kleiber 1994a:
66). Il ressort de ce débat que l'identification du référent saillant par anaphore
associative ne soulève pas de difficulté particulière: Kleiber et Reboul attri-
buent tous deux le même référent (1'« allocation compensatrice») au pronom
['. En revanche, la détermination précise du processus inférentiel qui y conduit
semble nettement plus problématique lorsque l'on n'a pas simplement affaire à
un pointage sur une donnée de type stéréotypique.

Contrairement à l'approche textuelle, qui aboutit à des analyses éclatées, l'ap-


proche mémorielle permet de traiter de manière unitaire le processus sous-
jacent aux renvois anaphoriques, déictiques et aux anaphores associatives. Ce-
pendant, cette approche ne suffit pas à elle seule à décrire les particularités de

126
Les marques lexicales du topique

la distribution des pronoms, ainsi que le relève Kleiber (1 994a)4. Par exemple,
pour ce dernier ainsi que pour Reichler-Béguelin, à qui est emprunté l'exemple
3.4, l'emploi situationnel de elle tient (devant de la neige) est acceptable, con-
trairement à son emploi textuel (Kleiber 1994a : 28) :

(3.4) Il neige et elle tient. (Reichler-Béguelin 1988)

Dans les deux cas, le référent est identifiable, mais son origine (textuelle ou si-
tuationnelle) conditionne différents emplois du pronom, qui restent à expli-
quer5.

Les deux courants qui viennent d'être esquissés ne sont pas aussi exclusifs que
cette présentation le laisse entendre, car les opinions ne sont pas toujours aussi
tranchées:

La plupart des travaux, soit en linguistique, soit en intelligence artificielle, occu-


pent une position intermédiaire entre les analyses quasi totalement linguistiques et
les approches résolument pragmatiques, en ce qu'ils font état de contraintes lin-
guistiques et de facteurs structurels pour expliquer comment se fait l'interprétation
anaphorique. (Kleiber 1994a : 37)

Si les approches cognitives tiennent souvent compte des contraintes linguisti-


ques, comme par exemple celles de Reichler-Béguelin (1988) et Apothéloz
(1995), les approches textuelles intègrent également, d'une manière ou d'une
autre, certains facteurs pragmatiques, comme par exemple celle de Maillard
(1987). Kleiber adopte lui aussi une approche qui articule des principes prag-
matiques « en aval aux règles sémantico-référentielles propres à chaque type
d'expression» (1994a : 13). Par règles sémantico-référentielles, Kleiber com-
prend le sens descriptif et instructionnel des expressions anaphoriques, qui per-
met d'expliquer le mode de donation du référent, et par là même, d'expliquer
la distribution des termes anaphoriques.

Dans le présent travail, la question de la référence sera abordée sous un angle


plutôt cognitif, car celui-ci présente l'avantage, d'une part, de mettre au pre-
mier plan la question de la saillance du référent en mémoire discursive -

4. Pour d'autres arguments et des exemples concernant l'analyse des syntagmes nominaux dé-
finis et démonstratifs, cf. Kleiber (1990a, 1990b).
5. Le même exemple est commenté de manière plus détaillée par Reboul. D'après elle, cet
exemple permet de « distinguer à l'intérieur de la notion générale d'acceptabilité, les deux
notions de grammaticalité et d'interprétabilité. En effet, si l'inacceptabilité de cet exemple
ne fait pas de doute, son interprétabilité, par contre, ne pose pas de problème» (l994b :
119). Kleiber (1997a : 181) précise en outre que cet exemple devient acceptable pour peu
que l'on change d'énonciateur (X: tu as vu ? Il neige, Y: oui, mais elle ne tiendra pas).

127
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

directement liée à la problématique informationnelle - et, d'autre part, de per-


mettre un traitement unitaire des expressions référentielles. Dans ce cadre,
l'anaphore est conçue comme la relation entre un terme anaphorique et un ré-
férent 6 introduit en mémoire discursive (Berrendonner 1983, 1990) par le texte
ou la situation. Cette approche cognitive devra toutefois être combinée avec la
prise en compte des contraintes linguistiques propres aux différentes expres-
sions référentielles.

3.2 Formes de référence et statut informationnel :


accessibilité, identifiabilité et état d'activation
Après avoir précisé l'angle sous lequel j'envisagerai le traitement de la réfé-
rence, il convient de rappeler et de discuter les relations existant entre les ex-
pressions référentielles et la structure informationnelle, qui sont traitées depuis
longtemps à l'aide de notions telles que la familiarité supposée, l'accessibilité,
l'identifiabilité et l'état d'activation 7•

La distribution des expressions référentielles (pronom, syntagme nominal,


etc.) est souvent mise en relation avec le statut informationnel- donné ou nou-
veau, accessible, identifiable, saillant, etc. - du référent auquel elles ren-
voient8. L'hypothèse générale sous-jacente est que le locuteur ajuste l'emploi
des expressions référentielles au statut informationnel supposé du référent:
lorsque le locuteur suppose qu'un référent est connu / identifiable / accessible
pour l'interlocuteur, il le verbalise par une forme pronominale ou nominale
dont le contenu informatif est faible; inversement, lorsque le locuteur suppose
qu'un référent est nouveau / non identifiable / faiblement accessible, il le ver-
balise par une forme pleine (p. ex. syntagme nominal indéfini, syntagme nomi-
nal défini suivi de déterminations, etc.). Parce qu'elle implique que le locuteur
adapte son discours aux besoins de l'interlocuteur, cette hypothèse peut être
rapprochée de la double maxime de quantité de Grice (1979) :

1. Que votre contribution contienne autant d'information qu'il est requis.

2. Que votre contribution ne contienne pas plus d'information qu'il n'est


requis.

6. Cf. les conventions terminologiques précisées en 2.2.l.


7. Kleiber (1990a: 245) rappelle qu'en 1937 déjà, Christophersen décrivait l'article défini
comme un marqueur defamiliarité.
8. Cf. entre autres Prince (1981), Giv6n (1983, 1992), Combettes & Tomassone (1988), Ariel
(1990,1991), Apothéloz (1995), Fox (éd.) (1996) et Grobet (1996a).

128
Les marques lexicales du topique

Il Y aurait ainsi infraction à la première de ces maximes si un locuteur disait, à


propos d'une guêpe qui vient de piquer son interlocuteur:

(3.5) ? Attention! L'insecte volant jaune et noir qui vient de te piquer revient!

plutôt que:

(3.5') Attention! Elle revient!

En effet, l'expression définie l'insecte volant jaune et noir qui vient de te pi-
quer paraît trop informative, par rapport à ce qui est requis par la situation9 . De
même, pour parler d'un oncle habitant en Amérique à son interlocuteur, un lo-
cuteur a intérêt à utiliser une forme pleine comme mon oncle Pierre d'Améri-
que, plutôt qu'un simple pronom il, dont le référent serait inaccessible à un
interlocuteur non informé :

(3.6) ? Tu ne le devineras jamais! !! revient!

(3.6') Tu ne le devineras jamais! Mon oncle Pierre d'Amérique revient!

Cette hypothèse ne semble pas soulever de problème particulier si l'on se pla-


ce, comme je viens de le faire, à un niveau très général lO • Cependant, il reste à
l'éprouver sur la base de propositions plus précises: la variation de statut in-
formationnel suffit-elle à expliquer la distribution des expressions référentiel-
les? Plusieurs linguistes ont tenté de répondre à cette question en s'appuyant
sur les notions voisines, mais néanmoins différentes, de l'accessibilité, de
l'identifiabilité et de l'état d'activation.

3.2.1 L'accessibilité
La théorie de l'accessibilité d'Ariel (1990, 1991) repose sur une hypothèse for-
te, selon laquelle les expressions référentielles doivent être considérées avant
tout comme des marqueurs de l'accessibilité du référent:

Focusing on referring expressions, the claim is that addressees are guided in


antecedent retrievals by considering the degree of Accessibility signalled by the
marker, rather than by noting the contextual source marked (general knowledge,

9. Il convient toutefois de rappeler que les maximes peuvent aussi être exploitées par des
transgressions volontaires.
10. Moeschler & Reboul (1994a : 462) rappellent, à la suite de Kleiber (l990a), que le principe
d'implicature scalaire de Levinson (1983), qui constitue une application de la maxime de
quantité de Grice, peut lui aussi expliquer la hiérarchie d'accessibilité des expressions réfé-
rentielles.

129
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

physical salience, linguistic material), as had commonly been assumed by pragma-


ticists (Clark and Marshall 1981, Prince 1981, inter alia). (Arie1199l : 444)

Prenant appui sur le principe de pertinence de Sperber & Wilson (1986), Ariel
classe les expressions référentielles en fonction de l'accessibilité des représen-
tations mentales auxquelles elles renvoient:

LOW ACCESSIBILITY

Full name + Modifier


Full name
Long definite description
Short definite description
Lastname
Firstname
Distal demonstrative (+ Modifier)
Proximal demonstrative (+ Modifier)
Stressed pronouns
Unstressed pronouns
Zeros

HIGH ACCESSIBILITY (Ariel 1991 : 449)

Figure 3.1. L'échelle d'accessibilité d'Ariel

Ariel souligne que cette échelle d'accessibilité est à la fois universelle et arbi-
traire. Elle est universelle, car trois critères cognitifs translinguistiques inter-
viennent dans le codage des degrés d'accessibilité: premièrement, le degré
d'informativité; deuxièmement, la rigidité, qui permet de rendre compte des
noms propres et des pronoms de première et deuxième personnes; et troisiè-
mement, l'atténuation, proche de la «taille phonologique» de Giv6n (1983),
qui concerne par exemple la question de l'accentuation des pronoms. La com-
binaison de ces paramètres permet de prédire qu'une forme référentielle mar-
que une accessibilité d'autant plus basse que cette forme est informative,
rigide, et moins atténuée. À l'inverse, une forme indique une accessibilité
d'autant plus haute que cette forme est peu informative, peu rigide et fortement
atténuée. L'échelle d'accessibilité a également une facette arbitraire, car le sys-
tème des pronoms, par exemple, varie selon les langues au niveau de son im-
portance sur l'échelle d'accessibilité, de sa constitution (certaines formes
peuvent être absentes) et de son organisation. Seul l'ordre global prédit par
l'échelle d'accessibilité est invariant (Ariel 1991 : 451)11.

Il. Pour Reboul et Moeschler, une telle échelle n'a rien d'arbitraire : elle est universelle, car
elle est motivée par le principe de pertinence (1998 : 130).

130
Les marques lexicales du topique

Parce qu'elle rejoint en partie l'hypothèse intuitive générale formulée plus


haut, la théorie de l'accessibilité peut sembler a priori séduisante. Elle rend
compte de l'alternance des expressions référentielles dans les exemples évo-
qués ci-dessus:

(3.5) ? Attention! L'insecte volant jaune et noir qui vient de te piquer revient!

(3.5') Attention! Elle revient!

(3.6) ? Tu ne le devineras jamais! TI revient!


(3.6') Tu ne le devineras jamais ! Mon oncle Pierre d'Amérique revient!

Les pronoms marquent une forte accessibilité, contrairement aux descriptions


définies longues, qui marquent une faible accessibilité. Dans le premier cas, le
pronom elle est mieux adapté à la situation, car le référent constitué par la
« guêpe» est fortement accessible étant donné que cette dernière vient de pi-
quer l'interlocuteur et que l'avertissement (attention 1) renforce sa saillance.
Dans le second cas, le pronom il marque le référent (1'« oncle Pierre d'Améri-
que ») comme fortement accessible, ce qui se justifie uniquement si celui-ci
vient de faire l'objet de la discussion. Si ce n'est pas le cas, l'expression pleine
est mieux adaptée 12 . Cela étant, le modèle d'Ariel paraît néanmoins avoir plus
de peine à rendre compte de l'alternance du pronom de 3.5' avec une expres-
sion définie, comme dans 3.5" :

(3.5")Attention ! La guêpe revient!

où le syntagme nominal défini semble aussi naturel que le pronom, malgré la


grande accessibilité du référent.

Au-delà de ces observations générales, la théorie d'Ariel se prête à plusieurs


critiques qui montrent ses limites. Le problème principal de l'échelle d'acces-
sibilité, déjà relevé par Kleiber (1990a) et Apothéloz (1995), paraît résider
dans la trop faible prise en compte du contenu des expressions référentielles,
liée au fait que ces dernières sont considérées uniquement sous les angles du
poids informatif, de la rigidité et de l' atténuation 13. De là découlent au moins
deux problèmes relevés par Kleiber (1990a) : premièrement, en négligeant le

12. Pour une illustration de la différence d'accessibilité liée aux variations du nom propre, voir
chez Wiederspiel (1992) le commentaire des noms Charles Spencer, Charles, Chaplin,
Charlie.
13. Kleiber (1 990a) et Apothéloz (1995) formulent encore d'autres objections à l'encontre de la
théorie de l'.accessibilité. Voir aussi les critiques de Reboul & Moeschler (1998: 129ss.).

131
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

sens des expressions référentielles, une telle approche risque d'entraîner un


raisonnement circulaire, « qui consiste, par exemple à dire, pour il, qu'il saisit
un référent hautement accessible (ou saillant) et qu'un référent est hautement
accessible (ou saillant) s'il peut être saisi par il» (Kleiber 1990a : 251). Pour
éviter une telle circularité, il paraît nécessaire de prendre en compte le sens des
expressions référentielles, afin de voir si celui-ci confirme - ou infirme - les
prédictions établies quant à l'accessibilité des référents.

Deuxièmement, en se focalisant sur la question de l'accessibilité des référents,


l'approche d'Ariel ignore d'autres fonctions des expressions référentielles. Ce
faisant, elle se prive du moyen de rendre compte de la manière dont le locuteur
veut présenter le référent (Kleiber 1990a : 252). Il ne lui est par exemple pas
possible de rendre compte de la répétition du prénom Teresa dans cet extrait de
dialogue l4 :

(3.7)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP: depuis vingt ans \\
GS: oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP: décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts / (Apostrophes)

Dans la mesure où« Teresa» vient d'être évoquée, on aurait pu s'attendre à ce


que ce référent soit suffisamment accessible pour être verbalisé uniquement
par un pronom. Or, on trouve effectivement un pronom dans l'intervention de
Pivot, mais celui-ci est associé à une réactivation du prénom dans une structure
segmentée à droite: elle est extraordinaire Teresa. Le facteur de l'accessibilité
ne permet pas de traiter cette réactivation, car ce qui est enjeu ici, ce n'est pas
tant la saillance préalable du référent que la manière dont le locuteur le présen-
te. En l'occurrence, le recours à une structure segmentée à droite paraît s'expli-
quer au niveau de la progression informationnelle de ce dialogue, dans la
mesure où cette structure segmentée à droite est concomitante à une transition
entre les « colères de Simenon» et « Teresa ».

Cette brève discussion aura fait apparaître les limites de l'hypothèse selon la-
quelle les expressions référentielles doivent être perçues avant tout comme des
marqueurs d'accessibilité. Comme on vient de le voir, ces limites peuvent être
attribuées principalement à la trop faible prise en compte du contenu des ex-
pressions référentielles. Il est alors intéressant de se tourner vers l'approche
développée par Chafe (1994) et Lambrecht (1994), qui allie, aux notions

14. Une analyse de cet exemple est proposée dans Grobet (2001a).

132
Les marques lexicales du topique

cognitives d'identifiabilité et d'état d'activation, quelques considérations sur le


contenu des expressions référentielles ainsi que sur la nature du référent.

3.2.2 L'identifiabilité et l'état d'activation


Comme le proposent Chafe (1994) et Lambrecht (1994), il convient de distin-
guer clairement les notions d'identifiabilité et d'état d'activation, même si el-
les peuvent parfois paraître très proches.

3.2.2.1 L'identifiabilité
L'identifiabilité concerne, je le rappelle l5 , le statut d'un référent dans la con-
naissance des interlocuteurs: un référent est dit identifiable, si sa connaissance
est supposée partagée par l'interlocuteur et s'il est verbalisé comme tel (cf. la
notion de « sufficiently identifying language)) développée par Chafe 1994:
97ss.). La catégorie de l'identifiabilité permet de rendre compte du contraste
entre les expressions référentielles indéfinies (syntagme nominal ou pronom
indéfini) et les expressions définies (pronoms, syntagmes nominaux définis,
démonstratifs ou accompagnés de l'adjectif possessif)16. En simplifiant, on
peut dire que les premières permettent d'introduire des référents non identifia-
bles, comme c'est le cas pour le « loup )) dans 3.8 :

(3.8) J'ai vu un loup l'autre soir.

tandis que les expressions définies marquent un référent supposé identifiable 17 •


Dans un exemple comme:

(3.9) J'ai vu le loup l'autre soir.

le syntagme nominal défini renvoie à un référent que le locuteur suppose être


identifiable pour son interlocuteur, par exemple, parce qu'on sait qu'il n'existe
qu'un loup et/ou qu'on en a déjà parlé. Il en va de même si l'on utilise, pour
désigner le même référent, un pronom:

(3.l0)Je rai vu l'autre soir.

15. Cf. l'évocation de ces notions et de leurs variantes dans le premier chapitre (1.1.2.1).
16. La catégorie de l'identifiabilité s'applique, pour Chafe (1994) comme pour Lambrecht
(1994), au traitement des référents; elle n'est par conséquent pas pertinente pour le traite-
ment des syntagmes nominaux en usage attributif
17. Il faudrait préciser qu'il existe probablement plusieurs degrés d'identifiabilité, en s'ap-
puyant notamment sur l'exemple d'expressions référentielles comme l'une d'elles, qui as-
socient la définitude et l'indéfinitude (Lambrecht 1994 : 84).

133
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

À l'instar du syntagme nominal défini, le pronom renvoie à un référent suppo-


sé identifiable par l'interlocuteur. Cependant, le pronom implique en outre une
plus grande saillance du référent, dont le traitement fait intervenir la notion
d'état d'activation, sur laquelle je reviendrai plus loin.

Comme le souligne Lambrecht, il n'existe pas de corrélation absolue entre la


catégorie cognitive de l'identifiabilité et le marquage linguistique de la défini-
tude:

There is no one-to-one correlation between identifiability or non-identifiability of


a referent and grammatical definiteness or indefiniteness of the noun phrase desi-
gnating that referent. (Lambrecht 1994 : 79)

Lambrecht explique cette absence de correspondance par la variation du mar-


quage de la définitude selon les langues (que l'on compare par exemple les dif-
férents systèmes de déterminants en français, en anglais et en allemand), ainsi
que par les divers éléments (p. ex. le caractère spécifique ou générique du réfé-
rent) intervenant dans le choix des expressions référentielles.

En guise d'exemple, j'évoquerai brièvement la question des référents généri-


ques. Ceux-ci peuvent être désignés par des expressions référentielles consti-
tuées par des syntagmes nominaux définis :

(3.11) Le chien est le meilleur ami de l'homme.

indéfinis:

(3.12) Un chien, ça peut être méchant.

ou par des pronoms comme le pronom ça dans 3.12. Ces expressions référen-
tielles ne semblent pas être soumises au même titre que les expressions réfé-
rentielles désignant des référents non génériques au facteur de l'identifiabilité,
comme le relève Chafe :

But sharing knowledge of generic referents is different from sharing knowledge of


particular referents. Knowing a category, like the category that allows something
to be called an elephant, entails knowing something about a typical instance of
that category, whereas the sharedness involved in identifiability depends on
knowing aparticular instance. (Chafe 1994 : 103)

La connaissance de 1'« éléphant» en tant que catégorie genenque n'est,


d'après Chafe, pas directement comparable avec la connaissance d'un « élé-
phant» spécifique (par exemple, « celui que l'on a vu pendant un safari »).

134
Les marques lexicales du topique

Pour rendre compte de cette différence, Lambrecht (1994) propose de considérer


que les référents génériques sont nécessairement identifiables, étant donné que
des pronoms peuvent y référer aussi bien que des formes nominales indéfinies :

That the referents of generic indefinite noun phrases must be considered identifia-
ble is confirmed by the fact that they may be anaphorically referred to either with
another indefinite NP or with a definite pronoun, without a clear difference in
interpretation. (Lambrecht 1994 : 82)

Cette proposition a pour avantage de permettre un traitement unitaire de toutes


les expressions référentielles désignant des référents génériques.

Cependant, si elle paraît aisément recevable lorsque l'on a affaire à un référent


aussi facilement identifiable qu'un « livre» par exemple (on peut admettre que
dans notre société occidentale, tout locuteur a, dans ses connaissances encyclo-
pédiques, une représentation de ce qu'est un « livre »), cette proposition de-
vient plus problématique dès que l'on parle de référents dont la connaissance
ne relève pas nécessairement du savoir commun, comme dans l'exemple 3.13 :

(3.13) Une flouve est une plante monocotylédone qui donne au foin son odeur par-
ticulière et agréable.

Le syntagme nominal indéfini une flouve renvoie à un référent générique pré-


senté comme non identifiable, et ce, d'autant plus qu'il fait l'objet d'une défi-
nition.

Cette brève discussion aura permis de souligner l'absence de correspondance


entre la catégorie de l'identifiabilité et la définitude : non seulement certains
référents génériques identifiables peuvent être verbalisés par des syntagmes
nominaux indéfinis, mais encore ces référents ne sont pas distingués, au niveau
de leur marquage linguistique, des référents génériques non identifiables.

3.2.2.2 L'état d'activation


Dans l'approche de Chafe (1994) et dans celle de Lambrecht (1994), les réfé-
rents identifiables se caractérisent en outre par un certain état d'activation, qui
correspond au statut supposé des référents dans la conscience de l'interlocu-
teur (Lambrecht 1994 : 92). Cet état d'activation se manifeste linguistiquement
avant tout au niveau de la morphologie (choix des expressions référentielles) et
de la prosodie 18 :

18. Lambrecht (1994: 93) relève que la syntaxe intervient également dans le marquage de
l'état d'activation, mais que cet aspect est plus difficile à démontrer.

135
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

For the most part, both new and accessible information are expressed with accen-
ted full noun phrases, whereas given information is expressed in a more attenuated
way. (Chafe 1994 : 75)

Selon Chafe, tandis qu'un référent antérieurement inactif ou accessible se tra-


duit généralement par un nom accentué, un référent déjà actif se traduit par un
pronom non accentué, par une ellipse, voire par un syntagme nominal non ac-
centué 19 . Ce marquage peut toutefois être perturbé par la présence d'un « effet
contrastif», indépendant des coûts d'activation, qui peut entraîner un accent
sur n'importe quel élément (Chafe 1994 : 76).

Lambrecht (1994) souligne quant à lui l'asymétrie du codage linguistique de


l'état d'activation: alors que les pronoms ou noms non accentués renvoient
systématiquement à un référent déjà actif (donné) ou accessible, les pronoms et
formes nominales accentués peuvent soit renvoyer à un référent déjà actif, soit
activer un référent antérieurement inactif20. Ainsi, pour reprendre deux exem-
ples évoqués ci-dessus:

(3. 10) Je [ai vu l'autre soir.

(3.9) J'ai vu le loup l'autre soir.

En 3.10, le pronom de la troisième personne marque clairement que le référent


(le « loup ») a déjà un statut actif au moment de l'énonciation, contrairement
au syntagme nominal défini qui, tout en indiquant que l'on a affaire à un réfé-
rent identifiable, ne permet pas de déterminer son état d'activation. Dans ces
cas-là, le recours au contexte (le référent a-t-il récemment été évoqué ou non ?)
peut permettre la sélection d'une interprétation.

La prise en compte séparée de l'identifiabilité et de l'état d'activation présente


l'avantage de ne pas réduire le choix des expressions référentielles à un princi-
pe dont la nature serait essentiellement quantitative. Premièrement, Chafe et
Lambrecht prennent tous deux en considération la nature du référent désigné
(p. ex. générique ou spécifique) ; par là même, le contenu des expressions

19. Comme le relève Lambrecht, la catégorie de l'accessibilité n'a pas de corrélation directe au
niveau du marquage morphologique ou phonologique: les référents accessibles peuvent
être codés comme des référents soit déjà actifs, soit antérieurement inactifs (Lambrecht
1994: 107).
20. « To sum up, while ACTIVE referents can be unambiguously marked as such, via absence of
prosodie prominence, or pronominal coding, or both, there is no corresponding unambi-
guous marking for the status INACTIVE, at least not via prosody or morphology. » (Lam-
brecht 1994 : 98-99)

136
Les marques lexicales du topique

référentielles est, dans une certaine mesure, lui aussi intégré à la discussion.
Deuxièmement, il est tenu compte de différents facteurs (présence dans les
connaissances générales des interlocuteurs, accessibilité dans le discours im-
médiat, etc.) qui peuvent participer à la motivation du choix d'une expression
référentielle.

3.2.3 Discussion
Parce que l'approche de Chafe (1994) et de Lambrecht (1994) paraît particu-
lièrement prometteuse, je la mettrai en relation avec les notions de point d'an-
crage et de topique, propres à l'organisation informationnelle, afin d'en faire
apparaître les apports et les limites au niveau de l'identification de la structure
informationnelle.

Il n'est pas inutile de rappeler la proximité existant entre l'approche de Chafe


(1994) et Lambrecht (1994) et l'organisation informationnelle : dans le chapi-
tre précédent (2.2.1), j'ai montré que les points d'ancrage d'arrière-fonds sont
formés par des référents identifiables, tandis que les topiques sont constitués
par des référents non seulement identifiables, mais aussi déjà actifs. À partir de
là, il Y a tout lieu de supposer que le recours aux notions d'identifiabilité et
d'état d'activation permet d'expliquer, au moins en partie, la distribution des
expressions référentielles marquant les points d'ancrage. Il est donc possible
de formuler l'hypothèse suivante:

Les points d'ancrage d'arrière-fond ont tendance à être marqués par des syntag-
mes nominaux définis, ou par toute autre expression référentielle caractérisant les
référents identifiables. Les topiques ont tendance à être marqués par des syntag-
mes nominaux définis ou par des formes pronominales non accentuées, comme
c'est le cas pour les référents déjà actifs.

Cette hypothèse résume les propositions qui viennent d'être rappelées, tout en
les mettant en relation avec les notions de point d'ancrage d'arrière-fond et de
topique. Il est nécessaire de se limiter à la constatation d'une « tendance », car
rien ne confirme encore cette proposition.

Plusieurs exemples paraissent accréditer la validité de cette hypothèse. Ainsi,


l'extrait suivant illustre des référents identifiables, correspondant à des points
d'ancrage d'arrière-fond:

(3.14)
BP: oui mais enfin. vous êtes / excusez-moi l'expression / vous êtes un : vous
êtes un drôle de lascar avec les femmes \ parce que vraiment vous êtes

137
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

l'infidèle. total/euh: il y a tout de même votre votre première femme /


vous le racontez là aussi / moi j'aimerais bien (XXX) (Apostrophes)

Le référent désigné par les femmes est identifiable, parce qu'il s'agit d'un en-
semble général dont la connaissance est nécessairement partagée; la « première
femme de G. Simenon» désignée par votre première femme, est elle aussi né-
cessairement identifiable pour G. Simenon. Ces deux référents constituent des
points d'ancrage d'arrière-fond et non des topiques: le référent formé par les
« femmes» constitue en effet un topique moins plausible, si l'on applique le
test de la paraphrase: « à propos des femmes, G. Simenon est un drôle de las-
car avec elles ». « G. Simenon », ou plutôt son « comportement» (auquel ren-
voie vous êtes) semble constituer un topique plus pertinent, comme le montre
la paraphrase suivante: « à propos de votre comportement, vous êtes un drôle
de lascar avec les femmes ». De manière similaire, le référent évoqué par votre
première femme constitue un point d'ancrage d'arrière-fond par rapport au to-
pique formé par l'information qui vient d'être activée, à savoir l'assertion se-
lon laquelle Simenon est l'infidèle total (<< à propos du fait que vous êtes
1'infidèle total, il y a tout de même votre première femme »). Dans
l'exemple 3.14, les référents identifiables correspondent donc à des points
d'ancrage d'arrière-fond.

Parallèlement à cela, certains points d'ancrage immédiats, correspondant à des


référents identifiables et déjà actifs, sont verbalisés par des formes pronomi-
nales:

(3.15)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a .21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: -+ c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Forum)

Le référent activé par mon impression est verbalisé dans un premier temps
comme un référent identifiable par une forme pleine: il ne s'agit encore que
d'un point d'ancrage d'arrière-fond. Ce référent est ensuite marqué par le pro-
nom elle, en même temps qu'il fonctionne comme topique (<< à propos de mon
impression, elle vaut ce qu'elle vaut »). Ensuite, ce même référent est repris
par les pronoms ça et ce. Des exemples comme 3.14 et 3.15 tendent ainsi à
confirmer l'hypothèse d'une tendance à la correspondance entre type de point
d'ancrage (d'arrière-fond ou immédiat) et formes linguistiques.

138
Les marques lexicales du topique

Cependant, ces mêmes exemples recèlent également des éléments qui témoi-
gnent du caractère non systématique de cette tendance. Ainsi, certains points
d'ancrage d'arrière-fond sont verbalisés par des formes pronominales. C'est le
cas des points d'ancrage marqués par les formes de première et deuxième per-
sonnes qui apparaissent dans ces deux exemples (je, vous, mon). À cela, il est
toutefois possible de répondre que les pronoms de première et deuxième per-
sonnes, par leur appartenance à la deixis, se distinguent nettement des autres
pronoms (Kleiber 1986c, 1997a, Morel & Danon-Boileau éds 1992)21. Et de
fait, on voit mal comment, dans un dialogue, la distribution « expression indé-
finie - expression définie - pronom» pourrait s'appliquer au niveau de la dési-
gnation du locuteur et de son interlocuteur.

Si le problème des formes de première et deuxième personnes semble pouvoir


être écarté en raison de leur statut particulier, il resurgit avec le pronom il.
C'est le cas dans cet exemple:

(3.16)
Je: on souhaiterait presque euh ... la chose qu'on n'sait pas / <acc.> c'est-à-dire
la f ... la faute qu'il a pu commettre un jour \ ...
MM : de véritable
Je: non. vous n'la cherchez pas dans ... dans ... <rire>
MM : de véritable faute / je n'pense pas
Je: mhm/
MM: qu'il ait pu commettre / parce que ce n'était pas dans ... ça ce n'était pas
possible \ . (Radioscopie)

Le pronom il désigne « André Maurois », qui constitue tout au long de cette


séquence un référent identifiable pour les interlocuteurs (Jacques Chancel et
Michelle Maurois, la fille d'André Maurois). Pour les deux actes dans lesquels
apparaît ce pronom, « André Maurois» paraît devoir être interprété comme un
point d'ancrage d'arrière-fond, car les référents activés par la chose qu'on
n sait pas et par véritable faute constituent des topiques plus immédiatement
pertinents. Il apparaît ici que les formes pronominales peuvent également mar-
quer des points d'ancrage d'arrière-fond et, par conséquent, qu'il n'existe pas
de correspondance fiable entre type d'information (identifiable ou déjà active),

21. Plus précisément, ces pronoms sont décrits par Kleiber comme des symboles indexicaux
transparents, car ils renvoient à leur référent par un lien direct: « le référent de je est celui
qui au moment de l'énonciation de je et à l'endroit où s'énonceje prononce je (c'est, évi-
demment dire que je = la personne qui dit je) ; le référent de tu est celui qui au moment et à
l'endroit de l'énonciation de tu est l'allocutaire (ou celui à qui on dit tu) » (Kleiber
1986c : 20).

139
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

type de point d'ancrage (immédiat ou d'arrière-fond) et type de forme linguis-


tique (forme pleine ou pronomi2 .

Après ces observations spécifiquement liées à la notion de point d'ancrage, il


convient de revenir à une perspective plus générale pour évaluer l'apport des
concepts d'identifiabilité et d'état d'activation à une étude de la distribution
des expressions référentielles. J'ai jusqu'ici mis l'accent sur le fait que ces no-
tions permettent d'intégrer plus de facteurs que la théorie de l'accessibilité dé-
fendue par Ariel (1991). Cependant, il est temps de relever que l'identifiabilité
et l'état d'activation, comme l'accessibilité, .ne prennent en compte que quel-
ques facteurs liés à la distribution des expressions référentielles. Elles doivent
être complétées par la prise en compte des phénomènes d'accommodation
pragmatique (Reichler-Béguelin 1988, Lambrecht 1994, Apothéloz 1995,
Apothéloz & Reichler-Béguelin 1995) ainsi que des effets liés à la structure
discursive23 . De plus, les notions d'identifiabilité et d'état d'activation restent
encore trop générales pour rendre compte de la distribution des expressions ré-
férentielles. En effet, savoir qu'un syntagme nominal défini marque un réfé-
rent identifiable, qui peut être soit déjà actif, soit accessible, soit
précédemment inactif, ne dit rien sur la nature de ce référent, ni sur sa source,
ni sur la manière dont il est appréhendé. Or, ces différents éléments ont une
grande importance dans une analyse de la structure informationnelle qui se
base sur le repérage des points d'ancrage. Par exemple, dans 3.17 :

(3.17)
De: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh : ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / alors les gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j' crois qu' ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\ (Forum)

22. Cette absence de correspondance est également apparue dans une étude empirique quantita-
tive menée sur des dialogues extraits du corpus Schmale-Buton & Schmale (1984) dans le
cadre d'un mémoire de DES (Grobet 1996c).
23. Voir par exemple, le rôle sur le choix des expressions référentielles de la structure textuelle
(Downing 1980, 1996, Ford & Fox 1996, Fox 1996, Tao 1996), de la présence d'une sé-
quence narrative (Chafe 1980, Clancy 1980, Combettes 1992a, Kibrik 1996) ou procédura-
le (Boucheix & Fayol 1997), du genre de texte (de Weck 1986-87), des frontières de
paragraphes (Arabyan 1994, Hofman 1989) et des aspects sociaux de l'interaction (Pekarek
1999).

140
Les marques lexicales du topique

Le même syntagme nominal indéfini des gens est utilisé pour désigner, pre-
mièrement, les « gens surpris par le fonctionnement du monde politique », et
deuxièmement, les « participants du monde politique» (auxquels renvoie éga-
lement le pronom ils). En utilisant ensuite un syntagme nominal défini (alors
les gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là) le locuteur opère en
quelque sorte un «saut référentiel»: cette expression renvoie au premier
groupe de personnes désignées par des gens (c'est-à-dire ceux qui sont sur-
pris), et cela indépendamment du deuxième groupe de « gens» appartenant au
monde politique.

Le risque d'ambiguïté semble être écarté grâce à la présence de l'article défini,


ce que montre son remplacement par un syntagme nominal démonstratif ou par
le pronom ils :

(3.17')
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh : ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / -+ alors ces gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-
là / mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une
idée et non pas contre une personne \\

(3.17")
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / -+ alors ils arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j' crois qu' ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\

L'interprétation de ces deux exemples modifiés paraît plus coûteuse que celle
de l'original, car on y observe des effets contradictoires : le syntagme nominal
démonstratif et le pronom ils renvoient a priori aux «participants du monde
politique », tandis que le connecteur alors et le prédicat de la phrase-hôte

141
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(n'arrivent pas toujours à comprendre) semblent au contraire indiquer que


l'on parle du groupe de gens surpris par le fonctionnement du monde politi-
que. Ce type d'exemple montre que pour identifier les référents constituant les
points d'ancrage - qu'ils soient immédiats ou d'arrière-fond -, il est nécessaire
d'avoir une approche plus précise des expressions référentielles que ne le per-
mettent les notions d'identifiabilité et d'état d'activation.

Cette discussion aura permis d'évaluer l'intérêt des notions d'accessibilité,


d'identifiabilité et d'état d'activation. L'identifiabilité et l'état d'activation
présentent l'avantage, par rapport à l'accessibilité, de tenir compte de facteurs
plus nombreux. Ces notions, mises en relation avec les points d'ancrage, ont
permis d'observer certaines régularités dans la distribution des expressions ré-
férentielles verbalisant ces points d'ancrage. La portée de ces observations est
toutefois limitée par de fréquentes exceptions, qui forcent à admettre qu'il
n'existe pas de correspondance univoque entre type d'information, type de
point d'ancrage et forme linguistique. En outre, bien que les notions d'identi-
fiabilité et d'état d'activation prennent en compte la nature générique ou spéci-
fique du référent, elles n'impliquent pas encore assez le contenu descriptif des
expressions référentielles et ne permettent par conséquent pas toujours d'iden-
tifier les points d'ancrage. Ainsi, le recours à ces notions s'avère intéressant à
un niveau général, mais pour des observations plus précises, il demande à être
complété par une analyse sémantique des expressions référentielles. C'est à
une telle étude que je m'emploierai dans la suite de ce chapitre, à partir de la
description détaillée de quelques expressions choisies pour leur fréquence, à
savoir les pronoms il et ça, ainsi que les syntagmes nominaux définis et dé-
monstratifs24 •

24. Je choisis volontairement un nombre réduit d'expressions référentielles afin de permettre


une discussion détaillée. Je ne discuterai donc pas la catégorie de l'ellipse qui, décrite com-
me un trou structural impliquant des éléments manquants redondants et donc récupérables
dans le contexte (zeugme), peut être considérée comme le « degré zéro de l'anaphore de
discours» (Zribi-Hertz 1985 : 69, Lambrecht 1994: 57). Kleiber (1994a: 22-23) souligne
que la question de l'intégration de l'ellipse dans la catégorie de l'anaphore reste ouverte.
Betten (1976) relève quant à elle qu'à côté du zeugme, il faut tenir compte de l'aposiopèse,
généralement provoquée par une émotion, une hésitation ou une menace, dans laquelle ce
sont précisément les éléments dont le poids communicatif serait le plus fort qui sont omis,
comme par exemple dans: si tu ne vas pas te coucher tout de suite ... (p. ex. tu seras puni).
Pour un survol plus large des expressions référentielles considérées sous l'angle de leur ac-
cessibilité, cf. Prévost (1997).

142
Les marques lexicales du topique

3.3 Le pronom il
L'analyse du pronom personnel clitique il constitue un point de départ particu-
lièrement intéressant pour une étude du marquage lexical du topique, car ce
pronom lui est généralement associé, comme le relève Kleiber : « quelles que
soient les définitions et conceptions du thème et du topic discursif, si on les ap-
plique au pronom anaphorique il, elles en font toutes un marqueur de continui-
té thématique» (Kleiber 1994a: 110). En effet, par son contenu descriptif
particulièrement ténu, le pronom il constitue une marque caractéristique de
l'information «déjà connue» ou «porteuse du plus bas degré de dynamisme
communicatif» ; pour la même raison, il renvoie généralement au topique dé-
fini comme « ce dont on parle» ou comme le « point de départ de l'énoncé »25.
Par conséquent, tout porte à croire que le pronom il constitue également, dans
le cadre de la présente approche, une marque privilégiée des points d'ancrage,
et en particulier, du topique.

Pour vérifier cette hypothèse, je m'appuierai sur l'étude très détaillée du pro-
nom personnel clitique il menée par Kleiber (1994a), qui rejette les concep-
tions traditionnelles selon lesquelles le pronom il serait un marqueur
référentiel privé de sens et contrôlé par son antécédent26 . Il défend au contraire
la thèse que le pronom il constitue un marqueur référentiel original, « qui a ses
propriétés identificatoires propres, non réductibles à celles des autres types de
marqueurs qui lui sont proches» (1994a : 41). Kleiber reconnaît donc un con-
tenu sémantique propre à il, qui, bien qu'apparemment ténu, lui permet d'ac-
complir sa tâche référentielle. Ce contenu s'articule en deux composantes : des
propriétés descriptives (ou lexicales), ainsi que des instructions référentielles
qui jouent un rôle déterminant dans la manière d'identifier le référent du pro-
nom.

3.3.1 Contenu descriptif de il : marques de genre


et de nombre
Kleiber considère le nombre du pronom il comme une marque sémantique qui
détermine son extension, dans la mesure où « l'opposition grammaticale sin-
gulier-pluriel correspond à une distinction conceptuelle entre singularité réfé-
rentielle et pluralité référentielle» (1994a : 70). Étant entendu que la forme

25. Voir les principales définitions du topique rappelées dans le premier chapitre (1.1.2). Cette
caractérisation ne concerne naturellement pas le il impersonnel.
26. Cette conception serait grosso modo défendue par les approches substitutives et antécéden-
tistes discutées par Kleiber (1994a: 44-54) et résumées par Apothéloz (1995: 107-110).

143
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

linguistique a sa place dans la représentation mentale d'un référent, le pronom


il s'applique en principe, lorsque son nombre est pluriel, à un référent pluriel,
et, au singulier, à un référent singulier.

Le genre du pronom il détermine également l'extension du pronom il en la res-


treignant aux référents dont le nom est du même genre que le pronom (Kleiber
1994a: 73). Les contraintes liées au genre du pronom sont toutefois plus com-
plexes que celles liées au nombre, car elles font intervenir l'opposition séman-
tique entre entités classifiées et non classifiées :

Qu'il soit au masculin ou au féminin, le pronom a pour propriété sémantique liée


au genre de porter sur un référent qui est conçu ou appréhendé comme une entité
placée dans une catégorie, c'est-à-dire comme portant d'une manière ou d'une
autre un nom. (Kleiber 1994a : 74-75)

Pour Kleiber, l'extension du pronom il se restreint donc aux référents appré-


hendés comme classifiés par leur nom.

L'opposition entre entités classifiées et non classifiées permet à Kleiber


d'éclairer une autre opposition qui conditionne l'emploi du pronom il: celle
des référents humains et non humains. En effet, il se comporte différemment
selon la nature humaine ou non humaine du référent. Ce phénomène peut être
mis en évidence à partir des exemples suivants:

(3.1 8) Ils ne m'ont rien fait à l'hôpital. (Kleiber 1994a)

(3.19) * Jean a fait la cuisine. Ils étaient délicieux.

(3.20) Jean a fait des biscuits. Ils étaient délicieux.

Dans le premier de ces exemples, ils renvoie à l'ensemble des membres hu-
mains du groupe constitué par le personnel de l'hôpital. Il s'agit d'un ils col-
lectif qui ne nécessite pas, pour être interprété, la récupération d'un référent
particulier27 . Dans l'exemple suivant, ils ne renvoie pas à un référent humain:
l'emploi de ils n'est pas acceptable, car le nom du référent n'est pas récupéra-
ble ; par contre, dans le troisième exemple, le référent a été nommé et l'emploi
de ils est possible. Kleiber explique l'opposition humain / non humain en ter-
mes de classification : un référent humain est classifié par avance comme ap-
partenant à la catégorie « humain », tandis qu'un référent non humain n'est pas

27. Kleiber consacre un chapitre à la description du ils dit collectif, qu'il caractérise entre autres
par un genre et un nombre toujours masculin pluriel, ainsi que par un référent constitué par
« la totalité des membres humains, non actuels, d'un groupe spécifique» (l994a: 174).

144
Les marques lexicales du topique

classifié tant que son nom n'est pas récupérable. La propriété sémantique du
pronom il de renvoyer à un référent classifié explique ainsi pourquoi il faut ré-
cupérer un nom avec des référents non humains (non classifiés par avance), et
pas avec des référents humains (déjà classifiés).

3.3.2 Instructions référentielles du pronom il

Pour décrire les instructions référentielles liées au pronom il, Kleiber s'appuie
sur la notion de saillance, qu'il applique non pas à un référent isolé, mais à la
situation28 dans laquelle est impliqué le référent. Le sens de il donne l'indica-
tion de chercher le référent dans une situation qui répond aux conditions sui-
vantes:

(i) il faut qu'elle soit manifeste ou saillante, c'est-à-dire disponible ou présente


dans le focus d'attention de l'interlocuteur. Elle peut l'être par le contexte anté-
rieur (ou le devenir par le contexte subséquent), ou par une perception directe dans
la situation d'énonciation.
(ii) il faut que le référent y soit impliqué comme un actant principal, c'est-à-dire
qu'il y joue le rôle d'un argument.
De (i)-(ii) découle directement une troisième contrainte:
(iii) il faut que la phrase-hôte qui comporte il soit un prolongement de cette struc-
ture saillante, sinon le mode de présentation (i)-(ii) du référent choisi se trouve
contredit. (Kleiber 1994a : 82-83)

D'après ces propositions, le pronom il renvoie à un référent dont la saillance


est provoquée par la situation manifeste qui l'implique. Kleiber précise ce qu'il
entend par les termes de situation manifeste ou saillante en s'appuyant sur un
exemple emprunté à Bosch. L'énoncé est prononcé sans mention antérieure,
dans une situation où le locuteur et son interlocuteur voient passer devant eux
une connaissance commune :

(3.21)X: je ne [ai pas vu depuis des mois

Dans cet exemple, la saillance du référent n'est pas acquise par la seule percep-
tion de l'homme qui marche; pour que cette perception soit pertinente, il faut
que l'homme soit cognitivement saillant: « l'élément décisif ici est que locu-
teur et interlocuteur connaissent déjà le référent. La situation saillante réside
donc ici dans le passage d'une connaissance commune» (Kleiber 1994a : 84).

28. Kleiber (l994a) emploie aussi les termes de « proposition» (82), ou de « structuration»
(86) ; le concept de « situation» me paraît néanmoins assez difficile à cerner.

145
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

L'explication de Kleiber ne me paraît toutefois pas encore suffisante, car il est


possible d'envisager une situation saillante qui ne ferait pas intervenir le savoir
partagé. En effet, en admettant que la personne qui passe soit connue du seul
locuteur, l'énoncé cité par Kleiber peut constituer le début d'un échange qui
porte sur le passant:

(3.22)
X : je ne [ai pas vu depuis des mois
y : tu le connais ? Qui est-ce ?

Dans cet exemple, l'identification initiale du référent auquel renvoie le pronom


il repose, pour Y, sur la perception. En fait, Kleiber reconnaît lui-même que
«la question: quand est-ce qu'un locuteur peut présumer qu'un référent est
manifeste pour son interlocuteur? » (Kleiber 1994a : 130) reste ouverte.

À défaut de définir plus précisément la saillance du référent et la situation qui


l'implique, Kleiber passe en revue les critères qui permettent de trouver l'anté-
cédent textuel du pronom il. Il évoque, premièrement, celui de la proximité de
l'antécédent:

En site textuel, le fait de présenter le référent dans une structure propositionnelle


manifeste a pour conséquence d'imposer une certaine limite quant à l'éloignement
du référent mentionné dans le texte, tout simplement parce qu'un éloignement trop
grand a de fortes chances de priver de saillance la structure impliquant le référent.
(Kleiber 1994a : 85)

Le critère de la proximité est souvent pertinent, mais il n'est pas toujours suffi-
sant pour trouver l'antécédent de il. Il en va de même pour le deuxième critère,
qui est celui de la fonction syntaxique :

si il montre une préférence pour un antécédent également sujet syntaxique, par


exemple, c'est parce que la continuité inhérente à la façon de présenter le référent
par il se traduit bien souvent par une permanence dans la fonction syntaxique,
mais sans que cela soit une obligation. (Kleiber 1994a : 85)

Troisièmement, le maintien thématique peut également être considéré, selon


Kleiber, comme un corollaire (non obligatoire) de la saillance de la situation
impliquant le référent de il. Cependant, Kleiber ne s'appuie pas sur une con-
ception précise du « maintien thématique» 29, ce qui rend l'application de ce
critère problématique.

29. Cf. l'extrait cité au début de la description du pronom il.

146
Les marques lexicales du topique

Dans les cas potentiellement ambigus, un quatrième critère, qui fait intervenir
le contenu de la phrase-hôte de il ainsi que la théorie de la pertinence, permet
de retrouver l'antécédent du pronom. Dans un exemple comme :

(3.23) Fred enleva son manteau. !! était sale. (Kleiber 1994a)

Le pronom il peut renvoyer à Fred, qui est le plus saillant si l'on se base sur le
critère syntaxique, ou au manteau, qui est le plus saillant si l'on se base sur le
critère de la proximité. D'après Kleiber, il est plus pertinent d'interpréter le
pronom il comme renvoyant au manteau plutôt qu'à Fred, car :

il est clair que l'interprétation il = Fred est un « contexte» moins accessible que
l'interprétation il = son manteau, dans la mesure où il nécessite en effet des cal-
culs inférentiels plus grands que l'autre solution, et ce, pour un effet cognitifrela-
tivement similaire. (Kleiber 1994a : 86, note 41)

C'est donc un principe d'économie cognitive qui détermine, à partir de la phra-


se-hôte du pronom, quel est l'antécédent le plus saillant dans la situation qui
l'implique.

La thèse de Kleiber peut être résumée de la manière suivante : les instructions


référentielles du pronom il demandent à ce que son référent soit présenté com-
me saillant dans une situation manifeste; cette saillance s'explique par le sa-
voir partagé ou par la perception directe; en site textuel, les critères pertinents
pour retrouver l'antécédent de il sont la proximité de l'antécédent, sa fonction
syntaxique et sa facilité d'accès à partir de la phrase-hôte; cependant aucun de
ces critères n'est décisif.

3.3.3 Le pronom il comme trace de point d'ancrage


À partir de cette description sémantique du pronom il, il est possible de préci-
ser comment ce pronom intervient dans le marquage des points d'ancrage d'ar-
rière-fond et immédiats. La première hypothèse qui se présente est que le
pronom il est destiné, par son contenu sémantique, à marquer un point d'ancra-
ge ; elle se vérifie aisément, comme par exemple, dans 3.24 30 :

(3.24)
JC: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1
MM: oui =
JC: vous pensez qu'il l'a été. Il

30. Cet extrait a été partiellement analysé dans le chapitre précédent en 2.2. (exemple 2.20).

147
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

MM : par moments / euh : certainement i! a : i! a été heureux / . j' crois qu'i! a été
heureux dans sa vie. littéraire / (e) qu'i! a eu de grandes joies / .. euh dans
sa vie privée / i! a eu : . s sa part de . de difficultés et de malheurs / euh ..
euh: . j je n'sais pas si dans l'ensemble on peut qualifier sa vie de : .. de vie
heureuse / <acc.> quand i! a voulu écrire euh: ses: .. ses mémoires aux
États-Unis pendant la guerre / i! euh .. i! avait choisi un titre / euh .. q . qu'je
n'sais plus exactement / enfin c'était. quelque chose comme Une vie diffi-
cile <acc.> (ou j'sais pas bien) / et on lui a dit / mais enfin c'est c'est vous
n'avez pas l'droit d'écrire ça / vous qui dès l'premier livre avez eu du succès
etcetera / .. et alors en effet / i! n'l'a pas / e i! n'l'a pas \ .. i! ne se considérait
pas comme un homme qui avait été parfaitement heureux \\ (Radioscopie)

Conformément à la description proposée par Kleiber (1994a), le pronom il dé-


signe un référent accessible du fait qu'il s'agit du père de Michelle Maurois, et
qui, parce qu'il fait depuis un certain temps déjà l'objet de la discussion, peut
être considéré comme saisi dans une « situation saillante ». En d'autres termes,
on peut dire que le pronom il constitue la trace du point d'ancrage formé par le
référent « André Maurois », ce qui paraît rejoindre la thèse générale selon la-
quelle le pronom il est un marqueur privilégié du topique. Cette première cons-
tatation demande toutefois à être précisée en regard de la notion de topique,
telle qu'elle est définie dans la présente approche: en concevant le topique
comme le point d'ancrage le plus immédiatement pertinent sur lequel enchaîne
le propos, peut-on continuer à soutenir que le pronom il marque systématique-
ment le topique?

Le pronom il peut effectivement marquer le topique, comme dans les exemples


suivants:

(3.25)
ÉZ: . et Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple / donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça /
elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / elle a
pas besoin des autres Élodie \ . elle a besoin de deux trois choses /. mais
c'est tout \\ (Le Masque et la Plume)

(3.26)
CT: ça rappelle que c'est du direct / ça rappelle que les journalistes / euh ben ils
sont des gens comme tout le monde / ils se trompent / ils commettent des
erreurs / c'est c'est la vie / on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée / c'est la vie / moi j'trouve ça très bien / au contraire \\
(Forum)

148
Les marques lexicales du topique

Dans le premier de ces exemples, le pronom elle renvoie au topique constitué


par « Élodie », tandis que dans le second, le pronom renvoie au topique formé
par les «journalistes ». Ces deux exemples font intervenir une structure syn-
taxique marquée : segmentée à droite pour le premier, et segmentée à gauche
pour le second. Ces structures, dans lesquelles s'inscrivent les reprises prono-
minales, contribuent également à marquer les topiques, comme on le verra au
chapitre suivant.

Bien que le pronom il puisse constituer une marque du topique, en particulier


lorsqu'il s'inscrit dans une structure syntaxique marquée, il n'assume toutefois
pas cette fonction de manière systématique. En effet, il arrive souvent que le
pronom il renvoie à un référent important (une « entité topicale », pour repren-
dre les termes de Brown & Yule 1983) mais qui ne fonctionne pas comme le
topique. C'est le cas notamment dans l'exemple 3.24, dont je reprends un ex-
trait en 3.27 :

(3.27)
JC: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1
MM :oui=
JC: vous pensez qu'i! l'a été. Il

Le pronom il renvoie à « André Maurois », un référent qui se situe à l'arrière-


fond de l'ensemble du dialogue; le topique plus immédiat pour le second acte
de J. Chancel est en effet formé par l'information « heureux », reprise par le
pronom 1,J 1•

Deux éléments peuvent être retenus de cet examen du rôle du pronom il dans le
marquage des points d'ancrage. D'une part, ce pronom fonctionne effective-
ment dans la plupart des cas comme la marque d'un point d'ancrage. D'autre
part, contrairement à l'idée largement répandue selon laquelle le pronom il
constitue toujours une marque du topique, ce pronom peut aussi désigner des
référents saillants à l'arrière-fond du dialogue, mais qui ne constituent pas les
points d'ancrage les plus immédiatement pertinents dans l'enchaînement des
propos. Ce bref parcours montre déjà que l'identification du topique ne peut
reposer uniquement sur une marque comme le pronom il et qu'elle devra pren-
dre en considération d'autres facteurs syntaxiques et discursifs.

31. Pour une justification de cette interprétation, voir le deuxième chapitre (2.2.1).

149
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

3.4 Les pronoms démonstratifs

Je me propose d'étudier ici le rôle des pronoms démonstratifs dans l'identifica-


tion du topique, dans l'optique, notamment, de le comparer avec celui du pro-
nom il. Parmi les pronoms ceci, cela et ça, l'accent sera mis sur l'étude du
pronom ça, ce qui peut se justifier par les raisons suivantes 32 . Premièrement, il
convient de relever la grande fréquence du pronom ça, qui contraste avec le
faible rendement de la paire ceci / cela. Dans le corpus de Maillard (1987), le
pronom ça l'emporte quantitativement sur cela, tant à l'écrit qu'à l'oral, où
l'auteur relève environ « 1 cela pour 100 ça» (1987 : 34). Même à l'écrit, où
la paire ceci / cela est plus fréquente qu'à l'oral, ces termes ont un rendement
bien inférieur à celui de this / that en anglais. D'après Maillard, l'une des rai-
sons de ce phénomène est que « ceci / cela, contrairement à this / that, n'a ja-
mais pu se généraliser devant le verbe être des présentatives et des
identifiantes, à cause du figement précoce de c'est» (Maillard 1987 : 325).
D'autres motifs, liés à l'évolution diachronique du système linguistique, expli-
quent le faible rendement de ceci / cela. La plus grande fréquence du pronom
ça le rend donc dans l'immédiat plus directement intéressant à

Deuxièmement, on peut admettre l'existence, à un certain niveau, d'une équi-


valence entre les démonstratifs ça et cela (Maillard 1987, Corblin 1995)34.
Cette équivalence n'est naturellement pas parfaite : Maillard souligne que ces
pronoms ne se situent pas dans le même registre « cela se présente - chaque
fois qu'il commute avec son homologue - comme une variante guindée de
ça » (Maillard 1987 : 34). Maillard relève également que ça et cela ne sont pas
interchangeables dans les structures impersonnelles. Par exemple, dans 3.28 :

(3.28).Q! s'en buvait très peu, du vin. (Maillard 1987)

(3.28')* Cela s'en buvait très peu, du vin.

32. Ceci, cela et ça sont généralement classés parmi les pronoms démonstratifs. Cependant,
Corblin (1995) et Maillard (1987) s'accordent pour considérer que ni ceci / cela, ni ça ne
sont des pronoms démonstratifs. Tout en reconnaissant le bien fondé de leurs prises de posi-
tion, je n'insisterai pas sur cet aspect grammatical, qui ne concerne pas directement les ca-
ractéristiques sémantiques de ceci, cela et ça sur lesquelles porte cette étude. Pour
simplifier la terminologie, je ne renoncerai donc pas à l'emploi du terme de« pronom ».
33. Pour une analyse détaillée de l'opposition ceci / cela, je renvoie à Corblin (1995 : 81-100).
34. L'analyse du pronom ça peut également, jusqu'à un certain point, être utilisée pour rendre
compte du pronom ce (Kleiber 1998a). Cf. Moeschler & Reboul (1994b) pour une discus-
sion spécifique du rôle de ce dans les phrases copulatives avec sujet pronominal.

150
Les marques lexicales du topique

L'interprétation du ça impersonnel varie selon les auteurs. Pour Maillard, « la


charge référentielle repose tout entière sur le cataphorique en - qui anticipe du
vin - et ça est aussi privé de contenu nominal qu'un il impersonnel» (1987 :
327). Corblin, quant à lui, n'estime pas que ça soit, d'une manière générale,
susceptible d'être non référentiel 35 . Il distingue les constructions impersonnel-
les (caractérisées par le morphème il en position de sujet et privé de tout conte-
nu référentiel) des constructions à sujet indistinct, dans lesquelles ça, qui
occupe la position sujet, se caractérise par une référence tellement peu délimi-
tée qu'elle en devient indistincte 36 . De ce débat, il suffit de retenir que ça, con-
trairement à cela, est susceptible d'entrer dans des emplois impersonnels ou
quasi-impersonnels. Dans ce type d'emploi, le pronom ça ne renvoie pas plus
que le il impersonnel à un référent susceptible de fonctionner comme point
d'ancrage. Pour cette raison, je ne m'attarderai pas plus sur cette question, qui
n'est pas immédiatement pertinente pour l'étude du marquage de la structure
informationnelle37 •

Comme je l'ai fait pour le pronom il, j'adopterai, pour l'analyse du pronom ça,
1'hypothèse selon laquelle le contenu sémantique de ce pronom est formé
d'une part d'un sens descriptif auquel renvoient les marques de genre et de
nombre, et d'autre part d'instructions référentielles (Kleiber 1998a et b)38.

35. Corblin (1995: 108) envisage la réanalyse de certaines constructions disloquées en« quasi-
impersonnelles» (ça y serait un sujet non référentiel), mais il considère le phénomène com-
me local.
36. «Autrement dit, ça laisserait totalement ouverte la catégorisation possible du réel auquel il
s'applique (animé, non animé, objet, procès, situation, individu, groupe, masse, etc.), tout
comme il n'implique pas une délimitation précise du référent dans la situation englobante. »
(Corblin 1995 : 104)
37. Un autre aspect que je laisserai de côté est lié à la grammaticalisation et aux multiples fonc-
tions de ça. Maillard relève que lorsque ça est associé à certains items grammaticaux inva-
riables (prépositions, conjonctions, adverbes), il en vient à perdre son autonomie «pour
n'être plus qu'un simple adjonctif intégré à des locutions adverbiales ou holophrastiques
passablement figées» (1987 : 332). Lorsque ça est précédé par des prépositions comme
avec, pour, comme, le syntagme remplit une fonction de connecteur. Accompagné d'interro-
gatifs adverbiaux ou pronominaux (où ça? quand ça ?), ça n'est plus qu'une particule de
renforcement supprimable.
38. Je n'évoquerai pas l'approche sensiblement différente proposée par Cadiot (1992), qui con-
sidère que les démonstratifs ça et ce saisissent leur référent en relation avec l'expérience
qu'en fait le locuteur.

151
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

3.4.1 Contenu descriptif de ça :


marques de genre et de nombre
Kleiber attribue des marques de genre et de nombre au pronom ça et rejette par
là la solution d'un pronom « neutre» qui ne renverrait pas directement au réfé-
rent introduit par son antécédent (1998a : 208). D'après lui, le pronom ça se
caractérise par un nombre singulier, qui signale que le référent visé doit être
une « entité individuelle» et non pas une « pluralité d'individus» (Kleiber
1998a: 210). Kleiber défend sa proposition en s'appuyant sur des exemples
apparemment problématiques impliquant le pronom ça en relation avec des an-
técédents pluriels, comme :

(3.29) Paul lui donna du chocolat, une poire et un canif et lui dit: « Prends et
mets-le dans ta poche! ». (Kleiber 1998a)

Les antécédents dispersés, constitués par du chocolat, une poire et un canif,


sont saisis par le pronom ça comme un ensemble qui constitue une entité sin-
gulière39 .

Kleiber décrit en outre le pronom ça comme porteur du genre masculin par dé-
faut, qui implique la catégorie nominale pour le référent visé (Kleiber 1998a :
214, 1998b : 105). Le référent visé par ça n'est pas pour autant nécessairement
porteur d'un nom. Kleiber reprend la thèse défendue par Maillard (1987) et par
Corblin (1995), selon laquelle ça se caractérise par un contenu nominal indis-
tinct4o . Plus précisément, en s'appuyant sur un rapprochement avec le substan-
tif chose, Kleiber développe l'idée que le pronom ça a pour fonction, du fait de
son genre invariable, d'appréhender son référent comme une entité non nom-
mée et donc non classifiée, c'est-à-dire comme une « chose ». Le pronom ça a
donc une fonction référentielle complémentaire à celle de il qui, étant de genre
variable, appréhende nécessairement son référent comme étant nommé et clas-
sifié.

Du fait qu'il renvoie à une entité non classifiée, le pronom ça peut renvoyer à
des référents propositionnels :

39. Il est possible d'établir un rapprochement entre le nombre singulier que Kleiber attribue au
pronom ça et le fonctionnement souvent résomptif ou totalisant de ce pronom relevé par
Maillard (1987).
40. Corblin appuie son analyse sur certains développements de la Logique de Port-Royal
(1683). La signification de ceci (hoc) y est conçue comme « une idée confuse, qui quoique
jointe à des idées plus distinctes demeure toujours confuse» (cité par Corblin, 1995: 85).
Ceci se caractérise donc par une signification invariante et non spécifiée. À partir de là,
Corblin développe la thèse que ceci et cela se caractérisent par un contenu nominal indis-
tinct.

152
Les marques lexicales du topique

(3.30) Elle l'a giflé. n'a pas surpris Bernard. (Kleiber 1998a)

ou apparaître dans des énoncés d'identification: « lorsque des indices laissent


prévoir son arrivée, le référé subséquent - non encore classé - est d'ordinaire
anticipé par ça » (Maillard 1987 : 329). Par exemple:

c'est mes amis de Lyon.

La reprise par ça est neutre lorsque les personnes auxquelles elle renvoie ne
sont pas encore identifiées; il n'en va pas de même dans les énoncés où ça
renvoie à un référent déjà classifié par son nom. Par exemple, ma mère, c'est
ça peut produire un effet péjoratif, d'après Maillard, parce que ça paraît « dé-
classifiant dans un tel contexte» (1987 : 329). Cette valeur péjorative apparaît
lorsque la commutation avec le pronom il est possible, mais elle n'est pas né-
cessairement perçue comme telle par les interlocuteurs41 .

Le fait que le pronom ça renvoie à une entité non nommée le rend en outre par-
ticulièrement apte à désigner des référents génériques, comme cela a déjà été
maintes fois relevé, en particulier à propos de certains énoncés à sujet détaché
tels que:

(3.32) Une pie, (Maillard 1987)

Plusieurs explications sont avancées pour rendre compte du fonctionnement du


ça générique 42 . Corblin recourt à la notion d'expansion métonymique: «de
l'objet initial, on peut passer à la classe dont l'objet initial est le représentant
ou à la situation dans laquelle il est impliqué» (Corblin 1995 : 93). Maillard va
plus loin, car il considère ça « comme un classificateur des antécédents généri-
ques » (1987 : 329) : partant de l'idée que l'énoncé une pie jacasse est référen-
tiellement ambigu (le référent peut être spécifique ou générique), Maillard
défend la thèse que ça fonctionne comme un opérateur de généralisation, qui le
fait référer sans équivoque à une classe conceptuelle. Cependant, Maillard ad-
met lui-même que «l'opérateur ça ne fonctionne pas toujours très bien»
(1987 : 51) et que la fonction générique de ça peut être contrariée par des effets
déictiques, comme c'est le cas dans :

chauffe pas, ce radiateur.

41. Reste que cette hypothèse rend moins facilement compte d'un exemple comme: et Paul, ça
va ? De tels exemples, rares dans mon corpus mais plus fréquents dans les publicités citées
par Maillard, pourraient être liés, comme le suggère ce linguiste, à la présence de certains
verbes (Maillard 1987 : 49).
42. Pour un état de la question détaillé des différentes propositions qui visent à rendre compte
du ça, et en particulier du ça générique, je renvoie à Kleiber (1998a).

153
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

C'est précisément ce type d'argument qui amène Kleiber à défendre la propo-


sition que, si le pronom ça se prête particulièrement bien à une lecture généri-
que, ce n'est pas parce que ce pronom aurait des propriétés génériques
intrinsèques, mais plutôt parce qu'il renvoie à un référent appréhendé comme
une chose, ce qui le rapproche des référents génériques:

En tant que référent générique, il se trouve appréhendé comme une entité non
nommée, comme une occurrence immédiate des choses et appelle donc le mar-
queur ça comme désignateur dans ce type de situation. (Kleiber 1994a : 76)

Dans cette perspective, la lecture générique du référent auquel renvoie ça se-


rait la plus économique, au sens de la théorie de la pertinence de Sperber &
Wilson (1986) (Kleiber 1998a : 226).

3.4.2 Instructions référentielles du pronom ça


Les instructions référentielles du pronom ça correspondent à son caractère
déictique: le pronom ça, en tant que symbole indexical (Kleiber 1986c), indi-
que que« le référent est à (re)trouver grâce à des éléments qui sont en relation
spatio-temporelle avec son occurrence» (Kleiber 1998a : 222, 1998b: 105).
Kleiber rattache par là le traitement du pronom ça à celui de l'ensemble des
démonstratifs43 •

Cette procédure de désignation déictique, qui peut être rapprochée d'un geste
de pointage sur un élément visant à attirer l'attention de l'interlocuteur, a pour
corollaire cognitif la mise en relief d'un élément nouveau:

si un locuteur utilise une expression indexicale, c'est-à-dire une expression qui


déclenche une procédure de repérage spatio-temporel, c'est qu'il juge que son
interlocuteur n'a pas encore le référent à l'esprit (cas du référent nouveau) ou qu'il
entend le lui faire découvrir sous un aspect nouveau (dans l'hypothèse où le réfé-
rent est déjà connu). S'il en allait autrement, il ne recourrait pas à une telle procé-
dure d'identification. (Kleiber 1992b : 623)

Une expression indexicale comme le pronom ça peut donc soit introduire un


nouveau référent, soit ajouter quelque chose à propos d'un référent déjà
saillant pour les interlocuteurs, qui est alors lié à un contraste, un effet de rup-
ture, etc. (Kleiber 1998a : 222).

43. Il relève toutefois dans une note que la situation n'est pas entièrement claire et qu'elle méri-
te d'être approfondie (1998a: 221, note 43).

154
Les marques lexicales du topique

On peut alors se demander si le pronom ça peut indifféremment être associé à


ces deux formes de nouveauté. Kleiber illustre largement le deuxième type, à
savoir l'apport d'un élément nouveau sur un référent déjà saillant. Ainsi, dans
des exemples comme:

(3.30) Elle l'a giflé. n'a pas surpris Bernard.

(3.34) Jouer du violon, c'est difficile.

l'apport nouveau réside dans le passage du référent propositionnel au référent


nominal (Kleiber 1998a : 223).

Kleiber ne traite en revanche pas la fonction introductrice qui serait celle de ça


avec un nouveau référent. Il se contente de relever, en note, que :

Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problèmes et que l'usage pour introduire un
nouveau référent se résout au classique emploi ostensif pour désigner la chose que
l'on a sous les yeux. (1998a: 223, note 45)

Une telle remarque peut se comprendre de deux manières différentes, en fonc-


tion de l'interprétation que l'on fait du classique emploi ostensifpour désigner
la chose que l'on a sous les yeux: soit cet emploi ostensif est interprété comme
un mode d'introduction d'un référent nouveau (la nouveauté étant évaluée par
rapport au discours antérieur), soit il est interprété au contraire comme l'apport
d'une information nouvelle sur un référent déjà saillant en mémoire discursive
par la situation car on l'a sous les yeux. Ainsi, dans l'exemple suivant:

(3.35)
[devant un ordinateur qui refuse de s'allumer]
X: marche pas !

la première interprétation consiste à considérer que le pronom ça introduit un


nouveau référent dans le discours, car il n'a pas encore été question de cet or-
dinateur auparavant. En suivant la seconde interprétation, l'ordinateur consti-
tue un référent déjà saillant dans la mémoire discursive, parce qu'il y a été
introduit par la situation. Le rôle du pronom ça se réduit alors à l'apport d'un
élément nouveau (en l'occurrence, sa saisie en tant que chose) à propos d'un
référent déjà saillant.

Quelle que soit l'interprétation choisie, Kleiber laisse entendre que le pronom
ça peut fonctionner comme introducteur de référent nouveau. Sans exclure un
tel cas de figure, il me semble pourtant que l'on est en droit de relativiser son
importance. Et cela, pour la raison suivante : le contenu descriptif de ça est

155
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

particulièrement ténu, puisqu'il se limite à des marques de genre et de nombre


invariable, qui lui permettent d'appréhender son référent comme une chose
non nommée. De ce fait, le pronom ça semble difficilement capable, à lui seul,
d'introduire un nouveau référent. Ainsi, dans une conversation téléphonique, si
un locuteur s'exclame: « ça marche pas! » sans que l'interlocuteur sache que
le locuteur se trouve face à son ordinateur, l'interlocuteur aura de grandes diffi-
cultés à identifier le référent de ça. Pour cette raison, je ferai l'hypothèse que le
pronom ça est, du fait de son contenu descriptif peu déterminé, mieux à même
d'apporter quelque chose de nouveau sur un référent déjà saillant par ailleurs
(par exemple du fait de la situation ou d'un geste de pointage) que d'en intro-
duire un nouveau.

En résumé, après avoir rappelé que le sens instructionnel du pronom ça est


constitué, d'après Kleiber, par son mode de fonctionnement indexical, qui est
lié à une certaine nouveauté, j'ai souligné, en m'appuyant sur le sens descriptif
du pronom, que la nouveauté à laquelle il est associé ne tient pas tant à l'intro-
duction de nouveaux référents qu'à la production d'un effet de mise en relief,
de contraste, etc. sur des référents déjà saillants.

3.4.3 Le pronom ça comme trace de point d'ancrage


À partir de cette description du pronom ça, je me propose d'étudier, ainsi que
je l'ai fait pour le pronom il, comment ce pronom marque les référents identi-
fiables et/ou actifs qui constituent les points d'ancrage. Je commencerai par
examiner le rôle du pronom ça dans la verbalisation des points d'ancrage en
général avant d'analyser sa fonction dans le marquage du topique.

Tout d'abord, en m'appuyant sur le sens descriptif peu déterminé du pronom


ça, j'aimerais faire l'hypothèse que ce pronom fonctionne généralement, à
l'instar du pronom il, comme une trace de point d'ancrage. Une telle hypothèse
se trouve confirmée par de nombreux exemples, comme:

(3.15)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: ..... c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Forum)

156
Les marques lexicales du topique

Dans un tel exemple, les pronoms démonstratifs (ça et ce) semblent alterner li-
brement avec le pronom elle pour renvoyer au référent introduit par mon im-
pression, qui fonctionne comme un point d'ancrage, en l'occurrence immédiat.
Indépendamment de la différence existant entre les pronoms démonstratifs et
le pronom elle au niveau de leurs instructions référentielles, ces expressions ré-
férentielles semblent avoir une fonction similaire au niveau de la structure in-
formationnelle.

Une telle observation ne revient toutefois pas à postuler une équivalence totale
entre les deux formes. Même lorsque toutes deux fonctionnent comme traces
de point d'ancrage, le pronom ça se distingue du pronom il avant tout par son
contenu descriptif, qui lui permet de renvoyer de manière privilégiée à l'indis-
tinct et au non nommé, contrairement au pronom il, qui saisit les référents dans
la continuité référentielle de leur désignation. Cette caractéristique apparaît
distinctement dans l'exemple 3.36 :

(3.36)
[contexte: B. Pivot cherche à faire admettre à G. Simenon qu'il a eu un
comportement cruel avec les femmes qu'il a connues, et avec D. (Denise)
en particulier]
BP: le votre de passé 1 il était pas (X)
GS: (oui) je sais 1 mais n'oubliez pas que ça se passait. à une époque qui n'était
pas la nôtre 1 n'oubliez pas que ça se passait. il Y a maintenant: pardon \
c'était en 19451 alors voyez ça fait 1
BP: alors on était un peu macho à c'moment-là Il
GS: en 45 en 451 on n'avait pas la même mentalité vis-à-vis des femmes 1 et en
451. on espérait encore épouser une vierge 1eh: c'est tout à fait différent de
la mentalité d'aujourd'hui 1 -+ aujourd'hui m'paraît monstrueux \
BP: -+ vous paraît monstrueux \\
GS: oui Il
BP: -+ mais est-ce que votre comportement vous paraît monstrueux
aujourd'hui \\
GS: euh: oui 1 -+ mais i! était tout à fait explicable étant donné les idées de
l'époque Il .. tout à fait normal selon les idées de l'époque Il. (Apostrophes)

Cet exemple suit une brève narration de la relation entre G. Simenon et D. par
B. Pivot, dont l'objectif est de faire reconnaître à G. Simenon qu'il a eu un
comportement cruel avec les femmes. Dans l'énoncé: aujourd'hui ça m'paraît
monstrueux, l'emploi du pronom ça permet à G. Simenon d'exprimer une opi-
nion qui répond aux attentes de B. Pivot, sans avoir à préciser exactement ce
qui lui paraît monstrueux: son comportement en particulier, ou la mentalité
vis-à-vis des femmes que l'on avait en 45. L'ambiguïté persiste, ce que montre
l'intervention ultérieure de B. Pivot dans laquelle ce dernier explicite sa ques-
tion : mais est-ce que votre comportement vous paraît monstrueux aujourd 'hui.

