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REVUE DE GESTION DE LA SANTÉ-SÉCURITÉ VOL.

24, NO 3 – AOÛT 2008

Faites vos devoirs en SST,


sinon...
No de convention 40063479 de la Poste-publications
Faites vos devoirs en SST,
sinon...
La revue Convergence est publiée quatre
fois l’an à l’intention des entreprises
membres des associations regroupées au
Centre patronal de santé et sécurité du
travail du Québec.
SOMMAIRE Vol. 24, n° 3 • AOÛT 2008
PRÉSIDENTE-DIRECTRICE GÉNÉRALE
Denise Turenne
DIRECTRICE DES COMMUNICATIONS 3 MOT DE LA RÉDACTION
Diane Rochon Poursuite pénale ou criminelle :
RÉDACTION la prévention a bien meilleur goût !
La revue Convergence est rédigée par des
conseillers du Centre patronal.
Ont collaboré à ce numéro :
Thérèse Bergeron 4 Poursuites criminelles et SST : faits saillants
Josette Boulé
André Cardinal
Denis Dubreuil
Isabelle Gagnon 5 Qu’entend-on par « diligence raisonnable » ?
Francine Gauvin
Isabelle Lessard
Sylvie Mallette
Maryline Rosan 6 Pénal vs criminel, qu’est-ce qui nous distingue ?
Claudette Sicard
RÉVISION ET COORDINATION
Thérèse Bergeron 8 Comment remplir son devoir d’efficacité ?
ILLUSTRATIONS
Jacques Goldstyn
CONCEPTION GRAPHIQUE
10 Était-ce prévisible ?
Folio et Garetti
IMPRESSION
Impression BT
12 Sanctionner est un devoir légal !
Ce numéro a été tiré à 32 200 exemplaires.
DÉPÔT LÉGAL
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
14 Passez à la caisse s.v.p.
Bibliothèque et Archives Canada
ISSN 0829-1314
La liste de tous les thèmes développés dans
16 Quoi ! C’est de ma faute cet accident !
Convergence depuis 1995 se trouve sur le
site Internet du Centre patronal :
www.centrepatronalsst.qc.ca
En plus, s’y trouve le contenu de plusieurs
18 Code criminel, l’entreprise est-elle coupable ?
numéros antérieurs aux douze derniers mois.
Certains articles de Convergence sont
indexés dans la base de données Canadiana 19 Code criminel du Canada et lois en SST :
produite par le CCHST, ainsi que dans la obligations et diligence raisonnable
publication bibliographique bimestrielle
« Bulletin BIT/CIS - Sécurité et Santé au travail »,
du Centre international d’informations de sécu-
rité et d’hygiène au travail (CIS), à Genève.

La reproduction des articles est autorisée


à la condition expresse de mentionner la LE CENTRE PATRONAL, au service des entreprises !
source. Le Centre patronal de santé et sécurité du travail est un organisme à but non lucratif
regroupant au-delà de 90 associations d’employeurs du Québec. Par le biais de leur adhé-
Convention de la Poste-publications n0 40063479. sion au Centre, ces associations permettent, à leurs entreprises membres, de tirer profit
Retourner toute correspondance ne pouvant être de ressources et de services que l’on dit « exceptionnels », qui les aident à améliorer leur
livrée au Canada au : gestion de la SST. Parmi les avantages offerts aux entreprises membres, notons l’abonne-
ment, tout à fait gratuitement, à la revue Convergence.
CENTRE PATRONAL DE SST
500, rue Sherbrooke Ouest, bureau 1000 Pour obtenir des renseignements sur les services offerts et la liste des associations mem-
Montréal (Québec) H3A 3C6 bres, consultez le www.centrepatronalsst.qc.ca
MISSION
Aider le milieu patronal à assumer le leadership de la santé-sécurité du travail en offrant
des services de formation et d’information.
POURSUITE PÉNALE
OU CRIMINELLE :
MOT DE LA RÉDACTION la prévention a bien meilleur goût !
Que l’on soit une petite, moyenne ou grande Ce numéro de Convergence dresse un portrait
entreprise, en termes de SST, l’on a des obliga- des conséquences d’une négligence en santé-
tions à respecter à titre d’employeur. Et, selon sécurité. Vous y trouverez l’historique des pour-
les circonstances, un manquement à une obli- suites criminelles jusqu’à ce jour, des renseigne-
gation peut entraîner des conséquences de ments fort éclairants sur la notion de diligence
nature, entre autres, pénale ou criminelle. En raisonnable, la différence entre le droit pénal
effet, bien que, de prime abord, cela peut par- et le droit criminel, ce qu’est le devoir de pré-
fois sembler anodin l’omission de porter un voyance de l’employeur, en quoi consiste son
équipement de protection individuelle (ÉPI), devoir d’efficacité et l’importance d’exercer
l’absence d’un klaxon fonctionnel, une porte son devoir d’autorité. À cela s’ajoute un article
de sécurité obstruée, l’absence d’une supervi- sur le « prix » à payer, à titre de personne phy-
sion appropriée, cela constitue autant d’exem- sique ou morale, pour un acte qui, par négligen-
ples qui, dans certains cas, pourraient donner ce, action ou omission a provoqué une lésion ou
lieu à une poursuite de nature pénale et, dans un décès. Et que dire de votre obligation de
les cas les plus graves – soit dans un contexte supervision, connaissez-vous son étendue d’une
d’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard loi à l’autre ? Pour qu’une entreprise soit recon-
de la vie –, à une poursuite au criminel. nue coupable, que doit-on prouver hors de tout
doute raisonnable ?
Qu’on se le dise, nul besoin d’attendre qu’un
accident survienne pour voir si c’est la Com- Qu’il s’agisse d’une infraction pénale en vertu
mission de la santé et de la sécurité du travail de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ou
du Québec (CSST) qui sera alors le poursui- criminelle selon le Code criminel du Canada,
vant, ce qui donnera lieu à des amendes, ou rien ne sera passé sous silence, car c’est d’ordre
la Couronne, dans les cas plus graves, qui s’ap- public. La santé et sécurité du travail vise
puiera sur le Code criminel du Canada pour toutes les entreprises et autant la responsabi-
déterminer une peine plus sévère. Vous êtes lité personnelle des administrateurs, des cadres
superviseur ou gestionnaire pour l’entreprise et des employés que celle des organisations. Si
XY et vous vous croyez à l’abri des poursuites un accident survient, le fait de corriger la situa-
parce que vous n’êtes pas directement l’em- tion, à la suite du passage de l’inspecteur de la
ployeur ? Détrompez-vous, tant l’individu que CSST, ne change rien au fait que la contraven-
l’organisation peut être en cause. Reconnu tion à la loi a eu lieu.
coupable, ce sont les conséquences qui peu-
vent varier. Et la sanction peut s’élever bien À proscrire aussi le « c’est de sa faute ». Il faut
au-delà d’une simple amende de quelques plutôt favoriser la responsabilisation de chacun
centaines de dollars ! pour éviter des pertes, maints déboires et une
mauvaise presse, qui pourrait s’avérer davantage
nuisible !

Bonne lecture !

CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


3
POURSUITES CRIMINELLES
ET SST :
faits saillants
L’entrée en vigueur, le 31 mars 2004, de la Une des modifications importantes porte sur Un premier jugement
Loi modifiant le Code criminel (responsabilité l’ajout d’un devoir spécifique à l’égard de la
pénale des organisations), mieux connue sous sécurité d’autrui. Ainsi, selon l’article 217.1
au Québec
la « loi C-21 », a marqué un virage important du Code criminel, « il incombe à quiconque Le 11 octobre 2005, un jeune travailleur
en SST afin de faciliter les poursuites contre dirige l’accomplissement d’un travail ou d’une entreprise de Saint-Eustache est
les organisations et leurs gestionnaires lors l’exécution d’une tâche ou est habileté à le écrasé mortellement par le grappin d’un
d’accidents du travail graves (avec décès ou faire de prendre les mesures voulues pour palettiseur. En mai 2006, la CSST dépose
lésions corporelles). Tout a commencé par… éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle son rapport d’enquête qui dénonce, entre
pour autrui ». Cette nouvelle disposition per- autres, des lacunes sur le plan de la forma-
tion, un manque de supervision ainsi qu’un
… une tragédie met d’imputer directement la négligence
dispositif de sécurité non fonctionnel. Une
criminelle aux responsables, soit les person-
Les modifications apportées au Code criminel accusation de négligence criminelle est offi-
nes en position d’autorité.
en matière de SST ont été introduites à la ciellement déposée contre l’entreprise, le
suite d’un événement tragique survenu le 15 novembre 2006. Le 7 décembre 2007,
La deuxième modification majeure consiste en
9 mai 1992, à la mine Westray, en Nouvelle- l’entreprise plaide coupable et, conséquem-
l’ajout d’une présomption de participation de
Écosse. Vingt-six mineurs ont perdu la vie lors ment, aucun procès n’aura lieu. La Couronne
l’organisation à une infraction au Code crimi-
d’une explosion souterraine. Malgré les résul- et la défense plaident relativement à la déter-
nel lorsque deux conditions sont remplies :
tats de l’enquête démontrant des manque- mination de la sentence. Enfin, le jugement
1) d’une part, l’un des agents a posé un geste
ments très sérieux à la sécurité et le laxisme est rendu le 15 mars 2008 et l’entreprise est
de négligence ou a omis de poser un geste
des cadres de l’entreprise, la poursuite crimi- condamnée à payer un montant de 110 000 $,
dans un contexte d’insouciance déréglée
nelle n’a pas été menée à terme par le pro- soit une amende de 100 000 $ (telle qu’il a
ou téméraire
cureur de la Couronne. Pourquoi donc ? été proposée par les deux parties) et une
2) d’autre part, le cadre supérieur a cautionné
ce geste de façon directe ou par son laxisme suramende compensatoire de 10 000 $,
En fait, avant la loi C-21, pour accuser une ordonnée par le juge. Notons que l’entreprise
compagnie (une personne morale) de négli- avait déjà dépensé 750 000 $ à la suite de
Notons que par « agent », on entend ici toute
gence criminelle, la poursuite devait démon- cette tragédie au chapitre de la SST.
personne travaillant pour le compte de l’or-
trer que « l’âme dirigeante » de l’entreprise
ganisation : administrateur, cadre, associé,
avait un esprit coupable. Ce fardeau de preuve
étant difficilement démontrable, le procès de
mandataire, entrepreneur et même employé. Conclusion
Tout ce beau monde peut donc, dans cer- Pour éviter d’être accusé de négligence crimi-
la mine Westray n’a jamais abouti à la con-
taines circonstances, engager la responsabi- nelle, non seulement il est important de bien
damnation de quiconque.
lité criminelle de l’organisation. connaître et respecter les lois et règlements
Et c’est à la suite de cette longue saga judi- en SST, mais l’entreprise a tout intérêt à met-
ciaire et de l’insatisfaction qui en a découlée L’affaire Fantini en Ontario tre en place un système de gestion en SST
que des amendements ont été proposés au La première poursuite criminelle fut en permettant d’identifier et d’évaluer les
Code criminel. Ontario, mais celle-ci n’était pas dirigée con- risques tout en visant l’amélioration continue
tre l’organisation mais bien contre un indi- par un contrôle des activités et des suivis. En
langage clair, cela signifie faire preuve de
Les principales modifications vidu, M. Domenico Fantini. Ce dernier super-
diligence raisonnable.
visait deux de ses employés qui effectuaient
Rappelons que le Code criminel s’applique
des réparations au drain d’une résidence. Un
d’un océan à l’autre et à toutes les entreprises
des employés fut malheureusement enseveli
canadiennes, quelles que soient leur juridic-
par une des parois de la tranchée qui céda.
tion, leur taille, etc. En fait, les modifications
Les résultats de l’enquête ont démontré que
apportées au Code criminel ont été effectuées
M. Fantini n’avait pas assumé, en tant
dans le but de faciliter les poursuites contre les
qu’employeur, ses responsabilités légales en
organisations lors d’accidents du travail graves
matière de SST. Mais pour des raisons XYZ, la
(avec décès ou lésions corporelles). Et, à cet
poursuite criminelle fut retirée et M. Fantini
égard, la loi a innové pour étendre la notion
a plaidé coupable en vertu des dispositions
d’organisation à : toute personne morale, com-
pénales de la loi ontarienne en SST, où il a dû
pagnie, société de personnes, entreprise, syn-
débourser 50 000 $ d’amende.
dicat professionnel et association de personnes
formés pour atteindre un but commun.

