La réforme des retraites DOSSIER

Les départs anticipés

à la retraite pour « carrière
longue » dans le régime général
de sécurité sociale

Francis Kessler
Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne
Université de Paris 1

La réforme systémique des règles gou-
vernant l’acquisition d’une pension de
retraite sous forme «  d’un système
universel de retraites  » 1 dont l’ambi-
tion était de remplacer les 42 systèmes
existants avec notamment une mise en
relation directe théorique du montant de
la retraite avec les cotisations versées
(système à points) 2 a échoué et a laissé
place, en 2023, pour le régime général
de sécurité sociale notamment, à une
nouvelle réforme paramétrique 3, focali-
sée sur l’âge de liquidation de la pension
de retraite qui s’inscrit dans la lignée
des réformes adoptées depuis 2003 4.
Parmi celles-ci, figurent une augmen-
tation accélérée par rapport à la pré-
cédente réforme des retraites de 2014
dite «  réforme Touraine  » 5 du nombre
de trimestres nécessaires pour bénéfi-
cier d’une pension au « taux plein » (de
50 %), donc de la « durée minimale » de 1
la carrière mais également une augmen-
tation rapide de l’âge légal minimum de
départ à la retraite, également dit « âge
d’ouverture des droits  », condition sine
qua non permettant à l’assuré social de
faire valoir ses droits à une pension de
retraite du régime général 6.
Cette mesure figurant à l’article 10 de
la loi no  2023-270 du 14  avril 2023 de
financement rectificative de la sécurité
sociale pour 2023 modifie, avec effet au
1er septembre 2023, l’article L. 161-17-2

(1) Sur la notion d’universalité, v.  notamment M.  Borgetto, La Sécurité sociale à l’épreuve de l’universalité, RDSS
2016. 11 ; M. Elbaum, L’universalité dans les réformes de la protection sociale : un terme « à tout faire » qui nuit
à la clarté des enjeux et des choix sociaux (1re partie), RDSS 2020. 548.
(2) Entre autres, P.-Y.  Verkindt, Un chantier à hauts risques politiques  : la réforme du système des retraites, RDSS
2017. 1028. Pour un système universel de retraite, v.  Préconisations de J.-P.  Delevoye, Haut-Commissaire à la
réforme des retraites juill. 2019.
(3) Ph. Coursier, Protection sociale : à quand la fin des réformes paramétriques ?, JCP S 2018 no 50, 1404 ; Ph. Cour-
sier, Réforme des retraites 2023 : une multitude de leviers paramétriques à des fins purement financières, JCP S
no 21, 1135.
(4) J.-C. Barbier, L’actuelle réforme des retraites est d’abord une renonciation à une réforme universelle, Le Monde
2  mars 2023  ; D.  Blanchet, Retraites  : retour sur trente ans de débats et de réformes. Revue d’histoire de la
protection sociale (RHPS), no 13, 2020. 87.
(5) On notera que le taux plein reste, en principe acquis, sans condition de durée d’assurance, à 67 ans, ce qui a
conduit au toilettage de l’art. L. 351-8 CSS.
(6) Sur les régimes spéciaux, v. la contribution de T. Tauran dans ce dossier.