157
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

Une fois le référent nommé, classifié, c'est par le pronom il, et non plus par le
pronom ça, que G. Simenon va y faire référence.

Ces deux exemples tendent à étayer l 'hypothèse selon laquelle le pronom ça, à
l'instar du pronom il, aurait essentiellement pour vocation de marquer un réfé-
rent identifiable fonctionnant comme un point d'ancrage, mais en le saisissant
comme un référent non nommé. On peut cependant se demander si la partie
instructionnelle du pronom ça ne le distingue pas plus nettement du pronom il,
dans la mesure où elle est associée à une exigence de nouveauté. Cette nou-
veauté pourrait être mise en relation avec une différence au niveau de l'état
d'activation du référent.

Une telle piste semble a priori séduisante. En effet, certains exemples, qui font
intervenir un marquage syntaxique particulier, paraissent accréditer l'idée que
le pronom ça peut marquer une information nouvellement activée. C'est le cas
dans une structure clivée telle que :

(3.37) c'est qui compte

où le pronom ça se trouve dans une position de focus (au sens de Lambrecht


1994) qui lui confère le statut d'une information activée44 .

Cependant, la nouveauté liée au mode de fonctionnement d'une expression in-


dexicale comme le pronom ça ne peut pas être considérée comme équivalente
à l'état d'activation perçu au niveau de la structure informationnelle. Pour le
montrer, j'aimerais m'appuyer sur le traitement de référents génériques dans
les exemples suivants :

(3.38)
DC: je crois que l'élément essentiel qu'apporte le débat / c'est c'est qu'il met un
sujet. sous des perspectives différentes / il montre. qu'un sujet / c'est une
chose complexe / qu'on peut le voir sous des angles différents / (Forum)

(3.39)
CT: alors il est certain qu'un débat à la radio ou à la télévision ne bouleverse pas
l'opinion des gens / mais fait avancer l'information / et je le rappelle
rappelle cette question fondamentale que la politique / c'est un débat
d'idées \\
CM: mais est-ce que fait forcément avancer les choses //
CT: je ne dirais pas que fait vraiment avancer les choses \ (Forum)

44. Voir l'étude de la structure clivée dans le quatrième chapitre (4.2.3).

158
Les marques lexicales du topique

Ces extraits illustrent deux modes d'introduction et de reprise du référent gé-


nérique constitué par le «débat (médiatique) »45: le N ... , il ... et un N ... , ça ...
On voit que dans ces deux exemples, les pronoms renvoient au point d'ancrage
constitué par le référent générique: « le débat médiatique ». En quoi consiste
alors l'aspect nouveau apporté par le pronom ça, par opposition au pronom il?
Il tient essentiellement, d'après Kleiber, au fait que le référent, qui a été intro-
duit comme une entité nommée, est repris sous sa facette de chose, contraire-
ment à ce qui se passe avec le pronom il qui maintient la continuité catégorielle
(Kleiber 1994a: 227-228). Ce caractère nouveau est lié au mode de renvoi à
un référent déjà saillant, et il n'implique pas de modification au niveau du sta-
tut informationnel des éléments concernés : le pronom ça continue à fonction-
ner comme trace de point d'ancrage. Ce type d'exemple montre, me semble-t-
il, que la nouveauté liée à la procédure indexicale d'assignation de la référence
du pronom ça doit être située en deçà de la structure informationnelle où elle
n'a pas de correspondant direct.

Après avoir étudié le rôle du pronom ça dans le marquage des points d'ancrage
en général, je me propose d'examiner le rôle de ce pronom dans le marquage
du topique. L'observation des exemples impliquant ce pronom semble d'em-
blée significative: dans la grande majorité des cas, le pronom ça renvoie à un
référent interprétable comme topique. Ainsi, dans l'exemple 3.15 :

(3.15)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Fornm / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: -+ c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Fornm)

Le référent activé par mon impression, d'abord repris par le pronom il puis par
les démonstratifs, peut être interprété comme le topique, car c'est lui qui cons-
titue l'information la plus immédiatement pertinente à propos de laquelle les
actes successifs ajoutent de l'information. De manière similaire, dans 3.39 :

(3.39)
CT: alors il est certain qu'un débat à la radio ou à la télévision ne bouleverse pas
l'opinion des gens / mais fait avancer l'information / et je le rappelle

45. Le« débat» constitue le thème général de cette émission radiophonique.

159
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

rappelle cette question fondamentale que la politique 1 c'est un débat


d'idées \\
CM: mais est-ce que fait forcément avancer les choses Il
CT: je ne dirais pas que fait vraiment avancer les choses \

Le pronom démonstratif renvoie au référent « un débat », qui fonctionne com-


me topique dans la quasi-totalité de l'extrait (je reviendrai sur le dernier acte
qui présente un cas de figure particulier). À partir de là, il semble légitime
d'émettre l'hypothèse que le pronom ça, en tant que trace de point d'ancrage,
renvoie de manière privilégiée à une information qui fonctionne comme topi-
que.

Avant d'aller plus loin, il convient d'évoquer les limites de cette hypothèse, car
le pronom ça peut s'inscrire dans le cadre d'une reprise plus large qui renvoie
au topique. C'est ce qui se passe pour le dernier acte de l'exemple 3.39 que je
reprends en 3.40 :

(3.40)
CM: mais est-ce que fait forcément avancer les choses Il
CT: je ne dirais pas que ça fait vraiment avancer les choses \

Dans l'intervention de C. Torracinta, le pronom ça s'inscrit dans une reprise


diaphonique46 des paroles de l'interlocuteur: le topique y est marqué par l'en-
semble de la reprise et le pronom ça marque uniquement une partie de ce topi-
que. Il en va de même dans 3.41 :

(3.41 )
BP: ah oui d'accord 1 mais vous avez été très cruel à ce moment-là 1 vous lui
avez dit mais je te trompe. pratiquement chaque jour depuis vingt ans et
parfois plusieurs fois par jour \\
GS: mais oui 1 mais je lui je lui ai dit ça justement pour que. elle comprenne
que. elle ne devait pas porter. toute sa haine sur Boule 1 (Apostrophes)

G. Simenon reprend les propos de son interlocuteur (par je lui ai dit ça) qui
peuvent être interprétés comme un topique propositionnel; le pronom ça ne
renvoie qu'à une partie de ce topique. Il n'est donc pas possible de soutenir
que le pronom ça renvoie nécessairement directement au topique, mais tout au
plus qu'il en constitue une marque privilégiée.

46. Pour le traitement du discours rapporté et des reprises diaphoniques, cf. Roulet (1993,
1997c et d, 1999b et c), Perrin (1995,1996 et 1999), Miche (1995,1997) ainsi que Vincent
& Dubois (1997).

160
Les marques lexicales du topique

Deux éléments peuvent être évoqués pour étayer cette proposition. Première-
ment, on peut rappeler que le pronom ça, par son contenu descriptif impliquant
un genre masculin par défaut, renvoie aux référents non nommés, non classés.
Il est de ce fait fréquemment utilisé pour marquer un ancrage linéaire sur un ré-
férent propositionnel qui vient d'être activé. C'est le cas dans les exemples sui-
vants, dans lesquels le topique est restitué entre crochets :

(3.42)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / [avoir des colères] ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
(Apostrophes)

(3.43)
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / .. [qu'il ait été un mari
parfait] je . je n'pense pas ./ (Radioscopie)

On peut relever que le pronom ça peut être supprimé sans entraver l'identifica-
tion du topique de ces exemples :

(3.42')
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / plus depuis vingt ans \\

(3.43 ')
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un. un mari parfait / .. je . je n'pense pas ./

Ces ancrages linéaires, qu'ils soient marqués ou non, constituent une progres-
sion informationnelle particulièrement fréquenté 7 • Comme le pronom ça per-
met précisément de marquer de tels ancrages, on comprend pourquoi il renvoie
souvent à un topique.

Deuxièmement, il est intéressant de rappeler les instructions référentielles du


pronom ça : le fonctionnement indexical de ce pronom est lié à la mise en re-
lief du référent qu'il désigne, auquel est associé un élément nouveau (qui se
traduit par un effet de contraste, constitution d'un ensemble, etc.). Cette mise
en relief sémantique d'un référent peut avoir pour effet de promouvoir, au ni-
veau de la structure informationnelle, ce référent au statut de topique. En
d'autres termes, le pronom ça permet non seulement de marquer un référent
déjà saillant comme étant un point d'ancrage, mais d'attirer l'attention
dessus, ce qui facilite son interprétation en tant que topique. On peut illustrer
cette proposition sur la base de la comparaison des exemples suivants:

47. Voir, dans le chapitre précédent, le point 2.3.3.1.

161
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(3.44) il est certain que le débat à la radio ou à la télévision ne bouleverse pas


l'opinion des gens, mais il fait avancer l'information

(3.45) il est certain qu'un débat à la radio ou à la télévision ne bouleverse pas


l'opinion des gens, mais fait avancer l'information

Dans l'exemple 3.44, le pronom il renvoie à un référent (le «débat à la radio


ou à la télévision») saillant au même titre que la situation dans laquelle il est
impliqué et qui est prolongée par l'occurrence du pronom. En revanche, dans
l'exemple 3.45, la procédure indexicale déclenchée par l'interprétation du pro-
nom ça confère une saillance particulière au référent qui est alors isolé et, me
semble-t-il, préférentiellement interprété comme topique.

Cette discussion aura permis de faire apparaître le rôle du pronom ça dans le


marquage de la structure informationnelle. À l'instar du pronom il, le pronom
ça constitue généralement une trace de point d'ancrage. Le démonstratif se dis-
tingue toutefois du pronom personnel, d'une part, parce qu'il renvoie à un réfé-
rent saisi comme une entité non nommée, et, d'autre part, parce que son
fonctionnement indexical confère une saillance particulière au référent auquel
il renvoie. Pour ces deux raisons, le pronom ça peut être considéré comme un
marqueur privilégié du topique.

3.5 Les syntagmes nominaux anaphoriques


Les syntagmes nominaux définis et démonstratifs peuvent, à l'instar des pro-
noms, renvoyer à des référents identifiables fonctionnant comme des points
d'ancrage. Le cas des anaphores fidèles, dans lesquelles l'expression anaphori-
que est identique à la forme introductrice (un chien ... le/ce chien ... ), constitue
un exemple prototypique de cet emploi des syntagmes nominaux définis et dé-
monstratifs ; je leur accorderai de ce fait une attention particulière. Les syntag-
mes nominaux peuvent toutefois également intervenir dans des anaphores
infidèles, qui impliquent une différence entre le syntagme introducteur et l'ex-
pression anaphorique. Comme le rappelle notamment Apothéloz (1995 : 37),
cette dernière est formée le plus souvent d'un hyperonyme ou d'un synonyme,
auquel peut être ajoutée une détermination quelconque (par ex. un chien ...
l'animal; un chien ... cette belle bête)48. Les syntagmes nominaux peuvent
également intervenir dans des nominalisations, qui peuvent elles aussi être fi-
dèles (lorsque le nom de la forme de rappel est un dérivé du verbe introducteur,

48. Cf. Theissen (1997) pour une étude approfondie de l'anaphore infidèle, ainsi que le débat
entre d'un côté Apothéloz & Reichler-Béguelin (1995), et de l'autre, Charolles (1997) et
Schnedecker (1997 : 26ss.).

162
Les marques lexicales du topique

comme par ex. les archives seront vendues le 3 mars... la vente) ou infidèles
(par ex. les archives seront vendues le 3 mars ... cette arnaque) (Apothéloz &
Chanet 1997).

L'analyse des syntagmes nominaux (dorénavant: SN) définis et démonstratifs


anaphoriques fait l'objet de nombreux débats parmi des linguistes d'orienta-
tions très différentes tels que Corblin (1995), de Mulder (1990), Marandin
(1988), Kleiber (1986a et b, 1990a et b, 1994a, 1998c), Reichler-Béguelin
(1988), Apothéloz & Reichler-Béguelin (1995), etc. 49 . Ces débats ne seront
que très partiellement évoqués, car les travaux cités ci-dessus contiennent pour
la plupart déjà des comparaisons explicites entre les différentes approches. Je
me concentrerai principalement sur les aspects de la description des SN définis
et démonstratifs qui permettent de préciser leur rôle dans le marquage de la
structure informationnelle.

3.5.1 Les syntagmes nominaux définis et démonstratifs


Bien que le terme d'« expression définie », qui renvoie à l'ensemble des ex-
pressions porteuses de la marque «défini », tende à niveler les différences
existant entre le SN défini et le SN démonstratif (Kleiber 1986a : 196), les lin-
guistes s'accordent pour considérer que ces deux types de syntagmes nomi-
naux se caractérisent par une répartition différente dans le discours:
contrairement au SN démonstratif, le SN défini peut être répété librement et
est, de ce fait, beaucoup plus fréquent que le SN démonstratif, souvent associé
à un effet de rupture (Corblin 1995). De plus, il est généralement admis que le
SN défini et le SN démonstratif ne sont pas interchangeables. C'est le cas dans
les exemples suivants, discutés par Kleiber (1986a) et Corblin (1995) :

(3.46)? J'ai vu une voiture. La voiture roulait vite.

(3.4 7) J'ai vu une voiture. Cette voiture roulait vite.

(3.48)? J'ai vu une voiture et un camion. Cette voiture roulait vite.

(3.49) J'ai vu une voiture et un camion. La voiture roulait vite.

où les SN définis et démonstratifs admettent une répartition complémentaire.


De plus, le SN défini admet l'anaphore associative, comme dans 3.50 (traité
par Kleiber 1986a et Corblin 1995) :

49. Ces quelques noms ne reflètent que la pointe de l'iceberg. Pour d'autres références, voir la
bibliographie richement documentée de Kolde (1996).

163
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(3.50) Paul entra dans une maison. Le toit était abîmé.

contrairement au SN démonstratif, ainsi que l'illustre 3.51 :

(3.51) * Paul entra dans une maison. Ce toit était abîmé.

Pour rendre compte de ces différences, Kleiber (1986a et b, 1990a et b, 1994a)


recourt aux notions de contexte d'énonciation et de circonstances d'évaluation,
qu'il emprunte à Kaplan:

(i) l'article défini renvoie aux circonstances d'évaluation


(ii) l'adjectif démonstratif renvoie au contexte d'énonciation de l'occurrence
démonstrative utilisée
(iii) l'article défini, lorsqu'il réfère à un individu particulier, le désigne indirecte-
ment
(iv) l'adjectif démonstratif se présente en revanche toujours comme un désigna-
teur direct (Kleiber 1986a : 173)

Selon cette description, le syntagme nominal défini saisit indirectement son ré-
férent dans les circonstances d'évaluation souvent tracées par l'énoncé qui pré-
cède; Kleiber précise la notion de circonstances d'évaluation de la manière
suivante:

Par circonstances, on entend indiquer les conditions, qui pour un référent donné
peuvent être changeantes, qui font que le référent visé soit le seul objet du type
correspondant à la description utilisée. Le terme d'évaluation, parce qu'il impli-
que la notion de vérité et de calcul, peut rebuter le cognitiviste, mais il ne s'agit en
fait de rien d'autre que de souligner que la description est vraie pour l'interlocu-
teur dans les circonstances qui assurent l'unicité du référent comme étant le tel-et-
te/. L'idée est que, dans la circonstance qui s'avère pertinente, il y a un et un seul N
est tenue pour vraie par l'interlocuteur. (Kleiber 1990b : 211)

Le SN démonstratif s'oppose au SN défini, car, en tant que symbole indexical


(Kleiber 1986c), il saisit SOn référent dans l'environnement spatio-temporel
textuel ou situationnel de son occurrence. Comme le pronom ça, le SN dé-
monstratif est lié, par le repérage indexical qui le caractérise, à l'introduction
d'un référent ou à la re-saisie d'un référent connu, qui est alors associée à un
effet de rupture, de contraste, etc. (voir p. ex. le démonstratif littéraire discuté
par Kleiber 1998c)5o.

50. Corblin (1995) défend quant à lui l'hypothèse d'un fonctionnement anaphorique lexical
pour le SN défini et positionnel pour le démonstratif. Dans le SN défini, l'article a pour ef-
fet d'imposer un domaine de référence dont les individus sont manifestes (par exemple,
lorsqu'ils ont été évoqués antérieurement) et il en extrait un individu. En revanche, l'adjectif

164
Les marques lexicales du topique

La description proposée par Kleiber lui permet d'expliquer la différence de ré-


partition entre ces deux formes. Par exemple, dans 3.52 :

(3.52) Un avion s'est écrasé hier. L'avion venait de Miami. (Kleiber 1986a)

la première phrase fournit globalement les circonstances d'évaluation dans les-


quelles le SN défini l'avion peut saisir son référent 5 !. En revanche, dans 3.53 :

(3.53) Un avion s'est écrasé hier. Cet avion venait de Miami. (Kleiber 1986a)

le démonstratif saisit directement son référent à partir de la désignation située dans


le contexte immédiatement précédent. En fait, contrairement à l'exemple 3.52,
où la présence du SN défini est rendue légitime par la continuité des circons-
tances évaluatrices dans les deux énoncés, l'emploi du SN démonstratif, qui ne
se justifie pas, est, selon Kleiber, forcé en 3.53 (Kleiber 1986a : 177). L'utilisa-
tion du SN démonstratif est meilleure lorsque le second énoncé marque un dé-
crochement par rapport aux circonstances d'évaluation, comme dans 3.54 :

(3.54) Un avion s'est écrasé hier. Cet avion relie habituellement Miami à New
York. (Kleiber 1986a)

Il apparaît ainsi que pour être évaluée positivement, la re-saisie du référent par
le SN démonstratif doit être motivée par le développement discursif, que ce
soit par un décrochement comme en 3.54, par l'exploitation de la valeur de
contraste interne du SN démonstratif (Corblin 1995: 70-71), par un change-
ment de point de vue (Marandin 1988), par un passage du récit au discours
(Reichler-Béguelin 1988), ou par un segment polyphonique (Apothéloz 1995).

Enfin, le caractère problématique de l'exemple 3.46 :

(3.46)? J'ai vu une voiture. La voiture roulait vite.

(3.47) J'ai vu une voiture. Cette voiture roulait vite.

démonstratif impose le renvoi à une désignation qui se trouve dans le contexte immédiat,
tandis que le contenu nominal du SN démonstratif (re)classifie le référent qu'il désigne
comme un individu particulier de la classe des N. Suite à leurs différents fonctionnements,
le SN défini et le SN démonstratif n'ont pas la même valeur de contraste: d'après Corblin
(1995 : 51), le SN défini a une valeur de contraste externe, car il oppose un individu de la
classe N aux individus mentionnés qui ne sont pas des N. Par contre, le SN démonstratif a
une valeur de contraste interne, car il oppose un N particulier aux autres N possibles. C'est
cette différence de valeur de contraste qui permet à Corblin de rendre compte des différen-
tes répartitions de ces deux formes (1995: 66ss.).
51. « Le référent se trouve saisi indirectement comme étant le x qui vérifie la propriété d'être le
'tel-et-tel' dans le monde où il est vrai qu'il s'est écrasé hier.» (Kleiber 1986a: 175)

165
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

s'explique, selon Kleiber (1986a : 179), par le fait que le premier énoncé a es-
sentiellement pour fonction d'introduire un référent, et que l'interlocuteur s'at-
tend à ce que la suite porte uniquement sur ce référent, saisi indépendamment
des circonstances d'évaluation, comme c'est le cas en 3.47 grâce au démons-
tratif. En revanche, avec une coordination :

(3.48)? J'ai vu une voiture et un camion. Cette voiture roulait vite.

(3.49) J'ai vu une voiture et un camion. La voiture roulait vite.

le premier énoncé introduit non pas deux référents, mais un ensemble référen-
tiel, duquel un référent doit être extrait (Kleiber 1986a: 181). Cette extraction
peut être réalisée par le SN défini, grâce à son fonctionnement référentiel indi-
rect, mais pas par le démonstratif qui exige une saisie directe. De même, l'ana-
phore associative illustrée en 3.50 :

(3.50) Paul entra dans une maison. Le toit était abîmé.

(3.51) * Paul entra dans une maison. Ce toit était abîmé.

nécessite une saisie indirecte, ce que le SN démonstratif, avec son fonctionne-


ment indexical, n'est pas en mesure de réaliser: seul le SN défini est adéquat.

3.5.2 Les syntagmes nominaux définis et démonstratifs


comme traces de points d'ancrage
Après avoir relevé les principales caractéristiques des SN définis et démonstra-
tifs, il est possible d'étudier leur rôle dans le marquage de la structure informa-
tionnelle. Dans cette perspective, je préciserai comment ces expressions
référentielles marquent les points d'ancrage et le topique, et en quoi elles se
distinguent des pronoms il et ça.

Il ressort de la description qui précède que les SN définis et démonstratifs ren-


voient toujours à un référent identifiable pouvant être considéré comme un
point d'ancrage. Ce renvoi s'effectue par l'intermédiaire des circonstances
d'évaluation pour le SN défini, comme dans l'exemple 3.55 :

(3.55)
[contexte : Jérôme Garein présente le film de Xavier Beauvois]
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine / certains qui ado-
rent / comme les Cahiers du Cinéma / qui parlent d'un grand film euh
intime /. et à l'opposé. les Inrockuptibles /. où j'ai pu lire Beauvois n'est

166
Les marques lexicales du topique

pas doué pour le cinéma 1. et . un grand film bête \\ <rires> alors je précise
que ce ne sont pas des lignes de Serge Kaganski 1 mais d'un de ses confrères
et camarade de des Inrockuptibles 1 mais. <acc.> (X) c'est vrai que les
avis. cette semaine 1j'ai lu à peu près tous les quotidiens et tous les hebdos 1
sont 1 . on peut dire 1 diamétralement opposés sur ce film comme ça a été un
peu le cas au Festival de Cannes 1. euh : y a pas de . y a pas de juste milieu 1
(Le Masque et la Plume)

Dans cet exemple, le SN défini les avis renvoie au référent « avis dans la pres-
se )) introduit par le segment discursif qui précède, qui fournit les circonstances
d'évaluation nécessaires à son identification.

Comme je l'ai rappelé ci-dessus, le SN défini permet les anaphores associati-


ves; il peut par conséquent marquer indirectement un point d'ancrage:

(3.56)
JG: bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni :1 Bulle Ogier (XXX)
et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Cannes le prix
du: jury Il l'histoire est la suivante 1. un étudiant en histoire de l'art
apprend. en tentant: d'échapper au service militaire 1 qu'il est séropositif 1
c'est le début d'une longue descente aux enfers 1 qui passe. par la drogue 1
la prostitution :1 la prison 1 et mê :me à la fin par la Bosnie . en guerre \ (Le
Masque et la Plume)

Dans cet exemple, le point d'ancrage marqué par le SN défini l'histoire est for-
mé par le« film de Xavier Beauvois )), dont J. Garein évoque l'intrigue.

Le SN démonstratif marque quant à lui un point d'ancrage issu du contexte


spatio-temporel de son occurrence. Le référent peut être matériellement pré-
sent, comme les «deux billets)) évoqués dans l'extrait de dialogue en librairie
suivant:

(3.57)
C23 : vous avez l'nom d'l'éditeur alors (XX) tout à l'heure vous arrivez
L24: oui oui oui oui j'vais r'trouver oui oui c'est pas. c'c'est Belfont. sauf
erreur. est c' c'est un des. un professeur genevois Flournoy
C25: oui
L26: oui oui alors c'est ça Belfont bien alors je pense ou mardi après-midi ou
mercredi
C27: oui oui oh mais c'est pas: (XX)
L28 : si ça joue, j 'vois pas. (XXX) <il écrit>
L29: vous m'laissez ces deux billets ça va
C30 : bien sûr (Flournoy)

167
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

Le point d'ancrage marqué par le SN démonstratif peut également être intro-


duit par le texte; c'est le cas pour le « film de Xavier Beauvois» :

(3.58)
[contexte: Jérôme Garcin présente le film de Xavier Beauvois]
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1 certains qui ado-
rent 1 comme les Cahiers du Cinéma 1 qui parlent d'un grand film euh
intime 1. et à l'opposé. les Inrockuptibles 1. où j'ai pu lire Beauvois n'est
pas doué pour le cinéma 1. et. un grand film bête \\ <rires> alors je précise
que ce ne sont pas des lignes de Serge Kaganski 1mais d'un de ses confrères
et camarade de des Inrockuptibles 1 mais. <acc.> (X) c'est vrai que les
avis. cette semaine 1j'ai lu à peu près tous les quotidiens et tous les hebdos 1
sont 1 . on peut dire 1 diamétralement opposés sur ce film comme. ça a été un
peu le cas au Festival de Cannes 1. euh: y a pas de . y a pas de juste milieu 1
(Le Masque et la Plume)

Le SN démonstratif ce film renvoie directement au « film de Xavier Beau-


vois », qui est saillant parce qu'il se trouve au centre de la présentation de J.
Garcin et a fait l'objet de nombreuses évocations.

Il apparaît ainsi que, malgré leurs différences, les SN défini et démonstratif


peuvent tous deux être considérés comme les traces de référents identifiables
fonctionnant comme des points d'ancrage. Faut-il dès lors considérer que ces
expressions référentielles marquent systématiquement le topique? La réponse
à cette question est négative, d'après Chafe (1994) et Lambrecht (1994) : con-
trairement aux pronoms, qui renvoient généralement à des référents déjà actifs,
les SN définis et démonstratifs renvoient à des référents identifiables mais non
marqués au niveau de leur état d'activation. Les SN définis et démonstratifs ne
paraissent donc pas pouvoir être considérés comme des marques fiables du to-
pIque.

L'étude du corpus montre en effet que les SN définis et démonstratifs ne ren-


voient à un référent susceptible d'être interprété comme un topique que dans
certains cas. C'est le cas pour le SN défini de l'exemple 3.56 :

(3.56)
JG: bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni :1 Bulle Ogier (XXX)
et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Cannes le prix
du: jury Il l'histoire est la suivante 1. un étudiant en histoire de l'art
apprend. en tentant: d'échapper au service militaire 1 qu'il est séropositif 1
c'est le début d'une longue descente aux enfers 1 qui passe. par la drogue 1

168
Les marques lexicales du topique

la prostitution :/ la prison / et mê :me à la fin par la Bosnie . en guerre \ (Le


Masque et la Plume)

qui renvoie au « film de Xavier Beauvois », pouvant être interprété comme le


topique (<< à propos du film de Xavier Beauvois, l'histoire est la suivante »).
De même, le SN démonstratif de 3.57 :

(3.57)
C23 : mais vous avez l'nom d'l'éditeur alors (XX) tout à l'heure vous arrivez
L24: oui oui oui oui j'vais r'trouver oui oui c'est pas. c'c'est Belfont. sauf
erreur. est c' c'est un des. un professeur genevois Floumoy
C25: oui
L26: oui oui alors c'est ça Belfont bien alors je pense ou mardi après-midi ou
mercredi
C27: oui oui oh mais c'est pas: (XX)
L28 : si ça joue, j 'vois pas. (XXX) <il écrit>
L29: vous m'laissez ces deux billets ça va
C30 : bien sÛT (Flournoy)

renvoie à un référent que l'on peut interpréter comme le topique (<< à propos de
ces deux billets, vous me les laissez »).

Dans d'autres exemples, comme 3.59, le référent auquel renvoie le SN défini


n'est pas interprété comme le topique: •

(3.59)
[contexte: MC donne son avis sur le classement des films des auditeurs]
MC: et ce qui me frappe dans le goût des auditeurs / c'est la diversité des pays
d'origine / il y a un film italien / un film serbe / un film grec / un film taïwa-
nais / un film japonais /. évidemment cinq films américains / ...... mais ne
représente pas . la domination assez écrasante du cinéma américain / puis-
que le reste du monde ça représente cinq pour cent des entrées en France /
(Le Masque et la Plume)

Pour l'acte fléché (mais ça ne représente pas la domination assez écrasante du


cinéma américain), le topique le plus immédiatement accessible paraît être le
référent du pronom ça, c'est-à-dire le « classement des auditeurs» ou la « pré-
sence de cinq films américains dans ce classement », tandis que le référent du
SN défini la domination assez écrasante du cinéma américain est situé plus à
l'arrière-fond, car il n'est pas directement lié par une relation d'à propos avec
l'information activée.

De même, le SN démonstratif ne renvoie lui non plus pas toujours au topique.


Par exemple, le SN cette semaine dans 3.60 :

169
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(3.60)
JG: bien 1 tout à fait différent 1 -+ un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni :1 Bulle Ogier (XXX)
et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Cannes le prix
du: jury Il

peut difficilement être interprété, dans le contexte de l'émission du Masque et


la Plume, comme la marque du topique de l'acte fléché (Burger 1999, Filliet-
taz 1999a) : tous les intervenants savent en effet que J. Garcin ne va pas faire
l'inventaire des différents événements qui se sont déroulés pendant la semaine
(ce qui correspondrait à l'interprétation selon laquelle la «semaine» consti-
tuerait le topique), mais qu'il va parler d'un « film» qui se présente comme
« tout à fait différent» de celui dont on vient de parler. Ces exemples confir-
ment que les SN définis et démonstratifs marquent des points d'ancrage, mais
ne renvoient pas systématiquement au topique. Pour préciser leur interpréta-
tion, il sera nécessaire de faire appel à d'autres dimensions linguistiques, telles
que la syntaxe, et discursives, comme je le montrerai dans les chapitres sui-
vants.

Pour compléter cette étude, il convient de différencier plus clairement le rôle


des SN définis et démonstratifs et des pronoms dans le marquage de la structu-
re informationnelle. En effet, même si toutes ces expressions référentielles
peuvent être considérées à un certain niveau comme des marques de points
d'ancrage, elles se caractérisent par des contenus sémantiques très différents.
Cette différence tient d'abord à leur contenu descriptif, sur lequel je ne m'at-
tarderai pas. En revanche, pour montrer en quoi les SN définis et démonstratifs
diffèrent des pronoms lorsqu'ils sont employés comme traces de point d'ancra-
ge, il me paraît intéressant de recourir à la notion d'accessibilité, mais située
cette fois en deçà de la description sémantique des expressions référentielles.

J'ai rappelé ci-dessus que, par ses instructions référentielles, le pronom il ren-
voie à un référent présenté comme étant particulièrement accessible. Le SN dé-
fini, en revanche, ne donne aucune indication sur l'état d'activation de son
référent. De ce fait, il semble légitime de considérer, à l'instar de Kleiber
(1994a : 98), que, tout au moins dans les situations de coréférence, l'alternance
du pronom il et du SN plein se justifie par la plus ou moins grande accessibilité
de leur référent52 . Ainsi, dans l'exemple 3.17 :

52. Une autre différence entre ces deux types d'expressions référentielles - que je ne traiterai
pas ici - est constituée par la plus grande exigence de continuité associée au SN défini
qu'au pronom il (Kleiber 1994a: 90).

170
Les marques lexicales du topique

(3.17)
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / alors les gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\ (Forum)

deux groupes de « gens» sont évoqués : ceux qui sont surpris par le fonction-
nement du monde politique et les participants de ce monde politique (cf. la dis-
cussion en 3.2.3). La chaîne référant aux politiciens par des gens ... ils ... ils ne
soulève aucun problème d'interprétation: le pronom il, par ses instructions ré-
férentielles, renvoie de manière préférentielle à un référent particulièrement
saillant. En substituant un SN défini au pronom, on obtient un exemple moins
naturel:

(3.17''')
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / -+ et
puis après les gens vont boire un verre à la cafétéria ensemble / -+ pis pis les
gens s 'tapent dans l'dos / alors les gens arrivent pas toujours à comprendre
cette idée-là / mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat.
pour une idée et non pas contre une personne \\

L'impression de «lourdeur» qui se dégage de 3.17'" peut s'expliquer par


l'augmentation du coût du calcul interprétatif provoquée par la répétition des
SN définis: contrairement au pronom il, qui s'applique directement à un réfé-
rent préalablement saillant, le SN défini ne tient pas compte de cette saillance
et implique par là un effort cognitif supplémentaire 53 •

53. Les notions d'« effort» et de « coût» sont comprises dans le sens de la théorie de la perti-
nence (Sperber & Wilson 1986).

171
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

En revanche, lorsqu'il s'agit de désigner non plus les «politiciens », mais le


premier groupe de « gens» (<< ceux qui sont surpris »), l'usage d'un SN défini,
comme dans l'exemple original, semble moins coûteux que celui du pronom,
dont l'interprétation est problématique:

(3.17")
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh : ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / ... alors ils arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j' crois qu' ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\

L'usage du pronom ils, qui s'applique à un référent particulièrement accessi-


ble, semble a priori impliquer une continuité référentielle entre le référent des
premières occurrences de ils et celui de la dernière. Pour l'acte fléché, cette
continuité est démentie par le prédicat (arrivent pas toujours à comprendre
cette idée-là) qui s'applique clairement aux «personnes surprises» évoquées
au début, et non pas au référent des premières occurrences de ils. Le coût de ce
revirement interprétatif paraît plus élevé que celui qui est associé au SN défini,
effectivement utilisé par le locuteur, qui n'implique pas de contrainte de
saillance préalable du référent.

Ces quelques exemples montrent que l'alternance du SN défini et du pronom il


peut s'expliquer par la plus ou moins grande accessibilité de leur référent. Par-
ce qu'il n'est pas lié à la saillance de son référent, le SN défini peut renvoyer
de manière privilégiée à un référent identifiable mais pas encore actif, par
exemple en raison d'une frontière de paragraphe ou encore parce que le réfé-
rent est un personnage secondaire dans une narration (Chafe éd. 1980). De ce
fait, comme le suggère Lambrecht à travers la notion d'échelle d'acceptabilité
du topique (1994: 165ss.), le SN défini n'est pas une marque privilégiée du to-
pique, car ce dernier est généralement très accessible.

Il reste encore à préciser pourquoi le démonstratif semble avoir un fonctionne-


ment proche de celui du pronom dans l'exemple 3.17' :

(3.17')
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends

172
Les marques lexicales du topique

compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque


l'on parle du débat politique / euh : que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / -+ alors ces gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-
là / mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une
idée et non pas contre une personne \\

Dans cet exemple, le SN démonstratif ces gens est difficilement interprété


comme renvoyant aux « gens surpris par le fonctionnement du monde politi-
que », car le référent paraphrasable par les « participants du monde politique»
est celui qui, par son occurrence précédant immédiatement le SN démonstratif,
paraît le mieux répondre aux instructions référentielles du démonstratif, selon
lesquelles le référent est identifié à partir du contexte immédiat de son occur-
rence.

Au terme de cette étude des SN définis et démonstratifs, il apparaît que ces


syntagmes nominaux peuvent toujours marquer un point d'ancrage, mais que
celui-ci n'est pas nécessairement le topique. En tant que trace de point d'ancra-
ge, le SN défini se distingue du pronom il car il n'est lié à aucune contrainte
concernant la saillance de son référent, ce qui n'en fait pas un marqueur préfé-
rentiel du topique. Le SN démonstratif impose quant à lui la présence de la dé-
signation du référent (ou de sa présence matérielle) dans le contexte immédiat
de son occurrence:

3.6 Bilan de l'analyse des expressions référentielles


Le présent chapitre avait pour but de préciser le rôle des expressions référen-
tielles dans l'identification du topique en combinant une approche pragmati-
que générale avec l'analyse sémantique plus détaillée de certaines expressions
référentielles. Il n'est pas inutile de prendre un peu de recul pour évaluer briè-
vement les apports et les limites de ce cheminement.

Tout d'abord, un certain nombre d'éléments positifs paraissent pouvoir être re-
levés. Au-delà des observations générales liées aux notions d'accessibilité,
d'identifiabilité et d'état d'activation, il a été possible de préciser le sens et le
fonctionnement des expressions référentielles et par là même, d'expliquer
leurs répartitions. Au niveau du rôle des expressions référentielles dans la
structure informationnelle, on peut dire, en simplifiant, que ces expressions
manifestent une plus ou moins grande aptitude, de par leur contenu sémantique,

173
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

à marquer un topique ou un point d'ancrage d'arrière-fond. Le pronom ça sem-


ble être une marque privilégiée du topique, du moins lorsque celui-ci n'est pas
constitué par un référent humain ou déjà classifié. Le pronom il marque géné-
ralement un point d'ancrage, mais celui-ci peut être immédiat (et donc un topi-
que) ou se situer à l'arrière-fond. Les syntagmes nominaux définis et
démonstratifs renvoient à un point d'ancrage sans donner d'indication sur
l'état d'activation de leur référent: le SN défini renvoie de manière privilégiée
à un référent peu accessible (généralement un point d'ancrage d'arrière-fond),
tandis que le SN démonstratif implique un référent saillant dans le contexte de
son occurrence.

Il convient toutefois aussi de relever les limites de cette étude qui, si elle a con-
finné le rôle essentiel joué par les pronoms il et ça ainsi que par les SN défini
et démonstratif dans le marquage des points d'ancrage, a également fait appa-
raître que ces expressions référentielles ne constituent pas, à elles seules, des
marques fiables du topique. Cela s'explique par le fait que les expressions ré-
férentielles s'inscrivent dans des structures syntaxiques et discursives qui
jouent elles aussi un rôle décisif dans l'identification du topique. C'est pour-
quoi le chapitre suivant portera sur l'analyse des marques syntaxiques du topi-
que.

174
Chapitre 4
LES MARQUES SYNTAXIQUES
DE LA STRUCTURE INFORMATIONNELLE

L'étude des marques syntaxiques du topique constitue sans doute l'un des do-
maines les plus importants et les plus intéressants des travaux portant sur la
structure informationnelle (Lambrecht 1981, 1994, Combettes 1998b, Firbas
1992, etc.)!. Dans ce cadre, les typologies les plus récentes insistent souvent
sur la fonction introductrice des structures syntaxiques marquées. Ainsi, Lam-
brecht (1988, 1994, 1999c) accorde une attention particulière aux structures
présentatives et aux prédications secondes, qui permettent l'introduction de ré-
férents dans le discours 2 . Les études de Rothenberg (1989) et Berthoud (1996),
pour ne citer qu'elles, mettent également l'accent sur l'ensemble des moyens à
la disposition des locuteurs pour (ré-)introduire de nouvelles informations dans
le discours.

J'adopterai une perspective complémentaire par rapport à ces travaux, dans la


mesure oùje m'intéresserai aux structures syntaxiques avant tout sous l'angle
de leur rôle dans le marquage du topique, étant entendu que ce marquage per-
met indirectement l'introduction de nouvelles informations. J'accorderai de ce
fait une attention toute particulière aux structures spécialisées dans le maintien

1. Voir à ce propos les contributions consacrées à la syntaxe dans les actes du colloque de
Caen sur la thématisation (Guimier éd. 1999), les travaux sur l'ordre des mots (p. ex. Ber-
rendonner 1987, Blanche-Benveniste 1996) et sur les structures syntaxiques liées à l'orga-
nisation informationnelle (p. ex. Rizzi 1997, Lambrecht 1994, Galambos 1980, Blanche-
Benveniste et al. 1990). Les cadres théoriques sont toutefois très hétérogènes.
2. Pour une étude de la prédication seconde, voir aussi Furukawa (1996).

175
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

du topique (rôle du sujet en 4.1, structures segmentées et clivée en 4.2), et je ne


traiterai pas les structures spécifiques liées à l'introduction de nouveaux réfé-
rents, moins directement pertinentes pour mon propos, dont on trouvera des
études détaillées dans les travaux cités ci-dessus.

Je me propose donc d'étudier comment les structures syntaxiques s'articulent


avec les expressions référentielles étudiées dans le chapitre précédent pour
conduire à l'identification du topique. Plus précisément, la syntaxe, dans la-
quelle s'inscrivent les marques lexicales, peut interagir de trois manières dis-
tinctes vis-à-vis de ces marques: elle peut soit les confirmer dans leur rôle de
marques de topique, elle peut les désambiguïser si ce rôle n'est pas clair (par
exemple pour les SN définis et démonstratifs), et enfin, elle peut éventuelle-
ment contredire l'instruction donnée par une marque lexicale.

4.1 Sujet et topique


Le sujet (ou sujet psychologique) a fréquemment été mis en relation avec le to-
pique3 : il ne s'agira pas ici de reprendre en détailla discussion de ces deux
concepts qui peuvent tous deux s'avérer problématiques, mais plutôt de souli-
gner les principaux éléments caractérisant leur relation4 .

4.1.1 Le rôle du sujet dans le marquage du topique


J'aimerais souligner en premier lieu que le lien particulier qui réunit la fonc-
tion syntaxique de sujet et la notion de topique se manifeste par une coïnciden-
ce fréquente entre ces deux notions, relevée par de nombreux linguistes
(Lambrecht 1994, Chafe 1994, Tschida 1995 : 40)5. Ainsi, dans un exemple tel
que:

3. Sur la mise en relation du sujet et du topique, Tschida (1995 : 37) effectue une revue des
différences entre le sujet et le topique. Chafe (1994: 84) évoque les sources de la confusion
entre ces deux notions, à savoir l'utilisation d'exemples fabriqués, la confusion avec le topi-
que défini comme un point de départ et l'existence de sujets non fonctionnels (impersonnels
et verbes atmosphériques). Prévost (1997) considère que « préférentiellement le topique se
réalise sous forme de sujet et que préférentiellement il précède le comment» (110), tandis
que Fournier & Fuchs (1998) étudient les sujets antéposés et postposés. Cf. également les
références citées par Stark (1999: 342).
4. Pour des raisons de place, je n'aborderai pas directement la question des rôles sémantiques
(Helbig 1987). D'après les travaux de Lambrecht (1994: 133) et Giv6n (1983), le sujet cor-
respond le plus souvent au rôle sémantique d'agent.
5. Une telle correspondance ne concerne naturellement pas les sujets purement grammaticaux,
comme le pronom il impersonnel dans il pleut, qui ne peuvent être interprétés comme des
topiques (cf entre autres Furukawa 1996 : 37).

176
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

(4.1) (= 3.15)
CF : impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Forum)

Les sujets syntaxiques de la réponse, soulignés, renvoient à des référents inter-


prétables comme des topiques, car ils peuvent être considérés comme les réfé-
rents les plus immédiatement pertinents sur lesquels portent les propos. De
plus, ces référents sont verbalisés par des traces de point d'ancrage pronomina-
les (pronoms démonstratifs et personnels), et ils peuvent adéquatement être in-
sérés dans des paraphrases telles que: à propos de l'évolution des Français,
c'est un peu mon impression, à propos de mon impression, elle vaut ce qu'elle
vaut, etc.

Cette fréquente correspondance entre sujet et topique peut s'expliquer par un


certain nombre de points de convergence entre ces deux notions. Première-
ment, on peut relever que le sujet, à l'instar du topique, est parfois décrit com-
me le «point de départ de l'énoncé» (cf. pour le sujet Chafe (1994 : 82ss.) et
le premier chapitre (1.1.2.3) pour le topique). De plus, le référent sujet est sou-
mis à une contrainte de « légèreté informationnelle» (<< Light Subject Cons-
traint ») qui dépend à la fois du coût de son activation et de son importance
référentielle:

Ifwe look at the distribution ofthese properties among subjects, it appears that the
light subject constraint should be expressed in terms oftwo alternatives: a subject
expresses a referent that is (a) given or accessible (i.e., not new), or (b) new but tri-
via1. 6 (Chafe 1994: 91)

Le référent sujet se caractérise ainsi le plus souvent par un état d'activation ac-
cessible ou donné - ce qui semble être le cas le plus fréquent - et lorsqu'il a
une faible importance référentielle (par exemple, parce qu'il s'agit d'un per-
sonnage accessoire dans une narration), le référent sujet peut être nouveau.
Comme je l'ai relevé dans le deuxième chapitre (2.2.1), le topique est lui aussi

6. Si l'observation de Chafe s'applique assez bien au français, elle semble plus contestable
pour l'anglais qui, comme le montre Lambrecht (2000), admet un sujet en relation de focus
qui n'est ni donné, ni d'importance triviale.

177
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

généralement caractérisé par un état d'activation donné ou accessible (voir


Lambrecht 1994 : 132). La question de savoir si le topique peut être nouveau,
comme l'est le sujet lorsqu'il renvoie à un référent de faible importance réfé-
rentielle, fait quant à elle l'objet de controverses: certains travaux décrivent le
topique comme n'étant jamais constitué par un référent nouveau, quand bien
même celui-ci serait d'une importance triviale (Li & Thompson cités par Ts-
chida 1995 : 41), tandis que d'autres considèrent qu'il peut très bien apparaître
sous la forme d'un SN indéfini (notamment Muller 1999) ; cependant, même
dans ce dernier cas, il faut que le référent du SN bénéficie d'une certaine
saillance contextuelle. Il conviendrait d'approfondir cette question en distin-
guant clairement, comme me l'a suggéré Lambrecht, la nouveauté liée à l' oc-
currence de SN indéfinis, la nouveauté «statistique» correspondant à des
tendances relevées dans les corpus, et la nouveauté telle qu'elle intervient au
niveau du traitement cognitif. Pour ma part, il me semble que l'on peut admet-
tre, avec Lambrecht (1994), la tendance statistique selon laquelle le topique
n'est généralement pas nouveau, même s'il peut être verbalisé par un SN indé-
fini. Il semble donc que la fréquente superposition du sujet et du topique puisse
être attribuée à un certain nombre de propriétés communes.

À partir de ces observations, il est possible de défendre l'hypothèse selon la-


quelle la fonction syntaxique de sujet constitue, pour le français tout au moins,
un facteur de topicalité. On trouve ce type d'hypothèse chez Givon (1983),
Pause (1988) citée par Kleiber (1994: 116ss.), et bien d'autres (cf. chapitre 1,
1.2.3). Dans ces approches, la prise en compte du rôle de la fonction syntaxi-
que de sujet entraîne logiquement celle des autres fonctions syntaxiques qui
contribuent elles aussi - quoique dans une moindre mesure - à marquer la topi-
calité. Pour cette raison, la problématique de la topicalité est alors traitée non
plus de manière absolue (l'élément x est-il ou n'est-il pas le topique ?), mais en
termes de« degré» (l'élément x est-il plus ou moins topical ou thématique ?).
La notion de «thématicité » évoquée par Furukawa est représentative de ce
type d'approche :

Ici s'impose donc la notion de «thématicité », notion relative, susceptible de


variation de degrés. La constatation que le sujet n'est pas purement et simplement
un thème à part entière laisse à penser que d'autres constituants syntaxiques (le
complément d'objet direct, le complément d'objet indirect, etc.) ont aussi un cer-
tain degré de thématicité, bien qu'ils paraissent moins thématiques que le sujet.
Ainsi peut-on recourir ici à une hiérarchie de fonctions syntaxiques de SN, hiérar-
chie initialement proposée par E. Keenan et B. Comrie (1972, 1977) et reprise par
S. Kuno (1976) :
sujet> objet direct> objet indirect> objet prépositionnel> SN possessif> objet
de comparaison

178
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Nous avons tout lieu de considérer que cette hiérarchie représente l'échelle des
degrés thématiques selon les fonctions syntaxiques de SN. (Furukawa 1997 : 8-9)

Le commentaire de l'exemple 4.1. illustrera cette approche:

(4.1)
CF : impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Ya 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie /

Dans cet exemple, les sujets, soulignés, se caractérisent par un degré de topica-
lité élevé, ce qui apparaît de manière d'autant plus frappante qu'ils ne sont pas
concurrencés par d'autres référents susceptibles de fonctionner comme topi-
ques. Par analogie, on pourrait dire, en suivant cette hypothèse, que dans un
énoncé comme:

(4.2) Pierrette a poussé Paul.

bien que les deux SN soient des noms propres qui n'ont pas pour propriété
d'indiquer l'état d'activation de leur référent, le référent « Pierrette », désigné
par le sujet syntaxique, est caractérisé, du simple fait de sa fonction syntaxique
de sujet, par un degré de topicalité plus élevé que le référent désigné par Paue.

Si l'hypothèse selon laquelle la fonction syntaxique de sujet est liée à un degré


de topicalité élevé est séduisante dans l'analyse d'exemples très simples com-
me ceux qui viennent d'être considérés, son application devient plus probléma-
tique dès que l'on a affaire à des structures syntaxiques plus complexes. Par
exemple:

(4.3) Quand Pierrette a poussé Paul, il s'est énervé.

7. Dans un exemple aussi simple et dénué de tout contexte, la corrélation entre le sujet et le to-
pique est confirmée par l'ordre des mots, puisque le sujet est aussi l'élément qui apparaît en
premier.

179
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

Dans un tel exemple, qui implique successivement deux référents sujets, faut-il
admettre l'existence de deux référents (( Pierrette» et « Paul») caractérisés
chacun à son tour par un même degré de topicalité ? Ou faut-il plutôt considé-
rer, comme le suggère Lambrecht (1994: 125), que le premier référent sujet ne
fonctionne pas comme un véritable topique, car la proposition subordonnée an-
téposée introduit tout entière l'arrière-fond temporel de l'information activée
par la principale, dont le topique est constitué par le référent de il (c'est-à-dire
« Paul») ? De manière similaire, dans un exemple comme :

(4.4)
MC: hein quand on enlève le cinéma français et le cinéma américain / il reste
plus que cinq pour cent pour le monde entier / or . les auditeurs prennent
déjà cinq films sur dix qui n'appartiennent pas à : à ce bloc hollywoodien \\ .
que j'aime par ailleurs / qui donne de très beaux films /
X: <rires>
JG: mais ça nous l'savons / mon cher Michel \\ (Le Masque et la Plume)

il paraît difficile de considérer que c'est le référent sujet (auquel renvoie le


pronom nous) qui se caractérise par le plus fort degré de topicalité. En effet,
c'est plutôt le référent auquel renvoient les pronoms ça et l' (( le fait· que
M. Ciment apprécie le cinéma hollywoodien»), qui est spécifiquement mar-
qué par la présence d'une structure segmentée à gauche, qui semble posséder
cet attribut.

La prise en compte de ce type d'exemple amène à relativiser l'importance du


rôle du sujet grammatical dans le marquage du topique, dans la mesure où ce
rôle varie en fonction de l'environnement syntaxique. Ainsi, en présence d'une
structure syntaxique complexe (exemple 4.3) ou marquée par une structure
segmentée (exemple 4.4), le référent sujet, qui ne coïncide pas avec l'élément
disloqué, n'est pas interprété comme le topique8 . En revanche, la prise en
compte de la fonction de sujet semble acquérir un plus grand intérêt lorsqu'elle
s'inscrit dans des structures assertives simples comme celles qui sont illustrées
par les exemples 4.1 et 4.2. Dans la mesure où ce n'est pas la fonction sujet en
tant que telle qui est pertinente dans le marquage du topique, mais la fonction
sujet dans le cadre d'une proposition assertive canonique, il convient de pour-
suivre la discussion du marquage syntaxique du topique en tenant compte non
seulement du sujet, mais aussi de l'ensemble de la structure syntaxique dans
laquelle s'inscrit le topique.

8. Les structures thétiques (<< sentence-focus constructions ») étudiées par Larnbrecht (1988,
2000), telles que Ya Pierrette qui a poussé Paul, où Pierrette est sujet logique mais pas su-
jet grammatical, constituent un autre argument relativisant l'importance du rôle du sujet
grammatical.

180
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

4.1.2 Le topique dans la proposition assertive canonique


L'expression de « proposition assertive canonique» renvoie ici à la structure
sujet-verbe( -objet) qui caractérise la phrase assertive en français. Lambrecht
(1987, 1994: 189ss.) souligne toutefois que la proposition considérée comme
« canonique» dans la tradition philosophique, impliquant un sujet formé par
un syntagme nominal, n'est en fait pas neutre, car elle est soumise à davantage
de contraintes que la proposition contenant un sujet pronominal: le sujet lexi-
cal est en effet généralement réservé à la verbalisation de référents situés à
l'arrière-plan du discours. Pour cette raison, je parlerai de « proposition asser-
tive canonique» indépendamment de la forme nominale ou pronominale qui
verbalise le sujet.

La proposition assertive impliquant un sujet et un prédicat est généralement


considérée comme une structure neutre du point de vue de la structure infor-
mationnelle (Muller 1999: 187, Bally 1965 [1932] : 73, etc.). Dans ce cadre,
on admet que le sujet grammatical correspond à un topique non marqué. Par
exemple, dans 4.2 :

(4.2) Pierrette a poussé Paul.

le sujet « Pierrette» peut être considéré, en l'absence d'indications contraires


fournies par le contexte, comme un topique non marqué. Ce rôle de topique
non marqué peut être justifié, comme le souligne Muller, par la structuration
syntaxique binaire qui oppose le sujet d'une part, et le verbe et ses complé-
ments d'autre part.

Pour Muller (1999), cette structure peut, dans certains cas, conduire à interpré-
ter des référents verbalisés par des SN indéfinis comme des topiques. Par
exemple, les référents sujets de 4.5 et 4.6 :

(4.5) Un médecin est demandé au bureau d'accueil. (Muller 1999)


(4.6) Un chômeur s'est fait/vu attribuer un logement par l'office HLM. (Muller
1999)

fonctionnent comme des topiques, parce qu'ils s'opposent à la « partie prédi-


cationnelle de l'énoncé syntagmatique» (Muller 1999: 188). Pour Muller, la
tournure au passif, si elle n'est pas nécessairement liée à la volonté du locuteur
de « thématiser au sens fort» (Muller 1999 : 188), permet néanmoins de pré-
senter comme topique un argument du verbe qui n'était pas prédestiné à l'être
(cf. Schoenthal 1987). Ce type d'exemple, assez rare à l'oral toutefois 9 ,

9. Comme je l'ai relevé ci-dessus, les sujets sont rarement formés par des SN à l'oral, et a for-
tiori par des SN indéfinis.

181
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

tendrait à indiquer que la structure syntaxique neutre permet d'identifier le


topique même si celui-ci n'est pas marqué par une expression référentielle
anaphorique 10.

Le rôle de la structure syntaxique non marquée ne doit cependant pas être su-
restimé. En effet, si cette structure semble pouvoir, en l'absence de tout con-
texte, entraîner l'interprétation topicale d'un SN indéfini, son rôle ne va pas
jusqu'à inverser l'interprétation de la structure informationnelle qui se fonde
sur les expressions référentielles. Ainsi, dans un exemple tel que:

(4.7) Pierrette l'a poussé.

les marques lexicales et syntaxiques semblent se contredire. En effet, selon les


instructions données par les expressions référentielles, le référent auquel ren-
voie le pronom l' (<< Paul ») serait tout désigné pour constituer le topique, par-
ce qu'il s'oppose à la forme pleine Pierrette. En suivant les instructions
syntaxiques admises jusqu'à présent, il faut au contraire admettre que c'est le
référent sujet « Pierrette» qui constitue le topique le plus accessible. Il paraît
dès lors très difficile, voire impossible, dans un exemple aussi court et en l'ab-
sence de tout contexte, de déterminer de manière univoque quel référent cons-
titue le topique. L'interprétation selon laquelle « Paul» constitue le topique est
peut-être plus accessible, car il est plus facile d'imaginer un contexte impli-
quant ce référent comme topique (par exemple: Pourquoi Paul a-t-il la jambe
cassée ?). Mais la syntaxe ne permet en aucun cas de préciser cette interpréta-
tion. Une telle observation confirme ainsi l'idée selon laquelle la structure syn-
taxique assertive canonique est « non marquée» du point de vue de la structure
informationnelle.

Dans le cadre de ce travail qui situe l'analyse de la structure informationnelle


au niveau du discours, et non pas au niveau de la phrase isolée, un autre élé-
ment essentiel limite la portée de la structure syntaxique neutre: le rôle du
contexte ll . Ainsi, l'interprétation d'un exemple comme:

(4.5) Un médecin est demandé au bureau d'accueil. (Muller 1999)

10. Il convient de préciser que cette interprétation se fonde sur une définition du topique diffé-
rente de la mienne, qui nécessite la présence du contexte duquel sont issus les points d'an-
crage, et de celle de Lambrecht (1994), qui implique que le topique soit formé par un
référent dont l'existence est déjà établie au moment de l'énonciation.
Il. La portée de cette restriction est d'autant plus importante que les énoncés doivent s'inscrire
dans un contexte donné pour être analysés du point de vue de la structure informationnelle
(Firbas 1992, Lambrecht 1994).

182
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

est différente de celle discutée précédemment, si l'on insère cet exemple dans
un contexte précis tel que:

(4.8)
[contextè: on entend un haut-parleur difficile à comprendre dans un hall]
X: qu'est-ce qu'ils ont dit ?
Y: un médecin est demandé au bureau d'accueil

Dans une telle situation, il me semble que le topique de la réponse un médecin


est demandé au bureau d'accueil est constitué non pas par « un médecin »,
comme on peut l'admettre si l'on se situe au niveau de la phrase isolée, mais
par l'information précédemment activée, à savoir la proposition ouverte « ils
ont dit X» (ou « ce qu'ils ont dit »).

La neutralité du point de vue de la structure informationnelle de la proposition


assertive canonique joue ici un rôle déterminant. En effet, c'est à cause de cette
neutralité qu'une telle structure peut, en fonction du contexte dans lequel elle
s'insère, se prêter à différentes interprétations au niveau de la structure infor-
mationnelle 12 . Celles-ci peuvent être précisées à partir des exemples suivants,
fabriqués à partir des traditionnelles paires de questions-réponses:

(4.9)
X: qu'est-il arrivé?
Y: la voiture a renversé un jeune garçon

(4.10)
X: qu'a fait la voiture?
Y: elle/la voiture a renversé un jeune garçon.

(4.11 )
X: qui la voiture a-t-elle renversé?
Y: elle/la voiture a renversé un jeune garçon.

Ces trois exemples, malgré leur caractère peu naturel 13 , illustrent de manière
emblématique les différentes structures informationnelles qui peuvent se gref-
fer sur une structure articulant sujet et prédicat. La question suggère chaque

12. Bally relève que dans la phrase liée, qui correspond à ce que j'appelle la proposition asser-
tive canonique, thème et propos ne sont marqués par aucun signe linguistique; ils se dédui-
sent soit de la situation et du contexte, soit de la nature de la pensée exprimée (1965
[1932] : 73).
13. L'exemple 4.9 peut sembler artificiel, en raison du caractère marqué de la structure as serti-
ve impliquant un sujet nominal (Lambrecht 1987). En outre, il est plus naturel, pour les
exemple 4.10 et 4.11, de trouver un pronom (elle) qu'un syntagme nominal plein.

183
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

fois le topique de la réponse. Cette réponse, qui correspond à ce que j'ai appelé
une proposition assertive canonique, est, du point de vue syntaxique, la même
dans les trois cas. Au niveau de la structure informationnelle, la réponse « héri-
te» néanmoins de l'interprétation entraînée par le type de question posé.

Dans l'exemple 4.9, le topique de la réponse, introduit par la question, est


constitué par la proposition ouverte « ce qu'il est arrivé ». Dans ce contexte, le
référent désigné par le syntagme nominal défini la voiture est identifiable (par
exemple parce que la « voiture )) est présente dans la situation externe au dis-
cours), mais il ne fonctionne pas comme le topique de la réponse. Cette inter-
prétation est confirmée par le fait que dans ce contexte, la présence d'un
référent identifiable n'est pas nécessaire à l'interprétation de l'énoncé. En ad-
mettant une situation où les interlocuteurs ne se trouvent pas en présence de la
voiture, la réponse serait formulée de la manière suivante:

(4.12)
X: qu'est-il arrivé?
Y: une voiture a renversé un jeune garçon

Ce type d'exemple, impliquant un sujet indéfini, est similaire à l'exem-


ple 4.9 14 •

En situation de discours authentique, on trouve fréquemment ce type de struc-


ture après des annonces générales, qui ont une fonction de préparation (voir
chapitre 5). Dans l'exemple 4.13 :

(4.13)
JG: l'histoire est la suivante /. un étudiant en histoire de l'art apprend. en ten-
tant: d'échapper au service militaire / qu'il est séropositif / (Le Masque et
la Plume)

l'introduction par l'histoire est la suivante a, pour la structure informationnelle


de l'acte qui suit, une valeur similaire à la question qu'est-il arrivé ou de quoi
s'agit-il? À nouveau, on peut dire qu'elle fournit le topique (propositionnel)
de l'acte ultérieur, auquel ne renvoie pas le sujet, formé en l'occurrence par un
SN indéfini qui n'a pas pour vocation première de marquer un point d'ancrage.

Dans l'exemple 4.10, la question a pour fonction d'activer la proposition


ouverte « la voiture a fait X )) (Lambrecht & Michae1is 1998). La « voiture ))
constitue le topique de la réponse, marqué par une reprise pronominale ou

14. Cet énoncé peut être décrit comme une «phrase thétique» ou « sentence-focus articula-
tion» (Lambrecht 1994).

184
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

nominale en position sujet. C'est donc dans ce type d'exemple, impliquant


l'activation préalable du référent topique et une reprise lexicale de celui-ci, que
l'on peut dire que le sujet renvoie effectivement au topique. Dans les dialogues
attestés, ce type d'exemple implique souvent une progression linéaire, comme
dans (4.14) :

(4.14)
BP: euh : il y a tout de même votre votre première femme / vous le racontez là
aussi / moi j'aimerais bien (XXX)
GS: ma première femme m'avait dit qu'elle se suiciderait /
BP: voilà \\
GS: sije la trompais \ (Apostrophes)

où le sujet (ma première femme) reprend le référent précédemment activé par


votre première femme. Parfois, progressions linéaire et à topique constant se
combinent, comme c'est le cas dans l'exemple 4.1 :

(4.1)
CF : impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie /

où le premier enchaînement linéaire sur le topique formé par 1'« évolution des
Français» (marqué par c ') laisse la place à une progression constante sur le to-
pique formé par 1'« impression d'Alain Bédouet ».

Dans l'exemple 4.11 comme dans l'exemple 4.10, la question active le référent
«voiture ». Dans l'exemple 4.11 toutefois, ce référent est impliqué dans une
proposition ouverte plus précise: « la voiture a renversé X ». Dans la réponse,
l'élément repris n'est pas seulement le référent, mais la proposition ouverte à
laquelle renvoient le sujet et le verbe; cette proposition peut donc être inter-
prétée comme le topique de la réponse. Cette différence d'interprétation entre
les exemples 4.10 et 4.11 peut être vérifiée par le test de la suppression:

(4.10')
X: qu'a fait la voiture?
y : renversé un jeune garçon
? un jeune garçon

185
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(4.11')
X: qui la voiture a-t-elle renversé?
y : ? renversé un jeune garçon.
un jeune garçon.

La suppression des éléments lexicaux renvoyant au topique confirme que ce-


lui-ci est constitué uniquement par un référent en 4.1 0, et par une proposition
ouverte en 4.11. Si ce test permet de vérifier les interprétations, il restera toute-
fois à approfondir l'étude de ces deux types de topiques dans le sixième chapitre.

De l'exemple 4.11 peut être rapproché l'extrait suivant:

(4.15)
BP: alors. vous êtes romantique 1 vous êtes. parfois naïf 1
GS: très naïf\\
BP: vous êtes très naïf 1 vous êtes timide 1ce qui me paraît surprenant 1 euh :
GS: c'est la vérité \\ (Apostrophes)

Dans cet exemple, le sujet marqué par le pronom vous renvoie, comme c'était
le cas pour le syntagme nominal défini la voiture, à une information déjà acti-
ve : en l'occurrence, le référent est déjà activé tant par le cotexte que par la si-
tuation, puisque le pronom de la deuxième personne renvoie à l'un des
interlocuteurs, à savoir G. Simenon. Comme c'était le cas dans l'exemple 4.11,
le référent est impliqué dans une proposition ouverte, à laquelle renvoie l'ex-
pression: vous êtes. L'interprétation selon laquelle cette proposition ouverte
fonctionne comme topique paraît confirmée par la réponse de Simenon qui
omet la répétition de ces deux éléments l5 .

Cette analyse permet de revenir sur un exemple déjà traité dans les chapitres
précédents 16 :

(4.16) (=2.20)
JC: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1
MM: oui =
JC: vous pensez qu'il l'a été. Il
MM: par moments 1 euh: certainement il a: il a été heureux 1. j'crois qu'il a été
heureux dans sa vie. littéraire 1 (e) qu'il a eu de grandes joies 1

15. On pourrait considérer que cette proposition n'est pas suffisanunent précise pour fonction-
ner conune topique propositionnel. L'énumération des propriétés du caractère de G. Sime-
non me paraît toutefois suffire à préciser le sens du verbe« être ». Il n'en irait naturellement
pas de même si B. Pivot disait: vous êtes timide, vous fumez la pipe et vous habitez en Bel-
gique, auquel cas le sujet vous renverrait bien au topique conunun« Simenon ».
16. Chapitre 2, en 2.2, et chapitre 3, en 3.3.

186
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Dans cet exemple, on interprète le topique comme étant formé non pas directe-
ment par le référent sujet (<< André Maurois », auquel renvoie le pronom il) qui
constitue un point d'ancrage d'arrière-fond durant toute cette partie de dialo-
gue, mais plutôt par « heureux », repris par l', ainsi que par le référent proposi-
tionnel activé par la question, que l'on peut paraphraser par «le fait que
Maurois a été heureux» ou « le bonheur d'André Maurois », repris par il a été
heureux.

Pour résumer le rôle de la proposition assertive articulant sujet et prédicat dans


le marquage du topique, on peut dire qu'elle se caractérise par sa neutralité.
Dans la situation théorique caractérisée par l'absence de tout contexte, il est
possible d'admettre qu'elle peut contribuer à l'identification du topique, bien
que son rôle ne prime pas sur le marquage lexical. Cependant, lorsqu'elle se
trouve intégrée dans une situation et un cotexte précis, cette structure est sensi-
ble aux variations contextuelles qui déterminent sa structure informationnelle.
La discussion des exemples 4.9, 4.10 et 4.11 a montré que le topique d'une
proposition assertive peut, selon les cas, être représenté par le sujet, par le sujet
et le prédicat, ou encore être implicite. Cette étude aura ainsi mis en lumière
l'importance des facteurs contextuels qui seront approfondis dans les chapitres
suivants.

4.2 les structures syntaxiques marquées


Contrairement à la proposition assertive canonique qui est susceptible de cor-
respondre à différentes structures informationnelles en fonction du contexte
dans lequel elle s'insère, certaines structures, comme les segmentées et les cli-
vées, correspondent à des interprétations informationnelles spécifiques: à
l'instar de Lambrecht, on peut les considérer comme des structures mar-
quées 17. Il convient de préciser que ces structures sont marquées non seule-
ment au niveau de la syntaxe, qui se manifeste dans l'ordre des mots, mais
également au niveau prosodique, dans la mesure où elles se caractérisent par
des schémas intonatifs spécifiques. Même sans vouloir étudier la prosodie pour
elle-même, il est indispensable de tenir compte des descriptions existantes.

Je me propose d'étudier le rôle de ces structures marquées dans le repérage des


points d'ancrage et du topique, en relation avec les expressions référentielles qui
s'y insèrent. Toujours dans l'optique d'aller du plus simple au plus complexe,

17. « Conceming the pragmatic markedness status of grammatical structures, we can state the
following general rule : given a pair of allosentences, one member is pragmatically umnar-
ked if it serves two discourse functions while the other member serves only one of them. »
(Lambrecht 1994 : 17)

187
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

je commencerai par discuter quelques problèmes d'analyse liés aux structures


segmentées, en étudiant ensuite les segmentées les plus susceptibles de ren-
voyer au topique, avant d'aborder l'étude des clivées et de terminer par la dis-
cussion de structures segmentées plus complexes.

4.2.1 Les structures segmentées: problèmes d'analyse

La notion de structure segmentée l8 renvoie à des constructions dans lesquelles


un (ou plusieurs) constituant se trouve extra-posé par rapport à un noyau pro-
positionnel, comme dans :

(4.17) Cet homme, je le connais. (N0lke 1997)

(4.18) Ils sont fous, ces Romains! (Astérix, cité par Lambrecht 1981)

(4.19) Pierre, ils l'ont vu à midi, mes parents.

Les structures segmentées se caractérisent par des particularités à la fois proso-


diques et syntaxiques, comme le montre la définition proposée par Fradin l9 :

(Cl) Un énoncé à détachement présente un syntagme (l'élément détaché) qui est


séparé du reste de l'énoncé par une pause et/ou est prononcé à un niveau intona-
toire différent des segments adjacents.

18. Plusieurs tennes ont été utilisés pour décrire ces structures: structure segmentée (Bally
1965 [1932], Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997), segmentation (Dupont 1985), thé-
matisation (Berthoud 1996), topicalisation (Rizzi 1997), construction disloquée (Hanna
1990), dislocation (Larsson 1979), etc. Je réserve le tenne de« construction détachée» aux
structures décrites par Combettes (1996, 1998b) qui, parce qu'elles impliquent la présence
d'une prédication seconde sous-jacente à l'élément détaché, ne se confondent pas avec les
structures segmentées. Je parlerai donc de « structure segmentée» ou de constituant « dis-
loqué» pour décrire la classe des structures qui m'intéresse, en réservant l'expression de
« structure topicalisée» à la description d'un sous-type de structure segmentée.
19. L'importance accordée à ces différents aspects varie selon les auteurs. Pour Fradin, seul le
second critère a une valeur définitoire (1990). Lambrecht (2001) décrit les structures seg-
mentées en s'appuyant sur quatre critères: 1) la position extra-clausale d'un constituant
d'une proposition, 2) la possibilité d'insérer ce constituant dans la clause, 3) la coindexation
pronominale dans la proposition, 4) des marques prosodiques particulières. Pour lui comme
pour Fradin, le premier de ces quatre critères est décisif, mais il n'est pas suffisant. Lam-
brecht relève toutefois que le critère b de C2 de Fradin ne convient pas en l'absence du pro-
nom de reprise. Pour Bally, « la segmentation est caractérisée avant tout par le jeu des deux
procédés musicaux sans lesquels elle n'est pas concevable: la pause médiane et la mélo-
die» (Bally 1965 [1932] : 61).

188
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

(C2) Ce syntagme se trouve en surplus des éléments dont l'agencement suffit à


constituer un énoncé complet, sauf dans un cas, celui des topicalisées [ ... ]. De là
suivent deux choses: (a) l'élément détaché peut être supprimé sans que l'énoncé
incident cesse d'être acceptable. (b) corrélativement, il ne peut être inséré dans cet
énoncé sans que celui-ci devienne agrammatical. (Fradin 1990 : 5)

Parce qu'elles articulent un syntagme qui s'ajoute à un énoncé par ailleurs sou-
vent déjà complet du point de vue syntaxique, les structures segmentées, que
Fradin appelle «énoncés à détachement », soulèvent des problèmes d'analyse
particuliers.

On peut pour commencer mentionner le «paradoxe normatif» associé à ces


structures, relevé par Berrendonner & Reichler-Béguelin (1997). Ceux-ci sou-
lignent que l'on associe tantôt ces structures à la langue orale populaire2o ,
comme c'est le cas de l'exemple 4.20 où l'effet est délibérément recherché:

(4.20) Le médecin, il était en uniforme de médecin, tout blanc, c'était lui qui
commandait à tout le monde, les infirmières, ça filait doux, fallait voir.
(Cavanna, cité par Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997)

et tantôt à un registre élevé, comme l'illustre l'exemple suivant:

(4.21) Cet homme, je l'ai vu; ton ami, je lui ai parlé. (Dauzat, cité par Berren-
donner & Reichler-Béguelin 1997)

Alors que dans le premier cas les structures segmentées sont souvent perçues
négativement, comme les symptômes d'un style relâché, elles sont traitées
dans le second cas comme les traces d'un effet oratoire recherché. Pour rendre
compte de cette variation paradoxale, Berrendonner & Reichler-Béguelin font
l'hypothèse que l'évaluation des structures segmentées varie en fonction du
statut syntaxique ou discursif des structures concernées. Ainsi, les structures
dont l'analyse relèverait uniquement de la syntaxe auraient tendance à être ju-
gées comme appartenant à un niveau de langue élevé ; elles se retrouveraient
avant tout dans la langue écrite. En revanche, les structures dont le statut est
discursif seraient pratiquement absentes des textes écrits (pour autant que
ceux-ci n'imitent pas le style oral, cf. Durrer 1994) : elles auraient tendance à
être évaluées comme appartenant à un style plus relâché.

20. Ainsi, Bally écrit-il que « la syntaxe segmentée fleure la langue parlée» : « En effet, si la
langue écrite peut présenter l'énoncé de la pensée dans une phrase organique et cohérente,
les nécessités de la communication rapide exigent que les éléments de l'énonciation soient
présentés pour ainsi dire par morceaux, de manière à être plus facilement digérés» (Bally
1965 [1932] : 70).

189
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

Le problème du paradoxe normatif attaché aux structures segmentées conduit


directement à la seconde question que soulève l'analyse des structures seg-
mentées, à savoir celle du domaine d'analyse auquel elles ressortissent. On
pourrait a priori s'attendre à ce que l'analyse de ces structures relève exclusi-
vement du domaine de la syntaxe, puisque celles-ci peuvent être considérées
comme des variantes de la proposition assertive canonique. Dans les
exemples 4.18, 4.22 et 4.23 :

(4.18) Ils sont fous, ces Romains!

(4.22) Ces Romains sont fous!

(4.23) Ces Romains, ils sont fous!

le contenu propositionnel de la structure canonique et des structures segmen-


tées peut être considéré comme identique, ce qui semblerait indiquer que l'on a
affaire uniquement à des variations syntaxiques21 . Cependant, le fait que les
structures segmentées contiennent un syntagme qui vient s'ajouter à un noyau
propositionnel par ailleurs déjà complet semble indiquer que les relations syn-
taxiques ne suffisent pas à décrire ces structures, et qu'il est nécessaire de
prendre en compte les liens de nature interprétative qui se tissent entre le cons-
tituant extraposé et le noyau22 • Ceux-ci apparaissent de manière encore plus
frappante lorsque l'élément détaché n'est pas repris par un clitique, comme
dans 4.24 :

(4.24) la chambre! les rideaux sont bleus (Blanche-Benveniste et al. 1990)

où s'instaure, indépendamment de la syntaxe, une relation partie-tout entre le


référent dénoté par le syntagme extraposé et le noyau propositionnel. Ce type
d'exemple tend à montrer que l'étude de ces structures ne relève pas unique-
ment de la syntaxe, mais qu'elle fait aussi intervenir des mécanismes d'ordre
discursif23.

