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L'identification
des topiques
dans les dialogues
Champs linguistiques
Uidentification
des topiques
dans les dialogues
Cha m p s n 9 u st que s
Duculot
Publié avec l'appui du Fonds national suisse de la recherche scientifique.
Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de
spécialisation, consultez notre site web: htt.p://www.deboeck.be
Imprimé en Belgique
ISSN 1374-089X
Dépôt légal 2002/0035/9 ISBN 2-8011-1312-3
SOMMAIRE
Avant-propos 5
Sommaire 7
Introduction 9
Partie 1
L'ORGANISATION INFORMATIONNELLE 13
Partie II
LES FACTEURS LINGUISTIQUES
DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 121
Partie III
LES FACTEURS DISCURSIFS DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 245
7
L'identification des topiques dans les dialogues
Partie IV
L'IDENTIFICATION DES TOPIQUES DANS LES DIALOGUES:
BILAN 343
Conclusion 385
Index 415
8
AVANT-PROPOS
5
BÉRENGER
Qu'est-ce que vous buvez?
JEAN
Vous avez soif, vous, dès le matin ?
BÉRENGER
Il fait tellement chaud, tellement sec.
JEAN
Plus on boit, plus on a soif, dit la science populaire ...
BÉRENGER
Il ferait moins sec, on aurait moins soif, si on pouvait faire venir
dans notre ciel des nuages scientifiques.
JEAN, examinant Bérenger.
Ça neferait pas votre affaire. Ce n'est pas d'eau que vous avez soif,
mon cher Bérenger ...
BÉRENGER
Que voulez-vous dire par là, mon cher Jean?
JEAN
Vous me comprenez très bien. Je parle de l'aridité de votre gosier.
C'est une terre insatiable. (Rhinocéros, Ionesco 1959: 15-16)
INTRODUCTION
9
L'identification des topiques dans les dialogues
10
Introduction
La troisième partie de cette étude concerne le rôle des facteurs discursifs in-
fluençant l'accessibilité du topique et pouvant guider son identification, en
particulier lorsque les marques linguistiques se révèlent insuffisantes. Dans le
chapitre 5, j'étudie, à l'aide du modèle hiérarchique et relationnel genevois
(Roulet et al. 1985, Roulet 1999c), le rôle de la structure hiérarchique et de
quelques relations de discours dans l'identification du topique. Dans le chapi-
tre 6, je tente de montrer comment la structure conceptuelle du discours, qui
11
L'identification des topiques dans les dialogues
peut être rapprochée du « topique discursif» étudié par les approches conver-
sationnelles, peut contribuer à leur identification, et cela même lorsque la
structure hiérarchique ne peut plus être convoquée.
12
Partie 1
L'ORGANISATION
INFORMATIONNELLE
Chapitre 1
,
ETAT DE LA QUESTION
1. Cf. par exemple Tschida (1995 : 12ss.) qui évoque aussi les travaux de Zemb et Siblot
(1999: 34).
2. « Die Termini Subjekt und Priidikat wurden also eigentlich in doppeltem Sinne gebraucht.
Eine iihnliche Doppeldeutigkeit scheint freilich schon den Termini des Aristoteles "hypo-
keimenon" ("das Zugrundeliegende") und "kategoroumenon" ("das dazu Gesagte") in-
negewohnt zu haben. Aristoteles hat zwar diese Termini gepriigt, um logische Begriffe zu
beschreiben ; da sie aber der Sprache abgelesen hat, spiegeln sie eher die Gegliedertheit des
Satzes in einen thematischen (expositionellen) und einen explizierenden Teil, in "Thema"
und "Aussage" wider» (Danes et al. 1974: 217-218). Voir aussi Tschida (1995: 14ss.) et
Siblot (1999: 34).
15
L'organisation informationnelle
Comme le rappelle Maynard (1986: 82), les tenants de l'École de Prague sont
déjà confrontés, dès les années 1960, à des divergences terminologiques et
conceptuelles :
Tatsachlich ist eine terminologische Einigung auf diesem Gebiet deshalb schwie-
rig, weil der begriffiiche InhaIt dieser Termini von verschiedenen Forschern recht
unterschiedlich interpretiert wird. (Danes et al. 1974 : 221)
Eine terminologische Einigung ware dringend nôtig. Voraussetzung dafür ist aller-
dings, dass man sich zunachst über die Grundbegriffe einigt, die terminologisch
festgehalten werden sollen. (Danes et al. 1974: 222)
À l'heure actuelle, il apparaît toutefois qu'un tel consensus n'a pu être trouvé
et que les divergences terminologiques, loin de se résoudre, ont plutôt eu ten-
dance à s'aggraver avec l'utilisation des notions de« thème» et de« topique»
dans des domaines aussi divers que la grammaire générative, la pragmatique,
l'analyse textuelle, la psycholinguistique, etc. 3 Comme le soulignent Fradin &
Cadiot (1988), plus que les différences des définitions, ce sont les glissements
terminologiques involontaires qui posent problème:
Une telle tâche est toutefois loin d'être évidente, car l'analyse de l'organisation
informationnelle, qu'elle se situe au niveau de la proposition, de l'énoncé ou
du discours, a fait - et fait encore -l'objet de publications si nombreuses qu'il
paraît utopique de vouloir les prendre toutes en considération. Mais un tel foi-
sonnement ne présente pas que des inconvénients. Il convient de relever l' exis-
tence, parmi ces travaux, d'un grand nombre de discussions terminologiques et
3. Lambrecht (1994: 2), Mondada (1994: 30), Tschida (1995: 2), Lutz (1981 : 105ss.).
4. Cf. Prévost (1998 : 34) pour une remarque similaire.
16
État de la question
d'états de la question (livres et articles). Dès lors, il ne s'agit pas ici de refaire
ce travail comme s'il n'existait pas déjà. Il paraît plus intéressant de prendre
appui sur ces réflexions, d'une part, pour se forger une vision aussi large que
possible de ce vaste domaine de recherche et de ses contradictions, et d'autre
part, pour les compléter en fonction des objectifs propres à la présente étude.
17
L'organisation informationnelle
De tels éclairages sont indispensables, car ils soulignent, à juste titre, la simpli-
cité trompeuse de certains termes souvent issus du langage ordinaire (comme
c'est le cas pour le « thème )), défini par le Petit Robert comme le sujet, l'idée
ou la proposition qu'on développe). Ces travaux présentent néanmoins aussi
certains inconvénients: leur objectif étant de survoler un grand nombre de ter-
mes et de notions dans un espace limité, ils mettent généralement l'accent sur
les contradictions, au détriment parfois des éléments qui font l'objet d'un plus
large consensus (comme par exemple les différents degrés dans la connaissan-
ce partagée dégagés par Prince 1981). En outre, la juxtaposition rapide des dé-
finitions utilisées par différents courants présente le risque de créer des
contradictions qui n'existent pas nécessairement à l'intérieur de chaque appro-
che. Par exemple, Galmiche commente de la manière suivante les différentes
définitions utilisées pour les notions de « thème-propos », « topic-comment )),
etc., qu'il a lui-même transcrites sur deux colonnes:
Il n'est pas difficile, en effet, de solliciter le sens (et les connotations) de certaines
expressions pour les voir glisser d'un versant vers l'autre. Ainsi, plus informatif,
dynamique,figure ont tendance à évoquer une mise en relief, un accent particulier,
voire une charge affective. Or il ne fait guère de doute que ces associations entre-
tiennent une affinité tout à fait plausible avec celles qui sont suggérées par activité,
saillant, centre d'intérêt (et qui appartiennent à l'autre colonne). (Galmiche 1992 : 4)
5. « Enfin, pour parachever le tout, le rapport qu'entretiennent Thème et Topic est complexe.
Termes qui peuvent être échangeables, le premier semble pourtant avoir un éventail de défi-
nitions plus large que le second: [... ] Topic correspond rarement à celles de" connu", "peu
informatif', "faible degré de dynamisme communicatif'. Dans le cadre de ce rapport de
partielle synonymie, thème peut être utilisé comme traduction française de topic, lequel est
parfois maintenu en topic, et parfois traduit par topique, et, dans ce cas, souvent associé à
commentaire, pour traduire topie/comment. »(Prévost 1998 : 14)
6. L'utilisation conjointe des termes de « thème» et de « topique» se retrouve par exemple
chez Tschida (1995), Combettes (1999) et G6mez-Gonzâlez (2001).
18
État de la question
Il me semble qu'un tel commentaire, qui souligne l'existence d'une affinité qui
n'existe pas nécessairement (par exemple, un référent « saillant» ou« déjà ac-
tif» n'est jamais, à ma connaissance, considéré simultanément comme étant
« plus informatif»), crée plus de confusion qu'il n'en dissipe. Il paraît donc
nécessaire de compléter ces bilans théoriques par la discussion d'exemples
particuliers.
Un second courant accorde une plus grande place aux discussions d'exemples,
en prenant pour point de départ non pas la confrontation des termes et concepts
entre eux, mais plutôt la présentation de différents modèles 7 qui sont considé-
rés pour eux-mêmes avant d'être comparés aux autres. L'ouvrage de Lutz
(1981), consacré tout entier à la présentation des travaux de l'École de Prague,
ainsi que les discussions menées par exemple chez Prince (1981), Chafe
(1994: 161-185), Tschida (1995: 10-96) et G6mez-Gonzalez (1998), illustrent
ce type d'états de la question.
Les deux types d'états de la question qui viennent d'être esquissés apparaissent
comme complémentaires : alors que la discussion théorique confronte les no-
tions utilisées pour situer les différentes approches les unes par rapport aux
autres, l'illustration des approches évite les simplifications trop grossières tout
en permettant des observations plus fines. Dès lors, il paraît judicieux de com-
biner ces deux démarches pour obtenir une vision à la fois globale et détaillée
de la problématique de l'analyse informationnelle; c'est à cela que je m'em-
ploierai dans la suite de cet état de la question.
19
l'organisation informationnelle
20
État de la question
Une telle liste, non exhaustive, suffit à donner une idée de l'hétérogénéité des
objets décrits à l'aide des termes de « topique )) et de « thème )) et confirme,
s'il en était besoin, la nécessité d'une entreprise de clarification.
Tous les auteurs sont d'accord pour constater une énorme diversité terminologique
en la matière. Cette diversité se manifeste autant au niveau des termes à définir,
souvent mais pas toujours articulés en couples oppositifs, et à celui des termes qui
les définissent. Ainsi, pour le definiens on trouve les oppositions thème/rhème,
thème/propos, thème/commentaire ou topie/comment, topic/focus, présupposition/
focus. Thème et topic peuvent être soit considérés comme étant l'un la traduction
de l'autre ou bien comme étant opposés. Du côté du definiendum on trouve des
couples tels que donné/non donné, connu/non connu, ancien/nouveau, présup-
posé/focalisé, point de départ/but, moins informatif/plus informatif, fond/forme,
avant/arrière-plan ou des termes uniques tels que emphatique, activé, saillant,
centre de l'attention définissant le thème ou topic - sans compter les parallélismes
entre topic et sujet ou agent. (Mondada 1994: 31-32)
21
l'organisation informationnelle
Il. Je reprends les principales définitions dégagées par Schlobinsky & Schütze-Coburn (1992),
évoquées aussi, au moins partiellement et dans des perspectives parfois différentes, chez
Lutz (1981), Mondada (1994), Tschida (1995), Prévost (1998), Gomez-Gonzâlez (1998).
On trouvera chez ces auteurs des commentaires plus détaillés ainsi que de plus amples réfé-
rences.
12. Par commodité, j'utiliserai dorénavant le terme de « topique» plutôt que celui de « thè-
me» ; ce dernier terme n'apparaîtra que dans les citations et références à des approches
spécifiques.
13. Comme le relève Lutz (1981), cette définition se retrouve dans certains travaux de l'École
de Prague. Elle a également été reprise entre autres par Halliday (1967), qui ne l'associe
toutefois pas au terme de« thème ».
14. « The speaker assumes that the hearer CAN PREDICT OR COULD HAVE PREDICTED
that a PARTICULAR LINGUISTIC ITEM will or would occur in a particu1ar position WI-
THIN A SENTENCE. » (Prince 1981 : 226)
22
État de la question
La pensée qu'on veut faire connaître est [ ... ] le but, la fin de l'énoncé, ce qu'on se
propose, en un mot: le propos; on l'énonce à l'occasion d'une autre chose qui en
forme la base, le substrat, le motif: c'est le thème. (Bally 1965 [1932] : 53)
15. « The speaker assumes that the hearer has or could appropriately have sorne particular
thing/entity/ ... in hislher CONSCIOUSNESS at the time ofhearing the utterance. » (Prince
1981 :228)
16. « The speaker assumes that the hearer « knOWS», assumes, or can infer a particular thing
(but is not necessarily thinking about it). » (Prince 1981 : 230)
17. Voir aussi la reformulation en français par Combettes & Tomassone (1988) et Combettes
(1992b).
18. « A more accurate characterization of new is thus newly activated at this point in the con-
versation. Conversely, given can be characterized as already active at this point in the con-
versation. We can add a third possibility to the distinctions just made by labelling
information that has been activated from a previously semiactive state as accessible. »
(Chafe 1994 : 72)
19. Cf. aussi la présentation très claire de Lambrecht (1994), ainsi que celle de Kotschi (1996)
pour une tentative de repérage systématique des éléments de divers degrés informatifs.
20. « Charakteristisch fiir dieses Modell ist die Gliederung der Rede in zwei Basiselemente :
Das, woriiber gesprochen werden soli, der Satzgegenstand, die Grundgrôsse, das Topik
oder Thema, und das, was über den Satzgegenstand ausgesagt wird, die Satzaussage, das
Priidikat, der Comment oder das Rhema. Diese binaristische Konzeption der Thema-Rhe-
ma-Theorie liisst sich durch ihre Verwandtschaft mit dem abendliindischen Tradition der
Sprachphilosophie betrachten, auf die sich einige der Vertreter dieses Modells auch aus-
driicklich berufen. » (Tschida 1995 : 11)
23
L'organisation informationnelle
Schlobinsky & Schütze-Coburn (1992) relèvent que cette définition a été con-
sidérée d'un point de vue tantôt pragmatique et tantôt syntaxique (l'accent est
alors mis sur la relation entre le topique et le sujet, comme chez Givon 1983).
Elle connaît un large écho, même si son caractère vague est souvent relevé
(p. ex. Stark 1999 : 340). Elle est toutefois présentée de manière plus élaborée
chez Lambrecht :
This structuring is into two parts, a theme and a rheme, and is realized simply by
the sequence of elements : the theme is assigned initial position in the clause, and
all that follows is the rheme. (Halliday 1967 : 212)
24
État de la question
the theme is constituted by the sentence element (or elements) carrying the 10west
degree(s) of CD within the sentence. (Firbas 1964: 272)
Comme le relève Lutz (1981 : 30), une telle définition ne suffit pas à identifier
le topique, dans la mesure où l'évaluation du dynamisme communicatif consti-
tue en elle-même une inconnue dont la valeur doit être déterminée par le jeu
des facteurs constitués par l'ordre linéaire des mots, le contexte, la dimension
sémantique et la mise en relief prosodique (voir aussi Chafe 1994: 162). Cette
approche a été développée essentiellement par Firbas lui-même (1964, 1972,
1974, 1992), même si la conception scalaire du topique est intégrée, d'une ma-
nière ou d'une autre, dans d'autres travaux (p. ex. Combettes 1998b, Prévost
1997, Giv6n 1983, 1992). L'écho relativement limité rencontré par la défini-
tion de Firbas tient probablement à la difficulté de l'évaluation concrète des
degrés de dynamisme communicatif (voir par exemple les critiques de Schlo-
binsky & Schütze-Coburn 1992 : 105ss.).
We take the term discourse topic to refer to the PROPOSITION (or set ofproposi-
tions) about which the speaker is either providing or requesting new information.
(Keenan & Schieffelin 1976 : 338)
21. Le dynamisme communicatif est défini de la manière suivante par Firbas : « By CD 1 un-
derstand a property of communication, displayed in the course of the development of the in-
formation to be conveyed and consisting in advancing this development. By the degree of
CD carried by a linguistic element, 1 understand the extent to which the element contributes
to the development of the communication, to which, as it were, it "pushes the communica-
tion forward"» (Firbas 1972 : 78).
25
l'organisation informationnelle
Chez van Dijk (1977) et van Dijk & Kintsch (1983), qui s'intéressent essen-
tiellement à des textes monologiques écrits, le topique discursif est défini com-
me une proposition complexe, correspondant à une macro-structure 22 , issue de
l'ensemble des propositions exprimées par le texte : .
22. « A second notion oftopic is that of diseourse topie or theme of discourse or discourse epi-
sodes as a whole, which we have made explicit in terms of semantic macrostructures. Note
that such topics are propositions and not functions of semantic representations (that is, of
semantic subtrees) of sentences. »(van Dijk & Kintsch 1983 : 169)
23. « Those aspects of the context which are directly reflected in the text, and which need to be
called up to interpret the text, we shall refer to as aetivated features of eontext and suggest
that they constitute the contextual framework within which the topic is constituted, that is
the topieframework. »(Brown & Yule 1983 : 75)
24. Laparra propose une définition similaire: « pour nous le thème n'est pas ce dont on parle,
mais ce dont JE parle, ou plutôt il est ce que JE me donne comme support de ma prédication
Ge peux me donner ce que je veux en fonction de la situation de communication) : mais
l'opération par laquelle je me donne quelque chose modifie ce quelque chose» (Laparra
1982: 234, citée par Berthoud 1996 : 10).
26
État de la question
is a process and that each contribution should be treated as part of the negociation
of « what is being talked about ». Above aH, he should remember that it is spea-
kers, and not conversations or discourses, that have « topics ». (Brown & Yule
1983 : 94)
Ces auteurs critiquent le remplacement d'un « concept» théorisé par des formu-
lations paraphrastiques en termes « d'à propos », qui font manifestement plus
appel à l'intuition qu'à des notions linguistiques au sens strict; ce type d'obser-
vation conduit directement à la conclusion que l'on a affaire non à un « con-
cept », mais plutôt à une notion « pré-théorique» (Brown & Yule 1983 : 73).
Les autres définitions ne sont guère mieux reçues par les commentateurs, qui
soulignent pour la plupart leur caractère vague et peu opératoire : Danes et al.
(1974: 217-218) relèvent la confusion existant sur la nature du topique, consi-
déré tantôt comme un matériau linguistique et tantôt comme un référent (voir
25. Voir aussi Schlobinsky & Schütze-Coburn (1992: 99), Kleiber (1992a, 1994a), G6mez-
Gonzalez (1998 : 63), ainsi que les références citées par ces auteurs.
27
l'organisation informationnelle
on ne peut s'empêcher d'évoquer l'extrême inconfort que l'on éprouve devant une
notion (un concept ?) aux dénominations multiples, aux caractérisations variées,
souvent équivoques, voire contradictoires - car on peut difficilement parler de
définitions - sans oublier quelques rares critères d'identification, peu fiables ou à
la limite de la circularité. (Galmiche 1992 : 3)
Le topic [est] défini tantôt comme une information déjà connue, tantôt comme le
centre de l'attention des interlocuteurs et se retrouve soit à l'arrière-plan, soit au
premier plan du discours. (Mondada 1994 : 34)
26. On trouve chez Galmiche (1992) et Tschida (1995: 74-89) une critique des tests habituelle-
ment proposés (question, négation, paraphrase, etc.). Voir aussi en 2.4.
27. Voir aussi Marandin (1988), pour la critique d'un « thème-agrégat» réunissant les principa-
les caractéristiques énoncées dans les définitions les plus connues.
28. Par exemple, Galmiche (1992 : 4) et Kleiber (1992a, 1994a) évoquent les problèmes asso-
ciés à la notion de « focus », qui est utilisée à la fois pour désigner le thème et le rhème.
29. Ces problèmes tiennent en partie, pour Mondada, au refus d'abandonner radicalement le ca-
dre d'analyse de l'énoncé (ou la phrase) : «Cette notion [de topic discursif] présente l'inté-
rêt de déplacer le problème du topic de son cadre traditionnel, limité à la phrase, dans un
autre cadre, pragmatique et discursif. Toutefois cet élargissement ne résout pas les problè-
mes antérieurs; ceux-ci se maintiennent d'autant mieux que souvent la dimension discursi-
ve continue à être définie en termes de suites de phrases» (Mondada 1994: 61).
28
État de la question
Put generally, we must ask, how reliably can sentential elements be identified for
any particular category or set of categories? And perhaps more importantly, how
is the chosen formulation of topic linguistically relevant? Does it adequately deli-
neate and de scribe the phenomena under investigation? (Schlobinsky & Schütze-
Coburn 1992 : 93)
30. Voir par exemple l'approche de Lambrecht : « 1 see my own research as located somewhere
in between the "formaI" and the "functional" approaches to syntax. 1 do not believe that lin-
guistic form can be exhaustively accounted for in terms of its communicative function in
discourse. Nor do 1 believe that syntax is autonomous in the sense that it does not directly
reflect communicative needs. As 1 said before, this book is based on the assumption that
there are aspects of grammatical form which require pragrnatic explanations » (1994 : Il).
29
l'organisation informationnelle
31. Pour des observations similaires: « La notion de thème est problématique dans la mesure où
elle apparaît à la fois indispensable et impossible à conceptualiser» (Fradin & Cadiot
1988 : 5). « Die Therna-Rherna-Theorie befindet sich in einer paradoxen Situation: Zum ei-
nen werden allenthalben die ungenügende defmitorische Fixierung und die divergenten theo-
retischen Fundierungen moniert ; zum anderen gibt es kaum mehr eine grossere Publikation
zur Syntax, Semantik oder Pragrnatik, die sich nicht in irgendeiner Weise mit der Thema-Rhe-
ma-Theorie auseinandersetzte. Die Thema-Rhema-Theorie wird in mehreren Teildisziplinen
der Sprachwissenschaft angewandt : so beispielsweise in der Syntax, insbesondere in der
Analyse von Wortstellungsregularitiiten, aber auch in der Intonationsforschung, der Texttypo-
logie und der Analyse des mündlichen Sprachgebrauchs » (Tschida 1995 : 2).
30
État de la question
Yet the basis for the identification of « topic» is rarely made explicit. In fact,
« topic » could be described as the most frequently used, unexplained, term in the
analysis of discourse. (Brown & Yule 1983 : 70)
S'il est vrai que chacune de ces approches reconnaît la nécessité de recourir expli-
citement à une notion de thème, n'y a-t-il pas fort à parier que ce qu'elle vise à sai-
sir n'est pas un artefact théorique, mais correspond bien à une réalité dont il va
falloir rendre compte? (Fradin & Cadiot 1988 : 4)
Un argument allant dans ce sens pourrait être constitué par le fait que l'on trou-
ve, dans les mêmes travaux qui rejettent plus ou moins directement la notion
de topique, des appels à cette notion ou aux phénomènes qu'elle recouvre.
C'est le cas par exemple pour Levinson (1983) qui, comme le relève Lam-
brecht (1994: 1-2), se contredit en soulignant l'intérêt que pourrait avoir la no-
tion de topique pour l'étude de la syntaxe dans les conversations. De manière
similaire, Mondada, après avoir dénoncé les apories de la notion de topique,
propose de remplacer cette notion par celle d'« objet de discours », issue de la
logique naturelle de Grize. A la différence du topique, souvent assimilé à un
référent présumé autonome et externe au discours, l'objet de discours renvoie
pour Mondada à une entité purement discursive 32 • Mais hormis cette restric-
tion, 1'« objet de discours» rejoint la notion de topique discursif, car Mondada
le définit comme « ce à propos de quoi le «je» énonce son discours» (Mon-
dada 1994: 63).
32. Mondada précise ainsi que « c'est dans et par le discours que sont posés, délimités, déve-
loppés, transformés, des objets de discours qui ne lui préexistent pas et qui n'ont pas une
structure fixe, mais qui au contraire émergent et s'élaborent progressivement dans la dyna-
mique discursive» (1994 : 62). Cf. aussi Apothéloz & Reichler-Béguelin (1995) et, pour la
suite du débat autour de cette notion, Charolles (1997) et Kleiber (1997e).
31
l'organisation informationnelle
relativement au sens qui se construit» (Apothéloz 1995 : 315). Bien que le ter-
me de « topique» ne soit pas explicitement utilisé, on retrouve ici des descrip-
tions susceptibles de lui être appliquées33 . Ainsi, même si Apothéloz ne recourt
pas explicitement à la notion de topique, il ne renonce pas pour autant au trai-
tement du (ou des) phénomène( s) qu'elle recouvre.
Il apparaît donc que de nombreux auteurs qui rejettent plus ou moins explicite-
ment la notion de topique se voient malgré tout conduits à faire appel aux phé-
nomènes qu'elle recouvre. Cette situation paradoxale se résume par une
formule toute simple: «je thème - moi non plus» (Auchlin 1986-87) ... Plus
sérieusement, il me semble que la difficulté à évacuer entièrement le topique
indique que cette notion, aussi problématique qu'elle puisse être, joue un rôle
central dans le discours. Pour cette raison, il me paraît plus que jamais intéres-
sant de poursuivre son étude, malgré les difficultés de son analyse.
33. Cf. les termes « saillant»,« centre d'intérêt»,« lié à la conscience immédiate» relevés par
Galmiche (1992: 4).
32
État de la question
34. Développant un point de vue proche, Schnedecker souligne «l'hétérogénéité des critères
définitoires qui relèvent aussi bien de la syntaxe (l'opposition entre sujet/objet, par exem-
ple), de l'ordre des mots d'un système linguistique (l'opposition entre constructions cli-
vées/neutres, par exemple), de la sémantique (l'opposition agent/patient), de la nature des
expressions référentielles» (Schnedecker 1997 : 64, note 24).
35. Dans un autre cadre théorique, Berthoud & Mondada soulignent: «En tant que trajectoire
discursive définie collectivement par la dynamique des apports des interlocuteurs, il met en
jeu un espace d'intersubjectivité qu'il contribue à construire; en tant que phénomène dis-
cursif complexe il exploite différents niveaux de marquage et de structuration, allant de la
morphosyntaxe à l'organisation du discours» (1995 : 205). Voir aussi Guimier : «Même si
de nombreux problèmes terminologiques subsistent, la plupart des auteurs admettent, impli-
citement ou explicitement, la nécessité de reconnaître plusieurs niveaux d'analyse» (Gui-
mier 1999 : 11).
33
L'organisation informationnelle
36. « Ainsi, d'un côté, le pronom il se trouve défini à l'aide de la notion de thème discursif et,
de l'autre, le thème se détermine en termes d'anaphore. » (Kleiber 1992a : 18)
37. Schlobinsky & Schütze-Coburn proposent une réduction de ce type: « Another option for
us, then, is to abandon the term « topic » altogether, at least for the moment. Instead, we
suggest, its components, whether one or several, could be laid out explicitly in each case
and handled directly. That is, we advocate the independent treatment of alllinguistically re-
levant categories (at allievels) that are usually factored into the topic equation in one place
or another» (1992 : 114).
38. « La notion de topic possède le mérite heuristique d'avoir permis très tôt des formulations
théoriques et analytiques qui ont tenté de faire le lien entre les sphères syntaxique, sémanti-
que et pragmatique. » (Mondada 1994 : 27)
34
État de la question
la relation d'à propos pragmatique peut s'établir entre des objets sémantiques dont
les correspondants en surface (topique et commentaire) ne sont pas limités dans
leur taille. (Auchlin 1986-87 : 66)
J'aimerais montrer ici les apports des approches s'intéressant à la structure in-
fonnationnelle de l'énoncé et du discours, non pas en les présentant comme
antagonistes, comme cela se fait souvent, mais en soulignant leur complémen-
tarité.
39. J'utilise l'expression de « structure informationnelle» en suivant une tradition assez large-
ment répandue. Dans la mesure où elle recouvre des phénomènes discursifs complexes, cet-
te expression peut ici être considérée comme équivalente à celle d' « organisation
informationnelle ». Pour une première esquisse de la distinction des différents niveaux
d'analyse de l'organisation informationnelle, voir Grobet (200 la).
35
l'organisation informationnelle
Comme cela apparaît dans la définition de Lambrecht qui vient d'être citée,
même si le cadre de référence de cette approche est l'énoncé, le repérage de la
structure informationnelle implique toujours la prise en compte du contexte
textuel et/ou situationnel. Par exemple, pour un énoncé comme:
il faut recourir au contexte pour identifier le topique (défini comme une infor-
mation connue, donnée ou caractérisée par le plus faible degré de dynamisme
communicatif), car le « lapin », «Alice» ou le « fait que le lapin a effrayé
quelqu'un» sont tous des topiques possibles. En outre, la définition même du
topique comme information donnée implique souvent la prise en compte d'une
évocation dans le contexte :
Given or known is that infonnation which is derivable or recoverable (to use Hal-
liday's wording) from the context, situation and the common knowledge of the
speaker and listener. (Danes 1974: 109).
40. Ce courant paraît actuellement dominant en France si l'on regarde la place importante qui
lui est accordée dans le numéro 30 des Cahiers de praxématique (Fuchs & Machello-Nizia
éds 1998) et dans les actes du colloque de Caen (Guimier éd. 1999).
36
État de la question
De même, si l'on définit le topique comme «ce dont parle l'énoncé », il faut
pouvoir s'appuyer sur le contexte pour préciser si l'on parle du «lapin »,
d'« Alice », de «ce qui se qui se passe dans le premier chapitre d'Alice au
pays des merveilles », etc. Seule la définition selon laquelle le topique est
constitué par le point de départ syntaxique de l'énoncé semble pouvoir être
considérée comme indépendante du contexte. Toutefois, on peut relever que
cette définition n'est jamais utilisée seule et qu'elle est complétée par la prise
en compte des informations données et/ou des mécanismes de focalisation
(Halliday 1967, Tschida 1995, Nelke 1994)41. La relation que l'énoncé entre-
tient avec le contexte apparaît donc comme un élément indispensable dans la
définition du topique42 •
Une grande partie des apories dans le traitement du topic sont provoquées par un
cadre de référence maintenant la phrase, éventuellement l'énoncé, comme dimen-
sion suffisante et pertinente. Or même le traitement des phrases isolées présuppose
un environnement co-textuel ou un contexte cognitif, que l'analyste construit sous
forme de tests, questions, négations, contrastes, enchaînements. Cette construction
41. Cette définition soulève par ailleurs d'autres types de difficultés, discutées en particulier par
Tschida (1995) et G6mez-Gonzâlez (1998, 2001).
42. « Therefore, the notion of topic can only be appropriately defined in terms of the relations
between a sentence and the (con-)text.» (van Dijk & Kintsch 1983 : 155)
37
L'organisation informationnelle
«(
43. « Thematic coherence across a multi-clause chain means continuity recurrence») of the
sub-e1ements of coherence, chief among which are the referents/topics. Coherent discourse
is thus characterized by equitopic clause chains. And « topic» is a relevant functional no-
tion only at the discourse level. Put plainly and in operational terms, the topic is only « tal-
ked about» or « important» if it remains « talked about» or « important» through a
number of successive clauses. » (Giv6n 1992 : 12)
44. Je rappelle que la notion d'état d'activation permet à Chafe de reformuler sous un angle co-
gnitif la définition du topique comme information donnée, qui est généralement utilisée au
niveau de l'énoncé.
38
État de la question
We can think of each such topic as an aggregate of coherently related events, sta-
tes, and referents that are held together in sorne form in the speaker's semiactive
consciousness. (Chafe 1994: 121)
there is no reason to think that everything within a topie bec ornes semiactive as
soon as the topic as a whole has entered that state. Sorne parts may be more imme-
diately available than other parts, which may remain inactive until scanning of the
topic is weIl advanced, ifthey even become semiactive at aIl. We need to allow for
the variable availability ofideas within a topic. (Chafe 1994 : 121)
Dans la mesure où le topique discursifn'est pas saisi par rapport à un état d'ac-
tivation spécifique, on peut se demander comment s'effectue son identifica-
tion. Le plus souvent, l'observation des marques formelles remplace une
définition plus précise45 :
(1.3)
Xl: quelle est votre question ?
Y2: euh: j'ai un problème de santé, j'aimerais savoir quand c'est que j'en verrai
le bout (Berthoud 1996)
En Y2, le topique est une information nouvellement activée marquée par un in-
défini et un existentiel; l'anaphorique en n'étant pas pris en considération par
Berthoud. Mais le topique peut aussi être exprimé comme une information ac-
cessible, voire donnée, comme l'illustre la suite de l'exemple:
45. Cf., pour l'expression d'une démarche similaire, Berthoud & Mondada (1995) par exemple.
39
L'organisation informationnelle
En Y7, Y8 et YlO le topique est marqué par une reprise définie et les anaphori-
ques en X9 et YlO sont cette fois pris en considération: le topique n'est plus
présenté comme une information nouvellement activée, mais comme une in-
formation donnéé 6 . Il apparaît ainsi que, comme le topique discursif oscille
entre l'information nouvellement activée et l'information donnée, des expres-
sions référentielles telles que les syntagmes nominaux indéfinis et les pronoms
se retrouvent placées au même niveau, étant toutes considérées comme des
marques du topique, et cela, malgré leur contenu sémantique très différent
(Kleiber 1994a). Un autre problème rencontré par cette conception discursive
du topique, qui s'appuie essentiellement sur les marques linguistiques, réside
dans la difficulté du traitement des changements de topiques qui ne sont pas
spécifiquement marqués (Schlobinsky et Schütze-Coburn 1992: 114). Pour
ces deux raisons, il semble que l'approche discursive du topique gagnerait à
prendre en compte, même de manière minimale, la distinction de différents états
d'activation au niveau de la structure informationnelle interne de l'énoncé.
46. Mon commentaire se limite aux expressions référentielles. Il conviendrait également de re-
lever les structures syntaxiques marquées qui interviennent dans cet exemple.
40
État de la question
Au niveau syntaxique, les éléments peuvent être classés dans des catégories
grammaticales telles que « sujet », « verbe» et « objet» et ils sont liés entre
eux par des relations de dépendance syntaxique. Au niveau sémantique sont si-
tuées les significations lexicales générales qui prennent la forme de catégories
telles que « être vivant », « individu », qualité », « action» ou de relations en-
tre ces catégories (<< action comme attribut d'un individu ») (Danes 1964:
226). Le troisième niveau est celui de l'actualisation de l'énoncé dans l'acte ef-
fectif de communication, et c'est là que Danes situe l'analyse fonctionnelle. Ce
troisième niveau est déterminé par la matérialisation linéaire de l'énoncé et sa
perception, ainsi que par le contenu extra-linguistique du message, la situation
et l'attitude des interlocuteurs (Danes 1964: 227). Contrairement aux deux
autres niveaux décrits comme abstraits et statiques, ce troisième niveau impli-
que la prise en compte du caractère dynamique de l'énoncé et des aspects lexi-
caux et syntaxiques qui le caractérisent, ainsi que de la prosodie:
Le troisième niveau apparaît donc d'une complexité bien supérieure aux deux
premiers, puisqu'il inclut des éléments syntaxiques et lexicaux parmi l'ensem-
ble des phénomènes caractérisant l'actualisation de l'énoncé (Zaccaria
1989)47.
47. La complexité sous-jacente à ce niveau d'analyse est également relevée par Chafe, qui re-
proche à Firbas de réunir sous un même aspect - le dynamisme communicatif - différents
facteurs; « there is a single dimension (communicative dynamism) that is « determined
by » a complex interaction of word order (!inear modification), activation cost and identi-
fiability (the contextual factor), various semantic elements and relations that under!ie gram-
mar (the semantic factor), and prosody» (1994; 165).
41
L'organisation informationnelle
Ce bref survol, aussi sommaire soit-il, suffit à donner une idée des nombreux
éléments impliqués dans l'analyse de la structure informationnelle de l'énoncé
et du discours. De cette constatation découle la nécessité de se munir d'un ca-
dre d'analyse permettant de rendre compte de cette pluralité de facteurs et de
se positionner clairement par rapport aux différents niveaux d'analyse.
48. «The evaluation of (the degree of) contextual giveness depends also on the delicacy (deter-
mined by various factors, partly objective - e.g., stylistic - partly subjective) with which the
speaker (and listener) evaluates a given expression as semantically implied in a certain pre-
ceding expression. » (Danes 1974: 110)
42
État de la question
That is, we advocate the independent treatrnent of aIl linguistically relevant cate-
gories (at aIllevels) that are usually factored into the topic equation in one place or
another. (Schlobinsky & Schütze-Cobum 1992 : 114)
43
L'organisation informationnelle
À une extrémité de cette échelle, les anaphores dites «zéro» sont utilisées
pour coder les topiques les plus accessibles, tandis qu'à l'autre, les syntagmes
nominaux indéfinis permettent de coder les topiques inaccessibles. Constatant
qu'une telle échelle reste néanmoins trop attachée à certaines langues, Givon
est amené à distinguer plusieurs échelles, moins hétérogènes, qui reflètent cha-
cune certains aspects du codage linguistique du topique 52 • Il distingue ainsi
une échelle pour la taille phonologique53 :
!
zero anaphora
unstressed/bound pronouns (( agreement»)
stressed/independent pronouns
full NP's
most diseontinuous/inaecessible topie (Giv6n 1983 : 18)
Une échelle pour l'ordre des mots, dont les constituants les plus à gauche co-
dent les topiques les plus continus :
51. Schnedecker (1997 : 65) propose une traduction française de cette échelle.
52. « While our cross-language studies largely upholds this scale, it is clear now that, to begin
with, the scale is still too language-specifie, and that better and typologically more relevant
predictions can be made by recognizing a number of scales each reflecting sorne specifie
syntactic coding means - be those word-order, morphology, intonation or phonological size
- which alone or in various combinations make up the syntactic constructions that code our
scalar domain. » (Givon 1983 : 18)
53. Givon envisage également d'autres échelles qui tiendraient compte des phénomènes d'ac-
centuation (1983: 18).
44
État de la question
AGT > DATIBEN > ACC > OTHERS (Giv6n 1983 : 22)
Ces dernières échelles sont néanmoins elles aussi problématiques du fait que,
contrairement aux premières, elles renvoient à des notions elles-mêmes com-
plexes, ne relevant plus uniquement de la structure linguistique de l'énoncé, et
qui devraient par conséquent faire l'objet d'études approfondies plutôt que
d'être uniquement convoquées au titre de prémisses54 . En outre, il convient de
souligner que de telles échelles sont encore loin de pouvoir rendre compte du
lien étroit, mis en évidence par les approches conversationnelles, entre le topi-
que et la structure du discours.
54. Kleiber (1 992a) et Schnedecker (1997) signalent tous deux en note le problème que soulève
la distinction textuelle de l'arrière-plan et du focus. Combettes (1992a, 1994) montre bien
la multiplicité des facteurs intervenant dans la distinction du premier et du second plan, qui
implique non seulement le choix de certaines formes verbales (telles que passé simple pour
le premier plan, imparfait pour le second plan), mais encore des phénomènes tels que la
transitivité ou la subordination. Cf. aussi Weinrich (1973) et Reinhart (1986).
45
L'organisation informationnelle
Il convient de préciser que le choix d'un cadre d'analyse modulaire est pour
moi uniquement méthodologique et qu'il n'implique pas d'hypothèse sur le
fonctionnement du cerveau humain. Je rejoins ici la position adoptée par Rou-
let dès 1991 (Roulet 1991a: 58) et reformulée récemment:
Il est important de préciser aussi que, comme Motsch (1989, 1991) et N0lke
(1994: 86), et à la différence de Fodor (1983), j'adopte l'approche modulaire seu-
lement comme hypothèse méthodologique. Il est prématuré de considérer la modu-
larité comme un reflet de mécanismes psychologiques, du fonctionnement de
l'esprit humain, mais elle constitue une hypothèse prometteuse pour décrire la
complexité de l'organisation du discours. (Roulet 1999c: 193)
55. «Il nous est apparu clairement qu'une approche modulaire impliquait une réduction de cha-
que dimension à ses constituants et principes les plus élémentaires, l'intérêt principal du
modèle résidant dans la possibilité de rendre compte de la complexité des différentes for-
mes d'organisation du discours à partir de composants élémentaires.» (Roulet 1997b : 8)
46
État de la question
Après avoir tenté de montrer que l'adoption d'une approche modulaire s'ins-
crit dans la continuité des travaux menés jusqu'à présent sur la structure infor-
mationnelle, il reste à discuter brièvement quelques critiques formulées à
l'encontre des modèles modulaires par Berthoud (1996), qui prône quant à elle
une analyse intégrée de la structure informationnelle du discours :
Appréhender la construction des topics dans une perspective intégrée nous conduit
par ailleurs à nous démarquer de « modèles modulaires », qui fondent l'analyse du
discours sur un ensemble de paradigmes isolés les uns des autres et dont on ne
saisit pas aisément les « clés» de passage. Traiter le discours alternativement en
termes de « connexité », de « structure compositionnelle », de « cohésion sé-
mantique », de « prise en charge énonciative », ou de « visée illocutoire », au sens
de la linguistique textuelle, permet en effet de distinguer les facteurs complexes
qui y interviennent, mais présente à notre sens une vision relativement statique du
discours ; le discours y est considéré comme un espace fermé, où les principes de
construction sont envisagés seuls à seuls à partir de la globalité construite (cf. la
critique que nous avons faite plus haut à propos des notions de macrostructure ou
de schéma). (Berthoud 1996 : 19-20)
56. Voir également les arguments développés dans Roulet (2000) et Roulet, Filliettaz & Grobet
(2001).
47
L'organisation informationnelle
Cette remarque me conduit au deuxième point soulevé par Berthoud, qui con-
cerne l'isolation des différents systèmes d'informations. Il est en effet impor-
tant de souligner que celle-ci n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour
parvenir à rendre compte du discours dans toute sa complexité. À l'instar de
Berthoud, il me semble indispensable de faire aboutir l'analyse à une prise en
compte intégrée des différents facteurs. À ce niveau, l'objectif de l'approche
modulaire me paraît rejoindre en tout point celui qui est posé par Berthoud :
57. Cf. par exemple Givon (1983,1992), van Dijk (1977) et van Dijk & Kintsch (1983), Maran-
din (1988), et, de manière plus ponctuelle, Bronckart (1996). La différence entre les dis-
cours écrits et oraux est discutée par exemple par Tannen (éd.) (1984).
48
État de la question
58. D'une part, on peut évoquer les travaux concernant les structures syntaxiques particulière-
ment fréquentes dans le français parlé, comme par exemple Lambrecht (1981, 1994),
Gülich (1982), Ashby (1988), Stark (1997,1999), etc. et les travaux sur l'intonation comme
Danon-Boi1eau et al. (1991), Morel (1992a, 1992b), Morel & Danon-Boileau (1999), Wun-
derli et al. (1978), Rossi (1981, 1985).
59. Cf. les travaux de l'approche conversationnelle, comme par exemple Keenan & Schietfelin
(1976), Button & Casey (1984, 1985, 1988-89), Crow (1983), Berthoud (1996), Dittmar
(1988), etc.
60. Pour des raisons de place, je n'évoquerai pas la théorie du centrage, issue des recherches en
intelligence articifielle, qui met en relation la structure informationnelle des énoncés et la
cohérence des segments de discours dans lesquels ils s'inscrivent. Voir néanmoins pour des
travaux récents Wa1ker, Joshi & Prince (1998) ainsi que le numéro 22 de Verbum (Cornish
éd. 2000).
6l. Cette approche a été utilisée pour le français notamment par Combettes (1983, 1992a),
Combettes & Tomassone (1988). Elle est également reprise dans la première version du
modèle modulaire genevois (Rou1et 1991 a).
49
L'organisation informationnelle
départ l'existence de deux types de thèmes62 de l'énoncé: celui qui est consti-
tué par « l'information connue» et celui qui forme le «point de départ» de
l'énoncé. Danes considère que le point de départ de l'énoncé peut être identifié
de manière objective à partir du test de la question (1974: 114-115). En revan-
che, il souligne l'aspect problématique de l'évaluation du caractère connu ou
donné d'une information, même si celui-ci est défini, en suivant Halliday,
comme découlant de la récupérabilité de l'information dans le contexte et le
savoir partagé des interlocuteurs (cf. 1.2.1): Danes relève que le caractère
donné d'une information n'est pas nécessairement partagé par les deux interlo-
cuteurs, qu'il est graduel et dépend de l'étendue du segment précédent (1974 :
109). Il est d'autant plus difficile à évaluer qu'il n'implique pas nécessaire-
ment une évocation directe :
Tandis que l'évocation directe se fait par des synonymes ou des paraphrases,
l'évocation indirecte fait entrer en jeu des associations reposant sur des infé-
rences (par exemple, hyponymie ou hyperonymie). Même si les remarques de
Danes restent dans l'ensemble assez vagues, elles ouvrent déjà la voie aux tra-
vaux qui aborderont, à la suite de Chafe (1994), la notion d'information don-
née sous un angle plus cognitif et à travers la notion d'accessibilité, tout en
esquissant déjà les principaux problèmes que ces notions rencontreront (p. ex.
le problème de savoir combien de temps une information peut rester saillante à
l'esprit des interlocuteurs).
the property of being new has two, independent, aspects: (1) « new » in the sense
of « not mentioned in the preceding context », (2) in the sense « related as Rheme
to a Theme to which it has not yet been related ». In the former case, the property
« new » is assigned to the expression itself, while in the latter it is the T - R nexus
that appears as new. (DaneS 1974 : Ill)
62. Je reprends pour cette discussion le terme de « thème» parce que c'est celui qui est utilisé
par Danes (1974).
50
État de la question
sens strict », qui n'ont pas encore été évoqués, et les rhèmes ayant déjà été ver-
balisés antérieurement, mais qui apparaissent dans la seconde partie de l'énon-
cé et tirent leur nouveauté du lien qu'ils entretiennent avec le contexte. On
retrouve une telle conception notamment chez Lambrecht (1994 : 57-58), qui
souligne le caractère relationnel de l'assertion.
Thus we must not be content with a statement that certain sentence elements con-
vey the known information (in contrast to others, conveying the new one), but we
ought to find out the principles exactly according to which this and not another
portion of the mass of known information has been selected. In other words, we
have to inquire into the princip les underlying thematic choice and thematic pro-
gression. (Danes 1974: 112)
It is obviously not by chance that the studies ofFSP [Functional Sentence Perspec-
tive] predominantly concem the problems oftheme (and not those ofrheme - cf.
the frequent term « thematization » and the rarely used term « rhematization »), in
spite of the fact that it is just the rheme that represents the core of the utterance
(the message proper) and « pushes the communication forward» (Firbas) : from
the point ofview oftext organization, it is the theme that plays an important cons-
tructional role. (Danes 1974: 113)
63. Je souligne les marques des thèmes. Pour des exemples similaires en français, cf. Combet-
tes & Tomassone (1988).
51
L'organisation informationnelle
(1.4) The first of the antibiotics was discovered by Sir Alexander Flemming in
1928. He was busy at the time investigating a certain species of germ which
is responsible for boils and other troubles. (Danes 1974: 118)
Tl - RI
(1.5) The Rousseauist especially feels an inner kinship with Prometheus and
other Titans. He is fascinated by any form of insurgency ... He must show an
elementary energy in his explosion against the established order and at the
same time a boundless sympathy for the victims of it. .. Further the Rous-
seauist is ever ready to discover beauty of soul in anyone who is under the
reprobation of society. (Danes 1974: 119)
Tl - R I
t
Tl - R 2
t
Tl - R 3
52
État de la question
Enfin, le troisième type de progression implique des thèmes dérivés d'un « hy-
perthème », comme dans l'exemple:
(1.6) New Jersey is flat along the coast and southern portion; the north-western
region is mountainous. The coastal climate is mild, but there is considerable
cold in the mountain areas during the winter months. Summers are fairly
hot. The leading industrial production includes chemicals, processed food,
coal, petroleum, metals and electrical equipment. The most important cities
are Newark, Jersey City, Paterson, Trenton, Camden. Vacation districts
include Asbury Park, Lakewood, Cape May, and others. (Danes 1974 : 120)
Cette progression est représentée par le schéma suivant (Danes 1974 : 119) :
[T]
T2 - - R 2
T3 - - R3
L'une des variantes les plus importantes de ces progressions est la rupture thé-
matique, qui résulte de l'omission d'un lien dans une progression de type li-
néaire. Une autre variante est constituée par une progression impliquant des
thèmes issus d'un rhème fractionné, comme dans l'exemple suivant:
(1.7) AU substances can be divided into two classes: elementary substances and
compounds. An e1ementary substance is a substance which consists of
atoms of only one kind ... A compound is a substance which consists of
atoms oftwo or more different kinds. (DaneS 1974 : 121)
53
L'organisation informationnelle
Tj
-- Rj (=R'j +R"j)
1
t
T2
-- R2
t
T3
-- R3
(1.8)
Je: Michelle Maurois écrivain / et. je dis tout de suite / euh qu'il ne doit pas
être très facile euh d'être la fille d'André Maurois / les grands noms parfois
euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <acc.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects / en même temps c'est une
facilité /
64. À l'exception des conférences transcrites par Dubois (1987) qui peuvent être considérées
comme une forme de discours « hybride» impliquant à la fois un support écrit et une trans-
mission orale (Gadet 1996, Grobet 1998).
65. Les propositions de Maynard (1986) seront discutées ultérieurement.
66. Fries développe l'hypothèse selon laquelle les schémas des progressions thématiques sont
étroitement liés aux genres : « different patterns of Thematic progression correlate with dif-
ferent genres, i.e. patterns of thematic progression do not occur randomly but are sensitive
to genre» (Fries 1995 : 319).
67. Les conventions de transcription sont indiquées en annexe.
54
État de la question
Je: rnhm=
MM: quand on commence à écrire 1 et qu'on va chez un éditeur 1 c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu 1
Je: la première fois 1
MM : la première fois 1 mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
Je: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il
MM: oui on a un complexe évidemment 1 seulement j'ai eu un père 1 euh ça
l'amusait énormément que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1 et .
euh finalement ça ne m'a pas pesé \\ (Radioscopie)
55
l'organisation informationnelle
Une autre difficulté que rencontre cette approche est formée par le traitement
insuffisant des thèmes implicites 7o . Or, Bally (1965 [1932] : 54) a pourtant
bien montré, à propos d'énoncés comme quelle horreur! que ces thèmes im-
plicites jouent un rôle important dans le discours oral:
Les circonstances extérieures qui déclenchent une phrase monorème peuvent être
aperçues obscurément, être même tout à fait subconscientes; mais il y a un abîme
entre ce que l'on pense imparfaitement et ce qu'on ne pense pas du tout. On peut
s'écrier « Quelle horreur! » à propos d'un ensemble indétenniné de faits qu'on
aurait peut-être de la peine à définir; mais personne ne songera à dire « Quelle
horreur! » sans aucun motif. D'autre part, celui qui entend cette expression peut
69. « It is a characteristic of primarily interactional conversational speech in our data that the
interactional aspect, marked by 1 and You, is frequently thematised [... ]. » (Brown & Yule
1983: 142)
70. Combettes et Tomassone relèvent uniquement que l'hyperthème d'une progression à thè-
mes dérivés peut ne pas être explicitement mentionné (1988 : 99).
56
État de la question
en ignorer la raison; pourtant, il n'imaginera pas un seul instant que cette cause
n'existe pas. (Bally 1965 [1932] : 53-54)
71. Ces progressions thématiques soulèvent également d'autres problèmes discutés notamment
par Dubois (1987). J'y reviendrai dans le chapitre suivant (2.3.3.2).
57
L'organisation informationnelle
72. «When theme is identified only within a sentence or an utterance, the remaining part ofthe
sentence or utterance, the rheme, will provide this information. When we identify theme on
the level beyond a single sentence or utterance we must be able to identify subsequent in-
formation (across sentence and utterance boundaries) that is linked back to the already men-
tioned element(s). In this sense, « theme » is identifiable only retrospectively. » (Maynard
1986 : 82-83)
73. Voir aussi Auchlin (1987-87 : 70) pour le caractère rétrospectif de l'identification du thème
de l'énoncé.
74. Maynard définit le tour de parole à la suite de Markel : « A speaking tum begins when the
one interlocutor starts speaking solo. For every speaking tum there is a concurrent listening
tum, which is the behavior of one or more nontalking interlocutors present ». Le back-chan-
nel est exclu de cette définition (Maynard 1986 : 85).
58
État de la question
thème sont alors considérés comme des R-turn 75 : relevant le caractère vague
de la relation qui lie les R-turn au T-turn, Maynard souligne que cette relation
peut se manifester soit par des répétitions lexicales, expressions anaphoriques,
identités référentielles, ellipses, etc., soit par une relation sémantique latente
interne au texte. Maynard précise qu'un même tour peut être un R-turn et in-
troduire un nouveau thème (R1T-turn). Enfin, les tours de parole qui ne se ratta-
chent à aucun tronçon thématique sont appelés S-turn.
En s'appuyant sur ces notions, Maynard retrouve, dans les conversations, les
trois principaux types de progressions infonnationnelles dégagés par Danes
(1974), à savoir les progressions impliquant un thème linéairement issu du rhè-
me qui précède, un thème constant et des thèmes dérivés. Comme chez Danes,
ces progressions représentent des types idéaux et abstraits. Les exemples fabri-
qués proposés par Maynard pennettront de les illustrer. Le premier type
d'échange illustre une progression linéaire76 :
(1.9)
ALI went to see a movie with Sally the other day. Tl (T-turn)
B 2. That's nice. 1 saw her last night at the language labo Rl/T2 (RiT-turn)
A 3. Really? 1 didn't know that the lab is open in the R2 (R-tum)
evenings. (Maynard 1986 : 87)
(LlO)
A 1. 1 went to see a movie with Sally the other day. Tl (T-turn)
B 2. That's nice. 1 know Sally likes movies a lot. RU (R-tum)
A 3 Yeah, she likes just about any movies - romantic R1.2 (R-turn)
ones and science fiction - or anything.
