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Les Berbères entre Maghreb et Mashreq ( e- e

siècle)

Dominique Valérian (dir.)

Éditeur : Casa de Velázquez


Lieu d’édition : Madrid
Année d’édition : 2021
Date de mise en ligne : 9 juin 2021
Collection : Collection de la Casa de Velázquez
EAN électronique : 9788490963265

http://books.openedition.org
Édition imprimée
Date de publication : 3 juin 2021
EAN (Édition imprimée) : 9788490963258
Nombre de pages : VIII-181

Référence électronique
VALÉRIAN, Dominique (dir.). Les Berbères entre Maghreb et Mashreq ( e-
e siècle). Nouvelle édition [en ligne]. Madrid : Casa de Velázquez, 2021

(généré le 09 juin 2021). Disponible sur Internet :


<http://books.openedition.org/cvz/25413>.

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Le terme « Berbère », qui désigne la population du Maghreb au moment de la
conquête islamique, renvoie à l’idée du caractère autochtone de cette
dernière. Cette altérité coexiste cependant dans les textes avec la
revendication du caractère oriental des Berbères, à travers l’élaboration de
généalogies fictives des tribus, qui présente le Maghreb comme orientalisé
avant même la conquête. Mais cette construction s’est accompagnée, très
vite, d’un discours des auteurs maghrébins qui revendiquait la place originale
et éminente des Berbères face aux Orientaux dans le plan divin, par une
inversion assumée des polarités de l’Islam et des hiérarchies des peuples
musulmans. Les études réunies dans ce volume analysent cette tension
permanente dans le discours, entre la revendication d’une origine orientale et
celle d’un rôle éminent des populations musulmanes du Maghreb dans le
destin de l’Islam.

Los autores árabes de la Edad Media se referían a los pueblos del Magreb
con el nombre de bereberes, que hasta entonces no se había utilizado en este
contexto. Esta categoría se presenta, pues, como algo completamente nuevo,
y se inscribe en el proceso de construcción de un discurso sobre el Islam y su
historia compartido por autores árabes de Oriente y Occidente. Este volumen
examina la evolución de las representaciones de los bereberes y su lugar en
el Islam, en relación con los cambios políticos e ideológicos que experimenta
el Magreb medieval.

DOMINIQUE VALÉRIAN
Médiéviste, agrégé d’histoire et ancien membre de l’École
française de Rome, Dominique Valérian est professeur à
l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, spécialiste de l’histoire
des pays d’Islam et de la Méditerranée.
SOMMAIRE

Introduction
Dominique Valérian
L’orientalisation du Maghreb
Les Berbères : les enjeux du discours

I. – Aux origines des berbères

L’invention des Berbères : retour sur la genèse de la catégorie


« Barbar » au cours des premiers siècles de l’Islam
Annliese Nef
Les Barbar-s : survivance antique ou invention islamique ?
Une révolution symbolique réussie ?
Catégories ethniques ou enjeux de pouvoir ?

La berbérisation et ses masques : le peuple berbère en question


( e- e siècle)
Ramzi Rouighi
Conquêtes et contextes
Berbères et peuple berbère
Enjeux

II. – Résistances et contre-discours

Approches historiographiques du discours de la résistance


berbère
Soléna Cheny

L’évolution du discours sur les Berbères dans les sources


narratives du Maghreb médiéval ( e- e siècle)
Allaoua Amara
Une berbérité renvoyant à un territoire échappant au contrôle du pouvoir
califal
Un regard intérieur : Ibn Sallām al-Luwātī
La catégorisation des Berbères
L’ancienneté d’une nation : les Berbères dans la production historique du
e siècle

« Dieu ouvrira une nouvelle porte pour l’islam au Maghreb »


Ibn Sallām ( e/ e siècle) et les hadiths sur les Berbères, entre Orient et ibadisme
maghrébin
Cyrille Aillet
« Ils ressusciteront la religion de Dieu après qu’elle eut péri »
Les derniers seront les premiers
« Il mettra un autre peuple à votre place, et ces gens ne vous ressembleront
pas »
La généalogie mythique des Rustamides, ou la confluence des deux peuples
Une relecture sunnite des faḍā’il ibadites

III. – Langues et généalogies berbères

Anciens mots, nouvelles lectures : hybridisme culturel au


Maghreb médiéval
Helena de Felipe
L’espace et ses habitants
Le langage des traditions
L’organisation de la société berbère
Lectures arabes de termes nord-africains : le langage généalogique
Butr et al-Barānis (?)

Le monde berbère dans les sources arabes de l’Orient médiéval


Motifs afro-asiatiques et visions arabo-musulmanes
Mohamed Meouak
L’Orient préislamique, un berceau des ethnies afro-asiatiques ?
L’origine des Berbères, le « motif » afro-asiatique et la « vision » arabo-
musulmane
De l’Ifricos antique à l’Ifrīqiya arabe ou les vicissitudes géo-historiques d’un
ethno-toponyme
Variations textuelles autour de la notion de barbar chez les géographes de
l’Orient arabo-musulman
Ethnogenèse des mondes berbères et perspectives africaines

Al‑lisān al‑ġarbī ou la langue des Almohades


Mehdi Ghouirgate
L’instrumentalisation d’un ḥadiṯ
La langue occidentale support à la propagande
La montée en puissance du bilinguisme arabo-berbère

Conclusion
Histoire de l’Islam, des Berbères et de l’Occident islamique
Maribel Fierro

Sources et Bibliographie

Sources
Bibliographie
Introduction
Dominique Valérian

1 Abdallah Laroui, dans l’introduction de son Histoire du Maghreb


parue en 1970, s’interroge sur le mot le plus adéquat pour
désigner l’espace dont il s’attache à faire l’histoire 1 . Il évacue
l’Afrique du Nord, « terme critiqué par les géographes »,
l’expression « Nord-Ouest africain », « dicté[e] par des
considérations politiques contemporaines », et Berbérie, qui
« comportait trop de sous-entendus politiques, sinon raciaux ». Il
lui préfère donc celui, largement répandu aujourd’hui, de
Maghreb, nom qui met la région en relation avec un centre situé
en Orient :
En attendant, je maintiens cette histoire aimantée vers l’Est
méditerranéen ; elle apparaît alors, et pour de longues périodes,
comme une histoire-objet, celle d’une terre qu’on conquiert, qu’on
exploite, qu’on « civilise » 2 .
2 Berbérie a pourtant longtemps, dans les langues européennes,
été utilisé pour désigner cette partie du monde, dès le Moyen
Âge 3 puis à l’époque moderne en désignant ses habitants par
le terme de « Barbaresques ». Dans l’historiographie coloniale il
est très largement employé 4 avec, comme le souligne Abdallah
Laroui, un arrière-plan idéologique fort et la volonté de
« désorientaliser » le Maghreb. Il s’agit de minimiser le lien avec
l’Orient arabe pour mettre en évidence une communauté de
destin ancienne entre l’Europe et ses nouvelles colonies. Les
Berbères font alors l’objet, dans le cadre d’une politique les
opposant volontiers aux Arabes, d’études nombreuses qui
insistent sur le lien avec les Européens 5 .
3 Ce discours a depuis longtemps été dénoncé, dans le cadre de la
critique postcoloniale de l’orientalisme, et surtout des nouvelles
historiographies nationalistes, non sans ambiguïtés et hésitations
sur la place des Berbères dans l’histoire du Maghreb et des
constructions nationales. Le problème se heurte aux
revendications identitaires parfois contradictoires qui fondent le
discours historique sur le Moyen Âge et que montre bien le choix
d’Abdallah Laroui, qui se résout, faute de mieux et « en
attendant », à rattacher la région à un pôle oriental. Ce débat sur
l’identité qui n’est pas, on le sait, propre au Maghreb, conduit à
brouiller la réflexion tant il pousse à chercher une identité qui
définirait depuis toujours et pour toujours une collectivité
humaine. Aucune dénomination n’est jamais neutre, et s’il faut
bien se résoudre, comme Abdallah Laroui, à choisir entre
plusieurs possibilités, le nom du Maghreb reste sans doute le
plus adéquat pour le Moyen Âge, puisque c’est celui qui a été
utilisé le plus souvent par les auteurs arabes de l’époque. Il n’en
demeure pas moins nécessaire de réfléchir à ses implications en
termes de catégorisation géographique et donc de
compréhension de l’histoire de la région, tant les cadres spatiaux
comme la périodisation induisent des formes particulières
d’interprétation historique.

L’orientalisation du Maghreb
4 Cette dénomination rattache donc de manière privilégiée le
Maghreb à l’Orient, comme centre du monde islamique, et invite
à questionner sa place dans cet espace, et plus largement son
intégration à l’Islam, mais aussi sa spécificité. L’étude des
processus d’islamisation et d’arabisation a montré combien cette
insertion dans le Dār al-Islām se fait progressivement, et selon
des modalités très diverses en fonction des régions et des
périodes, et surtout que l’appropriation de la religion comme de la
langue ne se résume pas en un mouvement unilatéral d’emprunt
à l’Orient 6 . L’idée d’une orientalisation du Maghreb à l’époque
islamique apparaît très tôt dans l’historiographie, mais n’est pas
sans poser de problèmes. Elle plonge ses racines dans l’étude
de l’Antiquité, et notamment de l’époque carthaginoise qui aurait,
par les comptoirs phéniciens, rattaché la région à l’Orient 7 .
Mais c’est surtout avec les conquêtes musulmanes que
l’ensemble du Maghreb est intégré dans un espace polarisé en
Orient, et notamment dans les capitales du califat, Damas puis
plus durablement Bagdad.
5 Ce concept d’orientalisation, souvent mobilisé comme une
évidence au vu de l’évolution du Maghreb, n’est cependant pas
sans poser de problèmes. Comme celui d’islamisation, il
n’apparaît pas dans les textes médiévaux et il est, avant tout, une
construction historiographique, qu’il convient donc d’interroger. Il
prend d’ailleurs des sens très différents selon les contextes
historiques dans lesquels il est employé. Les historiens et
historiens d’art de l’Antiquité ont les premiers critiqué ce concept,
avec des enjeux certes spécifiques mais en soulignant combien
cette distinction entre Orient et Occident, qui émerge à cette
époque, est le résultat d’un discours sur les origines par effets de
miroir entre deux espaces que l’on oppose, et qu’il convient de
déconstruire 8 . Pour al‑Andalus il s’inscrit dans le débat ancien
sur les racines, ibériques ou « orientales », de la nation, dans un
pays qui s’est construit en partie par la lutte victorieuse contre
l’Islam au Moyen Âge, et pose donc la question de la survivance
de traces de la période islamique — question qui bien sûr ne se
pose pas pour le Maghreb 9 . Mais lorsqu’il étudie les structures
« orientales » d’al-Andalus, et notamment la tribu qui en serait un
marqueur essentiel, Pierre Guichard renvoie à des réalités qui
sont aussi orientales que maghrébines, arabes que berbères 10 .
6 Le concept est au cœur de l’ouvrage de Georges Marçais, La
Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen Âge 11 , dont la
première partie, « La Berbérie sous la tutelle de l’Orient »,
s’ouvre par un chapitre consacré à « L’orientalisation de la
Berbérie » 12 . La thèse repose sur un présupposé, étroitement
lié à l’historiographie coloniale : le Maghreb est une région qui,
de tout temps, a subi les influences et les dominations d’autres
peuples. Marçais l’exprime dès son livre sur les Arabes en
Berbérie du e au e siècle, publié une trentaine d’années