4 CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


QU’ENTEND-ON PAR
« diligence raisonnable » ?

Plusieurs articles dans ce numéro font réfé- de la preuve de la poursuite2. Les deux parties mise à son insu, sans son consentement, et
rence à la notion de « diligence raisonnable ». doivent se référer aux standards établis par la malgré les dispositions prises pour éviter sa
Puisque cela est mentionné à plusieurs endroits, jurisprudence qui s’applique en matière de commission (article 239, LSST), les trois élé-
voyons ce qu’elle veut dire exactement. santé et sécurité du travail. Selon la Cour ments étant cumulatifs5. Les deux premiers
suprême du Canada, la diligence raisonnable éléments de preuve, « à son insu » et « sans
Nous avons mentionné, précédemment, que est la démonstration par une personne : son consentement » doivent être démontrés
la CSST pouvait intenter une poursuite péna- par le représentant de l’employeur. Quant au
le contre un employeur en raison de manque- • qu’elle n’a pas été négligente : elle a pris troisième élément de l’article 239, « malgré
ments allégués (infraction) à la Loi sur la toutes les précautions nécessaires et raison- les dispositions prises pour éviter la commis-
santé et la sécurité du travail (LSST) ou à ses nables pour éviter l’événement qui consti- sion », cela réfère plus directement à la
règlements. Lorsque l’entreprise se conforme tue une violation de la loi3. défense de « diligence raisonnable » comme
à la loi et à la réglementation et qu’elle éli- • qu’elle a empêché une conduite valant par- telle, et si les représentants de l’employeur –
mine les dangers présents, en principe, elle ticipation à l’infraction : il est vital qu’il y gestionnaires de premier niveau – ont évidem-
prend en main ses obligations et fait preuve ait un élément de contrôle, particulièrement ment un rôle à jouer dans l’établissement de
de « diligence raisonnable » par opposition à dans les mains de ceux qui ont la responsa- cette défense, d’autres acteurs d’un niveau
de la négligence. Cependant, pour être cer- bilité d’activités commerciales qui peuvent supérieur (coordonnateur, directeur, président)
tain que les obligations sont respectées, mettre le public en danger, pour promouvoir auront aussi leur part de responsabilité dans
chaque personne, à l’intérieur de l’entreprise, l’observation de règlements conçus pour évi- l’établissement de la défense.
doit aussi faire preuve de diligence en met- ter ce danger. Ce contrôle peut être exercé
tant en place tous les moyens raisonnables par : la surveillance ou l’inspection, par Dans ce contexte, l’employeur
pour prévenir les dérogations à la loi et la sur- l’amélioration des méthodes commerciales
venance d’accidents.
peut-il démontrer une preuve
ou par des recommandations à ceux qu’on
peut espérer influencer ou contrôler.4 de diligence raisonnable ?
Un moyen de défense Puisque l’objet de la LSST est « la protection
En matière de santé et de sécurité du travail, du travailleur, victime potentielle de son envi-
La diligence raisonnable est donc un moyen
la diligence raisonnable, par un employeur, ronnement et de ses propres erreurs humaines »
de défense permettant d’être acquitté malgré
tourne autour de ses obligations « d’éliminer et que cette loi s’adresse principalement à
l’infraction commise.
à la source même » les dangers pour la santé l’employeur et à ses représentants pour la
En effet, on peut penser que dans presque
et la sécurité de ses travailleurs (art. 2, LSST). raison qu’ils ont un très grand pouvoir de
tous les cas où une personne fait preuve
Pour ce faire, diverses mesures entourant contrôle, celui-ci doit s’assurer que les
de diligence, elle ne commet pas d’infrac-
l’identification des risques au travail et le moyens de prévention mis en place sont
tion. Ainsi, il n’est pas irrationnel de pré-
contrôle de ces risques s’imposent à l’em- effectivement exercés, de façon rigoureuse,
sumer la présence d’une négligence lors-
ployeur. La mise en place de ces mesures par attentive et constante6.
qu’une contravention est commise.1
l’employeur pourra soutenir une défense de
La notion de diligence diligence raisonnable.
Suite à la page 11
raisonnable est bien définie
en matière criminelle Et le manquement
Un des éléments que la poursuite doit, entre du travailleur ?
autres, prouver, hors de tout doute raison- Si l’employeur, malgré les moyens en place,
nable, est que l’organisation ou les cadres est confronté à un « manquement » aux règles
supérieurs se sont écartés de façon marquée de sécurité « commis » par un travailleur,
de la norme de « diligence » qu’il aurait été lequel manquement entraîne une poursuite
raisonnable d’adopter dans les circonstances, pénale en vertu des articles 236 ou 237 de la
pour empêcher la participation à l’infraction LSST, l’employeur qui s’estime non coupable
(art. 22.1, Code criminel, a(1) et b. La défense, devra repousser la présomption de négligence
quant à elle, aura à soulever un doute à l’égard en établissant que ladite infraction a été com-

CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


5
PÉNAL VS CRIMINEL,
qu’est-ce qui nous distingue ?

Les notions de droit pénal et criminel sont, Qui peut poursuivre ? Retenez qu’une entreprise et ses représen-
pour la majorité des gens, l’équivalent de tants peuvent être poursuivis simultanément
En matière criminelle, non seulement la vic-
bonnet blanc, blanc bonnet; c’est-à-dire que ou la poursuite peut être prise uniquement
time, mais tout individu ayant des motifs rai-
les nuances et les éléments qui les distin- contre l’organisation ou contre un individu.
sonnables de croire qu’une personne a com-
guent ne sont pas évidents aux yeux de tous.
mis un « crime » peut la dénoncer auprès des
Tentons sommairement de les démythifier Au niveau pénal, théoriquement, « qui-
autorités policières. Selon la qualité de la
dans le cadre de la santé-sécurité du travail. conque » peut également être poursuivi.
preuve produite au dossier, le procureur de la
Couronne, aura à décider s’il dépose ou non Usuellement, c’est l’employeur qui est le
Les puristes diront que le droit pénal, dans des accusations criminelles. Par exemple, défendeur car, en vertu de l’article 2 de la Loi
un sens large, englobe deux grandes catégo- dans le cadre d’un accident de travail mortel, sur la santé et la sécurité du travail, c’est lui
ries d’infractions, à savoir, les infractions la famille de la victime, un témoin, un ins- qui a la responsabilité d’éliminer, à la source,
dites réglementaires et les autres de nature pecteur de la CSST, un syndicat, un policier, les dangers à l’égard de la santé et de la
criminelle. Mais dans le but d’alléger ce texte etc., pourrait être à l’origine de la dénoncia- sécurité de ses travailleurs.
et pour faciliter la compréhension, nous réfé- tion pour négligence criminelle.
rerons aux termes pénal et criminel.
Quel est le niveau
Au niveau pénal, un inspecteur qui constate
qu’un travailleur a un comportement qui
de responsabilité ?
En vertu de la Loi constitutionnelle de 1876, S’il s’agit d’une organisation, elle est présu-
déroge au Règlement sur la santé et la sécu-
le parlement fédéral a une juridiction exclu- mée3 avoir participé à un crime de négligence
rité du travail (par exemple : absence du port
sive pour adopter une législation créant une s’il est prouvé hors de tout doute raisonnable
d’un harnais lors d’un travail en hauteur)
infraction dite « criminelle ». À titre d’exem- qu’un ou plusieurs agents ont commis une
pourrait dénoncer cette infraction aux ser-
ples, pensons à la Loi réglementant certaines faute et si un ou plusieurs des cadres supé-
vices juridiques de la CSST. Ces derniers
drogues et autres substances et, bien sûr, au rieurs n’ont pas adopté un comportement dili-
pourront intenter une poursuite pénale2
Code criminel du Canada. Ces différentes lois gent pour empêcher l’infraction, c’est-à-dire
contre l’employeur qui sera passible de devoir
se rapportent à des comportements considé- comme l’aurait fait un « bon père de famille ».
payer une amende.
rés par une société comme étant inaccep- Si l’accusé est une personne physique, outre
tables, car ceux-ci vont à l’encontre des valeurs l’acte posé ou l’omission d’agir, une preuve
fondamentales auxquelles elle s’identifie. Les Qui peut faire l’objet d’une (toujours hors de tout doute raisonnable) doit
transgresser signifie commettre un crime. poursuite criminelle ou pénale ? être faite quant à « l’état d’esprit coupable »
Les organisations, à savoir les compagnies de l’accusé. Cela peut se traduire par une
Concernant le droit pénal, les trois paliers (dont les activités peuvent être tant de juri- volonté délibérée de commettre le crime
gouvernementaux – à savoir fédéral, provin- diction fédérale que provinciale), les socié- (crime d’intention) ou, comme dans le cas qui
cial et municipal – ont le pouvoir, dans cha- tés, les syndicats, les municipalités, etc., nous préoccupe, prendre la forme d’une négli-
cun leur champ respectif de compétences, de peuvent faire l’objet d’une poursuite crimi- gence ou d’une imprudence grave (intention
légiférer des règles de conduite pour encadrer nelle à la suite d’un accident du travail ayant générale de négligence).
des activités dites « permises ». Nous n’avons entraîné une blessure grave ou un décès.
qu’à penser au domaine de la conduite auto- Cependant, faire l’objet d’une poursuite ne Relativement au droit pénal, les articles 236
mobile. Ne pas respecter les règles quant à la signifie pas être coupable ! Un tel verdict de et 237 de la LSST créent des infractions de
signalisation routière signifie commettre une culpabilité est conditionnel à la preuve qu’un responsabilité stricte. Cela signifie que la
infraction au Code de la sécurité routière. En agent et un cadre supérieur de l’organisation Commission de la santé et de la sécurité du
santé et sécurité du travail, le législateur ont failli à leurs obligations. travail (CSST) doit faire la preuve, également
décrit de manière précise les infractions hors de tout doute raisonnable, que l’acte
découlant du non-respect des règles ou des Un individu (ou une collectivité d’individus) prohibé a été commis ou est effectivement
normes décrites dans les diverses lois et ayant un lien avec l’organisation (tel un cadre survenu. Suivant le libellé de ces articles, le
règlements en cette matière. supérieur, un superviseur, un travailleur, un législateur a prévu que cette preuve entraîne
entrepreneur, etc.) pourrait personnellement une présomption de négligence. En effet,
La finalité commune du droit criminel et être visé par une poursuite en responsabilité l’état d’esprit de l’accusé, au moment de la
pénal est de sanctionner ou punir toute per- criminelle, et ce, s’il n’a pas respecté ses perpétration de l’infraction, n’a pas à être
sonne qui contrevient aux différentes législa- devoirs légaux en santé et sécurité du travail. prouvé. De même, aucune conséquence, telle
tions. Contrairement aux décisions adminis- Ce manquement doit avoir été réalisé dans un qu’une blessure, n’est requise. Le seul fait de
tratives, énoncées par les inspecteurs, qui contexte de « je m’en foutisme » et avoir la présence d’un danger immédiat et suscep-
elles ont pour objectif de contraindre les indi- causé un décès ou une blessure, soit à un tible de causer une blessure suffit.
vidus à respecter les lois et règlements1. travailleur ou à un membre du public.

