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Bulletin Hispanique

L'industrie papetière et le prix du papier journal en Espagne de


1898 à 1936
Jean-Michel Desvois

Resumen
Las transformaciones que sufre la industria papelera entre 1898 y 1936 tienen consecuencias que la sobrepasan ampliamente.
La creación y expansión irresistible de La Papelera Española, cuyos fundadores aplican una estrategia que no sólo apunta a
garantizarles el control de la totalidad del sector sino que también desborda hacia el dominio de sus fuentes de materias primas
y el de sus transformados, provoca la reacción de las empresas de prensa y de la Administración. Pero la batalla que se
desarolla en torno a la producción y comercialización del papel para periódicos no debe ocultar la naturaleza ideológica y
política de que lo que en definitiva está en juego.

Résumé
Les transformations que subit l'industrie du papier entre 1898 et 1936 ont des conséquences qui la dépassent largement. La
création et l'expansion irrésistible de La Papelera Española, dont les fondateurs appliquent une stratégie qui non seulement vise
à leur assurer le contrôle de la totalité de ce secteur mais qui déborde aussi vers la maîtrise de ses sources
d'approvisionnement et de ses débouchés, provoque la réaction des entreprises de presse et des pouvoirs publics. Mais la
bataille que l'on se livre autour de la production et de la commercialisation du papier-journal ne doit pas cacher les véritables
enjeux, idéologiques et politiques.

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Desvois Jean-Michel. L'industrie papetière et le prix du papier journal en Espagne de 1898 à 1936. In: Bulletin Hispanique,
tome 95, n°1, 1993. pp. 265-282;

doi : 10.3406/hispa.1993.4792

http://www.persee.fr/doc/hispa_0007-4640_1993_num_95_1_4792

Document généré le 15/06/2016


L'INDUSTRIE PAPETIERE ET LE PRIX
DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE DE 1898 A 1936

Jean-Michel DESVOIS

Les transformations que subit l'industrie du papier entre 1898 et 1936 ont des conséquences
qui la dépassent largement. La création et l'expansion irrésistible de La Papelera
Española, dont les fondateurs appliquent une stratégie qui non seulement vise à leur
assurer le contrôle de la totalité de ce secteur mais qui déborde aussi vers la maîtrise de
ses sources d'approvisionnement et de ses débouchés, provoque la réaction des entreprises
de presse et des pouvoirs publics. Mais la bataille que l'on se livre autour de la production
et de la commercialisation du papier-journal ne doit pas cacher les véritables enjeux,
idéologiques et politiques.
Las transformaciones que sufre la industria papelera entre 1898 y 1936 tienen
consecuencias que la sobrepasan ampliamente. La creación y expansión irresistible de La
Papelera Española, cuyos fundadores aplican una estrategia que no sólo apunta a
garantizarles el control de la totalidad del sector sino que también desborda hacia el
dominio de sus fuentes de materias primas y el de sus transformados, provoca la reacción
de las empresas de prensa y de la Administración. Pero la batalla que se desarolla en
torno a la producción y comercialización del papel para periódicos no debe ocultar la
naturaleza ideológica y política de que lo que en definitiva está en juego.

Le premier tiers du XXe siècle voit naître et se développer en Espagne


une industrie papetière moderne. Ce secteur de l'économie n'échappe
pas en effet au phénomène de modernisation que connaissent alors
nombre d'activités et se transforme en quelques années en l'un des
champs d'application les plus significatifs de l'esprit d'entreprise de
certaines fractions de la bourgeoisie espagnole. Les méthodes qui y sont
mises en œuvre sont empruntées aux pays capitalistes les plus avancés
et aboutissent à des résultats remarquables. Mais elles vont éveiller
soupçons et craintes dans les secteurs qui en subissent les effets, au
premier rang desquels il faut placer cette autre industrie que constitue la
grande presse née des transformations de toute sorte que connaît
l'Espagne. Et les conséquences de la construction d'un véritable empire
du papier font du prix de ce produit l'enjeu de luttes constantes entre
1898 et 1936.

B. Hi. T. 95, 1993, n° 1, p. 265 à 282.


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LA CONSTRUCTION D'UN EMPIRE

L'industrie papetière espagnole, qui partageait jusqu'alors le retard


commun à bien des industries de ce pays, fut soumise à partir de 1901 à
un processus d'accélération radicale provoqué par la création,
l'expansion et la consolidation d'une nouvelle entreprise, La Papelera
Española.

L'industrie du papier au tournant du siècle.

Au tournant du siècle, les papetiers traversaient des moments


difficiles. La perte des derniers marchés coloniaux, en 1898, avait
provoqué une crise de surproduction1 dans ce secteur, jusqu'alors en
pleine expansion2. Les fabricants tentaient d'y remédier en diversifiant
leurs produits, mais cette politique avait une incidence négative sur
leurs coûts, alors môme que la diminution de la demande interdisait
toute augmentation des prix. La production de certaines qualités de
papier n'en était pas moins insuffisante. C'est ainsi que Torcuato Luca
de Tena dut organiser lui-môme en 1899 la fabrication du papier couché
qui lui était nécessaire pour imprimer en trichromie son hebdomadaire
Blanco y Negro, en installant pour cela de nouvelles machines chez La
Vasco Belga, à Rentería3 et en faisant venir d'Allemagne les matières
premières nécessaires. Dans le domaine du papier continu, utilisé pour
alimenter les rotatives, le manque de bois, de produits chimiques, de
machines, de combustible bon marché et de capitaux, dont le pays
souffrait depuis longtemps, étaient autant de freins et d'obstacles4.

