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Revue numismatique

Redeunt saturnia regna (L'attente du roi-sauveur à Rome)


André Alföldi

Résumé
Revue numismatique, 6e série, XIII, 197], p. 76-89. A. Alfôldi, Redeunt saturnia régna (L'attente du roi-sauveur à Rome). — La
chronologie du triumvirat de M. Métellus, С Servilius et O. Fabius est reconsidérée. La date proposée est 139 av. J.-C. Les trois
types de ces monétaires, qui se partagent en deux séries : l'une avec la tête de Roma, l'autre avec la tête d'Apollon,
n'appartiennent pas à deux époques, la seconde série étant de beaucoup postérieure à la première, mais sont contemporains.

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Alföldi André. Redeunt saturnia regna (L'attente du roi-sauveur à Rome). In: Revue numismatique, 6e série - Tome 13, année
1971 pp. 76-89;

doi : https://doi.org/10.3406/numi.1971.1007

https://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_1971_num_6_13_1007

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André ALFOLDI

REDEUNT SATURNIA REGNA


(L'ATTENTE DU ROI-SAUVEUR A ROME)

(PL VI-XI)

L'affrontement avec Hannibal a donné aux Romains la certitude


que leur système de gouvernement fondé sur des magistratures
annuelles était marqué d'un vice irréparable : le manque de
continuité nécessaire en temps de guerre ou de paix. Ainsi le rôle d'un
generalissimo s'imposa chaque jour davantage jusqu'au moment
où la monarchie se fixa sous Auguste. On peut suivre cette évolution
à travers tous les aspects de la vie : monopolisation progressive
des finances, transformation juridique de Yimperium,
remplacement de la levée annuelle des citoyens par une armée de métier
dépendant d'un chef et non de la patrie, etc. Mais
l'établissement de la monarchie fut aussi préparé par les rêves et les
aspirations des masses : celles-ci étaient devenues perméables à
des doctrines théologiques issues du Proche-Orient annonçant
l'avènement d'un sauveur mythologique et le peuple finit par
identifier à cet hypothétique sauveur ses personnages favoris.
Le monnayage contient une série de témoignages importants
sur les aspects changeants de cette sotériologie. Mais le retour de
l'âge d'or était lié à des calculs chronologiques. Aussi, pour exploiter
les références théologiques et leurs rapports avec la politique,
nous sommes obligés d'examiner de nouveau les monnaies qui
servent à dater lesdites références.
REDEUNT SATURNIA REGNA 77

Le triumvirat de Q. Fabius Maximus, C. Servilius et M. Caecilius


Metelím.
Chacun de ces monétaires a deux avers, l'un avec la tête de Roma,
l'autre avec celle d'Apollon. Une description brève est
indispensable :
1. Syd. 478, tête de Roma à droite ; à gauche de celle-ci,
verticalement de haut en bas, ROMA; à droite, de bas en haut, Q.MAX.
Devant le cou, la marque du denier avec une barre transversale,
comme toujours à cette époque, X. Sur le couvre-nuque de son
casque, une petite étoile. Au revers, corne d'abondance et, derrière,
le foudre de Jupiter. Le tout dans une couronne de laurier mêlé
de feuilles de chêne, se terminant au sommet, et des deux côtés,
par un épi (pi. VII, 2, 4, 6, 8, 10 et 12).
2. Syd. 718, tête d'Apollon à droite couronnée de laurier;
devant, la kithara du dieu; derrière, de haut en bas, ROMA;
en bas Q.MAX. Devant le cou, Я. Même revers que le précédent
(pi. VII, 1, 3, 5, 7, 9 et 11).
3. Syd. 480, tête de Roma à droite avec une petite étoile sur
le couvre-nuque de son casque; à gauche, verticalement de bas en
haut, ROMA. Devant le cou, %. Au revers, bouclier macédonien;
au milieu, la tête d'éléphant, blason des Metelli. Autour du bouclier,
M.METELLVS.Q.F. Le tout dans une couronne de laurier (pi. VIII,
10 et 12).
3a. Syd. 480a, même type, mais à l'avers, ROMA écrit de haut
en bas (pi. VIII, 4, 6 et 8).
4. Syd. 719, tête d'Apollon à droite, les cheveux calamistrés
d'après un modèle archaïsant. Le ruban des cheveux forme une
boucle sur le front. Derrière la tête, ROMA, écrit verticalement
vers le bas. Devant le cou, X. Même revers que le précédent
(pi. VIII, 3,5, 7, 9 et 11).
5. Syd. 483, tête de Roma à droite, avec la petite étoile sur le
couvre-nuque du casque; en bas, ROMA; devant le cou, -X; derrière,
le lituus des augures. Au revers, l'ancêtre du monnayeur
M. Servilius Pulex Geminus à cheval galopant à gauche, avec son
prénom M écrit sur son bouclier rond ; en face de lui, son adversaire
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brandissant une longue épée, monté sur un cheval qui tombe.


