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École pratique des hautes études,

Section des sciences religieuses

Formes sacrificielles dans l'Ancien Testament et le Coran. Étude


comparée des offrandes de Caïn et Abel, du sacrifice d'Abraham et
des sacrifices expiatoires dans le judaïsme et dans l'islam
Khairy Shaarawi

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Shaarawi Khairy. Formes sacrificielles dans l'Ancien Testament et le Coran. Étude comparée des offrandes de Caïn et Abel,
du sacrifice d'Abraham et des sacrifices expiatoires dans le judaïsme et dans l'islam. In: École pratique des hautes études,
Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 114, 2005-2006. 2005. pp. 467-474;

doi : https://doi.org/10.3406/ephe.2005.12527

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_2005_num_118_114_12527

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Formes sacrificielles dans l'Ancien Testament et le Coran
Étude comparée des offrandes de Caïn et Abel,
du sacrifice d'Abraham et des sacrifices expiatoires
dans le judaïsme et dans l'islam

par Khairy Shaarawi

Thèse de doctorat en sciences des religions et systèmes de pensée


préparée sous la direction de M. Pierre Lory,
soutenue le 22 septembre 2005

En lisant le texte de l'Ancien Testament nous trouvons dans le Livre


de la Genèse l'apparition, pour la première fois, d'une offrande à Dieu.
C'est le cas de Caïn et d'Abel (Genèse, iv, 3- 5). Par la suite, après que Noé
eût été sauvé par la protection de Dieu du déluge qui venait d'engloutir la
génération mécréante de l'époque (Genèse, vm, 20), il éprouva le besoin de
présenter des holocaustes sur l'autel. Abraham, quant à lui, bâtit un autel
et invoqua le nom de Dieu (Genèse xn, 8 ; xm, 3-4-18) après avoir été ému
par les promesses et les bénédictions de Celui-ci, lequel le mit grandement
à l'épreuve en lui demandant d'offrir son fils Isaac en holocauste (Genèse
xxii, 1-14).
Dans le Coran le récit de la Genèse correspond au récit concernant des
offrandes présentées par les deux fils d'Adam (Coran V, 27). L'histoire
coranique des deux fils d'Adam a pour point de départ la mention de sacrifice.
La question suscitée par ce passage est de savoir qu'est-ce que le sacrifice,
son sens et sa fonction au sein de ce récit, ainsi que la question sur l'éthique
du sacrifice : comment bien opérer un sacrifice ? Quelle est la meilleure
offrande ? Quel est le lien entre la zakât islamique et l'offrande ?
La sourate xxvui nous offre un récit concis de la vie d'Abraham : sa
lutte contre l'idolâtrie de son peuple, sa prédication monothéiste, la
polémique contre les idoles, la destruction de ces derniers par Abraham et sa
condamnation, son émigration vers Dieu, qui se couronne par l'épisode du
sacrifice. La version islamique du sacrifice d'Abraham diffère-t-elle de la
version biblique ? Soulignons seulement que le texte coranique ne mentionne
ni le lieu où la scène du sacrifice se déroula ni le nom du fils apporté au
sacrifice. Pour expliquer la concision et la discrétion du récit coranique, des
exégètes musulmans et d'autres auteurs ont donné plusieurs commentaires
et interprétations. D'autre part, lorsqu'on lit même rapidement les textes de
l'Ancien Testament et du Coran, on s'aperçoit qu'ils citent d'autres formes
du sacrifice. La question qui se pose ici est de savoir si le sacrifice dans le
Coran est-il semblable ou différent de celui de l'Ancien Testament ? Quels
sont les types de sacrifice que les deux Livres partagent ? Est-ce que les
mobiles, les rites, les fonctions et l'objet sacrifié sont les mêmes ? Les fêtes
célébrées par le sacrifice ont-elles des rituels semblables ?