RDSS - E - Juillet - Août 2023

 DOSSIER La réforme des retraites

du code de la sécurité sociale et conduit favorables à certaines catégories de

au report de l’âge légal de départ à la
retraite de 62 à 64 ans. Cette mesure a
focalisé toutes les critiques 7. Mais elle
a été validée par le Conseil constitution-
nel. Selon la haute juridiction constitu-
tionnelle, elle a sa place dans une loi de
financement de la sécurité sociale dans
la mesure où elle produit déjà des effets
en 2023 8. Le Conseil constitutionnel
a de plus affirmé, dans une rédaction
absconse, que le législateur « a pris des
mesures qui ne sont pas inappropriées
au regard de l’objectif qu’il s’est fixé et
n’a pas privé de garanties légales les
exigences  » du onzième alinéa du Pré-
ambule de la Constitution de 1946 qui,
on le sait, implique la mise en œuvre
d’une politique de solidarité nationale
en faveur des travailleurs retraités 9.
Ces nouvelles augmentations du nombre
de trimestres nécessaires et de l’âge
minimal légal de liquidation des droits
à pension de retraite est accompagnée,
2 comme pour les précédentes réformes
de ces paramètres, de règles organi-
sant des possibilités de départ anticipé,
atténuant ou neutralisant pour certaines
catégories d’assurés les effets de la
réforme 1100  : ces dispositifs dérogatoires
sont le plus souvent présentés comme
des préoccupations de justice sociale et
d’équilibre de la réforme. Aux réformes,
génératrices d’économies, par
diminu-tion des prestations, restent
par conséquent agglutinés de multiples
dispositifs dérogatoires
retraités 11.
La notion même de « départ anticipé à la
retraite  » recouvre trois mécaniques de
nature distincte  : celles qui organisent
un départ avant l’âge légal d’ouverture
des droits, celles des départs à l’âge
légal mais en faisant bénéficier du taux
plein sans condition de durée d’assu-
rance et celles permettant de partir
avant l’âge légal et avec le taux plein. Un
départ anticipé à la retraite est possible,
en fonction de l’emploi occupé et du fait
de l’état de santé de l’assuré social 12 et
du fait d’une longue période d’activité et
donc de cotisation dite la « retraite anti-
cipée pour carrière longue » 13.
L’article 23 de la loi du 21 août 2003 por-
tant réforme des retraites avait ouvert
aux salariés ayant effectué des carrières
longues, du fait d’une entrée précoce sur
le marché du travail, la possibilité de
partir à la retraite avant soixante ans.
Aussi, depuis le 1  er janvier 2004, les
assurés du régime général pouvaient
donc partir à la retraite avant l’âge de
soixante ans lorsqu’ils remplissent des
conditions minimales de durée cotisée
et de durée validée tous régimes, ainsi
que des conditions d’âge (âge de début
d’activité, âge de liquidation).
Les règles qui gouvernent le dispositif
«  carrières longues  » sont non seu-
lement complexes, mais changeantes.

(7) V. par ex. La crise de la réforme des retraites n’est pas produite par le déséquilibre de notre Constitution, mais
par sa violation, Le Monde, 6 avr. 2023.
(8) Cons. const. déc. no 2023-849 DC du 14 avr. 2023, pts 85 à 89 qui affirme que la mesure aura un effet financier
en 2023 : sur cette décision, v. le commentaire de X. Prétot dans ce dossier ; v. aussi AJDA 2023. 748 ; ibid. 1061 ;
D. 2023. 736, obs. L. no 2023-270 du 14 avr. 2023 ; ibid. 889, édito. P. Esplugas-Labatut ; ibid. 1023, point de vue
D. Chagnollaud de Sabouret ; AJCT 2023. 253, obs. C. Demunck ; RFDA 2023. 541, note J.-P. Camby et Jean-Éric
Schoettl.
(9) Cons. const. déc. no 2023-849 DC du 14 avr. 2023, pts 90 à 94.
(10) E. Jeansen, Les âges de départ à la retraite, JCP S 2023 no 21, 1136.
(11) On relira J.-B. de Foucauld, Réflexions sur la réforme des retraites, Dr. soc. 2004. 396.
(12) Voir la contribution de S. Riancho dans ce dossier ; on relira aussi C. Omnès, Hommes et femmes face à la retraite
pour inaptitude de 1945 à aujourd’hui, Retraite et société, no 49, 2006. 77 ; tout comme P. Laroque, La retraite
des vieux. La réforme de l’assurance sociale vieillesse et de l’assistance aux vieillards : commentaire des lois des
14  mars et 29  mars 1941, JCP, Semaine juridique, 6  juill. 1941, reproduit in Revue d’histoire de la protection
sociale (RHPS), no 13, 2020. 135.
(13) CSS, art. L. 351-1-1.