auparavant :
La Berbérie ne paraît pas capable de progresser par ses propres
moyens ; elle doit se mettre à la remorque d’autrui. Une sorte de
fatalité semble l’empêcher d’être autre chose qu’une terre vassale.
Réservoir de forces sans cohésion, elle a besoin de recevoir ses
influences directrices du dehors, de Phénicie ou de Rome, de l’Orient
musulman ou de l’Espagne 13 .
7 Pour lui la crise de la Méditerranée qui met fin à la civilisation
romaine laisse la place à une civilisation orientale, incarnée par
les différentes dynasties arabes, jusqu’à ce que la rupture de ce
lien à partir du e siècle ne plonge la région dans une crise
durable. Cet Orient est cependant assez peu arabe, mais
s’incarne dans un empire islamique lui-même orientalisé au
contact des influences grecques et perses, synthétisées à
Bagdad au e siècle. Cette idée de l’orientalisation a cependant
été peu questionnée pour le Maghreb, contrairement à ce que
l’on a pu voir pour al‑Andalus ou la Méditerranée antique. Même
dans les historiographies nationales, après les indépendances,
elle reste dominante, peut-être en partie en raison des liens
restés étroits avec le Proche-Orient d’où sont longtemps venus, à
l’époque contemporaine, les nouveaux courant de pensée et les
modèles politiques. Tout comme l’islamisation et l’arabisation,
l’orientalisation semble être un donné acquis de l’histoire, qui
ancre définitivement le Maghreb dans un espace polarisé en
Orient 14 .
8 Le mot est cependant problématique, pour le Maghreb comme
pour d’autres terrains. Tout d’abord se pose la question de la
définition de l’Orient auquel on se réfère, alors que cette
dénomination reste floue dans ses contours spatiaux 15 , et dont
Edward Saïd avait déjà montré le caractère construit dans le
cadre d’un discours sur l’Occident et sa domination 16 . Le terme
même de Mašriq, dans les textes arabes du Moyen Âge, n’a
d’ailleurs pas toujours la même délimitation, désignant parfois les
régions à l’est de la Cyrénaïque (ce qui le distingue du Maghreb),
parfois les régions à l’est de l’Irak. Par ailleurs cette notion
d’orientalisation est souvent associée à des jugements de valeur
portés sur l’Orient et ses influences supposées, du reste
contradictoires puisqu’il est à la fois source de civilisation mais
aussi d’amollissement 17 , et le débat est souvent encombré de
considérations morales sur le caractère positif ou négatif de ces
influences. De même ce binôme Orient-Occident, par son
caractère exclusif, empêche bien souvent d’envisager la
complexité des connexions et des réseaux dans lesquels s’insère
le Maghreb dans un contexte donné, comme les nuances
régionales au sein de chaque espace.
9 Plus encore, ce concept d’orientalisation, comme d’autres
comparables (romanisation, occidentalisation, islamisation, etc.),
véhicule une série de notions telles qu’influence, imitation,
acculturation, mais aussi symbiose, résistance, notions souvent
liées aux théories sur le diffusionnisme, qui ont été à juste titre
critiquées pour ce qu’elles portent de vision unilatérale des
phénomènes de transferts culturels 18 , mais aussi pour leur
approche souvent culturaliste et essentialiste. La notion
complexe d’acculturation ne peut en particulier se résumer à une
simple dialectique entre intégration et résistance des vaincus, et
doit prendre en considération la diversité des contextes, des
appropriations ou coproductions de nouveaux modèles 19 . Il
arrive un moment où les populations du Maghreb cessent de se
considérer comme vaincues et conquises pour se penser comme
participant pleinement de la construction du monde islamique
— et lorsque les premiers témoignages écrits apparaissent, cette
mutation est déjà achevée. Cela n’exclut pas des spécificités et
la conscience de leur existence, mais celles-ci s’expriment alors
dans un cadre conceptuel partagé. Enfin cette notion porte en
elle le risque d’une approche téléologique donnant l’impression, à
partir de textes qui la présentent comme acquise, d’un processus
accompli et achevé rapidement, et définitivement 20 .
10 Pour autant, faut-il rejeter ce concept, comme le propose
Nicholas Purcell pour l’Antiquité ? À condition de prendre garde
aux pièges qu’il recèle, et notamment ceux du discours des
sources, il reste en effet une clé d’interprétation utile de la
construction d’un Maghreb islamique. L’étude de l’orientalisation
— que l’on peut définir comme l’ensemble des manifestations,
des modalités et des conséquences au Maghreb de son
intégration dans un espace polarisé en Orient — peut être alors
d’un grand apport à une réflexion sur les dynamiques
d’intégration de la région dans le Dār al-Islām. Cela suppose de
prendre en considération les changements de polarités
(politiques, mais aussi économiques, religieuses, intellectuelles,
artistiques…) et de structuration de l’espace induits par les
conquêtes musulmanes.
11 Cela peut sembler une évidence à partir du e siècle — c’est du

moins l’image que veulent donner les textes. Même si cette


intégration ne se fait que très progressivement, et sur plusieurs
siècles, les conquêtes musulmanes induisent une vraie rupture,
avec la formation d’un vaste espace qui unifie des régions
orientales et occidentales longtemps hostiles, faisant partie des
empires sassanide et byzantin. Cela se traduit par de nouvelles
polarités politiques correspondant aux sièges du califat, à Damas
puis à Bagdad, en attendant Le Caire à partir de la fin du
e siècle. Il en résulte une réorganisation des réseaux et une

réorientation des flux à partir de ces pôles, et selon des


directions non plus nord-sud comme à l’époque romaine et
byzantine en Méditerranée, mais est-ouest. Il est néanmoins
nécessaire d’interroger la profondeur de cette intégration, et d’en
analyser ses conséquences sur l’organisation de l’espace. Il faut
rappeler ici le caractère très progressif et inégal, selon les
régions du Maghreb, de la pénétration des pouvoirs musulmans,
comme de l’islam 21 . Les liens politiques avec l’Orient sont les
plus faciles à mettre en évidence, avec une intégration de plus en
plus forte au fur et à mesure que s’installe la domination
musulmane, et une prise de possession de régions de plus en
plus étendues à partir des centres politiques (Kairouan, mais
aussi Cordoue pour l’ouest). Cependant, le lien de sujétion
politique avec l’Orient, à partir du e siècle, n’est plus direct que
pour l’espace aghlabide, c’est-à-dire l’Ifrīqiya, puis il disparaît
totalement après le milieu du e siècle et la rupture entre les
Zirides et les Fatimides. Il n’en demeure pas moins que se
développent des réseaux intégrant l’Orient et l’Occident de
l’Islam : réseaux savants et religieux, polarisés en Orient mais
pas forcément tous liés aux centres califaux 22 , et réseaux
économiques qui profitent de la formation d’un vaste marché
unifié dont rendent compte les géographes abbassides à partir
du e siècle 23 .
12 Cette intégration du Maghreb à l’espace islamique s’accompagne
en effet d’un nouveau discours qui permet de repenser le monde
et son histoire dans un cadre et une organisation profondément
renouvelés, celui de l’Islam et de son empire, et qui assigne à la
région une place spécifique par rapport à des pôles orientaux.
Cette fabrique du Maghreb, par le discours des géographes et
des chroniqueurs, prend une dimension à la fois spatiale et
historique. Les récits de la conquête, après avoir rapporté la
résistance exceptionnellement longue des habitants, soulignent
ensuite leur soumission rapide et totale à l’Islam après la défaite
de la Kāhina et la fondation de Kairouan. Dans un premier temps
cependant le Maghreb apparaît comme une terre conquise et
exploitée, notamment pour ses esclaves, jusqu’à ce que les
révoltes du e siècle mettent fin à cette pratique. Ces récits

montrent ainsi la spécificité de cet espace, qu’ils distinguent de


l’Égypte et des autres régions conquises en Orient, notamment
par son occupation par les Berbères 24 . Mais ce sont surtout les
géographes qui contribuent de manière décisive à décrire
l’organisation des provinces, plaçant le Maghreb comme une
périphérie lointaine de l’Orient. Ainsi Ibn Ḥawqal, qui a pourtant
visité la région au e siècle :
L’empire de l’Islam, à l’époque où nous vivons, s’étend en longueur,
à partir de Ferghana, traverse le Khorasan, le Djibal, l’Iraq, l’Arabie,
jusqu’au littoral du Yémen, ce qui représente environ cinq mois de
voyage ; sa largeur s’étend, en commençant au pays de Byzance, à
travers la Syrie, la Haute Mésopotamie, l’Iraq, le Fars, le Kerman,
jusqu’à la région de Manṣūra sur le littoral de la mer de Perse, ce qui
fait environ quatre mois. J’ai négligé, dans la longueur du domaine
de l’islam, de pousser jusqu’à la limite du Maghreb et de l’Espagne,
parce que c’est comme une manche dans un vêtement 25 .
13 L’image de la manche du vêtement, ou de la queue de l’oiseau
chez d’autres auteurs comme Ibn ʿAbd al‑Ḥakam, évoque à la
fois le rattachement au centre et le caractère de marge assigné
au Maghreb. Elle sera d’ailleurs détournée plus tard par l’auteur
anonyme des Mafāḫir al-Barbar 26 . En effet le discours change,
au moins en partie, chez les auteurs qui, écrivant au Maghreb,
construisent une autre mémoire, voire une contre-mémoire, dès
le e siècle en milieu ibadite 27 . Il faut donc voir aussi comment,
au Maghreb, a été pensé ce rapport à l’Orient, dans des textes
écrits en arabe et reprenant en grande partie l’héritage et les
modes d’écriture abbassides, mais en inversant parfois les
polarités au point de faire du Maghreb le nouveau centre de
l’Islam 28 .

Les Berbères : les enjeux du discours


14 Le discours sur les Berbères n’échappe pas à cette profonde
reconstruction des modes de représentation du monde qui
accompagne la formation de l’empire islamique. Il est encore
aujourd’hui l’enjeu de débats importants, liés à la fois à son
instrumentalisation dans le cadre de la politique coloniale et à la
place assignée aux Berbères dans le discours sur la nation après
les indépendances, principalement au Maroc et en Algérie, mais
aussi à celle du Maghreb dans le monde arabe et musulman. La
lecture nationaliste du passé, chez les historiens maghrébins
mais pas seulement 29 , a insisté sur les notions d’autochtonie,
d’identité, de substrat, de résistance, etc., et sur une opposition
entre Arabes et Berbères, non sans ambiguïté parfois avec la
volonté de rattacher la région au monde arabe et/ou musulman.
Le choix chez certains de privilégier le nom d’Amazigh 30 plutôt
que celui, considéré comme trop connoté, de Berbères, illustre la
difficulté de penser cette catégorie et la nécessité de montrer
comment elle s’est construite dans le passé. Un des enjeux
majeurs des discours mettant en avant — ou au contraire
refusant — l’orientalisation du Maghreb a été en effet la place
assignée aux Berbères dans l’espace et l’histoire de l’Islam, par
les auteurs orientaux comme maghrébins. Le terme « Berbères »
qui désigne l’ensemble des populations du Maghreb au moment
où les Arabo-musulmans l’envahissent, s’oppose a priori à tout
ce qui n’est pas autochtone, donc aux Arabes et à l’Orient.
L’articulation du discours sur les Berbères avec celui sur l’Islam
et l’Orient est cependant plus complexe, et évolue au cours du
Moyen Âge.
15 Le nom de Berbère, comme l’a montré Ramzi Rouighi 31 , est
une création médiévale et d’abord orientale, avec parfois un
passage par al‑Andalus, et ne doit rien à un héritage grec ou
romain. Il est d’abord le résultat d’un travail de classification des
peuples conquis, visant à produire un discours sur l’empire
islamique. Les auteurs abbassides « peuplent » donc le Maghreb
de Berbères, et cette catégorie en vient alors à désigner
l’ensemble des tribus qui y vivent. Ce processus d’ethnogenèse
est cependant lent et ce n’est que progressivement qu’il
s’impose, même si cette genèse est difficile à établir, car elle ne
se donne à voir qu’à partir des textes du e siècle, quand elle est
déjà bien avancée — ces textes sont cependant encore loin
d’utiliser le mot comme catégorie englobant toutes les tribus du
Maghreb. Il se produit à la fois dans le contexte des conquêtes,
au contact et face à la résistance de ces nouvelles populations,
mais aussi dans celui plus tardif de la crise du e siècle, qui voit

une partie du Maghreb rejeter l’autorité des califes d’Orient. C’est


donc bien souvent par opposition aux Arabes que les auteurs
orientaux définissent et décrivent les Berbères, dans un
processus de construction en miroir des deux catégories, par
négation en quelque sorte — de même que, dans l’Antiquité, les
Maures avaient été définis par opposition à la romanité 32 . Ils
assignent alors aux Berbères une place particulière dans l’Islam,
qui correspond à celle conférée au Maghreb, à la périphérie de
l’Orient et comme une terre de résistance et de dissidence.
16 Mais en même temps que se construit ce discours en Orient, les
premiers textes écrits par des auteurs maghrébins, en contexte
ibadite, produisent un contre-discours et une contre-mémoire,
dont témoigne Ibn Sallām. Celui-ci, qui écrit en arabe et en
s’inscrivant pleinement dans les modes d’écriture orientaux et
dans l’islam (notamment à travers la mobilisation des hadiths),
mais en les détournant parfois, assigne aux Berbères une place
non plus périphérique, mais au contraire centrale dans l’espace
et le temps de l’Islam. C’est donc dans un cadre conceptuel
partagé, celui du nouveau monde de l’Islam et de ses modes de
représentation, que se construit le discours sur les Berbères. Le
rapport à l’Orient n’est pas rejeté par les auteurs maghrébins,
comme le montrent notamment les constructions généalogiques,
mais les polarités sont inversées, le Maghreb devenant le
nouveau centre de l’islam, où la religion sera revivifiée, et les
Berbères le nouveau peuple élu appelé à remplacer les Arabes
dans le plan divin. Les stéréotypes et les signes dépréciatifs
d’altérité des Berbères mis en avant par les auteurs orientaux
(révolte, mœurs, langue, etc.) sont alors repris mais en leur
donnant un autre sens, retourné et valorisant comme autant de
signes de leur élection par Dieu.
17 Cette tension dans le discours, entre la revendication d’une
origine orientale et celle d’un rôle éminent des populations du
Maghreb dans le destin de l’Islam, s’exprime à travers quelques
thèmes récurrents qui sont autant de marqueurs à la fois des
spécificités des Berbères et de leur ancrage dans le nouveau
monde de l’Islam, et qu’il faut analyser aussi bien dans les textes
orientaux qu’occidentaux.
18 La question des origines des Berbères, tout d’abord, a très tôt
intéressé les auteurs arabes, dans des ouvrages spécifiques de
généalogies, mais aussi dans les géographies et les chroniques.
Or si ces constructions généalogiques diffèrent sensiblement et
se concurrencent d’un texte à l’autre, elles convergent dans la
volonté de donner aux habitants du Maghreb une origine
orientale. Il était nécessaire en effet, en même temps que se
construisait la catégorie « Berbère », d’en décrire la structuration
en tribus, selon un modèle social partagé, et de fixer ses origines
afin de la placer dans l’espace et le temps de l’Islam. Cela
permet d’attribuer une place aux Berbères dans l’organisation de
la Umma, par le biais de la science généalogique. Là encore, le
travail s’opère à la fois en Orient et en Occident, même si les
enjeux ne sont pas toujours les mêmes, et peuvent évoluer.
Helena de Felipe montre bien comment le processus de
dénomination des groupes tribaux, à partir de diverses traditions
locales ou orientales, s’accompagne d’une intégration à des
généalogies qui ont toutes leurs racines en Orient. Par les
Berbères, le Maghreb est donc orientalisé avant même la
conquête 33 . Mais cet Orient n’est pas un bloc uniforme :
certaines généalogies renvoient à des origines bibliques et
palestiniennes, notamment à Goliath, d’autres à des tribus
d’Arabie (les deux étant parfois combinées), alors que les
sources ibadites mettent en avant le lignage persan du fondateur
de la dynastie rustumide. Au-delà de cette orientalisation des
origines, partagée par tous ces récits, le choix d’une généalogie
plutôt qu’une autre peut aussi refléter une compétition pour le
pouvoir, au Maghreb mais aussi à l’échelle de l’ensemble du Dār
al-Islām, contre les Arabes d’Orient maîtres du califat.
19 L’image des Berbères se construit, nous l’avons vu, en miroir de
celle des Arabes, et la question de la langue occupe une place
particulière dans ce discours de différenciation. Elle est d’ailleurs
considérée comme une des étymologies possible (mais tardive)
donnée au nom par les auteurs arabes. Elle est en tout cas un
élément de caractérisation des Berbères, comme le montre
Allaoua Amara à partir de Saḥnūn, pour les catégories juridiques,
ou d’Ibn Ḫaldūn, qui en fait une preuve de la singularité de ce
peuple. Il n’existe cependant pas d’unité du berbère, qui n’a
jamais constitué avant l’Islam une langue de l’administration, et
n’est que très rarement écrit, du reste en alphabet arabe.
L’entreprise almohade étudiée par Mehdi Ghouirgate de
promotion d’une « langue occidentale » (al‑lisān al‑ġarbī), en
s’appuyant sur le parler des Maṣmūda, accompagne à cet égard
le projet de califat d’Occident et d’affirmation de la place centrale
des Berbères dans l’Islam, en donnant une sacralité nouvelle à
cette langue. C’est aussi la langue, comme le montre Mohamed
Meouak, qui permet de reconsidérer le double lien qui unit le
Maghreb à la fois avec l’Orient et avec l’Afrique.
20 Au-delà de la distinction linguistique, que les auteurs médiévaux
ont bien perçue et mise en valeur, c’est surtout l’histoire de
l’entrée des Berbères dans l’Islam qui construit leur spécificité au
sein de la Umma. Le thème de la résistance à la conquête est à
cet égard central. Mais l’interprétation des textes, souvent faite
au prisme de l’histoire récente, de la période coloniale comme
des constructions nationales, demande à être menée avec
prudence tant l’image du Berbère résistant est devenue un lieu
commun et un enjeu identitaire et de l’histoire nationale. Les
récits de la conquête, qu’analyse Soléna Cheny, montrent les
modalités de cette résistance et de la soumission finale des
populations du Maghreb, et l’importance du thème dans la
littérature des futūḥ. Mais celui-ci se prolonge, après le succès
des armées de l’Islam, à la fois par le rôle joué par les courants
hétérodoxes et par l’émergence de pouvoirs autonomes à partir
du milieu du e siècle — les deux étant souvent liés. Dans la