B 4 Did you and Sally see « Back to the Future» yet ? Rl.3 (R-turn)
(Maynard 1986 : 88)
75. «When a T-turn is already established, aU turns that foUow and that add infonnation which
either links or provides propositions that apply to a given theme are assigned R-turn value»
(Maynard 1986 : 85).
76. Tet R correspondent au thème et rhème saisis au niveau du discours. Les thèmes et les rhè-
mes correspondants sont numérotés.
59
l'organisation informationnelle
Le thème initial, que Maynard paraphrase comme « aller au cinéma avec Sally»,
est marqué par des reprises lexicales dans les tours ultérieurs qui le commentent.
(1.11)
A 1. 1 went to see « Cocoon » with Sally the other day. Ti (T-turn)
B 2. Yeah? 1 bet you liked it. 1 saw« Back to the Ri/Tii (RiT-tum)
Future» last week.
A 3. Oh, that movie is entertaining, lots ofhumor, Rii/Tiii (RiT-tum)
you know. Did you see « Rambo » ?
B 4. No, not yet. (Maynard 1986 : 89) Riii (R-turn)
Après avoir décrit ces trois types de progressions, Maynard évoque quelques
implications de son approche à la fois fonctionnelle et interactionniste. Il sug-
gère par exemple la possibilité de se guider sur ces progressions pour décrire le
style interactionnel des conversations en fonction des conditions matérielles et
sociales des interactants, rejoignant par là certaines observations de Goffman
(1987). Contrairement à l'approche pragoise traditionnelle, ce type d'approche
paraît permettre de rendre compte du caractère interactionnel et polygéré de la
progression informationnelle dans les dialogues.
(1.12)
JC: Michelle Maurois écrivain / et . je dis tout de Tl (T-turn)
suite / euh qu'il ne doit pas être très facile euh
d'être la fille d'André Maurois / les grands noms
parfois euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <acc.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects / RU (R-tum)
en même temps c'est une facilité /
JC: rnhm=
MM : quand on commence à écrire / et qu'on va chez
un éditeur / c'est c'est plus facile .(s) d'avoir un
nom connu/
JC: la première fois / R1.2 (R-turn)
MM : la première fois / mais ensuite on vous demande R1.3 (R-turn)
plus. peut-être qu'à un autre auteur \\
60
État de la question
En outre, Maynard relève lui-même que le repérage des R-turn s'avère souvent
problématique:
77. « We refer to a topic that matches exactly that of the immediatly preceding utterance as a
COLLABORATING DISCOURSE TOPIC.» (Keenan & Schieffelin 1976: 341)
78. « Sequences in which a discourse topic integrates a c1aim and/or presupposition of an im-
mediately prior utterance are TOPIC-INCORPORATING sequences. » (Keenan & Schief-
felin 1976 : 341)
61
L'organisation informationnelle
Maynard attribue cette difficulté au caractère vague du lien qui unit un R-turn
à un T-turn, qui n'est pas nécessairement marqué linguistiquement. Par exem-
ple, dans l'analyse de l'échange entre J. Chancel et M. Maurois, j'ai assigné la
valeur de T-turn à la deuxième question de C : on a un complexe euh dans dans
ces temps-là. On pourrait cependant aussi bien considérer cette question com-
me un R-turn, qui s'appliquerait à l'information activée par les grands noms
parfois euh doivent être très lourds à porter.
79. Même s'il reste possible, en tenant compte de la structure hiérarchique de l'échange, de rat-
tacher cette question au constituant initial, comme je le montrerai ultérieurement.
62
État de la question
Enfin, le dernier problème que j'évoquerai est constitué par le recours à la no-
tion de tour de parole8o • En effet, si cette unité paraît adéquate pour rendre
compte du lien existant entre l'organisation informationnelle et l'alternance
des locuteurs, elle ne permet pas de traiter la structure interne des interventions
qui peuvent s'avérer assez longues, comme c'est le cas pour l'intervention de
M. Maurois dans cet exemple. De plus, le repérage de tels tours de parole est
loin d'être toujours évident, par exemple pour l'échange initié par la première
fois, qui semble jouer un simple rôle de confirmation, mais qui, à la différence
de certains régulateurs (mhm, oui), ne peut être ignoré car il est pris en consi-
dération par les deux interlocuteurs. Pour ces raisons, l'unité du tour de parole
ne paraît pas non plus constituer un cadre de référence idéal (Roulet 2000).
80. Je n'aborderai pas le problème lié à l'aspect idéal de ces progressions qui, comme c'était le
cas chez Danes (1974), peuvent faire l'objet de variantes et de combinaisons complexes.
Pour d'autres remarques, voir Maynard (1986 : 102).
81. Le lien étroit unissant l'organisation informationnelle à l'approche pragoise s'explique en-
tre autres par le développement chronologique du modèle genevois, qui a d'abord intégré
l'approche pragoise (Roulet 199Ia), avant que l'organisation informationnelle ne fasse
l'objet de recherches spécifiques.
82. Cette discussion reprend et complète certains éléments de la présentation de Grobet
(1999c). Elle diffère légèrement de la version proposée par Roulet (1996) et Grobet
(1996a), où l'organisation informationnelle est présentée comme une dimension élémentai-
re du discours (c'est-à-dire un module). Il est en effet rapidement apparu qu'il s'agit plutôt
d'une organisation, au vu de l'hétérogénéité des éléments linguistiques, textuels, inféren-
tiels, etc. qui y interviennent (cf. 1.2.2 et Grobet 1997a, 1999c, 2001b).
63
l'organisation informationnelle
Partant de la distinction établie par Chafe (1994 : 53-56) entre informations inac-
tive, semi-active et active (ou, mieux, activée) et de l'hypothèse qu'il formule
selon laquelle une seule idée peut être activée à la fois (<< only one idea cons-
traint », 108-109), je pose que chaque acte introduit une information dite alors
activée, et que l'introduction de cette information implique au moins un point
d'ancrage en mémoire discursive, sous la forme d'une information semi-active,
qui peut être verbalisée ou non. (Roulet 1996 : 18)
Dans ce modèle, chaque acte (l'unité discursive minimale) active une informa-
tion, éventuellement complexe, qui est aussi appelée « objet de discours» (p.
ex. «quelle horreur! »). Cet objet de discours n'a pas besoin d'être «nou-
veau» en lui-même, car il suffit qu'il soit « activé ». La notion de « thème »,
telle qu'elle est conçue dans le modèle pragois, se trouve diffractée dans la no-
tion de «point d'ancrage », correspondant au thème saisi en tant qu'informa-
tion (p. ex. la «coiffure d'une amie »), et dans celle de «trace de point
d'ancrage », qui désigne la verbalisation linguistique de cette information
(p. ex. dans cette coiffure quelle horreur 1)83.
83. De nombreux autres linguistes soulignent la nécessité d'une telle distinction, comme par
exemple Lambrecht (1994) (cf. 1.1.2.2) et Auchlin (1986-87), lequel distingue le «topi-
que », c'est-à-dire l'élément de surface, du «thème », qui forme le versant interprétatif.
Pour éviter de confondre ces deux éléments, j'utilise l'italique pour citer dans le corps du
texte un segment linguistique (Michelle Maurois) et les guillemets pour désigner le référent
sous-jacent (<< Michelle Maurois »).
64
État de la question
(1.13)
Je: 1.
les grands noms [André Maurois] parfois euh doivent être très lourds à
porter \\
MM : 2. (porter un grand nom) c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects /
3. en même temps c'[porter un grand nom] est une facilité /
MM: 4. (c'est une facilité) quand on commence à écrire /
Chaque acte, numéroté, active un objet de discours. Les traces de points d'an-
crage sont indiquées par un style italique ou gras84 ; elles peuvent être prono-
minales (c', on), pleines (les grands noms), ou absentes (acte 2, si l'on ne
prend pas en compte le pronomy).-Les points d'ancrage sont explicités entre
crochets après leur trace, ou, lorsqu'ils sont implicites, restitués entre parenthè-
ses au début de l'acte (actes 2 et 4). Lorsque les points d'ancrage sont implici-
tes, comme c'est le cas dans ces actes, leur identification se fait par défaut à
partir de l'information la plus récemment activée; en dernier recours, on peut
considérer, avec Auchlin, qu'ils sont issus de la situation d'énonciation
(Auchlin 1986 : 183).
Dans cette approche, les points d'ancrage sont formés par des informations si-
tuées en mémoire discursive, qui peuvent être issues du cotexte (<< porter un
grand nom»), de la situation (par exemple, les « interlocuteurs» en 1.14
et 1.15), ou d'inférences tirées de l'un ou de l'autre (par exemple, le point
d'ancrage marqué par les grands noms est obtenu à partir de l'information
« André Maurois» activée par l'acte précédent).
En outre, un objet de discours peut s'ancrer sur plusieurs points d'ancrage, qui
se situent à différents niveaux de la mémoire discursive. On distingue les
points d'ancrage immédiats - également appelés « topiques» -, dont les traces
sont marquées en gras, et les points d'ancrage d'arrière-fond, qui concernent le
plus souvent les interlocuteurs du dialogue et dont les traces sont signalées en
italique. Cette distinction permet de traiter la pluralité des thèmes relevée plus
haut pour le deuxième de ces actes:
(1.14)
MM: (un complexe) seulement j'ai eu un père /
euh ça l'[père] amusait énormément que j'écrive /
65
L'organisation informationnelle
(1.15)
Je: 1. Michelle Maurois [sit.] écrivain /
2. (M. M. écrivain) et .je dis tout de suite / euh qu'il ne doit pas être très
facile euh d'être lafille d'André Maurois /
3. les grands noms [André Maurois] parfois euh doivent être très lourds à
porter \\
MM: 4. (porter un grand nom) c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects /
5. en même temps c' [porter un grand nom] est une facilité /
Je: rnhm=
MM: 6. (une facilité) quand on commence à écrire /
7. (on commence ... ) et qu'on va chez un éditeur /
8. (on va chez un éditeur) c'est c'est plus facile. (s) d'avoir un nom connu /
Je: 9. (c'est plus facile ... ) la première fois /
MM : 10. (c'est plus facile ... ) la première fois /
11. (la première fois) mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
Je: 12. on a un complexe / euh dans dans ces temps-là [ensuite] //
MM : 13 . (on a un complexe) oui on a un complexe évidemment /
14. (oui on a ... ) seulement j'ai eu un père /
15. euh ça l'[père] amusait énormément que j'écrive /
16. et qui [père] m 'a encouragée beaucoup /
17. et. euh finalement ça [un complexe/porter un grand nom] ne m'a pas
pesé \\
À partir des topiques repérés par une telle analyse, il est possible de décrire les
différents modes d'enchaînement: linéaire (pour les actes 2, 3, 4,6, 7,8,9, Il,
12, 13, 14, 15), constant (pour les actes 5, 10, 16) et un enchaînement à distan-
ce pour l'acte 17.
66
État de la question
Iles grands noms [André Maurois] parfois euh doivent être très lourds
E à porter
[ 1[ As (porter un grand nom) c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects
67
L'organisation informationnelle
68
État de la question
Ceci dit, ce modèle présente lui aussi certains inconvénients: j'évoquerai uni-
quement ceux qui concernent directement l'analyse de l'organisation informa-
tionnelle. Le premier problème est lié à l'unité de l'acte, qui a été
progressivement élaborée à partir de l'analyse hiérarchique du discours pré-
sentée dans Roulet et al. (1985). Le recours à cette unité permet certes d'éviter
certaines difficultés rencontrées par des unités comme l'énoncé, difficile à dé-
finir et moins adapté au discours oral, et par le tour de parole, trop large pour
décrire la structure informationnelle interne des interventions. Il reste toutefois
à déterminer comment l'unité de l'acte se situe par rapport à d'autres unités
comme la proposition syntaxique, par exemple, et à préciser les critères de son
repérage effectif dans les dialogues.
Le deuxième problème, le plus évident peut-être, est constitué par le flou qui
continue à entourer les notions de topique et d'objet de discours, qui sont défi-
nies de manière minimale, sans se rattacher directement aux acceptions les
plus courantes de ces termes. De plus, il n'existe pas de distinction, au niveau
de l'objet de discours, entre verbalisation linguistique et information, contrai-
rement à ce qui se passe pour les points d'ancrage et leurs traces. Enfin, la dif-
férence entre les points d'ancrage' d'arrière-fond et le point d'ancrage
immédiat, c'est-à-dire le topique, est loin d'être claire: ces deux types de point
d'ancrage s'opposent-ils à cause de la distance de leur précédente évocation
(qu'elle soit textuelle ou situationnelle), comme le laisserait entendre le terme
d'« immédiat », ou plutôt par la constance de leur évocation, ou encore par
leur nature, ce que pourrait indiquer le fait que les locuteurs constituent géné-
ralement des points d'ancrage d'arrière-fond?
69
L'organisation informationnelle
L'enjeu de cette question peut être explicité en faisant appel à l'analyse des ex-
pressions référentielles, où la question de l'identification des référents joue un
rôle central :
Le principal problème que pose toute expression référentielle est, bien entendu,
celui de la « trouvaille» du référent et, de préférence, ... celle du « bon» référent.
(Kleiber 1994a : 7)
88. L'analyse de l'organisation inférentielle, telle qu'elle est présentée par Roulet (1997c), sera
discutée dans le chapitre suivant (2.4.2.3).
70
État de la question
89. «Un des défauts les plus courants des analyses référentielles est d'oublier qu'avec l'identi-
fication du référent l'affaire n'est pas finie pour autant et que le mode de donation du réfé-
rent est tout aussi important que le référent lui-même. » (Kleiber 1994a: 18)
71
L'organisation informationnelle
72
Chapitre 2
HYPOTHÈSES DE TRAVAIL
73
l'organisation informationnelle
J'ai souligné, dans le chapitre précédent, que le tour de parole ne constitue pas
une unité discursive minimale satisfaisante, car il ne forme pas une unité mini-
male et son repérage peut s'avérer problématique (1.3.2)1. Le tour de parole
peut lui-même être analysé en unités internes, à savoir les Turn Construction al
Unit (TCU), discutées en particulier par Selting (1998). Les TCU soulèvent
toutefois de gros problèmes définitoires, comme le rappelle Roulet (2000).
C'est pourquoi je ne les retiendrai pas comme unités minimales.
1. Schwitalla relève lui aussi les difficultés que rencontre le repérage des tours de parole:
« Sogar die scheinbar ais gesichert geltende Einheit des Redebeitrags (Redezug, turn, con-
tribution) geriit bei genauerem Hinsehen ins Vague» (Schwitalla 1997 : 50).
2. S'appuyant en particulier sur l'exemple des constructions détachées, Charolles & Combet-
tes (1999) soulignent quant à eux que, d'un point de vue sémantique et énonciatif, le fonc-
tionnement de la phrase n'est pas fondamentalement différent de celui du discours. Pour
d'autres arguments, cf. Roulet (2000).
74
Hypothèses de travail
La phrase se caractérise avant tout par sa spécificité graphique, qui est de com-
mencer par une majuscule et de se terminer par un point, ainsi que le relève
Roulet (1994)3. Or, ces caractéristiques ne se retrouvent naturellement pas
dans le discours oral et ne peuvent être reconstituées qu'au prix d'une « traduc-
tion » nécessairement coûteuse. De plus, la notion de phrase peut difficilement
rendre compte de la différence existant entre des structures de type rectionnel,
telles que:
et des configurations dans lesquelles le constituant extraposé n'est pas régi par
le verbe, comme :
Dans ce deuxième type de structure, c'est le pronom clitique qui est régi par le
verbe, et non le constituant détaché (Berrendonner 1990). Comme ces deux ty-
pes de structures segmentées s'insèrent dans une phrase (comprise au sens tra-
ditionnel), cette unité ne permet pas, à elle seule, de rendre compte de leur
différence. Par conséquent, je considérerai, avec Roulet (1994), que la phrase
ne constitue pas tant une unité minimale du discours qu'un mode de réalisation
écrit du mouvement périodique, qui relève de l'organisation périodique du dis-
cours4 .
La proposition, qui forme l'unité syntaxique maximale, ne paraît pas non plus
constituer l'unité discursive minimale la plus adéquate. La proposition est cer-
tes une unité qui permet de traiter un grand nombre d'exemples, comme 2.3 :
3. Roulet (1994) montre que la phrase ne possède pas de propriétés syntaxiques intrinsèques,
car elle peut être réduite, au niveau syntaxique, à l'unité de la proposition. La phrase se ca-
ractérise donc surtout par ses propriétés graphiques.
4. L'organisation périodique décrit, dans le modèle genevois, le développement du discours
par étapes dans le temps et/ou dans l'espace (Grobet 1997a, 2001c). Pour Auchlin (1999),
l'organisation périodique concerne uniquement et nécessairement le développement tempo-
rel du discours, dans la mesure où tout discours écrit implique, pour être réellement saisi en
tant que «discours », une expérience subjective qui est nécessairement temporelle. Cette
dimension temporelle n'empêche pas, à mon avis, la prise en compte des caractéristiques
« spatiales» du discours telles que sa présentation typographique (Védénina 1989, Defays
et al. 1998).
75
L'organisation informationnelle
(2.3)
BP: vous êtes romantique / vous êtes naïf / vous êtes timide / vous êtes bon /
(Apostrophes)
L'organisation d'un énoncé oral ne peut être décrite qu'en prenant en considéra-
tion en premier lieu les marques prosodiques et mélodiques, qui constituent les
seuls indices permettant d'une part de segmenter la chaîne sonore en unités mélo-
diques et en groupes prosodiques - unités minimales du discours oral- et d'autre
76
Hypothèses de travail
Pour Morel, les unités discursives minimales du discours oral sont nécessaire-
ment de nature prosodique, et c'est seulement dans un second temps qu'elles
s'intègrent dans l'unité plus complexe que constitue l'énoncé.
Plutôt que de recourir à une unité de type interactionnel, comme le tour de pa-
role, périodique, comme la phrase, syntaxique, comme la proposition, ou pro-
sodique, comme le contour intonatif, Roulet considère que c'est l'acte
hiérarchique qui doit être considéré comme l'unité discursive minimale. Il dé-
finit l'acte de la manière suivante :
la catégorie acte ne doit pas être confondue avec le concept d'acte de langage que
nous avions retenu dans le premier modèle et qui se réalisait nécessairement sous
la forme d'une proposition; il a été redéfini à partir des réflexions d' Auchlin
(1993) sur la thématisation, de Rubattel (1987) sur les semi-actes et de Berrendon-
ner (1983, 1990) sur la clause. L'acte, qui constitue l'unité textuelle minimale, est
défini comme la plus petite unité délimitée de part et d'autre par un passage en
mémoire discursive, dans le sens de Berrendonner (1983). (Roulet 1999c : 210)
À l'instar de l'unité de la« clause» ou de 1'« énonciation »8, utilisée par Ber-
rendonner, l'acte se définit avant tout par le fait que ses frontières gauche et
8. Après avoir, comme Berrendonner (1990), utilisé les termes de « clause» et d'« énoncia-
tion » comme synonymes, Roulet propose de les distinguer (Roulet, Filliettaz & Grobet
2001 : 58ss.) ; dans ce cadre, seule l'énonciation peut être considérée comme équivalente à
l'acte.
77
L'organisation informationnelle
Selon Roulet (1991a, 1995,2000), l'unité de l'acte permet en outre, mieux que
la phrase ou la proposition, de rendre compte de la différence existant entre des
structures segmentées telles que :
78
Hypothèses de travail
Si le choix de l'acte comme unité discursive minimale paraît légitimé par les
raisons qui viennent d'être évoquées, il soulève néanmoins le problème du
mode de son repérage effectif. En effet, la définition de l'acte par les règles de
la dimension hiérarchique ne fournit pas d'indication sur ses frontières. De
plus, comme il n'existe à ma connaissance pas d'étude psycho-linguistique
précisant le lieu des passages en mémoire discursive marquant ces frontières, il
est nécessaire de s'aider d'autres critères pour segmenter le discours en actes.
Je me propose de les discuter brièvement pour justifier la segmentation sur la-
quelle je m'appuierai ultérieurement.
le repérage des actes dans un discours donné soulève des problèmes pratiques, qui
peuvent être résolus à l'aide d'instruments heuristiques relevant d'autres dimen-
sions du discours. (Roulet 1999c : 211)
Schwitalla (1997 : 50) rappelle que, selon les cadres théoriques, les niveaux
mobilisés pour délimiter l'unité discursive minimale9 peuvent être fonction-
nels (structure informationnelle, structure illocutionnaire, projection des acti-
vités discursives) et/ou formels (structure syntaxique, structure prosodique,
79
l'organisation informationnelle
Dabei gehe ich von der Pravalenz der unmittelbar hOrbaren, also der prosodischen
Gliederung aus [ ... ] und der untergeordneten lexikalischen und syntaktischen
Gliederung [ ... ]. (Schwitalla 1997 : 59)
qu'il décrit comme étant «prononcé d'un seul tenant ». Auchlin relève qu'un
tel énoncé serait perçu comme agrammatical par beaucoup de francophones,
car on y trouve« deux pronoms co-référentiels à l'intérieur d'une même unité
de liage )) (Auchlin 1999 : 12). Pour le rendre grammatical, il serait possible,
d'après Auchlin, soit de modifier sa forme prosodique (<< montée et pause brève
10. Cette discussion poursuit le débat entamé par Auchlin & Ferrari (1994), Grobet (1 997a) et
Auchlin (1999).
Il. Cette position se retrouve dans la notion d'intonation unit chez Chafe (1994: 53ss.) ainsi
que dans les travaux accordant la priorité aux unités prosodiques (Auchlin & Ferrari 1994,
Danon-Boileau et al. 1991, Morel 1992a, Morel & Danon-Boileau 1999).
12. «Que ce soit dans les mégaphones d'une manifestation, ou dans le couloir de l'apparte-
ment, certains propos semblent émis uniquement comme occasions de vociférer. » (Auchlin
1999: 11).
80
Hypothèses de travail
après dans lequel, nouvelle attaque sur on va ... »), soit de supprimer le pronom
y. Ces deux modifications ne sont toutefois pas également accessibles :
(2.7) et alors peu importe dans quel château on va aller faire cette visite
Le pronom y renvoie à un référent vague que j'ai paraphrasé par cette visite; il
peut donc facilement être supprimé. Pour cette raison, l'exemple 2.6 ne suffit
pas, d'après moi, à prouver le caractère plus difficilement réfutable de la pro-
sodie, et partant, que les indications prosodiques priment sur les indications
linguistiques pour la segmentation en actes 13.
Il est aussi possible de baser le repérage des unités discursives minimales sur
des informations de nature morpho-syntaxique. Par exemple, on peut faire
l'hypothèse que la proposition correspond souvent à une unité discursive mini-
male assimilable à l'acte, car ses frontières se caractérisent par un stockage des
informations en mémoire discursive. C'est le cas dans un exemple comme 2.8 :
(2.8)
GS: ma première femme m'avait dit qu'elle se suiciderait / si je la trompais \ or
comme j'avais un besoin / elle était très peu euh :. attirée par l'amour physi-
que \ très très peu \ euh :. et je devais prendre des précautions / j'ai pas
besoin de vous dire d'indiquer lesquelles / qui rendaient la chose assez péni-
ble \ par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée
de sa vie \ (Apostrophes)
13. L'exemple 2.6 ne permet d'ailleurs pas plus, à mon sens, de montrer que les indications lin-
guistiques priment sur les indications prosodiques.
81
L'organisation informationnelle
Cet exemple montre toutefois aussi que certains éléments susceptibles d'être
considérés comme des unités (p. ex. très très peu) peuvent être inférieurs à la
proposition, qui, de ce fait, ne peut être considérée comme un critère suffisant.
Pour pallier cet inconvénient, Roulet propose de considérer le test de la substi-
tution comme un critère décisif pour évaluer la présence d'un stockage des in-
formations en mémoire discursive :
Le pronom il entre dans une relation de liage; cette relation se caractérise par
plusieurs propriétés, dont celle de ne pas admettre la substitution par une for-
me pleine (le N, ce N, ou nom propre). Ainsi, dans cet exemple:
(2.1 0) Marie a consulté un philosophej. !!ï lui a rappelé qu'elle était mortelle.
14. La présence d'un point, qui opère une totalisation des inférences, peut être considérée com-
me une marque décisive de la frontière d'un acte et par là même, d'une relation de pointage
(Ferrari & Auchlin 1995). Cependant, il ne s'agit pas là d'un critère suffisant, car la relation
de pointage n'est pas liée à la présence d'un point. Ainsi, dans cet exemple, le point pourrait
être remplacé par une virgule sans changement au niveau de la relation de pointage.
82
Hypothèses de travail
(2.10') Marie a consulté un philosophej. Cet auteurj lui a rappelé qu'elle était mor-
telle.
S'il me semble que le test de la substitution peut être considéré comme un ins-
trument intéressant pour segmenter le discours en actes, je pense toutefois que
son importance a été quelque peu surestimée. Les limites de ce critère tiennent
d'abord au fait qu'il ne peut pas s'appliquer à tous les actes. Par exemple,
en 2.8, il ne pennet pas de rendre compte d'un segment comme très très peu
qui paraît néanmoins interprétable comme un acte, si l'on s'appuie sur sa réali-
sation prosodique. De plus, le repérage d'une relation de pointage ne me paraît
pas pouvoir être réduit au seul test de la substitution, comme le montrent les
travaux de Berrendonner (1990) et Zribi-Hertz (1992, 1996). Enfin, il ressort
de travaux plus récents de Berrendonner et Reichler-Béguelin (1995) que les
relations « macro-syntaxiques» (impliquant un passage par la mémoire discur-
sive) peuvent s'établir même entre le sujet et le verbe d'une proposition:
Enfin, nous voudrions souligner ce qui constitue à nos yeux une conséquence
méthodologique et théorique importante de nos données: l'imbrication, à l'inté-
rieur même de la plus simple des phrases, de contraintes micro- et macro-syntaxi-
ques, i.e. en termes plus classiques, le mélange de régularités morpho-syntaxiques
vs pragmatico-discursives. (Berrendonner & Reichler-Béguelin 1995 : 42)
D'une telle remarque peuvent découler deux conséquences qui toutes deux re-
lativisent l'intérêt du repérage de relations « macro-syntaxiques»: soit on
considère que la présence d'une relation de pointage n'est pas décisive puis-
qu'elle peut intervenir à l'intérieur même de la proposition, soit on admet que
les unités discursives peuvent être plus petites que la proposition (être fonnées,
par exemple, du sujet seul ou du verbe seul), et à nouveau, le critère de la subs-
titution n'est d'aucun intérêt pour repérer de telles unités. Pour ces raisons, le
test de la substitution ne peut être considéré, à lui seul, comme suffisant pour la
segmentation en actes.
15. Dans un cadre théorique différent, Halford parvient à une description similaire: « The talk
unit is the minimal self-contained message unit and at the same time the maximal message
unit which is language specifie and conventional. [... ] The presentation structure is a func-
tion of intonation, sequential aspects, and the use of particles. The talk unit is the maximal
unit defined by syntax plus intonation» (Halford 1996 : 33).
83
L'organisation informationnelle
That is, constellations of surface features of message form are the means by which
speakers and listeners interpret what the activity is, how semantic content is to be
understood and how each sentence relates to what precedes or follows. (Gumperz
1982: 131)
16. Je résume et reconsidère certaines propositions de Grobet (1997a). On y trouvera une plus
ample description des phénomènes prosodiques liés à la segmentation en actes et en unités
périodiques.
17. Dans ce cadre, plutôt que d'être donné d'avance, le contexte est considéré comme le produit
de l'interaction: « Pour Gurnperz, le processus de contextualisation est un processus par le-
quel les énoncés se voient ancrés dans des contextes, contextes, qui à leur tour rendent
possible l'interprétation de ces énoncés» (de Fornel1991 : 32).
18. Les intonèmes, dont la reconnaissance constitue déjà le résultat d'un processus interprétatif,
soulèvent de nombreuses questions quant à leur nombre, leur portée et la variété de leurs
réalisations intonatives, sur lesquelles je ne me prononcerai pas ici. Voir Rossi (1981, 1985)
et Wunderli et al. (1978) pour une discussion de cette question.
19. « Cette hypothèse présente le désavantage de suggérer fortement que la chaîne verbale
constitue un nucléus dont la prosodie ne constituerait qu'une enveloppe externe, un embal-
lage, susceptible au mieux de donner des infonnations utiles du point de vue de l'intelli-
gibilité des énoncés (voir le fameux "faciliter l'interprétation"). » (Auchlin 1999 : 11)
84
Hypothèses de travail
Into this model of a division of labour, syntax brings its capacity to build relatively
far-reaching gestalts, the completion ofwhich becomes more and more projectable
in time ; prosody, particularly intonation, brings in its local flexibility to revise and
adjust these gestalts while they are being « put to speech ». Thus, syntax retains its
priority, but prosody/intonation is nevertheless independent from it. (Auer
1996:75)
(2.8)
GS: ma première femme m'avait dit qu'elle se suiciderait / si je la trompais \ or
comme j'avais un besoin / elle était très peu euh :. attirée par l'amour physi-
que \ très très peu \ euh :. et je devais prendre des précautions / j'ai pas
besoin de vous dire d'indiquer lesquelles / qui rendaient la chose assez péni-
ble \ par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autànt trompée
de sa vie \
20. Comme me l'a fait remarquer Auchlin, la notion d'indice de contextualisation ne suffit pro-
bablement pas à rendre compte de toutes les fonctions (p. ex. émotives) de la prosodie. EUe
suffit néanmoins, dans une large mesure, à remplir les buts que je poursuis ici, puisque je
m'intéresse à la prosodie uniquement dans la mesure où elle intervient dans la démarcation
des unités discursives.
85
L'organisation informationnelle
(2.11) je ne suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / (Radioscopie)
L'acte est interrompu par une hésitation qui n'est pas interprétable comme une
frontière. La continuité est en effet maintenue par la courbe intonative, qui se
poursuit après la pause exactement au niveau auquel elle se situait avant la
pause:
21. Seule la segmentation du ou des premiers actes (ma première femme m'avait dit qu'elle se
suiciderait sije la trompais) pourrait prêter à discussion, car la structure syntaxique semble
indiquer un seul acte, tandis que la segmentation prosodique, doublée par la présence d'un
régulateur (voilà) que je n'ai pas rappelé dans la transcription, paraît plutôt signaler l'exis-
tence de deux actes.
22. «Politiker, besonders wenn sie langsam und eindringlich reden, segmentieren ihre Rede oft
nach syntaktischen Grôssen [ ... ]. »(Schwitalla 1997 : 52, note 6)
23. Selting (1995) mentionne également la présence d'un ton localement suspendu qui semble
être caractéristique de l'allemand, car on ne le retrouve pas systématiquement en français.
86
Hypothèses de travail
(2.12) parce que ce n'était pas dans ... ça ce n'était pas possible \ (Radioscopie)
L'interruption n'est cette fois-ci pas intégrée dans l'unité dans laquelle elle sur-
vient. La continuité n'est pas maintenue au niveau prosodique, comme le mon-
tre la figure 2.2 :
L'interruption est plus longue que dans l'exemple 2.11, ce que j'ai représenté
par les deux points. Après cette pause, la courbe intonative du segment initial
n'est pas reprise, mais abandonnée au profit du démarrage d'un nouveau con-
tour intonatif. Cette interruption se manifeste également au niveau syntaxique,
où l'on observe l'abandon de la structure entamée et le démarrage d'une nou-
velle proposition (cf. Apothéloz & Zay 1999).
Dans un bon nombre de cas, la prise en compte des indices marquant la conti-
nuité des unités discursives ou leurs frontières permet de segmenter le dis-
cours. Cependant, dans d'autres situations, les indices linguistiques et
prosodiques ne sont pas congruents ou, pour reprendre une expression
d'Auchlin, on peut dire que les dimensions prosodique, syntaxique et lexicale
ne sont pas « en phase »24. La segmentation en actes est alors beaucoup plus
problématique. Différents cas de figure se retrouvent dans l'exemple 2.13 :
24. Ces situations peuvent être rapprochées des métanalyses traitées par Berrendonner (1990),
qui correspondent à des séquences pouvant être analysées en une ou plusieurs unités discur-
sives minimales. Voir aussi Selting (1995) qui décrit de manière détaillée les différentes re-
lations possibles entre la prosodie et la syntaxe. '
87
l'organisation informationnelle
(2.13)
MM : <acc.> quand il a voulu écrire euh: ses: .. ses mémoires aux États-Unis
pendant la guerre / il euh .. il avait choisi un titre / euh .. q. qu'je n'sais plus
exactement / enfin c'était. quelque chose comme Une vie difficile <acc.>
(ou j'sais pas bien) / (Radioscopie)
Cet exemple s'inscrit dans une intervention à travers laquelle Michelle Mau-
rois tente de répondre à la question de savoir si son père a été heureux ou non.
La difficulté de cette question se manifeste dans les nombreuses hésitations qui
ponctuent le discours de M. Maurois et rendent sa segmentation problémati-
que.
D'une part, la prosodie réunit parfois des entités qui seraient autrement inter-
prétables comme deux actes distincts. C'est le cas pour le premier contour in-
tonatif qui aurait pu, avec une segmentation prosodique différente, être
interprété comme étant formé de deux actes au moins :.
(2.14) quand il a voulu écrire euh: ses: .. ses mémoires aux États-Unis / pendant
la guerre / il euh .. il avait choisi un titre /
Mais étant donné qu'en 2.13, le segment pendant la guerre n'est ni pleinement
propositionnel, ni détaché prosodiquement, il est possible de considérer qu'il
s'intègre dans l'acte qui le précède. De manière différente, le dernier contour
se termine par un segment prononcé très rapidement avec une faible intensi-
té 25 :
(2.15) enfin c'était. quelque chose comme Une vie difficile <acc.> (ou j'sais pas
bien) /
25. La compréhension de ce segment est même rendue difficile, ce que je transcris par les pa-
renthèses.
88
Hypothèses de travail
anal ysés par Rossari (1996) peuvent être traités de manière similaire: la ponc-
tuation autorise à considérer que le second segment constitue un acte autono-
me (Ferrari & Auchlin 1995)26. Dans l'exemple 2.13, il Y a aussi une hésitation
accompagnée d'une forte interruption qui aboutit à la scission d'une unité po-
tentiellement plus large :
(2.18) il euh .. il avait choisi un titre / euh .. q . qu'je n'sais plus exactement /
Contrairement à la première interruption (il euh ... il avait choisi) qui est mar-
quée aux niveaux lexical, syntaxique et prosodique comme une hésitation
n'entravant pas la continuité de l'acte (cf. ex. 2.11), la seconde, qui suit le mot
titre, paraît plus profonde. Malgré la présence d'une marque lexicale d'hésita-
tion et la poursuite de la structure syntaxique, il y a une rupture prosodique se
traduisant par une pause assez longue et par un décrochement mélodique mar-
quant, comme en 2.12, le début d'une nouvelle unité.
26. Rossari propose également la prise en compte d'un troisième critère qui est celui de j'auto-
nomie pragmatique, dépendant de la possibilité de reconstruire une forme prédicative à
l'aide d'une paraphrase commençant par et ce ... (Rossari 1996).
89
L'organisation informationnelle
que, malgré les précautions terminologiques, les définitions de ces notions sont
encore trop floues et demandent à être précisées.
2.2.1 Le topique
Dans l'organisation informationnelle, le topique est défini comme une informa-
tion située en mémoire discursive. Par exemple, pour le deuxième acte de 2.19 :
(2.19)
GS: vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant (Apostrophes)
le topique peut être identifié intuitivement comme étant formé par la « timidité
de Simenon », introduite en mémoire discursive par le premier acte, et à la-
quelle renvoie le pronom ce. Selon les propositions de Roulet (1996), le topi-
que est un point d'ancrage immédiat qui s'oppose aux points d'ancrage
d'arrière-fond constitués par les interlocuteurs (auxquels renvoient les pro-
noms de première et deuxième personnes). Cependant, la distinction entre ces
deux types de points d'ancrage est loin d'être claire, comme je l'ai relevé dans
le premier chapitre (1.3.3). Je commencerai donc par situer le topique par rap-
port aux points d'ancrage d'arrière-fond: la mise en évidence des similitudes
et des différences entre ces deux points d'ancrage permettra de préciser la défi-
nition du topique.
27. Les conventions de transcription de la structure informationnelle ont été présentées dans le
premier chapitre (1.3.3).
90
Hypothèses de travail
(2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d' être heureux
vous pensez qu ' il!' [heureux] a été
MM : par moments e certainement il a il a été heureux
j'crois qu ' il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies (Roulet 1996 : 20)
Les points d'ancrage d'arrière-fond, marqués par les traces il, lui et vous (en
italique), renvoient respectivement à « André Maurois », qui fait depuis un
moment l'objet de la discussion, et à « Michelle Maurois », qui s'entretient
avec Jacques Chancel. Dans cette structure informationnelle, Roulet ne tient
pas compte de l'information « Jacques Chancel », qui se situe, au même titre
que « Michelle Maurois », à l'arrière-fond de cette discussion. Cette observa-
tion conduit à dégager l'une des caractéristiques des points d'ancrage d'arriè-
re-fond: ceux-ci sont repérés uniquement lorsqu'ils sont marqués par une
trace. En outre, il peut y avoir plusieurs points d 'ancrage d 'arrière-fond, com-
me c'est le cas dans le deuxième acte avec les points d'ancrage marqués par
vous et il. Enfin, contrairement à celui du topique, le repérage des points d'an-
crage d 'arrière-fond est facultatif.
91
L'organisation informationnelle
Pour rendre compte des différences qui se manifestent entre ces deux types de
points d'ancrage, il est possible de s'appuyer sur la distinction, proposée par
Chafe (1994) et reprise par Lambrecht (1994), entre l' identifiabilité et l'état
d'activation. En effet, les points d'ancrage d'arrière-fond peuvent être considé-
rés comme des informations identifiables, dans le sens où il s'agit d'informa-
tions présentées comme connues, indépendamment du caractère récent de leur
activation dans le discours. Ces informations identifiables sont en nombre in-
déterminé; pour cette raison, on ne les repère que lorsque leur présence se ma-
nifeste dans le discours par exemple à travers des traces pronominales.
Le point d'ancrage immédiat peut, quant à lui, être caractérisé comme une in-
formation active dans le sens de Lambrecht (1994), c'est-à-dire comme une in-
formation que le locuteur suppose être non seulement identifiable, mais aussi
présente dans la conscience de l'interlocuteur, généralement parce qu'elle y a
récemment été introduite28 • En effet, l'adjectif « immédiat» exprime à la fois
l'idée d'une grande accessibilité dans la conscience et celle du caractère récent
de l'évocation. Les principales caractéristiques du point d'ancrage immédiat
(nombre limité, verbalisation éventuellement implicite, etc.) correspondent à
celles qui résultent, dans la terminologie de Chafe (1994 : 71ss.), d'un faible
coût d'activation.
28. Lambrecht rappelle les propositions de Chafe de la manière suivante: « An ACTIVE concept
is one "that is currently lit up, a concept in a person's focus of consciousness at a particular
moment." An ACCESSIBLE/SEMI-ACTIVE concept is one "that is in a person's peripheral
consciousness, a concept ofwhich a person has a background awareness, but one that is not
being directly focused on." An INACTIVE concept is one "that is currently in a person's long-
term memory, neither focally nor peripherally active." »(Lambrecht 1994 : 94).
92
Hypothèses de travail
actives, le topique répond à une contrainte supplémentaire, qui peut être for-
mulée en termes « de relation d'à propos », en s'appuyant sur la définition de
Lambrecht:
(2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d'être heureux
vous pensez qu' il l' [heureux] a été
MM : par moments e certainement il a il a été heureux
j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies
(2.21) À propos d'André Maurois, j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(2.22) À propos du bonheur d'André Maurois, j'crois qu'il a été heureux dans sa
vie littéraire
29. Je reviendrai ultérieurement sur la question de la nature référentielle du topique chez Lam-
brecht (1994).
30. Auchlin (1986) propose une définition similaire: «Ce que j'entendrai ici par thème c'est
donc l'entité sémantique (dont la trace éventuelle dans les énoncés est le topique) présentée
comme "ce par rapport à quoi ce que l'on dit est pertinent". »(174).
93
L'organisation informationnelle
Après avoir tenté de préciser la notion de topique en la situant par rapport aux
points d'ancrage d'arrière-fond et en recourant aux définitions proposées par
Lambrecht (1994), j'aimerais brièvement évoquer un autre élément central
chez Lambrecht, à savoir la nature nécessairement référentielle du topique 31 .
Lambrecht distingue en effet rigoureusement les référents 32 - représentations
31. Comme le relèvent à juste titre Combettes (1998a : 139-140) et Prévost (1998 : 22), il s'agit
là d'une problématique particulièrement complexe que je ne ferai qu'esquisser. Cf. aussi
Lôtscher (1992).
32. Dans ce cadre, le tenne de « référent» renvoie à la représentation mentale du référent
(Lambrecht 1994 : 74). Lambrecht utilise également le tenne de « proposition» pour dési-
gner les situations, états ou événements dénotés par les propositions (1994 : 53 ; 347, note
1). J'adopte également ces conventions.
94
Hypothèses de travail
Whereas events and states are activated transiently, many referents remain active
for longer periods than any of the events or states in which they participate. (Chafe
1994: 68)
(2.24)
Est-ce qu'il est intelligent?
Ça il l' est (Lambrecht 1994)
95
L'organisation informationnelle
le topique paraît pouvoir être interprété comme étant formé par la proposition
ouverte activée par la deuxième partie de la clivée, à savoir « quelqu'un par-
le ». Pour en rendre compte, il est possible de décrire cette proposition comme
un « référent propositionnel », mais cet usage terminologique ne peut manquer
d'atténuer la différence entre référent et proposition33 . En outre, ces excep-
tions, encore limitées si l'on travaille dans le cadre de l'énoncé, deviennent
plus nombreuses lorsque l'on s'intéresse au topique conçu comme un point
d'ancrage. Par exemple, dans 2.20 :
(2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné le devoir d'être heureux
vous pensez qu'ill'[heureux] a été
MM : par moments e certainement il a il a été heureux
j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies
tous les topiques peuvent être considérés comme étant de nature prédicative.
Pour ces différentes raisons, je ne suivrai pas Lambrecht sur ce point et n'asso-
cierai pas systématiquement le topique à un référent.
Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les notions d'identifiabilité et d'ac-
tivation se définissent toujours par rapport à un acte de communication effectif.
Est identifiable (ou déjà active34) une information que le locuteur suppose être
identifiable (ou active) chez son interlocuteur et qu'il présente comme telle.
33. À cela s'ajoute le fait qu'un tel usage rend problématique, comme me l'a fait remarquer
Lambrecht, l'emploi de la notion d'« expression référentielle ».
34. Le terme est compris ici dans le sens de Chafe (1994) et Lambrecht (1994); il faudrait par-
ler d'information « semi-active » dans la perspective de Roulet (1996).
96
Hypothèses de travail
cette notion, c'est avant tout l'infonnation nouvellement activée par un acte.
Par exemple, pour 2.26 :
De plus, le tenne d'« objet de discours» me paraît mal choisi, parce qu'il ren-
voie habituellement à des entités discursives sémantico-référentielles qui ne
sont pas liées à l'unité de l'acte36 . En revanche, l'infonnation appelée «objet
de discours» dans l'organisation infonnationnelle est intrinsèquement liée à
l'unité de l'acte, qui lui confère son unité: comme l'acte est borné par des pha-
ses de stockage des infonnations en mémoire discursive, on peut dire que ce
sont ces passages par la mémoire discursive qui confèrent son unité à l'objet de
discours.
Il est possible de préciser la notion de propos en recourant une fois de plus aux
propositions de Lambrecht (1994), car le propos peut être considéré comme
l'équivalent de 1'« assertion pragmatique ». Celle-ci est chez Lambrecht oppo-
sée à la présupposition pragmatique et définie de la manière suivante :
35. Il faudrait de plus déterminer si la marque de la deuxième personne portée par le verbe ne
peut pas être considérée comme la trace d'un point d'ancrage formé par l'interlocuteur.
36. Voir la définition de Mondada (1994) et les autres références citées en note dans le chapitre
précédent (1.1.4).
37. La définition du propos de Bally (1965 [1932]) est citée en 1.1.2.2.
97
l' organ isation information nelle
(2.28)
GS: oui. c'est peut-être pour ça que quelquefois. je parle trop fort et j'élève trop
fort la voix / c'est comme tous les timides / on a des moments. où on
explose / euh :
BP: vous avez des colères de temps en temps \\ (Apostrophes)
38. Cette idée est déjà présente chez Danes (1974), comme je l'ai relevé dans le chapitre précé-
dent (1.3.1).
98
Hypothèses de travail
B. Pivot active une infonnation, par vous avez des colères de temps en temps,
qui venait d'être activée par G. Simenon sous une fonne très proche (quelque-
fois je parle trop fort et j'élève trop fort la voix, on a des moments où on explo-
se). Le propos du dernier acte ne peut être considéré comme entièrement
nouveau en lui-même, mais il tire sa nouveauté de la relation qui le lie avec
l'intervention qui précède39 .
Pour conclure, j'aimerais préciser que le propos, tel qu'il vient d'être défini, ne
rend pas compte de la structure infonnationnelle interne de l'acte qui com-
prend entre autres les phénomènes de mise en relief marqués par la syntaxe ou
par l'accentuation prosodique. Pour les traiter, il convient de recourir à la no-
tion de « focus », qui renvoie selon Lambrecht à l'élément par lequell'asser-
tion diffère de la présupposition (Lambrecht 1994: 213). Cependant, comme
la notion de focus n'est pas directement liée à la problématique de l'identifica-
tion du topique qui m'intéresse, je ne m'y attarderai pas ici4o .
Après avoir précisé les définitions de l'acte, du topique et du propos, j' aime-
rais montrer comment ces notions se combinent dans l'établissement de la con-
tinuité infonnationnelle, avant de décrire les différentes origines possibles du
topique et de revenir sur la question des différents types de progressions infor-
mationnelles.
39. Ce propos, qui remplit une fonction de demande de confirmation, est en partie implicite, car
la question (est-ce que ... ) n'est pas marquée linguistiquement.
40. Pour une étude approfondie de la notion de focus, je renvoie au cinquième chapitre de Lam-
brecht (1994), qui en propose un traitement très intéressant.
99
L'organisation informationnelle
Do not introduce a referent and talk about it in the same clause. (Lambrecht 1994 :
185)
Vidée centrale d'un tel principe est qu'il faut d'abord introduire une entité
pour pouvoir ensuite l'utiliser comme topique. C'est de ces deux étapes que ré-
sulte la continuité informationnelle. En s'appuyant sur ce principe ainsi que sur
les notions qui viennent d'être présentées, la continuité informationnelle
peut être représentée par le schéma suivant41. Celui-ci est illustré par
l'exemple 2.19:
" ... -,
" ,.
, • 4-- memOIre
" "1 discursive
".
,
situation • ,'I
\ ,
\
, /
,
"
ce qui me paraît surprenant
texte {
acte 2
Chaque acte active un propos qui incrémente la mémoire discursive, ce que re-
présente la flèche qui part de l'acte 1 sur le schéma. Certains référents peuvent
être introduits par la situation, comme c'est le cas par exemple pour les interlo-
cuteurs du dialogue, auxquels renvoient les pronoms de première et deuxième
personne. La mémoire discursive contient les informations disponibles (les
points d ' ancrage) sur lesquelles l'acte ultérieur peut enchaîner; chaque acte
sélectionne rétroactivement un topique parmi ces points d'ancrage. Pour le
deuxième acte de l'exemple 2.19, les points d'ancrage disponibles sont formés
par les « interlocuteurs» et la « timidité de Simenon », à quoi s'ajoutent des
informations accessibles par la situation ou parce qu'elles ont été évoquées an-
térieurement. Parmi ces points d'ancrage, la « timidité de Simenon» paraît
100
Hypothèses de travail
(2.29)
as: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ seulement m'humiliait / (Apostrophes)
Le propos activé par par conséquent aucune femme n'a jamais autant été:
autant trompée de sa vie est complexe. Le topique de l'acte suivant, verbalisé
par le pronom ça, est formé par un élément extrait de ce propos, c'est-à-dire
par le « fait que G. Simenon a trompé sa femme ». Mais G. Simenon aurait pu
enchaîner sur d'autres topiques formés, par exemple, par sa femme:
(2.30)
as: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ elle a énormément souffert
(2.31)
as: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ je ne vous choque pas en disant cela
42. Cette conception de la continuité informationnelle n'est pas très éloignée de celle de la
théorie du centrage, qui s'appuie sur la notion de« centre rétroactif». Toutefois, cette théo-
rie vise également à prédire le centre rétroactif de l'énoncé ultérieur à l'aide de la hiérarchie
des «centres anticipateurs »(d'après la traduction de Cornish 2000).
101
L'organisation informationnelle
(2.32)
GS: par conséquent. aucune femme n'a jamais autant été: autant trompée de sa
vie \ mais Teresa n'a jamais eu à se plaindre
De plus, le topique n'est pas nécessairement issu du propos qui précède. Il con-
vient donc d'examiner les autres origines possibles du topique.
(2.33)
X: Françoise va se marier avec ...
[saut du chat sur les genoux]
!! ne se gêne pas !
Le topique du second acte peut être interprété comme étant le « chat» qui
vient de sauter sur les genoux du locuteur et auquel renvoie le pronom il: mal-
gré la rupture informationnelle apparente, il y a continuité si l'on prend en
compte la situation et les informations qui peuvent en être issues. De manière
similaire, les débuts de dialogues s'ancrent généralement, en l'absence de texte
antérieur, sur une information issue de la situation d'interaction. Par exemple,
quelqu'un frappe à la porte, et la personne qui se trouve à l'intérieur l'invite à
entrer:
(2.34)
[bruit: on frappe]
X: entrez!
L'invitation à entrer n'est pas issue du vide, mais elle s'ancre sur le fait que
quelqu'un vient de frapper43 .
43. Évoquant le topique d'une exclamation comme Quelle horreur J, Bally (1965 [1932]) se ré-
fère à ce type de topique (cf. 1.3.1).
102
Hypothèses de travail
La source d'un point d'ancrage situationnel peut également être formée par un
élément issu du cadre spatio-temporel de l'interaction, tel que le lieu (ici), le
moment (maintenant), etc.
Ces différents points d'ancrage issus de la situation se retrouvent dans 2.35 qui
est issu d'un dialogue en librairie. La cliente (C) y montre au libraire une liste
de titres que son amie aimerait commander:
(2.35)
C33 : Lai trouvé par exemple regardez
L34: ouais
C35 : k vais vous montrer. ce qu'elle .m'a dit. <parle à voix basse pour elle>
qu'est-ce qu'elle m'a (XX).li: cherche depuis c'matin j'ai une crampe à la
jambe.li: : . <plus fort> elle a déchiré même d'un des livres qu'elle a
L36: ouais
C37: elle .m'a écrit ici elle a elle a elle veut celui-là. alors après ici elle a
celui-là
L38 : f'est en français
C39 : oui c'est elle a coupé d'une: d'un livre d'Harlequin
L40: on peut commander (Harlequin)
Les pronoms personnels (je, vous) renvoient aux interlocuteurs, le verbe regar-
der, qui semble ici avoir un rôle phatique car la cliente n'a manifestement pas
encore sorti la liste qu'elle aimerait montrer, ainsi que les pronoms démonstra-
tifs (ça, c') et l'adverbe ici renvoient à la situation de l'interaction44 •
44. Pour la description de ces formes à l'aide de la notion de symbole indexical, cf. Kleiber
(l986c, 1993, 1995b, 1997a).
103
L'organisation informationnelle
cas dans les dialogues en librairie (cf. exemple 2.35), ils sont beaucoup plus ra-
res dans les dialogues et entretiens médiatiques de mon COrpUS45 .
(2.36)
X: À propos / pour en revenir à ce qu'on disait hier / je voulais te demander / il
est revenu ton fils ? (Berthoud 1996 : 49)
(2.36')
X: (notre discussion) À propos / (à propos) pour en revenir à ce qu'on disait
hier / (pour en revenir à ce qu'on disait. .. ) je voulais te demander / (je vou-
lais te demander) il est revenu ton fils ?
Dans cet exemple, les topiques métadiscursifs sont régulièrement issus des
propos, eux-mêmes métadiscursifs, qui les précèdent. Ces topiques, bien qu'ils
puissent tous globalement être qualifiés de métadiscursifs, relèvent de diffé-
rentes sous-catégories mises en évidence par Berthoud (1996: 46ss.). Ainsi,
une expression comme « à propos» manifeste un ancrage sur le fait même de
prendre la parole, soit « l'acte de dire». L'ancrage sur l'information activée
parje voulais te demander porte sur le type d'acte illocutoire que l'on va réali-
ser en prenant la parole: Berthoud le décrit comme un ancrage « sur le
de dire ». Le topique « pour en revenir à ce qu'on disait hier» peut quant à lui
être décrit comme impliquant « le dire conçu comme un parcours».
45. Cette différence tient non pas au caractère médiatique de ces interactions, mais plutôt à leur
structure praxéologique peu marquée. La situation est très différente dans d'autres types
d'interactions médiatiques, comme les jeux télévisés, dont la structure praxéologique et in-
teractionnelle sous-tend directement l'organisation informationnelle (Linell & Korolija
1997).
104
Hypothèses de travail
En dehors de tout contexte, cet exemple est très difficile, voire impossible à in-
terpréter, car le topique du propos activé par selle de cheval ne peut être récu-
péré à partir du premier acte. En revanche, dans la comptine bien connue:
les topiques, atypiques, sont issus du signifiant des éléments finaux activant le
propos. De tels topiques ne seraient pas interprétables dans toutes les situa-
tions, mais tout porte à croire que, en particulier dans les textes dont le caractère
autotélique est fortement marqué, tels que les poèmes, les publicités ou les
comptines, le signifiant est une information aussi disponible qu'une autre en
mémoire discursive.