21. Plusieurs travaux abordent l'étude des structures segmentées d'un point de vue essentielle-
ment syntaxique (entre autres Dupont 1985, Larsson 1979, Rizzi 1997).
22. Le statut ambivalent des segmentées est également discuté par Bally, qui définit la phrase
segmentée comme « une phrase unique issue de la condensation de deux coordonnées, mais
où la soudure est imparfaite et permet de distinguer deux parties dont l'une (A) a la fonction
de thème de l'énoncé, et l'autre (Z) celle de propos (67») (Bally 1965 [1932] : 60-61, c'est
moi qui souligne).
23. Cette idée est présente dans de nombreux travaux, bien que les développements qui en sont
faits varient selon les auteurs. Voir entre autres Berrendonner & Reichler-Béguelin (1997),
Blanche-Benveniste et al. (1990), Fradin (1990), Ziv (1994).

190
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Cette fluctuation du statut des segmentées constitue l'une des difficultés ma-
jeures auxquelles se heurte leur analyse. Pour la surmonter, Berrendonner &
Reichler-Béguelin (1997) proposent, à l'instar de Blanche-Benveniste et al.
(1990), de regrouper les structures segmentées qui relèvent de la micro-syn-
taxe et celles qui appartiennent à la macro-syntaxe. Cette distinction s'avère
particulièrement intéressante pour rendre compte des structures qui peuvent
être classées dans un domaine ou dans l'autre, même s'il semble exister beau-
coup de segmentées dont le classement reste problématique. C'est le cas par
exemple lorsque le constituant disloqué est un sujet, comme dans 4.25 :

(4.25) Le problème, il était là. (Berthoud, citée par Berrendonner & Reichler-
Béguelin 1997)

D'autres structures sont ambiguës, parce qu'elles portent à la fois des marques
discursives (saturation de la rection verbale par un pronom) et syntaxiques (le
cas de l'élément disloqué est marqué par une préposition), comme dans 4.26 :

(4.26) Mais de ce grand voyage, il revint jamais. (Berrendonner & Reichler-


Béguelin 1997)

Pour compléter ce survol des difficultés liées à l'analyse des structures seg-
mentées, on peut évoquer le problème de l'asymétrie entre les structures seg-
mentées à droite et à gauche (respectivement ZA et AZ pour Bally 1965
[1932]) :

(4.18) Ils sont fous, ces Romains!

(4.23) Ces Romains, ils sont fous!

Ces deux types de structure manifestent une ressemblance de surface qui pour-
rait laisser penser qu'il existe une symétrie entre elles. Une telle position pour-
rait être accréditée par le fait qu'on les traite souvent de manière conjointe (p.
ex. Berthoud 1996). Cependant, la plupart des auteurs s'accordent pour recon-
naître que ces deux structures diffèrent à plusieurs niveaux, et qu'un syntagme
détaché à droite est plus étroitement lié au noyau propositionnel que ne l'est un
syntagme détaché à gauche 24 (Lambrecht 1981, 1998, 2001, Larsson 1979,
Fradin 1988, Ziv 1994, etc.). À cette différence correspond également une dif-

24. Cet élément sera développé ultérieurement.

191
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

férence fonctionnelle: un syntagme détaché à gauche a une fonction d'annon-


ce, tandis qu'un syntagme placé à droite marque un rappel25 :

Dans la dislocation à gauche, un thème, qui doit avoir une certaine motivation
dans la situation de la parole, est actualisé et présenté comme le point de départ de
l'énonciation. Un membre disloqué à droite, au contraire, ne fait que reprendre un
thème qui est déjà en cours. Au lieu d'être relevé, ce thème est rejeté à droite,
après le rhème. Sa valeur informative est réduite. Un élément disloqué à droite est
donc donné par le contexte immédiat (linguistique ou extra-linguistique) d'une
toute autre façon qu'un élément disloqué à gauche [ ... ]. (Larsson 1979 : 17-18)

Malgré leur ressemblance de surface, les structures segmentées à gauche et à


droite ne sont donc équivalentes ni au niveau syntaxique, ni au niveau fonc-
tionnel.

Dans la suite de ce chapitre, je me propose de préciser comment certaines


structures segmentées contribuent à l'identification du topique. Dans cette op-
tique, je commencerai par étudier les structures segmentées à droite, qui sem-
blent être « spécialisées» dans le marquage de la continuité informationnelle,
et par là même, sont susceptibles de constituer des marques privilégiées du to-
pique. Je reviendrai plus tard sur la question des segmentées à gauche, dont
l'étude ne relève pas uniquement de la syntaxe.

4.2.2 La structure segmentée à droite


Je commencerai par rappeler la description prosodique et syntaxique de la seg-
mentée à droite, ce qui permettra de la distinguer d'autres constructions qui
peuvent sembler proches en surface, mais dont les structures et les fonctions
sont très différentes. Dans un second temps, j'étudierai plus en détaille rôle de
la segmentée à droite dans le marquage des points d'ancrage et du topique: il
s'agira d'examiner comment et dans quelles circonstances cette structure s'ar-
ticule avec les marques lexicales pour permettre l'identification du topique.

25. Lambrecht exprime une position qui me paraît très proche à l'aide de la notion de « principe
de l'ordre iconique» : « According to this principle [iconic ordering principle], TOP vs A-
TOP position of a topic expression correlates with the relative pragmatic salience of the to-
pic referent at utterance time : while the order topic-comment signais announcement or es-
tablishment of a new topic relation between a referent and a predication, the order
comment-topic signais continuation or maintenance of an already established relation. »
(Lambrecht 2001)

192
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

4.2.2.1 La structure segmentée à droite: description et délimitation


Au niveau prosodique, on admet généralement que la structure segmentée à
droite combine l'intonation d'une phrase déclarative (éventuellement exclama-
tive ou interrogative) avec, pour le syntagme détaché à droite, une intonation
d'appendice, que l'on peut décrire comme une mélodie plate et basse, dont le
niveau dépend de celui du segment qui précède, et un débit accéléré 26 . Par
exemple27 :

ils sont fous ces Romains

Figure 4. 1. Schéma de la mélodie de la segmentée à droite

ou, lorsque l'on n'observe pas de pic intonatif:

(4.27)
J'aime bien comprendre comment ça marche les autres
bb HH bb HH h ......... h B-B- b- b- (Mertens 1990 : 167)28

L'intonation d'appendice n'est pas réservée aux syntagmes disloqués à droite


et peut caractériser des constituants variés (Blanche-Benveniste et al. 1990:
57, 166ss. )29. Le schéma intonatif ne constitue donc pas, à lui seul, un critère
suffisant pour définir la segmentée à droite, et il est nécessaire d'en préciser la
structure syntaxique.

26. Le terme « appendice» est emprunté à Mertens (1990). Plusieurs autres termes sont utili-
sés: Rossi (1985) parle « d'intonation parenthétique». Bally (1965 [1932] : 62) utilise le
terme de « sourdine », et Morel (1992a) celui d'intonation « d'incise ». Cf. aussi Larsson
(1979: 17), Fradin (1990), Wunderli et al. (1978), etc.
27. Ce schéma (très simplifié) a uniquement une valeur indicative; il est effectué d'après Lam-
brecht (1981 : 86). Larsson (1979: 17) propose un schéma similaire, quoique sans pic into-
natif.
28. Selon la transcription proposée par Mertens (1990), les tons sont marqués par h (haut), b
(bas) et b- (infra-bas). Les majuscules sont utilisées pour les syllabes accentuées, tandis que
les doubles majuscules (HH) indiquent une syllabe porteuse d'un accent final. Pour la dis-
cussion de différents schémas intonatifs possibles sur le double marquage, cf. van den Eyn-
de et al. (1998).
29. Par exemple: et c'est comme ça que l'histoire marche / en quelque sorte (Blanche-Benve-
niste et al. 1990: 166).

193
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

La structure syntaxique des segmentées - et donc de la segmentée à droite - a


fait l'objet de plusieurs descriptions, parmi lesquelles on peut évoquer Larsson
(1979) et Lambrecht (1981, 2001). Renvoyant à ces auteurs pour une étude
syntaxique approfondie, je retiendrai uniquement les traits qui distinguent la
segmentée à droite de la segmentée à gauche. Lambrecht (2001) évoque quatre
contraintes qui, ajoutées au marquage prosodique, caractérisent la segmentée à
droite. La première est une contrainte d'adjacence: un élément disloqué à
droite doit suivre immédiatement la clause à laquelle il se rattache :

(4.28) That shej's going to be mad, [Mary]j, is obvious.

(4.28') * That shej's going to be mad, is obvious, [Maryk (Lambrecht 2001)


Deuxièmement, la segmentée à droite semble soumise à moins de contraintes
d'enchâssement que la segmentée à gauche (Lambrecht 1981, Fradin 1988).
Troisièmement, un élément disloqué à droite doit nécessairement être marqué
du même cas que le pronom clitique, à la différence de ce qui se passe pour un
élément disloqué à gauche (Lambrecht 1981 : 78-79,2001). Quatrièmement, il
semble que dans la plupart des cas, une structure segmentée à droite implique
la présence d'un pronom clitique que reprend le syntagme extraposé, contraire-
ment à la segmentée à gauche 3o . Voir la différence entre:

(4.29) [Mon premier mari], on avait une voiture puis. une moto.

(4.29') * On avait une voiture puis une moto, [mon premier mari]. (Lambrecht
2001)

Pour ces différentes raisons, un élément segmenté à droite est plus étroitement
lié au noyau propositionnel qu'un élément segmenté à gauche, et il semble par
conséquent légitime d'admettre que son analyse relève toujours du domaine
syntaxique31 . Combinés entre eux, ces critères prosodiques et syntaxiques per-
mettent de distinguer la segmentée à droite d'autres structures qui n'en sont
proches qu'en apparence 32 •

30. On a également dit que la segmentée à droite, contrairement à la segmentée à gauche, impli-
que nécessairement un marquage casuel (qui se manifeste en français par la présence d'une
préposition). Les données d'Ashby montrent toutefois que la préposition, qui marque le cas
en français, n'est pas toujours indispensable. Par exemple: ça nous est égal. nous (Ashby
1988 : 208).
31. En revanche, un élément segmenté à gauche peut être caractérisé par différents types de
liens (rectionnels ou uniquement pragmatiques) qui le rattachent au noyau propositionnel.
32. Ferrari (1999) montre, pour l'italien, la variété des structures syntaxiques impliquant un
constituant détaché à droite et la diversité des structures informationnelles qui leur sont at-
tachées.

194
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

La segmentée à droite se différencie de la structure appelée « afterthought »


dans les travaux anglo-saxons, que l'on peut traduire par « rajout après-coup ».
Celle-ci implique un processus de correction - absent de la dislocation à droite
- qui se manifeste par la présence d'une pause avant l'élément détaché et d'un
accent sur cet élément (Lambrecht 1981 : 75ss.). Par exemple:

(4.30) 1 met him, your brother, 1 mean, two weeks ago. (Ziv 1994, cité par Lam-
brecht 2001)

Ces constructions font intervenir non pas une, mais deux unités intonatives :

Afterthoughts, by comparison, are characterized by a distinct pause preceding the


final coreferential NP. They c1early display two different intonational units. NP 1>
consequently, bears stress in Afterthought constructions. This is c1early not the
case in prototypical RDs. (Ziv 1994 : 639)

En s'appuyant sur ces mêmes critères intonatifs et syntaxiques, il convient de


distinguer la structure segmentée à droite de certains ajouts effectués a poste-
riori qui, sans apparaître comme des corrections dues à une maladresse, font
eux aussi intervenir plusieurs unités intonatives. Par exemple:

(4.31)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ (Forum)

(4.32)
CT: si je pense aux confrères dans les années. 50 ou 60 / il Y avait une sorte
de . ouais pas une connivence mais enfin . une certaine complaisance / on
critiquait peu les hommes politiques / je trouve de ce point de vue-là -
Forum en est un exemple / et la télévision romande également / les journa-
listes sont beaucoup plus pointus. plus critiques / et les hommes et les
femmes politiques en l'occurrence / acceptent comme ça a été dit tout à
l'heure / acceptent d'être contestés et mis en cause \\ (Forum)

(4.33)
CT: alors c'est vrai. qu'il y a des sujets plus difficiles / c'est vrai qu'il y a des
sujets qui marchent / et que si vous voulez disons faire réagir le public / un
sujet sur la santé / un sujet sur les impôts / un sujet sur le chômage actuel-
lement <acc.> il y a les préoccupations des gens et autres vont bien mar-
cher et tout / il Y en a d'autres en revanche / euh vous faites comme on dit
un véritable bide / et notamment les les sujets culturels \ . je crois que ça
n'empêche pas / c'est de notre responsabilité. de télévision de radio de
service public. de les faire / (Forum)

195
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

À l'instar des « afterthoughts », ces rajouts se distinguent clairement des struc-


tures segmentées à droite. Au niveau prosodique, on peut déduire de la présen-
ce d'une légère pause et d'un décrochement intonatif l'existence de deux
contours intonatifs. Au niveau syntaxique, la présence du connecteur et présen-
te la seconde unité comme un ajout à ce qui précède33 • Enfin, on peut relever
dans ces trois exemples la présence de marques comme aussi: comme même,
aussi est généralement considéré comme un élément focalisant incompatible
avec la segmentée à droite (Larsson 1979: l8ss, Lambrecht 1981 : 91, Furu-
kawa 1996):

(4.34) Il-a-menti à sa femme aussi.

(4.34') * I-lui-a-menti, à sa femme aussi. (Lambrecht 1981)


Dans l'exemple 4.32, également semble remplir une fonction tout à fait simi-
laire à celle d'aussi, avec lequel il est d'ailleurs interchangeable:

(4.32')
CT: si je pense aux confrères dans les années. 50 ou 60 / il Y avait une sorte
de . ouais pas une connivence mais enfin. une certaine complaisance / on
critiquait peu les hommes politiques / je trouve de ce point de vue-là -
Forum en est un exemple / et la télévision romande aussi / les journalistes
sont beaucoup plus pointus. plus critiques / et les hommes et les femmes
politiques en l'occurrence / acceptent comme ça a été dit tout à l'heure /
acceptent d'être contestés et mis en cause \\ (Forum)

Enfin, dans le dernier de ces exemples, notamment joue lui aussi le rôle d'un
adverbe focalisateur qui présente l'élément qu'il introduit comme une infor-
mation activée (Bourcier & Bruxelles 1989, Crévenat à paraître, Grobet à pa-
raître b). La présence de telles marques indique en outre que la fonction
principale de ces ajouts consiste en une mise en relief des référents qu'ils intro-
duisent, qui en l'occurrence sont constitués par les membres d'un ensemble
plus large.

33. Dans un cadre théorique différent, Rothenberg (1989: 157) souligne le rôle que joue et
dans le marquage de constituants rhématiques comme l'adjectif dans : j'ai acheté une Peu-
geot, et une neuve, ce qui confirme l'hypothèse selon laquelle le constituant précédé par et
se caractérise par une haute valeur informative. Voir également l'utilisation du test de l'in-
sertion de et cela par Combettes (1998b), pour vérifier le statut rhématique ou non d'un élé-
ment extraposé. Lambrecht (1994: 356, note 14) relève qu'en allemand, und zwar a pour
fonction de diviser l'information focale qui ne pourrait en tant que telle être présentée en un
seul bloc syntaxique.

196
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Les caractéristiques prosodiques et syntaxiques de la segmentée à droite per-


mettent en outre de la différencier de la structure impliquant le redoublement
d'un clitique (<< clitic doubling », chez Lambrecht 2001), du type de:

(4.35) Elle m'a vu moi. (Lambrecht 2001)

Dans ce type de structure, un même argument est représenté à la fois par un cli-
tique et par un pronom accentué. Contrairement à ce qui se passe dans les seg-
mentées à droite, le pronom accentué se trouve dans une relation de focus avec
ce qui précède. Cette relation de focus se manifeste, premièrement, dans l' ac-
cent qui frappe le pronom, deuxièmement, dans la possibilité qu'aurait un tel
énoncé de répondre à une question comme:

(4.36) Qui a-t-elle vu ? (Lambrecht 2001)

qui marque l'élément interrogé comme le focus de la réponse. Troisièmement,


la relation de focus apparaît dans le fait que ces éléments sont parfois accom-
\1agnés d'une marque à fonction focalisante, comme aussi. C'est le cas dans les
exemples suivants:

(4.37)
GS: eh bien eh bien parce qu'elle est sereine / elle est. je ne sais pas / c'est un
Saint-Bernard elle aussi / si je puis dire / je ne sais pas / enfin \ c'est une
union vraiment comme je l'imagine \\ (Apostrophes)

(4.38)
B5: je m'excuse de vous avoir pas dit mais je savais pas je croyais que c'était
le docteur et vous êtes peut-être docteur vous aussi
C6: oui (Allocations)

(4.39)
ME: est-ce que vous comprenez. / ces gens-là devraient selon vous avoir droit
à la parole / avec un risque de dérapage en direct à l'antenne / que pensez-
vous comme femme politique de cette difficulté gui nous est propre à nous
autres médias \\ (Forum)

Pour finir, il convient de mentionner quelques formes particulières de segmen-


tées à droite, comme :

(4.40)
MM: quand on commence à écrire / et qu'on va chez un éditeur / c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu / (Radioscopie)

(4.41 )
MM: oui on a un complexe évidemment / seulement j'ai eu un père / (que) euh
ça l'amusait énormément gue j'écrive / (Radioscopie)

197
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

ainsi que d'autres structures dans lesquelles le syntagme nominal disloqué est
introduit par une marque lexicale :

(4.42) C'est immense comme hangar. (Lambrecht 1995)

(4.43) Elle est charmante comme fille. (Ne1ke 1994)

(4.44) C'est une belle fleur que la rose. (Rothenberg 1989, Molinier 1996)

Ces structures peuvent être analysées comme des types particuliers de segmen-
tées à droite. Lambrecht (1995) étudie la structure informationnelle de la struc-
ture en comme-N en montrant ses similitudes et ses différences avec la
segmentée à droite habituelle. Molinier (1996: 85) analyse l'exemple 4.44
comme articulant un propos et un thème, tandis que Le Querler (1998, 1999)
propose de considérer le que qui sépare l'élément extraposé du noyau proposi-
tionnel comme une marque de rhématisation : la possibilité de son insertion
marque le noyau qui précède comme rhématique. Malgré l'intérêt de ces struc-
tures et de leurs interprétations, je n'approfondirai pas leur étude, d'autant plus
que ce type de segmentée n'apparaît pas dans mon corpus.

4.2.2.2 Le rôle de la structure segmentée à droite dans le marquage


des points d'ancrage
Le bref survol descriptif qui vient d'être effectué a montré que la structure seg-
mentée à droite se caractérise par des traits prosodiques et syntaxiques qui
semblent la destiner à marquer, au niveau informationnel, un renvoi à un réfé-
rent connu, ou en tout cas non focalisé (au sens de Lambrecht 1994). Dans le
cadre théorique adopté ici, cela revient à dire que cette structure marque, à
l'instar des expressions référentielles définies, des référents identifiables et/ou
déjà actifs qui fonctionnent comme des points d'ancrage. Cette caractérisation,
déjà maintes fois effectuée dans des perspectives théoriques différentes
(Lars son 1979, Giv6n 1983, Nelke 1994, et Lambrecht 1994 entre autres), doit
toutefois être précisée à plusieurs égards. Il convient premièrement de montrer
comment la segmentée à droite s'articule avec les expressions référentielles
pour contribuer au marquage des référents identifiables constituant des points
d'ancrage immédiats et d'arrière-fond. Deuxièmement, il s'agira de voir dans
quelle mesure et dans quelles situations une telle structure permet de rendre
moins ambiguë l'interprétation du topique: ce sera l'objet du point suivant.

L'articulation de la segmentée à droite et des expressions référentielles qui y


interviennent semble jouer un rôle essentiel dans les fonctions que l'on attribue
à la segmentée. En effet, si la structure segmentée à droite a pour fonction de
renvoyer à des référents identifiables et/ou déjà actifs, ce rôle peut, dans un

198
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

premier temps, être attribué aux expressions référentielles qu'elle implique.


Par exemple, à la fin de la longue intervention de 4.45, qui répond à une ques-
tion portant sur la manière dont s'est établie la complicité entre les comédien-
nes dans le film La vie rêvée des anges :

(4.45)
ÉZ: c'est compliqué J parce que sur un . plateau euh : vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue J. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de: comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie J. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu J. sur un plateau J quelqu'un
vers. qui l'équipe va aller. d'emblée J parce qu'elle est connue aussi
pour. euh sa sa sa sa sa simplicité J son son son sourire J son: donc on : on
vient vers elle \ et Natacha J je crois que J. alors moi ça m'a servi \ mais
Natacha. a : a dû affronter ça \ le fait d'être. finalement de. peut-être pas
être . vue \ . par l'équipe . autant que Élodie J euh : sur le tournage J et de
ramer comme ça J euh: et d'être auprès d'Élodie J et de. et Élodie est
quelqu'un qui est très euh autonome J sur un plateau \ c'est quelqu'un qui
est très simple J donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand quand quand
quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça J elle va pas
forcément faire un effort J. ça veut pas du tout dire qu'elle accueille l'autre
ou (X) J mais c'est quelqu'un qui est très autonome J -+ elle a pas besoin
des autres Élodie \. elle a besoin de deux trois choses J. mais c'est tout \\
(Le Masque et la Plume)

La segmentée à droite elle a pas besoin des autres Élodie renvoie à un référent
identifiable et préalablement activé: «Élodie », par l'intermédiaire des ex-
pressions référentielles elle et Élodie. Ces dernières désignent un référent qui
constitùe déjà un topique, comme le montrent les traces pronominales (c', el-
le), qui y renvoient auparavant. En d'autres termes, ce sont les expressions ré-
férentielles de la segmentée à droite qui, par leur fonction de reprise externe34 ,
permettent à cette structure de marquer la continuité.

Une telle description reste toutefois encore largement insuffisante. En effet,


elle explique mal, premièrement, en quoi une telle structure se distingue d'une
expression référentielle unique (un pronom ou un syntagme nominal seul),
comme:

(4.46)
ÉZ: Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome J sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple J donc euh . c'est quelqu'un qui va pas quand

34. Le tenne est de Fradin (1988, 1990) : il pennet de distinguer la reprise interne à la structure,
qui s'établit entre le pronom et le syntagme disloqué, du rappel qui relie la structure seg-
mentée avec le cotexte.

199
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça /
elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / elle a
pas besoin des autres \ . elle a besoin de deux trois choses /. mais c'est tout \\

(4.47)
ÉZ: Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple / donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça /
elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / Élo-
die a pas besoin des autres \. elle a besoin de deux trois choses /. mais
c'est tout \\

Deuxièmement, une telle description ne montre pas non plus en quoi une telle
structure se distingue d'une segmentée à gauche:

(4.48)
ÉZ: Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple / donc euh . c'est quelqu'un qui va pas quand
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça
/ elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / Élo-
die / elle a pas besoin des autres \ . elle a besoin de deux trois choses /.
mais c'est tout \\

En effet, si seules les expressions référentielles étaient responsables du mar-


quage des informations identifiables qui constituent les points d'ancrage et si
l'ordre syntaxique de leur apparition ne jouait aucun rôle, il faudrait admettre
l'équivalence fonctionnelle des segmentées à gauche et à droite.

Il est donc nécessaire de préciser l'analyse fonctionnelle de la segmentée à


droite, en tenant compte non seulement des deux expressions référentielles qui
s 'y inscrivent, mais encore de l'ordre dans lequel elles apparaissent, qui fait la
spécificité de cette structure syntaxique. La structure de la segmentée à droite
fait interveriir en premier lieu le pronom attaché au noyau propositionnel35 , du-
quel dépend la reprise externe effectuée par la segmentée à droite, et qui mar-
que d'emblée un ancrage sur une information très accessible, comme on l'a vu
dans le chapitre précédent. Le positionnement initial de ce pronom - absent

35. La présence de ce pronom constitue, selon Fradin (1988), un aspect définitoire de la seg-
mentée à droite; lorsque l'élément explicité n'est pas un clitique, on a une apposition, qui,
comme le montre Fradin, se caractérise par des propriétés différentes de celles de la seg-
mentée à droite.

200
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

des segmentées à gauche et de la simple reprise par un syntagme nominal -


permet alors de rendre compte du fait que la segmentée à droite marque un ré-
férent qui se caractérise par une forte accessibilité (Lambrecht 1994: 203) -
généralement supérieure à celle des référents auxquels renvoient les segmen-
tées à gauche36 •

À une telle proposition peuvent toutefois être opposés certains contre-exem-


ples mis en évidence par Ashby (1988). Celui-ci montre que le référent des
structures segmentées à droite n'est pas toujours strictement donné (c'est-à-
dire évoqué textuellement), et qu'il peut, dans certains cas, se caractériser par
une plus faible accessibilité. Ainsi, dans l'exemple suivant:

(4.49) [describing the liberation of Azay-le-Rideau near the end ofWorld War II] :
C'était libéré par le maquis ici. C'est le maquis qui a fait la libération du
coin. Déjà, un petit peu, l'armée américaine était au nord de la Loire,
jusqu'auprès de Tours; oui, au nord de la Loire. Elle était pas au sud. Et
puis, ils étaient méchants, les Allemands. À la fin, quand ils ont vu que la
situation était perdue, vous savez? Oh ! Alors pour un oui, pour un nom,
on fusillait beaucoup ici. (Ashby 1988)

Le référent désigné par les Allemands n'a pas été évoqué textuellement, mais il
est rendu disponible par l'évocation de la deuxième guerre mondiale: Ashby le
décrit comme étant accessible par inférences. Ce type d'exemple contredit ap-
paremment l'idée selon laquelle la segmentée à droite renvoie nécessairement
à un référent évoqué textuellement.

L'existence de tels contre-exemples ne remet toutefois pas l'ensemble de la


description qui précède en question. En effet, Ashby (1988) relève lui-même
que la présence d'un référent peu accessible est beaucoup plus rare avec la seg-
mentée à droite qu'avec la segmentée à gauche. De plus, il semble que, même
dans ce type d'exemple, la structure segmentée à droite a pour effet de présen-
ter le référent comme étant déjà fortement accessible, même si ce n'est effecti-
vement pas le cas. Que l'on compare cet exemple avec 4.50, où la segmentée à
droite est remplacée par une structure clivée en il y a (Lambrecht 1999c) :

(4.50) C'était libéré par le maquis ici. C'est le maquis qui a fait la libération du
coin. Déjà, un petit peu, l'armée américaine était au nord de la Loire,

36. Dans la perspective que j'adopte ici, le pronom est donc bien un anaphorique, et non pas un
cataphorique : ma position est différente de celle qui est défendue par Fradin (1988), et re-
prise par N01ke (1994), pour qui la segmentée à droite n'a aucune valeur cohésive; toute-
fois, il convient de relever que Fradin s'intéresse essentiellement au phénomène de reprise
interne, et à ce niveau nos analyses se rejoignent.

201
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

jusqu'auprès de Tours; oui, au nord de la Loire. Elle était pas au sud. Et


puis, il y avait les Allemands gui étaient méchants. À la fin, quand ils ont
vu que la situation était perdue, vous savez? Oh ! Alors pour un oui, pour
un nom, on fusillait beaucoup ici.

Contrairement à la structure segmentée à droite qui présente le référent « les


Allemands» dans la suite directe de ce qui précède, la clivée introduit« les Al-
lemands» comme un référent nouvellement activé qui vient s'ajouter aux
autres référents précédemment évoqués. Il ressort du contraste entre ces deux
exemples que la segmentée à droite présente le référent non pas comme nou-
vellement introduit, mais comme étant déjà très accessible, même si cette forte
accessibilité ne se réalise pas entièrement dans les faits. Dans ce type de cas,
on observe donc un phénomène d'accommodation pragmatique, comparable,
quoique de manière atténuée, à un coup de force présuppositionnel37 .

En admettant que la fonction de reprise externe de la segmentée à droite se jus-


tifie par la présence du pronom accompagnant le noyau propositionnel, il reste
à préciser le rôle du syntagme nominal. À la suite de Ashby (1988) et Fradin
(1988), on peut faire 1'hypothèse que, dans certains cas tout au moins, le SN
atténué a pour fonction de clarifier l'identité du référent du pronom qui reste-
rait obscure autrement. Ashby illustre cette fonction de clarification par
l'exemple suivant:

(4.51)
Speaker 21: Claire a trouvé un appartement. Justement, elle voulait, parce
qu'elle travaille rue de Toulon. Elle a trouvé un appartement, une
maison, où a vécu Gambetta. C'est très récent, quand même. Il est
bien.
Speaker 97: C'est certainement mieux que moderne, parce que ...
Speaker 21: C'est un appartement du dix-neuvième siècle. Il est rénové. Oh, elle
n'est pas vieille, la maison. (Ashby 1988 : 220)

Ashby relève que du fait de la distance qui sépare le pronon elle de son antécé-
dent, le pronom, employé sans segmentée à droite, pourrait être interprété
comme renvoyant à «Claire» plutôt qu'à la «maison» (1988 : 220). La seg-
mentée à droite vise à prévenir une telle confusion.

Un autre élément qui semble être à même de justifier la présence d'un SN plein
et partant, d'une structure segmentée plutôt que d'un simple pronom, est cons-
titué par l'expressivité que l'on associe généralement à cette structure. Celle-ci
découle en partie de la mise en relief de l'information activée qui apparaît
avant l'élément détaché:

37. Pour un exemple de « coup de force présuppositionnel », cf. Apothéloz (1995 : 49).

202
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

AZ et ZA relèvent de tendances opposées de l'expressivité, l'attente et la surprise.


Dans AZ, le thème produit un effet de tension; il fait désirer le propos, qui prend
toute sa valeur par cette préparation. Au contraire, dans ZA, le propos éclate par
surprise, et le thème est comme l'écho de cette explosion. (Bally 1965 [1932] : 69)

Outre 1'« effet de surprise» inhérent à la forme de la segmentée à droite, la va-


leur expressive qui lui est associée peut s'expliquer par deux phénomènes.
D'une part, les segmentées à droite sont fréquemment accompagnées de dé-
monstratifs dont la valeur axiologique est marquée, comme dans 4.52 :

(4.52)
Speaker 33: Ah oui, le tonnelier! C'est le seul qui reste en Indre-et-Loire. Atten-
tion, c'est un cas !
Speaker 104 : Je me rappelle plus de son nom, à cet animal-là. Quand je dis « ani-
mal », c'est pas trop fort 38 (Ashby 1988)

Le syntagme nominal démonstratif, qui saisit son référent à partir de la dési-


gnation de l'intervention qui précède (le tonnelier) et le reclassifie comme un
animal, est lié à un jugement de valeur plutôt négatif confirmé par le contexte.
Les segmentées à droite sont d'autre part particulièrement fréquentes dans les
phrases exclamatives et interrogatives :

(4.53) Nous avons quatre petits oiseaux dans la cour. Ils ne savent pas encore
voler. Ils ont déjà changé depuis ce matin: moins ébouriffés et plus vifs:
c'est génial de les voir grandir ces petits! (e-mail)

(4.54)
A: je dois vous dire que il y a des discussions d'ordre politique / où tout le
monde s'enguirlande / et tout le monde réclame / alors là je ferme mon
appareil radio / parce que vraiment ce n'est absolument pas du tout ce que
nous attendons //
CF: eh bien voilà c'est typique ça hein /
ME: oui!
CF: le ton monte / et : et: curieusement les gens aiment que le ton monte /
parce que ça donne du ton / comme ils le disent si bien / mais <acc.>
quand il y a du ton / ils n'aiment pas qu'il y ait du ton \\ (Forum)

(4.55)
B89 : oui. alors là là ben on nous a introduit en erreur parce que moi
C90 : mais c'est très possible
B91 : depuis le mois de mai on a pris deux heures une aide ménagère qui nous
revient assez cher et . et là euh

38. Ashby isole ce type d'exemple, dans lequel il relève que la segmentée à droite a pour fonc-
tion d'apporter une information supplémentaire (<< epithet function »).

203
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

C92: mais vous l'avez reçue la notification de refus


B93: ah non non non
C94: bon
B95: mais je vais la recevoir là hein
C96: ben je sais
B97: je vais le recevoir parce que c'est un refus. je sais que c'est un refus. alors
là là j'ai pas compris parce que avec euh ils ont euh chacun deux cent mille
francs par mois (Allocations)

(4.56)
Speaker 6: [The overall discourse topic is the charm of Touraine] : Il y a la
Loire et ses châteaux. Ca c'est ... Quand on parle de la Touraine, on
pense immédiatement aux châteaux. Et puis, la situation quand
même, les rivères-Ià. La Loire est belle. Vous avez visité la Vallée de
la Loire?
Interviewer: Oui, pas mal.
Speaker 6: Elle est belle, la Loire, hein? (Ashby 1988)

Jugements de valeur et phrases exclamatives se combinent d'ailleurs souvent,


comme dans le :

(4.18) Ils sont fous, ces Romains!

Ainsi, la fonction de clarification de la segmentée à droite et sa fonction ex-


pressive, liée au lexique axiologiquement marqué et au contexte interrogatif ou
exclamatif de son occurrence, distinguent clairement la segmentée à droite des
expressions référentielles pronominales simples.

En résumé, la structure segmentée à droite s'articule avec les expressions réfé-


rentielles qui s'y inscrivent pour marquer la continuité informationnelle: appa-
raissant avec le noyau propositionnel, le pronom a pour fonction de saisir le
référent auquel il renvoie dans la continuité de ce qui précède, tandis que la
combinaison de ce pronom avec un syntagme nominal détaché se justifie par la
fonction de clarification que remplit ce SN, et/ou par la valeur d'expressivité
associée à cette structure.

4.2.2.3 Le rôle de la segmentée à droite dans le marquage du topique


Après avoir étudié comment la structure segmentée à droite s'articule avec les
expressions référentielles pour renvoyer à des référents identifiables et/ou déjà
actifs fonctionnant comme des points d'ancrage, il reste à approfondir le rôle
de cette structure dans le marquage du point d'ancrage le plus immédiatement
pertinent, à savoir le topique.

204
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

On admet généralement que la segmentée à droite marque le topique (cf. entre


autres Bally 1965 [1932], Lambrecht 1981 )39, mais il convient de vérifier que
cette proposition trouve son application dans le présent cadre théorique. La
structure même de la segmentée à droite fournit un premier argument positif.
D'une part, comme on vient de le voir, le pronom et le syntagme nominal dis-
loqué porteur d'une intonation d'appendice peuvent être interprétés de manière
non ambiguë comme la trace d'un référent déjà actif, et constituant donc un
candidat idéal pour fonctionner comme topique. D'autre part, que ce référent
déjà actif soit interprété comme un topique et non comme un point d'ancrage
d'arrière-fond découle directement de l'ordre d'apparition de ces deux mar-
ques, qui a pour effet d'assurer le maintien en mémoire discursive du référent:

The presuppositional structure of the antitopic construction involves a signal that


the not-yet-active topic referent is going to be named at the end of the sentence.
(Lambrecht 1994 : 203)

Le référent ainsi maintenu disponible constitue le point d'ancrage le plus sus-


ceptible d'être interprété comme le topique.

Cette proposition demande à être étayée par l'analyse de quelques exemples.


Dans cette optique, je considérerai deux cas de figure différents: dans le pre-
mier, la présence d'une segmentée à droite se justifie également par un besoin
de clarification; dans le second, l'identification du référent ne soulève pas de
problème, et la fonction informationnelle de la segmentée devrait apparaître
d'autant plus distinctement. Enfin, j'examinerai les lieux discursifs où un tel
marquage du topique s'avère nécessaire.

Dans l'exemple 4.57, la segmentée à droite permet d'éviter une confusion pos-
sible sur l'identité du référent désigné par les:

(4.57)
JR: c'est-à-dire que c'est vraiment / à ce moment-là en une sorte de. de rap-
prochement d'un certain côté entre Debussy et: Ravel/une sorte
d'impressionnisme si on veut / mais je crois peut-être une mode des titres /
qui fait que de temps en temps / les titres se retrouvent / et ça c'est très vrai
pour aujourd'hui par exemple \ on pourrait dire la même chose. en musi-
que contemporaine / on retrouverait quelquefois des similitudes de titres /
qui n'impliquent pas forcément des similitudes de tempéraments \

39. Ashby (1988) évoque aussi des segmentées à droite intervenant lors d'hésitations, qui sem-
blent essentiellement avoir une fonction de « remplissage », et des segmentées faiblement
motivées pragmatiquement. Ni les unes, ni les autres ne semblent présentes dans mon cor-
pus.

205
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

X: parce qu'on les a trop rapprochés hein 1 Debussy et Ravel \ j'aimerais au


contraire qu'on les sépare. à l'occasion Il (La Tribune des Critiques)

En l'absence de toute structure segmentée et en présence du seul pronom les,


le topique initial de l'intervention de X serait ambigu. En effet, le pronom les
peut non seulement renvoyer aux deux compositeurs «Debussy et Ravel »,
mais aussi au référent constitué par les « titres », évoqué ultérieurement et por-
teur de marques de nombre qui coïncident avec celles du pronom. La segmen-
tée à droite remplit ici une fonction de clarification.

Se caractérise-t-elle pour autant uniquement par cette fonction? La comparai-


son de cette segmentée avec la structure syntaxique non marquée permet de ré-
pondre à cette question par la négative:

(4.58)
JR: c'est-à-dire que c'est vraiment 1 à ce moment-là en une sorte de . de rap-
prochement d'un certain côté entre Debussy et: Ravel 1 une sorte
d'impressionnisme si on veut 1 mais je crois peut-être une mode des titres 1
qui fait que de temps en temps 1 les titres se retrouvent 1 et ça c'est très vrai
pour aujourd'hui par exemple \ on pourrait dire la même chose. en musi-
que contemporaine 1 on retrouverait quelquefois des similitudes de titres 1
qui n'impliquent pas forcément des similitudes de tempéraments \
X: parce qu'on a trop rapproché Debussy et Ravel hein \ j'aimerais au con-
traire qu'on les sépare. à l'occasion Il

Dans cet exemple, la présence d'expressions référentielles pleines (Debussy et


Ravel) élimine tout problème d'identification du référent. En revanche, l'iden-
tification du topique de l'acte dans lequel elles s'inscrivent soulève plus de dif-
ficultés, car plusieurs possibilités restent ouvertes. L'interprétation qùi fait de
« Debussy et Ravel» un topique est très peu accessible, car les noms propres
sont préférentiellement interprétés comme renvoyant à des référents activés, en
rupture avec le cotexte qui précède (Schnedecker 1997)40. Le topique peut
alors être interprété comme étant constitué par le référent indéfini auquel ren-
voie on (qui se trouve en position de sujet et qui s'oppose au prédicat) ou, si
l'on considère que ce référent trop vague ne peut servir de topique, par l'infor-
mation qui précède l'ensemble de l'acte (<< la similitude des titres et la diffé-
rence de tempérament »). Ces problèmes d'identification du topique ne se
posent pas en présence de la segmentée à droite, qui, par sa structure décrite ci-
dessus, marque sans ambiguïté «Debussy et Ravel» comme le point d'ancra-
ge le plus immédiatement saillant, et relègue par là même les autres points

40. Selon Lambrecht, l'interprétation topique est même exclue, car en français, l'objet direct
lexical force l'interprétation focus.

206
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

d'ancrage à l'arrière-fond. Ainsi, cette segmentée à droite se caractérise par


une fonction de clarification, mais celle-ci ne l'empêche pas de marquer la
structure informationnelle de manière univoque.

La proposition selon laquelle la structure segmentée à droite permet de lever


l'ambiguïté de la structure informationnelle peut également être illustrée à par-
tir de l'exemple suivant, qui ne pose cette fois pas de problème d'identification
du référent:

(4.59)(= 3.7)
BP : vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP : depuis vingt ans \\
GS : oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP : décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts / (Apostrophes)

Que l'on compare cet exemple avec sa variante pronominale, dans laquelle le
syntagme nominal segmenté est supprimé :

(4.60)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP: depuis vingt ans \\
GS: oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP: décidément. elle est extraordinaire / elle vous a fait perdre tous vos
défauts /

La première conséquence de la suppression du syntagme nominal segmenté est


constituée par l'augmentation de l'effort nécessaire pour récupérer le référent
du pronom elle, qui n'est pas explicité. « Teresa» est néanmoins le seul réfé-
rent dont les marques de genre et de nombre coïncident avec celles du pronom,
et son identification ne soulève pas de problème particulier. La présence de la
segmentée à droite ne se justifie pas ici par sa fonction de clarification.

L'absence de la segmentée à droite semble en revanche avoir une conséquence


directe au niveau du marquage de la structure informationnelle. En effet, le
point d'ancrage immédiat de l'information activée par: décidément. elle est
extraordinaire est ambigu. Il peut s'agir du référent « Teresa» qui est verbalisé
par le pronom elle; cette interprétation peut être formulée de la manière sui-
vante: «à propos de Teresa. décidément elle est extraordinaire ». Mais le
point d'ancrage immédiat de cette information peut également être constitué
par l'information activée précédemment par :je n'en ai plus eu. Cette deuxiè-
me interprétation se traduirait par la formulation suivante : « si vous n'avez

207
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

plus eu de colères. c'est que décidément. Teresa est extraordinaire ». Ainsi, au


moins deux points d'ancrage immédiats sont également possibles en l'absence
de structure segmentée. La présence d'une structure segmentée à droite per-
met, me semble-t-il, d'éviter une telle ambiguïté, dans la mesure où elle mar-
que « Teresa» comme un référent hautement accessible et saillant. Dans ce
type d'exemple, la segmentée à droite a donc essentiellement pour fonction de
sélectionner un référent parmi un ensemble d'informations déjà actives, pour
lui conférer clairement le statut de topique et reléguer les autres à l'arrière-
fond.

Si cette analyse a montré, pour les deux exemples qui viennent d'être étudiés,
que la segmentée à droite a pour fonction de marquer clairement le topique,
elle n'explique pas encore les raisons qui conduisent à un tel marquage d'un
topique par ailleurs déjà actif. En effet, l'analyse des dialogues oraux montre
que, très souvent, lorsque plusieurs référents préalablement actifs peuvent
fonctionner comme topiques, les interlocuteurs ne ressentent pas le besoin
d'expliciter le ou les topique(s) sur lesquels ils s'appuient41 • Pour expliquer la
présence de la segmentée à droite, on peut alors faire l'hypothèse qu'elle se
justifie lorsque l'on se trouve à un moment-clé du discours, comme par exem-
ple une période de transition.

L'emploi de la segmentée à droite dans l'exemple 4.59 semble effectivement


être lié à une transition topicale :

(4.59)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
as: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP: depuis vingt ans \\
as: oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP: décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts /

Dans cet exemple, B. Pivot et G. Simenon parlent des colères de G. Simenon.


Ce dernier justifie le fait qu'il n'en a plus eu depuis vingt ans par le fait qu'il
connaît Teresa depuis cette époque. C'est pour enchaîner par une progression
linéaire sur «Teresa », référent qui vient d'être activé comme un argument,
que B. Pivot utilise la structure segmentée à droite. L'utilisation de cette struc-
ture permet de signaler explicitement que l'on souhaite faire de ce référent, dé-
rivé de l'information associée aux colères de G. Simenon, le topique du

41. Voir la grande fréquence de la progression linéaire implicite relevée dans le deuxième cha-
pitre en 2.3.3.1.

208
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

passage qui suit, ce que vient confinner la question sur le fait que Teresa a fait
perdre ses défauts à l'écrivain.

Une autre situation de transition propice à la présence d'une segmentée à droi-


te est constituée par les frontières de tours de paroles. Ashby (1988) relève en
effet que les segmentées à droite apparaissent souvent en fin de tour, contraire-
ment aux segmentées à gauche, que l'on trouve fréquemment en début de tour.
C'est le cas pour l'exemple 4.45 que je reprends ici:

(4.45)
EZ: c'est compliqué / parce que sur un . plateau euh: vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue /. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh : . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de : comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie /. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu /. sur un plateau / quelqu'un
vers. qui l'équipe va aller. d'emblée / parce qu'elle est connue aussi
pour. euh sa sa sa sa sa simplicité / son son son sourire / son: donc on : on
vient vers elle \ et Natacha / je crois que / . alors moi ça m'a servi \ mais
Natacha. a : a dû affronter ça \ le fait d'être. finalement de. peut-être pas
être. vue \ . par l'équipe. autant que Élodie / euh: sur le tournage / et de
ramer comme ça / euh: et d'être auprès d'Élodie / et de. et Élodie est
quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est quelqu'un qui
est très simple / donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand quand quand
quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça / elle va pas
forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle accueille l'autre
ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / elle a pas besoin des
autres Élodie \ . elle a besoin de deux trois choses /. mais c'est tout \\

La segmentée à droite marque, par une sorte de ponctuation infonnationnelle


et rythmique, la fin toute proche du tour de parole. D'autres exemples, comme
ceux qui impliquent les tournures exclamatives et interrogatives (exem-
ples 4.53 à 4.56), confinnent que la segmentée à droite se trouve souvent asso-
ciée à des fins de tours de parole. Il semble toutefois excessif de restreindre
l'apparition des segmentées à droite à la fin des tours de parole, ce que mon-
trent les exemples 4.57 et 4.59, dans lesquels les segmentées à droite arrivent
en début de tour, marquant, comme on vient de le voir, une transition topicale.

Après avoir étudié comment les structures segmentées à droite s'articulent


avec les expressions référentielles pour marquer la présence de référents iden-
tifiables et/ou déjà actifs fonctionnant comme des points d'ancrage, j'ai montré
comment cette structure pennet de rendre moins ambigu le repérage du topi-
que, et en particulier dans des contextes impliquant un changement de topique
et/ou de locuteur.

209
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

4.2.3 La structure clivée


Je me propose de poursuivre l'étude des marques syntaxiques de la structure
informationnelle par l'examen la structure clivée, qui est particulièrement fré-
quente en français parlé (Katz 1997, Lambrecht 1999a et b). Plus précisément,
parmi l'ensemble des clivées distinguées par Lambrecht introduites par il y a,
voilà, c'est, etc., je m'intéresserai à la clivée en c'est, et en particulier à la cli-
vée en c'est impliquant une seconde partie présupposée (dans le sens de Lam-
brecht 1994), par opposition aux clivées présentatives qui ont essentiellement
une fonction introductrice (Lambrecht 1999c). Cette structure clivée en c'est
m'intéresse, car, tout en impliquant la mise en relief d'un argument (souvent
décrite comme une focalisation), elle est susceptible de marquer le topique à
travers la partie de la proposition présentée comme présupposée. Je commen-
cerai par rappeler brièvement les principales caractéristiques syntaxiques et
prosodiques de cette structure, afin d'étudier, dans un second temps, son rôle
dans le marquage des points d'ancrage et du topique42 .

4.2.3.1 La structure clivée: description et délimitation


La structure clivée en c'est qui m'intéresse (dorénavant: « structure clivée »)
correspond à la structure « argument-focus» chez Lambrecht (1994) et peut
être décrite comme l'extraction d'un élément d'une proposition43 . Ainsi, une
proposition comme:

(4.61) Le commissaire Maigret parle.

devient, une fois clivée :

(4.62) C'est le commissaire Maigret qui parle (et pas Simenon).

La clivée se caractérise par une structure prosodique spécifique, qui implique


un accent sur le constituant mis en évidence, et une mélodie généralement dé-
crite comme plate sur la partie introduite par le pronom relatif. L'accent semble

42. On trouve chez Katz (1997) une étude approfondie de la clivée en c'est ainsi que d'autres
références.
43. Lambrecht (1999a) propose la définition suivante, valable pour l'ensemble des clivées: « A
cleft construction (short "cie ft") is a complex sentence construction consisting oftwo clau-
ses, a matrix clause containing a COPULA whose non-subject complement is a FOCUS PHRA-
SE, and a RELATIVE CLAUSE (or relative-like construction), one of whose arguments is
coindexed with the Focus Phrase. (Under "argument" are included adjuncts.) Together, the
main clause and the relative clause express a logically simple proposition, which can gene-
rally be expressed in the forrn of a canonical (i.e. non-cleft) sentence, without a change in
truth conditions ».

210
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

correspondre en français à un intonème conclusif majeur (Rossi 1985 : 143) : il


se caractérise le plus souvent par une descente mélodique 44 et il est parfois dé-
crit comme s'accompagnant également d'une rupture d'intonation45 . La mélo-
die plate qui suit est une intonation d'appendice, et son attaque est basse
(Mertens 1990, Morel 1992a46 ). La courbe mélodique peut donc être schémati-
sée de la manière suivante, comme le propose Rossi (1985 : 143) :

c'est ce type que j'ai rencontré

Figure 4.2. Schéma de la mélodie de la clivée en c'est

À nouveau, ce schéma a uniquement une valeur indicative. Mertens (1997)


ainsi que van den Eynde et al. (1998) montrent que d'autres variantes intonati-
ves sont possibles. Lambrecht (1994) et Katz (1997) relèvent en particulier que
la relative peut être porteuse d'un accent final. Par exemple, dans 4.63 :

(4.63) (Je le ferai ou non.) C'est TOI qui DÉCIDES. (Lambrecht)

L'accent final, transcrit par des petites majuscules, est, d'après Lambrecht,
aussi fort que l'accent sur le pronom toi. Il se justifie par l'inactivation préala-
ble de la proposition ouverte exprimée par la relative (Lambrecht 1994 : 279).

En outre, il est intéressant de noter que l'accent qui touche le constituant mis
en relief par la clivée se retrouve dans les structures fonctionnellement équiva-
lentes en anglais, en italien et en japonais (Lambrecht 1994 : 230), bien que
celles-ci présentent des structures syntaxiques très différentes, comme le mon-
trent les exemples suivants:

(4.64) My CAR broke down.

(4.65) Si è rotta la mia MACCHINA. / Ela mia MACCHINA che si è rotta.

44. Mertens (1997) souligne que le ton HB- a une fonction de mise en relief, de marquage d'un
constituant nouveau.
45. Ainsi, pour Molinier (1996 : 86) : «Les phrases clivées sont marquées par une intonation
spéciale: le segment <A> reçoit une emphase suivie d'une rupture d'intonation, et le reste
de la phrase s'inscrit sur une mélodie descendante».
46. Morel (1992a : 33) relève que si la hauteur terminale du constituant focalisé est plus élevée
que celle qu'on trouverait au même point en l'absence de focus, l'attaque du constituant
suivant se situe à un niveau inférieur à celui de l'intervalle neutre.

211
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(4.66) C'est ma VOITURE qui est en panne.

(4.67) KURUMA ga koshoo-shi-ta. (Lambrecht 1994)

L'intonation semble donc jouer un rôle important dans la fonction pragmatique


de mise en relief attachée à ces structures.

Au niveau syntaxique, la structure clivée implique en français une structure du


type « c'est A que/qui B », le segment A représentant, d'après Molinier (1996 :
85), un constituant majeur (syntagme nominal sujet, objet, ou prépositionnel)
d'une proposition canonique dont le segment B constitue la partie restante.
Sous réserve de certaines contraintes, le segment A peut toutefois aussi être
formé par des pronoms, des adverbes de lieu et de temps, des adjectifs, des in-
finitifs, etc. (Katz 1997 : 136-151). En outre, des relatifs autres que qui et que,
tels que dont et auquel, sont possibles, mais rares en français parlé (Katz
1997: 223). Enfin, Blanche-Benveniste (1997 : 98) relève que le verbe c'est
est en partie fossilisé, car il se conjugue et s'accorde peu (cf. aussi Katz 1997 :
151ss.). D'une manière plus générale, Lambrecht (1994) souligne que cette
structure constitue un tout dont la valeur ne peut être obtenue à partir de la va-
leur de la somme de ses parties 47 •

La clivée est soumise à diverses contraintes syntaxiques, parmi lesquelles on


peut mentionner le fait que l'élément accentué ne peut être constitué par un ad-
verbe de phrase :

(4.68) * C'est probablement que Jean a menti.


ni par une séquence introduite par puisque:

(4.69) * c'est puisqu'il n'aura pas d'entrée que son séjour il sera immense (Blan-
che-Benveniste 1997)

Il existe enfin, d'après Blanche-Benveniste (1997 : 97-98), certains éléments


comme pour ça qui, à l'oral, semblent être très souvent utilisés dans des cli-
vées. Ainsi, dans cet exemple:

(4.70)
GS: oui. c'est peut-être pour ça que quelquefois. je parle trop fort et j'élève
trop fort la voix / (Apostrophes)

47. « The focus meaning ofthese two-clause sequences is thus non-compositional, in the sense
that it is not the computable sum of the meaning of its parts. Rather it is a property of the
complex grammatical construction as a whole. » (Lambrecht 1994 : 230)

212
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

(4.71) ? quelquefois je parle trop fort et j'élève trop fort la voix peut-être pour ça

la version non clivée semble difficilement acceptable.

Il convient de distinguer la clivée d'autres structures syntaxiques qui présen-


tent une ressemblance de surface avec elle. Ainsi, la clivée se différencie de la
structure impliquant un c'est non présentatif. La clivée peut être décrite com-
me ayant une fonction identifiante, car l'élément A est présenté comme l' élé-
ment satisfaisant la définition introduite par que (Collins 1991 : 482). Dans
l'exemple suivant:

(4.72) C'est un hamburger que Ronald a offert à Ellen (et pas des frites).

le référent formé par le «hamburger» est présenté comme correspondant à


« ce que Ronald a offert à Ellen ». Cette fonction ne se retrouve pas telle quelle
dans l'autre structure, illustrée par l'exemple suivant:

(4.73)
X: (Que mange le chien ?)
Y: C'est un hamburger, que Ronald a offert à Ellen. (D'après Collins 1991)

Cette fois, le démonstratif c 'renvoie à une proposition introduite par la ques-


tion que l'on peut paraphraser par « ce que le chien mange». Cette structure se
distingue également de la clivée du point de vue du marquage prosodique, car
elle implique un intonème continuatif à mélodie ascendante et un intonème
conclusif descendant, lequel diffère nettement de l'intonation d'appendice ca-
ractérisant la clivée (Rossi 1985: 142-143)48. Ces structures diffèrent enfin
aussi au niveau informationnel, car l'information activée par la relative en 4.73
n'est pas présentée comme donnée (comme c'est le cas dans la clivée), mais au
contraire comme nouvellement activée49 .

La clivée se distingue également de la structure à « construction liée» (Moli-


nier 1996) correspondant à un type particulier de segmentée à droite :

(4.44) C'est une belle fleur que la rose. (Rothenberg 1989, Molinier 1996)

dans laquelle le relatif que n'alterne pas avec qui, et où l'élément suivant c'est
est nécessairement formé par un syntagme nominal indéfini :

48. Molinier cite en outre des exemples pour lesquels l'accord a une fonction discriminante:
C'est une élégie que j'ai écrit la semaine dernière, vs C'est une élégie que j'ai écrite la se-
maine dernière (Molinier 1996 : 86).
49. Pour un commentaire d'un exemple similaire qui va dans le même sens que la présente ana-
lyse, tout en recourant à la notion de thématisation interne, cf. Muller (1999 : 188-189).

213
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(4.74) * C'est ma fleur préférée que la rose. (Molinier 1996)

Contrairement à la clivée, une telle structure n'est jamais associée à un effet


contrastif.

En outre, comme le relève Lambrecht (1999a et b), la structure clivée en c'est


se distingue de la structure idiomatique suivante:

(4.75) Ce n'est pas parce qu'il est LINGUISTE qu'il sait expliquer l'emploi des
CLIVÉES. (Lambrecht 1999a et b)

qui peut faire l'objet soit d'une lecture clivée, selon laquelle « il sait effective-
ment expliquer l'usage des clivées )), soit d'une lecture idiomatique, selon la-
quelle « il ne sait pas expliquer l'usage des clivées )).

Pour terminer cette partie descriptive, on peut relever que la clivée est souvent
comparée aux pseudo-clivées du type« ce que/qui/dontA, c'est B )), comme:

(4.76) ce qui me plairait moi c'est l'Andalousie tout ça parce que c'est beaucoup
plus typique (Blanche-Benveniste 1997)

et celles du type « A, c'est B )), où A est un syntagme nominal, comme:

(4.77) L'ennui, c'est que Marie vienne. (Molinier 1996)

Molinier (1996 : 92) relève que la clivée et la pseudo-clivée sont partiellement


complémentaires: même si tout constituant rattaché au verbe peut être clivé, la
tournure pseudo-clivée est souvent préférée à la clivée lorsque le sujet ou l'ob-
jet est de nature propositionnelle:

(4.78) ? C'est que Marie vienne qui me rassure.

(4.79) Ce qui me rassure, c'est que Marie vienne.

Molinier remarque également que si la pseudo-clivée implique, à l'instar de la


clivée, une «présupposition )), (qu'il définit comme un élément donné, admis
par le locuteur et l'allocutaire) introduite dans le premier segment, et un « fo-
cus)) (l'élément nouveau), introduit dans le deuxième segment, elle ne fait pas
intervenir d'effet contrastif. De plus, au niveau prosodique, la pseudo-clivée
est généralement réalisée par deux contours intonatifs distincts (Collins 1991 :
485), contrairement à la clivée. Au niveau syntaxique, la possibilité de varia-
tions dans la nature du premier segment indique une certaine indépendance

214
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

entre les deux segments 50 • Enfin, la structure de type « A, c'est B », est traitée
par Stark (1997) comme un type particulier de segmentée à gauche, ce qui
montre qu'elle n'est pas nécessairement aussi proche de la clivée que le laisse
entendre l'analyse de Molinier. Pour ces raisons, il ne semble pas possible de
traiter les pseudo-clivées de manière parallèle à la clivée.

4.2.3.2 Le rôle de la clivée dans le marquage des points d'ancrage


La structure informationnelle interne de la clivée est généralement décrite
comme impliquant, d'une part, la présentation de l'information introduite par
le relatif comme donnée, et, d'autre part, la mise en relief du constituant accen-
tué 5 !, qui s'accompagne d'un effet contrastif(Gross 1977, Cadiot 1992). Je me
propose d'examiner comment cette structure contribue, dans un contexte dis-
cursif, au marquage des référents identifiables et/ou actifs qui fonctionnent
comme points d'ancrage; dans un second temps, je préciserai son rôle dans le
marquage du topique.

Bien que la structure clivée ne soit habituellement pas considérée comme une
marque de cohésion, son emploi dépend largement du contexte textuel et situa-
tionnel dans lequel elle s'inscrit. Ainsi, dans l'exemple suivant:

(4.80) C'est Pierre qui a appelé. (Cadiot 1992)

la présence de la clivée dépend, comme le relève Cadiot, de deux conditions:

But two specifie conditions must ho Id in the context of the utterance :


a. that a caU is considered by both speaker and hearer possible, relevant (for the
hearer), and even probable;
b. that « Pierre» is a good candidate for being the one who caUed.
If these two conditions do not hold, the appropriate construction will be the « pre-
sentative » [ ... ] : Il y a Pierre qui a appelé. (Cadiot 1992 : 69)

Les informations présentées dans une clivée se caractérisent ainsi par un ancra-
ge contextuel, qui est marqué linguistiquement de deux manières différentes.

Les expressions référentielles qui s'inscrivent dans la structure clivée consti-


tuent un premier type de traces de points d'ancrage. Ces traces ne sont pas

50. Ainsi, Apothéloz et Zay (1999 : 13) considèrent que les pseudo-clivées à fonction identifi-
catrice ou attributive constituent des structures macro-syntaxiques.
51. Lambrecht (1994) utilise la notion de présupposition (<< knowledge presupposition ») pour
désigner les propositions marquées lexico-syntaxiquement par exemple par la clivée et que
le locuteur présume être connues ou admises comme telles par l'interlocuteur. L'élément
accentué se caractérise par une relation de focus.

215
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

spécifiques à la structure clivée, et peuvent y apparaître à différents endroits.


Juste après le c'est, comme dans les deux exemples suivants:

(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
Bl75 : et on a vu. le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
Cl76 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C 178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein (Allocations)

(4.82)
GS: je suis un instinctif J je ne suis pas du tout un intellectuel J euh : je n'ai
jamais pensé un roman J j'ai senti un roman \je n'ai jamais pensé un per-
sonnage J j'ai senti un personnage \ n'est-ce pas J. euh je n'ai jamais.
inventé une situation J la situation est venue lorsque j'écrivais un roman J
mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener J c'est lui
gui me menait J (Apostrophes)

et dans la deuxième partie de la clivée, comme c'est le cas pour le pronom me


dans le second exemple. La présence de pronoms dans la première partie de la
clivée, qui constitue notoirement le lieu de la mise en relief, est rendue possi-
ble par le fait qu'il s'agit de pronoms accentués qui, comme le montre Kleiber
(1 994a)52, permettent le renvoi à un référent saillant tout en étant également
aptes à marquer l'activation d'une information de nature déictique.

Outre par les expressions référentielles, les points d'ancrage sont marqués par
la structure même de la clivée, qui présente le prédicat comme étant admis ou
donné par les interlocuteurs (Collins 1991, Cadiot 1992: 69, Molinier 1996,
Blanche-Benveniste 1997 : 97, Katz 1997). Comme c'est le cas pour les points
d'ancrage marqués par les expressions référentielles, ce point d'ancrage propo-
sitionnel peut avoir été introduit plus ou moins directement. Ainsi, il peut être
évoqué dans le cotexte qui précède immédiatement la clivée, comme dans
l'exemple suivant :

(4.83)
CF: Claude Torracinta vous l'homme de médias J l'ancien à cette table J
comme vous l'avez dit J est-ce que vous avez le sentiment. que tout. peut

52. « Alors que il n'a qu'un rôle anaphorique, - il n'est, en somme, que pronom -, lui présente
deux faces. Il reste d'une part pronom comme il en ce qu'il renvoie à un référent rendu
saillant par une introduction préalable dans le contexte antérieur, mais il apporte en même
temps une information nouvelle par l'accentuation: c'est son côté déictique» (Kleiber
1994a: 137).

216
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

être traité dans un débat 1 ou il y a des sujets qui. ne peuvent absolument


pas être abordés Il qui donnent lieu à peut-être à un échec 1 qu'on pouvait
prévoir presque dès le départ Il
CT: je dirai deux choses 1 tout devrait pouvoir être abordé 1 c'est-à-dire qu'il ne
devrait pas y avoir de limites 1 c'est-à-dire qu'il ne devrait pas y avoir de
sujets qui sont censurés 1. ce qui est différent 1c'est qu'il y a des sujets qui
peuvent être plus difficiles à traiter 1. soit parce que: . c'est un sujet extrê-
mement complexe 1 je pense notamment à des sujets scientifiques ou
autres 1 soit parce qu'on ne trouve pas les interlocuteurs pour des raisons
diverses ou autres 1
CF: nous y viendrons Il
CT: nous y viendrons 1. soit tout simplement parce que. l'actualité fait <acc.>
qu'on traite un autre sujet 1 y a pas de sujet tabou 1. y a des sujets plus dif-
ficiles à traiter 1 et y a des sujets où effectivement. on a du mal je dirais à
les appréhender \\
CF: Anne-Catherine Lyon Il
ACL: peut-être pour enchaîner 1 plutôt que les sujets qui devraient être tabous 1
-+ c'est certaines personnes qui devraient être. taboues 1 ou plus exacte-
ment. plus le sujet est difficile 1 plus les personnes devraient être de qua-
lité \\ (Forum)

L'information présentée comme un point d'ancrage par la deuxième partie de


la structure clivée (qui devraient être taboues) est introduite juste avant par:
plutôt que les sujets qui devraient être tabous. Dans un autre exemple, l'intro-
duction textuelle du point d'ancrage n'implique pas de répétition littérale:

(4.84)
BP: Georges Simenon je euh: 1. vos mémoires intimes commencent par le
récit. du suicide de votre fille \ et j'aimerais vous lire ces quelques lignes 1
je vous poserai la question après \ ce sont évidemment c'est. des lignes
dramatiques \\ . vous vous adressez à Marie-Jo 1 et vous dites ceci 1 ton
appartement était dans un ordre et une propreté impeccable 1 comme si 1
avant de partir 1 tu avais procédé à un méticuleux nettoyage 1 y compris au
lavage et au repassage de tes vêtements et de ton linge \\ . tout était à sa
place 1toi-même couchée sur ton lit 1un petit trou rouge dans la poitrine \\
et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1-+ c'est: Georges Simenon 1le père de Marie-Jo qui se les pose 1ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret 1. créature de Georges Simenon \\
GS: ah non c'est le père de Marie-Jo qui se les. 1 parce que ça ça : euh: sup-
pose. d'abord qu'elle ait donc bien prémédité! puisqu'elle est allée ache-
ter un pistolet ou les cartouches 1 enfin je suppose 1 ou elle les a peut-être
trouvés 1 ou quelqu'un les lui a donnés 1 je n'en sais rien 1 mais. euh: si
j'insiste sur le pistolet à un coup 1 c'est que. (X)
BP: on a l'impression que c'est Maigret : Il

217
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

as : il n'est pas tellement facile. de s'atteindre le cœur. exactement 1Marie-Jo


n'avait aucune notion d'anatomie 1 par conséquent 1. (X) à un seul coup 1.
elle savait qu'elle ne se raterait pas 1donc elle a dû. se renseigner \ . même
peut-être ouvrir un dictionnaire pour voir bien l'emplacement du cœur à
savoir .-
BP: (mais là) -+ c'est le commissaire Maigret gui parle Il
as: c'est le père aussi 1 euh: j'aime de . reconstituer. ce q. ce qui s'est passé
avant//
BP: c'est les deux gui parlent \\
as: c'est les deux 1 c'est c'est plutôt: le père Il (Apostrophes)

Les clivées soulignées dans cet exemple s'articulent autour de la même idée, à
savoir qui, de Simenon le père ou de Maigret le personnage, est l'auteur des
questions portant sur les modalités du suicide de Marie-Jo. Le rappel explicite
de ces questions par B. Pivot introduit en mémoire discursive le point d'ancra-
ge marqué par qui se les pose, dans la première clivée, et, dans une moindre
mesure peut-être, par qui parle(nt) dans le deuxième groupe de clivées. Plus
précisément, la proposition présentée comme active par ces dernières clivées
tire sa source des interventions de G. Simenon, qui se justifie en reprenant des
arguments similaires à ceux cités par B. Pivot. Par ailleurs, on peut relever que
les points d'ancrage marqués par qui se les pose, et qui parle sont, une fois
évoqués, assez accessibles pour être implicites dans les actes qui suivent im-
médiatement (c'est le commissaire Maigret / créature de Georges Simenon et
c'est les deux / c'est c'est plutôt le père) ou rappelés par aussi (dans c'est le
père aussi)53.

Bien que ce soit souvent le cas, la proposition présentée comme déjà active par
la clivée n'a pas nécessairement une source précise dans le cotexte. C'est ce
qui se passe dans l'exemple 4.81 :

(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
B 175 : et on a vu . le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
C176 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C 178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein

Cet exemple est extrait de la discussion entre B, à qui une commission a refusé
une allocation, et C, membre de cette commission. Comme la commission a
justement pour mission d'attribuer les allocations, le point d'ancrage auquel

53. Voir pour une observation similaire ainsi que d'autres références Katz (1997: 126).

218
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

renvoie qui détermine peut être calculé inférentiellement à partir des connais-
sances qu'ont les interlocuteurs de la situation et du texte.

4.2.3.3 Le rôle de la clivée dans le marquage du topique


Ayant montré que les points d'ancrage sont verbalisés dans les clivées par les
expressions référentielles ainsi que par le prédicat qui forme la seconde partie
de la structure, il s'agit maintenant de préciser comment ce marquage s'articu-
le avec celui du topique. J'ai rappelé que la clivée marque la mise en relief de
l'information qui suit le c'est, qui, selon la terminologie de Lambrecht (1994),
entretient une relation de focus avec le reste de l'énoncé. Le topique, défini
comme le référent le plus immédiatement pertinent auquel s'applique cette in-
formation, peut alors être marqué soit par les expressions référentielles, soit
par la deuxième partie de la clivée. L'examen de l'exemple 4.85 extrait de 4.84
permettra de discuter la pertinence relative des points d'ancrage susceptibles
de fonctionner comme des topiques :

(4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon 1 le père de Marie-Jo gui se les pose 1 ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret 1. créature de Georges Simenon \\
(Apostrophes)

Parmi les points d'ancrage marqués par les expressions référentielles, on peut
d'emblée exclure « Georges Simenon », car il est présenté, par sa position dans
la clivée, comme caractérisé par une relation de focus. Le référent formé par
les « deux questions» constitue en revanche un candidat plus probable, dans la
mesure où il est verbalisé par un pronom (les) dans la seconde partie de la cli-
vée. Il entre en concurrence avec la proposition marquée par qui se les pose,
que l'on peut paraphraser par« la personne qui se les pose », qui lui aussi peut
être considéré comme étant déjà actif. Cette ambiguïté n'est toutefois qu'appa-
rente, dans la mesure où le point d'ancrage le plus immédiatement pertinent
vis-à-vis de l'information spécifiquement activée par la clivée (Georges Sime-
non), ce n'est pas les deux questions, mais bien plutôt l'information de la se-
conde partie de la clivée. Que l'on compare :

(4.86) à propos de la personne qui les pose, c'est Georges Simenon

(4.87) ? à propos de ces deux questions, c'est Georges Simenon

Le référent « ces deux questions» constitue ainsi un point d'ancrage plus glo-
bal, sur lequel s'ancre la proposition marquée par qui se les pose, qui constitue
le topique de l'information activée par la clivée.

219
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

L'identification du topique paraît donc s'effectuer à partir de la structure syn-


taxique de la clivée plutôt que par les traces lexicales, qui renvoient à des
points d'ancrage d'arrière-fond. Il convient toutefois de se demander si les ins-
tructions liées à la syntaxe peuvent aller jusqu'à contredire les instructions des
expressions référentielles, et cela en particulier lorsqu'un pronom - donc une
expression référentielle renvoyant de manière claire à un point d'ancrage - est
présenté en position de foeus par la clivée. Par exemple, dans 4.81 et 4.82 :

(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
B175 : et on a vu .le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
C176 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein

(4.82)
GS: je suis un instinctif 1 je ne suis pas du tout un intellectuel 1 euh: je n'ai
jamais pensé un roman 1j'ai senti un roman \je n'ai jamais pensé un per-
sonnage 1 j'ai senti un personnage \ n'est-ce pas 1. euh je n'ai jamais.
inventé une situation 1 la situation est venue lorsque j'écrivais un roman 1
mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener 1c'est lui
gui me menait 1

les pronoms accentués lui et elle renvoient anaphoriquement à des référents


évoqués dans le cotexte immédiatement antérieur (madame Poirier, mon per-
sonnage), tout en étant présentés comme caractérisés par une relation de focus
par la clivée 54 . Ces exemples illustrent bien la complexité de la structure infor-
mationnelle. 0 'une part, on y observe une absence de congruence entre l'état
d'activation et les relations de topique et de focus, ce qui montre la nécessité
de la distinction de ces différentes notions. D'autre part, l'apport informatif
très limité que l'on peut associer à un pronom accentué témoigne du fait que,
pour entrer dans une relation de focus, une information n'a pas besoin d'être
nouvelle « en tant que telle », mais qu'elle tire sa nouveauté de la relation avec
un topique spécifique dans un contexte donné. Cette relation produit des effets
de sens variés parfois traités à l'aide de la notion de contrastivité (Gross 1977)

54. Malgré le caractère figé, relevé par Blanche-Benveniste (1997), de la clivée en c 'est pour
ça ... , l'exemple 4.71 (c'est pour ça que quelquefois je parle trop fort et j'élève trop fort la
voix) peut faire l'objet d'une analyse similaire: le pronom démonstratif renvoie à une infor-
mation déjà active en position de focus. En revanche, les travaux de Katz (1997) et Lam-
brecht (1999a et b) tendent à indiquer que la seconde partie de cette clivée ne se caractérise
pas par un statut présupposé.

220
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

ou de correction (Lambrecht 1994 : 229) ; leur description permettra de clore


cette partie.

Dans un grand nombre d'exemples, le référent clivé s'oppose à un autre réfé-


rent évoqué dans le cotexte immédiat à propos d'un topique donné. Dans le ca-
dre de structures dialogiques, comme un autre extrait de l'exemple 4.84 :

(4.88)
BP: (mais là) c'est le commissaire Maigret qui parle Il
GS: c'est le père aussi 1 euh: j'aime de . reconstituer. ce q. ce qui s'est passé
avant Il
BP: c'est les deux qui parlent \\
GS: c'est les deux 1 c'est c'est plutôt: le père Il

les clivées permettent le débat sur l'identité du référent s'appliquant au topique


formé par la proposition ouverte: «X qui parle ». Lorsque l'évocation de ces
deux référents s'inscrit dans une structure monologique impliquant des répéti-
tions, la clivée est souvent liée à un changement de modalité s'accompagnant
d'un contraste explicite (Blanche-Benveniste et al. 1990: 181ss.). C'est le cas
dans l'exemple 4.82 :

(4.82)
GS: je suis un instinctif 1 je ne suis pas du tout un intellectuel 1 euh: je n'ai
jamais pensé un roman 1j'ai senti un roman \ je n'ai jamais pensé un per-
sonnage 1 j'ai senti un personnage \ n'est-ce pas 1. euh je n'ai jamais.
inventé une situation 1 la situation est venue lorsque j'écrivais un roman 1
mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener 1c'est lui
gui me menait 1

Elle peut aussi amener une transition topicale, comme dans la fin de l' exem-
ple 4.83 que je transcris en 4.89 :

(4.89)
CT: y a pas de sujet tabou 1. y a des sujets plus difficiles à traiter 1 et y a des
sujets où effectivement. on a du mal je dirais à les appréhender \\
CF: Anne-Catherine Lyon Il
ACL: peut-être pour enchaîner 1 plutôt que les sujets qui devraient être tabous 1
c'est certaines personnes gui devraient être. taboues 1 ou plus exactement.
plus le sujet est difficile 1 plus les personnes devraient être de qualité \\

où la clivée permet d'activer un nouveau référent (<< certaines personnes »),


présenté ainsi comme un topique disponible pour la suite de l'intervention. Il y
est effectivement repris par le syntagme nominal défini les personnes.