construction de la catégorie « Berbères », la résistance joue donc


un rôle majeur, que ce soit pour stigmatiser les populations du
Maghreb (par exemple en les opposant aux Coptes en Égypte),
ou à l’inverse pour souligner leur rôle dans la défense de l’islam
face à son affaiblissement en Orient, souvent par une opposition
avec celui des Arabes dont elles viennent prendre le relais.
21 Cette dernière position conduit à mettre en avant les mérites des
Berbères, qu’étudie notamment Cyrille Aillet à partir de la
littérature ibadite, montrant la précocité de ce thème, qui se
développe ensuite et notamment à partir de l’époque almohade.
La mobilisation des hadiths, propre au genre des faḍā’il, mais
aussi l’écriture de l’histoire de la conquête, qui associe à la
résistance la précocité et l’unanimité de l’adhésion à l’islam des
populations du Maghreb, contribuent à la construction d’un
discours qui inverse les hiérarchies entre Arabes et Berbères,
comme entre l’Orient et l’Occident. Celui-ci, d’une périphérie de
l’Islam, en devient son nouveau centre, le lieu de la revivification
de la religion et de l’accomplissement de la prophétie et des
temps derniers 34 . La foi inébranlable des Berbères en fait alors
le nouveau peuple élu, qui prend le relais des Arabes dans
l’histoire du Salut. Cyrille Aillet, qui montre les liens et les
parallèles entre les šuʻūbiyya‑s persane et berbère, souligne que
la spécificité de la seconde tient précisément dans cette
exaltation de la pureté inaltérée de la foi des Berbères.
22 Ces différents thèmes, qui contribuent à la construction d’un
discours sur les Berbères, à la fois rattachés à l’Orient et définis
par des caractères propres, apparaissent progressivement dans
les textes arabes, orientaux comme occidentaux. Même si
l’évolution est tout sauf linéaire, ni homogène partout au
Maghreb, il est possible de repérer des moments d’inflexion du
discours, ou au moins de sa mise par écrit, qui sont autant
d’étapes permettant de l’historiciser en le mettant en relation
avec les évolutions politiques et religieuses.
23 Les textes écrits au e siècle, à défaut de pouvoir disposer de
témoignages plus anciens qui permettraient de comprendre la
genèse du discours sur les Berbères, montrent qu’une image
s’est déjà formée, marquée à la fois par les événements passés
de la conquête du Maghreb et des révoltes du milieu du
e siècle. Ils émanent d’auteurs orientaux, en contexte

abbasside, et occidentaux, en contexte ibadite. Mais s’ils


produisent un discours différent, notamment en termes de
jugements de valeurs, ils participent tous d’un même mode
d’écriture et mobilisent des références communes à tout le
monde islamique, forgées en Orient. La littérature abbasside, qui
s’attache à produire un savoir impérial sur les peuples conquis et
à en produire une classification, montre un usage encore limité
de la catégorie « berbère », notamment dans les récits de
conquêtes, suggérant que le mot n’est pas encore perçu de
manière unanime comme une catégorie englobante pour
désigner les populations du Maghreb. Celle-ci se forge
cependant progressivement, en lien avec les révoltes et le
fractionnement politique du e siècle, qui voit la majeure partie

du Maghreb se séparer politiquement de l’Orient, ce qui explique


l’identification, très souvent, des Berbères aux kharijites. C’est
aussi le moment où apparaissent les premières explications
généalogiques qui entreprennent à la fois de classer les tribus
berbères et de les rattacher à une matrice orientale. Mais à la
même époque apparaît, en contexte ibadite, un autre discours
qui s’appuie sur celui des auteurs abbassides pour l’inverser et
poser les bases d’une contre-mémoire et de la revendication
d’une spécificité berbère, valorisante, dans l’Islam.
24 À ce « moment ibadite » succèdent à partir du e siècle les
empires berbères, almoravide et almohade, qui constituent une
deuxième étape dans l’élaboration du discours. Désormais le
Maghreb est totalement, et définitivement, détaché sur le plan
politique de l’Orient, et voit l’émergence de dynasties berbères
— alors que précédemment, même pour les pouvoirs
autonomes, les princes revendiquaient une origine orientale.
Cette mutation politique s’accompagne de la production d’un
discours qui reprend en partie celui des auteurs ibadites — on y
retrouve notamment la célébration des mérites des Berbères et
de la place du Maghreb comme nouveau pôle de l’Islam, destiné
à supplanter l’Orient. Mais ce discours est infléchi, soit dans le
cadre de l’idéologie almohade qui fait une large place au berbère
comme langue du pouvoir et langue sacrée, soit de manière plus
durable pour un milieu sunnite, en atténuant la remise en cause
de la primauté des Arabes et en rejetant le caractère hétérodoxe
des Berbères.
25 Enfin le e siècle correspond à une cristallisation du discours,
dans le contexte des dynasties post-almohades, à travers
plusieurs ouvrages généalogiques et chroniques, dont celle d’Ibn
Ḫaldūn qui fait de la distinction entre dynasties berbères et
arabes un critère d’organisation du Kitāb al‑‘ibar. Ce dernier
reprend, parfois pour les critiquer, les traditions antérieures, et
produit un portrait collectif des Berbères d’une puissance telle
qu’il s’impose pour les générations suivantes et, à travers sa
traduction en français au e siècle, dans l’historiographie

moderne. Ils apparaissent alors comme un peuple participant


pleinement de la Umma et de l’islam orthodoxe, rattaché à
l’Orient par les constructions généalogiques, mais avec ses
spécificités, au premier rang desquelles la langue.
26 Si l’on voulait être provocateur, on pourrait affirmer que les
Berbères n’existaient pas au Maghreb au moment de la conquête
arabo-musulmane. Du moins pas sous cette appellation, ni
comme un ensemble de populations perçu comme homogène.
Leur « invention » est, comme le souligne Annliese Nef, le
produit d’une révolution symbolique réussie, celle qui
accompagne la formation de l’Islam et d’un discours sur l’histoire
et l’espace produit en arabe, en Orient et au Maghreb, et auquel
les Berbères ont pleinement participé, dans un cadre de pensée
désormais partagé. La nécessité impériale de classer et de
nommer les régions et les peuples conquis a obligé à penser la
relation des Berbères (et du Maghreb) à l’Orient, à la fois lieu de
la Révélation et nouveau centre du pouvoir. Le discours produit
revendique alors un rattachement fort à l’Orient, notamment par
le biais des constructions généalogiques, mais aussi de la langue
arabe et de la religion. Dans le même temps, il affirme la
spécificité des Berbères au sein de la Umma, et pour le cas des
textes écrits au Maghreb leur rôle central dans l’histoire du Salut.
Cette construction, qui associe la double revendication d’un
ancrage oriental et d’une spécificité occidentale, s’enracine dans
l’histoire propre de l’intégration de la région dans l’Islam, de son
islamisation, marquée notamment par la résistance initiale puis
par la place qui y ont occupé les hétérodoxies, associées
pendant longtemps aux Berbères, enfin par l’émergence de
dynasties berbères appuyant leur légitimité sur leur ancrage
islamique.

NOTES
1. Ce volume est le produit d’une journée d’étude organisée à la
Casa de Velázquez le 28 juin 2013 et de séminaires tenus à
Paris et Lyon autour de la question de l’orientalisation du
Maghreb, dans le cadre d’un programme de recherche porté par
la Casa de Velázquez, en collaboration avec l’UMR 5648 CIHAM
et l’UMR 8167 Orient et Méditerranée, coordonné par moi-même.
Je tiens à remercier ici, pour son soutien sans faille, Daniel
Baloup, alors directeur des études à la Casa de Velázquez pour
l’histoire ancienne et médiévale.
2.L , 1975, pp. 13-15.
3. On parle par exemple, dans les contrats notariés, de « laine de
Barbarie », ou à Venise de la muda de Barbarie, convoi qui relie
les principaux ports du Maghreb au e siècle. Le terme Africa,
dans ces sources, est alors le plus souvent réservé à la ville de
Mahdia.
4. Par exemple dans les deux grandes thèses de Hadi-Roger
Idris et Robert Brunschvig, consacrées à la « Berbérie orientale »
aux époques ziride et hafside. I , 1962 ; B , 1940-
1947.
5.B , 1942.
6.V (éd.), 2011.
7.I , 1950, p. 123 : « Les comptoirs phéniciens échelonnés
le long de la côte et surtout Carthage, poursuivirent pendant près
d’un millénaire l’orientalisation du pays : elle fut assez profonde
pour asseoir le développement d'États indigènes prospères, tel
celui de Masinissa. »
8.R , V (dir.), 2006, notamment le chapitre de Nicholas
P , « Orientalizing: Five Historical Questions », pp. 21-30.
9.M , 2009, pp. 12-13.
10.G , 1977.
11.M , 1946.
12.Ibid., pp. 19-53.
13.M , 1913, p. 1. Il reprend l’idée en 1946 : « il semble
conforme à la destinée de l'Afrique du Nord de faire figure de
terre vassale, d'accepter des chefs temporels et spirituels venus
du dehors » (M , 1946, p. 19).
14. Lorsque l’influence d’al-Andalus est mise en valeur, c’est
souvent en tant que conservatoire de l’héritage oriental par les
Omeyyades.
15. C’est ce dont témoigne l’acception de l’expression anglaise
Middle East, qui englobe l’Occident islamique, comme un
appendice, une marge de l’Islam.
16. Il parle d’une orientalisation (pensée comme une exotisation)
de l’Orient. S , 1980, chap. II, « La géographie imaginaire et
ses représentations : orientaliser l’Oriental », pp. 66-90.
17. Le mot est ainsi utilisé à propos des poulains, Latins nés
dans les États croisés, souvent dans un sens dépréciatif.
18. Sur cette notion, E , 1999 ; J -P , 2009.
19.P -C , 2013.
20. Cela vaut également pour les concepts d’arabisation et
d’islamisation.
21. Voir les travaux réunis dans V (éd.), 2011.
22. C’est le cas par exemple pour les ibadites. P , 2010.
23.L , 1971, pp. 22-25.
24. Voir la contribution d’Allaoua A , dans ce volume, pp.
000-000.
25.I Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par K , 1938-1939,
t. I, pp. 25-26 ; trad. de K et W , 1964, p. 16.
26. Pour spécifier que l’oiseau en question est un paon. Mafāḫir
al-barbar, cité par G , 2014a, p. 79.
27.A , 2015.
28. C’est le cas par exemple chez le géographe andalou al-Bakrī,
qui y consacre une grande partie de son œuvre et y voit un vivier
de forces nouvelles. T , 2011, p. 373. Cette exaltation de la
centralité du Maghreb dans l’Islam et l’histoire du Salut culmine à
l’époque almohade et mérinide. G -A , 2006.
29. Par exemple S , 1983a.
30. C’est le cas par exemple pour l’Institut royal de culture
amazighe (IRCAM) créé au Maroc en 2001.
31.R , 2010 et 2011.
32.M , 2003b, p. 449.
33. C’est ce qui ressort également des récits de fondations de
villes. A , 2011 ; V , 2015.
34.G -A , 2006.