Au début des années 1890, il n'y avait encore en Espagne que 47


machines utilisées à la fabrication de ce type de papier, dont 30 pour le
seul Pays Basque : bien peu au total par rapport à l'Italie (153 machines),
à la France (525) ou à l'Allemagne (891)5. La protection offerte par les
tarifs douaniers instaurés en 1890 avait suscité dans ce secteur la création
d'une poignée de fabriques qui importaient leurs pâtes des pays
Scandinaves et dont la nouveauté signifiait la naissance de l'industrie
papetière moderne en Espagne. Mais la crise de l'après-1898 menaçait la
rentabilité de ces investissements, d'autant que les tentatives d'entente
sur les prix entre fabricants échouaient l'une après l'autre en raison de

1. Urgoiti, Nicolás M»., « La Papelera Española 1902-1912. Memoria», in « Nicolás


M1, de Urgoiti. Escritos y documentos (selección) », Estudios de Historia Social, n° I-II,
Madrid, Instituto de Estudios Laborales y de la Seguridad Social, 1983, p. 300-313.
2. D'après Jean-François Botrel, la consommation fut multipliée par 5 ou par 8 entre
1860 y 1910. V. Botrel, Jean-François, Pour une histoire littéraire de l'Espagne.
I. Prolégomènes. Les facteurs de la communication, Université de Franche -Comté,
Besançon, 1981.
3. Iglesias, Francisco, Historia de una empresa periodística. Prensa Española, editora
de « ABC » y « Blanco y Negro » (1891-1978), Madrid, Prensa Española, 1980, p. 20.
4. Botrel, Jean-François, op. cit., p. 19.
5. Botrel, Jean-François, op. cit., p. 29.
L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 267

l'atonie du marché. Pour y remédier et profiter au maximum des


avantages de la protection douanière en ajustant l'offre à la demande
pour chaque sorte de papier, la rationalisation de la production et de la
vente de papier, autrement dit un processus de concentration et de
cartellisation, paraissait s'imposer. C'est ainsi que naquit La Papelera
Española.

Naissance de La Papelera Española.

Cette société fut créée à Bilbao en décembre 1901, à l'initiative d'un


groupe de chefs d'entreprise, dont certains n'étaient pas étrangers à la
politique, à partir de la fusion de 11 usines situées pour la plupart dans
le nord et dans l'est de l'Espagne, parmi lesquelles figuraient les plus
modernes et les plus importantes du pays. Les banques basques et la
société de crédit Urquijo de Madrid soutenaient le projet, mais ses
principaux protagonistes étaient Rafael Picavea et Nicolas M1. Urgoiti.

Picavea, après avoir reçu une formation commerciale en France et en


Angleterre, était entré chez Altos Hornos de Vizcaya, puis s'était
consacré à l'exploitation minière en association avec son beau-père,
Federico Echevarría, au sein de la société Echevarría y Picavea. Au début
du siècle, il était actionnaire du Banco de Vizcaya et du Banco de Burgos.
Dans le domaine politique, il avait été l'un des fondateurs de la Liga
Nacional de Productores, et y avait déployé une certaine activité. De
sensibilité nationaliste basque, il n'était membre d'aucun parti.

Urgoiti, de son côté, était né à Madrid en 1869. Au cours de ses études à


la Escuela Politécnica et à la Escuela de Ingenieros de Caminos, Canales y
Puertos de l'Université de Madrid, il avait fait un stage à la Papelera
Vasco-Belga, où l'on avait dû apprécier ses talents, puisqu'en 1894 il
avait été nommé directeur de l'usine du Cadagua. C'est peut-être alors
qu'il fit la connaissance de Picavea, qui était actionnaire d'une papeterie
en Biscaye6. Toujours est-il que ce dernier le chargea d'étudier le projet
de ce qui allait devenir La Papelera Española.

Le but de la nouvelle société était « l'exploitation de fabriques de


papier continu et toutes les activités qui, directement ou indirectement,
se rapportent au papier et aux matières premières nécessaires à sa
fabrication, ainsi que toute activité commerciale ou industrielle »7. Ses
ambitions étaient donc vastes et devaient la conduire bien au-delà de
son domaine de base : sa naissance n'était que l'un des signes du
dynamisme de la grande bourgeoisie basque et de son aspiration à un

6. García Venero, Maximiano, Torcuato Luca de Tena y Alvarez Ossorio, Madrid,


Prensa Española, 1961, p. 235.
7. Anuario Financiero y de Sociedades Anónimas, 1921.
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rôle accru dans la direction des affaires du pays8. Le programme rédigé


par Urgoiti fixait comme objectif de diminuer les coûts de production
pour favoriser la consommation de papier et se mettre à l'abri de la
concurrence. Mais La Papelera était aussi l'embryon d'un monopole
adossé à un cartel qui devait organiser l'approvisionnement en matières
premières, la production, et les ventes de l'ensemble de cette industrie,
en éliminant du marché ceux qui ne se soumettraient pas. L'industrie
papetière espagnole, après d'autres secteurs de l'économie, allait donc
connaître à son tour les méthodes monopolistes mises au point dans les
grands pays capitalistes.

Urgoiti, nommé Directeur-Général, mit pour cela en œuvre un plan


en trois étapes qu'il résuma par la suite en ces termes : « réorganisation
des fabriques par la fermeture de certaines d'entre elles et transfert des
machines de certaines autres pour procéder au moyen de la division du
travail à la spécialisation, et au moyen de la concentration à la réduction
des coûts ; agrandissements et améliorations pour la modernisation des
machines, montage d'usines de pâte à papier mécanique et installation
d'ateliers de manipulation du papier, installation de nouvelles usines-
modèle et développement d'industries dérivées du papier »9. Le capital
social fut fixé initialement à 20 000 000 ptas. en actions, et 9 850 000 en
obligations à 5 %, partagées proportionnellement à l'apport de chaque
entreprise fondatrice. Le premier bilan de la nouvelle société, en 1902,
met en évidence son caractère monopoliste : sa production atteignait
20 772 1. de papier, alors que celle de la totalité de ses concurrents était à
peine supérieure à 10 000 t.10. Pour certaines spécialités, elle représentait
les 4/5 de la production espagnole.

La phase de création.

La première période d'activité de La Papelera, de 1902 à 1906, fut


marquée par d'importantes dépenses dues aux transferts de machines et
à l'installation de dépôts destinés à la régulation de la production.