221
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

Le référent auquel s'oppose le référent clivé n'est pas toujours explicitement


évoqué dans le cotexte. Dans l'exemple 4.81, le référent « madame Poirier»
vient d'être activé et n'entre en concurrence avec aucun autre référent.

(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
B175 : et on a vu. le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
C176 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein (Allocations)

La clivée réactive néanmoins ce référent à propos du topique « quelqu'un dé-


termine », ce qui produit un effet de sens que l'on peut paraphraser en insérant
justement:

(4.90) c'est justement elle qui détermine (et pas quelqu'un d'autre)

Cet effet de sens implicite peut, dans certaines situations, constituer l'essentiel
du message. C'est le cas pour cette savoureuse clivée située au début de Rhino-
céros d'Eugène Ionesco:

(4.91)
[contexte: Bérenger a la mine défaite d'un ivrogne; il vient de rencontrer Jean
avec qui il a rendez-vous]
BÉRENGER
Qu'est-ce que vous buvez?
JEAN
Vous avez soif, vous, dès le matin?
BÉRENGER
Il fait tellement chaud, tellement sec.
JEAN
Plus on boit, plus on a soif, dit la science populaire ...
BÉRENGER
Il ferait moins sec, on aurait moins soif, si on pouvait faire venir dans notre ciel
des nuages scientifiques.
JEAN, examinant Bérenger.
Ça ne ferait pas votre affaire. Ce n'est pas d'eau gue vous avez soif, mon cher
Bérenger. ..
BÉRENGER
Que voulez. vous dire par là, mon cher Jean?
JEAN
Vous me comprenez très bien. Je parle de l'aridité de votre gosier. C'est une terre
insatiable. (Rhinocéros, E. Ionesco, 15-16)

222
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

La clivée ce n'est pas d'eau que vous avez soif est intéressante non seulement
d'un point de vue syntaxique, mais surtout parce qu'elle permet au locuteur
d'exprimer une accusation implicite. En effet, par cette clivée, Jean fait mine
d'avoir compris que Bérenger souhaitait boire l'eau de pluie, pour nier la perti-
nence d'une idée aussi absurde. Dans la situation de cet échange où Bérenger
présente tous les symptômes d'une gueule de bois, le lecteur comprend sans
avoir besoin d'effectuer un parcours inférentiel trop complexe que Jean accuse
Bérenger d'avoir soif d'alcooI 55 .

En résumé, j'ai montré que la structure syntaxIque de la clivée constitue une


marque forte du topique et du focus. Sans contredire directement les instruc-
tions des expressions lexicales anaphoriques, la structure clivée diminue leur
importance, soit en reléguant les référents déjà actifs auxquels elles renvoient à
l'arrière-fond, soit en indiquant clairement que ces référents se caractérisent
par une relation de focus liée à divers effets de sens.

4.2.4 La structure segmentée à gauche


La segmentée à gauche soulève des problèmes d'analyse redoutables, dont té-
moignent les nombreuses études et typologies qui lui sont consacrées dans des
cadres théoriques divers 56 . Suivant la démarche adoptée jusqu'à présent, je
rappellerai les principales caractéristiques prosodiques et syntaxiques de cette
structure, afin d'étudier comment elle contribue au marquage des points d'an-
crage et du topique.

4.2.4.1 La structure segmentée à gauche: description et délimitation


La structure prosodique de la segmentée à gauche est généralement décrite de-
puis Bally comme étant formée de deux contours intonatifs : le premier se ca-
ractérise par un intonème continuatif, et le second par un intonème conclusif
dont la forme varie selon la modalité de la proposition (Bally 1965 [1932] : 62,
Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997, Dupont 1985). La courbe mélodique
peut être schématisée de la manière suivante57 :

55. Au-delà de cette interprétation, le lecteur est également amené à s'interroger sur la nature
physique ou spirituelle de la soif de Bérenger, comme je l'ai relevé dans l'introduction.
56. Voir par exemple Larsson (1979), Lambrecht (1981,2001), Dupont (1985) et Stark "0997)
ainsi que les nombreuses références citées dans ces travaux.
57. Voir aussi Rossi (1985 : 143).

223
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

le chien il a mordu Sophie

Figure 4.3. Schéma de la mélodie de la segmentée à gauche

Sur la question de savoir si la pause constitue un critère distinctif pertinent


pour définir différents types de segmentées, les avis divergent. Pour Fradin
(1990), Cadiot (1992) ou Nelke (1994), la pause permet en effet de distinguer
différentes formes de segmentées : la dislocation à gauche avec pause et sans
pause. Cependant, le repérage empirique des pauses dans le discours oral sou-
lève de sérieuses difficultés. Nelke (1994 : 289) relève que la présence d'une
pause peut également se justifier par la présence d'un vocatif, ou encore par la
longueur du segment antéposé. Morel (1992a : 31) souligne que les deux con-
tours d'une segmentée ne sont généralement pas séparés par une pause ni par
une rupture mélodique: pour elle, au niveau prosodique, seule l'intonation
haute qui caractérise la syllabe finale du thème a une valeur distinctive. On re-
joint ici le problème plus général de la pertinence des pauses dans le discours
en général, qui mériterait une étude pour elle-même58 . Pour les besoins de la
présente analyse, je retiendrai, avec Lambrecht, que la pause ne constitue pas
une caractéristique nécessaire des segmentées59 . En revanche, il peut être inté-
ressant de la prendre en compte, conjointement à d'autres paramètres intonatifs
tels que la mélodie et l'intensité; combinés, ces différents éléments permet-
tent, comme on le verra, de résoudre certaines ambiguïtés structurales.

Considérée d'un point de vue syntaxique, la segmentée à gauche se caractérise


par l'extra-position à gauche d'un constituant (qui peut être un syntagme no-
minal, prépositionnel, voire verbal) qui n'est pas lié au noyau propositionnel
par des liens de type rectionnel. Elle se distingue par là d'autres structures qui
ne font pas intervenir d'élément extérieurs au noyau propositionnel. Ainsi, on
différencie habituellement la segmentée de la structure topicalisée, qui s'analy-
se en une seule proposition:

Topicalization resembles LD in that it involves a referential constituent in non-


canonical clause-initial position. But while in LD this constituent occurs in the

58. Voir le problème du rôle accordé aux pauses dans la définition du contour intonatif(Grobet
1997a: 9Iss.).
59. « The intonation drop between a focus and an A-TOP phrase has often been described as a
pause. However, pauses are a necessary feature neither of TOP nor of A-TOP consti-
tuants. » (Lambrecht 2001).

224
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

extra-clausal TOP position, the 'topicalized' phrase occurs in the so-called pre-
clausal COMP (complementizer) or WH- position, where it keeps its syntactic and
semantic status as a complement of the verb. (Lambrecht 200 l)

Différents éléments caractérisent la structure syntaxique de la topicalisée.


L'élément de rappel y est constitué par une position vide (Fradin 1990: 13);
Lambrecht montre qu'il suffit d'ajouter un élément de rappel pour faire de la
topicalisée (4.92') une structure segmentée (4.92") :

(4.92) Ich sah [diesen Film], aIs ich ein Kind war.
(4.92') [Diesen Film] sah ich_ aIs ich ein Kind war.
(4.92") [Diesen Film]j, denj sah ich, aIs ich ein Kind war.

Contrairement à ce qui se passe dans la segmentée, l'élément antéposé dans la


topicalisée ne peut pas être supprimé, ce qui témoigne de son rôle intra-propo-
sitionnel (Lambrecht 2001). Fradin (1990: 14) observe pour sa part l'existence
de contraintes sur la nature de l'élément qui peut être topicalisé. Ainsi, il est
impossible de topicaliser un N sujet:

(4.93) * Paul, dort encore. (Fradin 1990)


Il est difficile, à l'écrit, de topicaliser le complément d'un verbe sauf après cer-
tains verbes, tels que ceux qui expriment une prise de position comme:

(4.94) Les soirées à l'opéra, je connais. (Fradin 1990)60

et seuls les syntagmes prépositionnels peuvent être topicalisés librement:

(4.95) A Marie, la police a renvoyé son permis. (Fradin 1990)

En français, les topicalisées impliquant un syntagme prépositionnel sont celles


qui peuvent être identifiées le plus clairement (Berrendonner & Reichler-Bé-
guelin 1997).

Deuxièmement, la segmentée à gauche et la topicalisée peuvent être distin-


guées de la structure que Lambrecht appelle « focus mouvement », que je tra-
duis par « inversion focalisante », illustrée pour le français par:

(4.96) L'amour elle appelle ça. (Stempel cité par Lambrecht 2001)

60. Lambrecht & Lemoine (1996) considèrent que ce type de structure implique un pronom
zéro.

225
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

Cette structure se distingue de la segmentée parce qu'elle peut être analysée en


une seule unité syntaxique: comme dans la topicalisée, l'élément détaché
fonctionne comme un complément du verbe. Mais à la différence de celle-ci,
l'inversion focalisante se caractérise prosodiquement par un accent qui porte
uniquement sur le constituant antéposé. Cet accent se reflète au niveau de la
structure informationnelle, puisque le constituant antéposé est focalisé 61 (Lam-
brecht 2001).

La segmentée à gauche constitue une structure binaire dont la forme varie en


fonction de la présence d'une préposition devant l'élément détaché, de la pré-
sence et de la nature d'un élément de rappel dans la proposition, ainsi que du
marquage prosodique. J'évoquerai brièvement les cas de figure les plus impor-
tants, dans un ordre qui fera apparaître l'autonomie syntaxique croissante des
deux segments, jusqu'à atteindre la limite des structures segmentées et des
fragments échappant à la catégorisation62 .

La segmentée à gauche peut se caractériser par la présence d'une reprise pro-


nominale dans le noyau propositionnel; elle est alors généralement appelée
«disloquée »63. Par exemple:

(4.97) Cette lettre, elle ne m'est jamais parvenue. (Bally 1965 [1932])

(4.98) Les enfants, je leur pardonne tout. (Cadiot 1988)

La présence d'une reprise pronominale, conjuguée ici à la présence d'un syn-


tagme disloqué non prépositionnel, témoigne de l'indépendance des deux seg-
ments 64 •

61. Cette structure semble proche au niveau syntaxique de l'inversion décrite par Cadiot
(1992 : 60), mais le marquage prosodique diffère, et la fonction pragmatique est inversée.
Le Querler (1998, 1999) relève également l'existence de ce type de structure segmentée,
dont elle décrit la fonction comme rhématisante (cf. aussi Morel 1992a : 34).
62. Pour des inventaires plus systématiques, cf. Fradin (1998, 1990) et Cadiot (1992). Mais tou-
tes les structures décrites dans ces typologies n'apparaissent pas avec une même fréquence
dans le corpus: par exemple, les segmentées avec constituant détaché prépositionnel sont
extrêmement rares, comme le rappellent également Blanche-Benveniste et al. (1990) dans
le cadre d'une étude de la répartition des différents types de segmentées dans des corpus
étendus.
63. Cette structure est aussi décrite dans la tradition comme « nominativus pendens », comme
le rappelle Cadiot (1992) ; Blanche-Benveniste et al. (1990 : 82) utilisent le terme plus gé-
néral « d'associé ».
64. Berrendonner & Reichler-Béguelin considèrent néanmoins que l'analyse de la segmentée
est ambiguë lorsque l'élément détaché est représenté par un pronom sujet, comme dans:
Cette lettre, elle ne m'est jamais parvenue (Bally cité par Berrendonner & Reichler-Bégue-
lin 1997). Selon eux, « la structure de base de la proposition verbale, en français, présente à

226
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Même en présence d'un élément de rappel marqué casuellement, l'élément dé-


taché peut, dans certains cas, être lui aussi marqué par une préposition. On
observe alors un cas de« double marquage» (Blanche-Benveniste et al. 1990).
C'est le cas dans un exemple comme:

(4.99) À Paul, la police lui a retiré son permis. (Fradin 1990)

Berrendonner & Reichler-Béguelin (1997) décrivent cette structure comme le


résultat d'une contamination entre la structure topicalisée et la segmentée à
gauche binaire65 .

L'élément de rappel peut être constitué par un syntagme nominal plein plutôt
que par un pronom. Comme le relèvent Berrendonner & Reichler-Béguelin
(1997), celui-ci peut être lié à l'élément disloqué par une relation d'anaphore
fidèle:

(4.100)
X: Est-ce que tu demandes la transition avec ce qu'on vient de dire ou est-ce
que ...
Y: Non non la transition / je cherche pas la transition \66 (Berrendonner &
Reichler-Béguelin 1997)

infidèle:

(4.101) Les enfants, je pardonne tout à ces petits chenapans. (Cadiot 1988)

la fois une position de NP sujet et une position de "pronom clitique" nominatif, ce dernier
jouant en fait le rôle de flexif de personne auprès du verbe» (1997). En suivant cette propo-
sition, l'exemple est analysé soit comme une seule clause dont le sujet est extraposé, soit
comme deux clauses, dont la deuxième se caractérise par un NP sujet vide.
65. Fradin (1988, 1990) approfondit l'étude de la différence entre les disloquées prépositionnel-
les et non prépositionnelles et défend l 'hypothèse selon laquelle le lien entre l'élément déta-
ché et la proposition est à la fois référentiel et fonctionnel lors d'un double marquage, alors
qu'il n'est que référentiel dans la disloquée à gauche non prépositionnelle.
66. Contrairement à Berrendonner & Reichler-Béguelin (1997), Lambrecht ne considère pas
cet exemple comme une segmentée à gauche : pour lui, la transition se caractérise par une
relation de focus. Sans pouvoir totalement exclure cette interprétation, il me semble toute-
fois que, pour marquer un tel focus, le locuteur aurait plutôt utilisé une clivée: c'est pas la
transition que je cherche.

227
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

ou encore associativé 7 :

(4.102) Ah ben la Seine / euh les quais les quais maintenant sont canalisés vous
savez. (Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997)

Cette structure est souvent associée aux segmentées sans rappel, dans la mesu-
re où elle repose sur un lien pragmatique uniquement (Stark 1997, Lambrecht
2001).

La segmentée à gauche, enfin, peut n'impliquer aucune forme de rappel, même


vide 68 . L'autonomie syntaxique des constituants est alors maximale:

Die Konstituente ist weiterhin nicht aIs von der Verbrektion abhangig gekenn-
zeichnet, sie lasst sich oberflachenstrukturell kaum aIs adverbiale Verb- oder Satz-
erganzung kategorisieren, also nicht aIs Satzglied des folgenden Bezugssyntag-
mas, mit we1chem sie über anaphorische Verweisrelationen verbunden sein kann.
(Stark 1997 : 34)

La segmentée sans rappel peut prendre des formes diverses, dont la description
et l'extension varient selon les auteurs 69 • L'élément détaché peut être lié à la
proposition par une relation d'à propos (Lambrecht 2001). Par exemple:

(4.103) La mer, tu vois de l'eau. (Lambrecht 1981,2001)

(4.104) L'arrnée, j'ai déjà donné. (Fradin 1990)

Dans ce type de structure, le syntagme nominal est clairement commenté par le


noyau propositionnel (Stark 1999 : 345). Cette structure peut impliquer des
marqueurs spécialisés tels que quant à, en ce qui concerne, etc. 70 . Par exem-
pie:

67. L'anaphore associative est aussi, d'une certaine manière, infidèle, comme me l'a fait remar-
quer Kleiber.
68. À nouveau, la terminologie varie. Le terme de « segmentée sans rappel» correspond, tout
en étant cohérent avec la terminologie adoptée jusqu'ici, à la « détachée sans rappel » de
Fradin (1990 : 16ss.). Cette structure est aussi appelée« unlinked-TOP construction»
(Lambrecht 2001),« cadres absolus » (ou« absolute Rahmensetzung ») (Stark 1997, 1999),
« cadre » (Morel 1992a), « chine se style topics » (Chafe cité par Ashby 1988 : 210), « asso-
ciés» (Blanche-Benveniste et al. 1990: 77), ce qui correspond, d'un point de vue macro-
syntaxique, à des « préfixes » pour les cadres et les informations introduites par quant à
(Blanche-Benveniste et al. 1990: 132-135).
69. Voir Stark (1997) pour une approche récente et détaillée de ce type de structures.
70. Ces marqueurs peuvent également marquer des disloquées, comme dans « quant à la notion
d'interprétation, elle a subi dans l'herméneutique moderne ... » (Ricoeur, cité par Roulet
1999b).

228
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

(4.105)
NV : toujours au sujet des invités une auditrice souhaiterait que les noms des
invités soient annoncés dans la journée / (Forum)

Ici aussi, l'élément segmenté est lié à la proposition par une relation d'à pro-
pos.

Stark (1997) approfondit l'étude d'une variante impliquant un syntagme déta-


ché combiné à c'est:

(4.106) il travaille le soir / elle c'est le matin, il n'y a que le matin (Blanche-Ben-
veniste, cité par Stark 1999)

La compréhension de ce type de structure implique la connaissance d'informa-


tions externes, car le démonstratif c ' qui précède le verbe être (est) renvoie à
une action ou à un état de chose évoqué auparavant1 1•

Il en va de même lorsque la relation entre l'élément détaché et le noyau propo-


sitionnel implique une relation d'inclusion ou de recouvrement référentiel (Ca-
diot 1988 : 17), pouvant correspondre à un lien entre un frame et un élément de
ce frame (Lambrecht 2001), comme dans :

(4.107) Mes vacances, ce sera le Portugal. (Cadiot 1988)

(4.108) Mais tu sais, l'métro, avec la carte orange, tu vas n'importe où. (Barnes,
cité par Fradin 1990, Lambrecht 2001)

(4.109) Le free-jazz, quand je vais à un concert, je m'ennuie. (Cadiot, cité par


Stark 1999)

Les constituants détachés ne sont pas liés par une relation d'à propos stricte à
l'information qui suit, mais contribuent plutôt à l'établissement d'un cadre, ou
d'une« rubrique» (Cadiot 1988, Fradin 1990), dans lequel des référents seront
ultérieurement sélectionnés comme topiques (Stark 1999: 343). Morel
(1992a) relève que l'élément détaché peut exprimer un point de vue pertinent
pour l'interprétation du segment qui le suit:

Le constituant cadre correspond [ ... ] à la mise en place, par l'énonciateur, d'un


nouveau lexème, qui représente soit la catégorie sémantique concernée par le

71. L'interprétation de cet exemple est plus complexe que ne le suggère l'analyse de Stark
(1999), car il peut être interprété, d'après Lambrecht, comme une clivée elliptique: il tra-
vaille le soir / elle c'est le matin qu'elle travaille.

229
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

rhème qui va suivre, soit un argument d'une relation construite [ ... ] Très souvent,
dans un dialogue, le cadre explicite le point de vue à partir duquel il faut envisager
la validation de la relation exprimée dans le rhème. (Morel 1992a : 32-33)72

Pour Morel, il existe aussi des introducteurs spécifiques de cadre, comme au


niveau de, point de vue, question, vis-à-vis de, si on prend, quand vous dites,
j'ai, on a, etc. (Morel 1992a : 32). Par exemple:

(4.11 0) et vis à vis de la qualité donc de cette sauce diriez-vous qu'il y en a trop
qu'il y en a beaucoup ou qu'il n'yen a pas assez (Morel 1992a)

Ce bref survol suffit à entrevoir la diversité des formes que peut prendre la seg-
mentée sans rappel 73 • Ainsi que le relèvent Blanche-Benveniste et al. (1990),
la description syntaxique de ces structures est nécessairement limitée :

Les associés ne peuvent pas être décrits à partir des règles de la rection verbale. La
description est nécessairement superficielle, puisque les critères qui pennettent de
les reconnaître sont des critères négatifs. (Blanche-Benveniste et al. 1990: 79)

L'insuffisance de la description strictement syntaxique apparaît dans le fait


qu'une même structure peut souvent, en fonction du contexte dans lequel elle
s'inscrit, faire l'objet de deux analyses concurrentes. C'est le cas dans l'exem-
ple suivant:

(4.111)
De: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et. et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1 respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1tout le monde
souriait un peu autour de la table 1 c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens
ne s'écoutaient pas 1ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\ (Forum)74

72. Voir aussi Danon-Boileau et al. (1991), ainsi que Morel & Danon-Boileau (1999).
73. Fradin envisage encore deux autres types de segmentée sans rappel très différentes du point
de vue syntaxique. L'élément détaché peut, premièrement, avoir une fonction de circonstant
constituant le point de départ de l'interprétation du prédicat: Dès qu 'ilfut parti, Anna alla
rejoindre ses sœurs (Fradin 1990 : 17, pour les subordonnées temporelles, cf. Vogeleer
1999). Il peut, deuxièmement, s'appliquer comme qualifiant à un argument de la proposi-
tion: Trop imbu de lui-même, le général accumulait les erreurs (Fradin 1990: 17). On re-
joint ici la problématique plus générale des constructions détachées analysées par
Combettes (l998b).

230
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Le lien entre euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure / tout le monde sou-
riait un peu autour de la table / etc. n'est pas explicité linguistiquement, et
peut être interprété comme étant celui d'un cadre temporel, du type de:

(4.112) pendant l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure / tout le monde souriait
un peu autour de la table /

ou d'une relation reposant uniquement sur une relation d'à propos:

(4.113) à propos de l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure / tout le monde sou-
riait un peu autour de la table /

L'étude de ces relations sera approfondie, dans le cinquième chapitre, dans une
perspective descriptive plus spécifiquement discursive.

4.2.4.2 Le rôle de la segmentée à gauche dans le marquage


des points d'ancrage
Suivant la démarche adoptée jusqu'à présent, je commencerai par préciser
comment la segmentée à gauche contribue, par sa fonction de reprise externe,
au marquage des référents identifiables et déjà actifs fonctionnant comme des
points d'ancrage. Ce faisant, il conviendra de mettre en évidence les similitu-
des et différences fonctionnelles entre cette structure et la segmentée à droite.

Comme pour la segmentée à droite, on peut partir de l'hypothèse selon laquel-


le l'expression référentielle antéposée a une fonction de reprise externe et ren-
voie à un point d'ancrage dont la source est textuelle ou situationnelle75 . Cette
hypothèse rejoint l'opinion commune selon laquelle ce syntagme ne peut ren-
voyer à un référent entièrement nouveau76 :

The presuppositional status of topies makes it impossible for their referents to be


« new » in the diseourse. Topies must be either given, in the precise meaning in

74. Cet exemple peut prêter à discussion, dans la mesure où tout le monde n'y reconnaîtrait pas
une structure segmentée. Il me semble néanmoins intéressant de le traiter en tant qu'exem-
ple-limite de segmentée, marquant la transition entre les structures syntaxiques examinées
dans ce chapitre et les structures plus complexes qui seront étudiées dans le chapitre sui-
vant.
75. Dans cette sous-partie, je ne m'intéresse pas à l'enchaînement interne de la segmentée à
gauche, qui ne présente guère d'intérêt. J'y reviendrai rapidement en abordant la question
du marquage du topique.
76. En d'autres tennes, Larsson (1979 : 11) relève qu'un élément disloqué est souvent mais pas
nécessairement donné; le lien d'un élément disloqué avec le contexte doit être motivé,
c'est-à-dire appartenir à un répertoire de thèmes qui ont une certaine actualité dans la situa-
tion de parole.

231
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

which Chafe uses this concept, or they must be (linguistically or textually) evoked
or inferrable, in the sense defined by Prince. (Lambrecht 1981 : 67)

On relève aussi souvent que - suite logique à ce statut informationnel donné ou


inférable -l'expression référentielle initiale de la segmentée est constituée par
une expréssion référentielle définie ou générique (Lambrecht 1981, 2001 77 ,
Berthoud 1996). C'est le cas dans l'exemple suivant:

(4.114)
[contexte: on vient de faire écouter une série de lapsus produits par des
journalistes]
CF: c'est bien que ça nous arrive aussi de temps en temps 1 n'est-ce pas Claude
Torracinta Il
CT : c'est les charmes du métier 1
CF: oui!
CT: ça rappelle que c'est du direct 1ça rappelle que les journalistes 1euh ben ils
sont des gens comme tout le monde 1 ils se trompent 1 ils commettent des
erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\
(Forum)

Le syntagme nominal défini les journalistes renvoie à un référent accessible,


car les interlocuteurs, d'ailleurs eux-mêmes journalistes, viennent d'écouter un
enregistrement qui regroupe des lapsus commis par des journalistes.

Selon Stark (1999: 344), la segmentée sans rappel implique également une
contrainte de définitude pour l'élément segmenté. Par exemple :

(4.111)
DC: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et. et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1 respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1tout le monde
souriait un peu autour de la table 1 c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens
ne s'écoutaient pas 1ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\ (Forum)

Le segment l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure renvoie, par le syntagme


défini et par la description qui lui est associée, à un référent présenté comme
identifiable pour les interlocuteurs78.

77. «In languages which have a grammatical category of definiteness, a TOP or A-TOP consti-
tuent must therefore be a definite expression, or el se it must be capable of a generic inter-
pretation. » (Larnbrecht 2001).
78. Cette contrainte ne s'applique pas nécessairement à tous les éléments pouvant fonctionner
comme des « cadres» pour Morel (l992a), ni aux compléments circonstanciels antéposés
et aux appositions décrits par Fradin (1988).

232
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

La corrélation la plus directe de la contrainte de définitude est l'impossibilité,


rappelée entre autres récemment par Dobrovie-Sorin (1999), d'antéposer des
expressions indéfinies dont le sens n'est pas générique. C'est ce que laisse
penser un contraste tel que :

(4.115) * Un garçon, il attend devant la porte.


(4.115') Un garçon, ça n'attend pas devant la porte, ça entre. (Lambrecht 1981,
2001)

Cependant, Muller (1999) montre que l'on peut trouver des indéfinis dans cer-
taines constructions segmentées, dont voici un exemple faisant intervenir un
indéfini non spécifique79 :

(4.116) Un porte-manteau, vous en avez un là-bas. (Muller 1999)

Cette structure implique un contexte tel que :

(4.117) Où pourrais-je trouver un porte-manteau? (Muller 1999)

La nécessité de l'introduction préalable explicite du SN indéfini apparaît dans


la difficulté de 4.119 :

(4.118) Où puis-je accrocher mon manteau? - * Un porte-manteau, vous en avez


un là-bas ... (Muller 1999)

L'exemple de Muller contredit-il l'hypothèse selon laquelle les expressions ré-


férentielles des segmentées renvoient à un point d'ancrage? Non, car Muller
souligne précisément que la présence de l'indéfini est rendue possible par l'ac-
cessibilité préalable du référent dans le discours:

Dans tous les cas, la thématisation nécessite une certaine « saillance » du thème.
Le minimum semble être la saillance du domaine sémantique du SN, par exemple
la notion de cadeau, ou la notion de mauvais temps, qui conduisent à la thématisa-
tion de la voiture, ou du parapluie. (Muller 1999 : 195)

On rejoint là une seconde condition posée par Lambrecht pour les éléments dé-
tachés à gauche et à droite, qui implique que le référent d'une expression seg-
mentée se caractérise toujours par une forte accessibilité dans le discours :

79. Pour Muller (1999 : 190-191) le pronom de reprise est indéfini. Lambrecht considère quant
à lui que le pronom en est défini, mais qu'il renvoie à la classe lexicale« porte-manteau»
plutôt qu'à« un porte-manteau».

233
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

A TOP or A-TOP referent must therefore not only be identifiable but it must also
have a degree of salience or topicality in the present discourse. This explains the
oddness of (l24b/c) compared to (l24a) (the # sign indicates discourse-inappro-
priateness) :
(124)(a) Hi John. Guess what. 1 saw your SISTER last night.
(b) # Hi John. Guess what. Your sister, 1 SAW her last night.
(c) # Hi John. Guess what. 1 SAW her last night, your sister. (Lambrecht
2001)

Ainsi, comme la segmentée à droite, la segmentée à gauche semble effective-


ment toujours renvoyer à un référent accessible fonctionnant comme un point
d'ancrage.

Il reste à préciser ce qui distingue la segmentée à gauche de la segmentée à


droite. J'ai rappelé ci-dessus que le référent d'une segmentée à gauche se ca-
ractérise en moyenne par une accessibilité légèrement moins grande que celui
d'une segmentée à droite (Giv6n 1983 : 17). Cependant, cette différence d'ac-
cessibilité ne suffit pas à motiver le choix de l'une ou l'autre structure:

While different accessibility states can influence the choice ofLD vs RD, accessi-
bility is only a necessary precondition for use of a dislocation construction; it is
not the factor deterrnining this choice. (Lambrecht 2001)

Cela peut être montré à partir de l'examen de pronoms détachés, qui renvoient
à des référents caractérisés par une forte accessibilité. Les pronoms concernés
sont les pronoms personnels accentués (moi est le plus fréquent) et le démons-
tratif ça.

Ce faisant, il convient au préalable d'écarter les exemples dans lesquels ces


pronoms fonctionnent comme des formes atténuées dans le cadre d'énoncés fi-
gés. C'est le cas lorsque le pronom ça se trouve dans des locutions toutes faites
du type de : ça c'est sûr, ça c'est juste, etc. (Berthoud 1996: 120, Laparra
1982). Il en va de même pour certains emplois du pronom moi:

Il existe un emploi spécial de moi je, où les deux éléments sont liés ensemble, et
qui ne se laisse ramener à aucun des modèles évoqués jusqu'ici; c'est le moije de
l'énonciateur. Il s'emploie généralement avec les verbes dire, penser, croire.
(Blanche-Benveniste et al. 1990: 88).

Par exemple :

(4.119) moi je pense que bon - le judo est un sport comme les autres (Blanche-
Benveniste et al. 1990: 88)

234
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Je laisse ces structures de côté en raison de leur caractère figé et quasi automa-
tique.

Si l'on excepte ces formes atténuées, les pronoms ça et moi semblent tous
deux fréquemment fonctionner dans des structures segmentées. Celles-ci peu-
vent impliquer une reprise pronominale, comme dans les exemples suivants:

(4.4)
MC: hein quand on enlève le cinéma français et le cinéma américain 1 il reste
plus que cinq pour cent pour le monde entier 1 or . les auditeurs prennent
déjà cinq films sur dix qui n'appartiennent pas à : à ce bloc hollywoodien \\.
que j'aime par ailleurs 1 qui donne de très beaux films 1
X: <rires>
JG: mais ca nous l'savons 1 mon cher Michel \\ (Le Masque et la Plume)

(4.120)
[contexte: le locuteur donne son avis sur le film d'Angelopoulos]
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1 je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh: moi. je je suis surpris de voir gue
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n 'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il alors quant
au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1j'vais pas recommencer: pas-
ser toute l'émission. sur ça 1. au bout d'un certain temps 1 c'est-à-dire
qu'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les audi-
teurs. du Masque \. chez les lecteurs de Télérama 1 (Le Masque et la
Plume)

ou n'impliquer aucune forme de rappel explicite:

(4.121)
JC : non mais je l'répète 1 dans la vie de Gide 1 dans la vie d'Mauriac 1 il
MM: Ah oui oui oui 1
JC : il y a des récifs 1il y a des: il y a des aveux
MM: oui
JC: quand même
MM: oUI
JC: qui sont. mieux qu'troublants \ . tandis que chez lui non \ .. enfin on les on
n'les voit pas dans les. dans les Mémoires \
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un. un mari parfait 1.. ca je. je n'pense pas ./
JC: Je vous remercie euh Michelle Maurois (Radioscopie)

(4.122)
MC: deuxièmement 1 ce qui me frappe c'est que: quatre films sur dix ont été
montrés à Cannes 1

235
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

JG : oui c'est vrai Il


MC: et j'crois que ça prouve aussi le la qualité euh: de la sélection cannoise 1et
puis aussi je pense qu'il faut: 1 bon \ moi il y a des oublis 1 évidemment 1
ça c'est personnel 1 par exemple je suis un peu étonné que le Woody Allen
n'y figure pas 1
PM: voilà \ (Le Masque et la Plume)

Les pronoms ça et moi illustrés dans ces exemples renvoient, en tant que sym-
boles indexicaux, à des référents très accessibles dans le contexte immédiat de
leur occurrence, soit parce que ce référent vient d'être évoqué, soit parce qu'il
s'agit du locuteur de l'intervention en cours 80 . Il n'est donc pas possible d'in-
voquer l'existence d'un faible degré d'accessibilité pour justifier l'emploi de
segmentées à gauche.

Pour rendre compte de la spécificité de la segmentée à gauche, on est donc


conduit à prendre en compte sa fonction d'introduction 8! :

Despite of differences of emphasis and detail, the various studies share a common
denominator - they aIl regard the function of LD as basically introductory ; the
construction is c1aimed to either introduce or reintroduce a referent into the dis-
course that is judged not to be in the foreground of the listener consciousness [ ... ].
(Ziv 1994 : 633)

Contrairement à la structure segmentée à droite qui renvoie à un référent qu'elle


présente comme déjà actif, la segmentée à gauche a pour fonction d'activer, ou
mieux: de réactiver un référent accessible, mais situé à l'arrière-fond de la
conscience des interlocuteurs. La présence des expressions pleines définies
dans les segmentées à gauche se justifie alors pleinement, puisqu'elles consti-
tuent un outil idéal pour réactiver des référents accessibles (Ziv 1994). Les
pronoms moi et ça permettent également, par leur structure informationnelle
hybride, l'activation d'une information de nature déictique82 , qui tire sa nou-
veauté de la relation qu'elle entretient avec le contexte.

80. Les deux derniers exemples se caractérisent par des structures différentes, comme me l'a
fait remarquer Lambrecht : alors que la segmentée de 4.122 peut être analysée comme une
disloquée avec reprise zéro (cf. çaje ne le pense pas), celle de 4.123 est une segmentée sans
rappel qui n'admet pas de reprise pronominale. Cette différence n'influence toutefois pas la
fonction de reprise des pronoms qui m'intéresse ici.
81. Voir la discussion générale des deux types de segmentées en 4.2.1.
82. L'effet de sens produit par l'utilisation de pronoms détachés a été décrit comme marquant le
locuteur comme responsable de l'opinion avancée (Stark 1999: 354). Blanche-Benveniste
et al. (1990 : 87) utilisent la notion de « désignation distinguée» et Le Querler celle de
« soulignement contrastif» (Le Querler 1998 : 125).

236
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

4.2.4.3 Le rôle de la segmentée à gauche dans le marquage du topique


Cette fonction d'introduction, qui caractérise la structure segmentée à gauche,
la distingue de la segmentée à droite. Alors qu'un élément détaché à droite est
présenté, du point de vue syntaxique et prosodique, comme renvoyant à un ré-
férent déjà actif, le référent d'un syntagme segmenté à gauche est (ré)activé.
Par exemple :

(4.114)
[contexte: on vient de faire écouter une série de lapsus produits par des
journalistes]
CF: c'est bien que ça nous arrive aussi de temps en temps 1n'est-ce pas Claude
Torracinta Il
CT : c'est les channes du métier 1
CF: oui!
CT : ça rappelle que c'est du direct 1ça rappelle que les journalistes 1euh ben ils
sont des gens comme tout le monde 1 ils se trompent 1 ils commettent des
erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\

Le référent« les journalistes » est d'abord activé. Il ne fonctionne alors pas en-
core comme topique, mais s'ancre sur l'information marquée par la répétition
de ça rappelle que. Dans un second temps, repris par le pronom ils, il constitue
le topique de l'information activée par sont des gens comme tout le monde.

C'est ainsi par un procédé binaire que la segmentée à gauche marque le topi-
que 83 :

L'effet communicatif obtenu en disloquant un élément à gauche est de marquer


ouvertement le thème de la phrase. Le thème indique un certain phénomène, un
certain individu, etc., à propos duquel la phrase suivante donnera des informations
ou posera des questions. Le locuteur invite celui à qui il s'adresse à actualiser et à
isoler un certain concept et le prépare ainsi à la communication suivante. (Larsson
1979: 10-11)

Cette dissociation entre la nomination du référent et son implication comme


topique pronominalement marqué dans le segment suivant a des conséquences
à différents niveaux. S'intéressant avant tout au niveau syntaxique, Lambrecht
(1987, 1994) associe cette dissociation au principe général de séparation de la
référence et des rôles. Sous un angle légèrement différent, Blanche-Benvenis-
te et al. (1990) relèvent que l'élément détaché doit être interprété comme

83. Cf. aussi Bally (1965 [1932] : 60-61), Lambrecht (2001), Stark (1999: 343).

237
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

antérieur au noyau verbal84 . Gülich (1982) et Berthoud (1996: 104) mettent


quant à elles l'accent sur le rôle cognitif de cette structure, qui facilite la com-
préhension en permettant une « approche progressive» du topique.

Au niveau de l'analyse discursive, la prise en compte des particularités syn-


taxiques et interprétatives liées à la segmentée à gauche conduisent de nom-
breux linguistes à considérer que cette structure implique non pas une, mais
deux unités discursives minimales (Blanche-Benveniste et al. 1990, Berren-
donner 1990, Ziv 1994, Roulet à paraître a et b)85. Cette proposition est parti-
culièrement pertinente dans le cadre de la présente approche. Premièrement,
elle permet d'éviter la contradiction liée au fait qu'un même référent (par
exemple: « les journalistes») serait, dans une même unité, présenté à la fois
comme topique et comme (ré)activé. Deuxièmement, cette proposition rend
compte du fait que l'élément détaché à gauche est souvent explicitement ancré,
ce qui serait inutile s'il s'agissait uniquement d'une marque du topique. Cet
ancrage explicite peut être formé par des marques lexicales, comme ça rappel-
le que dans l'exemple 4.114, ou par des marqueurs spécialisés tels que quant à,
à propos, en ce qui concerne, etc., comme dans:

(4.120)
[contexte: le locuteur donne son avis sur le film d' Angelopoulos]
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1 je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh: moi. je je suis surpris de voir que
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il alors quant
au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1j'vais pas recommencer: pas-
ser toute l'émission. sur ça 1. au bout d'un certain temps 1 c'est-à-dire
qu'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les audi-
teurs . du Masque \. chez les lecteurs de Télérama 1 (Le Masque et la
Plume)

84. « Les effets de sens que donnent les associés sont liés à leur statut grammatical: étant en
dehors de la construction verbale, ils ont une signification qui est interprétée comme préala-
ble à celle-ci; ce peut être une interprétation par présupposé [ ... ] ce peut être une interpré-
tation qui porte sur l'attitude énonciative, et non sur ce que dit l'énoncé porté par la
construction verbale [... ]. »(Blanche-Benveniste et al. 1990: 79)
85. Pour la discussion du problème de l'unité discursive minimale, cf. chap. 2, point 2.1.

238
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Dans cette double segmentée 86 , le « film de Benigni », désigné par le nom de


son auteur, est explicitement introduit par quant à. Comme le montre Flattum
(1999), quant à a pour fonction de marquer le référent qu'il introduit comme
appartenant à une énumération, mais n'en constituant jamais le premier ter-
mé? Dans cet exemple, le marqueur quant à marque donc l'ancrage du réfé-
rent « le film de Benigni » sur l'énumération précédente qui implique le film
d'Angelopoulos ainsi que ceux de Ken Loach et de Woody Allen. « Le film de
Benigni » constitue, dans un second temps, le topique de l'acte ultérieur, où il
est repris par un syntagme nominal défini.

Troisièmement, l'articulation en deux actes de la segmentée à gauche permet


d'expliquer pourquoi cette structure peut se combiner avec d'autres structures
marquées. Par exemple :

(4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon 1 le père de Marie-Jo qui se les pose 1 ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret/. créature de Georges Simenon \\

Dans 4.85, une structure segmentée impliquant ces deux questions se combine
avec une clivée (c'est Georges Simenon / le père de Marie-Jo qui se les pose).
La structure segmentée (ré)introduit un référent (<< ces deux questions »), sur
lequel s'ancre (par le pronom les) le topique marqué par la deuxième partie de
la clivée (qui se les pose). Loin d'être contradictoire, ce double marquage arti-
cule « les deux questions» avec « la personne qui se les pose », permettant par
là une approche toujours plus précise du topique.

La structure segmentée à gauche se distingue ainsi des structures étudiées jus-


qu'à présent par son articulation en deux actes, qui permet l'annonce d'un réfé-
rent comme topique potentiel avant même qu'il ne fonctionne comme tel par la
suite. Dans le noyau propositionnel, le topique peut être marqué par un pronom
(ils dans l'exemple 4.114), par un syntagme nominal (le Benigni dans l' exem-
ple 4.120) ou être implicite, lorsque la segmentée ne contient pas de forme de
rappel, comme dans :

86. Le pronom de la première personne est lui aussi détaché (moije), marquant la prise de posi-
tion du locuteur. Cette structure est peut-être encore plus complexe que cela, car elle peut
être analysée comme une segmentée à droite avec pronom zéro (moi j'o aime pas trop,
['Benigni), ainsi que me l'a fait remarquer Lambrecht. En revanche, l'intonation me semble
exclure l'interprétation selon laquelle l'Benigni renverrait à un référent focalisé.
8? Lambrecht souligne que pour l'anglais, as for marque lui aussi un référent accessible con-
textuellement (1994: 152).

239
les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(4.111)
DC: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et. et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1 tout le monde
souriait un peu autour de la table 1 c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens
ne s'écoutaient pas 1 ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\

Ici, l'information activée par tout le monde souriait un peu autour de la table
s'ancre globalement et implicitement sur l'information activée précédemment,
à savoir« l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure ».

Pour clore cette discussion, il reste à préciser quand un tel marquage du topi-
que est nécessaire. D'une manière générale, la segmentée à gauche, qui réactive
un référent pour en faire le topique de ce qui suit, est liée à une mise en relief
du référent qu'elle active, souvent associée aux lieux de transition:

By using a topic (rather than e.g. an anaphoric pronoun) the speaker announces the
domain of his discourse, or a shift in the domain of the discourse, and expresses
the desire to establish a communicative agreement as to the importance of the refe-
rent of the topic for the discourse. (Lambrecht 1981 : 67)88

La segmentée à gauche peut être comprise comme témoignant d'un désir d'ob-
tenir un accord sur l'importance d'un référent, qui est par là même annoncé
comme un topique ultérieur.

Cette fonction se retrouve dans les exemples considérés jusqu'à présent. Ainsi,
dans:

(4.114)
[contexte: on vient de faire écouter une série de lapsus produits par des
journalistes]
CF: c'est bien que ça nous arrive aussi de temps en temps 1n'est-ce pas Claude
Torracinta Il
CT : c'est les charmes du métier 1
CF: oui 1
CT : ça rappelle que c'est du direct 1ça rappelle que les journalistes 1euh ben ils
sont des gens comme tout le monde 1 ils se trompent 1 ils commettent des
erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\

88. Cf. aussi Lambrecht (1987, 2001), Berthoud (1996, chap. 6), Stark (1997, 1999), etc.

240
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

la segmentée introduit explicitement le référent « les journalistes », qui fonc-


tionne comme topique marqué par le pronom ils dans les actes ultérieurs. Cette
segmentée à gauche pourrait éventuellement être remplacée par une segmentée
à droite:

(4.123)
CT: ça rappelle que c'est du direct 1 ça rappelle que euh ben ils sont des gens
comme tout le monde 1 les journalistes 1 ils se trompent 1 ils commettent
des erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio
une télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\

Les deux structures ne soulèvent pas de problème d'interprétation. La segmen-


tée à droite paraît toutefois légèrement moins coopérative, car elle laisse à l'in-
terlocuteur dans un premier temps le soin d'identifier la relation de coréférence
existant entre le référent de nous (qui renvoie aux journalistes, dans l'interven-
tion initiale de CF) et le ils. Mais surtout, elle présente « les journalistes»
comme étant déjà un topique établi, et non pas comme étant en construction.

Dans les deux autres exemples qui viennent d'être étudiés, la segmentée à gau-
che ne peut pas être remplacée par une segmentée à droite : sa fonction intro-
ductrice paraît essentielle. Dans l'exemple 4.120 impliquant le « film de
Benigni », la segmentée marque un changement de référent topical dans le ca-
dre d'une énumération, tandis que dans l'exemple 4.111, le rappel de « l'exem-
ple qu'on a entendu tout à l'heure» permet de réactiver un référent pour en
faire le topique des actes suivants.

Comme la segmentée à droite, la segmentée à gauche est liée à l'alternance des


tours de parole. En effet, elle permet au locuteur de marquer qu'il s'approprie
un référent pour en faire le topique de son intervention de réponse (de Fornel
1988 : 108, Stark 1999 : 348) :

(4.124)
JG : merci donc à. à Michel Ciment à Ipsos 1 et du côté de Pierre Murat 1
qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction Il
PM: euh: non 1 la réaction c'est évidemment la grande joie pour. de voir
l'Angelopoulos qui a été . vraiment mal accueilli 1
JG: oui
PM: y compris à cette tribune (Le Masque et la Plume)

Marquant explicitement l'enchaînement de sa réponse sur la question posée


par J. Garein, P. Murat réactive le référent « la réaction» pour en faire le topi-
que de la suite de son intervention. La segmentée à gauche est alors liée à une
reprise de la parole de l'autre. L'emploi de telles segmentées à gauche permet
d'expliciter des enchaînements bien plus complexes, comme:

241
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

(4.125)
JO : Pierre \\
PM: ben moi ce qui m'avait beaucoup euh frappé 1 c'était la force de la mise en
scène 1 et puis la complicité. manifeste 1 que vous aviez réussi à créer 1 ou
qui s'était créée entre les deux 1 alors j'ai une question aussi 1 que je vous
pose 1est-ce que cette complicité était. d'abord vraie. et facile. à à mana-
ger comme on dit 1 et puis la deuxième chose qui m'avait beaucoup plu 1
c'est que c'est une générosité 1 parce que la générosité n'est pas toujours
une valeur qui est bien perçue 1
JG: non surtout au Masque et la Plume Il
PM: et la hein <rire> et la générosité moi j 'l'avais trouvée chez vous 1 euh jus-
tement pas: pas mièvre pas douceâtre 1je voulais savoir si c'était quelque
chose qui vous tenait à cœur \ donc à la fois. la complicité avec les comé-
diennes 1. comment ça c'est passé 1. et puis cette générosité qui était tout le
temps là 1 mais qui ne sombrait jamais dans la mièvrerie quoi \\
ÉZ: -+ oui \ . non mais par exemple pour la générosité 1 c'est vrai que quand on
écrit 1 on a a avec Virginie 1ou avec Roger 1 qui sont. <acc.> donc les per-
sonnes qui ont écrit avec moi le scénario 1 on est toujours en train de se
dire 1. ah ben non là c'est pas possible 1 on coupe là ça devient mièvre 1 on
n'a que ce mot-là à: la bouche \ (X) et pareil au montage 1 (X) autant frus-
trer un peu le spectateur 1 euh : mais pas tomber dans le euh : la . euh :
quelque chose de complaisant de: 1 donc ça c'est c'est vrai que c'est:
euh: 1 -+ après pour la complicité des: des deux comédiennes 1c'est com-
pliqué \\
X,Y: <rires>
ÉZ: c'est compliqué 1 parce que sur un . plateau euh: vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue 1. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de : comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie 1. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu 1. sur un plateau 1 quelqu'un
vers. qui l'équipe va aller. d'emblée 1 parce qu'elle est connue aussi
pour. euh sa sa sa sa sa simplicité 1 son son son sourire 1 son: donc on : on
vient vers elle \ et Natacha 1 je crois que 1 . alors moi ça m'a servi \ (Le
Masque et la Plume)

Dans cet exemple, le journaliste formule une double question à Éric Zonca, qui
concerne à la fois la complicité des comédiennes et la générosité dans son film.
La différence des référents proposés oblige É. Zonca à répondre en deux
temps: inversant l'ordre proposé par son interlocuteur, il réactive d'abord « la
générosité» dans une segmentée sans rappel, puis « la complicité des deux co-
médiennes ». La complexité de cet enchaînement explique que les segmentées
soient combinées avec d'autres marques contribuant à la structuration du dis-
cours, comme le marqueur pour (Cadiot 1988), et après, par exemple. Dans cet
exemple, comme dans celui qui précède, la segmentée à gauche ne peut pas
être remplacée par une segmentée à droite.

242
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle

Étant donné que la segmentée à gauche constitue un moyen privilégié pour re-
prendre la parole de l'autre dans un contexte dialogique, il n'est pas surprenant
qu'elle permette également le renvoi à la propre parole du locuteur de manière
métadiscursive, comme le montre bien Berthoud (1996, 1999). Dans l'exem-
ple 4.85 :

(4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon Ile père de Marie-Jo qui se les pose 1 ou
est-ce que c'est le commissaire Maigretl. créature de Georges Simenon \\

La structure segmentée formée par ces deux questions / c'est [. ..} qui se les
pose est ici aussi liée à une reprise de la parole de l'autre, puisque le locuteur
(B. Pivot) commence par une citation (introduite par et vous ajoutez ceci).
Mais contrairement à ce qui se passe dans les exemples qui précèdent, la repri-
se diaphonique est intégrée dans la structure monologique avant la segmentée.
Cette segmentée permet au locuteur de réactiver les questions citées, non pas
sous l'angle de leur contenu, mais du point de vue de l'acte illocutoire qu'elles
réalisent, qui fait l'objet de sa question.

La principale différence entre la segmentée à gauche et les structures syntaxi-


ques étudiées jusqu'à présent réside ainsi dans sa structure articulant deux uni-
tés discursives. De cette structure découle un marquage du topique en deux
temps, qui se justifie en particulier lors des prises de parole, pour marquer un
ancrage sur la parole de l'autre.

4.2.5 Bilan de l'analyse syntaxique


Au terme de cette analyse, il apparaît que les marques syntaxiques jouent un
rôle essentiel dans le parcours interprétatif qui conduit à l'identification du to-
pique. Les segmentées à gauche et à droite ainsi que la clivée permettent de le-
ver les ambiguïtés subsistant au niveau de l'interprétation des expressions
référentielles : les syntagmes nominaux définis sont prosodiquement et syn-
taxiquement marqués comme des traces de points d'ancrage dans la segmentée
à droite. En revanche, lorsqu'ils sont détachés à gauche, ils ont pour fonction
de (ré)activer le référent auquel ils renvoient. La clivée joue un rôle particulier,
puisque par sa structure même, elle renvoie à un topique propositionnel plus
immédiat que les référents isolés auxquels renvoient les expressions référen-
tielles. À ces différents égards, la syntaxe joue donc un rôle décisif dans le
marquage du topique.

243
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique

L'analyse syntaxique a aussi montré ses limites. Ainsi, l'étude du rôle du sujet
dans le marquage du topique a fait apparaître que l'interprétation de la proposi-
tion assertive canonique, non marquée du point de vue de la structure informa-
tionnelle, est fortement dépendante du contexte. De plus, j'ai relevé que
l'analyse de la segmentée à gauche échappe à un cadre strictement syntaxique,
puisque cette structure articule deux unités discursives, dont la relation doit en-
core être précisée. Enfin, l'interprétation d'une structure segmentée à gauche
fait souvent appel à des connaissances pragmatiques qui relèvent du contexte
discursif. Ainsi, dans un exemple comme 4.126 :

(4.126)
C144: ah mais ça c'est autre chose madame l'aide ménagère elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale gui inter-
vient (Allocations)

la structure disloquée marque 1'« aide ménagère» comme un topique, mais


l'interprétation fait aussi appel aux connaissances générales des interlocuteurs,
qui permettent d'identifier le référent de elle, formé par la « mère de B (l'inter-
locutrice de C) » et non pas par 1'« aide ménagère». C'est avec la discussion
de tels éléments, plus spécifiquement liés à la structure du discours, que je vais
poursuivre cette analyse.

244
Partie III

LES FACTEURS
DISCURSIFS
DE L'IDENTIFICATION
DU TOPIQUE
Chapitre 5
,
LA STRUCTURE HIERARCHIQUE
ET RELATIONNELLE DU DISCOURS

Dans les chapitres précédents, j'ai à plusieurs reprises fait appel, de manière
volontairement informelle, au contexte! textuel et situationnel, qui contribue à
influencer la saillance du topique et, par là même, à faciliter son identification.
Pour combler cette lacune, je me propose, dans les deux chapitres qui suivent,
d'approfondir l'étude de quelques facteurs propres à la structure du discours,
qui me paraissent jouer un rôle décisif dans l'identification du topique.

5.1 La structure du discours


et l'organisation informationnelle

Je commencerai par rappeler, à partir des travaux existants, comment la prise


en compte de la structure du discours peut contribuer à l'identification du topi-
que, avant d'introduire brièvement l'analyse de la structure hiérarchique et re-
lationnelle du discours.

1. Pour une discussion approfondie de la notion de contexte, voir Kleiber (1 994b, 1997b et c).

247
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

5.1.1 Les relations entre la structure du discours et le topique


Il est généralement admis que la structure du discours joue un rôle de première
importance parmi les facteurs déterminant la saillance du topique. Dittmar sou-
ligne le lien étroit unissant la structure de l'échange et le topique discursif:

Selon moi, « thème» et « structure d'échange» forment au niveau interactionnel


un complexe étroit et indissociable. Les structures préférentielles ne peuvent être
décrites sans examen des contenus. Par ailleurs l'organisation thématique des
énoncés dans la conversation ne saurait être établie qu'en prenant en compte les
procédures interactionnelles. (Dittmar 1988 : 89)2

Pour rendre compte de ·la saillance discursive du topique, l'un des moyens les
plus fréquemment utilisés est la mesure de la distance de la dernière évocation
d'un référent fonctionnant comme topique. Par exemple, pour évaluer le degré
de continuité d'un topique, Givon (1983) prend en compte, d'une part, la dis-
tance séparant le topique de sa dernière occurrence linguistique ainsi que les
interférences potentielles, et, d'autre part, la persistance de ce topique sur la
base du texte consécutiP.

Ce type de mesure n'est cependant pas entièrement satisfaisant lorsqu'il s'agit


d'étudier la saillance discursive du topique dans les dialogues, et cela pour
deux raisons au moins. Premièrement, l'évaluation de la distance entre un réfé-
rent topique et sa dernière évocation est peu pertinente si elle ne tient pas
compte de la structure du discours dans lequel elle s'inscrit. Il est en effet évi-
dent, dans le discours monologique écrit, qu'un référent n'a pas la même
saillance s'il est évoqué dans le titre ou dans une parenthèse. De manière simi-
laire, dans le discours oral dialogique, l'organisation informationnelle est
étroitement liée à la structure du dialogue, comme cela a été mis en évidence
par les études conversationnelles (voir Dittmar ci-dessus)4. Deuxièmement, le
repérage des mentions des référents topiques n'est pas nécessairement repré-
sentatif de leur saillance dans le discours oral, dans la mesure où celui-ci évite
souvent l'explicitation des référents particulièrement saillants (Laparra 1982).
Pour ces deux raisons, il convient de dépasser le simple repérage des occurren-
ces des topiques à la surface du discours, pour étudier de manière plus appro-
fondie le rôle de la structure discursive dans le parcours interprétatif
conduisant à l'identification du topique.

2. Voir aussi Burton & Casey (1984, 1985, 1988-89), de Forne1 (1986, 1988), Berthoud
(1996).
3. Cf. pour des mesures similaires, Ariel (1990) et Apothéloz (1995).
4. Voir les critiques portées à l'encontre des travaux de Givon, rappelées par Schlobinsky &
Schütze-Coburn (1992 : 108).

248
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

De nombreux modèles ont été proposés pour analyser la structure du discours


écrit et oral, dans des perspectives théoriques très différentes. Ainsi, van Dijk
(1977), van Dijk et Kintsch (1983), Adam (1992) et Bronckart (1996) propo-
sent des modèles permettant de rendre compte de la macro-structure du dis-
cours monologique écrit. Malgré leur intérêt, ces modèles sont peu adaptés au
traitement du caractère dynamique des dialogues oraux. À l'inverse, l'analyse
séquentielle de la conversation met l'accent sur le processus de l'alternance
des tours de parole (Sacks, Schegloff & Jefferson 1978), sans postuler l'émer-
gence de structures plus complexes que les paires adjacentes. Intéressante par-
ce qu'elle souligne la co-construction dynamique et interactive des référents
discursifs (Berthoud 1996), cette approche n'offre toutefois pas une vision
d'ensemble de la structure hiérarchique du discours. Pour étudier à la fois la
construction interactive des topiques et la structure dans laquelle ils s'inscri-
vent, j'adopterai le modèle hiérarchique et relationnel de l'approche genevoi-
se, qui permet la description du déroulement dynamique de la négociation et
l'analyse de sa structure globale5 . En voici une brève présentation.

5.1.2 L'organisation hiérarchique et relationnelle du discours


Dans l'organisation hiérarchique et relationnelle définie selon le modèle Gene-
vois (Roulet 1999b et c), le dialogue est saisi comme la face émergente d'un
processus de négociation impliquant, lorsqu'il est réalisé de manière simple,
une proposition, une réaction et une ratification. Par exemple:

(5.1)
A: tu viens boire un café?
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: tant pis pour toi

La proposition réalisée par l'intervention initiative de A (tu viens boire un ca-


fé ?) entraîne la réaction de B (ah non, parce que je dois finir mon chapitre

5. Ce modèle hiérarchique et relationnel est développé à Genève depuis les années 80. Voir en
particulier Roulet (1981, 1988, 1991a, 1995b, 1999a, b et c), Roulet et al. (1985), Roulet,
Filliettaz & Grobet (2001). Les plus récents travaux de Moeschler (1996a et b, 1998) et Re-
boul & Moeschler (1998), remettent en cause ce modèle, lui préférant une approche comme
la SDRT, défendue par Lascarides & Asher (1993), qui permet l'analyse sémantique des re-
lations de discours. Le modèle hiérarchique, qui dès son origine été pensé en vue de l'analy-
se des dialogues, me semble toutefois mieux à même de rendre compte de leur structure que
la SDRT, qui n'a abordé cette problématique que récemment. De plus, la SDRT utilise par-
fois aussi le terme de « topique », mais dans un sens très large qui ne me paraît pas directe-
ment compatible avec mon approche. De ce choix théorique découle toutefois, pour le
présent travail, un traitement volontairement peu formel des relations de discours.

249
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

aujourd 'hui) ; A ratifie alors le refus de B. En lieu et place d'une telle ratifica-
tion, on peut aussi observer une relance, du type de Allez, viens quand même!
qui entraîne une prolongation de l'échange, comme dans 5.2 :

(5.2)
A: tu viens boire un café?
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: allez, viens quand même!
B: ok d'accord je viens
A: super!

L'échange peut également se prolonger en raison de l'ouverture d'une négocia-


tion secondaire comme dans 5.3 :

(5.3)
A: tu viens boire un café?
B: tout de suite?
A: oui, si tu as le temps
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: tant pis pour toi

où B initie une négociation secondaire (impliquant uniquement une proposi-


tion et une réaction) subordonnée à la négociation principale, comme le montre
la possibilité de la supprimer sans entraver l'intelligibilité du resté.

Le produit de ce processus de négociation peut être représenté plus formelle-


ment à travers une structure hiérarchique impliquant un échange formé d'inter-
ventions. Celles-ci peuvent elles-mêmes être analysées en constituants
principaux (actes ou interventions), qui expriment en quelque sorte les « idées
directrices », et en constituants subordonnés, qui introduisent des arguments
ou des exemples venant appuyer les actes principaux. Ces constituants peuvent
être formés d'actes, d'interventions ou même d'échanges subordonnés, car le
modèle hiérarchique se caractérise, selon Roulet, par un principe de récursivité:

La dimension hiérarchique intègre, comme en syntaxe, un principe de récursivité


qui permet d'engendrer une infinité d'échanges et d'interventions à partir d'un
nombre réduit de constituants; elle fournit la structure portante d'un texte; enfin,
elle rend compte de l'importance relative des constituants textuels à différents
niveaux. (Roulet 1996 : 14-15)

6. Ce processus de négociation est souvent représenté dans un schéma spécifique que l'on
trouve par exemple chez Roulet (1999b et c).

250
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Dans l'exemple 5.1, la réponse de B présente une structure articulant deux ac-
tes (ah non et parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui). Le premier
peut être considéré comme principal par rapport au second, parce que ce der-
nier peut être supprimé sans nuire à l'intelligibilité de la réponse (Roulet
1999b). De plus, la présence du 'connecteur parce que indique que l'acte qu'il
introduit constitue un argument venant étayer le constituant qui le précède 7.
Vexemple 5.1 présente donc une structure qui peut être représentée de la ma-
nière suivante :

- 1 tu viens boire un café ?

AP ahnon
E - 1 [
As parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
argument
- 1 tant pis pour toi

Figure 5.1. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.1

Véchange est indiqué par « E », l'intervention par « 1 », l'acte par « A ». Le


statut principal est marqué par « p », le statut subordonné par « s ». Les inter-
ventions constitutives d'échange se caractérisent par des relations illocutoires
initiatives et réactives, tandis qu'à l'intérieur de l'intervention, les deux actes
sont liés par une relation interactive d'argument 8.

Pour clore cette brève présentation, il reste à préciser que ce type d'analyse ne
peut prétendre à fournir LA bonne structure d'un texte, car il existe le plus sou-
vent plusieurs interprétations possibles: l'établissement d'une structure hiérar-
chique ne constitue pas une fin en soi, mais bien plus un outil heuristique
permettant de formuler et de comparer des hypothèses précises sur la structure
d'un texte donné.

7. En étudiant le rôle de la structure textuelle dans le marquage du topique, je traite conjointe-


ment la structure hiérarchique et les relations de discours: ces deux éléments sont théori-
quement distincts dans les dernières versions du modèle genevois (Roulet 1991a, 1995a et
b, 1996, 1997a et b, 1998, 1999a, b et c, Roulet, Filliettaz & Grobet 2001), car les relations
de discours peuvent impliquer des informations implicites, non représentées dans la structu-
re hiérarchique. Ceci dit, le traitement simultané de ces deux éléments est plus économique,
dans la mesure où les relations de discours s'appliquent le plus souvent aux constituants de
la structure hiérarchique.
8. Je me contente ici d'une description très générale des relations interactives. Pour une étude
plus précise des relations argumentatives et reformulatives avec et sans connecteurs, voir
Rossari (1993,1999,2000).

251
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

5.2 L'identification du topique dans des constituants


adjacents
Comme le montrent les travaux menés en analyse conversationnelle (Keenan
& Schieffelin 1976, Crow 1983, Burton & Casey 1984, 1985, 1988-89, de For-
nel 1988), le topique, dans le discours oral, est souvent issu de manière linéaire
du propos qui le précède :

Diseourse topies rnay take sorne presupposition of the irnrnediately preeeding dis-
course topie and/or the new information provided relevant to the diseourse topie
preeeding (ail part of the presupposition pool) and use it in a new diseourse topie.
(Keenan & Sehieffelin 1976 : 341)

Une telle progression informationnelle, qui regroupe les progressions linéaire


et à topique constant (cf. 2.3.3.1), implique, sur deux constituants contigus, le
rappel d'un élément déjà actif et l'activation d'une autre information9.

Pour déterminer le rôle de la structure discursive dans l'identification du topi-


que, je me propose de commencer par étudier les ancrages informationnels im-
pliquant deux actes contigus; les enchaînements à distance seront étudiés
en 5.3. Plus précisément, il s'agira premièrement de reconsidérer, à l'aide des
relations de discours, la segmentée à gauche (5.2.1), analysée jusqu'à présent
d'un point de vue avant tout syntaxique. Je tenterai ensuite d'étendre les rela-
tions de discours qui auront ainsi été mises en évidence à l'analyse d'autres ty-
pes de segments discursifs (5.2.2). Cette démarche permettra d'étudier de
manière plus générale les relations non argumentatives et leur rôle dans l'iden-
tification du topique.

5.2.1 La ségmentée à gauche et la relation « topique de »

Dans la mesure où une structure segmentée à gauche articule deux actes dis-
cursifs, il est légitime d'admettre que ceux-ci se caractérisent par une relation
de discours 10. Dans le modèle genevois, les relations de discours interactives
peuvent être de type argumentatif, reformulatif, rituel, etc. (Roulet et al. 1985).
Parmi celles-ci, la relation la mieux adaptée pour décrire l'articulation des

9. Cette progression est appelée « Topie shading» par Crow (1983), « incorporating discourse
topic » par Keenan & Schieffelin (1976), et en français, « mouvement thématique par tran-
sition progressive» (de Fornel1988 : 103ss., traduisant Sacks).
10. J'utilise l'expression « relation de discours» pour désigner, de manière générale, les rela-
tions illocutoires et interactives caractérisant les constituants de la structure hiérarchique.

252
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

deux membres d'une segmentée à gauche paraît être la relation d'à propos
pragmatique appelée «thème de» par Auchlin (1986), que je rebaptise «topi-
que de» (Grobet 1999a). Auchlin (1986-87: 79,1993: 127) décrit cette rela-
tion comme une relation pragmatique de base, pouvant être ou non spécifiée
par un paramètre de nature argumentative :

Applicabilité et « commentabilité » désignent des ensembles de paramètres visant


à décrire le « se dit de ... » du propos, et le « on peut dire que ... » du thème. Il faut
admettre que ces ensembles contiennent un paramètre concernant l'orientation
argumentative du thème et du propos, mais qu'il peut éventuellement être non spé-
cifié (comme pour le cas des noms propres, par exemple), ou non pertinent. Cette
façon de voir fait, de l'enchaînement argurnentativement contraint d'énoncés (type
argument-conclusion), un cas particulier d'à propos pragmatique, même si empiri-
quement ce mode d'enchaînement semble la règle. (Auchlin 1986-87 : 79)

Deux éléments complémentaires peuvent être dégagés de cette hypothèse. Pre-


mièrement, la relation « topique de » est située à un niveau différent des rela-
tions argumentatives, ce qui permet de traiter la superposition d'une relation
« topique de » et d'une relation argumentative, déjà relevée par Bally (1965
[1932] : 56) dans des exemples tels que:

(5.4) Puisqu'il pleut, nous ne sortirons pas. (Bally 1965 [1932])

Deuxièmement, la relation argumentative ou reformulative est considérée


comme un paramètre pouvant être spécifié ou non. Ainsi, lorsque ce paramètre
est spécifié, la relation argumentative ou reformulative est plus saillante que la
relation « topique de », tandis que lorsqu'il n'est pas spécifié, seule la relation
« topique de » reste saillante : elle acquiert par là le statut d'une relation inte-
ractive pleine. La relation « topique de » est donc saisie comme une relation
interactive de base, mais fonctionnant « par défaut ».

Cette relation générale semble assez bien convenir à la description de la rela-


tion unissant les deux constituants d'une segmentée qui ne sont pas liés par
d'autres liens de type argumentatif. Ainsi, dans l'exemple 5.5, extrait de
l'exemple 4.125 :

(5.5)
PM: et la hein <rire> et la générosité moi j'l'avais trouvée chez vous / euh jus-
tement pas: pas mièvre pas douceâtre / je voulais savoir si c'était quelque
chose qui vous tenait à cœur \ (Le Masque et la Plume)

le syntagme la générosité peut être considéré comme étant lié par une relation
« topique de » à moi j 'l'avais trouvée chez vous / euh justement pas: pas miè-
vre pas douceâtre, car c'est une relation d'à propos qui unit les informations
activées par ces deux constituants. De plus, dans le second constituant, cette

253
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

même relation caractérise l'articulation du référent de moi et l'information ac-


tivée par la proposition qui suit. De manière similaire, dans 5.6 :

(5.6) (=4.111)
De: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et . et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1tout le monde
souriait un peu autour de la table 1c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens ne
s'écoutaient pas 1 ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\ (Forum)

la relation « topique de » permet de décrire l'enchaînement de tout le monde


souriait un peu autour de la table sur le propos préalablement activé par
l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure.

Cette description à l'aide de la relation générale « topique de » reste toutefois


peu précise, car elle ne permet pas de distinguer ces deux exemples, pourtant
assez différents: alors que dans le premier (5.5), l'élément antéposé (la géné-
rosité) désigne le référent qui est directement commenté par le propos qui suit,
dans le second (5.6), l'élément antéposé (l'exemple qu'on a entendu tout à
l'heure) peut faire l'objet d'une interprétation adverbiale, dans laquelle il cons-
titue plutôt le « cadre» ou la « toile de fond» de la proposition qui suit, com-
me je l'ai relevé dans le quatrième chapitre (4.2.4).

Pour rendre compte de cette différence, il convient, à l'instar de Stark (1997) et


Danon-Boileau et al. (1991), de distinguer deux réalisations légèrement diffé-
rentes de la relation « topique de ». La première, que j'appelle « relation de to-
picalisation »11, concerne l'évocation d'un référent qui fonctionne comme le
topique directement commenté par le segment suivant. Dans la seconde, que
l'on peut simplement nommer « relation de cadre », le propos de l'élément an-
téposé fonctionne comme une toile de fond pour l'information exprimée par le
constituant qui suit.

La proposition selon laquelle les constituants de la segmentée à gauche sont


liés par des relations de topicalisation ou de cadre ne revient pas, comme on
pourrait le croire, à une simple reformulation de la description syntaxique de
ces relations. En effet, outre la différence de nature existant entre ces deux ni-
veaux d'analyse, les relations de discours ont une portée beaucoup plus large
que leurs correspondants syntaxiques, car elles peuvent se réaliser sur des
constituants discursifs (actes, interventions et échanges) de forme et d'ampleur

Il. Je distingue la « relation de topicalisation » de la structure syntaxique dite « topicalisée »,


décrite dans le chapitre précédent.

254
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

très différentes 12. C'est à l'étude de ces diverses fonnes et de leur rôle dans
l'identification du topique que la section suivante sera consacrée.

5.2.2 Autres types de segments caractérisés par des relations


dérivées de « topique de »
Pour faire apparaître la diversité des segments liés par des relations dérivées de
la catégorie « topique de », j'explorerai successivement deux variations possi-
bles. D'un côté, un syntagme antéposé peut introduire non pas un, mais plu-
sieurs actes fonnant une intervention plus ou moins complexe. Ces variations
dans la structure du constituant situé à droite feront l'objet du point 5.2.2.1. et
l'identification du topique à partir de telles structures sera traitée en 5.2.2.2. De
l'autre côté, les relations de topicalisation et de cadre peuvent caractériser des
segments qui ne sont pas nécessairement introduits par un syntagme antéposé :
l'étude des diverses réalisations du segment gauche conduira à l'établissement
d'une typologie des relations dérivées de «topique de» (5.2.2.3) ainsi qu'à
l'examen de leur rôle dans l'identification du topique (5.2.2.4).

5.2.2.1 Variations à droite: l'élément antéposé introduit


un segment complexe
Dans une segmentée à gauche, avec ou sans rappel, un élément antéposé peut
être lié par une relation de topicalisation ou de cadre non seulement à l'acte qui
le suit, mais encore à l'ensemble de l'intervention dans laquelle s'inscrit cet
acte13. Cette variation peut être illustrée par trois exemples dont la complexité
va croissant.

Le premier, déjà traité du point de vue syntaxique, articule une structure seg-
mentée avec une clivée :

(5.7) (= 4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon / le père de Marie-Jo qui se les pose / ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret 1. créature de Georges Simenon \\
(Apostrophes)

12. Cette variation se justifie par le principe de récursivité sous-jacent à la dimension hiérarchi-
que.
13. Cette relation s'établit toujours par l'intermédiaire de la mémoire discursive. C'est proba-
blement à ce type de configuration que Stark (1997,1999) fait référence lorsqu'elle évoque,
dans un cadre théorique différent, les segmentées dont la fonction est d'activer un «sujet de
séquence ».

255
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Après la citation d'un extrait de l'ouvrage de Simenon, la segmentée active le


référent « ces deux questions», qui introduit la clivée c'est: Georges Simenon /
le père de Marie-Jo qui se les pose. À cette clivée est coordonné par ou un
deuxième segment qui peut être interprété comme une autre clivée partiellement
élidée. Il découle de cette coordination que le segment ces deux questions n'in-
troduit pas uniquement la première partie de la question, mais aussi la seconde.
La structure du passage peut donc être représentée de la manière suivante:

As ces deux questions


topicalisation
1
[ A c'est Georges Simenon [ ... ] qui se les pose
Ip [
A ou est-ce que c'est le commissaire Maigret...

Figure 5.2. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.7

Comme le montre ce schéma, la relation de topicalisation implique, au niveau


hiérarchique, un constituant antéposé subordonné, et un constituant principal,
car porteur de la prédication; en l'occurrence, il s'agit d'une intervention for-
mée de deux actes coordonnés.

Vexemple 5.8, extrait de 4.125, implique, dans la réponse d'Éric Zonca, une
structure plus complexe :

(5.8)
PM: donc à la fois. la complicité avec les comédiennes /. comment ça c'est
passé /. et puis cette générosité qui était tout le temps là / mais qui ne som-
brait jamais dans la mièvrerie quoi \\
ÉZ: oui \ . - non mais par exemple pour la générosité / c'est vrai que quand on
écrit / on a a avec Virginie / ou avec Roger / qui sont. <acc.> donc les per-
sonnes qui ont écrit avec moi le scénario / on est toujours en train de se
dire /. ah ben non là c'est pas possible / on coupe là ça devient mièvre / on
n'a que ce mot-là à: la bouche \ (X) et pareil au montage / (X) autant frus-
trer un peu le spectateur / euh: mais pas tomber dans le euh : la . euh:
quelque chose de complaisant de: / donc ça c'est c'est vrai que c'est:
euh: / - après pour la complicité des: des deux comédiennes / c'est com-
pliqué \\
X,Y: <rires>
ÉZ: c'est compliqué / parce que sur un . plateau euh : vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue /. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de: comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie /. quelqu'un (mais). et qui est face à

256
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu /. [ ... ] (Le Masque et la


Plume)

Pour répondre à la double question de Pierre Murat, Éric Zonca est amené à
réactiver, premièrement, le référent formé par la « générosité », et deuxième-
ment, la «complicité des deux comédiennes ». Dans les deux cas, l'élément
antéposé est accompagné d'un marquage lexical abondant (pour, analysé par
Cadiot & Pradin 1989, revient deux fois) 14. Le premier segment (non mais par
exemple pour la générosité) introduit non seulement la proposition qui suit
(c'est vrai que quand on écrit), qui est à elle seule incomplète du fait de sa
structure concessive, mais aussi l'ensemble de l'intervention qui explique la
manière dont a été élaborée cette générosité, jusqu'à l'interruption précédant la
réactivation de la « complicité des comédiennes ». Ce second élément antépo-
sé peut, dans un premier temps, être analysé comme introduisant une seule
proposition: après pour la complicité des: des deux comédiennes / c'est com-
pliqué. S'il subsiste néanmoins un problème d'incomplétude, celui-ci est dû à
des contraintes pragmatiques : le respect de la maxime de quantité de Grice
(1979) implique que si un locuteur dit de quelque chose que «c'est compli-
qué », il est supposé expliquer pourquoi. C'est effectivement ce que fait
É. Zonca dans cet exemple quand, après avoir été interrompu par des rires, il
répète c'est compliqué, pour enchaîner par une longue intervention dont la
fonction d'argument est marquée par le connecteur parce que.