Annuaire EP HE, Section des sciences religieuses, t. 114 (2005-2006)


468 Formes sacrificielles dans l'Ancien Testament et le Coran

Pour répondre à ces questions nous avons commencé par la comparaison


des formes sacrificielles, qui représentent les terrains de rencontre entre la
Bible et le Coran, comme nous les trouvons clairement dans les deux récits
concernant l'offrande de Caïn et Abel et le sacrifice d'Abraham.
Le Coran utilise le terme qurbân déjà rencontré dans l'Ancien Testament
pour relater l'histoire des deux fils d'Adam. En fait, ce récit de Caïn et Abel
est présenté dans la Bible puis dans le Coran comme une sorte de
commencement de la vie humaine. Il nous raconte non seulement le premier acte d'un
homme par rapport à son frère, mais il cite aussi le premier acte religieux, à
savoir le sacrifice, pratiqué par l'homme depuis l'expulsion du Jardin. Les
deux fils d'Adam voulaient rendre hommage à Dieu en s'approchant de Lui
par le sacrifice, « qurbân » ; cependant, la Bible et le Coran sont muets sur
les motifs qui les ont incités à présenter cette offrande. Devant ce mutisme
du texte sacré, les commentateurs proposèrent des interprétations et des
solutions à ces problèmes selon leur vision propre conditionnée bien sûr par
leur époque. Et puisque rien n'est dit des motifs de ce sacrifice ni d'ailleurs
des raisons du choix de Dieu, pas plus que de la qualité des offrandes d'Abel
(pour l'Ancien Testament) et la piété de l'un et l'impiété de l'autre (pour
le Coran), le recours des interprètes juifs et musulmans aux légendes pour
expliquer cette obscurité du texte peut se comprendre. Sous leur apparence
de contes populaires merveilleux, les légendes judaïques devenues plus tard
islamiques ont voulu non seulement expliquer la naissance de l'humanité
et les raisons de ses imperfections, mais enseigner en même temps le culte
sacrificiel. L'épisode concernant l'acceptation du sacrifice permet à ces
auteurs d'enseigner aux fidèles comment bien opérer un sacrifice, quelle
est la meilleure offrande, sa matière et sa valeur.
Parce qu'il s'agit du sacrifice primordial, ce sacrifice est particulièrement
important. On peut même penser qu'il offre les caractéristiques fondamentales
attribuées par les Juifs à tout sacrifice. Autrement dit, les caractéristiques
de l'offrande de Caïn et Abel, selon toute vraisemblance, vont influencer
le système sacrificiel juif : la qualité de l'offrande, le choix de sa matière et
la fonction qui lui est assignée. Nous trouvons les deux sortes de ce
sacrifice inscrites dans l'Ancien Testament et pratiquées plus tard par les Juifs :
sacrifice animal et sacrifice végétal. En plus, la modalité du sacrifice était,
selon l'interprétation rabbinique, l'holocauste et comme nous le savons cette
modalité joue un rôle très considérable dans l'Ancien Testament. D'ailleurs,
l'offrande d'Abel est devenue un rite fondateur dans l'Ancien Testament de
sorte que le don sacrificiel biblique concerne électivement les « aînés », les
« prémices », le « début » qui appartient à Dieu et qui Lui sont offert par
les hommes. Elle deviendra une pratique rituelle dès l'Exode selon la parole
divine adressée à Moïse : « Consacre-moi tout premier-né, ouvrant le sein
maternel, parmi les fils d'Israël, parmi les hommes comme parmi le bétail.
C'est à moi » (Ex. xm, 1-2).
Contrairement à l'Ancien Testament, le Coran, qui n'a pas mentionné
les noms de ces deux fils d'Adam, ne précise ni la modalité ni la matière de
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ce sacrifice. En plus, le sacrifice végétal ne fait pas partie des formes


