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La Poésie
Française
à travers ses succès
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@ Larousse-Bordas 1997
ISBN : 2 - 0 3 - 5 0 8 0 1 3 - 4
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L a P o é s i e
F r a n ç a i s e
à travers ses succès
LARÓGSSE
I
21, RUE DU M O N T P A R N A S S E - 75283 PARIS C E D E X 06
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SOMMAIRE
1945 • 1996
CONTEMPORAINES
L a p e t i t e E s p é r a n c e (Péguy) 128
Présentation de la Beauce à Notre-Dame
d e C h a r t r e s (Péguy) 130
Les P â q u e s à N e w York (Cendrars) 132
Z o n e (Apollinaire) 138
L e P o n t M i r a b e a u (Apollinaire) 143
L ' A d i e u (Apollinaire) 144
R o s e m o n d e (Apollinaire) 145
M a r i e (Apollinaire) 146
Les S a i s o n s (Apollinaire) 148
S i j e m o u r a i s l à - b a s (Apollinaire) 149
L ' I n g é n u e (Toulet) 150
N o m a d e (Reverdy) 151 La Compagne du vannier (Char) 171
Îles (Cendrars) 152 La Rose et le Réséda (Aragon) 172
P r o s p e c t u s (Desnos) 153 Il n'y a pas d'amour heureux (Aragon) 174
L e s G r e n a d e s (Valéry) 154 Pater noster (Prévert) 176
L ' A m o u r e u s e (Eluard) 155 Barbara (Prévert) 177
E m p o r t e z - m o i (Michaux) 156 Les Feuilles mortes (Prévert) 178
L ' U n i o n libre (Breton) 157 Allégeance (Char) 180
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L'éditeur.
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m m m m m
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A u x timides éclats annonciateurs alors ses premiers pas vers la liber- dience de la bourgeoisie naissante.
té. Les villes opulentes constituent À la Cour, la poésie jaillit de tous
et précieux qui emplissent la litté- les cœurs et sort de toutes les
rature versifiée du Moyen Âge suc- de véritables foyers de culture.
lèvres. Ses habitants se sont lassés
cèdent les jaillissements de talents Elles possèdent leur imprimerie et
innombrables, vifs et prodigues de diffusent avec la même vivacité les de la poésie de salon pour se tour-
idées comme les poèmes. On y ner vers des œuvres plus violentes
la Renaissance. Dans leur superbe
organise des spectacles drama- et plus périlleuses, évoquant le
effort pour fixer les règles de la
tiques et des concours de poésie. plus souvent les souffrances de
langue française, les poètes, qu'ils
Ainsi se concrétise l'essor d'une l'amour, l'éphémère beauté des
soient pétrarquisants, poètes des
tavernes, survivants des guerres de poésie destinée à un public de corps, mais aussi une certaine
commanditaires, puis élargie aux douceur de vivre.
Religion, huguenots ou libertins, La création est abondante et joyeu-
se révèlent des esprits fantasques, fidèles et aux courtisans des palais.
des hors-la-loi ou des coureurs de La société élégante qui évolue se. L'époque réussit cette synthèse
miraculeuse de la connaissance et
mauvais lieux. auprès des riches seigneurs s'enivre
des vers de ces poètes, tandis que de la sensibilité. Elle demeure l'âge
Débarrassée des conventions cour-
toises et mondaines, la poésie fait les poèmes lyriques gagnent l'au- d'or de la poésie française.
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D'origine champenoise, mais ayant principalement vécu à Paris, Rutebeuf étudie un temps à la faculté .
des Arts, avant de mener une vie fantaisiste et aléatoire. Jongleur professionnel, il pratique son art pour plaire
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et monnayer son talent auprès de riches seigneurs. Ne négligeant aucun mode d'expression - fabliau, dit, 6
chanson, complainte ou satire -, il écrit sur commande pour d'illustres protecteurs (Saint Louis, le comte de 2
Poitiers) des complaintes funèbres ou des vies de saints et s'avère un formidable propagandiste des croisades
en Terre sainte.
Mais la malchance qui le poursuit lui inspire entre 1261 et 1262 cette complainte, reflet de sa précarité et
du dénuement dans lequel il se trouve. Ne voyant plus que d'un œil, malheureux en amour, il trace le
portrait d'un homme porté à la dérision de soi et à un humour qui est un peu « la politesse du désespoir ».
Cette évocation poignante de la misère des temps préfigure déjà le Grand Testament de Villon. En 1955, Léo
Ferré lui rend un vibrant hommage en enregistrant d'après sa complainte le titre Pauvre Rutebeuf
CE SONT AMIS
QUE VENT EMPORTE
I n u t i l e que je vous raconte
comment j'ai sombré dans la honte :
vous connaissez déjà l'histoire,
de quelle façon
j'ai récemment pris femme,
une femme sans charme et sans beauté.