46. Auchlin propose un exemple tiré des chroniques de « Monsieur Météo» de Libération:
« Après un premier paragraphe [ ... ] qui se termine par : Nous deviendrons tous homos, et le
ML.F. périra par extinction, dites, ça en vaut la peine. le paragraphe suivant enchaîne ain-
si: Mais le temps, lui, ne vaut pas un clou. » (1986: 183). Si j'ai bien compris l'analyse
d'Auchlin, le seul topique accessible pour le début du deuxième paragraphe est formé par le
« fait de parler ».
105
L'organisation informationnelle
La progression linéaire, dans laquelle le topique est issu d'une information qui
vient d'être activée, est la progression informationnelle la plus fréquente. Elle
peut impliquer un topique explicite, comme dans l'exemple 2.19 :
(2.39)
MM :j'crois qu'il a été heureux dans sa vie littéraire
(heureux dans sa vie littéraire) qu'il a eu de grandes joies
(2.40)
BP: vous êtes romantique / vous êtes naïf / vous êtes timide
106
Hypothèses de travail
Dans cet exemple, la répétition de vous êtes renvoie à un topique formé par la
proposition ouverte «vous êtes X» (Lambrecht & Michaelis 1998), que l'on
peut paraphraser par le « caractère de Simenon »48 ; il peut être interprété com-
me le topique constant de ce passage. Contrairement à la progression linéaire,
la progression à topique constant implique généralement un topique verbalisé
par un pronom ou une reprise lexicale.
(2.41) Les touaregs sont un peuple fier et belliqueux. [ ... ] Les hommes et les jeu-
nes gens s'occupent des troupeaux; les femmes et les jeunes filles ramas-
sent le bois, font la cuisine, filent la laine, tannent et teignent le cuir, et
prennent soin des enfants. (Combettes & Tomassone 1988)
48. La paraphrase exacte par laquelle le topique est désigné ne joue pas un rôle décisif. Il n'est
pas inutile de préciser que le pronom vous renvoie à la fois à une partie du topique (raison
pour laquelle il est transcrit en gras) et à un point d'ancrage d'arrière-fond: « Simenon».
49. Pour une discussion plus détaillée de la progression à topiques dérivés et du rôle qu'y joue
la relation partie-tout, cf. Grobet (2000a).
50. Ou 1'« hyperthème», selon la terminologie traditionnelle.
107
L'organisation informationnelle
(2.43) Au cours du 1er siècle ap. J. c., un grec nommé Diogène écrit« Le périple
de la mer d'Etyrée », ...
Quelques siècles plus tard, les commerçants arabes et leurs scribes font
allusion aux activités qu'ils ont avec les habitants noirs du littoral. À partir
du IX e s., se produit de leur part une forte immigration ... (Combettes et
Tomassone 1988)
L'hypertopique est ici une entité abstraite, aux contours plutôt indistincts, infé-
rable à partir des topiques dérivés (verbalisés par au cours du r siècle ap. J-
e, quelques siècles plus tard, à partir du IX' s.). Si la principale différence en-
tre la progression à topiques dérivés et ses variantes réside, comme ces exem-
ples le montrent, dans le statut informationnel de l'hypertopique, il paraît
problématique de soutenir que la progression à topiques dérivés serait « pre-
mière» tandis que les autres n'en seraient que des « variantes ». Il me semble
au contraire que ces progressions doivent être situées au même niveau.
Cette proposition est étayée par le fait qu'il est possible d'analyser ces trois
progressions à l'aide des progressions linéaire et à topique constant, pour peu
que l'on tienne compte du fait que la continuité topicale ne repose pas néces-
sairement sur la répétition littérale du topique, mais qu'elle peut impliquer une
relation indirecte. Dubois le rappelle à juste titre :
51. Dans mes exemples, 1'hypertopique est situé avant les sous-topiques. Comme le montrent
les travaux d'Adam (1992) sur la description, l'hypertopique peut également apparaître à la
fin d'une description (Adam parle alors de reformulation).
52. Combettes & Tomassone décrivent la progression à thèmes dérivés de la manière suivante:
« pratiquement, les phrases successibles comportent des thèmes différents, sous-thèmes
d'un hyperthème, qui peut être ou ne pas être explicitement exprimé» (Combettes & To-
massone 1988 : 97).
108
Hypothèses de travail
In his discussion of the hierarchy of giveness, Danes indicates that giveness can be
direct and also indirect (semantic inference or implication) via hyponymy, hypero-
nomy, association, and the like. (Dubois 1987: 108)
(2.44) La population réagit de façon très variable: certains demandent qu'on les
photographie ... D'autres acceptent, moyennant un petit cadeau. Enfin,
beaucoup refusent catégoriquement. (Combettes et Tomassone 1988)
Les référents verbalisés par certains54 , d'autres et beaucoup ne sont pas liés
uniquement par leur appartenance à un même tout (l'ensemble de la« popula-
tion »), mais aussi par des relations « horizontales» découlant de la succession
de leurs évocations. Ces relations apparaissent dans l'impossibilité de permu-
ter ces éléments :
53. Cette description reste volontairement très sommaire. Voir le troisième chapitre (3.1) pour
une description plus détaillée de l'anaphore associative et d'autres références.
54. Kleiber (à paraître) souligne que le pronom indéfini certains a toujours un emploi partitif
(cf. aussi Benninger à paraître).
109
L'organisation informationnelle
(2.45)
[contexte: Jérôme Garein présente un film de Xavier Beauvois]
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1 certains qui ado-
rent 1 comme les Cahiers du Cinéma 1 qui parlent d'un grand film euh
intime 1. et à l'opposé. les lnrockuptibles 1. où j'ai pu lire Beauvois n'est
pas doué pour le cinéma 1. et . un grand film bête \\ <rires> (Le Masque et la
Plume)
(2.45')
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1
certains [avis très tranchés] qui adorent 1
(certains qui adorent) comme les Cahiers du Cinéma 1
qui [Cahiers du Cinéma] parlent d'un grand film euh intime 1.
(avis très tranchés 1 les Cahiers du Cinéma) et à l'opposé. les lnrockuptibles 1.
où [les Inrockuptibles] j'ai pu lire Beauvois n'est pas doué pour le cinéma 1.
(pas doué pour le Cinéma) et un grand film bête \\
L'hypertopique de cet exemple est formé par les « avis très tranchés dans la
presse cette semaine ». Deux sous-ensembles en sont extraits: le premier, acti-
vé par certains qui adorent, est lié par une progression à topique constant à
l'hypertopique, tandis que le second, activé par et à l'opposé. les Inrockupti-
hIes, enchaîne à la fois par une progression à topique constant sur l'hypertopi-
que (<< avis très tranchés dans la presse cette semaine») et par une progression
linéaire sur les «Cahiers du Cinéma », présentés comme représentatifs de
« ceux qui adorent le film de Xavier Beauvois ».
110
Hypothèses de travail
(2.46)
JG: un film dont on parle beaucoup cette semaine dans la presse 1
c'[un film] est N'oublie pas que tu vas mourir 1
le film de Xavier Beauvois avec ... 1
et qui [le film] a reçu au Festival de Cannes le prix du: jury Il
l'histoire [du film] est la suivante 1. (Le Masque et la Plume)
(2.47)
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1 certains qui ado-
rent 1 comme Les Cahiers du Cinéma 1 qui parlent d'un grand film euh
55. L'étude de la structure conceptuelle sera approfondie dans le sixième chapitre. Pour une
étude du rôle joué par notamment dans une telle structure, cf. Grobet (à paraître b).
56. Il est intéressant de constater que dans des analyses conduites séparément par E. Roulet,
É. Miche et moi-même, cet exemple a fait l'objet d'une même interprétation.
111
l'organisation informationnelle
57. Ces tests sont utilisés et/ou critiqués par un grand nombre d'auteurs, parmi lesquels Danes
(1974), Dressler (1974), CombeUes (1983), Rothenberg (1989: 148), Galmiche (1992),
Kleiber (1994a : 114), Tschida (1995).
112
Hypothèses de travail
Le test de l'interrogation, utilisé par exemple par Danes (1974 : 114-115), re-
pose sur l 'hypothèse que pour chaque phrase assertive, au moins une question
peut être posée58 : l'élément rhématique de la phrase correspond à l'élément
appelé par le mot interrogatif9. Par exemple, une phrase comme:
(2.48) Paul s'est entraîné pour les Jeux Olympiques l'été dernier à Grenoble.
(Rothenberg 1989)
Ce test a fait l'objet de plusieurs critiques qui montrent ses limites. Dressler
(1974 : 92) souligne par exemple que tous les énoncés ne sont pas nécessaire-
ment des réponses à des questions 6o . De plus, le genre de dialogue émergeant
de ces couples de questions-réponses est difficile à attester dans la réalité,
comme le relève également Galmiche (1992: 8). Par exemple, un dialogue
comme:
(2.49)
X : Qui a cassé cet ordinateur ?
Y: C'est Francis qui a cassé cet ordinateur
La validité de ce test est aussi limitée structurellement, par le fait qu'il n'est
pas possible d'interroger tous les éléments d'une proposition (verbes, éléments
contenus dans les subordonnées) (Tschida 1995 : 78). Enfin, ces interrogations
ne paraissent pas tant devoir être considérées comme des indications « objecti-
ves» du topique que comme des (re)constructions du contexte, qui présuppo-
sent déjà un repérage préalable de la structure informationnelle (Tschida
1995 : 79)61.
58. On trouve déjà chez Bally (1965 [1932] : 62) l'idée que« le thème est une sorte de question
dont le propos est la réponse », comme le rappelle Galmiche (1992 : 6).
59. «Generally speaking, we assume that it is possible to assign to any sentence (taken as a
grammatical unit) a set of wh-questions, representing ail possible types of context in which
the given sentence is applicable, and consequently, revealing ail possible FSP-structures
which it can acquire. » (Danes 1974 : 114-115)
60. Cf. aussi Galmiche (1992 : 8).
61. Galmiche observe lui aussi la circularité de la démarche: « Donc le dialogue pertinent est
celui qui révèle la propriété des phrases et il est construit en fonction de la propriété de ces
mêmes phrases. » (1992: 8).
113
L'organisation informationnelle
(2.50) Paul s'est entraîné pour les Jeux Olympiques (et non pas pour la Coupe
Davis).
(2.51) Paul ne s'est pas entraîné pour la Coupe Davis (mais pour les Jeux Olym-
piques).
où la négation de l'énoncé par et non pas ... ou et ne ... pas permet de mettre en
évidence l'élément rhématique. L'utilisation de ce test présuppose toutefois
aussi que l'élément rhématique ait déjà été repéré en fonction du contexte
(Tschida 1995 : 82). À cela s'ajoutent les problèmes liés à la portée de la néga-
tion, qui constituent en eux-mêmes un objet d'étude et qui rendent problémati-
que l'utilisation de ce test (Galmiche 1992 : 9).
Comme c'était le cas pour les précédents, ce test ne permet pas de déterminer
« objectivement» le topique, mais il permet au mieux d'expliciter une inter-
prétation préalable de la structure informationnelle. Ce type de paraphrase s'ap-
plique de manière privilégiée aux syntagmes nominaux (Galmiche 1992 : 10),
62. Comme celui de la négation, ce test est lié au fait que le topique s'inscrit dans la présuppo-
sition (au sens de Lambrecht), car la reformulation en à propos marque explicitement ce
statut présupposé (Lambrecht 1994: 152).
114
Hypothèses de travail
mais plus difficilement au prédicat. Il est néanmoins possible d'utiliser une pa-
raphrase comme 2.55 :
Enfin, il faut souligner que ce test, à la différence des deux précédents, ne per-
met pas uniquement de mettre en évidence un topique verbalisé dans l'énoncé,
mais qu'il peut également expliciter un topique implicite issu du contexte. Par
exemple, si 2.52 s'inscrit dans un contexte conversationnel précis (on parle de
maladresses), le topique implicite peut être celui qui est explicité en 2.56 :
De ces trois tests, c'est donc le dernier qui apparaît comme le plus intéressant
pour identifier le topique, et cela, dans un cadre de référence qui dépasse
l'énoncé. Toutefois, comme les deux précédents, ce test ne doit pas être consi-
déré comme un critère «objectif» permettant d'identifier le topique indépen-
damment du contexte et de la subjectivité de l'interprétant, mais bien plutôt
comme une manipulation heuristique, qui permet au mieux d'expliciter une in-
terprétation intuitive préexistante, voire de comparer deux interprétations dif-
férentes.
63. «Infonnation structure is realized phonologically by "tonality", the distribution of the text
into tone groups: one infonnation unit is realized as one tone group. » (Halliday 1967 :
199)
115
L'organisation informationnelle
Danon-Boileau et al. (1991) et Morel (1992a) relèvent que ce rhème peut être
suivi par un segment postrhématique caractérisé par une intonation basse et
plate64 .
What syntax does not code, prosody does, and what is not coded by prosody may
be expressed by morphology or 1exicon. (Lambrecht 1994 : 31)
64. Selon Danon-Boileau et al. : «l'intonation finale du thème est montante, celle du rhème est
variable, celle du postrhème est basse» (1991 : 115). Rossi (1985) décrit quant à lui le seg-
ment postrhématique comme un thème postposé.
65. Pour une tentative dans ce sens à partir du repérage des marques d'hésitation, voir Grobet
(1 997a):
66. Selon les conventions de Lambrecht, les petites majuscules signalent un accent.
116
Hypothèses de travail
Selon Sperber & Wilson (cf. Moeschler et al. 1994: 21-26), l'interprétation com-
porte au moins deux étapes: a) l'explicitation de la forme logique (comportant
principalement l'identification des référents) pour aboutir à la forme proposition-
nelle, et b) le mécanisme d'implicitation de la forme propositionnelle pour aboutir
à l'interprétation. Ce dernier mécanisme comporte nécessairement deux entrées,
d'une part la forme propositionnelle de l'énoncé, d'autre part les hypothèses con-
textuelles qu'il faut sélectionner, à l'aide du principe de pertinence, pour aboutir à
l'interprétation. (Roulet 1997c : 166)
(2.60)
voilà quinze jours que j'ai les places.
prémisse 1 information linguistique: voilà quinze jours que j'ai les places
prémisse 2 information référentielle: Philippe a rappelé à Marie-Noire à
(appelée par les) plusieurs reprises leur projet d'aller
au concert de JH du jeudi 25
conclusion interprétation : c'est l'information concernant les places
pour le concert de JH qui constitue le
point d'ancrage de l'objet de discours
« voilà quinze jours que j'ai»
117
L'organisation informationnelle
67. L'analyse de l'exemple cité s'accompagne néanmoins d'une brève note explicative: « Gro-
bet (1996: 77) rappelle que "dans un SN défini le a pour fonction, d'après Corblin, d'impo-
ser un domaine de référence dont les éléments sont manifestes à l'esprit de l'interlocuteur
(par exemple, lorsqu'ils ont été évoqués antérieurement) et d'en extraire un élément" »
(Roulet 1997c: 171).
118
Hypothèses de travail
68. Auchlin (1996a et b) souligne que la subjectivité est inhérente à l'interprétation du dis-
cours: « Il n'y a pas de discours sans une expérience subjective particulière et originale, qui
est déclenchée, contrainte et alimentée - médiatisée - par un "protocole linguistique pour
de virtuelles expériences subjectives"» (Auchlin 1996a: 335).
69. Une partie des exemples de ce corpus a été utilisée par d'autres linguistes genevois, notam-
ment dans le cadre du projet de recherche, dirigé par Eddy Roulet, sur les interrelations en-
tre les différents plans d'organisation des dialogues dans le cadre d'une approche
modulaire des structures du discours (Burger 1995, 1996 et 1997, Filliettaz 1996, 1999a et
à paraître, Grobet 1996c, 1997a, 1999b et c, 2001b, Miche 1997, Roulet 1991a, 1996,
1999b et c).
119
L'organisation informationnelle
70. Sans exclure le fait que les connecteurs puissent également, dans certaines situations, parti-
ciper au marquage du topique (Auchlin 1986), je ne les traiterai pas, car leur fonction pre-
mière n'est pas tant d'opérer un renvoi à une information déjà située en mémoire discursive
que de marquer une relation entre l'acte qu'ils introduisent et cette information (Rossari
1996,2000, Grobet 1996a et c, 1999a).
120
Partie Il
LES FACTEURS
LINGUISTIQUES
DE L'IDENTIFICATION .
DU TOPIQUE
Chapitre 3
LES MARQUES LEXICALES DU TOPIQUE
Afin de préciser l'angle d'attaque que j'adopterai pour l'étude des expressions
référentielles, il n'est pas inutile de rappeler la distinction entre l'approche tex-
tuelle et l'approche cognitive de l'anaphore proposée par Kleiber (1994a).
Le premier type d'approche évoqué par Kleiber saisit les expressions référen-
tielles anaphoriques à un niveau textuel. Par exemple, la définition de Ducrot
et Schaeffer est représentative de cette perspective :
Un segment de discours est dit anaphorique lorsqu'il fait allusion à un autre seg-
ment, bien détenniné, du même discours, sans lequel on ne saurait lui donner une
interprétation (même simplement littérale). (Ducrot & Schaeffer 1995 : 457)
123
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
que le tenne d'anaphore s'applique uniquement à une relation entre les expres-
sions: «l'anaphore est un rapport entre des expressions linguistiques et il
s'agit d'un rapport dissymétrique entre un tenne, dit en français anaphorique,
et un antécédent ou source» (Corblin 1995 : 31). Le rapport est dissymétrique
car il y a emprunt sémantique au tenne antécédent, qui « se comporte vérita-
blement comme source en fixant une composante de l'interprétation du tenne
anaphorique» (Corblin 1995 : 34).
1. Kleiber relève en outre différentes dénominations de cette mémoire immédiate, comme par
exemple mémoire discursive (Berrendonner 1983, 1990, Reichler-Béguelin 1988), univers
de discours chez Lyons, modèle contextuel chez Bosch (1985) et modèle du discours chez
Cornish (1990).
124
Les marques lexicales du topique
Il convient de préciser que dans une telle approche, le référent d'une expres-
sion anaphorique peut tirer son accessibilité d'éléments déjà présents dans le
texte ou la situation, mais également de processus inférentiels qui s'appuient
sur ces éléments. C'est le cas notamment dans les anaphores associatives3 . Un
exemple bien connu est discuté par Apothéloz (1995 : 40) :
125
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
village), et d'autre part, on observe malgré tout une certaine dépendance inter-
prétative entre l'expression anaphorique (l'église) et l'expression introductrice
(un village). On peut admettre avec Kleiber que l'anaphore associative fonc-
tionne par pointage sur des stéréotypes associés à l'antécédent qui pourraient
dans le cas présent être formulés ainsi: tout village a une église (Kleiber
1990a: 247).
(3.3)
B7: ah excusez-moi vous faites partie de la commission de l'allocation compen-
satrice
C8: oui
B9: ah bon. euh je voudrais savoir euh quels sont les critères qui vous f. qui
vous. qui obligent la commission au rejet
CIO: ah qui obligent euh oui enfin il y a des critères bien sûr pour [obtenir
BII : ouais
CI2 : en tout cas. hein. (Allocations)
Cet exemple a été traité par Reboul (1988-89, 1989) et par Kleiber (1994a :
61ss.). Reboul relève que le référent du pronom [' (c'est-à-dire 1'« allocation
compensatrice») n'est pas linguistiquement représenté dans le texte, mais
qu'il y apparaît en tant que composant du syntagme nominal complexe com-
mission de l'allocation compensatrice. Des inférences effectuées à partir de ce
syntagme nominal permettent d'interpréter le référent de l'. L'interprétation de
Kleiber est légèrement différente, dans la mesure où celui-ci conçoit le référent
(1'« allocation compensatrice ») comme issu d'une structure situationnelle
saillante pour C, qu'il glose par« (je sais que) vous m'interrogez sur ou me de-
mandez des informations sur l'allocation compensatrice» (Kleiber 1994a:
66). Il ressort de ce débat que l'identification du référent saillant par anaphore
associative ne soulève pas de difficulté particulière: Kleiber et Reboul attri-
buent tous deux le même référent (1'« allocation compensatrice») au pronom
['. En revanche, la détermination précise du processus inférentiel qui y conduit
semble nettement plus problématique lorsque l'on n'a pas simplement affaire à
un pointage sur une donnée de type stéréotypique.
126
Les marques lexicales du topique
la distribution des pronoms, ainsi que le relève Kleiber (1 994a)4. Par exemple,
pour ce dernier ainsi que pour Reichler-Béguelin, à qui est emprunté l'exemple
3.4, l'emploi situationnel de elle tient (devant de la neige) est acceptable, con-
trairement à son emploi textuel (Kleiber 1994a : 28) :
Dans les deux cas, le référent est identifiable, mais son origine (textuelle ou si-
tuationnelle) conditionne différents emplois du pronom, qui restent à expli-
quer5.
Les deux courants qui viennent d'être esquissés ne sont pas aussi exclusifs que
cette présentation le laisse entendre, car les opinions ne sont pas toujours aussi
tranchées:
4. Pour d'autres arguments et des exemples concernant l'analyse des syntagmes nominaux dé-
finis et démonstratifs, cf. Kleiber (1990a, 1990b).
5. Le même exemple est commenté de manière plus détaillée par Reboul. D'après elle, cet
exemple permet de « distinguer à l'intérieur de la notion générale d'acceptabilité, les deux
notions de grammaticalité et d'interprétabilité. En effet, si l'inacceptabilité de cet exemple
ne fait pas de doute, son interprétabilité, par contre, ne pose pas de problème» (l994b :
119). Kleiber (1997a : 181) précise en outre que cet exemple devient acceptable pour peu
que l'on change d'énonciateur (X: tu as vu ? Il neige, Y: oui, mais elle ne tiendra pas).
127
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
128
Les marques lexicales du topique
(3.5) ? Attention! L'insecte volant jaune et noir qui vient de te piquer revient!
plutôt que:
En effet, l'expression définie l'insecte volant jaune et noir qui vient de te pi-
quer paraît trop informative, par rapport à ce qui est requis par la situation9 . De
même, pour parler d'un oncle habitant en Amérique à son interlocuteur, un lo-
cuteur a intérêt à utiliser une forme pleine comme mon oncle Pierre d'Améri-
que, plutôt qu'un simple pronom il, dont le référent serait inaccessible à un
interlocuteur non informé :
3.2.1 L'accessibilité
La théorie de l'accessibilité d'Ariel (1990, 1991) repose sur une hypothèse for-
te, selon laquelle les expressions référentielles doivent être considérées avant
tout comme des marqueurs de l'accessibilité du référent:
9. Il convient toutefois de rappeler que les maximes peuvent aussi être exploitées par des
transgressions volontaires.
10. Moeschler & Reboul (1994a : 462) rappellent, à la suite de Kleiber (l990a), que le principe
d'implicature scalaire de Levinson (1983), qui constitue une application de la maxime de
quantité de Grice, peut lui aussi expliquer la hiérarchie d'accessibilité des expressions réfé-
rentielles.
129
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Prenant appui sur le principe de pertinence de Sperber & Wilson (1986), Ariel
classe les expressions référentielles en fonction de l'accessibilité des représen-
tations mentales auxquelles elles renvoient:
LOW ACCESSIBILITY
Ariel souligne que cette échelle d'accessibilité est à la fois universelle et arbi-
traire. Elle est universelle, car trois critères cognitifs translinguistiques inter-
viennent dans le codage des degrés d'accessibilité: premièrement, le degré
d'informativité; deuxièmement, la rigidité, qui permet de rendre compte des
noms propres et des pronoms de première et deuxième personnes; et troisiè-
mement, l'atténuation, proche de la «taille phonologique» de Giv6n (1983),
qui concerne par exemple la question de l'accentuation des pronoms. La com-
binaison de ces paramètres permet de prédire qu'une forme référentielle mar-
que une accessibilité d'autant plus basse que cette forme est informative,
rigide, et moins atténuée. À l'inverse, une forme indique une accessibilité
d'autant plus haute que cette forme est peu informative, peu rigide et fortement
atténuée. L'échelle d'accessibilité a également une facette arbitraire, car le sys-
tème des pronoms, par exemple, varie selon les langues au niveau de son im-
portance sur l'échelle d'accessibilité, de sa constitution (certaines formes
peuvent être absentes) et de son organisation. Seul l'ordre global prédit par
l'échelle d'accessibilité est invariant (Ariel 1991 : 451)11.
Il. Pour Reboul et Moeschler, une telle échelle n'a rien d'arbitraire : elle est universelle, car
elle est motivée par le principe de pertinence (1998 : 130).
130
Les marques lexicales du topique
(3.5) ? Attention! L'insecte volant jaune et noir qui vient de te piquer revient!
12. Pour une illustration de la différence d'accessibilité liée aux variations du nom propre, voir
chez Wiederspiel (1992) le commentaire des noms Charles Spencer, Charles, Chaplin,
Charlie.
13. Kleiber (1 990a) et Apothéloz (1995) formulent encore d'autres objections à l'encontre de la
théorie de l'.accessibilité. Voir aussi les critiques de Reboul & Moeschler (1998: 129ss.).
131
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.7)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP: depuis vingt ans \\
GS: oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP: décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts / (Apostrophes)
Cette brève discussion aura fait apparaître les limites de l'hypothèse selon la-
quelle les expressions référentielles doivent être perçues avant tout comme des
marqueurs d'accessibilité. Comme on vient de le voir, ces limites peuvent être
attribuées principalement à la trop faible prise en compte du contenu des ex-
pressions référentielles. Il est alors intéressant de se tourner vers l'approche
développée par Chafe (1994) et Lambrecht (1994), qui allie, aux notions
14. Une analyse de cet exemple est proposée dans Grobet (2001a).
132
Les marques lexicales du topique
3.2.2.1 L'identifiabilité
L'identifiabilité concerne, je le rappelle l5 , le statut d'un référent dans la con-
naissance des interlocuteurs: un référent est dit identifiable, si sa connaissance
est supposée partagée par l'interlocuteur et s'il est verbalisé comme tel (cf. la
notion de « sufficiently identifying language)) développée par Chafe 1994:
97ss.). La catégorie de l'identifiabilité permet de rendre compte du contraste
entre les expressions référentielles indéfinies (syntagme nominal ou pronom
indéfini) et les expressions définies (pronoms, syntagmes nominaux définis,
démonstratifs ou accompagnés de l'adjectif possessif)16. En simplifiant, on
peut dire que les premières permettent d'introduire des référents non identifia-
bles, comme c'est le cas pour le « loup )) dans 3.8 :
15. Cf. l'évocation de ces notions et de leurs variantes dans le premier chapitre (1.1.2.1).
16. La catégorie de l'identifiabilité s'applique, pour Chafe (1994) comme pour Lambrecht
(1994), au traitement des référents; elle n'est par conséquent pas pertinente pour le traite-
ment des syntagmes nominaux en usage attributif
17. Il faudrait préciser qu'il existe probablement plusieurs degrés d'identifiabilité, en s'ap-
puyant notamment sur l'exemple d'expressions référentielles comme l'une d'elles, qui as-
socient la définitude et l'indéfinitude (Lambrecht 1994 : 84).
133
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
indéfinis:
ou par des pronoms comme le pronom ça dans 3.12. Ces expressions référen-
tielles ne semblent pas être soumises au même titre que les expressions réfé-
rentielles désignant des référents non génériques au facteur de l'identifiabilité,
comme le relève Chafe :
134
Les marques lexicales du topique
That the referents of generic indefinite noun phrases must be considered identifia-
ble is confirmed by the fact that they may be anaphorically referred to either with
another indefinite NP or with a definite pronoun, without a clear difference in
interpretation. (Lambrecht 1994 : 82)
(3.13) Une flouve est une plante monocotylédone qui donne au foin son odeur par-
ticulière et agréable.
18. Lambrecht (1994: 93) relève que la syntaxe intervient également dans le marquage de
l'état d'activation, mais que cet aspect est plus difficile à démontrer.
135
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
For the most part, both new and accessible information are expressed with accen-
ted full noun phrases, whereas given information is expressed in a more attenuated
way. (Chafe 1994 : 75)
19. Comme le relève Lambrecht, la catégorie de l'accessibilité n'a pas de corrélation directe au
niveau du marquage morphologique ou phonologique: les référents accessibles peuvent
être codés comme des référents soit déjà actifs, soit antérieurement inactifs (Lambrecht
1994: 107).
20. « To sum up, while ACTIVE referents can be unambiguously marked as such, via absence of
prosodie prominence, or pronominal coding, or both, there is no corresponding unambi-
guous marking for the status INACTIVE, at least not via prosody or morphology. » (Lam-
brecht 1994 : 98-99)
136
Les marques lexicales du topique
référentielles est, dans une certaine mesure, lui aussi intégré à la discussion.
Deuxièmement, il est tenu compte de différents facteurs (présence dans les
connaissances générales des interlocuteurs, accessibilité dans le discours im-
médiat, etc.) qui peuvent participer à la motivation du choix d'une expression
référentielle.
3.2.3 Discussion
Parce que l'approche de Chafe (1994) et de Lambrecht (1994) paraît particu-
lièrement prometteuse, je la mettrai en relation avec les notions de point d'an-
crage et de topique, propres à l'organisation informationnelle, afin d'en faire
apparaître les apports et les limites au niveau de l'identification de la structure
informationnelle.
Les points d'ancrage d'arrière-fond ont tendance à être marqués par des syntag-
mes nominaux définis, ou par toute autre expression référentielle caractérisant les
référents identifiables. Les topiques ont tendance à être marqués par des syntag-
mes nominaux définis ou par des formes pronominales non accentuées, comme
c'est le cas pour les référents déjà actifs.
Cette hypothèse résume les propositions qui viennent d'être rappelées, tout en
les mettant en relation avec les notions de point d'ancrage d'arrière-fond et de
topique. Il est nécessaire de se limiter à la constatation d'une « tendance », car
rien ne confirme encore cette proposition.
(3.14)
BP: oui mais enfin. vous êtes / excusez-moi l'expression / vous êtes un : vous
êtes un drôle de lascar avec les femmes \ parce que vraiment vous êtes
137
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Le référent désigné par les femmes est identifiable, parce qu'il s'agit d'un en-
semble général dont la connaissance est nécessairement partagée; la « première
femme de G. Simenon» désignée par votre première femme, est elle aussi né-
cessairement identifiable pour G. Simenon. Ces deux référents constituent des
points d'ancrage d'arrière-fond et non des topiques: le référent formé par les
« femmes» constitue en effet un topique moins plausible, si l'on applique le
test de la paraphrase: « à propos des femmes, G. Simenon est un drôle de las-
car avec elles ». « G. Simenon », ou plutôt son « comportement» (auquel ren-
voie vous êtes) semble constituer un topique plus pertinent, comme le montre
la paraphrase suivante: « à propos de votre comportement, vous êtes un drôle
de lascar avec les femmes ». De manière similaire, le référent évoqué par votre
première femme constitue un point d'ancrage d'arrière-fond par rapport au to-
pique formé par l'information qui vient d'être activée, à savoir l'assertion se-
lon laquelle Simenon est l'infidèle total (<< à propos du fait que vous êtes
1'infidèle total, il y a tout de même votre première femme »). Dans
l'exemple 3.14, les référents identifiables correspondent donc à des points
d'ancrage d'arrière-fond.
(3.15)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a .21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: -+ c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Forum)
Le référent activé par mon impression est verbalisé dans un premier temps
comme un référent identifiable par une forme pleine: il ne s'agit encore que
d'un point d'ancrage d'arrière-fond. Ce référent est ensuite marqué par le pro-
nom elle, en même temps qu'il fonctionne comme topique (<< à propos de mon
impression, elle vaut ce qu'elle vaut »). Ensuite, ce même référent est repris
par les pronoms ça et ce. Des exemples comme 3.14 et 3.15 tendent ainsi à
confirmer l'hypothèse d'une tendance à la correspondance entre type de point
d'ancrage (d'arrière-fond ou immédiat) et formes linguistiques.
138
Les marques lexicales du topique
Cependant, ces mêmes exemples recèlent également des éléments qui témoi-
gnent du caractère non systématique de cette tendance. Ainsi, certains points
d'ancrage d'arrière-fond sont verbalisés par des formes pronominales. C'est le
cas des points d'ancrage marqués par les formes de première et deuxième per-
sonnes qui apparaissent dans ces deux exemples (je, vous, mon). À cela, il est
toutefois possible de répondre que les pronoms de première et deuxième per-
sonnes, par leur appartenance à la deixis, se distinguent nettement des autres
pronoms (Kleiber 1986c, 1997a, Morel & Danon-Boileau éds 1992)21. Et de
fait, on voit mal comment, dans un dialogue, la distribution « expression indé-
finie - expression définie - pronom» pourrait s'appliquer au niveau de la dési-
gnation du locuteur et de son interlocuteur.
(3.16)
Je: on souhaiterait presque euh ... la chose qu'on n'sait pas / <acc.> c'est-à-dire
la f ... la faute qu'il a pu commettre un jour \ ...
MM : de véritable
Je: non. vous n'la cherchez pas dans ... dans ... <rire>
MM : de véritable faute / je n'pense pas
Je: mhm/
MM: qu'il ait pu commettre / parce que ce n'était pas dans ... ça ce n'était pas
possible \ . (Radioscopie)
21. Plus précisément, ces pronoms sont décrits par Kleiber comme des symboles indexicaux
transparents, car ils renvoient à leur référent par un lien direct: « le référent de je est celui
qui au moment de l'énonciation de je et à l'endroit où s'énonceje prononce je (c'est, évi-
demment dire que je = la personne qui dit je) ; le référent de tu est celui qui au moment et à
l'endroit de l'énonciation de tu est l'allocutaire (ou celui à qui on dit tu) » (Kleiber
1986c : 20).
139
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.17)
De: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh : ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / alors les gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j' crois qu' ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\ (Forum)
22. Cette absence de correspondance est également apparue dans une étude empirique quantita-
tive menée sur des dialogues extraits du corpus Schmale-Buton & Schmale (1984) dans le
cadre d'un mémoire de DES (Grobet 1996c).
23. Voir par exemple, le rôle sur le choix des expressions référentielles de la structure textuelle
(Downing 1980, 1996, Ford & Fox 1996, Fox 1996, Tao 1996), de la présence d'une sé-
quence narrative (Chafe 1980, Clancy 1980, Combettes 1992a, Kibrik 1996) ou procédura-
le (Boucheix & Fayol 1997), du genre de texte (de Weck 1986-87), des frontières de
paragraphes (Arabyan 1994, Hofman 1989) et des aspects sociaux de l'interaction (Pekarek
1999).
140
Les marques lexicales du topique
Le même syntagme nominal indéfini des gens est utilisé pour désigner, pre-
mièrement, les « gens surpris par le fonctionnement du monde politique », et
deuxièmement, les « participants du monde politique» (auxquels renvoie éga-
lement le pronom ils). En utilisant ensuite un syntagme nominal défini (alors
les gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là) le locuteur opère en
quelque sorte un «saut référentiel»: cette expression renvoie au premier
groupe de personnes désignées par des gens (c'est-à-dire ceux qui sont sur-
pris), et cela indépendamment du deuxième groupe de « gens» appartenant au
monde politique.
(3.17')
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh : ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / -+ alors ces gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-
là / mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une
idée et non pas contre une personne \\
(3.17")
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / -+ alors ils arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j' crois qu' ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\
L'interprétation de ces deux exemples modifiés paraît plus coûteuse que celle
de l'original, car on y observe des effets contradictoires : le syntagme nominal
démonstratif et le pronom ils renvoient a priori aux «participants du monde
politique », tandis que le connecteur alors et le prédicat de la phrase-hôte
141
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
142
Les marques lexicales du topique
3.3 Le pronom il
L'analyse du pronom personnel clitique il constitue un point de départ particu-
lièrement intéressant pour une étude du marquage lexical du topique, car ce
pronom lui est généralement associé, comme le relève Kleiber : « quelles que
soient les définitions et conceptions du thème et du topic discursif, si on les ap-
plique au pronom anaphorique il, elles en font toutes un marqueur de continui-
té thématique» (Kleiber 1994a: 110). En effet, par son contenu descriptif
particulièrement ténu, le pronom il constitue une marque caractéristique de
l'information «déjà connue» ou «porteuse du plus bas degré de dynamisme
communicatif» ; pour la même raison, il renvoie généralement au topique dé-
fini comme « ce dont on parle» ou comme le « point de départ de l'énoncé »25.
Par conséquent, tout porte à croire que le pronom il constitue également, dans
le cadre de la présente approche, une marque privilégiée des points d'ancrage,
et en particulier, du topique.
Pour vérifier cette hypothèse, je m'appuierai sur l'étude très détaillée du pro-
nom personnel clitique il menée par Kleiber (1994a), qui rejette les concep-
tions traditionnelles selon lesquelles le pronom il serait un marqueur
référentiel privé de sens et contrôlé par son antécédent26 . Il défend au contraire
la thèse que le pronom il constitue un marqueur référentiel original, « qui a ses
propriétés identificatoires propres, non réductibles à celles des autres types de
marqueurs qui lui sont proches» (1994a : 41). Kleiber reconnaît donc un con-
tenu sémantique propre à il, qui, bien qu'apparemment ténu, lui permet d'ac-
complir sa tâche référentielle. Ce contenu s'articule en deux composantes : des
propriétés descriptives (ou lexicales), ainsi que des instructions référentielles
qui jouent un rôle déterminant dans la manière d'identifier le référent du pro-
nom.
25. Voir les principales définitions du topique rappelées dans le premier chapitre (1.1.2). Cette
caractérisation ne concerne naturellement pas le il impersonnel.
26. Cette conception serait grosso modo défendue par les approches substitutives et antécéden-
tistes discutées par Kleiber (1994a: 44-54) et résumées par Apothéloz (1995: 107-110).
143
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Dans le premier de ces exemples, ils renvoie à l'ensemble des membres hu-
mains du groupe constitué par le personnel de l'hôpital. Il s'agit d'un ils col-
lectif qui ne nécessite pas, pour être interprété, la récupération d'un référent
particulier27 . Dans l'exemple suivant, ils ne renvoie pas à un référent humain:
l'emploi de ils n'est pas acceptable, car le nom du référent n'est pas récupéra-
ble ; par contre, dans le troisième exemple, le référent a été nommé et l'emploi
de ils est possible. Kleiber explique l'opposition humain / non humain en ter-
mes de classification : un référent humain est classifié par avance comme ap-
partenant à la catégorie « humain », tandis qu'un référent non humain n'est pas
27. Kleiber consacre un chapitre à la description du ils dit collectif, qu'il caractérise entre autres
par un genre et un nombre toujours masculin pluriel, ainsi que par un référent constitué par
« la totalité des membres humains, non actuels, d'un groupe spécifique» (l994a: 174).
144
Les marques lexicales du topique
classifié tant que son nom n'est pas récupérable. La propriété sémantique du
pronom il de renvoyer à un référent classifié explique ainsi pourquoi il faut ré-
cupérer un nom avec des référents non humains (non classifiés par avance), et
pas avec des référents humains (déjà classifiés).
Pour décrire les instructions référentielles liées au pronom il, Kleiber s'appuie
sur la notion de saillance, qu'il applique non pas à un référent isolé, mais à la
situation28 dans laquelle est impliqué le référent. Le sens de il donne l'indica-
tion de chercher le référent dans une situation qui répond aux conditions sui-
vantes:
Dans cet exemple, la saillance du référent n'est pas acquise par la seule percep-
tion de l'homme qui marche; pour que cette perception soit pertinente, il faut
que l'homme soit cognitivement saillant: « l'élément décisif ici est que locu-
teur et interlocuteur connaissent déjà le référent. La situation saillante réside
donc ici dans le passage d'une connaissance commune» (Kleiber 1994a : 84).
28. Kleiber (l994a) emploie aussi les termes de « proposition» (82), ou de « structuration»
(86) ; le concept de « situation» me paraît néanmoins assez difficile à cerner.
145
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.22)
X : je ne [ai pas vu depuis des mois
y : tu le connais ? Qui est-ce ?
Le critère de la proximité est souvent pertinent, mais il n'est pas toujours suffi-
sant pour trouver l'antécédent de il. Il en va de même pour le deuxième critère,
qui est celui de la fonction syntaxique :
146
Les marques lexicales du topique
Dans les cas potentiellement ambigus, un quatrième critère, qui fait intervenir
le contenu de la phrase-hôte de il ainsi que la théorie de la pertinence, permet
de retrouver l'antécédent du pronom. Dans un exemple comme :
Le pronom il peut renvoyer à Fred, qui est le plus saillant si l'on se base sur le
critère syntaxique, ou au manteau, qui est le plus saillant si l'on se base sur le
critère de la proximité. D'après Kleiber, il est plus pertinent d'interpréter le
pronom il comme renvoyant au manteau plutôt qu'à Fred, car :
il est clair que l'interprétation il = Fred est un « contexte» moins accessible que
l'interprétation il = son manteau, dans la mesure où il nécessite en effet des cal-
culs inférentiels plus grands que l'autre solution, et ce, pour un effet cognitifrela-
tivement similaire. (Kleiber 1994a : 86, note 41)
(3.24)
JC: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1
MM: oui =
JC: vous pensez qu'il l'a été. Il
30. Cet extrait a été partiellement analysé dans le chapitre précédent en 2.2. (exemple 2.20).
147
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
MM : par moments / euh : certainement i! a : i! a été heureux / . j' crois qu'i! a été
heureux dans sa vie. littéraire / (e) qu'i! a eu de grandes joies / .. euh dans
sa vie privée / i! a eu : . s sa part de . de difficultés et de malheurs / euh ..
euh: . j je n'sais pas si dans l'ensemble on peut qualifier sa vie de : .. de vie
heureuse / <acc.> quand i! a voulu écrire euh: ses: .. ses mémoires aux
États-Unis pendant la guerre / i! euh .. i! avait choisi un titre / euh .. q . qu'je
n'sais plus exactement / enfin c'était. quelque chose comme Une vie diffi-
cile <acc.> (ou j'sais pas bien) / et on lui a dit / mais enfin c'est c'est vous
n'avez pas l'droit d'écrire ça / vous qui dès l'premier livre avez eu du succès
etcetera / .. et alors en effet / i! n'l'a pas / e i! n'l'a pas \ .. i! ne se considérait
pas comme un homme qui avait été parfaitement heureux \\ (Radioscopie)
(3.25)
ÉZ: . et Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple / donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça /
elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / elle a
pas besoin des autres Élodie \ . elle a besoin de deux trois choses /. mais
c'est tout \\ (Le Masque et la Plume)
(3.26)
CT: ça rappelle que c'est du direct / ça rappelle que les journalistes / euh ben ils
sont des gens comme tout le monde / ils se trompent / ils commettent des
erreurs / c'est c'est la vie / on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée / c'est la vie / moi j'trouve ça très bien / au contraire \\
(Forum)
148
Les marques lexicales du topique
(3.27)
JC: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1
MM :oui=
JC: vous pensez qu'i! l'a été. Il
Deux éléments peuvent être retenus de cet examen du rôle du pronom il dans le
marquage des points d'ancrage. D'une part, ce pronom fonctionne effective-
ment dans la plupart des cas comme la marque d'un point d'ancrage. D'autre
part, contrairement à l'idée largement répandue selon laquelle le pronom il
constitue toujours une marque du topique, ce pronom peut aussi désigner des
référents saillants à l'arrière-fond du dialogue, mais qui ne constituent pas les
points d'ancrage les plus immédiatement pertinents dans l'enchaînement des
propos. Ce bref parcours montre déjà que l'identification du topique ne peut
reposer uniquement sur une marque comme le pronom il et qu'elle devra pren-
dre en considération d'autres facteurs syntaxiques et discursifs.
31. Pour une justification de cette interprétation, voir le deuxième chapitre (2.2.1).
149
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
32. Ceci, cela et ça sont généralement classés parmi les pronoms démonstratifs. Cependant,
Corblin (1995) et Maillard (1987) s'accordent pour considérer que ni ceci / cela, ni ça ne
sont des pronoms démonstratifs. Tout en reconnaissant le bien fondé de leurs prises de posi-
tion, je n'insisterai pas sur cet aspect grammatical, qui ne concerne pas directement les ca-
ractéristiques sémantiques de ceci, cela et ça sur lesquelles porte cette étude. Pour
simplifier la terminologie, je ne renoncerai donc pas à l'emploi du terme de« pronom ».
33. Pour une analyse détaillée de l'opposition ceci / cela, je renvoie à Corblin (1995 : 81-100).
34. L'analyse du pronom ça peut également, jusqu'à un certain point, être utilisée pour rendre
compte du pronom ce (Kleiber 1998a). Cf. Moeschler & Reboul (1994b) pour une discus-
sion spécifique du rôle de ce dans les phrases copulatives avec sujet pronominal.
150
Les marques lexicales du topique
Comme je l'ai fait pour le pronom il, j'adopterai, pour l'analyse du pronom ça,
1'hypothèse selon laquelle le contenu sémantique de ce pronom est formé
d'une part d'un sens descriptif auquel renvoient les marques de genre et de
nombre, et d'autre part d'instructions référentielles (Kleiber 1998a et b)38.
35. Corblin (1995: 108) envisage la réanalyse de certaines constructions disloquées en« quasi-
impersonnelles» (ça y serait un sujet non référentiel), mais il considère le phénomène com-
me local.
36. «Autrement dit, ça laisserait totalement ouverte la catégorisation possible du réel auquel il
s'applique (animé, non animé, objet, procès, situation, individu, groupe, masse, etc.), tout
comme il n'implique pas une délimitation précise du référent dans la situation englobante. »
(Corblin 1995 : 104)
37. Un autre aspect que je laisserai de côté est lié à la grammaticalisation et aux multiples fonc-
tions de ça. Maillard relève que lorsque ça est associé à certains items grammaticaux inva-
riables (prépositions, conjonctions, adverbes), il en vient à perdre son autonomie «pour
n'être plus qu'un simple adjonctif intégré à des locutions adverbiales ou holophrastiques
passablement figées» (1987 : 332). Lorsque ça est précédé par des prépositions comme
avec, pour, comme, le syntagme remplit une fonction de connecteur. Accompagné d'interro-
gatifs adverbiaux ou pronominaux (où ça? quand ça ?), ça n'est plus qu'une particule de
renforcement supprimable.
38. Je n'évoquerai pas l'approche sensiblement différente proposée par Cadiot (1992), qui con-
sidère que les démonstratifs ça et ce saisissent leur référent en relation avec l'expérience
qu'en fait le locuteur.
151
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.29) Paul lui donna du chocolat, une poire et un canif et lui dit: « Prends et
mets-le dans ta poche! ». (Kleiber 1998a)
Kleiber décrit en outre le pronom ça comme porteur du genre masculin par dé-
faut, qui implique la catégorie nominale pour le référent visé (Kleiber 1998a :
214, 1998b : 105). Le référent visé par ça n'est pas pour autant nécessairement
porteur d'un nom. Kleiber reprend la thèse défendue par Maillard (1987) et par
Corblin (1995), selon laquelle ça se caractérise par un contenu nominal indis-
tinct4o . Plus précisément, en s'appuyant sur un rapprochement avec le substan-
tif chose, Kleiber développe l'idée que le pronom ça a pour fonction, du fait de
son genre invariable, d'appréhender son référent comme une entité non nom-
mée et donc non classifiée, c'est-à-dire comme une « chose ». Le pronom ça a
donc une fonction référentielle complémentaire à celle de il qui, étant de genre
variable, appréhende nécessairement son référent comme étant nommé et clas-
sifié.
Du fait qu'il renvoie à une entité non classifiée, le pronom ça peut renvoyer à
des référents propositionnels :
39. Il est possible d'établir un rapprochement entre le nombre singulier que Kleiber attribue au
pronom ça et le fonctionnement souvent résomptif ou totalisant de ce pronom relevé par
Maillard (1987).
40. Corblin appuie son analyse sur certains développements de la Logique de Port-Royal
(1683). La signification de ceci (hoc) y est conçue comme « une idée confuse, qui quoique
jointe à des idées plus distinctes demeure toujours confuse» (cité par Corblin, 1995: 85).
Ceci se caractérise donc par une signification invariante et non spécifiée. À partir de là,
Corblin développe la thèse que ceci et cela se caractérisent par un contenu nominal indis-
tinct.
152
Les marques lexicales du topique
(3.30) Elle l'a giflé. n'a pas surpris Bernard. (Kleiber 1998a)
La reprise par ça est neutre lorsque les personnes auxquelles elle renvoie ne
sont pas encore identifiées; il n'en va pas de même dans les énoncés où ça
renvoie à un référent déjà classifié par son nom. Par exemple, ma mère, c'est
ça peut produire un effet péjoratif, d'après Maillard, parce que ça paraît « dé-
classifiant dans un tel contexte» (1987 : 329). Cette valeur péjorative apparaît
lorsque la commutation avec le pronom il est possible, mais elle n'est pas né-
cessairement perçue comme telle par les interlocuteurs41 .
Le fait que le pronom ça renvoie à une entité non nommée le rend en outre par-
ticulièrement apte à désigner des référents génériques, comme cela a déjà été
maintes fois relevé, en particulier à propos de certains énoncés à sujet détaché
tels que:
41. Reste que cette hypothèse rend moins facilement compte d'un exemple comme: et Paul, ça
va ? De tels exemples, rares dans mon corpus mais plus fréquents dans les publicités citées
par Maillard, pourraient être liés, comme le suggère ce linguiste, à la présence de certains
verbes (Maillard 1987 : 49).
42. Pour un état de la question détaillé des différentes propositions qui visent à rendre compte
du ça, et en particulier du ça générique, je renvoie à Kleiber (1998a).
153
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
En tant que référent générique, il se trouve appréhendé comme une entité non
nommée, comme une occurrence immédiate des choses et appelle donc le mar-
queur ça comme désignateur dans ce type de situation. (Kleiber 1994a : 76)
Cette procédure de désignation déictique, qui peut être rapprochée d'un geste
de pointage sur un élément visant à attirer l'attention de l'interlocuteur, a pour
corollaire cognitif la mise en relief d'un élément nouveau:
43. Il relève toutefois dans une note que la situation n'est pas entièrement claire et qu'elle méri-
te d'être approfondie (1998a: 221, note 43).
154
Les marques lexicales du topique
Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problèmes et que l'usage pour introduire un
nouveau référent se résout au classique emploi ostensif pour désigner la chose que
l'on a sous les yeux. (1998a: 223, note 45)
(3.35)
[devant un ordinateur qui refuse de s'allumer]
X: marche pas !
Quelle que soit l'interprétation choisie, Kleiber laisse entendre que le pronom
ça peut fonctionner comme introducteur de référent nouveau. Sans exclure un
tel cas de figure, il me semble pourtant que l'on est en droit de relativiser son
importance. Et cela, pour la raison suivante : le contenu descriptif de ça est
155
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.15)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: ..... c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Forum)
156
Les marques lexicales du topique
Dans un tel exemple, les pronoms démonstratifs (ça et ce) semblent alterner li-
brement avec le pronom elle pour renvoyer au référent introduit par mon im-
pression, qui fonctionne comme un point d'ancrage, en l'occurrence immédiat.
Indépendamment de la différence existant entre les pronoms démonstratifs et
le pronom elle au niveau de leurs instructions référentielles, ces expressions ré-
férentielles semblent avoir une fonction similaire au niveau de la structure in-
formationnelle.
Une telle observation ne revient toutefois pas à postuler une équivalence totale
entre les deux formes. Même lorsque toutes deux fonctionnent comme traces
de point d'ancrage, le pronom ça se distingue du pronom il avant tout par son
contenu descriptif, qui lui permet de renvoyer de manière privilégiée à l'indis-
tinct et au non nommé, contrairement au pronom il, qui saisit les référents dans
la continuité référentielle de leur désignation. Cette caractéristique apparaît
distinctement dans l'exemple 3.36 :
(3.36)
[contexte: B. Pivot cherche à faire admettre à G. Simenon qu'il a eu un
comportement cruel avec les femmes qu'il a connues, et avec D. (Denise)
en particulier]
BP: le votre de passé 1 il était pas (X)
GS: (oui) je sais 1 mais n'oubliez pas que ça se passait. à une époque qui n'était
pas la nôtre 1 n'oubliez pas que ça se passait. il Y a maintenant: pardon \
c'était en 19451 alors voyez ça fait 1
BP: alors on était un peu macho à c'moment-là Il
GS: en 45 en 451 on n'avait pas la même mentalité vis-à-vis des femmes 1 et en
451. on espérait encore épouser une vierge 1eh: c'est tout à fait différent de
la mentalité d'aujourd'hui 1 -+ aujourd'hui m'paraît monstrueux \
BP: -+ vous paraît monstrueux \\
GS: oui Il
BP: -+ mais est-ce que votre comportement vous paraît monstrueux
aujourd'hui \\
GS: euh: oui 1 -+ mais i! était tout à fait explicable étant donné les idées de
l'époque Il .. tout à fait normal selon les idées de l'époque Il. (Apostrophes)
Cet exemple suit une brève narration de la relation entre G. Simenon et D. par
B. Pivot, dont l'objectif est de faire reconnaître à G. Simenon qu'il a eu un
comportement cruel avec les femmes. Dans l'énoncé: aujourd'hui ça m'paraît
monstrueux, l'emploi du pronom ça permet à G. Simenon d'exprimer une opi-
nion qui répond aux attentes de B. Pivot, sans avoir à préciser exactement ce
qui lui paraît monstrueux: son comportement en particulier, ou la mentalité
vis-à-vis des femmes que l'on avait en 45. L'ambiguïté persiste, ce que montre
l'intervention ultérieure de B. Pivot dans laquelle ce dernier explicite sa ques-
tion : mais est-ce que votre comportement vous paraît monstrueux aujourd 'hui.