8. « la explotación de fábricas de papel continuo y cuantas industrias, directa o


indirectamente, se relacionen con el papel y las primeras materias para su fabricación,
pudiendo dedicarse a cualquier otro negocio mercantil o industrial ». V, Desvois, Jean-
Michel, « El Sol, orígenes y tres primeros años de un diario de Madrid », Estudios de
Información, Madrid, oct.-dic. 1970, p. 45-96 ; enero-marzo 1971, p. 9-53. V. aussi
Redondo, Gonzalo, Las empresas políticas de Ortega y Gasset, Madrid, Rialp, 1970.
9. « reorganización de las fábricas cerrando algunas y trasladando la maquinaria de
otras para proceder, por la división del trabajo, a la especialización y por la
concentración a la disminución de costos ; ampliaciones y mejoras para modernizar la
maquinaria, montaje de fábricas de pastas mecánicas y establecimiento de talleres de
manipulación del papel ; instalación de nuevas fábricas modelo y desarrollo de
industrias derivadas del papel ». Urgoiti, Nicolás M1., Industria y comercio del papel en
España, Roma, III Congreso de la Organización Científica del Trabajo, 1927.
10. Urgoiti, Nicolás M\, « La Papelera Española 1902-1912. Memoria », op. cit.,
p. 300-313.
L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 269

L'émission de 10 000 000 de ptas. en obligations à laquelle on avait


procédé à sa création dut être répétée en 1904. D'après Urgoiti lui-
même11, ce fut une époque très difficile, et il fallut dès lors renoncer à la
distribution de dividendes. Certains investissements s'avérèrent
erronés, comme ceux que l'on avait consentis pour les fabriques La
Zaragozana et La Manchega, ou comme la construction d'une nouvelle
usine à Villalgordo. Les ventes restaient inférieures au seuil de
production nécessaire à l'amortissement des coûts et les bénéfices
stagnaient. Il fut décidé de fermer les usines de l'intérieur et de
concentrer l'activité sur les installations littorales, où la pâte à papier
importée parvenait à moindre coût ; on chercha de nouveaux
débouchés, et les ventes de La Papelera passèrent de 17 300 t. en 1902 à
24 100 1. en 1906, grâce à l'obtention de contrats à l'exportation vers Cuba,
vers le Mexique et vers l'Angleterre. Cela ne fut pas suffisant pour
absorber les excédents nés de la phase de rationalisation qui prit fin alors,
mais les bases de l'emprise de la nouvelle société sur la production
espagnole de papier étaient jetées.

La phase d'expansion.

La véritable expansion de La Papelera Española commença dans une


deuxième étape, de 1907 à 1913. Ce furent des années que marquèrent
d'énormes investissements - plus de 11 500 000 ptas., avec une nouvelle
émission de 10 000 000 de ptas. en obligations en 1909 - qui servirent
pour l'essentiel à tenter de résoudre le problème de l'élaboration des
matières premières par le biais de l'achat ou de la construction de
centrales hydro-électriques et de la création d'une usine-modèle de pâte
de bois et de papier journal à Rentería, après l'abandon des usines de
Villalgordo en raison du prix excessif des celluloses. La production de
pâte à papier passa de 3 600 1. en 1902 à 15 600 t. en 1913, malgré la qualité
et la quantité insuffisante du bois produit par l'Espagne, pour un prix en
outre élevé ; c'est d'ailleurs pourquoi l'entreprise décida aussi d'investir
dans la plantation d'arbres. En 1913, le nombre de ses unités de
fabrication de papier avait été ramené de 11 à 7, mais la puissance
installée dont elle disposait était passée de 3 500 à 15 477 CV.

La société avait aussi investi dans la création d'unités de


transformation du papier, qui en 1912 absorbaient plus de 10 % de sa
production. Tout cela s'inscrivait dans la stratégie d'Urgoiti et des
actionnaires, qui choisirent jusqu'en 1910 de ne pas percevoir de
dividendes pour pouvoir réaliser un maximum d'investissements. La
réduction des coûts qu'ils recherchaient s'accentua à partir de 190612 et

11. Urgoiti, Nicolás M*., Industria y comercio del papel en España, op. cit.
12. En 1901, année de création de La Papelera Española, le prix moyen du quintal de
papier était de 57,98 ptas. Il n'était plus que de 45 ptas. en 1912 et baissa jusqu'à 42 ptas.
en 1913. Le papier-journal, qui coûtait 50 ptas./quintal en 1901, était à 31 ptas. en 1913
270 BULLETIN HISPANIQUE

fut partiellement répercutée sur les prix, malgré les accusations de


dumping qui en résultaient. Les ventes et les bénéfices augmentèrent, et
en 1910 on recommença à distribuer des dividendes. Le fossé qui s'était
créé entre la puissance dont disposaient les promoteurs de La Papelera et
leurs concurrents acheva de leur donner l'avantage. Nul ne pouvait
résister à leur politique combinant de bas prix et une offre de
cartellisation adressée aux autres producteurs : les sociétés papetières qui
se créèrent alors furent les premières à devoir se soumettre.

En 1908, un nouveau pas fut franchi avec la création de la Federación


de Fabricantes de Papel de España, société dans laquelle La Papelera était
majoritaire et qui offrait d'intéressantes passerelles vers le monde
politique. En effet, les fonctions de président et de vice-président de la
Federación échurent respectivement à Fernando Marino - qui devait
être nommé ministre de l'Intérieur au sein du gouvernement constitué
sous la présidence de José Canalejas en 1910 - et à Luis Canalejas, frère
de ce dernier13. Mais La Papelera Española ne voulait pas utiliser les
facilités de la cartellisation pour obtenir une hausse des prix par la
simple réduction de la production de papier. Elle souhaitait conduire
toute une restructuration de ce secteur, de nature à permettre son
développement sans peser sur les profits. C'est pourquoi son objectif
était de « fermer les usines non-rentables, en indemnisant leurs
propriétaires, de spécialiser la production de certaines d'entre elles en
développant la fabrication exclusive des qualités auxquelles elles sont le
mieux adaptées, de viser à tout prix à réduire le prix des matières
premières, et, enfin, d'encourager la consommation de papier en créant
ou en contribuant à créer des sociétés d'édition pour l'exportation de
livres vers les marchés d'Amérique. Cela amènerait une diminution des
prix de revient, tandis que la décision de réduire proportionnellement la
production conduirait au résultat opposé et aurait pour conséquence
une contraction de la consommation, fondamentalement contraire à
l'orientation de notre politique »14.