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Chaque réforme des retraites, a, depuis
2003, date de l’invention du dispositif,
apporté son lot d’amendements, d’ajus-
tements et de nouveautés.
I - Le capharnaüm du droit des départs
anticipés pour carrière longue
La loi no 2003-75 du 21 août 2003 a ins-
titué un dispositif de retraite anticipée
pour les carrières longues en abaissant
la limite d’âge pour faire liquider les
droits à retraite au profit des assurés
ayant commencé leur activité très jeune,
permettant ainsi des départs avant 60
ans pour les assurés ayant commencé à
travailler avant 17 ans.
Il était ainsi initialement prévu que les
assurés doivent justifier d’une durée
minimale d’assurance dans l’ensemble
des régimes de 168  trimestres, d’une
durée cotisée de 160 trimestres pour
partir à 59  ans, 164  trimestres pour
partir à 58  ans et de 168  trimestres
pour partir à 56 et 57 ans ; d’une durée
d’assurance de 5 trimestres avant la fin
de l’année civile du 16e anniversaire pour
les départs en retraite à partir de 56, 57,
58 ans et avant la fin de l’année civile
du 17e  anniversaire pour les départs à
59 ans.
Entre 2004 et 2008, le dispositif a connu
une montée en charge continue, qui
n’avait pas été anticipée dans les projec-
tions réalisées en 2003.
Au cours de l’année 2008, plusieurs
mesures réglementaires ont été prises
pour encadrer davantage la procédure
de régularisation de cotisations arrié-
rées qui permet aux assurés de vali-
der des périodes d’apprentissage ou de
salariat pour lesquelles l’employeur n’a
pas versé de cotisations. Par ailleurs,
(14) T. Tauran, Le retour partiel à la retraite à 60 ans dans le cadre du dispositif carrière longue, JCP S 2012, no 28,
3.
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La réforme des retraites DOSSIER
La réforme de 2023 ajoute (II) au
capharnaüm des règles déjà existantes
(I).
l’article  120 de la loi de financement de
la sécurité sociale pour 2009 a limité la
possibilité de valider des trimestres sur
la base d’attestations sur l’honneur.
Ce dispositif n’a pas été remis en ques-
tion par la loi de réforme no  2010-1330
du 9  novembre 2010 et ce, malgré le
relèvement à 62 ans de l’âge d’ouverture
des droits.
En revanche, la loi de 2010 ouvre la
possibilité aux salariés ayant commencé
à travailler avant 18 ans de faire valoir
leurs droits à 60 ans sous réserve de 3
justifier d’une durée d’assurance cotisée
au moins égale à la durée nécessaire
pour une retraite à taux plein, d’avoir
une durée d’assurance validée au moins
équivalente à la durée exigée pour une
retraite à taux plein majorée de 8 tri-
mestres et de pouvoir faire état d’un cer-
tain nombre de trimestres d’assurance
avant leur 18e  anniversaire. S’ajoutent
également les périodes de suspension
d’activité pour maladie, maternité, d’ac-
cident du travail ou les périodes de ser-
vice militaire (dans la limite de quatre
trimestres pour chacune de ces causes
sur l’ensemble de la carrière).
Le décret no 2012-847 du 2 juillet 2012 14
a fortement élargi les conditions d’accès
à ce dispositif en l’ouvrant notamment
aux assurés ayant commencé leur car-
rière avant 20 ans et cotisé le nombre
de trimestres requis pour leur géné-
ration. Depuis le 1er  novembre 2012,
 DOSSIER La réforme des retraites

date d’entrée en vigueur du décret, les rente simplicité. En effet, si le bénéfice