En bas, CSERVEIL (pi. VI, 2, 4, 6, 8, 10 et 12).
6. Syd. 720, tête laurée d'Apollon à droite; derrière, le lituus;
en haut, A ou B. Devant la tête, "X. Même revers que le précédent
(pi. VI, 1, 3, 5, 7, 9 et 11).
Un examen des trois types avec la tête de Roma et des trois
autres avec la tête d'Apollon (pi. VI-VIII) peut convaincre le
lecteur que les deux séries sont de même facture. Mommsen les
a traitées comme telles dans son admirable Miinzwesen1] mais en
repensant le problème2, il a été frappé par l'aspect insolite de la
tête d'Apollon qui rompt avec l'uniformité rigoureuse des deniers
à la tête de Roma de l'époque en question, et il a cherché à
expliquer cette anomalie en émettant l'hypothèse hardie que les trois
types à la tête d'Apollon appartenaient à une émission
commemorative ordonnée par Sylla après son retour triomphal.
Cette hypothèse a été reprise par Sydenham3 avec le
raisonnement suivant : « The three issues bearing the names of Q. Fabius
Maximus, M. Gaecilius Metellus and C. Serveilius with the head
of Apollo on the obverse were considered by Babelon and Grueber
to be contemporary with the issues similar but for the obverse
type of ' Roma ' (series 19). Both groups were assigned by Babelon
to 123-122 B.C. and by Grueber to 94 B.C. Mommsen, however,
dated the ' Roma ' group between 134 and 114 B.C. but assigned
the ' Apollo ' group to the time of Sulla (Mommsen-Blacas II,
p. 340). The general accuracy of Mommsen's view is proved by
the fact that, whereas examples of the ' Roma ' group occur in
finds I, II, III, etc., none of the ' Apollo ' group occurs till the
Cingoli find (XIX), which was buried about 85 B.C. This ' Apollo '
issue may therefore be regarded as a ' restored coinage ', of which
examples occur elsewhere in the Republican coinage. It seems
possible, moreover, to suggest a reason for it. If the earlier ' Roma '
group is rightly connected with Caius Gracchus, as suggested above,
it is not unnatural that in one of the subsequent democratic

n° 1.128-130.
Th. Mommsen, Geschichte des rômischen Mtinzwesens, Berlin, 1860, p. 533,
2. Id., Annali delVIst., 1863, p. 49, et Sitzungsber. Berlin, 1883, p. 1152. Dans
cette seconde note, il ne mentionne pas non plus la date syllanienne des types avec
la tête d'Apollon proposée dans la première, mais en continuant d'étayer son opinion
avec la statistique de trouvailles mal publiées, il considère aussi la possibilité que les
monétaires en question n'aient pas même été contemporains.
3. E. A. Sydenham, The coinage of the Roman Republic, London, 1952, p. 55 et 112.
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outbursts, such as that led by L. Cornelius Ginna in 86 B.C., there


should have been a reissue of coin-types that would recall Gracchan
ideals to the public mind for propagandist purposes. » Cette
explication est également adoptée par M. Crawford4 dans son
tableau synoptique des trouvailles républicaines.
Sydenham et tout un groupe de chercheurs qui ont suivi sa
chronologie ont oublié de considérer les avis contraires, pourtant
bien fondés. Le duc de Blacas, dans l'édition française de l'ouvrage
de Mommsen5, écrit : « En attendant que ce doute soit éclairci,
et ne sachant où les placer, je les [les trois types à la tête d'Apollon]
laisse provisoirement sous les mêmes numéros que ceux qui portent
la tête de Rome. » E. Babelon a suivi le duc de Blacas contre
Mommsen, dont l'hypothèse est encore expressément rejetée par
M. v. Bahrfeldt6 : celui-ci se prononce en effet contre la valeur
chronologique de trouvailles mal connues et démontre que les
remarques de Mommsen sur la forme des lettres ne résistent pas
à la critique.
Le jugement de H. A. Grueber7 vaut d'être cité : « Mommsen,
in order to account for this double obverse type, has proposed to
separate the two series, placing those with the head of Apollo to
the time of Sulla, circa B.C. 81, thus admitting an interval of some
thirty or more years between them. His arguments in favour of
this classification are that none of the denarii with the head of
Apollo occurred in the Fiesole, Monte Condruzzo and earlier
Spanish hoards, and that on those with the head of Roma the
pointed к is used, whilst the square L always occurs on the others
with the head of Apollo. He, however, admits that at so late a
period as B.C. 81 the name of Roma and the mark of value had
quite fallen out of use. Against this view it may be stated : (1) that
it is highly improbable that these three moneyers should again,
after a lapse of so many years, have held office together; (2) that
the reverse types of the two series in each case are identical in
fabric, and show absolutely no signs of an intervening period of
issue; (3) that the letters V and L are found indiscriminately on
both series of issues of M. Metellus and C. Serveilius; and (4) that
Count de Salis's classification renders it quite possible for both