157
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Une fois le référent nommé, classifié, c'est par le pronom il, et non plus par le
pronom ça, que G. Simenon va y faire référence.
Ces deux exemples tendent à étayer l 'hypothèse selon laquelle le pronom ça, à
l'instar du pronom il, aurait essentiellement pour vocation de marquer un réfé-
rent identifiable fonctionnant comme un point d'ancrage, mais en le saisissant
comme un référent non nommé. On peut cependant se demander si la partie
instructionnelle du pronom ça ne le distingue pas plus nettement du pronom il,
dans la mesure où elle est associée à une exigence de nouveauté. Cette nou-
veauté pourrait être mise en relation avec une différence au niveau de l'état
d'activation du référent.
Une telle piste semble a priori séduisante. En effet, certains exemples, qui font
intervenir un marquage syntaxique particulier, paraissent accréditer l'idée que
le pronom ça peut marquer une information nouvellement activée. C'est le cas
dans une structure clivée telle que :
(3.38)
DC: je crois que l'élément essentiel qu'apporte le débat / c'est c'est qu'il met un
sujet. sous des perspectives différentes / il montre. qu'un sujet / c'est une
chose complexe / qu'on peut le voir sous des angles différents / (Forum)
(3.39)
CT: alors il est certain qu'un débat à la radio ou à la télévision ne bouleverse pas
l'opinion des gens / mais fait avancer l'information / et je le rappelle
rappelle cette question fondamentale que la politique / c'est un débat
d'idées \\
CM: mais est-ce que fait forcément avancer les choses //
CT: je ne dirais pas que fait vraiment avancer les choses \ (Forum)
158
Les marques lexicales du topique
Après avoir étudié le rôle du pronom ça dans le marquage des points d'ancrage
en général, je me propose d'examiner le rôle de ce pronom dans le marquage
du topique. L'observation des exemples impliquant ce pronom semble d'em-
blée significative: dans la grande majorité des cas, le pronom ça renvoie à un
référent interprétable comme topique. Ainsi, dans l'exemple 3.15 :
(3.15)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Fornm / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: -+ c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Fornm)
Le référent activé par mon impression, d'abord repris par le pronom il puis par
les démonstratifs, peut être interprété comme le topique, car c'est lui qui cons-
titue l'information la plus immédiatement pertinente à propos de laquelle les
actes successifs ajoutent de l'information. De manière similaire, dans 3.39 :
(3.39)
CT: alors il est certain qu'un débat à la radio ou à la télévision ne bouleverse pas
l'opinion des gens / mais fait avancer l'information / et je le rappelle
159
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Avant d'aller plus loin, il convient d'évoquer les limites de cette hypothèse, car
le pronom ça peut s'inscrire dans le cadre d'une reprise plus large qui renvoie
au topique. C'est ce qui se passe pour le dernier acte de l'exemple 3.39 que je
reprends en 3.40 :
(3.40)
CM: mais est-ce que fait forcément avancer les choses Il
CT: je ne dirais pas que ça fait vraiment avancer les choses \
(3.41 )
BP: ah oui d'accord 1 mais vous avez été très cruel à ce moment-là 1 vous lui
avez dit mais je te trompe. pratiquement chaque jour depuis vingt ans et
parfois plusieurs fois par jour \\
GS: mais oui 1 mais je lui je lui ai dit ça justement pour que. elle comprenne
que. elle ne devait pas porter. toute sa haine sur Boule 1 (Apostrophes)
G. Simenon reprend les propos de son interlocuteur (par je lui ai dit ça) qui
peuvent être interprétés comme un topique propositionnel; le pronom ça ne
renvoie qu'à une partie de ce topique. Il n'est donc pas possible de soutenir
que le pronom ça renvoie nécessairement directement au topique, mais tout au
plus qu'il en constitue une marque privilégiée.
46. Pour le traitement du discours rapporté et des reprises diaphoniques, cf. Roulet (1993,
1997c et d, 1999b et c), Perrin (1995,1996 et 1999), Miche (1995,1997) ainsi que Vincent
& Dubois (1997).
160
Les marques lexicales du topique
Deux éléments peuvent être évoqués pour étayer cette proposition. Première-
ment, on peut rappeler que le pronom ça, par son contenu descriptif impliquant
un genre masculin par défaut, renvoie aux référents non nommés, non classés.
Il est de ce fait fréquemment utilisé pour marquer un ancrage linéaire sur un ré-
férent propositionnel qui vient d'être activé. C'est le cas dans les exemples sui-
vants, dans lesquels le topique est restitué entre crochets :
(3.42)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / [avoir des colères] ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
(Apostrophes)
(3.43)
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / .. [qu'il ait été un mari
parfait] je . je n'pense pas ./ (Radioscopie)
On peut relever que le pronom ça peut être supprimé sans entraver l'identifica-
tion du topique de ces exemples :
(3.42')
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / plus depuis vingt ans \\
(3.43 ')
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un. un mari parfait / .. je . je n'pense pas ./
Ces ancrages linéaires, qu'ils soient marqués ou non, constituent une progres-
sion informationnelle particulièrement fréquenté 7 • Comme le pronom ça per-
met précisément de marquer de tels ancrages, on comprend pourquoi il renvoie
souvent à un topique.
161
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
48. Cf. Theissen (1997) pour une étude approfondie de l'anaphore infidèle, ainsi que le débat
entre d'un côté Apothéloz & Reichler-Béguelin (1995), et de l'autre, Charolles (1997) et
Schnedecker (1997 : 26ss.).
162
Les marques lexicales du topique
comme par ex. les archives seront vendues le 3 mars... la vente) ou infidèles
(par ex. les archives seront vendues le 3 mars ... cette arnaque) (Apothéloz &
Chanet 1997).
49. Ces quelques noms ne reflètent que la pointe de l'iceberg. Pour d'autres références, voir la
bibliographie richement documentée de Kolde (1996).
163
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Selon cette description, le syntagme nominal défini saisit indirectement son ré-
férent dans les circonstances d'évaluation souvent tracées par l'énoncé qui pré-
cède; Kleiber précise la notion de circonstances d'évaluation de la manière
suivante:
Par circonstances, on entend indiquer les conditions, qui pour un référent donné
peuvent être changeantes, qui font que le référent visé soit le seul objet du type
correspondant à la description utilisée. Le terme d'évaluation, parce qu'il impli-
que la notion de vérité et de calcul, peut rebuter le cognitiviste, mais il ne s'agit en
fait de rien d'autre que de souligner que la description est vraie pour l'interlocu-
teur dans les circonstances qui assurent l'unicité du référent comme étant le tel-et-
te/. L'idée est que, dans la circonstance qui s'avère pertinente, il y a un et un seul N
est tenue pour vraie par l'interlocuteur. (Kleiber 1990b : 211)
50. Corblin (1995) défend quant à lui l'hypothèse d'un fonctionnement anaphorique lexical
pour le SN défini et positionnel pour le démonstratif. Dans le SN défini, l'article a pour ef-
fet d'imposer un domaine de référence dont les individus sont manifestes (par exemple,
lorsqu'ils ont été évoqués antérieurement) et il en extrait un individu. En revanche, l'adjectif
164
Les marques lexicales du topique
(3.52) Un avion s'est écrasé hier. L'avion venait de Miami. (Kleiber 1986a)
(3.53) Un avion s'est écrasé hier. Cet avion venait de Miami. (Kleiber 1986a)
(3.54) Un avion s'est écrasé hier. Cet avion relie habituellement Miami à New
York. (Kleiber 1986a)
Il apparaît ainsi que pour être évaluée positivement, la re-saisie du référent par
le SN démonstratif doit être motivée par le développement discursif, que ce
soit par un décrochement comme en 3.54, par l'exploitation de la valeur de
contraste interne du SN démonstratif (Corblin 1995: 70-71), par un change-
ment de point de vue (Marandin 1988), par un passage du récit au discours
(Reichler-Béguelin 1988), ou par un segment polyphonique (Apothéloz 1995).
démonstratif impose le renvoi à une désignation qui se trouve dans le contexte immédiat,
tandis que le contenu nominal du SN démonstratif (re)classifie le référent qu'il désigne
comme un individu particulier de la classe des N. Suite à leurs différents fonctionnements,
le SN défini et le SN démonstratif n'ont pas la même valeur de contraste: d'après Corblin
(1995 : 51), le SN défini a une valeur de contraste externe, car il oppose un individu de la
classe N aux individus mentionnés qui ne sont pas des N. Par contre, le SN démonstratif a
une valeur de contraste interne, car il oppose un N particulier aux autres N possibles. C'est
cette différence de valeur de contraste qui permet à Corblin de rendre compte des différen-
tes répartitions de ces deux formes (1995: 66ss.).
51. « Le référent se trouve saisi indirectement comme étant le x qui vérifie la propriété d'être le
'tel-et-tel' dans le monde où il est vrai qu'il s'est écrasé hier.» (Kleiber 1986a: 175)
165
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
s'explique, selon Kleiber (1986a : 179), par le fait que le premier énoncé a es-
sentiellement pour fonction d'introduire un référent, et que l'interlocuteur s'at-
tend à ce que la suite porte uniquement sur ce référent, saisi indépendamment
des circonstances d'évaluation, comme c'est le cas en 3.47 grâce au démons-
tratif. En revanche, avec une coordination :
le premier énoncé introduit non pas deux référents, mais un ensemble référen-
tiel, duquel un référent doit être extrait (Kleiber 1986a: 181). Cette extraction
peut être réalisée par le SN défini, grâce à son fonctionnement référentiel indi-
rect, mais pas par le démonstratif qui exige une saisie directe. De même, l'ana-
phore associative illustrée en 3.50 :
(3.55)
[contexte : Jérôme Garein présente le film de Xavier Beauvois]
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine / certains qui ado-
rent / comme les Cahiers du Cinéma / qui parlent d'un grand film euh
intime /. et à l'opposé. les Inrockuptibles /. où j'ai pu lire Beauvois n'est
166
Les marques lexicales du topique
pas doué pour le cinéma 1. et . un grand film bête \\ <rires> alors je précise
que ce ne sont pas des lignes de Serge Kaganski 1 mais d'un de ses confrères
et camarade de des Inrockuptibles 1 mais. <acc.> (X) c'est vrai que les
avis. cette semaine 1j'ai lu à peu près tous les quotidiens et tous les hebdos 1
sont 1 . on peut dire 1 diamétralement opposés sur ce film comme ça a été un
peu le cas au Festival de Cannes 1. euh : y a pas de . y a pas de juste milieu 1
(Le Masque et la Plume)
Dans cet exemple, le SN défini les avis renvoie au référent « avis dans la pres-
se )) introduit par le segment discursif qui précède, qui fournit les circonstances
d'évaluation nécessaires à son identification.
(3.56)
JG: bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni :1 Bulle Ogier (XXX)
et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Cannes le prix
du: jury Il l'histoire est la suivante 1. un étudiant en histoire de l'art
apprend. en tentant: d'échapper au service militaire 1 qu'il est séropositif 1
c'est le début d'une longue descente aux enfers 1 qui passe. par la drogue 1
la prostitution :1 la prison 1 et mê :me à la fin par la Bosnie . en guerre \ (Le
Masque et la Plume)
Dans cet exemple, le point d'ancrage marqué par le SN défini l'histoire est for-
mé par le« film de Xavier Beauvois )), dont J. Garein évoque l'intrigue.
(3.57)
C23 : vous avez l'nom d'l'éditeur alors (XX) tout à l'heure vous arrivez
L24: oui oui oui oui j'vais r'trouver oui oui c'est pas. c'c'est Belfont. sauf
erreur. est c' c'est un des. un professeur genevois Flournoy
C25: oui
L26: oui oui alors c'est ça Belfont bien alors je pense ou mardi après-midi ou
mercredi
C27: oui oui oh mais c'est pas: (XX)
L28 : si ça joue, j 'vois pas. (XXX) <il écrit>
L29: vous m'laissez ces deux billets ça va
C30 : bien sûr (Flournoy)
167
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.58)
[contexte: Jérôme Garcin présente le film de Xavier Beauvois]
JG: avec des avis très tranchés dans la presse cette semaine 1 certains qui ado-
rent 1 comme les Cahiers du Cinéma 1 qui parlent d'un grand film euh
intime 1. et à l'opposé. les Inrockuptibles 1. où j'ai pu lire Beauvois n'est
pas doué pour le cinéma 1. et. un grand film bête \\ <rires> alors je précise
que ce ne sont pas des lignes de Serge Kaganski 1mais d'un de ses confrères
et camarade de des Inrockuptibles 1 mais. <acc.> (X) c'est vrai que les
avis. cette semaine 1j'ai lu à peu près tous les quotidiens et tous les hebdos 1
sont 1 . on peut dire 1 diamétralement opposés sur ce film comme. ça a été un
peu le cas au Festival de Cannes 1. euh: y a pas de . y a pas de juste milieu 1
(Le Masque et la Plume)
(3.56)
JG: bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni :1 Bulle Ogier (XXX)
et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Cannes le prix
du: jury Il l'histoire est la suivante 1. un étudiant en histoire de l'art
apprend. en tentant: d'échapper au service militaire 1 qu'il est séropositif 1
c'est le début d'une longue descente aux enfers 1 qui passe. par la drogue 1
168
Les marques lexicales du topique
(3.57)
C23 : mais vous avez l'nom d'l'éditeur alors (XX) tout à l'heure vous arrivez
L24: oui oui oui oui j'vais r'trouver oui oui c'est pas. c'c'est Belfont. sauf
erreur. est c' c'est un des. un professeur genevois Floumoy
C25: oui
L26: oui oui alors c'est ça Belfont bien alors je pense ou mardi après-midi ou
mercredi
C27: oui oui oh mais c'est pas: (XX)
L28 : si ça joue, j 'vois pas. (XXX) <il écrit>
L29: vous m'laissez ces deux billets ça va
C30 : bien sÛT (Flournoy)
renvoie à un référent que l'on peut interpréter comme le topique (<< à propos de
ces deux billets, vous me les laissez »).
(3.59)
[contexte: MC donne son avis sur le classement des films des auditeurs]
MC: et ce qui me frappe dans le goût des auditeurs / c'est la diversité des pays
d'origine / il y a un film italien / un film serbe / un film grec / un film taïwa-
nais / un film japonais /. évidemment cinq films américains / ...... mais ne
représente pas . la domination assez écrasante du cinéma américain / puis-
que le reste du monde ça représente cinq pour cent des entrées en France /
(Le Masque et la Plume)
169
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.60)
JG: bien 1 tout à fait différent 1 -+ un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni :1 Bulle Ogier (XXX)
et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Cannes le prix
du: jury Il
J'ai rappelé ci-dessus que, par ses instructions référentielles, le pronom il ren-
voie à un référent présenté comme étant particulièrement accessible. Le SN dé-
fini, en revanche, ne donne aucune indication sur l'état d'activation de son
référent. De ce fait, il semble légitime de considérer, à l'instar de Kleiber
(1994a : 98), que, tout au moins dans les situations de coréférence, l'alternance
du pronom il et du SN plein se justifie par la plus ou moins grande accessibilité
de leur référent52 . Ainsi, dans l'exemple 3.17 :
52. Une autre différence entre ces deux types d'expressions référentielles - que je ne traiterai
pas ici - est constituée par la plus grande exigence de continuité associée au SN défini
qu'au pronom il (Kleiber 1994a: 90).
170
Les marques lexicales du topique
(3.17)
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / alors les gens arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\ (Forum)
deux groupes de « gens» sont évoqués : ceux qui sont surpris par le fonction-
nement du monde politique et les participants de ce monde politique (cf. la dis-
cussion en 3.2.3). La chaîne référant aux politiciens par des gens ... ils ... ils ne
soulève aucun problème d'interprétation: le pronom il, par ses instructions ré-
férentielles, renvoie de manière préférentielle à un référent particulièrement
saillant. En substituant un SN défini au pronom, on obtient un exemple moins
naturel:
(3.17''')
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh: et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / -+ et
puis après les gens vont boire un verre à la cafétéria ensemble / -+ pis pis les
gens s 'tapent dans l'dos / alors les gens arrivent pas toujours à comprendre
cette idée-là / mais j'crois qu'ça fait partie du débat lui-même / on se bat.
pour une idée et non pas contre une personne \\
53. Les notions d'« effort» et de « coût» sont comprises dans le sens de la théorie de la perti-
nence (Sperber & Wilson 1986).
171
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(3.17")
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh : ça fait partie du système politique / puisque
l'on parle du débat politique / euh: que de se dire les choses sans qu'il y ait
attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris. par
cette euh: façon de de fonctionner du monde politique / où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat / et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble / pis pis ils s'tapent
dans l'dos / ... alors ils arrivent pas toujours à comprendre cette idée-là /
mais j' crois qu' ça fait partie du débat lui-même / on se bat. pour une idée et
non pas contre une personne \\
(3.17')
DC: je sais. pas / j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps / euh: mais mais je me rends
172
Les marques lexicales du topique
Tout d'abord, un certain nombre d'éléments positifs paraissent pouvoir être re-
levés. Au-delà des observations générales liées aux notions d'accessibilité,
d'identifiabilité et d'état d'activation, il a été possible de préciser le sens et le
fonctionnement des expressions référentielles et par là même, d'expliquer
leurs répartitions. Au niveau du rôle des expressions référentielles dans la
structure informationnelle, on peut dire, en simplifiant, que ces expressions
manifestent une plus ou moins grande aptitude, de par leur contenu sémantique,
173
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Il convient toutefois aussi de relever les limites de cette étude qui, si elle a con-
finné le rôle essentiel joué par les pronoms il et ça ainsi que par les SN défini
et démonstratif dans le marquage des points d'ancrage, a également fait appa-
raître que ces expressions référentielles ne constituent pas, à elles seules, des
marques fiables du topique. Cela s'explique par le fait que les expressions ré-
férentielles s'inscrivent dans des structures syntaxiques et discursives qui
jouent elles aussi un rôle décisif dans l'identification du topique. C'est pour-
quoi le chapitre suivant portera sur l'analyse des marques syntaxiques du topi-
que.
174
Chapitre 4
LES MARQUES SYNTAXIQUES
DE LA STRUCTURE INFORMATIONNELLE
L'étude des marques syntaxiques du topique constitue sans doute l'un des do-
maines les plus importants et les plus intéressants des travaux portant sur la
structure informationnelle (Lambrecht 1981, 1994, Combettes 1998b, Firbas
1992, etc.)!. Dans ce cadre, les typologies les plus récentes insistent souvent
sur la fonction introductrice des structures syntaxiques marquées. Ainsi, Lam-
brecht (1988, 1994, 1999c) accorde une attention particulière aux structures
présentatives et aux prédications secondes, qui permettent l'introduction de ré-
férents dans le discours 2 . Les études de Rothenberg (1989) et Berthoud (1996),
pour ne citer qu'elles, mettent également l'accent sur l'ensemble des moyens à
la disposition des locuteurs pour (ré-)introduire de nouvelles informations dans
le discours.
1. Voir à ce propos les contributions consacrées à la syntaxe dans les actes du colloque de
Caen sur la thématisation (Guimier éd. 1999), les travaux sur l'ordre des mots (p. ex. Ber-
rendonner 1987, Blanche-Benveniste 1996) et sur les structures syntaxiques liées à l'orga-
nisation informationnelle (p. ex. Rizzi 1997, Lambrecht 1994, Galambos 1980, Blanche-
Benveniste et al. 1990). Les cadres théoriques sont toutefois très hétérogènes.
2. Pour une étude de la prédication seconde, voir aussi Furukawa (1996).
175
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
3. Sur la mise en relation du sujet et du topique, Tschida (1995 : 37) effectue une revue des
différences entre le sujet et le topique. Chafe (1994: 84) évoque les sources de la confusion
entre ces deux notions, à savoir l'utilisation d'exemples fabriqués, la confusion avec le topi-
que défini comme un point de départ et l'existence de sujets non fonctionnels (impersonnels
et verbes atmosphériques). Prévost (1997) considère que « préférentiellement le topique se
réalise sous forme de sujet et que préférentiellement il précède le comment» (110), tandis
que Fournier & Fuchs (1998) étudient les sujets antéposés et postposés. Cf. également les
références citées par Stark (1999: 342).
4. Pour des raisons de place, je n'aborderai pas directement la question des rôles sémantiques
(Helbig 1987). D'après les travaux de Lambrecht (1994: 133) et Giv6n (1983), le sujet cor-
respond le plus souvent au rôle sémantique d'agent.
5. Une telle correspondance ne concerne naturellement pas les sujets purement grammaticaux,
comme le pronom il impersonnel dans il pleut, qui ne peuvent être interprétés comme des
topiques (cf entre autres Furukawa 1996 : 37).
176
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.1) (= 3.15)
CF : impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie / (Forum)
Ifwe look at the distribution ofthese properties among subjects, it appears that the
light subject constraint should be expressed in terms oftwo alternatives: a subject
expresses a referent that is (a) given or accessible (i.e., not new), or (b) new but tri-
via1. 6 (Chafe 1994: 91)
Le référent sujet se caractérise ainsi le plus souvent par un état d'activation ac-
cessible ou donné - ce qui semble être le cas le plus fréquent - et lorsqu'il a
une faible importance référentielle (par exemple, parce qu'il s'agit d'un per-
sonnage accessoire dans une narration), le référent sujet peut être nouveau.
Comme je l'ai relevé dans le deuxième chapitre (2.2.1), le topique est lui aussi
6. Si l'observation de Chafe s'applique assez bien au français, elle semble plus contestable
pour l'anglais qui, comme le montre Lambrecht (2000), admet un sujet en relation de focus
qui n'est ni donné, ni d'importance triviale.
177
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
178
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Nous avons tout lieu de considérer que cette hiérarchie représente l'échelle des
degrés thématiques selon les fonctions syntaxiques de SN. (Furukawa 1997 : 8-9)
(4.1)
CF : impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Ya 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie /
Dans cet exemple, les sujets, soulignés, se caractérisent par un degré de topica-
lité élevé, ce qui apparaît de manière d'autant plus frappante qu'ils ne sont pas
concurrencés par d'autres référents susceptibles de fonctionner comme topi-
ques. Par analogie, on pourrait dire, en suivant cette hypothèse, que dans un
énoncé comme:
bien que les deux SN soient des noms propres qui n'ont pas pour propriété
d'indiquer l'état d'activation de leur référent, le référent « Pierrette », désigné
par le sujet syntaxique, est caractérisé, du simple fait de sa fonction syntaxique
de sujet, par un degré de topicalité plus élevé que le référent désigné par Paue.
7. Dans un exemple aussi simple et dénué de tout contexte, la corrélation entre le sujet et le to-
pique est confirmée par l'ordre des mots, puisque le sujet est aussi l'élément qui apparaît en
premier.
179
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Dans un tel exemple, qui implique successivement deux référents sujets, faut-il
admettre l'existence de deux référents (( Pierrette» et « Paul») caractérisés
chacun à son tour par un même degré de topicalité ? Ou faut-il plutôt considé-
rer, comme le suggère Lambrecht (1994: 125), que le premier référent sujet ne
fonctionne pas comme un véritable topique, car la proposition subordonnée an-
téposée introduit tout entière l'arrière-fond temporel de l'information activée
par la principale, dont le topique est constitué par le référent de il (c'est-à-dire
« Paul») ? De manière similaire, dans un exemple comme :
(4.4)
MC: hein quand on enlève le cinéma français et le cinéma américain / il reste
plus que cinq pour cent pour le monde entier / or . les auditeurs prennent
déjà cinq films sur dix qui n'appartiennent pas à : à ce bloc hollywoodien \\ .
que j'aime par ailleurs / qui donne de très beaux films /
X: <rires>
JG: mais ça nous l'savons / mon cher Michel \\ (Le Masque et la Plume)
8. Les structures thétiques (<< sentence-focus constructions ») étudiées par Larnbrecht (1988,
2000), telles que Ya Pierrette qui a poussé Paul, où Pierrette est sujet logique mais pas su-
jet grammatical, constituent un autre argument relativisant l'importance du rôle du sujet
grammatical.
180
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Pour Muller (1999), cette structure peut, dans certains cas, conduire à interpré-
ter des référents verbalisés par des SN indéfinis comme des topiques. Par
exemple, les référents sujets de 4.5 et 4.6 :
9. Comme je l'ai relevé ci-dessus, les sujets sont rarement formés par des SN à l'oral, et a for-
tiori par des SN indéfinis.
181
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Le rôle de la structure syntaxique non marquée ne doit cependant pas être su-
restimé. En effet, si cette structure semble pouvoir, en l'absence de tout con-
texte, entraîner l'interprétation topicale d'un SN indéfini, son rôle ne va pas
jusqu'à inverser l'interprétation de la structure informationnelle qui se fonde
sur les expressions référentielles. Ainsi, dans un exemple tel que:
10. Il convient de préciser que cette interprétation se fonde sur une définition du topique diffé-
rente de la mienne, qui nécessite la présence du contexte duquel sont issus les points d'an-
crage, et de celle de Lambrecht (1994), qui implique que le topique soit formé par un
référent dont l'existence est déjà établie au moment de l'énonciation.
Il. La portée de cette restriction est d'autant plus importante que les énoncés doivent s'inscrire
dans un contexte donné pour être analysés du point de vue de la structure informationnelle
(Firbas 1992, Lambrecht 1994).
182
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
est différente de celle discutée précédemment, si l'on insère cet exemple dans
un contexte précis tel que:
(4.8)
[contextè: on entend un haut-parleur difficile à comprendre dans un hall]
X: qu'est-ce qu'ils ont dit ?
Y: un médecin est demandé au bureau d'accueil
(4.9)
X: qu'est-il arrivé?
Y: la voiture a renversé un jeune garçon
(4.10)
X: qu'a fait la voiture?
Y: elle/la voiture a renversé un jeune garçon.
(4.11 )
X: qui la voiture a-t-elle renversé?
Y: elle/la voiture a renversé un jeune garçon.
Ces trois exemples, malgré leur caractère peu naturel 13 , illustrent de manière
emblématique les différentes structures informationnelles qui peuvent se gref-
fer sur une structure articulant sujet et prédicat. La question suggère chaque
12. Bally relève que dans la phrase liée, qui correspond à ce que j'appelle la proposition asser-
tive canonique, thème et propos ne sont marqués par aucun signe linguistique; ils se dédui-
sent soit de la situation et du contexte, soit de la nature de la pensée exprimée (1965
[1932] : 73).
13. L'exemple 4.9 peut sembler artificiel, en raison du caractère marqué de la structure as serti-
ve impliquant un sujet nominal (Lambrecht 1987). En outre, il est plus naturel, pour les
exemple 4.10 et 4.11, de trouver un pronom (elle) qu'un syntagme nominal plein.
183
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
fois le topique de la réponse. Cette réponse, qui correspond à ce que j'ai appelé
une proposition assertive canonique, est, du point de vue syntaxique, la même
dans les trois cas. Au niveau de la structure informationnelle, la réponse « héri-
te» néanmoins de l'interprétation entraînée par le type de question posé.
(4.12)
X: qu'est-il arrivé?
Y: une voiture a renversé un jeune garçon
(4.13)
JG: l'histoire est la suivante /. un étudiant en histoire de l'art apprend. en ten-
tant: d'échapper au service militaire / qu'il est séropositif / (Le Masque et
la Plume)
14. Cet énoncé peut être décrit comme une «phrase thétique» ou « sentence-focus articula-
tion» (Lambrecht 1994).
184
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.14)
BP: euh : il y a tout de même votre votre première femme / vous le racontez là
aussi / moi j'aimerais bien (XXX)
GS: ma première femme m'avait dit qu'elle se suiciderait /
BP: voilà \\
GS: sije la trompais \ (Apostrophes)
(4.1)
CF : impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ le Téléphone Sonne de
France Inter a . 21 ans / il Y a 14 ans déjà. Alain Bédouet . que vous le pré-
sentez / en 14 ans est-ce que les Français ont changé / sont devenus. plus
curieux \\
AB: c'est un peu mon impression alors elle vaut ce qu'elle vaut / n'est pas
une vérité scientifique / ce n'est pas de la sociologie /
où le premier enchaînement linéaire sur le topique formé par 1'« évolution des
Français» (marqué par c ') laisse la place à une progression constante sur le to-
pique formé par 1'« impression d'Alain Bédouet ».
Dans l'exemple 4.11 comme dans l'exemple 4.10, la question active le référent
«voiture ». Dans l'exemple 4.11 toutefois, ce référent est impliqué dans une
proposition ouverte plus précise: « la voiture a renversé X ». Dans la réponse,
l'élément repris n'est pas seulement le référent, mais la proposition ouverte à
laquelle renvoient le sujet et le verbe; cette proposition peut donc être inter-
prétée comme le topique de la réponse. Cette différence d'interprétation entre
les exemples 4.10 et 4.11 peut être vérifiée par le test de la suppression:
(4.10')
X: qu'a fait la voiture?
y : renversé un jeune garçon
? un jeune garçon
185
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.11')
X: qui la voiture a-t-elle renversé?
y : ? renversé un jeune garçon.
un jeune garçon.
(4.15)
BP: alors. vous êtes romantique 1 vous êtes. parfois naïf 1
GS: très naïf\\
BP: vous êtes très naïf 1 vous êtes timide 1ce qui me paraît surprenant 1 euh :
GS: c'est la vérité \\ (Apostrophes)
Dans cet exemple, le sujet marqué par le pronom vous renvoie, comme c'était
le cas pour le syntagme nominal défini la voiture, à une information déjà acti-
ve : en l'occurrence, le référent est déjà activé tant par le cotexte que par la si-
tuation, puisque le pronom de la deuxième personne renvoie à l'un des
interlocuteurs, à savoir G. Simenon. Comme c'était le cas dans l'exemple 4.11,
le référent est impliqué dans une proposition ouverte, à laquelle renvoie l'ex-
pression: vous êtes. L'interprétation selon laquelle cette proposition ouverte
fonctionne comme topique paraît confirmée par la réponse de Simenon qui
omet la répétition de ces deux éléments l5 .
Cette analyse permet de revenir sur un exemple déjà traité dans les chapitres
précédents 16 :
(4.16) (=2.20)
JC: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1
MM: oui =
JC: vous pensez qu'il l'a été. Il
MM: par moments 1 euh: certainement il a: il a été heureux 1. j'crois qu'il a été
heureux dans sa vie. littéraire 1 (e) qu'il a eu de grandes joies 1
15. On pourrait considérer que cette proposition n'est pas suffisanunent précise pour fonction-
ner conune topique propositionnel. L'énumération des propriétés du caractère de G. Sime-
non me paraît toutefois suffire à préciser le sens du verbe« être ». Il n'en irait naturellement
pas de même si B. Pivot disait: vous êtes timide, vous fumez la pipe et vous habitez en Bel-
gique, auquel cas le sujet vous renverrait bien au topique conunun« Simenon ».
16. Chapitre 2, en 2.2, et chapitre 3, en 3.3.
186
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Dans cet exemple, on interprète le topique comme étant formé non pas directe-
ment par le référent sujet (<< André Maurois », auquel renvoie le pronom il) qui
constitue un point d'ancrage d'arrière-fond durant toute cette partie de dialo-
gue, mais plutôt par « heureux », repris par l', ainsi que par le référent proposi-
tionnel activé par la question, que l'on peut paraphraser par «le fait que
Maurois a été heureux» ou « le bonheur d'André Maurois », repris par il a été
heureux.
17. « Conceming the pragmatic markedness status of grammatical structures, we can state the
following general rule : given a pair of allosentences, one member is pragmatically umnar-
ked if it serves two discourse functions while the other member serves only one of them. »
(Lambrecht 1994 : 17)
187
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.18) Ils sont fous, ces Romains! (Astérix, cité par Lambrecht 1981)
18. Plusieurs tennes ont été utilisés pour décrire ces structures: structure segmentée (Bally
1965 [1932], Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997), segmentation (Dupont 1985), thé-
matisation (Berthoud 1996), topicalisation (Rizzi 1997), construction disloquée (Hanna
1990), dislocation (Larsson 1979), etc. Je réserve le tenne de« construction détachée» aux
structures décrites par Combettes (1996, 1998b) qui, parce qu'elles impliquent la présence
d'une prédication seconde sous-jacente à l'élément détaché, ne se confondent pas avec les
structures segmentées. Je parlerai donc de « structure segmentée» ou de constituant « dis-
loqué» pour décrire la classe des structures qui m'intéresse, en réservant l'expression de
« structure topicalisée» à la description d'un sous-type de structure segmentée.
19. L'importance accordée à ces différents aspects varie selon les auteurs. Pour Fradin, seul le
second critère a une valeur définitoire (1990). Lambrecht (2001) décrit les structures seg-
mentées en s'appuyant sur quatre critères: 1) la position extra-clausale d'un constituant
d'une proposition, 2) la possibilité d'insérer ce constituant dans la clause, 3) la coindexation
pronominale dans la proposition, 4) des marques prosodiques particulières. Pour lui comme
pour Fradin, le premier de ces quatre critères est décisif, mais il n'est pas suffisant. Lam-
brecht relève toutefois que le critère b de C2 de Fradin ne convient pas en l'absence du pro-
nom de reprise. Pour Bally, « la segmentation est caractérisée avant tout par le jeu des deux
procédés musicaux sans lesquels elle n'est pas concevable: la pause médiane et la mélo-
die» (Bally 1965 [1932] : 61).
188
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Parce qu'elles articulent un syntagme qui s'ajoute à un énoncé par ailleurs sou-
vent déjà complet du point de vue syntaxique, les structures segmentées, que
Fradin appelle «énoncés à détachement », soulèvent des problèmes d'analyse
particuliers.
(4.20) Le médecin, il était en uniforme de médecin, tout blanc, c'était lui qui
commandait à tout le monde, les infirmières, ça filait doux, fallait voir.
(Cavanna, cité par Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997)
(4.21) Cet homme, je l'ai vu; ton ami, je lui ai parlé. (Dauzat, cité par Berren-
donner & Reichler-Béguelin 1997)
Alors que dans le premier cas les structures segmentées sont souvent perçues
négativement, comme les symptômes d'un style relâché, elles sont traitées
dans le second cas comme les traces d'un effet oratoire recherché. Pour rendre
compte de cette variation paradoxale, Berrendonner & Reichler-Béguelin font
l'hypothèse que l'évaluation des structures segmentées varie en fonction du
statut syntaxique ou discursif des structures concernées. Ainsi, les structures
dont l'analyse relèverait uniquement de la syntaxe auraient tendance à être ju-
gées comme appartenant à un niveau de langue élevé ; elles se retrouveraient
avant tout dans la langue écrite. En revanche, les structures dont le statut est
discursif seraient pratiquement absentes des textes écrits (pour autant que
ceux-ci n'imitent pas le style oral, cf. Durrer 1994) : elles auraient tendance à
être évaluées comme appartenant à un style plus relâché.
20. Ainsi, Bally écrit-il que « la syntaxe segmentée fleure la langue parlée» : « En effet, si la
langue écrite peut présenter l'énoncé de la pensée dans une phrase organique et cohérente,
les nécessités de la communication rapide exigent que les éléments de l'énonciation soient
présentés pour ainsi dire par morceaux, de manière à être plus facilement digérés» (Bally
1965 [1932] : 70).
189
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
21. Plusieurs travaux abordent l'étude des structures segmentées d'un point de vue essentielle-
ment syntaxique (entre autres Dupont 1985, Larsson 1979, Rizzi 1997).
22. Le statut ambivalent des segmentées est également discuté par Bally, qui définit la phrase
segmentée comme « une phrase unique issue de la condensation de deux coordonnées, mais
où la soudure est imparfaite et permet de distinguer deux parties dont l'une (A) a la fonction
de thème de l'énoncé, et l'autre (Z) celle de propos (67») (Bally 1965 [1932] : 60-61, c'est
moi qui souligne).
23. Cette idée est présente dans de nombreux travaux, bien que les développements qui en sont
faits varient selon les auteurs. Voir entre autres Berrendonner & Reichler-Béguelin (1997),
Blanche-Benveniste et al. (1990), Fradin (1990), Ziv (1994).
190
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Cette fluctuation du statut des segmentées constitue l'une des difficultés ma-
jeures auxquelles se heurte leur analyse. Pour la surmonter, Berrendonner &
Reichler-Béguelin (1997) proposent, à l'instar de Blanche-Benveniste et al.
(1990), de regrouper les structures segmentées qui relèvent de la micro-syn-
taxe et celles qui appartiennent à la macro-syntaxe. Cette distinction s'avère
particulièrement intéressante pour rendre compte des structures qui peuvent
être classées dans un domaine ou dans l'autre, même s'il semble exister beau-
coup de segmentées dont le classement reste problématique. C'est le cas par
exemple lorsque le constituant disloqué est un sujet, comme dans 4.25 :
(4.25) Le problème, il était là. (Berthoud, citée par Berrendonner & Reichler-
Béguelin 1997)
D'autres structures sont ambiguës, parce qu'elles portent à la fois des marques
discursives (saturation de la rection verbale par un pronom) et syntaxiques (le
cas de l'élément disloqué est marqué par une préposition), comme dans 4.26 :
Pour compléter ce survol des difficultés liées à l'analyse des structures seg-
mentées, on peut évoquer le problème de l'asymétrie entre les structures seg-
mentées à droite et à gauche (respectivement ZA et AZ pour Bally 1965
[1932]) :
Ces deux types de structure manifestent une ressemblance de surface qui pour-
rait laisser penser qu'il existe une symétrie entre elles. Une telle position pour-
rait être accréditée par le fait qu'on les traite souvent de manière conjointe (p.
ex. Berthoud 1996). Cependant, la plupart des auteurs s'accordent pour recon-
naître que ces deux structures diffèrent à plusieurs niveaux, et qu'un syntagme
détaché à droite est plus étroitement lié au noyau propositionnel que ne l'est un
syntagme détaché à gauche 24 (Lambrecht 1981, 1998, 2001, Larsson 1979,
Fradin 1988, Ziv 1994, etc.). À cette différence correspond également une dif-
191
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Dans la dislocation à gauche, un thème, qui doit avoir une certaine motivation
dans la situation de la parole, est actualisé et présenté comme le point de départ de
l'énonciation. Un membre disloqué à droite, au contraire, ne fait que reprendre un
thème qui est déjà en cours. Au lieu d'être relevé, ce thème est rejeté à droite,
après le rhème. Sa valeur informative est réduite. Un élément disloqué à droite est
donc donné par le contexte immédiat (linguistique ou extra-linguistique) d'une
toute autre façon qu'un élément disloqué à gauche [ ... ]. (Larsson 1979 : 17-18)
25. Lambrecht exprime une position qui me paraît très proche à l'aide de la notion de « principe
de l'ordre iconique» : « According to this principle [iconic ordering principle], TOP vs A-
TOP position of a topic expression correlates with the relative pragmatic salience of the to-
pic referent at utterance time : while the order topic-comment signais announcement or es-
tablishment of a new topic relation between a referent and a predication, the order
comment-topic signais continuation or maintenance of an already established relation. »
(Lambrecht 2001)
192
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.27)
J'aime bien comprendre comment ça marche les autres
bb HH bb HH h ......... h B-B- b- b- (Mertens 1990 : 167)28
26. Le terme « appendice» est emprunté à Mertens (1990). Plusieurs autres termes sont utili-
sés: Rossi (1985) parle « d'intonation parenthétique». Bally (1965 [1932] : 62) utilise le
terme de « sourdine », et Morel (1992a) celui d'intonation « d'incise ». Cf. aussi Larsson
(1979: 17), Fradin (1990), Wunderli et al. (1978), etc.
27. Ce schéma (très simplifié) a uniquement une valeur indicative; il est effectué d'après Lam-
brecht (1981 : 86). Larsson (1979: 17) propose un schéma similaire, quoique sans pic into-
natif.
28. Selon la transcription proposée par Mertens (1990), les tons sont marqués par h (haut), b
(bas) et b- (infra-bas). Les majuscules sont utilisées pour les syllabes accentuées, tandis que
les doubles majuscules (HH) indiquent une syllabe porteuse d'un accent final. Pour la dis-
cussion de différents schémas intonatifs possibles sur le double marquage, cf. van den Eyn-
de et al. (1998).
29. Par exemple: et c'est comme ça que l'histoire marche / en quelque sorte (Blanche-Benve-
niste et al. 1990: 166).
193
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.29) [Mon premier mari], on avait une voiture puis. une moto.
(4.29') * On avait une voiture puis une moto, [mon premier mari]. (Lambrecht
2001)
Pour ces différentes raisons, un élément segmenté à droite est plus étroitement
lié au noyau propositionnel qu'un élément segmenté à gauche, et il semble par
conséquent légitime d'admettre que son analyse relève toujours du domaine
syntaxique31 . Combinés entre eux, ces critères prosodiques et syntaxiques per-
mettent de distinguer la segmentée à droite d'autres structures qui n'en sont
proches qu'en apparence 32 •
30. On a également dit que la segmentée à droite, contrairement à la segmentée à gauche, impli-
que nécessairement un marquage casuel (qui se manifeste en français par la présence d'une
préposition). Les données d'Ashby montrent toutefois que la préposition, qui marque le cas
en français, n'est pas toujours indispensable. Par exemple: ça nous est égal. nous (Ashby
1988 : 208).
31. En revanche, un élément segmenté à gauche peut être caractérisé par différents types de
liens (rectionnels ou uniquement pragmatiques) qui le rattachent au noyau propositionnel.
32. Ferrari (1999) montre, pour l'italien, la variété des structures syntaxiques impliquant un
constituant détaché à droite et la diversité des structures informationnelles qui leur sont at-
tachées.
194
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.30) 1 met him, your brother, 1 mean, two weeks ago. (Ziv 1994, cité par Lam-
brecht 2001)
Ces constructions font intervenir non pas une, mais deux unités intonatives :
(4.31)
CF: impossible de parler du débat radiophonique interactif / sans évoquer le
Téléphone Sonne de France Inter / dont toutes les radios se sont inspirées /
et nous aussi / et Marc Decrey aussi certainement / lorsqu'il a lancé le pre-
mier débat de Forum / c'était en septembre 1992 \\ (Forum)
(4.32)
CT: si je pense aux confrères dans les années. 50 ou 60 / il Y avait une sorte
de . ouais pas une connivence mais enfin . une certaine complaisance / on
critiquait peu les hommes politiques / je trouve de ce point de vue-là -
Forum en est un exemple / et la télévision romande également / les journa-
listes sont beaucoup plus pointus. plus critiques / et les hommes et les
femmes politiques en l'occurrence / acceptent comme ça a été dit tout à
l'heure / acceptent d'être contestés et mis en cause \\ (Forum)
(4.33)
CT: alors c'est vrai. qu'il y a des sujets plus difficiles / c'est vrai qu'il y a des
sujets qui marchent / et que si vous voulez disons faire réagir le public / un
sujet sur la santé / un sujet sur les impôts / un sujet sur le chômage actuel-
lement <acc.> il y a les préoccupations des gens et autres vont bien mar-
cher et tout / il Y en a d'autres en revanche / euh vous faites comme on dit
un véritable bide / et notamment les les sujets culturels \ . je crois que ça
n'empêche pas / c'est de notre responsabilité. de télévision de radio de
service public. de les faire / (Forum)
195
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.32')
CT: si je pense aux confrères dans les années. 50 ou 60 / il Y avait une sorte
de . ouais pas une connivence mais enfin. une certaine complaisance / on
critiquait peu les hommes politiques / je trouve de ce point de vue-là -
Forum en est un exemple / et la télévision romande aussi / les journalistes
sont beaucoup plus pointus. plus critiques / et les hommes et les femmes
politiques en l'occurrence / acceptent comme ça a été dit tout à l'heure /
acceptent d'être contestés et mis en cause \\ (Forum)
Enfin, dans le dernier de ces exemples, notamment joue lui aussi le rôle d'un
adverbe focalisateur qui présente l'élément qu'il introduit comme une infor-
mation activée (Bourcier & Bruxelles 1989, Crévenat à paraître, Grobet à pa-
raître b). La présence de telles marques indique en outre que la fonction
principale de ces ajouts consiste en une mise en relief des référents qu'ils intro-
duisent, qui en l'occurrence sont constitués par les membres d'un ensemble
plus large.
33. Dans un cadre théorique différent, Rothenberg (1989: 157) souligne le rôle que joue et
dans le marquage de constituants rhématiques comme l'adjectif dans : j'ai acheté une Peu-
geot, et une neuve, ce qui confirme l'hypothèse selon laquelle le constituant précédé par et
se caractérise par une haute valeur informative. Voir également l'utilisation du test de l'in-
sertion de et cela par Combettes (1998b), pour vérifier le statut rhématique ou non d'un élé-
ment extraposé. Lambrecht (1994: 356, note 14) relève qu'en allemand, und zwar a pour
fonction de diviser l'information focale qui ne pourrait en tant que telle être présentée en un
seul bloc syntaxique.
196
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Dans ce type de structure, un même argument est représenté à la fois par un cli-
tique et par un pronom accentué. Contrairement à ce qui se passe dans les seg-
mentées à droite, le pronom accentué se trouve dans une relation de focus avec
ce qui précède. Cette relation de focus se manifeste, premièrement, dans l' ac-
cent qui frappe le pronom, deuxièmement, dans la possibilité qu'aurait un tel
énoncé de répondre à une question comme:
(4.37)
GS: eh bien eh bien parce qu'elle est sereine / elle est. je ne sais pas / c'est un
Saint-Bernard elle aussi / si je puis dire / je ne sais pas / enfin \ c'est une
union vraiment comme je l'imagine \\ (Apostrophes)
(4.38)
B5: je m'excuse de vous avoir pas dit mais je savais pas je croyais que c'était
le docteur et vous êtes peut-être docteur vous aussi
C6: oui (Allocations)
(4.39)
ME: est-ce que vous comprenez. / ces gens-là devraient selon vous avoir droit
à la parole / avec un risque de dérapage en direct à l'antenne / que pensez-
vous comme femme politique de cette difficulté gui nous est propre à nous
autres médias \\ (Forum)
(4.40)
MM: quand on commence à écrire / et qu'on va chez un éditeur / c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu / (Radioscopie)
(4.41 )
MM: oui on a un complexe évidemment / seulement j'ai eu un père / (que) euh
ça l'amusait énormément gue j'écrive / (Radioscopie)
197
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
ainsi que d'autres structures dans lesquelles le syntagme nominal disloqué est
introduit par une marque lexicale :
(4.44) C'est une belle fleur que la rose. (Rothenberg 1989, Molinier 1996)
Ces structures peuvent être analysées comme des types particuliers de segmen-
tées à droite. Lambrecht (1995) étudie la structure informationnelle de la struc-
ture en comme-N en montrant ses similitudes et ses différences avec la
segmentée à droite habituelle. Molinier (1996: 85) analyse l'exemple 4.44
comme articulant un propos et un thème, tandis que Le Querler (1998, 1999)
propose de considérer le que qui sépare l'élément extraposé du noyau proposi-
tionnel comme une marque de rhématisation : la possibilité de son insertion
marque le noyau qui précède comme rhématique. Malgré l'intérêt de ces struc-
tures et de leurs interprétations, je n'approfondirai pas leur étude, d'autant plus
que ce type de segmentée n'apparaît pas dans mon corpus.
198
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.45)
ÉZ: c'est compliqué J parce que sur un . plateau euh : vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue J. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de: comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie J. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu J. sur un plateau J quelqu'un
vers. qui l'équipe va aller. d'emblée J parce qu'elle est connue aussi
pour. euh sa sa sa sa sa simplicité J son son son sourire J son: donc on : on
vient vers elle \ et Natacha J je crois que J. alors moi ça m'a servi \ mais
Natacha. a : a dû affronter ça \ le fait d'être. finalement de. peut-être pas
être . vue \ . par l'équipe . autant que Élodie J euh : sur le tournage J et de
ramer comme ça J euh: et d'être auprès d'Élodie J et de. et Élodie est
quelqu'un qui est très euh autonome J sur un plateau \ c'est quelqu'un qui
est très simple J donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand quand quand
quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça J elle va pas
forcément faire un effort J. ça veut pas du tout dire qu'elle accueille l'autre
ou (X) J mais c'est quelqu'un qui est très autonome J -+ elle a pas besoin
des autres Élodie \. elle a besoin de deux trois choses J. mais c'est tout \\
(Le Masque et la Plume)
La segmentée à droite elle a pas besoin des autres Élodie renvoie à un référent
identifiable et préalablement activé: «Élodie », par l'intermédiaire des ex-
pressions référentielles elle et Élodie. Ces dernières désignent un référent qui
constitùe déjà un topique, comme le montrent les traces pronominales (c', el-
le), qui y renvoient auparavant. En d'autres termes, ce sont les expressions ré-
férentielles de la segmentée à droite qui, par leur fonction de reprise externe34 ,
permettent à cette structure de marquer la continuité.
(4.46)
ÉZ: Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome J sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple J donc euh . c'est quelqu'un qui va pas quand
34. Le tenne est de Fradin (1988, 1990) : il pennet de distinguer la reprise interne à la structure,
qui s'établit entre le pronom et le syntagme disloqué, du rappel qui relie la structure seg-
mentée avec le cotexte.
199
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça /
elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / elle a
pas besoin des autres \ . elle a besoin de deux trois choses /. mais c'est tout \\
(4.47)
ÉZ: Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple / donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça /
elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / Élo-
die a pas besoin des autres \. elle a besoin de deux trois choses /. mais
c'est tout \\
Deuxièmement, une telle description ne montre pas non plus en quoi une telle
structure se distingue d'une segmentée à gauche:
(4.48)
ÉZ: Élodie est quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est
quelqu'un qui est très simple / donc euh . c'est quelqu'un qui va pas quand
quand quand quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça
/ elle va pas forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle
accueille l'autre ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / Élo-
die / elle a pas besoin des autres \ . elle a besoin de deux trois choses /.
mais c'est tout \\
35. La présence de ce pronom constitue, selon Fradin (1988), un aspect définitoire de la seg-
mentée à droite; lorsque l'élément explicité n'est pas un clitique, on a une apposition, qui,
comme le montre Fradin, se caractérise par des propriétés différentes de celles de la seg-
mentée à droite.
200
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.49) [describing the liberation of Azay-le-Rideau near the end ofWorld War II] :
C'était libéré par le maquis ici. C'est le maquis qui a fait la libération du
coin. Déjà, un petit peu, l'armée américaine était au nord de la Loire,
jusqu'auprès de Tours; oui, au nord de la Loire. Elle était pas au sud. Et
puis, ils étaient méchants, les Allemands. À la fin, quand ils ont vu que la
situation était perdue, vous savez? Oh ! Alors pour un oui, pour un nom,
on fusillait beaucoup ici. (Ashby 1988)
Le référent désigné par les Allemands n'a pas été évoqué textuellement, mais il
est rendu disponible par l'évocation de la deuxième guerre mondiale: Ashby le
décrit comme étant accessible par inférences. Ce type d'exemple contredit ap-
paremment l'idée selon laquelle la segmentée à droite renvoie nécessairement
à un référent évoqué textuellement.
(4.50) C'était libéré par le maquis ici. C'est le maquis qui a fait la libération du
coin. Déjà, un petit peu, l'armée américaine était au nord de la Loire,
36. Dans la perspective que j'adopte ici, le pronom est donc bien un anaphorique, et non pas un
cataphorique : ma position est différente de celle qui est défendue par Fradin (1988), et re-
prise par N01ke (1994), pour qui la segmentée à droite n'a aucune valeur cohésive; toute-
fois, il convient de relever que Fradin s'intéresse essentiellement au phénomène de reprise
interne, et à ce niveau nos analyses se rejoignent.
201
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.51)
Speaker 21: Claire a trouvé un appartement. Justement, elle voulait, parce
qu'elle travaille rue de Toulon. Elle a trouvé un appartement, une
maison, où a vécu Gambetta. C'est très récent, quand même. Il est
bien.
Speaker 97: C'est certainement mieux que moderne, parce que ...
Speaker 21: C'est un appartement du dix-neuvième siècle. Il est rénové. Oh, elle
n'est pas vieille, la maison. (Ashby 1988 : 220)
Ashby relève que du fait de la distance qui sépare le pronon elle de son antécé-
dent, le pronom, employé sans segmentée à droite, pourrait être interprété
comme renvoyant à «Claire» plutôt qu'à la «maison» (1988 : 220). La seg-
mentée à droite vise à prévenir une telle confusion.
Un autre élément qui semble être à même de justifier la présence d'un SN plein
et partant, d'une structure segmentée plutôt que d'un simple pronom, est cons-
titué par l'expressivité que l'on associe généralement à cette structure. Celle-ci
découle en partie de la mise en relief de l'information activée qui apparaît
avant l'élément détaché:
37. Pour un exemple de « coup de force présuppositionnel », cf. Apothéloz (1995 : 49).
202
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.52)
Speaker 33: Ah oui, le tonnelier! C'est le seul qui reste en Indre-et-Loire. Atten-
tion, c'est un cas !
Speaker 104 : Je me rappelle plus de son nom, à cet animal-là. Quand je dis « ani-
mal », c'est pas trop fort 38 (Ashby 1988)
(4.53) Nous avons quatre petits oiseaux dans la cour. Ils ne savent pas encore
voler. Ils ont déjà changé depuis ce matin: moins ébouriffés et plus vifs:
c'est génial de les voir grandir ces petits! (e-mail)
(4.54)
A: je dois vous dire que il y a des discussions d'ordre politique / où tout le
monde s'enguirlande / et tout le monde réclame / alors là je ferme mon
appareil radio / parce que vraiment ce n'est absolument pas du tout ce que
nous attendons //
CF: eh bien voilà c'est typique ça hein /
ME: oui!
