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LASEN

Ecole polytechnique fédérale de Lausanne

Faculté environnement naturel, architectural et construit


ENAC

Institut des infrastructures, des ressources et de l’environnement

8ème semestre

Cours
Économie hydraulique

Partie I

Par

Dr Eric DAVALLE

ED/jd Mars 2006


EPFL - LASEN
Cours d’économie hydraulique
8ème semestre
Page I LASEN

TABLE DES MATIERES

1. Eau en tant que ressource 2


1.1 L’environnement planétaire 2

1.2 Eau, origine de vie 2


1.2.1 Contrôle de la température terrestre 3
1.2.2 Contrôle de la salinité des océans 4

1.3 Cycles du soufre et de l’eau 4


1.3.1 Cycle du soufre 4
1.3.2 Cycle de l’eau 4

1.4 L’eau terrestre disponible 7


1.4.1 L’eau des mers et océans 7
1.4.2 Les eaux continentales 9
1.4.3 Nappes phréatiques et notion de "qualité" de l’eau 10
1.4.4 Réserves d’eau sur terre 11

1.5 Evolution de la population mondiale 11

1.6 Besoins vitaux en eaux 12


1.6.1 Besoins physiologiques 12
1.6.2 Besoins domestiques généraux 13

1.7 Usages et prélèvements d’eau 14


1.7.1 Usages agricoles 15
1.7.2 Usages industriels 17
1.7.3 Usages domestiques 18

1.8 Eau et aménagements 18

2. Eau : enjeux et difficultés 19


2.1 Un problème aux facettes multiples 19

2.2 Les enjeux principaux 20


2.2.1 Le droit à la vie 20
2.2.2 La gestion écologique 21
2.2.3 Le régime de gestion des eaux 23
2.2.4 L’absence de solidarité politique mondiale 26

2.3 L’eau et ses problèmes permanents 26


2.3.1 Géopolitique 26
2.3.2 Répartition inégale de l’eau 27
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2.3.3 Zones hydro-conflictuelles 28


2.3.4 Sans droit international [5] 30

2.4 L’idée du développement durable 31


2.4.1 Origine et définition 31
2.4.2 Conflits "philosophiques" 32
2.4.3 Une question responsable 33

2.5 Pistes à la pénurie d’eau 34


2.5.1 Ebauche de solutions 34
2.5.2 Politique mondiale de l’eau 34
2.5.3 Eau et politique 35
2.5.4 Ebauche d’une "hydropolitique" 38

2.6 Phénomènes aléatoires 41


2.6.1 La sécheresse 41
2.6.2 Les inondations 42

2.7 Préservation des eaux 42


2.7.1 Eau de mer 42
2.7.2 Eaux continentales 43

2.8 Les aménagements d’accumulation 44


2.8.1 La controverse sur les barrages réservoirs de grande capacité 44
2.8.2 Force hydraulique, valeur et avantages 45

3. Optimisation d’installations industrielles utilisatrices d’eau 46


3.1 Difficultés techniques 46
3.1.1 Difficultés techniques relatives aux matériaux 47
3.1.2 Difficultés techniques relatives au site 48
3.1.3 Difficultés techniques relatives aux dimensions des ouvrages 48

3.2 Optimisation et études associées 49


3.2.1 Cycle de vie d’un ouvrage 50
3.2.2 Phases d’études 50

3.3 Protéger et gérer 52


3.3.1 La ressource naturelle 52
3.3.2 Les ressources alternatives 54

4. Prix de l’eau 58
4.1 Eléments d’économie 58
4.1.1 Modèle économique positionné sur le court terme 58
4.1.2 Apport du développement durable 59
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4.2 Analogie eau-électricité 61

4.3 Eléments de tarification 62


4.3.1 Objectifs à atteindre 62
4.3.2 Structure tarifaire 63
4.3.3 Structure de tarification 64

4.4 Gestion déléguée de services 66

4.5 Coût du dessalement de l’eau de mer 66

BIBLIOGRAPHIE 68
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Avant-propos
Aux yeux de ceux qui ont la chance et le privilège de vivre dans les pays développés, l’eau comme
l’électricité ainsi que d’autres biens de consommation vont de soi. L’usage en continu fait partie de la vie
quotidienne et cette exigence d’approvisionnement sans limite nous semble normale.

Or, l’eau aussi vitale soit-elle, est loin d’être une évidence pour tout le monde. Au contraire, et depuis des
siècles, elle est l’objet de convoitise ou de raisons de conflits. Même, lorsqu’elle manque, elle est la source
de grandes souffrances. Avec l’accroissement exponentiel de la population mondiale, sa rareté d’hier
devient dramatique aujourd’hui. L’eau est donc au cœur de bien des préoccupations car, sans elle, il ne peut
y avoir de vie.

En ce début du XXIème siècle, on constate que 20% de la population du globe n’a pas accès à l’eau potable.
Les moins optimistes pensent même que ce chiffre pourrait doubler d’ici 25 ans ! Que faisons-nous et que
faut-il faire ? La réponse est à la fois simple et difficile. Simple, car si les moyens financiers, l’éducation des
populations et la solidarité internationale pour mettre en œuvre une vraie politique de l’eau étaient mobilisés,
l’eau ne serait plus ce qui risque bien d’être le problème N° 1 de notre ère. Difficile, car de nombreux effets
de bord, qu’ils soient économiques, sociaux, environnementaux et politiques perturbent, voire annihilent
toute velléité de soigner le mal à la racine.

L’eau dans sa forme consommable ne représente que 0.6% de l’hydrosphère terrestre et doit donc être
considérée avec soin et respect. Cela est d’autant plus vrai qu’elle manque déjà à beaucoup d’entre nous.

Dans ce qui va suivre, il sera donc question de l’eau comme ressource indispensable mais si mal répartie. Il
sera abordé la question des enjeux et des difficultés qui sont à l’origine de sa raréfaction pour 1/5 de la
population mondiale afin de mieux comprendre et d’apporter des solutions.

Pour les ingénieurs et futurs ingénieurs, il est essentiel de comprendre les mécanismes sociaux et
économiques qui interfèrent dans la recherche de réponses concrètes. Il est aussi important comme
constructeur de concevoir des ouvrages et des installations adaptées aux problèmes rencontrés et surtout
économiquement acceptables pour tous.

L’ambition ici est de donner une image large et claire de la situation, des acteurs et de ce qu’il serait bon de
faire. Comme professionnel, il est prépondérant d’avoir le maximum d’éléments permettant l’action.

Basé sur une expérience de plus de 25 ans par des projets et leurs vécus à l’international, ce cours tente de
faire la lumière, au-delà de la simple et importante théorie, sur les réalités pratiques et son flot d’embûches
et de difficultés.

______________
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1. Eau en tant que ressource

1.1 L’environnement planétaire

Distante du soleil d’environ 149,6 millions de kilomètres, la terre sur laquelle nous évoluons, a été
formée il y a 4,6 milliards d’années. C’est la troisième des planètes principales du système solaire
après Mercure et Vénus dans l’ordre croissant des distances à ce dernier.

La terre fait partie des planètes telluriques (structure rocheuse, comme Mars, Mercure et Vénus).
Elle a la forme d’un ellipsoïde de révolution, aplati en ses pôles, d’un diamètre équatorial de l’ordre
de 12'756 km, de 1'083,3 milliards de km3 de volume, de densité moyenne de 5,52 et de
510,1 millions de km2 de superficie.

En sa partie la plus superficielle de l’écorce terrestre, sur les 20 km d’épaisseur environ et de


formation plutôt rocheuse, la terre porte le nom de lithosphère (du grec "lithos", pierre). Cette
lithosphère (voir illustration de ce qui va suivre à la Figure 1.3.1 plus loin) est :
- soit recouverte d’eau, lieu de l’hydrosphère
- soit recouverte de sol, lieu de la pédosphère qui renferme en faible profondeur les eaux
captives et celles d’infiltration des nappes phréatiques

L’enveloppe gazeuse terrestre, appelée l’atmosphère (du grec "atmos", vapeur) est constituée,
outre d’azote (78%), d’oxygène (21%) et de gaz à l’état de traces comme l’hydrogène mais aussi
de vapeur d’eau. Sa présence est due au phénomène de la gravitation qui retient les molécules
gazeuses. A l’inverse, la lune qui est moins dense se trouve dépourvue d’atmosphère.

Dans cet environnement, les êtres vivants sont présents en équilibre dynamique et fragile et
constituent la biosphère. Ce monde du vivant, sous quelque forme que ce soit, représente
l’ensemble de l’écosystème de la planète. On notera que l’eau est partout présente et est à la
source de toute vie, d’où son importance fondamentale.

1.2 Eau, origine de vie

Dans l’état actuel des connaissances de la science, aucun processus vital ne peut se faire sans la
présence d’eau. Sans celle-ci, la vie terrestre qui a débuté il y a 4 milliards d’années serait
impossible. A l’opposé, la planète Mars est sèche, froide et désolée et semble ne jamais avoir pu
développer la vie1/.

Composée de deux atomes d’hydrogène (abondant dans l’univers connu, voir Tableau 1.1) et d’un
atome d’oxygène (plus rare, car 900 fois moins présent dans l’univers que l’hydrogène), l’eau
(H2O) requiert pour sa formation une densité environnante forte, une température ne dépassant
pas quelques milliers de degrés et un rayonnement ultraviolet modéré.

Ce type de conditions existe dans le cosmos pour créer l’eau qui, sous la forme de vapeur d’eau,
est la plus répandue. Ainsi, il y a une présence constante d’eau dans tout notre système solaire :
des astrophysiciens pensent même que 6 à 7 milliards de tonnes de glace existeraient aux deux
pôles de la lune !

1/
Sciences et Avenir, février 2003, pages 82-83
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Environnement planétaire
Atomes
Univers connu Eau de mer Corps humain

Hydrogène (H) 90 66 63

Oxygène (O) 0,1 33 25,5

Hélium (He) 9 -- --

Carbone (C) 0,06 -- 9,5

Azote (N) 0,01 -- 1,4

Chlore (Cl) très faible proportion 0,33 --

Sodium (Na) très faible proportion 0,28 --

Manganèse (Mn) très faible proportion 0,033 --

Calcium (Ca) très faible proportion -- 0,31

Autres 0,83 0,357 0,29

Tableau 1.1 : Comparaison en (%) des éléments chimiques fondamentaux, selon [1]2/

Outre le facteur vital, la présence d’eau joue un rôle capital :


- pour le contrôle de la température terrestre
- dans le cycle de l’eau lié à celui du soufre
- pour le contrôle de la salinité des océans
- dans les cycles du carbone et de l’oxygène (photosynthèse)

1.2.1 Contrôle de la température terrestre

L’eau est indispensable à toute vie biologique. Pour que cette vie se soit maintenue sur terre, il a
été nécessaire qu’une température moyenne de 13 à 15°C existe. Cela fut le cas grâce à l’effet
albédo (fraction d’énergie solaire reçue qui est réfléchie ou diffusée essentiellement par les
océans terrestres) et à l’effet de serre modéré (couche d’atmosphère formée de gaz carbonique
(CO2), de méthane (CH4) et de vapeur d’eau (H2O)). A l’opposé, sur Vénus, l’atmosphère contient
97% de CO2 et l’effet de serre y est si intense que la température sur cette planète atteint 460°C.

2/
Voir bibliographie en fin de document
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1.2.2 Contrôle de la salinité des océans

La concentration moyenne de sel des océans est de 37 g de sel / litre d’eau de mer. A titre de
comparaison, celle d’un milieu intracellulaire est de 9 g de sel / litre. Il y a un rapport de 1 à 4 qui
est vital pour l’équilibre d’organismes marins. Cet équilibre délicat est totalement lié à la
concomitance de la vitesse de formation des coquillages et de celle de l’accumulation des
sédiments des sols marins. Ainsi, le contrôle de la salinité des océans est totalement lié à cet
équilibre-là.

1.3 Cycles du soufre et de l’eau

Par le mot cycle, on qualifie une suite ininterrompue de phénomènes qui se renouvellent dans un
ordre immuable3/. Parmi les cycles les plus connus, on peut citer celui des saisons, solaire, lunaire
ou de Méton, du carbone, de l’azote ou encore le cycle écologique (passage d’éléments chimiques
au sein des êtres vivants)

1.3.1 Cycle du soufre

Le soufre est indispensable à la formation de deux des 20 acides aminés nécessaires au


fonctionnement des cellules d’êtres vivants. A la mort de tout organisme vivant, le soufre se
transforme sous forme de sulfures et sulfates, véhiculés par les eaux interstitielles ou de surface
vers les océans. Ainsi, le cycle du soufre se retrouve totalement associé à celui de l’eau,
l’évaporation et la pluie étant, par voie de conséquence, composées naturellement d’eau
légèrement acide (acide sulfurique).

1.3.2 Cycle de l’eau

Comme décrit au § 1.1, notre environnement terrestre est un système à plusieurs composants (voir
Figure 1.3.1) dans lequel le cycle de l’eau donne lieu à d’importants échanges. Les spécialistes
parlent d’une présence d’eau terrestre de 1’386 milliards de tonnes d’eau (1'386 millions de km3)
qui participeraient aux échanges de la terre vers l’atmosphère et réciproquement, chaque jour.
Cela représente des échanges atmosphère-terre de 575'000 km3 d’eau chaque année.

ATMOSPHERE

HYDROSPHERE
BIOSPHERE

LITHOSPHERE PEDOSPHERE
NAPPES PHREATIQUES

Figure 1.3.1 : Composants de notre système environnemental

3/
D’après le petit Larousse illustré
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Ces échanges s’opèrent entre les divers réservoirs ou réserves d’eau de la terre, localisés
isolément au niveau de chaque composant présenté dans la Figure 1.3.1.

Ce cycle est naturellement alimenté par l’énergie produite par le rayonnement solaire. Il en découle
les phénomènes d’évaporation de l’eau de surface (océans, mers, lacs, cours d’eau, glaciers et
des êtres vivants par évapotranspiration), de condensation dans l’atmosphère et les variations de
température avec la formation des nuages et, ensuite, de précipitations (afflux d’eau en fusion
des gouttelettes ou coalescence, de cristaux sous forme de grêle ou de flocons de neige) qui
ramènent l’eau sur la terre.

Cette eau ruisselle ou s’infiltre et regagne ainsi les réservoirs ou réserves naturelles de surface
ou en profondeur (voir Figure 1.3.2). Outre l’eau, le cycle de l’eau véhicule aussi des éléments
minéraux nutritifs (voir § 1.3.1 pour le soufre, par exemple), créant les conditions favorables et
nécessaires à la vie et à l’équilibre de la biosphère.

Transport sous forme vapeur


44 800 km3

Précipitations Précipitations Précipitations


7 000 km3 110 000 km3 458 000 km3

1,2 % 19,1 % 79,7 %


1,2 % 19,1 % 79,7 %

Evapotranspiration
65 200 km3
Évaporation Évaporation
7 000 km3 Ecoulements 502 800 km3
de surface
42 600 km3

Lacs
Terres
134 millions km2 Ecoulements souterrains
UNEP – 02/2002

26% en 2 200 km3


surface

Terres et glaces Océans et mers


149 millions km2 361 millions km2
29% en surface 71% en surface

Surface de la terre
510 millions de km2

Figure 1.3.2 : Cycle de l’eau annuel et réserves naturelles selon [3]

Il est important de constater que le cycle de l’eau contribue aussi à enrichir l’air que nous respirons
en gaz carbonique (CO2), en acide carbonique (H2CO3) et surtout, en oxygène (O2).
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Le cycle annuel d’eau de 575'000 km3 est décomposé selon un bilan d’évaporation et de
précipitations donné dans la Figure 1.3.3 ci-dessous.

Évaporation Précipitations
575 000 km3 575 000 km3
par année par année

79,7 %
87,4 % 79,7 %
502 800 km3 458 000 km3
océanique et maritime océaniques et maritimes
par année par année
11,4 % 19,1 %
19,1 %
65 200 km3 110 000 km3
terrestre terrestres
par année par année

1,2 % 1,2 %
7 000 km3 7 000 km3 1,2 %
plans d’eau plans d’eau
par année par année

Figure 1.3.3 : Bilan des échanges atmosphère – terre du cycle de l’eau

De même, il est possible de répartir les 117'000 km3 d’eau qui transitent par voie terrestre
annuellement selon la décomposition donnée dans la Figure 1.3.4. ci-dessous.

SUR LE GLOBE

~117 000 km3


par année

42 600 km3/an 2 200 km3/an


s’écoule en surface s’écoule en souterrain

(36,4%) (1,9%)

7 000 km3/an 65 200 km3/an


stockée dans plans d’eau stockée en souterrain

(6%) (55,7%)

Figure 1.3.4 : Répartition des mouvements annuels d’eau terrestre du cycle de l’eau
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1.4 L’eau terrestre disponible

A la surface de la terre, les mers et océans couvrent environ 71% de la surface disponible
(362 millions de km2) représentant un volume d’hydrosphère de 1’350 millions de km3. L’eau de
notre planète est à 97,4% salée, 2% est congelée aux pôles et dans les glaciers et seulement
0,6% reste disponible par :
- l’atmosphère et l’humidité de l'air (0,15%)
- les lacs et cours d’eau (1,2%)
- les mers intérieures (1,24%)
- les eaux souterraines (96,6%)
- l’humidité du sol (0,8%)
- les organismes vivants (0,01%)

1.4.1 L’eau des mers et océans

Les eaux océaniques et continentales des mers et océans sont régulièrement alimentées par
environ 390'000 km3 d’eau de précipitations annuelles. Les 362 millions de km2 d’eau de surface
sont répartis de la manière suivante :
- océan pacifique 179 millions de km2
- océan atlantique 92 millions de km2
- océan indien 76 millions de km2
- autres mers 15 millions de km2

Figure 1.4.1 : Hydrosphère océanique, selon [2]


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D’abord, les mers et océans prennent toute leur importance car ils contiennent 93% de la quantité
totale de carbone disponible sur la planète. On se rappelle que la vie biologique ne se développe
qu’en présence principalement de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote, de soufre et de
phosphore.

Ensuite, les eaux de mer sont un des maillons de la chaîne du cycle de l’eau. Elles se composent
essentiellement :

- de sel (le sodium (Na), le magnésium (Mg), le soufre (S)) pour les plus importants

- du gaz dissous (le chlore (Cl2), l’oxygène (O2) et le gaz carbonique (CO2))

- d’oligo-éléments (l’iode, par exemple)

Il faut noter que les eaux de mers contiennent 50 fois plus de gaz carbonique (CO2) que
l’atmosphère n’en renferme. Ce gaz est partiellement dissout dans l’eau en acide carbonique
(H2CO3) et sous forme de carbonate. Le CO2 contribue ainsi à maintenir le pH des eaux marines
aux environs de 8 (situation plutôt basique qu’acide). Enfin, le CO2 contribue au bon
fonctionnement du cycle photosynthèse – respiration de la biosphère aquatique.

Pour être plus complet sur l’hydrosphère océanique, le tableau 1.4.2 ci-dessous donne une
synthèse des éléments essentiels qui la caractérisent.