4. M. H. Crawford, Roman Republican coin hoards, London, 1969, table X (c. 150-
c. 125 B.C.) et table XII (91-79 B.C.).
5. Mommsen-Blacas, Histoire de la monnaie romaine, II, Paris, 1870, p. 339, n. 3.
6. M. v. Bahrfeldt, Nachtrage und Berichtigungen 1, Wien, 1897, p. 59 et 111.
7. H. A. Grueber, BMC Rep. I, London, 1910, p. 176, note.
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issues to have been contemporaneous (...). In fixing the date of


burial of a hoard the arguments drawn from the absence of some
pieces must be treated with caution... »
L'interprétation de Mommsen est d'une époque où l'analyse
stylistique n'existait pas encore : au lieu de voir dans cette
représentation d'Apollon un phénomène exceptionnel dont il
convenait de rechercher la cause, l'auteur éludait le problème en
classant les monnaies dans une émission plus récente.
La responsabilité de Sydenham est plus grave. Il est vrai que
quelques monétaires de la République ont imité des types émis
jadis par des parents. Mais les caractéristiques du style, — ou si
l'on préfère, de la facture, — permettent toujours de discerner le
prototype des imitations : ne serait-ce pas une absurdité qu'une
imitation qui porterait à l'avers une image totalement différente
de celle du prototype et reprendrait les anciens noms sans
mentionner les responsables de la nouvelle émission ? De plus Sydenham
oublie que les Fabii, les Metelli et les Servilii avaient peu de
chances d'être retenus par Marius et Cinna pour figurer sur une
romanesque émission commemorative. Q. Metellus Macedonicus,
dont la gloire est célébrée sur les deniers de son fils Marcus, était
un champion résolu de la cause oligarchique8. Son fils attaqua dans
un discours C. Gracchus et se battit contre Saturninus et Glaucia,
le glaive à la main. Le souvenir de Metellus Macedonicus et de
Servilius Pulex Geminus n'était pas cher aux populares, — sans
compter que l'émission en question est antérieure aux Gracques.
L'identité des styles observés sur les têtes d'Apollon et de Roma
permet de trancher la difficulté. Commençons avec Q. Fabius
(pi. VII). Les moindres détails du revers se retrouvent sur chacune
des pièces. Le modelé des feuilles de la couronne d'épis qui entoure
la cornucopia trahit la main d'un seul et même graveur. L'identité
des coins est inutile pour en arriver là, car il s'agit d'une même
famille de coins; mais il n'est pas difficile de retrouver le même
coin de revers sur des monnaies frappées aux types de Roma et
d'Apollon (pi. VII, 1 et 2).
De la même façon, le bouclier macédonien est de la même main
(pi. VIII). Le médaillon à la tête d'éléphant, qui figure au milieu
du bouclier, se trouve dans un cadre pentagonal à double contour,
linéaire et perlé, lui-même encerclé dans un grènetis; le tracé des
lettres, la forme des feuilles de la couronne de laurier et la hauteur
du relief sont tout à fait semblables.