CF: le ton monte / et : et: curieusement les gens aiment que le ton monte /
parce que ça donne du ton / comme ils le disent si bien / mais <acc.>
quand il y a du ton / ils n'aiment pas qu'il y ait du ton \\ (Forum)
(4.55)
B89 : oui. alors là là ben on nous a introduit en erreur parce que moi
C90 : mais c'est très possible
B91 : depuis le mois de mai on a pris deux heures une aide ménagère qui nous
revient assez cher et . et là euh
38. Ashby isole ce type d'exemple, dans lequel il relève que la segmentée à droite a pour fonc-
tion d'apporter une information supplémentaire (<< epithet function »).
203
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.56)
Speaker 6: [The overall discourse topic is the charm of Touraine] : Il y a la
Loire et ses châteaux. Ca c'est ... Quand on parle de la Touraine, on
pense immédiatement aux châteaux. Et puis, la situation quand
même, les rivères-Ià. La Loire est belle. Vous avez visité la Vallée de
la Loire?
Interviewer: Oui, pas mal.
Speaker 6: Elle est belle, la Loire, hein? (Ashby 1988)
204
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Dans l'exemple 4.57, la segmentée à droite permet d'éviter une confusion pos-
sible sur l'identité du référent désigné par les:
(4.57)
JR: c'est-à-dire que c'est vraiment / à ce moment-là en une sorte de. de rap-
prochement d'un certain côté entre Debussy et: Ravel/une sorte
d'impressionnisme si on veut / mais je crois peut-être une mode des titres /
qui fait que de temps en temps / les titres se retrouvent / et ça c'est très vrai
pour aujourd'hui par exemple \ on pourrait dire la même chose. en musi-
que contemporaine / on retrouverait quelquefois des similitudes de titres /
qui n'impliquent pas forcément des similitudes de tempéraments \
39. Ashby (1988) évoque aussi des segmentées à droite intervenant lors d'hésitations, qui sem-
blent essentiellement avoir une fonction de « remplissage », et des segmentées faiblement
motivées pragmatiquement. Ni les unes, ni les autres ne semblent présentes dans mon cor-
pus.
205
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.58)
JR: c'est-à-dire que c'est vraiment 1 à ce moment-là en une sorte de . de rap-
prochement d'un certain côté entre Debussy et: Ravel 1 une sorte
d'impressionnisme si on veut 1 mais je crois peut-être une mode des titres 1
qui fait que de temps en temps 1 les titres se retrouvent 1 et ça c'est très vrai
pour aujourd'hui par exemple \ on pourrait dire la même chose. en musi-
que contemporaine 1 on retrouverait quelquefois des similitudes de titres 1
qui n'impliquent pas forcément des similitudes de tempéraments \
X: parce qu'on a trop rapproché Debussy et Ravel hein \ j'aimerais au con-
traire qu'on les sépare. à l'occasion Il
40. Selon Lambrecht, l'interprétation topique est même exclue, car en français, l'objet direct
lexical force l'interprétation focus.
206
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.59)(= 3.7)
BP : vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP : depuis vingt ans \\
GS : oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP : décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts / (Apostrophes)
Que l'on compare cet exemple avec sa variante pronominale, dans laquelle le
syntagme nominal segmenté est supprimé :
(4.60)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
GS: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP: depuis vingt ans \\
GS: oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP: décidément. elle est extraordinaire / elle vous a fait perdre tous vos
défauts /
207
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Si cette analyse a montré, pour les deux exemples qui viennent d'être étudiés,
que la segmentée à droite a pour fonction de marquer clairement le topique,
elle n'explique pas encore les raisons qui conduisent à un tel marquage d'un
topique par ailleurs déjà actif. En effet, l'analyse des dialogues oraux montre
que, très souvent, lorsque plusieurs référents préalablement actifs peuvent
fonctionner comme topiques, les interlocuteurs ne ressentent pas le besoin
d'expliciter le ou les topique(s) sur lesquels ils s'appuient41 • Pour expliquer la
présence de la segmentée à droite, on peut alors faire l'hypothèse qu'elle se
justifie lorsque l'on se trouve à un moment-clé du discours, comme par exem-
ple une période de transition.
(4.59)
BP: vous avez des colères de temps en temps \\
as: rarement / ça ne m'est plus arrivé depuis vingt ans \\
BP: depuis vingt ans \\
as: oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP: décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts /
41. Voir la grande fréquence de la progression linéaire implicite relevée dans le deuxième cha-
pitre en 2.3.3.1.
208
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
passage qui suit, ce que vient confinner la question sur le fait que Teresa a fait
perdre ses défauts à l'écrivain.
(4.45)
EZ: c'est compliqué / parce que sur un . plateau euh: vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue /. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh : . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de : comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie /. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu /. sur un plateau / quelqu'un
vers. qui l'équipe va aller. d'emblée / parce qu'elle est connue aussi
pour. euh sa sa sa sa sa simplicité / son son son sourire / son: donc on : on
vient vers elle \ et Natacha / je crois que / . alors moi ça m'a servi \ mais
Natacha. a : a dû affronter ça \ le fait d'être. finalement de. peut-être pas
être. vue \ . par l'équipe. autant que Élodie / euh: sur le tournage / et de
ramer comme ça / euh: et d'être auprès d'Élodie / et de. et Élodie est
quelqu'un qui est très euh autonome / sur un plateau \ c'est quelqu'un qui
est très simple / donc euh. c'est quelqu'un qui va pas quand quand quand
quand il y a des des des: choses corn. complexes comme ça / elle va pas
forcément faire un effort /. ça veut pas du tout dire qu'elle accueille l'autre
ou (X) / mais c'est quelqu'un qui est très autonome / elle a pas besoin des
autres Élodie \ . elle a besoin de deux trois choses /. mais c'est tout \\
209
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
42. On trouve chez Katz (1997) une étude approfondie de la clivée en c'est ainsi que d'autres
références.
43. Lambrecht (1999a) propose la définition suivante, valable pour l'ensemble des clivées: « A
cleft construction (short "cie ft") is a complex sentence construction consisting oftwo clau-
ses, a matrix clause containing a COPULA whose non-subject complement is a FOCUS PHRA-
SE, and a RELATIVE CLAUSE (or relative-like construction), one of whose arguments is
coindexed with the Focus Phrase. (Under "argument" are included adjuncts.) Together, the
main clause and the relative clause express a logically simple proposition, which can gene-
rally be expressed in the forrn of a canonical (i.e. non-cleft) sentence, without a change in
truth conditions ».
210
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
L'accent final, transcrit par des petites majuscules, est, d'après Lambrecht,
aussi fort que l'accent sur le pronom toi. Il se justifie par l'inactivation préala-
ble de la proposition ouverte exprimée par la relative (Lambrecht 1994 : 279).
En outre, il est intéressant de noter que l'accent qui touche le constituant mis
en relief par la clivée se retrouve dans les structures fonctionnellement équiva-
lentes en anglais, en italien et en japonais (Lambrecht 1994 : 230), bien que
celles-ci présentent des structures syntaxiques très différentes, comme le mon-
trent les exemples suivants:
44. Mertens (1997) souligne que le ton HB- a une fonction de mise en relief, de marquage d'un
constituant nouveau.
45. Ainsi, pour Molinier (1996 : 86) : «Les phrases clivées sont marquées par une intonation
spéciale: le segment <A> reçoit une emphase suivie d'une rupture d'intonation, et le reste
de la phrase s'inscrit sur une mélodie descendante».
46. Morel (1992a : 33) relève que si la hauteur terminale du constituant focalisé est plus élevée
que celle qu'on trouverait au même point en l'absence de focus, l'attaque du constituant
suivant se situe à un niveau inférieur à celui de l'intervalle neutre.
211
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.69) * c'est puisqu'il n'aura pas d'entrée que son séjour il sera immense (Blan-
che-Benveniste 1997)
(4.70)
GS: oui. c'est peut-être pour ça que quelquefois. je parle trop fort et j'élève
trop fort la voix / (Apostrophes)
47. « The focus meaning ofthese two-clause sequences is thus non-compositional, in the sense
that it is not the computable sum of the meaning of its parts. Rather it is a property of the
complex grammatical construction as a whole. » (Lambrecht 1994 : 230)
212
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.71) ? quelquefois je parle trop fort et j'élève trop fort la voix peut-être pour ça
(4.72) C'est un hamburger que Ronald a offert à Ellen (et pas des frites).
(4.73)
X: (Que mange le chien ?)
Y: C'est un hamburger, que Ronald a offert à Ellen. (D'après Collins 1991)
(4.44) C'est une belle fleur que la rose. (Rothenberg 1989, Molinier 1996)
dans laquelle le relatif que n'alterne pas avec qui, et où l'élément suivant c'est
est nécessairement formé par un syntagme nominal indéfini :
48. Molinier cite en outre des exemples pour lesquels l'accord a une fonction discriminante:
C'est une élégie que j'ai écrit la semaine dernière, vs C'est une élégie que j'ai écrite la se-
maine dernière (Molinier 1996 : 86).
49. Pour un commentaire d'un exemple similaire qui va dans le même sens que la présente ana-
lyse, tout en recourant à la notion de thématisation interne, cf. Muller (1999 : 188-189).
213
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.75) Ce n'est pas parce qu'il est LINGUISTE qu'il sait expliquer l'emploi des
CLIVÉES. (Lambrecht 1999a et b)
qui peut faire l'objet soit d'une lecture clivée, selon laquelle « il sait effective-
ment expliquer l'usage des clivées )), soit d'une lecture idiomatique, selon la-
quelle « il ne sait pas expliquer l'usage des clivées )).
Pour terminer cette partie descriptive, on peut relever que la clivée est souvent
comparée aux pseudo-clivées du type« ce que/qui/dontA, c'est B )), comme:
(4.76) ce qui me plairait moi c'est l'Andalousie tout ça parce que c'est beaucoup
plus typique (Blanche-Benveniste 1997)
214
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
entre les deux segments 50 • Enfin, la structure de type « A, c'est B », est traitée
par Stark (1997) comme un type particulier de segmentée à gauche, ce qui
montre qu'elle n'est pas nécessairement aussi proche de la clivée que le laisse
entendre l'analyse de Molinier. Pour ces raisons, il ne semble pas possible de
traiter les pseudo-clivées de manière parallèle à la clivée.
Bien que la structure clivée ne soit habituellement pas considérée comme une
marque de cohésion, son emploi dépend largement du contexte textuel et situa-
tionnel dans lequel elle s'inscrit. Ainsi, dans l'exemple suivant:
Les informations présentées dans une clivée se caractérisent ainsi par un ancra-
ge contextuel, qui est marqué linguistiquement de deux manières différentes.
50. Ainsi, Apothéloz et Zay (1999 : 13) considèrent que les pseudo-clivées à fonction identifi-
catrice ou attributive constituent des structures macro-syntaxiques.
51. Lambrecht (1994) utilise la notion de présupposition (<< knowledge presupposition ») pour
désigner les propositions marquées lexico-syntaxiquement par exemple par la clivée et que
le locuteur présume être connues ou admises comme telles par l'interlocuteur. L'élément
accentué se caractérise par une relation de focus.
215
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
Bl75 : et on a vu. le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
Cl76 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C 178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein (Allocations)
(4.82)
GS: je suis un instinctif J je ne suis pas du tout un intellectuel J euh : je n'ai
jamais pensé un roman J j'ai senti un roman \je n'ai jamais pensé un per-
sonnage J j'ai senti un personnage \ n'est-ce pas J. euh je n'ai jamais.
inventé une situation J la situation est venue lorsque j'écrivais un roman J
mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener J c'est lui
gui me menait J (Apostrophes)
Outre par les expressions référentielles, les points d'ancrage sont marqués par
la structure même de la clivée, qui présente le prédicat comme étant admis ou
donné par les interlocuteurs (Collins 1991, Cadiot 1992: 69, Molinier 1996,
Blanche-Benveniste 1997 : 97, Katz 1997). Comme c'est le cas pour les points
d'ancrage marqués par les expressions référentielles, ce point d'ancrage propo-
sitionnel peut avoir été introduit plus ou moins directement. Ainsi, il peut être
évoqué dans le cotexte qui précède immédiatement la clivée, comme dans
l'exemple suivant :
(4.83)
CF: Claude Torracinta vous l'homme de médias J l'ancien à cette table J
comme vous l'avez dit J est-ce que vous avez le sentiment. que tout. peut
52. « Alors que il n'a qu'un rôle anaphorique, - il n'est, en somme, que pronom -, lui présente
deux faces. Il reste d'une part pronom comme il en ce qu'il renvoie à un référent rendu
saillant par une introduction préalable dans le contexte antérieur, mais il apporte en même
temps une information nouvelle par l'accentuation: c'est son côté déictique» (Kleiber
1994a: 137).
216
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.84)
BP: Georges Simenon je euh: 1. vos mémoires intimes commencent par le
récit. du suicide de votre fille \ et j'aimerais vous lire ces quelques lignes 1
je vous poserai la question après \ ce sont évidemment c'est. des lignes
dramatiques \\ . vous vous adressez à Marie-Jo 1 et vous dites ceci 1 ton
appartement était dans un ordre et une propreté impeccable 1 comme si 1
avant de partir 1 tu avais procédé à un méticuleux nettoyage 1 y compris au
lavage et au repassage de tes vêtements et de ton linge \\ . tout était à sa
place 1toi-même couchée sur ton lit 1un petit trou rouge dans la poitrine \\
et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1-+ c'est: Georges Simenon 1le père de Marie-Jo qui se les pose 1ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret 1. créature de Georges Simenon \\
GS: ah non c'est le père de Marie-Jo qui se les. 1 parce que ça ça : euh: sup-
pose. d'abord qu'elle ait donc bien prémédité! puisqu'elle est allée ache-
ter un pistolet ou les cartouches 1 enfin je suppose 1 ou elle les a peut-être
trouvés 1 ou quelqu'un les lui a donnés 1 je n'en sais rien 1 mais. euh: si
j'insiste sur le pistolet à un coup 1 c'est que. (X)
BP: on a l'impression que c'est Maigret : Il
217
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Les clivées soulignées dans cet exemple s'articulent autour de la même idée, à
savoir qui, de Simenon le père ou de Maigret le personnage, est l'auteur des
questions portant sur les modalités du suicide de Marie-Jo. Le rappel explicite
de ces questions par B. Pivot introduit en mémoire discursive le point d'ancra-
ge marqué par qui se les pose, dans la première clivée, et, dans une moindre
mesure peut-être, par qui parle(nt) dans le deuxième groupe de clivées. Plus
précisément, la proposition présentée comme active par ces dernières clivées
tire sa source des interventions de G. Simenon, qui se justifie en reprenant des
arguments similaires à ceux cités par B. Pivot. Par ailleurs, on peut relever que
les points d'ancrage marqués par qui se les pose, et qui parle sont, une fois
évoqués, assez accessibles pour être implicites dans les actes qui suivent im-
médiatement (c'est le commissaire Maigret / créature de Georges Simenon et
c'est les deux / c'est c'est plutôt le père) ou rappelés par aussi (dans c'est le
père aussi)53.
Bien que ce soit souvent le cas, la proposition présentée comme déjà active par
la clivée n'a pas nécessairement une source précise dans le cotexte. C'est ce
qui se passe dans l'exemple 4.81 :
(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
B 175 : et on a vu . le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
C176 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C 178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein
Cet exemple est extrait de la discussion entre B, à qui une commission a refusé
une allocation, et C, membre de cette commission. Comme la commission a
justement pour mission d'attribuer les allocations, le point d'ancrage auquel
53. Voir pour une observation similaire ainsi que d'autres références Katz (1997: 126).
218
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
renvoie qui détermine peut être calculé inférentiellement à partir des connais-
sances qu'ont les interlocuteurs de la situation et du texte.
(4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon 1 le père de Marie-Jo gui se les pose 1 ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret 1. créature de Georges Simenon \\
(Apostrophes)
Parmi les points d'ancrage marqués par les expressions référentielles, on peut
d'emblée exclure « Georges Simenon », car il est présenté, par sa position dans
la clivée, comme caractérisé par une relation de focus. Le référent formé par
les « deux questions» constitue en revanche un candidat plus probable, dans la
mesure où il est verbalisé par un pronom (les) dans la seconde partie de la cli-
vée. Il entre en concurrence avec la proposition marquée par qui se les pose,
que l'on peut paraphraser par« la personne qui se les pose », qui lui aussi peut
être considéré comme étant déjà actif. Cette ambiguïté n'est toutefois qu'appa-
rente, dans la mesure où le point d'ancrage le plus immédiatement pertinent
vis-à-vis de l'information spécifiquement activée par la clivée (Georges Sime-
non), ce n'est pas les deux questions, mais bien plutôt l'information de la se-
conde partie de la clivée. Que l'on compare :
Le référent « ces deux questions» constitue ainsi un point d'ancrage plus glo-
bal, sur lequel s'ancre la proposition marquée par qui se les pose, qui constitue
le topique de l'information activée par la clivée.
219
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
B175 : et on a vu .le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
C176 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein
(4.82)
GS: je suis un instinctif 1 je ne suis pas du tout un intellectuel 1 euh: je n'ai
jamais pensé un roman 1j'ai senti un roman \je n'ai jamais pensé un per-
sonnage 1 j'ai senti un personnage \ n'est-ce pas 1. euh je n'ai jamais.
inventé une situation 1 la situation est venue lorsque j'écrivais un roman 1
mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener 1c'est lui
gui me menait 1
54. Malgré le caractère figé, relevé par Blanche-Benveniste (1997), de la clivée en c 'est pour
ça ... , l'exemple 4.71 (c'est pour ça que quelquefois je parle trop fort et j'élève trop fort la
voix) peut faire l'objet d'une analyse similaire: le pronom démonstratif renvoie à une infor-
mation déjà active en position de focus. En revanche, les travaux de Katz (1997) et Lam-
brecht (1999a et b) tendent à indiquer que la seconde partie de cette clivée ne se caractérise
pas par un statut présupposé.
220
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.88)
BP: (mais là) c'est le commissaire Maigret qui parle Il
GS: c'est le père aussi 1 euh: j'aime de . reconstituer. ce q. ce qui s'est passé
avant Il
BP: c'est les deux qui parlent \\
GS: c'est les deux 1 c'est c'est plutôt: le père Il
(4.82)
GS: je suis un instinctif 1 je ne suis pas du tout un intellectuel 1 euh: je n'ai
jamais pensé un roman 1j'ai senti un roman \ je n'ai jamais pensé un per-
sonnage 1 j'ai senti un personnage \ n'est-ce pas 1. euh je n'ai jamais.
inventé une situation 1 la situation est venue lorsque j'écrivais un roman 1
mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener 1c'est lui
gui me menait 1
Elle peut aussi amener une transition topicale, comme dans la fin de l' exem-
ple 4.83 que je transcris en 4.89 :
(4.89)
CT: y a pas de sujet tabou 1. y a des sujets plus difficiles à traiter 1 et y a des
sujets où effectivement. on a du mal je dirais à les appréhender \\
CF: Anne-Catherine Lyon Il
ACL: peut-être pour enchaîner 1 plutôt que les sujets qui devraient être tabous 1
c'est certaines personnes gui devraient être. taboues 1 ou plus exactement.
plus le sujet est difficile 1 plus les personnes devraient être de qualité \\
221
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.81)
B 173 : alors on a vu madame Poirier.
C174: oui
B175 : et on a vu. le . madame Poirier avait l'air de dire bon ben c'est c'est c'est
C176 : alors c'est elle gui détermine vous savez on suit beaucoup ses ses trucs elle
elle note des points
B 177 : euh ouais alors euh
C178 : c'est elle gui détermine beaucoup hein (Allocations)
(4.90) c'est justement elle qui détermine (et pas quelqu'un d'autre)
Cet effet de sens implicite peut, dans certaines situations, constituer l'essentiel
du message. C'est le cas pour cette savoureuse clivée située au début de Rhino-
céros d'Eugène Ionesco:
(4.91)
[contexte: Bérenger a la mine défaite d'un ivrogne; il vient de rencontrer Jean
avec qui il a rendez-vous]
BÉRENGER
Qu'est-ce que vous buvez?
JEAN
Vous avez soif, vous, dès le matin?
BÉRENGER
Il fait tellement chaud, tellement sec.
JEAN
Plus on boit, plus on a soif, dit la science populaire ...
BÉRENGER
Il ferait moins sec, on aurait moins soif, si on pouvait faire venir dans notre ciel
des nuages scientifiques.
JEAN, examinant Bérenger.
Ça ne ferait pas votre affaire. Ce n'est pas d'eau gue vous avez soif, mon cher
Bérenger. ..
BÉRENGER
Que voulez. vous dire par là, mon cher Jean?
JEAN
Vous me comprenez très bien. Je parle de l'aridité de votre gosier. C'est une terre
insatiable. (Rhinocéros, E. Ionesco, 15-16)
222
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
La clivée ce n'est pas d'eau que vous avez soif est intéressante non seulement
d'un point de vue syntaxique, mais surtout parce qu'elle permet au locuteur
d'exprimer une accusation implicite. En effet, par cette clivée, Jean fait mine
d'avoir compris que Bérenger souhaitait boire l'eau de pluie, pour nier la perti-
nence d'une idée aussi absurde. Dans la situation de cet échange où Bérenger
présente tous les symptômes d'une gueule de bois, le lecteur comprend sans
avoir besoin d'effectuer un parcours inférentiel trop complexe que Jean accuse
Bérenger d'avoir soif d'alcooI 55 .
55. Au-delà de cette interprétation, le lecteur est également amené à s'interroger sur la nature
physique ou spirituelle de la soif de Bérenger, comme je l'ai relevé dans l'introduction.
56. Voir par exemple Larsson (1979), Lambrecht (1981,2001), Dupont (1985) et Stark "0997)
ainsi que les nombreuses références citées dans ces travaux.
57. Voir aussi Rossi (1985 : 143).
223
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
58. Voir le problème du rôle accordé aux pauses dans la définition du contour intonatif(Grobet
1997a: 9Iss.).
59. « The intonation drop between a focus and an A-TOP phrase has often been described as a
pause. However, pauses are a necessary feature neither of TOP nor of A-TOP consti-
tuants. » (Lambrecht 2001).
224
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
extra-clausal TOP position, the 'topicalized' phrase occurs in the so-called pre-
clausal COMP (complementizer) or WH- position, where it keeps its syntactic and
semantic status as a complement of the verb. (Lambrecht 200 l)
(4.92) Ich sah [diesen Film], aIs ich ein Kind war.
(4.92') [Diesen Film] sah ich_ aIs ich ein Kind war.
(4.92") [Diesen Film]j, denj sah ich, aIs ich ein Kind war.
(4.96) L'amour elle appelle ça. (Stempel cité par Lambrecht 2001)
60. Lambrecht & Lemoine (1996) considèrent que ce type de structure implique un pronom
zéro.
225
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.97) Cette lettre, elle ne m'est jamais parvenue. (Bally 1965 [1932])
61. Cette structure semble proche au niveau syntaxique de l'inversion décrite par Cadiot
(1992 : 60), mais le marquage prosodique diffère, et la fonction pragmatique est inversée.
Le Querler (1998, 1999) relève également l'existence de ce type de structure segmentée,
dont elle décrit la fonction comme rhématisante (cf. aussi Morel 1992a : 34).
62. Pour des inventaires plus systématiques, cf. Fradin (1998, 1990) et Cadiot (1992). Mais tou-
tes les structures décrites dans ces typologies n'apparaissent pas avec une même fréquence
dans le corpus: par exemple, les segmentées avec constituant détaché prépositionnel sont
extrêmement rares, comme le rappellent également Blanche-Benveniste et al. (1990) dans
le cadre d'une étude de la répartition des différents types de segmentées dans des corpus
étendus.
63. Cette structure est aussi décrite dans la tradition comme « nominativus pendens », comme
le rappelle Cadiot (1992) ; Blanche-Benveniste et al. (1990 : 82) utilisent le terme plus gé-
néral « d'associé ».
64. Berrendonner & Reichler-Béguelin considèrent néanmoins que l'analyse de la segmentée
est ambiguë lorsque l'élément détaché est représenté par un pronom sujet, comme dans:
Cette lettre, elle ne m'est jamais parvenue (Bally cité par Berrendonner & Reichler-Bégue-
lin 1997). Selon eux, « la structure de base de la proposition verbale, en français, présente à
226
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
L'élément de rappel peut être constitué par un syntagme nominal plein plutôt
que par un pronom. Comme le relèvent Berrendonner & Reichler-Béguelin
(1997), celui-ci peut être lié à l'élément disloqué par une relation d'anaphore
fidèle:
(4.100)
X: Est-ce que tu demandes la transition avec ce qu'on vient de dire ou est-ce
que ...
Y: Non non la transition / je cherche pas la transition \66 (Berrendonner &
Reichler-Béguelin 1997)
infidèle:
(4.101) Les enfants, je pardonne tout à ces petits chenapans. (Cadiot 1988)
la fois une position de NP sujet et une position de "pronom clitique" nominatif, ce dernier
jouant en fait le rôle de flexif de personne auprès du verbe» (1997). En suivant cette propo-
sition, l'exemple est analysé soit comme une seule clause dont le sujet est extraposé, soit
comme deux clauses, dont la deuxième se caractérise par un NP sujet vide.
65. Fradin (1988, 1990) approfondit l'étude de la différence entre les disloquées prépositionnel-
les et non prépositionnelles et défend l 'hypothèse selon laquelle le lien entre l'élément déta-
ché et la proposition est à la fois référentiel et fonctionnel lors d'un double marquage, alors
qu'il n'est que référentiel dans la disloquée à gauche non prépositionnelle.
66. Contrairement à Berrendonner & Reichler-Béguelin (1997), Lambrecht ne considère pas
cet exemple comme une segmentée à gauche : pour lui, la transition se caractérise par une
relation de focus. Sans pouvoir totalement exclure cette interprétation, il me semble toute-
fois que, pour marquer un tel focus, le locuteur aurait plutôt utilisé une clivée: c'est pas la
transition que je cherche.
227
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
ou encore associativé 7 :
(4.102) Ah ben la Seine / euh les quais les quais maintenant sont canalisés vous
savez. (Berrendonner & Reichler-Béguelin 1997)
Cette structure est souvent associée aux segmentées sans rappel, dans la mesu-
re où elle repose sur un lien pragmatique uniquement (Stark 1997, Lambrecht
2001).
Die Konstituente ist weiterhin nicht aIs von der Verbrektion abhangig gekenn-
zeichnet, sie lasst sich oberflachenstrukturell kaum aIs adverbiale Verb- oder Satz-
erganzung kategorisieren, also nicht aIs Satzglied des folgenden Bezugssyntag-
mas, mit we1chem sie über anaphorische Verweisrelationen verbunden sein kann.
(Stark 1997 : 34)
La segmentée sans rappel peut prendre des formes diverses, dont la description
et l'extension varient selon les auteurs 69 • L'élément détaché peut être lié à la
proposition par une relation d'à propos (Lambrecht 2001). Par exemple:
67. L'anaphore associative est aussi, d'une certaine manière, infidèle, comme me l'a fait remar-
quer Kleiber.
68. À nouveau, la terminologie varie. Le terme de « segmentée sans rappel» correspond, tout
en étant cohérent avec la terminologie adoptée jusqu'ici, à la « détachée sans rappel » de
Fradin (1990 : 16ss.). Cette structure est aussi appelée« unlinked-TOP construction»
(Lambrecht 2001),« cadres absolus » (ou« absolute Rahmensetzung ») (Stark 1997, 1999),
« cadre » (Morel 1992a), « chine se style topics » (Chafe cité par Ashby 1988 : 210), « asso-
ciés» (Blanche-Benveniste et al. 1990: 77), ce qui correspond, d'un point de vue macro-
syntaxique, à des « préfixes » pour les cadres et les informations introduites par quant à
(Blanche-Benveniste et al. 1990: 132-135).
69. Voir Stark (1997) pour une approche récente et détaillée de ce type de structures.
70. Ces marqueurs peuvent également marquer des disloquées, comme dans « quant à la notion
d'interprétation, elle a subi dans l'herméneutique moderne ... » (Ricoeur, cité par Roulet
1999b).
228
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.105)
NV : toujours au sujet des invités une auditrice souhaiterait que les noms des
invités soient annoncés dans la journée / (Forum)
Ici aussi, l'élément segmenté est lié à la proposition par une relation d'à pro-
pos.
(4.106) il travaille le soir / elle c'est le matin, il n'y a que le matin (Blanche-Ben-
veniste, cité par Stark 1999)
(4.108) Mais tu sais, l'métro, avec la carte orange, tu vas n'importe où. (Barnes,
cité par Fradin 1990, Lambrecht 2001)
Les constituants détachés ne sont pas liés par une relation d'à propos stricte à
l'information qui suit, mais contribuent plutôt à l'établissement d'un cadre, ou
d'une« rubrique» (Cadiot 1988, Fradin 1990), dans lequel des référents seront
ultérieurement sélectionnés comme topiques (Stark 1999: 343). Morel
(1992a) relève que l'élément détaché peut exprimer un point de vue pertinent
pour l'interprétation du segment qui le suit:
71. L'interprétation de cet exemple est plus complexe que ne le suggère l'analyse de Stark
(1999), car il peut être interprété, d'après Lambrecht, comme une clivée elliptique: il tra-
vaille le soir / elle c'est le matin qu'elle travaille.
229
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
rhème qui va suivre, soit un argument d'une relation construite [ ... ] Très souvent,
dans un dialogue, le cadre explicite le point de vue à partir duquel il faut envisager
la validation de la relation exprimée dans le rhème. (Morel 1992a : 32-33)72
(4.11 0) et vis à vis de la qualité donc de cette sauce diriez-vous qu'il y en a trop
qu'il y en a beaucoup ou qu'il n'yen a pas assez (Morel 1992a)
Ce bref survol suffit à entrevoir la diversité des formes que peut prendre la seg-
mentée sans rappel 73 • Ainsi que le relèvent Blanche-Benveniste et al. (1990),
la description syntaxique de ces structures est nécessairement limitée :
Les associés ne peuvent pas être décrits à partir des règles de la rection verbale. La
description est nécessairement superficielle, puisque les critères qui pennettent de
les reconnaître sont des critères négatifs. (Blanche-Benveniste et al. 1990: 79)
(4.111)
De: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et. et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1 respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1tout le monde
souriait un peu autour de la table 1 c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens
ne s'écoutaient pas 1ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\ (Forum)74
72. Voir aussi Danon-Boileau et al. (1991), ainsi que Morel & Danon-Boileau (1999).
73. Fradin envisage encore deux autres types de segmentée sans rappel très différentes du point
de vue syntaxique. L'élément détaché peut, premièrement, avoir une fonction de circonstant
constituant le point de départ de l'interprétation du prédicat: Dès qu 'ilfut parti, Anna alla
rejoindre ses sœurs (Fradin 1990 : 17, pour les subordonnées temporelles, cf. Vogeleer
1999). Il peut, deuxièmement, s'appliquer comme qualifiant à un argument de la proposi-
tion: Trop imbu de lui-même, le général accumulait les erreurs (Fradin 1990: 17). On re-
joint ici la problématique plus générale des constructions détachées analysées par
Combettes (l998b).
230
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Le lien entre euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure / tout le monde sou-
riait un peu autour de la table / etc. n'est pas explicité linguistiquement, et
peut être interprété comme étant celui d'un cadre temporel, du type de:
(4.112) pendant l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure / tout le monde souriait
un peu autour de la table /
(4.113) à propos de l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure / tout le monde sou-
riait un peu autour de la table /
L'étude de ces relations sera approfondie, dans le cinquième chapitre, dans une
perspective descriptive plus spécifiquement discursive.
74. Cet exemple peut prêter à discussion, dans la mesure où tout le monde n'y reconnaîtrait pas
une structure segmentée. Il me semble néanmoins intéressant de le traiter en tant qu'exem-
ple-limite de segmentée, marquant la transition entre les structures syntaxiques examinées
dans ce chapitre et les structures plus complexes qui seront étudiées dans le chapitre sui-
vant.
75. Dans cette sous-partie, je ne m'intéresse pas à l'enchaînement interne de la segmentée à
gauche, qui ne présente guère d'intérêt. J'y reviendrai rapidement en abordant la question
du marquage du topique.
76. En d'autres tennes, Larsson (1979 : 11) relève qu'un élément disloqué est souvent mais pas
nécessairement donné; le lien d'un élément disloqué avec le contexte doit être motivé,
c'est-à-dire appartenir à un répertoire de thèmes qui ont une certaine actualité dans la situa-
tion de parole.
231
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
which Chafe uses this concept, or they must be (linguistically or textually) evoked
or inferrable, in the sense defined by Prince. (Lambrecht 1981 : 67)
(4.114)
[contexte: on vient de faire écouter une série de lapsus produits par des
journalistes]
CF: c'est bien que ça nous arrive aussi de temps en temps 1 n'est-ce pas Claude
Torracinta Il
CT : c'est les charmes du métier 1
CF: oui!
CT: ça rappelle que c'est du direct 1ça rappelle que les journalistes 1euh ben ils
sont des gens comme tout le monde 1 ils se trompent 1 ils commettent des
erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\
(Forum)
Selon Stark (1999: 344), la segmentée sans rappel implique également une
contrainte de définitude pour l'élément segmenté. Par exemple :
(4.111)
DC: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et. et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1 respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1tout le monde
souriait un peu autour de la table 1 c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens
ne s'écoutaient pas 1ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\ (Forum)
77. «In languages which have a grammatical category of definiteness, a TOP or A-TOP consti-
tuent must therefore be a definite expression, or el se it must be capable of a generic inter-
pretation. » (Larnbrecht 2001).
78. Cette contrainte ne s'applique pas nécessairement à tous les éléments pouvant fonctionner
comme des « cadres» pour Morel (l992a), ni aux compléments circonstanciels antéposés
et aux appositions décrits par Fradin (1988).
232
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Cependant, Muller (1999) montre que l'on peut trouver des indéfinis dans cer-
taines constructions segmentées, dont voici un exemple faisant intervenir un
indéfini non spécifique79 :
Dans tous les cas, la thématisation nécessite une certaine « saillance » du thème.
Le minimum semble être la saillance du domaine sémantique du SN, par exemple
la notion de cadeau, ou la notion de mauvais temps, qui conduisent à la thématisa-
tion de la voiture, ou du parapluie. (Muller 1999 : 195)
On rejoint là une seconde condition posée par Lambrecht pour les éléments dé-
tachés à gauche et à droite, qui implique que le référent d'une expression seg-
mentée se caractérise toujours par une forte accessibilité dans le discours :
79. Pour Muller (1999 : 190-191) le pronom de reprise est indéfini. Lambrecht considère quant
à lui que le pronom en est défini, mais qu'il renvoie à la classe lexicale« porte-manteau»
plutôt qu'à« un porte-manteau».
233
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
A TOP or A-TOP referent must therefore not only be identifiable but it must also
have a degree of salience or topicality in the present discourse. This explains the
oddness of (l24b/c) compared to (l24a) (the # sign indicates discourse-inappro-
priateness) :
(124)(a) Hi John. Guess what. 1 saw your SISTER last night.
(b) # Hi John. Guess what. Your sister, 1 SAW her last night.
(c) # Hi John. Guess what. 1 SAW her last night, your sister. (Lambrecht
2001)
While different accessibility states can influence the choice ofLD vs RD, accessi-
bility is only a necessary precondition for use of a dislocation construction; it is
not the factor deterrnining this choice. (Lambrecht 2001)
Cela peut être montré à partir de l'examen de pronoms détachés, qui renvoient
à des référents caractérisés par une forte accessibilité. Les pronoms concernés
sont les pronoms personnels accentués (moi est le plus fréquent) et le démons-
tratif ça.
Il existe un emploi spécial de moi je, où les deux éléments sont liés ensemble, et
qui ne se laisse ramener à aucun des modèles évoqués jusqu'ici; c'est le moije de
l'énonciateur. Il s'emploie généralement avec les verbes dire, penser, croire.
(Blanche-Benveniste et al. 1990: 88).
Par exemple :
(4.119) moi je pense que bon - le judo est un sport comme les autres (Blanche-
Benveniste et al. 1990: 88)
234
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Je laisse ces structures de côté en raison de leur caractère figé et quasi automa-
tique.
Si l'on excepte ces formes atténuées, les pronoms ça et moi semblent tous
deux fréquemment fonctionner dans des structures segmentées. Celles-ci peu-
vent impliquer une reprise pronominale, comme dans les exemples suivants:
(4.4)
MC: hein quand on enlève le cinéma français et le cinéma américain 1 il reste
plus que cinq pour cent pour le monde entier 1 or . les auditeurs prennent
déjà cinq films sur dix qui n'appartiennent pas à : à ce bloc hollywoodien \\.
que j'aime par ailleurs 1 qui donne de très beaux films 1
X: <rires>
JG: mais ca nous l'savons 1 mon cher Michel \\ (Le Masque et la Plume)
(4.120)
[contexte: le locuteur donne son avis sur le film d'Angelopoulos]
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1 je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh: moi. je je suis surpris de voir gue
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n 'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il alors quant
au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1j'vais pas recommencer: pas-
ser toute l'émission. sur ça 1. au bout d'un certain temps 1 c'est-à-dire
qu'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les audi-
teurs. du Masque \. chez les lecteurs de Télérama 1 (Le Masque et la
Plume)
(4.121)
JC : non mais je l'répète 1 dans la vie de Gide 1 dans la vie d'Mauriac 1 il
MM: Ah oui oui oui 1
JC : il y a des récifs 1il y a des: il y a des aveux
MM: oui
JC: quand même
MM: oUI
JC: qui sont. mieux qu'troublants \ . tandis que chez lui non \ .. enfin on les on
n'les voit pas dans les. dans les Mémoires \
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un. un mari parfait 1.. ca je. je n'pense pas ./
JC: Je vous remercie euh Michelle Maurois (Radioscopie)
(4.122)
MC: deuxièmement 1 ce qui me frappe c'est que: quatre films sur dix ont été
montrés à Cannes 1
235
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
Les pronoms ça et moi illustrés dans ces exemples renvoient, en tant que sym-
boles indexicaux, à des référents très accessibles dans le contexte immédiat de
leur occurrence, soit parce que ce référent vient d'être évoqué, soit parce qu'il
s'agit du locuteur de l'intervention en cours 80 . Il n'est donc pas possible d'in-
voquer l'existence d'un faible degré d'accessibilité pour justifier l'emploi de
segmentées à gauche.
Despite of differences of emphasis and detail, the various studies share a common
denominator - they aIl regard the function of LD as basically introductory ; the
construction is c1aimed to either introduce or reintroduce a referent into the dis-
course that is judged not to be in the foreground of the listener consciousness [ ... ].
(Ziv 1994 : 633)
80. Les deux derniers exemples se caractérisent par des structures différentes, comme me l'a
fait remarquer Lambrecht : alors que la segmentée de 4.122 peut être analysée comme une
disloquée avec reprise zéro (cf. çaje ne le pense pas), celle de 4.123 est une segmentée sans
rappel qui n'admet pas de reprise pronominale. Cette différence n'influence toutefois pas la
fonction de reprise des pronoms qui m'intéresse ici.
81. Voir la discussion générale des deux types de segmentées en 4.2.1.
82. L'effet de sens produit par l'utilisation de pronoms détachés a été décrit comme marquant le
locuteur comme responsable de l'opinion avancée (Stark 1999: 354). Blanche-Benveniste
et al. (1990 : 87) utilisent la notion de « désignation distinguée» et Le Querler celle de
« soulignement contrastif» (Le Querler 1998 : 125).
236
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.114)
[contexte: on vient de faire écouter une série de lapsus produits par des
journalistes]
CF: c'est bien que ça nous arrive aussi de temps en temps 1n'est-ce pas Claude
Torracinta Il
CT : c'est les channes du métier 1
CF: oui!
CT : ça rappelle que c'est du direct 1ça rappelle que les journalistes 1euh ben ils
sont des gens comme tout le monde 1 ils se trompent 1 ils commettent des
erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\
Le référent« les journalistes » est d'abord activé. Il ne fonctionne alors pas en-
core comme topique, mais s'ancre sur l'information marquée par la répétition
de ça rappelle que. Dans un second temps, repris par le pronom ils, il constitue
le topique de l'information activée par sont des gens comme tout le monde.
C'est ainsi par un procédé binaire que la segmentée à gauche marque le topi-
que 83 :
83. Cf. aussi Bally (1965 [1932] : 60-61), Lambrecht (2001), Stark (1999: 343).
237
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.120)
[contexte: le locuteur donne son avis sur le film d' Angelopoulos]
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1 je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh: moi. je je suis surpris de voir que
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il alors quant
au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1j'vais pas recommencer: pas-
ser toute l'émission. sur ça 1. au bout d'un certain temps 1 c'est-à-dire
qu'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les audi-
teurs . du Masque \. chez les lecteurs de Télérama 1 (Le Masque et la
Plume)
84. « Les effets de sens que donnent les associés sont liés à leur statut grammatical: étant en
dehors de la construction verbale, ils ont une signification qui est interprétée comme préala-
ble à celle-ci; ce peut être une interprétation par présupposé [ ... ] ce peut être une interpré-
tation qui porte sur l'attitude énonciative, et non sur ce que dit l'énoncé porté par la
construction verbale [... ]. »(Blanche-Benveniste et al. 1990: 79)
85. Pour la discussion du problème de l'unité discursive minimale, cf. chap. 2, point 2.1.
238
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon 1 le père de Marie-Jo qui se les pose 1 ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret/. créature de Georges Simenon \\
Dans 4.85, une structure segmentée impliquant ces deux questions se combine
avec une clivée (c'est Georges Simenon / le père de Marie-Jo qui se les pose).
La structure segmentée (ré)introduit un référent (<< ces deux questions »), sur
lequel s'ancre (par le pronom les) le topique marqué par la deuxième partie de
la clivée (qui se les pose). Loin d'être contradictoire, ce double marquage arti-
cule « les deux questions» avec « la personne qui se les pose », permettant par
là une approche toujours plus précise du topique.
86. Le pronom de la première personne est lui aussi détaché (moije), marquant la prise de posi-
tion du locuteur. Cette structure est peut-être encore plus complexe que cela, car elle peut
être analysée comme une segmentée à droite avec pronom zéro (moi j'o aime pas trop,
['Benigni), ainsi que me l'a fait remarquer Lambrecht. En revanche, l'intonation me semble
exclure l'interprétation selon laquelle l'Benigni renverrait à un référent focalisé.
8? Lambrecht souligne que pour l'anglais, as for marque lui aussi un référent accessible con-
textuellement (1994: 152).
239
les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.111)
DC: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et. et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1 tout le monde
souriait un peu autour de la table 1 c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens
ne s'écoutaient pas 1 ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\
Ici, l'information activée par tout le monde souriait un peu autour de la table
s'ancre globalement et implicitement sur l'information activée précédemment,
à savoir« l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure ».
Pour clore cette discussion, il reste à préciser quand un tel marquage du topi-
que est nécessaire. D'une manière générale, la segmentée à gauche, qui réactive
un référent pour en faire le topique de ce qui suit, est liée à une mise en relief
du référent qu'elle active, souvent associée aux lieux de transition:
By using a topic (rather than e.g. an anaphoric pronoun) the speaker announces the
domain of his discourse, or a shift in the domain of the discourse, and expresses
the desire to establish a communicative agreement as to the importance of the refe-
rent of the topic for the discourse. (Lambrecht 1981 : 67)88
La segmentée à gauche peut être comprise comme témoignant d'un désir d'ob-
tenir un accord sur l'importance d'un référent, qui est par là même annoncé
comme un topique ultérieur.
Cette fonction se retrouve dans les exemples considérés jusqu'à présent. Ainsi,
dans:
(4.114)
[contexte: on vient de faire écouter une série de lapsus produits par des
journalistes]
CF: c'est bien que ça nous arrive aussi de temps en temps 1n'est-ce pas Claude
Torracinta Il
CT : c'est les charmes du métier 1
CF: oui 1
CT : ça rappelle que c'est du direct 1ça rappelle que les journalistes 1euh ben ils
sont des gens comme tout le monde 1 ils se trompent 1 ils commettent des
erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio une
télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\
88. Cf. aussi Lambrecht (1987, 2001), Berthoud (1996, chap. 6), Stark (1997, 1999), etc.
240
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
(4.123)
CT: ça rappelle que c'est du direct 1 ça rappelle que euh ben ils sont des gens
comme tout le monde 1 les journalistes 1 ils se trompent 1 ils commettent
des erreurs 1 c'est c'est la vie 1 on en parlait. faut pas non plus une radio
une télévision figée 1 c'est la vie 1 moi j'trouve ça très bien 1 au contraire \\
Dans les deux autres exemples qui viennent d'être étudiés, la segmentée à gau-
che ne peut pas être remplacée par une segmentée à droite : sa fonction intro-
ductrice paraît essentielle. Dans l'exemple 4.120 impliquant le « film de
Benigni », la segmentée marque un changement de référent topical dans le ca-
dre d'une énumération, tandis que dans l'exemple 4.111, le rappel de « l'exem-
ple qu'on a entendu tout à l'heure» permet de réactiver un référent pour en
faire le topique des actes suivants.
(4.124)
JG : merci donc à. à Michel Ciment à Ipsos 1 et du côté de Pierre Murat 1
qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction Il
PM: euh: non 1 la réaction c'est évidemment la grande joie pour. de voir
l'Angelopoulos qui a été . vraiment mal accueilli 1
JG: oui
PM: y compris à cette tribune (Le Masque et la Plume)
241
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
(4.125)
JO : Pierre \\
PM: ben moi ce qui m'avait beaucoup euh frappé 1 c'était la force de la mise en
scène 1 et puis la complicité. manifeste 1 que vous aviez réussi à créer 1 ou
qui s'était créée entre les deux 1 alors j'ai une question aussi 1 que je vous
pose 1est-ce que cette complicité était. d'abord vraie. et facile. à à mana-
ger comme on dit 1 et puis la deuxième chose qui m'avait beaucoup plu 1
c'est que c'est une générosité 1 parce que la générosité n'est pas toujours
une valeur qui est bien perçue 1
JG: non surtout au Masque et la Plume Il
PM: et la hein <rire> et la générosité moi j 'l'avais trouvée chez vous 1 euh jus-
tement pas: pas mièvre pas douceâtre 1je voulais savoir si c'était quelque
chose qui vous tenait à cœur \ donc à la fois. la complicité avec les comé-
diennes 1. comment ça c'est passé 1. et puis cette générosité qui était tout le
temps là 1 mais qui ne sombrait jamais dans la mièvrerie quoi \\
ÉZ: -+ oui \ . non mais par exemple pour la générosité 1 c'est vrai que quand on
écrit 1 on a a avec Virginie 1ou avec Roger 1 qui sont. <acc.> donc les per-
sonnes qui ont écrit avec moi le scénario 1 on est toujours en train de se
dire 1. ah ben non là c'est pas possible 1 on coupe là ça devient mièvre 1 on
n'a que ce mot-là à: la bouche \ (X) et pareil au montage 1 (X) autant frus-
trer un peu le spectateur 1 euh : mais pas tomber dans le euh : la . euh :
quelque chose de complaisant de: 1 donc ça c'est c'est vrai que c'est:
euh: 1 -+ après pour la complicité des: des deux comédiennes 1c'est com-
pliqué \\
X,Y: <rires>
ÉZ: c'est compliqué 1 parce que sur un . plateau euh: vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue 1. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de : comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie 1. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu 1. sur un plateau 1 quelqu'un
vers. qui l'équipe va aller. d'emblée 1 parce qu'elle est connue aussi
pour. euh sa sa sa sa sa simplicité 1 son son son sourire 1 son: donc on : on
vient vers elle \ et Natacha 1 je crois que 1 . alors moi ça m'a servi \ (Le
Masque et la Plume)
Dans cet exemple, le journaliste formule une double question à Éric Zonca, qui
concerne à la fois la complicité des comédiennes et la générosité dans son film.
La différence des référents proposés oblige É. Zonca à répondre en deux
temps: inversant l'ordre proposé par son interlocuteur, il réactive d'abord « la
générosité» dans une segmentée sans rappel, puis « la complicité des deux co-
médiennes ». La complexité de cet enchaînement explique que les segmentées
soient combinées avec d'autres marques contribuant à la structuration du dis-
cours, comme le marqueur pour (Cadiot 1988), et après, par exemple. Dans cet
exemple, comme dans celui qui précède, la segmentée à gauche ne peut pas
être remplacée par une segmentée à droite.
242
Les marques syntaxiques de la structure informationnelle
Étant donné que la segmentée à gauche constitue un moyen privilégié pour re-
prendre la parole de l'autre dans un contexte dialogique, il n'est pas surprenant
qu'elle permette également le renvoi à la propre parole du locuteur de manière
métadiscursive, comme le montre bien Berthoud (1996, 1999). Dans l'exem-
ple 4.85 :
(4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon Ile père de Marie-Jo qui se les pose 1 ou
est-ce que c'est le commissaire Maigretl. créature de Georges Simenon \\
La structure segmentée formée par ces deux questions / c'est [. ..} qui se les
pose est ici aussi liée à une reprise de la parole de l'autre, puisque le locuteur
(B. Pivot) commence par une citation (introduite par et vous ajoutez ceci).
Mais contrairement à ce qui se passe dans les exemples qui précèdent, la repri-
se diaphonique est intégrée dans la structure monologique avant la segmentée.
Cette segmentée permet au locuteur de réactiver les questions citées, non pas
sous l'angle de leur contenu, mais du point de vue de l'acte illocutoire qu'elles
réalisent, qui fait l'objet de sa question.
243
Les facteurs linguistiques de l'identification du topique
L'analyse syntaxique a aussi montré ses limites. Ainsi, l'étude du rôle du sujet
dans le marquage du topique a fait apparaître que l'interprétation de la proposi-
tion assertive canonique, non marquée du point de vue de la structure informa-
tionnelle, est fortement dépendante du contexte. De plus, j'ai relevé que
l'analyse de la segmentée à gauche échappe à un cadre strictement syntaxique,
puisque cette structure articule deux unités discursives, dont la relation doit en-
core être précisée. Enfin, l'interprétation d'une structure segmentée à gauche
fait souvent appel à des connaissances pragmatiques qui relèvent du contexte
discursif. Ainsi, dans un exemple comme 4.126 :
(4.126)
C144: ah mais ça c'est autre chose madame l'aide ménagère elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale gui inter-
vient (Allocations)
244
Partie III
LES FACTEURS
DISCURSIFS
DE L'IDENTIFICATION
DU TOPIQUE
Chapitre 5
,
LA STRUCTURE HIERARCHIQUE
ET RELATIONNELLE DU DISCOURS
Dans les chapitres précédents, j'ai à plusieurs reprises fait appel, de manière
volontairement informelle, au contexte! textuel et situationnel, qui contribue à
influencer la saillance du topique et, par là même, à faciliter son identification.
Pour combler cette lacune, je me propose, dans les deux chapitres qui suivent,
d'approfondir l'étude de quelques facteurs propres à la structure du discours,
qui me paraissent jouer un rôle décisif dans l'identification du topique.
1. Pour une discussion approfondie de la notion de contexte, voir Kleiber (1 994b, 1997b et c).
247
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Pour rendre compte de ·la saillance discursive du topique, l'un des moyens les
plus fréquemment utilisés est la mesure de la distance de la dernière évocation
d'un référent fonctionnant comme topique. Par exemple, pour évaluer le degré
de continuité d'un topique, Givon (1983) prend en compte, d'une part, la dis-
tance séparant le topique de sa dernière occurrence linguistique ainsi que les
interférences potentielles, et, d'autre part, la persistance de ce topique sur la
base du texte consécutiP.
2. Voir aussi Burton & Casey (1984, 1985, 1988-89), de Forne1 (1986, 1988), Berthoud
(1996).
3. Cf. pour des mesures similaires, Ariel (1990) et Apothéloz (1995).
4. Voir les critiques portées à l'encontre des travaux de Givon, rappelées par Schlobinsky &
Schütze-Coburn (1992 : 108).
248
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.1)
A: tu viens boire un café?
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: tant pis pour toi
5. Ce modèle hiérarchique et relationnel est développé à Genève depuis les années 80. Voir en
particulier Roulet (1981, 1988, 1991a, 1995b, 1999a, b et c), Roulet et al. (1985), Roulet,
Filliettaz & Grobet (2001). Les plus récents travaux de Moeschler (1996a et b, 1998) et Re-
boul & Moeschler (1998), remettent en cause ce modèle, lui préférant une approche comme
la SDRT, défendue par Lascarides & Asher (1993), qui permet l'analyse sémantique des re-
lations de discours. Le modèle hiérarchique, qui dès son origine été pensé en vue de l'analy-
se des dialogues, me semble toutefois mieux à même de rendre compte de leur structure que
la SDRT, qui n'a abordé cette problématique que récemment. De plus, la SDRT utilise par-
fois aussi le terme de « topique », mais dans un sens très large qui ne me paraît pas directe-
ment compatible avec mon approche. De ce choix théorique découle toutefois, pour le
présent travail, un traitement volontairement peu formel des relations de discours.
249
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
aujourd 'hui) ; A ratifie alors le refus de B. En lieu et place d'une telle ratifica-
tion, on peut aussi observer une relance, du type de Allez, viens quand même!
qui entraîne une prolongation de l'échange, comme dans 5.2 :
(5.2)
A: tu viens boire un café?
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: allez, viens quand même!
B: ok d'accord je viens
A: super!
(5.3)
A: tu viens boire un café?
B: tout de suite?
A: oui, si tu as le temps
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: tant pis pour toi
6. Ce processus de négociation est souvent représenté dans un schéma spécifique que l'on
trouve par exemple chez Roulet (1999b et c).
250
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
Dans l'exemple 5.1, la réponse de B présente une structure articulant deux ac-
tes (ah non et parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui). Le premier
peut être considéré comme principal par rapport au second, parce que ce der-
nier peut être supprimé sans nuire à l'intelligibilité de la réponse (Roulet
1999b). De plus, la présence du 'connecteur parce que indique que l'acte qu'il
introduit constitue un argument venant étayer le constituant qui le précède 7.
