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La Poésie
Française
à travers ses succès
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@ Larousse-Bordas 1997

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par quelque procédé que ce soit, du texte et/ou de la nomenclature contenus
" dans le présent ouvrage, et qui sont la propriété de l'Éditeur,
est strictement interdite.
Distributeur exclusif au Canada : les Éditions Françaises Inc.

ISBN : 2 - 0 3 - 5 0 8 0 1 3 - 4
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DU MOYEN ÂGE À NOS JOURS

L a P o é s i e

F r a n ç a i s e
à travers ses succès

Choix des textes et introductions


EMMANUEL DE WARESQUIEL
ET BENOÎT LAUDIER

LARÓGSSE
I
21, RUE DU M O N T P A R N A S S E - 75283 PARIS C E D E X 06
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SOMMAIRE

1261 . 1578 1621 . 1796


VERS L'ÂGE
UNE RENAISSANCE CLASSIQUE

Ce sont amis que vent emporte (Rutebeuf) 15


À qui dira-t-elle sa peine ? (C. de Pisan) 16
Le Temps a laissé son manteau (C. d'Orléans) 17
Ballade des dames du temps jadis (Villon) 18
Ballade des pendus (Villon) 19
Le beau tétin (Marot) 21
Plus ne suis ce que j'ai été (Marot) 22
La Complainte du désespéré (Du Bellay) 23
Mignonne, allons voir si la rose (Ronsard) 24
Heureux qui comme Ulysse (Du Bellay) 26
Je n'écris point d'amour (Du Bellay) 27
Hélas ! Combien de jours (La Boétie) 28
Je suis le champ sanglant (D'Aubigné) 29
Quand vous serez bien vieille (Ronsard) 31
Comme on voit sur la branche (Ronsard) 32

Le Matin (Th. de Viau) 35


Et la mer et l'amour (Marbeuf) 37
Beauté, mon beau souci (Malherbe) 38
Le Paresseux (Saint-Amant) 39
Récit de Rodrigue (Corneille) 40
Les Imprécations de Camille (Corneille) 42
Consolation à Idalie sur la mort
d'un parent (Tristan LHermite) 43
Stances à la marquise (Corneille) 44
LAveu de Néron (Racine) 45
LAdieu de Bérénice (Racine) 46
La Satire de Chrysale (Molière) 47
Lamentation de Phèdre (Racine) 49
Les Animaux malades
de la peste (La Fontaine) 52
Les deux pigeons (La Fontaine) 54
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Le Songe d'Athalie (Racine) 56 Le Lac (Lamartine) 73


Le Mondain (Voltaire) 57 L A u t o m n e (Lamartine) 75

Épître à Horace (Voltaire) 59 É l o a (Vigny) 76


Que le bonheur arrive lentement (Parny) 60 Les D j i n n s (Hugo) 77
L'Hospitalité (Fabre d'Églantine) 61 Ballade à la l u n e (Musset) 80
Chanson morale (Boufflers) 62 A m o u r (Hugo) 82
Le vieux arbre et le jardinier (Florian) 63 C e siècle avait d e u x ans (Hugo) 83
Plaisir d'amour (Florian) 65 S o n n e t d'Arvers (Arvers) 85
Le Chant du départ (M.-J. Chénier) 66 La N u i t d e d é c e m b r e (Musset) 86

La jeune captive (A. Chénier) 68 La m o r t d u l o u p (Vigny) 89


Les Patentes (Pitou) 70 D e m a i n dès l ' a u b e (Hugo) 92
El D e s d i c h a d o (Nerval) 93
Les B i j o u x (Baudelaire) 94
La C h e v e l u r e (Baudelaire) 95
L A l b a t r o s (Baudelaire) 97