8. Cf. Fr. Miinzer, RE 3, col. 1215.


REDEUNT SATURNIA REGNA 81

Même constatation pour le duel de Servilius Pulex Geminus


(pi. VI). Une analyse détaillée n'est pas nécessaire : les types sont
trait pour trait les mêmes, avec des différences négligeables
(pi. VI, 3-4, 5-6, 7-8, 9-10, 11-12); deux revers (pi. VI, 1-2) sont
de même coin. On ne peut dorénavant douter de la contemporanéité
des trois types qui apparaissent au revers des deux séries de
monnaies (Roma et Apollon).
La place de ce triumvirat dans la série des émissions portant
la marque X peut être un peu plus précisée par l'état de dégradation
stylistique qu'on observe sur la tête de Roma. Celle-ci se caractérise
par une diminution progressive du relief (pi. VI, 8, VIII, 8); au
fur et à mesure qu'elles s'agrandissent, les têtes perdent du relief
(pi. VII 1-Х). Dans la première phase de la production, les coins
de С Servilius ne s'élargissent pas autant que les autres (pi. VI
et IX, 1, 3). De même, le type 3a de M. Metellus montre des coins
d'une exécution meilleure, taillés avec un relief plus élevé, en accord
avec les profils des têtes d'Apollon (pi. VIII, 8 avec 5, 7, 9).
Un problème particulier nous est offert par la ressemblance très
grande que présentent les têtes de Roma sur les deniers de
M. Metellus et de G. Metellus, Syd. 485 (pi. VIII, 1-2). Bien que
la protomé de griffon visible sur le type du cadet diffère du casque
de Roma sur le type du frère aîné, le relief et le profil sont les
mêmes (pi. VIII, 8, IX, 2 et aussi VIII, 5, 7, 9). La petite étoile
se retrouve aussi sur le couvre-nuque du casque de C. Metellus
(pi. VIII, 1-2). Il est difficile de comprendre le rang et la fonction
de Caius Metellus à côté du triumvirat en question, mais
l'hypothèse selon laquelle le frère puîné aurait détenu la charge un an
avant son aîné n'en serait pas moins curieuse.
Il convient également de remarquer que pour les trois monétaires,
les têtes d'Apollon sont d'un plus grand relief et d'une exécution
plus soignée que les têtes de Roma; elles appartiennent à la
première phase d'une production annuelle.
Les émissions qui suivent immédiatement notre triumvirat
se distinguent par la dégénérescence progressive des types
examinés. Cette décomposition se caractérise par l'effacement
du relief, l'agrandissement du module et l'imprécision des contours,
comme je l'ai déjà souligné. Nous trouvons quatre types qui se
rattachent aux avers de C. Servilius, Q. Fabius Maximus et
M. Metellus :
1. La tête de Roma sur les deniers de Q. Marcius Philippus,
Syd. 477 s'apparente à celles du triumvirat en vue, mais elle les
82 ANDRÉ ALFÔLDI

surpasse par sa grandeur et la dégénérescence du style : cf. pi. IX,


5-6 avec 7, 9 avec 10, pi. X, 7 avec 6 et 8.
Suivent quatre monétaires dont les types offrent une certaine
unité dans la représentation des revers (divinités montées dans un
bige ou un quadrige) et le choix des symboles au droit (derrière
la tête de Roma) :
2. Sex. Julius Caesar, Syd. 476 : les têtes de l'avers s'apparentent
directement à celles de nos triumviri : cf. pi. IX, 8 avec 7 et
pi. X, 3 avec 1 ; mais elles sont déjà marquées par la dégénérescence
du style qu'on trouve sur les émissions suivantes : cf. pi. IX, 12
avec 10-11.
3. M. Opeimius, Syd. 475 (pi. X, 4, 11),
4. L. Opeimius, Syd. 473 (pi. IX, 10, 11 et X, 5, 10),
5. et L. Post. Albinus sont contemporains et constituent
probablement un triumvirat; mais Albinus semble être le dernier
personnage en fonction et, dans son cas, on trouve les plus grandes
têtes de Roma : cf. pi. IX, 10-11 avec 12, pi. X, 2 avec 3-5, et
pi. X, 6 avec 8, 12 avec 11.
Il est aussi difficile d'établir la chronologie exacte de ces
monétaires que de celle du triumvirat précédent. Avant 49 avant
J.-C, l'année où César décida de procéder à l'émission régulière
de numéraire, le Sénat se prononçait année par année et au
commencement de chaque année sur la nécessité de battre ou non
monnaie et, le cas échéant, sur la nature du métal et le volume de
l'émission. Mais pour dater la charge annuelle des monétaires,
on se heurte à un autre obstacle. Sous la République, cet emploi
n'était pas regardé, en toute probabilité, comme une magistrature
régulière, ainsi que Mommsen le souligne9, et il n'était pas lié à
l'âge de son titulaire, à l'inverse des charges supérieures. C'est
pourquoi, même si nous connaissons la date de la préture ou du
consulat d'un personnage, nous ne pouvons pas retrouver celle de
la charge de triumvir monetalis qui aurait été le prélude de sa
carrière.
En outre, le service à cheval qu'il fallait accomplir un certain
nombre d'années pour accéder aux magistratures sénatoriales,
« pouvait être antérieur ou postérieur au vigintivirat »10, — auquel