Vexemple 5.1 présente donc une structure qui peut être représentée de la ma-
nière suivante :
AP ahnon
E - 1 [
As parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
argument
- 1 tant pis pour toi
Pour clore cette brève présentation, il reste à préciser que ce type d'analyse ne
peut prétendre à fournir LA bonne structure d'un texte, car il existe le plus sou-
vent plusieurs interprétations possibles: l'établissement d'une structure hiérar-
chique ne constitue pas une fin en soi, mais bien plus un outil heuristique
permettant de formuler et de comparer des hypothèses précises sur la structure
d'un texte donné.
251
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Diseourse topies rnay take sorne presupposition of the irnrnediately preeeding dis-
course topie and/or the new information provided relevant to the diseourse topie
preeeding (ail part of the presupposition pool) and use it in a new diseourse topie.
(Keenan & Sehieffelin 1976 : 341)
Dans la mesure où une structure segmentée à gauche articule deux actes dis-
cursifs, il est légitime d'admettre que ceux-ci se caractérisent par une relation
de discours 10. Dans le modèle genevois, les relations de discours interactives
peuvent être de type argumentatif, reformulatif, rituel, etc. (Roulet et al. 1985).
Parmi celles-ci, la relation la mieux adaptée pour décrire l'articulation des
9. Cette progression est appelée « Topie shading» par Crow (1983), « incorporating discourse
topic » par Keenan & Schieffelin (1976), et en français, « mouvement thématique par tran-
sition progressive» (de Fornel1988 : 103ss., traduisant Sacks).
10. J'utilise l'expression « relation de discours» pour désigner, de manière générale, les rela-
tions illocutoires et interactives caractérisant les constituants de la structure hiérarchique.
252
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
deux membres d'une segmentée à gauche paraît être la relation d'à propos
pragmatique appelée «thème de» par Auchlin (1986), que je rebaptise «topi-
que de» (Grobet 1999a). Auchlin (1986-87: 79,1993: 127) décrit cette rela-
tion comme une relation pragmatique de base, pouvant être ou non spécifiée
par un paramètre de nature argumentative :
(5.5)
PM: et la hein <rire> et la générosité moi j'l'avais trouvée chez vous / euh jus-
tement pas: pas mièvre pas douceâtre / je voulais savoir si c'était quelque
chose qui vous tenait à cœur \ (Le Masque et la Plume)
le syntagme la générosité peut être considéré comme étant lié par une relation
« topique de » à moi j 'l'avais trouvée chez vous / euh justement pas: pas miè-
vre pas douceâtre, car c'est une relation d'à propos qui unit les informations
activées par ces deux constituants. De plus, dans le second constituant, cette
253
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(5.6) (=4.111)
De: j'crois que le débat doit doit rester courtois 1 . et. et . et en l'occurrence 1.
on doit aussi respecter l'autre 1respecter ce qu'il dit essayer de pas lui cou-
per la parole \ euh l'exemple qu'on a entendu tout à l'heure 1tout le monde
souriait un peu autour de la table 1c'est vrai que c'était flagrant 1 les gens ne
s'écoutaient pas 1 ils ne voulaient pas écouter ce que disaient les autres \\ .
c'était quand même assez extraordinaire \\ (Forum)
254
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
très différentes 12. C'est à l'étude de ces diverses fonnes et de leur rôle dans
l'identification du topique que la section suivante sera consacrée.
Le premier, déjà traité du point de vue syntaxique, articule une structure seg-
mentée avec une clivée :
(5.7) (= 4.85)
BP: et vous ajoutez ceci Il d'où venait le pistolet vingt-deux. à un seul coup \
soulignez un seul coup 1 qui avait acheté les cartouches \ ces deux ques-
tions 1 c'est: Georges Simenon / le père de Marie-Jo qui se les pose / ou
est-ce que c'est le commissaire Maigret 1. créature de Georges Simenon \\
(Apostrophes)
12. Cette variation se justifie par le principe de récursivité sous-jacent à la dimension hiérarchi-
que.
13. Cette relation s'établit toujours par l'intermédiaire de la mémoire discursive. C'est proba-
blement à ce type de configuration que Stark (1997,1999) fait référence lorsqu'elle évoque,
dans un cadre théorique différent, les segmentées dont la fonction est d'activer un «sujet de
séquence ».
255
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Vexemple 5.8, extrait de 4.125, implique, dans la réponse d'Éric Zonca, une
structure plus complexe :
(5.8)
PM: donc à la fois. la complicité avec les comédiennes /. comment ça c'est
passé /. et puis cette générosité qui était tout le temps là / mais qui ne som-
brait jamais dans la mièvrerie quoi \\
ÉZ: oui \ . - non mais par exemple pour la générosité / c'est vrai que quand on
écrit / on a a avec Virginie / ou avec Roger / qui sont. <acc.> donc les per-
sonnes qui ont écrit avec moi le scénario / on est toujours en train de se
dire /. ah ben non là c'est pas possible / on coupe là ça devient mièvre / on
n'a que ce mot-là à: la bouche \ (X) et pareil au montage / (X) autant frus-
trer un peu le spectateur / euh: mais pas tomber dans le euh : la . euh:
quelque chose de complaisant de: / donc ça c'est c'est vrai que c'est:
euh: / - après pour la complicité des: des deux comédiennes / c'est com-
pliqué \\
X,Y: <rires>
ÉZ: c'est compliqué / parce que sur un . plateau euh : vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue /. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de: comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie /. quelqu'un (mais). et qui est face à
256
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
Pour répondre à la double question de Pierre Murat, Éric Zonca est amené à
réactiver, premièrement, le référent formé par la « générosité », et deuxième-
ment, la «complicité des deux comédiennes ». Dans les deux cas, l'élément
antéposé est accompagné d'un marquage lexical abondant (pour, analysé par
Cadiot & Pradin 1989, revient deux fois) 14. Le premier segment (non mais par
exemple pour la générosité) introduit non seulement la proposition qui suit
(c'est vrai que quand on écrit), qui est à elle seule incomplète du fait de sa
structure concessive, mais aussi l'ensemble de l'intervention qui explique la
manière dont a été élaborée cette générosité, jusqu'à l'interruption précédant la
réactivation de la « complicité des comédiennes ». Ce second élément antépo-
sé peut, dans un premier temps, être analysé comme introduisant une seule
proposition: après pour la complicité des: des deux comédiennes / c'est com-
pliqué. S'il subsiste néanmoins un problème d'incomplétude, celui-ci est dû à
des contraintes pragmatiques : le respect de la maxime de quantité de Grice
(1979) implique que si un locuteur dit de quelque chose que «c'est compli-
qué », il est supposé expliquer pourquoi. C'est effectivement ce que fait
É. Zonca dans cet exemple quand, après avoir été interrompu par des rires, il
répète c'est compliqué, pour enchaîner par une longue intervention dont la
fonction d'argument est marquée par le connecteur parce que.
Les deux séquences qui viennent d'être décrites peuvent être analysées comme
étant coordonnées, car après les relie d'une manière similaire à ce que produi-
rait le coordonnant et. La structure hiérarchique globale peut donc être sché-
matisée de la manière suivante 15 :
14. Les marques formées par oui. non mais caractérisant le début de cette intervention peuvent
être interprétées comme des marques d'hésitation et comme des marqueurs de structuration
de la conversation (MSC), qui signalent un refus du « cadre de pertinence thématique» éta-
bli parle constituant précédent (Roulet et al. 1985 : 109), cf. 5.3.1.
15. Le schéma, simplifié, contient uniquement les actes principaux et les constituants qui sont
directement liés aux segments antéposés.
257
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Ip [ Ap c'est compliqué
reformulation
Is parce que sur un plateau ...
argument
Les deux éléments antéposés sont liés à l'intervention qui suit par une relation
de topicalisation. Dans la première partie, l'intervention est tout de suite pré-
sentée comme telle, ce que j'ai traduit par la notation [p, tandis que dans la se-
conde, sa formulation se fait en plusieurs étapes, c'est compliqué étant d'abord
présenté comme un acte isolé, avant d'être reformulé et étayé par l'argument
subordonné introduit par parce que.
Les deux exemples étudiés jusqu'à présent sont produits par le même locuteur.
Dans l'exemple 5.9, le référent activé par la segmentée est saisi « au vol» par
un autre locuteur :
(5.9)
MC: et quant à un film comme Festen / euh: (XX)
JG : il arrive parce que c'est au-delà de la dixième place /
MC: voilà \ voilà \ Festen arrive en décembre / il sort le le 21 décembre / les
gens ont dix jours pour le voir / et ils ne le mentionnent pas \. et ça
m'amène à parler un petit peu / peut-être brièvement mais tout de même /
dans ce genre de référendum / euh : évidemment . c'est pas comme si tous
les auditeurs du Masque et la Plume avaient vu tous les films / [ ... ] (Le
Masque et la Plume)
258
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
bref échange qu'il peut poursuivre son intervention, annoncée par le segment
antéposé; l'intervention se poursuit jusqu'à et ils ne le mentionnent pas. Cette
structure donne le schéma suivant:
On pourrait s'étonner de ce que l'échange subordonné ne soit pas lui aussi lié à
l'élément antéposé par une relation de topicalisation, dans la mesure où la
structure aurait pu être produite par un seul locuteur, comme dans 5.10 :
(5.10)
X: quant à un film comme Festen il arrive parce que c'est au-delà de la
dixième place
259
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
16. Il serait possible d'envisager la suppression de cette contrainte, mais il faudrait alors s'ap-
puyer sur d'autres arguments, plus forts que ceux dont je dispose actuellement.
260
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.11)
ÉZ: oui \ non mais par exemple pour la générosité 1
(générosité) c'est vrai que quand on écrit 1
(quand on écrit) on a a avec Virginie ou avec Roger 1
qui [Virginie ou Roger] sont. donc les personnes qui ont écrit avec moi le
scénario 1...
après pour la complicité des: des deux comédiennes 1
c'[la complicité] est compliqué \\
X, Y: <rires>
ÉZ : c'[la complicité] est compliqué 1
(compliqué) parce que sur un. plateau euh: vous avez euh Natacha
Régnier
qui [Natacha] est une inconnue 1 .
qui [Natacha] est quelqu'un qui a une force euh: une euh: . est quelqu'un
qui . très très déterminé \ .
261
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Les transitions sont moins rapides dans le dernier exemple, dont la structure
informationnelle se présente de la manière suivante :
(5.12)
MS: et quant à un film comme Festen /
JG: il [Festen] arrive parce que c'est au-delà de la dixième place /
MS: (il arrive) voilà \ voilà \
Festen arrive en décembre /
il [Festen] sort le le 21 décembre /
les gens ont dix jours pour le [Festen] voir /
et ils [les gens] ne le mentionnent pas \ .
et ça [ne le mentionnent pas] m'amène à parler un petit peu /
(parler un petit peu) peut-être brièvement mais tout de même / dans ce
geme de référendum / ...
Dans ces trois exemples, l'élément antéposé active ainsi un référent qui consti-
tue le topique du (ou des) premier( s) acte(s) de l'intervention qui suit, et dans
ce sens, on peut dire qu'il fonctionne comme un «point de départ ». Plus ou
moins rapidement, ce point d'ancrage passe toutefois à l'arrière-fond, supplan-
té par des référents rendus plus saillants par des enchaînements linéaires sou-
vent marqués par des expressions référentielles.
17. Cette interprétation pourrait être discutée. Les deux formes pronominales suggèrent une
même accessibilité des référents, qui sont tous deux présentés dans la continuité de ce qui
précède. Le premier référent (<< les gens »), qui remplit la fonction de sujet, paraît toutefois
mieux justifier l'articulation des deux actes: les gens ont dix jours pour le voir et ils ne le
mentionnent pas. On pourrait la paraphraser en termes d'à propos: « à propos des gens (qui
ont dix jours pour voir Festen), ils ne le mentionnent pas ». La paraphrase impliquant un to-
pique constant me semble moins convaincante: « à propos de Festen (que les gens ont dix
jours pour voir), ils ne le mentionnent pas ».
262
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.12) (= 2.20)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'il l'a été. Il (Radioscopie)
18. Pour une première description de ces relations de discours, cf. Grobet (1999a). La liste des
relations traitées n'est naturelIement pas exhaustive; elIe concerne uniquement les relations
qui paraissent les plus pertinentes dans l'identification du topique. D'autres modèles, com-
me la SDRT et la Rhetorical Structure Theory proposent des typologies plus détailIées.
19. D'une manière générale, les relations interactives peuvent être marquées par des connec-
teurs ou être inférables, comme le montre Roulet (1998).
263
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Une telle articulation de la question en deux parties est assez fréquente dans les
interviews et les débats médiatiques ; elle peut aussi impliquer des constituants
plus complexes, comme dans 5.13 :
(5.13)
[contexte: annonce d'une séquence sur les invités]
ME: il yale piège 1 et là Claude Torracinta Dieu sait qu'on se heurte des fois à
des gens dont on sait. qu'ils ont une langue de bois épaisse 1et des fois ils
sont pourtant incontournables 1qu'est-ce qu'on peut faire dans ces cas-là \\
CT: je dirais qu'il faut essayer de. de les contourner 1 si vraiment on ne réussit
pas il faut essayer qu'ils soient bons Il (Forum)
Ap il yale piège
20. La fonction d'argument de cette intervention peut être vérifiée par la possibilité d'insérer un
connecteur comme en effet.
21. Pour la notion de reprise diaphonique, voir les références citées dans le troisième chapitre
en 3.4.3.
264
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
Cette reprise s'inscrit souvent, comme je l'ai relevé dans le chapitre précédent,
dans une segmentée à gauche. Elle peut également impliquer des séquences
plus complexes, comme dans la réponse à une question binaire illustrée par
l'exemple 5.8, et lors de malentendus, tel que celui qui est illustré par 5.14 :
(5.14)
[contexte: B appelle C pour obtenir les motifs du refus d'une demande
d'allocation pour sa mère, C se renseigne alors sur la trajectoire du dossier
de la mère de B]
C38: euh c'est passé en COTOREP son dossier
B39: euh en COTOREP je sais pas
C40: oui ben c'est ça c'est la COTOREP qui décide de ça
B41: ah c'est la COTOREP gui décide de ça la COTOREP c'est quoi c'est le le
C42: c'est la commission d'orientation des adultes handicapés et de reclasse-
ment des hand des adultes handicapés
B43: ah oui alors euh bon parce que je connais bien les les commissions j'en
fais partie moi-même
C44: de la COTOREP
B45: et non non non mais je connais bien les commissions comment ça se passe
alors c'est pour ça que je voulais vous savoir comment.
C46: mais. enfin vous êtes qui madame s'il vous plaît (Allocations)
Cet exemple est formé par un échange dont la structure globale est linéaire. Il
contient un grand nombre de structures syntaxiques marquées qui se combi-
nent avec des reprises de la parole de l'interlocuteur: C, membre de la com-
mission attribuant l'allocation compensatrice que réclame B, pose une
question (38 : c'est passé en COTOREP) qui s'ancre explicitement, par une
segmentée à droite, sur le topique formé par« son dossier ». En 39, B répond
en reprenant une partie de la question (en COTOREP), avant de dire qu'elle ne
sait pas : les deux segments sont liés par une relation de topicalisation. Après
c'est ça qui constitue soit un faux départ, soit un acte anticipant la suite de son
intervention, C précise en 40, en utilisant une clivée, que l'instance décidant
l'attribution des allocations est la COTOREP: cet acte peut être interprété
comme une reformulation. En 41, après une interjection (ah) qui témoigne de
sa perplexité, B répète la clivée (on peut considérer cet acte comme une repri-
se-écho), avant d'enchaîner avec une segmentée à gauche: la COTOREP c'est
quoi: ces deux segments font intervenir chacun une relation de topicalisation.
r.; ensemble de cette intervention ne répond pas directement à C, mais réalise
une demande de clarification à propos de la COTOREP : pour en rendre comp-
te, il faut considérer que cette intervention ouvre un échange subordonné. C ré-
pond en 42 à cette demande de clarification (c'est la commission d'orientation
des adultes handicapés et de reclassement des hand des adultes handicapés).
B, ayant obtenu l'information qu'elle souhaitait, revient à un niveau principal
en 43, ce dont témoigne la présence de plusieurs marqueurs de structuration de
265
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
la conversation (ah oui alors euh bon ... ). Cette transition entraîne un nouveau
prolongement de l'échange jusqu'à la transition abrupte initiée par C : mais en-
fin vous êtes qui madame s 'il vous plaît, qui ouvre un nouvel échange. Sans en-
trer dans les détails de la fin, qui ne concerne plus la relation de topicalisation,
l'ensemble donne la structure hiérarchique suivante :
As euh en COTOREP
1 topicalisation
[
Ap je sais pas
As c'est ça
E
1 Ap c'est la COTOREP qui décide ça
[
Ip As ah c'est la COTOREP qui ...
As la COTOREP
Es Ip Iropicalisation
clarification L Ap c'est quoi
etc.
266
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.15) (= 4.108) Mais tu sais, l'métro, avec la carte orange, tu vas n'importe où.
(5.l6)
BP: Maigret Il
GS: alors. dans les Maigret 1j . on m'a demandé des romans policiers 1j'ai fait
des romans policiers 1et . j'ai mis un un personnage. Maigret \ et au début 1
c'était une silhouette 1 un gros homme 1 avec une pipe 1 et un chapeau
melon 1 et d'ailleurs il avait encore. un col. euh: de velours à son pardes-
sus 1 comme on les portait d'ailleurs à ce moment-là 1 (Apostrophes)
Maigret
22. L'élément introduit par dans est marqué, au niveau prosodique, par un contour intonatif dis-
tinct. Il peut alors être considéré comme un semi-acte au sens de Rubattel (1987). La dis-
tinction entre ces éléments spatio-temporels activés par une unité distincte et ceux qui sont
au contraire intégrés dans une unité plus large peut cependant s'avérer problématique en
l'absence d'un marquage prosodique univoque.
267
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Souvent, plusieurs cadres sont successivement introduits par dans. C'est le cas
par exemple dans 15.17 :
(5.17)
(= 4.121)
Je :non mais je l'répète / dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il
MM: Ah oui oui oui /
Je :il y a des récifs / il Y a des: il y a des aveux
MM: oui
Je :quand même
MM: oui
Je :qui sont. mieux qu'troublants \ . tandis que chez lui non \ .. enfin on les on
n'les voit pas dans les. dans les Mémoires \
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / .. ça je. je n'pense pas .1
Je: Je vous remercie euh Michelle Maurois / (Radioscopie)
Pour analyser cet exemple, je fais abstraction des nombreux oui émis par Mi-
chelle Maurois, qui, parce qu'ils se superposent à l'intervention de Jacques
Chancel, peuvent être considérés comme des régulateurs (cf. chapitre 1, 1.3.1).
L'ensemble peut alors être considéré comme un échange, portant sur une éven-
tuelle faute inavouée d'André Maurois, formé de trois interventions, à savoir
celle de J. Chancel, qui va jusqu'à Mémoires, la réponse de M. Maurois et les
remerciements de J. Chancel. L'intervention initiative est assez complexe et
c'est à elle que je m' intéresse23 .
Cette intervention débute par une annonce métadiscursive (je l'répète), suivie
par une brève énumération marquée prosodiquement par la répétition de con-
tours intonatifs identiques: dans la vie de Gide et dans la vie d'Mauriac cons-
tituent deux cadres juxtaposés qui, par leur insertion dans cette structure
énumérative, sont simplement coordonnés. Il en va de même pour il y a des ré-
cifs et il y a des,' il Y a des aveux quand même qui sont. mieux qu 'troublants,
qui sont également coordonnés. Toute cette structure est ensuite coordonnée
avec tandis que chez lui non ... : cette mise en relation produit un effet de con-
traste qui rend manifeste le caractère peu probable de l'absence de faute dans
la vie d'André Maurois. Cette structure peut être représentée de la manière sui-
vante:
23. Pour ne pas trop alourdir l'analyse, je n'analyse pas l'ensemble de l'échange qui débute un
peu plus tôt. I.:intervention que j'appelle ici «initiative» est en fait déjà une relance (com-
me en témoigne la présence de je l'répète); ce fait n'a toutefois pas d'influence sur la rela-
tion de cadre qui m'intéresse.
268
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
L Ip [
Ail Y a des récifs
A
il Y a des aveux
(5.18)
BP: et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D. . à New York / eh bien vous l'obligez / parce que
vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
GS: ouais /
BP: vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à l'donner à quelqu'un /
GS: non / à l 'donner à Saskia \\ (Apostrophes)
24. « Avant toute chose, il est nécessaire dans un récit de préciser plus ou moins le moment, le
lieu, les personnes concernées, leur activité ou leur situation. On peut le faire à la faveur des
premières propositions narratives, mais, d'ordinaire, on réserve à cette fin une partie spécia-
le, composée de propositions libres. » (Labov 1978 : 300)
269
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(5.19)
DC: moi je constate simplement 1 on a parlé des des des mouvements néo-nazis
par exemple 1 que c'est vrai 1 à la fois les médias. et le monde politique 1.
mettent parfois. euh ces milieux trop en avant 1 et quand on a eu ce con-
cert à Chézard dans le canton de Neuchâtel 1 le Grand Conseil n'arrêtait
pas de parler de ça 1 c'était repris par les médias sans arrêt 1et on a fait une
publicité. à ces milieux 1 qui était aussi disproportionnée 1 . alors en parler
c'est bien 1 faire une publicité 1 c'est c'est pas le but \\ (Forum)
Grâce au rôle important des circonstancielles dans la narration, les actes propo-
sitionnels sont plus fréquents en relation de cadre qu'en relation de topicalisa-
tion.
25. Cette structure n'est pas la seule possible. On pourrait également faire l'hypothèse que la
relation de cadre ne concerne pas l'ensemble du récit, mais uniquement les deux actes coor-
donnés: le Grand Conseil n'arrêtait pas de parler de ça, et c'était repris par les médias
sans arrêt.
270
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.l7)
Je: non mais je l'répète / dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il
MM: Ah oui oui oui /
Je :il y a des récifs / il Y a des: il y a des aveux
MM: oui
Je: quand même
MM: oui
Je: qui sont. mieux qu'troublants \ . tandis que chez lui non \ .. enfin on les on
n'les voit pas dans les. dans les Mémoires \
MM: J'n'suis pas sûre qu'il ait été un . un mari parfait / .. ça je . je n'pense pas ./
Je: Je vous remercie euh Michelle Maurois /
(5.l8)
BP: et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D.. à New York / eh bien vous l'obligez / parce que
vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
GS: ouais /
BP: vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à 1'donner à quelqu'un /
GS: non / à 1'donner à Saskia \\
Dans 5.17, le constituant initial (non mais je l'répète) est formé par une annon-
ce métadiscursive du discours qui suit (dans la vie de Gide, etc.). Dans 5.18, la
proposition vous racontez une autre scène. invraisemblable fait référence aux
Mémoires de G. Simenon, dont il est question durant tout l'entretien; cette
proposition remplit elle aussi une fonction d'annonce, car elle souligne l'inté-
rêt du récit qui suit en relevant son côté extraordinaire 26 . Ces exemples ont
donc en commun de faire intervenir un constituant antéposé qui n'introduit pas
en lui-même de référent précis: pour cette raison, il semble difficile de parler
de relation de topicalisation ou de relation de cadre. En revanche, ce constituant
26. Voir à ce propos la contrainte de « racontabilité » proposée par Labov (1978), et discutée
par Vincent (1996).
271
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(5.20)
PM: ben moi ce qui m'avait beaucoup euh frappé 1 c'était la force de la mise en
scène 1 et puis la complicité. manifeste 1 que vous aviez réussi à créer 1 ou
qui s'était créée entre les deux 1 alors j'ai une question aussi 1 que je vous
pose 1 est-ce que cette complicité était. d'abord vraie. et facile. à à mana-
ger comme on dit 1 et puis la deuxième chose qui m'avait beaucoup plu 1
c'est que c'est une générosité 1 parce que la générosité n'est pas toujours
une valeur qui est bien perçue 1
(5.21) (= 4.83)
CF: Claude Torracinta vous l'homme de médias 1 l'ancien à cette table 1
comme vous l'avez dit 1 est-ce que vous avez le sentiment. que tout. peut
être traité dans un débat 1 ou il y a des sujets qui. ne peuvent absolument
pas être abordés Il qui donnent lieu à peut-être à un échec 1 qu'on pouvait
prévoir presque dès le départ Il
CT: je dirai deux choses 1 tout devrait pouvoir être abordé 1 c'est-à-dire qu'il ne
devrait pas y avoir de limites 1 c'est-à-dire qu'il ne devrait pas y avoir de
27. Roulet, dans Roulet, Filliettaz & Grobet (2001), utilise le terme de « préalable », qui peut
être considéré comme équivalent à celui de préparation.
28. Je n'aborde pas ici la question des échanges de préparation, dont la structure est plus variée
encore (Wetzel-Kranz 1999 et à paraître).
29. Pour le mot chose, voir Kleiber (l998a) et Berthoud (1996: 97ss.).
272
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
sujets qui sont censurés / . ce qui est différent / c'est qu'il y a des sujets qui
peuvent être plus difficiles à traiter [ ... ]
CF : Anne-Catherine Lyon //
ACL: peut-être pour enchaîner / plutôt que les sujets qui devraient être tabous /
c'est certaines personnes qui devraient être. taboues / ou plus exactement.
plus le sujet est difficile / plus les personnes devraient être de qualité \\
(Forum)
1 Anne-Catherine Lyon
273
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(5.22)
B39: euh en COTOREP
(en COTOREP) je sais pas
30. Je ne traiterai pas la question du rôle des relations de discours argumentatives (marquées
par mais ou parce que) dans l'identification du topique, qui est particulièrement complexe.
En effet, dans certains cas, comme dans: « Puisqu'il pleut, nous ne sortirons pas» (Bally
1965 [1932] : 56), il semble légitime de supposer que la relation d'argument qui lie le pre-
mier constituant au second conduit aussi à identifier le topique du second constituant le «(
fait qu'il pleuve »). En revanche, dans d'autres cas, il est plus difficile d'associer le marqua-
ge argumentatif au repérage du topique. C'est le cas dans un exemple tel que: « Mon collè-
gue a la grippe / mais je ne l'ai pas attrapée» (Grobet 1999a), où le topique du second acte
paraît être constitué par « la grippe », marquée par le pronom l', ou par « le locuteur »,
auquel renvoie le pronom de la première personne, plutôt que par la conclusion implicite
appelée par le connecteur mais, du type de « si mon collègue a la grippe, alors il est possible
que je l'attrape ». Ainsi, le rôle de ces relations dans l'identification du topique dépend de la
nature de la relation argumentative impliquée. Pour des études consacrées à la mise en rela-
tion de quelques connecteurs avec l'organisation topicale, voir néanmoins Auchlin (1986)
pour la discussion de mais, de Fornel (1988) et Berthoud (1996) à propos de parce que, ain-
si que Charnock (1989) pour plusieurs connecteurs, dont puisque et en effet.
274
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.23)
GS: alors. dans les Maigret /
(dans les Maigret) j . on m'a demandé des romans policiers /
(5.24)
Je: non mais je l'répète /
(je l'répète) dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il il Y a des récifs
/ il Y a des: il y a des aveux quand même qui sont. mieux qu'troublants \ .
Dans cet exemple, il n'est pas évident que seule la relation de discours inter-
vienne dans l'identification du topique de dans la vie de Gide ... On pourrait en
effet être tenté d'interpréter le pronom l' comme un pronom cataphorique, voi-
re ana-cataphorique (Kesik 1991, Henri 1991), dans la mesure où il semble à la
fois renvoyer à une information déjà introduite et annoncer ce qui suit de ma-
nière cataphorique. Cependant, l'interprétation cataphorique ne résiste pas aux
deux tests proposés par Kleiber (1992c : 92) pour le traitement d'un exemple
31. L'interprétation serait différente si à la question c'est passé en COTOREP son dossier, la ré-
ponse de B était moi, je ne sais pas. Dans un tel cas, la présence de la segmentée à gauche
conduirait à interpréter le « locuteur » comme le topique de la réponse.
275
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
32. L'exemple est emprunté par Kleiber à Kesik (1991) et Henri (1991) : « ... vous voulez sa-
voir pourquoi vous êtes condamné? Je vais vous le dire. C'est bien vous qui avez traité ... »
(Kleiber 1992c : 92).
276
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
Après avoir considéré une série d'exemples dans lesquels la relation de dis-
cours guide le repérage du topique de manière intuitivement satisfaisante, il
n'est pas inutile de souligner qu'il existe - comme c'était le cas pour la seg-
mentée à gauche - une configuration particulière lorsque le constituant intro-
duit par une relation de discours se caractérise par une structure syntaxique
marquée. Par exemple :
(5.21)
CF: Claude Torracinta vous l'homme de médias 1 l'ancien à cette table 1
comme vous l'avez dit 1 est-ce que vous avez le sentiment. que tout. peut
être traité dans un débat 1 ou il y a des sujets qui. ne peuvent absolument
pas être abordés Il qui donnent lieu à peut-être à un échec 1 qu'on pouvait
prévoir presque dès le départ Il
CT: je dirai deux choses 1 tout devrait pouvoir être abordé 1c'est-à-dire qu'il ne
devrait pas y avoir de limites 1 c'est-à-dire qu'il ne devrait pas y avoir de
sujets qui sont censurés 1. ce qui est différent 1 c'est qu'il y a des sujets qui
peuvent être plus difficiles à traiter [ ... ]
CF: Anne-Catherine Lyon Il
ACL: peut-être pour enchaîner 1 plutôt gue les sujets gui devraient être tabous 1
c'est certaines personnes qui devraient être. taboues 1 ou plus exactement.
plus le sujet est difficile 1plus les personnes devraient être de qualité \\
277
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
L'analyse de ces quelques exemples montre que les trois relations de discours
étudiées ici peuvent, sans l'apport d'expressions référentielles anaphoriques,
suffire à guider l'identification du topique. Cette situation semble plutôt rare
pour la relation de topicalisation, assez fréquente pour la relation de cadre et
plus encore pour la relation de préparation, qui, par son caractère cataphorique,
n'a pas besoin d'un marquage supplémentaire. Enfin, j'ai relevé que la présen-
ce d'une structure syntaxique clivée marque un topique plus immédiat que ce-
lui qui est associé à la relation de discours.
Dans d'autres cas de figure, le repérage du topique s'effectue à partir d'une re-
lation de discours et d'une expression référentielle qui renvoie au topique. Ce
double marquage est particulièrement fréquent avec la relation de topicalisa-
tion. Par exemple, pour 5.29, extrait de 5.13 :
(5.29)
ME: oui il yale piège / et là Claude Torracinta Dieu sait qu'on se heurte des
fois à des gens dont on sait. qu'ils ont une langue de bois épaisse / et des
fois ils sont pourtant incontournables / qu'est-ce qu'on peut faire dans ces
cas-là \\
(5.30)
DC: et quand on a eu ce concert à Chézard dans le canton de Neuchâtel /
le Grand Conseil n'arrêtait pas de parler de /
278
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
Ce bref survol aura ainsi montré que la conjonction d'une relation de discours
et d'une expression référentielle anaphorique peut, en particulier pour les rela-
tions de topicalisation et de cadre, contribuer à l'identification du topique.
Pour le montrer,je reprendrai sous cet angle deux exemples dont l'analyse hié-
rarchique a été effectuée ci-dessus. Le premier implique une structure énumé-
rative qui se traduit, au niveau de la structure hiérarchique, par une relation de
coordination:
Les deux actes (dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac) sont coordonnés
dans un constituant qui se caractérise par une relation de cadre. Cette coordina-
tion, qui se double d'un parallélisme syntaxique, conduit à interpréter les deux
référents au même niveau, ce que l'on peut expliciter par la paraphrase « dans
les vies de Gide et de Mauriac ». C'est ce référent qui est interprété comme le
topique de l'intervention suivante, à savoir il y a des récifs / il Y a des: il y a
des aveux ...
279
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
As euh en COTOREP
1 topicalisation
[
Ap je sais pas
As c'est ça
E
1 Ap c'est la COTOREP qui décide ça
[
Ip As ah c'est la COTOREP qui...
As la COTOREP
Es Ip Iropicalisation
clarification L Ap c'est quoi
etc.
33. On peut par ailleurs noter le caractère peu informatif de ce propos qui n'apporte aucun sup-
plément d'information par rapport aux paroles qui précèdent, si ce n'est, comme semble
l'indiquer le ah, la manifestation de l'incompréhension de la locutrice.
280
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
5.2.3 Bilan
L'étude du rôle de la structure hiérarchique et relationnelle dans l'identifica-
tion du topique sur des actes adjacents arrive ici à son terme. Il a été possible
de faire apparaître que les relations de topicalisation, de cadre et de préparation
peuvent guider l'interprétation du topique, et cela, dans trois types de configu-
rations. Lorsque le topique n'est pas marqué rétrospectivement par une expres-
sion référentielle, les relations de topicalisation, de cadre et de préparation
permettent d'inférer l'existence d'une progression informationnelle linéaire:
le premier acte active une information d'où est issu le topique du second. Dans
un deuxième cas de figure, la relation de discours se double d'une expression
référentielle qui vient rétrospectivement soit confirmer, soit préciser le topique
de l'acte suivant. Enfin, en présence de plusieurs constituants porteurs d'une
même relation, la structure hiérarchique, coordonnée ou subordonnée, permet
d'identifier le topique de manière cumulative ou en cascade. Cette discussion a
aussi fait apparaître que le topique associé à une relation de discours peut être
relégué à l' arrière-fond par un topique marqué par une structure syntaxique
clivée.
En somme, pour autant que le topique offre une base présuppositionnelle à la réfé-
rence anaphorique, le locuteur prenant son tour ne dépend plus obligatoirement de
l'énonciation immédiatement antérieure; celle-ci, en effet, peut fort bien avoir été
moins topique que les précédentes, et il est dès lors possible de minimiser ses pré-
tentions sur la suite sans pour autant y perdre en cohérence. (Goffman 1987 : 220)
Comme le relève cet auteur, le topique peut être issu d'interventions tenues
longtemps auparavant:
D'une façon générale, on pourrait croire que la dépendance possible d'une énon-
ciation actuelle doit être moins prononcée à l'égard d'une énonciation très anté-
rieure dans la conversation qu'à l'égard d'une énonciation immédiatement
antérieure. Pourtant il est vrai que, jusqu'à un certain point, tout ce qui se dit au
début d'une conversation peut être d'une certaine façon présupposé par les énon-
ciations ultérieures. (Goffman 1987 : 222-223)
281
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(5.31)
JG: bien / tout à fait différent / un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse / c'est N'oublie pas que tu vas mourir / (Le Masque et la
Plume)
le premier acte (bien / tout à fait différent) marque une rupture avec ce qui pré-
cède tout en annonçant une suite. Les facteurs conduisant à cet effet de rupture
sont variés et regroupent des considérations concernant la structure hiérarchi-
que et relationnelle du passage (l'acte initial annonce la suite à laquelle il est
lié par une relation de préparation), le lexique (par les lexèmes bien, différent),
la syntaxe, la prosodie, etc. Au niveau de la structure informationnelle, cette
rupture se traduit par un décrochement: bien tout à fait différent s'ancre non
pas sur un référent précis qui aurait été évoqué juste avant, mais plutôt sur un
ensemble d'informations ressaisies de manière globale. Ce type d'enchaîne-
ment réalise donc à la fois un rejet des points d'ancrage potentiels activés par
le contexte immédiat34 et une «remontée» topicale. Avant d'examiner com-
ment s'effectue l'identification du topique dans ces situations, il convient de
préciser les principaux éléments, perceptibles à la surface du texte, qui produi-
sent de telles ruptures du flux discursif.
Un bref détour par le système des ponctuants écrits permet d'esquisser diffé-
rents types de ruptures périodiques. D'une manière très générale, on peut dire
que les signes de ponctuation marquent des ruptures dont l'importance varie et
qui peuvent être perçues comme organisées en un continuum (Grobet 1998),
lequel va des césures mineures marquées par les blancs entre les mots, par les
34. Roulet et al. (1985 : 109) utilisent le terme de « cadre de pertinence thématique».
282
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
35. Plusieurs auteurs admettent l'existence d'une unité intonative de rang supérieur, qui serait
l'équivalent oral du paragraphe écrit: le « paragraphe intonatif» (Wunderli & al. 1978 :
109), le « paratone» (Brown & Yule 1983, Couper-Kuhlen 1983, Selting 1995), ou la
« pitch sequence» (Coulthard & Brazil 1981). L'existence et la nature de ces unités font
toutefois l'objet de discussions (Grobet & Simon à paraître).
36. Je n'utilise pas le terme d' « énoncé phonologique », utilisé par Nespor et Vogel (1986), qui
me semble véhiculer de trop fortes connotations syntaxiques, et cela d'autant plus qu'à ce
niveau de structuration, la prosodie s'émancipe largement de la syntaxe (Auchlin & Ferrari
1994: 191, Grobet 1997a: 88).
37. J'évite à dessein le terme de mouvement « discursif», qui renvoie à une conception anté-
rieure de la dimension périodique du discours (Roulet 1986, 1987) qui n'est plus directe-
ment compatible avec l'approche actuelle (Grobet 1997a, 2001).
283
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
la présence d'une pause plus ou moins importante et/ou par l'attaque intonative
plus haute du mouvement suivant (Auchlin & Ferrari 1994 : 187).
I..:exemp1e 5.32 illustre plusieurs fins de mouvement intonatifs. Celles qui sont
associées aux questions de C. Moesching (transcrites par deux barres obliques \\)
se caractérisent par une descente mélodique et un allongement de la durée qui
signalent en même temps la fin d'un mouvement intonatif et la fin d'un tour de
parole. La seconde intervention de Claude Torracinta38 contient une rupture in-
tonative qui se caractérise elle aussi par une intonation descendante. Cette in-
terruption produit l'effet d'une réponse en deux temps: le locuteur effectue
d'abord une première partie de la réponse, qu'il présente comme un tout, puis
y apporte un complément dans un second temps:
(5.32)
CM: pour vous euh Claude Torracinta qui avez aussi longtemps mené une émis-
sion de débat à Table Ouverte 1 est-ce que pour vous le débat apparaît
comme comme une forme utile -+ \\
CT: je crois que c'est indispensable [ ... ]
CM: mais est-ce que ça fait forcément avancer les choses -+ \\
CT: je ne dirais pas que ça fait vraiment avancer les choses \ je pense que
d'abord le débat s'inscrit dans une politique d'information plus générale.
hein 1 on vient d'entendre les nouvelles au journal maintenant 1et puis. ya
les reportages 1 yale magazine 1 y a l'enquête 1 y a. l'information à la
radio et à la télévision et dans la presse écrite. est un ensemble 1. le débat
n'en n'est qu'une partie -+ \\je ne dirais pas que ça fait avancer les choses 1
je pense que peut-être en partant de l'expérience. de ces 20 et quelques
années ou même 30 années de télévision que j'ai derrière moi 1c'est que le
débat politique à la télévision et à la radio d'une part a montré je le rap-
pelle qu'il y a débat d'idées 1 deuxièmement a rappelé aux Suisses. que la
politique pouvait être confrontation et affrontement et pas seulement con-
sensus 1et a montré qu'il pouvait vraiment y avoir divergence dans ce pays
totalement consensuel 1j'dirais que ça a plutôt fait avancer cette notion-là 1
plutôt que de faire avancer une connaissance sur un sujet précis 1parce que
c'est c'est. l'information est multiple Il
CF: Michel Eymann 1 (Forum)
I..: effet de démarcation produit par les ruptures intonatives se combine avec des
parallélismes syntaxiques et lexicaux, qui contribuent eux aussi à assurer le dé-
veloppement du discours par étapes comme le montrent Blanche-Benveniste et
al. (1990). Dans l'exemple 5.32, la structuration en deux mouvements intona-
tifs de l'intervention de C. Torracinta est rendue plus manifeste encore par la
38. La première intervention de Claude Torracinta n'est pas traitée pour ne pas allonger
l'exemple.
284
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
Les ruptures intonatives peuvent se combiner avec des marques lexicales, tel-
les que les connecteurs et les marqueurs de structuration de la conversation
(MSC), qui permettent dans certains cas de préciser leur portée :
Sur l'ensemble des MSC [... ], certains - quoi, voilà, pis - ne peuvent servir qu'à
articuler des constituants en rapport monologique, et n'apparaissent que rarement
dans des cotextes dialogaux. D'autres, comme alors ou ben peuvent apparaître
dans des cotextes dialogaux, en tête d'intervention initiative (alors) ou réactive
(alors et ben). La solution descriptive la plus économique consiste à poser que
dans l'ensemble de ces cas ces MSC d'une part indiquent l'ouverture d'un consti-
tuant, et d'autre part indiquent un décrochement ascendant des niveaux de déve-
loppement par rapport à un constituant implicite, subordonné, sur lequel ils
« embrayent », et dont la fonction serait de justifier l'énonciation dont le MSC
marque l'ouverture. (Roulet et al. 1985: 107-108)
39. Pour cette raison, il ne me semble pas judicieux d'associer systématiquement ce type de
rupture intonative à une fin de tour de parole possible comme le font certains auteurs (Cou-
per-Kuhlen & Seiting 1996). Selting (1998) aboutit d'ailleurs à une conclusion similaire à
la mienne.
285
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
D'autres MSC s'inscrivent en début de réplique, comme oui mais ou non mais,
ce dernier« manifestant un refus du cadre de pertinence thématique [et autori-
sant] plus aisément une remontée visant un ancrage dans un constituant non
adjacent, pertinent pour l'enchaînement» (RouI et et al. 1985 : 109). Enfin, au
niveau le plus profond de rupture, Roulet et al. évoquent les marqueurs comme
au fait, à propos, qui fonctionnent comme des «ouvertures absolues» (110),
car ils marquent l'ouverture de nouveaux échanges.
40. Peut-être n'est-il pas inutile de préciser que les ruptures périodiques ne correspondent pas
nécessairement à un décrochement informationnel lorsqu'elles se combinent avec un chan-
gement de tour de parole. Par exemple, les réponses de C. Torracinta enchaînent au début
directement sur les questions qui lui sont posées, ce qui apparaît en particulier à travers la
présence des pronoms démonstratifs et des reprises lexicales.
41. J'utilise le terme « d'enchaînement» dans un sens plus large que celui « d'ancrage», réser-
vé à une structure informationnelle spécifique; l'ancrage constitue dans ce sens un type
particulier d'enchaînement.
286
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.33)
ME: Anne-Catherine Lyon 1 vous avez beau être jeune 1 vous avez déjà une car-
rière politique bien remplie 1vous avez mené plusieurs c . campagnes élec-
torales pour être candidate notamment au Conseil d'État vaudois 1 est-ce
que vous avez le sentiment que depuis. un certain nombre d'années 1
comme le disait Alain Bédouet 1 le débat est devenu plus pertinent 1 les
contradictions sont mieux acceptées par les politiciens 1 c'est peut-être un
petit peu plus vif tout en restant poli Il
ACL: en effet je crois que le débat s'est un peu euh amélioré 1 - peut-être que
les personnes découvrent peu à peu que s'il y a confrontation 1 c'est pas
une attaque contre la personne mais contre ses idées 1 donc je crois là en
effet. qu'un gros progrès s'est fait Il
ME: et vous. Damien Cottier. qui êtes secrétaire du parti radical neuchâtelois 1
est-ce que dans le canton de Neuchâtel aussi 1 les les débats sont. comme
le décrit Anne-Catherine Lyon Il. à ce niveau-là. les choses sont dites.
mais de manière plus pertinente peut-être que dans un: . passé récent Il
DC: je sais. pas 1 j'ai j'ai de la peine à juger l'évolution parce je suis pas non
plus en politique depuis très très longtemps 1 euh : mais mais je me rends
compte qu'effectivement euh: - ça fait partie du système politique 1 puis-
que l'on parle du débat politique 1 euh: que de se dire les choses sans qu'il
y ait attaque personnelle \ euh : et y a toujours des gens qui sont surpris.
par cette euh: façon de de fonctionner du monde politique 1 où des gens.
« s'agressent» vous mettez ça entre entre guillemets pendant le débat 1 et
puis après ils vont boire un verre à la cafétéria ensemble 1 pis pis ils
s'tapent dans l'dos 1alors les gens arrivent pas toujours à comprendre cette
idée-là 1 mais j'crois qu'- ça fait partie du débat lui-même 1 on se bat.
pour une idée et non pas contre une personne \\ (Forum)
Dans 5.33, M. Eymann pose la même question, que l'on peut résumer par: « le
débat est-il devenu plus pertinent? », à deux intervenants. A.-C. Lyon approu-
ve l'idée d'un progrès, en soulignant que celui-ci peut être dû à la découverte
que le débat d'idées n'implique pas nécessairement des attaques personnelles
(peut-être que les personnes découvrent peu à peu que s 'il y a confrontation /
42. Le terme de reformulation est utilisé ici de manière non spécifique, sans se limiter à la rela-
tion de reformulation qui caractérise les constituants de structures monologiques (Rossari
1993).
287
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
c'est pas une attaque contre la personne mais contre ses idées). Ensuite,
D. Cottier réactive lui aussi deux fois, en la présentant comme précédemment
inactive et/ou non identifiable, l'idée selon laquelle le débat politique implique
des attaques au niveau des idées et non pas à celui de la personne, marquant
par l'adverbe effectivement son accord avec le discours antérieur. Il convient
de préciser que la reformulation d'éléments déjà évoqués ne s'inscrit pas né-
cessairement après une rupture du flux discursif, comme le montrent les deux
reformulations de D. Cottier dans cet exemple.
(5.8)
PM: donc à la fois. la complicité avec les comédiennes /. comment ça c'est
passé /. et puis cette générosité qui était tout le temps là / mais qui ne som-
brait jamais dans la mièvrerie quoi \\
43. Par exemple: « Discontinuous discourse may have two types of discourse topic. The first
type reintroduces a claim and/or a discourse topic (or part thereot) that has appeared in the
discourse history at sorne point prior to the immediately preceding utterance. (It could draw
from the discourse topic and/or claim of the last utterance but one.) We cali such discourse
topics RE-INTRODUCING TOPICS. Constructions such as "concerning ... ", "as for. .. ",
"as far as ... is concerned (goes)", may mark this sort of discourse for adult English spea-
kers, along with remarks such as "getting back to ... ", "like you said before ... " » (Keenan &
Schieffelin 1976: 342). Cf. également Crow (1983: 142ss.).
288
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
ÉZ: oui \. non mais par exemple pour la générosité 1c'est vrai que quand on
écrit 1on a a avec Virginie 1 ou avec Roger 1 qui sont. <acc.> donc les per-
sonnes qui ont écrit avec moi le scénario 1 on est toujours en train de se
dire 1. ah ben non là c'est pas possible 1 on coupe là ça devient mièvre 1 on
n'a que ce mot-là à: la bouche \ (X) et pareil au montage 1 (X) autant frus-
trer un peu le spectateur 1 euh : mais pas tomber dans le euh : la. euh :
quelque chose de complaisant de: 1 donc ça c'est c'est vrai que c'est:
euh: 1 après pour la complicité des: des deux comédiennes 1 c'est com-
pliqué \\
X,Y: <rires>
ÉZ: c'est compliqué 1 parce que sur un . plateau euh : vous avez euh Natacha
Régnier qui est une inconnue 1. qui est quelqu'un qui a une force euh: une
euh: . est quelqu'un qui. très très déterminé \ . dans son métier de: comé-
dienne \ . qui est: même dans la vie 1. quelqu'un (mais). et qui est face à
Élodie Bouchez qui est quelqu'un de connu 1. [ ... ] (Le Masque et la
Plume)
Pour répondre à la double question posée par P. Murat, É. Zonca est amené à
réactiver successivement les deux référents (<< la générosité» et « la complicité
des deux comédiennes») qui constituent les topiques des actes ultérieurs de sa
réponse (cf. l'analyse proposée en 5.2.2.2). Sans revenir sur cette analyse, il
convient néanmoins de préciser sur quels topiques les propos « non mais par
exemple pour la générosité» et « après pour la complicité des deux comédien-
nes» s'ancrent eux-mêmes. Les topiques ne sont pas explicités, mais ces deux
propos s'inscrivent après des ruptures assez importantes: «non mais par
exemple pour la générosité» s'inscrit en début de réplique, après une série de
ponctuants et connecteurs (oui. non mais par exemple pour) qui marquent le
début de la prise de parole ; le propos « après pour la complicité des deux co-
médiennes» est quant à lui réactivé après l'abandon du mouvement intonatif
précédent, annoncé par de nombreuses hésitations (donc ça c'est vrai que
c'est: euh :) ; la remontée de la mélodie qui suit marque un nouveau départ,
souligné par la présence de la marque lexicale après. Ces marques de rupture,
combinées aux connecteurs par exemple et pour, permettent de faire l 'hypo-
thèse que dans les deux cas, les référents réactivés s'ancrent globalement sur la
question posée par le journaliste, c'est-à-dire sur un topique pouvant être para-
phrasé par« comment ça s'est passé ».
Ce type d'enchaînement est assez fréquent et il peut encore être illustré par
l'exemple suivant:
(5.34) (= 4.120)
lG: et du côté de Pierre Murat 1 qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction Il
PM : [ ... ] je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh : moi. je je suis surpris de voir que
289
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il -+ alors
quant au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1j'vais pas recommen-
cer : passer toute l'émission . sur ça 1 . au bout d'un certain temps 1c'est-à-
dire qu'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les
auditeurs. du Masque \ . chez les lecteurs de Télérama 1 (Le Masque et la
Plume)
Malgré une situation assez différente, cet exemple peut s'interpréter de maniè-
re similaire au précédent. La réactivation du « film de Benigni » par un SN dé-
fini s'inscrit après une forte rupture intonative (mais bon .), suivie par une
remontée de la mélodie. Un marqueur de structuration de la conversation
(a/ors) ainsi qu'un connecteur (quant à) marquent une frontière nette entre la
discussion des films précédents et celle du Benigni, qui constituera le topique
de la suite. Ces différents éléments conduisent ici aussi à considérer que le pro-
pos activé par a/ors quant au Benigni s'ancre non pas sur l'information qui
précède immédiatement, mais plutôt sur la question de J. Garein, sur un topi-
que pouvant être paraphrasé par la « réaction au classement des auditeurs ».
(5.35)
C: je voudrais savoir si je peux avoir un rendez-vous
G: ah de quoi s'agit-il Monsieur
C: j'ai p't'être des. enfin je pense avoir une cervicale ou une dorsale de
déplacée
G: ah bon et vous vous êtes fait ça quand
C: euh j'sais pas trop parce que j'fais pas mal de planche à voile de saut et
c'est à ce moment-là que j'ai dû faire ça mais euh disons que ça m'arrive
de temps en temps et que ça se manifeste par des maux de tête et par des
troubles digestifs bon j'ai des troubles c'est pas franc c'est peut-être qu'un
léger déplacement mais j'ai p't'être quelque chose quand même
G: oui écoutez ne quittez pas Monsieur -+ je vais demander à mon mari hein
290
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
C: hm d'accord merci (Schmale-Buton & Schmale 1984 cité par Roulet 1998,
1999b)
(5.36) (=1.15)
JC :Michelle Maurois écrivain 1 et . je dis tout de suite 1 euh qu'il ne doit pas
être très facile euh d'être la fille d'André Maurois 1 les grands noms par-
fois euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <acc.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects 1 en même temps c'est une
facilité 1
JC: mhm=
MM: quand on commence à écrire 1et qu'on va chez un éditeur 1 c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu 1
JC: la première fois 1
MM: la première fois 1 mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
JC: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il
MM: oui on a un complexe évidemment 1 seulement j'ai eu un père 1 (que) euh
ça l'amusait énormément que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1
.... et . euh finalement ca ne m'a pas pesé \\ (Radioscopie)
44. Cette ambiguïté se trouve continnée par les deux paraphrases: « concernant le fait de porter
un grand nom, ça ne m'a pas pesé »,« concernant le fait d'avoir un complexe, ça ne m'a pas
pesé », qui semblent, au niveau de leur interprétation, aussi acceptables l'une que l'autre.
291
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
ce type d'enchaînement à distance que le topique est explicité par une trace
pronominale.
De plus, ces exemples soulèvent une autre question concernant les facteurs jus-
tifiant la forte accessibilité de ces topiques verbalisés sous une forme atténuée,
malgré la distance qui les sépare de leur précédente évocation. En effet, les cri-
tères habituellement utilisés pour déterminer la saillance de l'antécédent d'un
pronom comme la proximité de l'évocation de l'antécédent, sa perception di-
recte, sa fonction syntaxique, ou encore le contenu de la phrase-hôte45 ne pa-
raissent pas suffire, dans les exemples 5.35 et 5.36, à justifier la saillance du
topique. Dans la section suivante, je me propose donc de discuter une réponse
possible à cette question, à savoir la proposition, initialement formulée par
Roulet (1998), selon laquelle la structure hiérarchique permet de justifier une
telle accessibilité, et par là même, de guider le processus interprétatif condui-
sant à l'identification du topique.
Il faut donc admettre que la facilité d'accès à un point d'ancrage en mémoire dis-
cursive n'est pas seulement déterminée par la proximité immédiate dans la linéa-
rité du texte, mais qu'elle peut l'être aussi par la proximité à un rang donné de la
structure hiérarchique de l'échange. (Roulet 1996 : 26)
Cette proposition peut être mise en relation avec des principes pragmatiques
plus généraux comme la maxime de relation de Grice (1979), le principe de
pertinence (Sperber & Wilson 1986) ou la contrainte d'enchaînement thémati-
que dégagée par Roulet et al. (1985) (rappelée en 1.3.2), selon lesquels les in-
terventions des interlocuteurs d'un échange sont liées par une contrainte d'à
propos. Du fait de l'existence d'une telle contrainte, le patient (C) peut s'atten-
dre à ce que G réponde à un moment ou à un autre à sa demande de rendez-
vous. Inversement, l'assistante du médecin (G) sait que C attend d'elle qu'elle
réponde à la demande de rendez-vous. Ces attentes réciproques assurent alors
le maintien en mémoire de cette demande de rendez-vous.