1818 . 1909 Le Voyage (Baudelaire) 98


Le Rêve d u j a g u a r (Lecomte de Lisle) 100
ROMANTISMES M o n rêve familier (Verlaine) 101
C h a n s o n d ' a u t o m n e (Verlaine) 102
Le T e m p s des cerises (Clément) 103
R o m a n (Rimbaud) 104
Le B â t e a u ivre (Rimbaud) 105
L ' É t e r n i t é (Rimbaud) 108
Il p l e u r e d a n s m o n c œ u r (Verlaine) 109
J'ai rêvé les a m o u r s divins (Cros) 110
É p i t a p h e (Corbière) 111
La C h a n s o n d e G a s p a r d H a u s e r (Verlaine) 112
D ' u n e p r i s o n (Verlaine) 113
Le T o m b e a u d ' E d g a r Poe (Mallarmé) 114
La C h a n s o n d u p e t i t
h y p e r t r o p h i q u e (Laforgue) 115
Brise m a r i n e (Mallarmé) 116
Il est u n p o r t (Régnier) 117
Les C o n q u é r a n t s (Hérédia) 118
Le p e t i t cheval (Paul Fort) 119
La Prière (Jammes) 120
H i é r o g l y p h e (Cros) 122
La N é g r e s s e b l o n d e (Fourest) 123
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La Fourmi (Desnos) 159


1911 . 1945 Plain-chant (Cadou) 160
LA MODERNITÉ Le cageot (Ponge) 161
Liberté (Eluard) 162
Couvre-feu (Eluard) 164
À la France (Jouve) 165
Comme un fleuve s'est mis (Cadou) 168

1945 • 1996
CONTEMPORAINES

A v e n u e d u M a i n e (Max Jacob) 127

L a p e t i t e E s p é r a n c e (Péguy) 128
Présentation de la Beauce à Notre-Dame
d e C h a r t r e s (Péguy) 130
Les P â q u e s à N e w York (Cendrars) 132
Z o n e (Apollinaire) 138
L e P o n t M i r a b e a u (Apollinaire) 143
L ' A d i e u (Apollinaire) 144
R o s e m o n d e (Apollinaire) 145
M a r i e (Apollinaire) 146
Les S a i s o n s (Apollinaire) 148
S i j e m o u r a i s l à - b a s (Apollinaire) 149
L ' I n g é n u e (Toulet) 150
N o m a d e (Reverdy) 151 La Compagne du vannier (Char) 171
Îles (Cendrars) 152 La Rose et le Réséda (Aragon) 172
P r o s p e c t u s (Desnos) 153 Il n'y a pas d'amour heureux (Aragon) 174
L e s G r e n a d e s (Valéry) 154 Pater noster (Prévert) 176
L ' A m o u r e u s e (Eluard) 155 Barbara (Prévert) 177
E m p o r t e z - m o i (Michaux) 156 Les Feuilles mortes (Prévert) 178
L ' U n i o n libre (Breton) 157 Allégeance (Char) 180
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Art poétique (Queneau) 181 ANNEXES


Si tu t'imagines (Queneau) 184
Monsieur interroge Monsieur (Tardieu) 185
Théâtre (Bonnefoy) 187
Vrai Nom (Bonnefoy) 189
Je chante pour passer le temps (Aragon) 190
L Étrangère (Aragon) 191
Tard dans la vie (Reverdy) 193
Ne me quitte pas (Brel) 194
La Javanaise (Gainsbourg) 196
Elaeudanla Teïteïa (Gainsbourg) 197
L'Éternité (Guillevic) 198
Le Règne minéral (Dupin) 199
Vents (Saint-John Perse) 200
Toi (Deguy) 202
À vif enfin la nuit (B. Noël) 203
Ajournement (Du Bouchet) 205
Dans la maison (Réda) 206
La Mémoire et la Mer (Ferré) 207
Plus aucun souffle (Jaccottet) 210
Trois leçons de morale (Hocquart) 211
Lumière par exemple (Roubaud) 212
LAnge déchu (Murat) 213
Une histoire de bleu (Maulpoix) 214
J'abrite un peuple d'oiseaux (Orizet) 216
I n d e x des auteurs 221
LInsupportable Retour
des mini-jupes (Houellebecq) 217 Références et légendes i c o n o g r a p h i q u e s 227
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J- oute anthologie est affaire d'humeur. Et de conviction. Nulle contrainte ne