assurés concernés peuvent ainsi par-
tir en retraite dès l’âge de 60 ans. La
condition de durée d’assurance validée
a également été supprimée  : les assu-
rés justifiant d’une carrière complète
cotisée peuvent donc partir dès 60 ans,
sans devoir justifier d’une durée d’as-
surance supérieure à celle requise pour
leur génération (le nouveau dispositif
annule la condition de durée d’assurance
validée majorée de 8 trimestres pour un
départ à 60 ans qui était requise aupa-
ravant). Le décret du 2  juillet 2012 et le
décret du 19 mars 2014 pris en applica-
tion de la loi du 20 janvier 2014 ont élargi
le champ des trimestres pouvant être
pris en compte dans la période cotisée.
de la retraite anticipée carrière longue
est fonction d’un minimum de cotisa-
tion dans l’année de début d’activité, de
l’année de naissance de l’assuré, d’un
certain âge de début d’activité, de l’âge
au moment de la demande de pension et
une certaine durée d’assurance cotisée
minimale, la détermination de ces para-
mètres est plus que complexe.
La première condition est satisfaite dès
lors que l’assuré réunit au moins cinq
ou parfois quatre trimestres 16 à la fin
de l’année civile de son 20e anniversaire,
pour un départ à partir de 60 ans ou de
son 16e  anniversaire, pour un départ à
partir de 58 ans 17.

Au-delà de ces réformes du dispositif Celle-ci évolue comme la durée d’as-

lui-même, des modifications des para-
mètres de droit commun ont des réper-
cussions sur les retraites anticipées. Les
réformes de 2003 et 2014 ont augmenté
progressivement la durée d’assurance
4 requise pour une retraite à taux plein
(de 160 à 172 trimestres) ; les conditions
d’éligibilité pour la «  retraite carrière
longue » dépendant de la durée d’assu-
rance requise, ces réformes ont limité
le nombre d’assurés susceptibles de
bénéficier du dispositif 15. À l’inverse,
la réforme de 2010 a décalé progressi-
vement l’âge d’ouverture des droits à
la retraite de 60 à 62 ans. Les âges de
départ anticipé ont été décalés, paral-
lèlement, de deux années. En consé-
quence, des assurés qui n’étaient pas
éligibles au dispositif avant ces déca-
lages le sont devenus.
Le résultat est une réglementation d’une
incroyable complexité malgré une appa-
surance requise pour bénéficier du
taux plein si l’activité a démarré à 20
ans. Par contre, si l’activité a débuté
à 16 ans, il est exigé une durée 8 tri-
mestres de cotisations de plus que celle
requise pour le taux plein. Le calcul de
la durée travaillée pour bénéficier du
dispositif de la retraite anticipée « car-
rière longue  » n’est pas celui pour la
pension de retraite à l’âge normal de
départ à la retraite. Certains trimestres
de cotisation sont «  réputés cotisés  »
et donc sans activité. Ces trimestres
«  réputés cotisés  » ne sont toutefois
pris en compte que dans la limite de
certains plafonds qui sont eux-mêmes
variables : ainsi, pour les périodes ayant
donné lieu à perception d’une pension
d’invalidité dans la limite de deux tri-
mestres. Par contre, les périodes de
chômage indemnisé et assimilé 18 sont
prises en compte dans la limite de 4
trimestres tout comme les périodes

(15) É. Denayrolles, M. Guilain, Retraite anticipée pour carrière longue  : 10 années d’évolutions réglementaires.
Retraite et société, n° 70, 2015. 151.
(16) Le nombre de trimestres est réduit à quatre pour l’assuré né au quatrième trimestre de l’année civile ou pour
l’assuré qui a débuté son activité dans le régime des non-salariés agricoles.
(17) Cette condition s’applique aux assurés nés après 1959. Ceux qui sont nés avant bénéficient d’âges anticipés de
départ à la retraite abaissés, à raison de quatre mois par an (57 ans et 8 mois pour les assurés nés en 1959, 57
ans et 4 mois pour les assurés nés en 1958…).
(18) Sont considérées comme des périodes assimilées au chômage les périodes de chômage involontaire constatées
avant 1980 et les périodes antérieures à 1980 pendant lesquelles l’assuré a bénéficié du régime de garantie des
ressources ou de l’allocation spéciale.