OCÉANS Pacifique Atlantique Antarctique Indien Arctique


Localisation Des côtes américaines à l'est Sur 115'000 km entre le Groenland En anneau autour du pôle sud et Ouvert à l'ouest sur l'Antarctique et Océan polaire du nord
jusqu'à l'Asie et l'Australie à l'ouest au nord et l'Antarctique au sud reliant trois autres océans fermé au nord par les côtes
(Pacifique, Atlantique et Indien) asiatiques

178,7 millions de km2 , soit le 35% 91,6 millions de km2, soit le 18% de 76,2 millions de km2, soit le 15% de 14,8 millions de km2, soit le 3% de
Superficie
de la superficie du globe la superficie du globe la superficie du globe la superficie du globe

Volume 707,1 millions de km3


330,1 millions de km3 284,6 millions de km3 16,7 millions de km3
(1/2 volume d'eau de la planète)

Profo ndeur 5'520 m


moyenne 4'267 m 3'602 m 3'736 m La banquise est permanente faite
de glace de mer
Profo ndeur
La fosse des Mariannes, la plus
particulière Porto Rico 9'218 m la Sonde-Java 7'450 m
profonde du monde avec 11'035 m

Phénomènes Berceau de "El Niño", phénomène Sous un climat plutôt tempéré Vents violents (4ème rugissants, Vaste tourbillon en sens inverse Sensible au réchauffement
cyclique (2 à 7 ans). Il se produit grâce au courant chaud du "Gulf 5ème furieux, 60ème hurlants). Ces des aiguilles d'une montre qui climatique (la fonte des glaces) et
constatés
une inversion du sens des courants Stream" vents servent de moteur dans les donne sur les côtes d'Afrique le au accumulation de polluants
entre est et ouest due à échanges d'eaux profondes par la courant des Aiguilles pour la partie amenés par les masses d'air. Une
l'affaiblissement des vents, alizés, création de courants d'ouest en est sud australe. Pour la partie nord réelle menace écologique existe
dans l'hémisphère nord qui ne boréale, sous l'influence de la
poussent plus les eaux superficielle mousson, les courants tendent à
chaudes vers l'ouest. Les changer de direction comme les
conséquences sont sécheresse en vents
Indonésie et pluies torrentielles sur
le Pérou

Richesses
contenues En proportions variables, on trouve dans les océans, des gisements de pétrole, de gaz, des pharmacopées (plus de 20'000 substances biochimiques), des produits issus de la pêche,
des métaux précieux (or, argent, manganèse, nickel, ...), de l'espace pour agrandir des territoires (Abu Dhabi et Dubaï) et une biodiversité marine importante

Tableau 1.4.2 : Synthèse de l’hydrosphère océanique


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1.4.2 Les eaux continentales

Les eaux continentales sont alimentées par environ 117'000 km3 d’eau de précipitations annuelles.
Cette eau est hélas inégalement répartie (voir tableau 1.4.3 ci-après) et irrégulièrement fournie
dans le temps.

Autre maillon de la chaîne du cycle de l’eau, les eaux continentales se caractérisent par :

- les eaux dormantes ou lentiques (4/lacs de dépression géologique comme le lac Léman, de
cratère de volcan éteint, de barrages issus du mouvement des glaciers comme le lac
d’Annecy)

- - les eaux courantes ou lotiques (cours d’eau)

- les eaux d’infiltration (eaux interstitielles, voir § 1.4.3)

Par opposition aux eaux maritimes, les eaux continentales sont dites douces. Issues des pluies,
elles contiennent aussi du gaz carbonique (CO2) et se sont chargées en calcaires, dont surtout en
carbonate de calcium (CaCO3) qui participe partiellement à la définition de la dureté des eaux
continentales. Outre ce qui précède, elles se composent :

- d’oxygène venu de l’atmosphère

- de composés de soufre (sulfates)

- de composés de silice (silicates)

- de composés d’acide nitrique et nitreux (nitrates et nitrites)5/

- de composés azotés (ammonium NH4)

- de composés du fer et du phosphore

- des oligo-éléments sous forme de traces

Tous ces éléments contribuent au développement de la faune et de la flore aquatique, pour autant
que les équilibres des composants naturels soient préservés.

Dans la Figure 1.3.4 précédente, on donnait la répartition des mouvements annuels d’eau terrestre
pour un volume d’environ 117'000 km3.

Selon les valeurs données par United Nations Environment Programme (UNEP) de mars 2002, la
répartition par continent est donnée dans le tableau 1.4.3 ci-après.

4/
Le lac Baïkal (Sibérie de la Fédération de Russie) représente le 1/5 des réserves d’eau douce de la planète. C’est le
plus profond des lacs qui atteint 1637 m de profondeur.
5/
Avec les phosphates, les nitrates en excès sont des agents de pollutions majeures, soit en perturbant les équilibres
électrochimiques du vivant, soit en contribuant à raréfier la présence d’oxygène.
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% Ecoulement
Précipitations % Evaporation Population
en surface
Continents
Km3 % millions %

Asie (avec Russie) 32’200 27,6 55 45 3’710 60,2

Amérique du Sud 28’400 24,4 57 43 790 12,8

Amérique du Nord 18’300 15,7 55 45 300 4,9

Afrique 22’300 19,1 80 20 750 12,2

Europe 8’290 7,1 65 35 580 9,4

Australie et Océanie 7’080 6,1 65 35 30 0,5

Tableau 1.4.3 : Répartition par continent des précipitations

Ce tableau met en évidence l’importance majoritaire, partout et surtout en Afrique (80% des
précipitations) du phénomène d’évaporation. Il est l’une des explications des événements de
sécheresse répétée et durable rencontrée sur certains continents. De même, on constate que
l’Asie qui représente 60,2% de la population mondiale ne reçoit que 27,6% des précipitations
terrestres. Pour ces deux constats, l’Asie et l’Afrique se doivent de tout faire pour préserver et
sauvegarder autant que possible l’eau reçue.

1.4.3 Nappes phréatiques et notion de "qualité" de l’eau

a) Les nappes phréatiques

En parallèle du ruissellement des eaux de pluies, ces dernières en grande partie s’infiltrent
dans le sol. Il faut compter entre 2 semaines à 10'000 ans pour que s’opère la percolation.

L’eau, dite interstitielle, s’écoule par gravité jusqu’à la rencontre d’une couche géologique
imperméable et s’étend pour constituer une nappe phréatique (du grec "phreos", puits). Lors
de cette infiltration, l’eau traversant des couches sableuses et graveleuses se débarrasse des
bactéries et se minéralise. Par contre, ces eaux isolées du contact avec l’atmosphère ont une
teneur en oxygène plutôt faible.

b) Notion de "qualité" de l’eau

On se préoccupera à la fois des propriétés chimiques, physiques et thermodynamiques de


l’eau. Il faut se souvenir que trois facteurs principaux contrôlent la qualité de l’eau :

o la concentration en sels minéraux (pas trop élevée)

o la turbulence5/ (une eau en mouvement augmente sa vitalité, comme c’est le cas de la


sève et du sang)

o la température (cette vitalité citée précédemment en terme de propriété est meilleure


avec une température de l’eau proche de 4°C)

6
Les eaux polluées, traitées et thermales ne répondent pas de la même façon qu’une eau douce et naturelle.
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Plus précisément, le Centre International de Recherche et de Documentation de l’Aliment


Vivant (CIRDAN) de Strasbourg (France) propose les normes suivantes pour une eau définie
"bonne à boire" :

o pH (mesure de l’acidité ou de l’alcalinité) entre 5 et 7 (à titre d’exemple, le vinaigre a


un pH = 2 et une solution de soude un pH = 14)

o rH2 (pouvoir réducteur ou oxydant) entre 24 et 28

o résistivité entre 5'000 et 50'000 ohms.cm

o minéralisation entre 10 et 150 mg/l (l’OMS recommande une eau au maximum à


400 mg/l

Etant donné les normes émises, cela conduit à dire que les eaux de source sont les plus
adéquates à la consommation.

1.4.4 Réserves d’eau sur terre

L’eau en réserve sur terre est d’environ 1,386 millions de km3 [3] et se décompose comme suit :

mers et océans (eau salée) 1'350'000'000 km3 (97,4%)

glaces aux pôles et glaciers (eau 27'500'000 km3 (1,982%)


douce/salée)
eaux souterraines (eau douce) 8'200'000 km3 (0,60%)

mers intérieures (eau salée) 150'000 km3 (0,011%)

Lacs et cours d’eau (eau douce) 101'700 km3 (0,007%)

organismes vivants 1'100 km3 (-)

Total 1'385'952’800 km3

Ainsi, seuls 2,6% des réserves d’eau terrestre sont de l’eau douce et seuls 0,6% sont
raisonnablement accessibles pour la biosphère. Il s’agit d’un volume d’eau disponible d’environ
8'400'000 km3. Les précipitations continentales annuelles représentent donc 1,4% de ce volume
en réserve. A titre d’exemple, le lac Léman entre la France et la Suisse, de 7'395 km2 de
superficie, constitue une réserve d’eau de seulement 89 km3, soit modestement 0,01‰ des
précipitations continentales mondiales annuelles.

1.5 Evolution de la population mondiale

A ce stade et après avoir mis en évidence les quantités d’eau disponibles, il est important
d’intégrer dans ce qui sera traité dans les chapitres suivants le paramètre lié à l’évolution de la
population mondiale.

Alors que pendant plus de 17 siècles la population mondiale a lentement évolué tout en restant
sous la barre du milliard d’habitants, dès la révolution industrielle du 19ème siècle la croissance est
devenue exponentielle.
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Du milliard d’individus en 1800, on est arrivé à 6,45 milliards en 2005. Le tableau 1.5.1 répartit
cette valeur partiellement par pays principaux où la Chine est un confortable leader avec
1,31 milliards d’individus.

Répartition partielle de la
population mondiale (valeur juillet 2005)

1'500'000'000
1'250'000'000
1'000'000'000
750'000'000
500'000'000
250'000'000
0
EuropeanUnion

Thailand

UnitedKingdom
Italy
Philippines

Turkey
Indonesia

Bangladesh
UnitedStates

Germany
China
India

Russia

Iran

RDCongo
Brazil

Egypt
Vietnam
Pakistan

Ethiopia

France
Nigeria
Japan
Mexico

Tableau 1.5.1 : Répartition partielle des 6,45 milliards de la population mondiale

Outre l’accroissement global de la population, il faut signaler que cette croissance profite
principalement aux sites urbains au détriment des zones rurales. Entre 1990 et 2000, la population
urbaine a surtout fortement progressé en Asie (de 32% à 37%) et en Afrique (de 32% à 38%).

De même, si la population en 2000 reste principalement rurale en Asie, en Afrique et en Amérique


du Sud, elle est définitivement majoritairement urbaine en Amérique du Nord, en Europe et en
Australie-Océanie. Par contre, au niveau mondial, la proportion de personnes du domaine rural
reste majoritaire avec 53%.

1.6 Besoins vitaux en eaux

1.6.1 Besoins physiologiques

Si une méduse contient 95% d’eau, l’homme est constitué en moyenne de 66% d’eau.

Pommes Salade Oeufs Poissons Carottes Ananas Tomates Viande Etres


de terre vivants

91% 95% 75% 80% 89% 87% 91% 50-60% 65-67%


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Cette eau essentielle pour toute la chaîne du vivant est continuellement en mouvement dans tout
organisme qui vit. L’homme absorbe et rejette de l’ordre de 2 à 3 litres d’eau par jour. On connaît la
décomposition journalière d’échange d’eau chez l’homme :

- transpiration et respiration 1 litre

- urine 1 à 2 litres

- effort musculaire intense avec forte chaleur 8 à 10 litres

Tout cela s’accompagne évidemment de pertes de sels minéraux contenus dans l’eau
décomposée. Il est évident que le milieu terrestre soulève plus de problèmes que le milieu
aquatique en terme de conservation de l’équilibre eau-sels minéraux.

1.6.2 Besoins domestiques généraux

Au-delà des besoins physiologiques quotidiens vitaux et quasi incompressibles cités


précédemment, il reste des besoins liés à l’alimentation et aux aspects sanitaires (lavage,
évacuation de déchets, hygiène personnelle et autres).

Le tableau 1.6.1 ci-après, donne des chiffres de la production journalière moyenne par habitant
d’eau potable et montre des situations régionales très variables déjà connues. Alors que dans les
pays industrialisés, 9 personnes sur 10 en moyenne, disposent en abondance d’eau propre et
d’équipement d’évacuation des eaux usées, dans les pays en voie de développement, il en va
autrement. Seules 4 personnes sur 10, en moyenne, ont accès à de l’eau saine et 3 personnes sur
10 à des installations d’évacuation des eaux usées.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.), sur 6 milliards d’habitants, 1,2 milliards (20%)
n’ont pas accès à l’eau potable. Ces personnes se trouvent pour les 2/3 en zone urbaine.

Production d’eau potable


Villes / Pays Années
Litre / jour / personne

Paris 1800 10
France 1960 180
France 1995 300
USA 1995 580
Canada 1985 600
Allemagne 1995 225
Algérie 1995 140
Inde 1990 80
Madagascar 1995 5

Tableau 1.6.1 :Valeur de la production d’eau potable


(rapport eau distribuée sur le nombre d’habitants pour toutes activités raccordées au réseau)
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L’OMS et l’UNICEF ont établi en 2000 les taux d’approvisionnement en eau courante (habitations
et cours) et de raccordement aux réseaux d’assainissement selon les continents. Ces taux sont
donnés dans le tableau 1.6.2 ci-après. Les valeurs confirment le lien entre conditions d’accès de
l’eau et sanitaires et le niveau de développement économique ou de situation géographique sur le
territoire (Amérique et Océanie).

% d’approvisionnement en eau % d’assainissement par


Continents
courante raccordement à un réseau

Asie 77,5 45

Amérique du Sud 77,5 35,5

Amérique du Nord 100 95,5

Afrique 43 17

Europe 97 91,5

Australie et Océanie 73 15

1.7 Usages et prélèvements d’eau

La demande moyenne mondiale d’eau, toutes utilisations confondues, est évaluée à


650 m3 / an / habitant. Cela va jusqu’à 1’690 m3 / an / habitant dans certains pays industrialisés
comme les USA. Pour une population, en 2000, d’environ 6,45 milliards d’individus, en 2005, cela
implique de devoir disposer d’au moins 4'200 km3 d’eau chaque année. Le World Resources
Institute donne le chiffre de 3'240 km3 pour 1995 [5]. En 2050, ce besoin se situera probablement
entre 6'000 et 10'000 km3 soit plus de 60% d’augmentation. Il est même question [3] d’envisager,
dans le siècle en cours, de devoir disposer un jour de près de 20'000 km3 d’eau / année. Il faut
aussi retenir que la consommation d’eau augmente deux fois plus vite que la population mondiale.

En parallèle de cela et, selon les valeurs indiquées dans la Figure 1.3.2, les eaux qui rejoignent les
océans par écoulement à la surface du sol (cours d’eau) ou par migration interstitielle (nappe
phréatique) sont d’un volume annuel de 45'000 m3 d’eau. On pourrait ainsi croire qu’il n’y a pas de
problème pour satisfaire les besoins mondiaux aujourd’hui et pendant tout le XXIème siècle.

Mais, toutes ces valeurs de volume d’eau sont estimées en moyenne. Elles ne tiennent pas du tout
compte du fait que les ressources hydriques naturelles mondiales sont, comme d’ailleurs la
répartition de la population sur la terre, très irrégulièrement réparties. Il est admis aujourd’hui déjà
que de nombreux pays devront faire face à des besoins qu’il faudra satisfaire, faute de quoi leur
situation sera critique en terme de développement économique, comme en terme de survie. Ce
problème géopolitique aigu de l’eau sera abordé au chapitre 2.

Il faut aussi savoir que la consommation mondiale d’eau s’est accrue plus vite ces 30 dernières
années qu’au cours des 3 siècles précédents. Le rythme est de l’ordre de 3 à 8% / an.
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Ainsi, les trois usages qui mettent en jeu des prélèvements d’eau sont en moyenne mondiale :

- l’usage agricole à 68,5 %

- l’usage domestique à 10,5%

- l’usage industriel et énergétique à 21%

Ces valeurs sont modulées, selon que l’on parle de pays à revenu élevé ou de pays à faible
revenu, comme l’illustre la Figure 1.7.1

Pays à revenu élevé Pays à faible revenu

11% 8%
10%
30%

59% 82%

Usage domestique Usage industriel Usage agricole Usage domestique Usage industriel Usage agricole

Figure 1.7.1 : Bilans comparés des usages de l’eau prélevée

1.7.1 Usages agricoles

a) En quelques chiffres

A l’échelle de la planète, 68,5% de la consommation d’eau sont destinés à l’agriculture. Ce


n’est pas loin des ¾ de la consommation d’eau mondiale. On comprend mieux les raisons
de cela par les valeurs de besoins en eau (voir Tableau 1.7.1) nécessaires pour faire croître
les espèces végétales.

Espèces végétales et autres Masse (kg) Besoins en eau (l)

Matière sèche 0,001 0,3 à 0,8

Bière 1 5

Sucre 1 50

Blé 1 150

Riz 1 1250

Œuf de poule 0,08 1’000

Tableau 1.7.1 : Besoins en eau des espèces végétales


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b) Irrigation

Comme déjà indiqué précédemment, toutes les régions du globe ne reçoivent pas les
mêmes quantités de précipitations. Faute d’eau tombant du ciel, l’irrigation permet de
subvenir au manque d’eau régional et permet aussi d’assurer l’utilisation plus intensive de
l’eau due à l’accroissement continuel de la démographie et donc, de l’augmentation de la
production agricole.

Le tableau 1.7.2 ci-après donne pour quelques pays l’eau consommée à usage agricole. La
presque totalité de l’eau est utilisée pour l’agriculture dans les pays en développement.

Pays Part de l’eau à usage agricole, en %

Chine 92

Inde 90

Mexique 90

USA 50

France 50

Tableau 1.7.2 : Portion d’eau à usage agricole

Dans ce contexte, et actuellement, plus de 17% des terres arables sont des surfaces
irriguées qui produisent ¼ de la production agricole mondiale.

c) Problèmes liés à l’irrigation

En moyenne, la moitié de l’eau servant à l’irrigation s’évapore (exemple : en Irak), cela en


l’absence de systèmes de canalisation adéquats (systèmes gravitaires rudimentaires en
lieu et place d’installations sous pression)

Si elle est une solution, l’irrigation se heurte à quelques difficultés quand elle est mal
gérée :

o épuisement des ressources en eau (assèchement de cours d’eau, comme pour le


Colorado, USA) ou pour le Syr-Daria et le Amou-Daria qui se jettent tous deux dans la
mer d’Arale, (lac salé d’Asie qui ne cesse de se réduire en superficie par manque
d’apport d’eau)

o épuisement des nappes phréatiques un peu partout dans le monde (exemples : les
nappes aquifères d’Ogallala -Nébraska, USA, de Koufra et de Sarir, Libye)

o accroissement des effets des maladies d’origine hydrique

o perturbation de la pêche

o anéantissement du sol par engorgement

o pollution du sous-sol (35% en Inde, 33% au Pakistan, 40% en Amérique latine, …) par
intrusion d’eau salée ou de produits chimiques dans les nappes profondes (72% des
Bretons (F) consomment une eau trop chargée en phosphate)
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1.7.2 Usages industriels

a) En quelques chiffres

A l’échelle de la planète, 21% de la consommation d’eau sont affectés à l’usage industriel.