doit, si ce n'est le nombre limité de pages, inhérent à toute publication, venir
entraver l'ordre des choix effectués. Seul le plaisir retiré de la lecture des textes
participe de son élaboration. Le mot d'ordre est de ne pas ennuyer le lecteur.
Une anthologie se doit pourtant de respecter le principe dicté par son étymolo-
gie, à savoir « choisir la fleur » de la poésie. Française en l'occurrence. Elle est
donc une sélection, non un historique.
La méthode a naturellement ses défauts. Certains poètes, tout aussi fréquen-
tables que ceux présentés ici, auraient pu figurer en bonne place dans ce florilè-
ge. Ces omissions sont regrettables, mais elles sont propres à l'exercice. Ainsi cer-
tains lecteurs regretteront-ils sans doute que tel ou tel poème qu'ils aiment plus
particulièrement n'y figure pas. D'autres s'étonneront du choix de tel autre qu'ils
n'aiment pas. La question des critères de sélection reste ouverte. Elle fait naître
des désaccords. Mais ce risque est toujours préférable au silence.
Le pari est d'autant plus ambitieux que les lacunes sont inévitables. Nous
avons donc cherché à donner une idée la plus représentative qui soit de la poé-
sie française depuis le XIIIe siècle. Il est un fait que la langue française, relayant
l'ancien français, langue riche et nuancée, mais peu compréhensible - sauf à
recourir à une minutieuse adaptation ou à la traduction - au lecteur contempo-
rain, ne devient intelligible qu'à partir de cette date. Elle ne peut débuter, chro-
nologie oblige, qu'à la fin du Moyen Âge.
Le principe de cette anthologie est de mêler divers genres poétiques : poésie
lyrique, dramatique, épique, satirique et narrative, auxquelles sont ajoutées
quelques chansons, considérées, à juste titre, comme des poèmes à part entière.
Car les domaines de la poésie et de la chanson ont des frontières bien fragiles.
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Elle repose, contrairement à d'autres anthologies régies par un souci d'équilibre