6 CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


Cependant, le qualificatif « stricte » fait réfé- Dans le cadre d’une enquête pour une infrac-
rence à la possibilité pour l’accusé de repous- tion « pénale » prévue aux articles 236 et
ser la présomption de négligence en présen- 237 de la LSST, puisqu’aucune peine d’em-
tant, par une preuve prépondérante, une prisonnement n’est prévue, les déclarations
défense de diligence raisonnable. D’autres faites à un inspecteur de la CSST pourraient
moyens de défense pouvant être invoqués être auto-incriminantes. C’est donc pour
sont : l’impossibilité absolue, la nécessité cette raison, au risque d’être redondant, qu’il
(c’est pour éviter un mal plus grand qu’on a faut collaborer mais tout en faisant preuve de
commis l’infraction) et l’erreur induite par prudence, c’est-à-dire en se limitant aux faits
une personne en autorité (exemple : un repré- entourant l’accident.
sentant de la CSST).
Quel est le délai
Comme nous vous l’indiquions ci-dessus, les
processus administratif et pénal poursuivent
de prescription8
un objectif distinct. Cela signifie que même Contrairement à une poursuite pénale, l’acte
si vous avez reçu une décision administrative criminel est habituellement imprescriptible,
de la CSST vous ordonnant, par exemple, de sauf exception. Quant aux infractions com-
procéder à une correction, vous n’êtes pas à mises en vertu des articles 236 et 237 de la
l’abri de faire l’objet d’une poursuite pénale LSST, les procédures se prescrivent dans un
ou criminelle. délai d’un (1) an à compter de la date de la
perpétration du fait reproché (article 14 du
Code de procédure pénale).
Quels sont vos droits
en tant qu’accusé ? Quelles sont les sanctions ?
La CSST et le coroner4 disposent notamment Au niveau criminel, il faut, a priori, distinguer
du pouvoir de contraindre les personnes à si l’accusé est une organisation versus un
collaborer à leur enquête. Cela signifie que si individu. En tant que personne physique,
vous êtes accusé d’avoir commis une infrac- vous pourriez faire face à une peine d’empri-
tion criminelle, vous ne pouvez pas invoquer sonnement, dont la durée sera déterminée
le droit au silence pour refuser de fournir les selon différents critères. Un verdict de culpa-
renseignements. Mais ceux-ci doivent se limi- bilité signifie également avoir un casier judi-
ter uniquement aux faits entourant l’acci- ciaire.9 Au niveau pénal, la responsabilité
dent. Cependant, dans le cadre de l’enquête stricte n’est pas assortie d’une peine d’empri-
policière, chaque personne a le droit de sonnement et, par le fait même, il y a absence
garder le silence. Lors d’un grave accident dudit casier.
mortel ou non, les auteurs Bourque et
Beauregard5 suggèrent fortement l’assistance Relativement à l’amende imposée, celle-ci sera
d’un avocat, et ce, le plus tôt possible. Ce établie selon une liste de critères définis dans
dernier pourra vous conseiller et vous assister le Code criminel. Il faut retenir que le Code ne
à tout moment durant les enquêtes tant de la prévoit pas de montant maximal. Par contre, la
police, de la CSST que du coroner. Les infor- LSST énonce clairement des montants mini-
mations recueillies par ces deux derniers mal et maximal. Mais ceux-ci diffèrent selon
peuvent servir en preuve lors d’un procès cri- qu’il s’agisse d’une personne physique ou
minel, mais ne pourront pas être utilisées morale et selon le type d’infraction, soit en
afin de vous incriminer6 (c’est-à-dire être vertu de l’article 236 ou 237 de la LSST.
retenues contre vous). Toutefois, une organi- Considérant que l’article 236 vise les infrac-
sation ne bénéficie pas de cette protection tions techniques, les amendes sont inférieures
contre l’auto-incrimination7. à celles prévues à l’article 237, ce dernier
visant à punir les manquements ayant pu
mettre en péril la santé et la sécurité d’autrui.

Suite à la page 19

CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


7
COMMENT REMPLIR
son devoir d’efficacité ?

D’abord, comment définit-on efficacité ? à cet égard est, certes, un très bon point de L’inspection
Qualité d’une chose, d’une personne efficace. départ. Avez-vous des objectifs et des L’inspection des lieux de travail est une autre
Et que signifie efficace ? Qui produit l’effet attentes vis-à-vis la SST ? Votre personnel les façon de rencontrer son devoir d’efficacité. En
attendu. Se dit de quelqu’un dont l’action connaît-il ? Est-il au fait de sa part de respon- effet, elle peut constituer un excellent moyen
aboutit à des résultats utiles. sabilités en ce sens ? Si votre personnel n’a de vérifier que les lieux, les équipements, les
pas d’idée claire quant à ses responsabilités, outils, la machinerie, de même que les
En tant qu’employeur responsable de la SST ou s’il perçoit mal ce qu’il doit effectuer, il se méthodes de travail, soient sécuritaires. En
de votre personnel, êtes-vous « efficace » ? fera sa propre idée à partir de ce qu’il connaît fait, il en sera ainsi dans la mesure où une
Votre personnel connaît-il « l’effet attendu » ou de ce qu’il croit devoir réaliser. Il y a fort inspection se tiendra régulièrement et que les
relativement aux questions de SST ? Agissez- à parier qu’il éprouvera alors des difficultés à dérogations ne resteront pas lettre morte. Si
vous en posant des actions, des gestes posi- rencontrer les attentes que vous pourriez aucun suivi n’est exercé quant aux mesures à
tifs à l’égard de la SST et du personnel ? De avoir à son égard. En vue de vous aider à tracer prendre, ou encore, si le superviseur ne se fie
ces gestes et actions, est-ce que des résultats un tableau étoffé de ce qu’il y a à accomplir, qu’au jugement de ses employés chargés des
utiles ressortent ? Hum ! Vous hésitez à regardons ce qu’implique le devoir d’efficacité inspections, sans y participer à l’occasion, il
répondre positivement à ces questions, n’est- au quotidien. pourrait se retrouver responsable des erreurs
ce pas ? Pourtant, elles correspondent à votre commises par ses employés.
devoir d’efficacité. Dans le cadre de cet Le devoir d’efficacité
article, nous tenterons justement de mieux L’information et la formation
Les accidents du travail
comprendre l’étendue de vos responsabilités Prenez quelques minutes pour consulter
Au Québec, chaque jour, en moyenne, 300
à l’égard de ce devoir. quelques-uns des rapports d’enquête des ins-
accidents surviennent entraînant une lésion
indemnisable par la CSST. À cet égard, les pecteurs sur le site de la CSST. Vous y consta-
Quels sont les devoirs de employeurs responsables effectuent une terez que le manque d’information et de forma-
tion compte parmi les causes d’accidents les
l’employeur ? enquête et une analyse de l’accident afin de
déterminer les causes et de définir des plus fréquentes. Qu’en est-il de vos accidents
Tel que nous le rapportent les juristes
mesures pour éviter qu’un tel événement ne et incidents ? Avec une formation adéquate ou
Bourque et Beauregard1, l’employeur a trois
se répète. L’intention est fort louable, mais le de l’information, l’événement aurait-il pu être
devoirs à remplir en vue de pouvoir démontrer
devoir d’efficacité ne sera rencontré qu’au évité ? Votre personnel de supervision est-il en
qu’il fait preuve de diligence raisonnable. Le
moment où les mesures correctives et préven- mesure de détecter et de combler, de façon
devoir de prévoyance, soit identifier les
tives seront effectivement mises en place. À continue, les lacunes liées à l’information et à
risques et définir des moyens de les éliminer
ce sujet, il y a lieu d’examiner vos façons de la formation en SST ? Vos tâches comportant
ou de les réduire. Le devoir d’efficacité qui
procéder : des mesures correctives et préven- des risques importants font-elles l’objet d’une
vise la mise en place de mesures efficaces
tives efficaces ont-elles été implantées après formation sur mesure ?
pour éliminer et contrôler les risques de
lésions professionnelles. Et, le troisième, le un accident ? Les changements ont-ils été
communiqués au personnel (supervision et Savez-vous si vos employés possèdent les
devoir d’autorité, soit celui où l’employeur
production) ? Le délai de correction a-t-il été compétences nécessaires pour tenir compte
doit contraindre un employé à respecter les
raisonnable considérant le niveau de risque de tous les aspects SST associés à leurs res-
règles de sécurité en vigueur par l’application
en cause ? Y a-t-il eu une vérification des ponsabilités ? Ont-ils reçu la formation requi-
de mesures disciplinaires.
lieux afin de s’assurer que les mesures choi- se pour l’utilisation d’un chariot élévateur, le
sies procurent effectivement les résultats port des équipements de protection indivi-
Quel est le résultat attendu attendus ? De nouvelles procédures de travail duelle, les matières dangereuses présentes
par le devoir d’efficacité ? ont-elles découlé de cet événement ? Le per- sur les lieux de travail, etc. En fait, les tra-
Le devoir d’efficacité signifie que l’employeur sonnel a-t-il été informé et formé sur ces nou- vailleurs doivent être formés et informés sur
doit mettre en place des moyens très concrets veautés ? Comme vous pouvez le constater, tous les risques associés à leur travail, de
en vue de s’assurer que le travail s’exécute de nous sommes loin du simple rapport d’enquê- même que sur les mesures de prévention qui
façon sécuritaire. Voilà d’ailleurs le résultat te rempli en vitesse sur le coin du bureau, qui s’appliquent. Aussi, pour faire preuve d’effi-
attendu. Mais, pour obtenir un tel résultat, il finit par se retrouver dans un classeur, cacité, la formation demande un suivi de la
importe que l’employeur exerce une gestion quelque part… À cette étape, il s’agit de se mise en pratique.
serrée des différentes activités de prévention rappeler que le résultat attendu avec les
qui s’appliquent à son milieu de travail et, enquêtes consiste à ce que l’accident ou l’in-
surtout, qu’il exerce un suivi. Le fait de défi- cident dont il est question ne se répète plus,
nir des objectifs clairs en SST et de faire et que des conséquences plus graves ne se
connaître les rôles et responsabilités de chacun matérialisent pas.