Au fil du déroulement du 20ème siècle, les besoins en eau des industries ont été multipliés
par 25 et cela ne cesse de croître. Le tableau 1.7.3 ci-après donne les consommations
d’eau par les industries de transformation qui sont de grosses consommatrices d’eau.

Type d’industrie Masse (kg) Quantité d’eau (l)

Laine 1 150

Aluminium 1 1’250

Automobile 1250 10’000

Pétrole (raffinage) 1000 10’000

Alcool (distillation) 1000 100’000

Pâte à papier (fabrication) 1000 250’000

Acier 1000 270’000

Fibres synthétiques 1000 5’000’000

Tableau 1.7.3 : Quantité d’eau pour transformation industrielle

Depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’obtention de produits finis, l’industrie a
besoin d’eau. On peut citer comme usages principaux :
o la production d’énergie (eau déminéralisée)
o la réfrigération
o la fabrication des produits chimiques, pharmaceutiques et cosmétiques (eau ultra pure)
o la dilution de toute nature

b) Problèmes liés à l’industrie

Contrairement à l’usage agricole pour lequel l’eau suit un cycle bio géochimique lors de sa
restitution à l’environnement, l’eau d’origine industrielle est souvent polluée et nécessite
des traitements complexes avant d’être réutilisable ou restituée à l’environnement.

La pollution de grande quantité d’eau n’est pas nouvelle et date du Moyen Age, comme :
o le rouissage (nettoyage) du chanvre et du lin
o le travail du cuir (tanneries et méfisseries)7/
o la teinture d’étoffes

7/
Industrie des peaux méfissées, c’est-à-dire tannées à l’alun (sulfate d’aluminium et de potassium qui sert à fixer les
teintures)
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Aujourd’hui, la pollution est une réalité et tout simplement s’opère à grande échelle (en
Chine, la moitié des cours d’eau du pays est polluée et 80% des déchets industriels sont
directement renvoyés dans l’environnement). Ces problèmes de pollution seront traités
plus précisément dans le chapitre 2.

1.7.3 Usages domestiques

a) En quelques chiffres

A l’échelle de la planète, seulement 10,5% de la consommation d’eau sont à usage


domestique. La presque totalité de cette eau (86%) est rejetée dans le milieu naturel après
usage. Cela nécessiterait l’assainissement de ses eaux usées par des usines de
dépollution afin d’éviter l’empoisonnement du milieu naturel.

Comme le faisait remarquer le Water for Health en 2001 : "L’eau et la santé, deux
ressources précieuses liées l’une à l’autre". En effet, aujourd’hui, plus de 2 millions de
personnes meurent chaque année par contamination d’eau impropre à la consommation,
souvent par pollution.

b) Consommation domestique journalière

Pour ceux qui ont la chance d’avoir un accès en continu à l’eau, il est intéressant de relever
comment se répartit la consommation domestique journalière.

Un opérateur privé8/ dans le secteur de la distribution d’eau a comptabilisé et publié les


valeurs de consommation des ménages. Les valeurs données dans le tableau 1.7.4
correspondent à une consommation moyenne quotidienne des ménages français de 150
litres. Par comparaison, on sait que cette même consommation aux USA est plutôt entre
300 et 400 litres, soit entre 2 et 3 fois plus !

Toilettes Bains Cuisine Jardin

Chasse Douche Bain Robinet Lave-vaisselle Arrosage Voiture


d’eau
Lave-linge

Consommation 6 à 12 60 à 80 150 à 200 1,5 20 à 100 15 à 20 200


(l)
% 20 39 13 22 6

1.8 Eau et aménagements

De tous temps, l’homme a cherché à maîtrisé l’eau pour répondre à ses besoins :

- de transport, courtes ou longues distances (aqueducs, réseaux sous pression ou gravitaire)

- de navigation (canaux et écluses)

- de stockage (réservoirs et retenues)

- de production d’énergie par l’hydroélectricité (barrages, ouvrages de prise, conduites


forcées et biefs)

8/
Veolia Environnement, France, 2004
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- d’assainissement (bassins de décantation et station d’épuration)

- de dessalement (transformation de l‘eau de mer en eau douce et consommable)

Autant, certains aménagements anciens ne souffrent d’aucune critique et même soulèvent


l’admiration (par exemple : les grands aqueducs romains), autant les aménagements hydrauliques
récents sont sous le feu de l’actualité. On parle de « dangereux gigantisme » et d’atteintes de
l’environnement avec conséquences néfastes. On peut citer quelques exemples :

- le projet de canal Rhin-Rhône (France), qualifié d’ « autoroute fluviale »

- les aménagements sur la Grande Rivière (Canada) sur des centaines de kilomètres et
bouleversant 18 millions d’hectares de milieu naturel

- l’aménagement des Trois Gorges, sur le Yagzijiang (Chine) menaçant 1200 sites historiques et
chassant plus d’un million d’habitants

Ces controverses, qui opposent de plus en plus, développements économiques classiques et


conservation du milieu naturel vivant (biosphère) seront abordées au chapitre 2. En effet, on
s’oriente depuis la fin des années 80 vers le concept de biodiversité (initié dès les années 1970 par
l’UNESCO) s’inscrivant dans la perspective de ce que l’on qualifie de développement durable ou
"soutenable".

2. Eau : enjeux et difficultés

2.1 Un problème aux facettes multiples

L’eau, pourtant si naturelle, est devenue par l’action quotidienne de l’homme un élément complexe.
En effet, c’est :

- une réalité environnementale et terrestre, source de vie à préserver

- une réalité sociale car toute la population n’y a pas accès pour plusieurs raisons

- une réalité économique car elle contribue largement au développement et à l’activité humaine.

Ce constat a des conséquences plus ou moins aiguës. Ainsi, l’eau est l’objet :

- de conquêtes parfois par tous les moyens pour assurer l’existence et même la survie

- d’une utilisation à outrance et de sa détérioration progressive lors de l’activité humaine répétée


et sans attention

- de toutes les craintes en termes de pénurie régionale (disponibilité irrégulière) ou de


catastrophes naturelles accrues par les récents changements climatiques

Force est de constater que l’eau est dans tous ses états et l’homme y contribue largement, souvent
sans en mesurer les conséquences.

Il est donc essentiel d’analyser les enjeux d’une telle situation pour mieux tenter d’y remédier
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2.2 Les enjeux principaux

2.2.1 Le droit à la vie

Comme indiqué au § 1.5 précédent, la population s’est rapidement accru pour atteindre en juillet
2005 près de 6,45 milliards d’habitants.

Ce lien eau-accroissement de population est essentiel. En effet, les problèmes soulevés par la
suite ne peuvent que s’amplifier avec une population toujours plus importante.

Ainsi, le droit à la vie et donc l’accès à l’eau propre à la consommation est sans fondement pour
déjà 20% de la population mondiale (voir Figure 2.1). Cela s’explique par :

- La fragmentation non homogène des bassins hydrographiques. En effet, 10 pays se


partagent 60% des ressources en eau. Sur les 242 bassins majeurs, 2 d’entre eux sont le
Brésil et les autres sont partagés par seulement 12 pays !

- La raréfaction naturelle de l’eau dans une large bande autour de la zone équatoriale. Dans
ces pays, le "stress hydrique" est prédominant, voire critique (Amérique centrale, Afrique du
Nord, Moyen-Orient et jusqu’en Australie occidentale).

- Les inégalités économiques qui empêchent à certains pays l’accessibilité à l’eau par manque
de moyens (45% de la population mondiale tente de vivre avec moins de 2 US$/jour)

Cette insuffisance d’eau locale est d’autant plus dramatique qu’il manque à près de 50% de la
population mondiale pour un usage agricole normal. Cela conduit 15% d’individus, soit de l’ordre
du milliard de personnes, à ne pas avoir accès à la nourriture !

Tout cela est sans compter sur les moyens sanitaires qui sont inexistants pour 40% d’entre nous,
comme le montre le graphique de la Figure 2.1.

2% 2% 5%
7%
13%
World Health Organisation/UNICEF, 2000

Europe Europe
Amérique latine Amérique latine
28% Afrique
Afrique
Asie Asie

63%

80%

(a) (b)

Figure 2.1 : Répartition des personnes :


a) n’ayant pas accès à l’eau potable
b) ne bénéficiant pas de moyens sanitaires
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La conséquence directe de ce qui précède touche la santé et cause le développement de maladies


d’origine hydrique (fièvre typhoïde, la bilharziose, l’onchocercose, la gastro-entérite, …). Cela
touche plus de 30 millions de personnes qui en meurent chaque année. Les enfants sont
particulièrement atteints dans les pays où l’eau manque et plus de 2 millions d’entre eux décèdent
après avoir contracté l’une ou l’autre des maladies issues d’eau contaminée.

Ce bilan déjà bien sombre pourrait encore s’aggraver dans les prochaines décennies. En effet,
certains spécialiste d’agence autorisée pensent que 45% de la population mondiale en 2025
n’auraient pas accès à l’eau.

2.2.2 La gestion écologique

L’activité humaine est largement responsable du désordre écologique constaté depuis quelques
dizaines d’années.

D’un point de vue général, l’agriculture, avec 70% des prélèvements d’eau, participe à la
dégradation du sous-sol. En effet, l’usage de produits détersifs toxiques ou même celui d’engrais
ou autres produits d’enrichissement des sols à haute dose contamine progressivement l’eau des
nappes.

De même, l’activité industrielle, avec 21% des prélèvements d’eau, mais surtout par l’ensemble
des rejets non contrôlés sur site ou en-dehors, dégrade dangereusement le milieu naturelle. On
sait qu’un gramme d’hydrocarbure rend impropre à l’usage humain 1 m3 d’eau.

a) La contamination des sites

Les pays industrialisés sont confrontés aujourd’hui à résoudre la contamination de plus de


400'000 sites (anciennes mines, usines désaffectées, décharges non contrôlées, sites
militaires, …).

Il faut compter plusieurs millions de US$ pour envisager la décontamination. On parle de :

o US$ 450'000 / hectare de terrain chimiquement contaminé

o plus de US$ 20 millions pour réhabiliter une décharge non-contrôlée

o plus de US$ 30 millions pour décontaminer chaque ancienne mine exploitée

En marge de l’activité industrielle courante, la contamination peut prendre aussi d’autres


formes, comme les guerres (en dix ans de guerre du Viet Nam, plus de 70 millions de litres de
produits toxiques à base de dinoxol, trinoxol, arsenic, dioxine et plus encore ont été répandus,
rendant certaines nappes phréatiques impropres à la consommation depuis trente ans), ou les
accidents (Bhopal – Inde, en 1984 où des fuites de gaz mortels ont contaminé l’eau qui
aujourd’hui est consommée quotidiennement en l’état, selon Greenpeace).

b) Traitement des eaux usées

Sur la base d’informations données par le World Health Organization (UNICEF), la situation du
traitement des eaux usées en 2000 restait préoccupante.
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Elles sont résumées dans la Figure 2.2 donnée ci-dessous.

100% 90%

75% 68%

50%
35%

25% 14%
0% 0%
0%
Europe Amérique Afrique Australie Asie Amérique
du sud Océanie du nord

Figure 2.2 : Moyenne par continent des eaux usées traitées efficacement

A titre d’exemple, le taux de dépollution des eaux usées en France, en 2000, était de 45%
(bien en-dessous de la moyenne européenne de 68%) et il devrait atteindre 65% en 2005.
Cela passe par un réseau d’assainissement exempt de fuites et la présence d’usines de
dépollution.

c) Epuisement des ressources naturelles

L’épuisement des ressources naturelles est aussi à souligner ici malgré le fait que l’eau n’y soit
pas directement touchée. En effet, si elle est certes polluée, l’eau ne disparaît pas.

De quoi s’agit-il ? En fait, la Banque Mondiale, en 2006, s’est intéressée à la répartition de la


richesse mondiale. A ce propos, les spécialistes scrutent généralement les évolutions du
produit intérieur brut (PIB) des nations.

De son point de vue, la Banque Mondiale pense que les indicateurs utilisés actuellement pour
mesurer le niveau de développement des pays sont insuffisants. On s’intéresse à l’économie, à
l’éducation et à la santé mais personne ne mentionne la perte de valeur que représente
l’épuisement constant et régulier des ressources naturelles.

Ainsi, selon les niveaux de revenus par pays, la Banque Mondiale a établi la place du capital
naturel vis-à-vis des autres richesses (produits et intangibles), comme résumé à la Figure 2.3.
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Répartition des richesses

100
16 19 17
3
75 25 13
en %

50
80
68
59
25

0
Pays à faible revenu Pays à revenu Pays de l'OCDE à
intermédiaire revenu élevé

Capital intangible Capital naturel Capital produit


Source: Banque Mondial, via Le Figaro, janvier 2006

Figure 2.3 : Place par niveau de revenu du capital naturel

Cette notion de capital naturel est intéressante à plus d’un titre. Elle devrait permettre, à
l’avenir, d’être mieux surveillé car quantifié. De plus, sa mise en lumière, en tant qu’indice,
devrait aider à la préserver, voire à l’améliorer. En principe, quand un élément économique est
identifié, on ne le laisse par dormir ! Ainsi, si l’objectif est une amélioration et la valorisation de
ce capital naturel, l’eau qui est partie prenante comme ressource de base devrait y trouver son
compte en terme de qualité. Peut-être est-ce une arme de plus pour lutter contre la
dégradation de notre source de vie.

2.2.3 Le régime de gestion des eaux

Parmi tous les enjeux principaux relevés et sans qu’il ne soit nécessaire de les classifier, vu leur
importance, celui du régime de gestion des eaux pourrait s’avérer essentiel.

En effet, faut-il donner une valeur économique à l’eau ? Est-ce un bien économique ? En clair,
pouvons-nous dire que l’eau courante peut faire l’objet d’un service marchand et être une source
de revenus ? Que dire de la privatisation des services de l’eau ?

Depuis bien longtemps, certains pays ont déjà fait le pas vers la gestion déléguée de l’eau aux
privés. On se rappelle que, sous Napoléon III, la Compagnie Générale des Eaux obtint le premier
contrat privé de concession de distribution de l’eau, celui de la ville de Lyon en 1853. En Europe,
depuis l’ère Thatcher au Royaume-Uni, dans les années 80, la privatisation tout azimut est
devenue légion dans ce pays. Cet élan est allé au-delà des frontières britanniques et semble
représenter un modèle économique à suivre aux yeux de certains dirigeants.

Dans le domaine de l’eau, au niveau mondial et malgré les idées reçues, seulement 7% de la
population du globe sont desservis par un opérateur privé (Véolia, Ondeo-Suez, RWE
Thames, …).
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Pour les adeptes du service public, il n’y a donc pas encore péril en la demeure, même si la
croissance de la part privée s’accélère comme le montre l’évolution des privatisations à horizon
2010 de la Figure 2.4 ci-après.

70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Europe Europe USA Amérique Afrique Asie
de Centrale latine
l'Ouest

Privatisation en 1997 Privatisation en 2010

Figure 2.4 : Evolution des privatisations dans le secteur de l’eau entre 1997
et projection en 2010

Les opérateurs privés sont aujourd’hui présents sur tous les continents, réalisant un chiffre
d’affaires de plusieurs dizaines de milliards par année. Selon le chiffre 2004, le tableau 2.5
ci-dessous présente les acteurs privés principaux.

Chiffre d’affaires Personnes desservies en eau


Opérateurs
(milliards d’Euros) (millions)

Veolia Eau 9,8 110

Ondeo-Suez 7 125

RWE Thames 4,1 75

Seven Trent 1,8 15

United Utilities 1,6 24

SAUR (PRA) 1,5 14

SABESP 1,4 26

Tableau 2.5 : Principaux opérateurs privés dans le secteur de l’eau


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Dans ce contexte, les "pour" et "contre" du développement des privatisations s’affrontent.

Les "pour" la privatisation avancent la garantie de meilleur approvisionnement et sont persuadés


de l’amélioration de la situation actuelle par une prise en main efficace et sont convaincus que les
engagements financiers seront mieux gérés. Les "contre" s’opposent à l’idée de faire de l’eau une
marchandise comme tout autre produit de consommation. En privatisant, que deviendraient les
principes de service public en terme d’accessibilité à tous ? De quelle latitude décisionnelle les
pouvoirs publics disposeraient-ils alors dans le futur ?

Encore une fois, la réponse tourne autour des moyens à mettre en œuvre. La Suisse passe pour
un pays plutôt mercantile. Or, le 100% de la gestion de l’eau potable se fait par les 3000 sociétés
publiques communales. A contrario, la France qui a longtemps brandit l’étendard du service (EDF,
Renault, la SNCF, …) voit 80% de son eau potable gérée par 3 sociétés privées ! Le débat sur ce
sujet reste ouvert. La seule chose que l’on peut affirmer, c’est qu’il est indéniable que face aux
enjeux relevés, l’eau potable et consommable a un prix (voir le chapitre 4. Prix de l’eau).

On notera enfin que de plus en plus d’appels d’offres internationaux relatifs à la gestion de
l’alimentation en eau potable de grandes villes sont dirigés vers le secteur privé. Les buts
recherchés par les administrations qui lancent ces concours sont :

- l’amélioration des techniques en terme de performance

- de redorer le blason de l’image commerciale ternie de certains services publics

- de redresser la situation financière parfois catastrophique (pas de facturation, des retards


abyssaux de paiement et un prix de l’eau qui ne couvre pas les charges d’alimentation d’eau
consommable)

Dans ces concours, il n’est pas question systématiquement de privatisation. Il s’agit souvent de
contrats de prestations à terme :

- d’aide à la gestion et à la mise en place d’organisation pérenne

- d’encadrement et de formation du personnel

- d’appui à la maîtrise d’œuvre pour de futurs investissements

- de mise à disposition de personnel hautement qualifié

Sans toujours vouloir diaboliser le phénomène de privatisation, les évolutions intervenues ces
dernières années, spécialement chez les grands bailleurs de fonds internationaux (Banque
Mondiale, …) font apparaître une certaine volonté de trouver un juste équilibre entre public et privé.