pour l'usine de Rentería, dont le coût - 2300 OOOptas. - fut amorti en 3 ans. (Urgoiti,
Nicolás M'., Industria y comercio del papel en España, op. cit., p. 14, et annotations
manuscrites de l'auteur et de son fils Ricardo sur l'exemplaire conservé dans leurs
archives).
13. García Venero, Maximiano, op. cit., p. 235.
14. « en cerrar las fábricas que se hallen en malas condiciones, indemnizándolas, en
especializar la fabricación de algunas desarrollando la fabricación exclusiva de las
clases para cuya producción se hallen mejor adaptadas, en procurar a todo trance la
reducción del precio de las primeras materias, y, por último, en fomentar el consumo de
papel creando o contribuyendo a formar empresas editoriales para la exportación de
libros a los mercados americanos. Esto traería consigo una reducción en el precio de costo,
mientras que los acuerdos de reducir la producción proporcionalmente, conducirían a un
resultado opuesto y sus consecuencias se harían sentir en una contracción del consumo,
contrariando fundamentalmente nuestra política ». La Papelera Española. Memoria del
año 1913, apud Urgoiti, Nicolás M1., Industria y comercio del papel en España, op. cit.
L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 271

A la fin de cette étape, en 1913, l'entreprise dominait complètement le


marché : sa production de papier était passée de 20 772 t. en 1902 à
32 740 t. en 1912, et représentait toujours plus de la moitié du total
espagnol. Car ce dernier, quoique 6 fois inférieur à celui de la France ou 4
fois à celui de l'Italie, était passé dans l'intervalle de 31 603 1. à 57 772 1.
(v. graphique n° 1).

Graphique n° 1 : Evolution de la production de papier en Espagne (1902-


1912)

35 000 j
30 000 ■■
25 000-. @ La Papelera
20 000 Española (t.)

15 000 -{I □ Autres


10 000 papetiers (L)

5000 41
0
1902 1907 1912

Source : URGOITI, Nicolás M1., « La Papelera Española 1902-1912. Memoria », in


« Nicolas M*, de Urgoiti. Escritos y documentos (selección) », Estudios de Historia Social,
n° MI, Madrid, Instituto de Estudios Laborales y de la Seguridad Social, 1983, p. 300-313.

La phase de consolidation.

La troisième étape du plan d'Urgoiti, qui se prolongea jusqu'en 1919,


fut marquée par une activité plus intense encore. Elle s'ouvrit en février
1914 avec la création de la Central Papelera, cartel que constituèrent 80 %
des papetiers espagnols et qui remplaçait la Federación de Fabricantes de
Papel de España, dont les résultats avaient été jugés insuffisants.
Largement dominé par La Papelera Española, il se composait de 10
sociétés et avait pour but de contrôler la production des qualités les plus
courantes de papier. D'après Urgoiti lui-môme, il s'agissait d'un
organisme semblable à celui qu'avait constitué l'industrie du fer et de
l'acier sous le nom de Central Siderúrgica. Concrètement, ses objectifs
étaient de faire respecter le repos dominical pour réduire la production,
de fermer 6 usines en indemnisant leurs propriétaires, de s'obliger à ne
pas augmenter les coûts de production et de créer un office de répartition
des commandes, qui seraient ventilées proportionnellement à la
puissance prélablement assignée à chaque fabricant15.

15. Urgoiti, Nicolás M1., Industria y comercio del papel en España, op. cit.
272 BULLETIN HISPANIQUE

Mais le sommet fut atteint avec les retombées en Espagne de la Guerre


de 1914-18. Comme pour bien d'autres entreprises espagnoles, le conflit
allait avoir pour conséquence une forte augmentation des prix de vente
et des bénéfices de La Papelera, malgré la stagnation de la production.
Cependant, à la différence de bien des capitalistes espagnols, ses
actionnaires profitèrent des circonstances pour accentuer leur politique
d'investissemnents massifs et parachever leur projet initial. Ce qui
d'ailleurs n'empêcha pas les actions de l'entreprise de voir leur cotation
passer de 365 ptas. en 1914 à 450 en 1916 et 855 en 1918, avant de bondir
jusqu'à 1 350 ptas. en 191916.

A sa politique d'expansion horizontale au niveau de la production de


papier, dont la construction d'une cartonnerie à Prat de Llobregat donna
un nouvel exemple, La Papelera Española joignit en effet à partir de 1913
une série d'initiatives ayant pour but d'intégrer dans le sens vertical
toute la chaîne des activités connexes ou dérivées. Production de
matières premières et de biens d'équipement - que favorisaient
également les pénuries nées de la guerre - à travers Beotivar, spécialisée
dans le recyclage de déchets, et la Fábrica de Tejidos de Lana, à Rentería,
qui devait finir par fournir toute l'industrie papetière espagnole et allait
devenir en 1920 Perot, S.A. Transformation du produit à travers Onena,
entreprise de fabrication et de vente de sacs en papier. Presse, à travers
Prensa Gráfica, S.A., créée en 1913, qui éditait Mundo Gráfico, Nuevo
Mundo et La Esfera, puis à travers Tipografía Renovación, créée en 1917
avec un capital de 1 000 000 de ptas. pour l'impression du journal El Sol,
et avec Gráficas Reunidas, à partir de décembre 1919. Edition enfin, avec
la Sociedad Editorial CALPE (Compañía Anónima de Libros y
Publicaciones), fondée en 1918 sur la base d'un investissement de
6 000 000 ptas., dont La Papelera avait apporté la moitié, et qui plus tard
allait fusionner avec Hijos de Espasa pour former la Editorial Espasa-
Calpe.

