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1°) "Senatus cuncta principibus solita Vespasiano decernit": une investiture originale?
1.1. Le processus d'investiture
1.2. La reprise d'acquis antérieurs
1.3. Des prérogatives de différentes natures
2°)Quels privilèges?
2.1. L'élargissement de l'imperium proconsulaire
2.2. L'élargissement de la puissance tribunicienne
2.3. Hors du cadre républicain: du bon plaisir du princeps
3°) Une pratique augustéenne du pouvoir
3.1. Une volonté de retour aux sources
3.2. L'évolution du pouvoir impérial
3.3. La réussite de Vespasien
Bibliographie
*Source:
ILS, 244 = CIL, VI, 930 = FIRA, 15; traduction par J. Imbert, M. Boulet-Sautel et G. Sautel
in Histoire des institutions et des faits sociaux, coll. Thémis, P.U.F., 1957
*Ouvrages généraux:
Gaudemet (J.), Les institutions de l'Antiquité, coll. "Domat/Droit public", Montchrestien,
2002 (7ème édition)
Jacques (F.) et Scheid (J.), Rome et l'intégration de l'Empire (-44/260), t. 1, coll. "Nouvelle
Clio", P.U.F., 2002 (6ème édition)
Le Roux (P.), Le Haut-Empire romain en Occident (-31/235), in "Nouvelle Histoire de
l'Antiquité", coll. "Points-Histoire", Le Seuil, 1998
*Ouvrages et articles spécialisés:
Brunt (P.A.), "Lex de imperio Vespasiani", in JRS, 67, pps 95-116, 1977
Hurlet (F.) "La Lex de imperio Vespasiani et la légitimité augustéenne" Latomus, 52, pps 261-
280, 1993
Levick (B.), Vespasian, Routledge, 1999
Parsi (B.), Désignation et investiture de l'empereur romain, Cirey, 1963
Nicolet (C.), "La Tabula Siarensis, la Lex de imperio Vespasiani et le jus relationis de
l'Empereur au Sénat", in MEFRA, 10, pps 827-866, 1988
*
L'arrivée au pouvoir de Vespasien à la fin de l'année 69 ("l'année des quatre empereurs")
marque la fin d'une guerre civile entamée en mars 68 avec la révolte de Vindex, en réaction au
gouvernement de Néron. Au cours de cette guerre civile, plusieurs hommes ont tenté de
succéder à ce dernier, et c'est finalement le quatrième, Vespasien, qui remporte la victoire,
fondant ainsi une nouvelle dynastie, celle des Flaviens. C'est donc tout naturellement que le
nouvel imperator, acclamé par ses troupes à Alexandrie dès le 1er juillet 68, se présente devant
le Sénat et le peuple afin d'obtenir l'investiture officielle, investiture impliquant le vote d'une
lex ou de plusieurs leges de imperio. La lex de imperio Vespasiani est justement un
témoignage de la procédure d'investiture entamée par Vespasien; il s'agit d'une inscription
gravée sur le bronze et retrouvée au XIV ème siècle par le tribun romain Cola di Rienzo. Les
données que l'on peut en tirer sont malheureusement partielles puisque le début de
l'inscription nous manque, et que sa datation reste incertaine, bien que l'on puisse la situer peu
de temps après l'acclamation du nouvel empereur par le Sénat, en décembre 69. Pour résumer
brièvement, on peut d'ores et déjà annoncer que l'inscription, plus que les pouvoirs
fondamentaux de l'empereur, présente (du moins pour la partie que l'on a conservée) des
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1°) "Senatus cuncta principibus solita Vespasiano decernit": une investiture originale?
Il convient en effet de souligner la singularité de l'investiture de Vespasien telle que nous la
connaissons, originalité qui semble reposer sur le rassemblement, au sein d'une loi unique, de
prérogatives de différentes origines et de différentes natures.
1
J. Scheid, Rome et l'intégration de l'Empire, t. 1, p. 22 et sq, "Aspects formels de l'investiture", Nouvelle Clio,
PUF, 1996, 2002 (rééd.)
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d'enregistrement. La même idée se retrouve avec les sénateurs vis-à-vis de l'imperator, qui ici
est indéniablement en position de force…
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On est donc bel et bien confronté à un texte dont l'originalité (c'en est aussi la difficulté)
repose sur la reprise et l'association de privilèges d'origine et d'essence variées qui rendent
ardue la compréhension, sinon de toute investiture impériale, du moins de celle de Vespasien.
Maintenant que l'on a éclairé les enjeux du processus d'investiture, on peut se pencher sur le
détail précis des mesures prises par cette lex de imperio Vespasiani.
2°)Quels privilèges?