En tant que praticien, il est souhaitable que tout soit mis en œuvre techniquement et humainement
pour permettre aux pays demandeurs de savoir-faire et de compétences un transfert de
technologie. L’objectif devrait être d’assurer à terme une gestion autonome des aménagements
dans les règles de l’art apprises et pratiquées.
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2.2.4 L’absence de solidarité politique mondiale

Le pouvoir financier est encore une fois au centre du problème. On entend dire que l’avenir de
l’eau serait entre les mains de quelques puissants. Ce qui peut laisser croire à cela, ce sont les
conditions que l’"oligarchie institutionnelle" des organismes internationaux (Banque Mondiale, …)
impose spécialement pour la mise à disposition de prêts pour les aménagements d’alimentation en
eau. "Chat échaudé craint l’eau froide", il faut dire que les milliards d’investissements consentis ces
quarante dernières années n’ont pas toujours atteint leurs objectifs. Dans ces conditions, les
prêteurs ont cherché à avoir plus de garanties. Or, les opérateurs privés qui eux-mêmes
investissent étaient à leurs yeux plus crédibles et de confiance. Un vent de privatisation a donc
soufflé à la fin du siècle passé.

Aujourd’hui, il suffit de parcourir les pays en manque d’eau pour constater que des installations
existent mais souvent ne fonctionnent pas ou mal. Les raisons essentielles sont l’inexistence de
maintenance et une exploitation mal gérée. Ainsi, ces milliards investis n’ont pas atteint leurs buts
et pour bien des endroits, tout est à refaire.

Forts de ces expériences coûteuses et malheureuses et après un passage vers l’axe privatisation
lors de ces dix dernières années, les grands argentiers revoient progressivement leur position. Ils
s’orientent peu à peu vers des montages publics-privés où la place de la formation et du transfert
de connaissances devient essentiel.

Mais, faute de vraie politique mondiale de l’eau et malgré les belles promesses politiques (Forums
mondiaux de l’eau, sommets sur le développement durable ou les journées mondiales de l’eau), il
n’y a toujours pas de solidarité organisée et effective pour résoudre en profondeur le problème de
l’eau.

Dans ce contexte, le cas par cas prévaut encore et toujours.

2.3 L’eau et ses problèmes permanents

2.3.1 Géopolitique

Souvenons-nous que l’eau est présente en abondance sur notre planète, l’hydrosphère
représentant environ 1,4 milliards de km3. Par contre, 2% de cette eau sont disponibles, voire
seulement 0,6%, directement pour la consommation mondiale (agricole, industrielle et
domestique). De plus, l’eau continentale est très inégalement et irrégulièrement répartie. A cela, si
l’on ajoute que :

- l’eau est indispensable à la vie et elle a de multiples usages

- l’eau est partie intégrante de l’écosystème, donc à préserver, voire réduire au plus vite la
pollution9/

- les besoins en eau s’accroissent avec l’augmentation constante de la démographie et de la


durée de la vie

On comprend mieux pourquoi l’eau est et va devenir de plus en plus un enjeu économique, un
enjeu stratégique et politique. On parle même d’hydropolitique.
9/
En Chine, pays au premier rang mondial en terme de croissance, 80% des déchets industriels partent dans
l’environnement et plus de la moitié des cours d’eau sont pollués.
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Sans législation internationale dans le domaine de l’eau, elle devient un élément central et fragile.
Dans le contexte d’un pétrole de plus en plus cher en se raréfiant, l’eau pourrait prendre le même
chemin. Pour l’eau, il ne s’agit pas de disparaître mais de devenir une source de plus en plus en
insuffisance de quantité (assurer la demande) comme de qualité (garantir la vie) si rien n’est
entrepris. On comprend aisément que tout cela constitue un terreau fertile de génération de conflits
entre états.

2.3.2 Répartition inégale de l’eau

Sur la base d’un flux annuel d’eau de surface restitué aux océans de 42'600 km3 (voir Figure
1.3.2), la répartition de cette dernière reste géographiquement inégale. Le tableau 2.6, donné ci-
après, indique pour certains pays la répartition de ce volume annuel disponible.

Population (P) Superficie (S) Ressource en R/P10/ R/S


Pays
mio d’hab. mio de km2 eau (R) km3 m3/hab. mm

Brésil 164,4 8,512 5’670 34’500 665


Russie 147,2 17,007 3’904 26’500 230
Chine 1234,3 9,60 2’880 2’350 300
60% des Canada 29,8 9,975 2’850 95’650 285
3
40'000 km
Indonésie 200,6 1,90 2’530 12’600 1’330
Etats-Unis 265,8 9,364 2’478 9’350 265
Inde 987,0 3,268 1’550 1’570 475
Colombie 35,70 1,140 1’112 31’150 975
Congo 45,28 2,345 1’020 22’550 435
2
Chypre 0,75 (9251 km ) 1’000 1'333’350 1’855
2
Singapour 2,87 (618 km ) 600 209’060 970’000
France 60,19 0,549 202 3’360 370
Islande 0,27 0,103 191 708’000 100’000
2
Ile de Malte 0,368 (316 km ) 25 57’950 80’000
Jordanie 412 0,092 1,26 300 63
2
Koweit/Bahrein 1,53/0,58 0,0178/(660 km ) quasi nulle quasi nulle quasi nulle

Tableau 2.6 : Ressources annuelles par pays majeurs

Le tableau précédent fait apparaître des diversités notables mais il indique, avec le cas de la
Jordanie, que plusieurs pays du Proche et du Moyen-Orient, sont déjà dans une situation de
pénurie de ressources en eau.

Là comme ailleurs, ce sont plus de 26 pays pour une population de 230 millions d’habitants qui
vivent sur un territoire où l’eau est considérée comme rare. Par ailleurs, des pays comme l’Arabie
Saoudite ou la Libye fondent leur développement économique sur l’utilisation d’aquifères fossiles,
ressources malheureusement non renouvelables et épuisables.

10/
valeurs < 300 = ressources en eau critiques
valeurs > 2000 = ressources en eau en abondance
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Certains observateurs parlent d’un épuisement sur un demi-siècle alors que d’autres avancent une
durée de plusieurs centaines d’années au rythme de 5,5 millions de m3/jour.

Malheureusement, la situation des pays dits critiques face aux besoins en eau ne va probablement
qu’empirer avec l’accroissement des populations des prochaines décennies. En effet, Malin
Falkenmark a synthétisé cela par ce qu’il appelle une spirale « infernale » qui, pour tout
accroissement démographique non contrôlé, conduit à une inéluctable dégradation de
l’environnement naturel. On est loin ici du développement durable souhaité dont il sera question
plus après.

Un autre constat est à faire car rareté ne signifie pas inaccessibilité. Certains pays du Moyen-
Orient bénéficiant de réserves pétrolières ont accès à l’eau sans restriction par le dessalement de
l’eau de mer. Le coût de telles installations se réduit au fil des années. L’eau produite peut
atteindre un coût de 0,50 €/m3 (aménagement d’Ashkelon en Israël). Cette baisse des coûts de
production peut laisser envisager que le dessalement pourrait être une ressource alternative,
surtout pour les pays côtiers.

Par opposition, des millions de Brésiliens n’y ont pas accès (Nord-Ouest, par exemple) alors que le
Brésil fait partie des huit pays disposant de 60% des ressources mondiales d’eau ! Ainsi, outre sa
répartition inégale, voire sa rareté, l’un des problèmes de l’eau est bien son accessibilité.

2.3.3 Zones hydro-conflictuelles

Les cours d’eau ont été souvent le moyen simple ou tactique de limiter la frontière entre états (le
mot "rivalité" vient de rive, car le rival est celui qui est sur l’autre rive). En moyenne, 32% des
tracés frontaliers coïncident avec des limites hydrographiques.

En parallèle de cela, les fleuves sont les lieux idéaux favorisant le regroupement des populations
(Tigre, Euphrate et Nil, par exemple). Ce sont des localisations privilégiées pour pouvoir disposer
d’eau domestique et d’irrigation.

L’eau fut aussi souvent le moyen utilisé pour se protéger (exemples des villes anciennes entourées
d’eau). Elle sera aussi utilisée comme moyen d’attaque en causant des dommages aux
aménagements hydrauliques construits (barrages, canalisations, etc.…) et ainsi priver l’adversaire
de l’accès à la précieuse eau (par exemple, bombardements britanniques en 1943 sur certains
grands barrages allemands, réserves d’eau de la Ruhr).

Le non-accès à l’eau était mis en évidence au paragraphe précédent et cet élément est renforcé
par le fait de la fragmentation par nations de la gestion de cette eau. En effet, sur 242 bassins
hydrographiques majeurs, seuls deux appartiennent à un pays [9]. Il y a donc manifestement des
inégalités économiques et sociales face à l’eau. Une raison essentielle des causes de conflit se
trouve là.

L’eau reste un enjeu central pour la mise en œuvre d’un développement économique souhaité par
les hommes ou tout simplement est vital pour certaines populations. Aussi, l’eau est
stratégiquement un générateur de situations à problèmes pour des Etats ou entre Etats, faute
d’une véritable législation internationale de l’eau. A travers le monde, plusieurs antagonismes
existent ou sont latents. Si on ajoute à ce qui précède les rivalités territoriales, éthiques ou
religieuses et les distorsions dans les degrés de développement des pays concernés, tout milite
pour l’émergence de conflits. On peut citer :

a) En Afrique : Mauritanie – Sénégal

Même la coopération entre la Mauritanie, le Sénégal et le Mali pour permettre la mise en


valeur du fleuve Sénégal (OMVS) n’a pas résolu les différends ethniques et d’intérêts
économiques entre Mauritaniens et Sénégalais et Sénégalais et Maliens.
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b) Proche-Orient

Dès 1919, le problème de l’approvisionnement en eau de la Palestine s’est posé.


L’alimentation de cette dernière par les fleuves Jourdain et Litani, issus du Liban, avait
même poussé les décideurs de l’époque à envisager les frontières de la Palestine à partir
de considérations purement hydrauliques. Pas loin de 9 plans et contre-plans se
succédèrent entre 1926 et 1956 (crise du canal de Suez) sans succès. Depuis lors,
Israéliens, Syriens, Libanais, Jordaniens et Egyptiens sont régulièrement en conflit. Les
conquêtes militaires ont comme dénominateur commun des considérations stratégiques
mais surtout l’eau.

c) Guerre Iran-Irak

Le partage des eaux du Chatt-El-Arab (Sud de l’Irak) oppose Persans et Arabes depuis le
16ème siècle. De 1913 à 1979 (arrivée de l’ayatollah Khomeyni à la place de Reza Chah
chassé d’Iran), les accords et pactes se succédèrent. En septembre 1980, l’Irak reprit les
armes contre l’Iran et exigea le retour de sa souveraineté du Chatt-El-Arab, prétexte pour
une suprématie régionale et pour une guerre qui dura 4 ans.

En marge de ce qui précède, une guerre Irak-Syrie a été évitée de peu dans les années 70,
alors que le barrage syrien de Tabqa réduisait du quart le débit de l’Euphrate vers l’Irak.

d) Projet turc GAP (Guneydogou Anadolou Projesi)

La mise en œuvre par la Turquie du projet d’Anatolie du Sud-Est consiste en un programme


de US $12 milliards d’aménagements hydrauliques du Tigre et de l’Euphrate et,
accessoirement, de l’Oronte. On parle de 13 ouvrages principaux à buts multiples et de 21
barrages et centrales hydroélectriques dont le barrage Atatürk qui a été récemment mis en
service. Ces projets ont des conséquences directes pour les voisins situés en aval des
deux fleuves, à savoir la Syrie et l’Irak.

e) Situation la plus alarmante

A l’heure actuelle, les zones du Proche et du Moyen-Orient restent des régions où la


situation est très alarmante. Tous les observateurs spécialisés s’accordent pour dire qu’il
n’y aura pas de paix sans régler les problèmes de l’eau et vice-versa.

Ainsi, l’eau du Jourdain apparaît plus vitale pour la Jordanie que pour la Syrie qui peut
disposer des eaux de l’Euphrate, même si la Turquie ponctionne les eaux bien en amont.
De même, le partage des eaux du Jourdain et du Tarmouk entre Jordaniens et Israéliens
est un sujet qui reste brûlant malgré l’accord d’octobre 1994. Et, bien sûr, les problèmes
entre Israéliens et Palestiniens et leurs droits sur l’aquifère montagneux de Judée-Samarie
en Territoires occupés, sont largement posés.

D’autres hydroconflits, d’importance différente, sont malheureusement envisageables. On


peut citer les cas suivants :

o du Nil qui pourrait diviser l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie mais ces deux derniers états
sont ravagés par la guerre civile et trop pauvres pour mettre en valeur leur eau du Nil

o des aquifères de Sarir et de Tazerbou, en Libye où de grands transferts d’eau sont


prévus et qui pourraient toucher le Tchad, l’Egypte, le Soudan et l’Algérie

o du différend entre le Mexique et les Etats-Unis pour le partage des eaux du Rio
Grande et de la nappe souterraine transfrontalière

o entre le Pakistan et l’Inde avec l’Indus

o entre l’Inde, le Bangladesh et, indirectement, le Népal avec le Gange et le


Brahmapoutre
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o des Balkans avec le Danube et le réseau hydrographique

o du différend hungaro-slovaque avec le Danube encore, fleuve frontière des deux pays

o le cas des problèmes nombreux nés de l’éclatement de l’ex-URSS, avec le Syr Daria,
l’Amou Daria et la mer d’Aral entre le Kasakhstan et l’Ouzbékistan (voir § 2.7.2)

o le cas de la Namibie et du Botswana, en Afrique australe, alors que cette première


projette le détournement des eaux de l’Okavango, ressource en eau du Botswana et
des dernières grandes réserves naturelles d’Afrique

Enfin, on peut signaler que la Conférence de Rio de Janeiro, de juin 1992, consacrée à la
compatibilité entre le développement économique, les instruments de la lutte contre la pauvreté et
la protection de l’environnement, a été aussi l’occasion d’aborder le problème de la guerre. Dans
son Principe 24 (Agenda 21, paragraphe 39.6a), la Déclaration de Rio précise que :

"La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable. Les Etats
doivent donc respecter le droit international relatif à la protection de l’environnement en temps de
conflit armé".

Tout cela reste très ambitieux, avec des règles qui sont identiques, que ce soit en temps de paix
ou en temps de guerre. De plus, le cas de la guerre civile ou inter-ethnique n’est jamais abordé.

2.3.4 Sans droit international [5]

"Nous jurons de ne jamais renverser les villes amphictyoniques11/, de ne jamais détourner, soit
pendant la paix, soit pendant la guerre, les sources nécessaires à leurs besoins…"

Déjà au VIIème siècle avant J.C., une fédération de près de 12 villes de la Grèce antique s’était
interdite mutuellement de se priver d’eau.

Malheureusement, l’eau était et est toujours utilisée comme arme de destruction. Privées d’eau, les
populations fuient ou disparaissent. Aujourd’hui, cela est d’autant plus d’actualité que les
organisations non gouvernementales (ONG) ne cessent de mettre en place, pour les pays touchés
par la guerre12/, des programmes visant à restaurer l’approvisionnement en eau potable et à
organiser l’assainissement des eaux usées.

Il faut attendre le Protocole additionnel aux Conventions de Genève, d’août 1949, pour que soit
prévue l’interdiction "d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens
indispensables à la survie de la population civile, dont notamment les installations et réserves
d’eau… "

Malgré certaines bonnes intentions exprimées précédemment, si l’on peut parler ainsi en temps de
guerre, ces dispositions restent du domaine de l’inapplicable dans bien des cas. On parle bien
d’ "attaques chirurgicales", mais les installations électriques sont systématiquement touchées et
empêchent l’usage des moyens de pompage, donc d’accès à l’eau. Les bombardements
conduisent à des destructions industrielles dont la pollution va gagner progressivement les eaux de
surface, voire les eaux souterraines, donc l’usage de l’eau. Il apparaît évident qu’il n’y a pas et qu’il
ne pourra pas y avoir de concordance entre bonnes intentions vis-à-vis des populations civiles et
impératifs militaires.

11/
L’amphictyonie est dans l’antiquité une association de cités autour d’un sanctuaire commun.
12/
Plus de 90 conflits continuent à faire rage à travers le monde.
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Une autre impulsion favorable, qui préfigurerait un espoir, a été exprimée dans les Règles, dites
d’Helsinki (1966)13/ relatives aux usages des eaux de cours d’eau. Elles visent à interdire les
empoisonnements, les détournements et la destruction d’aménagements hydrauliques qui, d’une
façon ou d’une autre, conditionnent la survie.

De même, en décembre 1976 et dans la ligne des Règles d’Helsinki, alors que le Protocole I vise à
ce que toute guerre soit conduite en suivant le principe de proportionnalité (acte de guerre
proportionnel avec l’objectif et pas au-delà) et en veillant à protéger l’environnement naturel, la
Convention "Environmental Modifications" (ENMOD) a été organisée sous l’égide des Nations
Unies (UN). Elle avait pour but d’interdire l’utilisation, pour fait de guerre, de techniques modifiant
l’environnement de manière durable. Les exemples passés sont nombreux et justifient de telles
mesures (guerre du Vietnam et l’usage de produits défoliants, guerre du Golf et pollution volontaire
par le pétrole déversé).

Cette Convention a été relayée par une deuxième, 16 ans plus tard, déplorant que seuls 55 états
aient été liés par son contenu.

2.4 L’idée du développement durable

2.4.1 Origine et définition

La prise de conscience que le seul souci14/ d’un développement individuel optimal à court
terme mène inévitablement à la ruine de tous a permis de faire le lien entre environnement et
développement (O.C.D.E., juin 1985). Dès 1987, la Banque Mondiale subordonne alors ses
programmes d’aide au développement à une étude d’impact sur l’environnement demandée aux
pays bénéficiaires. A cette même période, la commission Brundtland15/ ou Commission mondiale
sur l’environnement et le développement, démontra que la croissance économique, la lutte
contre la pauvreté et la bonne gestion de l’environnement étaient souvent inséparables.

Ainsi est née la notion de développement durable ("sustainable development"), issue du rapport
Brundtland. Il est qualifié de la manière suivante :

"Un développement est durable s’il garantit que les besoins de la génération actuelle sont
satisfaits, sans porter préjudice aux facultés des générations futures de satisfaire leurs propres
besoins."

Le point d’orgue de ce long cheminement qui veut intégrer conjointement les aspects de l’écologie,
du social et de l’économie, fut très certainement la Conférence de Rio de Janeiro, en juin 1992. Ce
sommet qui réunit les représentants de 178 pays a été consacré à la recherche de la compatibilité
entre le développement, les instruments de la lutte contre la pauvreté et la protection de
l’environnement. Pour la première fois, la communauté internationale a pris conscience que la
planète était en danger car des déséquilibres profonds existent. Les menaces suivantes ont été
relevées :

- les changements climatiques

- la dégradation de la couche d’ozone atmosphérique

- la diminution des terres arables comme la fertilité de certaines zones de sol

13/
Emises sous l’impulsion de l’Association de droit international (International Law Association)
14/
The Tragedy of Commons, de l’écologiste Garrett Hardin (1968)
15/
Dr Gro Harlem Brundtland, le Premier ministre de Norvège, en était le président
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- la diminution des réserves d’eau potable et la pollution marine

- la disparition d’espèces de la biosphère

Depuis, et en décembre 1997, la conférence de Kyoto a permis de jeter les bases pour limiter les
émissions de gaz à effet de serre. Elle a été aussi l’occasion de constater malheureusement le peu
de progrès faits depuis la conférence de Rio en 1992.