Parallèlement, le capital versé de l'entreprise passait de 20 000 000 de


ptas. à 30 000 000 en 1918 et à 40 000 000 en 1919, année où une
restructuration du cartel marqua la fin de cette troisième étape. Trois
nouvelles sociétés furent créées à Tolosa, qui regroupaient la quasi-
totalité des fabricants espagnols de papier et dans lesquelles La Papelera
détenait une participation majoritaire : la Sociedad Cooperativa de
Fabricantes de Papel de España, au capital versé de 12 000 000 de ptas., qui
achetait les matières premières nécessaires à tous ses membres et
répartissait les commandes au prorata du nombre de machines que
comptaient leurs 18 usines et en fonction de la spécialité qui leur avait
été assignée ; la Sociedad Arrendataria de Talleres de Manipulación de
Papel, au capital versé de 2 500 000 ptas., qui avait pour objet la
transformation du papier ; et la société Almacenes Generales de Papel,

16. Iglesias, Francisco, op. cit., p. 181.


L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 273

au capital versé de 6 000 000 de ptas., qui se chargeait de vendre la


production des précédentes.

En 1921, une annonce insérée dans Y Anuario Financiero y de


Sociedades Anónimas détaillait avec fierté les participations de La
Papelera : elle possédait 13 fabriques de papier à Aranguren, Arrigoriaga,
Rentería (2), Villava, Oroz-Betelu, Villanueva del Gallego, Palazuelos,
Valladolid, Fuensanta et Puente de Don Juan ; elle avait 8 usines de pâte
à papier à Aranguren, Rentería, Illaramendi, Olarrain, Villava, Oroz,
Segovia et Villagordo del Júcar ; elle disposait en outre de 5 ateliers de
transformation du papier à Arrigoriaga, Tolosa, Madrid, Villava et
Palazuelos et de 14 dépôts à Alcoy, Alicante, Barcelone, Bilbao, La
Corogne, Madrid, Málaga, Pampelune, Saint-Sébastien, Séville, Valence,
Valladolid et Saragosse17.

Son Conseil d'Administration était présidé par le comte d'Aresti et


avait pour membres Enrique Gosálvez, Serapio Huici, Valentín
Gorbeña, Miguel Castañer, Eugenio Londaiz, Florencio Díaz de
Antoñana, Ricardo Urgoiti, Antonio Cabrero, le marquis de San Félix,
Manuel Rodríguez Acosta, Carlos Maíz, Manuel de Aranzadi, José
Aresti, Virgilio Sagües et Julio Arteche. Le Directeur-Général de la
société était Nicolás M*. Urgoiti, qu'assistait Enrique González de
Heredia. Nombre de ces personnes portaient un nom connu dans
l'industrie ou la finance du Pays Basque et/ou dans le domaine
politique, surtout du côté des conservateurs. Aresti, qui avait bâti à partir
de rien une des plus grosses fortunes de la région, avait exercé dans le
passé les fonctions de gouverneur de la Biscaye à l'appel d'Antonio
Maura. Aranzadi était connu pour ses options nationalistes. Arteche,
l'un des capitalistes basques les plus puissants, avait été élu député en
1922 sous l'étiquette de Liga Monárquica. Huici était un membre
éminent du Parti Conservateur en Navarre. Urquijo, autre très grande
fortune, avait des liens avec le Parti Conservateur. Urgoiti lui-même
était un admirateur de Maura, qui en 1919 lui avait offert le portefeuille
de l'Economie (Fomento). Ces hommes étaient à la tête d'un ensemble
d'entreprises qui leur assurait le contrôle de la fabrication, de la
distribution, de la transformation et de la vente des produits de
l'industrie papetière tout entière, avec des ramifications du côté des
secteurs de la presse et de l'imprimerie.

17. Anuario Financiero y de Sociedades Anónimas 1922, p. 32Z


274 BULLETIN HISPANIQUE

Graphique n° 2. Développement horizontal et vertical de La Papelera


Española (1920)

Plantations
Perot, SA.
Fábrica de
Telas
Metálicas
Beotivar Usines de pâte
à papier
I
Sociedad
La Cooperativa de
Papelera- — Fabricantes de
Española, Papel de España
C.A.

Sociedad
Arrendataria de
Onena Talleres de
Manipulación
del Papel

Almacenes
Generales
de Papel

Prensa Tipografía Gráficas


Gráfica Renovación Reunidas Calpe

Source : URGOITI, Nicolás M1., Industria y comercio del papel en España, Roma, III
Congreso de la Organización Científica del Trabajo, 1927.

Une telle concentration de pouvoir ne pouvait manquer de


préoccuper les secteurs concernés de la société espagnole. Dès avant sa
création, La Papelera avait suscité des réserves comme celles
qu'exprimait ainsi en 1900 l'hebdomadaire financier La Estafeta: « Nos
industriels, qui ne s'inspirent pas de ce qu'il y a de bien aux États-Unis,
sont trop prompts à s'y inspirer du pire, et l'on voit apparaître une telle
tendance à garantir les profits, non par le perfectionnement des
instruments de travail, mais par le monopole auquel on parvient en
rapprochant les producteurs, que tout augmente en Espagne peu à
peu »18.

18. « Nuestros industriales, que no toman lo bueno de Estados Unidos, están demasiado
listos para tomar lo malo, y se va presentando tal tendencia a asegurar las ganancias, no
por el perfeccionamiento de los medios de trabajo, sino por el monopolio a que se llega por
L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 275

L'« avance remboursable ».