entre les auteurs qu'elle présente, sur la qualité des poèmes présentés et la noto-
riété de leur auteur (ce critère ne vaut pas pour les contemporains dont l'œuvre
n'est pas encore reconnue - ou est en devenir -, et qui ne possèdent pas encore
le prestige de leurs aînés).
À travers l'ensemble de ces textes se dessine l'histoire de la poésie et de la
langue française. De cette histoire, nous avons tenté de souligner les principales
étapes, les points de rupture ainsi que les principaux courants. En leur temps,
tous les poètes furent glorieux ou bannis. Tous jouèrent un rôle important dans
l'évolution du genre poétique, parfois au prix de querelles incessantes. Aucun ne
laissa indifférent. C'est là l'essentiel. Certains, bien qu'éloignés dans le temps,
restent par bien des aspects proches de la sensibilité de notre époque. Alors que
d'autres pourraient se révéler comme des précurseurs de nos avant-gardes.
Chacun d'eux, à quelques exceptions près pour la partie la plus récente,
devrait rappeler à tout amateur de poésie des souvenirs d'école et de lycée, ou de
lectures ultérieures.
Ici, la perspective historique et chronologique ne prétend pas figer le mouve-
ment de la création poétique, ni enfouir dans une nécropole les grands modèles
classiques. Elle vise à mettre en relief, dans leur continuité historique, les
moments forts qui correspondent aux principales étapes de l'évolution de cette
création. Son déroulement reste imparfait, car la division des époques, autant
que celle des siècles, qui est souvent pratiquée dans d'autres ouvrages, est illu-
soire. Ces frontières bien artificielles ne suivent pas toujours l'évolution de la
poésie. Elles n'ont aucune valeur absolue. Cependant, elles constituent des
points d'ancrage sur l'échelle du temps afin de marquer de façon sensible les dif-
férentes esthétiques qui se sont succédé.
Les contemporains, qui auraient pu faire l'objet d'une entreprise distincte, ne
sont pas oubliés. Leur importance n'est pas à négliger. Elle indique que la poé-
sie n'a rien perdu de la vivacité qu'elle avait à la fin du siècle dernier ou dans
l'entre-deux-guerres. Et qu'elle continue d'être un genre majeur de notre littéra-
ture, malgré le relatif silence dans lequel elle est cantonnée. Sa richesse demeure
incomparable. Mais le choix n'en a été que plus difficile.
Il n'est pas impossible que le lecteur désire faire plus ample connaissance avec
un auteur et son œuvre. Chacun possède une voix bien distincte et ne ressemble
à aucun autre. Même s'il est parfois aisé de tisser des liens ou de trouver des réso-
nances entre les œuvres composées à travers les âges, tous possèdent leur singu-
larité. Leurs thèmes sont variés. Pourtant, ce n'est pas l'effet du hasard si la majo-
rité de ces poèmes sont consacrés à l'expression des joies et des souffrances amou-
reuses. Les guerres, le patriotisme exercent également une influence, mais moins
forte que les souvenirs d'enfance et de jeunesse.
Chacun des poèmes présentés est précédé d'une courte notice introductive.
Loin de viser à l'exhaustivité, ces introductions se bornent à éclairer la formation
des poèmes, la ou les influences qui les ont nourris. Alimentées par des éléments
de la vie du poète - nous n'avons pas hésité à puiser dans des sources biogra-
phiques chaque fois que cela nous a semblé nécessaire -, des anecdotes rappor-
tées, des correspondances ou des jugements critiques, souvent postérieurs à la
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publication de l'œuvre, elles tentent de mettre le poème en situation. Les sources


qui l'ont inspiré, le retentissement qu'il a eu et les éventuelles adaptations dont
il a fait l'objet ont également été prises en compte afin de lui restituer tout son
prestige. Il nous fallait également exprimer ce que représente le poète, la place
qu'il occupe dans la société de son temps, les possibilités d'expression et de dif-
fusion dont il disposait alors, parfois les interdictions qu'il dut subir.
Cette anthologie se veut aussi un hommage aux éditeurs, importants ou non,
aux revues connues ou méconnues dont le rôle pour la défense de la poésie est
considérable, et aux quelques critiques courageux qui continuent de faire parta-
ger leur engouement pour ce genre littéraire.
Elle couvre cinq siècles de poésie française. Destinée autant à un public
connaisseur de la poésie qu'à celui qui ne soupçonne pas toujours l'étendue de
sa richesse, elle n'est rien d'autre qu'une invitation au voyage dans l'univers du
sens. Puisse-t-elle susciter chez tout amateur le désir de retrouver ses œuvres pré-
férées, mais aussi exciter sa curiosité pour celles encore inconnues et toujours
émouvantes. Souhaitons que cet amour soit contagieux.
Si la question de la survie de la poésie dans le monde actuel se pose de maniè-
re aiguë, celle-ci se doit d'être subversive, déstabilisatrice du confort moral. Pour
cela, elle dispose de toute la charge explosive que contiennent les mots. Alors la
parole de Charles Baudelaire gardera toute sa signification : « Tout homme bien
portant peut se passer de manger pendant deux jours, - de poésie, jamais. »

L'éditeur.
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m m m m m
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VERS UNE RENAISSANCE