9. Th. Mommsen, Rom. Staatsrecht, F, Berlin, 1887, p. 544.


10. Ibid., p. 546.
REDEUNT SATURNIA REGNA 83

appartenait le collegium des monétaires. Le service à cheval


commençait à l'achèvement de la dix-septième année11. En tout
cas, on peut supposer que les jeunes aristocrates préféraient se
débarrasser de leur devoir militaire avant d'entrer dans
l'administration de la monnaie, et que le contraire était plutôt l'exception.
Par conséquent, à supposer que leur carrière ait commencé de cette
façon, on peut avoir quelque idée de leur âge. D'autres membres du
vigintivirat, regardés comme les égaux des triumviri a.a.a.f.f.,
portaient le nom de decemviri stlitibus iudicandis. D'après Festus
(p. 262, L), ce collège decemviral était (depuis une certaine date)
en partie élu par les comitia tribula, en partie nommé par le praetor
urbanus. Par ailleurs, on ne doit pas oublier que tous les vigintiviri
devaient à l'État le même service que les tribuns des légions. Ces
derniers étaient à l'origine nommés par leurs commandants; plus
tard seulement, la moitié d'entre eux furent choisis par un général,
les autres devenant tribuns par élection aux comitia tributa12.
Pour les tribuns, le règlement prescrivait cinq années de service
à cheval : il semble qu'on puisse en déduire que nos triumviri
eurent la même obligation. Par conséquent, après cinq années de
service à cheval, chacun des membres du vigintivirat était en
principe susceptible d'être promu, — à l'exception des fils des
nouveaux préteurs et des consuls qui, tout jeunes, pouvaient
être nommés par leurs pères avant l'accomplissement de leur
obligation militaire. En revanche, le sommet de la carrière
consulaire n'était pas atteint par tout un chacun suo anno, c'est-à-dire
dans le laps de temps minimum requis par la lex annalis; le
minimum normal pour briguer le consulat était de onze ans pour
les monétaires13, mais il est vraisemblable qu'un nombre
considérable des fonctionnaires n'ont réussi à obtenir le consulat qu'après
une période beaucoup plus longue.
Ces grandes variations nous empêchent de faire un calcul exact,
mais par approximations successives nous pouvons essayer de
préciser la date de notre triumvirat :
a) Premier terminus post quern : l'illustration du triomphe
de Q. Metellus Macedonicus (146 avant J.-C.) par son fils
Marcus. Un terminus ante quern assez rapproché est fourni par le

11. Ibid., p. 565.


12. Mommsen, op. cit., II3, p. 187.
13. Mommsen, op. cit., II3, p. 507, 565. Bibliographie inventoriée ensuite par
H. Gundel, RE 8A, col. 2163.
84 ANDRÉ ALFOLDI

rappel de la lex tabellaria de 137 avant J.-C. dans une émission


de C. Cassius (pi. XI, 1-3), quelques années après notre triumvirat.
b) Pour le triumvir Q.MAX., son identification repose sur
l'alternative suivante : il s'agit soit de Q. Fabius Q.f. Maximus
Eburnus, consul en 116, questeur en 132, qui aurait pu diriger le
monnayage durant l'une ou l'autre année après 137, soit de
Q. Fabius Maximus Allobrogicus, consul en 121, questeur en 134.
c) M. Metellus, le troisième fils de Macedonicus, arriva au
consulat en 115; il pourrait donc avoir été triumvir monetalis
déjà en 126 ; mais les deux Fabii mentionnés ci-dessus
concerneraient plutôt une date antérieure.
d) Un C. Serveilius fut préteur au plus tard en 12014; sa fonction
à la monnaie devrait avoir été exercée en 128 ou quelques années
avant (C. Servilius Vatia, préteur en 114, gendre de Macedonicus,
n'est pas exclu, mais moins vraisemblable).
e) C. Metellus Caprarius, le quatrième fils de Macedonicus,
préteur en 115, consul en 113, semble avoir accédé fort
rapidement à la magistrature; alors il pourrait bien avoir été
monétaire très jeune, bien avant 124.
f) P. Marcius Philippus semble être le petit-fils du consul de
même nom en 186 et 169 avant J.-C.
g) Nous sommes mieux informés sur L. Opeimius, préteur en
125 et consul en 121 avant J.-G. Il fut questeur en 135, ainsi sa
fonction comme monetalis doit se placer presque sûrement avant
cette date, entre 140 et 136 avant J.-G.
h) M. Opeimius, qui n'a pas fait carrière par la suite, était
triumvir la même année que celui-ci.
i) Sex. Julius Caesar, praetor urbanus en 123 avant J.-C,
pouvait être monetalis en 131 ou quelques années auparavant.
j) L. Postumius Albinus, le fils du consul de 154 et flamen
Mariis (cf. Yapex dont ses deniers font étalage) appartient à la
même génération.
De toutes ces dates qui se concilient bien les unes avec les autres,
les plus importantes concernent les deux Opeimii : ils étaient en
charge un ou peut-être deux ans après notre triumvirat, qui doit être
placé assurément entre 140 et 137 avant J.-C.