2.4.2 Conflits "philosophiques"

Depuis près de 20 ans, il y a une tendance de tous les milieux intéressés à opposer défenseurs de
l’environnement et acteurs du développement économique (le texte final de la Conférence de Rio a
été ratifié par 154 pays, dont la quasi-totalité des nations industrialisées, à l’exception des USA).

Tout le monde ou, en tout cas, une large majorité se prononce pour le concept du développement
durable tel que qualifié au § 2.4.1. Par contre, il semble qu’encore aujourd’hui, deux philosophies
s’opposent :

- l’une, qui met la priorité sur l’homme et qui place la nature (l’Univers qui nous entoure) comme
élément qui peut être aménagé au service du bien-être humain (conception
anthropocentrique)

- l’autre, qui met la nature en première priorité, comme une fin en soi et qui prime devant les
aspirations humaines (conception bio-centrique)

Ainsi, la première philosophie (en termes de sens et de légitimité) qui néglige le milieu naturel ne
peut conduire qu’à un développement non durable. La situation actuelle en est la preuve vivante.
De même, la deuxième philosophie qui néglige l’Homme et son développement ne peut conduire
qu’à un sous-développement durable, surtout chez ceux qui sont déjà dans des conditions de
précarité avérée.

Comme dans toute chose, la solution se trouve certainement à mi-chemin. L’idée majeure qui
ressort est bien de ne pas compromettre les capacités des générations futures à satisfaire
leurs besoins. Ainsi, si nous regardons notre histoire qui dure depuis 3 milliards d’années, chaque
écosystème se caractérise par sa diversité (génétiquement, géographiquement, fonctionnellement,
etc.…), nous parlons de biodiversité. Sur cette base, il faut se demander si derrière la qualification
de développement durable ne se cache pas la simple notion de conservation de la biodiversité à
l’échelle planétaire. Il s’agit :

- de garantir la durabilité des systèmes écologiques (fonctionnels et évolutifs), toutes espèces


confondues, en particulier les différents cycles de vie présentés au chapitre 1

- de garantir la diversité du patrimoine naturel vivant

- d’unir et de rendre comptable le caractère de ce qui est utile aujourd’hui et demain avec ce qui
compose notre culture et notre héritage afin d’assurer la pérennité harmonieuse du monde
vivant pour les prochaines générations

Dans tout ce qui précède, il est clair que le problème de l’eau est au cœur du développement
durable. Il n’en est qu’un élément mais il est bon de ne pas le dissocier pour mieux comprendre les
options qui devront être prises en terme d’économie hydraulique.
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Le développement durable s’appuie sur plusieurs principes (Rio de Janeiro, 1992) :

- de précaution afin de prendre en compte tout aléa (catastrophes, accidents)


- de prévention dans le but d’avoir une attitude de prudence active et préventive
- de responsabilité où toutes les parties prenantes devraient s’engager (pollueur-payeur)
- de solidarité afin que les plus démunis se remettent à espérer
- de gestion économe pour tenter une lutte contre les aménagements pharaoniques et contre le
gaspillage (éducation)
- de subsidiarité dans le but sur le terrain d’apporter concrètement des solutions
- d’amélioration afin que le mot "durable" ne soit pas vain (améliorer et innover)

A ce stade, presque tout reste à faire.

2.4.3 Une question responsable

Pour l’eau, tous les principes de développement durable exposés peuvent avoir immédiatement
une réponse concrète par une gestion responsable de cette ressource. C’est en commençant par
cela que l’idée du développement durable consacré à l’eau pourra se concrétiser et jouer son rôle.
Un aperçu est donné dans le tableau 2.7 ci-après.

Principes Eléments d’une gestion responsable

Précaution Prévenir et lutter contre les pollutions accidentelles et tout risque

Prévention Anticiper par la présence de périmètre de protection et surveiller la qualité


continue des ressources

Responsabilité Gérer les prélèvements et les rejets d’eau dans une perspective du long
terme et proposer des solutions adaptées pour les filières de boues
(dépollution)

Solidarité Financer des programmes de développement ciblés

Gestion économe Traitement optimisé de la ressource (station adaptée) et réutiliser les eaux
dépolluées

Subsidiarité Assurer le transfert de connaissance et former sur les réalités du terrain

Amélioration Faire face aux dégradations chroniques en améliorant les process.


Envisager des alternatives financièrement crédibles à l’eau classique par le
dessalement d’eau de mer

Tableau 2.7 : Développement durable et gestion responsable

Aujourd’hui déjà, il est réalisé sur de nombreux sites gérant l’eau, des certifications ISO 14001 qui
engagent l’opérateur dans ses processus opérationnels à préserver l’environnement et à améliorer
les conditions sociales de travail.
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Ainsi, les sociétés publiques ou privées actives dans les secteurs de la distribution, de l’exploitation
et de l’entretien des installations d’eau mettent de plus en plus en place des tableaux de bord avec
plusieurs indicateurs de performance.

Ces derniers ont une cible ou une valeur de référence. Des contrôles sont entrepris régulièrement
pour vérifier l’évolution favorable ou non de ces indicateurs. Derrière chaque indicateur, il y a une
réalité pratique correspondant au niveau de qualité (bactériologique, gustative, …) et aux valeurs
de quantité d’eau (identification de fuites, comptage de volume consommé, …).

2.5 Pistes à la pénurie d’eau

2.5.1 Ebauche de solutions

Comme déjà indiqué précédemment, l’eau est et risque de rester encore longtemps au cœur de
grands problèmes humains car elle est source, non pas seulement de vie mais hélas aussi de
conflits.

On constate la difficulté, voire l’impossibilité, d’appliquer les règles du droit international


humanitaire relatives à l’eau. Il s’agirait alors :

a) en cas de paix :
o d’établir ou d’ouvrir des dialogues concrets et constructifs entre états belliqueux pour
éviter des guerres de l’eau
o d’apporter des solutions viables pour permettre l’accès à l’eau à ceux qui en ont besoin
et construire les conditions de pérennisation des installations (formation et support
local)

b) en cas de guerre :
o d’imaginer la création d’un "cordon de sécurité" autour des installations et des
aménagements hydrauliques pour sauver l’eau

Mais, une vraie solution serait une politique internationale de l’eau.

2.5.2 Politique mondiale de l’eau

Partout où les conflits existent ou sont latents pour s’approprier l’eau, les rapports de force entre
Etats semblent primer (Israël au Proche-Orient, la Turquie entre l’Europe et l’Asie, l’Egypte pour le
Nil ou encore l’Inde vis-à-vis du Népal et du Bangladesh). Cela est principalement dû à l’absence
d’une réelle législation internationale de l’eau.

De plus, la Banque mondiale évoque quatre raisons majeures qui devraient justifier la mise en
place d’une politique mondiale de l’eau :
- fragmentation et multiplicité des acteurs pour gérer l’eau
- gestion plutôt étatique de l’eau, laissant peu à pas de place aux initiatives privées
- sous-évaluation du prix de l’eau
- pas de gestion globale de l’eau intégrant tous les composants concernés (homme et
environnement)
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2.5.3 Eau et politique

Lors de la Conférence de Rio de Janeiro, en juin 1992, il est apparu que la communauté
internationale avait enfin acquis la conviction que la planète était en danger. Dans ce contexte, il
semble que l’eau, élément essentiel de vie sur cette planète, doive être l’affaire de tous et
représenter un bien pour tous, riches comme pauvres. On qualifie ici l’eau de bien, c’est-à-dire de
produit correspondant à un besoin individuel ou collectif. Mais, ne devrions-nous pas mieux parler
de marchandise, produit qui se vend, s’achète ou se vole ? Comme déjà indiqué précédemment,
ce point est fondamental et est au cœur de tous les axes politiques qui vont se développer au
cours de ce millénaire en fonction de la perception que les populations ont de l’eau.

On peut statuer que l’eau fait maintenant partie intégrante de la notion de développement durable
comme décrit au § 2.4.

La Figure 2.8 illustre schématiquement la place de l’eau au centre des trois piliers compatibles de
ce développement :
- le développement économique
- la lutte sociale contre la pauvreté
- le respect de l’environnement

BIEN
ENVIRONNEMENTAL

PRINCIPE
PRINCIPE
POLLUEUR- EAU VITAL
PAYEUR

BIEN BIEN
ECONOMIQUE SOCIAL

PRINCIPE
UTILISATEUR

Figure 2.8 L’eau au centre du développement durable

En effet, ce point est essentiel et demande une prise conscience collective. L’application des
principes du développement durable mis en œuvre pour l’eau devrait conduire à éviter et à réduire
sa dégradation actuelle (voir Figure 2.9) qui est l’une des sources des problèmes mondiaux pour
l’eau (un enfant meurt toutes les 8 secondes après avoir consommé une eau contaminée). Une
eau en pénurie et polluée est génératrice et accélératrice de paupérisation.
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Nous polluons l’eau qui nous est nécessaire pour vivre (plus de 2 milliards de personnes sont sans
installations sanitaires, ce qui provoque de 2 à 3 millions de morts par an). Par cette pollution non
contrôlée, nous agissons sur le mécanisme de raréfaction de l’eau naturellement potable. Tout cela
est sans tenir compte du problème de la santé publique où l’eau joue un grand rôle (24% des
malades en Inde le sont à cause de l’eau).

POLLUÉE
PROPAGATION
DES MALADIES
FRAGILE

MAL PARFOIS EN PÉNURIE DE


VITALE EAU RÉPARTIE RARE PÉNURIE NOURRITURE

DOIT ÊTRE
PARTAGÉE ACCROÎSSEMENT
DE LA PAUVRETÉ

GASPILLÉE

Figure 2.9 : Chaîne d’événements qui conduisent à la dégradation de l’eau


et aux conséquences sur la vie

Comme l’indiquent les éléments de la Figure 2.4.3, pour pallier le manque d’eau, il faut :
- soit agir sur la demande
- soir agir sur l’offre
- soit tout simplement la voler

Il faut dire que les enjeux financiers qui prévalent pour satisfaire la pénurie d’eau sont estimés
entre US $ 100 (PNUD) et 600 (UNESCO) milliards. Les investissements annuels (valeur 2000)
dans les projets d’eau sont voisins de US$ 15 milliards. Le retard est donc énorme et tendra à se
creuser sans une réelle accélération des investissements futurs. Cela est surtout vrai pour les
aménagements d’assainissement (20% des investissements annuels).
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POUR PALLIER LE
MANQUE D’EAU

Chercher à en obtenir
AGIR SUR davantage
L’OFFRE
En importer de
régions excédentaires

Produire de l’eau douce


(dessalaison)

AGIR SUR LA Chercher à l’économiser


DEMANDE
Fixer des tarifs

Consommer
plus efficacement

LA VOLER
LA GUERRE

Figure 2.10 : Eléments pour palier au manque d’eau


Car après tout, l’eau n’est pas une denrée comme les autres. En effet, on ne peut pas la remplacer
ou la substituer par autre chose, comme c’est le cas pour les sources d’énergie, pour les moyens
de transport ou pour les produits d’alimentation. Ainsi et c’est un fait, l’eau se trouve malgré elle
dans un cadre politico-économico-socio et environnemental complexe (voir Figure 2.11). Avec l’ère
de l’industrialisation et l’accroissement de la population mondiale, cet état de fait s’est
régulièrement installé sans qu’une vraie politique internationale ne se soit développée jusqu’à ce
jour.

EPURATION

PRODUCTION

RESSOURCE DISTRIBUTION QUANTITÉ


PRIX

HYDROSYSTÈME VALEURS SERVICES

MILIEU ECOLOGIQUES QUALITÉ

RECYCLAGE

LOISIR

OFFRE DEMANDE
Figure 2.11 : L’eau dans une logique d’offre et de demande
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En résumé, eau et politique deviennent intimement liées car :

- L’eau est au centre d’une volonté politique internationale, celle du développement durable
mais qui demande rapidement à se concrétiser.

- L’eau est de plus en plus polluée, car mal utilisée et mal gérée. L’eau potable se raréfie. En
conséquence, il faut agir sur le plan politique et économique en exigeant l’application de
principes de préservation (contrôle des rejets, …).

- L’eau doit pouvoir répondre à l’accroissement démographique, problème politique mondial


dans certaines régions où là encore des solutions doivent être trouvées et financées.

- L’eau, bien ou marchandise, est un élément de l’offre et de la demande mondiale, qu’on le


veuille ou non. Ainsi, la valeur (son prix) devrait être reconnue pour en apprécier l’importance
et orienter une "hydropolitique" dans le respect des conditions de chacun. Le but reste l’accès
à l’eau pour tous.

2.5.4 Ebauche d’une "hydropolitique"

a) Exemple pratique : la Loire (F)

On ne dira jamais assez que le problème de l’eau est difficile à traiter, car comment
concilier des positions qui sont le plus souvent antagonistes ? A titre d’exemple [7], faisons
une liste de ce que les différents gouvernements français qui se sont succédés pendant 30
ans ont dû tenter de concilier pour le fleuve qu’est la Loire :

o ne pas empêcher la remontée des saumons

o assurer des plans d’eau susceptibles de permettre les sports aquatiques aux
vacanciers d’été

o garantir l’eau au voisinage des célèbres châteaux

o garantir l’exploitation du sable charrié par le cours d’eau au bénéfice des


concessionnaires, entreprises de travaux publics

o assurer l’alimentation des réseaux d’irrigation

o contribuer au refroidissement des centrales thermiques surtout nucléaires

o permettre les prélèvements pour son usage en eau potable

o contrôler les rejets d’eaux usées aussi régénérées que possible

o prendre les mesures nécessaires pour éviter les inondations et les dégâts aux
riverains

b) Axes envisagés

L’objectif simple est de parvenir à disposer d’une ressource en eau en quantité suffisante et
de qualité acceptable, en fonction des divers usages avérés et sans gaspillage.
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Dans la ligne de la Convention d’Helsinki (1992), on pourrait retenir les 6 principes [1], [4],
[5] et [8] qui tiennent compte des évolutions et prises de conscience successives et qui sont
les suivants :

- Principe 1 : L’eau est un bien commun du patrimoine mondial de l’humanité

- source de vie

- ressource fondamentale, limitée et vulnérable

- part du développement durable de l’écosystème que représente la Terre

- Principe 2 : Encourager et financer toutes approches conservatrices de l’eau

- imaginer une politique tarifaire qui corresponde à une gestion de la demande et


non de celle de l’offre (attribuer à l’eau sa valeur économique16/)

- créer des solutions techniques efficaces, en particulier pour l’irrigation et le


recyclage de l’eau

- garantir des réseaux d’adduction de qualité sans déperditions

- faire progresser les techniques de dessalement (eau de mer ou saumâtre)

- Principe 3 : Mettre en place des organismes internationaux

- contrôler les eaux et cours d’eau (souveraineté territoriale limitée et intégrée)

- certains envisagent la création d’un Tribunal Mondial de l’Eau

- garantir l’usage raisonnable et équitable de l’eau dans le cadre d’une


Communauté d’intérêts ou d’une Unité de gestion à créer, surtout dans les zones
hydro-conflictuelles

- Principe 4 : Investir dans les nouveaux projets de lutte contre la pollution

- dépollution des sites hydriques contaminés

- Principe 5 : Incorporer dans les programmes sociaux le véritable coût de la


dégradation de l’eau

- élaborer des politiques qui incitent les utilisateurs d’eau, soit à la rendre dans
l’état reçu, soit à participer à l’épuration de celle qui est consommée

- étendre pratiquement la notion de pollueur-payeur

- Principe 6 : Eduquer les habitants de la Terre sur la nécessité d’une prise de


conscience forte que l’eau est un bien commun pour tous à préserver

16/
Dans les pays musulmans, l’eau est considérée comme un "don de Dieu", selon les termes mêmes de la Charia (loi
économique islamique), donc c’est un bien gratuit.
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- mettre en place des campagnes de sensibilisation sur le thème de "l’eau, une


richesse pas comme les autres".

- informer les populations sur le fait que l’eau est le problème de tous, riches et
pauvres et qu’elle a de la valeur

- éduquer les populations pour lutter contre le gaspillage et contre l’idée fausse
que l’eau est à disposition à profusion

Tout cela peut se résumer dans une charte sociale et mondiale de l’eau (voir Figure 2.12)

ACCÈS A L’EAU
EST UN DROIT
POUR TOUS

SOLIDARITÉ CHARTE GESTION


COMMUNE
FINANCIÈRE SOCIALE FOURNISSEURS-
RICHES-PAUVRES
DE L’EAU UTILISATEURS

EAUX POTABLES ET
ASSAINIES ONT UN
COÛT ÉCONOMIQUE
ET SOCIAL

Figure 2.12 : Charte sociale de l’eau

c) Financement

Comme cela a été déjà mentionné, tous ces beaux principes avec ou non une charte sociale
et mondiale de l’eau et quelles que soient les circonstances, il faudra être en mesure de
financer toutes les actions à entreprendre.

Au-delà des financements internationaux issus des finances des états industrialisés mais en
volumes insuffisants, nous pouvons évoquer ici quelques pistes, pas nécessairement
spectaculaires mais qui font appel à l’esprit de solidarité qui devrait nous animer.

Sans attendre la nécessité d’un usage et d’une gestion sérieuse de ces fonds trop souvent
écartés de leurs objectifs d’origine, on devrait être en mesure, dans les pays développés,
par année de drainer de l’ordre de US$ 50 milliards. Cette somme alimenterait un fonds
mondial dédié aux projets de valorisation d’eau dans les pays en pénurie par :

- la taxation sur chaque bouteille d’eau potable vendue

- la taxation sur l’eau industrielle et agricole utilisée pour la production d’électricité


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- la réduction du taux de fuite des réseaux qui réduirait d’autant la facture


énergétique nécessaire à l’approvisionnement en eau et qui serait reversée par
différence dans le fonds mondial

- le versement par les opérateurs des services des eaux (publics ou privés) d’une
contribution sur les recettes perçues chez les consommateurs d’eau du robinet

Certaines de ces pistes sont déjà en action mais ponctuellement et sans coordination
internationale. Par exemple, relevons sur un plan naturel la France par la mise en place de
la loi Oudin, au printemps 2005, qui participe à la constitution d’un fonds de solidarité.
L’objectif d’un prélèvement sur les factures d’eau consommée HT de 0,01€/m3 est le
financement d’infrastructures d’eau potable dans les pays défavorisés. C’est un début.

2.6 Phénomènes aléatoires

Entre 1990 et 2001, il a été relevé plus de 2200 événements de catastrophes naturelles dans le
monde.

La répartition par phénomène et selon les continents est donnée dans la Figure 2.13.

20% 11%

35%

50% 28%
13%

3%
2%
29%
9%
Sécheresse Épidémies liées à l'eau
Famine Glissements de terrain et avalanches
Asie Afrique Australie et Océanie Europe Les Amériques
Inondations

(a) (b)
Figure 2.13 : Répartition des événements catastrophiques mondiaux entre 1990 et 2001 :
(a) par continent
(b) par phénomène

On constate que les inondations ont été les événements catastrophiques majoritaires (50%)
devant les épidémies liées à l’eau (28%).