A u x timides éclats annonciateurs alors ses premiers pas vers la liber- dience de la bourgeoisie naissante.
té. Les villes opulentes constituent À la Cour, la poésie jaillit de tous
et précieux qui emplissent la litté- les cœurs et sort de toutes les
rature versifiée du Moyen Âge suc- de véritables foyers de culture.
lèvres. Ses habitants se sont lassés
cèdent les jaillissements de talents Elles possèdent leur imprimerie et
innombrables, vifs et prodigues de diffusent avec la même vivacité les de la poésie de salon pour se tour-
idées comme les poèmes. On y ner vers des œuvres plus violentes
la Renaissance. Dans leur superbe
organise des spectacles drama- et plus périlleuses, évoquant le
effort pour fixer les règles de la
tiques et des concours de poésie. plus souvent les souffrances de
langue française, les poètes, qu'ils
Ainsi se concrétise l'essor d'une l'amour, l'éphémère beauté des
soient pétrarquisants, poètes des
tavernes, survivants des guerres de poésie destinée à un public de corps, mais aussi une certaine
commanditaires, puis élargie aux douceur de vivre.
Religion, huguenots ou libertins, La création est abondante et joyeu-
se révèlent des esprits fantasques, fidèles et aux courtisans des palais.
des hors-la-loi ou des coureurs de La société élégante qui évolue se. L'époque réussit cette synthèse
miraculeuse de la connaissance et
mauvais lieux. auprès des riches seigneurs s'enivre
des vers de ces poètes, tandis que de la sensibilité. Elle demeure l'âge
Débarrassée des conventions cour-
toises et mondaines, la poésie fait les poèmes lyriques gagnent l'au- d'or de la poésie française.
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D'origine champenoise, mais ayant principalement vécu à Paris, Rutebeuf étudie un temps à la faculté .
des Arts, avant de mener une vie fantaisiste et aléatoire. Jongleur professionnel, il pratique son art pour plaire
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et monnayer son talent auprès de riches seigneurs. Ne négligeant aucun mode d'expression - fabliau, dit, 6
chanson, complainte ou satire -, il écrit sur commande pour d'illustres protecteurs (Saint Louis, le comte de 2
Poitiers) des complaintes funèbres ou des vies de saints et s'avère un formidable propagandiste des croisades
en Terre sainte.
Mais la malchance qui le poursuit lui inspire entre 1261 et 1262 cette complainte, reflet de sa précarité et
du dénuement dans lequel il se trouve. Ne voyant plus que d'un œil, malheureux en amour, il trace le
portrait d'un homme porté à la dérision de soi et à un humour qui est un peu « la politesse du désespoir ».
Cette évocation poignante de la misère des temps préfigure déjà le Grand Testament de Villon. En 1955, Léo
Ferré lui rend un vibrant hommage en enregistrant d'après sa complainte le titre Pauvre Rutebeuf

CE SONT AMIS
QUE VENT EMPORTE
I n u t i l e que je vous raconte
comment j'ai sombré dans la honte :
vous connaissez déjà l'histoire,
de quelle façon
j'ai récemment pris femme,
une femme sans charme et sans beauté.
Ce fut la source de mes maux
qui ont duré plus d'une semaine,
car ils ont commencé avec la pleine lune. ^
Écoutez donc,
vous qui me demandez des vers
quels avantages j'ai tirés
du mariage.
Je n'ai plus rien à mettre en gage ni à vendre :
j'ai dû faire face à tant de choses,
eu tant à faire.