Les deux séquences qui viennent d'être décrites peuvent être analysées comme
étant coordonnées, car après les relie d'une manière similaire à ce que produi-
rait le coordonnant et. La structure hiérarchique globale peut donc être sché-
matisée de la manière suivante 15 :

14. Les marques formées par oui. non mais caractérisant le début de cette intervention peuvent
être interprétées comme des marques d'hésitation et comme des marqueurs de structuration
de la conversation (MSC), qui signalent un refus du « cadre de pertinence thématique» éta-
bli parle constituant précédent (Roulet et al. 1985 : 109), cf. 5.3.1.
15. Le schéma, simplifié, contient uniquement les actes principaux et les constituants qui sont
directement liés aux segments antéposés.

257
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

As par exemple pour la générosité


1 topicalisation
[
1 [ Ip c'est vrai que quand on écrit.. .

As . p'our la complicité ...


1 toplcallsatlOn
[
Ip [ As c'est compliqué

Ip [ Ap c'est compliqué
reformulation
Is parce que sur un plateau ...
argument

Figure 5.3. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.8

Les deux éléments antéposés sont liés à l'intervention qui suit par une relation
de topicalisation. Dans la première partie, l'intervention est tout de suite pré-
sentée comme telle, ce que j'ai traduit par la notation [p, tandis que dans la se-
conde, sa formulation se fait en plusieurs étapes, c'est compliqué étant d'abord
présenté comme un acte isolé, avant d'être reformulé et étayé par l'argument
subordonné introduit par parce que.

Les deux exemples étudiés jusqu'à présent sont produits par le même locuteur.
Dans l'exemple 5.9, le référent activé par la segmentée est saisi « au vol» par
un autre locuteur :

(5.9)
MC: et quant à un film comme Festen / euh: (XX)
JG : il arrive parce que c'est au-delà de la dixième place /
MC: voilà \ voilà \ Festen arrive en décembre / il sort le le 21 décembre / les
gens ont dix jours pour le voir / et ils ne le mentionnent pas \. et ça
m'amène à parler un petit peu / peut-être brièvement mais tout de même /
dans ce genre de référendum / euh : évidemment . c'est pas comme si tous
les auditeurs du Masque et la Plume avaient vu tous les films / [ ... ] (Le
Masque et la Plume)

Michel Ciment introduit « un film comme Festen » par le marqueur quant à. Il


est alors interrompu par Jérôme Garein, qui ancre son intervention sur le réfé-
rent ainsi rendu disponible (il arrive parce que c'est au-delà de la dixième pla-
ce): cet ancrage est marqué par le pronom il. l.?intervention de J. Garein,
prononcée avec un débit rapide, semble avoir une fonction de commentaire.
M. Ciment en prend acte en répondant voilà voilà, et c'est seulement après ce

258
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

bref échange qu'il peut poursuivre son intervention, annoncée par le segment
antéposé; l'intervention se poursuit jusqu'à et ils ne le mentionnent pas. Cette
structure donne le schéma suivant:

Ap et quant à un film comme Festen

opJ:a- [ 1 il arrive ...


1 lisation Es [
commentaire 1 voilà voilà
[
Ip Festen arrive en décembre ...

Figure 5.4. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.9

On pourrait s'étonner de ce que l'échange subordonné ne soit pas lui aussi lié à
l'élément antéposé par une relation de topicalisation, dans la mesure où la
structure aurait pu être produite par un seul locuteur, comme dans 5.10 :

(5.10)
X: quant à un film comme Festen il arrive parce que c'est au-delà de la
dixième place

et impliquer une relation de topicalisation qui s'inscrirait dans la structure hié-


rarchique suivante :

As quant à un film comme Festen


1 topicalisation
[
Ip il arrive parce que c'est au-delà ...

Figure 5.5. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5. 70

Deux arguments justifient l'interprétation choisie. Premièrement, la relation de


topicalisation implique toujours un constituant antéposé subordonné et un
constituant principal. Or, la structure impliquant un acte subordonné lié à un
échange principal par une relation de topicalisation, illustrée par la figure 5.6 :

259
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

As quant à un film comme Festen


topicalisation
1 [ I i i arrive parce que c'est au-delà ...
Ep [
1 voilà voilà

Figure 5.6. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.9

contredit la contrainte du modèle hiérarchique, selon laquelle une intervention


doit nécessairement avoir un acte (ou une intervention) principal(e). Comme
cette contrainte s'est par ailleurs avérée productive dans le modèle hiérarchi-
que, il ne semble pas souhaitable de retenir la structure représentée par la figu-
re 5.6 16 . Deuxièmement, on pourrait interpréter ce segment comme impliquant
une seule intervention, mais produite par deux locuteurs différents. Il s'agirait
alors d'un fait de « co-énonciation », dans lequel le deuxième locuteur pren-
drait le relais du premier pour achever l'intervention initiée par le premier
(Jeanneret 1999). La structure serait alors la suivante:

As quant à un film comme Festen


1 [toPicalisation
Ip il arrive parce que c'est au-delà ...
1 voilà voilà

Figure 5.7. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.9

Contrairement à la précédente, cette structure est compatible avec les contrain-


tes du modèle. Elle aurait même été retenue si l'intonation (et en particulier le
débit rapide), n'avait pas plutôt conduit à interpréter il arrive parce que c'est
au-delà ... comme un commentaire subordonné.

5.2.2.2 L'identification du topique dans le constituant introduit


par un segment antéposé
I.:analyse des exemples 5.7, 5.8 et 5.9 a montré qu'un segment antéposé peut
être lié par une relation de topicalisation à un acte ou une intervention, et

16. Il serait possible d'envisager la suppression de cette contrainte, mais il faudrait alors s'ap-
puyer sur d'autres arguments, plus forts que ceux dont je dispose actuellement.

260
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

même introduire un référent constituant le topique d'un échange subordonné.


Comme ces structures sont beaucoup plus complexes que les segmentées à
gauche étudiées dans le chapitre précédent, il n'est pas inutile de préciser leur
rôle dans l'identification du topique. Peut-on dire que, dans ces trois cas, le ré-
férent activé par le segment antéposé constitue le topique de l'ensemble du
constituant hiérarchique (acte, intervention, échange) qui suit?

La réponse à cette question doit être nuancée. L'analyse de l'exemple 5.7 a


déjà montré, dans le quatrième chapitre (4.2.4.3), que le segment antéposé (ces
deux questions) n'annonce pas directement le topique de l'acte qui suit, qui est
plutôt marqué par la deuxième partie de la clivée (c'est Georges Simenon [ ... ]
qui se les pose ou est-ce que c'est le commissaire Maigret). Dans l'exem-
ple 5.8, l'élément antéposé active le référent qui constitue chaque fois le topi-
que de l'acte qui suit immédiatement, mais la progression informationnelle est
ensuite linéaire. Pour le montrer de façon précise, je m'appuierai sur une ana-
lyse de la structure informationnelle transcrite selon les conventions présentées
en 1.3.3, sans toutefois tenir compte des points d'ancrage d'arrière-fond:

(5.11)
ÉZ: oui \ non mais par exemple pour la générosité 1
(générosité) c'est vrai que quand on écrit 1
(quand on écrit) on a a avec Virginie ou avec Roger 1
qui [Virginie ou Roger] sont. donc les personnes qui ont écrit avec moi le
scénario 1...
après pour la complicité des: des deux comédiennes 1
c'[la complicité] est compliqué \\
X, Y: <rires>
ÉZ : c'[la complicité] est compliqué 1
(compliqué) parce que sur un. plateau euh: vous avez euh Natacha
Régnier
qui [Natacha] est une inconnue 1 .
qui [Natacha] est quelqu'un qui a une force euh: une euh: . est quelqu'un
qui . très très déterminé \ .

Les deux éléments antéposés activent un référent qui constitue le topique de


l'acte qui les suit immédiatement; ce topique est implicite dans un cas, et mar-
qué par un pronom démonstratif (c ') dans l'autre. Cependant, on observe im-
médiatement après une progression informationnelle linéaire: de la
« générosité », on passe à l' « écriture », puis à « Virginie ou Roger» avec qui
É. Zonca écrit; partant de la « complicité », É. Zonca évoque la « complexi-
té)} de cet élément, qui forme le topique de l'acte évoquant «Natacha Ré-
gnier }}, référent qui constituera le topique des actes ultérieurs.

261
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Les transitions sont moins rapides dans le dernier exemple, dont la structure
informationnelle se présente de la manière suivante :

(5.12)
MS: et quant à un film comme Festen /
JG: il [Festen] arrive parce que c'est au-delà de la dixième place /
MS: (il arrive) voilà \ voilà \
Festen arrive en décembre /
il [Festen] sort le le 21 décembre /
les gens ont dix jours pour le [Festen] voir /
et ils [les gens] ne le mentionnent pas \ .
et ça [ne le mentionnent pas] m'amène à parler un petit peu /
(parler un petit peu) peut-être brièvement mais tout de même / dans ce
geme de référendum / ...

Le segment antéposé (ré)introduit un référent (<< Festen ») constituant le topi-


que de l'intervention de J. Garein, qui ouvre un bref échange subordonné (il
arrive... voilà). Une fois cet échange achevé, « Festen » est le topique constant
des trois actes qui suivent, où il est marqué par des expressions référentielles :
Festen, il, le. Ce référent constitue toujours un point d'ancrage pour l'acte qui
suit, où il est repris par le pronom le, mais il entre en concurrence avec le réfé-
rent marqué par le sujet ils, qui renvoie au public (<< les gens »), et qui semble
dans ce cotexte constituer un topique plus immédiat 17. Le démonstratif ça, en-
chaînant globalement sur l'information qui vient d'être activée, marque ensuite
une transition plus importante: il n'est plus directement question de « Festen »
en particulier, mais de la problématique du référendum en général.

Dans ces trois exemples, l'élément antéposé active ainsi un référent qui consti-
tue le topique du (ou des) premier( s) acte(s) de l'intervention qui suit, et dans
ce sens, on peut dire qu'il fonctionne comme un «point de départ ». Plus ou
moins rapidement, ce point d'ancrage passe toutefois à l'arrière-fond, supplan-
té par des référents rendus plus saillants par des enchaînements linéaires sou-
vent marqués par des expressions référentielles.

17. Cette interprétation pourrait être discutée. Les deux formes pronominales suggèrent une
même accessibilité des référents, qui sont tous deux présentés dans la continuité de ce qui
précède. Le premier référent (<< les gens »), qui remplit la fonction de sujet, paraît toutefois
mieux justifier l'articulation des deux actes: les gens ont dix jours pour le voir et ils ne le
mentionnent pas. On pourrait la paraphraser en termes d'à propos: « à propos des gens (qui
ont dix jours pour voir Festen), ils ne le mentionnent pas ». La paraphrase impliquant un to-
pique constant me semble moins convaincante: « à propos de Festen (que les gens ont dix
jours pour voir), ils ne le mentionnent pas ».

262
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

5.2.2.3 Variations à gauche: vers une typologie des relations dérivées


de « topique de »
Les relations de topicalisation et de cadre caractérisent également des seg-
ments antéposés plus complexes que les syntagmes des segmentées à gauche.
Les étudier conduit, dans un premier temps, à affiner et à étendre la description
des relations dérivées de « topique de » qui, contrairement aux relations argu-
mentatives et reformulatives (Roulet et al. 1985, Rossari 1993, 1999), n'ont
guère été étudiées jusqu'à présent dans le modèle genevois. Je commencerai
donc par esquisser une brève typologie de ces relations, avant d'étudier leur
rôle dans le marquage du topique 18 .

5.2.2.3.1 La relation de topicalisation


La relation de topicalisation se caractérise par l'activation d'une information
dont le tout ou la partie fonctionne comme le topique de l'acte suivant. Elle peut
être explicitée par des marques lexicales, telles que à propos, quant à, en ce qui
concerne, etc., mais elle est le plus souvent non marquée 19 . Le segment initial
peut être formé par un syntagme nominal (ou plus rarement verbal), comme c'est
le cas dans la segmentée à gauche qui constitue l'exemple le plus emblématique
de la relation de topicalisation. Cependant, ce segment peut aussi être constitué
par un acte pleinement propositionnel, comme dans l'exemple suivant:

(5.12) (= 2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'il l'a été. Il (Radioscopie)

La question du journaliste s'articule en deux parties. Dans la première, le jour-


naliste active une information propositionnelle, dont une partie (<< heureux »)
fonctionne comme topique, marqué par une reprise anaphorique (l '), pour la
question qui suit. La structure hiérarchique et relationnelle de cet exemple est
la suivante :

1. As le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir ...


1 LoPicalisation
Ap vous pensez qu'il l'a été

Figure 5.8. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.12

18. Pour une première description de ces relations de discours, cf. Grobet (1999a). La liste des
relations traitées n'est naturelIement pas exhaustive; elIe concerne uniquement les relations
qui paraissent les plus pertinentes dans l'identification du topique. D'autres modèles, com-
me la SDRT et la Rhetorical Structure Theory proposent des typologies plus détailIées.
19. D'une manière générale, les relations interactives peuvent être marquées par des connec-
teurs ou être inférables, comme le montre Roulet (1998).

263
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Une telle articulation de la question en deux parties est assez fréquente dans les
interviews et les débats médiatiques ; elle peut aussi impliquer des constituants
plus complexes, comme dans 5.13 :

(5.13)
[contexte: annonce d'une séquence sur les invités]
ME: il yale piège 1 et là Claude Torracinta Dieu sait qu'on se heurte des fois à
des gens dont on sait. qu'ils ont une langue de bois épaisse 1et des fois ils
sont pourtant incontournables 1qu'est-ce qu'on peut faire dans ces cas-là \\
CT: je dirais qu'il faut essayer de. de les contourner 1 si vraiment on ne réussit
pas il faut essayer qu'ils soient bons Il (Forum)

Cet exemple s'inscrit au début d'une séquence de discussion autour de la ques-


tion du cercle des invités. La question de Michel Eymann s'articule en deux
temps; la première partie décrit en plusieurs étapes le problème que pose le
choix des invités. Selon mon interprétation, il yale piège forme un acte princi-
pal, précisé par une intervention d'argument, à savoir on se heurte des fois à
des gens dont on sait. qu'ils ont une langue de bois épaisse / et des fois ils sont
pourtant incontournables2o . Les deux actes qui forment cette intervention sont
liés par une relation de contre-argument, marquée par pourtant. Dans un
deuxième temps, l'ensemble de ces informations est ressaisi de manière globa-
le par dans ces cas-là et constitue le topique de la question qu'est-ce qu'on
peut faire; cette articulation se caractérise par une relation de topicalisation,
comme cela apparaît sur le schéma suivant:

Ap il yale piège

[ Is et là [ ... ] on se heurte ...


Is contre-argument

CO" argument Ap et des fois ils sont. ..

Ap qu'est-ce qu'on peut faire dans ces cas-là

Figure 5.9. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.13

Lorsqu'elle s'inscrit dans une intervention réactive, la relation de topicalisa-


tion caractérise fréquemment une reprise diaphonique de la parole de l'autre 21 .

20. La fonction d'argument de cette intervention peut être vérifiée par la possibilité d'insérer un
connecteur comme en effet.
21. Pour la notion de reprise diaphonique, voir les références citées dans le troisième chapitre
en 3.4.3.

264
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Cette reprise s'inscrit souvent, comme je l'ai relevé dans le chapitre précédent,
dans une segmentée à gauche. Elle peut également impliquer des séquences
plus complexes, comme dans la réponse à une question binaire illustrée par
l'exemple 5.8, et lors de malentendus, tel que celui qui est illustré par 5.14 :

(5.14)
[contexte: B appelle C pour obtenir les motifs du refus d'une demande
d'allocation pour sa mère, C se renseigne alors sur la trajectoire du dossier
de la mère de B]
C38: euh c'est passé en COTOREP son dossier
B39: euh en COTOREP je sais pas
C40: oui ben c'est ça c'est la COTOREP qui décide de ça
B41: ah c'est la COTOREP gui décide de ça la COTOREP c'est quoi c'est le le
C42: c'est la commission d'orientation des adultes handicapés et de reclasse-
ment des hand des adultes handicapés
B43: ah oui alors euh bon parce que je connais bien les les commissions j'en
fais partie moi-même
C44: de la COTOREP
B45: et non non non mais je connais bien les commissions comment ça se passe
alors c'est pour ça que je voulais vous savoir comment.
C46: mais. enfin vous êtes qui madame s'il vous plaît (Allocations)

Cet exemple est formé par un échange dont la structure globale est linéaire. Il
contient un grand nombre de structures syntaxiques marquées qui se combi-
nent avec des reprises de la parole de l'interlocuteur: C, membre de la com-
mission attribuant l'allocation compensatrice que réclame B, pose une
question (38 : c'est passé en COTOREP) qui s'ancre explicitement, par une
segmentée à droite, sur le topique formé par« son dossier ». En 39, B répond
en reprenant une partie de la question (en COTOREP), avant de dire qu'elle ne
sait pas : les deux segments sont liés par une relation de topicalisation. Après
c'est ça qui constitue soit un faux départ, soit un acte anticipant la suite de son
intervention, C précise en 40, en utilisant une clivée, que l'instance décidant
l'attribution des allocations est la COTOREP: cet acte peut être interprété
comme une reformulation. En 41, après une interjection (ah) qui témoigne de
sa perplexité, B répète la clivée (on peut considérer cet acte comme une repri-
se-écho), avant d'enchaîner avec une segmentée à gauche: la COTOREP c'est
quoi: ces deux segments font intervenir chacun une relation de topicalisation.
r.; ensemble de cette intervention ne répond pas directement à C, mais réalise
une demande de clarification à propos de la COTOREP : pour en rendre comp-
te, il faut considérer que cette intervention ouvre un échange subordonné. C ré-
pond en 42 à cette demande de clarification (c'est la commission d'orientation
des adultes handicapés et de reclassement des hand des adultes handicapés).
B, ayant obtenu l'information qu'elle souhaitait, revient à un niveau principal
en 43, ce dont témoigne la présence de plusieurs marqueurs de structuration de

265
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

la conversation (ah oui alors euh bon ... ). Cette transition entraîne un nouveau
prolongement de l'échange jusqu'à la transition abrupte initiée par C : mais en-
fin vous êtes qui madame s 'il vous plaît, qui ouvre un nouvel échange. Sans en-
trer dans les détails de la fin, qui ne concerne plus la relation de topicalisation,
l'ensemble donne la structure hiérarchique suivante :

1 c'est passé en COTOREP son dossier

As euh en COTOREP
1 topicalisation
[
Ap je sais pas

As c'est ça
E
1 Ap c'est la COTOREP qui décide ça
[
Ip As ah c'est la COTOREP qui ...

As la COTOREP
Es Ip Iropicalisation
clarification L Ap c'est quoi

1 c'est la commission d'orientation ...

1 ah oui alors euh bon parce que je connais ...

etc.

Figure 5.10. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.14

Cette structure fait apparaître la particularité de l'intervention de B en 41, qui


ouvre un échange subordonné de clarification en combinant deux relations de
topicalisation s'appliquant à des constituants enchâssés.

5.2.2.3.2 La relation de cadre


La relation de cadre se distingue de la relation de topicalisation, car elle fait in-
tervenir un constituant antéposé introduisant le « cadre» ou la « toile de fond»
de l'information ultérieure. Outre les éléments lexicaux antéposés qui, dans la
segmentée à gauche, peuvent être interprétés comme étant liés au prédicat par
une relation de cadre, comme dans 5.15 :

266
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

(5.15) (= 4.108) Mais tu sais, l'métro, avec la carte orange, tu vas n'importe où.

deux types de constituants paraissent faire intervenir cette relation.

Premièrement, il Y a certains syntagmes spatio-temporels, qui s'accompagnent


souvent de marques linguistiques caractéristiques telles que « au niveau de,
point de vue, en ce qui concerne, sur le plan de, question, etc. » (Danon-Boi-
leau et al. 1991 : 121). À cette liste il convient d'ajouter la préposition dans,
qui intervient très souvent dans ce type de relation. Par exemple :

(5.l6)
BP: Maigret Il
GS: alors. dans les Maigret 1j . on m'a demandé des romans policiers 1j'ai fait
des romans policiers 1et . j'ai mis un un personnage. Maigret \ et au début 1
c'était une silhouette 1 un gros homme 1 avec une pipe 1 et un chapeau
melon 1 et d'ailleurs il avait encore. un col. euh: de velours à son pardes-
sus 1 comme on les portait d'ailleurs à ce moment-là 1 (Apostrophes)

La brève intervention de B. Pivot rappelle à G. Simenon qu'il est censé répon-


dre à une question sur ses rapports avec l'inspecteur Maigret. G. Simenon en-
chaîne en reprenant le nom de Maigret, mais cette fois pour désigner l'ensemble
des livres impliquant ce personnage (dans les Maigret). Ce constituant initial
fournit la toile de fond à l'intervention ultérieure, qui développe la genèse de
ces ouvrages, débutant par un argument: cette relation d'argument peut se vé-
rifier par la possibilité de l'insertion d'un connecteur tel que comme, ou parce
que. La structure du passage peut être esquissée de la manière suivante 22 :

Maigret

As dans les Maigret


cadre
[
Ip 1: As on m'a demandé ...
Lrgument
Ip j'ai fait des romans policiers ...

Figure 5. 11. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5. 16

22. L'élément introduit par dans est marqué, au niveau prosodique, par un contour intonatif dis-
tinct. Il peut alors être considéré comme un semi-acte au sens de Rubattel (1987). La dis-
tinction entre ces éléments spatio-temporels activés par une unité distincte et ceux qui sont
au contraire intégrés dans une unité plus large peut cependant s'avérer problématique en
l'absence d'un marquage prosodique univoque.

267
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Souvent, plusieurs cadres sont successivement introduits par dans. C'est le cas
par exemple dans 15.17 :

(5.17)
(= 4.121)
Je :non mais je l'répète / dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il
MM: Ah oui oui oui /
Je :il y a des récifs / il Y a des: il y a des aveux
MM: oui
Je :quand même
MM: oui
Je :qui sont. mieux qu'troublants \ . tandis que chez lui non \ .. enfin on les on
n'les voit pas dans les. dans les Mémoires \
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / .. ça je. je n'pense pas .1
Je: Je vous remercie euh Michelle Maurois / (Radioscopie)

Pour analyser cet exemple, je fais abstraction des nombreux oui émis par Mi-
chelle Maurois, qui, parce qu'ils se superposent à l'intervention de Jacques
Chancel, peuvent être considérés comme des régulateurs (cf. chapitre 1, 1.3.1).
L'ensemble peut alors être considéré comme un échange, portant sur une éven-
tuelle faute inavouée d'André Maurois, formé de trois interventions, à savoir
celle de J. Chancel, qui va jusqu'à Mémoires, la réponse de M. Maurois et les
remerciements de J. Chancel. L'intervention initiative est assez complexe et
c'est à elle que je m' intéresse23 .

Cette intervention débute par une annonce métadiscursive (je l'répète), suivie
par une brève énumération marquée prosodiquement par la répétition de con-
tours intonatifs identiques: dans la vie de Gide et dans la vie d'Mauriac cons-
tituent deux cadres juxtaposés qui, par leur insertion dans cette structure
énumérative, sont simplement coordonnés. Il en va de même pour il y a des ré-
cifs et il y a des,' il Y a des aveux quand même qui sont. mieux qu 'troublants,
qui sont également coordonnés. Toute cette structure est ensuite coordonnée
avec tandis que chez lui non ... : cette mise en relation produit un effet de con-
traste qui rend manifeste le caractère peu probable de l'absence de faute dans
la vie d'André Maurois. Cette structure peut être représentée de la manière sui-
vante:

23. Pour ne pas trop alourdir l'analyse, je n'analyse pas l'ensemble de l'échange qui débute un
peu plus tôt. I.:intervention que j'appelle ici «initiative» est en fait déjà une relance (com-
me en témoigne la présence de je l'répète); ce fait n'a toutefois pas d'influence sur la rela-
tion de cadre qui m'intéresse.

268
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

mais je l'répète ...


preparatIOn
1 [ A dans la vie de Gide

[ aJ:e A dans la vie d'Mauriac


1 Ip

L Ip [
Ail Y a des récifs
A
il Y a des aveux

1 tandis que chez lui non ...

Figure 5.12. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.17

La coordination des éléments caractérisés par une relation de cadre, renforcée


par celle des éléments s'inscrivant dans le cadre ainsi posé, produit un effet de
« liste », qui renforce le contraste avec la brève assertion finale (tandis que
chez lui non).

Le deuxième type de constituant souvent caractérisé par une relation de cadre


est formé par les propositions subordonnées circonstancielles, qui fournissent
fréquemment un arrière-plan spatio-temporel dans les récits. Par exemple:

(5.18)
BP: et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D. . à New York / eh bien vous l'obligez / parce que
vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
GS: ouais /
BP: vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à l'donner à quelqu'un /
GS: non / à l 'donner à Saskia \\ (Apostrophes)

Après une préparation (vous racontez une autre scène. invraisemblable), la


proposition circonstancielle lorsque vous rencontrez D. . à New York fonction-
ne comme une «proposition libre» au sens de Labov (1978), c'est-à-dire
qu'elle échappe à une chronologie stricte24 : pointant un moment dans le

24. « Avant toute chose, il est nécessaire dans un récit de préciser plus ou moins le moment, le
lieu, les personnes concernées, leur activité ou leur situation. On peut le faire à la faveur des
premières propositions narratives, mais, d'ordinaire, on réserve à cette fin une partie spécia-
le, composée de propositions libres. » (Labov 1978 : 300)

269
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

temps, elle permet au locuteur d'installer le cadre spatio-temporel du bref récit


qui suit.

Dans ce type de réalisation, la relation de cadre paraît proche de la « relation


d'arrière-plan» (Lascarides & Asher 1993 : 440, Moeschler 1996 : 307ss.) dé-
finie comme impliquant un état constituant la toile de fond ou les circonstances
dans lesquelles un événement se produit. Il convient toutefois de préciser
qu'un événement peut, aussi bien qu'un état, remplir la fonction de cadre.
C'est le cas dans l'exemple qui suit:

(5.19)
DC: moi je constate simplement 1 on a parlé des des des mouvements néo-nazis
par exemple 1 que c'est vrai 1 à la fois les médias. et le monde politique 1.
mettent parfois. euh ces milieux trop en avant 1 et quand on a eu ce con-
cert à Chézard dans le canton de Neuchâtel 1 le Grand Conseil n'arrêtait
pas de parler de ça 1 c'était repris par les médias sans arrêt 1et on a fait une
publicité. à ces milieux 1 qui était aussi disproportionnée 1 . alors en parler
c'est bien 1 faire une publicité 1 c'est c'est pas le but \\ (Forum)

Par quand on a eu ce concert à Chézard dans le canton de Neuchâtel, le locu-


teur se réfère à un événement constituant l'arrière-plan de la série des événe-
ments qui suivent. Ce cadre peut être représenté par la structure suivante25 :

As quand on a eu ce concert ...


cadre
1 A le Grand Conseil n'arrêtait pas ...
[
Ip [ A c'était repris par les médias .. .

L Ip et on a fait une publicité à ce smilieux .. .

Figure 5.13. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.19

Grâce au rôle important des circonstancielles dans la narration, les actes propo-
sitionnels sont plus fréquents en relation de cadre qu'en relation de topicalisa-
tion.

25. Cette structure n'est pas la seule possible. On pourrait également faire l'hypothèse que la
relation de cadre ne concerne pas l'ensemble du récit, mais uniquement les deux actes coor-
donnés: le Grand Conseil n'arrêtait pas de parler de ça, et c'était repris par les médias
sans arrêt.

270
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

5.2.2.3.3 La relation de préparation


Le parcours de ces quelques exemples a laissé entrevoir l'existence d'un autre
type de constituant antéposé qui se caractérise par une relation qui n'est ni de
topicalisation, ni de cadre, mais plutôt d' « annonce» ou de « préparation ».
Ces annonces se présentent avant les actes porteurs d'une relation de cadre,
comme dans 5.17 :

(5.l7)
Je: non mais je l'répète / dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il
MM: Ah oui oui oui /
Je :il y a des récifs / il Y a des: il y a des aveux
MM: oui
Je: quand même
MM: oui
Je: qui sont. mieux qu'troublants \ . tandis que chez lui non \ .. enfin on les on
n'les voit pas dans les. dans les Mémoires \
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / .. ça je . je n'pense pas ./
Je: Je vous remercie euh Michelle Maurois /

dont la structure hiérarchique a été analysée sous le point précédent, ou


dans 5.18 :

(5.l8)
BP: et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D.. à New York / eh bien vous l'obligez / parce que
vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
GS: ouais /
BP: vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à 1'donner à quelqu'un /
GS: non / à 1'donner à Saskia \\

Dans 5.17, le constituant initial (non mais je l'répète) est formé par une annon-
ce métadiscursive du discours qui suit (dans la vie de Gide, etc.). Dans 5.18, la
proposition vous racontez une autre scène. invraisemblable fait référence aux
Mémoires de G. Simenon, dont il est question durant tout l'entretien; cette
proposition remplit elle aussi une fonction d'annonce, car elle souligne l'inté-
rêt du récit qui suit en relevant son côté extraordinaire 26 . Ces exemples ont
donc en commun de faire intervenir un constituant antéposé qui n'introduit pas
en lui-même de référent précis: pour cette raison, il semble difficile de parler
de relation de topicalisation ou de relation de cadre. En revanche, ce constituant

26. Voir à ce propos la contrainte de « racontabilité » proposée par Labov (1978), et discutée
par Vincent (1996).

271
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

annonce le discours ultérieur et peut être décrit comme cataphorique ; la rela-


tion entre un tel constituant et le segment qu'il introduit peut donc être appelée
« relation de préparation »27.

Les réalisations linguistiques de la relation de préparation sont diverses 28 .


Comme je viens de le relever, la relation de préparation implique souvent un
«marqueur métadiscursif» à fonction d'annonce (Roulet et al. 1985: 86-93),
du type de celui que l'on trouve dans l'exemple 5.20, extrait de 4.125 :

(5.20)
PM: ben moi ce qui m'avait beaucoup euh frappé 1 c'était la force de la mise en
scène 1 et puis la complicité. manifeste 1 que vous aviez réussi à créer 1 ou
qui s'était créée entre les deux 1 alors j'ai une question aussi 1 que je vous
pose 1 est-ce que cette complicité était. d'abord vraie. et facile. à à mana-
ger comme on dit 1 et puis la deuxième chose qui m'avait beaucoup plu 1
c'est que c'est une générosité 1 parce que la générosité n'est pas toujours
une valeur qui est bien perçue 1

La relation de préparation peut également reposer sur une annonce « vague»


comme autre chose encore 29 . De plus, cette relation est souvent liée à la pré-
sence de marqueurs de structuration de la conversation comme alors dans
l'exemple 5.20, ou bon, ben (Roulet et al. 1985: 93-111). Enfin, l'annonce de
l'exemple 5.20 est formée par une structure syntaxique présentative existen-
tielle, qui a pour fonction de rendre disponible un référent pour une prédication
ultérieure (Lambrecht 1999c).

La relation de préparation se réalise fréquemment à travers un constituant anté-


posé qui se trouve en début d'intervention, comme dans l'exemple suivant:

(5.21) (= 4.83)
CF: Claude Torracinta vous l'homme de médias 1 l'ancien à cette table 1
comme vous l'avez dit 1 est-ce que vous avez le sentiment. que tout. peut
être traité dans un débat 1 ou il y a des sujets qui. ne peuvent absolument
pas être abordés Il qui donnent lieu à peut-être à un échec 1 qu'on pouvait
prévoir presque dès le départ Il
CT: je dirai deux choses 1 tout devrait pouvoir être abordé 1 c'est-à-dire qu'il ne
devrait pas y avoir de limites 1 c'est-à-dire qu'il ne devrait pas y avoir de

27. Roulet, dans Roulet, Filliettaz & Grobet (2001), utilise le terme de « préalable », qui peut
être considéré comme équivalent à celui de préparation.
28. Je n'aborde pas ici la question des échanges de préparation, dont la structure est plus variée
encore (Wetzel-Kranz 1999 et à paraître).
29. Pour le mot chose, voir Kleiber (l998a) et Berthoud (1996: 97ss.).

272
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

sujets qui sont censurés / . ce qui est différent / c'est qu'il y a des sujets qui
peuvent être plus difficiles à traiter [ ... ]
CF : Anne-Catherine Lyon //
ACL: peut-être pour enchaîner / plutôt que les sujets qui devraient être tabous /
c'est certaines personnes qui devraient être. taboues / ou plus exactement.
plus le sujet est difficile / plus les personnes devraient être de qualité \\
(Forum)

Dans 5.21, la même question est posée successivement à deux intervenants.


Tous deux font débuter leur intervention avec une relation de préparation.
Dans les deux cas, la préparation annonce l'organisation conceptuelle de la
suite, d'un côté en prévoyant une structure binaire (deux choses), de l'autre en
anticipant sur l'enchaînement à venir (peut-être pour enchaîner). Sans les dé-
tails de l'intervention suivant la relation de préparation, la structure des deux
passages est identique :

1 Claude Torracinta vous l'ancien ...

1: As je dirai deux choses


E Ip tout devrait pouvoir être abordé ...

1 Anne-Catherine Lyon

[" As peut-être pour enchaîner ...


1
Ip plutôt que les sujets qui devraient. ..

Figure 5. 14. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.21

Cette brève typologie a permis de décrire trois relations dérivées de la relation


générale « topique de » : les relations de topicalisation, de cadre et de prépara-
tion. Il reste à rappeler que la distinction entre ces relations n'est pas toujours
claire: l'exemple 5.6. peut être interprété comme faisant intervenir une rela-
tion de cadre ou de topicalisation, comme je l'ai relevé dans le quatrième cha-
pitre. L'existence de tels exemples n'enlève toutefois pas l'intérêt de la
distinction de ces relations, qui correspondent à différentes interprétations pos-
sibles.

273
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

5.2.2.4 Le rôle des relations de topicalisation, de cadre


et de préparation dans l'identification du topique
Il est maintenant possible d'évaluer le rôle des relations de topicalisation, de
cadre et de préparation dans l'identification du topique. En prenant appui sur
l'analyse de la segmentée à gauche effectuée en 5.2.2.2, on peut faire l'hypo-
thèse que ces trois relations guident le repérage du topique d'une manière simi-
laire : toutes font intervenir un propos activé par un acte, sur lequel s'ancre
l'acte qui suit, cet ancrage linéaire étant éventuellement précisé par des expres-
sions référentielles anaphoriques 3o . Cette description, très générale, demande à
être précisée par l'analyse d'exemples dans lesquels la relation de discours
n'est pas doublée de marques linguistiques lexicales ou syntaxiques
(5.2.2.4.1), d'exemples impliquant à la fois une relation et une expression réfé-
rentielle anaphorique (5.2.2.4.2), et enfin d'exemples où la structure hiérarchi-
que intervient aussi dans le repérage du topique (5.2.2.4.3).

5.2.2.4.1 La relation de discours guide seule l'identification du topique


Dans le cas le plus simple, le constituant initial caractérisé par une relation de
discours active une information qui constitue le topique de l'acte ultérieur,
sans que ce topique y soit explicité par une expression référentielle anaphori-
que ou déictique. Cette situation se retrouve, à des fréquences diverses, pour
les trois relations dérivées de la catégorie «topique de ». C'est le cas par
exemple pour une relation de topicalisation de l'exemple 5.14 ; je la reproduis
en explicitant le topique entre parenthèses en 5.22 :

(5.22)
B39: euh en COTOREP
(en COTOREP) je sais pas

30. Je ne traiterai pas la question du rôle des relations de discours argumentatives (marquées
par mais ou parce que) dans l'identification du topique, qui est particulièrement complexe.
En effet, dans certains cas, comme dans: « Puisqu'il pleut, nous ne sortirons pas» (Bally
1965 [1932] : 56), il semble légitime de supposer que la relation d'argument qui lie le pre-
mier constituant au second conduit aussi à identifier le topique du second constituant le «(
fait qu'il pleuve »). En revanche, dans d'autres cas, il est plus difficile d'associer le marqua-
ge argumentatif au repérage du topique. C'est le cas dans un exemple tel que: « Mon collè-
gue a la grippe / mais je ne l'ai pas attrapée» (Grobet 1999a), où le topique du second acte
paraît être constitué par « la grippe », marquée par le pronom l', ou par « le locuteur »,
auquel renvoie le pronom de la première personne, plutôt que par la conclusion implicite
appelée par le connecteur mais, du type de « si mon collègue a la grippe, alors il est possible
que je l'attrape ». Ainsi, le rôle de ces relations dans l'identification du topique dépend de la
nature de la relation argumentative impliquée. Pour des études consacrées à la mise en rela-
tion de quelques connecteurs avec l'organisation topicale, voir néanmoins Auchlin (1986)
pour la discussion de mais, de Fornel (1988) et Berthoud (1996) à propos de parce que, ain-
si que Charnock (1989) pour plusieurs connecteurs, dont puisque et en effet.

274
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

La relation de topicalisation caractérisant les informations activées par en


COTOREP et je ne sais pas conduit à interpréter la « COTOREP » comme le
topique de la suite (<< c'est à propos de la COTOREP que la locutrice dit qu'el-
le ne sait pas »). Le locuteur, auquel renvoie le pronom je, doit quant à lui plu-
tôt être interprété comme un point d'ancrage d'arrière-fond 31 .

Si ce type d'exemple n'est pas majoritaire pour la relation de topicalisation, il


est beaucoup plus fréquent pour les constituants liés par une relation de cadre,
comme dans 5.16 dont je reprends un extrait en 5.23 :

(5.23)
GS: alors. dans les Maigret /
(dans les Maigret) j . on m'a demandé des romans policiers /

La relation de cadre, liée à la réintroduction de « dans les Maigret », confère à


ce référent une saillance qui conduit à l'interpréter comme le topique de l'acte
suivant; comme c'était le cas pour le pronomje dans l'exemple précédent, le
pronom on renvoie à un point d'ancrage d'arrière-fond.

Enfin, l'absence de marquage linguistique du topique est généralisée dans les


constituants caractérisés par une relation de préparation: comme je l'ai relevé
dans le quatrième chapitre à propos de l'exemple 4.13, la relation de prépara-
tion introduit souvent un acte caractérisé par une articulation « sentence-fo-
cus ». On trouve également un ancrage implicite dans l'exemple 5.17, dont je
reproduis une intervention en 5.24 :

(5.24)
Je: non mais je l'répète /
(je l'répète) dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il il Y a des récifs
/ il Y a des: il y a des aveux quand même qui sont. mieux qu'troublants \ .

Dans cet exemple, il n'est pas évident que seule la relation de discours inter-
vienne dans l'identification du topique de dans la vie de Gide ... On pourrait en
effet être tenté d'interpréter le pronom l' comme un pronom cataphorique, voi-
re ana-cataphorique (Kesik 1991, Henri 1991), dans la mesure où il semble à la
fois renvoyer à une information déjà introduite et annoncer ce qui suit de ma-
nière cataphorique. Cependant, l'interprétation cataphorique ne résiste pas aux
deux tests proposés par Kleiber (1992c : 92) pour le traitement d'un exemple

31. L'interprétation serait différente si à la question c'est passé en COTOREP son dossier, la ré-
ponse de B était moi, je ne sais pas. Dans un tel cas, la présence de la segmentée à gauche
conduirait à interpréter le « locuteur » comme le topique de la réponse.

275
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

qui me paraît similaire 32 . Premièrement, la négation de la phrase-hôte du


pronom ne modifie pas fondamentalement son interprétation, si l'on tient
compte du fait que J. Chancel a déjà évoqué les aveux de Gide et de Mauriac:
(5.25) il Y a des aveux chez Gide et chez Mauriac
je n'ai pas besoin de le répéter

Deuxièmement, l'information à laquelle renvoie le pronom peut être exprimée


à travers une expression nominale dont le genre féminin révèle indirectement
le caractère anaphorique du pronom:
(5.26) la culpabilité de Gide et de Mauriac, je ne vais pas la répéter

Il ressort de ces deux manipulations que l'interprétation du pronom l' dépend


avant tout du cotexte antérieur: ce pronom marque un renvoi à un référent pré-
senté comme déjà actif. La difficulté de son interprétation peut s'expliquer par
la présence du prédicat je répète, qui présente les paroles qui suivent comme
identiques (une répétition) au référent du pronom. Ainsi, si l'on identifie le ré-
férent activé par non mais je l 'répète comme le topique du constituant suivant
(dans la vie de Gide), le pronom l' n'est pour rien dans cette interprétation, qui
résulte avant tout de la force cataphorique associée au verbe: je répète et de la
relation de préparation qui s'ensuit.

Un extrait de l'exemple 5.20 illustre également ce type d'ancrage:


(5.27)
PM: alors j'ai une question aussi / que je vous pose /
(une question que je vous pose) est-ce que cette complicité était. d'abord
vraie . et facile . à à manager comme on dit /

Vintroduction explicite de la question par une structure syntaxique présentative


active un référent (<< une question aussi que je vous pose ») que j'identifie
comme étant le topique de la question, au détriment du référent du syntagme
nominal démonstratif cette complicité, qui est relégué plus à l'arrière-fond.
Pour étayer cette interprétation, il est possible de comparer cet exemple avec
une autre version remaniée, dans laquelle la question n'est pas explicitement
préparée:
(5.28)
euh moi ce qui m'avait beaucoup euh frappé c'était la force de la mise en
scène / et puis la complicité manifeste que vous aviez réussi à créer ou qui
s'était créée entre les deux / alors est-ce que cette complicité était. d'abord
vraie et facile . à manager comme on dit /

32. L'exemple est emprunté par Kleiber à Kesik (1991) et Henri (1991) : « ... vous voulez sa-
voir pourquoi vous êtes condamné? Je vais vous le dire. C'est bien vous qui avez traité ... »
(Kleiber 1992c : 92).

276
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Sans la préparation, le topique de la question le plus accessible est le référent


du syntagme nominal cette complicité, qui est d'ailleurs évoqué juste avant. En
revanche, dans l'exemple original, l'évocation explicite de la « question» attire
l'attention de l'interlocuteur sur l'acte illocutoire, tout en assurant ensuite la
re-saisie du référent formé par la « complicité» par l'emploi d'un syntagme
nominal démonstratif.

Après avoir considéré une série d'exemples dans lesquels la relation de dis-
cours guide le repérage du topique de manière intuitivement satisfaisante, il
n'est pas inutile de souligner qu'il existe - comme c'était le cas pour la seg-
mentée à gauche - une configuration particulière lorsque le constituant intro-
duit par une relation de discours se caractérise par une structure syntaxique
marquée. Par exemple :

(5.21)
CF: Claude Torracinta vous l'homme de médias 1 l'ancien à cette table 1
comme vous l'avez dit 1 est-ce que vous avez le sentiment. que tout. peut
être traité dans un débat 1 ou il y a des sujets qui. ne peuvent absolument
pas être abordés Il qui donnent lieu à peut-être à un échec 1 qu'on pouvait
prévoir presque dès le départ Il
CT: je dirai deux choses 1 tout devrait pouvoir être abordé 1c'est-à-dire qu'il ne
devrait pas y avoir de limites 1 c'est-à-dire qu'il ne devrait pas y avoir de
sujets qui sont censurés 1. ce qui est différent 1 c'est qu'il y a des sujets qui
peuvent être plus difficiles à traiter [ ... ]
CF: Anne-Catherine Lyon Il
ACL: peut-être pour enchaîner 1 plutôt gue les sujets gui devraient être tabous 1
c'est certaines personnes qui devraient être. taboues 1 ou plus exactement.
plus le sujet est difficile 1plus les personnes devraient être de qualité \\

la relation de préparation qui caractérise le lien entre peut-être pour enchaîner


et plutôt que les sujets qui devraient être tabous conduit à identifier, dans un
premier temps, le topique du deuxième constituant comme étant formé par
l'information activée par le premier. La structure syntaxique clivée de plutôt
que les sujets qui devraient être tabous amène cependant à réviser cette inter-
prétation, car elle présente la proposition marquée par qui devraient être ta-
bous comme un topique plus immédiatement pertinent. Le fait que cette
proposition a déjà été rendue active par la question de l'animateur et par la ré-
ponse de l'intervenant précédent, sur laquelle A.-C. Lyon enchaîne explicite-
ment, tend à confirmer cette interprétation. On observe ainsi l'emboîtement de
deux points d'ancrage; une telle combinaison n'est guère surprenante, si l'on
considère que la préparation d'A.-C. Lyon (peut-être pour enchaîner) permet
précisément d'expliciter cette reprise du topique de l'intervenant précédent.

277
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

L'analyse de ces quelques exemples montre que les trois relations de discours
étudiées ici peuvent, sans l'apport d'expressions référentielles anaphoriques,
suffire à guider l'identification du topique. Cette situation semble plutôt rare
pour la relation de topicalisation, assez fréquente pour la relation de cadre et
plus encore pour la relation de préparation, qui, par son caractère cataphorique,
n'a pas besoin d'un marquage supplémentaire. Enfin, j'ai relevé que la présen-
ce d'une structure syntaxique clivée marque un topique plus immédiat que ce-
lui qui est associé à la relation de discours.

5.2.2.4.2 La relation de discours et une marque lexicale


guident l'identification du topique

Dans d'autres cas de figure, le repérage du topique s'effectue à partir d'une re-
lation de discours et d'une expression référentielle qui renvoie au topique. Ce
double marquage est particulièrement fréquent avec la relation de topicalisa-
tion. Par exemple, pour 5.29, extrait de 5.13 :

(5.29)
ME: oui il yale piège / et là Claude Torracinta Dieu sait qu'on se heurte des
fois à des gens dont on sait. qu'ils ont une langue de bois épaisse / et des
fois ils sont pourtant incontournables / qu'est-ce qu'on peut faire dans ces
cas-là \\

Comme l'a montré l'analyse effectuée ci-dessus, la première partie de l'inter-


vention de M. Eymann est liée à la question qui suit par une relation de topica-
lisation. Le démonstratif ces cas-là renvoie, sous une forme nominalisée, à
l'information introduite par l'ensemble de la première partie de l'intervention
de M. Eymann (oui il yale piège / et là Claude Torracinta Dieu sait qu'on se
heurte des fois à des gens dont on sait. qu'ils ont une langue de bois épaisse /
et des fois ils sont pourtant incontournables /), qui est ainsi clairement mar-
quée comme le topique de la question. Ce double marquage rend le topique
aisément identifiable.

Un même type de pointage se retrouve dans l'exemple suivant extrait de 5.19,


dans lequel s'inscrit une relation de cadre:

(5.30)
DC: et quand on a eu ce concert à Chézard dans le canton de Neuchâtel /
le Grand Conseil n'arrêtait pas de parler de /

Le topique de l'information activée par le Grand Conseil n'arrêtait pas de


parler de ça peut être identifié à partir de l'acte qui le précède, caractérisé par
une relation de cadre, et du pronom démonstratif ça, qui réalise un pointage sur
le référent « concert », qui est ainsi sélectionné comme topique.

278
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Ce bref survol aura ainsi montré que la conjonction d'une relation de discours
et d'une expression référentielle anaphorique peut, en particulier pour les rela-
tions de topicalisation et de cadre, contribuer à l'identification du topique.

5.2.2.4.3 La relation de discours et la structure hiérarchique


sous-jacente guident l'identification du topique
Je me suis jusqu'à présent intéressée aux relations de discours et à leur rôle
dans l'identification du topique sans accorder d'attention particulière à la
structure hiérarchique sous-jacente. Ce choix méthodologique se justifie lors-
que les relations de discours concernent des constituants simples comme des
actes. En revanche, lorsqu'elles portent sur des structures plus complexes
(coordonnées ou subordonnées), ces dernières interviennent dans le repérage
du topique et doivent de ce fait être prises en compte.

Pour le montrer,je reprendrai sous cet angle deux exemples dont l'analyse hié-
rarchique a été effectuée ci-dessus. Le premier implique une structure énumé-
rative qui se traduit, au niveau de la structure hiérarchique, par une relation de
coordination:

mais je l'répète ...


preparatIOn
1 [ A dans la vie de Gide

[ A dans la vie d'Mauriac


1 Ip
Ail Y a des récifs
Ip [ A
il Y a des aveux

1 tandis que chez lui non ...

Figure 5.12. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.17

Les deux actes (dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac) sont coordonnés
dans un constituant qui se caractérise par une relation de cadre. Cette coordina-
tion, qui se double d'un parallélisme syntaxique, conduit à interpréter les deux
référents au même niveau, ce que l'on peut expliciter par la paraphrase « dans
les vies de Gide et de Mauriac ». C'est ce référent qui est interprété comme le
topique de l'intervention suivante, à savoir il y a des récifs / il Y a des: il y a
des aveux ...

279
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

I..:identification du topique est différente, me semble-t-il, lorsque deux élé-


ments caractérisés par une même relation de discours ne sont pas coordonnés,
mais subordonnés. Par exemple :

1 c'est passé en COTOREP son dossier

As euh en COTOREP
1 topicalisation
[
Ap je sais pas

As c'est ça
E
1 Ap c'est la COTOREP qui décide ça
[
Ip As ah c'est la COTOREP qui...

As la COTOREP
Es Ip Iropicalisation
clarification L Ap c'est quoi

1 c'est la commission d'orientation ...

1 ah oui alors euh bon parce que je connais ...

etc.

Figure 5.10. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.14

I..:intervention de B qui ouvre l'échange subordonné de clarification fait inter-


venir deux relations de topicalisation caractérisant des constituants subordon-
nés. Le premier acte reprend en écho la proposition «ah c'est la COTOREP
qui décide de ça »33 qui peut ensuite être interprétée comme le topique (impli-
cite) du propos: la COTOREP. Ce dernier référent, ainsi isolé, constitue le to-
pique de la question qui suit (c'est quoi), où il est marqué par un pronom
démonstratif (c '). La double subordination hiérarchique des constituants por-
teurs de la relation de topicalisation est ainsi liée à un repérage du topique ef-
fectué « en cascade », puisqu'il s'appuie chaque fois sur l'information activée
par l'acte qui précède.

33. On peut par ailleurs noter le caractère peu informatif de ce propos qui n'apporte aucun sup-
plément d'information par rapport aux paroles qui précèdent, si ce n'est, comme semble
l'indiquer le ah, la manifestation de l'incompréhension de la locutrice.

280
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

5.2.3 Bilan
L'étude du rôle de la structure hiérarchique et relationnelle dans l'identifica-
tion du topique sur des actes adjacents arrive ici à son terme. Il a été possible
de faire apparaître que les relations de topicalisation, de cadre et de préparation
peuvent guider l'interprétation du topique, et cela, dans trois types de configu-
rations. Lorsque le topique n'est pas marqué rétrospectivement par une expres-
sion référentielle, les relations de topicalisation, de cadre et de préparation
permettent d'inférer l'existence d'une progression informationnelle linéaire:
le premier acte active une information d'où est issu le topique du second. Dans
un deuxième cas de figure, la relation de discours se double d'une expression
référentielle qui vient rétrospectivement soit confirmer, soit préciser le topique
de l'acte suivant. Enfin, en présence de plusieurs constituants porteurs d'une
même relation, la structure hiérarchique, coordonnée ou subordonnée, permet
d'identifier le topique de manière cumulative ou en cascade. Cette discussion a
aussi fait apparaître que le topique associé à une relation de discours peut être
relégué à l' arrière-fond par un topique marqué par une structure syntaxique
clivée.

5.3 L'identification du topique dans les enchaÎnements


à distance
Souvent, le topique est issu d'un acte immédiatement adjacent, comme je viens
de le montrer. Celui-ci ne constitue toutefois pas nécessairement la source la
plus accessible, comme le relève Goffinan :

En somme, pour autant que le topique offre une base présuppositionnelle à la réfé-
rence anaphorique, le locuteur prenant son tour ne dépend plus obligatoirement de
l'énonciation immédiatement antérieure; celle-ci, en effet, peut fort bien avoir été
moins topique que les précédentes, et il est dès lors possible de minimiser ses pré-
tentions sur la suite sans pour autant y perdre en cohérence. (Goffman 1987 : 220)

Comme le relève cet auteur, le topique peut être issu d'interventions tenues
longtemps auparavant:

D'une façon générale, on pourrait croire que la dépendance possible d'une énon-
ciation actuelle doit être moins prononcée à l'égard d'une énonciation très anté-
rieure dans la conversation qu'à l'égard d'une énonciation immédiatement
antérieure. Pourtant il est vrai que, jusqu'à un certain point, tout ce qui se dit au
début d'une conversation peut être d'une certaine façon présupposé par les énon-
ciations ultérieures. (Goffman 1987 : 222-223)

281
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

De tels enchaînements à distance sont particulièrement fréquents lors de ruptu-


res du flux discursif. Par exemple, dans 5.31 :

(5.31)
JG: bien / tout à fait différent / un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse / c'est N'oublie pas que tu vas mourir / (Le Masque et la
Plume)

le premier acte (bien / tout à fait différent) marque une rupture avec ce qui pré-
cède tout en annonçant une suite. Les facteurs conduisant à cet effet de rupture
sont variés et regroupent des considérations concernant la structure hiérarchi-
que et relationnelle du passage (l'acte initial annonce la suite à laquelle il est
lié par une relation de préparation), le lexique (par les lexèmes bien, différent),
la syntaxe, la prosodie, etc. Au niveau de la structure informationnelle, cette
rupture se traduit par un décrochement: bien tout à fait différent s'ancre non
pas sur un référent précis qui aurait été évoqué juste avant, mais plutôt sur un
ensemble d'informations ressaisies de manière globale. Ce type d'enchaîne-
ment réalise donc à la fois un rejet des points d'ancrage potentiels activés par
le contexte immédiat34 et une «remontée» topicale. Avant d'examiner com-
ment s'effectue l'identification du topique dans ces situations, il convient de
préciser les principaux éléments, perceptibles à la surface du texte, qui produi-
sent de telles ruptures du flux discursif.

5.3.1 Les ruptures du flux discursif


Contrairement à ce que l'exemple 5.31 pourrait laisser croire, les ruptures du
flux discursif ne sont pas uniquement marquées rétrospectivement, mais elles
résultent de l'effet conjoint de différents indices de surface, prospectifs et ré-
trospectifs, de nature prosodique (ou typographique), lexicale et syntaxique.
Le traitement de ces indices relève, dans le modèle genevois, de l'organisation
périodique qui décrit le développement du discours par étapes (voir le deuxiè-
me chapitre en 2.1). Cependant, malgré la place qui leur est accordée dans le
modèle, ces éléments ont été peu étudiés jusqu'à présent, et il n'est pas inutile
de s' y arrêter.

Un bref détour par le système des ponctuants écrits permet d'esquisser diffé-
rents types de ruptures périodiques. D'une manière très générale, on peut dire
que les signes de ponctuation marquent des ruptures dont l'importance varie et
qui peuvent être perçues comme organisées en un continuum (Grobet 1998),
lequel va des césures mineures marquées par les blancs entre les mots, par les

34. Roulet et al. (1985 : 109) utilisent le terme de « cadre de pertinence thématique».

282
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

virgules et par les points-virgules, jusqu'aux interruptions majeures que signa-


lent le point, le paragraphe, le chapitre, etc. Contrairement aux césures mineu-
res qui impliquent la présence d'une suite (la présence d'une virgule indique
que la phrase en cours n'est pas terminée), les interruptions plus importantes
signalent 1'autonomie du constituant qui précède; par exemple, le point entraî-
ne, d'après Ferrari & Auchlin (1995), un processus de totalisation des inféren-
ces. Veffet d'achèvement est encore plus marqué lorsque les signes de
ponctuation se combinent avec d'autres indices typographiques comme des re-
tours à la ligne, des espaces blancs, etc.

On trouve également, dans le discours oral, des ruptures de plus ou moins


grande importance qui participent à la démarcation, dans la chaîne du discours,
de différentes unités qui s'emboîtent les unes dans les autres (Wunderli et al.
1978, Auchlin & Ferrari 1994, Selting 1995, Grobet 1997a) : la plus petite est
constituée par le phonème (ou la syllabe, selon le cadre théorique), et la plus
grande par le « paragraphe intonatif»35. Vune des ruptures intonatives majeu-
res est constituée par la frontière de l'unité que j'appelle « mouvement intona-
tif» (Grobet 1997a)36, en écho au « mouvement périodique », défini comme
« une énonciation qui se présente au moment de son énonciation/perception
comme autonome de par sa ponctuation (point) et son intonation (close)>>
(RouI et 1994 : 197)37. .

Plus précisément, la frontière du mouvement intonatif se caractérise par un in-


tonème conclusif, qui se réalise généralement par une chute aux niveaux gra-
ves ou infra-graves et par une augmentation de la durée supérieure à celle du
contour intonatif (Rossi 1985: 141, Wunderli & al. 1978: 236, Fontaney
1987). Il existe toutefois différentes variantes de cet intonème conclusif, com-
me par exemple la montée intonative à l'aigu caractérisant certaines questions
(Wunderli & al. 1978). La réalisation de l'intonème conclusif peut de plus s'ac-
compagner d'une diminution du débit et de l'intensité. En outre, la frontière ter-
minale réalisée par un mouvement intonatif est presque toujours marquée par

35. Plusieurs auteurs admettent l'existence d'une unité intonative de rang supérieur, qui serait
l'équivalent oral du paragraphe écrit: le « paragraphe intonatif» (Wunderli & al. 1978 :
109), le « paratone» (Brown & Yule 1983, Couper-Kuhlen 1983, Selting 1995), ou la
« pitch sequence» (Coulthard & Brazil 1981). L'existence et la nature de ces unités font
toutefois l'objet de discussions (Grobet & Simon à paraître).
36. Je n'utilise pas le terme d' « énoncé phonologique », utilisé par Nespor et Vogel (1986), qui
me semble véhiculer de trop fortes connotations syntaxiques, et cela d'autant plus qu'à ce
niveau de structuration, la prosodie s'émancipe largement de la syntaxe (Auchlin & Ferrari
1994: 191, Grobet 1997a: 88).
37. J'évite à dessein le terme de mouvement « discursif», qui renvoie à une conception anté-
rieure de la dimension périodique du discours (Roulet 1986, 1987) qui n'est plus directe-
ment compatible avec l'approche actuelle (Grobet 1997a, 2001).

283
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

la présence d'une pause plus ou moins importante et/ou par l'attaque intonative
plus haute du mouvement suivant (Auchlin & Ferrari 1994 : 187).

I..:exemp1e 5.32 illustre plusieurs fins de mouvement intonatifs. Celles qui sont
associées aux questions de C. Moesching (transcrites par deux barres obliques \\)
se caractérisent par une descente mélodique et un allongement de la durée qui
signalent en même temps la fin d'un mouvement intonatif et la fin d'un tour de
parole. La seconde intervention de Claude Torracinta38 contient une rupture in-
tonative qui se caractérise elle aussi par une intonation descendante. Cette in-
terruption produit l'effet d'une réponse en deux temps: le locuteur effectue
d'abord une première partie de la réponse, qu'il présente comme un tout, puis
y apporte un complément dans un second temps:

(5.32)
CM: pour vous euh Claude Torracinta qui avez aussi longtemps mené une émis-
sion de débat à Table Ouverte 1 est-ce que pour vous le débat apparaît
comme comme une forme utile -+ \\
CT: je crois que c'est indispensable [ ... ]
CM: mais est-ce que ça fait forcément avancer les choses -+ \\
CT: je ne dirais pas que ça fait vraiment avancer les choses \ je pense que
d'abord le débat s'inscrit dans une politique d'information plus générale.
hein 1 on vient d'entendre les nouvelles au journal maintenant 1et puis. ya
les reportages 1 yale magazine 1 y a l'enquête 1 y a. l'information à la
radio et à la télévision et dans la presse écrite. est un ensemble 1. le débat
n'en n'est qu'une partie -+ \\je ne dirais pas que ça fait avancer les choses 1
je pense que peut-être en partant de l'expérience. de ces 20 et quelques
années ou même 30 années de télévision que j'ai derrière moi 1c'est que le
débat politique à la télévision et à la radio d'une part a montré je le rap-
pelle qu'il y a débat d'idées 1 deuxièmement a rappelé aux Suisses. que la
politique pouvait être confrontation et affrontement et pas seulement con-
sensus 1et a montré qu'il pouvait vraiment y avoir divergence dans ce pays
totalement consensuel 1j'dirais que ça a plutôt fait avancer cette notion-là 1
plutôt que de faire avancer une connaissance sur un sujet précis 1parce que
c'est c'est. l'information est multiple Il
CF: Michel Eymann 1 (Forum)

I..: effet de démarcation produit par les ruptures intonatives se combine avec des
parallélismes syntaxiques et lexicaux, qui contribuent eux aussi à assurer le dé-
veloppement du discours par étapes comme le montrent Blanche-Benveniste et
al. (1990). Dans l'exemple 5.32, la structuration en deux mouvements intona-
tifs de l'intervention de C. Torracinta est rendue plus manifeste encore par la

38. La première intervention de Claude Torracinta n'est pas traitée pour ne pas allonger
l'exemple.

284
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

répétition de deux segments presque identiques : je ne dirais pas que ça fait


vraiment avancer les choses [ ... ] \\je ne dirais pas que çafait avancer les cho-
ses. Il convient toutefois de souligner qu'il n'existe pas de correspondance uni-
voque entre rupture syntaxique et rupture intonative, puisque toutes les fins de
propositions syntaxiques ne se caractérisent pas - et de loin - par une rupture
intonative majeure.

En outre, comme le montre également cet exemple, les ruptures intonatives


peuvent - mais ne doivent pas nécessairement - correspondre avec la fin d'un
tour de parole. Si l'on observe une telle correspondance dans les deux inter-
ventions de C. Moesching, ce n'est pas le cas dans l'intervention de C. Torra-
cinta, où non seulement la rupture intonative ne correspond pas à une fin de
tour, mais encore la fin du tour de parole n'est pas clairement marquée par une
rupture prosodique que l'on peut qualifier de « majeure» : c'est plutôt la prise
de parole de C. Froidevaux qui permet rétrospectivement d'inférer la fin de ce
Cette remarque, valable pour les tours de parole, l'est a fortiori pour les
interventions qui forment la structure hiérarchique des dialogues : les ruptures
intonatives majeures correspondent parfois à des fins d'interventions formées
de plusieurs actes (c'est le cas dans l'intervention de C. Torracinta), mais elles
ne caractérisent pas nécessairement les interventions qui, à l'instar d'un tour de
parole, seraient constitutives d'échanges.

Les ruptures intonatives peuvent se combiner avec des marques lexicales, tel-
les que les connecteurs et les marqueurs de structuration de la conversation
(MSC), qui permettent dans certains cas de préciser leur portée :

Sur l'ensemble des MSC [... ], certains - quoi, voilà, pis - ne peuvent servir qu'à
articuler des constituants en rapport monologique, et n'apparaissent que rarement
dans des cotextes dialogaux. D'autres, comme alors ou ben peuvent apparaître
dans des cotextes dialogaux, en tête d'intervention initiative (alors) ou réactive
(alors et ben). La solution descriptive la plus économique consiste à poser que
dans l'ensemble de ces cas ces MSC d'une part indiquent l'ouverture d'un consti-
tuant, et d'autre part indiquent un décrochement ascendant des niveaux de déve-
loppement par rapport à un constituant implicite, subordonné, sur lequel ils
« embrayent », et dont la fonction serait de justifier l'énonciation dont le MSC
marque l'ouverture. (Roulet et al. 1985: 107-108)

39. Pour cette raison, il ne me semble pas judicieux d'associer systématiquement ce type de
rupture intonative à une fin de tour de parole possible comme le font certains auteurs (Cou-
per-Kuhlen & Seiting 1996). Selting (1998) aboutit d'ailleurs à une conclusion similaire à
la mienne.

285
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

D'autres MSC s'inscrivent en début de réplique, comme oui mais ou non mais,
ce dernier« manifestant un refus du cadre de pertinence thématique [et autori-
sant] plus aisément une remontée visant un ancrage dans un constituant non
adjacent, pertinent pour l'enchaînement» (RouI et et al. 1985 : 109). Enfin, au
niveau le plus profond de rupture, Roulet et al. évoquent les marqueurs comme
au fait, à propos, qui fonctionnent comme des «ouvertures absolues» (110),
car ils marquent l'ouverture de nouveaux échanges.

Les ruptures périodiques se manifestent donc à travers des ruptures intonati-


ves, qui peuvent coïncider avec des parallélismes lexicaux et syntaxiques, avec
la fin d'un tour de parole, et éventuellement être renforcées par la présence de
marqueurs de structuration de la conversation. De l'effet de rupture produit par
la conjonction de ces différents facteurs peut résulter un décrochement dans la
structure informationnelléo : dans l'exemple 5.32, l'intervention de C. Torra-
cinta se caractérise par une rupture intonative, suivie d'une répétition lexicale
et syntaxique (je ne dirais pas que çafait avancer les choses). Cette dernière
s'accompagne d'un « saut» informationnel, car l'information activée dans le
cotexte immédiatement précédent (<< le débat n'en est qu'une partie ») peut dif-
ficilement être considérée comme un topique satisfaisant. Il semble plutôt que
le locuteur ancre son propos à distance sur un topique formé par une informa-
tion activée par la question de C. Moesching (mais est-ce que çafai/forcément
avancer les choses). Ce sont de tels enchaînements à distance qui feront l'objet
de l'analyse qui suit.

5.3.2 Différents types d'enchaÎnements à distance


Différents types d'enchaînements à distance peuvent être distingués à partir de
la structure informationnelle qu'ils impliquent: une information déjà évoquée
peut être reformulée comme nouvelle, être réactivée mais présentée comme ac-
cessible, être reprise par une trace anaphorique implicite ou même être impli-
cite41 .

40. Peut-être n'est-il pas inutile de préciser que les ruptures périodiques ne correspondent pas
nécessairement à un décrochement informationnel lorsqu'elles se combinent avec un chan-
gement de tour de parole. Par exemple, les réponses de C. Torracinta enchaînent au début
directement sur les questions qui lui sont posées, ce qui apparaît en particulier à travers la
présence des pronoms démonstratifs et des reprises lexicales.
41. J'utilise le terme « d'enchaînement» dans un sens plus large que celui « d'ancrage», réser-
vé à une structure informationnelle spécifique; l'ancrage constitue dans ce sens un type
particulier d'enchaînement.

286
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

5.3.2.1 La reformulation d'un référent déjà évoqué


Le premier type d'enchaînement n'est déjà presque plus un enchaînement au
sens strict, car il fait intervenir la reformulation d'un élément déjà évoqué dans
le cotexte, mais indépendamment de cette évocation42 • Par exemple, dans un
débat, plusieurs locuteurs peuvent exprimer une idée similaire en des termes
différents :

(5.33)
ME: Anne-Catherine Lyon 1 vous avez beau être jeune 1 vous avez déjà une car-
rière politique bien remplie 1vous avez mené plusieurs c . campagnes élec-
torales pour être candidate notamment au Conseil d'État vaudois 1 est-ce
que vous avez le sentiment que depuis. un certain nombre d'années 1
comme le disait Alain Bédouet 1 le débat est devenu plus pertinent 1 les
contradictions sont mieux acceptées par les politiciens 1 c'est peut-être un
petit peu plus vif tout en restant poli Il
ACL: en effet je crois que le débat s'est un peu euh amélioré 1 - peut-être que
les personnes découvrent peu à peu que s'il y a confrontation 1 c'est pas
une attaque contre la personne mais contre ses idées 1 donc je crois là en
effet. qu'un gros progrès s'est fait Il
ME: et vous. Damien Cottier. qui êtes secrétaire du parti radical neuchâtelois 1
est-ce que dans le canton de Neuchâtel aussi 1 les les débats sont. comme
le décrit Anne-Catherine Lyon Il. à ce niveau-là. les choses sont dites.
mais de manière plus pertinente peut-être que dans un: . passé récent Il
DC: je sais. pas 1 j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps 1 euh : mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: - ça fait partie du système politique 1 puis-
que l'on parle du débat politique 1 euh: que de se dire les choses sans qu'il
y ait attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris.
par cette euh: façon de de fonctionner du monde politique 1 où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat 1 et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble 1 pis pis ils
s'tapent dans l'dos 1alors les gens arrivent pas toujours à comprendre cette
idée-là 1 mais j'crois qu'- ça fait partie du débat lui-même 1 on se bat.
pour une idée et non pas contre une personne \\ (Forum)

Dans 5.33, M. Eymann pose la même question, que l'on peut résumer par: « le
débat est-il devenu plus pertinent? », à deux intervenants. A.-C. Lyon approu-
ve l'idée d'un progrès, en soulignant que celui-ci peut être dû à la découverte
que le débat d'idées n'implique pas nécessairement des attaques personnelles
(peut-être que les personnes découvrent peu à peu que s 'il y a confrontation /

42. Le terme de reformulation est utilisé ici de manière non spécifique, sans se limiter à la rela-
tion de reformulation qui caractérise les constituants de structures monologiques (Rossari
1993).

287
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

c'est pas une attaque contre la personne mais contre ses idées). Ensuite,
D. Cottier réactive lui aussi deux fois, en la présentant comme précédemment
inactive et/ou non identifiable, l'idée selon laquelle le débat politique implique
des attaques au niveau des idées et non pas à celui de la personne, marquant
par l'adverbe effectivement son accord avec le discours antérieur. Il convient
de préciser que la reformulation d'éléments déjà évoqués ne s'inscrit pas né-
cessairement après une rupture du flux discursif, comme le montrent les deux
reformulations de D. Cottier dans cet exemple.

L'examen de cet exemple aura montré que ce type d'enchaînement impliquant


la réactivation d'une idée déjà évoquée n'est pas explicitement marqué comme
un ancrage informationnel (p. ex. à l'aide d'expressions référentielles anapho-
riques) : sa perception dépend largement du degré d'attention de l'interprétant.
Pour cette raison, je n'y reviendrai plus par la suite.

5.3.2.2 La réintroduction d'un référent déjà évoqué


Dans le deuxième type d'enchaînement, parfois décrit comme la « réintroduc-
tion du topique» ou comme un « saut topical »43, un référent antérieurement
évoqué est réactivé, ce qui le rend à nouveau saillant et disponible pour les en-
chaînements ultérieurs. À la différence de l'enchaînement décrit précédem-
ment, le référent réactivé n'est pas introduit comme s'il était précédemment
inactif et/ou non identifiable, mais plutôt présenté comme accessible ou identi-
fiable.

Cet enchaînement peut être marqué à différents niveaux: un référent réactivé


peut l'être par des répétitions lexicales ou des expressions référentielles défi-
nies; son évocation peut s'inscrire dans une segmentée à gauche, et éventuel-
lement être introduite par des connecteurs tels que quant à, en ce qui concerne,
etc. Par exemple:

(5.8)
PM: donc à la fois. la complicité avec les comédiennes /. comment ça c'est
passé /. et puis cette générosité qui était tout le temps là / mais qui ne som-
brait jamais dans la mièvrerie quoi \\

43. Par exemple: « Discontinuous discourse may have two types of discourse topic. The first
type reintroduces a claim and/or a discourse topic (or part thereot) that has appeared in the
discourse history at sorne point prior to the immediately preceding utterance. (It could draw
from the discourse topic and/or claim of the last utterance but one.) We cali such discourse
topics RE-INTRODUCING TOPICS. Constructions such as "concerning ... ", "as for. .. ",
"as far as ... is concerned (goes)", may mark this sort of discourse for adult English spea-
kers, along with remarks such as "getting back to ... ", "like you said before ... " » (Keenan &
Schieffelin 1976: 342). Cf. également Crow (1983: 142ss.).

288
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

ÉZ: oui \. non mais par exemple pour la générosité 1c'est vrai que quand on
écrit 1on a a avec Virginie 1 ou avec Roger 1 qui sont. <acc.> donc les per-
sonnes qui ont écrit avec moi le scénario 1 on est toujours en train de se
dire 1. ah ben non là c'est pas possible 1 on coupe là ça devient mièvre 1 on
n'a que ce mot-là à: la bouche \ (X) et pareil au montage 1 (X) autant frus-
trer un peu le spectateur 1 euh : mais pas tomber dans le euh : la. euh :
quelque chose de complaisant de: 1 donc ça c'est c'est vrai que c'est:
euh: 1 après pour la complicité des: des deux comédiennes 1 c'est com-
pliqué \\
X,Y: <rires>
ÉZ: c'est compliqué 1 parce que sur un . plateau euh : vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue 1. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de: comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie 1. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu 1. [ ... ] (Le Masque et la
Plume)

Pour répondre à la double question posée par P. Murat, É. Zonca est amené à
réactiver successivement les deux référents (<< la générosité» et « la complicité
des deux comédiennes») qui constituent les topiques des actes ultérieurs de sa
réponse (cf. l'analyse proposée en 5.2.2.2). Sans revenir sur cette analyse, il
convient néanmoins de préciser sur quels topiques les propos « non mais par
exemple pour la générosité» et « après pour la complicité des deux comédien-
nes» s'ancrent eux-mêmes. Les topiques ne sont pas explicités, mais ces deux
propos s'inscrivent après des ruptures assez importantes: «non mais par
exemple pour la générosité» s'inscrit en début de réplique, après une série de
ponctuants et connecteurs (oui. non mais par exemple pour) qui marquent le
début de la prise de parole ; le propos « après pour la complicité des deux co-
médiennes» est quant à lui réactivé après l'abandon du mouvement intonatif
précédent, annoncé par de nombreuses hésitations (donc ça c'est vrai que
c'est: euh :) ; la remontée de la mélodie qui suit marque un nouveau départ,
souligné par la présence de la marque lexicale après. Ces marques de rupture,
combinées aux connecteurs par exemple et pour, permettent de faire l 'hypo-
thèse que dans les deux cas, les référents réactivés s'ancrent globalement sur la
question posée par le journaliste, c'est-à-dire sur un topique pouvant être para-
phrasé par« comment ça s'est passé ».