AUTEUR
DOMINIQUE VALÉRIAN
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – UMR 8167 Orient & Méditerranée
I. – Aux origines des berbères
L’invention des Berbères : retour
sur la genèse de la catégorie
« Barbar » au cours des
premiers siècles de l’Islam
Annliese Nef

1 Il est des sujets sur lesquels l’actualité pèse d’un poids


particulier. Le traitement, la reconnaissance et la place attribuée
dans l’histoire aux groupes longtemps qualifiés de « Berbères »,
et qui revendiquent aujourd’hui, pour une partie d’entre eux,
d’être désignés par le terme « Imazighen » (pl. de « Amazigh »),
sont actuellement des questions âprement débattues. Un tel
contexte exige une attention et un effort de réflexivité particuliers
à l’heure d’aborder y compris les périodes plus anciennes de
l’histoire et, si la projection du contemporain sur ces dernières
par l’historien est marquée du sceau de l’évidence, il est
nécessaire de la penser. Outre un processus d’identification
spontanée avec ceux qui sont considérés comme faisant partie
des « vaincus de l’histoire », une telle tendance peut en effet
conduire à projeter sur le Moyen Âge des catégories
d’interprétation et des mécanismes d’explication qui ne valent
que pour le contemporain de manière non contrôlée.
2 Un des points de crispation intense des débats actuels est
précisément la dénomination « berbère », ou plutôt barbar, qui a
acquis aujourd’hui une connotation péjorative 1 . De ce point de
vue, retracer la genèse de ce qualificatif autant que faire se peut
autorise, à l’inverse, à introduire une distance qui permet de
percevoir autrement les questions qui se posent aujourd’hui, à
défaut de les expliquer (les discontinuités entre Moyen Âge et
contemporain sont ici comme ailleurs, fortes et nombreuses) ou
de les résoudre. Néanmoins afin d’éviter des projections trop
mécaniques, nous utiliserons la translittération du mot arabe
« barbar » et non le vocable de « Berbère(s) » 2 .
3 Précisons tout de suite le sens que nous donnons à la genèse
que nous entendons restituer ici. Une des difficultés qui pourrait
constituer un obstacle à cette entreprise 3 , réside dans la
raréfaction entre le e et le e siècle des sources relatives à
l’histoire du Maghreb. Toutefois, ce phénomène de genèse non
décrite par les sources contemporaines de son déroulement n’est
en rien une exception, il est même parfaitement banal. Outre le
fait que les grands événements du passé ont rarement leurs
chroniqueurs contemporains, c’est le propre de toutes les
genèses réussies de tendre à effacer, non seulement tous les
possibles non advenus, mais aussi les rapports de force,
tensions et débats qui ont présidé à leur succès. Néanmoins, cet
effacement n’est jamais total 4 . C’est pourquoi la démarche que
nous adopterons sera plus génétique que généalogique pour
reprendre une distinction bourdieusienne 5 : dans la mesure où
la genèse a lieu au sein d’un monde social déjà existant, ce qui
nous retiendra sera moins la description d’un improbable
commencement que les dynamiques sociales à l’œuvre telles
que reflétées, y compris a posteriori, par les principes de vision et
de division du monde social qui sont nés de cette genèse.
4 Après avoir rappelé que la catégorie « Barbar » est une invention
d’époque islamique qui n’a pas de lien avec les catégorisations
antiques, nous verrons qu’elle est le fruit d’une « révolution
symbolique » réussie qui a accompagné la mise en place d’un
État nouveau, né de la conquête arabo-musulmane de l’Africa 6 .
Cette réussite, pour finir, n’évacue pas les débats et les luttes
pour le pouvoir qui accompagnent l’avènement d’un nouvel ordre
social, mais elle implique qu’ils s’expriment dans les termes
auxquels cette révolution symbolique a donné naissance.

Les Barbar-s : survivance antique ou


invention islamique ?
5 Il a souvent été avancé que « Barbar » venait du grec Barbaros
ou du latin Barbarus et était porteur de connotations négatives
qui découlaient de cette filiation 7 . Une version un peu différente
de cette conception continuiste consiste à dire que les Barbar-s
existaient avant la conquête arabo-musulmane et qu’ils n’ont fait
que changer de nom avec cette dernière 8 .
6 Tout d’abord, rappelons qu’il n’existait pas avant l’usage du terme
barbar en arabe de vocable désignant l’ensemble des
populations évoluant dans la région qui correspond au Maghreb
actuel 9 . En aucun cas, les termes de barbaroi ou barbari n’ont
joué ce rôle. Il est donc clair que cette unification catégorielle ne
peut être analysée comme un simple changement de nom, tant la
dénomination et la classification ont des effets performatifs dans
le monde social. En outre, ces qualificatifs grec et latin n’ont pas
été particulièrement utilisés pour déprécier ces mêmes
populations durant la période préislamique, d’autant que les
Vandales étaient aussi des prétendants à cette qualification aux
e et e siècles 10 .

7 Le terme barbar pourrait toutefois avoir repris des connotations


qui étaient celles de ce lexique antique. Deux pistes peuvent être
distinguées :
une signification restreinte selon laquelle le vocable arabe renverrait au
sens premier des termes barbaros ou barbarus, qui soulignent le fait chez
ceux qu’ils qualifient de ne pas maîtriser la langue grecque et/ou latine ;
un sens plus large qui pointe l’absence, dans la société considérée
comme « barbare », de telle ou telle institution sociale qui caractériserait
le monde civilisé (la démocratie opposée à la tyrannie pour la distinction
entre Grecs et Perses, etc.) 11 .
8 Or, le lien avec la langue est rarement exprimé dans les textes
arabes les plus anciens qui évoquent l’étymologie du terme
barbar et, lorsque c’est le cas, il ne l’est pas de manière claire.
Les dictionnaires contemporains pourraient bien ici induire en
erreur. Si, comme le rappelle Ramzi Rouighi, on trouve bien une
mention relativement haute de l’utilisation du verbe barbara pour
désigner ceux qui ne parlent pas l’arabe, c’est au sujet de
Byzantins parlant grec 12 ! Le retournement est savoureux mais
peu fréquent tant la racine ‘.ğ.m. était amplement utilisée pour
rendre cette idée, y compris au Maghreb 13 . Un lien pourrait être
établi entre l’usage de ce vocable et le fait que les Barbar-s se
voyaient reprocher de parler mal l’arabe ou avec des fautes 14 ,
mais ce serait oublier que ce trait était loin d’être considéré
comme leur étant spécifique 15 . Le fait qu’ils ne mettent pas leur
langue par écrit dans un alphabet qui lui aurait été propre 16
pour la période qui nous intéresse n’est pas non plus souligné
par les sources et ne constituerait pas, là non plus, une
singularité justifiant ce qualificatif. L’idée de sonorités spécifiques
aux langues parlées au Maghreb — tels le rugissement d’un lion
— est avancée ponctuellement et tardivement. Toutefois, à la
période haute, les rares sources qui justifient le choix du terme
barbar pour désigner les habitants du Maghreb citent l’expression
Mā akṯara barbara haw’lā!, reprise avec quelques variantes
depuis au moins le e siècle 17 , dont le sens est loin d’être
évident.
9 Sa traduction la plus fréquente donne à barbara un sens
linguistique 18 . Néanmoins, l’auteur qui entérine clairement cette
interprétation et la met en avant comme origine du nom des
Barbar-s est Ibn Ḫaldūn 19 . Notons toutefois qu’il décline deux
aspects pour expliquer le choix de ce vocable : la non-arabité de
la langue parlée par ceux qu’il désigne (avec des termes dérivant
de la racine ‘.ğ.m.) mais, surtout, la présence dans leur idiome de
sonorités décrites comme surprenantes 20 . Or, aucune de ces
deux idées n’est développée dans les sources précoces et Ibn
Ḫaldūn, ici comme dans d’autres cas, semble préciser et
systématiser une signification ou une interprétation qui était
demeurée ouverte par le passé.
10 En effet, dès une époque haute, d’autres lectures sont données
de cette expression. La première renvoie à l’idée de grand
nombre : barbar viendrait de tabarbarū (« ils se sont multipliés »)
21 . Dans la mesure où ce sens est avancé par Ibn Sallām, une

telle position pourrait être mise en relation avec sa volonté


d'exalter les qualités des Barbar-s et des ibadites en leur sein 22
. Il est toutefois intéressant que l’expression telle qu’on la trouve
chez Ibn al‑Kalbī, dans un tout autre contexte de production
littéraire, associe les deux racines b.r.b.r. et k.ṯ.r. et que ce lien
entre le nombre et la langue soit constant, y compris dans les
passages d’Ibn Ḫaldūn que nous avons mentionnés. Il semble
donc que le sens de cette expression ait pu être différent, à
l’origine, de la traduction que l’on en fait en général, et renvoyer à
un jeu de mots entre tabarbara et kaṯara et entre les deux racines
susdites plus largement, relation que les lecteurs auraient perdu
avec le temps et l’évolution du sens de barbara au cours du
Moyen Âge 23 puis, en arabe contemporain, au profit de ce qui
n’était au départ au mieux qu’un des sens du verbe barbara. On
trouve, enfin, un troisième sens pour le verbe barbara chez Ibn
Ḫaldūn, qui renvoie à un vers qu’aurait prononcé Ifrīqiš lorsque
les Cananéens qu’il voulait emmener de Palestine au Maghreb
s’y opposèrent : « renâcler » 24 .
11 Deux points peuvent être avancés à l’issue de ce rapide passage
en revue : les sources précoces ne privilégient pas une
étymologie univoque, quand elles en proposent, du terme barbar
25 qui tournerait autour de la langue non-arabe pratiquée par

ceux qui relèveraient de cette catégorie. Cette étymologie


« linguistique », là où elle a été repérée, ne va pas de soi :
l’expression commentée ci-dessus pourrait aussi bien être l’écho
d’un jeu de mots originel, qui n’a plus de sens pour les
traducteurs contemporains, que l’écho d’un débat et de la volonté
de mettre en avant une signification positive du vocable, à côté
d’une autre plus dépréciative. Il n’est pas possible de trancher,
mais il demeure à la fois que les étymologies de ce type sont
toujours débattues, en particulier, mais pas exclusivement, dans
les périodes de genèse, et que dans le cas de barbar, il n’y a pas
de vulgate unanime et dépréciative de ce point de vue ; elle
s’impose avec le temps. Cette incertitude première, en outre, est
renforcée par l’utilisation d’une expression qui désigne la
« langue des Berbères ».
12 En effet, si cette signification générique de barbar était présente
à l’esprit des auteurs médiévaux du monde islamique, alors
l’expression de « langue des Berbères » (lisān al‑barbar ou
al‑barbariyya) n’aurait guère de sens, puisqu’elle n’est pas
générique, mais bien spécifique à un groupe. De ce point de vue,
il faut noter que les textes médiévaux maintiennent une tension
non résolue entre variété des langues berbères et référence à
« une » langue berbère 26 . Ce qui fait l’unité ici ce n’est pas la
langue, mais la catégorie « Barbar ». Comme le terme
barbar/berbère, cette tension non résolue est un des héritages
non interrogés de la période médiévale 27 . Soulignons d’ailleurs
que la promotion d’une éventuelle koiné berbère à des moments
précis (notamment almohade 28 ) est aussi le résultat du nouvel
ordre islamique.
13 Si tenter de reconstituer la genèse de cette catégorisation permet
avant tout de mettre en évidence des débats et des réflexions
précoces, plutôt qu’une volonté de vexation trop facilement
avancée, une telle démarche met aussi en exergue le fait que
ces débats entérinent un principe de vision et de division du
monde social nouveau, qui émerge en même temps que se
constitue l’empire islamique. La catégorisation réussie, puisque
partagée comme cadre commun autorisant les débats, est
performative ; elle crée un cadre nouveau d’interprétation du
monde social et refonde ainsi l’ordre social.

Une révolution symbolique réussie ?