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indemnisées au titre de l’activité par- La Cour des comptes a ainsi pu

tielle, à compter du 1er  mars 2020, les
périodes indemnisées au titre de l’as-
surance maladie et accidents du travail
en cas d’incapacité temporaire et les
périodes de service national, tandis que
les périodes indemnisées au titre de la
maternité et celles issues de la majo-
ration de durée d’assurance au titre du
compte professionnel de prévention, le
sont sans condition de plafond.
Le dispositif «  carrières longues  » est
très complexe et, ce qui était particuliè-
rement injuste, c’est qu’on exigeait par
voie réglementaire des durées de coti-
sation qui, comme cela a été souligné
lors des débats parlementaires occa-
sionnés par la «  réforme Touraine  »
de 2014, aurait pu aller jusqu’à 180
trimestres 19.
signaler dès 2019 que « la récurrence des
modifica-tions apportées aux dispositifs
de départ anticipé paraît aussi résulter
d’un degré de préparation parfois
insuffisant de cer-taines dispositions
législatives et régle-mentaires. De fait,
les nouveaux disposi-tifs n’ont
généralement pas donné lieu à des
réflexions techniques approfondies, ni
à des études d’impact détaillées. Cette
circonstance a contribué à des
erreurs d’appréciation aux cas des
carrières lon-gues… » 2200.
Rien n’y fait, la réforme de 2023
s’inscrit dans cette longue pratique qui
conduit à des économies très
importantes sur les générations aux
portes de la retraite tout en procédant
un peu à des aménagements pour
certaines catégories de la popula-tion :
le contenu de la réforme s’en ressent.

II - Une nouvelle fragmentation des règles

portant sur les « carrières longues » 5

Probablement conscient de l’intelligibi- ans  » 22 et d’autres situations peuvent

lité problématique des multiples règles,
les réformateurs de 2023 ont tenté de
synthétiser le droit des départs anticipés
à la retraite. Le nouvel article L. 351-1-1
A du code de la sécurité sociale dresse
la liste des différents départs anticipés
et définit trois limites de diminution de la
condition d’âge. Les règles des retraites
pour carrières longues échouent dans la
catégorie de diminution « d’au moins un
an  » 21, là où dans d’autres cas il peut y
avoir mise en œuvre d’un départ anticipé
« d’une durée pouvant aller jusqu’à neuf
permettre un départ anticipé «  d’une
durée ne pouvant excéder deux ans » 23.
Par-delà cette nouvelle termino-
logie plus que problématique de par
son imprécision, la réforme de 2023
conserve la structure antérieure du dis-
positif «  carrière longue  », mais en
modifie largement les paramètres. Si
elle n’élimine pas le décalage de la
durée pendant laquelle les personnes
concernées devront travailler en raison
du décalage de l’âge d’ouverture des

(19) O. Marleix, député : « le dispositif « carrières longues » est très complexe et, ce qui était particulièrement injuste,
c’est qu’on exigeait par voie réglementaire des durées de cotisation qui, au terme de la réforme Touraine,
pouvaient aller jusqu’à 180  trimestres -  cela figure dans le décret sur les carrières longues  », in É.  Doineau,
R.-P. Savary, S. Rist, Rapport fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 15 mars 2023, no 950 Ass.
nat., Constitution du 4 oct. 1958, 16e législature, no 435, Sénat session ordinaire de 2022-2023.
(20) Cour des comptes, Rapport sur la Sécurité sociale 2019, oct. 2019, p. 220.
(21) Pour les assurés sociaux concernés par la retraite progressive de l’art. L. 161-22-1-5 CSS ; pour ceux bénéficiant
d’un départ en retraite au titre d’une carrière longue (CSS, art. L. 351-1-1) ; pour ceux reconnus inaptes au travail
dans les conditions prévues à l’art. L. 351-7 CSS ; pour ceux justifiant d’une incapacité permanente importante
(CSS, art. L. 351-1-5).
(22) Pour les assurés sociaux handicapés visés par l’art. L. 351-1-3 CSS.
(23) Pour les assurés titulaires d’un compte professionnel de prévention.