8 CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


L’entraînement et la supervision nagements adéquats, des inspections et des
Nombreux sont ceux qui, après avoir assisté à entretiens réguliers. Selon les équipements
une formation, se sentent pris au dépourvu au en place, cela peut vouloir dire d’ajouter un
moment de mettre en pratique leurs nouvelles garde ou tout autre dispositif de sécurité.
connaissances. Pour éviter une telle situation,
le législateur a prévu, à l’article 10 de la Loi En conclusion, mieux vaut
sur la santé et la sécurité du travail, que le
travailleur a le droit de bénéficier de services
faire ses devoirs !
de formation, d’information et de conseils en Le devoir d’efficacité, comme tous les autres
matière de SST, particulièrement en relation devoirs d’ailleurs, peut être comparé à un res-
avec ses tâches et son milieu de travail, et de sort où chaque omission l’étire un peu plus.
recevoir la formation, l’entraînement et la Au bout de sa résistance, il lâche (l’accident
supervision appropriés. À titre d’exemple, se produit) et le ressort revient… avec force.
l’entraînement pourrait prévoir, à la suite Secoué, au moment de reprendre vos esprits,
d’une formation théorique, des démonstra- si la CSST et les tribunaux s’en mêlent, il est
tions sur la façon d’exécuter le travail. Aussi, trop tard pour tenter des excuses, car person-
le travailleur devrait avoir l’occasion de procé- ne n’échappe à ses devoirs !
der alors, sous supervision, à ses premières
expérimentations afin de recevoir une appré-
ciation de sa performance et d’obtenir
quelques trucs du métier pour s’améliorer.
L’employeur se devant d’exercer une supervi-
sion efficace, il devrait s’assurer que l’em-
ployé maîtrise bien ses tâches avant qu’il les
accomplisse de façon autonome. Le supervi-
seur doit s’assurer que tout se déroule norma-
lement, puis corriger les comportements non
sécuritaires au fur et à mesure qu’il les obser-
ve et veiller à rester disponible au cas où l’em-
ployé aurait besoin de son aide.

Les équipements de travail, les outils


et les machines
Parmi les autres gestes attendus de la part de
l’employeur, voir au bon fonctionnement des
équipements de travail, des outils et des
1 BOURQUE, S. et M. BEAUREGARD. Quand l’accident de
machines utilisés constitue un aspect essen- travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils
tiel au devoir d’efficacité. L’employeur doit d’administration, Développements récents en SST, Éditions
s’assurer qu’ils sont sécuritaires par des amé- Yvon Blais, vol. 211, 2004, p.125-149.

COTISATION SUR LES SALAIRES VERSÉS… DU NOUVEAU !


Dans la dernière édition de la revue Convergence, intitulée Que réserve l’avenir en SST ?, l’article La CSST et ses projets
pour l’avenir, à la page 16, présente les projets en cours de réalisation à la CSST. Au moment d’écrire cet article, le projet
de mettre en place la cotisation basée sur les salaires versés (CBSV) allait bon train selon l’information alors recueillie
auprès de la Commission.

Cependant, depuis, la situation a changé. La CBSV ne sera pas implantée en 2009 comme prévu, mais plus tard, à une
date qu’il reste à déterminer. Vous devriez avoir reçu une lettre de la CSST à cet effet.

CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


9
Le proverbe « Mieux vaut prévenir que guérir »
n’aura jamais été aussi actuel qu’en cette ère
d’obligation de diligence raisonnable en
ÉTAIT-CE
matière de santé-sécurité au travail, où le
premier devoir qui incombe à l’employeur est prévisible ?
celui de prévoyance. Pourtant, si on se réfère
à notre Loi sur la santé et la sécurité du
travail (LSST), votée en 1979, ce devoir de il revient aux dirigeants et aux gestionnaires assurer un niveau raisonnable de connaissan-
prévoyance n’est pas nouveau. Ce sont plutôt d’être proactifs à cet égard; ce sont eux qui ce des dangers de votre milieu de travail et
les conséquences de ne pas l’accomplir qui ont la latitude quant aux moyens à prendre des risques à la santé-sécurité qu’ils engen-
constituent une nouveauté. pour identifier, analyser et neutraliser les dan- drent. Se poser ces deux questions toute
gers, de même que sur la mise en place des simples, mais pourtant de base : « Dans mon
Qu’en est-il ? mesures de contrôle appropriées. D’autre part, entreprise, mon département, mon poste de
ce sont les gens de « plancher » qui connais- travail, que peut-il arriver comme accident,
Prévention 101 sent les aléas de la production; de ce fait, ils maladie, blessure ? Quels moyens dois-je
Le devoir de prévoyance, ça rime à quoi ? sont à même d’en reconnaître les dangers et prendre pour empêcher qu’une tragédie ne se
Selon les juristes Bourque et Beauregard1, de les signaler. Mais pour que tout cela arrive, produise ? ». C’est ça prévoir, ou si vous
cela revient, en gros, à ceci: identifier/évaluer ça prend une volonté d’agir en prévention… aimez mieux : voir d’avance…
les risques et déterminer les mesures de
Ceci étant dit, cela se traduit comment en
sécurité appropriées. Je veux bien, termes « pratico-pratiques » pour l’entreprise ?
Autrement dit, prenez-vous les mesures raison-
mais je ne suis pas devin ! Reprenons, sous forme de tableau, des
nables pour anticiper les accidents qui pour- Sans doute vrai, mais entre prévoir l’imprévi- phrases-clés utilisées par les juristes Bourque
raient survenir dans votre milieu de travail, et sible et se questionner sur ce qui est prévi- et Beauregard pour exprimer ce qu’ils enten-
les conséquences qui en découleraient ? Ce sible, il y a une marge, et c’est là que vous dent par « devoir de prévoyance », et inspirons-
qu’on appelle, dans la pratique, faire de l’ana- devez faire acte de diligence raisonnable. En nous de la norme canadienne CSA/Z1000-06
lyse de risques, étape essentielle et prélimi- d’autres mots, vous n’avez pas le choix de pour suggérer des activités à mettre en place
naire à une bonne gestion de ceux-ci. mettre en place des mécanismes pour vous pour rencontrer ces obligations.

SELON LES JURISTES, LE DEVOIR TYPES D’ACTIVITÉS À METTRE EN PLACE


D’ailleurs, sur le plan strictement légal, cela
DE PRÉVOYANCE SE TRADUIT PAR
fait au moins 30 ans que ce devoir aurait dû
L’OBLIGATION POUR L’EMPLOYEUR DE : (INSPIRÉ DE LA NORME CSA/Z1000-062)
être accompli, et comme nul n’est censé
ignorer la loi… • prendre l’initiative de connaître le travail • analyse de tâches et de procédés
qu’il exige d’autrui, d’examiner tous les • analyse des risques inhérents et
Référons-nous, donc, aux exigences de la gestes que doivent poser les employés des phénomènes dangereux
LSST qui nous apparaissent les plus expli- dans le cadre de leur travail et d’identifier • inspections régulières
cites relativement au devoir de prévoyance les risques qui en découlent • revue des accidents et incidents
attendu de l’employeur et du travailleur : • revue du registre de premiers soins
• consultation des étiquettes et fiches
51. L’employeur doit prendre les mesures signalétiques SIMDUT
nécessaires pour protéger la santé et • consultation des spécifications
assurer la sécurité et l’intégrité phy- ou instructions fournies par les fabricants
sique du travailleur. Il doit notamment : et fournisseurs
• évaluation de l’exposition des travailleurs
5° utiliser les méthodes et techniques aux agents agresseurs (bruit, produits
visant à identifier, contrôler et éliminer chimiques, etc.)
les risques pouvant affecter la santé et • prise en compte des recommandations du
la sécurité du travailleur comité SST
49. Le travailleur doit : • s’assurer que les employés ont la • programme d’accueil des nouveaux employés
compétence et l’information nécessaires • observation de méthodes de travail et de
5° participer à l’identification et à l’éli-
pour effectuer leurs tâches comportements des travailleurs
mination des risques d’accidents du
• coaching et feedback
travail et de maladies professionnelles
sur le lieu de travail • connaître les exigences des lois, règlements • consultation des organismes de
et normes de sécurité qui s’appliquent à réglementation et de normalisation
Ce qu’il faut comprendre de ces deux articles son établissement (CSST, CSA, etc.)
c’est que chacun, peu importe son statut • audit de conformité
dans l’entreprise, est tenu, en quelque sorte, • inviter les employés à faire part de leurs • mise en place de canaux de communication
au devoir de prévoyance. commentaires au chapitre de la sécurité • consultation des travailleurs sur leurs
sur les lieux du travail (source importante préoccupations et sur leurs suggestions
Qui plus est, le législateur québécois a même d’informations devant être intégrées d’amélioration
prévu, dans la LSST, des mécanismes de prise continuellement au processus du travail) • système de déclaration de situations
en charge des problèmes de santé-sécurité, dangereuses
afin que ce devoir de prévoyance soit mieux • tenue de réunions SST
accompli ! Avec raison d’ailleurs. D’une part, • mise sur pied d’un comité de santé-sécurité

10 CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


Il y a tout ça, mais plus Sachez aussi que ce n’est pas parce que En conclusion, selon le Centre patronal, votre
certaines pratiques ont toujours existé dans devoir de prévoyance obtiendra la note parfai-
encore… l’entreprise qu’elles sont pour autant sécuri- te si, et seulement si, vous sortez du cercle
Le tableau précédent vous expose différents taires. On l’a toujours fait comme ça et il vicieux de la prévention après coup. Com-
moyens et activités pour arriver à une meilleu- n’est jamais rien arrivé ! Assurez-vous plutôt ment ? En démontrant votre leadership par
re connaissance des dangers de votre milieu que vos procédures et standards internes sont l’instauration d’une culture favorisant la
de travail et, conséquemment, vous aider à en appropriés et répondent aux exigences de santé-sécurité, la participation de chacun à
cerner les risques. Mais votre obligation de sécurité auxquelles on devrait raisonnable- l’identification et à l’élimination des risques
prévoyance ne s’arrête pas là. Et c’est souvent ment s’attendre. d’accident, l’intégration des considérations
à cette étape que le bât blesse. Car c’est bien Finalement, toujours selon la norme SST dans chaque décision prise et action
beau de connaître ses risques, mais cela CSA/Z1000-06, Gestion de la santé et de la posée, et l’évaluation des possibilités d’amé-
devient tout à fait futile si on n’y donne pas sécurité au travail, le devoir de prévoyance, lioration continue. Car plaider l’ignorance
suite, et si on ne s’organise pas pour les maî- c’est aussi : devant un juge…
triser. Il faut donc aussi prévoir les mesures
les plus appropriées pour éliminer ou contrô- • avoir une politique, des orientations et des
ler ces risques. Ce qu’on appelle en gestion : objectifs sans équivoque en matière de
planifier ses actions de prévention. Quel moyen, santé-sécurité
équipement, procédure, activité, ou agence- • élaborer un plan visant l’atteinte des objectifs
ment de ceux-ci, nous procurerait l’assurance • fournir les ressources nécessaires à la mise
que la probabilité de survenue d’un accident en œuvre du plan
ou maladie soit réduite au minimum. Ceci • définir les rôles, attribuer les responsabili-
tés, déléguer l’autorité nécessaire et, bien 1 BOURQUE, S. et M. BEAUREGARD. Quand l’accident du
s’applique à nos processus réguliers, et doit travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils
aussi s’appliquer à nos opérations « extraordi- sûr, former les gens en conséquence d’administration. Développements récents en droit crimi-
naires » : tâches ponctuelles ou particulières, nel, Éditions Yvon Blais, 2004.
travaux effectués par des sous-traitants, com- 2 CSA/Z1000-06, Gestion de la santé et de la sécurité au tra-
mandes spéciales, shutdown, etc. vail, Association canadienne de normalisation, mai 2006.