292
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
(5.36)
Je: Michelle Maurois écrivain 1 et . je dis tout de suite 1 euh qu'il ne doit pas
être très facile euh d'être la fille d'André Maurois 1 les grands noms par-
fois euh doivent être très lourds à porter \\
MM: <ace.> c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects 1 en même temps c'est une
facilité 1
Je: rnhm=
MM: quand on commence à écrire 1 et qu'on va chez un éditeur 1 c'est c'est plus
facile .(s) d'avoir un nom connu 1
Je: la première fois 1
MM: la première fois 1 mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur \\
Je: on a un complexe 1 euh dans dans ces temps-là Il
MM: oui on a un complexe évidemment 1 seulement j'ai eu un père 1 (que) euh
ça l'amusait énormément que j'écrive 1 et qui m'a encouragée beaucoup 1
- et . euh finalement ne m'a pas pesé \\
J'ai montré plus haut que le pronom ça, dans le dernier acte, renvoie à un réfé-
rent pouvant être interprété soit comme « un complexe », soit comme « porter
un grand nom ». Pour déterminer si la structure du dialogue explique ou non la
saillance de ces deux référents, il convient de commencer par analyser cet
exemple en détail.
Cet extrait est globalement formé d'un échange impliquant une question de
J. Chancel (les grands noms parfois euh doivent être très lourds à porter) et
une réponse assez longue de M. Maurois, dans laquelle J. Chancel intervient
parfois pour demander des précisions. La réponse de M. Maurois s'articule en
deux parties, comme l'annonce le constituant initial lié à la suite par une rela-
tion de préparation (c'est-à-dire qu'il y a deux. deux aspects). La première
d'entre elles est introduite par en même temps c'est une facilité et développe un
argument montrant en quoi « porter un grand nom» peut être une facilité 46 ; la
seconde, liée à la première par une relation de contre-argument (marquée par le
connecteur mais), est dans un premier temps beaucoup plus brève, puisqu'elle
tient en un seul acte (mais ensuite on vous demande plus. peut-être qu'à un
autre auteur). Par une question supplémentaire (on a un complexe / euh dans
dans ces temps-là), J. Chancel ouvre alors un échange subordonné visant à ob-
tenir un complément d'information. La réponse de M. Maurois s'effectue à
46. Cherchant à s'assurer que M. Maurois parle bien de la première visite chez un éditeur,
J. Chancel ouvre un échange subordonné de vérification qui se greffe sur cette intervention.
293
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
1. Is
[
A et. je dis tout de suite euh qu'il ne doit pas être ...
L OP
.
Ap les grands noms parfois euh doivent être très lourds ...
fA"
[ A quand on commence ...
Is
c.-arg.
qu'on v"hoz un édit""
Ip
Ap c'est plus facile d'avoir ...
la première fois
la première fois
Ip
on a un complexe euh dans ...
As oui on a un complexe
d'info. Is c.-arg.
As seulement j'ai ...
1 [ 1 top.
IP[ Apç.
[
l'om..';!...
47. Une analyse de cet exemple est proposée dans Grobet (1 999c).
294
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
L'autre exemple que j'aimerais traiter est constitué par l'extrait d'un dialogue
téléphonique issu de Schmale-Buton & Schmale (1984). Ce dialogue est formé
pour l'essentiel par un échange visant à demander un service, lequel consiste à
installer un magnétophone sur le téléphone pour enregistrer les conversations
téléphoniques. En voici un extrait où j'ai marqué par une flèche la demande de
service qui est répétée plusieurs fois :
(5.37)
E20: voilà. euh Gérard est en train de faire une thèse de de linguistique c'est un
doctorat
C21: oui
E22: sur les communications téléphoniques.
C23: oui
E24: c'est-à-dire qu'il analyse des communications bon les stéréotypes les phra-
ses toutes faites et cetera. et il lui faut matériel.
C25: oui
E26: et on a emegistré pas mal de communications à la maison
C27: (oui)
E28: on a un petit appareil.
C29: oui
E30: et il lui faudrait des des gens nouveaux qui puissent emegistrer des com-
munications .
[ ... ]
E36: alors <rire embarrassé> -+ est-ce que vous consentiriez. à . mettre l'appa-
reil quelques enfin chez vous pendant une journée ou est-ce que ça vous
embête beaucoup
C37: oh non ça ça doit pouvoir se faire
E38: on l'a fait à la maison on l'a fait au collège on l'a fait à l'AVAL hier.
C39: oui
48. L'intervention initiative on a un complexe euh dans ces temps-là est formée d'un seul acte.
Celui-ci a un statut équivalent à l'acte principal d'une intervention complexe, dans lequel
s'inscrit le pronom ça.
295
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
E40: on l'a fait chez les .lItes Grondins à Laron . mais il lui faut beaucoup de
matériel parce qu'après il va. il va travailler enfin sur les conversations
bien sûr
C41: OUi
E42: -+ vous embêterait pas
C43:· ohnon
E44: non alors évidemment bon ben si par exemple quelque. vous enregistrez
ce qui l'intéresse surtout c'est d'avoir la conversation complète avec le
début et la fin .
C45 : oui
E46: avec le les allô et cetera hein.
C47: oui
E48: alors si quelquefois bon ben c'est ça prend un tour. personnel ou. vous
pouvez aussitôt arrêter l'appareil et effacer .
C49: oui
E50 : hein c'est c'est un magnétophone tout simple
C51 : oui parce que quelquefois nous on on on a un nous on a un enregistreur.
E52 : oui
C53 : alors est-ce que ça peut se brancher dessus ou pas parce qu'il fonctionne
quand on est pas là
E54 : ah peut-être aussi oui sans doute enfin ce que ce qu'on a c'est bon c'est un
petit magnétophone et y a une petite ventouse qui se met sur l'appareil
C55 : OUi
E56 : pour enregistrer les les les deux personnes qui parlent. mais après c'est
très très simple pour effacer pour
C57 : hm ..
E58 : -+ alors vous (se) gênerait pas beaucoup
C59 : non
E60 : parce que ça m'embêtait un peu de vous demander mais c'e . il nous faut
des maisons où le téléphone euh. des des gens qui téléphonent beaucoup
quand même
C61 : oui .. non
E62 : non
C63: <rit légèrement> non mais. non mais
E64 : <rire embarrassé> bon on peut essayer
C65: <rit> (il faudra venir voir) . je sais pas si on téléphone beaucoup comme
euh. euh oui (on peut dire) on téléphone. c'est sûr
E66 : oui mais enfin c'est c'est différent de la maison quand même parce que
C67: ah oui (tiens)
E68: à la maison bon ben Papa le bureau ça y est on l'a et <rit légèrement>
puis.
C69: oui
E70: -+ euh alors est-ce qu'on peut vous [emporter ou
C71: oui. oui
En: quand est-ce que ça vous arrangerait (Matériel)
296
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
49. Comme le commentaire qui vient d'être effectué, cette structure ne retient que les princi-
paux constituants de l'échange.
297
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
50. Ce dialogue étant issu d'un corpus déjà transcrit et non disponible sur cassette, je ne me ris-
querai pas à des remarques sur la structure périodique; on peut néanmoins relever la pré-
sence fréquente du marqueur de structuration de la conversation alors.
51. Je reconsidère ici partiellement l'analyse proposée dans Grobet (1999c).
298
La structure hiérarchique et relationnelle du discours
5.3.4 Bilan
La troisième partie de ce chapitre a été consacrée à l'analyse de segments dis-
cursifs manifestant une plus grande complexité structurale que les exemples
traités jusqu'à présent. Après avoir précisé les conditions des ruptures du flux
discursif, j'ai distingué différents types d'enchaînements à distance en fonction
du mode de reprise du référent (reformulation, réactivation par une expression
définie ou reprise atténuée). En me centrant sur l'analyse de ce troisième type
d'enchaînement, j'ai discuté le rôle joué par la structure hiérarchique dans l'ac-
cessibilité du topique marqué par la reprise atténuée et, par là même, dans le
repérage de ce topique : il est apparu que les constituants principaux peuvent
jouer un rôle non négligeable dans l'identification du topique. J'ai pour finir
relevé que les facteurs hiérarchiques se combinent nécessairement avec
d'autres facteurs: c'est à l'étude de certains d'entre eux que le chapitre suivant
sera consacré.
299
Chapitre 6
LA STRUCTURE CONCEPTUELLE DU DISCOURS
301
les facteurs discursifs de l'identification du topique
(6.1) (=5.1)
A: tu viens boire un café?
B: ah non, parce que je dois finir mon chapitre aujourd'hui
A: tant pis pour toi
3. Pour une première illustration de ces deux structures étudiées sur un même exemple, voir
les figures 1.7 et 1.8 dans le premier chapitre (point 1.3.3).
302
La structure conceptuelle du discours
comme déjà actif en 6.2" par la structure clivée), et « Jean» (ce référent est
d'abord activé dans le segment détaché à gauché, puis repris et marqué com-
me topique par une trace pronominale en 6.2"')5.
4. Le topique du segment détaché n'est pas marqué et ne peut être identifié en l'absence de
contexte.
5. Cf. Admoni (1985) qui discute le problème de la variation syntaxique par rapport au conte-
nu référentiel.
6. Je pense aux travaux concernant le traitement des représentations mentales et leur stockage
en mémoire. Cf. entre autres Bock & Brewer (1985), Garnham & Oakill (1990, 1992),
Fayol (1989, 1997). Pour le problème de l'élaboration d'un modèle mental, cf. Bosch
(1985), Berrendonner (1983, 1990), ainsi que l'approche de la DRT développée par Kamp
& Reyle (1993) discutée entre autres par Spencer-Smith (1987).
303
les facteurs discursifs de l'identification du topique
The topic framework consists of elements derivable from the physical context and
from the discourse domain of any discourse fragment. Notice that we have con-
centrated on only those elements which are activated, that is, relevant to the inter-
pretation ofwhat is said. (Brown & Yule 1983 : 79)
(6.3)
CF: y-a-t-il des sujets tabous au Téléphone Sonne 1/
AB: pas à ma connaissance / en tout cas comme vous l'disiez depuis 14 ans
que. j'ai un petit peu le . le nez sur euh le pupitre / il n'yen a pas \ il n'y
en a absolument pas \ (Forum)
conversation entre :
locuteur 1: Claude Froidevaux (journaliste suisse, animateur
de l'émission Forum ... )
locuteur 2: Alain Bédouet (journaliste français, animateur de l'émission
le Téléphone Sonne depuis 14 ans ... )
lieu: studio de la radio, Lausanne, Suisse et Paris
date: 25 juin 1998, 18 h 15, durant un débat radiophonique
évoquant: le thème du débat radiophonique, la création de l'émission Forum
en s'inspirant du Téléphone Sonne, l'expérience d'Alain Bédouet,
l'évolution des Français, le fait qu'ils acceptent mieux les débats
contradictoires
quand: Claude Froidevaux demande s'il existe des sujets tabous
Pour Brown & Yule, la prise en compte d'un tel cadre topical permet de déter-
miner la « pertinence topicale » du segment conversationnel constitué ici par
l'intervention d'A. Bédouet.
304
La structure conceptuelle du discours
Une autre difficulté que rencontre ce type d'analyse dont la portée se veut glo-
bale est constituée par son caractère rétrospectif: le cadre topical est reconsti-
tué après-coup par l'analyste, qui retient uniquement les éléments qu'il
considère comme pertinents, effaçant du même coup les traces de la produc-
tion du discours qui peuvent se manifester dans les différences de points de
vue entre les interlocuteurs, les hésitations et les digressions. Cette difficulté
n'est pas propre à la notion de cadre topical, car bon nombre d'approches qui
cherchent à rendre compte de la macro-structure de segments discursifs éten-
dus rencontrent les mêmes difficultés (voir par exemple la notion de macro-
proposition chez van Dijk & Kintsch 1983).
Enfin, il convient de relever que dans le cadre topical, les éléments issus du ca-
dre matériel de l'interaction et activés par le discours sont simplement énumé-
rés sous forme d'une liste. Les auteurs justifient ce choix en évoquant la
complexité des relations entre les différents référents du cadre topical, qui ne
peuvent être représentées de manière satisfaisante dans un seul diagramme 8. Il
est certain que le traitement conjoint de toutes ces relations paraît utopique.
Mais si le refus d'expliciter ne serait-ce que quelques-unes des relations entre
ces éléments évite les risques d'erreurs, il conduit aussi à une description dont
la portée reste somme toute très limitée.
7. Cette absence de critères objectifs dans la sélection des éléments constituant le cadre topical
n'a rien de surprenant, car cette sélection dépend du point de vue de l'interprétant et de ses
attentes par rapport au discours.
8. « It is difficult to imagine an appropriate "diagram" which could incorporate both the se-
quential pattern of elements introduced and the interrelatedness of those elements with each
other and with the contextual features. » (Brown & Yule 1983 : 85)
305
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
306
La structure conceptuelle du discours
Cette approche est appliquée par Roulet (1998, 1999b) à l'exemple suivant:
(6.4) (=5.35)
C: je voudrais savoir si je peux avoir un . rendez-vous ..
G: ah. de quoi s'agit-il Monsieur
C: j'ai. p't'être des. enfin. je pense avoir une cervicale ou une dorsale de
déplacée
G: ah bon. et vous vous êtes fait ça quand.
C: euh j'sais pas trop. parce que j'fais pas mal de planche à voile de saut et
c'est à ce moment-là que j'ai dû faire ça . mais euh disons que ça m'arrive
de temps en temps et que . ça se manifeste par des maux de tête et par des
troubles digestifs. bon j'ai des troubles. c'est pas franc c'est peut-être
qu'un léger déplacement mais j'ai p't'être quelque chose quand même.
G: oui écoutez ne quittez pas Monsieur je vais demander à mon mari hein
C: hm. d'accord merci (Schmale-Buton & Schmale 1984, cité par Roulet)
Roulet souligne que ce bref dialogue fait appel aux représentations générales
de ce qu'est un« rendez-vous» chez un médecin (qui implique entre autres un
«motif»), ainsi que des caractéristiques possibles d'un« problème de santé»
(<< origine », «durée », «manifestation », «gravité »)12. Ces représentations
sont activées et combinées de la manière suivante : dans un premier temps, la
« demande de rendez vous» est formulée (je voudrais savoir si je peux avoir
un. rendez-vous). L'assistante pose une question sur le «motif» (ah. de quoi
s'agit-il Monsieur), qui est suivie de la précision du « problème de santé », à
savoir une cervicale ou une dorsale de déplacée. Suite à une nouvelle question
portant sur « l'origine du mal» (et vous vous êtes fait ça quand), différents as-
pects de ce problème de santé sont développés dans la longue intervention du
patient. Roulet (1999b : 85) représente cette structure conceptuelle par le sché-
ma suivant:
Je n'insiste pas sur cette distinction qui marque une différence au niveau du point de vue de
l'analyse plutôt qu'une différence de champ référentiel: comme le relève Filliettaz (1996 :
37-38) un même objet (ou action ou événement) peut être considéré sous un angle ou un
autre. Par exemple, 1'« achat d'un livre en librairie» peut être considéré sous un angle con-
ceptuel comme impliquant un cadre spatio-temporel, des actants (le « client », le « ven-
deur »), un objet (le « livre »), etc. ou comme une action complexe impliquant plusieurs
opérations comme « entrer dans la librairie », « saluer », etc.
12. Ces représentations générales sont habituellement représentées par des schémas dont je fais
ici l'économie.
307
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
rendez-vous
motif
problème'de santé:
cervicale ou dorsale
Cette structure conceptuelle est ensuite mise en relation avec la structure infor-
mationnelle dans le cadre de l'organisation topicale J3 . Roulet relève qu'une
telle analyse permet de visualiser et d'expliciter les liens entre les objets de
discours (par exemple, le « problème de santé» est le « motif» du « rendez-
vous») ainsi que de distinguer les objets de discours premiers et dérivés en
fonction de la place qu'ils occupent dans la structure conceptuelle:
C'est ainsi que l'objet de discours « cervicale ou dorsale» est dérivé de l'objet de
discours « demande de rendez-vous », mais est premier par rapport à l'objet de
discours « en faisant de la planche à voile», ou à l'objet de discours « arriver de
temps en temps». (Roulet 1999b : 88)
13. Voir la brève présentation de l'organisation topicale dans le premier chapitre (1.3.3).
308
La structure conceptuelle du discours
6.1.2.3 Bilan
Le bilan de ce rapide parcours ne peut donc être que modeste au vu des diffi-
cultés rencontrées par les deux approches qui viennent d'être discutées: aucune
d'entre elles ne peut prétendre proposer autre chose qu'une description intuiti-
ve et fragmentaire des référents activés par le discours. Mais quelques élé-
ments positifs ont néanmoins pu être mis en évidence. Dans l'approche de
Roulet, l'analyse de la structure conceptuelle permet de rendre compte des
liens conceptuels entre les représentations mentales, ainsi que du rôle central
de certains référents dans le discours (comme «une cervicale ou une dorsale
de déplacée »)15. Dès lors, il paraît intéressant d'approfondir l'étude de ces ré-
férents, que l'on peut appeler, en suivant Brown & Yule (1983 : 124), des« en-
tités topicales ». Pour éviter autant que possible l'écueil d'une approche
arbitraire et rigide, je m'appuierai sur la prise en compte des marques linguisti-
ques et me contenterai d'étudier la structure conceptuelle de segments discur-
sifs d'ampleur limitée.
14. Voir néanmoins Filliettaz (1996) et Grobet (1 996b) pour des tentatives de prendre en comp-
te les différents points de vue des interactants. Après avoir envisagé de traiter la structure
conceptuelle comme un parcours (Roulet 1996, 1998), Roulet s'appuie, dans ses derniers
travaux, sur la notion de « négociation» pour rendre compte de l'aspect dynamique de l'or-
ganisation topicale, reconnaissant par là l'aspect statique de l'analyse de la structure con-
ceptuelle (Roulet 1999b et c).
15. Dans un cadre théorique et méthodologique différent, Dittmar reconnaît lui aussi l'impor-
tance de la structuration par les entités topicales : « Le discours se compose de champs thé-
matiques (CT). Un CT peut être subordonné à un mot-contrôle ou encore mot clé, qui, au
niveau de la signification lexicale, se comporte par rapport aux autres éléments thématiques
comme un hyperonyme à ses hyponymes» (Dittmar 1988 : 89-90).
309
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(6.5) (= 2.46)
lG: bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 c'est N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni:1 Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie 1 et qui a reçu. au Festival de Can-
nes le prix du : jury Il (Le Masque et la Plume)
Dans ce passage, le référent formé par « le film de Xavier Beauvois» peut être
interprété, à l'instar du « problème de santé» dans l'exemple 6.4, comme une
« entité topicale » à partir de laquelle d'autres informations sont dérivées on «(
parle beaucoup cette semaine dans la presse », « est N'oublie pas que tu vas
mourir », etc.). En termes plus généraux, on pourrait également définir l'entité
topicale comme un référent se caractérisant par un statut « central relativement
au sens qui se construit» (Apothéloz 1995 : 315).
Ainsi définie, la notion d'entité topicale reste encore très floue. Il reste en effet
à préciser comment se manifeste linguistiquement son statut « central» dans le
discours, comment s'évalue son « degré de centralité » et comment elle s'arti-
cule avec d'autres entités topicales. Pour le faire, je m'appuierai sur les résul-
tats de travaux qui, dans des cadres théoriques différents, ont mis à jour les
principales caractéristiques de l'entité topicale concernant sa verbalisation lin-
guistique (6.1.3.1), son degré d'importance référentielle (6.1.3.2) et son statut
cognitif (6.1.3.3).
Within the thematic paragraph it is most common for one topic to be the continuity
marker, the leitmotiv, so that it is the participant most closely associated with the
higher-level « theme )) through the paragraph ; it is the participant most likely to
be coded as the primary topic - or grammatical subject - of the vast majority of
sequentially-ordered clauses/sentences comprising the thematic paragraph.
(Giv6n 1983 : 8)
Pour Giv6n, le topique fonctionnant comme leitmotiv est celui qui remplit le plus
souvent la fonction de sujet. De manière proche, Brown & Yule (1983 : 137)
relèvent que l'entité topicale est le plus souvent codée par un sujet ou introduite
310
La structure conceptuelle du discours
(6.6)
Mr Mitsujiro Ishii
Mr Mitsujiro Ishii, who as a former Speaker of the Japanese House of Representa-
tives was instrumental in staging the 1964 Tokyo Summer Olympics and the 1972
Sapporo Winter Olympics, died on September 20. He was 92. Ishii had served as
Industry and Commerce Minister and in other cabinet posts under the late Prime
Ministers, Shigeru Yoshida, Nobusuke Kishi and Eisaku Sata, before retiring
in 1972.
He was speaker of the House of Representatives from February 1967 to July 1969.
(Brown & Yule 1983)
Dans cet exemple, toutes les phrases débutent par un sujet renvoyant au réfé-
rent « Mitsujiro Ishii », qui joue un rôle central dans cette notice nécrologique,
contrairement à d'autres référents évoqués de manière épisodique comme
« Shigeru Yoshida, Nobusuke Kishi and Eisaku Sata », dont la mention s'ins-
crit dans un complément circonstanciel.
Aussi bien Giv6n que Brown & Yule relèvent que, malgré une fréquente cor-
respondance, le sujet n'est pas toujours associé à l'entité topicale, comme c'est
le cas dans 6.5 :
(6.5)
JG : bien 1 tout à fait différent 1 un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse 1 N'oublie pas que tu vas mourir 1 le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois 1 Chiara Mastroianni:1 Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie 1 et.9.!!i a reçu. au Festival de Can-
nes le prix du : jury Il
(6.7) (= 5.18)
BP : et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D .. à New York 1 eh bien YQ1!§. [obligez 1 parce que
vous êtes. YQ1!§. êtes fantastiquement jaloux 1 votre passion vous pousse à
une jalousie féroce 1
311
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
GS: ouais /
BP : vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes affaires / même à jeter un collier / enfin à l' donner à quelqu'un /
GS: non / à l'donner à Saskia \\ (Apostrophes)
où les deux référents « Simenon» et « Denise» (désignée par D.), qui consti-
tuent les protagonistes principaux, remplissent alternativement la fonction de
sujet, d'objet, etc.
Il convient toutefois de préciser que les travaux établissant une relation entre
l'entité topicale et la fonction de sujet s'appuient sur l'analyse du discours
écrit. Or, pour le discours oral, ces propositions demandent à être affinées.
Lambrecht (1987) souligne en effet qu'il faut distinguer les sujets pronomi-
naux, qui renvoient à des entités caractérisées par une forte saillance et situées
au premier plan du discours, des sujets nominaux, plus rares en français parlé,
qui désignent des entités situées à l'arrière-plan du discours 16 . En suivant ces
propositions, il faut admettre que les entités topicales sont généralement co-
dées par des sujets pronominaux, à l'exception des noms propres qui, selon
Lambrecht (1987 : 248ss.), échappent à cette répartition.
16. Lambrecht étudie différents facteurs justifiant la différence entre le premier plan et l'arriè-
re-plan, tels que la topicalité, la continuité anaphorique, le caractère spécifique du référent,
la transitivité et la subordination syntaxique.
17. Pour la notion de chaîne de référence, voir Marandin (1988), Corblin (1995), et plus récem-
ment, Schnedecker (1998).
312
La structure conceptuelle du discours
First there is the protagonist Malin Kundang, around whom the entire story is cen-
tered. Second there are his mother and his wife. Although subsidiary to Malin
Kundang, they play important roles in the plot. Third there are incidental charac-
ters like the servant who is told to get rid of the mother. Such characters appear
only briefly to perform a single, limited function. For reasons such as thesè we
may speak of referents as having primary importance (Malin Kundang), secon-
dary importance (the mother and the wife), and trivial importance (the servant).
(Chafe 1994 : 88)
Chafe s'appuie avant tout sur l'implication des personnages dans la séquence
narrative pour évaluer leur degré d'importance 18. Appliquant ce type de raison-
nement à l'analyse de la séquence narrative de Simenon:
(6.7)
BP : et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que rencontrez D .. à New York / eh bien vous [obligez / parce que
êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
OS: ouais /
BP : . elle devant . elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à l'donner à quelqu'un /
OS : non / à l' donner à Saskia \\
18. De manière similaire à Chafe, Downing (1996) et Kibrik (1996) dans Fox (éd.) (1996) utili-
sent la notion de « degré de protagonisme ».
313
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Dans une séquence aussi simple que celle-ci, il est assez facile d'évaluer l'im-
portance référentielle des référents à partir du degré d'implication des protago-
nistes dans la narration. On peut toutefois se demander s'il n'est pas possible
de faire reposer cette évaluation sur la prise en compte de marques linguisti-
ques, de manière à pouvoir l'appliquer à des segments discursifs plus complexes.
Pour repérer les référents caractérisés par une forte importance référentielle,
les indices les plus fréquemment utilisés ont été proposés par Giv6n (1983) et
sont constitués par la persistance du référent dans le discours et la fréquence de
ses mentions (Chafe 1994: 89)19. La validité de ces mesures quantitatives est
toutefois très limitée, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, on peut
rappeler la part de subjectivité inhérente à l'évaluation de l'importance réfé-
rentielle, qui est d'ailleurs déjà soulignée dans tous les travaux utilisant ces in-
dices. Deuxièmement, ces indices, élaborés en fonction de l'analyse de textes
écrits, ne saisissent que les occurrences explicites des référents. Or, comme je
l'ai déjà maintes fois souligné, les référents particulièrement saillants sont sou-
vent repris implicitement dans le discours oral. Plus problématique encore, car
cela concerne aussi bien le discours oral que le discours écrit, ces mesures tien-
nent compte uniquement des évocations directes du référent. De là découlent
de nombreux problèmes d'application. Par exemple:
(6.8)
BP: et. cette histoire qu'on m'a racontée 1 qui est peut-être une légende 1
que vous portiez toujours la même chemise 1 pendant que vous écri-
viez un roman Il
as : euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises 1. que
j'avais achetées (XXX) mon arrivée à New York 1 qui étaient très
pratiques 1parce que les manches étaient très larges 1c'était des che-
mises à grands carreaux . en écossais rouge 1 et l'autre en écossais
(marron) \ et ces chemises avaient un avantage d'être très très sou-
ples 1 et de bien absorber la transpiration 1je ne la sentais pas couler
sur ma peau \ parce que je sortais. en nage 1 d'un chapitre de roman \
toujours 1je devais me changer complètement 1
BP : alors mais
as : c'était la même chemise mais on la lavait tous les jours Il (Apostro-
phes)
19. De manière proche, Apothéloz (1995: 303) évalue 1'« empan textuel» plus ou moins large
des référents.
314
La structure conceptuelle du discours
(6.5)
JG: bien / tout à fait différent / un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse / N'oublie pas que tu vas mourir / le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois / Chiara Mastroianni:! Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie / et ID!! a reçu. au Festival de Can-
nes le prix du : jury //
où le « film de Xavier Beauvois », une fois introduit, peut sans hésitation être
analysé comme le référent qui émerge comme étant le plus saillant de ce pas-
sage.
De l'autre côté, l'entité topicale peut également être perçue comme se situant à
l'arrière-fond du discours. Ainsi, en commentant la notice nécrologique
de 6.6:
(6.6)
Mr Mitsujiro Ishii
Mr Mitsujiro Ishii, who as a former Speaker of the Japanese Rouse of Representa-
tives was instrumental in staging the 1964 Tokyo Summer Olympics and the 1972
315
les facteurs discursifs de l'identification du topique
Sapporo Winter Olympics, died on September 20. He was 92. Ishii had served as
Industry and Commerce Minister and in other cabinet posts under the late Prime
Ministers, Shigeru Yoshida, Nobusuke Kishi and Eisaku Sata, before retiring in
1972.
He was speaker of the House of Representatives from February 1967 to July 1969.
Brown & Yule relèvent, si je comprends bien le sens de leur distinction termi-
nologique20 , que l'entité topicale (activée ici par Mr Mitsujiro Ishii) ne consti-
tue pas en tant que telle l'entité la plus importante de cette notice. En effet,
celle-ci développe avant tout un élément dérivé de ce référent, c'est-à-dire
dans cet exemple précis, « l'évaluation des événements et gestes remarquables
de la vie de Mr Mitsujiro Ishii ».
De manière similaire mais à propos de la narration, Chafe relève que les indi-
cations initiales concernant le cadre spatio-temporel et les personnages acti-
vent des informations destinées à constituer un arrière-fond conceptuel:
In summary, the self evidently has a general need to be informed about at least the
general aspects of its environment : place, time, people, their salient characteris-
tics, background activity, and perhaps the weather and relevant props. If such
information is not in sorne way inferrable, it needs to be placed at the beginning of
a narrative in an appropriate sequence of focusses of consciousness. Once esta-
blished in that manner, it can be retained in peripheral consciousness as
background orientation. (Chafe 1980 : 42, c'est moi qui souligne)
Une fois introduit (par exemple, par lorsque vous rencontrez D. à New York
dans l'exemple 6.8), cet arrière-fond conceptuel guide la compréhension de la
narration ultérieure.
20. «It might be objeeted that the term "topie entity" is unneeessary and that what we are
talking about here is simply our old friend "topie". We insist that it is useful to distinguish
between the topie entity/main eharaeter notion and the general pretheoretieal notion of "to-
pic" as "what is being talked about". One would hardly want to say that "the topie" of an
obituary was "the man" referred to by the name at the top of the entry, exeept in speaking in
sorne kind of shorthand. There are many aspects of "the man", physieal eharaeteristies for
instance, whieh would hardly be e.onsidered to be appropriate aspects for inclusion in an
obituary. The "topie" of an obituary might be more adequately eharaeterised in sorne sueh
terms as "an appreeiation of the noteworthy events and deeds in the life of X". »(Brown &
Yule 1983 : 138)
316
La structure conceptuelle du discours
(6.9)
(= 2.20)
Je :le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'il l'a été. Il
MM: par moments 1euh: certainement i! a: i! a été heureux 1. fcrois qu'il a été
heureux dans g vie. littéraire 1 (e) qu'il a eu de grandes joies 1 .. euh dans
sa vie privée 1 i! a eu : . s sa part de . de difficultés et de malheurs 1 euh ..
euh : . j k. n'sais pas si dans l'ensemble on peut qualifier sa vie de : .. de
vie heureuse 1 <acc.> quand i! a voulu écrire euh : ses: .. ses mémoires
aux États-Unis pendant la guerre 1i! euh .. i! avait choisi un titre 1 euh .. q .
qu'je n'sais plus exactement 1 enfin c'était. quelque chose comme Une vie
difficile <acc.> (ou j'sais pas bien) 1 et on lui a dit 1 mais enfin c'est c'est
.YQ!!§ n'avez pas l'droit d'écrire ça 1 vous qui dès l'premier livre avez eu du
succès etcetera 1.. et alors en effet 1 i! n'l'a pas 1 e i! n'l'a pas \ .. i! ne se
considérait pas comme un homme qui avait été parfaitement heureux \\
les interlocuteurs (désignés par les déictiques) constituent des points d'ancrage
d'arrière-fond. Le référent formé par «André Maurois », qui fait l'objet de
constants renvois anaphoriques, est lui aussi considéré comme un point d'an-
crage d'arrière-fond dans toute cette séquence (Roulet 1996 : 21).
21. Des paraphrases en « à propos» montrent que des référents comme «cette semaine », «la
presse », « d'autres que j'oublie », par exemple, constituent des topiques peu pertinents
dans le contexte de cet exemple.
317
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
entités topicales, qui peuvent soit être juxtaposées (comme c'est le cas pour les
protagonistes d'une narration), soit être dérivées les unes des autres, comme
cela a été montré dans la structure conceptuelle effectuée en 6.1.2.2. Les diffé-
rences dans la saillance des entités topicales s'expliquent alors par des varia-
tions dans les niveaux de dérivation.
film
(6.9)
Je :le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'!! l'a été. Il
MM: par moments 1 euh : certainement!! a : !! a été heureux 1 [ ... ]
le référent « André Maurois» constitue une entité topicale première par rap-
port à son «bonheur» qui en est dérivé. C'est non pas à propos d'« André
Maurois» en général, mais bien à propos de son « bonheur» que 1. Chancel
pose sa question et que M. Maurois s'exprime dans sa réponse. Cet exemple
fait donc intervenir deux entités topicales liées par une relation de dérivation, à
savoir « André Maurois », duquel est dérivé son « bonheur », qui fonctionne
également comme une entité topicale puisque différents aspects vont en être
développés. Cette structure peut être schématisée sommairement de la manière
suivante22 :
318
La structure conceptuelle du discours
Cette discussion a permis d'étoffer quelque peu la notion d'entité topicale, tout
en la situant par rapport à d'autres concepts voisins, comme les « chaînes de
référence» et « l'importance référentielle ». L'entité topicale a pu être décrite
comme un référent dont l'évocation récurrente donne lieu à des chaînes d'ex-
pressions référentielles impliquant préférentiellement des pronoms, lesquels
sont souvent - mais pas toujours - associés à la fonction de sujet. Plusieurs en-
tités topicales peuvent intervenir simultanément dans une seule séquence: el-
les se caractérisent par une importance référentielle plus ou moins grande et
peuvent se combiner entre elles par des relations de juxtaposition ou de dériva-
tion. L'examen de l'ambivalence du statut cognitif de l'entité topicale a de plus
permis d'introduire la question de son articulation avec les points d'ancrage,
qui fera plus spécifiquement l'objet de la seconde partie de ce chapitre.
22. Comme je m'intéresse uniquement aux entités topicales, je me contente d'une structure très
simple. Pour une structure conceptuelle plus complète, voir Roulet (1996).
319
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(6.10) (= 5.12)
MC: et quant à un film comme Festen / euh : (XX)
JG: il arrive parce que c'est au-delà de la dixième place /
MC: voilà \ voilà \ Festen arrive en décembre / il sort le le 21 décembre / les
gens ont dix jours pour voir / et ils ne mentionnent pas \. et ça
m'amène à parler un petit peu / peut-être brièvement mais tout de même /
dans ce genre de référendum / euh : évidemment . c'est pas comme si tous
les auditeurs du Masque et la Plume avaient vu tous les films / et que ils
détermineraient en leur âme et conscience ce qu'ils ont vu / il est évident.
que lorsqu'un film comme Titanic est vu par 20 millions de de personnes
en France / [ ... ] (Le Masque et la Plume)
Dans 6.10, le référent formé par le film« Festen » est d'abord réintroduit par et
quant à unfilm comme Festen, avant d'être repris par une reformulation du titre
(Festen) et par des pronoms qui le marquent comme un point d'ancrage. De
manière plus générale, toute entité topicale doit être introduite par le texte ou
la situation pour pouvoir fonctionner comme un point d'ancrage; de plus, rien
n'empêche qu'elle soit ultérieurement réactivée23 .
D'un point de vue statistique, il apparaît néanmoins que les entités topicales
sont souvent verbalisées par des chaînes d'expressions référentielles qui les
23. On peut également préciser que les points d'ancrage ne sont pas nécessairement constitués
par des entités topicales, mais peuvent être formés de référents évoqués de manière épisodi-
que. C'est le cas dans un exemple comme: vous êtes timide ce qui me paraît surprenant, où
le point d'ancrage auquel renvoie le démonstratif est constitué par la « timidité de Sime-
non », qui n'est que brièvement évoquée.
320
La structure conceptuelle du discours
marquent comme des points d'ancrage accessibles (voir 6.1.3.1i4 . Par exem-
ple, dans 6.10, le référent « Festen » est repris, après son introduction, par une
série d'expressions référentielles anaphoriques (il, Festen, il, le, le). Statisti-
quement, les entités topicales correspondent donc souvent à des points d'an-
crage.
Plus précisément, les entités topicales peuvent se combiner entre elles par des
relations de dérivation successives qui correspondent à différents niveaux
d'ancrage, comme je l'ai montré ci-dessus. Par exemple:
(6.11) (= 4.15)
BP : alors. vous êtes romantique / vous êtes. parfois naïf /
as : très naïf\\
BP : vous êtes très naïf / vous êtes timide / ce qui me paraît surprenant / euh :
(Apostrophes)
Cet exemple fait intervenir plusieurs entités topicales liées par des relations de
dérivation. Au niveau le plus élevé, le pronom vous renvoie à« Simenon». De
cette entité topicale est dérivée l'entité formée par la proposition ouverte
« vous êtes X », paraphrasable par le « caractère de Simenon ». Ce « caractère
de Simenon» fonctionne alors à son tour comme une entité topicale première
de laquelle sont dérivés les traits « romantique », «parfois naïf », « timide »,
etc. L'ensemble peut être représenté de la manière suivante:
romantique
24. La validité de cette proposition n'est que statistique. Elle peut être contredite par exemple
lorsque des interlocuteurs cherchent à imposer leur propre référent comme entité topicale
(voir l'exemple cité par Berthoud 1996 : 79s5.).
321
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Les flèches ajoutées en bas du schéma indiquent que les représentations déri-
vées servent à leur tour d'entités premières pour l'activation d'autres informa-
tions (très naïf et ce qui me paraît surprenant).
(6.12) Vous êtes romantique et vous vous attribuez aussi une grande naïveté.
car la proposition ouverte « vous êtes X » n'y est pas directement récupérable,
et l'entité formée par le « caractère de Simenon» ne peut qu'être inférée à par-
tir des informations activées par vous êtes romantique, vous vous attribuez une
grande naïveté dont elle constitue la catégorie englobante.
À partir de là, l'articulation entre les entités topicales et les points d'ancrage
peut être décrite de la manière suivante : une entité topicale fonctionne comme
un topique tant qu'il n'existe pas de référent plus immédiatement pertinent (tel
qu'une autre entité topicale dérivée) qui peut remplir ce rôle. Ainsi, dans
l'exemple 6.11, « Simenon» constitue une entité topicale superordonnante qui
ne peut être interprétée comme le topique pour les actes de ce passage, car elle
est supplantée par d'autres référents plus immédiatement pertinents comme
son « caractère ». Ce référent se trouve lui-même relégué à l'arrière-fond à
deux reprises par des points d'ancrage locaux (<< naïf» et «timide »). En sui-
vant les conventions de l'organisation informationnelle, les topiques de ce pas-
sage peuvent être explicités de la manière suivante :
(6.13)
BP: alors. vous êtes [caractère] romantique /
vous êtes [caractère]. parfois naïf /
GS: très naïf\\
BP: vous êtes [caractère] très naïf /
vous êtes [caractère] timide /
ce [timide] qui me paraît surprenant / euh:
Cette description de l'articulation entre les entités topicales et les points d'an-
crage demande encore à être précisée. Il convient en effet de déterminer les
conditions dans lesquelles une entité topicale correspond au topique, c'est-à-
dire n'est pas supplantée par un référent plus directement pertinent, et inverse-
ment, les circonstances dans lesquelles un autre référent s'impose comme étant
un topique plus pertinent. C'est à partir d'une telle mise au point qu'il sera
322
La structure conceptuelle du discours
(6.14) Marc est assez basané, il a les yeux bleus et il a les cheveux noirs.
où le référent introduit par Marc constitue une entité topicale qui, une fois in-
troduite, fonctionne comme le topique des deux actes suivants. L'exemple 6.5
illustre parfaitement cette configuration :
(6.5)
JG : bien / tout à fait différent / un film dont on parle beaucoup cette semaine
dans la presse / N'oublie pas que tu vas mourir / le film de Xavier
Beauvois avec Xavier Beauvois / Chiara Mastroianni:/ Bulle Ogier
(XXX) et d'autres que j . que j'oublie / et 9.!!i a reçu. au Festival de Cannes
le prix du : jury / /
Une fois introduit par le syntagme nominal indéfini, le « film de Xavier Beau-
vois» est verbalisé par des expressions référentielles qui le marquent claire-
ment comme topique.
Les exemples 6.9 et 6.11 peuvent en outre être considérés comme des variantes
de cette situation25 :
25. Dans ces exemples, je transcris en gras les expressions référentielles renvoyant au topique
et en italique celles qui désignent des points d'ancrage d'arrière-fond. Dans l'exemple 6.11,
le pronom vous est transcrit en gras, puisqu'il renvoie à une partie du topique, mais considé-
ré seul, il renverrait à un point d'ancrage d'arrière-fond.
323
les facteurs discursifs de l'identification du topique
(6.9)
Je: le philosophe Alain lui avait enseigné l'devoir d'être heureux. 1 vous pen-
sez qu'ill'[heureux]a été. Il
MM: par moments 1 euh: certainement il a: il a été heureux 1 .[ ... ]
(6.11)
BP: alors. vous êtes romantique 1
vous êtes. parfois naïf 1
GS: très naif\\
BP: vous êtes très naïf 1
vous êtes timide 1
ce qui me paraît surprenant 1 euh :
(6.15) Jean a cinq ans. Il est allé à l'école pour la première fois, mais la maîtresse
d'école, elle ne lui a pas plu du tout.
Le référent introduit par Jean et repris par il et lui constitue une entité topicale
dans l'ensemble de ce passage, car différents éléments le concernant y sont dé-
veloppés. Le référent formé par la « maîtresse d'école» est quant à lui intro-
duit dans une structure segmentée à gauche, avant d'être repris par le pronom
elle dans le dernier acte. Les deux référents pourraient constituer des topiques
possibles pour le dernier acte. Il semble toutefois que la présence de la seg-
mentée à gauche confère une saillance particulière au référent formé par la
324
La structure conceptuelle du discours
« maîtresse d'école », qui peut être identifié comme le topique du dernier acte,
reléguant « Jean» un peu plus à l'arrière-fond26 . En suivant cette interpréta-
tion, il faut admettre que ce n'est pas directement « à propos de Jean» que l'on
dit que « la maîtresse d'école ne lui a pas plus du tout », mais que c'est plutôt
« en parlant de Jean et à propos de la maîtresse d'école» que l'on dit qu' « elle
ne lui a pas plus du tout )). En d'autres termes, cela revient à dire que le topique
n'est pas constitué uniquement par « Jean )), mais par la « maîtresse d'école ))
et sa relation avec « Jean ))27.
Cette situation peut être illustrée par l'exemple authentique suivant (qui inclut
l'exemple 4.126) :
(6.16)
[contexte: B veut connaître les motifs justifiant le refus d'une allocation
compensatrice pour sa mère]
Bl33 : alors celui-là qui a un million par mois. il peut être accepté
C134 : mais ça dépend de son handicap madame ça ça n'a rien à voir avec les res-
sources l'allocation handicapé adulte à voir avec les ressources. hein on
peut très bien être reconnu. handicapé et que la COTOREP vous octroie.
l'allocation handicapé adulte ça n'est pas sûr que vous receviez de l'argent
ce sont les organismes payeurs après qui. tiennent compte de la res-
source . hein
B 135 : oui. mais si par exemple
C136 : mais dans l'allocation compensatrice
Bl37 : oui
Cl38 : on ne tient pas compte de la ressource
B139 : mais
Cl40 : on tient
Bl41 : mais comme la
C142 : compte de l'autonomie des gens
B143 : oui mais c'est bien sûr mais comme la l'aide ménagère il a bien fallu la
payer.
C144: ah mais ça c'est autre chose madame l'aide ménagère ..... elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale qui inter-
vient
325
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(6.17) En parlant de votre mère, à propos de l'aide ménagère, elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale qui inter-
vient.
Dans les deux exemples qui viennent d'être examinés, j'ai fait l'hypothèse que
.c'est le marquage syntaxique qui confère une saillance particulière au référent
local, reléguant par là l'entité topicale plus à l'arrière-fond. Dans d'autres cas,
l'entité topicale est concurrencée par un référent marqué uniquement au niveau
lexical par une expression référentielle anaphorique. A-t-on alors affaire à
deux topiques ou l'un prime-t-il sur l'autre? Ce cas de figure peut être discuté
à partir de l'exemple suivant:
(6.18) Jean a cinq ans. Il a rencontré la maîtresse d'école, mais elle ne lui a pas
plu du tout.
Deux topiques paraissent possibles dans le dernier acte. « Jean », qui constitue
à nouveau une entité topicale par le rôle qu'il joue dans cette séquence, y est
marqué par le pronom lui. La « maîtresse d'école », à laquelle renvoie le pro-
nom elle, constitue également un topique possible. Ce référent est introduit
dans le deuxième acte, mais ne fait cette fois pas l'objet d'un marquage syn-
taxique spécifique. Comme je l'ai souligné dans le quatrième chapitre, la posi-
tion de sujet occupée par le pronom elle dans le troisième acte ne peut pas être
considérée comme une marque décisive. L'interprétation de 6.18 et de 6.19 :
(6.19) Jean a cinq ans. Il a rencontré la maîtresse d'école, mais il ne La pas aimée
du tout.
326
La structure conceptuelle du discours
Lorsque l'entité topicale est doublée par un ancrage linéaire explicite, il con-
vient donc de distinguer deux configurations différentes. Si cet ancrage linéai-
re est marqué à la fois au niveau syntaxique et lexical, il renvoie à un référent
interprétable comme le topique. En revanche, si l'ancrage linéaire est signalé
uniquement au niveau lexical par une reprise anaphorique, le topique, qui peut
aussi être formé par l'entité topicale, ne peut être considéré comme clairement
identifiable.
(6.20)
A: tu as vu Georges ?
B: oui à l'instant
327
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
Mais 1'« interlocuteur» ne constitue pas le seul topique possible: cet exemple
peut également faire l'objet d'une interprétation selon laquelle le topique du
deuxième acte serait dérivé de l'information activée précédemment. En effet, il
est possible d'établir une relation entre le fait d'« être lunatique» et celui
d'« avoir des sautes d'humeur », qui peut être décrite, de manière informelle,
comme impliquant un trait de caractère (<< être lunatique ») et une manifesta-
tion extérieure de ce trait de caractère (<< avoir des sautes d'humeur »). Cette
interprétation peut être représentée par le schéma suivant28 :
28. J'indique en italique les catégories justifiant le lien conceptuel entre les prédicats.
328
La structure conceptuelle du discours
où il est beaucoup plus difficile d'établir un lien entre les informations activées
par les prédicats: ceux-ci activent des informations qui semblent avoir pour
unique point commun de décrire des caractéristiques du référent désigné par
vous. La structure conceptuelle peut être esquissée de la manière suivante:
vous
Contrairement à ce qui se passe pour l'exemple précédent, le lien entre les in-
formations activées par les deux prédicats n'est pas particulièrement saillant et
il ne favorise pas une interprétation impliquant un ancrage linéaire. Le topique
le plus immédiatement accessible semble donc être le référent désigné par
vous.
La prise en compte de ces ancrages qui reposent avant tout sur la nature des in-
formations activées par les prédicats reste toutefois délicate, car leur caractère
implicite rend leur repérage incertain et tributaire des connaissances de l'inter-
prétant. Par exemple, si je ne vois personnellement aucun lien référentiel entre
le fait d' « être lunatique» et celui d' « habiter Trou-les-Bains », il existe peut-
être des locuteurs pour qui les habitants de Trou-les-Bains sont connus pour
avoir des sautes d'humeur: contrairement à moi, ces locuteurs percevront un
lien référentiel entre ces deux éléments. La subjectivité de l'interprétant et les
connaissances sur lesquelles il s'appuie jouent donc un rôle crucial dans le re-
pérage de ces ancrages implicites.
329
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
(6.25)
La sonnerie l'a réveillé,
(une fois réveillé par la sonnerie) il s'est levé,
(une fois levé) il a pris une douche.
Il convient de préciser qu'un lien conceptuel peut également être explicité par
la présence de connecteurs, tels que parce que ou donc, qui indiquent la pré-
sence d'une relation argumentative ou conclusive, et en même temps l'existen-
ce d'un lien conceptuel sous-jacent:
D'une manière très générale, on peut dire que les exemples 6.26 et 6.27 impli-
quent des relations de causalité et de conséquence.
(6.28)
BP: décidément. elle est extraordinaire Teresa / ...... elle vous a fait perdre tous
vos défauts /
as: eh bien eh bien parce qu'elle est sereine / elle est. je ne sais pas / c'est un
Saint-Bernard elle aussi / si je puis dire / je ne sais pas / enfin \ c'est une
union vraiment comme je l'imagine \\ (Apostrophes)
Dans ce passage, le référent « Teresa », auquel renvoient les pronoms elle, joue
un rôle central et peut donc être interprété comme une entité topicale 29 • L'acte
fléché active une information qui s'ancre non seulement sur ce référent, mais
également sur l'information qui vient d'être activée, à savoir« le fait que Tere-
sa est extraordinaire». Roulet justifie cet ancrage par la possibilité d'effectuer
29. Les interlocuteurs, auxquels renvoient les déictiques, forment également des entités topica-
les, qui sont toutefois situées plus à l'arrière-fond.
330
La structure conceptuelle du discours
(6.28)
PM: euh: non / la réaction c'est évidemment la grande joie pour. de voir
l'Angelopoulos qui a été. vraiment mal accueilli /
JG: OUI
PM: Y compris à cette tribune
X: y compris à cette tribune
Y: par par par toujours les mêmes / enfin le film a tout de même été très bien
accueilli par
JG: on ne dit pas de ses amis que ce sont les mêmes /
X,Y: <rires>
PM: par rapport par rapport à ce que ce film méritait /
JG: ouais
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année / -+ je suis donc
heureux de le voir en quatrième / (Le Masque et la Plume)
Dans l'ensemble de cet extrait, le film d'Angelopoulos joue le rôle d'une entité
topicale, ce dont témoignent les nombreuses expressions référentielles qui y
renvoient (l'Angelopoulos, le film, ce film, c', 1J. Ce référent constitue un
point d'ancrage possible pour le dernier acte, mais il n'est pas le seul. En effet,
le locuteur établit une relation, soulignée par la présence du connecteur donc,
entre le fait de « trouver que c'était un des plus beaux films de l'année », et le
fait d' « être heureux de le voir en quatrième ». Ce lien peut être représenté par
le schéma suivant:
1 Angelopoulos 1
331
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
La relation entre les infonnations activées par les prédicats des deux derniers
actes justifie, me semble-t-il, un enchaînement infonnationnel linéaire, que
l'on peut expliciter par:
(6.29) (je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année) je suis donc heu-
reux de le voir en quatrième
(6.7)
BP : et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \ lors-
que vous rencontrez D .. à New York / eh bien vous l'obligez / parce que
vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous pousse à
une jalousie féroce /
GS: ouais /
BP : vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses lettres / à brûler
toutes ses affaires / même à jeter un collier / enfin à l' donner à quelqu'un /
GS : non / à l'donner à Saskia \\
30. Pour l'analyse d'un autre exemple similaire, cf. Grobet (1999b).
31. D'après Reinhart (1986), l'une des caractéristiques de la séquence narrative est que les ac-
tions successives composant son avant-plan y sont perçues comme un tout continu.
32. Pour des études de la macro-structure narrative, voir Adam (1992), Adam & Revaz (1996),
et pour des discussions dans le système modulaire genevois, Grobet & Filliettaz (2000),
Filliettaz (1999b), Filliettaz & Grobet (1999), Roulet (1991b, 1999b et c), Roulet, Filliettaz
& Grobet (2001).
332
La structure conceptuelle du discours
(6.30)
BP: et en même temps vous racontez une autre scène. invraisemblable \
(une autre scène ... ) lorsque vous rencontrez D .. à New York /
(lorsque vous rencontrez ... ) eh bien vous l'obligez /
[ ... ]
BP: (vous l'obligez) vous. elle devant vous. elle s'humilie. à brûler toutes ses
lettres /
(elle s'humilie) à brûler toutes ses affaires /
(elle s 'humilie) même à jeter un collier /
(même à jeter) enfin à l'donner à quelqu'un /
GS: (même àjeter) non / à l'donner à Saskia \\
(6.31 )
BP: parce que vous êtes. vous êtes fantastiquement jaloux / votre passion vous
pousse à une jalousie féroce /
GS: ouais /
33. Dans la tenninologie de Labov (1978), on peut décrire ce passage évaluatif comme étant
constitué de « propositions libres », qui se distinguent des « propositions narratives» tem-
porellement ordonnées.
333
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
34. Cet ancrage semble plus accessible que celui qui impliquerait la « jalousie de Simenon »,
comme le suggère la différence entre l'enchaînement: « vous l'obligez ... elle s'humi-
lie ... » et « votre passion vous pousse à une jalousie ... elle s'humilie ... ».
334
La structure conceptuelle du discours
The key to understanding these strategies lies in Chafe's suggestion (1976) that the
role of a particular character within a discourse may influence the speaker's way of
referring to that character ; thus, for example, the main character may have a stron-
ger hold on the status of old information than other characters. (1980 : 178)35
La forte accessibilité des entités topicales n'est pas propre à la narration; elle
peut être illustrée par un exemple extrait d'un dialogue en librairie, à propos du
référent formé par 1'« amie de la cliente » :
(6.32)
Cl: bonjour monsieur Il
L2: bonjour madame Il
C3: j'ai un p'tit problème 1
L4: oui Il
C5: j'n'habite pas G'nève \
L6: mmhl
C7: - et : . il Y a . j'ai une amie 1 qui est malade 1
L8: mmhl
C9: - et qui m'a demandé de trouver certains livres de la collection Harlequin
c'est une =
LlO: ouais ouais j 'connais 1 . j'ai pas du tout \\
[ ... ]
L80 : - qu'est-ce qu'elle aim.. elle aim'rait, elle aim'rait les autres 1
C81 : (Jeux de Scène) Il
L82 : - ou bien elle aim'rait ça 1. elle aim'rait le la suite de cette collection 1
votr'amie 1
C83 : enfin je n'sais rien 1 euh euh écoutez 1euh laissez moi voir (XXX) <bas>
L84 : - donc elle en veut trois 1 si j'comprends bien \\
C85 : - non elle veut tout ça 1 si ils existent en: français \ ... ell' veut le numéro
treize 1..