14. Fr. Miinzer, RE 2A, col. 1762, n° 11.


REDEUNT SATURNIA REGNA 85

La date obtenue doit être encore précisée par confrontation


avec les résultats de l'excellente analyse que Margaret Thompson
a donnée de la trouvaille d'Agrinion en Étolie occidentale15.
Ce trésor contient 1 301 pièces de monnaies d'argent grecques et
39 deniers romains. Ceux-ci ont été étudiés par R. Thomsen et
M. Crawford avec de bons résultats. Le premier de ces chercheurs
date l'enfouissement de 135, le second de 130 avant J.-C. La date
proposée par Ch. Hersh (Num. Chron. 1966, p. 71) est circa 140.
Pour les matériaux grecs, cela vaut la peine de citer les conclusions
de M. Thompson : « On the evidence of style and condition the latest
Agrinion coins are Achaean issues of Aegium, Aegira, Sicyon,
Argos and Corinth and Aetolian issues with EY as a control
combination. These strikings apparently belong to the period
ca. 155-150 B.C. Although the series show some wear, their general
condition is good to very good, and a burial date ca. 150-145
would not only take into account the preservation of the coins but
also explain the absence to the last Achaean emissions. Either the
issues had not yet been struck or they had not had time to penetrate
the remote hinterland of Aetolia before the hoard was interred. »
« The denarii introduce a complication. The most recent of the
Roman coins are in excellent to F DC condition and clearly later
than any of the Greek issues. According to Sydenham the sequence
begins ca. 150 and extends down to 110-108 but, as Thomsen and
Crawford have shown in the Appendix which follows, Sydenham's
chronology must be revised. The latest denarii of Agrinion are
probably to be dated ca. 135 B.C., at which time or very shortly
thereafter, the Agrinion Hoard would have been buried. » « Unless
the denarii are earlier than Thomsen and Crawford believe, one
must either accept this later burial date or regard the Greek and
Roman coins as two separate lots of material brought together
in antiquity. This last is not a very convincing hypothesis : a hoard
of 1301 Greek coins buried ca. 150-145, the cache subsequently
disinterred and 39 denarii added to it prior to reburial some ten to
fifteen years later (...). It seems likely that the Agrinion Hoard is
a currency deposit. Its size, its pattern of wear, its heavy proportion
of early coins and its heterogeneous composition point to a
collection withdrawn simultaneously from current circulation. »

15. M. Thompson, The Agrinion hoard, New York, 1968 (NNM 159). Les deniers
romains de ce trésor ont été discutés par R. Thomsen et M. Crawford, ibid., p. 118
et suiv.
86 ANDRÉ ALFÔLDI