14 Pierre Bourdieu a montré que l’émergence d’un monde nouveau
— qui n’implique pas nécessairement de jeter bas violemment un
monde pour reconstruire quelque chose de tout à fait différent 29
— passe par une révolution cognitive, indispensable à toute
révolution symbolique 30 . Cette dernière entraîne à terme une
révolution sociale car structures sociales et structures mentales
sont liées. De ce point de vue, la catégorisation nouvelle des
Barbar-s est le fruit d’une révolution symbolique plus large dont
on peut identifier les éléments constitutifs en relation avec la
question qui nous intéresse et distinguer, dans une certaine
mesure, les étapes.
15 Cette révolution symbolique passe par la renomination des
espaces qui sont intégrés à l’empire islamique en construction.
Ainsi du nord de l’Afrique, Égypte exceptée, désigné par le nom
de Maġrib, au sein duquel est distinguée l’Ifrīqiya (l’ex-Africa
proconsularis, puis Africa byzantine). Elle passe par le fait de
donner un nouveau nom à ceux qui habitent ces espaces, les
Barbar-s, ce qui s’accompagne non seulement de l’attribution
d’une étymologie (même très implicite, on l’a vu) au vocable,
mais aussi d’une généalogie au groupe ainsi désigné. Ces
différents éléments ne sont bien entendu pas propres aux
Barbar-s, mais sont déclinés dans tout l’empire 31 .
16 Helena de Felipe a bien montré que les généalogies
concurrentes qui vont se maintenir parallèlement jusqu’au
e siècle et, à la synthèse d’Ibn Ḫaldūn, qui se moque de la

plupart, sont en place relativement tôt (dès Ibn Hišām, mort en


828 ou 833, qui lui-même renvoie à Wahb b. Munabbih, mort en
728 ou 732), même si les canaux de transmission de ces
généalogies ne sont pas toujours évidents à suivre.
17 Sans entrer dans les détails et les innombrables variations de
ces généalogies, ni dans leurs entrecroisements proposés par
certains auteurs, rappelons que trois systèmes d’explication du
monde non exclusifs l’un de l’autre se côtoient dans le nouveau
monde social qu’est l’Islam et qu’ils sont déclinés au sujet des
Barbar-s :
biblique, à travers le lien avec la « Table des peuples » de la Genèse ;
par la migration des groupes humains 32 ;
par attribution d’une origine arabe du nord ou du sud aux Barbar-s.
18 On retrouve ces mêmes explications et leur entrelacement
parfois contradictoire au sujet de bien d’autres groupes et rien
n’est spécifique ici à ces derniers.
19 Notons néanmoins que dans aucun de ces schémas,
l’autochtonie n’est au cœur de la pensée islamique des origines
33 : les conquérants arabo-musulmans et leurs descendants,

réels ou présumés, étaient certes célébrés, mais le lien ainsi


souligné avec un espace originel et oriental n’est pas réservé à
ces catégories. Ainsi, Helena de Felipe a identifié comme un
point commun aux diverses explications des origines des Barbar-
s le fait qu’aucun auteur ne songe à les considérer comme ayant
toujours résidé au Maghreb 34 . Or, outre qu’il importe de
nuancer cette affirmation, notamment parce qu’Ibn Ḫaldūn, sans
oser trancher tout à fait avec l’ensemble des traditions à ce sujet,
en considère un bon nombre comme parfaitement farfelues
(suivant en cela certains de ces prédécesseurs) et suggère aussi
que les Barbar-s ont de bonne chance d’avoir peuplé le Maghreb
depuis un temps bien plus long que ne le suggèrent la plupart
des auteurs 35 , ce point commun découle de l’ordre du monde
tel qu’il est pensé par les auteurs arabo-musulmans médiévaux.
Les Barbar-s sont, de ce point de vue, envisagés comme tous les
autres groupes qui peuplaient l’empire islamique.
20 Comme l’a bien montré Helena de Felipe, les sources précoces,
et en particulier déjà le Kitāb al‑Tiğān d’Ibn Hišām, contiennent
différentes idées développées par des textes postérieurs, même
si elles ne sont par la suite ni toujours combinées, ni toutes
présentes 36 : les Barbar-s descendent de Cham (Ḥām) ; ils se
seraient installés en Palestine et y auraient refusé la conversion
au judaïsme et affronté Israël, leur roi Goliath étant défait par
David ; comme ils se retrouvaient ainsi sans roi, un certain Ifrīqiš,
un Himyarite (Ifrīqiš b. Qays b. Ṣayfī al‑Himyārī), aurait pris leur
tête et les auraient emmenés au Maghreb. L’ouvrage suggère
aussi que certains lignages barbar se revendiquent des Qaysites.
Il développe également l’idée que les Barbar-s partagent, en
raison de leur origine commune et de la malédiction de Cham 37
, des traits peu positifs attribués aux peuples noirs, dont la
violence.
21 Ces différents éléments — la dimension négative en moins —
sont repris dès les premiers ouvrages qui participent à la
construction d’une conception du monde et de son histoire
commune aux auteurs arabo-musulmans, et en particulier par les
premiers auteurs d’ouvrages de maġāzī et les premiers
géographes 38 . Précisons néanmoins, une fois encore, que si
ces conceptions reposent sur des cadres explicatifs communs,
elles ne sont pas unanimes et que leurs variations expriment des
prises de position diverses. Les éléments dont nous disposons
sur les auteurs les plus anciens ne permettent pas de les mettre
en rapport avec leur trajectoire intellectuelle, d’autant que les
modalités même de composition des ouvrages invitent à ne pas
trop individualiser cette dernière, mais une étude systématique
de la pensée des origines des différents groupes humains
développée par les ouvrages concernés, articulée à une
comparaison de l’ensemble de ces systèmes d’explication,
permettrait de mettre en évidence ces prises de position 39 .
22 Ces éléments sont donc présents chez Ibn al-Kalbī (m. 819 ou
821) 40 , Ibn ‘Abd al‑Ḥakam (m. 871) 41 , al‑Balāḏurī (m. 892) 42
, et chez tous les géographes qui consacrent des pages au
Maghreb à partir de la fin du e siècle. Ces élaborations
apparaissent incontestablement comme ayant une origine
orientale, mais elles participent de la révolution symbolique qui
se joue lors de la mise en place du premier État islamique dans
l’ensemble des régions qui lui sont soumises, et leur diffusion et
appropriation sont très rapides.
23 L’absence de sources rédigées par des auteurs se qualifiant eux-
mêmes de Barbar-s pour éclairer ces questions a longtemps été
mise en avant comme un obstacle méthodologique majeur à la
réflexion. Or, l’étude renouvelée des sources ibadites a
définitivement montré que ces textes existaient. Bien entendu,
ces ouvrages participent des débats menés autour de la
définition des Barbar-s ; ils le font en outre en langue arabe, de
manière assez logique puisque le terme barbar a été inventé
dans cette langue, mais aussi parce que le débat a bien lieu
entre les savants de l’empire islamique, et enfin parce qu’au
Moyen Âge les langues parlées par les Berbères n’étaient pas
mises par écrit dans un système d’écriture propre et qu’elles
l’étaient bien peu, même si plus abondamment qu’on ne l’a
longtemps cru, en alphabet arabe.
24 Un des textes ibadites rédigés au Maghreb par un auteur se
définissant comme Barbar, les plus anciens qui nous soient
parvenus — puisque son auteur Ibn Sallām donne des dates
pour ses déplacements allant jusqu’en 887 —, a été édité sous le
titre de Kitāb Ibn Sallām en 1986 43 . Il a récemment été l’objet
d’une nouvelle lecture par Cyrille Aillet 44 . Celui-ci souligne
l’hétérogénéité du texte, pour lequel il suggère le titre de « Livre
sur les débuts de l’Islam » qui est celui qui apparaît sur le seul
manuscrit connu du texte. Ce dernier combine une sorte de guide
du croyant (à partir de notes prises par un élève d’Ibn Sallām ?),
des notices historiques et biographiques sur l’ibadisme
maghrébin et une section de Faḍā’il al‑Barbar 45 , quasiment
entièrement traduite par Cyrille Aillet dans son étude 46 . Cette
section qui est comprise dans la dernière partie du texte,
consacrée au ḫurūğ contre les tyrans dans l’Ouest, montre donc
que les prises de position exaltant les Barbar-s sont précoces :
trois anecdotes qui leur sont favorables sont en effet rapportées.
La première est un hadith relaté par ‘Ā’iša 47 ; la seconde un
hadith relaté par le calife ‘Umar alors qu’il rencontre des Barbar-s
qui sont venus le trouver 48 ; un troisième passage met en avant
le transmetteur ‘Abd Allāh b. Mas‘ūd 49 . Toutes insistent sur la
foi des Barbar-s et sur la revivification de la foi musulmane
attendue à terme des populations de l’ouest de l’empire. Les
hadiths les plus longs seront tous repris dans des textes
postérieurs 50 . Des éléments considérés en général comme plus
tardifs et propres au Maghreb al‑Aqṣā sont donc en germe dès le
e siècle et dans un espace bien plus oriental, puisque l’auteur

évoluait entre la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Ğabal Nafūsa.


25 Ce sont également ces pages qui contiennent l’interprétation
alternative du verbe barbara évoquée plus haut. Cyrille Aillet a
suggéré que tous ces éléments constituaient une sorte de contre-
mémoire élaborée par les Barbar-s ibadites 51 . Il convient
toutefois de souligner que non seulement ces derniers sont
présentés comme les meilleurs des musulmans, mais que les
louanges qui promeuvent les Barbar-s ne s’accompagnent pas
de critiques des Arabes. Seul le ğund est dénoncé. Il nous
semble qu’en déduire une opposition barbar/‘arab revient à forcer
le texte, en vertu d’une projection depuis des temps postérieurs.
Une telle opposition n’est pas mise en scène et n’aurait guère de
sens de la part d’un auteur qui reprend la catégorie « Barbar »
pour l’exalter en appuyant la grandeur de ce groupe sur le
témoignage exclusif d’Arabes ! Signalons enfin que le passage
des Faḍā’il al‑Barbar qui met en scène ‘Umar, le montre recevant
un groupe de Barbar-s que lui avait envoyé le célèbre
gouverneur d’Égypte ‘Amr b. al‑‘Āṣ et les interrogeant sur leur
origine comme sur leurs mœurs. Les différents éléments qui
auraient pu aiguiller vers la sauvagerie des envoyés (nécessité
d’un traducteur, rasage des cheveux et de la barbe et autres
spécificités mises en lumière par le dialogue entre ce groupe et
‘Umar, telle l’absence de villes, de forteresses et de marchés au
Maghreb) sont perçus par le calife comme autant de signes qui
annoncent « ahl al‑Maġrib » qui fournira les meilleurs musulmans
quand la foi aura marqué le pas en Orient 52 . Mais il convient de
noter que même ce passage, explicite s’il en est, débute par une
présentation du groupe par lui-même comme composé de
Lawāta, tribu dont un membre de l’assistance (al‑‘Abbās
b. Mirdās al-Sulamī), répondant à une question du calife, précise
qu’elle descend de Barr b. Qays, ce qui correspond à une des
origines arabes des Barbar-s évoquées plus haut. Les traits
associés aux Barbar-s peuvent donc être l’objet de lectures
contradictoires dès la fin du e siècle.