2.6.1 La sécheresse

Il s’agit d’une situation climatique, donc aléatoire où le manque d’eau saisonnier se manifeste. Elle
correspond à un déficit évident de précipitations.

La sécheresse n’en reste pas moins un phénomène insidieux qui apporte malheureusement son lot
de famine, de malnutrition et de mortalité, surtout dans les pays en voie de développement. On sait
que le Sahel africain a subi une période de précipitations inférieure à la norme de façon persistante
pendant près de 20 ans (1968-1987). Cela explique l’avancée constatée du désert. Par contre,
d’autres continents sont soumis à la sécheresse de manière récurrente, en Inde par exemple.
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La perspective d’un changement climatique global, accompagné d’un réchauffement généralisé


dans la troposphère (région de l’atmosphère la plus voisine du sol) n’est pas pour favoriser une
réduction du phénomène de sécheresse. Il faudra donc compter sur cela dans les stratégies
agroalimentaires des pays sujets à la sécheresse récurrente.

En effet, un tiers de la superficie terrestre est menacé de désertification réduisant d’autant les
zones agricoles ou forestières (Exemple : la réduction par 5 de la superficie du lac Tchad en
Afrique centrale).

2.6.2 Les inondations

Au registre des catastrophes naturelles (séismes, éruptions volcaniques, glissements de terrain,


typhons ou cyclones, …) les inondations terrestres d’eau douce ou salée sont responsables de
plus de 60% du total des morts survenus en de telles circonstances.

On répertorie quatre catégories d’inondations :


- celles relatives aux crues de fleuves (souvent suite à une plus ou moins longue
période de précipitations)
- celles relatives aux crues subites (phénomène rapide issu de pluies torrentielles
sur des sols gorgés d’eau)
- celles relatives aux cyclones (suite à une forte tempête)
- celles relatives aux raz-de-marée (suite à un séisme en mer)
- celles relatives à l’avancée des mers sur les bordures continentales basses
(suite au réchauffement climatique progressif)

On se souvient que, dans un cycle naturel, ce qui tombe du ciel sous forme de précipitations :
- se ré évapore pour 60 à 70%
- se transmet dans le sol ou ruisselle pour 30 à 40%

Ainsi, selon le climat et la géologie du sol, il se peut que 15 à 20% de la pluie ruissellent et fassent
grossir les cours d’eau.

Les risques d’inondations n’ont pas seulement qu’un caractère dévastateur au voisinage des
phénomènes, mais sont aussi générateurs de pollution, surtout en site urbain. En effet, le
ruissellement entraîne des déchets, des poussières de toutes natures et des hydrocarbures. En
regagnant les cours d’eau, la pollution peut donc s’étendre et toucher la faune et la flore piscicole.

2.7 Préservation des eaux

2.7.1 Eau de mer

L’eau de mer participe aux cycles de l’oxygène (respiration et restitution par photosynthèse) et du
carbone et elle joue un rôle central dans le cycle du soufre (voir § 1.3.1). De ce fait, tout doit être
fait pour la préserver.

De plus, les océans sont un réservoir d’énergie (des marées, des vagues et thermique), un
réservoir de ressources minérales et biologiques sans parler du potentiel de l’aquaculture ou de la
mari culture.
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Actuellement, les rejets issus de l’activité humaine sont nombreux et dégradent un milieu essentiel
à respecter.

Ces rejets sont :

- les métaux lourds

- le pétrole (en moyenne, 20% des tankers nettoient leurs soutes en mer sans
compter les accidents de type naufrage de l’Amoco Cadiz, en 1978, en Bretagne
ou d’Exon Valdes, en Alaska en 1989)

- les apports telluriques (issus des pollutions des eaux de surface ou en


profondeur : effluents domestiques, industriels, émissaires d’égouts, …)

- les composés organiques de synthèse (insecticides, produits chimiques, …)

Dans la perspective d’une utilisation alternative de l’eau de mer pour produire de l’eau potable, son
coût serait fortement dépendant des produits dissous de toute nature.

2.7.2 Eaux continentales

La pollution de ces eaux est un problème majeur, surtout dans les pays industrialisés. A titre
d’exemple, on estime [3] que :

- 90% des eaux fluviales servent à transporter les déchets vers les océans aux
USA

- 400'000 km de cours d’eau (près de 540 fois la longueur de la Seine, France) en


ex-URSS sont pollués de façon chronique, comme la moitié des cours d’eau
chinois

Les pollutions observées sont :

- biologiques (rejets de matières organiques fermentées chargés d’agents


pathogènes issus des égouts)

- chimiques (rejets miniers, avec le chlorure de sodium, d’engrais avec les nitrates
et les phosphates

- industriels (avec les métaux lourds et les pesticides)

Tout cela dégrade les eaux continentales en surface et en profondeur en contribuant ainsi à la
raréfaction de ces dernières.

A titre d’illustration, on peut citer le cas du lac de Baïkal (Sibérie méridionale en Russie) alimenté
par 336 rivières. Représentant 1/5 des réserves d’eau douce de la planète et 80% des réserves de
l’ex-URSS, ce lac est le plus profond du monde (1’620 m au plus bas) et est vieux de 25 millions
d’années. Malheureusement, ce patrimoine biologique s’est dégradé au fil des ans (dès 1950, avec
l’industrie de la cellulose) en raison de pollutions d’eaux usées, d’industries et de complexes
agroalimentaires.
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Sous la pression d’écrivains et de scientifiques, dès les années 60, le sort de ce lac s’est fort
heureusement inversé afin de protéger cet environnement précieux (2'600 espèces animales et
végétales, dont 1'300 préhistoriques parmi lesquels 70% inconnues ailleurs, surtout en raison de
sa grande profondeur).

Autre exemple connu, celui de la Mer d’Aral, grand lac salé d’Asie aux confins du Kazakhstan et de
l’Ouzbékistan, dont sa superficie est réduite de 50% depuis 1960. La conséquence est une perte
du volume d’eau de 75% causée par une irrigation excessive et mal contrôlée.

2.8 Les aménagements d’accumulation

On estime à environ 170 le nombre de grands barrages en construction dans le monde. Ceux des
Trois Gorges sur le Yang-Tsé-Kiang, en Chine, défrayent évidemment la chronique par leur
gigantisme et les conséquences environnementales qu’il provoque.

A nouveau, d’un extrême à l’autre, chacun avance toutes ses bonnes raisons pour être soit pour,
soit contre les barrages.

2.8.1 La controverse sur les barrages réservoirs de grande capacité

Les opposants aux grands barrages17/ d’accumulation parlent d’hérésie écologique et mettent en
avant :

- les déplacements de population

- l’interruption du régime continu du cours d’eau

- les perturbations économiques et culturelles locales (pêche, agriculture, …)

- les perturbations écologiques (terrains et forêts noyés à l’amont des retenues)

- la sédimentation des retenues et prolifération d’algues

- l’appauvrissement des terres situées à l’aval, par manque d’alluvionnement, par


exemple sur le Nil (Egypte) depuis la construction du barrage d’Assouan

- les perturbations de la faune piscicole (destruction au passage des turbines) et la


destruction des biotopes

- la réduction de l’accumulation d’un barrage, année après année, du fait de


l’accumulation des sédiments et de l’évaporation

- cela ne résout pas nécessairement le problème d’approvisionnement en eau


potable (par exemple, l’Inde qui a construit et qui construit encore 4'600
barrages, a toujours 20% de la population privée d’eau potable et 60% de cette
dernière privée d’installations sanitaires)

17/
Selon la Commission internationale des grands barrages (CIGB), un grand barrage s’élève au minimum à 15 m du
point le plus bas de la fondation.
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- l’endettement des pays (amortissement et intérêts de l’emprunt) pour réaliser des


ouvrages d’un coût supérieur à US$ 100 millions

- la préférence devrait être donnée pour construire des ouvrages de moyenne


hauteur et retenue, voire en cascade

2.8.2 Force hydraulique, valeur et avantages

Ceux qui défendent les avantages de la force hydraulique le font principalement en terme
énergétique et avancent :

- qu’elle est une énergie renouvelable et, en terme d’exploitation des ressources,
qu’elle contribue au développement durable de la production d’électricité

- qu’elle a un bilan énergétique le plus élevé de toutes les sources d’énergie


électrique (entre 75 et 85%)

- qu’elle contribue à la réduction d’émission de gaz à effet de serre (CO2, entre


autres) et réponde aux exigences de Kyoto, 2003. Chaque Gwh produit réduit de
480 t les émissions de CO2 des centrales utilisant un combustible fossile

- qu’en terme de comparaison écologique (facteurs de charge de l’environnement


et indicateur écologique 95), elle est la meilleure devant l’éolien, le solaire, le
photovoltaïque et le nucléaire

- qu’elle contribue, par les barrages, à la protection contre les crues (en
amortissant et limitant les pointes de crues) et à la réduction des coûts
économiques des dommages associés

- qu’elle est un moyen de stockage de l’eau à des fins de production, d’électricité


comme pour la distribution d’eau des régions arides

- qu’elle permet, même pour un endiguement artificiel, de donner naissance à une


nouvelle diversité des espèces végétales et animales, contribuant à un effet
positif sur la biodiversité

Enfin, il faut savoir que les pays industrialisés ont exploité leur potentiel hydroélectrique
économiquement viable à 70%. Par comparaison, l’Afrique ne l’a fait qu’à hauteur de 3% !

Le Tableau 2.14 ci-dessous mentionne pour certains pays européens la part de la production
électrique hydraulique en comparaison avec les autres sources d’énergie (fossiles, nucléaire et
autres).

HYDROÉLECTRICITÉ (satisfaction des besoins en électricité)


Autriche Finlande France Italie Luxembourg Norvège Suède Suisse
67% 16.5% 12% 19.5% 70.0% 99.2% 45% 60%
Fossiles 27.3% 32% 10% 77% 19% 0.4% 4% -
Nucléaire - 29.5% 78% - - - 46% 40%
Autres 5.7% 22.0% - 3.5% 11.0% 0.4% 5% -

Tableau 2.14 : part d’hydroélectricité produite pour plusieurs pays européens


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3. Optimisation d’installations industrielles utilisatrices d’eau

Dans les deux chapitres précédents, il a été question de l’eau en tant que ressource. Bien qu’en
volume important sur terre, la partie utilisable d’eau douce de seulement 0,6% nous interpelle. De
plus, l’activité humaine croissance et l’augmentation exponentielle depuis la fin du XIXème siècle
de la population terrestre ont rendu l’usage de l’eau plus difficile, parfois même problématique. La
demande d’eau s’accélère dans un environnement naturel qui a plutôt tendance à se dégrader. Il
faut donc agir.

Comme il l’a été mentionné auparavant, cette action est délicate car le manque d’eau potable
actuel touche déjà 20% de la population mondiale. Or, les plus démunis, atteints par cette situation
dramatique, ne sont pas en mesure financièrement d’y pallier.

Dans ce contexte, les ingénieurs ont une mission importante et un rôle clé dans la stabilisation et
l’amélioration d’une offre qui manque si cruellement. Conscients que plusieurs acteurs sont
impliqués (politiciens, financiers, responsables des bailleurs de fonds internationaux, investisseurs,
environnementalistes, techniciens, …) les ingénieurs doivent comprendre et intégrer ce pluri-
partenariat dans leur démarche quotidienne et donc le déroulement de projets.

A son niveau, il est important pour l’ingénieur d’être conscient qu’il détient un levier essentiel sur
lequel il peut interagir dans l’exercice de son métier. En effet, il est en mesure de pouvoir réaliser
des économies. Donc, sa façon d’aller dans le sens de l’amélioration de la situation actuelle passe
par l’optimisation des ouvrages qu’il conçoit.

Par optimisation, il faut comprendre la mise en œuvre des moyens que l’ingénieur se donne pour
créer les conditions techniques et financières les plus favorables pour tirer le meilleur parti des
installations industrielles utilisatrices d’eau. Certes, la stabilité des constructions est importante,
certes cela doit se faire pour un coût bien étudié mais tout ceci n’aura de sens que si l’objectif
social et humain est atteint et si notre environnement naturel est préservé et non dégradé.
Optimisation, oui, mais en envisageant la durabilité des ouvrages.

Dans un jargon plus mathématique, c’est donc un système global d’équations à plusieurs
inconnues que l’ingénieur doit résoudre, avec la difficulté que les inconnues sont souvent plus
nombreuses que les équations. Nous nous retrouvons donc dans un processus de résolution
itératif où les paramètres de tous horizons s’entremêlent en toute interdépendance (politique,
financier, technique, nature et conditions sociales).

Pour l’ingénieur, l’optimisation va donc se confronter à bon nombre de difficultés et à commencer


par celles qu’il se doit de maîtriser, car c’est son métier, les difficultés techniques.

3.1 Difficultés techniques

Avant d’en faire l’analyse, il faut savoir que les sommes d’argent engagées dans les installations
industrielles utilisatrices d’eau sont énormes. On parle ici d’une échelle d’engagements financiers
de plusieurs milliers, voire du milliard d’Euros parfois. Beaucoup de ces ouvrages sont uniques et
la répétitivité délicate ou impossible.
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En raison des montants d’investissements à engager, la responsabilité de l’ingénieur est grande.


Par conséquent, les risques concomitants à considérer au niveau :
- financier
- technique
- politique
- environnemental
- social

nécessitent une maîtrise large et pluridisciplinaire des problèmes posés. L’ingénieur n’est plus un
simple calculateur d’ouvrages mais un vrai gestionnaire de projet.

Cela étant dit, il faut aussi relever que les ingénieurs du domaine de l’eau font face à des ouvrages
complexes, aux formes variées qui doivent s’accommoder d’un environnement naturel très
hétérogène.

Ainsi, les problèmes et les difficultés rencontrés sont à l’échelle des ouvrages à réaliser, surtout en
présence d’eau dont la force, quand elle est en mouvement, peut être dévastatrice. Le Tsunami du
26 décembre 2004, au large de l’Indonésie, qui a marqué les esprits par son ampleur, a fait plus de
250'000 morts en quelques minutes.

3.1.1 Difficultés techniques relatives aux matériaux

Il s’agit de considérer deux choses :

- les matériaux utilisés pour la construction

- les matériaux naturellement rencontrés sur les sites de construction

a) Matériaux de construction

On s’intéresse principalement à l’acier, au béton et aux matériaux d’endiguement ou de


protection des berges :

- Pour l’acier, il ne faut pas oublier qu’il doit généralement être importé et qu’il
peut s’avérer coûteux (difficultés de transports, taxes de douanes, …). Son
acheminement sur des sites éloignés doit aussi rendre prévoyant et obliger à
planifier sa livraison tout comme d’ailleurs son entreposage sur place (surfaces
suffisantes, protection contre la corrosion, …).

- Pour le béton, les matériaux de base (granulats et eau) sont souvent trouvés sur
place. Il faudra veiller à bien étudier les sites de carrières potentiels et à faire des
pré-tests bien avant la construction de qualité et de compatibilité avec les choix
de ciment en relation avec les exigences de résistance statique et dynamique.

- Pour les autres matériaux nécessaires aux endiguements (batardeaux, digues,


rives de berges, …), le choix granulométrique est essentiel. Mais, les conditions
du site peuvent primer et parfois en fonction des disponibilités de matériaux sur
place. Enfin, la conception des zones de stockage et de traitement des matériaux
doit être étudiée avec soin avec les entreprises. L’expérience des grands
chantiers est l’une des clés en terme de maîtrise des coûts.
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Lors de la conception des ouvrages, il est très important d’imaginer immédiatement comment
ils seront réalisés sur le site. Ce qui est valable en Suisse ou en Europe ne l’est pas
nécessairement à l’est de la Turquie ou au sud de l’Iran. Il faut aussi se rappeler que la qualité
des entreprises des pays en voie de développement est très inégale et il faut en tenir compte
sans que cela soit rédhibitoire. Une conception simple et classique vaut souvent mieux et
coûtera moins cher que des variantes avant-gardistes. Le pragmatisme et le bon sens sont des
règles essentielles à ne pas oublier.

b) Matériaux sur sites

Tout ouvrage va se trouver fondé sur un sol qui, par définition, est totalement hétérogène. La
géologie et l’hydrogéologie locale comme les conditions géotechniques vont donc jouer des
rôles prédominants. Cela est surtout vrai pour des constructions de grandes dimensions
comme les ouvrages de retenue (barrages, digues, batardeaux, …).

Dès la conception, le dialogue avec le géologue et le géotechnicien est primordial. Leurs


expériences et leurs connaissances élargies feront gagner beaucoup de temps et d’argent,
même s’ils sont spécialistes d’une science remplie d’incertitudes.

3.1.2 Difficultés techniques relatives au site

En général et dans le cadre d’études préliminaires, il est courant de façonner des projets sur la
base de cartes topographiques et sans plus. Il ne faut pas oublier que bien des éléments peuvent
se sceller à ce stade. Ainsi, une visite des lieux ne doit pas être négligée, car la configuration
locale est :

- une données géographique de fait et instructive pour adapter les résultats d’un
travail effectué sur un simple support cartographique

- une source d’autres informations larges et susceptibles de faire modifier la


conception imaginée (proximité de population ou d’industries, réserve naturelle,
absence de liaison de transport, état des massifs rocheux, …)

Aucun site ne ressemble à un autre. L’ingénieur est donc toujours confronté au défi de devoir
réaliser la majorité des ouvrages sur mesure. Il doit s’adapter au site choisi et à ses caprices :

- topographiques (rarement topographie régulière)

- de configuration géologique chahutées par les transformations survenues au fil


du temps (plusieurs constitutions de sols et de roches, failles, variation du
pendage de la roche, présence d’eau dans des zones de fissures, …)

Une bonne connaissance des lieux et donc essentielle pour aller plus en avant dans un projet.

3.1.3 Difficultés techniques relatives aux dimensions des ouvrages

Quand on pense économie, on imagine réduire autant que possible les dimensions des ouvrages
au juste nécessaire. C’est la raison qui rend parfois inconfortables les parkings souterrains quand
on a une voiture un peu trop longue ou qui fait que la vie en appartement est difficile avec ses
voisins quand les épaisseurs des murs des dalles d’étages sont trop minces. Faut-il parler de
notion de confort en site industriel ?
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En terme d’installations industrielles utilisatrices d’eau, l’expérience remplace avantageusement


une conception reprise à zéro. Dans le cas des dimensionnements d’ouvrages, surtout il faut savoir
aussi tenir compte :

- du poids financier significatif ou pas des économies réalisées par rapport à celui
que représente un ouvrage vis-à-vis du coût de l’ensemble de l’aménagement
(Ex. : une chambre d’équilibre d’une conduite forcée enterrée ne pèse que 5% du
coût de l’aménagement)

- du rôle que doit jouer l’ouvrage (Ex. : raccourcir ou réduire un dessableur revient
à compromettre son fonctionnement et ce pourquoi il a été réalisé)

- de la place libre qu’il faut prévoir autour d’installations (Ex. : le gabarit d’espace
libre autour d’une turbine de production d’énergie à respecter lors des phases de
réparation ou de remplacement

- de la réduction de poids pour des raisons de mise en œuvre (Ex. : la réduction


d’épaisseur de viroles de conduites forcées enterrées pour la pose dans des
conditions de tracés inclinés)

- de la place nécessaire pour assurer la sécurité (Ex. : conduit suffisant d’aération


d’une galerie hydraulique en charge pour éviter l’aspiration en cas d’intervention
humaine)

Ainsi, le confort rime-t-il ici plutôt en terme d’espace de travail ou de sécurité de pose ou d’usage.