II est seulement un point où je ne peux suivre complètement


son argumentation. Si les deniers de ce trésor sont en excellent
état de conservation, les émissions étoliennes et achéennes ne sont
pas moins bien conservées. La valeur documentaire de la grande
masse des monnaies grecques surpasse de loin celle, assez
fragmentaire, du petit lot de monnaies romaines d'argent. On se demande
alors si la chronologie des matériaux grecs fixée par Mlle Thompson
n'est pas à rabaisser un peu ou si la date finale des deniers proposée
par R. Thomsen et acceptée par M. Thompson n'est pas à rehausser
de quelques années.
En tout cas, tant Thomsen que Crawford ont constaté que la
chronologie retenue pour ces émissions par les recherches
antérieures est à reculer considérablement en raison des faits révélés
par Agrinion16.
Cette trouvaille contient un exemplaire de Q. Marcius et un autre
de M. Opeimius. Mais elle fournit aussi des pièces qui leur sont
postérieures : quelques deniers frappés après le triumvirat des
Opeimii et de Postumius Albinus.
Après les monétaires mentionnés ci-dessus, on a frappé trois
groupes de deniers17 portant la marque 3£ :
a) la marque du denier à gauche de la tête de Roma :
1. P. Maenius Antias — 2 ex. dans le trésor d'Agrinion,
2. Ti. Minucius Augurinus — 2 ex. dans le trésor d'Agrinion,
3. N. Fabius Pictor — aucun ex.,
4. Type anonyme d'un Metellus (avec la trompe d'éléphant)
— aucun ex. ;
b) le surnom du monétaire à gauche de la tête de Roma :
5. M. Aburius Geminus — un ex. dans le trésor,
6. C. Aburius Geminus — aucun ex.,
7. M. Porcius Laeca — aucun ex.,

16. Les deux dernières décades du ne siècle avant J.-C. sont bien remplies par des
émissions d'argent et de bronze. Le monnayage de la commission chargée de la
fondation de Narbo Martius en 118 a déjà été reconnu par H. Mattingly. Quelques années
après, une série aux types très individuels coupe la chaîne des deniers avec la tête
de Roma. Elle commence avec L. Caesius, L. Memmius, L. Valerius Flaccus, Man.
Aquillius ; se poursuit avec Q. Lutatius Cerco, P. Porcius Laeca, C. Claudius Pulcher
(daté de 106-104 avant J.-C. par une inscription) et continue encore après. J'ai
l'intention de revenir un jour sur cette question.
17. Cf. la liste chronologique un peu différente de Thomsen et Crawford, op. cit.,
p. 129.
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8. Man. Acilius Balbus18 — aucun ex.,


9. Q. Caecilius Metellus19 — aucun ex.,
10. M. Vargunteius — aucun ex.;
с) un symbole illustrant la gloire de la famille à gauche de la
tête de Roma :
11. T. Quinctius Flamininus20 — aucun ex. dans le trésor,
12. M. Marcius Man.f. — aucun ex.,
13. С. Cassius — aucun ex.,
14. Ch. Domitius21 — aucun ex.,
15. T. Cloulius (quaestor) — aucun ex.
Ces quinze types représentent à peu près la production de cinq
années consécutives. Leur grand intérêt historique consiste dans
l'apparition de la propagande des populares au lieu et place de
l'étalage de gloire belliqueuse des grandes familles. Les Minucii
ont commencé cette entreprise de séduction du peuple qui dès lors
l'a emporté.
Sur le denier de M. Porcius Laeca, la Liberté debout dans son
quadrige triomphal apporte le pileus libertatis symbolisant la
libération des citoyens et la fin de l'oppression oligarchique22.
La même image se retrouve sur le revers de С Cassius (pi. XI,
1-3), où l'on voit à côté de la tête de Roma l'urne du scrutin secret
faisant allusion à la lex tabellaria de L. Cassius Ravila de 137
avant J.-C. : terminus post quem bienvenu. Cette urne demeura le
blason des Casii jusqu'à la fin de la République, comme le montre
le portrait de C. Cassius, le meurtrier de César (pi. XI, 4)23.
M. Marcius Man.f. fait figurer un modius à l'avers et des épis sur
le revers (pi. XI, 5-7) Pline24 nous dit qu'un certain Marcius,
édile de la plèbe, fut le premier à vendre le blé à la plèbe à un as
le modius; cet édile semble être le père25 du monétaire. Cn. Domitius

18. Il semble s'identifier avec le consul de 114 avant J.-C.


19. Un Q. Metellus était consul en 123, un autre en 109; le premier est à préférer ici.
20. Nous connaissons un consul de ce nom en 123 avant J.-C.
21. Peut-être le futur consul de 122 avant J.-C.
22. Déjà Mommsen, Miïnzwesen, p. 526, n° 113.
23. Cf. mon article dans Netherlands Year-book of art history, 1954, p. 162.
L. R. Taylor, Roman voting assemblies, Ann Arbor, 1966, p. 35.
24. Plin., NH, XVIII, 3, 15.
25. Mommsen, Miinzwesen, p. 524, n° 107 pensait à un édile du début de la
République, mais cf. T. R. S. Brougnton, MRR 2, p. 587. — A mon avis, les édiles n'existaient
pas avant ca. 400 ; la coïncidence du prénom de Marcius dont parle Pline et du prénom
du père de Marcus ne semble pas fortuite. Cf. Gell., VI, 9, 9 : Valerius Antias anna-
О» ANDRE ALFOLDI