Catégories ethniques ou enjeux de


pouvoir ?
26 Notons que dans cette première phase qui a retenu notre
attention, il n’apparaît pas indispensable à tous les savants de
prendre position sur cette question lorsqu’ils traitent de l’histoire
du Maghreb. Ainsi, Ramzi Rouighi a souligné qu’Ibn Ṣaġīr 53
n’avait utilisé le terme barbar qu’une fois dans sa chronique des
premiers temps de la dynastie rustamide 54 , rédigée entre 907
et 909. En revanche, il évoque, au cours des conflits politico-
religieux qui se déroulent à Tahert, divers groupes, tels les
‘Ağam, les ‘Arab, les Rustamiyyūn 55 et les Nafūsa, les
Hawwāra et les Luwāta. Sans entrer ici dans le détail de ces
affrontements partisans, il apparaît clairement que la
configuration politique et les rapports de force dans ce domaine
ont une incidence décisive sur l’élaboration des catégories
utilisées pour décrire le monde social et sur leur mobilisation.
27 De même, sans nier les mentions dépréciatives renvoyant aux
Barbar-s dans les textes arabes (mais sont-elles plus
nombreuses que pour d’autres groupes ? 56 ) ni les critiques
dont Ibn Sallām lui-même se fait l’écho en négatif comme nous
l’avons vu, il convient de ne pas simplifier à outrance (en
projetant les tensions propres à al‑Andalus à partir de la fitna
barbariyya du e siècle ou à la situation contemporaine). Ainsi, il
a été avancé que la généalogie chamitique était une preuve du
mépris arabe à l’égard des Berbères, mais en réalité cette origine
peut se concilier avec des conceptions positives, voire
louangeuses.
28 Ibn ‘Abd al-Ḥakam (m. 871) lorsqu’il évoque les Coptes 57 , dans
un chapitre sur les Faḍā’il Miṣr, précise ainsi qu’ils sont les plus
nobles de tous les non-Arabes (a‘āğim), les plus généreux, les
meilleurs en termes d’origine (‘unṣūr) et les plus proches des
Arabes en termes de lignage (litt. raḥim, utérus car Hagar serait
copte) et en particulier des Qurayš 58 . Or, dans le même
ouvrage, dans le chapitre « L’arrivée [nuzūl] des Coptes en
Égypte et leur installation [suknā] », l’auteur avance que les
Coptes descendent de Cham (Ḥām) 59 . Il est vrai que, comme
pour compenser cette origine en quelque sorte, il est dit que Miṣr
fils de Ḥām aurait été béni et aurait amené sa famille en Égypte
où il aurait établi ses fils, parmi lesquels Qibṭ, mais un tel
contraste, qui n’est pas unique, doit mettre en garde contre les
interprétations trop mécaniques. Ibn ‘Abd al‑Ḥakam est égyptien
et cela peut expliquer une partie de sa prise de position, mais il
s’inspire de sources antérieures, il est musulman et il écrit pour
un horizon d’attente qui n’est pas seulement égyptien et pour
lequel en particulier la prophétie et la royauté demeurent
l’apanage du lignage de Sem (Sām). Toutefois, Edward Coghill a
bien montré que les conquérants en Égypte avaient pris soin de
distinguer Coptes et Byzantins pour s’attirer le soutien des
premiers 60 . Là aussi, donc, la configuration politique est
essentielle.
29 On voit donc que les enjeux politiques propres à chaque
configuration régionale amènent, surtout au cours de la genèse
de ce nouvel ordre islamique, à mettre en avant des catégories
alternatives ou à interpréter de manières contrastées des
données apparemment semblables.
30 Ainsi, alors que l’utilisation par des groupes définis comme
barbar de l’instrument généalogique pour mettre en avant des
origines arabes a été interprétée comme un signe d’acculturation
restreinte aux élites arabisées 61 , on peut défendre l’idée d’une
coproduction de l’empire islamique par les conquérants et les
conquis, distinction rapidement appelée à disparaître, la
domination sociale prenant d’autres formes. On verrait plutôt là le
succès de la révolution symbolique relative à la conception de
l’espace et du temps au sein de l’empire islamique et du cadre de
catégorisation qui en découle comme cadre de l’expression des
rapports de force et de pouvoir.
31 Or, ce succès et cette promotion de généalogies arabes dans le
cas du Maghreb pourraient bien s’expliquer autrement que par le
seul désir des Barbar-s, auxquels s’imposerait ce cadre de
catégorisation, d’échapper au mépris des Arabes. Maribel Fierro,
et d’autres après elle, ont insisté sur le lien entre cette
compétition relative aux lignages honorables et la rareté du lien
de walā’ en al‑Andalus 62 . La remarque peut être étendue au
Maghreb (et à la Sicile). En effet, si on a noté qu’il fallait
distinguer en Ifrīqiya les mawālī venant d’Orient ou revendiquant
une origine orientale et les mawālī locaux 63 ; si on a souligné
que toute une partie des individus recensés dans les ouvrages
de ṭabaqāt ifrīqiyens témoignent d’une islamisation et d’une
intégration aux élites qui ne passent pas majoritairement par le
lien de walā’ 64 et si la dialectique des soutiens recherchés par
la dynastie aghlabide alternativement auprès du jund et auprès
de ses mawālī a été mise en évidence 65 , il manque encore une
étude systématique de la question à l’échelle du Maghreb 66 . On
peut se demander en effet si, comme en al‑Andalus, la relative
rareté de ce type de lien ne poussait pas à l’invention de
« généalogies du pouvoir », une expression empruntée à Maribel
Fierro et qui a le mérite de mettre en lumière le véritable enjeu de
ces constructions : l’accès à l’exercice du pouvoir et les luttes de
pouvoir. Un des moyens précoces de changer de catégorie (de
barbar à ‘arab par exemple) n’aurait en effet plus fonctionné,
contrairement à ce qu’il en était en Orient au moment des
premières conquêtes 67 . D’autres moyens furent développés et
il est clair que, dans ce contexte, une manière de revendiquer le
pouvoir passa aussi par le fait de revendiquer une nisba
considérée comme barbar. De ce point de vue, l’histoire des
catégories Ṣanhāğa, Zanāta et Maṣmūda et de l’affiliation de
différents clans et tribus à ces symboles de la puissance politique
est tout à fait significative 68 . L’histoire de ces revendications
successives, barbar-s et arabes, qui n’étaient pas toujours
exclusives les unes des autres on l’a vu, serait donc à mettre en
relation plus systématiquement avec un processus d’affirmation
de la prééminence politique de tel ou tel groupe ou lignage.
32 Rappelons que le Maghreb (tout comme al-Andalus) est
précisément l’espace où des expériences politiques autonomes,
voire indépendantes, de l’empire abbasside se mettent en place
le plus tôt dans le monde islamique. Il n’est que d’évoquer les
Rustamides, les Idrissides, les Barġawāṭa… Si les deux
premières dynasties sont présentées par les sources comme
originaires d’Orient, les mêmes sources soulignent à l’envi
l’importance du soutien qu’elles reçurent des Barbar-s et les
alliances qu’elles forgèrent avec ces derniers 69 . De ce point de
vue, il se pourrait bien que la violence de certaines critiques
faites aux Barbar-s tienne précisément à cette prétention qui fut
la leur 70 . Les Coptes peuvent bien descendre de Cham et être
décrits positivement : ils sont chrétiens et ne prétendent pas
exercer le pouvoir à égalité avec les conquérants. Au moment de
la conquête de l’Égypte, les Coptes, comme les Barbar-s plus
tard, sont distingués des Rūm-s, mais là où les Coptes sont vus
comme accueillant les Arabo-musulmans à bras ouverts, cette
construction ne se retrouve pas au Maghreb. On a souvent
avancé qu’une telle différence avait été motivée par la
combativité des habitants du Maghreb, mais sans doute faut-il
aussi voir ici le reflet d’une lecture rétroactive, visant à ruiner les
prétentions des Barbar-s à partager le pouvoir 71 .
33 Outre par une nouvelle conception de l’espace et du temps, le
nouvel État et le nouvel universel qui sont indissociables de la
genèse de l’empire islamique sont accompagnés par une
refondation du principe de vision et de division du monde social.
Ils passent donc aussi par une refondation de l’ordre social et de
sa catégorisation. Celle-ci s’exprime avant tout en Islam à travers
une tension entre égalitarisme des croyants et prise en compte
d’une hiérarchie sociale, en place et/ou à redéfinir 72 . La
réussite d’une révolution symbolique dans ce domaine n’efface
pas les débats : elle les autorise, dans un cadre conceptuel
partagé et la vigueur de l’affirmation de l’égalité entre croyants
par les ibadites du Maghreb, tout comme la précocité et la
pérennité du genre des « éloges des Barbar-s » ne peuvent
laisser de doute sur ce point. Ce dernier est la manifestation
d’une šu‘ūbiyya barbariyya, au même titre que d’autres mieux
établies et plus étudiées (persane, turque ou andalousienne) 73 .
34 Une conception moins lacrymale (pour reprendre une expression
utilisée pour l’histoire des juifs dans les mondes de l’Islam
médiéval 74 ) de l’histoire des Barbar-s permettrait sans doute de
considérer l’histoire du Maghreb islamique autrement. La
révolution symbolique évoquée plus haut n’est en effet pas celle
des Arabes, mais bien celle d’un ordre du monde islamique, à la
construction duquel les Barbar-s ont participé à part entière et en
langue arabe 75 , un ordre qui n’est ni religieux au sens où nous
l’entendons aujourd’hui, ni ethnico-nationaliste. Cette révolution a
certes autorisé des luttes pour le pouvoir et des controverses
sémantiques qu’il convient de ne pas évacuer trop rapidement.
Toutefois, une telle perspective permet de considérer que
l’oppression politique des Barbar-s est bien plus récente que ne
le postulent ceux qui la combattent aujourd’hui.

NOTES
1. Pour être exacte, la difficulté est encore plus grande : le terme
barbar est vu comme péjoratif aujourd’hui en arabe, alors que
« Berbère » a plutôt des connotations positives en français.
2. En premier lieu, parce qu’il s’agit de la forme originelle du
terme. En outre, nous ne pouvons ici entrer dans ces
considérations, mais il s’agit aussi dans un texte écrit en français
de ne pas charrier avec un vocable son histoire récente et
notamment l’opposition catégorielle entre Arabes et Berbères qui
a caractérisé une partie de l’historiographie d’époque coloniale
en français, laquelle a, de manière instrumentale, chanté les
seconds au détriment des premiers.
3. Soulignée tant par M , 2008 que par R , 2011.
4.B , 2012, pp. 128-130.
5.Ibid., p. 185.
6. Nous ne prétendons pas ici nous appuyer sur un corpus
exhaustif de sources d’époque médiévale ; nous nous
concentrons sur les sources les plus anciennes qui nous soient
parvenues, bien consciente que des sources plus tardives
peuvent véhiculer des strates anciennes et que l’ensemble du
corpus devrait être systématiquement réétudié.
7.N 1982, p. 1 et B et F , 1996, p. 124, mais
ces derniers attribuent la systématisation de cette position à Ibn
Ḫaldūn, à juste titre, comme nous le verrons plus bas.
8. C’est la position défendue par exemple dans C , 1995,
moult fois réédité.
9. R. Rouighi a rappelé que les seuls Barbar-s documentés hors
du Maghreb, avant et après la construction de l’empire islamique,
sont les habitants de Barbaria/Berbera dans la corne de l’Afrique
(R , 2011, pp. 69‑72 et 86‑88).
10.M , 2003b, pp. 696 sqq.
11. C’est la solution retenue par Yves Modéran qui avance que
les Arabo-musulmans auraient repris un terme utilisé par les
habitants des villes de l’Africa pour désigner les habitants de la
campagne et souligne que « Barbari » se prononçait précisément
« Barbar » dans la région (ibid., p. 697).
12. Al-Wāqidī dans son Futūḥ al-šām évoque des Byzantins
parlant grec comme des personnes qui « barbara » (R ,
2011, p. 88).
13. Rappelons que cette racine apparaît dans l’expression ‘ağam
al-balad utilisée pour désigner des groupes de la population du
Maghreb par les géographes les plus précoces (B , 2000 et
2006), même si le sens exact de cette expression n’est pas tout à
fait clair.
14. Pour cette idée largement répandue au Moyen Âge, voir,
entre autres, G , 2015, p. 581.
15. Il n’est que de penser à toute la littérature relevant de la
correction du laḥn al-‘āmma (« les fautes de langage commises
par le commun ») [pour une bibliographie récente voir
G , 2012, et B , 2014, pp. 170‑188].
16.G , 2015, montre bien le rôle des langues berbères
au Maghreb, non seulement dans la vie quotidienne, mais aussi
dans la diffusion de la religion musulmane, tout en insistant sur le
fait que les écrits préservés sont peu nombreux et en caractères
arabes (même si des systèmes de notation spécifiques peuvent
être utilisés pour rendre des sonorités considérées comme
telles).
17. Al-Balāḏurī (m. 892) attribue cette phrase à Ifrīqiš, qui a
conquis l’Ifrīqiya et lui a donné son nom, puis aurait inventé le
nom de Barbar-s en le justifiant par le constat que résume cette
phrase ( ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, éd. par -Ṭ ‘,
1987, p. 322). Il renvoie à Ibn al‑Kalbī (m. vers 819) comme étant
sa source, mais ce dernier attribue à Ifrīqiš la phrase suivante :
Mā akṯara barbaratukum ! (I ‑K , Nasab ma‘add wa al-
Yaman, éd. par Ḥ , 1988, t. II, p. 548).
18.R , 2011, p. 88 : « How predominant is the babble of
these people! » ; Ibn Ḫaldūn reprend l’expression : Mā akṯara
barbaratukum!, que Abdesselam Cheddadi traduit ainsi : « Quel
parler étranger est le vôtre ! » (I Ḫ , Kitāb al‑‘ibar, trad.
de C , t. II, p. 140 ; Beyrouth, 1959, t. VI, p. 185).
19. Ainsi Ibn Ḫaldūn attribue le choix du nom Barbar par Ifrīqiš au
fait qu’il aurait été surpris par le nombre important (kaṯra)
d’individus composant ce groupe et par leur parler non-arabe
(‘uğma) [ibid. trad. et éd.]. Il est celui qui systématise cette idée :
« Leur langue, qui est un idiome étranger, est d’un genre
particulier [luġatuhum min al‑riṭāna al‑a‘ğamiyya mutamayyiza bi-
naw‘ihā]. C’est à cause d’elle qu’ils ont reçu le nom de Berbères.
On raconte que lorsque Ifrîqus Ibn Qays Ibn Sayfî, roi des
Tubba’, eut envahi le Maghreb et l’Ifrîqiya, qu’il eut tué le roi
Jurjîr, bâti des bourgades et des villes — ce fut lui, dit-on, qui
donna son nom à l’Ifrîqiya —, qu’il eut observé cette race
étrangère, entendu son idiome et perçu combien il était différent
et d’un genre particulier, frappé d’étonnement, il s’écria : “Quelle
grande confusion [barbara] est la vôtre !”. Pour cette raison, on
nomma ces hommes les Berbères. Le mot barbara signifie en
arabe un ensemble de sons inintelligibles ; de là on dit, en parlant
du lion : barbara al‑asadu, quand il pousse des rugissements
qu’on perçoit comme des sons incompréhensibles » (ibid., trad.
pp. 129‑130 ; éd. p. 176). On voit par ailleurs à quel point la
traduction en français ne va pas de soi.
20. Sur ce passage et d’autres qui développent cette idée dans la
littérature maghrébine à partir du e siècle, voir M , 2016,
pp. 136‑148. Il conviendrait néanmoins de revenir sur
l’interprétation qu’en donne l’auteur.
21. C’est Ibn Sallām lui-même qui établit cette équivalence (I
S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I Y ‘ ,
1986, p. 123, trad. dans A , 2015, p. 78). Ou dans la version
française que l’on trouvera dans l’article de C. Aillet publié dans
ce même ouvrage, « ils ont prospéré », p. 000 ; sur ce passage
voir M , 2012, pp. 117-119.
22. Voir plus bas dans ce même article, p. 000.
23.I M , Lisān al-‘Arab, t. I, p. 190. Ce dictionnaire
achevé en 1290 développe cette signification ; la seule source
antérieure à laquelle l’auteur renvoie expressément à cette
entrée est le Ṣiḥāḥ d’al‑Ğawharī (m. 1002 ou 1008), lequel donne
comme sens à barbar le son d’une voix en colère et le fait de
parler abondamment. On a donc l’impression que le sens de
langue non-arabe, étrange et peu agréable ne s’impose pas
avant le e siècle. Faut-il y voir une réaction à la volonté