Suite de la page 5

L’objectif de la Loi sur la santé et la sécurité Les tribunaux sont très exigeants à l’égard Le défaut, par l’employeur, de rencontrer ces
du travailleur est de prévenir les accidents de de la défense raisonnable. Le Tribunal du devoirs pourra donc laisser entrevoir une
travail en protégeant les travailleurs qui peu- travail et la Cour supérieure ont déclaré, à absence de diligence raisonnable.
vent potentiellement être victimes d’acci- maintes reprises, qu’il ne suffit pas, pour
dents en commettant des erreurs humaines. un employeur, de fournir l’équipement 1 Me MARCOTTE A. Les moyens de défense en matière pénale,
C’est ainsi qu’il faut les protéger contre leurs approprié et de donner des directives aux Développements récents en droit de la SST, Yvon Blais
propres erreurs. Et celui qui détient ce pou- employés en présumant que les instruc- Inc., 2001, p. 171 et ss.
voir de protection, c’est l’employeur. C’est ce tions seront suivies. Il ne suffit pas, non 2 La notion de danger : au cœur de la LSST par Me Alain
dernier qui contrôle la gestion et l’encadre- plus, de se fier sur l’expérience des tra- Marcotte.
ment des employés ainsi que l’équipement et vailleurs; il faut qu’un employeur prenne 3 R. c. Sault-Ste-Marie (1978) 2 R.C.S. 1299.
les méthodes de travail. Il a alors l’obligation des mesures concrètes et positives pour 4 Idem à 3.
de prendre tous les moyens raisonnables afin s’assurer que la loi soit respectée.8
5 CSST c. 9083-5299 Québec inc., CQ 500-63-000368-040,
de s’assurer que ses employés travaillent en
14-06-2005.
sécurité.7 Dans un article fort intéressant, des auteurs
résument ainsi la notion de diligence raison- 6 Idem à 2.
La notion de diligence raisonnable est donc nable : 7 CSST c. Marc Filiatreault Couvreur Inc. , T.T., mai 2001.
un moyen de défense né dans un contexte de L’obligation générale de diligence prévue 8 CSST c. 2855-2909 Québec Inc., T.T. 10 juin 2002.
violation des lois. par les lois provinciales et fédérales com-
9 BOURQUE, S. et M. BEAUREGARD. Quand l’accident du
porte trois aspects : un devoir de pré- travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils
voyance, un devoir d’efficacité et un d’administration, Développements récents en droit crimi-
devoir d’autorité.9 nel, Éditions Yvon Blais inc., 2004, p. 123-149.

CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


11
SANCTIONNER
est un devoir légal !

Wow ! Ne partez surtout pas en peur avec ce Voici un extrait de ladite audience1. Et ce fut la goutte qui a fait déborder le vase,
titre. Le but de cet article n’est pas de promou- pour convaincre le juge Orégon que l’amende
voir les sanctions disciplinaires. Une culture de Extrait « adapté » de l’audience du 13 contre l’entreprise devait être maintenue.
sécurité ne s’impose pas par la « punition ». juillet 2007, de 10 h 17 min 3 s à 10 h
Mais force est de reconnaître que la sanction 18 min 43 s.
disciplinaire est un « mal nécessaire », voire un
L’employeur est coupable
devoir légal, quand « là, ça va faire ! ». À (En contre-interrogatoire) jusqu’à preuve du contraire !
l’égard d’un employeur, qui a fait preuve de Ainsi, en vertu des articles 236 et 237 de la
laxisme dans l’application progressive de Me Juste Sassoeur (pour la poursuite) : LSST, la CSST peut intenter une poursuite
mesures disciplinaires, les tribunaux diront Vous avez bien dit que c’est de la faute de pénale contre « quiconque » omet de se
qu’il n’a pas fait preuve de diligence raison- Jean-Guy Tremblay (le travailleur) parce conformer aux dispositions de la loi.
nable. En d’autres termes, qu’il a manqué à son qu’il connaissait les règles de sécurité.
devoir d’autorité. Puis, pour reprendre exactement vos pro- Le « quiconque », pour reprendre les mêmes
pos, parce qu’il a 20 ans d’expérience termes que la loi, peut viser notamment l’em-
« Y’ veut pas comprendre, dans le domaine… ployeur, son superviseur, son employé… Bref,
« quiconque » contrevient à la loi. Mais, règle
Monsieur le Juge ! » générale, c’est à l’employeur que la CSST
M. Roger Tério : Oui, Madame… heu !
Roger Tério, superviseur des opérations à émet le constat d’infraction en soutien de son
Maître ! Jean-Guy a 20 ans d’expérience
l’entreprise « Les as du lavage de vitres accusation.
dans le domaine... Il le savait que le port
situées en hauteur inc. » est bien déterminé
du harnais était obligatoire et, en plus, il
à faire valoir sa position au nom de son Pourquoi ? Parce que c’est l’employeur, au
y a une affiche sur chaque échafaud...
employeur devant le tribunal. Il y a trois mois, premier chef, qui est responsable de l’organi-
J’ peux pas être derrière lui tout le temps…
l’inspecteur de la CSST, Jean-Marie Cheval sation de la santé et sécurité du travail… et,
mais que voulez-vous, il a une tête de
« a flanqué » à son entreprise une amende de surtout, c’est lui qui a le pouvoir d’imposer,
cochon, pis il veut jamais le porter…
8 000 $ en vertu de l’article 237 de la Loi dans son organisation, les différentes règles
sur la santé et la sécurité du travail (LSST), de sécurité.
Me Juste Sassoeur : Il veut jamais le porter,
pour avoir compromis directement et sérieu-
dites-vous, c’est donc pas la première fois ?
sement la sécurité d’un travailleur. D’ailleurs, à cet effet, l’article 239 de la
Roger Tério : Non, Maître, pas la première LSST stipule :
Voici ce qu’a indiqué l’inspecteur de la CSST
sur le constat d’infraction : fois !
« Dans une poursuite visée dans le présent
« Le 13 septembre 2006, à 15 h 3 , l’em- Me Juste Sassoeur : Et vous admettez qu’il chapitre, la preuve qu’une infraction a été
ployeur « Les as du lavage de vitres n’a jamais eu de sanction disciplinaire à commise par un représentant, un manda-
situées en hauteur inc. », dont la place cet effet. taire ou un travailleur à l’emploi d’un
d’affaire sise au 202020, rue University, employeur suffit à établir qu’elle a été
district de Montréal, H3B 2B6, a compro- Roger Tério : Heu !… ben… (toussement)… commise par cet employeur à moins qu’il
mis directement et sérieusement la santé, non, jamais donné de sanction. n’établisse que cette infraction a été com-
la sécurité et l’intégrité physique d’un mise à son insu, sans son consentement et
travailleur en ne s’assurant pas que ce Me Juste Sassoeur : Pourtant, il existe bien malgré les dispositions prises pour prévenir
dernier portait son harnais de sécurité une politique de sanction disciplinaire sa commission ». (Nos soulignés)
au moment où il exécutait la tâche de dans votre entreprise, non ?
nettoyer les vitres situées au 20e étage de L’employeur est donc coupable jusqu’à preu-
l’édifice « Le Firrrrrrmament », sis au Roger Tério : … (inaudible) ve du contraire. Il est coupable à moins de
2122, rue Christophe-Colomb, district de démontrer que l’infraction « a été commise à
Montréal, HA3 3Z4, contrevenant ainsi à Me Juste Sassoeur : Monsieur Tériooo ? On son insu, sans son consentement et malgré
l’article 237 de la Loi sur la santé et la ne vous entend pas… les dispositions prises pour prévenir sa com-
sécurité du travail (L.R.Q., ch. S-3.1), et mission ». C’est au troisième élément, soit
se rendant passible des pénalités prévues Roger Tério : Ben, oui… mais pas des « malgré les dispositions prises pour prévenir
au 1er alinéa dudit article. » enfants quand même… sa commission » que se situe la défense de
diligence raisonnable. Nous pouvons nous
Ah, non ! ça, Roger Tério, superviseur, ne le Me Juste Sassoeur : Je n’ai plus de ques- questionner si, administrer une sanction
« prend » vraiment pas ! Et il est bien déter- tions, Monsieur le Juge. disciplinaire, fait partie des dispositions pou-
miné à faire valoir sa position devant le juge vant être prises pour prévenir la commission
qui entendra sa cause. d’une infraction ?

12 CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


Qu’en pensent 1. vérifier que les employés sont munis de
l’équipement de sécurité au moment de
les tribunaux ? leur départ vers le site;
Non, cela ne date pas d’hier que les tribunaux
mentionnent, à l’employeur, qu’il ne fait pas 2. rencontrer le(s) contremaître(s) afin de
preuve de diligence raisonnable s’il se fie à la faire comprendre l’importance des instruc-
bonne foi et à l’expérience de ses employés tions et les conséquences du non-respect;
pour que le travail soit exécuté de façon sécu- 3. faire surveiller les employés et/ou faire des
ritaire. L’affaire BG Checo, une « vieille déci- visites de contrôle au chantier;
sion » datant de 1976, fut la première à
enseigner à l’employeur les deux principes 4. faire des rappels verbaux et subséquem-
suivants : 1) Il ne faut pas se fier sur la seule ment par écrit en cas du non-respect des
expérience du travailleur 2) L’employeur doit directives;
« prendre des actions positives » pour s’assu-
5. émettre des avertissements et, si néces-
rer du respect des règles de sécurité.
saire, imposer des mesures disciplinaires
pour sanctionner le défaut de respecter
Les jugements ultérieurs ont suivi ces prin-
les directives émises. (Nos soulignés)
cipes de base développés par ce jugement de
la Cour supérieure, tout en peaufinant les cri-
tères de diligence raisonnable. Dans le cadre d’un jugement récent5, soit le
premier jugement rendu au Canada en matiè-
Ainsi, dix ans plus tard, le juge Burns2 s’ex- re de négligence criminelle contre un
primait ainsi : employeur à la suite d’un accident du travail
mortel, l’honorable Paul Chevalier, J.C.Q.,
« Le fait que Monsieur Dumoulin n’écoutait écrivait : « Elle (l’entreprise) a aussi manqué
pas, ne suivait pas les ordres, bon, je ne suis à son devoir d’autorité en ne s’assurant pas
pas du tout impressionné par ça. Quand un que les employés respectent les consignes de
employeur veut se faire écouter, lorsqu’il sécurité » (notre parenthèse).
décide de mettre en application un règlement
de sécurité il le fait, il a l’autorité pour le Notons qu’en matière criminelle, au moment
faire. Et il n’avait pas à tolérer cette situation- de prononcer la sentence, le juge doit
là qui aurait pu être désastreuse pour l’indi- prendre en considération les critères de
vidu en question. » détermination de la peine énumérés à l’ar-
ticle 718.21 du Code criminel. Or le devoir
Dans les jugements les plus récents, environ d’autorité, soit : « l’imposition par l’organisa-
cinq ou six critères d’appréciation du moyen tion de pénalités à ses agents pour leur rôle
de défense de diligence raisonnable furent dans la perpétration de l’infraction » est
développés. prévu à l’alinéa h) de cet article.