Ce fut la source de mes maux
qui ont duré plus d'une semaine,
car ils ont commencé avec la pleine lune. ^
Écoutez donc,
vous qui me demandez des vers
quels avantages j'ai tirés
du mariage.
Je n'ai plus rien à mettre en gage ni à vendre :
j'ai dû faire face à tant de choses,
eu tant à faire.
RUTEBEUF
(entre 1230 et 1285)
In la Complainte de Rutebeufsur son œil (1261-1262)
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Née à Venise où elle ne reste que cinq années, Christine de Pisan vient en France, avec son père, l'astrologue
Thomas de Pizani, appelé comme conseiller auprès du roi Charles V. Très tôt, elle manifeste un goût pour
les études philosophiques et littéraires. Ces activités sont, pour elle, non seulement une nécessité pratique,
mais un moyen de trouver sagesse et consolation après les revers de fortune qu'elle a dû subir.
Le souci de sa condition l'amène tout aussi bien à glorifier l'œuvre de Jeanne d'Arc ou à effectuer des travaux
de chroniqueur (Livre desfaits et bonnes mœurs du sage roi Charles V, 1404), qu'à écrire des compositions
poétiques très diverses afin de conserver la faveur des princes dont elle attend les subsides.
Sa production poétique est variée. Mais ses moyens d'existence restent au centre de ses préoccupations. Ainsi,
le décès de son mari Etienne de Castel, notaire royal, en 1389, lui inspire cette ballade où poésie personnelle
et tradition courtoise sont inséparables. Elle y chante la perte de son époux et la douleur d'être seule.
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Petit-fils de Charles V, fils de Louis de France, duc d'Orléans et de Valentine de Milan, Charles d'Orléans
connaît une « jeunesse fleurie », selon sa jolie expression, dans une cour brillante et raffinée où les arts ont
droit de cité. Mais l'assassinat de son père en 1407 par les hommes du duc de Bourgogne, la mort de sa mère
en 1408, puis celle de sa jeune épouse un an plus tard font basculer son destin.
En 1415, il est à l'avant-garde dans la malheureuse bataille d'Azincourt. S'il en réchappe, il lui faut demeurer
vingt-cinq années captif en Angleterre. L'inaction forcée du grand seigneur force sa vocation. Aux ballades
composées durant ces années-là, il ajoute de nombreux rondeaux lors de son retour en France en 1440. Retiré
dans son château de Blois où l entourent artistes, musiciens et poètes - François Villon est de ceux-là avec
qui il concourt en des joutes sur des thèmes à la mode, ce « prince-poète » chante l amour des belles saisons et
se souvient des longs moments qu'il passa en prison, regardant de sa lucarne le doux pays de France.
Charles d'ORLÉANS
(Paris, 1394 - Amboise, 1465)
Rondeaux, in Choix des Poésies de Charles d'Orléans, 1778
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De son véritable nom François de Montcorbier ou des Loges, François Villon emprunte à son maître
Guillaume de Villon le nom que celui-ci a rendu célèbre. Bien que doté d'une solide éducation, la vie de cet
étudiant doué (il est licencié et maître ès arts) est une étonnante succession de forfaits, vols et nuits de
débauche, interrompus de temps à autre par la prison et les condamnations. Il s'acoquine plus volontiers
à des malfaiteurs, les coquillards, qu'il ne fréquente les clercs studieux et rangés. Souvent écrits sous le coup
de ses mésaventures, ses poèmes échappent cependant à l'anecdote et aux faits divers crapuleux.
De la prodigieuse variété de ballades qu'il compose entre 1456 et 1463, abordant de multiples registres,
la Ballade des dames du temps jadis reste la plus célèbre. Dans cette complainte passent les figures
de personnages illustres et légendaires, souvent rattachés à des récits mythologiques.
Déjà, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, le poème Mystère d'amour de l'Anglais Thomas de Hales évoquait
avec un accent identique les dames du temps passé. Bien plus tard, en 1954, Georges Brassens enregistra ce
poème qu'il mit en musique sur son deuxième album.