RUTEBEUF
(entre 1230 et 1285)
In la Complainte de Rutebeufsur son œil (1261-1262)
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Née à Venise où elle ne reste que cinq années, Christine de Pisan vient en France, avec son père, l'astrologue
Thomas de Pizani, appelé comme conseiller auprès du roi Charles V. Très tôt, elle manifeste un goût pour
les études philosophiques et littéraires. Ces activités sont, pour elle, non seulement une nécessité pratique,
mais un moyen de trouver sagesse et consolation après les revers de fortune qu'elle a dû subir.
Le souci de sa condition l'amène tout aussi bien à glorifier l'œuvre de Jeanne d'Arc ou à effectuer des travaux
de chroniqueur (Livre desfaits et bonnes mœurs du sage roi Charles V, 1404), qu'à écrire des compositions
poétiques très diverses afin de conserver la faveur des princes dont elle attend les subsides.
Sa production poétique est variée. Mais ses moyens d'existence restent au centre de ses préoccupations. Ainsi,
le décès de son mari Etienne de Castel, notaire royal, en 1389, lui inspire cette ballade où poésie personnelle
et tradition courtoise sont inséparables. Elle y chante la perte de son époux et la douleur d'être seule.

À QUI DIRA- T-ELLE SA PEINE...


V
A qui dira-t-elle sa peine,
La fille qui n'a point d'ami ?
La fille qui n'a point d'ami,'
Comment vit-elle ?
Elle ne dort jour ni demi
Mais toujours veille.
Ce fait amour qui la réveille
Et qui la garde de dormir.
À qui dit-elle sa pensée,
La fille qui n'a point d'ami ?
Il y en a bien qui en ont deux,
Deux, trois ou quatre,
Mais je n'en ai pas un tout seul
Pour moi ébattre.
Hélas ! mon joli temps se passe.
Mon téton commence à mollir.

À qui dit-elle sa pensée,


La fille qui n'a point d'ami ?
J'ai le vouloir si très humain
Et tel courage
Que plus tôt anuit que demain
En mon jeune âge
J'aimerais mieux mourir de rage
Que de vivre en un tel ennui.
À qui dit-elle sa pensée,
La fille qui n'a point d'ami ?
C h r i s t i n e de PISAN
(Venise, 1363 - France, 1430)
Ballades du veuvage, in Poésies, 1 4 0 2
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Petit-fils de Charles V, fils de Louis de France, duc d'Orléans et de Valentine de Milan, Charles d'Orléans
connaît une « jeunesse fleurie », selon sa jolie expression, dans une cour brillante et raffinée où les arts ont
droit de cité. Mais l'assassinat de son père en 1407 par les hommes du duc de Bourgogne, la mort de sa mère
en 1408, puis celle de sa jeune épouse un an plus tard font basculer son destin.
En 1415, il est à l'avant-garde dans la malheureuse bataille d'Azincourt. S'il en réchappe, il lui faut demeurer
vingt-cinq années captif en Angleterre. L'inaction forcée du grand seigneur force sa vocation. Aux ballades
composées durant ces années-là, il ajoute de nombreux rondeaux lors de son retour en France en 1440. Retiré
dans son château de Blois où l entourent artistes, musiciens et poètes - François Villon est de ceux-là avec
qui il concourt en des joutes sur des thèmes à la mode, ce « prince-poète » chante l amour des belles saisons et
se souvient des longs moments qu'il passa en prison, regardant de sa lucarne le doux pays de France.

LE TEMPS A LAISSÉ SON MANTEAU...


L e temps a laissé son manteau Hiver, vous n'êtes qu'un vilain.
De vent, de froidure et de pluie, Été est plaisant et gentil :
Et s'est vêtu de broderie, En témoignent mai et avril
De soleil luisant, clair et beau. Qui l'escortent soir et matin.

Il n'y a bête ni oiseau Été revêt champs, bois et fleurs


Qu'en son jargon ne chante ou crie : De son pavillon de verdure
Le temps a laissé son manteau Et de maintes autres couleurs
De vent, de froidure et de pluie. Par l'ordonnance de Nature.

Rivière, fontaine et ruisseau Mais vous, Hiver, trop êtes plein


Portent, en parure jolie, De neige, vent, pluie et grésil ;
Gouttes d'argent d'orfèvrerie ; On vous doit bannir en exil !
Chacun s'habille de nouveau : Sans point flatter, je parle plain :
Le temps a laissé son manteau. Hiver, vous n'êtes qu'un vilain.