sacrificielles dans le Coran. En effet, dans l'islam, il n'y a que le sacrifice animal
et ce sacrifice n'a aucun lien avec l'offrande des deux fils d'Adam mais il
est lié à l'histoire du sacrifice d'Abraham et au pèlerinage. Quant au récit
du sacrifice d'Abraham, le Coran utilise la racine dh-b-h (à comparer avec
z-b-h et ses dérivés en hébreu), pour désigner ce non- sacrifice. Remarquons
également que cette racine n'est utilisée que dans des récits où il évoque
des personnages connus de l'Ancien Testament comme Moïse, Pharaon et
surtout Abraham.
Aussi bien le judaïsme que l'islam ont voulu faire de la symbolisation
de ce non-sacrifice leur fondement. Ils l'ont élevé à la dignité d'un modèle
afin de proscrire le sacrifice humain. Il s'agit donc de l'élection d'une scène
dramatique où se joue le spectacle du sacrifice du fils par le père ou le
consentement du père à donner en sacrifice le plus cher pour lui, à savoir le fils. En
effet, une telle configuration est hantée par la question de l'intrication du
père et du fils, à tel point que l'entremêlement imaginaire de leur sort, de
leur existence, de leur devenir et de leur salut, viennent à se poser en termes
de soumission à la volonté divine. Bien que choisissant le sacrifice du fils2,
le monothéisme biblique n'indique pas pour autant que le père était mû par
un simple désir sacrificiel. En effet, le père est présenté comme un sujet de
Dieu exécutant Sa volonté dans une mise à l'épreuve terrible : celle d'obéir
à l'exigence du Très Haut en Lui donnant en sacrifice le plus cher, ou bien
de satisfaire au désir de l'Un (Dieu) de sacrifier l'unique (le fils). L'ordre du
sacrifice est donc localisé chez l'Autre, l'Autre par la grâce duquel s'opère
la substitution qui n'est que la récompense de la foi et de la soumission
absolue du père.
Le judaïsme et l'islam semblent s'accorder pour apporter une solution
prévoyante, par le moyen d'une substitution, que le sacrifice ne s'accomplisse
pas. Ce qui n'est pas le cas de la solution chrétienne qui opte radicalement,
comme on le sait, pour l'accomplissement réel de la mise à mort du fils.
L'islam, qui est dans la position historique de connaître la solution judaïque et
la solution chrétienne, refusera la solution de l'accomplissement du sacrifice
du fils, puisque le Coran soutiendra à propos de Jésus : « Ils ne l'ont pas
tué, ils ne l'ont pas crucifié, cela leur est seulement apparu ainsi » (Coran,
iv, 1 57) ; mettant ainsi quelqu'un d'autre (un sosie) à la place du Christ, ce
qui rétablit la substitution3.
Remarquons également que, Si l'islam restaure le récit biblique du
sacrifice d'Abraham, il lui apporte certaines modifications sur quelques points
importants. C'est ce qui permet de parler d'une version, ou d'une interpréta-

2. Sachant que d'autres traditions non monothéistes mettent en avant l'inverse, à


savoir le meurtre du père par le fils.
3. Pour certains auteurs, il semble que sur ce point, le Coran reprenne à son propre
compte la version de l'une des communautés judéo-chrétiennes arabes de l'époque de
la révélation, qui soutenait la thèse de la substitution par quelqu'un qui ressemblait à
Jésus. L'Evangile apocryphe de Barnabe reprend cette idée en mettant Judas à la place
de Jésus. Cf. J.-M. Hirt, Le miroir du prophète, Grasset, 1993, pp. 45-50.
470 Formes sacrificielles dans l'Ancien Testament et le Coran

tion coranique. Cette interprétation s'inscrit dans toute une conjecture où le


sacrifice d'Abraham apparaît comme l'une des articulations généalogiques
majeures du texte coranique avec le monothéisme biblique. La scansion
rituelle commémorant chaque année, lors de la fête du sacrifice, le geste
d'Abraham, par l'immolation d'un mouton, est à cet égard cruciale ;
puisqu'elle réactualise et donne corps au récit de la substitution sacrificielle.
Le rappel du sacrifice d'Abraham réside dans le cœur de ces deux
religions et se reflète dans leurs liturgies. Dans cette optique, on peut considérer
que cet épisode de la vie d'Abraham constitue un croisement permanent de
ces deux religions, tout en constatant que si ce récit est une manifestation
significative de leur origine commune, il met néanmoins en évidence
quelques divergences qui existent entre les deux traditions. En effet, la
controverse judéo-musulmane tourne-t-elle essentiellement autour de l'identité
du fils qui a subi l'épreuve du sacrifice. L'explication juive et musulmane
de cette polémique se rapporte plutôt à un souci racial. Selon la première,
c'est la préoccupation ethnique qui a poussé les musulmans à défendre la
candidature d'Ismaël, leur ancêtre. Et c'est ce même argument qu'utilisent
les musulmans envers les juifs, qui auraient substitué Isaac à Ismaël parce
qu'Isaac est leur père.