Ce type d'enchaînement est assez fréquent et il peut encore être illustré par
l'exemple suivant:

(5.34) (= 4.120)
lG: et du côté de Pierre Murat 1 qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction Il
PM : [ ... ] je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh : moi. je je suis surpris de voir que

289
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il -+ alors
quant au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1j'vais pas recommen-
cer : passer toute l'émission . sur ça 1 . au bout d'un certain temps 1c'est-à-
dire qu'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les
auditeurs. du Masque \ . chez les lecteurs de Télérama 1 (Le Masque et la
Plume)

Malgré une situation assez différente, cet exemple peut s'interpréter de maniè-
re similaire au précédent. La réactivation du « film de Benigni » par un SN dé-
fini s'inscrit après une forte rupture intonative (mais bon .), suivie par une
remontée de la mélodie. Un marqueur de structuration de la conversation
(a/ors) ainsi qu'un connecteur (quant à) marquent une frontière nette entre la
discussion des films précédents et celle du Benigni, qui constituera le topique
de la suite. Ces différents éléments conduisent ici aussi à considérer que le pro-
pos activé par a/ors quant au Benigni s'ancre non pas sur l'information qui
précède immédiatement, mais plutôt sur la question de J. Garein, sur un topi-
que pouvant être paraphrasé par la « réaction au classement des auditeurs ».

Même si ce type d'enchaînement ne fait pas intervenir de marque explicitant le


topique, la présence des ruptures périodiques permet d'inférer que celui-ci
n'est pas issu des constituants immédiatement précédents, mais qu'il a plutôt
sa source dans un constituant antérieur tel que la question du journaliste.

5.3.2.3 La reprise atténuée d'un référent déjà évoqué antérieurement


Dans un troisième type d'enchaînement à distance, un référent antérieurement
évoqué est repris sous une forme atténuée, à savoir par une expression référen-
tielle pronominale, ou même de manière implicite. Par exemple, dans un
échange téléphonique comme :

(5.35)
C: je voudrais savoir si je peux avoir un rendez-vous
G: ah de quoi s'agit-il Monsieur
C: j'ai p't'être des. enfin je pense avoir une cervicale ou une dorsale de
déplacée
G: ah bon et vous vous êtes fait ça quand
C: euh j'sais pas trop parce que j'fais pas mal de planche à voile de saut et
c'est à ce moment-là que j'ai dû faire ça mais euh disons que ça m'arrive
de temps en temps et que ça se manifeste par des maux de tête et par des
troubles digestifs bon j'ai des troubles c'est pas franc c'est peut-être qu'un
léger déplacement mais j'ai p't'être quelque chose quand même
G: oui écoutez ne quittez pas Monsieur -+ je vais demander à mon mari hein

290
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

C: hm d'accord merci (Schmale-Buton & Schmale 1984 cité par Roulet 1998,
1999b)

La deuxième partie de l'avant-dernière intervention de G (je vais demander à


mon mari hein) paraît enchaîner implicitement sur la demande de rendez-vous
initiale de C, malgré la présence d'échanges intercalés portant sur la nature et
l'origine du problème de santé de C. Cet enchaînement à distance est favorisé
par le rappel préalable de la situation d'interaction téléphonique (oui écoutez
ne quittez pas Monsieur) qui produit un effet de rupture marquant la clôture
des échanges intercalés. Effectuant une analyse similaire, Roulet (1998,
1999b) précise que la « demande de rendez-vous », sur laquelle G enchaîne
implicitement, peut être considérée comme le topique de la deuxième partie de
l'intervention de G.

De manière proche, dans l'exemple 5.36 :

(5.36) (=1.15)
JC :Michelle Maurois écrivain 1 et . je dis tout de suite 1 euh qu'il ne doit pas
être très facile euh d'être la fille d'André Maurois 1 les grands noms par-
fois euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <acc.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects 1 en même temps c'est une
facilité 1
JC: mhm=
MM: quand on commence à écrire 1et qu'on va chez un éditeur 1 c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu 1
JC: la première fois 1
MM: la première fois 1 mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
JC: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il
MM: oui on a un complexe évidemment 1 seulement j'ai eu un père 1 (que) euh
ça l'amusait énormément que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1
.... et . euh finalement ca ne m'a pas pesé \\ (Radioscopie)

le dernier acte de Michelle Maurois réalise lui aussi un enchaînement à dis-


tance. Celui-ci est favorisé, premièrement, par l'effet de rupture produit par la
présence de l'introduction et. finalement. Le pronom démonstratif ça renvoie
quant à lui à un référent dont la source doit être cherchée au-delà des actes pré-
cédents, et qui peut être interprété soit comme « un complexe », soit comme
«porter un grand nom ». Quelle que soit la solution choisie, ce référent peut
être identifié comme le topique du dernier acte44 . C'est donc uniquement dans

44. Cette ambiguïté se trouve continnée par les deux paraphrases: « concernant le fait de porter
un grand nom, ça ne m'a pas pesé »,« concernant le fait d'avoir un complexe, ça ne m'a pas
pesé », qui semblent, au niveau de leur interprétation, aussi acceptables l'une que l'autre.

291
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

ce type d'enchaînement à distance que le topique est explicité par une trace
pronominale.

De plus, ces exemples soulèvent une autre question concernant les facteurs jus-
tifiant la forte accessibilité de ces topiques verbalisés sous une forme atténuée,
malgré la distance qui les sépare de leur précédente évocation. En effet, les cri-
tères habituellement utilisés pour déterminer la saillance de l'antécédent d'un
pronom comme la proximité de l'évocation de l'antécédent, sa perception di-
recte, sa fonction syntaxique, ou encore le contenu de la phrase-hôte45 ne pa-
raissent pas suffire, dans les exemples 5.35 et 5.36, à justifier la saillance du
topique. Dans la section suivante, je me propose donc de discuter une réponse
possible à cette question, à savoir la proposition, initialement formulée par
Roulet (1998), selon laquelle la structure hiérarchique permet de justifier une
telle accessibilité, et par là même, de guider le processus interprétatif condui-
sant à l'identification du topique.

5.3.3 La rôle de la structure hiérarchique


dans l'identification du topique en situation de rupture
Pour justifier un enchaînement implicite tel que celui, dans l'exemple 5.35, de
je vais demander à mon mari sur la «demande de rendez-vous », Roulet
(1996, 1998, 1999b) fait l'hypothèse que celui-ci est rendu possible parce qu'il
implique des actes situés à un même niveau hiérarchique, et en l'occurrence au
niveau de l'échange principal :

Il faut donc admettre que la facilité d'accès à un point d'ancrage en mémoire dis-
cursive n'est pas seulement déterminée par la proximité immédiate dans la linéa-
rité du texte, mais qu'elle peut l'être aussi par la proximité à un rang donné de la
structure hiérarchique de l'échange. (Roulet 1996 : 26)

Cette proposition peut être mise en relation avec des principes pragmatiques
plus généraux comme la maxime de relation de Grice (1979), le principe de
pertinence (Sperber & Wilson 1986) ou la contrainte d'enchaînement thémati-
que dégagée par Roulet et al. (1985) (rappelée en 1.3.2), selon lesquels les in-
terventions des interlocuteurs d'un échange sont liées par une contrainte d'à
propos. Du fait de l'existence d'une telle contrainte, le patient (C) peut s'atten-
dre à ce que G réponde à un moment ou à un autre à sa demande de rendez-
vous. Inversement, l'assistante du médecin (G) sait que C attend d'elle qu'elle
réponde à la demande de rendez-vous. Ces attentes réciproques assurent alors
le maintien en mémoire de cette demande de rendez-vous.

45. Voir le bref rappel dans le troisième chapitre (3.3.2).

292
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Pour vérifier la portée de cette proposition, je me propose d'étudier sous cet


angle deux autres exemples, en commençant par 5.36 que je rappelle ici :

(5.36)
Je: Michelle Maurois écrivain 1 et . je dis tout de suite 1 euh qu'il ne doit pas
être très facile euh d'être la fille d'André Maurois 1 les grands noms par-
fois euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <ace.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects 1 en même temps c'est une
facilité 1
Je: rnhm=
MM: quand on commence à écrire 1 et qu'on va chez un éditeur 1 c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu 1
Je: la première fois 1
MM: la première fois 1 mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
Je: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il
MM: oui on a un complexe évidemment 1 seulement j'ai eu un père 1 (que) euh
ça l'amusait énormément que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1
- et . euh finalement ne m'a pas pesé \\

J'ai montré plus haut que le pronom ça, dans le dernier acte, renvoie à un réfé-
rent pouvant être interprété soit comme « un complexe », soit comme « porter
un grand nom ». Pour déterminer si la structure du dialogue explique ou non la
saillance de ces deux référents, il convient de commencer par analyser cet
exemple en détail.

Cet extrait est globalement formé d'un échange impliquant une question de
J. Chancel (les grands noms parfois euh doivent être très lourds à porter) et
une réponse assez longue de M. Maurois, dans laquelle J. Chancel intervient
parfois pour demander des précisions. La réponse de M. Maurois s'articule en
deux parties, comme l'annonce le constituant initial lié à la suite par une rela-
tion de préparation (c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects). La première
d'entre elles est introduite par en même temps c'est une facilité et développe un
argument montrant en quoi « porter un grand nom» peut être une facilité 46 ; la
seconde, liée à la première par une relation de contre-argument (marquée par le
connecteur mais), est dans un premier temps beaucoup plus brève, puisqu'elle
tient en un seul acte (mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur). Par une question supplémentaire (on a un complexe / euh dans
dans ces temps-là), J. Chancel ouvre alors un échange subordonné visant à ob-
tenir un complément d'information. La réponse de M. Maurois s'effectue à

46. Cherchant à s'assurer que M. Maurois parle bien de la première visite chez un éditeur,
J. Chancel ouvre un échange subordonné de vérification qui se greffe sur cette intervention.

293
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

nouveau en deux temps, avec d'abord un acquiescement (oui on a un complexe),


puis un renversement argumentatif (introduit par seulement, ici équivalent à
mais) et une reformulation finale, introduite par finalement: et euh finalement
ça ne m'a pas pesé. L'ensemble peut être représenté par la structure sui-
vante47 :

A Michelle Maurois écrivain

1. Is
[
A et. je dis tout de suite euh qu'il ne doit pas être ...
L OP
.
Ap les grands noms parfois euh doivent être très lourds ...

As c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects


prép.
Ap en même temps c'est une facilité

fA"
[ A quand on commence ...
Is
c.-arg.
qu'on v"hoz un édit""
Ip
Ap c'est plus facile d'avoir ...

la première fois

la première fois

Ip
on a un complexe euh dans ...

As oui on a un complexe
d'info. Is c.-arg.
As seulement j'ai ...
1 [ 1 top.
IP[ Apç.
[
l'om..';!...

A et qui m'a encouragée

Ap et. fmalement ne m'a pas pesé


ref

Figure 5.15. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.36

47. Une analyse de cet exemple est proposée dans Grobet (1 999c).

294
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Cette structure paraît justifier la forte accessibilité du référent « un complexe »,


activé dans l'intervention initiative de J. Chancel (ouvrant un échange subor-
donné), car celui-ci se situe au même niveau hiérarchique que le pronom ça48 .
La proposition « porter un grand nom» est quant à elle activée par la question
initiale de Chancel, c'est-à-dire par l'acte principal de l'intervention initiative
de l'échange englobant. Or, tout porte à croire que la contrainte pragmatique
d'à propos évoquée ci-dessus confère une forte saillance au référent activé
dans cette position initiale (comme c'est d'ailleurs le cas dans l'exemple 5.35
traité par Roulet). La structure hiérarchique justifie donc la forte accessibilité
des topiques auxquels peut renvoyer le pronom ça.

L'autre exemple que j'aimerais traiter est constitué par l'extrait d'un dialogue
téléphonique issu de Schmale-Buton & Schmale (1984). Ce dialogue est formé
pour l'essentiel par un échange visant à demander un service, lequel consiste à
installer un magnétophone sur le téléphone pour enregistrer les conversations
téléphoniques. En voici un extrait où j'ai marqué par une flèche la demande de
service qui est répétée plusieurs fois :

(5.37)
E20: voilà. euh Gérard est en train de faire une thèse de de linguistique c'est un
doctorat
C21: oui
E22: sur les communications téléphoniques.
C23: oui
E24: c'est-à-dire qu'il analyse des communications bon les stéréotypes les phra-
ses toutes faites et cetera. et il lui faut matériel.
C25: oui
E26: et on a emegistré pas mal de communications à la maison
C27: (oui)
E28: on a un petit appareil.
C29: oui
E30: et il lui faudrait des des gens nouveaux qui puissent emegistrer des com-
munications .
[ ... ]
E36: alors <rire embarrassé> -+ est-ce que vous consentiriez. à . mettre l'appa-
reil quelques enfin chez vous pendant une journée ou est-ce que ça vous
embête beaucoup
C37: oh non ça ça doit pouvoir se faire
E38: on l'a fait à la maison on l'a fait au collège on l'a fait à l'AVAL hier.
C39: oui

48. L'intervention initiative on a un complexe euh dans ces temps-là est formée d'un seul acte.
Celui-ci a un statut équivalent à l'acte principal d'une intervention complexe, dans lequel
s'inscrit le pronom ça.

295
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

E40: on l'a fait chez les .lItes Grondins à Laron . mais il lui faut beaucoup de
matériel parce qu'après il va. il va travailler enfin sur les conversations
bien sûr
C41: OUi
E42: -+ vous embêterait pas
C43:· ohnon
E44: non alors évidemment bon ben si par exemple quelque. vous enregistrez
ce qui l'intéresse surtout c'est d'avoir la conversation complète avec le
début et la fin .
C45 : oui
E46: avec le les allô et cetera hein.
C47: oui
E48: alors si quelquefois bon ben c'est ça prend un tour. personnel ou. vous
pouvez aussitôt arrêter l'appareil et effacer .
C49: oui
E50 : hein c'est c'est un magnétophone tout simple
C51 : oui parce que quelquefois nous on on on a un nous on a un enregistreur.
E52 : oui
C53 : alors est-ce que ça peut se brancher dessus ou pas parce qu'il fonctionne
quand on est pas là
E54 : ah peut-être aussi oui sans doute enfin ce que ce qu'on a c'est bon c'est un
petit magnétophone et y a une petite ventouse qui se met sur l'appareil
C55 : OUi
E56 : pour enregistrer les les les deux personnes qui parlent. mais après c'est
très très simple pour effacer pour
C57 : hm ..
E58 : -+ alors vous (se) gênerait pas beaucoup
C59 : non
E60 : parce que ça m'embêtait un peu de vous demander mais c'e . il nous faut
des maisons où le téléphone euh. des des gens qui téléphonent beaucoup
quand même
C61 : oui .. non
E62 : non
C63: <rit légèrement> non mais. non mais
E64 : <rire embarrassé> bon on peut essayer
C65: <rit> (il faudra venir voir) . je sais pas si on téléphone beaucoup comme
euh. euh oui (on peut dire) on téléphone. c'est sûr
E66 : oui mais enfin c'est c'est différent de la maison quand même parce que
C67: ah oui (tiens)
E68: à la maison bon ben Papa le bureau ça y est on l'a et <rit légèrement>
puis.
C69: oui
E70: -+ euh alors est-ce qu'on peut vous [emporter ou
C71: oui. oui
En: quand est-ce que ça vous arrangerait (Matériel)

296
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

Demander à quelqu'un d'enregistrer ses conversations téléphoniques est,


même à des fins scientifiques, une opération délicate: la locutrice E paraît gê-
née de formuler sa requête, ce qui se traduit par une longue préface explicative
qui introduit le référent «le magnétophone» ainsi que son utilité (20-35),
avant la requête, elle-même très fortement modalisée (en 36). C répond positi-
vement, mais sans enthousiasme, ce dont témoigne sa réponse minimale en 37
(oh non ça ça doit pouvoir se faire). Cette réaction peu satisfaisante amène E à
ouvrir des échanges subordonnés pour vérifier que les conditions de sa requête
sont bien remplies. Ensuite, quittant le mode du conditionnel, E reprend enfin
clairement sa requête à l'indicatif: euh a/ors est-ce qu'on peut vous /'emporter
ou (en 70). Cette transition, qui prépare directement la discussion ultérieure
des détails pratiques de l'installation du magnétophone, conduit à réinterpréter
le début de l'échange comme un échange de préparation, rétroactivement su-
bordonné à la requête proprement dite. Les grandes lignes de la structure hié-
rarchique de cet échange peuvent être schématisées ainsi 49 :

1. Is (E20) voilà. euh Gérard est en train ...


1 LOP.
Ip (E36) alors est-ce que vous consentiriez
à mette l'appareil ...
Es
prép. Ip (C37) oh non ça ça doit pouvoir se faire

I l E s [1 (E42) ça vous embêterait pas

vérif 1 (C43) oh non

1 (E58) alors ça vous gênerait pas ...


Es [
vérif 1 (C59) non
E
Ip (E70) euh alors est-ce qu'on peut vous !'emporter. ..

1 (C71) oui oui

Figure 5.16. La structure hiérarchique-relationnelle de l'exemple 5.37

49. Comme le commentaire qui vient d'être effectué, cette structure ne retient que les princi-
paux constituants de l'échange.

297
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Les répétitions de la demande de service réalisent toutes des enchaînements à


distance, verbalisés par des pronoms (ça en 42 et 58, et l'en 70) qui renvoient
chaque fois au topique de l'acte dans lequel ils s'inscrivent5o • Ainsi, le dé-
monstratif ça pointe à deux reprises sur le topique «mettre l'appareil chez
vous pendant une journée », introduit par la première formulation de la requête.
Le pronom l' renvoie quant à lui au « magnétophone », évoqué dès 28, qui
joue un rôle central dans la requête.

La structure hiérarchique justifie-t-elle l'accessibilité des topiques? Ces en-


chaînements à distance ne font pas intervenir des constituants situés exacte-
ment au même niveau hiérarchique 5 !. Cependant, la contrainte d'à propos
associée à l'intervention initiative d'un échange légitime à nouveau la forte ac-
cessibilité des référents activés dans la requête en 36. De plus, les pronoms se
situent, comme la requête initiale, dans des constituants occupant un rang éle-
vé dans la structure hiérarchique. Il convient enfin de relever le parallélisme
structurel caractérisant les occurrences du pronom ça, qui se trouve à deux re-
prises dans l'intervention initiative d'un échange subordonné, ainsi que la su-
bordination rétroactive opérée par 70, qui rapproche ce constituant de
l'intervention de requête initiale. Ainsi conçue dans un sens large, la proximité
hiérarchique semble effectivement pouvoir justifier, au moins partiellement,
l'accessibilité de ces topiques.

Au terme de ces deux analyses, peut-on considérer que la structure hiérarchi-


que constitue un indice fiable permettant de guider l'identification du topique
dans les enchaînements à distance? La réponse à cette question doit être nuan-
cée. Elle est positive, dans la mesure où les référents activés par les consti-
tuants principaux se caractérisent par une saillance particulière qui en fait des
bons candidats pour être topiques : la prise en considération de la structure hié-
rarchique peut permettre de faciliter leur repérage, en particulier dans un dialo-
gue aussi long que le dernier qui vient d'être discuté. Comme l'a montré
l'analyse de ces exemples, l'identification du topique lors d'enchaînements à
distance ne doit toutefois pas s'appuyer uniquement sur des constituants situés
exactement au même niveau hiérarchique, mais prendre en compte l'ensemble
des constituants principaux, et avant tout l'intervention initiative des échanges
dont l'importance semble cruciale.

Il convient cependant de souligner que la structure hiérarchique, étudiée ici de


manière indépendante pour les besoins de l'analyse, ne saurait constituer le

50. Ce dialogue étant issu d'un corpus déjà transcrit et non disponible sur cassette, je ne me ris-
querai pas à des remarques sur la structure périodique; on peut néanmoins relever la pré-
sence fréquente du marqueur de structuration de la conversation alors.
51. Je reconsidère ici partiellement l'analyse proposée dans Grobet (1999c).

298
La structure hiérarchique et relationnelle du discours

seul facteur responsable de la forte accessibilité du topique dans ces exemples.


En effet, outre les facteurs linguistiques étudiés dans les troisième et quatrième
chapitres, la saillance d'un référent se justifie également par des facteurs
praxéologiques et conceptuels. Ainsi, dans l'exemple 5.35, la saillance de la
« demande de rendez-vous» se justifie non seulement par la structure hiérar-
chique dans laquelle elle s'inscrit, mais aussi par la situation dans laquelle se
trouvent les interlocuteurs: si C téléphone au médecin, c'est parce qu'il veut
obtenir un rendez-vous, et ce référent est naturellement au centre de ses préoc-
cupations; il en va de même pour G qui, en tant qu'assistante d'un médecin, a
entre autres pour mission de fixer des rendez-vous. Pour cette raison, la struc-
ture hiérarchique ne saurait constituer un instrument suffisant pour justifier la
saillance du topique.

5.3.4 Bilan
La troisième partie de ce chapitre a été consacrée à l'analyse de segments dis-
cursifs manifestant une plus grande complexité structurale que les exemples
traités jusqu'à présent. Après avoir précisé les conditions des ruptures du flux
discursif, j'ai distingué différents types d'enchaînements à distance en fonction
du mode de reprise du référent (reformulation, réactivation par une expression
définie ou reprise atténuée). En me centrant sur l'analyse de ce troisième type
d'enchaînement, j'ai discuté le rôle joué par la structure hiérarchique dans l'ac-
cessibilité du topique marqué par la reprise atténuée et, par là même, dans le
repérage de ce topique : il est apparu que les constituants principaux peuvent
jouer un rôle non négligeable dans l'identification du topique. J'ai pour finir
relevé que les facteurs hiérarchiques se combinent nécessairement avec
d'autres facteurs: c'est à l'étude de certains d'entre eux que le chapitre suivant
sera consacré.

299
Chapitre 6
LA STRUCTURE CONCEPTUELLE DU DISCOURS

Je me propose, dans ce chapitre, de mettre en relation la structure information-


nelle avec les représentations mentales activées et combinées par le discours
qui forment sa « structure conceptuelle» 1• D'une manière très générale, on
peut dire que cette structure conceptuelle explicite « ce dont parle le discours»
et qu'elle correspond au« topique discursif» étudié par les approches conver-
sationnelles2 , mais envisagé comme une structure. La structure conceptuelle
soulève toutefois plusieurs problèmes de description. De ce fait, il conviendra,
dans un premier temps, de l'étudier pour elle-même (6.1), avant de l'articuler
avec la structure informationnélle pour montrer comment elle guide l'identifi-
cation du topique (6.2).

6.1 La structure conceptuelle et l'entité topicale

Je commencerai par situer brièvement la structure conceptuelle dans l'organi-


sation du discours et par dégager les problèmes qui lui sont associés dans deux
approches qui l'ont abordée; cette réflexion me conduira à me centrer sur
l'étude de la notion de 1'« entité topicale » (topic entity chez Brown & Yule
1983).

1. J'utilise le tenne de « structure conceptuelle» en suivant la tenninologie adoptée dans les


publications les plus récentes de l'approche modulaire genevoise (Roulet 1999b et c, Rou-
let, Filliettaz & Grobet 2001). Cette structure a dans un premier temps été désignée par le
tenne de « réseau de représentations» (Roulet 1996, Grobet 1996a).
2. Voir les définitions rappelées dans le premier chapitre, point 1.1.2.

301
les facteurs discursifs de l'identification du topique

6.1.1 La structure conceptuelle dans l'organisation


du discours
La structure conceptuelle doit être distinguée de la structure hiérarchique et re-
lationnelle étudiée dans le chapitre précédent, car elle ne concerne pas tant le
statut hiérarchique et les relations caractérisant les constituants discursifs que
les représentations mentales (référents et propositions) qu'ils activent3 . Par
exemple:

(6.1) (=5.1)
A: tu viens boire un café?
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: tant pis pour toi

La structure hiérarchique et relationnelle de cet exemple a été étudiée dans le


chapitre précédent (5.1.2). Sa structure conceptuelle peut quant à elle être dé-
crite de manière simplifiée comme impliquant les représentations, combinées
entre elles, des « interlocuteurs », de « boire un café », de «devoir finir un
chapitre aujourd'hui ».

En outre, il convient de maintenir distinctes .la structure conceptuelle et la


structure informationnelle. Ces deux niveaux d'analyse peuvent sembler très
proches, car les points d'ancrage décrits dans l'analyse de la structure informa-
tionnelle sont formés par des référents pouvant être traités au niveau de la
structure conceptuelle. Ces deux niveaux d'analyse ne se confondent cepen-
dant pas. Par exemple, un segment comme :

(6.2) Jean m'a prêté un stylo.

évoque un certain nombre de référents, comme le «locuteur », «Jean », le


« stylo ». En eux-mêmes, ces référents sont indépendants de la structure infor-
mationnelle qui les exprime, ce qui apparaît dans la possibilité de les verbaliser
à travers des structures syntaxiques aussi différentes que 6.2', 6.2" et 6.2'" :

(6.2') Jean m'a prêté un stylo, à moi.


(6.2") C'est à moi que Jean a prêté un stylo.
(6.2''') Jean, il m'a prêté un stylo.

Ces exemples impliquent comme topique successivement le « locuteur » (dans 6.2' ,


moi est segmenté à droite), le fait que « Jean a prêté un stylo» (présenté

3. Pour une première illustration de ces deux structures étudiées sur un même exemple, voir
les figures 1.7 et 1.8 dans le premier chapitre (point 1.3.3).

302
La structure conceptuelle du discours

comme déjà actif en 6.2" par la structure clivée), et « Jean» (ce référent est
d'abord activé dans le segment détaché à gauché, puis repris et marqué com-
me topique par une trace pronominale en 6.2"')5.

La structure conceptuelle du discours constitue en elle-même un objet d'ana-


lyse complexe, qui a suscité et suscite encore de nombreux travaux, en particu-
lier dans le cadre des sciences cognitives 6• Il convient par conséquent de
souligner que je n'aborderai cette problématique que de manière partielle et à
partir du point de vue très général où elle rejoint la notion de « topique discur-
sif». Il reste enfin à préciser que j'utilise le terme de structure « conceptuel-
le », plutôt que celui de structure « sémantique» (ou « lexicale»), pour rendre
compte du fait que les représentations peuvent être activées non seulement par
le lexique et la syntaxe, mais également par des objets du monde ou des ac-
tions non langagières, voire en être dérivées à partir de processus inférentiels.

6.1.2 Quelques problèmes liés à l'analyse


de la structure conceptuelle
Après avoir sommairement situé la structure conceptuelle dans l'organisation
du discours, je me propose de relever certains problèmes que soulève son ana-
lyse. Je m'appuierai sur la discussion et l'illustration de deux approches, à sa-
voir celle proposée par Brown & Yule (1983) et celle utilisée dans le modèle
modulaire genevois, en particulier dans les travaux de Roulet (1996, 1998,
1999b et c).

6.1.2.1 le cadre topical

Partant de la constatation que la notion de topique définie comme « ce dont on


parle» (what is being talked / written about) peut correspondre, pour un seg-
ment discursif donné, à un grand nombre de descriptions possibles, Brown &
Yule (1983) proposent de les regrouper dans la notion de « cadre topical » (to-
pic framework). Un tel cadre topical regroupe les éléments, introduits par le

4. Le topique du segment détaché n'est pas marqué et ne peut être identifié en l'absence de
contexte.
5. Cf. Admoni (1985) qui discute le problème de la variation syntaxique par rapport au conte-
nu référentiel.
6. Je pense aux travaux concernant le traitement des représentations mentales et leur stockage
en mémoire. Cf. entre autres Bock & Brewer (1985), Garnham & Oakill (1990, 1992),
Fayol (1989, 1997). Pour le problème de l'élaboration d'un modèle mental, cf. Bosch
(1985), Berrendonner (1983, 1990), ainsi que l'approche de la DRT développée par Kamp
& Reyle (1993) discutée entre autres par Spencer-Smith (1987).

303
les facteurs discursifs de l'identification du topique

texte ou la situation, susceptibles d'être interprétés comme les topiques d'un


segment discursif donné:

The topic framework consists of elements derivable from the physical context and
from the discourse domain of any discourse fragment. Notice that we have con-
centrated on only those elements which are activated, that is, relevant to the inter-
pretation ofwhat is said. (Brown & Yule 1983 : 79)

Par exemple, pour un extrait comme:

(6.3)
CF: y-a-t-il des sujets tabous au Téléphone Sonne 1/
AB: pas à ma connaissance / en tout cas comme vous l'disiez depuis 14 ans
que. j'ai un petit peu le . le nez sur euh le pupitre / il n'yen a pas \ il n'y
en a absolument pas \ (Forum)

Le cadre topical de l'intervention d'A. Bédouet, ou plutôt un fragment de ce ca-


dre, peut être décrit, en appliquant la méthode de Brown & Yule (1983: 85ss.),
de la manière suivante :

conversation entre :
locuteur 1: Claude Froidevaux (journaliste suisse, animateur
de l'émission Forum ... )
locuteur 2: Alain Bédouet (journaliste français, animateur de l'émission
le Téléphone Sonne depuis 14 ans ... )
lieu: studio de la radio, Lausanne, Suisse et Paris
date: 25 juin 1998, 18 h 15, durant un débat radiophonique
évoquant: le thème du débat radiophonique, la création de l'émission Forum
en s'inspirant du Téléphone Sonne, l'expérience d'Alain Bédouet,
l'évolution des Français, le fait qu'ils acceptent mieux les débats
contradictoires
quand: Claude Froidevaux demande s'il existe des sujets tabous

Figure 6.1. Cadre topical de l'intervention d'A. Bédouet

Pour Brown & Yule, la prise en compte d'un tel cadre topical permet de déter-
miner la « pertinence topicale » du segment conversationnel constitué ici par
l'intervention d'A. Bédouet.

Les principaux problèmes que rencontre l'analyse de la structure conceptuelle


ressortent déjà de ce bref exemple. Premièrement, on peut relever le caractère

304
La structure conceptuelle du discours

nécessairement incomplet et subjectif du « cadre topical» ainsi dégagé: ne


sont retenus pour l'analyse que les concepts jugés « pertinents pour l'interpré-
tation ». Pour délimiter quels sont les éléments pertinents et ceux qui ne le sont
pas, Brown & Yule (1983 : 75) suggèrent que l'analyste doit d'une part s'ap-
puyer sur son expérience antérieure, et d'autre part sélectionner les éléments
contextuels activés par le discours. Mais il apparaît d'emblée que cette métho-
de ne fournit pas de critères objectifs applicables de manière systématique. Par
exemple, la description du mode de communication ne fait pas partie du cadre
topical dégagé par Brown & Yule (1983 : 85ss.). Or, ce mode de communica-
tion peut tout de même être considéré comme pertinent pour l'exemple 6.3, car
celui-ci est extrait d'une conversation téléphonique s'inscrivant dans un débat
radiophonique 7 .

Une autre difficulté que rencontre ce type d'analyse dont la portée se veut glo-
bale est constituée par son caractère rétrospectif: le cadre topical est reconsti-
tué après-coup par l'analyste, qui retient uniquement les éléments qu'il
considère comme pertinents, effaçant du même coup les traces de la produc-
tion du discours qui peuvent se manifester dans les différences de points de
vue entre les interlocuteurs, les hésitations et les digressions. Cette difficulté
n'est pas propre à la notion de cadre topical, car bon nombre d'approches qui
cherchent à rendre compte de la macro-structure de segments discursifs éten-
dus rencontrent les mêmes difficultés (voir par exemple la notion de macro-
proposition chez van Dijk & Kintsch 1983).

Enfin, il convient de relever que dans le cadre topical, les éléments issus du ca-
dre matériel de l'interaction et activés par le discours sont simplement énumé-
rés sous forme d'une liste. Les auteurs justifient ce choix en évoquant la
complexité des relations entre les différents référents du cadre topical, qui ne
peuvent être représentées de manière satisfaisante dans un seul diagramme 8. Il
est certain que le traitement conjoint de toutes ces relations paraît utopique.
Mais si le refus d'expliciter ne serait-ce que quelques-unes des relations entre
ces éléments évite les risques d'erreurs, il conduit aussi à une description dont
la portée reste somme toute très limitée.

Ces critiques doivent-elles conduire à renoncer à une vision globale de la


structure conceptuelle du discours, pour se concentrer sur une analyse qui se

7. Cette absence de critères objectifs dans la sélection des éléments constituant le cadre topical
n'a rien de surprenant, car cette sélection dépend du point de vue de l'interprétant et de ses
attentes par rapport au discours.
8. « It is difficult to imagine an appropriate "diagram" which could incorporate both the se-
quential pattern of elements introduced and the interrelatedness of those elements with each
other and with the contextual features. » (Brown & Yule 1983 : 85)

305
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

situerait au niveau des concepts évoqués à l'intérieur des propositions? Brown


& Yule (1983 : 121 ss.) discutent également une représentation de la structure
conceptuelle sous forme de réseau, proposée par de Beaugrande. Cette repré-
sentation en réseau, très détaillée, est construite à partir des relations syntaxi-
ques et des liens conceptuels (<< substance de », « partie de », etc.) caractérisant
chaque mot. Or, il apparaît, d'une part, que ce type d'analyse produit un réseau
d'une complexité extrême qui le rend difficilement applicable pour l'analyse
d'un segment discursif étendu. D'autre part, le traitement de chaque mot n' em-
pêche pas que ce réseau reste une abstraction grandement simplifiée par rap-
port aux états cognitifs effectivement sous-jacents. Brown & Yule citent
l'exemple de la « fusée jaune et noire », qu'un locuteur se représentera comme
rayée, un autre comme quadrillée, et ainsi de suite. Pour ces raisons, l'analyse
de la structure conceptuelle au niveau de la structure interne de la proposition
ne paraît pas non plus constituer une solution idéale.

6.1.2.2 La structure conceptuelle


Dans le cadre du système d'analyse modulaire développé à Genève, Roulet
(1996, 1998, 1999b et c) propose une approche qui vise à expliciter certaines
relations entre les concepts activés tout en restant applicable à des segments
discursifs étendus. L'analyse de la structure conceptuelle y est envisagée à par-
tir de l'étude de la dimension référentielle du discours, qui « traite d'une part
du monde, tel qu'il est perçu et construit par les interlocuteurs, dans lequel le
dialogue s'insère, et d'autre part du monde, toujours tel qu'il est perçu et cons-
truit par les interlocuteurs, dont le dialogue parle» (Roulet 1996 : 22). Dans ce
cadre, Roulet admet que le discours active des représentations qui se combi-
nent dans une structure conceptuelle9 . Cette structure repose en partie sur des
connaissances générales encyclopédiques, culturelles et sociales acquises par
l'expérience antérieure du locuteur, et que l'on suppose partagées à l'intérieur
d'une même communauté culturelleIO. Ces représentations générales sont arti-
culées, augmentées et renégociées à travers le dialogue, duquel émerge une
structure conceptuelle inédite 11. Celle-ci peut alors être représentée sous la for-

9. Je ne propose qu'une description très sommaire de la problématique « référentielle» con-


cernant les aspects situationnels du discours. Pour d'autres références bibliographiques ain-
si que pour une réflexion détaillée dans le cadre du modèle genevois, je renvoie aux travaux
de Filliettaz (1996,1997, 1999a et à paraître).
10. Comme exemples de ce type de connaissances, on peut évoquer les « scripts» de Shank &
Abelson (1977) et les « prototypes» discutés par Kleiber (1990c). Roulet (1998, 1999b) dé-
crit ces représentations comme des noyaux auxquels sont attachées des valences. Voir aussi
les propositions de Filliettaz (1996, 1997).
Il. On distingue en outre la structure « conceptuelle », qui concerne les êtres et les choses, de la struc-
ture « praxéologique» (ou actionnelle), qui décrit les actions et événements (Roulet 1996: 22).

306
La structure conceptuelle du discours

me de diagrammes qui explicitent les relations existant entre les principaux


concepts.

Cette approche est appliquée par Roulet (1998, 1999b) à l'exemple suivant:

(6.4) (=5.35)
C: je voudrais savoir si je peux avoir un . rendez-vous ..
G: ah. de quoi s'agit-il Monsieur
C: j'ai. p't'être des. enfin. je pense avoir une cervicale ou une dorsale de
déplacée
G: ah bon. et vous vous êtes fait ça quand.
C: euh j'sais pas trop. parce que j'fais pas mal de planche à voile de saut et
c'est à ce moment-là que j'ai dû faire ça . mais euh disons que ça m'arrive
de temps en temps et que . ça se manifeste par des maux de tête et par des
troubles digestifs. bon j'ai des troubles. c'est pas franc c'est peut-être
qu'un léger déplacement mais j'ai p't'être quelque chose quand même.
G: oui écoutez ne quittez pas Monsieur je vais demander à mon mari hein
C: hm. d'accord merci (Schmale-Buton & Schmale 1984, cité par Roulet)

Roulet souligne que ce bref dialogue fait appel aux représentations générales
de ce qu'est un« rendez-vous» chez un médecin (qui implique entre autres un
«motif»), ainsi que des caractéristiques possibles d'un« problème de santé»
(<< origine », «durée », «manifestation », «gravité »)12. Ces représentations
sont activées et combinées de la manière suivante : dans un premier temps, la
« demande de rendez vous» est formulée (je voudrais savoir si je peux avoir
un. rendez-vous). L'assistante pose une question sur le «motif» (ah. de quoi
s'agit-il Monsieur), qui est suivie de la précision du « problème de santé », à
savoir une cervicale ou une dorsale de déplacée. Suite à une nouvelle question
portant sur « l'origine du mal» (et vous vous êtes fait ça quand), différents as-
pects de ce problème de santé sont développés dans la longue intervention du
patient. Roulet (1999b : 85) représente cette structure conceptuelle par le sché-
ma suivant:

Je n'insiste pas sur cette distinction qui marque une différence au niveau du point de vue de
l'analyse plutôt qu'une différence de champ référentiel: comme le relève Filliettaz (1996 :
37-38) un même objet (ou action ou événement) peut être considéré sous un angle ou un
autre. Par exemple, 1'« achat d'un livre en librairie» peut être considéré sous un angle con-
ceptuel comme impliquant un cadre spatio-temporel, des actants (le « client », le « ven-
deur »), un objet (le « livre »), etc. ou comme une action complexe impliquant plusieurs
opérations comme « entrer dans la librairie », « saluer », etc.
12. Ces représentations générales sont habituellement représentées par des schémas dont je fais
ici l'économie.

307
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

rendez-vous

motif

problème'de santé:
cervicale ou dorsale

origine durée manifestation gravité

inconnue planche de temps maux de


A
pas franc quelque
à voile en temps tête chose

Figure 6.2. Structure conceptuelle de l'exemple 6.4 proposée par Roulet

Cette structure conceptuelle est ensuite mise en relation avec la structure infor-
mationnelle dans le cadre de l'organisation topicale J3 . Roulet relève qu'une
telle analyse permet de visualiser et d'expliciter les liens entre les objets de
discours (par exemple, le « problème de santé» est le « motif» du « rendez-
vous») ainsi que de distinguer les objets de discours premiers et dérivés en
fonction de la place qu'ils occupent dans la structure conceptuelle:

C'est ainsi que l'objet de discours « cervicale ou dorsale» est dérivé de l'objet de
discours « demande de rendez-vous », mais est premier par rapport à l'objet de
discours « en faisant de la planche à voile», ou à l'objet de discours « arriver de
temps en temps». (Roulet 1999b : 88)

La comparaison entre un tel réseau et la notion de « cadre topical » fait appa-


raître que même si elle reste sommaire et intuitive, la prise en compte des rela-
tions entre les référents permet non seulement d'expliciter certains liens restant
implicites, mais encore de visualiser le rôle central joué dans ce dialogue par le
référent évoqué par une cervicale ou une dorsale de déplacée, qui n'apparaî-
trait pas dans une simple liste.

Plusieurs problèmes subsistent néanmoins. À l'instar de la notion de cadre to-


pical, une telle schématisation ne peut être que fragmentaire : elle ne représen-
te que les éléments jugés pertinents par l'analyste qui s'appuie sur le substrat

13. Voir la brève présentation de l'organisation topicale dans le premier chapitre (1.3.3).

308
La structure conceptuelle du discours

linguistique. À nouveau, la structuration de ces éléments ne suit aucune règle


formelle et fait largement appel à l'intuition de l'interprétant. De plus, une telle
structure peut également être qualifiée de rétrospective, puisque son élabora-
tion s'appuie sur l'interprétation de l'ensemble du passage. Le risque d'une
analyse réifiante est donc bien présent, et cela, d'autant plus que la différence
des points de vue entre les interlocuteurs n'est généralement pas prise en
compte l4 .

6.1.2.3 Bilan
Le bilan de ce rapide parcours ne peut donc être que modeste au vu des diffi-
cultés rencontrées par les deux approches qui viennent d'être discutées: aucune
d'entre elles ne peut prétendre proposer autre chose qu'une description intuiti-
ve et fragmentaire des référents activés par le discours. Mais quelques élé-
ments positifs ont néanmoins pu être mis en évidence. Dans l'approche de
Roulet, l'analyse de la structure conceptuelle permet de rendre compte des
liens conceptuels entre les représentations mentales, ainsi que du rôle central
de certains référents dans le discours (comme «une cervicale ou une dorsale
de déplacée »)15. Dès lors, il paraît intéressant d'approfondir l'étude de ces ré-
férents, que l'on peut appeler, en suivant Brown & Yule (1983 : 124), des« en-
tités topicales ». Pour éviter autant que possible l'écueil d'une approche
arbitraire et rigide, je m'appuierai sur la prise en compte des marques linguisti-
ques et me contenterai d'étudier la structure conceptuelle de segments discur-
sifs d'ampleur limitée.

6.1.3 L'entité topicale


La notion d'entité topicale renvoie, chez Brown & Yule (1983 : 137), au per-
sonnage / objet / idée principal d'un segment discursif. Dans la structure con-
ceptuelle, l'entité topicale peut être définie comme la représentation mentale
d'un référent activé par le discours (ou la situation), à partir de laquelle

14. Voir néanmoins Filliettaz (1996) et Grobet (1 996b) pour des tentatives de prendre en comp-
te les différents points de vue des interactants. Après avoir envisagé de traiter la structure
conceptuelle comme un parcours (Roulet 1996, 1998), Roulet s'appuie, dans ses derniers
travaux, sur la notion de « négociation» pour rendre compte de l'aspect dynamique de l'or-
ganisation topicale, reconnaissant par là l'aspect statique de l'analyse de la structure con-
ceptuelle (Roulet 1999b et c).
15. Dans un cadre théorique et méthodologique différent, Dittmar reconnaît lui aussi l'impor-
tance de la structuration par les entités topicales : « Le discours se compose de champs thé-
matiques (CT). Un CT peut être subordonné à un mot-contrôle ou encore mot clé, qui, au
niveau de la signification lexicale, se comporte par rapport aux autres éléments thématiques
comme un hyperonyme à ses hyponymes» (Dittmar 1988 : 89-90).

309
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

d'autres informations sont dérivées. C'est le cas du « film de Xavier Beau-


vois» dans 6.5 :

(6.5) (= 2.46)
lG: bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni:1 Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Can-
nes le prix du : jury Il (Le Masque et la Plume)

Dans ce passage, le référent formé par « le film de Xavier Beauvois» peut être
interprété, à l'instar du « problème de santé» dans l'exemple 6.4, comme une
« entité topicale » à partir de laquelle d'autres informations sont dérivées on «(
parle beaucoup cette semaine dans la presse », « est N'oublie pas que tu vas
mourir », etc.). En termes plus généraux, on pourrait également définir l'entité
topicale comme un référent se caractérisant par un statut « central relativement
au sens qui se construit» (Apothéloz 1995 : 315).

Ainsi définie, la notion d'entité topicale reste encore très floue. Il reste en effet
à préciser comment se manifeste linguistiquement son statut « central» dans le
discours, comment s'évalue son « degré de centralité » et comment elle s'arti-
cule avec d'autres entités topicales. Pour le faire, je m'appuierai sur les résul-
tats de travaux qui, dans des cadres théoriques différents, ont mis à jour les
principales caractéristiques de l'entité topicale concernant sa verbalisation lin-
guistique (6.1.3.1), son degré d'importance référentielle (6.1.3.2) et son statut
cognitif (6.1.3.3).

6.1.3.1 la verbalisation linguistique de l'entité topicale


Le rôle central de l'entité topicale dans le discours se reflète au niveau de son
codage linguistique. L'entité topicale peut en effet être rapprochée du topique
de Giv6n (1983) dont l'évocation fonctionne comme un leitmotiv dans un
« paragraphe thématique» :

Within the thematic paragraph it is most common for one topic to be the continuity
marker, the leitmotiv, so that it is the participant most closely associated with the
higher-level « theme )) through the paragraph ; it is the participant most likely to
be coded as the primary topic - or grammatical subject - of the vast majority of
sequentially-ordered clauses/sentences comprising the thematic paragraph.
(Giv6n 1983 : 8)

Pour Giv6n, le topique fonctionnant comme leitmotiv est celui qui remplit le plus
souvent la fonction de sujet. De manière proche, Brown & Yule (1983 : 137)
relèvent que l'entité topicale est le plus souvent codée par un sujet ou introduite

310
La structure conceptuelle du discours

en début de phrase. La relation entre le rôle central de l'entité topicale et sa


fonction de sujet (qui correspond souvent à celle d'agent) est intuitivement
aisée à saisir: un référent fonctionnant comme sujet de manière récurrente se
caractérise nécessairement par un rôle plus important qu'un référent évoqué
épisodiquement et en position de complément circonstanciel. Par exemple:

(6.6)
Mr Mitsujiro Ishii
Mr Mitsujiro Ishii, who as a former Speaker of the Japanese House of Representa-
tives was instrumental in staging the 1964 Tokyo Summer Olympics and the 1972
Sapporo Winter Olympics, died on September 20. He was 92. Ishii had served as
Industry and Commerce Minister and in other cabinet posts under the late Prime
Ministers, Shigeru Yoshida, Nobusuke Kishi and Eisaku Sata, before retiring
in 1972.
He was speaker of the House of Representatives from February 1967 to July 1969.
(Brown & Yule 1983)

Dans cet exemple, toutes les phrases débutent par un sujet renvoyant au réfé-
rent « Mitsujiro Ishii », qui joue un rôle central dans cette notice nécrologique,
contrairement à d'autres référents évoqués de manière épisodique comme
« Shigeru Yoshida, Nobusuke Kishi and Eisaku Sata », dont la mention s'ins-
crit dans un complément circonstanciel.

Aussi bien Giv6n que Brown & Yule relèvent que, malgré une fréquente cor-
respondance, le sujet n'est pas toujours associé à l'entité topicale, comme c'est
le cas dans 6.5 :

(6.5)
JG : bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni:1 Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie 1 et.9.!!i a reçu. au Festival de Can-
nes le prix du : jury Il

où en plus du « film de Xavier Beauvois », les pronoms on et j' renvoient


ponctuellement à des sujets. Cette absence de correspondance univoque appa-
raît de manière plus manifeste encore en présence de deux entités topicales,
comme dans cette séquence narrative:

(6.7) (= 5.18)
BP : et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D .. à New York 1 eh bien YQ1!§. [obligez 1 parce que
vous êtes. YQ1!§. êtes fantastiquement jaloux 1 votre passion vous pousse à
une jalousie féroce 1

311
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

GS: ouais /
BP : vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes affaires / même à jeter un collier / enfin à l' donner à quelqu'un /
GS: non / à l'donner à Saskia \\ (Apostrophes)

où les deux référents « Simenon» et « Denise» (désignée par D.), qui consti-
tuent les protagonistes principaux, remplissent alternativement la fonction de
sujet, d'objet, etc.

Il convient toutefois de préciser que les travaux établissant une relation entre
l'entité topicale et la fonction de sujet s'appuient sur l'analyse du discours
écrit. Or, pour le discours oral, ces propositions demandent à être affinées.
Lambrecht (1987) souligne en effet qu'il faut distinguer les sujets pronomi-
naux, qui renvoient à des entités caractérisées par une forte saillance et situées
au premier plan du discours, des sujets nominaux, plus rares en français parlé,
qui désignent des entités situées à l'arrière-plan du discours 16 . En suivant ces
propositions, il faut admettre que les entités topicales sont généralement co-
dées par des sujets pronominaux, à l'exception des noms propres qui, selon
Lambrecht (1987 : 248ss.), échappent à cette répartition.

Cette remarque conduit à l'évocation de la caractéristique principale de l'entité


topicale : son rôle central dans le discours se manifeste avant tout par la pré-
sence de séries d'expressions référentielles généralement liées par une relation
de coréférence, qui peuvent être décrites comme des chaînes de référence 17.
Par exemple, dans la notice nécrologique de 6.6, le référent principal est
d'abord introduit par un nom propre complet (Mr Mitsujiro Ishii) dans le titre
et le début de la première phrase, avant d'être repris par des pronoms (he) et
son nom de famille (lshii). Dans l'exemple 6.5, le « film de Xavier Beauvois»
'est d'abord introduit par un syntagme nominal indéfini avant d'être repris par
un pronom démonstratif, un syntagme défini et un pronom relatif. Enfin, dans
l'exemple 6.7, le référent « Simenon» auquel renvoie le déictique vous n'a pas
besoin d'être explicitement introduit à ce stade du dialogue, puisqu'il s'agit de
l'un des interlocuteurs. Le référent formé par sa compagne de l'époque, dont il
a déjà été question antérieurement, est quant à lui réactivé par l'initiale (D.),
avant d'être repris par des pronoms (l', elle).

16. Lambrecht étudie différents facteurs justifiant la différence entre le premier plan et l'arriè-
re-plan, tels que la topicalité, la continuité anaphorique, le caractère spécifique du référent,
la transitivité et la subordination syntaxique.
17. Pour la notion de chaîne de référence, voir Marandin (1988), Corblin (1995), et plus récem-
ment, Schnedecker (1998).

312
La structure conceptuelle du discours

6.1.3.2 L'évaluation de l'importance référentielle de l'entité topicale


Après avoir passé en revue les principales manifestations linguistiques de l'en-
tité topicale, il convient de relever que l'entité topicale peut être «plus ou
moins centrale» dans un discours. La question qui se pose alors est celle des
moyens permettant d'évaluer ce degré de centralité.

Cette question a déjà fait l'objet de plusieurs études, en particulier à travers la


notion d'« importance référentielle ». Ainsi, dans une séquence narrative,
Chafe distingue des degrés dans l'importance des protagonistes:

First there is the protagonist Malin Kundang, around whom the entire story is cen-
tered. Second there are his mother and his wife. Although subsidiary to Malin
Kundang, they play important roles in the plot. Third there are incidental charac-
ters like the servant who is told to get rid of the mother. Such characters appear
only briefly to perform a single, limited function. For reasons such as thesè we
may speak of referents as having primary importance (Malin Kundang), secon-
dary importance (the mother and the wife), and trivial importance (the servant).
(Chafe 1994 : 88)

Chafe s'appuie avant tout sur l'implication des personnages dans la séquence
narrative pour évaluer leur degré d'importance 18. Appliquant ce type de raison-
nement à l'analyse de la séquence narrative de Simenon:

(6.7)
BP : et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que rencontrez D .. à New York / eh bien vous [obligez / parce que
êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
OS: ouais /
BP : . elle devant . elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à l'donner à quelqu'un /
OS : non / à l' donner à Saskia \\

on peut dire que « Simenon », auquel renvoie le pronom vous, se caractérise


par une importance référentielle première, car c'est avant tout de lui et de son
attitude envers les femmes dont il est question dans ce passage. «Denise»
(D.), sa partenaire la plus directement impliquée dans l'épisode narré, se carac-
térise par une importance référentielle secondaire. Enfin « Saskia », évoquée
en tant que destinataire du collier, remplit un rôle d'importance triviale.

18. De manière similaire à Chafe, Downing (1996) et Kibrik (1996) dans Fox (éd.) (1996) utili-
sent la notion de « degré de protagonisme ».

313
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Dans une séquence aussi simple que celle-ci, il est assez facile d'évaluer l'im-
portance référentielle des référents à partir du degré d'implication des protago-
nistes dans la narration. On peut toutefois se demander s'il n'est pas possible
de faire reposer cette évaluation sur la prise en compte de marques linguisti-
ques, de manière à pouvoir l'appliquer à des segments discursifs plus complexes.

Pour repérer les référents caractérisés par une forte importance référentielle,
les indices les plus fréquemment utilisés ont été proposés par Giv6n (1983) et
sont constitués par la persistance du référent dans le discours et la fréquence de
ses mentions (Chafe 1994: 89)19. La validité de ces mesures quantitatives est
toutefois très limitée, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, on peut
rappeler la part de subjectivité inhérente à l'évaluation de l'importance réfé-
rentielle, qui est d'ailleurs déjà soulignée dans tous les travaux utilisant ces in-
dices. Deuxièmement, ces indices, élaborés en fonction de l'analyse de textes
écrits, ne saisissent que les occurrences explicites des référents. Or, comme je
l'ai déjà maintes fois souligné, les référents particulièrement saillants sont sou-
vent repris implicitement dans le discours oral. Plus problématique encore, car
cela concerne aussi bien le discours oral que le discours écrit, ces mesures tien-
nent compte uniquement des évocations directes du référent. De là découlent
de nombreux problèmes d'application. Par exemple:

(6.8)
BP: et. cette histoire qu'on m'a racontée 1 qui est peut-être une légende 1
que vous portiez toujours la même chemise 1 pendant que vous écri-
viez un roman Il
as : euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises 1. que
j'avais achetées (XXX) mon arrivée à New York 1 qui étaient très
pratiques 1parce que les manches étaient très larges 1c'était des che-
mises à grands carreaux . en écossais rouge 1 et l'autre en écossais
(marron) \ et ces chemises avaient un avantage d'être très très sou-
ples 1 et de bien absorber la transpiration 1je ne la sentais pas couler
sur ma peau \ parce que je sortais. en nage 1 d'un chapitre de roman \
toujours 1je devais me changer complètement 1
BP : alors mais
as : c'était la même chemise mais on la lavait tous les jours Il (Apostro-
phes)

Pour évaluer l'importance référentielle d'un référent comme la « chemise que


Simenon portait quand il écrivait un roman )), quelles sont les occurrences qui

19. De manière proche, Apothéloz (1995: 303) évalue 1'« empan textuel» plus ou moins large
des référents.

314
La structure conceptuelle du discours

doivent être comptées? Si l'on se limitait à prendre en considération unique-


ment les évocations initiale et finale de la même chemise, le comptage n'aurait
que peu de sens, car il négligerait les deux chemises évoquées dans la réponse
de Simenon. Mais quand bien même on prendrait en compte toutes les occur-
rences du mot « chemise », on se verrait conduit à négliger le syntagme nomi-
nal défini les manches, qui renvoie pourtant lui aussi à ces chemises par une
relation d'anaphore associative.

Pour l'ensemble de ces raisons, le comptage des occurrences d'un référent ne


peut être considéré, à lui seul, comme un indice fiable de son importance réfé-
rentielle. Il paraît donc plus que jamais nécessaire de s'appuyer avant tout sur
la prise en compte, même sommaire et intuitive, du rôle joué par le référent
dans le sens global construit par le discours.

6.1.3.3 l'ambivalence du statut cognitif de l'entité topicale


Bien que la notion d'entité topicale paraisse assez aisée à saisir intuitivement,
son statut cognitif fait l'objet de descriptions contradictoires. D'un côté, lors-
que l'on considère le rôle important que joue l'entité topicale dans le discours,
on insiste plutôt sur sa forte accessibilité (ou saillance), laissant entendre qu'un
tel référent est particulièrement accessible dans la conscience des interlocu-
teurs (cette perspective se retrouve en 6.1.3.2). Ce point de vue se trouve plei-
nement justifié par un exemple comme 6.5 :

(6.5)
JG: bien / tout à fait différent / un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse / N'oublie pas que tu vas mourir / le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois / Chiara Mastroianni:! Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie / et ID!! a reçu. au Festival de Can-
nes le prix du : jury //

où le « film de Xavier Beauvois », une fois introduit, peut sans hésitation être
analysé comme le référent qui émerge comme étant le plus saillant de ce pas-
sage.

De l'autre côté, l'entité topicale peut également être perçue comme se situant à
l'arrière-fond du discours. Ainsi, en commentant la notice nécrologique
de 6.6:

(6.6)
Mr Mitsujiro Ishii
Mr Mitsujiro Ishii, who as a former Speaker of the Japanese Rouse of Representa-
tives was instrumental in staging the 1964 Tokyo Summer Olympics and the 1972

315
les facteurs discursifs de l'identification du topique

Sapporo Winter Olympics, died on September 20. He was 92. Ishii had served as
Industry and Commerce Minister and in other cabinet posts under the late Prime
Ministers, Shigeru Yoshida, Nobusuke Kishi and Eisaku Sata, before retiring in
1972.
He was speaker of the House of Representatives from February 1967 to July 1969.

Brown & Yule relèvent, si je comprends bien le sens de leur distinction termi-
nologique20 , que l'entité topicale (activée ici par Mr Mitsujiro Ishii) ne consti-
tue pas en tant que telle l'entité la plus importante de cette notice. En effet,
celle-ci développe avant tout un élément dérivé de ce référent, c'est-à-dire
dans cet exemple précis, « l'évaluation des événements et gestes remarquables
de la vie de Mr Mitsujiro Ishii ».

De manière similaire mais à propos de la narration, Chafe relève que les indi-
cations initiales concernant le cadre spatio-temporel et les personnages acti-
vent des informations destinées à constituer un arrière-fond conceptuel:

In summary, the self evidently has a general need to be informed about at least the
general aspects of its environment : place, time, people, their salient characteris-
tics, background activity, and perhaps the weather and relevant props. If such
information is not in sorne way inferrable, it needs to be placed at the beginning of
a narrative in an appropriate sequence of focusses of consciousness. Once esta-
blished in that manner, it can be retained in peripheral consciousness as
background orientation. (Chafe 1980 : 42, c'est moi qui souligne)

Une fois introduit (par exemple, par lorsque vous rencontrez D. à New York
dans l'exemple 6.8), cet arrière-fond conceptuel guide la compréhension de la
narration ultérieure.

Ce type de description se retrouve également dans le modèle genevois, où les


entités topicales correspondent souvent à des points d'ancrage d'arrière-fond
(Roulet 1996, 1998, 1999b et c, Grobet 1996a, 1999c). Il en va ainsi pour les
interlocuteurs d'un dialogue, qui font l'objet de constants renvois pronomi-

20. «It might be objeeted that the term "topie entity" is unneeessary and that what we are
talking about here is simply our old friend "topie". We insist that it is useful to distinguish
between the topie entity/main eharaeter notion and the general pretheoretieal notion of "to-
pic" as "what is being talked about". One would hardly want to say that "the topie" of an
obituary was "the man" referred to by the name at the top of the entry, exeept in speaking in
sorne kind of shorthand. There are many aspects of "the man", physieal eharaeteristies for
instance, whieh would hardly be e.onsidered to be appropriate aspects for inclusion in an
obituary. The "topie" of an obituary might be more adequately eharaeterised in sorne sueh
terms as "an appreeiation of the noteworthy events and deeds in the life of X". »(Brown &
Yule 1983 : 138)

316
La structure conceptuelle du discours

naux. Il en va de même pour d'autres référents évoqués de manière cons-


tante. Ainsi, dans cet exemple déjà discuté que je reprends de manière plus
complète:

(6.9)
(= 2.20)
Je :le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'il l'a été. Il
MM: par moments 1euh: certainement i! a: i! a été heureux 1. fcrois qu'il a été
heureux dans g vie. littéraire 1 (e) qu'il a eu de grandes joies 1 .. euh dans
sa vie privée 1 i! a eu : . s sa part de . de difficultés et de malheurs 1 euh ..
euh : . j k. n'sais pas si dans l'ensemble on peut qualifier sa vie de : .. de
vie heureuse 1 <acc.> quand i! a voulu écrire euh : ses: .. ses mémoires
aux États-Unis pendant la guerre 1i! euh .. i! avait choisi un titre 1 euh .. q .
qu'je n'sais plus exactement 1 enfin c'était. quelque chose comme Une vie
difficile <acc.> (ou j'sais pas bien) 1 et on lui a dit 1 mais enfin c'est c'est
.YQ!!§ n'avez pas l'droit d'écrire ça 1 vous qui dès l'premier livre avez eu du
succès etcetera 1.. et alors en effet 1 i! n'l'a pas 1 e i! n'l'a pas \ .. i! ne se
considérait pas comme un homme qui avait été parfaitement heureux \\

les interlocuteurs (désignés par les déictiques) constituent des points d'ancrage
d'arrière-fond. Le référent formé par «André Maurois », qui fait l'objet de
constants renvois anaphoriques, est lui aussi considéré comme un point d'an-
crage d'arrière-fond dans toute cette séquence (Roulet 1996 : 21).

La confrontation de ces descriptions opposées est troublante: l'entité topicale


doit-elle être traitée comme particulièrement saillante ou comme située à l'ar-
rière-fond? Il convient pour commencer de préciser que cette question ne se
résume pas à un débat terminologique. En effet, on voit mal, dans l'exemple
6.5, comment un référent comme le « film de Xavier Beauvois» pourrait, une
fois introduit, être interprété comme un point d'ancrage d'arrière-fond, car il
n'existe pas d'autres référents susceptibles de remplir le rôle de topique pour
les troisième, quatrième et cinquième actes 21 . Cette entité topicale semble
avoir un statut différent de « Mr Mitsujiro Ishii » dans l'exemple 6.6 ou encore
d'« André Maurois» dans l'exemple 6.9.

Pour répondre à cette je défendrai l'hypothèse que, contrairement


aux apparences, ces descriptions ne sont pas fondamentalement opposées,
mais qu'elles témoignent du caractère relatif de la notion d'entité topicale.
Leur contradiction peut être expliquée par le rappel du mode d'articulation des

21. Des paraphrases en « à propos» montrent que des référents comme «cette semaine », «la
presse », « d'autres que j'oublie », par exemple, constituent des topiques peu pertinents
dans le contexte de cet exemple.

317
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

entités topicales, qui peuvent soit être juxtaposées (comme c'est le cas pour les
protagonistes d'une narration), soit être dérivées les unes des autres, comme
cela a été montré dans la structure conceptuelle effectuée en 6.1.2.2. Les diffé-
rences dans la saillance des entités topicales s'expliquent alors par des varia-
tions dans les niveaux de dérivation.

Dans l'exemple 6.5, le « film de Xavier Beauvois» constitue l'entité topicale à


partir de laquelle les autres informations sont immédiatement dérivées.

film

on parle c'est le film etc.


beaucoup ... N'oublie ... de Xavier ...

Figure 6.3. Structure conceptuelle de l'exemple 6.5

Les flèches indiquent les relations de dérivation à partir de l'entité topicale. Le


lien immédiat entre « le film» et les informations qui en sont dérivées justifie
la saillance particulière de ce référent.

En revanche, dans l'exemple 6.9 dont je reprends un extrait:

(6.9)
Je :le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'!! l'a été. Il
MM: par moments 1 euh : certainement!! a : !! a été heureux 1 [ ... ]

le référent « André Maurois» constitue une entité topicale première par rap-
port à son «bonheur» qui en est dérivé. C'est non pas à propos d'« André
Maurois» en général, mais bien à propos de son « bonheur» que 1. Chancel
pose sa question et que M. Maurois s'exprime dans sa réponse. Cet exemple
fait donc intervenir deux entités topicales liées par une relation de dérivation, à
savoir « André Maurois », duquel est dérivé son « bonheur », qui fonctionne
également comme une entité topicale puisque différents aspects vont en être
développés. Cette structure peut être schématisée sommairement de la manière
suivante22 :

318
La structure conceptuelle du discours

vous pensez ... ? par moments ...

Figure 6.4. Structure conceptuelle de l'exemple 6.9

Cette structure conceptuelle rend compte, me semble-t-il, du statut cognitif


ambivalent d'un référent comme « André Maurois ». En tant que référent su-
perordonné dont il est longuement question dans ce dialogue et en tant que
père de Michelle Maurois, ce référent peut être décrit comme très fortement
accessible pour les interlocuteurs. Cependant, il ne constitue pas, dans ce pas-
sage, le référent le plus directement pertinent au niveau de la structure infor-
mationnelle de la question de J. Chancel et de la réponse de M. Maurois, car il
est relégué à l'arrière-fond par un topique local plus immédiat: le « bonheur
d'André Maurois».

Cette discussion a permis d'étoffer quelque peu la notion d'entité topicale, tout
en la situant par rapport à d'autres concepts voisins, comme les « chaînes de
référence» et « l'importance référentielle ». L'entité topicale a pu être décrite
comme un référent dont l'évocation récurrente donne lieu à des chaînes d'ex-
pressions référentielles impliquant préférentiellement des pronoms, lesquels
sont souvent - mais pas toujours - associés à la fonction de sujet. Plusieurs en-
tités topicales peuvent intervenir simultanément dans une seule séquence: el-
les se caractérisent par une importance référentielle plus ou moins grande et
peuvent se combiner entre elles par des relations de juxtaposition ou de dériva-
tion. L'examen de l'ambivalence du statut cognitif de l'entité topicale a de plus
permis d'introduire la question de son articulation avec les points d'ancrage,
qui fera plus spécifiquement l'objet de la seconde partie de ce chapitre.

22. Comme je m'intéresse uniquement aux entités topicales, je me contente d'une structure très
simple. Pour une structure conceptuelle plus complète, voir Roulet (1996).

319
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

6.2 L'articulation de la structure conceptuelle


et des points d'ancrage

Je me propose d'étudier comment la structure conceptuelle et l'entité topicale


s'articulent avec la structure informationnelle en général, puis avec les points
d'ancrage immédiats et d'arrière-fond; il sera ensuite possible de préciser
dans quelles situations l'entité topicale contribue à guider l'identification du
topique.

6.2.1 L'entité topicale et la structure informationnelle


Il convient tout d'abord de rappeler qu'une entité topicale ne correspond pas
nécessairement à un référent identifiable ou déjà actif au niveau de la structure
informationnelle. Par exemple:

(6.10) (= 5.12)
MC: et quant à un film comme Festen / euh : (XX)
JG: il arrive parce que c'est au-delà de la dixième place /
MC: voilà \ voilà \ Festen arrive en décembre / il sort le le 21 décembre / les
gens ont dix jours pour voir / et ils ne mentionnent pas \. et ça
m'amène à parler un petit peu / peut-être brièvement mais tout de même /
dans ce genre de référendum / euh : évidemment . c'est pas comme si tous
les auditeurs du Masque et la Plume avaient vu tous les films / et que ils
détermineraient en leur âme et conscience ce qu'ils ont vu / il est évident.
que lorsqu'un film comme Titanic est vu par 20 millions de de personnes
en France / [ ... ] (Le Masque et la Plume)

Dans 6.10, le référent formé par le film« Festen » est d'abord réintroduit par et
quant à unfilm comme Festen, avant d'être repris par une reformulation du titre
(Festen) et par des pronoms qui le marquent comme un point d'ancrage. De
manière plus générale, toute entité topicale doit être introduite par le texte ou
la situation pour pouvoir fonctionner comme un point d'ancrage; de plus, rien
n'empêche qu'elle soit ultérieurement réactivée23 .

D'un point de vue statistique, il apparaît néanmoins que les entités topicales
sont souvent verbalisées par des chaînes d'expressions référentielles qui les

23. On peut également préciser que les points d'ancrage ne sont pas nécessairement constitués
par des entités topicales, mais peuvent être formés de référents évoqués de manière épisodi-
que. C'est le cas dans un exemple comme: vous êtes timide ce qui me paraît surprenant, où
le point d'ancrage auquel renvoie le démonstratif est constitué par la « timidité de Sime-
non », qui n'est que brièvement évoquée.

320
La structure conceptuelle du discours

marquent comme des points d'ancrage accessibles (voir 6.1.3.1i4 . Par exem-
ple, dans 6.10, le référent « Festen » est repris, après son introduction, par une
série d'expressions référentielles anaphoriques (il, Festen, il, le, le). Statisti-
quement, les entités topicales correspondent donc souvent à des points d'an-
crage.

Plus précisément, les entités topicales peuvent se combiner entre elles par des
relations de dérivation successives qui correspondent à différents niveaux
d'ancrage, comme je l'ai montré ci-dessus. Par exemple:

(6.11) (= 4.15)
BP : alors. vous êtes romantique / vous êtes. parfois naïf /
as : très naïf\\
BP : vous êtes très naïf / vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant / euh :
(Apostrophes)

Cet exemple fait intervenir plusieurs entités topicales liées par des relations de
dérivation. Au niveau le plus élevé, le pronom vous renvoie à« Simenon». De
cette entité topicale est dérivée l'entité formée par la proposition ouverte
« vous êtes X », paraphrasable par le « caractère de Simenon ». Ce « caractère
de Simenon» fonctionne alors à son tour comme une entité topicale première
de laquelle sont dérivés les traits « romantique », «parfois naïf », « timide »,
etc. L'ensemble peut être représenté de la manière suivante:

romantique

Figure 6.5. Structure conceptuelle de l'exemple 6.11

24. La validité de cette proposition n'est que statistique. Elle peut être contredite par exemple
lorsque des interlocuteurs cherchent à imposer leur propre référent comme entité topicale
(voir l'exemple cité par Berthoud 1996 : 79s5.).

321
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Les flèches ajoutées en bas du schéma indiquent que les représentations déri-
vées servent à leur tour d'entités premières pour l'activation d'autres informa-
tions (très naïf et ce qui me paraît surprenant).

Il convient de souligner l'importance du marquage linguistique dans l'émer-


gence de cette structure, car c'est lui qui confirme la pertinence de l'entité dé-
rivée formée par « vous êtes X », c'est-à-dire par le « caractère de Simenon ».
En effet, celle-ci est moins accessible en présence d'une séquence telle
que 6.12:

(6.12) Vous êtes romantique et vous vous attribuez aussi une grande naïveté.

car la proposition ouverte « vous êtes X » n'y est pas directement récupérable,
et l'entité formée par le « caractère de Simenon» ne peut qu'être inférée à par-
tir des informations activées par vous êtes romantique, vous vous attribuez une
grande naïveté dont elle constitue la catégorie englobante.

À partir de là, l'articulation entre les entités topicales et les points d'ancrage
peut être décrite de la manière suivante : une entité topicale fonctionne comme
un topique tant qu'il n'existe pas de référent plus immédiatement pertinent (tel
qu'une autre entité topicale dérivée) qui peut remplir ce rôle. Ainsi, dans
l'exemple 6.11, « Simenon» constitue une entité topicale superordonnante qui
ne peut être interprétée comme le topique pour les actes de ce passage, car elle
est supplantée par d'autres référents plus immédiatement pertinents comme
son « caractère ». Ce référent se trouve lui-même relégué à l'arrière-fond à
deux reprises par des points d'ancrage locaux (<< naïf» et «timide »). En sui-
vant les conventions de l'organisation informationnelle, les topiques de ce pas-
sage peuvent être explicités de la manière suivante :

(6.13)
BP: alors. vous êtes [caractère] romantique /
vous êtes [caractère]. parfois naïf /
GS: très naïf\\
BP: vous êtes [caractère] très naïf /
vous êtes [caractère] timide /
ce [timide] qui me paraît surprenant / euh:

Cette description de l'articulation entre les entités topicales et les points d'an-
crage demande encore à être précisée. Il convient en effet de déterminer les
conditions dans lesquelles une entité topicale correspond au topique, c'est-à-
dire n'est pas supplantée par un référent plus directement pertinent, et inverse-
ment, les circonstances dans lesquelles un autre référent s'impose comme étant
un topique plus pertinent. C'est à partir d'une telle mise au point qu'il sera

322
La structure conceptuelle du discours

possible de préciser les situations dans lesquelles la prise en considération de


l'entité topicale peut guider l'identification du topique.

6.2.2 L'entité topicale: un point d'ancrage immédiat


ou d'arrière-fond?
Pour préciser les conditions dans lesquelles l'entité topicale correspond au to-
pique et celles dans lesquelles elle se trouve reléguée à l'arrière-fond, je distin-
guerai, en fonction du marquage linguistique impliqué, trois types de situations
dont la complexité va croissant.

6.2.2.1 L'entité topicale correspond à un topique constant


Dans un premier cas de figure, l'entité topicale est systématiquement verbali-
sée par des traces anaphoriques. Aucun autre référent n'est susceptible de la
concurrencer, et l'entité topicale peut être interprétée comme un topique cons-
tant. Il en va ainsi dans l'exemple suivant:

(6.14) Marc est assez basané, il a les yeux bleus et il a les cheveux noirs.

où le référent introduit par Marc constitue une entité topicale qui, une fois in-
troduite, fonctionne comme le topique des deux actes suivants. L'exemple 6.5
illustre parfaitement cette configuration :

(6.5)
JG : bien / tout à fait différent / un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse / N'oublie pas que tu vas mourir / le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois / Chiara Mastroianni:/ Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie / et 9.!!i a reçu. au Festival de Cannes
le prix du : jury / /

Une fois introduit par le syntagme nominal indéfini, le « film de Xavier Beau-
vois» est verbalisé par des expressions référentielles qui le marquent claire-
ment comme topique.

Les exemples 6.9 et 6.11 peuvent en outre être considérés comme des variantes
de cette situation25 :

25. Dans ces exemples, je transcris en gras les expressions référentielles renvoyant au topique
et en italique celles qui désignent des points d'ancrage d'arrière-fond. Dans l'exemple 6.11,
le pronom vous est transcrit en gras, puisqu'il renvoie à une partie du topique, mais considé-
ré seul, il renverrait à un point d'ancrage d'arrière-fond.

323
les facteurs discursifs de l'identification du topique

(6.9)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'ill'[heureux]a été. Il
MM: par moments 1 euh: certainement il a: il a été heureux 1 .[ ... ]

(6.11)
BP: alors. vous êtes romantique 1
vous êtes. parfois naïf 1
GS: très naif\\
BP: vous êtes très naïf 1
vous êtes timide 1
ce qui me paraît surprenant 1 euh :

À la différence du « film de Xavier Beauvois », le « bonheur d'André Mau-


rois» et le « caractère de Simenon» sont eux-mêmes dérivés d'une entité topi-
cale première (respectivement «André Maurois» et «Georges Simenon »).
Ces informations dérivées fonctionnent néanmoins elles aussi comme des enti-
tés topicales premières par rapport aux informations qui en sont dérivées; elles
sont systématiquement verbalisées par des répétitions lexicales et correspon-
dent à des topiques constants.