Charles d'ORLÉANS
(Paris, 1394 - Amboise, 1465)
Rondeaux, in Choix des Poésies de Charles d'Orléans, 1778
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De son véritable nom François de Montcorbier ou des Loges, François Villon emprunte à son maître
Guillaume de Villon le nom que celui-ci a rendu célèbre. Bien que doté d'une solide éducation, la vie de cet
étudiant doué (il est licencié et maître ès arts) est une étonnante succession de forfaits, vols et nuits de
débauche, interrompus de temps à autre par la prison et les condamnations. Il s'acoquine plus volontiers
à des malfaiteurs, les coquillards, qu'il ne fréquente les clercs studieux et rangés. Souvent écrits sous le coup
de ses mésaventures, ses poèmes échappent cependant à l'anecdote et aux faits divers crapuleux.
De la prodigieuse variété de ballades qu'il compose entre 1456 et 1463, abordant de multiples registres,
la Ballade des dames du temps jadis reste la plus célèbre. Dans cette complainte passent les figures
de personnages illustres et légendaires, souvent rattachés à des récits mythologiques.
Déjà, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, le poème Mystère d'amour de l'Anglais Thomas de Hales évoquait
avec un accent identique les dames du temps passé. Bien plus tard, en 1954, Georges Brassens enregistra ce
poème qu'il mit en musique sur son deuxième album.

BALLADE DES DAMES D U TEMPS JADIS


D i t e s - m o i où, n'en quel pays, La reine Blanche comme un lis,
Est Flora, la belle Romaine ; Qui chantait à voix de sirène,
Archipiada, et Thaïs, Berthe au grand pied, Bietris, Allys,
Qui fut sa cousine germaine ; Harembourgis, qui tint le Maine,
Écho, parlant quand bruit on mène Et Jeanne, la bonne Lorraine,
Dessus rivière ou sur étang, Qu'Anglais brûlèrent à Rouen ;
Qui beauté eut trop plus qu'humaine ? Où sont-ils, Vierge souveraine ?...
Mais où sont les neiges d'antan ? Mais où sont les neiges d'antan ?
Où est la très sage Héloïs, Prince, n'enquérez de semaine
Pour qui fut châtré et puis moine Où elles sont, ni de cet an,
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ? Que ce refrain ne vous remaine :
Pour son amour eut cette peine. Mais où sont les neiges d'antan ?
Semblablement, où est la reine
François VILLON
Qui commanda que Buridan
(François de Montcorbier, dit)
Fût jeté en un sac en Seine ? 1431 - 1465 env.
Mais où sont les neiges d'antan ? Œuvres, 1489

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C'est sous le titre « Frères humains » que Léo Ferré mit en musique et interpréta ce poème en 1980. Mais
il nous faut remonter en janvier 1463 pour connaître le moment de sa création. Au lendemain de son
arrestation, après une rixe rue de la Parcheminerie où fut blessé un notaire pontifical, Villon compose son
épitaphe, plus connue sous le nom de Ballade des pendus et qui témoigne de la variété de son œuvre, souvent
empreinte d'une gravité émouvante et pure. Dans l'attente de son châtiment, le poète imagine ce que sera
sa mort. Condamné à être « pendu et étranglé » après avoir subi le supplice de l'eau, sa peine sera finalement
commuée en bannissement pour dix ans de Paris. Dès lors, on ne saura plus rien de son existence.
Au XVe siècle, époque de la fin de la guerre de Cent Ans et des grandes épidémies, le thème de la danse
macabre était l'objet de multiples représentations peintes. Ultérieurement, certains poèmes de Verlaine ou
les complaintes mélancoliques d'Apollinaire aborderont de nouveau ce thème.