Quant au sacrifice pratiqué chaque année par les musulmans pendant


le pèlerinage nous avons constaté que l'islam, face aux anciennes pratiques
concernant l'immolation d'animaux, a manifesté le souci de bien se
démarquer, sur le plan religieux, de ces pratiques. Cela s'est notamment traduit
par l'utilisation d'un nouveau terme, dahiyya, pour désigner le sacrifice
islamique majeur. Contrairement aux sacrifices préislamiques qui se
pratiquaient à la fin de la nuit (en rapport, semble-t-il, avec Vénus, l'étoile du
matin), le Prophète, au moment du pèlerinage, et les docteurs de l'islam qui
le suivirent, ont volontairement indiqué que le sacrifice islamique devait se
pratiquer en plein jour. Par ailleurs, l'islam n'a pas retenu certains sacrifices
couramment pratiqués par les anciens Arabes, tels le sacrifice 'âtïra ainsi
que celui dit naqV qui était pratiqué sur un animal pris parmi le butin de
guerre et servait comme rite préliminaire au partage de celui-ci. De toutes
ces pratiques sacrificielles, ainsi que d'autres types d'offrandes en vigueur
dans l'ancienne société arabe, l'islam n'a retenu que le rituel du sacrifice
sanglant, en intégrant celui-ci dans un nouveau système de croyances, en
utilisant un vocabulaire partiellement nouveau et en opposant
symboliquement certaines de ses modalités temporelles aux pratiques préislamiques.
Par cette évolution et superposition, le sacrifice rituel en islam se démarque
nettement, non seulement de celui pratiqué dans la société bédouine, mais
également de celui que la société juive présentait, à l'époque, à Médine.
Autrement dit, en empruntant aux Mecquois le sacrifice sanglant et en lui
donnant un caractère islamique, puisqu'il est pratiqué dans le cadre abra-
hamique pendant le pèlerinage ou dans une journée de la fête du sacrifice,
l'islam a pu, en phase avec d'autres rituels islamiques, se démarquer de la
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communauté juive. Dans ce sens, l'on remarque que le sacrifice dans le


Coran diffère de celui de l'Ancien Testament selon ses termes, ses modalités,
ses mobiles et ses rituels ainsi que l'objet sacrifié et enfin selon le temps et
le lieu où il se pratique.
Dans l'Ancien Testament le sacrifice occupe une place centrale, pas
seulement dans l'ancien judaïsme constamment séduit par les cultes
sensuels des Cananéens et autres païens et succombant à leur attrait malgré
les avertissements des Prophètes, mais aussi, dans l'Ancien Testament sous
sa forme canonique, qui constitue pour les croyants l'Écriture Sainte. Le
rite sacrificiel joue un rôle central et n'est pas considéré comme un simple
vestige dont on peut se défaire ou ignorer. Mis à part le sacrifice holocauste
et le sacrifice de communion qui n'existent pas en islam, ce qui dicte le
sacrifice expiatoire dans l'Ancien Testament, ce sont les péchés expiables, les
impuretés sexuelles, la lèpre, le saccage des biens appartenant à Dieu (les
prémices, la dîme des troupeaux...), l'escroquerie des dépôts, l'adultère avec
une esclave fiancée, etc.
Le sacrifice dans le Coran se limite dans un culte restreint (hajj) et le jour
de sa fête. 11 dépend strictement de la tradition d'Ibràhïm, le fondateur de ce
rite, à savoir le pèlerinage (Coran, xxn, 26-27). Quant au sacrifice expiatoire,
il s'impose pour expier la négligence d'un rite du pèlerinage et l'infraction
des règles de Vihrâm. Ce sacrifice ressemble au sacrifice hattat de l'Ancien
Testament avec la différence que ce dernier se pratique lors de la vie profane,
et que le pèlerin a le choix entre le sacrifice, l'aumône ou le jeûne.
On a remarqué que le sacrifice dans l'Ancien Testament est ritualiste.
L'exposition de l'animal à sacrifier devant Dieu (Lv. iv, 4 ; xiv, 1 1 ), l'imposition
des mains sur la victime, la combustion des graisses sur l'autel et le rite du
sang font que ce sacrifice soit différent de celui du Coran. C'est ainsi que le
sang des victimes sacrificielles, dans le judaïsme, doit être aspergé sur l'autel
comme la part réservée à Yahvé. Cette idée d'une « part » du sacrifice réservée
à Dieu s'opposerait en islam à la transcendance absolue de la figure divine
et n'est pas plus recevable que celle d'une communion des hommes avec la
divinité, comme celle qui rassemble les hommes autour du corps de Dieu
dans le christianisme. De même l'alliance entre les hommes et Dieu ne peut
être que métaphorique et inscrite dans l'ordre humain, à l'inverse de l'alliance
rédemptrice du peuple élu autour de laquelle s'organise la foi juive, ou de la
croyance chrétienne en la rédemption sacrificielle du fils de Dieu en faveur
de l'humanité pécheresse. Bref, la théologie musulmane n'accorde pas une
place importante aux pratiques sacrificielles. En d'autres termes, le sacrifice
musulman n'est pas formellement obligatoire dans le rituel du pèlerinage, il ne
fait pas partie des « piliers de l'islam » et le dogme de l'unicité de Dieu laisse
peu de place aux médiations sacrificielles qu'intègre la tradition judaïque
ou que transcende la tradition chrétienne à travers l'idée du sacrifice du fils
de Dieu quotidiennement renouvelé dans l'eucharistie.
D'ailleurs, le prêtre qui était chargé de l'immolation de la victime et
des rites d'expiation perd son rôle dans l'islam puisqu'il est recommandé
472 Formes sacrificielles dans l'Ancien Testament et le Coran