Les premières années d'activité de l'entreprise ne semblèrent pas


justifier ces craintes. Le prix du papier journal était supérieur à celui en
vigueur dans d'autres pays européens, mais il avait tendance à baisser et
l'explication des papetiers selon laquelle la différence avec l'étranger
s'expliquait avant tout par le surcoût qu'engendrait l'étroitesse du
marché espagnol paraissait plausible : en 1915, la consommation de
papier journal en Espagne était encore de moins de 14.000 1. par an19,
contre 185.000 t. par exemple en France en 191320. Mais la tension latente
entre les papetiers et la presse monta de plusieurs crans lorsque le prix
de la tonne de papier s'envola sous l'effet des perturbations
économiques engendrées par la Guerre de 1914-1918 : il passa de l'indice
94 en 1914 et 1915 à l'indice 180 en 1916, 289 en 1917 et 345 en 1918.
L'inflation, dans ce secteur, dépassait largement celle que subissait
l'économie espagnole dans son ensemble. Les journaux étaient menacés
d'asphyxie, et plusieurs d'entre eux entreprirent une campagne pour
demander à l'État d'intervenir. La majorité d'entre eux rejetaient
comme solution une augmentation de leur prix de vente, qui serait
passé de 5 à 10 cts., par crainte de perdre des lecteurs. L'idée naquit d'une
« avance remboursable »21 : en septembre 1916, le ministre des Finances,
Santiago Alba, décida que le Trésor rembourserait aux papetiers la
différence entre le prix pratiqué en juillet 1914 et celui du moment pour
annuler les effets de toute augmentation sur l'équilibre financier de la
presse; lorsque les prix antérieurs au conflit seraient rétablis, les
papetiers percevraient 5 cts. de plus par kilo de papier et les reverseraient
à l'État, jusqu'au remboursement de la totalité des avances. De son côté,
comme alternative à ce système, Urgoiti proposa aux entreprises de
presse qui le souhaiteraient de signer des contrats de 5 ans, avec une
réduction de 35 % sur les prix. Mais presque toutes se rallièrent à
« l'avance remboursable », suivant en cela les deux principaux patrons
de presse madrilènes, Moya et Luca de Tena, qui en avaient été les
principaux instigateurs22. Les réticences vinrent de ceux qui craignaient
pour leur indépendance, comme les journaux socialistes, ou comme

la combinación de productores, que todo se va encareciendo en España poco a poco ». « El


trust del papel », La Estafeta, 16/4/1900.
19. Urgoiti, Nicolas Mê., La prensa diaria en su aspecto económico, s.l., s.a. (Madrid,
1915), p. 9.
20. Bellanger, Claude, et al., Histoire générale de la presse française. 3. De 1871 à
1940, Paris, PUF, 1972, p. 456.
21. « anticipo reintegrable ».
22. García Venero, Maximiano, op. cit., p. 237.
276 BULLETIN HISPANIQUE

l'organe de la Lliga Regionalista, La Veu de Catalunya, ou encore


comme la revue España, qui parlait déjà d'« avance impossible à
rembourser »23 et considérait qu'il aurait été préférable de réduire le
nombre de pages des journaux ou d'augmenter leur prix. Le grand
quotidien La Vanguardia, se distingua aussi en refusant de bénéficier de
ces subventions déguisées, mais il est vrai qu'il disposait de sa propre
papeterie. Le système fut consolidé par des mesures prises en juillet 1917
et en mars 1918, puis véritablement institutionnalisé en juillet 1918 par
le biais d'une loi qui resterait applicable pendant l'année qui suivrait la
fin de la guerre ; elle rendait l'avance automatique, et retendait aux
revues ; 11 000 000 de ptas. avaient déjà été versés par l'État à ce titre. En
fait, sous prétexte que le traité de paix n'avait pas été signé, la loi resta en
vigueur plus longtemps que prévu, et il fallut l'intervention, en mars
1920, de la commission du budget des Cortés, sur une initiative
d'Indalecio Prieto, pour qu'elle fût abrogée. Le système permit à plus
d'un journal de survivre, mais donna lieu à divers abus et trafics, en
particulier de la part de périodiques en perte de vitesse, qui revendaient
au prix du marché leurs excédents de papier subventionné et
empochaient ainsi un bénéfice substantiel24. Comme l'avance avait été
concédée par l'État sans aucune garantie, quelques entreprises omirent
de payer la taxe prévue pour son remboursement. En juillet 1925, un
décret royal ramena cette taxe à 1 centime par kilo de papier, et à 2
centimes pour les entreprises qui avaient des retards de paiement,
jusqu'à ce que les comptes fussent apurés. Mais les sommes reçues ne
furent jamais remboursées en totalité. En 1932, la presse devait encore
au Trésor quelque 80 000 000 de ptas. La dette de Prensa Española, le
prospère éditeur de ABC et de Blanco y Negro, était d'environ 12 000 000
de ptas.25. En définitive, l'« avance remboursable » ne fut rien d'autre
qu'un arrangement du pouvoir, de la presse et des papetiers, destiné à
préserver, aux dépens des contribuables, leurs intérêts respectifs et en
premier lieu ceux de La Papelera Española : il suffit de comparer les
courbes que suivent sa production et ses bénéfices avant et après
l'instauration du système pour s'en convaincre (v. graphique n° 3).

23. « anticipo irreintegrable ».


24. « Industrias de cultura y caballeros de industria », España, 27/11/1920.
25. Azaña, Manuel, Obras completas, México, Ed. Oasis, 1968, vol. IV, p. 406-407.
LTNDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 277

Graphique n°3. Evolution de la production et des bénéfices de La


Papelera Española

45 000-
■'
40 000.
35 000.
30 000.
25 000.
20 000.
15 000.
10000.
5 000.
0
1902 1907 1912 1917
Q Production de papier (t.) Bénefic
(pu»-)

Source : Anuario Financiero y de Sociedades Anónimas, 1921.

La presse et le pouvoir contre La Papelera.

Cependant, c'est autour de la question du prix du papier journal, qui


ne baissait pas malgré la fin de la guerre, que les premières .résistances
sérieuses auxquelles se heurta l'expansion de l'entreprise se
manifestèrent, à partir de 1920.

Au ressentiment que provoquaient dans certains milieux les^prix


pratiqués s'ajoutaient les retombées de l'intérêt personnel d'Urgoiti
pour la presse, que son désir d'encourager la consommation de papier
ne suffit pas à expliquer. Ce chef d'entreprise d'une stature peu
commune avait en effet aussi des aspirations tout à la fois politiques,
intellectuelles et culturelles qui l'avaient conduit à entrer en contact
avec José Ortega y Gasset et à fonder avec lui en décembre 1917 le
quotidien El Sol, auquel était venu s'ajouter en 1920 La Voz. La Papelera
n'avait pas de participation directe dans l'entreprise, bien que certains
des membres de son conseil d'administration fussent actionnaires à titre
personnel de El Sol, C. A. Mais les avantages qu'elle consentait au
journal pour son approvisionnement en papier achevèrent de braquer
contre elle certains des concurrents de ce dernier, alors même que son
orientation critique vis-à-vis du régime le rendait insupportable à
l'oligarchie qui gouvernait le pays. L'exaspération des uns et des autres
se traduisit par une menace de suspension des droits de douane sur le
papier importé26.