RDSS - E - Juillet - Août 2023

 DOSSIER La réforme des retraites

droits, elle en limite les effets sur les
générations de travailleurs parties le
plus tôt.
En premier lieu, deux nouvelles bornes
s’ajoutent aux deux déjà existantes, per-
mettant une liquidation à 60 ans (pour
les assurés ayant démarré avant 18 ans)
et à 63 ans (pour les assurés ayant
démarré avant 21 ans) 24. Les assurés
ayant démarré avant 16 ans pourront
toujours liquider à partir de 58 ans, tan-
dis que ceux ayant démarré avant 20 ans
pourront liquider à partir de 62 ans 25.
En second lieu, le paramètre de durée
d’assurance requise est ramené à la
durée d’assurance requise pour l’obten-
tion du taux plein, à savoir 43 ans 26. Il
est même d’une durée majorée de 8 tri-
mestres pour les assurés ayant démarré
très tôt. Enfin, 4 trimestres d’assurance
vieillesse de parent au foyer sont désor-
mais pris en compte dans la durée d’as-
surance retenue 27, tout comme le rachat
6 à coût réduit des trimestres d’apprentis-
sage (quatre maximum).
Il faut également noter que, comme
après la réforme de 2010, le report de
l’âge d’ouverture des droits conduira
mécaniquement des assurés qui
atteignent la durée d’assurance requise
entre 62 et 64 ans à devenir éligibles au
dispositif.
Mais la réforme ne s’applique pas dans
certains cas.
en principe partir à 62 ans  : s’ils le
souhaitent, ils peuvent décaler leur
demande de pension tout en bénéfi-
ciant, comme le mentionne le décret,
« d’un âge d’ouverture du droit à pension
abaissé  » tel qu’il existe aujourd’hui. Il
en résulte un droit spécial, «  adapté  »,
pour tenir compte de l’augmentation
progressive de l’âge légal de départ à la
retraite qui est de 60 ans pour les assu-
rés nés entre le 1er septembre 1961 et le
31  août 1963. L’âge légal de départ à la
retraite minoré de 2 ans et 6 mois pour
les assurés nés entre le 1er  septembre
1963 et le 31  décembre 1968 est fixé à
61 ans et 9 mois pour les assurés nés
en 1969 28.
Autre droit spécial : il est créé une dispo-
sition baptisée « clause de sauvegarde ».
Certains assurés, éligibles au dispositif
«  carrière longue  » avant le 1er  sep-
tembre 2023, peuvent ne plus l’être après
cette date du fait du relèvement de la
durée d’assurance requise pour leur
génération. La survie de l’ancien droit est
garantie aux assurés nés entre le 1er sep-
tembre 1961 et le 31  décembre 1963 et
qui justifient, avant 1er  septembre 2023,
de la durée d’assurance cotisée exigée
par la législation antérieure à cette date.
Les intéressés pourront alors deman-
der à bénéficier d’une retraite antici-
pée «  carrière longue  » à compter du
1er  septembre 2023 dans les conditions
d’ouverture de droit antérieures à cette
date (début d’activité avant 20 ans et 168
trimestres cotisés).