que le sacrifiant soit en même temps le sacrificateur. Quant à la viande de


sacrifice, elle revient totalement au prêtre s'il n'est pas lui même le coupable,
auquel cas elle doit être abandonnée aux flammes. Pour le rituel de la fête
de Youm Kippour, l'animal à sacrifier est jeté avec les péchés du peuple
dans le désert. Et c'est là qu'apparaît une particularité du sacrifice dans le
Coran, où, en aucun cas la victime n'est déclarée impure ou interdite, ni
abandonnée aux flammes, ni expulsée comme le bouc émissaire. Mais dans
tous les cas, elle est consommée soit par le sacrifiant et les pauvres, soit par
ces derniers seulement. L'objet sacrifié dans l'Ancien Testament, est
rigoureusement déterminé par les textes, il varie selon la qualité du délinquant,
il est sanglant (animal, oiseau) ou végétal et parfois les deux ensemble. Là
aussi se manifeste une autre spécificité du Coran, c'est que le sacrifice doit
toujours être du bétail et dépend des moyens du sacrifiant.
Le temps du sacrifice dans l'Ancien Testament, sauf dans le cas des fêtes,
dépend de la période où l'expiation ou la purification est exigée. Le lieu est
déterminé par les textes où l'animal à sacrifier doit être immolé sur l'autel
et non ailleurs. Cela montre que l'institution sacrificielle dans le judaïsme
est liée au Temple et était par conséquent vouée à disparaître dès lors que
celui-ci était détruit. Depuis, on ne peut plus servir Dieu par le « Service de
l'autel ». Ceci se traduit d'ailleurs par le fait que la pratique sacrificielle est
strictement circonscrite à l'intérieur des frontières d'Israël. De sorte qu'hors
de ses limites la terre est considérée impure et donc impropre au sacrifice
(Am. vu, 17 ; cf. Jos. xxn, 19)4.
Selon le Coran le hady doit être sacrifié à la Mecque - où se trouve la
Ka'ba - parce qu'il est offert aux pauvres qui vivent aux alentours, selon
la recommandation d'Abraham (Coran, xiv, 37). Quant au sacrifice de la
fête, il est accepté partout, parce qu'il n'y a pas d'autel en islam. La période
déterminée est celle du pèlerinage en général pour le sacrifice expiatoire et
le jour du nahr en particulier pour la dahiyya et l'offrande.
Tout cela nous incite à souligner que, dans le Coran, le sacrifice ne
représente pas le centre du culte, comme cela est le cas dans l'Ancien Testament.
Il est marginalisé en faveur d'une réforme spirituelle menée par le prophète
Muhammad comme le suggère le texte coranique lui-même : « Dieu ne reçoit
ni le sang ni la chair des victimes mais il est touché par la piété des cœurs »
(Coran, xxn, 37). Il ne doit être maintenu que comme un hommage rendu
à Dieu seul. En ce sens Alfred Loisy écrit : « Dans cette religion on n'y est
point sauvé par la vertu du sacrifice, mais seulement par la foi en Allah et