3.2 Optimisation et études associées

L’optimisation est une opération qui n’est pas unique. Tout au long de la vie d’un projet, de sa
conception à sa réalisation, il sera possible d’intervenir pour procéder à une forme ou l’autre
d’optimisation :

- technique (formes, dimensions, quantité)

- financière (investissements, coûts d’études et de construction)

- des délais (planification des études et des travaux)

- des conditions de construction (organisation de chantier, processus de


réalisation)

A ce stade, on peut même ajouter que tout au long de la vie d’un ouvrage, y compris lors de sa
phase d’exploitation et de maintenance, des optimisations conduisant à des économies sont
envisageables et souhaitables.
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3.2.1 Cycle de vie d’un ouvrage

Un ouvrage en lien ou pas avec l’eau s’inscrit dans la durée et devrait suivre le cycle de vie
suivant :

- Décision de poursuivre les études suite à une phase d’identification, d’études


préliminaires et de recherche de financement

- Décision de le construire, une fois sa conception faite, les conditions de


réalisation établies et le coût confirmé dans le cadre estimatif envisagé

- Réalisation de l’ouvrage par les études de détail, la mise en œuvre dans les
délais et les coûts et sa réception jugée conforme

- Décision de réhabiliter ou d’étendre, en phase d’exploitation et selon une


planification régulière des maintenances et les besoins exprimés et évalués pour
moderniser ou améliorer l’usage qui en est fait

- Poursuite de l’exploitation, de la durée de vie d’un ouvrage remplissant son


rôle et ce pourquoi il a été réalisé, à la satisfaction des bénéficiaires

Avant toute chose, il faut souligner que bien des investissements faits durant les trente dernières
années, dans le domaine de l’eau, l’ont été souvent dans une optique plutôt de rentabilité à court
terme. Le développement économique des pays industrialisés a joué à plein. Les montants mis par
les Etats dans des projets d’eau par l’intermédiaire des bailleurs de fonds internationaux ont
d’abord permis à l’industrie des pays payeurs d’en profiter.

Aussi louables que furent les intentions des buts recherchés pour les ouvrages réalisés, il a
simplement été omis d’accompagner ces investissements de construction par les montants
nécessaires susceptibles de permettre une exploitation convenable et durable. La formation et le
transfert de compétences pour un bon fonctionnement et une maintenance correcte des
installations et ouvrages dédiés à l’eau ont été simplement oubliés.

Ainsi, c’est certainement là qu’il faut chercher les raisons premières de l’échec des milliards
investis pour apporter de l’eau où cela était nécessaire et qui n’ont pas atteint leurs buts.

Ce qui précède est l’illustration, à l’échelle mondiale, de l’importance de considérer un ouvrage pas
seulement pour sa fin en soi. Il faut aussi tenir compte du fait que sa vie se poursuit après la
construction et que son usage a un coût et pendant longtemps.

3.2.2 Phases d’études

Comme indiqué précédemment, le rôle de l’ingénieur dans les projets d’eau devient de plus en
plus pluridisciplinaire. Sa maîtrise des questions techniques, financières et de management de
projets, sa connaissance des impacts sociaux et environnementaux, comme son expérience dans
la réalisation, l’exploitation et la maintenance d’ouvrages, sont de plus en plus requises.

Dans le processus décisionnel qui mène à la construction, plusieurs étapes successives sont
souhaitables (voir Figure 3.1. ci-dessous).
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Chacune a son importance et son utilité pour :


- garantir l’analyse dans les détails souhaités
- assurer l’optimisation escomptée
- permettre de prendre des décisions en relation avec l’objectif recherché

Des études sont donc engagées pour sérier, analyser et comprendre les problèmes posés, avec
comme but de fournir des solutions.

MONTAGE
MONTAGED’UN
D’UN
PARTENARIAT
PARTENARIAT MANAGEMENT
MANAGEMENT
TECHNIQUES TECHNIQUE
TECHNIQUE
TECHNIQUES SOUMISSIONS DE
DEPROJET
PROJET
SOUMISSIONS
OPTIMISATION
OPTIMISATION OPTIMISATION OPTIMISATION
OPTIMISATION OPTIMISATION
TECHNIQUE
TECHNIQUE DES DU TEMPS
DES DU TEMPS
QUANTITÉS
QUANTITÉS

ÉTUDES
ÉTUDESDEDE ÉTUDES
ÉTUDESDE
DE PROJET
PROJET PROJET
PROJET
FAISABILITÉ
FAISABILITÉ VARIANTES
VARIANTES DÉFINITIF
DÉFINITIF D’ÉXÉCUTION
D’ÉXÉCUTION

RECHERCHE
RECHERCHE CONSEILS
CONSEILSÀÀ
ECONOMIQUE
ECONOMIQUE D’ÉCONOMIES
D’ÉCONOMIES L’ENTREPRISE
L’ENTREPRISE
SOCIALE
SOCIALEetet
ENVIRONNEMENTALE SUPPORT
SUPPORTAALALARECHERCHE
RECHERCHE
ENVIRONNEMENTALE
DE
DEFINANCEMENT
FINANCEMENTETET
OPTIMISATION
OPTIMISATIONFINANCIÈRE
FINANCIÈRE
Avant-projet
Avant-projet Avant-projet
Avant-projet
sommaire
sommaire(APS)
(APS) détaillé
détaillé(APD)
(APD)
RÉALISATION

Figure 3.1 : Phases d’étude de l’identification jusqu’à la réalisation

En terme d’optimisation, une telle opération s’effectue généralement à plusieurs stades des études
et du déroulement des processus décisionnels menant à la construction. L’essentiel se fait :

- Lors des études de variantes : le but est de comparer plusieurs variantes qui
satisfassent des critères pré-établis (quantitatifs, qualitatifs, de coûts, d’impacts,
de risques, …). Il est clair que la recherche d’économies financières influencera
beaucoup le choix pour la solution retenue et même à l’issue d’une comparaison
multicritères.

- Au cours des études de projet définitif : la solution retenue est alors étudiée en
détail et des calculs précis de structure peuvent être entrepris. On peut avoir
recours à l’utilisation de la modélisation numérique pour permettre la recherche
d’autres économies ou de réductions de quantités par une meilleure approche du
comportement statique ou dynamique des ouvrages.

- Au cours du projet d’exécution : avant la mise en œuvre, le choix des


entreprises et des fournisseurs est aussi l’occasion d’opérer une optimisation de
coûts. Il ne s’agit pas de systématiquement viser le meilleur marché, mais de
bien mesurer le rapport prestations-coûts à sa juste proportion. Ensuite, lors de la
construction, l’ingénieur a un rôle de contrôle des coûts et des délais qui est
crucial pour l’économie du projet. Toute dérive à ce stade du projet peut conduire
à des sur-coûts conséquents et même à des conflits juridiques (revendications
d’entreprises ou de fournisseurs, rupture de paiement par le client des acteurs
engagés, …)
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Les phases d’études sont parfois sous-considérées par certains clients, voire occultées pour raison
d’économie. En général, les phases d’études pèsent entre 10 et 20% au maximum du coût d’un
ouvrage. Ainsi, 80 à 90% concernent la construction. Les efforts sont donc effectivement à mettre
sur une optimisation des coûts de construction. Or, les études sont là pour y contribuer et y veiller.

Pour terminer avec ce sujet, il est bon de signaler que les étapes décrites dans la Figure 3.1
restent valables pour tous projets au-delà du domaine de l’eau.

3.3 Protéger et gérer

L’optimisation des installations industrielles utilisatrices d’eau passe aussi par des concepts
adaptés en terme de protection et de gestion de cette ressource naturelle. Classiquement, on parle
toujours de l’utilisation de l’eau issue du cycle de cette dernière, mais il sera de plus en plus
question, ces prochaines années, de faire appel aux ressources alternatives (dessalement d’eau
de mer, transport ou transfert d’eau, …). La nécessité d’une gestion optimale de ces dernières
ouvre la voie d’un apport complémentaire au secours des zones géographiques largement
déficitaires.

3.3.1 La ressource naturelle

Le cycle de l’eau décrit au chapitre 1 doit nous suggérer de soigner chaque étape de l’utilisation de
l’eau douce disponible à l’état naturel. En effet, du prélèvement sans excès jusqu’à la restitution au
milieu naturel exempt d’atteinte pollutive, l’eau doit être utilisée avec précaution afin de la
préserver.

a) Notion de périmètre de protection

Dans la majorité des pays développés, la notion de périmètre de protection fait l’objet de
directives légales. ¨

Il s’agit de définir les conditions d’application de l’activité humaine à risque pour l’eau aux
abords de l’existence de la ressource. L’objectif est d’éviter toute perturbation :
- apport de pollution (rejets, infiltrations non contrôlées, …)
- prélèvements excessifs
- modification des régimes d’écoulement
- conditions de stockage et de risques d’infiltration

Pour l’ingénieur et afin de définir les limites ou les zones du périmètre à protéger, il devra
engager plusieurs études :
- avoir une bonne connaissance du sous-sol (avec la participation
d’hydrogéologues)
- analyser les types d’activités ou le développement urbanistique envisagé
- énumérer les risques potentiels de pollution tout en les qualifiant et en les
localisant
- analyser le potentiel de prélèvement
- établir les cartes des zones à usage :
de protection obligatoire (aucune activité)
de protection rapprochée (activité restreinte et réglementée)
de protection éloignée (au-delà toute activité possible)
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- établir les éléments du dossier réglementaire

b) Importance de la gestion préventive

L’objectif est de lutter par tous les moyens contre la dégradation de la ressource :
- par accident (pollution chimique, industrielle ou agricole)
- par rejets non contrôlés permanents (souvenons-nous que la moyenne mondiale
de l’eau rejetée et traitée convenablement n’est que de 35%)

Pour une bonne gestion, il faut être en mesure d’anticiper l’une ou l’autre des dégradations
potentielles. Ainsi :
- pour tout rejet accidentel, il faut prévoir des ouvrages de protections préventifs
(bassins de rétention, barrières de protection, bacs de déshuileurs, …) et de
disposer de personnes entraînées en cas d’accidents
- pour les rejets permanents, il faut accroître l’investissement dans des ouvrages
de protection (stations de dépollution, …)

c) Mesures d’économies

L’optimisation, c’est aussi l’éducation des populations afin de réduire le gaspillage :


- d’ordre individuel (généraliser la pose de compteur volumétrique d’eau
individualisés)
- d’ordre administratif (lutter partout contre les fuites et gérer la demande des
consommateurs)

L’administration, soit le service local des eaux, doit montrer l’exemple. Il doit tout mettre en
œuvre pour réduire les pertes des réseaux et mettre en place des procédures d’alerte en cas
de fuites (rupture de canalisation, dysfonctionnement de bornes hydrantes, …)

Pour assurer la demande et garantir le bon entretien du réseau, voire de futurs


investissements de réhabilitation ou l’extension, il est impératif de réduire :
- les pertes techniques (fuites, …)
- les pertes non techniques (prises sauvages d’eau, non-recouvrement des coûts
de volumes d’eau consommés, …)

d) Recharge des nappes phréatiques

La gestion de la nappe phréatique est essentielle quand on sait que 90% de l’eau douce
disponible est souterraine.

La recharge des nappes a deux objectifs principaux :


- la maîtrise de la ré alimentation sur le continent dans le cadre de la gestion de la
demande
- la protection contre l’incursion des eaux saumâtres aux abords des zones
côtières
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3.3.2 Les ressources alternatives

Il y a encore quelques années en arrière, envisager l’utilisation de ressources en eau alternatives


était prohibitif financièrement. La raréfaction accrue de l’eau dans certaines régions et les progrès
techniques permettent d’envisager sérieusement l’usage de ressources alternatives.

3.3.2.1 Le dessalement de l’eau de mer

Déjà au IVème siècle avant Jésus-Christ, les marins grecs, lors de leurs périples guerriers et
commerciaux, dessalaient l’eau de mer par cuisson. L’eau de mer a cet avantage d’être une
ressource inépuisable. Son inconvénient réside dans les 35 g/l de sels dissous qui la rend impropre
à la consommation. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) préconise une eau consommable
à partir de 0,4 g/l d’eau.

Depuis les années soixante, les techniques de dessalement se sont développées et améliorées.
C’est en 1978 que la première unité par procédé membranaire a été mise en service à Djeddah, en
Arabie Saoudite.

a) Familles de procédés

Il y a deux familles de procédés de dessalement d’eau de mer et saumâtre :

- Les procédés par distillation ou thermique :

o Multi Stage Flash (MSF), procédé le plus ancien et très répandu qui produit
de l’eau douce par chauffage à haute température.

o Multi Effect Distillation (MED), procédé utilisant une température plus basse.

o Vapour Compression (VC), procédé combinant les deux précédents par


compression de la vapeur d’eau.

- Les procédés membranaires :

o Osmose inverse (RO), procédé ou l’eau de mer sous pression traverse une
membrane séparant eau douce du concentra des sels restants.

o Electrodialyse (ED), procédé qui utilise la différence de potentiel électrique


pour séparer l’eau douce des sels.

Tous ces procédés sont diversement utilisés, comme le montrent les représentations
graphiques données dans la Figure 3.2 ci-dessous.
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Procédés Membranaires Procédés Thermiques

14%
33%
43%

86% 24%

RO ED MSF MED VC

Répartition des procédés basée sur


13 600 unités de production

21,5%

78,5%

Membranaires Thermiques

Figure 3.2 : Part des procédés des techniques de dessalement

D’une manière générale et au vu des graphiques précédents, la tendance est une utilisation
majoritaire des procédés membranaires et principalement celui d’osmose inverse. En
complément, le tableau 3.3 ci-après, montre les principaux avantages et inconvénients des
deux procédés phares :
- Le procédé membranaire d’osmose inverse (RO)
- Le procédé thermique Multi Stage Flash (MSF)

Procédé membranaire (RO) Procédé thermique (MSF)


Avantages Inconvénients Avantages Inconvénients
procédé le moins
problème de colmatage réduit mieux le coût
consommateur gros consommateur
par le concentrât des global par effet de
d'énergie (réduction d'énergie
membranes taille des unités
par 3 ou 4)
la membrane
directement branché à
supporte plus de procédés mieux
une usine de production
pression et les hautes connus et matures
d'énergie
températures
produit généralement de
procédé modulable
l'eau pure plus cher que
par étage de
les procédés
traitement
membranaires
amélioration
constante des
performances des
membranes

Tableau 3.3 : Comparaison des procédés membranaire et thermique


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b) Facteurs qui influencent les coûts de production

Il y a trois facteurs essentiels qui influencent les coûts de production d’eau douce à partir d’eau
salée :

- Le niveau de salinité et les caractéristiques physico-chimiques plus ou moins complexes

- Le coût de l’énergie nécessaire aux processus de transformation qui varie entre 45 et 75


% du coût total selon les procédés
- La taille des unités de production (m3/j produits)

D’une manière générale, la réduction du coût de production d’eau potable à partir d’eau salée
passe par l’amélioration technologique des procédés et par le potentiel à réduire la part du coût
énergétique.

Au vu de ce qui précède, la technique d’osmose inverse se profile comme la technique


majeure de dessalement pour ces prochaines années comme l’indique le graphique de la
Figure 3.4.

Dessalement de l'eau de mer


Parts de marché à horizon 2010

10%

20%

70%

Osmose inverse Thermiques Autres membranaires

Figure 3.4 : Part de marché des techniques de dessalement

c) Utilisation en fonction de la zone géographique

Pour une production du m3 d’eau dessalée à €0,50, tous les pays ayant un accès à la mer et
qui manquent d’eau douce n’ont pas les moyens financiers d’une telle transformation. Les
graphiques de la Figure 3.5 montrent :

- la répartition géographique de l’utilisation des procédés de dessalement

- la répartition de l’usage qui est fait de cette zone dessalée


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8,90% 2,2%3,3%
6,0%
10,10%

10,60%
28,3%
53,40%
60,2%

17,00%

Moyen Orient Amérique du nord Marché municipal Marché industriel


Asie Europe Centrales électriques Usages mili taires
Autres pays Divers

Figure 3.5 : Répartition de l’utilisation des procédés de dessalement d’eau de mer

On constate que les pays du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Réunis,
Israël, …) sont majoritairement (53,4%) utilisateurs de techniques de dessalement d’eau de
mer pour leurs besoins en eau douce. De même, la majorité de cette-ci (60,2%) issue du
dessalement va pour les services municipaux qui distribuent l’eau aux populations.
L’utilisation à usage industriel ne constitue que 28,3% du marché de dessalement.

En l’espace des trente dernières années, les techniques de dessalement et, particulièrement
les procédés membranaires, ont fait de grands progrès techniques rendant le dessalement
plus abordable financièrement.

3.3.2.2 Autres ressources alternatives

La réflexion qui suit s’inspire d’une constatation simple. L’eau douce est en abondance dans
certains pays ou dans certaines régions, donc pourquoi ne pas envisager de la transférer ou de la
transporter.

a) La "pétrolisation" de l’eau douce

Un parallèle pourrait être fait avec le pétrole. Pourquoi ne pas envisager à terme le transport
d’eau douce comme cela a été fait pour le liquide fossile ? Sans en faire un bien marchand, la
communauté internationale pourrait s’organiser pour assumer un tel transport là où les besoins
vitaux la réclame.

b) Les grands transferts

Dans un même pays ou d’un pays à l’autre, l’idée de grands transferts d’eau est de plus en
plus envisagée. Il s’agit de stocker l’eau là où elle est en abondance et la transférer par des
conduites vers les lieux de sécheresse ou de pénurie.

Ainsi, de nombreux projets sont soit exécutés (Ex. : en Libye, avec le Great Main Man River
Project allant chercher l’eau souterraine du sud saharien pour l’acheminer au nord vers les
grandes villes), soit en cours d’études et de projets (Ex. : en Iran avec les grands transferts du
nord-ouest vers le sud).
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4. Prix de l’eau

4.1 Eléments d’économie

Pour comprendre pourquoi le financement de projets permettant l’accès à l’eau pour tous est si
difficile, il est essentiel de l’intégrer dans le contexte économique qui prévaut depuis la fin des
années quarante du siècle passé.

Cette analyse du modèle économique mondial actuel éclaire aussi sur l’ensemble des problèmes à
surmonter pour inscrire les solutions à apporter à la pénurie de l’eau dans le contexte du
développement durable.