Comme on l'a vu, les clauses de la loi qui sont en notre possession correspondent à l'octroi de
prérogatives qui pour certaines élargissent les deux pouvoirs fondamentaux du princeps. On
peut donc bien parler de privilège au sens premier du terme, à savoir de règlement spécifique
valant pour un individu.
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Deux clauses, la deuxième et la troisième, peuvent quant à elles être interprétées dans le sens
d'un renforcement de la tribunicia potestas; celle-ci (cf. Scheid, op. cité, p. 134), accordée au
Prince à vie et cependant renouvelée symboliquement tous les ans, permet à ce dernier
d'intervenir pour défendre les intérêts de la plèbe (jus auxilii), notamment face à l'aristocratie
sénatoriale. On comprend alors la portée des clauses II et III:
-la clause II se révèle particulièrement délicate à comprendre; en théorie, le processus devant
aboutir, au Sénat, à la promulgation d'un senatus consultum, comporte trois phases: la relatio,
qui correspond à l'inscription d'une question à l'ordre du jour, le débat proprement dit et enfin
le vote, c'est-à-dire la discessio3. Cela revient à dire que tout senatus-consulte, pour être
valide, doit passer par ces phases. Pourquoi donc évoquer deux de ces phases, et oublier le
débat? C'est, selon Claude Nicolet 4, de cette absence de la mention du débat qu'il faut partir
pour comprendre cette clause: il faudrait en conclure que la clause II autorise le princeps à
faire voter un senatus-consulte sans aucun débat. Dès lors, où se trouve la différence entre la
procédure per relationem et celle per discessionem? La solution proviendrait d'une subtilité
grammaticale, car au lieu de lire l'inscription de la façon suivante: relationem facere,
remittere, senatus consulta per relationem discessionemque facere liceat (version de Brunt,
traduite par Imbert, Boulet-Sautel et Sautel dans notre texte de référence), il faudrait la lire
ainsi: relationem facere, remittere senatus consulta per relationem discessionemque facere
liceat, c'est-à-dire: faire des propositions, amender des senatus-consultes grâce à son droit de
relatio (qu'il y ait ou non débat avant le vote des sénateurs), et faire voter des propositions per
discessionem, donc sans débat. On n'aurait donc pas de redondance, mais bien plutôt l'octroi
au Prince d'un droit nouveau, celui d'amender des senatus consulta et de les faire voter une
nouvelle fois sans débat. Cela revient à accorder au Prince une prérogative considérable. Dans
le même ordre d'idées, cette clause lui permet d'écarter purement et simplement toute
proposition qui ne lui conviendrait pas;
-la clause III donne la possibilité au princeps de convoquer le Sénat; en théorie, celui-ci est
convoqué par un magistrat supérieur, consul, préteur ou tribun. Il y a donc bien là aussi
élargissement de la puissance tribunicienne, puisque le princeps est bien revêtu des pouvoirs
des tribuns de la plèbe, sans en être un. Cette dernière disposition vaut non seulement pour
l'empereur en personne, mais aussi pour son représentant; ce dernier est censé être un questeur
(dit "du Prince"), mais sous Vespasien, qui inaugure le système du césarat en associant au
pouvoir l'héritier présomptif du trône, en l'occurrence Titus, c'est justement le César qui siège
au Sénat5 (cf. Suétone, "Titus" in Vie des douze Césars).
3
Car les groupes favorables ou non à la proposition de senatus-consulte se répartissent dans la salle selon leur
opinion.
4
C. Nicolet, "La Tabula Siarensis, la lex de imperio Vespasiani et le jus relationis de l'Empereur au Sénat", in
MEFRA, 10, 1988, pps. 827-866.
5
Il ne faut pas non plus oublier que l'Augustus, tout comme le Caesar, est un sénateur (et même le premier
d'entre eux).
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On peut désormais, à partir de ce qui vient juste d'être montré, tenter de replacer cette loi
d'investiture dans l'évolution de la conception du principat.
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imperio va dans le droit fil du travail idéologique de Vespasien et de sa cour, travail qui
s'attache à promouvoir une certaine idée de l'Empire, celle des débuts. En outre, l'attachement,
du moins politique, de Vespasien à Tibère et Claude est lui aussi bien réel, puisque c'est
Vespasien qui restaure le culte à Claude qu'avait interdit Néron (Suétone, "Vespasien", in Vie
des douze Césars). Il apparaîtrait donc bien que cette loi marque une volonté affichée de
retour au "bon Empire" et d'oubli des périodes troubles entamées avec l'avènement de Néron.