Il en fallait davantage pour faire reculer El Sol. Devant son refus


d'obtempérer, le gouvernement adopta en juin et juillet 1920 une

26. « Lucha de periódicos », España, 14/8/1920.


278 BULLETIN HISPANIQUE

réglementation complexe et sur-mesure pour limiter sa pagination, qui


était l'un de ses attraits, afin de lui rogner les ailes, puis supprima, dans
les premiers jours du mois d'août, la protection douanière dont
bénéficiait jusqu'alors le papier. En mars et juillet 1921, les dispositions
concernant l'importation de papier furent revues et corrigées dans un
sens moins défavorable aux papetiers, mais encore conforme aux
souhaits de la presse. Deux décrets royaux obligeaient les papetiers à
approvisionner les journaux qui le demanderaient à des prix qui ne
devraient pas être supérieurs de plus de 5 ptas. par quintal au prix
moyen du papier fabriqué en Allemagne, en Suède, en Norvège et en
Finlande, transport jusqu'à Pasajes compris. Un système similaire était
mis en place pour les qualités de papier utilisées par les revues. Le droit
des journaux d'importer librement le papier nécessaire à leur propre
consommation était confirmé, mais quelque peu limité. Ces
importations étaient en effet placées sous le contrôle d'une commission
où seraient représentés les papetiers, la presse et l'État ; un filigrane
devait permettre de vérifier la destination finale du papier, et ce dernier
devait être importé par les seuls ports autorisés à le faire, ce qui en
augmentait le prix, d'autant qu'une taxe à l'importation était de
nouveau exigible. A la demande des petites et moyennes entreprises de
presse, alors les plus nombreuses, le dispositif fut encore revu
postérieurement, obligeant les journaux à créer des groupements
d'achats de 10 entreprises au minimum pour pouvoir procéder à toute
importation directe de papier. Au total, ces mesures étaient autant
d'obstacles à la politique de La Papelera Española, qui dut finalement
s'incliner. Les statuts de la Sociedad Cooperativa de Fabricantes de Papel
et des Almacenes Generales de Papel furent modifiés pour retirer le
papier journal de leur domaine de compétence, et le prix de ce dernier
baissa dès lors sensiblement.

Mais La Papelera ne pouvait renoncer à la protection de ses intérêts, et


la lutte entre les fabricants de papier et la presse ne cessa pas pour autant.
Dans les années suivantes et jusqu'en 1936 la question du prix du papier
journal fut encore prétexte à de multiples controverses et conflits qui les
opposèrent, chacun essayant de faire intervenir l'État en sa faveur, et la
naissance de plusieurs syndicats de presse patronaux en fut l'une des
conséquences.

La cherté du papier et son incidence sur l'équilibre financier de la presse.

Malgré les récriminations constantes des directeurs de journaux et


contrairement à ce qu'affirment certains historiens, il n'est pas certain
d'ailleurs que la presse eût à souffrir à l'excès du prix du papier.

Dans les premières années du siècle, son incidence était


proportionnellement comparable pour les entreprises de presse
espagnoles et françaises. La Correspondencia de España estimait par
exemple en 1906 que dans le cas d'un journal espagnol tirant à 50 000
L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 279

exemplaires, ce produit revenait à 30 000 ptas. par mois, soit 37,5 % du


total des dépenses27, alors qu'un journal comme Le Petit Journal, en
1905, y consacrait 33,12 % de ses achats, pour une surface imprimée
équivalente28. On retrouve une semblable proportion dans le cas de ABC
et Blanco y Negro, qui en 1906 consacrèrent au papier 30,47 % du
montant de leurs fournitures29. Pour sa part, en 1915, Urgoiti estimait à
1,5 cts. par exemplaire, c'est-à-dire 38 % de ses dépenses, le budget
consacré au papier par un quotidien à pagination moyenne tirant à
50 000 exemplaires30. Jusqu'en 1915, il paraît donc hasardeux de parler de
prix excessifs.

La situation aurait pu subir une évolution radicale au cours des


années suivantes en raison de la montée en flèche des prix, mais il n'en
fut rien grâce à l'intervention de l'État. Si les dépenses en papier de ABC
représentaient théoriquement 75 % de ses achats en 192031, l'avance
remboursable (qui ne fut semble-t-il jamais remboursée) les ramenait en
réalité à 26,17 % du total, c'est-à-dire à un niveau comparable si ce n'est
inférieur à celui de l'avant-guerre. Mis à part la presse socialiste et
España, les seuls journaux qui souffrirent à terme de la hausse du prix
du papier, au point d'y perdre leur indépendance et de passer sous le
contrôle de La Papelera quelques années plus tard, furent
paradoxalement El Sol et La Voz, qui n'acceptèrent pas le système de
l'avance et consacrèrent 25 811 000 ptas. à l'achat de papier entre 1917
(1920 pour la Voz) et 193032, soit 42,04 % de leurs dépenses. Une fois que
les conséquences de la guerre furent effacées et que la suppression de
l'avance remboursable fut compensée par la quasi-suppression des
barrières douanières et par le contrôle du prix du papier journal, ce
dernier retrouva des niveaux raisonnables. Les plaintes de la presse ne
cessèrent pas pour autant, et en 1933 encore la Federación de Empresas
Periodísticas de Provincias de España affirmait que le papier absorbait
40 % des budgets de la presse33. Mais il semble en définitive que le prix
du papier journal, très élevé à certains moments, ait suivi en dehors de
quelques circonstances bien particulières une évolution comparable à
celle de l'indice général des prix de gros (v. graphique n° 4).