d’utiliser officiellement des langues berbères dans des registres


d’où elles étaient exclues jusque-là affirmée par les dynasties
almoravide et surtout almohade (sur ce point voir G ,
2015) ?
24.I Ḫ , Kitāb al-‘ibar, trad. de C , t. II, p. 135 :
« Les Cananéens renâclèrent [barbarat] quand je les tirai d’un
pays misérable pour les conduire vers une terre d’abondance » ;
éd. de Beyrouth, 1959, t. VI, p. 185. La motivation de cette
traduction par Abdesselam Cheddadi n’apparaît pas clairement.
25. La proposition d’étymologies alternatives rendant raison des
noms de groupes ethniques et les débats qui les accompagnent
ne sont pas propres au terme barbar.
26. Ainsi Ibn Ḥawqal souligne les différences entre les langues
parlées par les Barbar-s Ṣanhāğa d’Awdaġust et par les
habitants de Surt et Qašṭīliyya, mais aussi le fait que tous les
habitants du Maghreb, hormis ceux-ci, partagent une langue et
se comprennent (I Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par
K , 1938-1939, t. I, p. 14 ; trad. de K et W ,
1964, p. 14).
27.M , 2016, utilise le singulier ; G , 2015, oscille
entre le singulier et le pluriel, dès la première page de son article,
même si le premier prédomine.
28.Ibid., p. 593.
29. Rappelons que l’exemple retenu est l’impact de l’œuvre de
Manet, qui après avoir fait rire et avoir été dénoncée comme de
la non-peinture, fut considérée comme une des composantes
classiques de l’art européen.
30.B , 2013, pp. 15-16.
31.B , 1997, par exemple.
32. Ces deux premiers points sont d’ailleurs parfaitement
compatibles.
33. De ce point de vue, nous concordons pleinement avec
R , 2011, p. 99.
34.D F , 1990, p. 394.
35.I Ḫ , Kitāb al-‘ibar, trad. de C , t. II, p. 140 ;
éd. de Beyrouth, 1959, t. VI, p. 185.
36.D F , 1990, p. 392.
37. Rappelons, là aussi sans entrer dans les détails, que dans
les textes arabes médiévaux les groupes auxquels est attribuée
une origine chamite sont variés mais rassemblent
alternativement ou bien les Coptes, les Sudān et les Barbar-s, ou
bien les Barbar-s, les Zanğ, les Ḥabaša, les Nūba, les Bāğa et
les Sind.
38.D F , 1990.
39. Le plus souvent, ces questions sont abordées en considérant
les groupes de manière séparée : les Arabes, les Berbères, les
Turcs, etc. L’exercice a été tenté en revanche pour les Barbar-s
pour une période postérieure par Maya Shatzmiller
(S , 1983), mais il conviendrait de le mener à nouveau
de manière plus systématique et plus attentive aux textes. En
outre, l’auteure a mené cette enquête dans un cadre conceptuel
qui lui enlève une partie de son intérêt puisqu’elle projette a
posteriori un affrontement de type nationaliste, entre Berbères et
Arabes, sur le Moyen Âge ce qui rend une partie des enjeux
médiévaux illisibles.
40.I -K , Nasab ma‘add wa al-Yaman, éd. par Ḥ ,
1988, t. II, p. 548.
41.I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
1922, p. 170.
42.A -B ḏ , Kitāb futūḥ al-buldān, éd. par -Ṭ ‘, 1987,
pp. 321-322.
43.I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I
Y ‘ , 1986.
44.A , 2015.
45. C’est cette composition qui explique que le terme « barbar »
n’apparaisse que dans la deuxième partie de l’ouvrage et non,
comme Ramzi Rouighi l’avance, parce qu’il n’apparaîtrait que
dans les sources orales utilisées par Ibn Sallām (R , 2011,
pp. 83-84). Le début du texte se réfère aux origines de l’ibadisme
et non au Maghreb.
46.A , 2015, pp. 77-79 en anglais, et dans ce même volume
en français, pp. 000-000.
47.I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I
Y ‘ , 1986, pp. 121-122 ; A , dans ce volume, p. 000.
48.I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I
Y ‘ , 1986, pp. 123-124 ; A , dans ce volume, p. 000.
49.I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I
Y ‘ , 1986, p. 124 ; A , dans ce volume, p. 000.
50.I ., 2015, p. 79.
51.Ibid.
52.I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I
Y ‘ , 1986, p. 123 ; A , dans ce volume, p. 000.
53. Sur cet auteur et ses relations avec les Rustamides, on verra
A , 2011, p. 55.
54.R , 2011, p. 83, voit là l’effet de la reprise de sources
orales rustamides par Ibn Saġīr, ce qui ne convainc pas, et le
reflet de l’absence d’un parti berbère dans les divisions
partisanes qui se font jour à Tahert, ce qui semble plus proche
des dynamiques à l’œuvre. I -S , Aḫbār al-a’imma al-
rustumiyīn, éd. et trad. par C M , texte arabe
p. 20, texte français p. 78.
55.I -S , Aḫbār al-a’imma al-rustumiyīn, éd. et trad. par
C M , ibid., texte arabe pp. 36‑38, 52 et 55 ;
texte français pp. 99-102 et 117-118, 120 (pour les ‘Ağam) ; texte
arabe pp. 37‑38 ; texte français pp. 99‑101 (pour les ‘Arab) et
texte arabe pp. 36‑38 ; texte français pp. 100‑102 (pour les
Rustamides).
56. Elles ne concernent en effet pas seulement les Berbères et le
font même de manière relativement minoritaire à la période haute
(B , 1997, p. 124).
57. Nous suivons dans ce passage l’analyse très convaincante
de E. Coghill : C , 2015.
58.I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
1922, p. 5 ; C , 2015, pp. 28-29.
59.Ibid., p. 29.
60.Ibid., pp. 29-32.
61.S , 1983a, p. 153, mais il est vrai que son cadre
conceptuel, évoquant nationalisme, race, etc. débouche
logiquement sur ces idées quelque peu décalées.
62. M. Fierro (F , 2005 et 2008) a montré la fermeture de la
catégorie des mawālī en al‑Andalus et sa dimension très
politique. Cette situation explique probablement en grande partie
le maintien de la catégorie des muwalladūn à travers le temps et
jusqu’au e siècle.
63.D , 1973, p. 612.
64.B , 2006, pp. 395-396. Ce point nous paraît assuré, mais
moins la non-berbérité des individus concernés.
65.T , 1966, pp. 165-166, 173, 229, 244-245.
66. Ce sera l’objet d’une recherche en cours.
67. M. Fierro a aussi montré que la nisba al-Anṣārī avait été
utilisée comme un qualificatif générique permettant de se donner
une ascendance arabe, autrement inaccessible (F , 2008,
pp. 42‑44), et notamment par les Berbères. N. Clarke a repris
l’argument en prolongeant les analyses de M. Fierro (C ,
2012, pp. 47‑68).
68. Y. Benhima a lancé une réflexion en cours sur le sujet.
69. Thème que l’on retrouve à l’envi au sujet des Idrissides et
chez Ibn Saġīr au sujet des Rustamides.
70. De ce point de vue, les textes relatifs aux Turcs rassemblés
par Y. Frenkel montrent bien l’évolution radicale de leur
représentation qui accompagne l’affirmation de leurs ambitions
politiques (F , 2015).
71. De ce point vue, il est significatif que la version assez
originale de la conquête du Maghreb telle qu’elle est rapportée
au e siècle par Ibn ‘Abd al‑Ḥalīm, un auteur qui vise à louer

les Berbères, mette par contraste en avant la relative facilité de la


conquête, qu’il retrace jusqu’au Maghreb al‑Aqsā, et la
conversion à l’islam précoce qui va avec (I ‘A ‑Ḥ ,
Kitāb al‑ansāb, éd. par Y ʿ , 1996, pp. 79‑89. Sur ce texte, voir
L -P , 1954 et S , 1983b).
72. Sur ce point, voir N , 2016.
73. Voir le texte de A dans ce même volume, pp. 000-000.
74.C , 1994.
75. Ce qui n’épuise en aucun cas la question de l’utilisation, voire
de la promotion politique et religieuse des langues berbères
comme l’a montré M. Ghouirgate (G , 2015).
AUTEUR
ANNLIESE NEF
Université Paris 1-Panthéon Sorbonne - UMR 8167 Orient et Méditerranée
La berbérisation et ses
masques : le peuple berbère en
question ( e- e siècle)
Ramzi Rouighi

1 Jamais, avant les Arabes, le nord-ouest de l’Afrique n’a constitué


une seule entité géographique, politique, économique ou
culturelle. Les auteurs de l’Antiquité n’envisageaient pas les
communautés, sociétés, tribus ou peuplades qui vivaient dans
ces régions comme un seul peuple. Ce n’est qu’avec
l’émergence des notions arabes de « Maghreb » (al‑Maġrib) et
de « Berbères » (al‑barbar) que l’idée vit le jour 1 . C’est en fait
cette dernière catégorie, « Berbères », qui, pour la première fois
dans l’histoire, invoque un « peuple », avec sa généalogie
propre, et ayant une relation particulière avec le Maghreb. Armés
de ces deux notions, les auteurs arabes « peuplent » leur
Maghreb de Berbères. Amorcée immédiatement après les
premières conquêtes, cette berbérisation du nord-ouest de
l’Afrique, de ses habitants et de leurs passés, se poursuit ainsi
tout au long du Moyen Âge et jusqu’à nos jours.
2 L’arabisant Harry T. Norris n’est pas seul à croire que « Quand
les conquêtes arabes commencent, l’Afrique du Nord est un pays
berbère 2 . » L’anachronisme au cœur de cette déclaration est si
bien ancré dans les études historiques qu’il devient un repère
cardinal. L’existence de ces Berbères d’avant l’heure pose
toutefois problème même à ceux qui comprennent que la
catégorie est d’origine arabe 3 et donc tardive. Pour ceux-ci, il
s’agit dès lors de trouver une manière de légitimer son usage 4 .
Michael Brett et Elizabeth Fentress, les auteurs de l’ouvrage de
référence sur le sujet en anglais, donnent ici un bel exemple de
l’acrobatie nécessaire :
La solution la moins insatisfaisante semble être d’utiliser le terme
« Berbère » dans le sens large de ces groupes qui ont été « perçus »
comme étant des Nord-Africains de souche [indigenous], à la fois
dans l’Antiquité et au Moyen Âge, ainsi que toute personne qui est
toujours perçue de cette façon aujourd’hui 5 .
3 Au lieu d’analyser le contexte de l’émergence de la catégorie
« Berbère », puis son évolution au fil des siècles, comme l’a si
bien fait Yves Modéran pour celle de « Maure », Michael Brett et
Elizabeth Fentress nous offrent une définition fondée sur la
« perception d’indigénéité », une notion qu’ils ne problématisent
pas vraiment. Pourtant, si on la prenait au sérieux, cette définition
exclurait le Moyen Âge puisque les auteurs arabes imaginaient
que les Berbères étaient des immigrés venus d’ailleurs 6 .
Les Berbères étaient en Palestine. Leur roi était Goliath. Quand le
prophète David tua ce dernier, les Berbères quittèrent [la Palestine]
en direction du Maghreb jusqu’en Libye et Marāqiya 7 , deux districts
[« kūra »] de l’Égypte occidentale [« Miṣr al‑ġarbiya »] qui sont
irrigués par la pluie et pas par le Nil. Les Berbères se séparèrent là :
les Zanāta et Maġīla se dirigèrent vers les régions occidentales
[« maġrib »] et peuplèrent les montagnes ; les Lawāta allèrent vers la
région d’Anṭābulus [Pentapolis] qui est Barqa [Cyrénaïque] 8 . Les
Berbères se dispersèrent dans ce Maghreb jusqu’à ce qu’ils aient
atteint le Sūs 9 . Les Hawwāra s’installèrent dans la ville de Labda
[Leptis] et les Nafūsa dans la ville de Sabrāta poussant les Romains
qui y vivaient à émigrer. Les Afāriqa [Africains] qui s’étaient
accommodés de la domination romaine restèrent là et payèrent un
tribut comme ils l’avaient fait à tous ceux qui avaient conquis le pays
dans le passé 10 .
4 En lisant le récit d’Ibn ʻAbd al‑Ḥakam (m. 871), nous sommes
bien loin de l’imaginaire moderne, de ses indigènes et autres
autochtones. Toutefois, puisque les historiens interprètent les
premiers textes arabes de manière à valider leurs préjugés
modernes, il est nécessaire de réexaminer les textes eux-mêmes
afin de mettre en lumière la manière dont ils accomplissent cette
berbérisation du discours savant. Si les historiens modernes ne
font qu’entériner le fruit des premières berbérisations, il faudrait
comprendre les conditions qui ont rendu possible cet acte aux
effets dévastateurs en termes d’historicité. Cet essai se limitera à
l’analyse de quelques questions soulevées par la manipulation
de la notion de « peuple » avec l’intention d’attirer l’attention sur
quelques enjeux d’ordre méthodologique et d’autres d’ordre
idéologique.

Conquêtes et contextes
5 Après la prise d’Alexandrie en 641, les généraux arabes
poussent leurs raids en direction de l’ouest, arrivant ainsi dans la
Cyrénaïque et la Tripolitaine quelques années plus tard. Après
un quart de siècle, ʻUqba b. Nāfiʻ al‑Fihrī commande le premier
grand corps expéditionnaire, défait les Byzantins 11 , puis fonde
Kairouan (Qayrawān) en 670. En Ifrīqiya le nouvel empire
Omeyyade (661-750) poursuit alors une politique expansionniste
tout en faisant face à une résistance plus ou moins organisée
des élites des villes et des campagnes 12 . Les forces
omeyyades affrontent de multiples groupes « locaux » en s’alliant
avec les uns et en combattant d’autres. Au fil des batailles, elles
réussissent à l’emporter, puis à imposer une nouvelle donne
politique. Après l’élimination de la scène politique des appuis des
Byzantins, le nouvel ordre omeyyade s’impose autour de l’armée
impériale. Mais l’affirmation de ce pouvoir, ainsi que son
expansion vers l’ouest, prennent du temps. Ce n’est que
cinquante ans après la fondation de Kairouan que les
Omeyyades établissent une présence militaire à travers le
Maghreb et al‑Andalus. La conquête de l’Ibérie démontre
l’importance des forces africaines au sein de l’armée omeyyade
et leur soutien militaire à l’établissement du nouvel ordre impérial
13 .