L'explication d'un tel procédé serait bien évidemment pour Vespasien de se créer une
légitimité plus solide que le discours consistant à prétendre que parce qu'il a usurpé un autre
usurpateur (Vitellius) qui lui-même avait renversé un empereur légitime (Galba), Vespasien
ressort politiquement indemne de la crise de l'année 68/69. Par ailleurs, la clause VIII
participe elle aussi de cette volonté d'officialisation, non plus ici de l'investiture du princeps,
mais des actes accomplis par ce dernier avant cette investiture, vu qu'elle légalise les actes
réalisés avant l'acclamation par le Sénat et le vote des lois de imperio8. Le vote de cette ultime
clause justifie que Vespasien place le début de son principat au 1 er juillet 68, c'est-à-dire le
jour de son acclamation par ses troupes à Alexandrie. Cette volonté presque farouche de
légitimation de ses actes autorise Vespasien à se targuer d'un certain légalisme qui n'est pas
sans rappeler celui d'Octave devant le Sénat, le 13 janvier 27 avant notre ère.
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donc à se faire respecter du peuple et du Sénat. Cela n'est pas sans rappeler l'exploit accompli
par Trajan quarante-cinq ans plus tard, à savoir se présenter comme optimus (qualification en
théorie réservée à Jupiter). En d'autres termes, comment Vespasien peut-il renouveler une
pratique augustéenne du pouvoir? En risquant la tautologie, on serait tenté de répondre: en
faisant comme Auguste. Une telle réponse ne va pourtant pas de soi, si l'on veut bien se
souvenir que pour revêtir les habits d'Auguste, il faut présenter plusieurs atouts:
-le charisme tout d'abord, qui va de pair avec des circonstances précises (puisque c'est dans
ces circonstances que se donne à voir le charisme): Vespasien, tout comme Octave en son
temps, est un chef de guerre qui remporte la victoire finale au terme d'une guerre civile
meurtrière;
-mais aussi d'autres qualités personnelles qui toutes tournent autour de l'idée de modération:
parce qu'il est mesuré, et bien qu'il soit en situation de force (au terme de l'année 69,
Vespasien est véritablement le maître de l'Empire), le nouvel empereur n'abuse pas de son
pouvoir et affiche une volonté de conciliation avec le Sénat et le peuple, réussissant le tour de
force à leur imposer une officialisation du renforcement du pouvoir impérial qu'ils acceptent
non seulement sans broncher (ils n'ont naturellement guère le choix), mais avec enthousiasme.
C'est du moins ce que l'on est en droit de supposer, surtout si l'on se réfère à des auteurs
comme Tacite ou Suétone9(chez ce dernier, selon la classification établie par E. Cizek,
Vespasien est le meilleur des empereurs après Auguste).
Postérité dans la longue durée, ensuite, si l'on se réfère à des juristes comme Pomponius ou
Ulpien, qui semblent s'inspirer abondamment de la lex de imperio Vespasiani, notamment en
ce qui concerne la puissance législatrice du Prince (pour cette question, on se référera à
l'article de Brunt).
Il se donne bien à voir dans cette loi une conception et une pratique particulières du pouvoir
impérial, qui sont celles de Vespasien renouant avec Auguste.
Ainsi qu'on a tenté de le montrer, ce texte témoigne d'une conception et d'une pratique
subtiles du pouvoir chez Vespasien: entre retour à la tradition et évolution, le texte fait
effectivement la part belle au pouvoir tel qu'il était pratiqué sous Auguste tout en tirant les
leçons de l'évolution du régime dans un sens encore plus monarchique. Il parvient à inscrire
tout cela dans une loi promulguée selon la procédure classique et qui, ce faisant, mime par
elle-même la conception vespasienne du pouvoir. Concrètement, ce pouvoir confirme et
inscrit dans la loi des privilèges qui pour une part élargissent le champ d'application des deux
composantes essentielles du pouvoir du princeps, à savoir l'imperium proconsulaire et la
puissance tribunicienne, mais qui, d'autre part, sortent également de ce champ et contribuent à
affermir la puissance législatrice de l'empereur, un empereur qui peut prendre légalement les
décisions qu'il souhaite, non seulement derrière le paravent du bien public, mais également
derrière celui de sa seule volonté (c'est l'hypothèse, qui peut certes sembler un peu outrée, que
nous avons posée précédemment). On a donc un renforcement du pouvoir de l'empereur, mais
que Vespasien parvient à imposer en profitant certes d'un contexte favorable, mais aussi en
usant de ses réelles qualités personnelles, qualités qui lui permettent d'infléchir de façon
durable l'évolution du principat. Ainsi qu'on l'a évoqué plus haut, le texte lui-même est une
illustration de cette manière spécifique de gouverner qui inaugure une nouvelle période de
grandeur romaine, et c'est peut-être là l'intérêt ultime de cette lex de imperio Vespasiani.
9
Bien qu'il appartienne à l'ordre équestre, Suétone fréquente avec assiduité le milieu sénatorial dont il adopte
rapidement la mentalité et les opinions politiques.
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