S’agissant ainsi des assurés nés de sep- On le sait, le Conseil constitutionnel

tembre  1961 à décembre  1969 et ayant ne manque pas de le répéter, sur-
commencé avant 20 ans qui devraient tout d’ailleurs en matière de sécurité

(24) CSS, art. L. 351-1-1 modifié ; CSS, art. D. 351-1-1 et 351-1-3 modifiés la borne d’âge de 63 ans présente un inté-
rêt uniquement pour les générations nées à compter de 1965 qui se verront appliquer l’« âge d’ouverture des
droits » de 64 ans.
(25) CSS, art. D. 351-1-1, I nouveau.
(26) CSS, art. D. 351-1-1, I nouveau.
(27) CSS, art. D. 351-1-2, 7º modifié.
(28) CSS, art. D. 351-1-1, II nouveau.
(29) Par ex. Cons. const. décision no 2000-437 DC du 19 déc. 2000 portant sur la LFSS pour 2001, D. 2001. 1766, obs. D.
Ribes ; Dr. soc. 2001. 270, note X. Prétot ; ibid. 304, chron. D. Tabuteau ; RDSS 2001. 89, obs. P.-Y. Verkindt ; RTD
civ. 2001. 229, obs. N. Molfessis ; décision no 2001-447 DC du 18 juill. 2001 portant sur la loi relative à la prise en
charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie ; ou décision
no 2001-453 DC du 18 déc. 2001 concernant la LFSS pour 2002, D. 2002. 1953, obs. D. Ribes ; Dr. soc. 2002. 191,
note X. Prétot.

Juillet - Août 2023 - E - RDSS

 La réforme des retraites DOSSIER

De plus, on le sait  : les dispositifs de

sociale 29, une loi peut être complexe
sans être contraire à la Constitution.
L’on sait également que l’élaboration
de nouvelles dispositions venant s’ajou-
ter à la pile bien fournie de règles
existantes (dispositions comprenant
notamment des âges abaissés avec des
limites maximales et/ou des «  clauses
de sauvegarde  »), l’aménagement de
nombreuses exceptions aux principes
proclamés, la démultiplication et le foi-
sonnement des règles applicables, le
«  ciblage  » vers telle ou telle catégo-
rie d’assurés ne sont pas considérés
comme «  excessivement complexes  »
par le gardien de la Constitution.
Il en résulte que le droit des départs
anticipés pour carrière longue pourra
être cité comme contre-exemple de ce
qui est notamment prôné dans le Guide
pour l’élaboration des textes législatifs
et réglementaires 30, qui consiste à « ne
faire que des textes nécessaires, bien
conçus, clairement écrits et juridique-
ment solides ».
retraite ont la particularité de construire
et de porter, entre générations et sur
une période glissante de 70 ans et plus,
des ensembles de créances et de dettes
considérables, qui ne peuvent être
arbitrairement altérées par des lois de
circonstances 3311  : le nouveau droit
des départs anticipés à la retraite pour
car-rière longue s’inscrit clairement
dans la catégorie des lois de circonstance.
On peut enfin s’interroger  : «  la loi
protège-t-elle encore le faible lors-
qu’elle est aussi complexe, foisonnante
et instable  ?  ». Cette question, posée
en 2006 3322, mérite de l’être à nouveau,
quant au droit du départ anticipé à la
retraite pour les assurés ayant
commencé à travailler précocement et
ayant cotisé longtemps au régime des
pensions de retraite. En effet, les
nouvelles règles, ubuesques, ne
tiennent compte à aucun moment
des écarts d’espérance de vie réels
entre catégories socio-professionnelles33
…. 7

(30) Guide de légistique, La doc. française, 2017.

(31) J.-C. Angoulvant, Réforme des retraites : enjeux et dérives : Ne pas jeter les régimes complémentaires avec l’eau
du bain bismarckien, Futuribles 430, 2019.59.
(32) Entretien avec Josseline de Clausade, JCP no 12, 22 mars 2006. I. 121.
(33) Par ex. F.  Bonnet, C.  Camarda, E.  Cambois, O.  Merville, Les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres  :
combien de temps passent-ils à la retraite et en (in)activité ?. Population & Sociétés, 611, 2023.1 ; Une nouvelle
réforme des retraites est-elle nécessaire ? Études, 2023. 33 ; P. Hobeika, Vers une retraite plus juste ? Des inéga-
lités de classe entre retraité/es. Savoir/Agir, 58, 2021.43.

RDSS - E - Juillet - Août 2023