À titre d’exemple, et pour ne citer que celui- Selon les auteurs Bourque et Beaureguard6,
là3, le juge Handman4, du Tribunal du travail, l’imposition de sanctions en vue de s’assurer
déclarait l’employeur coupable d’avoir compro- du respect des règlements fait partie du 1 Fictif.
mis la sécurité d’un travailleur en l’exposant à devoir d’autorité et représente un aspect 2 CSST c. Municipalité du village de Papineauville, TT 500-
une chute contrevenant ainsi à l’article 237 de essentiel de la diligence. 29-1311-859, 01-05-1986.
la LSST. Voici un extrait de son jugement : 3 Nous vous invitons à vous renseigner sur notre conférence
Rappelez-vous, cependant, que les sanctions Sanctions disciplinaires et SST.
« Ces moyens que l’employeur doit prendre disciplinaires doivent respecter le principe de la 4 CSST c. Marc Filiatrault Couvreur inc., TT 500-63-
pour s’assurer que ses directives sont respec- progression, à moins d’une faute lourde et grave. 005091-001, 24-05-2001.
tées et que ses employés travaillent en sécu-
5 R c. Transpavé inc., C.Q. 700-01-066698-062, 17-03-2008.
rité comprennent les suivants : Toutefois, si l’employeur a une culture de pré-
6 BOURQUE, S. et M. BEAUREGARD. Quand l’accident du
vention au sein de son organisation, le travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils
recours à la « punition » ne sera nécessaire d’administration, Développements récents en droit crimi-
que dans des cas rarissimes. nel, Éditions Yvon Blais inc., 2004, p. 123-149 (p.139).

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13
PASSEZ À LA CAISSE
s.v.p.

Lorsqu’une personne physique ou morale est Par exemple, lorsqu’une personne plaide cou- a) les avantages tirés par l’organisation du
déclarée coupable d’une infraction criminelle, pable, le tribunal prend en considération le fait fait de la perpétration de l’infraction;
il s’ensuit généralement une sanction dont la que le contrevenant a reconnu sa culpabilité et b) le degré de complexité des préparatifs
sévérité variera, notamment, selon la gravité sa collaboration avec les autorités. reliés à l’infraction et de l’infraction elle-
de l’acte. Cette sanction peut être un séjour même et la période au cours de laquelle
plus ou moins long en prison, une amende, Dans certains cas (art. 731), le tribunal peut elle a été commise;
des travaux communautaires, etc. En matière même, compte tenu de l’âge de la personne, c) le fait que l’organisation a tenté de dissi-
de condamnation criminelle, à la suite d’une de sa réputation, de la nature de l’infraction, muler des éléments d’actif, ou d’en conver-
lésion professionnelle, la peine peut prendre etc., renoncer à l’emprisonnement. Le tribu- tir, afin de se montrer incapable de payer
plusieurs formes et la détermination de celle- nal indiquera alors des conditions à cette une amende ou d’effectuer une restitution;
ci se base sur un certain nombre de critères1. libération. Une amende peut aussi être d) l’effet qu’aurait la peine sur la viabilité
demandée en sus ou en remplacement de économique de l’organisation et le main-
Dans les cas de négligence criminelle en SST, l’emprisonnement (art. 734 (1). En cas de tien en poste de ses employés;
la Couronne peut entreprendre des poursuites peine d’emprisonnement, celle-ci peut être e) les frais supportés par les administrations
contre une personne physique ou une organi- purgée dans la collectivité sous certaines publiques dans le cadre des enquêtes et
sation. Et la peine sera différente selon que le conditions (art. 742.1). En vertu de l’article des poursuites relatives à l’infraction;
condamné est une personne ou une organisation. 730, un accusé peut même être absous et le f) l’imposition de pénalités à l’organisation
tribunal peut émettre une ordonnance de pro- ou à ses agents à l’égard des agissements
Dans ses réflexions, le juge gardera en tête bation (travaux communautaires, etc.). à l’origine de l’infraction;
les objectifs que la peine doit rencontrer en g) les déclarations de culpabilité ou pénali-
vertu du Code criminel (art. 718) : dénoncer Le juge condamne tés dont l’organisation — ou tel de ses
le comportement, le dissuader, etc. La peine agents qui a participé à la perpétration de
doit d’ailleurs être proportionnelle à la gravité
une organisation l’infraction — a fait l’objet pour des agis-
de l’infraction (art. 718.1). Pour ce qui est d’une organisation – et rappe- sements similaires;
lons que le but premier des modifications h) l’imposition par l’organisation de pénali-
apportées au Code criminel est de faciliter les
Le juge condamne poursuites des organisations – les choses sont
tés à ses agents pour leur rôle dans la per-
pétration de l’infraction;
une personne différentes, car on ne peut pas véritablement i) toute restitution ou indemnisation impo-
En matière de SST, des poursuites criminelles envoyer une « organisation » en prison ! sée à l’organisation ou effectuée par elle
peuvent depuis toujours être intentées contre au profit de la victime;
des personnes (la loi C-21 a ouvert la porte D’entrée de jeu, c’est l’article 735 qui prévoit j) l’adoption par l’organisation de mesures
aux poursuites contre les organisations). la peine à infliger à une organisation recon- en vue de réduire la probabilité qu’elle
L’article 220 du Code criminel prévoit que nue coupable d’une infraction. commette d’autres infractions.
quiconque, par négligence criminelle, cause
la mort d’une autre personne est coupable 735 (1). Sauf disposition contraire de la
En plus de l’amende, le tribunal peut émettre
d’un acte criminel et cette personne s’expose loi, l’organisation déclarée coupable d’une
une ordonnance de probation (732.1 (3.1).
à une peine d’emprisonnement à perpétuité. infraction est passible, au lieu de toute
Cette ordonnance oblige l’organisation à
peine d’emprisonnement prévue pour
Pour sa part, l’article 221 stipule que qui- poser certains gestes de « réparation » et de
cette infraction, d’une amende :
conque par négligence criminelle cause des « prévention ». Elle peut consister à :
lésions corporelles à autrui est passible d’un a) dont le montant est fixé par le tribunal, si
emprisonnement maximal de dix ans. l’infraction est un acte criminel; a) dédommager toute personne de la perte
b) maximale de cent mille dollars, si l’infrac- ou des dommages qu’elle a subis du fait
En plus des principes généraux énoncés plus tion est punissable sur déclaration de cul- de la perpétration de l’infraction (NDLR :
haut, le tribunal prendra en compte l’article pabilité par procédure sommaire. cet élément nous semble en contradiction
718.2 qui prévoit, entre autres, que la peine avec les dispositions de la Loi sur les acci-
devrait être adaptée aux circonstances aggra- Pour déterminer l’amende, le tribunal doit dents du travail et les maladies profes-
vantes ou atténuantes liées à la perpétration prendre en compte une série de critères par- sionnelles);
de l’infraction. Il est également écrit que le ticuliers qui s’ajoutent aux critères généraux b) élaborer des normes, règles ou lignes
juge a l’obligation, avant d’envisager la priva- énoncés plus haut, ceux-ci sont prévus à directrices en vue de réduire la probabili-
tion de liberté, d’examiner la possibilité de l’article 718.21. té qu’elle commette d’autres infractions;
sanctions moins contraignantes lorsque les c) communiquer la teneur de ces normes,
circonstances le justifient. règles et lignes directrices à des agents;

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d) rendre compte de l’application de ces De son côté, la défense a fait notamment terminant que : La peine suggérée n’est pas
normes, règles et lignes directrices; valoir des éléments susceptibles d’être pris déraisonnable dans les circonstances, elle
e) désigner celui de ses cadres supérieurs en compte par le juge au moment de pronon- respecte les principes de détermination de la
qui veillera à l’observation de ces normes, cer sa sentence. Elle a mis en évidence que peine et est conforme aux facteurs qui doi-
règles et lignes directrices; l’entreprise a reconnu sa faute (ce qui évite vent être pris en compte.
f) informer le public, selon les modalités des procédures judiciaires longues et diffi-
qu’il précise, de la nature de l’infraction ciles pour tous), le bon comportement de Espérons que les tribunaux n’auront pas à
dont elle a été déclarée coupable, de la l’employeur à la suite de l’accident (aide psy- recourir souvent aux articles du Code criminel
peine infligée et des mesures — notam- chologique apportée aux employés, l’attitude pour des poursuites en matière de santé et
ment l’élaboration des normes, règles ou des dirigeants à la suite du décès) et le fait sécurité du travail; que les propriétaires, les
lignes directrices — prises pour réduire la que l’employeur était déjà actif en matière de actionnaires, les gestionnaires et les tra-
probabilité qu’elle commette d’autres prévention avant l’accident. Elle a également vailleurs se souviendront longtemps de l’his-
infractions; énoncé certains facteurs pouvant moduler la toire de Transpavé et que tous les acteurs
g) observer telles autres conditions raison- sentence selon l’article 718.21 du Code cri- continueront leurs efforts de prévention.
nables qu’on estime indiquées pour empê- minel. Elle a fait valoir les investissements
cher l’organisation de commettre d’autres majeurs qui ont été effectués à la suite de
infractions ou réparer le dommage causé l’accident, ainsi que le fait que la sentence
par l’infraction. ne devait pas mettre en péril la survie de
l’entreprise et des emplois. Il a aussi été noté
Comme on peut le constater, la plupart des élé- que l’entreprise n’avait jamais été mise à
ments de probation visent à amener l’entreprise l’amende par la CSST pour un manquement
vers une meilleure prévention. D’ailleurs, en en santé et sécurité du travail.
vertu du paragraphe 732.1 du Code criminel, le
tribunal peut confier à un organisme adminis- Compte tenu des importantes mesures correc-
tratif (la CSST, par exemple) de superviser cer- tives apportées par l’entreprise, le tribunal a
tains éléments de l’ordonnance de probation. décidé de condamner l’entreprise à 100 000 $
d’amende – comme le suggérait la Couronne et
Suramende compensatoire la défense – et à une suramende de 10 000 $.
Compte tenu des actions entreprises à la suite
En plus de l’amende prévue, le tribunal peut
de l’accident, le juge a signalé que l’employeur
même condamner une personne ou une orga-
n’est pas une compagnie insensible et qu’elle
nisation à une suramende compensatoire
n’a tiré aucun avantage du fait de l’infraction.
(737 (1). Certaines règles régissent l’établis-
Le juge a souligné qu’avant l’accident, il y avait
sement de la suramende, mais le tribunal
un comité de santé et sécurité du travail, un
peut, à sa discrétion, infliger une suramende
code de conduite, des règlements, etc. Puis, il
supérieure à ce que prévoit le Code criminel.
a ajouté : Ce n’est donc pas de façon active
L’alinéa 5 prévoit que : les suramendes com-
ou positive que l’entreprise a commis l’infrac-
pensatoires sont affectées à l’aide aux vic-
tion, mais par inaction, de façon passive, sans
times d’actes criminels en conformité avec
planification.
les instructions du lieutenant-gouverneur en
conseil de la province où elles sont infligées. Plusieurs éléments de l’article 718.21 du
Code criminel ont été soulevés, entre autres,
Le résultat pour Transpavé que l’entreprise n’avait tiré aucun avantage
La Couronne demandait (après entente avec du fait de la perpétration de l’infraction, que
la défense) 100 000 $ d’amende en vertu de l’amende ne devait pas mettre en péril la sur-
l’article 735.1 du Code criminel. Elle a plai- vie de l’entreprise, surtout considérant les
dé la gravité des conséquences de l’accident, sommes allouées par la suite (plus de
ainsi que le fait que Transpavé, en tant 750 000 $) pour prévenir de pareils acci-
qu’employeur, ne s’était pas acquitté adéqua- dents. Le tribunal a également souligné que
tement de ses devoirs de prévoyance, d’effi- l’entreprise s’est conformée à toutes les
cacité et d’autorité. Le fait que l’entreprise recommandations de la CSST et qu’elle a 1 Ce texte ne constitue en aucune manière une opinion juri-
n’était pas nouvelle dans ce secteur d’activi- démontré son sens des responsabilités à la dique. Il est recommandé de consulter un criminaliste si
té a également été rapporté. suite de l’accident. Le tribunal a précisé en des conseils légaux (ou autres) s’avèrent nécessaires.