LA BALLADE DES PENDUS


F rères humains qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés cinq, six :
Quant à la chair que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
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Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous les hommes n'ont pas bon sens rassis ;
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis ;
Pies et corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur nous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
À lui n'ayions que faire ni que soudre.
Hommes, ici n'est point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
François VILLON (François de Montcorbier, dit)
1431 - 1465 env.
Œuvres, 1489
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La protection de la sœur du roi, Marguerite d'Angoulême, future reine de Navarre, dont il fut un temps
le valet de chambre, n'empêche pas Clément Marot d'être menacé, notamment en raison de ses mœurs.
L'affaire politico-religieuse « des placards », dans laquelle il est impliqué, interrompt ainsi sa carrière
naissante de poète. Il se réfugie alors à Ferrare comme bon nombre de huguenots, puis dans la Cité
des doges, à Venise, pour ne revenir en France que deux ans plus tard, après son abjuration solennelle.
C'est durant cette période d'exil qu'il compose de nombreuses épîtres adressées à François Ier, auquel
il demande sa protection, et qu'il s'adonne à un genre poétique en vogue à la Renaissance : le blason, pièce
composée de petits vers à rimes plates qui fait l'éloge des différentes parties du corps féminin. À la sensualité
italienne héritée de Pétrarque, Clément Marot mêle une verve toute gauloise dont Paul Eluard et André
Breton s'inspireront à leur manière dans certaines de leurs œuvres.

LE BEAU TÉTIN
T étin refait, plus blanc qu'un œuf, À bon droit heureux on dira
Tétin de satin blanc tout neuf, Celui qui de lait t'emplira,
Tétin qui fait honte à la rose, Faisant d'un tétin de pucelle,
Tétin plus beau que nulle chose Tétin de femme entière et belle.
Tétin dur, non pas tétin, voir, C l é m e n t MAROT
Mais petite boule d'ivoire, (Cahors, 1496 - Turin, 1544)

Au milieu duquel est assise Œuvres, édition de chez Dolet, Lyon, 1538.
Adaptation orthographique Larousse
Une fraise, ou une cerise
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage qu'il est ainsi :
Tétin donc au petit bout rouge,
Tétin qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller :
Tétin gauche, tétin mignon,
Toujours loin de son compagnon,
Tétin qui porte témoignage
Du demourant du personnage,
Quand on te voit, il vient à maint
Une envie dedans les mains
De te tâter, de te tenir :
Mais il se faut bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendrait une autre envie.
Ô Tétin ne grand, ne petit,
Tétin meurt, tétin d'appétit,
Tétin qui nuit et jour criez :
Mariez moi tôt, mariez !
Tétin qui t'enfle, et repousse
Ton gorgias de deux bons pouces,
V
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De nouveau contraint à l'exil en 1542, Clément Marot mène une existence aventureuse de Genève, où
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5 l'accueille Calvin durant une année, au Piémont, en passant par la Savoie.
4 Aux longs poèmes allégoriques élaborés au début de sa carrière succèdent, sur un ton plus grave, parfois
0 emprunt de mélancolie, de multiples petites pièces concises. Au soir de sa vie, alors qu'il se trouve à Turin,
il compose cette épigramme (il en fit deux cent quatre-vingt-quatorze au cours de sa vie et s'affirma
comme le maître du genre), qui est l'une des dernières recueillies après sa mort.
Mésestimé par les poètes qui lui succèdent, Clément Marot sera très apprecié au XVIIe siècle par les écrivains
classiques. La Fontaine, qui lui rend hommage dans ses vers. La Bruyère, qui l'évoque en ces termes : « Marot,
par son tour et son style, semble avoir écrit depuis Ronsard : il n'y a guère entre ce premier et nous que
la différence de quelques mots. »

PLUS N E SUIS
CE QUE J'AI ÉTÉ...
Plus ne suis ce que j'ai été,
Et plus ne saurais jamais l'être.
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t'ai servi sur tous les Dieux.
Ah si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !
C l é m e n t MAROT
(Cahors, 1496 - Turin, 1544)

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