4.1.1 Modèle économique positionné sur le court terme

Bien que cyclique, mais plus en terme de performances, l’économie de marché est bien
positionnée dans une optique de résultats basée sur le court terme. En effet, toute société ou
entreprise a pour objectif essentiel de satisfaire ses investisseurs, à savoir les actionnaires.

Depuis les théories de Franco Modigliani, économiste, dans les années cinquante, toute entreprise
doit impérativement créer de la valeur et donc s’organiser pour être rentable. Cette pression sur la
rentabilité s’est accrue par des exigences de plus en plus fortes sur le délai. Rentables certes,
mais le plus rapidement possible et toujours plus haut. Aujourd’hui, les grands groupes bancaires
ou de production fixent des rentabilités annuelles des fonds propres d’au moins 15% ! Le plus bel
exemple récent de rentabilité à court terme fut, pour ceux qui savent en bénéficier, les résultats
obtenus lors de la célèbre bulle informatique et des nouvelles technologies de l’information avant
qu’elle n’en éclate.

Si cette rentabilité du capital investi à la base est saine et nécessaire pour que perdure l’entreprise,
elle devient délicate à gérer quand il faut le faire des délais courts. L’entreprise ou la société doit
alors agir sur la maximisation du rapport capital-investi, résultat d’exploitation.

Ainsi, il faut :

- réduire le poids du capital investi en cédant les immobilisations (vente de biens), en


réduisant les stocks et le coût du même capital investi en empruntant à taux bas
(acheter là où cela est moins cher)

- améliorer le résultat d’exploitation en réduisant les charges (moins de personnel ou à


coûts inférieurs) et en améliorant les performances (automation, haute technologie, …)

Face à cela, on comprend mieux les réductions de personnel (chômage), la délocalisation des
lieux de production vers les pays présentant des avantages salariaux, fiscaux ou des coûts
d’installation d’outils de production meilleur marché (Chine, Inde, …).

Dans ces conditions, les lourds investissements pour produite, stocker, transporter, distribuer et
assainir l’eau ont toutes les peines du monde pour y trouver leur place. L’eau, ne pouvant pas être
un placement juteux et rapidement rentable, n’est pas un objectif des investisseurs-spéculateurs.
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4.1.2 Apport du développement durable

Si l’on part du modèle de croissance économique de type capitaliste et largement appliqué


aujourd’hui, tout bien de production s’appuie sur la nécessité de disposer (voir Figure 4.1) :

- d’un capital (investissement dans la création d’entreprise)

- du travail (nécessaire à la fabrication et à la distribution du bien)

L’objectif recherché est un bien-être et un mode de vie bénéficiant du développement


économique.

Ainsi, toute entreprise prospère table pour y réussir sur la capacité :

- d’être en mesure d’accroître un capital, voire au mieux de le maintenir

- de disposer d’un cadre politico-économique de soutien à la consommation

- d’assurer suffisamment de recherche et de développement pour créer ou améliorer les


biens

LE ACCROISSEMENT
CAPITAL DU CAPITAL

(Input) BIENS (Output)


PRODUITS ENTREPRISES
PROSPÈRES
LE
TRAVAIL

LA BIEN-
CONSOMMATION ÊTRE

LA
R&D POLLUTION

Source de Source de
croissance progrès
techniques

Accroissement
DÉPENSES Réduction de
des coûts de
INVESTISSEMENTS la productivité
production

Figure 4.1 : Modèle de croissance économique

L’ombre au tableau de ce modèle, activement développé à l’ouest après la fin de la deuxième


guerre mondiale, est matérialisée par l’apparition au fil des ans de la pollution de l’environnement.
Si pendant trente ans, personne ou presque ne s’en est soucié, la classe politique en a enfin pris
conscience. En Europe tout particulièrement, dès le début des années quatre-vingt, les premières
lois sur la protection de l’environnement voyaient le jour. Cela a eu pour effet de renchérir les coûts
de production des entreprises, voire pour certaines à conduire à une réduction de la productivité.
Préserver l’environnement, si rien n’est pensé à cet effet, constitue un frein au développement.
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Quand on aborde la question du développement durable, il devient nécessaire de se soucier des


conditions sociales et environnementales en parallèle des conditions économiques (voir Figure
4.2).

Le modèle de développement durable devait alors garantir à la fois :


- le développement économique classique certes mais aussi,
- la réduction des atteintes à l’environnement et à la préservation des ressources
naturelles
- la croissance endogène et sociale des populations par le biais d’innovations et
d’améliorations de la qualité de la vie

Succession d’innovations
CROISSANCE au profit de l’augmentation
SOCIAL ENDOGÈNE de la qualité des biens
disponibles

BIEN-
ÊTRE

LA ENVIRONNE- RÉDUCTION DES


POLLUTION MENTAL ATTEINTES

Epuisement
des
ressources
Accroissement
Réduction de
des coûts de
la productivité
production

Figure 4.2 : Développement durable

Comme matérialisé par la Figure 4.3, on est alors en mesure de constituer ce qui pourrait être le
modèle économique de développement durable applicable à tout bien produit.

MODÈLE DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE DÉVELOPPEMENT DURABLE

LE ACCROISSEMENT
CAPITAL DU CAPITAL

(Input) BIENS (Output)


PRODUITS ENTREPRISES CROISSANCE
PROSPÈRES
SOCIAL ENDOGÈNE
LE
TRAVAIL SOUTENIR
(réduction
des charges)
LA BIEN-
CONSOMMATION ÊTRE

R&D
LA ENVIRONNE - RÉDUCTION DES
POLLUTION MENTAL ATTEINTES
DÉFENDRE ASSURER
Source de Source de (taxes L’ÉQUILIBRE
croissance progrès incitatives) Epuisement
techniques des
ressources
Accroissement
DÉPENSES des coûts de Réduction de
INVESTISSEMENTS production la productivité

STIMULER (subventions)

AUTORITÉS

Figure 4.3 : Modèle économique de développement durable


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Ce modèle est partiellement en vigueur dans plusieurs pays et devrait être généralisé partout afin
de garantir la préservation des conditions de biodiversité des futures générations. Comme le
montre la Figure 4.3, ce modèle demande la présence d’un régulateur, autorité garante de son
application et qui politiquement peut agir :

- sur la stimulation des investissements pour la recherche et le développement

- sur l’application des règles de préservation de l’environnement

- sur l’adéquation croissance-réduction des attentes au profit de tous

L’équilibre d’un tel modèle reste fragile et coûte bien plus qu’un modèle capitaliste standard. Il
demande une prise de conscience d’aujourd’hui pour garantir demain dans les meilleures
conditions.

Le contre exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire est représenté par le modèle chinois actuel.
L’Occident a majoritairement pris la décision de délocaliser ses activités industrielles dans ce pays.
Les conséquences sur l’atteinte à l’environnement sont déjà perceptibles tant le développement
dans ce pays est exponentiel et sans retenue.

4.2 Analogie eau-électricité

On sait que l’eau et l’électricité sont deux biens fondamentaux nécessaires aux besoins humains.
L’eau est indispensable à la vie et l’électricité est une source énergétique contribuant au
développement économique et à l’amélioration des conditions sociales (chauffage, éclairage,
fonctionnement de matériel de toutes utilités).

L’analogie est parfois faite entre eau et électricité car elles one le même type de chaîne
d’opérations avant de pouvoir être consommées. En effet, les étapes de cette chaîne sont :

- la production

- le transport

- la distribution

- la consommation

On sait depuis la fin du siècle passé que ces étapes ont clairement été séparées en terme
comptable quand le vent de privatisations du secteur de l’électricité a soufflé un peu partout en
Occident. A ce titre, certains ont imaginé en faire de même avec l’eau afin d’améliorer sa situation
mais la comparaison n’est pas simple.

En fait, l’analogie constatée s’arrête au simple principe des étapes mentionnées précédemment.
En terme de production, la création des électrons est facilement automatisée alors que l’eau issue
de sources diverses n’est exploitable que là où elle se trouve. La qualité d’un électron est unique
alors que l’eau doit répondre à plusieurs critères physico-chimiques avant d’être consommable.
L’eau doit être traitée avant et après usage, ce qui complique son exploitation qui n’est pas,
comme l’électricité, le fruit d’une série continue d’opérations indépendantes. L’eau doit être traitée
à part entière pour elle-même. On peut se passer d’électricité mais pas d’eau.
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4.3 Eléments de tarification

L’eau, qui pouvait encore être considérée comme un don du ciel, ne résiste plus à l’analyse de la
situation actuelle. Les développements démographiques et économiques du siècle dernier placent
l’eau devant une réalité : on ne peut plus consommer de l’eau sans s’en occuper avant et après.
Dans la grande majorité des cas, l’eau doit être rendue potable avant consommation et dépolluée
avant d’être rendue au milieu naturel. Or, ces processus nécessaires à la préservation de
l’environnement et d’une future consommation d’eau coûtent cher.

4.3.1 Objectifs à atteindre

Le premier objectif est d’assurer un approvisionnement en eau selon la demande et, si possible,
dans des conditions d’hygiène sures.

Le deuxième objectif est de se donner les moyens d’assurer la chaîne production-transport-


distribution de l’eau partout et à chaque être humain.

Enfin, l’eau doit être maintenant considérée comme une ressource en difficulté. Le troisième
objectif est donc de tout mettre en œuvre pour la respecter et de ne pas la gaspiller.

En terme d’ingénierie, il est alors essentiel :

- d’analyser l’offre en fonction de la demande et de tenir compte des conditions


fluctuantes de la demande saisonnière (été, hiver) et géographique (côtière, en plaine ou
en montagne)

- d’établir les critères de dimensionnement des ouvrages et des réseaux sur ce qui
précède (débit, pression, volumes de stockage, dimensions des réseaux primaires et
secondaires)

- d’être en mesure de satisfaire les besoins en volume et en qualité selon les usages
(agriculture, industrie, usage domestique)

- de mettre en place les conditions nécessaires de surveillance, de préservation et de lutte


contre les fuites

- de remplir les conditions cadre d’une exploitation et d’une maintenance régulière pour
assurer la pérennisation des installations et des équipements

- d’entreprendre la planification anticipée afin de prévoir toutes extensions futures dans la


continuité des réseaux existants

Bien évidemment, la somme de toutes ces opérations a un coût. A titre d’exemple, durant ces vingt
dernières années, les USA18/ ont investi plus de US$ 270 milliards pour se doter des infrastructures
nécessaires à la distribution et au traitement de l’eau potable dans ce pays. La difficulté vient du
fait que tous les pays n’ont pas les mêmes moyens financiers.

18/
Source : US Environmental Protection Agency, 2005
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4.3.2 Structure tarifaire

Il faut admettre que l’eau a un prix et la consommer signifie la payer. Ainsi, une structure tarifaire a
été imaginée, en particulier dans tous les pays qui disposent de systèmes ou de moyens de
comptage des volumes d’eau consommés.

Les éléments principaux de tarification sont :

- une redevance de raccordement, utilisée souvent pour permettre de futurs


développements

- une redevance fixe (forfaitaire) pour les pays dont les consommateurs n’ont pas de
compteurs volumétriques

- un prix volumétrique au m3 d’eau consommée (selon compteurs)

- un prix différencié par tranche de volumes consommés afin de lutter contre la


surconsommation (voir Figure 4.4, comme illustration)

12 10,93 10,98
(MAD – MAD)

10
marocain

8
6,39
6
Coût
Coût (Dirham

4
2,53

0
8 12 20 99
m3
10 MAD (dirham marocain) = 1€

Figure 4.4 : Tarification du m3 d’eau par tranche au Maroc (2005)

a) Tendances des pays de l’OCDE19/

Dans les pays développés, la tendance tarifaire est d’aller vers une redevance fixe combinée
avec un prix du m3 d’eau consommé par tranches progressives. L’eau agricole bénéficie de
tarifs plus bas, parfois au prorata des surfaces à irriguer. L’eau nécessaire aux industries est le
plus souvent traitée hors des systèmes de distribution classiques, par prélèvements directs et
traitements individualisés.

Par principe, la tarification doit couvrir les coûts engagés pour permettre aux consommateurs
de disposer sans interruption de l’eau potable et courante. Ainsi, les subventions sont de plus
en plus abandonnées.

19/
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b) Tendances des pays économiquement en difficulté

Dans ces pays, la situation est délicate. Sans moyens parfois, il faut bien que les populations
aient accès à l’eau.¨

Dans certains pays, il existe un tarif différentié, dit social ou résidentiel en fonction des revenus
(Ex. : le Venezuela). Parfois, la situation de précarité de certaines populations est telle qu’elle
conduit à la presque gratuité de la distribution.

Plusieurs pays ont décidé de traiter le mal à la racine, à savoir en demandant l’assistance de
professionnels de l’eau pour :

- lutter contre le gaspillage

- réduire les pertes (fuites, dysfonctionnements, …)

- assurer la gestion sérieuse de l’exploitation et de l’entretien des installations et des


équipements

- équiper les consommateurs de compteurs

- aider à percevoir une participation financière du coût réel de l’eau distribuée auprès des
consommateurs

Cela n’est possible que par l’aide ou la mise à disposition de fonds de développement issus
des grands bailleurs internationaux (voir chapitre 5).

4.3.3 Structure de tarification

En terme de facture pour un consommateur, la structure de tarification couvre, en règle générale,


les aspects financiers suivants :

- la redevance, dite de raccordement, utilisée pour le financement de travaux


d’amélioration, d’extension ou de protection de l’environnement

- la distribution, utilisée pour rendre l’eau potable, pour le stockage, le pompage et


l’entretien du réseau

- l’assainissement, utilisé pour la collecte et la dépollution des eaux usées avant retour
dans le milieu naturel

- les taxes (TVA ou le centime additionnel de solidarité des pays en besoin d’eau, taxes
gérées par l’Etat)
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A titre d’exemple, la figure 4.5 donne les proportions de la décomposition pour le prix du m3 d’eau
en France.

43 %
31 %
Distribution
(pompage, traitement Assainissement
pour rendre potable et (collecte et traitement
entretien des réseaux) des eaux usées)

20,5 %
5,5 %
Redevances
(pour le financement T.V.A.
des gros travaux, la (alimente directement
protection de l’environnement les caisses de l’Etat)
et coordonner les politiques
de l’eau)

Figure 4.5 : Décomposition de la structure de tarification de l’eau en France (2005)

En terme de prix moyen, la Figure 4.6 donne les prix du m3 d’eau pratiqués dans plusieurs pays
européens. Entre l’Italie et le Danemark, il y a pratiquement un facteur 7. On sait que l’Italie
pratique une tarification sociale de l’eau depuis bien longtemps et le Danemark a un coût du
traitement de l’eau élevé.

Italie 0.68
Espagne 1.30
Suède 2.32
Belgique 2.50
Finlande 2.55
France 2.56
Royaume-Uni 2.89
Pays-Bas 3.35
Allemagne 4.45
Danemark 4.53

0.00 1.00 2.00 3.00 4.00 5.00


Prix moyen global de l'eau en Euro/m 3, 2003

Figure 4.6. Prix moyen du m3 d’eau en € (2003)


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4.4 Gestion déléguée de services

La chaîne des services de l’eau, constituée successivement de la production, du transport, de la


distribution et du traitement, est généralement fournie par un organisme public. On parle alors
d’une gestion en régie. Ces organismes d’Etat communaux ou régionaux assurent la
responsabilité de la distribution aux consommateurs

Comme indiqué précédemment, le vent de privatisation qui a touché, à la fin des années quatre-
vingt, le secteur de l’électricité, a aussi concerné le secteur de l’eau.

Durant ces cinquante dernières années, on a dû malheureusement constater l’échec des milliards
investis dans plusieurs pays en proie à la pénurie d’eau. La raison essentielle de ce constat est le
manque d’investissements engagés dans les processus d’exploitation et d’entretien des
installations et des équipements. Cela a conduit les grands pourvoyeurs de fonds internationaux à
faire appel au secteur privé afin d’améliorer la situation.

Ainsi, la notion de gestion de l’eau par délégation de services par des sociétés privées a fait
son chemin. Cette activité est d’ailleurs en pleine expansion comme le montre le graphique de la
Figure 2.4 présenté précédemment.

Les trois buts recherchés par cette délégation de services sont :


- améliorer les performances techniques
- améliorer l’image commerciale d’un service public défaillant
- améliorer la situation financière d’un service public souvent en faillite

Plusieurs exemples de telles délégations ont été réalisés avec succès, même dans un pays
comme le Niger, réputé pourtant comme étant l’un des plus pauvres du monde. Il est vrai que le
développement des infrastructures du réseau d’eau a été grandement financé par la Banque
Mondiale mais accompagné par un opérateur privé en charge de l’exploitation et de la
maintenance.

4.5 Coût du dessalement de l’eau de mer

On a vu précédemment les techniques de dessalement (§3.3.3.2). Le procédé d’osmose inverse


devient celui qui va prédominer ces prochaines années.

Sur la base d’installations d’osmose inverse déjà réalisées, on constate que le coût du m3 d’eau
douce produit décroît avec la taille des usines de production (Figure 4.8).
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3
Coût par m installé

2
1,75
1,5
1,25
Euro/m33
Euro/m

1
0,75
0,5
0,25
0
3 790 18 950 37 900 56 850 94 750

Capacité de production m3 /j

Figure 4.8 : Coût du m3 d’eau douce produit par dessalement par procédé d’osmose inverse

Avec le même procédé, on est maintenant en mesure de produire 1 m3 d’eau douce dessalée pour
un coût total de € 0,50 (cas de l’usine d’Ashkelon en Israël, 2005). Ce coût est essentiellement dû
au besoin d’énergie électrique utilisée et aux équipements de membranes (Figure 4.9)

14%
5%
44%

37%

Energie électrique Charges fixes


Remplacement membranes Entretien et personnel

Figure 4.9 : Répartition des différents postes de coûts pour


une production par osmose inverse
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BIBLIOGRAPHIE

[1] L’eau et la vie, Roger Durand, Editions OPERA, 2001 (ISBN 2-913343-39-2)

[2] Environnement et pollution, Michael Shutz, Editions PUBLITRONIC, mai 1995


(ISBN 2-86661-057-1)

[3] Dictionnaire de l’Ecologie, Encyclopaedia Universalis, Editions Albin Michel, 2001,


2ème édition (ISBN 2-226-12235-4)

[4] L’or bleu, l’eau pour tous, Edition REVUE DES DEUX MONDES, Septembre 2000
(ISBN 2-7103-0988-2)

[5] L’eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Jacques Sironneau, Editions ECONOMICA, 1996
(ISBN 2-7178-2977-6)

[6] Du rêve à la réalité dans le domaine de l’énergie électrique : énergie et développement


durable – aspects techniques, J.-F. Dupont, 2ème journée de la Recherche du 12 novembre
1997, Electricité Romande et ETG (Suisse)

[7] La bataille de l’eau, Roger Cons, Editions Le monde, 1997

[8] Le manifeste de l’eau, pour un contrat mondial, Riccardo Petrella, Editions Labor, 1998

[9] Un autre monde. Une seule planète. Sylvie Mayer et Jean-Claude Oliva, Editions
Naturellement 2002 (ISBN 2-84602-004-3)

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