(pi. XI, 8-10) fait représenter une venatio sous le bige de la Victoire
et un épi derrière la tête de Róma (panem et circenses). S'il est
le même personnage que Cn. Domitius Ahenobarbus, consul de
122 avant J.-C, sa fonction comme monétaire doit être fixée
ca. 133 au plus tard. Enfin T. Cloulius fait représenter un grand
épi sous les chevaux de la Victoire et une couronne de laurier
à l'avers de ses deniers.
Cette captatio benevolentiae de plus en plus pressante de la plèbe
trouvait son origine dans le vent de révolution qui s'éleva en 133,
sous le tribunát de Tiberius Gracchus. L'enfouissement du trésor
d'Agrinion précéda cette explosion populaire. La datation de la
série des deniers représentant la tête d'Apollon me semble ainsi
fermement établie grâce à notre analyse du style qui s'accorde
parfaitement avec les données de ce trésor26.

Hum XLV scriptum reliquit: diem dixit et comitiis diem a M. Marcio praetore poposcit.
Il n'est pas impossible que le préteur M. Marcius soit la même personne que notre
monétaire. Cf. H. Volkmann, RE 7A, col. 2320.
26. Voici la provenance des exemplaires reproduits :
PI. VI 1,2,4,9, 12 Naples, Mus. PI. IX 1 : Rome, Capitole.
naz. 2 : Vatican.
3, 5, 10 : Florence, Mus. naz. 3,4, 11 : New York, A.N.S.
6, 11 : Rome, prof. L. de 5, 6 : Turin, Mus. civ.
Nicola. 7, 8 : Rome, Mus. naz.
7, 8 : Milan, Mus. civ. (Belloni, 9 : Milan, Mus. civ. (Belloni,
1328 et 562). 553).
10, 12 : Rome, prof. L. de
PI. VII 1,2: New York, Am. Num. Nicola.
Soc. PI. X 1, 2, 4, 5, 8 : New York, A.N.S.
3, 10 : Milan, Mus. civ. (Belloni, 3, 9, 10, 12 : Vatican.
1325, 555). 6 : Berlin, Statl. Munzsamm-
4, 5, 7 : Rome, Mus. naz. lung.
6, 9, 12 : Naples, Mus. naz. 7 : Turin, Mus. civ.
8 : Florence, Mus. naz. 11 : Rome, prof, de Nicola.
11 : Berne, Hist. Mus. PI. XI 1 : Rome, Mus. naz.
PI. VIII 1 : Vatican. 2,5-8, 11 : New York, A.N.S.
2, 3, 6 : New York, A.N.S. 3, 9 : Vatican.
4, 5, 7, 9 : Naples, Mus. naz. 4 : intaille, Munich, Staatl.
8, 11 : Rome, Capitole. Munzsammlung.
10 : Florence, Mus. naz. 10 : Brescia, Mus. civ.
12 : Milan, Mus. civ. (Belloni, 12 : Winterthur (Suisse), Stadt-
558). bibl.
J'ai encore le désir et le devoir de remercier très cordialement pour l'aide et la
bienveillance avec lesquelles les matériaux numismatiques ici analysés ont été mis
à ma disposition à Berlin le Dr H.-D. Schultz, à Berne le Dr B. Kapossy, à Florence
le prof. G. Maetzke, à Milan le prof. G. Belloni, à Naples la dott. E. Pozzi-Paolini,
à New York les Dr M. Thompson et J. Fagerlie, à Rome les prof. Fr. Panvini Rosati,
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С. Pietrangeli, L. De Nicola, à Turin le Dr A. S. Fava, au Vatican le prof. L. Michelini
Tocci, à Winterthur le prof. H. Bloesch. Une bonne part des photographies reproduites
ici sont dues à M. H. Aeschbacher (Berne) ; les autres sont l'œuvre de Mme E. Alfôldi.
Ma reconnaissance envers toutes les personnes mentionnées est profonde. Mais ma
gratitude est également grande envers le rédacteur de cette revue, M. J.-B. Giard,
qui a facilité la préparation de cet article a tous égards.
Spiez, le 8 septembre 1971.

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