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15
QUOI !
C’est de ma faute cet accident !

Comme gestionnaire, vous comprenez, de plus sorte que le travailleur ait les habiletés et les contre l’employeur. De plus, en matière cri-
en plus, l’importance de votre rôle en matière connaissances requises pour accomplir de minelle, toute personne dirigeant le travail
de SST. Et vous mesurez sans doute mieux façon sécuritaire le travail qui lui est confié ». d’autrui pourra être personnellement accusée
l’étendue de vos responsabilités. Mais réalisez- (Nos soulignés) de négligence criminelle en cas d’accident.
vous qu’à la suite d’un accident, que ce soit en
matière pénale ou criminelle, les tribunaux Pour les entreprises de compétence fédérale,
Une responsabilité pour
appelés à analyser la responsabilité de l’entre- c’est le Code canadien du travail – Partie II
prise, pourraient, entre autres, vérifier la qua- qui encadre les responsabilités en SST. Plus le superviseur… et pour ses
lité de la supervision que vous avez exercée ? spécifiquement, l’article 125 (1) contient patrons
Nous vous voyons déjà lever le sourcil et dire : deux paragraphes qui méritent notre atten- Si l’on demeure dans le contexte d’une pour-
quoi, c’est de ma faute cet accident ! tion dans le contexte actuel. suite criminelle, il y a lieu de revenir sur
l’article 217.1, particulièrement sur la notion
En fait, ce qu’il faut comprendre c’est que les Au paragraphe q), on mentionne que l’em- de quiconque dirige l’accomplissement d’un
gestionnaires, et particulièrement les contre- ployeur doit : « offrir à chaque employé, selon travail ou l’exécution d’une tâche. A priori, on
maîtres, les superviseurs et les gestionnaires les modalités réglementaires, l’information, la pense immédiatement au gestionnaire de
de premier niveau sont les représentants de formation, l’entraînement et la surveillance premier niveau (contremaître ou superviseur),
l’employeur auprès des travailleurs. Et, à ce nécessaires pour assurer sa santé et sa sécuri- puisque ce dernier est près des activités, sur
titre, vous pourriez avoir à répondre aux diffé- té » (nos soulignés). On a ici la même intention le plancher, où les risques sont présents et
rentes accusations au nom de l’employeur. que le législateur québécois avec l’obligation qu’il assigne et contrôle le travail. L’article
énoncée ci-haut : le travailleur doit être super- 217.1 vise donc plus spécifiquement les ges-
Votre obligation de supervision visé adéquatement pour assurer sa sécurité. Le tionnaires de premier niveau. Mais pas seule-
Code canadien du travail va plus loin encore en ment eux : les cadres supérieurs peuvent
En effet, quand vient le temps de traiter des
ajoutant au paragraphe z) que l’employeur doit aussi être accusés.
responsabilités de l’entreprise en matière de
« veiller à ce que les employés qui exercent des
santé et de sécurité au travail, on aborde obli-
fonctions de direction ou de gestion reçoivent En effet, tel qu’il est mentionné par les
gatoirement le rôle clé des gestionnaires
une formation adéquate en matière de santé et juristes Bourque et Beauregard, l’application
comme premiers mandataires de ces respon-
de sécurité, et soient informés des responsa- de l’article 217.1 du Code criminel est uni-
sabilités. Comme gestionnaire de premier
bilités qui leur incombent sous le régime de la verselle. « Comme l’article 217.1 s’applique
niveau (superviseur, contremaître, chef
présente partie dans la mesure où ils agissent à tous ceux qui dirigent le travail d’autrui ou
d’équipe), vous êtes le représentant de l’em-
pour le compte de l’employeur ». qui ont l’autorité pour le faire, tous les agents
ployeur auprès des travailleurs, et c’est géné-
ralement vous qui dirigez l’accomplissement d’une organisation qui ont une telle responsa-
Le Code criminel du Canada, lors des modifi- bilité sont visés, quelle que soit la place
du travail. La législation en santé-sécurité de
cations introduites de façon à faciliter la pour- qu’ils occupent dans la hiérarchie. »1
même que les modifications apportées au
suite des entreprises en cas d’accident du tra-
Code criminel du Canada par la loi C-21 sou-
vail grave ou de mortalité (loi C-21), a enfin
lignent d’ailleurs, de façon assez explicite,
introduit une nouvelle notion, soit l’obligation
Mais je ne lui ai pas dit
les responsabilités de l’employeur en matière de prendre des risques !
de la personne qui supervise le travail.
de supervision.
Prenons deux exemples de situations pouvant
217.1 Code criminel du Canada. Il incom- engager la responsabilité d’un superviseur.
D’une loi à l’autre be à quiconque dirige l’accomplissement
La Loi sur la santé et la sécurité du travail d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou 1er cas – Un vendredi vers 15 heures, le bris
(LSST) énonce, à l’article 51, les obligations est habilité à le faire de prendre les sur une machine entraîne l’arrêt de production.
générales de l’employeur : « L’employeur doit mesures voulues pour éviter qu’il n’en Il est possible de réparer ladite machine rapi-
prendre les mesures nécessaires pour proté- résulte de blessure corporelle pour autrui. dement, mais il faut préalablement cadenasser
ger la santé et assurer la sécurité et l’intégri- toutes les énergies. Serge, le contremaître
té physique du travailleur ». Suivent alors une Que ce soit dans un contexte de poursuite demande au travailleur de réparer la machine
série de 15 mesures à prendre (mais elles ne pénale ou criminelle, il faut donc se rappeler au plus vite pour respecter les quotas de la
sont pas limitatives, puisque le législateur que, dans l’utilisation de la diligence raison- journée et l’autorise à outrepasser l’étape du
mentionne « notamment »), dont celles nable comme moyen de défense, l’employeur cadenassage. Le travailleur subit un accident
décrites au paragraphe 9. On y stipule que aura, entre autres, à démontrer qu’il y a eu du travail et se fait amputer deux doigts.
l’employeur doit : « informer adéquatement le supervision adéquate du travail pour prévenir
travailleur sur les risques reliés à son travail l’accident. Un manquement sérieux de la part 2e cas – Mardi matin, Jules, le superviseur de
et lui assurer la formation, l’entraînement et du gestionnaire assurant le rôle de supervi- Mario, constate par hasard que ce dernier tra-
la supervision appropriés afin de faire en sion pourra donc mener à une poursuite vaille à plus de trois mètres de hauteur et

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qu’il ne porte pas son harnais de sécurité. Il assurer que le personnel, sous votre supervi-
décide de terminer ce qu’il avait à faire et se sion, a les connaissances requises pour effec-
promet de le réprimander à la fin de la jour- tuer le travail en toute sécurité. Pour ce faire,
née. Juste avant le dîner, Mario tombe et se vous devez vous assurer, avec le service des
fracture la colonne vertébrale. Il perd l’usage ressources humaines, que vos travailleurs ont
de ses jambes. reçu les formations nécessaires sur les
méthodes sécuritaires de travail. D’ailleurs,
Au niveau légal, est-ce qu’il y a une différen- vous participez aussi à l’entraînement sur le
ce dans les agissements et dans la supervi- terrain par du coaching, par la tenue de ren-
sion exercée par Serge et Jules ? Pas vrai- contres de sécurité régulières, par l’intégra-
ment. Le premier, Serge, a agi par action tion des nouveaux travailleurs.
(commission), puisqu’il a demandé à son tra-
vailleur d’exécuter une action dangereuse. Les gestionnaires de premier niveau doivent
Jules a aussi mal agi, mais par omission, également participer à l’identification des
puisqu’il a omis de faire en sorte que Mario risques dans leur unité de travail. Pour cela,
porte son harnais. On doit se référer à l’article vous disposez de divers moyens : l’inspection
219 du Code criminel qui stipule : des lieux de travail, l’analyse des tâches et
l’enquête des accidents.
« (1) Est coupable de négligence criminelle
quiconque : Vous avez aussi à appliquer les directives et
les mesures de sécurité qui vous sont trans-
a) soit en faisant quelque chose;
mises par vos supérieurs et par les spécia-
b) soit en omettant de faire quelque chose listes en SST de l’entreprise. Vous devez
qu’il est de son devoir d’accomplir, montre veiller au respect des règles de sécurité et, en
une insouciance déréglée ou téméraire à cas de non-respect de celles-ci, il faut appli-
l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. quer des mesures correctives efficaces pou-
vant aller jusqu’à des mesures disciplinaires.
(2) Pour l’application du présent article, Enfin, vous devez donner l’exemple aux
« devoir » désigne une obligation imposée par membres de votre équipe en respectant vous-
la loi. » (Nos soulignés) même les mesures de sécurité.

Dans le deuxième cas, omettre de dire à l’em- Il va sans dire que vous avez vous-même
ployé qu’il se plaçait dans une situation dan- besoin de l’appui de vos supérieurs (qui, rap-
gereuse, tolérer ce comportement et ne pas pelons-le, doivent aussi faire preuve de dili-
prendre de mesures immédiates est aussi un gence raisonnable). De plus, il faut que vous
manquement de la part du superviseur. soyez correctement outillé, entre autres,
grâce à de la formation. Des appuis solides,
au moment d’appliquer des sanctions disci-
J’ai compris ! plinaires, s’avèrent également nécessaires.
Que dois-je faire ?
Plus conscient de la portée de vos gestes, En cas d’accident, plutôt que de déclarer :
actions ou omissions, vous désirez donc « Quoi ! C’est de ma faute cet accident ! »,
savoir ce qu’il y a lieu de faire pour démon- demandez-vous : « Ai-je tout fait pour ne pas 1 BOURQUE, S. et M. BEAUREGARD. Quand l’accident du
trer votre diligence raisonnable. qu’il y ait d’accident ? » À titre de superviseur, travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils
d’administration. Développements récents en droit crimi-
vous avez un rôle clé en santé et sécurité, rôle nel, Éditions Yvon Blais, 2004.
Plusieurs activités relèvent directement de la qui va même au-delà de ce que prescrivent les
2 Pour une liste complète des responsabilités des supervi-
responsabilité des superviseurs et des contre- lois. Un conseil : n’attendez pas d’avoir à vivre
seurs, consultez le document Profil des compétences en
maîtres en matière de SST2. Puisque vous avec les conséquences légales et humaines SST sur le site du Centre patronal de SST,
dirigez le travail, vous devez d’abord vous d’un accident pour en prendre conscience ! au www.centrepatronalsst.qc.ca.