L86 : ok (bon) alors vous m'laissez toutes
C87 : le numéro treize \\
L88: les feuilles vous m'donnez
C89: c'est Clause Blanche Il
L90: vot'nom madame 1
C91: oui 1
L92: attendez. c'est madame 1
C93: voilà 1. attendez je vais vous écrire 1 ... <elle écrit en parlant à voix basse
pour elle> Clause Blanche j'ai écrit tout ça hier soir (XXX)
35. Cf. également Chafe (1980), Downing (1996), Fox (1996) et Kibrik (1996).
335
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
336
La structure conceptuelle du discours
Le référent formé par 1'« amie de la cliente» est évoqué pour la première fois
en 7 et 9 par la cliente (j'ai une amie / qui est malade / et qui m'a demandé de
trouver certains livres de la collection Harlequin) : 1'« amie» est présentée
comme la destinataire des livres que la cliente veut acheter. En tant que telle,
cette « amie» joue un rôle central dans ce dialogue et peut être considérée
comme l'une des entités topicale (parmi d'autres entités topicales comme les
« livres », les « interlocuteurs », etc.). L'« amie» fait l'objet de reprises prono-
minales entre 80 et 85 et est explicitée par le libraire en 82 (ou bien elle
aim 'rait ça /. elle aim 'rait le la suite de cette collection / votr 'amie). À partir
de 125, elle est reprise par plusieurs pronoms (je lui demande pour euh,je lui
dis elle peut vous téléphoner, et si elle en veut d'autres euh) sans avoir été
préalablement réactivée. Malgré cela, l'interprétation de ces pronoms ne pose
aucun problème aux interlocuteurs, ce qui témoigne de la forte accessibilité de
ce point d'ancrage. La saillance de ce référent ne peut pas s'expliquer par la
structure hiérarchique textuelle, car les différentes opérations effectuées par les
interlocuteurs (détermination des livres à commander, prise des coordonnées
de la cliente, etc.) impliquent la présence d'échanges distincts. Cette pluralité
d'échanges apparaît d'autant plus clairement que les interventions en 125 et
128 se présentent comme des interventions initiatives d'échanges. Il faut donc
admettre que c'est le rôle d'entité topicale de« l'amie de la cliente» quijusti-
fie sa forte accessibilité pendant tout ce dialogue 36 .
(6.33)
NV: oui Claude alors beaucoup d'appels ce soir / d'abord alors évidemment
pour les félicitations d'usage lors des anniversaires avec des vœux pour le
futur / et quand même pas mal de remarques / - alors dans les critiques /
tout le monde en prend un peu pour son grade \\ - on commence par cette
auditrice qui estime que la durée de l'émission est trop courte / elle préfé-
rerait un débat plus long / mais deux fois par semaine \\ - l'appel de cet
habitué de La Chaux-de-Fonds qui est trop souvent déçu par la qualité des
invités / des invités qui dit-il peinent à sortir de leur corset / et qui ne se
remettent pas assez souvent en question \\ - toujours au sujet des invités
36. Pour la discussion d'un exemple similaire extrait d'un dialogue téléphonique, cf. Grobet
(1996a).
337
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
une auditrice souhaiterait que les noms des invités soient annoncés dans la
journée / cela pourrait titiller les auditeurs plus tôt \\ .... un autre est frustré
par la manière dont se déroulent les débats / ça c'est pour les journalistes /
lorsque des thèmes importants sont abordés explique-t-il / les animateurs
ne laissent pas assez parler les invités / ils dirigent trop la discussion pour
rester dans un chablon / et ne s'éloignent pas assez de leur plan respectif\\
.... autre son de cloche avec un auditeur / qui estime que les invités ont tout
loisir d'éluder les questions embarrassantes \\ .... et puis dernière remarque
avec la sélection des questions des auditeurs / des questions souvent mal
sélectionnées et trop personnelles \\ .... enfin alors après les critiques. les
souhaits / le souhait notamment de cet auditeur qui pense qu'il y a trop de
débats politiques et techniques / et qui plaide avant tout pour des débats de
société qui touchent à la spiritualité \\ le vœu de ce même auditeur pour le
nouveau directeur de la radio. qui vient d'être nommé / un homme qui
devrait développer les émissions. interactives \\
Cet exemple est constitué par la lecture d'une liste dans laquelle sont énumé-
rées les différentes remarques des auditeurs sur l'émission radiophonique Fo-
rum. La structure conceptuelle est clairement marquée: les remarques des
auditeurs sont divisées en trois catégories: les «félicitations », les «criti-
ques » et les « souhaits »37. Parmi ces trois groupes, les « critiques» sont les
plus nombreuses, car il y en a six en tout. Cette brève description de la structu-
re conceptuelle peut être représentée par le schéma suivant:
appels
félicitations souhaits
37. Les « critiques» et les « souhaits» pourraient éventuellement être regroupés car ils sont in-
troduits par et quand même pas mal de remarques.
338
La structure conceptuelle du discours
Bien qu'un peu plus complexe, l'intervention qui commence par toujours au
sujet des invités une auditrice souhaiterait que les noms des invités soient an-
noncés dans la journée peut être analysée d'une manière similaire. Le topique
de la remarque de l'auditrice y est amené en deux temps. Après la fin du mou-
vement périodique qui précède, le locuteur réactive la représentation des « in-
vités)) dans le cadre d'une segmentée à gauche: toujours au sujet des invités.
Cette explicitation du lien conceptuel entre la remarque qui suit et celle qui la
précède s'ancre sur l'entité topicale formée par les « critiques )) implicitement
sous-jacente (c'est une « critique)) qui est « toujours au sujet des invités ))).
Dans un second temps, le propos évoqué par une auditrice souhaiterait que les
noms des invités soient annoncés dans la journée s'ancre sur le topique formé
38. Les parallélismes prosodiques sont caractéristiques dans les énumérations (Wunderli et al.
1978, Rossi 1985, Mertens 1990).
339
Les facteurs discursifs de l'identification du topique
par les « invités », préalablement rendu saillant par sa réactivation dans la seg-
mentée à gauche.
Le même type de raisonnement peut être appliqué aux autres appels des audi-
teurs, tous précédés par une rupture périodique et pouvant être interprétés com-
me s'ancrant sur l'entité topicale formée par l'ensemble des « critiques»
(explicitée entre parenthèses) :
(6.34)
(dans les critiques) l'appel de cet habitué de La Chaux-de-Fonds qui est trop sou-
vent déçu par la qualité des invités ...
(dans les critiques) toujours au sujet des invités une auditrice souhaiterait que les
noms des invités soient annoncés dans la journée ...
(dans les critiques) un autre est frustré par la manière dont se déroulent les débats
(dans les critiques) autre son de cloche avec un auditeur / qui estime que les invités
ont tout loisir d'éluder les questions embarrassantes
(dans les critiques) et puis dernière remarque avec la sélection des questions des
auditeurs ...
Dans cette énumération, l'ancrage sur l'entité topicale constituée par les « cri-
tiques» n'est pas verbalisé par des expressions référentielles anaphoriques qui
y renvoient directement, car il est uniquement fait référence aux « auditeurs» à
l'origine des remarques et à leurs « appels». Le rôle de l'entité topicale formée
par les « critiques» apparaît toutefois distinctement dans la reformulation qui
clôt l'évocation des six critiques (après les critiques les souhaits) et marque
par là explicitement la transition vers une autre entité topicale.
6.2.4 Bilan
La structure conceptuelle constitue le dernier facteur intervenant dans l'identi-
fication du topique étudié dans le cadre de ce travail. Malgré la complexité de
cette structure qui rend son analyse problématique, il a été possible de faire ap-
340
La structure conceptuelle du discours
341
Partie IV
L'IDENTIFICATION
DES TOPIQUES DANS
LES DIALOGUES: BILAN
Chapitre 7
L'INTERRELATION DES FACTEURS LINGUISTIQUES
ET DISCURSIFS DANS L'IDENTIFICATION
DU TOPIQUE
Dans les chapitres précédents, j'ai examiné successivement le rôle des mar-
ques lexicales et syntaxiques de la structure informationnelle, ainsi que celui
des structures hiérarchiques, relationnelles et conceptuelles du discours dans
l'identification du topique. Ces différents facteurs ont jusqu'à présent été trai-
tés de manière assez indépendante et seule la discussion de quelques exemples
sous des angles différents a laissé entrevoir comment ils interagissent. Pour
compléter cette étude, je me propose d'examiner les interrelations de ces fac-
teurs à partir de l'analyse de quelques segments discursifs étendus (7.1) et de
préciser les étapes du parcours qui conduisent à l'identification du
topique (7.2).
345
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
1. Il n'est pas tenu compte des points d'ancrage d'arrière-fond, qui n'interviennent pas direc-
tement dans j'identification du topique.
346
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
et suivie par un commentaire des éléments les plus intéressants et/ou problé-
matiques de la mise en relation des différents facteurs intervenant dans 1'iden-
tification du topique. En outre, il convient de rappeler que les analyses
proposées ne sont pas les seules possibles, mais uniquement celles qui me
semblent les plus pertinentes: la détermination des « bons» topiques ne m'in-
téresse pas tant que le parcours qui conduit - ou ne conduit justement pas clai-
rement - à leur identification.
(7.1) (= 6.33)
NV: alors beaucoup d'appels ce soir / d'abord alors évidemment pour les félici-
tations d'usage lors des anniversaires avec des vœux pour le futur / et
quand même pas mal de remarques / alors dans les critiques / tout le
monde en prend un peu pour son grade \\ on commence par cette auditrice
qui estime que la durée de l'émission est trop courte / elle préférerait un
débat plus long / mais deux fois par semaine \\ l'appel de cet habitué de La
Chaux-de-Fonds qui est trop souvent déçu par la qualité des invités / des
invités qui dit-il peinent à sortir de leur corset / et qui ne se remettent pas
assez souvent en question \\ toujours au sujet des invités une auditrice sou-
haiterait que les noms des invités soient annoncés dans la journée / cela
pourrait titiller les auditeurs plus tôt \\ un autre est frustré par la manière
dont se déroulent les débats / ça c'est pour les journalistes / lorsque des
thèmes importants sont abordés explique-t-il / les animateurs ne laissent
pas assez parler les invités / ils dirigent trop la discussion pour rester dans
un chablon / et ne s'éloignent pas assez de leur plan respectif\\ autre son
de cloche avec un auditeur / qui estime que les invités ont tout loisir d'élu-
der les questions embarrassantes \\ et puis dernière remarque avec la sélec-
tion des questions des auditeurs / des questions souvent mal sélectionnées
et trop personnelles \\ enfin alors après les critiques. les souhaits / le sou-
hait notamment de cet auditeur qui pense qu'il y a trop de débats politiques
et techniques / et qui plaide avant tout pour des débats de société qui tou-
chent à la spiritualité \\ le vœu de ce même auditeur pour le nouveau direc-
teur de la radio. qui vient d'être nommé / un homme qui devrait
développer les émissions. interactives \\ (Forum)
347
L'identification des topiques dans les dialogues : bilan
Cet extrait se caractérise par une structure énumérative clairement marquée qui
se reflète tant au niveau de la segmentation périodique qu'au niveau de la
structure conceptuelle, articulée autour des entités topicales formées par les
« appels », puis les « félicitations », les « critiques »et les « souhaits »2. Tout
porte à croire que cette structuration joue un rôle important parmi les facteurs
intervenant dans l'identification du topique :
t:i.. l';',,,'/ Ü. \1
,
;."'_ Jl!II'I1OItMATI
.....
348
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans /'identification du topique
9. des invités qui dit-il peinent à sortir de leur lex. répétition du nom invités
corset / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.
349
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
10. et qui [invités] ne se remettent pas assez lex. pronom relatif qui
souvent en question \ \ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.
12. une auditrice souhaiterait que les noms des lex. les noms des invités'
invités [invités] soient annoncés dans la journée / synt. suite de la segmentée à gauche
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.
13. cela [annonce des noms des invités] pourrait lex. pronom démonstratif cela
titiller les auditeurs plus tôt \\ synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.
15. ça [remarque] c'est pour les journalistes / lex. pronoms démonstratifs ça, c'
synt. segmentée à gauche
relat.
hiér.
pér.
conc.
350
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
18. ils [les animateurs] dirigent trop la discus- lex. pronom personnel ils
sion pour rester dans un chablon / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.
19. et ne s'éloignent pas assez de leur [les ani- lex. adjectif possessif leur
mateurs] plan respectif\\ synt. élision du sujet
relat.
hiér.
pér.
conc.
21. qui [un auditeur] estime que les invités ont lex. pronom relatif qui
tout loisir d'éluder les questions embarras- synt.
santes \\ relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.
351
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
24. enfin alors après les critiques. les souhaits f lex. SN défini les critiques
synt.
relat. topicalisation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « critiques»
26. et qui [cet auditeur] plaide avant tout pour lex. pronom relatif qui
des débats de société qui touchent à la spiritu- synt.
alité \\b relat.
hiér.
pér.
conc.
27. le vœu de ce même auditeur [les souhaits] lex. SN défini le vœu de ce même
pour le nouveau directeur de la radio. qui vient auditeur
d'être nommé / synt.
relat. préparation
hiér.
pér. suit une rupture
conc. entité topicale : les « souhaits»
28. (le nouveau directeur de la radio) un homme lex. réactivation du référent par un
qui devrait développer les émissions. interac- homme
tives \\ synt.
re1at. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.
a. Cet acte, fonné par une structure elliptique, peut faire l'objet de deux interprétations: soit
on considère que ce constituant est fonné de deux actes liés par une relation de cadre (après
les critiques -les souhaits), soit on admet, comme je l'ai fait, que l'on a affaire à un seul
acte dans lequel le verbe est élidé, ce que l'on pourrait expliciter par exemple par « alors
après les critiques viennent les souhaits ».
b. La segmentation des actes 25 et 26 se justifie essentiellement par la prosodie.
352
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
353
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
quement subordonné. L'acte 16 s'ancre alors non pas directement sur ce com-
mentaire, mais sur l'information activée dans l'acte 14, qui se situe à un niveau
hiérarchique équivalent. À ce stade, le topique de l'acte 16 pourrait être identi-
fié comme étant constitué soit par l'ensemble de l'information activée par
l'acte 14 (<< un autre est frustré par la manière dont se déroulent les débats »),
soit par le référent formé par 1'« auditeur », auquel renvoie le pronom ils dans
l'acte 16. La présence du commentaire de l'acte 15, qui attire l'attention sur la
remarque effectuée plutôt que sur la personne de l'auditeur, me conduit néan-
moins à choisir la première de ces deux interprétations.
3. Ce procédé est discuté par ROlllet (1995a) qui montre, à propos du dialogue romanesque,
l'intégration progressive des voix rapportées dans le discours narratif.
4. L'influence sur la structure informationnelle de la différence de niveau existant entre le dis-
cours rapporté et le discours produit apparaît par exemple dans l'acte 9, où le locuteur choi-
sit de répéter le nom invités plutôt que de recourir à un pronom relatif (qui), bien que ce
référent soit déjà évoqué dans l'acte 8.
354
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans /'identification du topique
(7.2)
BP: et. cette histoire qu'on m'a racontée 1 qui est peut-être une légende 1 que
vous portiez toujours la même chemise 1 pendant que vous écriviez un
roman Il
GS: euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises 1. que j'avais
achetées (XXX) mon arrivée à New York 1qui étaient très pratiques 1parce
que les manches étaient très larges 1 c'était des chemises à grands car-
reaux . en écossais rouge 1 et l'autre en écossais marron \ et ces chemises
avaient un avantage d'être très très souples 1 et de bien absorber la transpi-
ration / je ne la sentais pas couler sur ma peau \ parce que je sortais. en
nage / d'un chapitre de roman \ toujours / je devais me changer complète-
ment/
BP : alors mais
GS : c'était la même chemise mais on la lavait tous les jours //
BP : si je vous entends bien quand vous écriviez / quand vous étiez en roman.
comme vous dites / vous perdiez du poids //
GS: oui / huit cents grammes par jour \ Teresa a fait l'expérience / elle a pesé.
tous mes vêtements comme quand je sortais d'un roman quand je remon-
tais euh: je me déshabillais entièrement / je me douchais et je me chan-
geais / elle a pesé. mes vêtements et sous-vêtements avant /. et après 1. eh
bien. le résultat / c'était de sept à huit cents grammes par jour // (Apostro-
phes)
355
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
2. qui [histoire] est peut-être une légende 1 lex. pronom relatif qui
synt.
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.
356
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
7. qui [deux chemises] étaient très pra- lex. pronom relatif qui
tiques / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les
« chemises»
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : les
« chemises»
357
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
OS: 17. c'[ce que je portais] était la même che- lex. démonstratif c '
mise synt.
relat.
hiér. proximité avec 3
pér.
conc. réactivation de l'entité topi-
cale: « la même chemise »
a. Cette tentative de prise de parole n'aboutit pas; elle n'est pour cette raison pas numérotée
comme un acte.
358
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
BP: 19. (ce que vous dites) sije vous entends lex.
bien synt.
relat. préparation
hiér.
pér.
conc. lien conceptuel entre le dire de
GS et la « compréhension» de
BP
359
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan
a. Le référent« Teresa », inclus dans l'acte 26 et repris par un pronom anaphorique, constitue
aussi un topique possible.
360
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
33. elle [Teresa] a pesé. mes vêtements et lex. pronom personnel elle
sous-vêtements avant 1. et après 1. synt.
relat.
hiér. proximité avec 27
pér.
conc.
35. c'[le résultat] était de sept à huit cents lex. pronom démonstratif c '
grammes par jour Il synt. suite de la segmentée à gauche
relat. cf. précédent
hiér.
pér.
conc.
361
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
Le topique de l'acte 17 est constitué par une information activée 14 actes aupa-
ravant, dans l'intervention initiative de B. Pivot (acte 3). Un tel ancrage à dis-
tance est rendu possible par la proximité hiérarchique unissant ces deux
constituants. Une brève analyse de la structure du passage permettra de la faire
apparaître. L'intervention initiative de Pivot débute par une intervention for-
mée d'un acte principal (et cette histoire qu'on m'a racontée) et d'un acte su-
bordonné de commentaire (qui est peut-être une légende). Cette intervention
peut dans son ensemble être interprétée comme caractérisée par une fonction
de préparation et comme subordonnée par rapport à l'acte principal qu'elle in-
troduit : que vous portiez toujours la même chemise / lorsque vous écriviez un
roman 6. L'intervention réactive de G. Simenon commence par un acte
5. Comme le pronom l'une est élidé dans l'acte 10, une première interprétation peut laisser
croire que les deux chemises sont en écossais rouge; cette interprétation est toutefois dé-
mentie par l'acte Il.
6. Cette structure hiérarchique explique aussi que le troisième acte s'ancre sur un topique in-
troduit non pas par le commentaire qui le précède immédiatement, mais par le premier acte.
362
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
Si, dans l'extrait qui vient d'être commenté, les expressions référentielles,
l'entité topicale et la structure hiérarchique permettent d'identifier le topique,
ces éléments ne sont pas d'une grande utilité pour identifier le topique dans la
deuxième partie de l'échange. En effet, le topique y est le plus souvent implici-
te et doit être inféré avant tout à l'aide des relations de discours et des liens
conceptuels existant entre les informations activées par les prédicats.
Pour cette raison, le topique ne peut pas toujours être identifié de manière pré-
cise. Par exemple, la question de B. Pivot qui débute dans l'acte 19 par si je
vous entends bien paraît s'ancrer d'une manière métadiscursive sur les propos
que G. Simenon vient de tenir. Mais le topique de cet acte pourrait également
être formé par les propos de G. Simenon dans les Mémoires intimes (Paris,
Presses de la Cité, 1981), ouvrage sur lequel Pivot s'appuie de manière récur-
rente pour poser ses questions, comme le relève Burger :
363
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
La fin de cette séquence est plus intéressante. L'acte 33 (elle a pesé mes vête-
ments et sous-vêtements avant /. et après) réactive de manière plus détaillée
une infonnation initialement activée dans l'acte 27 (elle a pesé tous mes vête-
ments). Entre ces deux actes-s'inscrit la brève séquence à l'imparfait des actes
28 à 32, qui peut être interprétée comme subordonnée. De ce fait, on peut faire
l'hypothèse que le topique de l'acte 33 trouve sa source non dans les actes qui
le précèdent immédiatement, mais dans l'acte 27. Il peut alors être identifié
comme étant fonné par le référent« Teresa », auquel renvoie le pronom elle8.
364
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
(7.3)
JG : est-ce que Pierre euh: Pierre Murat et Michel Ciment voudraient: dire un
petit mot sur ces résultats étrangers 1 qu'est-ce que: ça vous inspire
comme euh : intelligente réflexion Il
[réponse de Michel Ciment]
JG : merci donc à. à Michel Ciment à Ipsos 1 et du côté de Pierre Murat 1
qu'est-ce qu'il y aurait comme réaction Il
PM: euh: non 1 la réaction c'est évidemment la grande joie pour. de voir
l'Angelopoulos qui a été. vraiment mal accueilli 1
JG: oui 1
PM: y compris à cette tribune 1
X: y compris à cette tribune 1
Y: par par par toujours les mêmes 1 enfin le film a tout de même été très bien
accueilli par
JG: on ne dit pas de ses amis que ce sont les mêmes 1
X,Y: <rires>
PM: par rapport par rapport à ce que ce film méritait 1
JG: ouais 1
PM: je trouvais que c'était un des plus beaux films de l'année 1 je suis donc
heureux de le voir en quatrième 1 euh: moi. je je suis surpris de voir que
un film comme Ken Loach par exemple My name is Joe 1 et Woody Allen
n 'y soient pas 1 parce que le Woody Allen me paraît quand même comme
un des plus importants qu'il ait fait cette année 1. mais bon .. Il alors quant
au Benigni 1 moi j'aime pas trop l'Benigni 1 j'vais pas recommencer:
passer toute l'émission. sur ça 1. au bout d'un certain temps 1 c'est-à-dire
9. Cette remarque peut être mise en relation avec les observations d' Auchlin (1996c) qui relève,
à propos d'un corpus d'entrevues sociolinguistiques, que les fins de narrations correspon-
dent à des transitions informationnelles: « Par ailleurs, la contiguïté des chutes et des chan-
gements de thème suggère que la fin des séquences narratives correspond à la fin de
séquences centrées, thématiquement, sur l'''événement'' ou "fait marquant" qui constitue le
thème de la séquence. » (Auchlin 1996c : 63). Cf. aussi Ervin-Tripp & Küntay (1997).
365
L'identification des topiques dans les dialogues : bilan
qu 'étant donné que le raz de marée que ça a provoqué chez les les audi-
teurs . du Masque \ . chez les lecteurs de Télérama 1
JG : (X) les lettres d'engueulades euh: qu'on a reçues aussi hein Il
PM : chez les lettres euh chez les lecteurs de Télérama aussi 1 où il arrive en tête 1
très largement dans le référendum qu'on a fait 1
MC : oui \
PM : (XXX)
JG : (XXX) beaucoup moins représentatif que celui du Masque et la Plume
hein Il
PM: bien sÛT bien sÛT \ bien sÛT 1 mais enfm tout de même il est toujours là quoi 1
il est toujours là \ plus les Césars les Oscars les machins et trucs 1 donc .
c'est un phénomène 1 il Y a pas à discuter 1 [ .. . ] (Le Masque et la Plume)
Le grand nombre de locuteurs intervenant dans cet extrait soulève des difficul-
tés supplémentaires par rapport aux exemples étudiés jusqu'à présent. Celles-
ci se manifestent déjà au niveau de la transcription: d'une part, il est difficile
d'identifier les locuteurs qui interviennent spontanément car on ne peut s'ap-
puyer que sur leurs voix, et d'autre part, il n'est pas toujours possible de com-
prendre les propos tenus lorsque plusieurs personnes parlent simultanément.
Au niveau de l'analyse de la structure informationnelle, les interruptions des
débattants se présentent comme des digressions qui se greffent sur la réponse
de Pierre Murat et entraînent des transitions informationnelles parfois assez
abruptes, comme le montre l'analyse suivante:
. ..'.,
•.. .___ ,.
'c ,., 'L".'_
...
.•..
._.
da ns l'extrait du débat du Masq ue et la Plum e
:.'
')
i',' • ••
".'"
JG: 1. est-ce que Pierre euh: Pierre Murat et
>
lex.
Michel Ciment voudraient: dire un petit synt.
mot sur ces résultats étrangers / relat.
hiér.
pér.
conc.
366
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
a. Le coordonnant et peut être considéré comme une marque de ce topique. Un autre topique
possible serait formé par les « résultats étrangers ».
367
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
13. enfin le film a tout de même été très lex. SN défini le film
bien accueilli par synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale :
l' « Angelopoulos »
JG: 14. on ne dit pas de ses amis que ce sont les lex. répétition de les mêmes
mêmes [Y dit par toujours les mêmes] / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.
X, Y : <rires>
368
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
PM: 17. je trouvais que c'[Angelopulos] était lex. pronom démonstratif c '
un des plus beaux films de l'année 1 synt.
relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale :
1'« Angelopoulos »
21. parce que le Woody Allen me paraît lex. SN défini le Woody Allen
quand même comme un des plus impor- synt.
tants qu'il ait fait cette année 1 . b relat.
hiér.
pér.
conc. entité topicale : le « Woody
Allen »
a. On pourrait éventuellement considérer que le topique de cet acte est formé par le « film
d'Angelopoulos », qui est une entité topicale. J'adopte ici l'interprétation proposée dans le
sixième chapitre (6.2.2.3) pour le traitement de l'exemple 6.28.
b. Le topique de cet acte pourrait être interprété comme étant issu linéairement de l'informa-
tion activée par l'acte 20 (<< être surpris que les films de Ken Loach et Woody Allen ne
soient pas dans le classement des auditeurs »). Je n'ai toutefois pas retenu cette interpréta-
tion, car l'acte 21 s'ancre par le SN défmi explicitement sur le «Woody Allen» et non sur
le« film de Ken Loach».
369
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
370
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
JG: 33. (XXX) beaucoup moins représentatif lex. pronom démonstratif celui
que celui [référendum] du Masque et la synt.
Plume hein relat.
hiér.
pér.
conc. le « référendum» est saillant
dans la structure conceptuelle
371
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
35. mais enfin tout de même il [le Benigni] lex. pronoms personnels il
est toujours là quoi / il est toujours là \. synt.
relat.
hiér.
pér. suit une rupture marquée par
mais enfin tout de même
conc. entité topicale : le « Benigni »
36. (il est toujours là) plus les Césars les lex.
Oscars les machins et trucs / synt.
relat.
hiér.
pér.
conc.
a. Le locuteur répète ici deux fois une proposition identique (il est toujours là), mais avec une
courbe mélodique différente. Il est possible de faire l'hypothèse que cette répétition a pour
fonction de renforcer l'assertion, qui est prononcée sur un ton véhément. Quoi qu'il en soit,
ces deux actes paraissent hiérarchiquement coordonnés, et peuvent donc être traités de ma-
nière similaire.
10. Celles-ci parviennent néanmoins à le troubler, comme en témoigne l'hésitation de l'acte 30.
372
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
As (6) la réaction
1 [ topicalisation
Ip (7-18) c'est évidemment la grande joie ...
[ As (24) moi
Ip [toPicalisation
Ip (25-38) j'aime pas trop ...
Il. I:acte 6 marque la prise de parole de Pierre Murat. Pour l'acte 19, la rupture est peu mar-
quée au niveau de la prosodie, mais elle est soulignée par la présence de l'hésitation. I:acte
23 est en revanche précédé par une forte rupture qui accompagne un acte 22 très bref; il est
en outre caractérisé par la présence du marqueur de structuration de la conversation alors.
373
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
Le locuteur principal (P. Murat) doit faire face à d'autres interruptions, plus
brèves, à partir de l'acte 29. Les actes 29 et 33, qui sont prononcés sur un ryth-
me très rapide et qui chevauchent partiellement les propos de Pierre Murat, ne
sont pas entièrement compréhensibles. Le topique, implicite, peut néanmoins
374
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
être identifié à partir des infonnations conceptuelles et, pour l'acte 33, du pro-
nom celui.
PM: (6) euh: bon / la réaction (7) c'est évidemment la grande joie pour. de
voir l'Angelopoulos / (8) qui a été vraiment mal accueilli / (10) Y compris
à cette tribune / (15) par rapport à ce que ce film méritait
7.1.4 Bilan
Cette analyse a fait apparaître la complexité et la richesse de l'organisation in-
fonnationnelle, dont l'interprétation repose sur des facteurs lexicaux, syntaxi-
ques, relationnels, hiérarchiques et conceptuels. L'observation des différents
facteurs intervenant dans l'identification des topiques à partir de l'analyse de
segments discursifs étendus a montré que leur pertinence varie en fonction de
la structure du discours. Par exemple, les marques linguistiques peuvent jouer
un rôle décisif dans certains passages et être moins sollicitées dans d'autres. Il
en va de même pour la structure hiérarchique, qui n'a été décrite que lorsque
cela s'est avéré nécessaire. D'une manière plus générale, on observe que les
structures syntaxiques marquées ne sont pas toutes également représentées :
seules les segmentées à gauche sont régulièrement présentes dans les textes
étudiés. En revanche, des facteurs comme les liens conceptuels entre les infor-
mations activées, les relations de topicalisation, de cadre ou de préparation et,
dans certains cas, la structure hiérarchique, s'avèrent particulièrement signifi-
catifs. L'ensemble de ces observations confinne, me semble-t-il, l'importance
de la prise en compte des facteurs spécifiquement discursifs dans l'étude de
l'organisation infonnationnelle.
375
L'identification des topiques dans les dialogues: bilan
12. «Introduire ou réintroduire un topic dans le discours appelle une activité beaucoup plus com-
plexe que celle de simplement poser ou reposer un topic, qui comprend la nécessité de le pro-
poser, l'imposer, l'ajuster, ou le négocier. Les multiples opérations impliquées par cette
activité laissent de nombreuses traces dans le discours. » (Berthoud & Mondada 1995 : 211)
376
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans /'identification du topique
facteurs linguistiques
+ marques lexicales
o - marques lexicales
13. Les lettes A, B, C, D et la numérotation associée renvoient aux figures 7.3. et 7.4.
377
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan
(7.5)
NV: alors beaucoup d'appels ce soir / d'abord alors évidemment pour les félici-
tations d'usage lors des anniversaires avec des vœux pour le futur /
(Forum)
le deuxième acte s'ancre implicitement sur l'information activée par l'acte qui
précède.
(7.6)
GS : oui. depuis que je connais Teresa / je n'en ai plus eu \\
BP : décidément. elle est extraordinaire Teresa / elle vous a fait perdre tous vos
défauts / (Apostrophes)
(7.7)
GS : mais je ne savais pas du tout où mon personnage allait me mener / c'est lui
qui me menait / (Apostrophes)
(7.8)
CT : les journalistes / euh ben ils sont des gens comme tout le monde / (Forum)
378
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
(7.9)
BP: ces deux questions / c'est: Georges Simenon / le père de Marie-Jo qui se
les pose / (Apostrophes)
le statut des points d'ancrage marqués par les expressions référentielles ana-
phoriques les animateurs, la discussion, les invités et ils doit être précisé à par-
tir d'informations contextuelles.
Les marques lexicales et syntaxiques ne sont pas les seuls facteurs conduisant
à l'identification du topique. Il convient également de prendre en compte la
saillance contextuelle du topique, dont le traitement relève des facteurs spécifi-
quement liés à la structure du discours. Ils sont représentés dans la figure 7.4 :
saillance contextuelle
ancrage à
distance
+ facteur - facteur
relationnel et relationnel et
hiérarchique hiérarchique
+ facteur - facteur
conceptuel conceptuel
379
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan
(7.11)
GS: alors dans les Maigret / on m'a demandé des romans policiers / (Apostro-
phes)
le topique du deuxième acte (<< dans les Maigret ») est issu de l'acte qui précè-
de, caractérisé par une relation de cadre. Un tel ancrage n'est immédiatement
pertinent que lorsque le segment Y ne se caractérise pas par une structure syn-
taxique marquée, comme l'a montré la discussion de l'exemple 5.21, dont je
reproduis un extrait en 7.12 :
(7.12)
ACL: peut-être pour enchaîner / plutôt que les sujets qui devraient être tabous /
c'est certaines personnes qui devraient être. taboues / (Forum)
L'information activée par l'acte initial, caractérisé par une relation de prépara-
tion, est reléguée à l' arrière-fond par le topique marqué dans le deuxième acte
par la syntaxe et qui peut être paraphrasé par« ce qui devrait être tabou ».
Les relations de discours peuvent aussi se combiner avec des expressions réfé-
rentielles, comme dans 7.13 :
(7.13)
DC: et quand on a eu ce concert à Chézard dans le canton de Neuchâtel / le
Grand Conseil n'arrêtait pas de parler de ça (Forum)
380
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
(7.14)
JC: dans la vie de Gide / dans la vie d'Mauriac / il Y a des récifs (Radioscopie)
le topique du dernier acte résulte de la somme des deux actes qui précèdent
(<< dans les vies de Gide et de Mauriac »). Lorsque deux constituants porteurs
d'une relation de cadre sont liés par une relation de subordination hiérarchique,
comme dans:
(7.15)
B41: ah c'est la COTOREP qui décide de ça la COTOREP c'est quoi (Alloca-
tions)
le topique du dernier acte (c'est quoi) est formé par la « COTOREP )), issue de
l'acte immédiatement précédent.
(7.16)
GS: euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises /. que j'avais
achetées (XXX) mon arrivée à New York / qui étaient très pratiques / parce
que les manches étaient très larges / c'était des chemises à grands car-
reaux. (Apostrophes)
Cette entité topicale peut toutefois entrer en concurrence avec des ancrages li-
néaires explicites et être reléguée à l'arrière-fond par ceux qui sont marqués au
niveau syntaxique, comme dans l'exemple suivant:
(7.17)
C144: ah mais ça c'est autre chose madame l'aide ménagère elle doit y avoir
droit par sa caisse de retraite ou l'aide sociale ou l'aide sociale qui inter-
vient (Allocations)
où le référent formé par 1'« aide ménagère )), introduit par une segmentée à
gauche, constitue un topique plus saillant que l'entité topicale « la mère
de B )).
381
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan
Deuxièmement, le lien conceptuel entre les informations activées par les prédi-
cats peut lui aussi s'avérer pertinent pour justifier l'enchaînement entre les
propos. C'est le cas par exemple dans une séquence narrative du type de 7.18 :
(7.18)
GS: comme quand je sortais d'un roman (quand) je remontais euh: je me dés-
habillais entièrement / je me douchais et je me changeais / (Apostrophes)
(7.19)
BP: et. cette histoire qu'on m'a racontée / qui est peut-être une légende / que
vous portiez toujours la même chemise / pendant que vous écriviez un
roman //
GS: euh: c'est-à-dire entendons-nous \ . j'avais deux chemises /. que j'avais
achetées (XXX) mon arrivée à New York / qui étaient très pratiques / parce
que les manches étaient très larges / c'était des chemises à grands car-
reaux. en écossais rouge / et l'autre en écossais (marron) \ et ces chemises
avaient un avantage d'être très très souples / et de bien absorber la transpi-
ration / je ne la sentais pas couler sur ma peau \ parce que je sortais. en
nage / d'un chapitre de roman \ toujours / je devais me changer complète-
ment/
BP: alors mais
GS: c'était la même chemise mais on la lavait tous les jours // (Apostrophes)
382
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
(7.20)
NV: alors dans les critiques / tout le monde en prend un peu pour son grade \\
..... on commence par cette auditrice qui estime que la durée de l'émission
est trop courte / elle préférerait un débat plus long / mais deux fois par
semaine \\ ..... l'appel de cet habitué de La Chaux-de-Fonds qui est trop
souvent déçu par la qualité des invités / des invités qui dit-il peinent à sor-
tir de leur corset / et qui ne se remettent pas assez souvent en question \\
toujours au sujet des invités une auditrice souhaiterait que les noms des
invités soient annoncés dans la journée / cela pourrait titiller les auditeurs
plus tôt \\ ..... un autre est frustré par la manière dont se déroulent les débats /
ça c'est pour les journalistes / lorsque des thèmes importants sont abordés
explique-t-il / les animateurs ne laissent pas assez parler les invités / ils
dirigent trop la discussion pour rester dans un chablon / et ne s'éloignent
pas assez de leur plan respectif\\ ..... autre son de cloche avec un auditeur /
qui estime que les invités ont tout loisir d'éluder les questions embarras-
santes \\ ..... et puis dernière remarque avec la sélection des questions des
auditeurs / des questions souvent mal sélectionnées et trop personnelles \\
..... enfin alors après les critiques. les souhaits / (Forum)
où les topiques des actes s'inscrivant après les ruptures périodiques sont for-
més par l'entité topicale des « critiques» des auditeurs.
(7.21)
B9: ah bon. euh je voudrais savoir euh quels sont les critères qui vous f. qui
vous. qui obligent la commission au rejet
[ ... ]
C38: euh c'est passé en COTOREP son dossier
B39 : euh en COTOREP je sais pas
C40: oui ben c'est ça c'est la COTOREP qui décide de ça
B41 : ah c'est la COTOREP qui décide de ça la COTOREP c'est quoi c'est le le
C42 : c'est la commission d'orientation des adultes handicapés et de reclasse-
ment des hand des adultes handicapés
383
l'identification des topiques dans les dialogues: bilan
B43: -+ ah oui alors euh bon parce que je connais bien les les commissions j'en
fais partie moi-même
C44: de la COTOREP
B45: et non non non mais je connais bien les commissions comment ça se passe
alors c'est pour ça que je voulais vous savoir comment.
C46: mais. enfin vous êtes qui madame s'il vous plaît
B47: euh je suis mademoiselle Bichaud dont les la fille de mons de madame
Bichaud qui est handicapée pas mal. (Allocations)
384
L'interrelation des facteurs linguistiques et discursifs dans l'identification du topique
385
CONCLUSION
Cette conclusion sera très brève, puisque j'ai déjà repris et commenté les prin-
cipaux résultats de cette recherche dans le chapitre précédent. Pour clore cette
étude, je me propose de relever ce qui m'apparaît comme ses principaux ap-
ports en regard des travaux existants, avant d'esquisser les éléments qui pour-
raient être développés et les perspectives de recherche.
1 Apports
Cette recherche, qui s'inscrit dans la lignée des propositions de Danes (1974),
a aussi montré qu'il était possible d'étudier la notion de topique de manière
précise et systématique, comme le font les analyses portant sur la structure de
l'énoncé, mais à partir de segments discursifs dialogiques authentiques et éten-
dus. Cette démarche m'a conduite d'une part à proposer des analyses plus pré-
cises que les travaux qui se contentent d'un repérage global et approximatif du
topique discursif, et d'autre part à enrichir l'analyse de la structure informa-
tionnelle de chaque acte par la prise en compte des topiques implicites qui,
s'ils ont déjà décrits par Bally (1965 [1932]), ne sont généralement pas pris en
considération.
387
L'identification des topiques dans les dialogues
2 Perspectives
Il est important de souligner que cette étude pourrait être développée à plu-
sieurs égards. En effet, elle fait intervenir des éléments sémantiques, syntaxi-
ques et discursifs; or, cette interdisciplinairité, qui fait peut-être l'originalité
de cette recherche, fait aussi sa faiblesse, car chaque dimension, chaque facteur
pourrait être traité de manière plus approfondie. Par exemple, je me suis limitée
388
Conclusion
Si l'étude des facteurs que j'ai examinés pouvait être développée, il serait éga-
lement souhaitable d'intégrer à cette étude le traitement d'autres facteurs que
j'ai laissés de côté, soit parce que mon corpus se prêtait moins bien à leur étu-
de, soit parce que mes compétences ne me permettaient pas d'en proposer un
traitement satisfaisant. Parmi ces éléments, il y a la prosodie, que je n'ai fait
qu'évoquer sans tenir compte de tous les phénomènes accentuels et émotion-
nels, l'étude sémantique et pragmatique des marques comme à propos, quant
à, etc., ainsi que la prise en compte de facteurs situationnels impliquant le ca-
dre interactionnel et actionnel du discours qui sont étroitement liés à la co-
construction de la structure conceptuelle du discours.
389
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION
391
, ,
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Références bibliographiques
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Références bibliographiques
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INDEX DES AUTEURS
A 234,238,240,243,248,249,272,274,
Abelson : 306 321,376
Adam: 20, 30, 43, 108,249,332 Betten: 142
Admoni: 303 Bianco: 125
Apothéloz: 31, 32, 74, 87,125,127,128, Blanche-Benveniste: 55, 73, 74, 78, 175,
131,140,143,162,163,165,202,215, 190,191,193,212,214,216,220,221,
248,310,314 226,227,228,230,234,236,237,238,
Arabyan : 140 284
Ariel: 128, 129, 130, 132, 140,248 Blumenthal : 389
Aristote : 15 Bock: 303
Ashby: 49,194,201,202,203,205,209, Bosch: 124, 303
228 Boucheix : 140
Asher: 249,270 Bourcier : 196
Auchlin : 30,32,35,58,64,65,70,74,75, Brazil: 283
76, 77, 80, 81, 82, 84, 85, 87, 89, 93, Brewer: 303
105,112,119,120,253,274,283,284, Bronckart : 48, 249
365,388 Brown: 26, 27, 31, 42, 56, 70, 112, 149,
Auer: 84, 85 283,301,303,304,305,306,309,310,
311,316
B Bruxelles: 196
Bakhtine : 20 Burger: 47,119,170,363,364
Bally: 23, 30, 48, 56, 57, 97, 102, 113, Button:38,42,49,248,252
181,188,189,191,193,203,205,223,
226,237,253,274,387 C
Benninger : 109 Cadiot: 16, 17,20,21,27,30,31,33,151,
Berrendonner: 30,31,55,64, 73, 74, 75, 215,216,224,226,227,229,242,257
78, 82, 83, 124, 128, 175, Casey: 38,42,49,248,252
188,189,190,191,223,225,226,227, Chafe: 19,23,25, 38, 39, 41, 42, 50, 64,
238,303 80,92,95,96,98,132,133,134,135,
Berthoud: 18,26, 33, 39, 42, 47, 48, 49, 136,137,140,168,172,176,177,313,
70, 103, 104, 105, 175, 188, 191,232, 314,316,335
411
l'identification des topiques dans les dialogues
412
Index des auteurs
K M
Kamp: 303 Machello-Nizia: 36
Katz: 210, 211, 212, 216, 220 Maillard: 127,150,151,152,153
Keenan: 20, 25, 30, 38, 49, 61, 106,252, Marandin: 28,48,163,165,312
288 Mathesius : 15
Kesik: 275 Maynard: 15, 16, 42, 49, 54, 57, 58, 59,
Kibrik: 140,313,335 60,61,62,63, 106
Kintsch : 26, 37,48,249,305 Mertens: 76,193,211,339
K1eiber : 17, 27,28, 31, 34, 36, 40, 43, 45, Michaelis : 107, 184
71, 103, 109, 112, 123, 124, 125, 126, Miche: 111, 119, 160
127,128,129,131,132,139,142,143, Moeschler: 17,21,47,62, 117, 129, 130,
144,145,146,147,148,150,151,152, 131,150,249,270
153, 154, 155, 159, 163, 164, 165, 166, Molinier: 198,211,212,213,214,216
170,178,216,272,275,276,306 Mondada: 15, 16, 17, 18,21,22, 28, 29,
Kolde: 163 31,33,34,37,38,70,97,376
Korolija: 42, 104 Morel: 36,49,77,80,115,116,139,193,
Kotschi : 23, 98 211,224,226,228,229,230,232
Küntay: 365 Motsch: 43
Mu1der: 163
L Muller: 36,178,181,182,213,233
Labov: 269,271,333 Müller: 55, 84
Lacheret-Dujour : 36
Laforest: 55, 84 N
Lambrecht: 16,23,24,29,30,31,32,34, Nespor: 76, 283
36,37,45,49, 51, 64, 92, 93, 94, 95, N0lke: 17, 21, 24, 37, 43, 46, 188, 198,
96,97,98,99, 100, 107, 114, 116, 132, 201,224
133, 134, 135, 136, 137, 140, 142, 158,
168,175,176,177,178,180,181,183, 0
184,187,188,191,193,194,195,196, Oakill: 303
197,198,201,205,210,211,212,214,
215,219,220,221,223,224,225,226, P
227,228,229,232,233,234,237,240, Pekarek: 140
312,325,389 Perrin: 160
Laparra: 26,42, 234 Platon: 15
Larsson: 188, 190, 191, 192, 193, 194, Prévost: 16, 17, 18,21, 22, 25, 36, 94,
196,198,223,237 142,176
Lascarides : 249,270 Prince: 18,19,22,23,38,45,49,128
413
L'identification des topiques dans les dialogues
414
INDEX
A E
accessibilité: 50,129,130,131,132,170, échange: 67, 248, 250, 251
172,315,334 échelle de topicalité : 43, 44, 46, 179
acte: 64, 65, 67, 69, 72, 74, 77, 78, 79, 80, École de Prague: 15, 16, 17,23,36,57,58
81, 82, 83, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 96, entité topicale: 149, 301, 309, 310, 312,
98,99,100 313,315,319,320,321,322,323,324,
agent: 33,45, 176 327,334,337,340,341,353,362,381,
analyse conversationnelle: 26, 38, 248, 384
252 état d'activation: 23, 39, 92, 94, 95, 96,
anaphore: 123, 124, 125, 128 128,135,136,140,142,168,177,178
anaphore fidèle: 162
anaphore infidèle: 162 F
approche conversationnelle: 49, 57 focalisation: 46, 196
approche modulaire: 42, 43, 46, 47, 48, focus:21,37,99, 158, 177, 197,210,214,
63,67,69,71,74,117,118,306 219,220,225
assertion: 51, 95, 97, 98
1
C identifiabilité: 23, 92, 94, 95, 96, 128,
cadre: 274, 281, 346, 353, 375 133, 134, 135, 136, 140, 142
cadre topical : 303, 305, 308 importance référentielle: 177, 178, 313, 319
chaîne de référence: 312, 319 indice de contextualisation : 83, 84
circonstance d'évaluation: 164 intervention: 67, 250, 251, 285
commentaire: 18, 21, 97
condition thématique: 62 M
contour intonatif: 76, 77, 79, 88 marqueur de structuration de la conversa-
tion (MSC) : 257,285,286
D mémoire discursive: 64, 65, 69, 78, 79,
dimension hiérarchique: 78, 79 82,83,90,91,97,100
dimension référentielle: 306 mouvement intonatif: 283, 284
dynamisme communicatif: 25, 41 mouvement périodique: 75,283, 339
415
L'identification des topiques dans les dialogues
o S
objet de discours: 31,64,65,67,68,69, saillance: 22, 31,124,127,145,146,147,
72,89,93,94,96,97,308 162,172,233,247,292,298,315,337
organisation hiérarchique et segment à gauche: 255
relationnelle: 249 structure clivée: 210
organisation inférentielle : 70, 117, 118 structure conceptuelle: 68, Ill, 120,301,
organisation informationnelle: 63,64,65, 303,306,308,337,340,353,381,383
67,69,70,71,74,89,90,91 structure conceptuelle du discours: 346
organisation périodique: 75, 282, 339, structure hiérarchique: 62, 67, 250, 279,
346 281,285,292,298,346,363,373,375,
organisation topicale : 63, 67, 69, 308 380,382,384
structure hiérarchique et relationnelle:
p 120,251
phrase: 55,74, 75, 77, 78 structure informationnelle: 17,34,35,40,
point d'ancrage: 65, 66, 69, 70, 89, 90, 67,95, Ill, 115, 116, 181, 182, 183,
91, 92, 97, 100, 103, 137, 140, 142, 207,220,282,286,302,308,320,354,
147,156,162,166,168,173,174,198, 362
215,231,316,320,334,341,377 structure segmentée: 188,193,223
prédicat: 95, 115,341,363,382 structure topicalisée: 224
préparation: 274,281,346,375,380 sujet: 24, 33, 45, 176, 177, 178, 179, 180,
présupposition: 21,46,95,97, 114,214, 181,187,311,312
215
progression informationnelle: 49, 51, 52, T
53,54,55,56,57,58,59,60,61, 105, thème: 15,20,21,23,24,30,50,55,56,
106, 107, 108, 109, 110,252,334 57,58,59,61, 115, 116
propos: 15,21,23,28,96,97,98,99,100, théorie du centrage: 49, 101
101 topicalisation: 353,380
proposition: 69, 76, 77, 78, 81, 82, 85 topique: 15,18,20,21,22,23,24,25,27,
prosodie: 76, 80, 85, 87, 116, 135, 187, 30,31,32,33,36,37,38,39,61,65,
193,210,223 66, 69, 70, 71, 72, 89, 90, 91, 92, 93,
94, 96, 97, 100, 101, 102, 103, 105,
R 112,114,115,116,120,137,148,159,
référent: 94,95,96,302,310,319,322 162,168,173,174,176,177,178,180,
relation « topique de » : 253 181,182,187,204,208,219,220,237,
relation de cadre: 254, 266, 380 243,248,274,278,279,281,292,298,
relation de discours: 252, 254, 278, 279, 322,323,334,340,348,356,366,375,
363 376,377,380,382,384
relation de préparation: 271, 353 topique discursif: 26
relation de topicalisation : 254, 263, 274, tour de parole: 58,69, 74, 77, 285
281,346,375 trace de point d'ancrage : 64, 65,120,147,
relation illocutoire : 251 156, 162, 166, 170, 173
416
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos 5
Sommaire 7
Introduction 9
Partie 1
L'ORGANISATION INFORMATIONNELLE 13
417
L'identification des topiques dans les dialogues
Partie II
LES FACTEURS LINGUISTIQUES
DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 121
418
Table des matières
419
l'identification des topiques dans les dialogues
Partie III
LES FACTEURS DISCURSIFS DE L'IDENTIFICATION DU TOPIQUE 245
420
Table des matières
Partie IV
L'IDENTIFICATION DES TOPIQUES DANS LES DIALOGUES:
BILAN 343
421
L'identification des topiques dans les dialogues
Conclusion 387
1 Apports 387
2 Perspectives 388
Index 415
422
Champs linguistiques
Recherches
Brès J., La narrativité
Cervoni J., La préposition. Étude sémantique et pragmatique
Englebert A, L'infinitif dit de narration
Fuchs C., (Éd.), La place du sujet enfrançais contemporain
Furukawa N., Grammaire de la prédication seconde. Forme, sens et contraintes
Gaatone D., Le passif en français
Goes J., L'adjectif Entre nom et verbe
Gosselin L., Sémantique de la temporalité en français.
Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l'aspect
Grobet A, L'identification des topiques dans les dialogues
Hadermann P., Étude morphosyntaxique du mot Où
Jonasson K., Le nom propre
Kleiber G., Anaphores et pronoms
Léard J.-M., Les gallicismes
Melis L., La voie pronominale. La systématique des tours pronominaux
en français moderne
Rosier L., Le discours rapporté. Histoire, théories, pratiques
Manuels
Bal w., Germain J., Klein J., Swiggers P., Bibliographie sélective de linguistique
française et romane. 2 e édition
Chiss J.-L., Puech c., Fondations de la linguistique. Études d'histoire et
d'épistémologie
Chiss J.-L., Puech C., Le langage et ses disciplines. XIX' -XX'" siècles
Klinkenberg J.-M., Des langues romanes.
Introduction aux études de linguistique romane. 2e édition
Mel'cuk 1. A, Clas A, Pol guère A, Introduction à la lexicologie explicative
et combinatoire.
Coédition AUPELF-UREF. Collection Universités francophones
Recueils
Bavoux c., Le français de Madagascar. Contribution à un inventaire
des particularités lexicales.
Coédition AUE Série Actualités linguistiques francophones
Béjoint H., Thoiron P. (Éds), Les dictionnaires bilingues.
Coédition AUPELF-UREE Collection Universités francophones
Benzakour E, Gaadi D., Queffélec A.,
Le français au Maroc. Lexique et contacts de langues
Coédition AUE Série Actualités linguistiques francophones
Bouillon P., avec la collaboration de : Françoise Vandooren, Lyne Da Sylva,
Laurence Jacqmin, Sabine Lehmann, Graham Russell et Evelyne Viegas,
Traitement automatique des langues naturelles.
Coédition AUPELF-UREE Collection Universités francophones
Chibout K., Mariani 1., Masson N., Neel E, (sous la coordination de),
Ressources et évaluation en ingénierie des langues
Coédition AUPELF -UREE Série Actualité scientifique
Defays 1.-M., Rosier L., Tilkin E (Éds),
A qui appartient la ponctuation? Actes du colloque international
et interdisciplinaire de Liège (13-15 mars 1997)
Francard M., Latin D. (Éds), Le régionalisme lexical.
Coédition AUPELF-UREE Série Actualité scientifique
Englebert A., Pierrard M., Rosier L., Van Raemdonck D. (Éds), La ligne claire.
De la linguistique à la grammaire.
Mélanges offerts à Marc Wilmet à l'occasion de son 60" anniversaire
Frey C., Latin D. (Éds), Le corpus lexicographique. Méthodes de constitution
et de gestion.
Coédition AUPELF -UREE Série Actualité scientifique
Kleiber G., Riegel M. (Éds), Les formes du sens. Études de linguistique française,
médiévale et générale offertes à Robert Martin à l'occasion de ses 60 ans
Queffélec A., Derradji Y., Debov v., Smaali-Dekdouk D., Cherrad-Benchefra y.
Le français en Algérie. Lexique et dynamique des langues
Coédition AUE Série Actualités linguistiques francophones
Rézeau P. (sous la direction de), Variétés géographiques dufrançais de France
aujourd'hui. Approche lexicographique