4. Cette tradition qui lie le sacrifice au temple est à ce point forte qu'à l'exception du
cas d'Eléphantine il semble bien qu'aucun culte sacrificiel n'ait été pas célébré dans la
diaspora. Les sacrifices restent cependant présents dans la conscience et dans la prière
et, d'une certaine manière, dans la pratique des juifs. Cf. P. Lenhardt, « la valeur des
sacrifices dans le judaïsme d'autrefois et d'aujourd'hui », dans N. Marcel (dir.), Le
sacrifice dans les religions, p. 61 .
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en Muhammad prophète d'Allah »5. De sorte que l'on est amené à dire qu'il
serait plus exact de parler des formes sacrificielles dans le Coran et non pas
du sacrifice coranique.
Il va de soi que le Coran partage avec l'Ancien Testament plusieurs
principes, et ce rapprochement est particulièrement significatif lorsqu'il
s'agit des récits relatant le sacrifice d'Abraham et les offrandes présentées
par les deux fils d'Adam ainsi que d'autres formes sacrificielles comme les
sacrifices expiatoires. Comparant ces formes sacrificielles nous avons étudié
dans la première partie les offrandes présentées par Caïn et Abel. Ce sacrifice
primordial est particulièrement important. Il permet aux commentateurs
juifs d'expliquer les caractéristiques fondamentales attribuées au système
sacrificiel juif : la qualité de l'offrande, le choix de sa matière et la fonction
qui lui est assignée ainsi que la modalité du sacrifice. Quant au Coran, il
utilise le terme qurbân déjà rencontré dans la Bible pour désigner ce sacrifice.
Néanmoins, il ne mentionne ni les noms des deux fils d'Adam, ni la modalité
ni la matière ni les motifs de ce sacrifice. Devant ce mutisme du Coran les
exégètes musulmans ont eu recours au Livre de la Genèse pour expliquer la
brièveté du texte coranique. Dans la deuxième partie nous avons examiné le
sacrifice d'Abraham. En fait, aussi bien le judaïsme que l'islam ont voulu
faire de la symbolisation de ce non-sacrifice leur fondement. Ils l'ont élevé
à la dignité d'un modèle afin de proscrire le sacrifice humain. Il s'agit donc
de l'élection d'une scène dramatique où se joue le spectacle du sacrifice du
fils par le père ou le consentement du père à donner en sacrifice le plus cher
pour lui, à savoir le fils. L'Ancien Testament et le Coran semblent s'accorder
pour apporter une solution prévoyante, par le moyen d'une substitution
animale, que le sacrifice ne s'accomplisse pas. L'interprétation musulmane
met en évidence quelques divergences avec la tradition juive. Soulignons que
la controverse judéo-musulmane tourne essentiellement autour de l'identité
du fils qui a subi l'épreuve du sacrifice. Nous avons étudié dans la troisième
partie les sacrifices expiatoires en les présentant sous les formes hattat et acham
pour l'Ancien Testament et sous la forme hady dans le Coran. Remarquons
que le sacrifice islamique diffère du sacrifice juif dans sa terminologie, ses
modalités, ses mobiles et ses rituels ainsi que par l'objet sacrifié. Le sacrifice
dans le Coran se limite dans un culte restreint (hajj) et le jour de sa fête. Il
dépend strictement de la tradition d'Ibrâhïm et la commémoration rituelle
chaque année, lors de la fête du sacrifice, par l'immolation d'un mouton
(dahiyya) est à cet égard cruciale, car elle réactualise et donne corps au
geste d'Abraham. Quant au sacrifice expiatoire, il s'impose pour expier la
négligence d'un rite du pèlerinage et l'infraction des règles de Yihrâm. Ce
sacrifice ressemble au sacrifice hattat de l'Ancien Testament avec la
différence que ce dernier se pratique lors de la vie profane, et que le pèlerin a le
choix entre le sacrifice, l'aumône ou le jeûne. Enfin, le sacrifice musulman

5. A. Loisy, Essai historique sur le sacrifice, Paris, éd. Emile Nourry, 1920, p. 517.
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n'est pas formellement obligatoire dans le rituel du pèlerinage, il ne fait pas


partie des « piliers de l'islam » et le dogme de l'unicité de Dieu laisse peu de
place aux médiations sacrificielles qu'intègre la tradition judaïque ou que la
tradition chrétienne transcende à travers l'idée du sacrifice du fils de Dieu
quotidiennement renouvelé dans l'eucharistie.

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