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17
CODE CRIMINEL,
l’entreprise est-elle coupable ?

On le sait déjà, les dispositions au Code cri- Un acte prohibé l’organisation. En effet, de manière pratique, on
minel du Canada permettent les poursuites pourrait soutenir que l’organisation est considé-
L’acte prohibé par un agent constitue la pre-
contre une organisation. Bien que le nouvel rée comme ayant participé à une infraction de
mière des deux conditions à démontrer pour
article 22.1 n’ait pas encore été plaidé, il est négligence criminelle lorsque : a) les agents de
éventuellement conclure à la négligence crimi-
clair qu’il comporte deux aspects précis à l’organisation ont, individuellement ou collecti-
nelle de l’organisation. De ce premier élément,
démontrer pour soutenir qu’une entreprise vement, par leur conduite, commis un acte pro-
nous devons clarifier deux aspects : la notion
soit reconnue coupable de négligence crimi- hibé et b) les cadres supérieurs ont cautionné
reliée à l’acte prohibé et celle reliée à l’agent.
nelle. Sauriez-vous nommer et décrire ces ce manquement par leur laxisme. Par le fait
D’abord, rappelons qu’un acte prohibé est une
deux éléments ? même, ils se sont écartés de la norme de dili-
condition, par action ou par omission d’action,
gence qu’il aurait été raisonnable de s’attendre.
qui a comme conséquence de compromettre
D’abord, rappelons que le Code criminel rend C’est à ce dernier niveau que se situe la preuve
sérieusement la sécurité du travailleur. À titre
possible des accusations contre un individu de l’état d’esprit coupable. Reconnaissant que
d’exemple, un acte prohibé par action pourrait
ou encore contre une organisation. Toutefois, l’état d’esprit coupable constitue la condition
correspondre à exiger qu’un employé retire un
les modifications apportées, en 2004, au essentielle d’une condamnation criminelle,
dispositif de sécurité – rendant ainsi acces-
Code criminel du Canada par le projet de loi c’est la raison pour laquelle on mentionne qu’il
sible la zone dangereuse d’une machine – et
C-45 – maintenant la loi C-21 – visaient à s’agit de la « porte d’entrée » pour des accusa-
que la situation résulte en un accident grave
faciliter les poursuites contre les organisa- tions criminelles.
ou un décès. Et un exemple d’acte prohibé par
tions. Le nouvel article 22.1 du Code crimi-
omission d’action pourrait équivaloir, pour un
nel expose les deux conditions pour établir la Ainsi, les cadres supérieurs doivent engager
superviseur, à ne pas vérifier si l’employé pos-
présomption à l’effet que l’organisation, par des actions concrètes relatives à la SST. Par
sède la formation nécessaire pour accomplir
le biais de ses agents et cadres supérieurs, a exemple, on ne s’attend pas à ce qu’un cadre
son travail de façon sécuritaire.
participé à une infraction au Code criminel. supérieur s’assure systématiquement du port
Voici le contenu de l’article 22.1 : des équipements de protection individuelle
Le deuxième élément se réfère à la notion
« d’agent ». Qui cela concerne-t-il ? Tel qu’il (ÉPI) auprès des travailleurs : cette responsabi-
Art. 22.1. S’agissant d’une infraction dont la lité relève généralement du cadre de premier
est défini à l’article 2 du Code criminel du
poursuite exige la preuve de l’élément moral niveau (contremaître, superviseur…). Par
Canada, le terme « agent » fait référence à de
de négligence, toute organisation est consi- contre, un cadre supérieur qui refuserait de
nombreuses personnes. En fait, tout adminis-
dérée comme y ayant participé lorsque : prévoir les fonds suffisants dans le budget pour
trateur, associé, employé, membre, manda-
a) d’une part, l’un de ses agents a, dans le taire ou entrepreneur est considéré comme faire l’acquisition de ces équipements de pro-
cadre de ses attributions, eu une conduite – un agent d’une organisation. Réalisez-vous tection pourrait être un exemple d’insouciance
par action ou omission – qui, prise individuel- que votre entrepreneur – qui n’est même pas et de manquement occasionnant ainsi un éloi-
lement ou collectivement avec celle d’autres sur votre registre du personnel – peu engager gnement de la norme de diligence. Il en est de
de ses agents agissant également dans le la responsabilité de l’organisation en matière même pour un cadre supérieur qui « fermerait
cadre de leurs attributions, vaut participation de négligence criminelle ? les yeux » sur des dérogations majeures aux
à sa perpétration; règles de sécurité (ex. : les règles de cadenas-
sage), ou encore sur des lacunes au niveau de
b) d’autre part, le cadre supérieur dont relève Les cadres supérieurs la supervision quant au port des ÉPI.
le domaine d’activités de l’organisation qui a et la norme de diligence
donné lieu à l’infraction, ou les cadres supé-
rieurs, collectivement, se sont écartés de
La deuxième condition à démontrer pour Conclusion
qu’une organisation soit possiblement accusée
façon marquée de la norme de diligence qu’il L’article 22.1 du Code criminel du Canada
de négligence criminelle correspond à la double
aurait été raisonnable d’adopter, dans les cir- n’a pas encore été interprété lors d’un procès
notion d’âme dirigeante et de diligence raison-
constances, pour empêcher la participation à par les tribunaux, mais il demeure évident
nable. Ce sont les cadres supérieurs de l’orga-
l’infraction. » que les deux aspects présentés dans ce texte
nisation qui sont précisément visés par l’alinéa
seront à la source des éventuels débats.
b) de l’article 22.1. Bien entendu, ces derniers
Ainsi, l’organisation (personne morale) pourra ne sont pas directement des acteurs de pre-
être tenue criminellement responsable si la mière ligne en termes d’intervention préventive,
poursuite démontre les deux conditions sui- mais cela n’enlève pas pour autant leur respon-
vantes : a) un acte prohibé commis par un sabilité pour éviter des accusations criminelles
agent et b) les cadres supérieurs s’écartent contre l’organisation. Bien au contraire, les
de façon marquée de la norme de diligence cadres supérieurs constituent la « porte d’en-
qu’il aurait été raisonnable d’adopter. trée » vers des accusations criminelles contre

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Suite de la page 7

Voici, en un coup d’œil, un résumé des différences entre le droit criminel et le droit pénal dans
le domaine de la SST.

DROIT CRIMINEL DROIT PÉNAL


Crime par rapport à nos valeurs Infraction réglementaire contrevenant au
fondamentales bien-être du public
Code criminel du Canada LSST ou LATMP et règlements
Poursuivant : le procureur de la Couronne Poursuivant : la CSST
Poursuivi : Poursuivi :
• organisation (article 22.1, Code criminel) • « quiconque » (article 2, LSST),
• individu (« quiconque » articles 217.1 et mais généralement l’employeur
219 du Code criminel)
Doivent être prouvés hors de tout doute Doit être prouvé hors de tout doute
raisonnable : acte prohibé + esprit coupable raisonnable : acte prohibé (élément essentiel)
(intention générale de négligence) « état d’esprit coupable » pas à prouver
1 MARCOTTE, A. Les moyens de défense en matière pénale
Présence de blessure grave ou décès Présence d’un danger immédiat et susceptible dans le contexte de l’obligation de protection du tra-
de causer une blessure est suffisant (pour les vailleur, victime potentielle, Développements récents en
infractions prévues à l’article 237, LSST) SST, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 173.

Imprescriptible Prescription : 1 an à compter de la date 2 Article 242, Loi sur la santé et la sécurité du travail.
(sauf pour les poursuites sommaires) de la perpétration des actes reprochés 3 Voir l’article de la page 18.
(article 14 du Code de procédure pénale) 4 En vertu de la LSST et de la Loi sur la recherche des
Conséquences possibles : Conséquences possibles : causes et des circonstances des décès.
• organisation : amende et/ou mesures • organisation ou individu : amende, 5 BOURQUE, S. et M. BEAUREGARD. Quand l’accident de
probatoires pas d’emprisonnement travail devient un crime : C-21, la terreur des conseils
• individu : amende et/ou emprisonnement, d’administration, Développements récents en SST,
Éditions Yvon Blais, 2004, p.145.
casier judiciaire
6 R. c. White [1999] 2 R.C.S. 417.
Moyen de défense : Moyens de défense :
• diligence raisonnable • diligence raisonnable 7 R. c. Amway [1989] 1 R.C.S. 21.
• impossibilité absolue 8 Délai au terme duquel un droit non exercé est perdu
• nécessité (prescription extinctive).
• erreur induite par une personne en autorité 9 Voir l’article de la page 14.

Code criminel du Canada et lois en SST : obligations et diligence raisonnable


Depuis 25 ans, le Centre patronal de santé et Conférencières CONFÉRENCE
sécurité du travail du Québec lance un mes- Me Maryline Rosan ou Me Isabelle Gagnon
sage clair aux dirigeants des entreprises : la (selon les dates)
haute direction doit assumer le leadership de Avocates et conseillères en SST au Centre patronal
la santé et de la sécurité du travail. Or voilà
que le législateur fédéral impose maintenant Cette conférence présente les circonstances pouvant amener des poursuites pénales (de la
cette voie. part de la CSST) et criminelles (par le procureur général) contre l’entreprise et les représen-
tants de l’employeur, ainsi que les conséquences liées à de tels manquements.
Comme il en est fait mention à la page 4, le
Code criminel du Canada comporte, depuis Les points suivants sont abordés :
le 31 mars 2004, des dispositions pouvant • les modifications apportées au Code criminel du Canada par la loi C-21 (projet de loi C-45)
faciliter les poursuites contre une organisa- et la portée de celui-ci en santé-sécurité du travail;
tion à la suite d’un accident du travail ayant • les principales obligations de sécurité de l’employeur et du travailleur;
entraîné un décès ou une blessure grave. • les conséquences administratives, civiles et pénales en cas de manquement aux règles de
sécurité;
Pour bien sensibiliser et informer votre • le rôle de l’inspecteur de la CSST dans le processus administratif et pénal;
équipe de gestion à ce sujet, nous vous pro- • les moyens de défense en cas de poursuite pénale, principalement la défense de diligence
posons, en complément au présent numéro raisonnable.
de Convergence, la populaire conférence
Code criminel du Canada et lois en SST : Un séminaire traitant du même sujet s’adresse spécifiquement aux employés et peut être
obligations et diligence raisonnable. Nos également présenté dans votre entreprise.
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CENTRE PATRONAL DE SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC Août 2008


19
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TÉLÉPHONE : 514 842-8401


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