6.2.2.2 L'ancrage constant sur l'entité topicale est doublé


par un ancrage linéaire explicite
Dans un deuxième type de situation, l'entité topicale, accessible et verbalisée
par des traces anaphoriques, est concurrencée par un autre référent, issu de
l'information activée qui précède, qui constitue lui aussi un topique possible.
Dans cette configuration, deux cas de figure peuvent se présenter: l'ancrage li-
néaire sur le référent local peut être marqué à la fois aux niveaux syntaxique et
lexical, ou uniquement au niveau lexical.

L'exemple suivant illustre un ancrage linéaire marqué à la fois par le lexique et


la syntaxe:

(6.15) Jean a cinq ans. Il est allé à l'école pour la première fois, mais la maîtresse
d'école, elle ne lui a pas plu du tout.

Le référent introduit par Jean et repris par il et lui constitue une entité topicale
dans l'ensemble de ce passage, car différents éléments le concernant y sont dé-
veloppés. Le référent formé par la « maîtresse d'école» est quant à lui intro-
duit dans une structure segmentée à gauche, avant d'être repris par le pronom
elle dans le dernier acte. Les deux référents pourraient constituer des topiques
possibles pour le dernier acte. Il semble toutefois que la présence de la seg-
mentée à gauche confère une saillance particulière au référent formé par la

324
La structure conceptuelle du discours

« maîtresse d'école », qui peut être identifié comme le topique du dernier acte,
reléguant « Jean» un peu plus à l'arrière-fond26 . En suivant cette interpréta-
tion, il faut admettre que ce n'est pas directement « à propos de Jean» que l'on
dit que « la maîtresse d'école ne lui a pas plus du tout », mais que c'est plutôt
« en parlant de Jean et à propos de la maîtresse d'école» que l'on dit qu' « elle
ne lui a pas plus du tout )). En d'autres termes, cela revient à dire que le topique
n'est pas constitué uniquement par « Jean )), mais par la « maîtresse d'école ))
et sa relation avec « Jean ))27.

Cette situation peut être illustrée par l'exemple authentique suivant (qui inclut
l'exemple 4.126) :

(6.16)
[contexte: B veut connaître les motifs justifiant le refus d'une allocation
compensatrice pour sa mère]
Bl33 : alors celui-là qui a un million par mois. il peut être accepté
C134 : mais ça dépend de son handicap madame ça ça n'a rien à voir avec les res-
sources l'allocation handicapé adulte à voir avec les ressources. hein on
peut très bien être reconnu. handicapé et que la COTOREP vous octroie.
l'allocation handicapé adulte ça n'est pas sûr que vous receviez de l'argent
ce sont les organismes payeurs après qui. tiennent compte de la res-
source . hein
B 135 : oui. mais si par exemple
C136 : mais dans l'allocation compensatrice
Bl37 : oui
Cl38 : on ne tient pas compte de la ressource
B139 : mais
Cl40 : on tient
Bl41 : mais comme la
C142 : compte de l'autonomie des gens
B143 : oui mais c'est bien sûr mais comme la l'aide ménagère il a bien fallu la
payer.
C144: ah mais ça c'est autre chose madame l'aide ménagère ..... elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale qui inter-
vient

26. Cette interprétation découle directement de l'analyse du rôle de la structure segmentée à


gauche dans l'identification du topique, effectuée dans le quatrième chapitre (4.2.4).
27. Lambrecht souligne l'importance de la relation entre les référents fonctionnant comme topi-
ques : « Thus a sentence containing two (or more) tapies, in addition to conveying informa-
tion about the topic referents, conveys information ABOUT THE RELATION that holds
between them as arguments in the proposition. The reason the proposition can be said ta be
ABOUT this relation is because the existence of sorne relation between two (or more) to-
pics is already established before the sentence is uttered. The assertion in such a sentence is
then the statement of the nature of the relation. » (Lambrecht 1994 : 148).

325
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

B 145 : mais certainement pas


C146 : mais si l'aide sociale intervient pour l'aide ménagère (Allocations)

Dans cet exemple, le pronom elle renvoie à la « mère de B ». Ce référent peut


être considéré comme une entité topicale dans l'ensemble de ce dialogue, car
c'est la « mère de B » qui constitue la bénéficiaire potentielle de l' « allocation
compensatrice» dont il est question dans ce passage. Le référent activé par
l'aide ménagère est quant à lui évoqué de manière beaucoup plus épisodique.
Il est pourtant particulièrement accessible, dans l'acte fléché en 144, car il est
préalablement réactivé par un segment détaché à gauche avant d'être repris par
le pronom y. De ce fait, le topique de cet acte est interprété comme étant cons-
titué par l' « aide ménagère », ou plutôt par la « relation entre l'aide ménagère
et la mère de B », et non pas uniquement par la « mère de B », dont il n'est pas
directement question et qui doit plutôt être considérée comme un point d'an-
crage d'arrière-fond. Cette interprétation peut être explicitée par une paraphrase
telle que:

(6.17) En parlant de votre mère, à propos de l'aide ménagère, elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale qui inter-
vient.

Dans les deux exemples qui viennent d'être examinés, j'ai fait l'hypothèse que
.c'est le marquage syntaxique qui confère une saillance particulière au référent
local, reléguant par là l'entité topicale plus à l'arrière-fond. Dans d'autres cas,
l'entité topicale est concurrencée par un référent marqué uniquement au niveau
lexical par une expression référentielle anaphorique. A-t-on alors affaire à
deux topiques ou l'un prime-t-il sur l'autre? Ce cas de figure peut être discuté
à partir de l'exemple suivant:

(6.18) Jean a cinq ans. Il a rencontré la maîtresse d'école, mais elle ne lui a pas
plu du tout.

Deux topiques paraissent possibles dans le dernier acte. « Jean », qui constitue
à nouveau une entité topicale par le rôle qu'il joue dans cette séquence, y est
marqué par le pronom lui. La « maîtresse d'école », à laquelle renvoie le pro-
nom elle, constitue également un topique possible. Ce référent est introduit
dans le deuxième acte, mais ne fait cette fois pas l'objet d'un marquage syn-
taxique spécifique. Comme je l'ai souligné dans le quatrième chapitre, la posi-
tion de sujet occupée par le pronom elle dans le troisième acte ne peut pas être
considérée comme une marque décisive. L'interprétation de 6.18 et de 6.19 :

(6.19) Jean a cinq ans. Il a rencontré la maîtresse d'école, mais il ne La pas aimée
du tout.

326
La structure conceptuelle du discours

peut être considérée comme identique du point de vue de la structure informa-


tionnelle. Les deux exemples admettent à la fois « Jean }} et/ou la « maîtresse
d'école }} comme topique(s), ce qui apparaît dans les paraphrases suivantes:

(6.18') À-propos de Jean, la maîtresse d'école ne lui a pas plu du tout.


(6.18") Apropos de la maîtresse d'école, elle n'a pas plu du tout à Jean.
(6.18''') Apropos de Jean et de la maîtresse d'école, elle ne lui a pas plu du tout.

(6.19') Apropos de Jean, il n'a pas du tout aimé la maîtresse d'école.


(6.19") Apropos de la maîtresse d'école, Jean ne l'a pas aimée du tout.
(6.19"') A propos de Jean et de la maîtresse d'école, il ne l'a pas aimée du tout.

Il apparaît ainsi que si l'on prend en compte uniquement le marquage syntaxi-


que et lexical du dernier acte, les deux référents peuvent fonctionner comme
des topiques sans qu'il soit possible de les départager.

Lorsque l'entité topicale est doublée par un ancrage linéaire explicite, il con-
vient donc de distinguer deux configurations différentes. Si cet ancrage linéai-
re est marqué à la fois au niveau syntaxique et lexical, il renvoie à un référent
interprétable comme le topique. En revanche, si l'ancrage linéaire est signalé
uniquement au niveau lexical par une reprise anaphorique, le topique, qui peut
aussi être formé par l'entité topicale, ne peut être considéré comme clairement
identifiable.

6.2.2.3 L'ancrage constant sur l'entité topicale est doublé par un


ancrage linéaire implicite
Après avoir examiné les situations dans lesquelles l'entité topicale est interpré-
tée comme un topique constant et celles dans lesquelles elle est doublée par un
ancrage linéaire explicite, on pourrait espérer avoir fait le tour de la question.
Ce serait effectivement le cas s'il était possible d'admettre que les ancrages
implicites sur une information préalablement activée par un constituant adja-
cent ne s'imposent qu'à défaut de marques explicites du topique, comme
dans 6.20:

(6.20)
A: tu as vu Georges ?
B: oui à l'instant

où la réponse de B s'ancre implicitement sur l'information activée par la ques-


tion (tu as vu Georges). De tels ancrage ne devraient pas être observés en pré-
sence d'une entité topicale déjà verbalisée par des expressions référentielles
anaphoriques.

327
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

Et pourtant, c'est bien ce qUl semble parfois se passer. Ainsi, dans


l'exemple 6.21 :

(6.21) Vous êtes lunatique, vous avez des sautes d'humeur.

les pronoms vous renvoient à un référent (l'« interlocuteur»), dont on peut


supposer qu'il s'agit d'une entité topica1e. Ce référent constitue un topique ac-
ceptable pour le deuxième acte, ce que montre une paraphrase telle que:

(6.22) A propos de vous, vous avez des sautes d'humeur.

Mais 1'« interlocuteur» ne constitue pas le seul topique possible: cet exemple
peut également faire l'objet d'une interprétation selon laquelle le topique du
deuxième acte serait dérivé de l'information activée précédemment. En effet, il
est possible d'établir une relation entre le fait d'« être lunatique» et celui
d'« avoir des sautes d'humeur », qui peut être décrite, de manière informelle,
comme impliquant un trait de caractère (<< être lunatique ») et une manifesta-
tion extérieure de ce trait de caractère (<< avoir des sautes d'humeur »). Cette
interprétation peut être représentée par le schéma suivant28 :

être lunatique avoir des sautes d'humeur


trait de caractère manifestation

Figure 6.6. Structure conceptuelle de l'exemple 6.21

L'émergence d'un tel lien conceptuel justifie, me semble-t-il, une interpréta-


tion selon laquelle le topique du deuxième acte est constitué non pas unique-
ment par le référent désigné par vous (l'« interlocuteur»), mais plutôt par
« l'interlocuteur en tant qu'il vient d'être qualifié de lunatique ».

Le rôle de ce lien conceptuel dans l'identification du topique peut être rendu


plus manifeste encore en comparant l'exemple qui vient d'être traité avec un
exemple comme 6.23 :

(6.23) Vous êtes lunatique, vous habitez à Trou-les-Bains.

28. J'indique en italique les catégories justifiant le lien conceptuel entre les prédicats.

328
La structure conceptuelle du discours

où il est beaucoup plus difficile d'établir un lien entre les informations activées
par les prédicats: ceux-ci activent des informations qui semblent avoir pour
unique point commun de décrire des caractéristiques du référent désigné par
vous. La structure conceptuelle peut être esquissée de la manière suivante:

vous

être lunatique habiter à


Trou-les-Bains

Figure 6.7. StruCture conceptuelle de l'exemple 6.23

Contrairement à ce qui se passe pour l'exemple précédent, le lien entre les in-
formations activées par les deux prédicats n'est pas particulièrement saillant et
il ne favorise pas une interprétation impliquant un ancrage linéaire. Le topique
le plus immédiatement accessible semble donc être le référent désigné par
vous.

La prise en compte de ces ancrages qui reposent avant tout sur la nature des in-
formations activées par les prédicats reste toutefois délicate, car leur caractère
implicite rend leur repérage incertain et tributaire des connaissances de l'inter-
prétant. Par exemple, si je ne vois personnellement aucun lien référentiel entre
le fait d' « être lunatique» et celui d' « habiter Trou-les-Bains », il existe peut-
être des locuteurs pour qui les habitants de Trou-les-Bains sont connus pour
avoir des sautes d'humeur: contrairement à moi, ces locuteurs percevront un
lien référentiel entre ces deux éléments. La subjectivité de l'interprétant et les
connaissances sur lesquelles il s'appuie jouent donc un rôle crucial dans le re-
pérage de ces ancrages implicites.

Il existe heureusement un certain nombre de connaissances générales, suppo-


sées partagées à l'intérieur d'une communauté culturelle, qui permettent de
rendre compte de bon nombre d'ancrages linéaires. En effet, les ancrages im-
plicites caractérisent des prédicats relevant souvent d'un paradigme référentiel
commun, qui peut être associé soit à certains concepts, comme c'est le cas
avec un exemple comme 6.21 :

329
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

(6.21) Vous êtes lunatique, vous avez des sautes d'humeur.

soit à certaines séquences événementielles. Ainsi, dans un exemple comme :

(6.24) La sonnerie l'a réveillé, il s'est levé et il a pris une douche.

il existe une relation « chrono-logique» entre les différentes actions évoquées


qui justifie la présence de topiques implicites, que j'explicite entre parenthèses :

(6.25)
La sonnerie l'a réveillé,
(une fois réveillé par la sonnerie) il s'est levé,
(une fois levé) il a pris une douche.

Il convient de préciser qu'un lien conceptuel peut également être explicité par
la présence de connecteurs, tels que parce que ou donc, qui indiquent la pré-
sence d'une relation argumentative ou conclusive, et en même temps l'existen-
ce d'un lien conceptuel sous-jacent:

(6.26) Vous êtes lunatique, parce gue vous habitez à Trou-les-Bains.

(6.27) Vous êtes lunatique, donc vous habitez à Trou-les-Bains.

D'une manière très générale, on peut dire que les exemples 6.26 et 6.27 impli-
quent des relations de causalité et de conséquence.

La discussion d'exemples authentiques permettra d'illustrer quelques configu-


rations dans lesquels de tels ancrages implicites interviennent. Le premier, ex-
trait du dialogue entre Pivot et Simenon, a été analysé par Roulet ; il est très
proche de ceux qui ont été étudiés jusqu'à présent:

(6.28)
BP: décidément. elle est extraordinaire Teresa / ...... elle vous a fait perdre tous
vos défauts /
as: eh bien eh bien parce qu'elle est sereine / elle est. je ne sais pas / c'est un
Saint-Bernard elle aussi / si je puis dire / je ne sais pas / enfin \ c'est une
union vraiment comme je l'imagine \\ (Apostrophes)

Dans ce passage, le référent « Teresa », auquel renvoient les pronoms elle, joue
un rôle central et peut donc être interprété comme une entité topicale 29 • L'acte
fléché active une information qui s'ancre non seulement sur ce référent, mais
également sur l'information qui vient d'être activée, à savoir« le fait que Tere-
sa est extraordinaire». Roulet justifie cet ancrage par la possibilité d'effectuer

29. Les interlocuteurs, auxquels renvoient les déictiques, forment également des entités topica-
les, qui sont toutefois situées plus à l'arrière-fond.

330
La structure conceptuelle du discours

un détachement comme: « si je dis extraordinaire, c'est parce qu'elle vous a


fait perdre tous vos défauts» (RouI et 1999c). Cette reformulation introduit non
seulement un détachement, mais également un lien argumentatif (à travers le
connecteur parce que) qui constitue une manière (parmi d'autres) de rendre
manifeste le lien conceptuel sous-jacent à ces deux informations.

L'exemple 6.28 illustre un même type d'ancrage:

(6.28)
PM: euh: non / la réaction c'est évidemment la grande joie pour. de voir
l'Angelopoulos qui a été. vraiment mal accueilli /
JG: OUI
PM: Y compris à cette tribune
X: y compris à cette tribune
Y: par par par toujours les mêmes / enfin le film a tout de même été très bien
accueilli par
JG: on ne dit pas de ses amis que ce sont les mêmes /
X,Y: <rires>
PM: par rapport par rapport à ce que ce film méritait /
JG: ouais
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année / -+ je suis donc
heureux de le voir en quatrième / (Le Masque et la Plume)

Dans l'ensemble de cet extrait, le film d'Angelopoulos joue le rôle d'une entité
topicale, ce dont témoignent les nombreuses expressions référentielles qui y
renvoient (l'Angelopoulos, le film, ce film, c', 1J. Ce référent constitue un
point d'ancrage possible pour le dernier acte, mais il n'est pas le seul. En effet,
le locuteur établit une relation, soulignée par la présence du connecteur donc,
entre le fait de « trouver que c'était un des plus beaux films de l'année », et le
fait d' « être heureux de le voir en quatrième ». Ce lien peut être représenté par
le schéma suivant:

1 Angelopoulos 1

L trouve que c'était un L est heureux de le voir


des plus beaux films ... en quatrième

évaluation du film conséquence

Figure 6.8. Structure conceptuelle de l'exemple 6.28

331
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

La relation entre les infonnations activées par les prédicats des deux derniers
actes justifie, me semble-t-il, un enchaînement infonnationnel linéaire, que
l'on peut expliciter par:

(6.29) (je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année) je suis donc heu-
reux de le voir en quatrième

Il reste enfin à examiner un dernier type d'exemple, particulièrement fréquent,


dans lequel ce type d'ancrage implicite est prédominant: il s'agit des narra-
tions. Ainsi, dans l'exemple 6.730 :

(6.7)
BP : et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D .. à New York / eh bien vous l'obligez / parce que
vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
GS: ouais /
BP : vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à l' donner à quelqu'un /
GS : non / à l'donner à Saskia \\

les référents « Simenon» et « Denise» (D.), auxquels renvoient les pronoms


vous et elle, constituent des entités topicales pouvant être interprétés comme
des topiques. Cependant, on observe également l'émergence de relations entre
les différentes actions évoquées (vous rencontrez ... , vous l'obligez ... , elle s 'hu-
milie à brûler ... , même à jeter ... ), qui se justifient notamment par leur apparte-
nance à une narration commune, introduite par: une scène invraisemblable31 •
Plus précisément, on peut faire 1'hypothèse que ces relations reposent sur la
structure de la séquence narrative que l'on peut décrire de manière très généra-
le comme impliquant un état initial (lorsque vous rencontrez D. à New York),
une complication (vous l'obligez ... ), des actions (elle s'humilie à brûler ... ),
une résolution (même àjeter un collier) et un état final (implicite dans cette sé-
quence )32. À partir de là, la structure conceptuelle de la séquence narrative
peut être esquissée ainsi :

30. Pour l'analyse d'un autre exemple similaire, cf. Grobet (1999b).
31. D'après Reinhart (1986), l'une des caractéristiques de la séquence narrative est que les ac-
tions successives composant son avant-plan y sont perçues comme un tout continu.
32. Pour des études de la macro-structure narrative, voir Adam (1992), Adam & Revaz (1996),
et pour des discussions dans le système modulaire genevois, Grobet & Filliettaz (2000),
Filliettaz (1999b), Filliettaz & Grobet (1999), Roulet (1991b, 1999b et c), Roulet, Filliettaz
& Grobet (2001).

332
La structure conceptuelle du discours

scène invraisemblable racontée par S.

vous vous elle s'humilie même à


rencontrez ... l'obligez ... à brûler. .. jeter ...
État initial Complication Action Résolution

Figure 6.9. Structure conceptuelle de la narration de l'exemple 6.7

À cette structure correspondent des ancrages informationnels linéaires qui peu-


vent être explicités entre parenthèses :

(6.30)
BP: et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \
(une autre scène ... ) lorsque vous rencontrez D .. à New York /
(lorsque vous rencontrez ... ) eh bien vous l'obligez /
[ ... ]
BP: (vous l'obligez) vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses
lettres /
(elle s'humilie) à brûler toutes ses affaires /
(elle s 'humilie) même à jeter un collier /
(même à jeter) enfin à l'donner à quelqu'un /
GS: (même àjeter) non / à l'donner à Saskia \\

Dans la séquence narrative proprement dite s'insère un commentaire de B. Pi-


vot, qui propose une explication à la conduite de Simenon, à laquelle acquiesce
son interlocuteu2 3 :

(6.31 )
BP: parce que vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous
pousse à une jalousie féroce /
GS: ouais /

Malgré l'interruption provoquée par ce commentaire, la reprise de la séquence


narrative par vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres
paraît enchaîner sur l'information activée par le prédicat vous l'obligez, activée

33. Dans la tenninologie de Labov (1978), on peut décrire ce passage évaluatif comme étant
constitué de « propositions libres », qui se distinguent des « propositions narratives» tem-
porellement ordonnées.

333
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

quelques actes auparavant34 • La possibilité de la perception d'un tel ancrage à


distance témoigne, me semble-t-il, de la force du lien conceptuel qui unit les
actions successives de la séquence narrative.

L'examen de ces exemples a permis d'illustrer quelques configurations carac-


téristiques dans lesquelles la relation entre les informations activées par les
prédicats est pertinente et peut justifier un ancrage linéaire au niveau de la
structure informationnelle. Ces ancrages sont certes plus problématiques que
les ancrages explicites, car ils font largement intervenir la subjectivité de l'in-
terprétant. Leur prise en compte se justifie cependant par la nécessité de décri-
re la progression informationnelle des dialogues de manière plus significative
que comme une progression toujours constante dont les topiques seraient for-
més par les interlocuteurs (voir dans le premier chapitre en 1.3.1). De plus, rien
n'empêche de combiner la description de ces ancrages linéaires avec la prise
en compte des entités topicales qui jouent un rôle structurant important. Par
exemple, pour décrire une narration comme celle de l'exemple 6.7, il est inté-
ressant de relever les ancrages linéaires tout comme il est pertinent de retenir
les points d'ancrage constants formés par les personnages principaux, qui
jouent un rôle central dans l'arrière-fond conceptuel de la séquence. Pour cette
raison, il me paraît nécessaire de reconnaître la co-existence de ces deux types
de points d'ancrage situés à différents niveaux.

6.2.3 Le rôle de l'entité topicale dans l'identification


du topique en situation de rupture
Il ressort de la discussion qui vient d'être menée que l'entité topicale corres-
pond assez rarement au topique, puisqu'elle se trouve fréquemment concurren-
cée par des ancrages linéaires explicites ou implicites. De plus, même
lorsqu'elle correspond au topique, l'entité topicale est verbalisée pàr des ex-
pressions référentielles anaphoriques qui signalent déjà son rôle de point d'an-
crage. Pour ces raisons, la notion d'entité topicale ne paraît pas jouer un rôle
décisif dans l'identification du topique dans les enchaînements simples.

En revanche, recourir à la notion d'entité topicale devient plus intéressant dès


que l'on se trouve dans une situation de rupture, d'où les enchaînements linéai-
res sont exclus. En effet, l'entité topicale se caractérise par une forte accessibi-
lité, qui se justifie par le rôle central de cette entité dans le discours et/ou par la

34. Cet ancrage semble plus accessible que celui qui impliquerait la « jalousie de Simenon »,
comme le suggère la différence entre l'enchaînement: « vous l'obligez ... elle s'humi-
lie ... » et « votre passion vous pousse à une jalousie ... elle s'humilie ... ».

334
La structure conceptuelle du discours

présence matérielle du référent dans la situation d'interaction (comme c'est le


cas pour les interlocuteurs). Par exemple, Clancy relève à propos de la narra-
tion:

The key to understanding these strategies lies in Chafe's suggestion (1976) that the
role of a particular character within a discourse may influence the speaker's way of
referring to that character ; thus, for example, the main character may have a stron-
ger hold on the status of old information than other characters. (1980 : 178)35

La forte accessibilité des entités topicales n'est pas propre à la narration; elle
peut être illustrée par un exemple extrait d'un dialogue en librairie, à propos du
référent formé par 1'« amie de la cliente » :

(6.32)
Cl: bonjour monsieur Il
L2: bonjour madame Il
C3: j'ai un p'tit problème 1
L4: oui Il
C5: j'n'habite pas G'nève \
L6: mmhl
C7: - et : . il Y a . j'ai une amie 1 qui est malade 1
L8: mmhl
C9: - et qui m'a demandé de trouver certains livres de la collection Harlequin
c'est une =
LlO: ouais ouais j 'connais 1 . j'ai pas du tout \\
[ ... ]
L80 : - qu'est-ce qu'elle aim.. elle aim'rait, elle aim'rait les autres 1
C81 : (Jeux de Scène) Il
L82 : - ou bien elle aim'rait ça 1. elle aim'rait le la suite de cette collection 1
votr'amie 1
C83 : enfin je n'sais rien 1 euh euh écoutez 1euh laissez moi voir (XXX) <bas>
L84 : - donc elle en veut trois 1 si j'comprends bien \\
C85 : - non elle veut tout ça 1 si ils existent en: français \ ... ell' veut le numéro
treize 1..
L86 : ok (bon) alors vous m'laissez toutes
C87 : le numéro treize \\
L88: les feuilles vous m'donnez
C89: c'est Clause Blanche Il
L90: vot'nom madame 1
C91: oui 1
L92: attendez. c'est madame 1
C93: voilà 1. attendez je vais vous écrire 1 ... <elle écrit en parlant à voix basse
pour elle> Clause Blanche j'ai écrit tout ça hier soir (XXX)

35. Cf. également Chafe (1980), Downing (1996), Fox (1996) et Kibrik (1996).

335
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

L94: bon \\ .,.


C95: voilà \\
L96: d'accord. alors vot'nom Il
C97: (XX) vous écrire 1 c'est en toutes lettres 1
L98: oui 1 . bien \ . pis vous m'mettez votr'adresse 1 que j'puisse vous avertir Il
C99: (tenez) ... <elle écrit>
LIOO: bien \ ok = ...
CIOI : et je crois qu'il faudrait mettre 1. il vaut mieux demander Teresa 1 parce
que la dame qui est là ne parle pas bien l'français: 1
LI02: bon \\ b ..
CI03 : dites que c'est la librairie 1je vais lui expliquer \
LI 04: ouais ouais ouais ouais 1 . ouais ouais \\
CI05 : mais par exemple 1. euh . demain 1 . (XXX)
LI 06: écoutez 1 de toute façon demain j 'vais pas vous avertir 1
CI07 : donnez-moi votre téléphone 1
LI08: ouais
CI09: j'vous téléphone moi 1c'est mieux Il
LI 10 : voilà j'vous donne ça \\
C III : donnez-moi votre numéro de téléphone 1 . voilà merci \\
LI12: (vous avez) \ .
C lB : oui. alors écoutez. le numéro treize 1 on a nous \ . le treize
LI14: ouais il est là 1
C 115 : voilà. treize et quatorze 1
LI16: oui \\
CIl7: ça nous savons qu'il existe \\
LIl8: bien \\
C 119: les autres 1 donnez les noms et les titres en anglais s'ils peuvent regarder à
la première page 1. à l'intérieur il y al
LI20: ouais ouais 1 ben y vont y vont m'donner l'catalogue 1pis je:
C121 : (si) possible 1 je crois pas qu'il y a un catalogue 1.. alors. sam'di matin
sans faute 1 moi je passe 1 de toute façon \
LI22: ah ben j 'aurai en tout cas ceux-là 1. ouais ouais \\
Cl23 : oui alors 1 le euh : .. je vous téléphone même demain 1 si j'ai la voiture je
passe ch... <bas> demain après-demain ce n'est pas grave 1 aujourd'hui
ma voiture est au garage = oh c'était une bonn'idée d'entrer 1 c'tait.
depuis c'matin 1
L124: non mais si vous les trouvez pas 1 d'toute façon nous on peut toujours les
commander 1 donc y a pas de =
C 125 : -+ oui \ et vous me rendez ça - comme ça je lui demande pour euh 1
LI26: tout à fait tout à fait Il
C 127: -+ et je lui dis elle peut vous téléphoner Il
LI28: -+ et si elle en veut d'autres 1 euh =
C129: ouill

336
La structure conceptuelle du discours

Le référent formé par 1'« amie de la cliente» est évoqué pour la première fois
en 7 et 9 par la cliente (j'ai une amie / qui est malade / et qui m'a demandé de
trouver certains livres de la collection Harlequin) : 1'« amie» est présentée
comme la destinataire des livres que la cliente veut acheter. En tant que telle,
cette « amie» joue un rôle central dans ce dialogue et peut être considérée
comme l'une des entités topicale (parmi d'autres entités topicales comme les
« livres », les « interlocuteurs », etc.). L'« amie» fait l'objet de reprises prono-
minales entre 80 et 85 et est explicitée par le libraire en 82 (ou bien elle
aim 'rait ça /. elle aim 'rait le la suite de cette collection / votr 'amie). À partir
de 125, elle est reprise par plusieurs pronoms (je lui demande pour euh,je lui
dis elle peut vous téléphoner, et si elle en veut d'autres euh) sans avoir été
préalablement réactivée. Malgré cela, l'interprétation de ces pronoms ne pose
aucun problème aux interlocuteurs, ce qui témoigne de la forte accessibilité de
ce point d'ancrage. La saillance de ce référent ne peut pas s'expliquer par la
structure hiérarchique textuelle, car les différentes opérations effectuées par les
interlocuteurs (détermination des livres à commander, prise des coordonnées
de la cliente, etc.) impliquent la présence d'échanges distincts. Cette pluralité
d'échanges apparaît d'autant plus clairement que les interventions en 125 et
128 se présentent comme des interventions initiatives d'échanges. Il faut donc
admettre que c'est le rôle d'entité topicale de« l'amie de la cliente» quijusti-
fie sa forte accessibilité pendant tout ce dialogue 36 .

L'analyse de cet exemple fait apparaître que, comme la structure hiérarchique


et relationnelle, la structure conceptuelle peut, à travers la notion d'entité topi-
cale, justifier la saillance forte et persistante de certains référents. Il semble
donc légitime de supposer que, lorsque le topique n'est pas directement issu
des actes immédiatement antérieurs, comme c'est le cas en situation de ruptu-
re, la prise en compte de l'entité topicale peut guider son identification. Pour le
montrer, j'examinerai l'exemple suivant:

(6.33)
NV: oui Claude alors beaucoup d'appels ce soir / d'abord alors évidemment
pour les félicitations d'usage lors des anniversaires avec des vœux pour le
futur / et quand même pas mal de remarques / - alors dans les critiques /
tout le monde en prend un peu pour son grade \\ - on commence par cette
auditrice qui estime que la durée de l'émission est trop courte / elle préfé-
rerait un débat plus long / mais deux fois par semaine \\ - l'appel de cet
habitué de La Chaux-de-Fonds qui est trop souvent déçu par la qualité des
invités / des invités qui dit-il peinent à sortir de leur corset / et qui ne se
remettent pas assez souvent en question \\ - toujours au sujet des invités

36. Pour la discussion d'un exemple similaire extrait d'un dialogue téléphonique, cf. Grobet
(1996a).

337
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

une auditrice souhaiterait que les noms des invités soient annoncés dans la
journée / cela pourrait titiller les auditeurs plus tôt \\ .... un autre est frustré
par la manière dont se déroulent les débats / ça c'est pour les journalistes /
lorsque des thèmes importants sont abordés explique-t-il / les animateurs
ne laissent pas assez parler les invités / ils dirigent trop la discussion pour
rester dans un chablon / et ne s'éloignent pas assez de leur plan respectif\\
.... autre son de cloche avec un auditeur / qui estime que les invités ont tout
loisir d'éluder les questions embarrassantes \\ .... et puis dernière remarque
avec la sélection des questions des auditeurs / des questions souvent mal
sélectionnées et trop personnelles \\ .... enfin alors après les critiques. les
souhaits / le souhait notamment de cet auditeur qui pense qu'il y a trop de
débats politiques et techniques / et qui plaide avant tout pour des débats de
société qui touchent à la spiritualité \\ le vœu de ce même auditeur pour le
nouveau directeur de la radio. qui vient d'être nommé / un homme qui
devrait développer les émissions. interactives \\

Cet exemple est constitué par la lecture d'une liste dans laquelle sont énumé-
rées les différentes remarques des auditeurs sur l'émission radiophonique Fo-
rum. La structure conceptuelle est clairement marquée: les remarques des
auditeurs sont divisées en trois catégories: les «félicitations », les «criti-
ques » et les « souhaits »37. Parmi ces trois groupes, les « critiques» sont les
plus nombreuses, car il y en a six en tout. Cette brève description de la structu-
re conceptuelle peut être représentée par le schéma suivant:

appels

félicitations souhaits

on commen- l'appel de toujours un autre autre son et puis


ce par cette cet habitué au sujet est frustré de cloche dernière
auditrice ... de La des parla avec un remarque
C.-d.-F ... invités ... manière ... auditeur ... avec ...

Figure 6.10. Structure conceptuelle de l'exemple 6.33

37. Les « critiques» et les « souhaits» pourraient éventuellement être regroupés car ils sont in-
troduits par et quand même pas mal de remarques.

338
La structure conceptuelle du discours

Comme le montre ce schéma, le référent constitué par les « critiques », lui-


même dérivé de l'entité topicale formée par les « appels », joue le rôle d'une
entité topicale première par rapport aux réactions des auditeurs qui en sont dé-
rivées.

Au niveau de son organisation périodique, cette énumération se caractérise


également par une structure très distinctement marquée. Avec une grande régu-
larité, chaque évocation de l'appel d'un auditeur est intégrée dans un mouve-
ment périodique, où la fin de la structure syntaxique est soulignée par la
présence d'un intonème conclusif descendant (transcrit par \\). Cette structure
périodique est presque monotone par son caractère répétitif: elle pourrait être
interrompue à n'importe quelle fin de mouvement périodique ou poursuivie à
l'infini. Elle s'explique à la fois par la structure énumérative38 et par l'activité
de lecture à laquelle se livre le locuteur.

L'énumération étant ainsi scandée par des ruptures périodiques, l'évocation de


chaque appel s'inscrit dans un contexte de rupture, associé à l'absence d'ancra-
ge informationnel linéaire. Par exemple, l'acte on commence par cette auditri-
ce qui estime que la durée de l'émission est trop courte ne peut être interprété
comme s'ancrant sur l'information activée par l'acte qui le précède immédiate-
ment, à savoir tout le monde en prend un peu pour son grade, car cela laisserait
entendre que l' « auditrice» appartient à la catégorie des gens qui « en prennent
un peu pour leur grade », ce qui contredirait le sens global des propos du locu-
teur (les critiques s'adressent aux journalistes et pas aux auditeurs). Le point
d'ancrage le plus immédiat de cet acte, c'est-à-dire son topique, est plutôt
constitué par l'ensemble des « critiques », dont la remarque de l' « auditrice es-
timant que la durée de l'émission est trop courte )) constitue un exemplaire.

Bien qu'un peu plus complexe, l'intervention qui commence par toujours au
sujet des invités une auditrice souhaiterait que les noms des invités soient an-
noncés dans la journée peut être analysée d'une manière similaire. Le topique
de la remarque de l'auditrice y est amené en deux temps. Après la fin du mou-
vement périodique qui précède, le locuteur réactive la représentation des « in-
vités)) dans le cadre d'une segmentée à gauche: toujours au sujet des invités.
Cette explicitation du lien conceptuel entre la remarque qui suit et celle qui la
précède s'ancre sur l'entité topicale formée par les « critiques )) implicitement
sous-jacente (c'est une « critique)) qui est « toujours au sujet des invités ))).
Dans un second temps, le propos évoqué par une auditrice souhaiterait que les
noms des invités soient annoncés dans la journée s'ancre sur le topique formé

38. Les parallélismes prosodiques sont caractéristiques dans les énumérations (Wunderli et al.
1978, Rossi 1985, Mertens 1990).

339
Les facteurs discursifs de l'identification du topique

par les « invités », préalablement rendu saillant par sa réactivation dans la seg-
mentée à gauche.

Le même type de raisonnement peut être appliqué aux autres appels des audi-
teurs, tous précédés par une rupture périodique et pouvant être interprétés com-
me s'ancrant sur l'entité topicale formée par l'ensemble des « critiques»
(explicitée entre parenthèses) :

(6.34)
(dans les critiques) l'appel de cet habitué de La Chaux-de-Fonds qui est trop sou-
vent déçu par la qualité des invités ...
(dans les critiques) toujours au sujet des invités une auditrice souhaiterait que les
noms des invités soient annoncés dans la journée ...
(dans les critiques) un autre est frustré par la manière dont se déroulent les débats

(dans les critiques) autre son de cloche avec un auditeur / qui estime que les invités
ont tout loisir d'éluder les questions embarrassantes
(dans les critiques) et puis dernière remarque avec la sélection des questions des
auditeurs ...

Dans cette énumération, l'ancrage sur l'entité topicale constituée par les « cri-
tiques» n'est pas verbalisé par des expressions référentielles anaphoriques qui
y renvoient directement, car il est uniquement fait référence aux « auditeurs» à
l'origine des remarques et à leurs « appels». Le rôle de l'entité topicale formée
par les « critiques» apparaît toutefois distinctement dans la reformulation qui
clôt l'évocation des six critiques (après les critiques les souhaits) et marque
par là explicitement la transition vers une autre entité topicale.

L'analyse de cet exemple montre qu'en situation de rupture, la prise en compte


d'une entité topicale comme les « critiques» peut contribuer à l'identification
du topique, et cela même en l'absence de traces anaphoriques. On peut relever
que dans un grand nombre d'exemples, les entités topicales sont évoquées par
des constituants principaux dans la structure hiérarchique. Mais dans cet exem-
ple, la prise en compte de la structure conceptuelle est d'autant plus intéressan-
te qu'elle diffère de la structure hiérarchique: à ce niveau d'organisation, les
« critiques» sont activées pour la première fois dans le cadre d'un acte subor-
donné, lié par une relation de cadre à l'intervention qui suit.

6.2.4 Bilan
La structure conceptuelle constitue le dernier facteur intervenant dans l'identi-
fication du topique étudié dans le cadre de ce travail. Malgré la complexité de
cette structure qui rend son analyse problématique, il a été possible de faire ap-

340
La structure conceptuelle du discours

paraître comment la structure conceptuelle s'articule avec la structure informa-


tionnelle, en prenant pour point de départ la notion d'entité topicale, déjà bien
décrite dans le cadre d'autres approches. J'ai montré que l'entité topicale cor-
respond souvent à un point d'ancrage: il peut s'agir soit d'un topique, soit
d'un point d'ancrage d'arrière-fond, en particulier en présence d'ancrages
linéaires marqués au niveau syntaxique. Il est également apparu que dans cer-
tains cas, les liens conceptuels entre les prédicats favorisent la perception
d'ancrages linéaires implicites qui viennent s'ajouter aux ancrages sur les enti-
tés topicales. La prise en compte de ces ancrages implicites ne va pas sans dif-
ficultés, car ils reposent sur la perception de liens conceptuels sous-jacents qui,
comme je l'ai souligné, restent largement tributaires de l'intuition et des con-
naissances de l'analyste. Enfin, j'ai montré que les entités topicales se caracté-
risent par une accessibilité forte et persistante, et que leur prise en compte peut,
dans les situations de ruptures, c'est-à-dire lorsque les ancrages linéaires sont
bloqués, guider l'identification du topique.

À la différence des analyses reposant prioritairement sur les marques formel-


les, les propositions formulées dans ce chapitre dépendent assez largement de
la subjectivité de l'interprétant et peuvent pour cette raison faire l'objet de dis-
cussions, voire de contestations. J'ai ainsi été amenée à souligner que dans cer-
tains cas, plusieurs interprétations de la structure informationnelle restent
possibles. Ces réserves pourraient être interprétées comme des faiblesses théo-
riques si mon objectif était de pouvoir aboutir dans tous les cas à l'identifica-
tion du « bon» topique. Mais une telle entreprise, outre son caractère irréaliste,
n'aurait que peu d'intérêt à mes yeux. Il m'importe en effet avant tout de décri-
re les chemins qui mènent à l'identification des topiques dans les dialogues, y
compris à l'absence d'identification claire. Dans ce cadre, il est essentiel de
rendre compte, au moins partiellement, de la facette la plus subjective de ce
processus d'identification.

341
Partie IV

L'IDENTIFICATION
DES TOPIQUES DANS
LES DIALOGUES: BILAN
Chapitre 7
L'INTERRELATION DES FACTEURS LINGUISTIQUES
ET DISCURSIFS DANS L'IDENTIFICATION
DU TOPIQUE

Dans les chapitres précédents, j'ai examiné successivement le rôle des mar-
ques lexicales et syntaxiques de la structure informationnelle, ainsi que celui
des structures hiérarchiques, relationnelles et conceptuelles du discours dans
l'identification du topique. Ces différents facteurs ont jusqu'à présent été trai-
tés de manière assez indépendante et seule la discussion de quelques exemples
sous des angles différents a laissé entrevoir comment ils interagissent. Pour
compléter cette étude, je me propose d'examiner les interrelations de ces fac-
teurs à partir de l'analyse de quelques segments discursifs étendus (7.1) et de
préciser les étapes du parcours qui conduisent à l'identification du
topique (7.2).

7.1 L'interrelation des facteurs dans l'identification


des topiques de segments discursifs étendus
L'interrelation des divers facteurs intervenant dans l'identification du topique
peut être étudiée à partir de l'analyse de trois segments discursifs extraits res-
pectivement de deux débats radiophoniques et d'un entretien télévisé, qui se
caractérisent par des structures très différentes.

345
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

Pour visualiser le rôle et le rendement de chaque facteur dans l'identification


du topique, je présente l'analyse de la structure informationnelle des segments
discursifs choisis sous la forme de tableaux à trois colonnes. Dans la première
colonne, chaque acte (ou intervention) est numéroté et transcrit selon les con-
ventions habituelles de la structure informationnelle: le topique est soit expli-
cité entre crochets après une trace, soit restitué entre parenthèses au début de
l'acte lorsqu'il est implicite; lorsqu'il y a une trace, celle-ci est transcrite en
gras l . Les indications périodiques sont également notées dans cette colonne,
puisque celles-ci peuvent contribuer à l'identification du topique. Dans les
deuxième et troisième colonnes sont énumérés les facteurs étudiés dans les
chapitres précédents :
Dans la rubrique concernant le lexique (tex.) sont notées les expressions ré-
férentielles anaphoriques et déictiques renvoyant au topique.
La rubrique de la syntaxe (synl.) concerne les structures syntaxiques mar-
quées. J'y inclus également certaines structures syntaxiques non marquées,
mais dont la poursuite guide l'identification du topique.
L'abréviation re/al. désigne les relations de topicalisation, cadre et prépara-
tion. Comme celles-ci influencent de manière proactive l'identification du
topique, elles sont notées deux fois: la relation est d'abord explicitée à
côté du constituant qu'elle caractérise, puis elle fait l'objet d'un rappel
(formulé: cf précédent) pour le constituant dont elle aide à identifier le to-
pique.
La structure hiérarchique (hiér.) est évoquée lorsqu'elle contribue à l'iden-
tification du topique.
L'organisation périodique (pér.) est prise en compte en présence de ruptu-
res du flux discursif marquées avant tout par la prosodie, mais aussi par la
syntaxe, le lexique, etc.
La dernière rubrique (conc.) réunit les observations concernant la structure
conceptuelle du discours, c'est-à-dire la notion d'entité topicale et les liens
conceptuels justifiant des ancrages linéaires entre les informations acti-
vées.
Enfin, aucune de ces rubriques n'est remplie lorsque le topique est inféré à
partir du propos de l'acte immédiatement précédent.

Le relevé systématique de ces différents éléments dans les tableaux permet de


visualiser les facteurs intervenant dans l'identification du topique. Pour des
raisons de place, il ne m'est pas possible de justifier le choix du topique pour
chaque acte. L'analyse en tableau sera néanmoins complétée par quelques notes

1. Il n'est pas tenu compte des points d'ancrage d'arrière-fond, qui n'interviennent pas direc-
tement dans j'identification du topique.

346
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

et suivie par un commentaire des éléments les plus intéressants et/ou problé-
matiques de la mise en relation des différents facteurs intervenant dans 1'iden-
tification du topique. En outre, il convient de rappeler que les analyses
proposées ne sont pas les seules possibles, mais uniquement celles qui me
semblent les plus pertinentes: la détermination des « bons» topiques ne m'in-
téresse pas tant que le parcours qui conduit - ou ne conduit justement pas clai-
rement - à leur identification.

7 .1.1 Analyse d'un compte rendu extrait


d'un débat radiophonique
Le premier exemple sur lequel je me propose d'observer les différents facteurs
étudiés dans ce travail est formé par un compte rendu des remarques des audi-
teurs, qui s'inscrit dans le cadre d'un débat radiophonique portant sur le thème
des « débats». Il s'agit d'un segment discursif monologique, qui présente une
structure d'intervention, et produit sur le mode oral, mais s'appuyant probable-
ment sur la lecture de notes écrites (voir les remarques effectuées dans le cha-
pitre précédent en 6.2.3) :

(7.1) (= 6.33)
NV: alors beaucoup d'appels ce soir / d'abord alors évidemment pour les félici-
tations d'usage lors des anniversaires avec des vœux pour le futur / et
quand même pas mal de remarques / alors dans les critiques / tout le
monde en prend un peu pour son grade \\ on commence par cette auditrice
qui estime que la durée de l'émission est trop courte / elle préférerait un
débat plus long / mais deux fois par semaine \\ l'appel de cet habitué de La
Chaux-de-Fonds qui est trop souvent déçu par la qualité des invités / des
invités qui dit-il peinent à sortir de leur corset / et qui ne se remettent pas
assez souvent en question \\ toujours au sujet des invités une auditrice sou-
haiterait que les noms des invités soient annoncés dans la journée / cela
pourrait titiller les auditeurs plus tôt \\ un autre est frustré par la manière
dont se déroulent les débats / ça c'est pour les journalistes / lorsque des
thèmes importants sont abordés explique-t-il / les animateurs ne laissent
pas assez parler les invités / ils dirigent trop la discussion pour rester dans
un chablon / et ne s'éloignent pas assez de leur plan respectif\\ autre son
de cloche avec un auditeur / qui estime que les invités ont tout loisir d'élu-
der les questions embarrassantes \\ et puis dernière remarque avec la sélec-
tion des questions des auditeurs / des questions souvent mal sélectionnées
et trop personnelles \\ enfin alors après les critiques. les souhaits / le sou-
hait notamment de cet auditeur qui pense qu'il y a trop de débats politiques
et techniques / et qui plaide avant tout pour des débats de société qui tou-
chent à la spiritualité \\ le vœu de ce même auditeur pour le nouveau direc-
teur de la radio. qui vient d'être nommé / un homme qui devrait
développer les émissions. interactives \\ (Forum)

347
L'identification des topiques dans les dialogues : bilan

Cet extrait se caractérise par une structure énumérative clairement marquée qui
se reflète tant au niveau de la segmentation périodique qu'au niveau de la
structure conceptuelle, articulée autour des entités topicales formées par les
« appels », puis les « félicitations », les « critiques »et les « souhaits »2. Tout
porte à croire que cette structuration joue un rôle important parmi les facteurs
intervenant dans l'identification du topique :

Tablea u 7. 7. Les facteurs intervenant dans l'identifica tion des topiques


dans le compte rendu

t:i.. l';',,,'/ Ü. \1

,
;."'_ Jl!II'I1OItMATI
.....

1. alors beaucoup d'appels ce soir ;a lex.


synt.
relat. préparation
hiér.
pér.
conc.

2. (beaucoup d'appels) d 'abord alors évidem- lex.


ment pour les félicitations d' usage lors des synt.
anniversaires avec des vœux pour le futur / relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre les
« appels» et les « félicita-
tions » qui sont l' un des
« motifs» des appels

3. (d'abord pour les félicitations) et quand lex.


même pas mal de remarques / b synt.
relat. préparation
hiér.
pér.
conc.

a. En l'absence du contexte qui pourrait la justifier, je n'analyse pas la structure information-


nelle du premier acte.
b. Le coordonnant et peut être interprété comme une marque du topique choisi. Le topique
pourrait également être formé par « beaucoup d'appels» qui fonctionne comme une entité
première par rapport aux « remarques ».

2. Voir l'analyse effectuée dans le sixième chapitre (6.2.3).

348
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans /'identification du topique

4. (pas mal de remarques) alors dans les cri- lex.


tiques / synt.
relat. cf. précédent
cadre
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel d'« inclusion»
entre les « remarques» et les
« critiques»

5. (dans les critiques) tout le monde en prend un lex.


peu pour son grade \\ synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

6. (dans les critiques) on commence pat cette lex.


auditrice qui estime que la durée de l'émission synt.
est trop courte / relat.
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

7. elle [l'auditrice] préférerait un débat plus lex. pronom personnel elle


long / mais deux fois par semaine \\ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

8. (dans les critiques) l'appel de cet habitué de lex.


La Chaux-de-Fonds qui est trop souvent déçu synt.
par la qualité des invités / relat.
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

9. des invités qui dit-il peinent à sortir de leur lex. répétition du nom invités
corset / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

349
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

10. et qui [invités] ne se remettent pas assez lex. pronom relatif qui
souvent en question \ \ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

Il. (dans les critiques) toujours au sujet des lex.


invités synt. segmentée à gauche marquée
par toujours au sujet
relat. topicalisation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

12. une auditrice souhaiterait que les noms des lex. les noms des invités'
invités [invités] soient annoncés dans la journée / synt. suite de la segmentée à gauche
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

13. cela [annonce des noms des invités] pourrait lex. pronom démonstratif cela
titiller les auditeurs plus tôt \\ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

14. (dans les critiques) un autre est frustré par la lex.


manière dont se déroulent les débats / b synt.
relat.
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

15. ça [remarque] c'est pour les journalistes / lex. pronoms démonstratifs ça, c'
synt. segmentée à gauche
relat.
hiér.
pér.
conc.

a. Ce syntagme nominal complexe renvoie indirectement au topique, également marqué par la


segmentée à gauche.
b. Il serait également possible d'interpréter le topique de cet acte comme étant fonné par un
« auditeur» en s'appuyant sur la présence de un autre. Il me semble toutefois que cet acte
s'ancre plus directement sur les « critiques des auditeurs» que sur les « auditeurs» eux-mê-
mes.

350
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

16. (déroulement des débats) lorsque des lex.


thèmes importants sont abordés explique-t-il / synt.
relat. cadre
hiér. proximité avec 14
pér.
conc.

17. (lorsque des thèmes importants sont abor- lex.


dés) les animateurs ne laissent pas assez parler synt.
les invités / relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

18. ils [les animateurs] dirigent trop la discus- lex. pronom personnel ils
sion pour rester dans un chablon / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

19. et ne s'éloignent pas assez de leur [les ani- lex. adjectif possessif leur
mateurs] plan respectif\\ synt. élision du sujet
relat.
hiér.
pér.
conc.

20. (dans les critiques) autre son de cloche avec lex.


un auditeur / synt.
relat. topicalisation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

21. qui [un auditeur] estime que les invités ont lex. pronom relatif qui
tout loisir d'éluder les questions embarras- synt.
santes \\ relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

22. (dans les critiques) et puis dernière lex.


remarque avec la sélection des questions des synt.
auditeurs / a relat. topicalisation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

a. L'interprétation choisie s'appuie sur la prise en compte de la rupture périodique. Il serait


aussi possible de considérer que le topique est formé par la critique qui précède en s'ap-
puyant sur la présence du coordonnant et.

351
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

23. (la sélection des questions) des questions lex.


souvent mal sélectionnées et trop personnelles \\ synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

24. enfin alors après les critiques. les souhaits f lex. SN défini les critiques
synt.
relat. topicalisation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»

25. le souhait [les souhaits] notamment de cet lex. SN défini le souhait


auditeur qui pense qu'il y a trop de débats poli- synt.
tiques et techniques / relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les « souhaits»

26. et qui [cet auditeur] plaide avant tout pour lex. pronom relatif qui
des débats de société qui touchent à la spiritu- synt.
alité \\b relat.
hiér.
pér.
conc.

27. le vœu de ce même auditeur [les souhaits] lex. SN défini le vœu de ce même
pour le nouveau directeur de la radio. qui vient auditeur
d'être nommé / synt.
relat. préparation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « souhaits»

28. (le nouveau directeur de la radio) un homme lex. réactivation du référent par un
qui devrait développer les émissions. interac- homme
tives \\ synt.
re1at. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

a. Cet acte, fonné par une structure elliptique, peut faire l'objet de deux interprétations: soit
on considère que ce constituant est fonné de deux actes liés par une relation de cadre (après
les critiques -les souhaits), soit on admet, comme je l'ai fait, que l'on a affaire à un seul
acte dans lequel le verbe est élidé, ce que l'on pourrait expliciter par exemple par « alors
après les critiques viennent les souhaits ».
b. La segmentation des actes 25 et 26 se justifie essentiellement par la prosodie.

352
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

L'analyse de cet exemple illustre l'ensemble des facteurs intervenant dans


l'identification du topique qui ont été étudiés dans ce travail. Les éléments les
plus sollicités sont les expressions référentielles, la structure conceptuelle et
les relations de discours; la syntaxe et la structure hiérarchique sont moins di-
rectement déterminantes. En outre, l'identification du topique s'effectue tantôt
à partir d'un seul indice (par exemple, l'expression référentielle anaphorique
de l'acte 7), tantôt à partir de deux (le topique de l'acte 21 peut être identifié à
partir de la présence d'un pronom relatif et d'une relation de topicalisation),
tantôt à partir de trois (pour l'acte 25, le topique peut être identifié à partir d'un
SN défini, d'une relation de topicalisation et de la structure conceptuelle).
Dans certains cas, d'autres indices tendraient à favoriser une interprétation dif-
férente, comme je l'ai signalé en notes pour les actes 3 et 22.

La combinaison des différents facteurs guidant l'identification du topique pré-


sente certaines régularités. Par exemple, comme je l'ai montré dans le sixième
chapitre, l'entité topicale formée par les « critiques» joue un rôle décisif dans
l'identification du topique en présence de ruptures périodiques (actes 6, 8, Il,
14,20,22, 24). L'entité topicale formée par les « souhaits» joue un rôle simi-
laire pour les actes 25 et 27, où elle est de plus reprise indirectement par des
syntagmes nominaux définis anaphoriques (acte 25 : le souhait, acte 27: le
vœu de ce même auditeur).

De plus, l'introduction de référents fonctionnant comme des entités topicales


(par exemple les « appels », les « critiques », les « souhaits ») s'effectue régu-
lièrement à travers des structures qui, si elles ne peuvent pas strictement être
considérées comme des segmentées à gauche, impliquent néanmoins des rela-
tions de discours de préparation (acte 1), de cadre (acte 4) et de topicalisation
(acte 24). Bien que souvent plus simple, l'introduction des informations déri-
vées des entités topicales fait elle aussi parfois intervenir des relations de topi-
calisation (actes 11 et 20). Ces relations de discours soulignent ainsi les
différentes étapes du développement de la structure conceptuelle.

D'autres éléments apparaissent de manière plus ponctuelle. Par exemple, l'acte


15 est marqué prosodiquement comme un commentaire que le locuteur effec-
tue sur le compte rendu qu'il est en train de lire; il contient une segmentée à
gauche que j'interprète, en raison du contour prosodique, du débit rapide et de
la faible intensité qui la caractérisent, comme s'inscrivant dans un seul acte.
Les pronoms démonstratifs pointent déictiquement sur le référent indistinct
issu du contexte immédiat (<< la remarque de l'auditeur qui vient d'être annon-
cée », que je résume par « cette remarque »), en l'isolant des autres éléments
déjà évoqués. Ce commentaire. influence ensuite indirectement l'identification
du topique de l'acte 16. Comme ce commentaire peut être supprimé sans nuire
à l'intelligibilité globale du segment, il peut être considéré comme hiérarchi-

353
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

quement subordonné. L'acte 16 s'ancre alors non pas directement sur ce com-
mentaire, mais sur l'information activée dans l'acte 14, qui se situe à un niveau
hiérarchique équivalent. À ce stade, le topique de l'acte 16 pourrait être identi-
fié comme étant constitué soit par l'ensemble de l'information activée par
l'acte 14 (<< un autre est frustré par la manière dont se déroulent les débats »),
soit par le référent formé par 1'« auditeur », auquel renvoie le pronom ils dans
l'acte 16. La présence du commentaire de l'acte 15, qui attire l'attention sur la
remarque effectuée plutôt que sur la personne de l'auditeur, me conduit néan-
moins à choisir la première de ces deux interprétations.

La discussion de l'identification du topique pour l'acte 16 conduit à évoquer le


cas particulier que constituent les séquences de discours rapporté, assez nom-
breuses dans ce compte rendu. En effet, le locuteur mentionne les remarques
des auditeurs en les citant de manière plus ou moins fidèle à travers du style di-
rect ou indirecf. L'analyse de la structure informationnelle du discours rappor-
té au style indirect ne soulève pas de problème particulier, car ce discours est
alors entièrement intégré dans le propos du locuteur principal (voir par exem-
ple l'acte 7). En revanche, en présence de citations au style direct, comme c'est
le cas dans les actes 9 à 10, et 16 à 19, le discours rapporté a une structure in-
formationnelle qui lui est propre et qui se combine avec celle du discours en-
châssant ; cette dernière se caractérise par la présence d'un ancrage constant
sur le « locuteur» dont les paroles sont citées (explicité dans des incises com-
me dit-il), qui peut être interprété comme un point d'ancrage d'arrière-fond4 .

Il convient enfin de relever le caractère ambigu de la structure informationnel-


le des actes 17 à 19, qui s'organise à différents niveaux. D'une part, on y ob-
serve un topique constant, formé par les «animateurs », explicité par des
expressions référentielles anaphoriques. D'autre part, les informations activées
par les prédicats (<< ne pas laisser parler les invités », « diriger trop la discus-
sion pour rester dans un chablon », « ne pas s'éloigner assez de leur plan res-
pectif») sont très proches au niveau conceptuel; elles pourraient donc
justifier, bien que ce ne soit pas la solution que j'ai choisie, une analyse impli-
quant des topiques implicites issus de ces informations. En fin de compte, il
apparaît donc que l'identification des topiques dans ce discours monologique
est moins simple que ne le laissait présager sa structure conceptuelle et pério-
dique clairement marquée, car les indices contradictoires permettent souvent
plusieurs possibilités.

3. Ce procédé est discuté par ROlllet (1995a) qui montre, à propos du dialogue romanesque,
l'intégration progressive des voix rapportées dans le discours narratif.
4. L'influence sur la structure informationnelle de la différence de niveau existant entre le dis-
cours rapporté et le discours produit apparaît par exemple dans l'acte 9, où le locuteur choi-
sit de répéter le nom invités plutôt que de recourir à un pronom relatif (qui), bien que ce
référent soit déjà évoqué dans l'acte 8.

354
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans /'identification du topique

7.1.2 Analyse d'un échange extrait d'un entretien télévisé


Après avoir étudié l'interrelation des facteurs intervenant dans l'identification
du topique dans une énumération lue, je me propose d'analyser un échange ex-
trait d'un entretien entre Bernard Pivot et Georges Simenon, qui inclut l'exem-
ple 6.8 :

(7.2)
BP: et. cette histoire qu'on m'a racontée 1 qui est peut-être une légende 1 que
vous portiez toujours la même chemise 1 pendant que vous écriviez un
roman Il
GS: euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises 1. que j'avais
achetées (XXX) mon arrivée à New York 1qui étaient très pratiques 1parce
que les manches étaient très larges 1 c'était des chemises à grands car-
reaux . en écossais rouge 1 et l'autre en écossais marron \ et ces chemises
avaient un avantage d'être très très souples 1 et de bien absorber la transpi-
ration / je ne la sentais pas couler sur ma peau \ parce que je sortais. en
nage / d'un chapitre de roman \ toujours / je devais me changer complète-
ment/
BP : alors mais
GS : c'était la même chemise mais on la lavait tous les jours //
BP : si je vous entends bien quand vous écriviez / quand vous étiez en roman.
comme vous dites / vous perdiez du poids //
GS: oui / huit cents grammes par jour \ Teresa a fait l'expérience / elle a pesé.
tous mes vêtements comme quand je sortais d'un roman quand je remon-
tais euh: je me déshabillais entièrement / je me douchais et je me chan-
geais / elle a pesé. mes vêtements et sous-vêtements avant /. et après 1. eh
bien. le résultat / c'était de sept à huit cents grammes par jour // (Apostro-
phes)

Cet échange se construit en deux temps: la question initiale de B. Pivot ainsi


que la réponse de G. Simenon (qui va jusqu'à tous les jours) forment une pre-
mière étape, qui est suivie par une seconde question de B. Pivot et une nouvel-
le réponse de G. Simenon. Au niveau de la structure informationnelle, la
première moitié de ce dialogue paraît s'organiser autour du référent «chemi-
se », tandis que la seconde moitié paraît plus narrative. Son analyse devrait
permettre d'illustrer d'autres modes d'identification du topique:

355
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

Tableau 7.2. Les facteurs intervenant dans l'identification des topiques


dans l'échange entre B. Pivot et G. Simenon

BP : 1. et. cette histoire qu ' on m'a racontée 1 lex.


synt.
relat. préparation
hiér.
pér.
conc.

2. qui [histoire] est peut-être une légende 1 lex. pronom relatif qui
synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

3. (cette histoire qu'on m'a racontée) que lex.


vous portiez toujours la même chemise 1 synt. continuité syntaxique mar-
pendant que vous écriviez un roman Il quée par la conjonction que
relat. cf. précédent (1)
hiér. proximité avec 1
pér.
conc.

GS: 4. (toujours la même chemise) euh : c'est- lex.


à-dire entendons-nous \ . synt.
relat. préparation
hiér.
pér.
conc.

5. j'(Sirnenon]avais deux chemises 1. lex. pronom} '


synt.
relat. cf. précédent
topicalisation
hiér.
pér.
conc.

6. que [deux chemises] j'avais achetées lex. pronom relatif que


(XXX) mon arrivée à New York 1 synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les
« chemises »

356
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

7. qui [deux chemises] étaient très pra- lex. pronom relatif qui
tiques / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les
« chemises»

8. parce que les manches [chemises] lex. SN défini les manches


étaient très larges / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les « che-
mises»

9. c' [chemises] était des chemises à grands lex. démonstratif c '


carreaux. synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les « che-
mises»

10. (chemise) en écossais rouge / lex.


synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les « che-
mises»
lien avec Il

11. et l'autre [chemise] en écossais marron \ lex. pronom l'autre


synt.

relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les
« chemises»

12. et ces chemises avaient un avantage lex. SN démonstratif ces chemises


d'être très très souples / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les
« chemises»

357
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

13. (ces chemises avaient un avantage) et lex.


de bien absorber la transpiration / synt. continuité syntaxique
relat.
hiér.
pér.
conc.

14. je ne la [transpiration] sentais pas lex. pronom la


couler sur ma peau \ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

15. (couler sur ma peau) parce que je sor- lex.


tais. en nage / d'un chapitre de roman \ synt.
toujours 1 relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre « sentir
couler sur ma peau» et « sortir
en nage»

16. (sortais en nage) je devais me changer lex.


complètement 1 synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre « sortir
en nage » et « devoir se
changer complètement »

BP: alors mais'

OS: 17. c'[ce que je portais] était la même che- lex. démonstratif c '
mise synt.
relat.
hiér. proximité avec 3
pér.
conc. réactivation de l'entité topi-
cale: « la même chemise »

18. mais on la [chemise] lavait tous les lex. pronom la


jours Il synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : « la même
chemise »

a. Cette tentative de prise de parole n'aboutit pas; elle n'est pour cette raison pas numérotée
comme un acte.

358
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

BP: 19. (ce que vous dites) sije vous entends lex.
bien synt.
relat. préparation
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre le dire de
GS et la « compréhension» de
BP

20. (sije vous entends bien) quand vous lex.


écriviez 1 synt.
relat. cf. précédent
cadre
hiér.
pér.
conc.

2!. (quand vous écriviez) quand vous étiez lex.


en roman . synt.
relat. cf. précédent
reformulation du cadre
hiér.
pér.
conc.

22. (quand vous étiez en roman) comme lex.


vous dites 1 synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

23. (quand vous étiez en roman) vous per- lex.


diez du poids Il synt.
relat. cf précédent (21)
hiér. proximité avec 21
pér.
conc.

GS: 24. (perdre du poids) oui 1 lex.


synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

359
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan

25. (perdre du poids) huit cents grammes lex.


par jour \ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre le
« poids» et les « huit cents
grammes»

26. (huit cents grammes par jour) Teresa a lex.


fait l'expérience 1 synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre « huit
cents grammes par jour» et le
concept d'« expérience»

27. (Teresa a fait l'expérience) elle a pesé. lex.


tous mes vêtements' synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. ancrage linéaire implicite
motivé par le lien conceptuel
entre 1'« expérience de
Teresa» et le fait qu'« elle a
pesé les vêtements»

28. (pesé tous mes vêtements) comme lex.


quand je sortais roman synt.
relat. cadre
hiér.
pér.
conc.

29. (quand je sortais d'un roman) quand je lex.


remontais euh: synt.
relat. cf. précédent
cadre
hiér.
pér.
conc.

a. Le référent« Teresa », inclus dans l'acte 26 et repris par un pronom anaphorique, constitue
aussi un topique possible.

360
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

30. (quandje remontais) je me déshabillais lex.


entièrement 1 synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel de type chro-
nologique

31. (je me déshabillais entièrement) je me lex.


douchais synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel de type chro-
nologique

32. (je me douchais) et je me changeais 1 lex.


synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel de type chro-
nologique

33. elle [Teresa] a pesé. mes vêtements et lex. pronom personnel elle
sous-vêtements avant 1. et après 1. synt.
relat.
hiér. proximité avec 27
pér.
conc.

34. (elle a pesé) eh bien. le résultat 1 lex.


synt. segmentée à gauche
relat. topicalisation
hiér.
pér.
conc.

35. c'[le résultat] était de sept à huit cents lex. pronom démonstratif c '
grammes par jour Il synt. suite de la segmentée à gauche
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

361
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

Dans les deux parties de cet échange, l'analyse de la structure informationnelle


illustre, comme on pouvait s'y attendre, deux types de parcours conduisant à
l'identification du topique. La première partie, qui comprend les actes 1 à 18,
se caractérise par une structure informationnelle très explicite, où l'identifica-
tion du topique s'effectue souvent à partir de plusieurs facteurs, impliquant
cette fois principalement les expressions référentielles, la structure conceptuel-
le et la structure hiérarchique.

Au niveau conceptuel, on peut relever le rôle central de l'entité topicale formée


par la« même chemise », introduite par B. Pivot dans l'acte 3, et que G. Sime-
non reformule en parlant de « deux chemises» (acte 5). Une fois activée, cette
entité topicale fait l'objet d'une série de reprises directes (que, qui, c " ces che-
mises) et indirectes: les manches y renvoie par relation d'anaphore associati-
ve, et dans l'acte 11, l'autre sélectionne l'une des chemises, ce qui conduit à
reconsidérer l'interprétation de l'acte précédent et à identifier le topique de
l'acte 10 comme étant formé "par « l'une des chemises »5. Dans toute cette sé-
quence (actes 5-12), le topique constant est aisément identifiable puisqu'il est
formé par une entité topicale explicitée au niveau du lexique.

Avec l'introduction du référent formé par la « transpiration », dans l'acte 13,


s'amorce une progression informationnelle Jinéaire marquée une fois par une
expression référentielle anaphorique (en 14), mais reposant le plus souvent sur
les liens conceptuels entre les informations activées par les prédicats. Comme
dans le reste du dialogue, le référent constitué par « Simenon» intervient com-
me un point d'ancrage d'arrière-fond.

Le topique de l'acte 17 est constitué par une information activée 14 actes aupa-
ravant, dans l'intervention initiative de B. Pivot (acte 3). Un tel ancrage à dis-
tance est rendu possible par la proximité hiérarchique unissant ces deux
constituants. Une brève analyse de la structure du passage permettra de la faire
apparaître. L'intervention initiative de Pivot débute par une intervention for-
mée d'un acte principal (et cette histoire qu'on m'a racontée) et d'un acte su-
bordonné de commentaire (qui est peut-être une légende). Cette intervention
peut dans son ensemble être interprétée comme caractérisée par une fonction
de préparation et comme subordonnée par rapport à l'acte principal qu'elle in-
troduit : que vous portiez toujours la même chemise / lorsque vous écriviez un
roman 6. L'intervention réactive de G. Simenon commence par un acte

5. Comme le pronom l'une est élidé dans l'acte 10, une première interprétation peut laisser
croire que les deux chemises sont en écossais rouge; cette interprétation est toutefois dé-
mentie par l'acte Il.
6. Cette structure hiérarchique explique aussi que le troisième acte s'ancre sur un topique in-
troduit non pas par le commentaire qui le précède immédiatement, mais par le premier acte.

362
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

subordonné à fonction de préparation (c'est-à-dire entendons-nous) qui intro-


duit la description des «deux chemises ». Toute cette description (actes 5-16)
peut ensuite être interprétée comme un argument subordonné venant appuyer
la conclusion des actes 17 et 18 : c'était la même chemise mais on la lavait
tous les jours. Cette analyse peut être explicitée par la structure suivante :

Ap (1) et cette histoire qu'on m'a racontée


Is [
prépa- As (2) qui est peut-être une légende
ration commentaire
Ap (3) que vous portiez toujours la même chemise ...
E [ 1
As, (4) entendons-nous
preparatIOn
[
1 Ip (5-16) j'avais deux chemises
ment
Ip (17-18) c'était la même chemise ...

Figure 7.1. Structure hiérarchique d'un extrait de l'échange


entre B. Pivot et G. Simenon

I.:acte 3 et l'intervention en 17-18 fonctionnent tous deux comme des consti-


tuants principaux pour les interventions dans lesquelles ils s'inscrivent; ils se
situent ainsi à un même niveau hiérarchique, ce qui favorise un ancrage à dis-
tance.

Si, dans l'extrait qui vient d'être commenté, les expressions référentielles,
l'entité topicale et la structure hiérarchique permettent d'identifier le topique,
ces éléments ne sont pas d'une grande utilité pour identifier le topique dans la
deuxième partie de l'échange. En effet, le topique y est le plus souvent implici-
te et doit être inféré avant tout à l'aide des relations de discours et des liens
conceptuels existant entre les informations activées par les prédicats.

Pour cette raison, le topique ne peut pas toujours être identifié de manière pré-
cise. Par exemple, la question de B. Pivot qui débute dans l'acte 19 par si je
vous entends bien paraît s'ancrer d'une manière métadiscursive sur les propos
que G. Simenon vient de tenir. Mais le topique de cet acte pourrait également
être formé par les propos de G. Simenon dans les Mémoires intimes (Paris,
Presses de la Cité, 1981), ouvrage sur lequel Pivot s'appuie de manière récur-
rente pour poser ses questions, comme le relève Burger :

363
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

Ainsi, le comportement du questionneur se trouve fortement déterminé par le con-


tenu du livre, dont il reprend les thèmes. De ce fait, le dire de Pivot prend appui
sur des représentations dont il n'est pas a priori l'instance responsable. Il peut se
faire en quelque sorte le porte-parole d'une agentivité rapportée par celui-là même
qui constitue son interlocuteur [ ... J. Une telle position « désinvestie» est con-
forme à l'adoption et à l'accomplissement de rôles liés à ses positions de journa-
liste-intervieweur et favorise la « confession ». (Burger 1995 : 21-22)

L'analyse de la suite de la question de B. Pivot ne présente pas de particularité,


honnis la présence d'une incise subordonnée en 22, qui explique la proximité
hiérarchique des actes 21 et 23.

L'intervention réactive de G. Simenon est fortement narrative. En effet, la brè-


ve réponse de l'acte 25 (huit cents grammes par jour) est développée par le ré-
cit du pesage des vêtements par Teresa (actes 26-35) dans lequel s'insère une
narration à l'imparfait fonctionnant comme un argumene (actes 28 à 32).
L'analyse infonnationnelle de ces actes dépend largement de cette structure
narrative, car elle implique avant tout des topiques implicites issus linéaire-
ment de l'infonnation activée par le prédicat qui précède ainsi que des prota-
gonistes pouvant être interprétés comme des points d'ancrage d'arrière-fond.

La fin de cette séquence est plus intéressante. L'acte 33 (elle a pesé mes vête-
ments et sous-vêtements avant /. et après) réactive de manière plus détaillée
une infonnation initialement activée dans l'acte 27 (elle a pesé tous mes vête-
ments). Entre ces deux actes-s'inscrit la brève séquence à l'imparfait des actes
28 à 32, qui peut être interprétée comme subordonnée. De ce fait, on peut faire
l'hypothèse que le topique de l'acte 33 trouve sa source non dans les actes qui
le précèdent immédiatement, mais dans l'acte 27. Il peut alors être identifié
comme étant fonné par le référent« Teresa », auquel renvoie le pronom elle8.

Il convient enfin de relever la « dramatisation» de la chute de la narration qui,


sans activer d'infonnation supplémentaire par rapport à l'acte 25, est malgré
tout présentée comme nouvelle par une structure segmentée à gauche en 34 et
35 : l'infonnation activée par huit cents grammes par jour est réactivée par
l'acte 35 à propos du topique fonné par le « résultat », aisément identifiable à
travers son marquage à la fois lexical, syntaxique et relationnel. Tout porte à
croire que ce marquage a ici avant tout pour fonction de signaler la fin de

7. La fonction d'argument peut être déduite de l'introduction par le connecteur comme.


8. On pourrait éventuellement considérer que le topique est formé par l'ensemble de l'infor-
mation activée par l'acte 27 (elle a pesé tous mes vêtements). J'ai toutefois rejeté cette inter-
prétation, car l'acte 33 ne reflète pas un tel ancrage. Cette interprétation aurait été retenue
en présence d'un acte du type de: elle l 'a fait avani et'après.

364
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

l'épisode narratif concernant le poids perdu par Simenon pendant l'écriture


d'un roman, en même temps que la fin de son intervention de réponse 9 .