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C'est sous le titre « Frères humains » que Léo Ferré mit en musique et interpréta ce poème en 1980. Mais
il nous faut remonter en janvier 1463 pour connaître le moment de sa création. Au lendemain de son
arrestation, après une rixe rue de la Parcheminerie où fut blessé un notaire pontifical, Villon compose son
épitaphe, plus connue sous le nom de Ballade des pendus et qui témoigne de la variété de son œuvre, souvent
empreinte d'une gravité émouvante et pure. Dans l'attente de son châtiment, le poète imagine ce que sera
sa mort. Condamné à être « pendu et étranglé » après avoir subi le supplice de l'eau, sa peine sera finalement
commuée en bannissement pour dix ans de Paris. Dès lors, on ne saura plus rien de son existence.
Au XVe siècle, époque de la fin de la guerre de Cent Ans et des grandes épidémies, le thème de la danse
macabre était l'objet de multiples représentations peintes. Ultérieurement, certains poèmes de Verlaine ou
les complaintes mélancoliques d'Apollinaire aborderont de nouveau ce thème.
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Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous les hommes n'ont pas bon sens rassis ;
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis ;
Pies et corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur nous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
À lui n'ayions que faire ni que soudre.
Hommes, ici n'est point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
François VILLON (François de Montcorbier, dit)
1431 - 1465 env.
Œuvres, 1489
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La protection de la sœur du roi, Marguerite d'Angoulême, future reine de Navarre, dont il fut un temps
le valet de chambre, n'empêche pas Clément Marot d'être menacé, notamment en raison de ses mœurs.
L'affaire politico-religieuse « des placards », dans laquelle il est impliqué, interrompt ainsi sa carrière
naissante de poète. Il se réfugie alors à Ferrare comme bon nombre de huguenots, puis dans la Cité
des doges, à Venise, pour ne revenir en France que deux ans plus tard, après son abjuration solennelle.
C'est durant cette période d'exil qu'il compose de nombreuses épîtres adressées à François Ier, auquel
il demande sa protection, et qu'il s'adonne à un genre poétique en vogue à la Renaissance : le blason, pièce
composée de petits vers à rimes plates qui fait l'éloge des différentes parties du corps féminin. À la sensualité
italienne héritée de Pétrarque, Clément Marot mêle une verve toute gauloise dont Paul Eluard et André
Breton s'inspireront à leur manière dans certaines de leurs œuvres.
LE BEAU TÉTIN
T étin refait, plus blanc qu'un œuf, À bon droit heureux on dira
Tétin de satin blanc tout neuf, Celui qui de lait t'emplira,
Tétin qui fait honte à la rose, Faisant d'un tétin de pucelle,
Tétin plus beau que nulle chose Tétin de femme entière et belle.
Tétin dur, non pas tétin, voir, C l é m e n t MAROT
Mais petite boule d'ivoire, (Cahors, 1496 - Turin, 1544)
Au milieu duquel est assise Œuvres, édition de chez Dolet, Lyon, 1538.
Adaptation orthographique Larousse
Une fraise, ou une cerise
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage qu'il est ainsi :
Tétin donc au petit bout rouge,
Tétin qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller :
Tétin gauche, tétin mignon,
Toujours loin de son compagnon,
Tétin qui porte témoignage
Du demourant du personnage,
Quand on te voit, il vient à maint
Une envie dedans les mains
De te tâter, de te tenir :
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendrait une autre envie.
Ô Tétin ne grand, ne petit,
Tétin meurt, tétin d'appétit,
Tétin qui nuit et jour criez :
Mariez moi tôt, mariez !
Tétin qui t'enfle, et repousse
Ton gorgias de deux bons pouces,
V
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De nouveau contraint à l'exil en 1542, Clément Marot mène une existence aventureuse de Genève, où
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5 l'accueille Calvin durant une année, au Piémont, en passant par la Savoie.
4 Aux longs poèmes allégoriques élaborés au début de sa carrière succèdent, sur un ton plus grave, parfois
0 emprunt de mélancolie, de multiples petites pièces concises. Au soir de sa vie, alors qu'il se trouve à Turin,
il compose cette épigramme (il en fit deux cent quatre-vingt-quatorze au cours de sa vie et s'affirma
comme le maître du genre), qui est l'une des dernières recueillies après sa mort.
Mésestimé par les poètes qui lui succèdent, Clément Marot sera très apprecié au XVIIe siècle par les écrivains
classiques. La Fontaine, qui lui rend hommage dans ses vers. La Bruyère, qui l'évoque en ces termes : « Marot,
par son tour et son style, semble avoir écrit depuis Ronsard : il n'y a guère entre ce premier et nous que
la différence de quelques mots. »
PLUS N E SUIS
CE QUE J'AI ÉTÉ...
Plus ne suis ce que j'ai été,
Et plus ne saurais jamais l'être.
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t'ai servi sur tous les Dieux.
Ah si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !
C l é m e n t MAROT
(Cahors, 1496 - Turin, 1544)