27. Gómez Aparicio, Pedro, Historia del periodismo español. De las guerras
coloniales a la dictadura, Madrid, Ed. Nacional, 1974, p. 73.
28. Bellanger, Claude, et al., op. cit., p. 302.
29. Iglesias, Francisco, op. cit., p. 67.
30. Urgoiti, Nicolas M1., La prensa diaria en su aspecto económico, op. cit., p. 15-16.
31. Iglesias, Francisco, op. cit., p. 129.
32. Redondo, Gonzalo, op. cit., Tomo 2, p. 240.
33. « El papel », Boletín de la Federación de Empresas Periodísticas de Provincias e
España, febrero de 1933.
280 BULLETIN HISPANIQUE

Graphique n° 4. Variations de l'indice général des prix de gros et du


papier journal

Source : Anuario Estadístico de España 1918 à 1932-1933

II n'est guère vraisemblable en tous cas que le niveau de


développement technique de l'industrie du papier ait pesé sur ses prix. Il
est vrai qu'en 1922 Torcuato Luca de Tena, l'un des adversaires les plus
durs des papetiers, affirmait : « l'industrie du papier a toujours été l'une
des plus protégées en Espagne et pour cette raison elle est l'une des plus
en retard. La plupart des sortes de papier qu'elle fabrique ne sont
concurrentielles ni en prix ni en qualité avec ce qui se fait à
l'étranger »34. Mais quelque années auparavant, le directeur de La
Papelera Española, Nicolás M1. Urgoiti, déclarait de son
côté : « l'industrie papetière espagnole a suivi sans retard le
développement de ses homologues de pays plus favorisés »35, et l'on est
tenté de le suivre compte tenu de l'importance des investissements
réalisés par La Papelera Española. Si le prix du papier fut par moments
excessif, ce fut bien en fonction de facteurs autres que les insuffisances
techniques.

La poursuite du bras de fer sous la Dictature et la IIe République.


L'évolution de ce secteur sous la Dictature et même sous la
IIe République le confirme : le prix du papier dépendait avant tout du
rapport de force entre les fabricants et la presse et de l'arbitrage du
pouvoir politique.

34. « la industria papelera ha sido siempre de las más protegidas en España y, por
serlo, es una de las más retrasadas. La mayoría de las clases de papel que elabora no
pueden competir en precio ni en calidad con sus similares extranjeras ». Iglesias,
Francisco, op. cit., p. 133.
35. « la industria papelera española ha seguido sin retraso el desenvolvimiento de sus
compañeras de países más afortunados ». Urgoiti, Nicolás M1, p. 28.
L'INDUSTRIE PAPETIÈRE ET LE PRIX DU PAPIER JOURNAL EN ESPAGNE 281

En mai 1928, dans le cadre de la politique économique générale de la


Dictature fut créé le Comité Regulador de la Industria del Papel, intégré
au Consejo de la Economía Nacional. Les fabricants de papier et les
entreprises d'édition de livres, de revues et de journaux y étaient
paritairement représentés. En échange de cette garantie pour les
consommateurs, l'industrie du papier était déclarée industrie protégée et
une taxe sur la totalité de la consommation du produit était instaurée
pour être reversée sous forme de subvention aux producteurs de papier
destiné à la presse et à l'édition. Un retour à la protection douanière était
prévu et celle-ci fut effectivement en partie restaurée en 1930 et 1931 : on
voit remonter dès lors la courbe du prix du papier, qui baissait
jusqu'alors...

Ce secteur fut l'un des derniers affectés par les mesures de


libéralisation qui intervinrent à la fin de la Dictature, dont les effets sur
les prix vinrent s'ajouter à ceux de la dévaluation de la peseta et au
renchérissement des importations qu'elle entraîna. En novembre 1931,
l'État supprima la subvention qu'il versait à l'industrie du papier, pour
un montant annuel de 1 500 000 ptas., mais en décembre 1932, peut-être
en compensation, l'importation de papier journal fut de nouveau
interdite : cette mesure fut rapportée en mars 1933 pour les journaux
ayant plus d'une année d'existence : le prix du papier espagnol était alors
devenu supérieur de 50 % à celui du papier importé36... On vit naître
alors des journaux fictifs, comme cette première mouture de Ya, dont
seuls les quelques exemplaires destinés au dépôt légal étaient imprimés,
afin de pouvoir bénéficier du minimum d'ancienneté requis pour être
autorisé à importer du papier au moment du vrai lancement du
journal, qui eut lieu en 193537.

C'est dire toute l'importance des intérêts en jeu et des arrière-pensées


des uns et des autres en ce domaine où l'économie touchait directement
au pouvoir idéologique et politique.

Il y eut donc tout au long du premier tiers du XXe siècle une lutte
d'influence entre les fabricants de papier et les entreprises de presse,
dont l'un des axes principaux fut le prix du papier journal. La cause
première en fut le succès de La Papelera Española. Sa politique de
cartellisation avait rapidement abouti à lui conférer le quasi-monopole
de la vente d'un produit sensible. Poussés par un réflexe corporatiste, les
patrons de presse surent utiliser leur connivence avec le pouvoir et les
craintes de ce dernier face à l'emprise croissante et aux projets politiques
du directeur de La Papelera pour contrer cette dernière. L'avidité dont
elle avait fait preuve dans la conjoncture de la guerre permit d'utiliser la
question du prix du papier comme prétexte à une offensive qui stoppa

36. Iglesias, Francisco, op. cit., p. 284.


37. Gómez Aparicio, Pedro, Historia del periodismo español.De la Dictadura a la
Quena Civil, Madrid, Ed. Nacional, 1981, p. 313.
282 BULLETIN HISPANIQUE

son élan sur tous les fronts. L'interventionnisme croissant de l'État fit
de la régulation des importations de papier l'une des armes essentiellles
de ce combat, qui ne cessa, provisoirement, qu'avec le déclenchement de
la Guerre civile. Car l'enjeu allait bien au-delà du prix du papier : par le
biais de l'idéologie, dont ce dernier était alors le véhicule le plus
courant, il s'agissait en dernier ressort du contrôle de l'État.

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