7.1.3 Analyse d'un extrait de débat radiophonique


impliquant plusieurs locuteurs
Le troisième exemple est extrait du débat radiophonique le Masque et la Plu-
me: ce passage, dont plusieurs fragments ont déjà été discutés dans les chapi-
tres précédents, contient non seulement un échange entre les principaux
intervenants, à savoir Jérôme Garein, animateur, et Pierre Murat, journaliste
dont l'opinion est sollicitée juste après Michel Ciment, mais également des re-
marques d'autres débattants qui s'immiscent dans cet échange:

(7.3)
JG : est-ce que Pierre euh: Pierre Murat et Michel Ciment voudraient: dire un
petit mot sur ces résultats étrangers 1 qu'est-ce que: ça vous inspire
comme euh : intelligente réflexion Il
[réponse de Michel Ciment]
JG : merci donc à. à Michel Ciment à Ipsos 1 et du côté de Pierre Murat 1
qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction Il
PM: euh: non 1 la réaction c'est évidemment la grande joie pour. de voir
l'Angelopoulos qui a été. vraiment mal accueilli 1
JG: oui 1
PM: y compris à cette tribune 1
X: y compris à cette tribune 1
Y: par par par toujours les mêmes 1 enfin le film a tout de même été très bien
accueilli par
JG: on ne dit pas de ses amis que ce sont les mêmes 1
X,Y: <rires>
PM: par rapport par rapport à ce que ce film méritait 1
JG: ouais 1
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1 je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh: moi. je je suis surpris de voir que
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n 'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il alors quant
au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1 j'vais pas recommencer:
passer toute l'émission. sur ça 1. au bout d'un certain temps 1 c'est-à-dire

9. Cette remarque peut être mise en relation avec les observations d' Auchlin (1996c) qui relève,
à propos d'un corpus d'entrevues sociolinguistiques, que les fins de narrations correspon-
dent à des transitions informationnelles: « Par ailleurs, la contiguïté des chutes et des chan-
gements de thème suggère que la fin des séquences narratives correspond à la fin de
séquences centrées, thématiquement, sur l'''événement'' ou "fait marquant" qui constitue le
thème de la séquence. » (Auchlin 1996c : 63). Cf. aussi Ervin-Tripp & Küntay (1997).

365
L'identification des topiques dans les dialogues : bilan

qu 'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les audi-
teurs . du Masque \ . chez les lecteurs de Télérama 1
JG : (X) les lettres d'engueulades euh: qu'on a reçues aussi hein Il
PM : chez les lettres euh chez les lecteurs de Télérama aussi 1 où il arrive en tête 1
très largement dans le référendum qu'on a fait 1
MC : oui \
PM : (XXX)
JG : (XXX) beaucoup moins représentatif que celui du Masque et la Plume
hein Il
PM: bien sÛT bien sÛT \ bien sÛT 1 mais enfm tout de même il est toujours là quoi 1
il est toujours là \ plus les Césars les Oscars les machins et trucs 1 donc .
c'est un phénomène 1 il Y a pas à discuter 1 [ .. . ] (Le Masque et la Plume)

Le grand nombre de locuteurs intervenant dans cet extrait soulève des difficul-
tés supplémentaires par rapport aux exemples étudiés jusqu'à présent. Celles-
ci se manifestent déjà au niveau de la transcription: d'une part, il est difficile
d'identifier les locuteurs qui interviennent spontanément car on ne peut s'ap-
puyer que sur leurs voix, et d'autre part, il n'est pas toujours possible de com-
prendre les propos tenus lorsque plusieurs personnes parlent simultanément.
Au niveau de l'analyse de la structure informationnelle, les interruptions des
débattants se présentent comme des digressions qui se greffent sur la réponse
de Pierre Murat et entraînent des transitions informationnelles parfois assez
abruptes, comme le montre l'analyse suivante:

Tablea u 7.3. Les facteurs intervenant dans l'identification des topiques

. ..'.,
•.. .___ ,.
'c ,., 'L".'_
...
.•..
._.
da ns l'extrait du débat du Masq ue et la Plum e

:.'
')

i',' • ••
".'"
JG: 1. est-ce que Pierre euh: Pierre Murat et
>

lex.
Michel Ciment voudraient: dire un petit synt.
mot sur ces résultats étrangers / relat.
hiér.
pér.
conc.

2. qu'est-ce que : ça [résultats étrangers] lex. pronom démonstratif ça


vous inspire comme euh : intelligente synt.
réflex ion Il relat.
hiér.
pér.
conc.

366
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

3. (réponse de Michel Ciment) merci donc lex.


à . à Michel Ciment à Ipsos / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

4. (merci donc à Michel Ciment) et du côté lex.


de Pierre Murat" / synt.
relat. cadre
hiér.
pér.
conc.

5. (du côté de Pierre Murat) qu'est-ce qu'il lex. pronom y


y aurait comme réaction // synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

PM: 6. (qu'est-ce qu'il y aurait comme réac- lex.


tion) euh: bon / la réaction synt. segmentée à gauche
relat. topicalisation
hiér.
pér.
conc.

7. c'[la réaction] est évidemment la grande lex. pronom démonstratif c '


joie pour. de voir l'Angelopoulos synt. suite de la segmentée à gauche
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

8. qui [l'Angelopoulos] a été. vraiment lex. pronom relatif qui


mal accueilli synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale :
l' « Angelopoulos »

JG: 9. (vraiment mal accueilli) oui lex.


synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

a. Le coordonnant et peut être considéré comme une marque de ce topique. Un autre topique
possible serait formé par les « résultats étrangers ».

367
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

PM: 10. (vraiment mal accueilli) y compris à lex.


cette tribune synt. continuité syntaxique
relat.
hiér.
pér.
conc.

X: II. (vraiment mal accueilli) y compris à lex.


cette tribune synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

Y: 12. (mal accueilli à cette tribune) par par lex.


par toujours les mêmes / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

13. enfin le film a tout de même été très lex. SN défini le film
bien accueilli par synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale :
l' « Angelopoulos »

JG: 14. on ne dit pas de ses amis que ce sont les lex. répétition de les mêmes
mêmes [Y dit par toujours les mêmes] / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

X, Y : <rires>

PM: 15. (vraiment mal accueilli y compris à lex.


cette tribune) par rapport par rapport à ce synt. continuité syntaxique
que ce film méritait / relat.
hiér. proximité avec 8, 10
pér.
conc.

JG: 16. (vraiment mal accueilli par rapport à lex.


ce que ce film méritait) ouais synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

368
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

PM: 17. je trouvais que c'[Angelopulos] était lex. pronom démonstratif c '
un des plus beaux films de l'année 1 synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale :
1'« Angelopoulos »

18. (je trouvais que c'était un des plus lex.


beaux films de l'année) je suis donc heu- synt.
reux de le voir en quatrième Il relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre le fait
d'« apprécier un film » et
d'« être heureux de le voir
bien classé» a

19. (qu'est-ce qu'il y aurait comme réac- lex.


tion) euh : moi. synt. segmentée à gauche
relat. topicalisation
hiér. proximité avec 5
pér. suit une rupture
conc.

20. je je [locuteur] suis surpris de voir que lex. pronom personnel je


un film comme Ken Loach par exemple synt. suite de la segmentée à gauche
My name is Joe 1et Woody Allen n'y relat. cf. précédent
soient pas 1 hiér.
pér.
conc.

21. parce que le Woody Allen me paraît lex. SN défini le Woody Allen
quand même comme un des plus impor- synt.
tants qu'il ait fait cette année 1 . b relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : le « Woody
Allen »

a. On pourrait éventuellement considérer que le topique de cet acte est formé par le « film
d'Angelopoulos », qui est une entité topicale. J'adopte ici l'interprétation proposée dans le
sixième chapitre (6.2.2.3) pour le traitement de l'exemple 6.28.
b. Le topique de cet acte pourrait être interprété comme étant issu linéairement de l'informa-
tion activée par l'acte 20 (<< être surpris que les films de Ken Loach et Woody Allen ne
soient pas dans le classement des auditeurs »). Je n'ai toutefois pas retenu cette interpréta-
tion, car l'acte 21 s'ancre par le SN défmi explicitement sur le «Woody Allen» et non sur
le« film de Ken Loach».

369
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

22. (un des plus importants qu'il ait fait lex.


cette année) mais bon .. Il synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

23. (qu'est-ce qu'i! y aurait comme réac- lex.


tion) (X) alors quant au Benigni 1 synt. segmentée à gauche marquée
par quant à
relat. topicalisation
hiér. proximité avec 5
pér. suit une rupture
conc.

24. (quant au Benigni) moi lex.


synt. segmentée à gauche
relat. cf. précédent
topicalisation
hiér.
pér.
conc.

25. j'[locuteur] aime pas trop l'Benigni 1 lex. pronom personnel}'


synt. suite des segmentées à gauche
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.

26. j 'vais pas recommencer: passer toute lex. pronom démonstratif ça


l'émission. sur ça [aime pas trop] 1 . synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

27. au bout d'un certain temps 1 c'est-à- lex. pronom démonstratif ça


dire qu'étant donné que le raz de marée synt.
que ça [l'Benigni] a provoqué chez les les relat.
auditeurs . du Masque \ hiér.
pér.
conc. entité topicale : le « Benigni »

28. (raz de marée) chez les lecteurs de lex.


Télérama 1 synt. continuité syntaxique
relat.
hiér.
pér.
conc.

370
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

JG: 29. (raz de marée) (X) les lettres lex.


d'engueulades euh : qu'on a reçues aussi synt.
hein/ relat.
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre le « raz
de marée chez les auditeurs»
et les « lettres d' engueu-
lades », qui relèvent tous deux
de « fortes réactions»

PM: 30. (raz de marée) chez les lettres lex.


euh chez les lecteurs de Télérama aussi / synt. répétition de 28
relat.
hiér.
pér.
conc.

31. où [T élérama] il arrive en tête / très lex. pronom relatif où


largement dans le référendum qu'on a fait / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

MC: 32. (il arrive en tête) oui \ lex.


synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

JG: 33. (XXX) beaucoup moins représentatif lex. pronom démonstratif celui
que celui [référendum] du Masque et la synt.
Plume hein relat.
hiér.
pér.
conc. le « référendum» est saillant
dans la structure conceptuelle

PM: 34. (moins représentatif) bien sûr bien sûr \ lex.


bien sûr / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

371
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

35. mais enfin tout de même il [le Benigni] lex. pronoms personnels il
est toujours là quoi / il est toujours là \. synt.
relat.
hiér.
pér. suit une rupture marquée par
mais enfin tout de même
conc. entité topicale : le « Benigni »

36. (il est toujours là) plus les Césars les lex.
Oscars les machins et trucs / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

37. donc. c'[le Benigni] est un lex. pronom démonstratif c '


phénomène/ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : le « Benigni »

38. (c'est un phénomène) il y a pas à dis- lex.


cuter / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.

a. Le locuteur répète ici deux fois une proposition identique (il est toujours là), mais avec une
courbe mélodique différente. Il est possible de faire l'hypothèse que cette répétition a pour
fonction de renforcer l'assertion, qui est prononcée sur un ton véhément. Quoi qu'il en soit,
ces deux actes paraissent hiérarchiquement coordonnés, et peuvent donc être traités de ma-
nière similaire.

La structure particulière de cet extrait, qui implique un locuteur (Pierre Murat)


dont l'opinion est explicitement sollicitée, et d'autres locuteurs qui interrom-
pent son discours, se reflète au niveau de l'analyse informationnelle: l'inter-
vention de Pierre Murat se caractérise par une structure informationnelle
fortement marquée, en particulier par plusieurs segmentées à gauche qui con-
tribuent à expliciter ses topiques. En revanche, les interventions des autres dé-
battants qui l'interrompent se caractérisent par une structure informationnelle
peu marquée et un topique le plus souvent implicite. Tout porte à croire que ces
deux caractéristiques ne sont pas entièrement indépendantes, et Pierre Murat
est conduit à présenter son opinion de manière particulièrement structurée pour
garder le fil de son discours en dépit des interruptions lO •

10. Celles-ci parviennent néanmoins à le troubler, comme en témoigne l'hésitation de l'acte 30.

372
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

La forte structuration de l'intervention de Pierre Murat apparaît clairement


dans les actes 6 et 7, 19 et 20, 23 à 25, qui font intervenir des structures seg-
mentées à gauche s'inscrivant après des ruptures périodiques ll . De plus, les
actes 6, 19 et 23 marquent le début d'une série d'interventions coordonnées
qui structurent la réponse de Pierre Murat, comme le montre la structure hié-
rarchique représentée dans la figure 7.2 :

As (4) et du côté de Pierre Murat


topicalisation
[
Ap(5) qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction

As (6) la réaction
1 [ topicalisation
Ip (7-18) c'est évidemment la grande joie ...

As (19) euh moi


-1 topicalisation
[
Ip (20-22) je suis surpris de voir que ...

As (23) quant au Benigni


-1 topicalisation

[ As (24) moi
Ip [toPicalisation
Ip (25-38) j'aime pas trop ...

Figure 7.2. Structure hiérarchique de l'échange


entre Jérôme Garein et Pierre Murat

La proximité hiérarchique unissant l'acte principal de la question de Jérôme


Garein (5) et les interventions débutant en 6, 19 et 23 justifie que ces dernières
s'ancrent toutes implicitement sur l'information activée par la question de
l'animateur (qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction).

Ces structures segmentées permettent de plus l'introduction progressive des


différents éléments de l'intervention de Pierre Murat: la segmentée des actes 6
et 7 réactive la« réaction », marquant ainsi explicitement le lien qui l'unit avec

Il. I:acte 6 marque la prise de parole de Pierre Murat. Pour l'acte 19, la rupture est peu mar-
quée au niveau de la prosodie, mais elle est soulignée par la présence de l'hésitation. I:acte
23 est en revanche précédé par une forte rupture qui accompagne un acte 22 très bref; il est
en outre caractérisé par la présence du marqueur de structuration de la conversation alors.

373
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

la question du locuteur. La segmentée de l'acte 19 pointe, par un pronom ac-


centué, sur le locuteur; cette mise en relief fait du locuteur le topique explicite
de l'acte 20, soulignant par là sa responsabilité pour le discours qui suit. La sé-
quence qui va des actes 23 à 25 articule deux segmentées à gauche: la premiè-
re réactive la représentation du « Benigni », dont il a déjà été question dans le
débat car il est arrivé premier dans le classement des auditeurs; la seconde
pointe sur le « locuteur », soulignant une fois de plus qu'il émet à propos du
Benigni un avis personnel, qui s'oppose ici à celui des auditeurs.

À la structure hiérarchique et relationnelle qui vient d'être décrite s'ajoute une


structure conceptuelle qui joue également un rôle non négligeable dans l'iden-
tification du topique. En effet, les différents « films» évoqués peuvent être
considérés comme des entités topicales qui, une fois activées, correspondent à
des topiques constants explicités par des expressions référentielles anaphori-
ques. Ainsi, l' « Angelopoulos » est le topique des actes 8, 13 et 17 ; le lien
conceptuel saillant entre les informations activées par les actes 17 et 18 le relè-
gue toutefois à l'arrière-fond pour l'acte 18. Le « Woody Allen» est le topique
de l'acte 21, et le « Benigni» est le topique des actes 27, 35 et 37. Ce référent
ne semble toutefois pas pouvoir être interprété comme le topique de l'acte 26 :
le pronom ça qui s 'y inscrit ne paraît pas renvoyer uniquement au « film de
Benigni» (comme l'aurait fait le pronom personnel lui), mais plutôt au fait que
le « locuteur n'aime pas trop le Benigni », qui paraît plus immédiatement perti-
nent en regard de l'information activée par: mais j'vais pas recommencer:
passer toute l'émission. sur ça (acte 26).

Sur les propos de Pierre Murat se greffent les interventions de l'animateur et


d'autres débattants, impliquant généralement, au niveau de la structure infor-
mationnelle, des ancrages linéaires implicites. Dans ces cas-là, les informa-
tions activées dans les actes immédiatement précédents guident l'identification
des topiques, mais il subsiste généralement plusieurs solutions possibles. Dans
ces interventions sont comprises les ratifications par un simple oui ou ouais
(actes 9, 16,32) ou par une reprise (acte 11). L'acte 12, prononcé rapidement
par un autre locuteur non identifiable (Y), enchaîne lui aussi implicitement sur
l'information qui vient d'être activée; il est suivi par l'acte 13 qui est à son
tour interrompu par l'acte 14. Le topique de cet acte 14 n'est formé ni par
l' « Angelopoulos », ni par l' « accueil» qui lui a été fait, mais plutôt par
l'énonciation de l'acte 12 (par par par toujours les mêmes) par le locuteur Y:
un tel ancrage témoigne de la tonalité polémique que prend le débat. L'acte 14
est effectivement suivi par des rires qui interrompent brièvement la discussion.

Le locuteur principal (P. Murat) doit faire face à d'autres interruptions, plus
brèves, à partir de l'acte 29. Les actes 29 et 33, qui sont prononcés sur un ryth-
me très rapide et qui chevauchent partiellement les propos de Pierre Murat, ne
sont pas entièrement compréhensibles. Le topique, implicite, peut néanmoins

374
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

être identifié à partir des infonnations conceptuelles et, pour l'acte 33, du pro-
nom celui.

Comment Pierre Murat parvient-il à assurer la continuité de son discours, mal-


gré ces interruptions? Par différents moyens. Dans les actes 10 et 15, il pour-
suit son discours comme si les interruptions n'avaient pas eu lieu. En effet, les
actes 6, 7, 8, 10 et 15 mis bout à bout fonnent une intervention continue:

PM: (6) euh: bon / la réaction (7) c'est évidemment la grande joie pour. de
voir l'Angelopoulos / (8) qui a été vraiment mal accueilli / (10) Y compris
à cette tribune / (15) par rapport à ce que ce film méritait

La continuité de ces actes se justifie également par l'absence de rupture majeu-


re, telle qu'une fin de mouvement périodique, malgré la présence d'une brève
correction dans l'acte 7. En outre, l'acte 15, qui s'inscrit dans la suite de l'in-
tervention des actes 8 et 10, peut être décrit comme leur étant proche au niveau
hiérarchique. La continuité de cette séquence facilite donc l'identification du
topique, même si celui-ci est implicite. De manière légèrement différente, dans
l'acte 30, pour faire face à l'interruption de l'acte 29, P. Murat répète l'infor-
mation de l'acte 28, reprenant par là le topique de cet acte (le « raz de ma-
rée »). Enfin, dès l'acte 34, P. Murat commence par ancrer son discours sur
celui de son interlocuteur par une brève ratification (bien sûr bien sûr), avant
d'enchaîner en 35 sur le topique que constitue le « film de Benigni ».

7.1.4 Bilan
Cette analyse a fait apparaître la complexité et la richesse de l'organisation in-
fonnationnelle, dont l'interprétation repose sur des facteurs lexicaux, syntaxi-
ques, relationnels, hiérarchiques et conceptuels. L'observation des différents
facteurs intervenant dans l'identification des topiques à partir de l'analyse de
segments discursifs étendus a montré que leur pertinence varie en fonction de
la structure du discours. Par exemple, les marques linguistiques peuvent jouer
un rôle décisif dans certains passages et être moins sollicitées dans d'autres. Il
en va de même pour la structure hiérarchique, qui n'a été décrite que lorsque
cela s'est avéré nécessaire. D'une manière plus générale, on observe que les
structures syntaxiques marquées ne sont pas toutes également représentées :
seules les segmentées à gauche sont régulièrement présentes dans les textes
étudiés. En revanche, des facteurs comme les liens conceptuels entre les infor-
mations activées, les relations de topicalisation, de cadre ou de préparation et,
dans certains cas, la structure hiérarchique, s'avèrent particulièrement signifi-
catifs. L'ensemble de ces observations confinne, me semble-t-il, l'importance
de la prise en compte des facteurs spécifiquement discursifs dans l'étude de
l'organisation infonnationnelle.

375
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan

Cette analyse a également pennis de préciser l'articulation des différents fac-


teurs intervenant dans l'identification des topiques: trois configurations prin-
cipales peuvent être dégagées. Premièrement, les différents facteurs guidant
l'identification des topiques peuvent converger pour indiquer un topique: par
exemple, les entités topicales sont souvent introduites dans le discours par des
structures syntaxiques marquées, ou, tout au moins, par des relations de discours.
Tout porte à croire que c'est lors de passages associés à des transitions que le
topique est le plus explicitement marqué et, par là même, le plus facile à iden-
tifier, ainsi que l'ont déjà observé Giv6n (1983) et Berthoud & Mondada
(1995)12. Deuxièmement, en présence de séquences plus homogènes, telles
que les séquences narratives ou les simples ratifications, le topique, qui peut
alors être inféré du contexte antérieur, est souvent implicite ou éventuellement
marqué par une expression référentielle anaphorique. Enfin, dans un troisième
cas de figure, les facteurs guidant l'interprétation des topiques indiquent des
solutions divergentes: c'est dans ces situations qu'émergent différentes inter-
prétations possibles.

7.2 Le parcours conduisant à l'identification du topique


Après avoir considéré simultanément les facteurs intervenant dans l'identifica-
tion du topique à partir de l'analyse de segments discursifs, il me semble inté-
ressant d'approfondir l'étude de leurs interrelations en décomposant les étapes
qui conduisent à l'identification du topique. Il convient de préciser qu'il ne
s'agit pas de décrire le parcours interprétatif réel des interactants, qui est plus
direct et ne passe pas par l'examen conscient des structures linguistiques et
discursives impliquées dans cette identification, mais plutôt d'esquisser, à par-
tir des résultats obtenus dans les chapitres précédents, une méthode que peu-
vent suivre le linguiste et l'apprenant qui se donnent pour objectif d'anal yser la
structure infonnationnelle.

L'identification du topique implique la prise en compte des facteurs linguistiques


lexicaux et syntaxiques, qui peuvent être représentés de la manière suivante:

12. «Introduire ou réintroduire un topic dans le discours appelle une activité beaucoup plus com-
plexe que celle de simplement poser ou reposer un topic, qui comprend la nécessité de le pro-
poser, l'imposer, l'ajuster, ou le négocier. Les multiples opérations impliquées par cette
activité laissent de nombreuses traces dans le discours. » (Berthoud & Mondada 1995 : 211)

376
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans /'identification du topique

facteurs linguistiques

+ marques lexicales
o - marques lexicales

+ marques syntaxiques - marques syntaxiques

Figure 7.3. Le rôle des facteurs linguistiques

Dans ce schéma, les signes « + » et « - » indiquent la présence ou l'absence de


marques lexicales et syntaxiques. Lorsque ces deux types de marques sont ab-
sents, il convient de prendre en compte la saillance contextuelle du topique,
qui dépend de la structure hiérarchique et relationnelle ainsi que de la structure
conceptuelle (comme cela apparaîtra dans la figure 7.4). Avant de discuter ces
facteurs plus spécifiquement liés à la structure du discours, j'aimerais briève-
ment illustrer les facteurs représentés dans la figure 7.3.

7.2.1 Les marques lexicales (A)13


Les marques lexicales sont formées par les expressions référentielles anaphori-
ques et déictiques, telles que les pronoms personnels dans 7.4 :
(7.4)
BP : si je vous entends bien quand vous écriviez 1 quand vous étiez en roman.
comme vous dites 1 vous perdiez du poids Il (Apostrophes)

Ces expressions référentielles marquent la présence de points d'ancrage, sans


toutefois indiquer à elles seules s'il s'agit d'un point d'ancrage immédiat,
c'est-à-dire d'un topique, ou d'un point d'ancrage d'arrière-fond. La syntaxe
peut permettre de préciser le statut de ces points d'ancrage.

En l'absence de marques lexicales, le topique peut être considéré comme for-


mé par un référent implicite mais contextuellement saillant, en ce sens qu'il
peut être inféré à partir du discours ou de l'environnement immédiat. Par
exemple, dans 7.5, extrait de 7.1 :

13. Les lettes A, B, C, D et la numérotation associée renvoient aux figures 7.3. et 7.4.

377
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan

(7.5)
NV: alors beaucoup d'appels ce soir / d'abord alors évidemment pour les félici-
tations d'usage lors des anniversaires avec des vœux pour le futur /
(Forum)

le deuxième acte s'ancre implicitement sur l'information activée par l'acte qui
précède.

7.2.2 Les marques syntaxiques (8)


Les marques syntaxiques permettent de clarifier le statut des points d'ancrage
marqués par le lexique. Différents cas de figure se présentent, en fonction du
type de structure syntaxique impliqué. Par exemple, le référent du syntagme
nominal d'une segmentée à droite est clairement marqué comme topique. C'est
le cas pour Teresa dans 7.6 :

(7.6)
GS : oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP : décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts / (Apostrophes)

La présence d'une structure clivée conduit directement à l'identification du to-


pique, même en présence d'autres expressions référentielles anaphoriques
comme lui dans l'exemple 7.7 :

(7.7)
GS : mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener / c'est lui
qui me menait / (Apostrophes)

La structure clivée indique la présence d'un topique propositionnel qui peut


être paraphrasé par: « la personne qui menait Simenon », tandis que le pronom
lui renvoie à un point d'ancrage d'arrière-fond.

En présence d'une segmentée à gauche articulant deux actes X et Y, l'interpré-


tation doit tenir compte de la structure du segment Y. Si celui-ci se caractérise
par une structure assertive, comme dans :

(7.8)
CT : les journalistes / euh ben ils sont des gens comme tout le monde / (Forum)

le syntagme segmenté (les journalistes) active le référent qui fonctionne com-


me topique pour l'acte suivant. Si le segment Y se caractérise par une structure
syntaxique interne marquée, comme la clivée dans l'exemple 7.9 :

378
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

(7.9)
BP: ces deux questions / c'est: Georges Simenon / le père de Marie-Jo qui se
les pose / (Apostrophes)

le topique peut être identifié à partir de la structure clivée (( la personne qui se


pose ces questions»), tandis que le référent activé par le syntagme segmenté à
gauche (<< ces deux questions ») est relégué plus à l'arrière-fond.

Enfin, lorsque la structure syntaxique est neutre, comme dans :


(7.10)
NV: les animateurs ne laissent pas assez parler les invités / ils dirigent trop la
discussion pour rester dans un chablon / (Forum)

le statut des points d'ancrage marqués par les expressions référentielles ana-
phoriques les animateurs, la discussion, les invités et ils doit être précisé à par-
tir d'informations contextuelles.

Les marques lexicales et syntaxiques ne sont pas les seuls facteurs conduisant
à l'identification du topique. Il convient également de prendre en compte la
saillance contextuelle du topique, dont le traitement relève des facteurs spécifi-
quement liés à la structure du discours. Ils sont représentés dans la figure 7.4 :

saillance contextuelle

ancrage à
distance

+ facteur - facteur
relationnel et relationnel et
hiérarchique hiérarchique

+ facteur - facteur
conceptuel conceptuel

Figure 7.4. Le rôle des facteurs discursifs

379
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan

7.2.3 La saillance contextuelle du topique (C)

7.2.3.1 Ancrage sur un constituant adjacent (Cl)


La saillance contextuelle du topique d'un acte Y est souvent motivée par le fait
que ce topique est issu d'un acte X qui précède immédiatement Y.

7.2.3.1.1 Les facteurs relationnel et hiérarchique (Ct.t)


Lorsque les constituants X et Y sont adjacents et que X se caractérise par une
relation de cadre, de topicalisation ou de préparation, le topique de Y peut être
identifié à partir de l'information activée par X. Par exemple, dans:

(7.11)
GS: alors dans les Maigret / on m'a demandé des romans policiers / (Apostro-
phes)

le topique du deuxième acte (<< dans les Maigret ») est issu de l'acte qui précè-
de, caractérisé par une relation de cadre. Un tel ancrage n'est immédiatement
pertinent que lorsque le segment Y ne se caractérise pas par une structure syn-
taxique marquée, comme l'a montré la discussion de l'exemple 5.21, dont je
reproduis un extrait en 7.12 :

(7.12)
ACL: peut-être pour enchaîner / plutôt que les sujets qui devraient être tabous /
c'est certaines personnes qui devraient être. taboues / (Forum)

L'information activée par l'acte initial, caractérisé par une relation de prépara-
tion, est reléguée à l' arrière-fond par le topique marqué dans le deuxième acte
par la syntaxe et qui peut être paraphrasé par« ce qui devrait être tabou ».

Les relations de discours peuvent aussi se combiner avec des expressions réfé-
rentielles, comme dans 7.13 :

(7.13)
DC: et quand on a eu ce concert à Chézard dans le canton de Neuchâtel / le
Grand Conseil n'arrêtait pas de parler de ça (Forum)

où le topique du deuxième acte peut être déduit de l'information associée à la


relation de cadre (<< quand on a eu ce concert à Chézard dans le canton de Neu-
châtel ») et du pointage effectué par le pronom ça sur ce « concert ».

Les constituants porteurs de relations de cadre, de topicalisation et de prépara-


tion peuvent s'inscrire dans des structures hiérarchiques qui influencent

380
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

également l'identification du topique. Lorsque deux constituants caractérisés


par une relation de cadre sont coordonnés, comme dans :

(7.14)
JC: dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il Y a des récifs (Radioscopie)

le topique du dernier acte résulte de la somme des deux actes qui précèdent
(<< dans les vies de Gide et de Mauriac »). Lorsque deux constituants porteurs
d'une relation de cadre sont liés par une relation de subordination hiérarchique,
comme dans:

(7.15)
B41: ah c'est la COTOREP qui décide de ça la COTOREP c'est quoi (Alloca-
tions)

le topique du dernier acte (c'est quoi) est formé par la « COTOREP )), issue de
l'acte immédiatement précédent.

7.2.3.1.2 Le facteur conceptuel (C.l.2)


Lorsque la structure hiérarchique et relationnelle ne permet pas d'identifier le
topique, il convient de recourir à la structure conceptuelle. Premièrement, l'en-
tité topicale, souvent verbalisée par des expressions référentielles, peut corres-
pondre avec le topique, notamment en l'absence d'autre référent plus saillant,
comme c'est le cas pour les « chemises )) dans 7 .16 :

(7.16)
GS: euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises /. que j'avais
achetées (XXX) mon arrivée à New York / qui étaient très pratiques / parce
que les manches étaient très larges / c'était des chemises à grands car-
reaux. (Apostrophes)

Cette entité topicale peut toutefois entrer en concurrence avec des ancrages li-
néaires explicites et être reléguée à l'arrière-fond par ceux qui sont marqués au
niveau syntaxique, comme dans l'exemple suivant:

(7.17)
C144: ah mais ça c'est autre chose madame l'aide ménagère elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale qui inter-
vient (Allocations)

où le référent formé par 1'« aide ménagère )), introduit par une segmentée à
gauche, constitue un topique plus saillant que l'entité topicale « la mère
de B )).

381
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan

Deuxièmement, le lien conceptuel entre les informations activées par les prédi-
cats peut lui aussi s'avérer pertinent pour justifier l'enchaînement entre les
propos. C'est le cas par exemple dans une séquence narrative du type de 7.18 :

(7.18)
GS: comme quand je sortais d'un roman (quand) je remontais euh: je me dés-
habillais entièrement / je me douchais et je me changeais / (Apostrophes)

où la relation de chronologie entre les informations activées peut reléguer à


l'arrière-fond l'entité première que constitue le locuteur (auquel renvoie le
pronom je).

7.2.3.2 Ancrage à distance (C2)


Dans certains cas, le constituant Y suit une rupture du flux discursif impliquant
une frontière prosodique ainsi que d'éventuels indices lexicaux et syntaxiques.
Dans ces cas-là, le topique de Y n'est généralement pas activé par un consti-
tuant qui s'inscrit dans le contexte immédiat, mais par un constituant non adja-
cent. Le topique peut alors être identifié à partir de deux types d'indices.

7.2.3.2.1 Le facteur hiérarchique (C.2.1)


Premièrement, la source du topique peut être cherchée dans les constituants
principaux de la structure hiérarchique ou situés à un niveau proche de Y. C'est
par exemple ce qui se passe dans l'analyse de l'exemple 7.19 :

(7.19)
BP: et. cette histoire qu'on m'a racontée / qui est peut-être une légende / que
vous portiez toujours la même chemise / pendant que vous écriviez un
roman //
GS: euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises /. que j'avais
achetées (XXX) mon arrivée à New York / qui étaient très pratiques / parce
que les manches étaient très larges / c'était des chemises à grands car-
reaux. en écossais rouge / et l'autre en écossais (marron) \ et ces chemises
avaient un avantage d'être très très souples / et de bien absorber la transpi-
ration / je ne la sentais pas couler sur ma peau \ parce que je sortais. en
nage / d'un chapitre de roman \ toujours / je devais me changer complète-
ment/
BP: alors mais
GS: c'était la même chemise mais on la lavait tous les jours // (Apostrophes)

où la structure de l'échange justifie, comme je l'ai montré, l'ancrage du consti-


tuant fléché sur le topique que l'on peut paraphraser par « ce que je portais ».
La structure hiérarchique ne suffit toutefois pas toujours pour identifier le topi-
que : il faut alors recourir à la structure conceptuelle.

382
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

7.2.3.2.2 Le facteur conceptuel (C.2.2)


Deuxièmement, le topique peut être identifié à partir des entités topicales de la
structure conceptuelle. C'est ce qui se passe dans le compte rendu:

(7.20)
NV: alors dans les critiques / tout le monde en prend un peu pour son grade \\
..... on commence par cette auditrice qui estime que la durée de l'émission
est trop courte / elle préférerait un débat plus long / mais deux fois par
semaine \\ ..... l'appel de cet habitué de La Chaux-de-Fonds qui est trop
souvent déçu par la qualité des invités / des invités qui dit-il peinent à sor-
tir de leur corset / et qui ne se remettent pas assez souvent en question \\
toujours au sujet des invités une auditrice souhaiterait que les noms des
invités soient annoncés dans la journée / cela pourrait titiller les auditeurs
plus tôt \\ ..... un autre est frustré par la manière dont se déroulent les débats /
ça c'est pour les journalistes / lorsque des thèmes importants sont abordés
explique-t-il / les animateurs ne laissent pas assez parler les invités / ils
dirigent trop la discussion pour rester dans un chablon / et ne s'éloignent
pas assez de leur plan respectif\\ ..... autre son de cloche avec un auditeur /
qui estime que les invités ont tout loisir d'éluder les questions embarras-
santes \\ ..... et puis dernière remarque avec la sélection des questions des
auditeurs / des questions souvent mal sélectionnées et trop personnelles \\
..... enfin alors après les critiques. les souhaits / (Forum)

où les topiques des actes s'inscrivant après les ruptures périodiques sont for-
més par l'entité topicale des « critiques» des auditeurs.

7 .2.4 Rupture informationnelle (0)


Enfin, il reste à préciser que si le topique ne peut être identifié ni à partir d'un
constituant adjacent, ni à partir de la structure hiérarchique, ni à partir de la
structure conceptuelle, on se trouve face à une rupture informationnelle sus-
ceptible de produire des effets de style, mais aussi d'engendrer des malenten-
dus. Par exemple :

(7.21)
B9: ah bon. euh je voudrais savoir euh quels sont les critères qui vous f. qui
vous. qui obligent la commission au rejet
[ ... ]
C38: euh c'est passé en COTOREP son dossier
B39 : euh en COTOREP je sais pas
C40: oui ben c'est ça c'est la COTOREP qui décide de ça
B41 : ah c'est la COTOREP qui décide de ça la COTOREP c'est quoi c'est le le
C42 : c'est la commission d'orientation des adultes handicapés et de reclasse-
ment des hand des adultes handicapés

383
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan

B43: -+ ah oui alors euh bon parce que je connais bien les les commissions j'en
fais partie moi-même
C44: de la COTOREP
B45: et non non non mais je connais bien les commissions comment ça se passe
alors c'est pour ça que je voulais vous savoir comment.
C46: mais. enfin vous êtes qui madame s'il vous plaît
B47: euh je suis mademoiselle Bichaud dont les la fille de mons de madame
Bichaud qui est handicapée pas mal. (Allocations)

Alors que C vient d'expliquer à B en quoi consiste la commission de la


COTOREP, B enchaîne en 43 en évoquant sa connaissance des commissions.
Cette transition peut être caractérisée comme une rupture informationnelle, car
la question de C en 44 témoigne de la faible accessibilité du topique. Malgré la
présence du syntagme nominal défini les commissions, le topique du premier
acte de 43 n'est pas formé par la COTOREP, comme B le précise en 45.
N'étant pas issu du contexte immédiat, le topique de l'acte 43 est difficile à
identifier avec certitude. La structure hiérarchique n'est d'aucun secours, car
l'intervention de Ben 43 paraît difficilement rattachable aux interventions pré-
cédentes. De plus, aucune entité topicale disponible ne paraît former un topi-
que vraiment pertinent.

À l'aide de la transcription de l'ensemble du passage, il est néanmoins possible


de formuler une hypothèse sur la nature du topique. Le connecteur parce que
en 43 semble enchaîner implicitement sur la question formulée par B en 9 sur
les critères du rejet d'une allocation, comme B l'explique après-coup en 45
(c'est pour ça que je voulais savoir comment). Cette information métadiscursi-
ve pourrait constituer le topique du premier acte de 43, mais elle ne paraît pas
être perçue comme telle par C 14 .

La rupture informationnelle caractérisant cet enchaînement apparaît encore


plus clairement si on la contraste avec la transition effectuée par C en 46 : cette
dernière est certes abrupte, mais elle ne soulève aucun problème de compré-
hension, car le topique (son « interlocutrice» désignée par vous) est directe-
ment récupérable dans la situation.

Il convient, pour conclure, de souligner le caractère heuristique des étapes du


processus de l'identification du topique qui viennent d'être esquissées. En ef-
fet, l'ordre dans lequel j'ai présenté ces étapes est celui qui me paraît méthodo-
logiquement le plus simple, mais il ne présuppose pas de relations

14. Il est toutefois difficile de déterminer si la question de C manifeste un problème d'incom-


préhension et/ou si elle vise à faire admettre à B que B ne connaît pas la COTOREP. Quoi
qu'il en soit, cette question explicite le problème de l'identification du topique dans l'inter-
vention de B.

384
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique

hiérarchiques intrinsèques entre les facteurs impliqués dans l'identification du


topique. De plus, contrairement à ce que cette présentation pourrait laisser
croire, il n'y a pas nécessairement complémentarité entre les différents facteurs
conduisant à l'identification du topique; comme je l'ai montré dans la première
partie de ce chapitre (7.1), ceux-ci peuvent se contredire et conduire à plu-
sieurs interprétations possibles. Enfin, le parcours ainsi esquissé ne prétend pas
être exhaustif, car il tient compte uniquement des facteurs qui ont été examinés
dans la présente étude.

385
CONCLUSION

Cette conclusion sera très brève, puisque j'ai déjà repris et commenté les prin-
cipaux résultats de cette recherche dans le chapitre précédent. Pour clore cette
étude, je me propose de relever ce qui m'apparaît comme ses principaux ap-
ports en regard des travaux existants, avant d'esquisser les éléments qui pour-
raient être développés et les perspectives de recherche.

1 Apports

D'une manière générale, ce travail illustre, en se démarquant des travaux qui


considèrent que la tâche est terminée lorsque le topique est déterminé, l'intérêt
que peut avoir l'étude de l'identification du topique. Cet intérêt ne se justifie
pas tant par la trouvaille du « bon» topique, qui, comme je l'ai souvent souli-
gné, n'est pas nécessaire ni même toujours possible, que par l'étude de l'inter-
relation des différents facteurs intervenant dans l'identification du topique.

Cette recherche, qui s'inscrit dans la lignée des propositions de Danes (1974),
a aussi montré qu'il était possible d'étudier la notion de topique de manière
précise et systématique, comme le font les analyses portant sur la structure de
l'énoncé, mais à partir de segments discursifs dialogiques authentiques et éten-
dus. Cette démarche m'a conduite d'une part à proposer des analyses plus pré-
cises que les travaux qui se contentent d'un repérage global et approximatif du
topique discursif, et d'autre part à enrichir l'analyse de la structure informa-
tionnelle de chaque acte par la prise en compte des topiques implicites qui,
s'ils ont déjà décrits par Bally (1965 [1932]), ne sont généralement pas pris en
considération.

387
L'identification des topiques dans les dialogues

J'ai de plus tenté de développer et justifier une approche originale de la struc-


ture informationnelle, qui conçoit le topique comme un «point d'ancrage ». Je
ne vais pas reprendre les différents éléments justifiant cette conception, qui ont
été développés ci-dessus, mais il me semble que cette approche présente un
certain nombre d'avantages, comme par exemple celui de rendre compte de la
pluralité possible de points d'ancrage situés à différents niveaux.

En outre, l'examen systématique des différents facteurs intervenant dans


l'identification du topique a permis de préciser leur étude, qui manquait dans
les travaux genevois. Pour les marques lexicales et syntaxiques, déjà bien étu-
diées dans d'autres approches, mon travail a essentiellement consisté à synthé-
tiser et discuter les descriptions existantes, ainsi qu'à montrer, à partir de
l'analyse de mes exemples, comment elles s'articulent avec les points d'ancra-
ge d'arrière-fond et le topique. En revanche, pour les facteurs discursifs, il était
plus difficile de s'appuyer sur des descriptions existantes. J'ai ainsi été amenée
à effectuer une brève typologie des relations dérivées de la relation « topique
de », qui avait été mise en évidence par Auchlin (1986-87). J'ai également étu-
dié les ruptures du flux discursif, qui n'avaient pas encore été traitées en tant
que telles dans le modèle genevois, et précisé l'existence de différents types
d'enchaîriements à distance. Enfin, j'ai approfondi l'étude de la structure con-
ceptuelle à l'aide des notions d'entité topicale, d'importance référentielle et de
chaîne de référence.

Enfin, l'apport peut-être le plus important de ce travail me semble être l'étude


de la combinaison et de l'interrelation de ces différents facteurs, généralement
considérés de manière isolée, dans l'identification du topique. Leur complé-
mentarité est apparue à travers l'analyse des exemples tout au long de ce tra-
vail, puis, de manière plus systématique, dans le septième chapitre, à partir de
l'analyse de segments discursifs étendus. À ce niveau, cette recherche a illustré
l'intérêt que peut avoir une méthodologie de type modulaire permettant de
considérer les différents éléments d'abord de manière isolée, puis de manière
conjointe; rendant compte par là de la complexité de l'organisation informa-
tionnelle du discours.

2 Perspectives

Il est important de souligner que cette étude pourrait être développée à plu-
sieurs égards. En effet, elle fait intervenir des éléments sémantiques, syntaxi-
ques et discursifs; or, cette interdisciplinairité, qui fait peut-être l'originalité
de cette recherche, fait aussi sa faiblesse, car chaque dimension, chaque facteur
pourrait être traité de manière plus approfondie. Par exemple, je me suis limitée

388
Conclusion

à l'étude de quelques expressions référentielles et des structures syntaxiques


destinées à marquer la continuité. Mais il aurait été tout aussi intéressant de
prendre en considération d'autres formes, comme par exemple les structures
présentatives étudiées par Lambrecht (1999c), contribuant elles aussi à guider
l'identification du topique. De même, il serait possible d'approfondir l'analyse
des facteurs discursifs en y intégrant la prise en compte des relations argumen-
tatives et en étudiant de manière plus détaillée la structure conceptuelle à partir
de différents types de textes.

Si l'étude des facteurs que j'ai examinés pouvait être développée, il serait éga-
lement souhaitable d'intégrer à cette étude le traitement d'autres facteurs que
j'ai laissés de côté, soit parce que mon corpus se prêtait moins bien à leur étu-
de, soit parce que mes compétences ne me permettaient pas d'en proposer un
traitement satisfaisant. Parmi ces éléments, il y a la prosodie, que je n'ai fait
qu'évoquer sans tenir compte de tous les phénomènes accentuels et émotion-
nels, l'étude sémantique et pragmatique des marques comme à propos, quant
à, etc., ainsi que la prise en compte de facteurs situationnels impliquant le ca-
dre interactionnel et actionnel du discours qui sont étroitement liés à la co-
construction de la structure conceptuelle du discours.

Enfin, l'approche esquissée dans ce travail me paraît permettre quelques déve-


loppements et applications intéressants. Il serait utile de pouvoir étudier sous
cet angle d'autres genres et types de textes (narration, description, etc.) afin
d'analyser les variations des différents facteurs intervenant dans l'identifica-
tion du topique. De plus, cette étude fournit, me semble-t-il, un cadre général
permettant d'envisager, à la suite de Blumenthal (1997), une étude contrastive
de la structure informationnelle du discours. Finalement, cette recherche me
paraît présenter un intérêt méthodologique, car elle présente une procédure
d'identification du topique et peut rendre compte de l'échec de cette identifica-
tion : par là, elle offre à l'apprenant un outil permettant de saisir l'analyse de la
structure informationnelle dans toute sa complexité.

389
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION

Les conventions de transcription, qui s'inspirent en partie de propositions de


Blanche-Benveniste et al. (1990), visent avant tout à présenter le discours de
manière claire et immédiatement accessible à l'interprétation. Précisons toute-
fois que la transcription ne remplit que le rôle limité d'un « aide mémoire» :
pour l'analyse, c'est toujours la bande audio ou vidéo qui constitue la référen-
ce principale.

()(), ()()(), ()()()() syllabe ou suite de syllabes incompréhensibles


)(: locuteur non identifié
.
., .. ,. ... pauses plus ou moins longues
allongement de la voyelle qui précède
1; Il ; \ ; \\ ; = la direction des barres obliques et plates indique la di-
rection de la mélodie
1; \;- la barre simple indique un intonème continuatif
Il; \\ ; la barre double indique un intonème conclusif
< > dans les crochets figurent les rajoutés par
le transcripteur tels que <rire>, <ace.> pour accéléra-
tion, etc.
[ ... ] interruption de la transcription

391
, ,
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410
INDEX DES AUTEURS

A 234,238,240,243,248,249,272,274,
Abelson : 306 321,376
Adam: 20, 30, 43, 108,249,332 Betten: 142
Admoni: 303 Bianco: 125
Apothéloz: 31, 32, 74, 87,125,127,128, Blanche-Benveniste: 55, 73, 74, 78, 175,
131,140,143,162,163,165,202,215, 190,191,193,212,214,216,220,221,
248,310,314 226,227,228,230,234,236,237,238,
Arabyan : 140 284
Ariel: 128, 129, 130, 132, 140,248 Blumenthal : 389
Aristote : 15 Bock: 303
Ashby: 49,194,201,202,203,205,209, Bosch: 124, 303
228 Boucheix : 140
Asher: 249,270 Bourcier : 196
Auchlin : 30,32,35,58,64,65,70,74,75, Brazil: 283
76, 77, 80, 81, 82, 84, 85, 87, 89, 93, Brewer: 303
105,112,119,120,253,274,283,284, Bronckart : 48, 249
365,388 Brown: 26, 27, 31, 42, 56, 70, 112, 149,
Auer: 84, 85 283,301,303,304,305,306,309,310,
311,316
B Bruxelles: 196
Bakhtine : 20 Burger: 47,119,170,363,364
Bally: 23, 30, 48, 56, 57, 97, 102, 113, Button:38,42,49,248,252
181,188,189,191,193,203,205,223,
226,237,253,274,387 C
Benninger : 109 Cadiot: 16, 17,20,21,27,30,31,33,151,
Berrendonner: 30,31,55,64, 73, 74, 75, 215,216,224,226,227,229,242,257
78, 82, 83, 124, 128, 175, Casey: 38,42,49,248,252
188,189,190,191,223,225,226,227, Chafe: 19,23,25, 38, 39, 41, 42, 50, 64,
238,303 80,92,95,96,98,132,133,134,135,
Berthoud: 18,26, 33, 39, 42, 47, 48, 49, 136,137,140,168,172,176,177,313,
70, 103, 104, 105, 175, 188, 191,232, 314,316,335

411
l'identification des topiques dans les dialogues

Charnock: 274 272,301,306,307,309,332


Charolles: 31, 74,125,162 Firbas: 15, 17,20,25,36,37,41, 115, 175
Choi-Jonin: 125 Fl0ttum : 46, 239
Chomsky: 20, 24 Fontaney: 283
Clancy: 140,335 Ford: 140
Collins: 213, 216 Fournier: 176
Combettes: 18,23,25,30,36,45,49,51, Fox: 128, 140,313,335
54,56, 74, 94, 107, 108, 109, 112, 114, Fradin: 16, 17,20,21,27,30,31,33,188,
128,140,175,188,196,230 189,190,191,193,194,200,201,202,
Corblin: 118, 123, 124, 150, 151, 152, 224,225,226,227,228,230,232,257
153,163,164,312 Fries: 54
Cornish : 49, 101, 124 Fuchs: 36, 176
Cornulier : 20 Furukavva:43, 175, 176, 178, 179, 196
Coulthard : 283
Couper-Kuhlen : 42, 84, 285 G
Crévenat : 196 Gadet : 54, 77
Crovv:26,38,39,42,49,61,106,252,288 Galambos : 175
Galmiche: 17, 18,21,28,32,33, 112,
D 113,114
Danes: 15, 16, 17,20,23,25,27,28,36, Garnham: 303
41,42,49,50, 51, 52, 53, 54, 55, 58, Giv6n : 20, 24, 25, 38, 43, 44, 45, 48, 128,
59,63,64,98, 106, 107, 109, 112, 113, 130, 176, 178, 198, 234, 248, 310, 311,
387 314
Danon-Boileau: 20, 36, 49, 76, 80, 115, Goffman : 42, 60, 281
116,139,230,254,267 G6mez-GonzaIez : 17, 18, 19, 22, 24, 27,
de Fornel: 42, 84, 241, 248, 252, 274 37
de Gaulmyn : 55, 84 Grice: 129,257,292
de Weck: 140 Grobet:35,47,48,54,63,67,68, 75, 76,
Defays : 75 77,79,80,107,111,116,118,119,
Dittmar: 38,42,49,248, 309 120, 128, 132, 140, 196,224,249,251,
Dobrovie-Sorin : 233 253,263,272,274,283,294,298,301,
Dovvning : 140, 313, 335 309,316,332,337
Dressler: 25, 112, 113 Gross: 215, 220
Dubois: 54,57, 107, 108, 109, 125, 160 Gruber: 20
Ducrot : 20, 32, 123 Guimier : 18,33,36,42,43, 175
Dupont: 188, 190,223 Gülich : 49, 238
DUITer: 189 Gumperz : 84, 85
Gundel: 24
E
Ervin-Tripp : 365 H
Haiman: 20
F Halford: 83
Fayol: 140,303 Halliday : 20, 22, 24, 37,49, 115
Ferrari: 76,80,82,89, 194,283,284 Hiirma: 188
Filipec : 25, 54 Hassan: 22
Filliettaz: 47,48,77,119, 170,249,251, Helbig: 176

412
Index des auteurs

Henri: 275, 276 Lavigne-Tomps : 125


Hers1und: 125 Le Querler : 198, 226, 236
Hofman: 140 Lemoine : 225
Levinson: 30,31,129
J Li: 20,30, 178
Jackendoff: 20 Linell : 42, 104
Jefferson: 249 L6tscher: 42
Joshi : 49 Lutz: 16, 19,22,25

K M
Kamp: 303 Machello-Nizia: 36
Katz: 210, 211, 212, 216, 220 Maillard: 127,150,151,152,153
Keenan: 20, 25, 30, 38, 49, 61, 106,252, Marandin: 28,48,163,165,312
288 Mathesius : 15
Kesik: 275 Maynard: 15, 16, 42, 49, 54, 57, 58, 59,
Kibrik: 140,313,335 60,61,62,63, 106
Kintsch : 26, 37,48,249,305 Mertens: 76,193,211,339
K1eiber : 17, 27,28, 31, 34, 36, 40, 43, 45, Michaelis : 107, 184
71, 103, 109, 112, 123, 124, 125, 126, Miche: 111, 119, 160
127,128,129,131,132,139,142,143, Moeschler: 17,21,47,62, 117, 129, 130,
144,145,146,147,148,150,151,152, 131,150,249,270
153, 154, 155, 159, 163, 164, 165, 166, Molinier: 198,211,212,213,214,216
170,178,216,272,275,276,306 Mondada: 15, 16, 17, 18,21,22, 28, 29,
Kolde: 163 31,33,34,37,38,70,97,376
Korolija: 42, 104 Morel: 36,49,77,80,115,116,139,193,
Kotschi : 23, 98 211,224,226,228,229,230,232
Küntay: 365 Motsch: 43
Mu1der: 163
L Muller: 36,178,181,182,213,233
Labov: 269,271,333 Müller: 55, 84
Lacheret-Dujour : 36
Laforest: 55, 84 N
Lambrecht: 16,23,24,29,30,31,32,34, Nespor: 76, 283
36,37,45,49, 51, 64, 92, 93, 94, 95, N0lke: 17, 21, 24, 37, 43, 46, 188, 198,
96,97,98,99, 100, 107, 114, 116, 132, 201,224
133, 134, 135, 136, 137, 140, 142, 158,
168,175,176,177,178,180,181,183, 0
184,187,188,191,193,194,195,196, Oakill: 303
197,198,201,205,210,211,212,214,
215,219,220,221,223,224,225,226, P
227,228,229,232,233,234,237,240, Pekarek: 140
312,325,389 Perrin: 160
Laparra: 26,42, 234 Platon: 15
Larsson: 188, 190, 191, 192, 193, 194, Prévost: 16, 17, 18,21, 22, 25, 36, 94,
196,198,223,237 142,176
Lascarides : 249,270 Prince: 18,19,22,23,38,45,49,128

413
L'identification des topiques dans les dialogues

R Sperber: 30,94, 117, 125, 154, 171,292


Reboul: 17, 21, 47, 62, 126, 127, 129, Stark: 20, 24, 49,176,215,223,228,229,
130,131, 150,249 236,237,240,241,254,255
Reichler-Bégue1in: 30, 31, 55, 83, 124,
125,127,140,162,163,165,188,189, T
190,191,223,225,226,227 Tannen: 48
Reinhart : 45, 114,332 Tao: 140
Revaz: 332 Theissen : 162
Reyle: 303 Thompson: 20, 30, 178
Rizzi: 20,175,188,190 Tomassone: 23,36,49,51,54,56, 107,
Rossari : 73, 89, 120,251,263,287 108, 109, 128
Rossi: 49, 84,115,116,193,211,213, Tschida: 15,16,18,19,22,23,24,25,28,
223,283,339 30,37, 112, 113, 114, 115, 176, 178
Rothenberg: 112, 113, 114, 175, 196, 198
Roulet : 20,43,46,47,48,49, 55, 62, 63, U
64, 67, 68, 69, 70, 71, 73, 74, 75, 76, Ujma: 125
77, 78, 79, 82, 90, 91, 96, 100, Ill,
117,118,119,160,228,238,249,250, V
251,252,257,263,272,282,283,285, van den Eynde : 193, 211
286,291,292,301,303,306,307,308, van Dijk : 26, 37, 48, 249, 305
309,316,317,319,330,332,354 Védénina: 30, 75
Rubattel:76, 77, 79,267 Velcic-Canivez : 104
Vincent: 84, 160
s Vogel : 76,283
Sacks: 249 Vogeleer : 230
Schaeffer: 20, 123
Schegloff: 249 w
Schieffelin: 20, 25, 30, 38, 49, 61, 106, Walker: 49
252,288 Weinrich : 45
Schlobinsky: 17,21,22,24,25,26,27, Wetze1-Kranz : 272
28,29,34,40,43,45,57,248 Wiederspiel : 131
Schmale: 119, 140,295 Wilson: 30, 94,117,125,154,171,292
Schmale-Buton: 119, 140,295 Wunderli : 30,76,84,115,116,193,283,
Schmidt: 55, 84 339
Schnedecker: 17,33,43,44,45,125,162,
206,312 y
Schoenthal : 181 Yule: 26, 27, 31, 42, 70, 112, 149,283,
Schütze-Coburn: 17, 21, 22, 24, 25, 26, 301,303,304,305,306,309,310,311,
27,28,29,34,40,43,45,57,248 316
Schwitalla : 73, 74, 79, 80, 86, 98
Selting : 42, 73, 74, 76, 84, 86, 87, 283, Z
285 Zaccaria: 17, 41
Shank: 306 Zay: 74, 87, 215
Siblot: 15 Ziv: 190, 191, 195,236,238
Simon: 283 Zribi-Hertz: 83, 124, 142
Spencer-Smith: 303

414
INDEX

A E
accessibilité: 50,129,130,131,132,170, échange: 67, 248, 250, 251
172,315,334 échelle de topicalité : 43, 44, 46, 179
acte: 64, 65, 67, 69, 72, 74, 77, 78, 79, 80, École de Prague: 15, 16, 17,23,36,57,58
81, 82, 83, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 96, entité topicale: 149, 301, 309, 310, 312,
98,99,100 313,315,319,320,321,322,323,324,
agent: 33,45, 176 327,334,337,340,341,353,362,381,
analyse conversationnelle: 26, 38, 248, 384
252 état d'activation: 23, 39, 92, 94, 95, 96,
anaphore: 123, 124, 125, 128 128,135,136,140,142,168,177,178
anaphore fidèle: 162
anaphore infidèle: 162 F
approche conversationnelle: 49, 57 focalisation: 46, 196
approche modulaire: 42, 43, 46, 47, 48, focus:21,37,99, 158, 177, 197,210,214,
63,67,69,71,74,117,118,306 219,220,225
assertion: 51, 95, 97, 98
1
C identifiabilité: 23, 92, 94, 95, 96, 128,
cadre: 274, 281, 346, 353, 375 133, 134, 135, 136, 140, 142
cadre topical : 303, 305, 308 importance référentielle: 177, 178, 313, 319
chaîne de référence: 312, 319 indice de contextualisation : 83, 84
circonstance d'évaluation: 164 intervention: 67, 250, 251, 285
commentaire: 18, 21, 97
condition thématique: 62 M
contour intonatif: 76, 77, 79, 88 marqueur de structuration de la conversa-
tion (MSC) : 257,285,286
D mémoire discursive: 64, 65, 69, 78, 79,
dimension hiérarchique: 78, 79 82,83,90,91,97,100
dimension référentielle: 306 mouvement intonatif: 283, 284
dynamisme communicatif: 25, 41 mouvement périodique: 75,283, 339

415
L'identification des topiques dans les dialogues

N relation interactive: 251, 252, 263


négociation: 249, 309 rhème: 15,21,28,50,113, 114, 115, 116

o S
objet de discours: 31,64,65,67,68,69, saillance: 22, 31,124,127,145,146,147,
72,89,93,94,96,97,308 162,172,233,247,292,298,315,337
organisation hiérarchique et segment à gauche: 255
relationnelle: 249 structure clivée: 210
organisation inférentielle : 70, 117, 118 structure conceptuelle: 68, Ill, 120,301,
organisation informationnelle: 63,64,65, 303,306,308,337,340,353,381,383
67,69,70,71,74,89,90,91 structure conceptuelle du discours: 346
organisation périodique: 75, 282, 339, structure hiérarchique: 62, 67, 250, 279,
346 281,285,292,298,346,363,373,375,
organisation topicale : 63, 67, 69, 308 380,382,384
structure hiérarchique et relationnelle:
p 120,251
phrase: 55,74, 75, 77, 78 structure informationnelle: 17,34,35,40,
point d'ancrage: 65, 66, 69, 70, 89, 90, 67,95, Ill, 115, 116, 181, 182, 183,
91, 92, 97, 100, 103, 137, 140, 142, 207,220,282,286,302,308,320,354,
147,156,162,166,168,173,174,198, 362
215,231,316,320,334,341,377 structure segmentée: 188,193,223
prédicat: 95, 115,341,363,382 structure topicalisée: 224
préparation: 274,281,346,375,380 sujet: 24, 33, 45, 176, 177, 178, 179, 180,
présupposition: 21,46,95,97, 114,214, 181,187,311,312
215
progression informationnelle: 49, 51, 52, T
53,54,55,56,57,58,59,60,61, 105, thème: 15,20,21,23,24,30,50,55,56,
106, 107, 108, 109, 110,252,334 57,58,59,61, 115, 116
propos: 15,21,23,28,96,97,98,99,100, théorie du centrage: 49, 101
101 topicalisation: 353,380
proposition: 69, 76, 77, 78, 81, 82, 85 topique: 15,18,20,21,22,23,24,25,27,
prosodie: 76, 80, 85, 87, 116, 135, 187, 30,31,32,33,36,37,38,39,61,65,
193,210,223 66, 69, 70, 71, 72, 89, 90, 91, 92, 93,
94, 96, 97, 100, 101, 102, 103, 105,
R 112,114,115,116,120,137,148,159,
référent: 94,95,96,302,310,319,322 162,168,173,174,176,177,178,180,
relation « topique de » : 253 181,182,187,204,208,219,220,237,
relation de cadre: 254, 266, 380 243,248,274,278,279,281,292,298,
relation de discours: 252, 254, 278, 279, 322,323,334,340,348,356,366,375,
363 376,377,380,382,384
relation de préparation: 271, 353 topique discursif: 26
relation de topicalisation : 254, 263, 274, tour de parole: 58,69, 74, 77, 285
281,346,375 trace de point d'ancrage : 64, 65,120,147,
relation illocutoire : 251 156, 162, 166, 170, 173

416
TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos 5

Sommaire 7

Introduction 9

Partie 1
L'ORGANISATION INFORMATIONNELLE 13

Chapitre 1 État de la question 15


1.1 Pour un survol des états de la question 17
1.1.1 Question de méthodologie 17
1.1.2 Divergences terminologiques et conceptuelles:
les différentes définitions du « topique» ou « thème» 20
1.1.2.1 Le topique défini comme l'information donnée 22
1.1.2.2 Le topique défini comme ce dont parle l'énoncé 23
1.1.2.3 Le topique défini comme le point de départ de l'énoncé 24
1.1.2.4 Le topique défini comme l'élément porteur du plus bas
degré de dynamisme communicatif 25
1.1.2.5 Le topique discursif 25
1.1.3 Les principaux problèmes de la notion de topique 27
1.1.4 Faut-il abandonner la notion de topique? 30
1.1.5 Réexamen des principaux problèmes de la notion de topique 32
1.2 Les différents niveaux d'analyse impliqués
par l'analyse de la structure informationnelle 35
1.2.1 La structure informationnelle de l'énoncé et du discours 35
1.2.2 Les différentes dimensions impliquées par l'analyse
de l'organisation informationnelle 40
1.2.3 Pour une approche « modulaire» de l'organisation informationnelle 42

417
L'identification des topiques dans les dialogues

1.3 L'analyse de la structure informationnelle des dialogues oraux 48


1.3.1 Les différents types de progression informationnelle:
de l'énoncé au discours (Danes 1974) 49
1.3.2 Du discours monologique au discours dialogique:
la perspective fonctionnelle interactionniste de Maynard (1986) 57
1.3.3 L'organisation informationnelle et topicale du discours dialogique
(Roulet 1999b, Grobet 1999c) 63
1.3.4 La problématique de l'organisation informationnelle: bilan 71

Chapitre 2 Hypothèses de travail 73


2.l Le problème de l'unité discursive minimale 73
2.1.1 La définition de l'unité discursive minimale 74
2.1.2 Les critères de la segmentation en actes 79
2.1.2.1 Les critères prosodiques vs linguistiques 80
2.1.2.2 La segmentation en actes: le produit de l'interrelation
de différents indices de contextualisation 83
2.2 La définition des notions de topique et d'objet de discours 89
2.2.1 Le topique 90
2.2.2 Le propos (l'objet de discours) 96
2.3 La continuité et la progression informationnelles 99
2.3.l L'établissement de la continuité informationnelle 99
2.3.2 Les différentes origines possibles du topique 101
2.3.2.1 Le topique issu du propos activé par l'acte qui précède 101
2.3.2.2 Le topique issu de la situation 102
2.3.2.3 Le topique métadiscursif 104
2.3.2.4 Les ruptures informationnelles 105
2.3.3 Typologie des progressions informationnelles 106
2.3.3.l Les progressions linéaire et à topique constant 106
2.3.3.2 La progression à topiques dérivés 107
2.4 L'identification du topique III
2.4.l Le problème de l'identification du topique: deux exemples III
2.4.2 Les réponses proposées pour identifier le topique 112
2.4.2.1 L'interrogation, la négation et la reformulation 112
2.4.2.2 Le rôle de l'intonation 115
2.4.2.3 L 'organisation inférentielle 117
2.4.3 L'identification du topique: un processus en plusieurs étapes 119

Partie II
LES FACTEURS LINGUISTIQUES
DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 121

Chapitre 3 Les marques lexicales du topique 123


3.1 Approche textuelle et approche cognitive de la référence 123
3.2 Formes de référence et statut informationnel: accessibilité, identifiabilité
et état d'activation 128

418
Table des matières

. 3.2.l L'accessibilité 129


3.2.2 L'identifiabilité et l'état d'activation 133
3.2.2.l L'identifiabilité 133
3.2.2.2 L'état d'activation 135
3.2.3 Discussion 137
3.3 Le pronom il 143
3.3.1 Contenu descriptif de il : marques de genre et de nombre 143
3.3.2 Instructions référentielles du pronom il 145
3.3.3 Le pronom il comme trace de point d'ancrage 147
3.4 Les pronoms démonstratifs 150
3.4.l Contenu descriptif de ça : marques de genre et de nombre 152
3.4.2 Instructions référentielles du pronom ça 154
3.4.3 Le pronom ça comme trace de point d'ancrage 156
3.5 Les syntagmes nominaux anaphoriques 162
3.5.l Les syntagmes nominaux définis et démonstratifs 163
3.5.2 Les syntagmes nominaux définis et démonstratifs comme traces
de points d'ancrage 166
3.6 Bilan de l'analyse des expressions référentielles 173

Chapitre 4 Les marques syntaxiques de la structure informationnelle 175


4.1 Sujet et topique 176
4.1.1 Le rôle du sujet dans le marquage du topique 176
4.1.2 Le topique dans la proposition assertive canonique 181
4.2 Les structures syntaxiques marquées 187
4.2.l Les structures segmentées: problèmes d'analyse 188
4.2.2 La structure segmentée à droite 192
4.2.2.1 La structure segmentée à droite: description et délimitation 193
4.2.2.2 Le rôle de la structure segmentée à droite dans le marquage
des points d'ancrage 198
4.2.2.3 Le rôle de la segmentée à droite dans le marquage
du topique 204
4.2.3 La structure clivée 210
4.2.3.l La structure clivée: description et délimitation 210
4.2.3.2 Le rôle de la clivée dans le marquage des points d'ancrage 215
4.2.3.3 Le rôle de la clivée dans le marquage du topique 219
4.2.4 La structure segmentée à gauche 223
4.2.4.1 La structure segmentée à gauche: description
et délimitation 223
4.2.4.2 Le rôle de la segmentée à gauche dans le marquage
des points d'ancrage 231
4.2.4.3 Le rôle de la segmentée à gauche dans le marquage
du topique 237
4.2.5 Bilan de l'analyse syntaxique 243

419
l'identification des topiques dans les dialogues

Partie III
LES FACTEURS DISCURSIFS DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 245

Chapitre 5 La structure hiérarchique et relationnelle du discours 247


5.1 La structure du discours et l'organisation infonnationnelle 247
5.1.1 Les relations entre la structure du discours et le topique 248
5.1.2 L'organisation hiérarchique et relationnelle du discours 249
5.2 L'identification du topique dans des constituants adjacents 252
5.2.1 La segmentée à gauche et la relation « topique de » 252
5.2.2 Autres types de segments caractérisés par des relations dérivées
de « topique de » 255
5 .2.2.1 Variations à droite: l'élément antéposé introduit
un segment complexe 255
5.2.2.2 L'identification du topique dans le constituant introduit
par un segment antéposé 260
5.2.2.3 Variations à gauche: vers une typologie des relations
dérivées de « topique de » 263
5.2.2.3.1 La relation de topicalisation 263
5.2.2.3.2 La relation de cadre 266
5.2.2.3.3 La relation de préparation 271
5.2.2.4 Le rôle des relations de topicalisation, de cadre
et de préparation dans l'identification du topique 274
5.2.2.4.1 La relation de discours guide seule
l'identification du topique 274
5.2.2.4.2 La relation de discours et une marque lexicale
guident l'identification du topique 278
5.2.2.4.3 La relation de discours et la structure hiérarchique
sous-jacente guident'l'identification du topique 279
5.2.3 Bilan 281
5.3 L'identification du topique dans les enchaînements à distance 281
5.3.1 Les ruptures du flux discursif 282
5.3.2 Différents types d'enchaînements à distance 286
5.3.2.1 La refonnulation d'un référent déjà évoqué 287
5.3.2.2 La réintroduction d'un référent déjà évoqué 288
5.3.2.3 La reprise atténuée d'un référent déjà évoqué
antérieurement 290
5.3.3 La rôle de la structure hiérarchique
dans l'identification du topique en situation de rupture 292
5.3.4 Bilan 299

Chapitre 6 La structure conceptuelle du discours 301


6.1 La structure conceptuelle et l'entité topicale 301
6.1.1 La structure conceptuelle dans l'organisation du discours 302
6.1.2 Quelques problèmes liés à l'analyse de la structure conceptuelle 303
6.1.2.1 Le cadre topical 303
6.1.2.2 La structure conceptuelle 306

420
Table des matières

6.1.2.3 Bilan 309


6.1.3 L'entité topicale 309
6.1.3.1 La verbalisation linguistique de l'entité topicale 310
6.1.3.2 L'évaluation de l'importance référentielle de l'entité
topicale 313
6.1.3.3 L'ambivalence du statut cognitif de l'entité topicale 315
6.2 L'articulation de la structure conceptuelle et des points d'ancrage 320
6.2.1 L'entité topicale et la structure informationnelle 320
6.2.2 L'entité topicale : un point d'ancrage immédiat ou d'arrière-fond? 323
6.2.2.1 L'entité topicale correspond à un topique constant 323
6.2.2.2 L'ancrage constant sur l'entité topicale est doublé
par un ancrage linéaire explicite 324
6.2.2.3 L'ancrage constant sur l'entité topicale est doublé
par un ancrage linéaire implicite 327
6.2.3 Le rôle de l'entité topicale dans l'identification
du topique en situation de rupture 334
6.2.4 Bilan 340

Partie IV
L'IDENTIFICATION DES TOPIQUES DANS LES DIALOGUES:
BILAN 343

Chapitre 7 L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs


dans l'identification du topique 345
7.1 L'interrelation des facteurs dans l'identification
des topiques de segments discursifs étendus 345
7.1.1 Analyse d'un compte rendu extrait d'un débat radiophonique 347
7.1.2 Analyse d'un échange extrait d'un entretien télévisé 355
7.1.3 Analyse d'un extrait de débat radiophonique
impliquant plusieurs locuteurs 365
7.1.4 Bilan 375
7.2 Le parcours conduisant à l'identification du topique 376
7.2.1 Les marques lexicales (A) 377
7.2.2 Les marques syntaxiques (B) 378
7.2.3 La saillance contextuelle du topique (C) 380
7.2.3.1 Ancrage sur un constituant adjacent (C.l) 380
7.2.3.1.1 Les facteurs relationnel et hiérarchique (C.l.l) 380
7.2.3.1.2 Lefacteurconceptuel(C.1.2) 381
7.2.3.2 Ancrage à distance (C.2) 382
7.2.3.2.1 Le facteur hiérarchique (C.2.1) 382
7.2.3.2.2 Le facteur conceptuel (C.2.2) 383
7.2.4 Rupture informationnelle (D) 383

421
L'identification des topiques dans les dialogues

Conclusion 387
1 Apports 387
2 Perspectives 388

Conventions de transcription 391

Références bibliographiques 393

Index des auteurs 411

Index 415

Table des matières 417

422
Champs linguistiques

Recherches
Brès J., La narrativité
Cervoni J., La préposition. Étude sémantique et pragmatique
Englebert A, L'infinitif dit de narration
Fuchs C., (Éd.), La place du sujet enfrançais contemporain
Furukawa N., Grammaire de la prédication seconde. Forme, sens et contraintes
Gaatone D., Le passif en français
Goes J., L'adjectif Entre nom et verbe
Gosselin L., Sémantique de la temporalité en français.
Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l'aspect
Grobet A, L'identification des topiques dans les dialogues
Hadermann P., Étude morphosyntaxique du mot Où
Jonasson K., Le nom propre
Kleiber G., Anaphores et pronoms
Léard J.-M., Les gallicismes
Melis L., La voie pronominale. La systématique des tours pronominaux
en français moderne
Rosier L., Le discours rapporté. Histoire, théories, pratiques

Manuels
Bal w., Germain J., Klein J., Swiggers P., Bibliographie sélective de linguistique
française et romane. 2 e édition
Chiss J.-L., Puech c., Fondations de la linguistique. Études d'histoire et
d'épistémologie
Chiss J.-L., Puech C., Le langage et ses disciplines. XIX' -XX'" siècles
Klinkenberg J.-M., Des langues romanes.
Introduction aux études de linguistique romane. 2e édition
Mel'cuk 1. A, Clas A, Pol guère A, Introduction à la lexicologie explicative
et combinatoire.
Coédition AUPELF-UREF. Collection Universités francophones
Recueils
Bavoux c., Le français de Madagascar. Contribution à un inventaire
des particularités lexicales.
Coédition AUE Série Actualités linguistiques francophones
Béjoint H., Thoiron P. (Éds), Les dictionnaires bilingues.
Coédition AUPELF-UREE Collection Universités francophones
Benzakour E, Gaadi D., Queffélec A.,
Le français au Maroc. Lexique et contacts de langues
Coédition AUE Série Actualités linguistiques francophones
Bouillon P., avec la collaboration de : Françoise Vandooren, Lyne Da Sylva,
Laurence Jacqmin, Sabine Lehmann, Graham Russell et Evelyne Viegas,
Traitement automatique des langues naturelles.
Coédition AUPELF-UREE Collection Universités francophones
Chibout K., Mariani 1., Masson N., Neel E, (sous la coordination de),
Ressources et évaluation en ingénierie des langues
Coédition AUPELF -UREE Série Actualité scientifique
Defays 1.-M., Rosier L., Tilkin E (Éds),
A qui appartient la ponctuation? Actes du colloque international
et interdisciplinaire de Liège (13-15 mars 1997)
Francard M., Latin D. (Éds), Le régionalisme lexical.
Coédition AUPELF-UREE Série Actualité scientifique
Englebert A., Pierrard M., Rosier L., Van Raemdonck D. (Éds), La ligne claire.
De la linguistique à la grammaire.
Mélanges offerts à Marc Wilmet à l'occasion de son 60" anniversaire
Frey C., Latin D. (Éds), Le corpus lexicographique. Méthodes de constitution
et de gestion.
Coédition AUPELF -UREE Série Actualité scientifique
Kleiber G., Riegel M. (Éds), Les formes du sens. Études de linguistique française,
médiévale et générale offertes à Robert Martin à l'occasion de ses 60 ans
Queffélec A., Derradji Y., Debov v., Smaali-Dekdouk D., Cherrad-Benchefra y.
Le français en Algérie. Lexique et dynamique des langues
Coédition AUE Série Actualités linguistiques francophones
Rézeau P. (sous la direction de), Variétés géographiques dufrançais de France
aujourd'hui. Approche lexicographique

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