6 Les conquêtes du e siècle engagèrent un processus

d’intégration administrative et fiscale du Maghreb au sein du


nouvel empire omeyyade, puis abbasside à partir de 750 14 .
Ceci fit du Maghreb plus qu’une contrée à « l’ouest de l’Égypte ».
Or, et ce, jusqu’au e siècle, cette unification demeurait toujours
un projet largement non réalisé, à l’exception de l’Ifrīqiya et de
quelques autres enclaves. Les royaumes fondés au Maghreb à la
fin du e siècle (aghlabides, idrissides, etc.) ainsi que

l’installation d’un pouvoir omeyyade indépendant en Ibérie


démontrent bien que l’empire abbasside de l’Est n’eut pas
d’autorité réelle, hormis sur les Aghlabides qui jouirent, malgré
tout, d’une certaine autonomie. Le fait que ces conditions
politiques au Maghreb aient contribué aux représentations que se
firent les auteurs orientaux du « Maghreb » et des « Berbères »
est indubitable, bien qu’il reste à déterminer à quel point et dans
quelle mesure 15 .
7 Entre les guerres civiles (fitan) 16 et les rebellions de grande
envergure, comme celle qui a éliminé les Omeyyades et celle
des Zanğ (869-883), pas une décennie ne passa sans qu’une
crise politique majeure ne secoue l’empire. Les répercussions de
ces troubles sur les Maghrébins ne sont pas toujours faciles à
mesurer tant les dynasties du Maghreb sont loin de Bagdad. Les
idéologies politiques dominantes au Maghreb comme l’ibadisme
et le sufrisme donnent une teneur particulière aux écrits des
premiers auteurs maghrébins d’autant plus que ces
positionnements sont marginaux au Mashreq (al‑Mašriq) 17 .
Pour mieux appréhender les « conditions historiques » de la
berbérisation, il est nécessaire aussi de prendre la mesure d’un
autre facteur déterminant : les Berbères apparaissent dans les
textes arabes du Mashreq longtemps avant leur apparition dans
les textes maghrébins 18 . Il nous faut donc souligner que cette
asymétrie chronologique entre Mashreq et Maghreb s’ajoute à
celle des développements politiques et intellectuels.
8 Bien qu’elles posent un défi certain à l’étude de la berbérisation,
ces difficultés ne font que compliquer la question déjà épineuse
de l’émergence du discours sur les « Arabes » au Mashreq 19 .
Au Maghreb, « Arabes » désigne ceux dont les ancêtres ont
immigré de l’Arabie du Nord ou du Yémen 20 . Il faut savoir que
la migration de Yéménites tels que les Ğuḏām vers le nord
(Syrie) avant le e siècle eut un grand effet sur la société et
transforma l’organisation sociopolitique dans ces régions.
L’importance de ces changements est illustrée par le traitement
par les généalogistes des origines des Arabes, Qaḥṭānites (du
Sud) ou ʻAdnānites (du Nord). Après la formation de l’empire
omeyyade, les tensions et les conflits autour du statut des non-
Arabes au cœur des structures du pouvoir présentent un
nouveau contexte pour la ré-articulation de l’identité arabe. De
plus, au regard de l’importance des Persans dans les débats
intellectuels au Mashreq, la catégorie arabe en vint à évoluer
avec (ou contre) la catégorie ʻağam, une ancienne notion qui
signifia jadis « persan » mais qui avait désigné aussi de manière
moins spécifique tous ceux qui n’étaient pas arabes, y compris
les Berbères 21 .
9 L’évolution du couple ʻarab/ʻağam au Mashreq se fit dans le
contexte de l’établissement d’un système de privilèges en faveur
des « Arabes » puis, après qu’un large mouvement contestataire
eut installé les Abbassides au pouvoir en 750, de sa refonte avec
une plus grande intégration de ʻağam au sein de l’administration
et à la cour. Un des courants de pensée qui contribua à cet
ajustement fut celui de la šuʻūbiya, qui cristallisa la politisation
des identités collectives et infusa la production intellectuelle. On
pourrait penser que, dans ce contexte, le groupe ʻarab/barbar au
Maghreb vint à occuper l’espace de ʻarab/ʻağam. Il le fit de fait,
mais d’abord en al‑Andalus, où les Omeyyades réussirent à
prendre le pouvoir en 756. Au Maghreb, la contestation anti-
impériale vit naître un émirat aghlabide pro-abbasside en Ifrīqiya
(800), distinct et souvent opposé aux principautés fondées par
les ʻAlides Idrissides dans le Maghreb Extrême (788), les
Rustumides persans à Tāhirt (767), les Midrarides à Siǧilmāsa
(757-758) et les Barġawāṭa le long de la côte atlantique (744).
Peut-être à cause de cette pluralité politique et idéologique, et de
l’organisation du pouvoir et des savoirs au sein de ce Maghreb
pluriel, la catégorie « Berbère » ne fut pas tout de suite pertinente
même si les sources arabes (tardives et non-maghrébines)
tendent à décrire la réaction anti-impériale de 739-743 comme
une rébellion « berbère » 22 . Il faut se rappeler qu’un siècle
après cette ou ces révoltes, le Maghrébin Ibn Sallām (mort après
887) ne trouvait toujours pas la catégorie très « utile » et il ne
l’utilisait pas pour décrire sa société 23 .
10 Bien que fragmentaires, incomplètes et préliminaires, ces
remarques sur les défis posés par la chronologie politique et
intellectuelle, et par la date relativement tardive des sources
maghrébines (fin du e siècle), nous permettent néanmoins
d’identifier la source de plusieurs malentendus parmi les
historiens. La chronologie est indispensable à une démarche
historienne car elle permet d’examiner la réification graduelle,
donc dans le temps, d’une catégorie fondamentale. Pour ce faire,
il faut aussi identifier l’appareillage et les outils avec lesquels
cette réification fut mise en œuvre.

Berbères et peuple berbère


11 La notion de peuple, comme celles de nation, d’ethnie et de race,
fait partie d’un imaginaire politique moderne et renvoie à des
relations de pouvoir, des pratiques sociales, des institutions et
des idéologies propres. La traduction des notions mobilisées par
les auteurs arabes médiévaux a été un moment important de la
berbérisation moderne car elle a autorisé l’application, simple ou
tortueuse, de l’imaginaire moderne à celui des premiers textes
arabes. En effet, si leur vision du monde correspond à un
imaginaire propre, et que leurs représentations des Berbères
sont une projection simple (ou compliquée) de celle-ci, il devient
nécessaire d’en développer les grandes lignes, notamment en
raison de la relative obscurité de ce ou de ces systèmes de
classifications arabes (et de leur traduction). Il convient de voir,
dès lors, comment les auteurs arabes ont imaginé les Berbères.
12 Les premières références aux Berbères en arabe apparaissent
au moment où s’élabore au Mashreq l’édifice épistémologique
que l’on associe ordinairement aux Abbassides et à « l’Âge d’or
de la civilisation arabo-musulmane ». C’est au cœur de ce savoir
impérial que s’exprime le désir des lettrés d’établir des
connaissances sur « les peuples » du monde connu, dont les
Berbères. Commençons avec une pratique, et donc une forme de
connaissance, associée à la conquête et à l’empire : l’esclavage.
13 Le grand juriste de Kairouan Saḥnūn b. Saʻīd al‑Tanūḫī (m. 854)
relate quelques cas qui suggèrent que les Berbères forment une
seule entité, un ğins. Mais quel sens prend ce terme quand il est
appliqué à des esclaves ? Saḥnūn nous offre l’opinion de son
maître Mālik b. Anas (m. 795) qui se prononça sur les pratiques
marchandes et les prescriptions les régissant. Par exemple,
Mālik jugea qu’il fallait renvoyer au vendeur l’esclave qui avait été
qualifiée de berbère — mais qui était en fait khurassanienne —
en raison de la « différence de qualité » entre les deux. De
même, le père du malikisme pensa que si l’esclave était berbère
ou khurassanienne et que le vendeur l’avait présentée comme
étant « slave, ibérique ou hispanique », l’acheteur avait le choix
de la restituer ou pas. Il expliqua que l’on devait procéder de
cette manière parce que l’esclave berbère et la khurassanienne
proviennent de ğins « supérieurs » (afḍal et arfaʻ) à ceux des
autres 24 .
14 Il est intéressant de voir Saḥnūn décrire les Berbères comme un
ğins supérieur aux Khurassaniens. À l’époque, le parti pro-
Abbasside avait permis aux Aghlabides de prendre le pouvoir en
Ifrīqiya, notamment grâce aux forces khurassaniennes si chères
à Bagdad. Les esclaves khurassaniennes étaient aussi un ğins à
part et non de vulgaires non-Arabes (a‘āğim), peut-être en raison
de l’existence d’un corps d’armée originaire de cette région
attachée aux Abbassides…
15 Mais les esclaves berbères ne sont pas seulement comparables
à des ğins « ethniques » ou « régionaux ». Saḥnūn nous aide à
clarifier l’usage qu’il fait du terme :
Prenons le cas de quelqu’un qui emprunte des troncs de bois en vue
de retourner des troncs similaires [mais pas exactement identiques]
aux premiers, est-ce acceptable selon Mālik ? [Saḥnūn] répondit : « Il
n’est pas permis de prêter un tronc en vue de recevoir deux troncs
de même type (ṣanf) ou de type différent à moins que la forme soit
clairement différente (iḫtilāf bayyin). Dans [ce dernier] cas, il n’y a
pas problème. [Cette opinion s’explique] car il se peut que l’on
emprunte des troncs de palmiers d’un certain diamètre et d’une
certaine longueur et que l’on retourne des troncs de palmier
clairement plus petits. S’ils sont ainsi différents, il n’y a pas de
problème car ces deux types de bois [gros et fin] sont [d’usages ?]
différents, même s’il s’agit dans les deux cas de bois. Ne vois-tu pas
qu’il n’y a aucun problème [légal] qu’un esclave berbère fasse du
commerce d’[esclaves] espagnoles qui ne sont pas [comme lui]
commerçants et qu’un [esclave] sicilien fasse du commerce
d’esclaves nubiens qui ne sont pas [comme lui] marchands, bien que
dans les deux cas ils soient tous des fils d’Adam. Le même [principe
s’applique dans le cas] du marchand et kātib 25 berbère qui parle
l’arabe et qui fait du commerce de Nubiens qui ne parlent pas l’arabe
et de chevaux qui peuvent être prêtés [et échangés] les uns par les
autres quand les types et les lignées (nuğār) diffèrent, même si à
l’origine ce sont tous des chevaux, etc. idem pour les troncs et les
habits 26 ».
16 Si elle fut universellement acceptée, cette utilisation du terme
ğins pourrait sous-entendre que les Arabes s’imaginaient les
Berbères comme une entité unique. Toutefois, d’autres auteurs
nous montrent un tout autre usage du mot ğins. Selon le grand
historien et géographe al‑Masʻūdī (m. 956) : « Goliath marcha de
Palestine avec des ağnās de Berbères 27 . » Pour quelqu’un
comme al‑Masʻūdī, qui était très au courant des mouvements de
pensée et de la philosophie en particulier, le mot ğins apparaît
naturellement comme un marqueur logique de typologie. Il n’y a
pas un seul ğins de Berbères mais plusieurs. Cette perspective
peut être réconciliée avec celle de Saḥnūn si l’on considère que
al‑Masʻūdī pense à la diversité sociale et politique (tribale) des
Berbères et que Saḥnūn utilise le mot ğins comme on utiliserait le
mot « marque » aujourd’hui. Pour les commerçants d’esclaves,
les différences qui pouvaient exister entre Berbères libres
importaient peu, car ce qui définit un esclave est son manque
d’autonomie sociale et politique. Un esclave n’a pas de tribu.
Pour eux, et c’est bien leur usage qui est repris par le juriste
Saḥnūn, « Berbère » est simplement un marqueur de
provenance et ne pourrait renvoyer à une unité historique des
Berbères. L’étude préliminaire de la question nous permet
d’ajouter que ğins et ağnās tendent à être appliqués aux non-
Arabes plus fréquemment qu’aux Arabes. Ce déséquilibre est
sûrement lié au statut des Arabes au sein de l’Empire et aux
idéologies dominantes qui reconnaissent toutes l’importance des
Arabes, ou du moins de certains d’entre eux (ʻAlides,
Abbassides, etc.).
17 Le développement d’une riche nomenclature « tribale » parmi les
Arabes précède la collection, l’écriture, et la transmission des
généalogies qui apparaissent au e siècle. À travers les

premiers textes, cette richesse lexicale se présente à nous tout


naturellement comme une manière évidente d’organiser le savoir
sur l’espace social et sa structuration politique et symbolique.
Cette nouvelle science incorpore une multitude de traditions
orales et textuelles, arabes et non-arabes, dont les contextes
originaux restent pour la plupart insondables. Pour se faire une
idée concrète sur l’utilisation de la nomenclature tribale, voyons
ce que les exégètes du Coran ont à nous dire sur le déploiement
du savoir généalogique et de son ou de ses modes de
classification.
18 Commençons avec les mots šaʻb et qabīla, régulièrement traduits
par « peuple » et « tribu ».
Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et
Nous vous avons répartis en šuʻūb et en qabā’il pour que vous
fassiez connaissance entre vous. Le plus méritant d’entre vous
auprès de Dieu est le plus pieux 28 .
19 Ce passage ne pose pas de problème particulier aux premiers
exégètes qui connaissent bien le contexte historique qu’il est
venu éclairer. À propos des termes qui nous intéressent, le grand
historien et exégète al‑Ṭabarī (m. 923) précise ainsi leur
signification :
Si on demande à un Arabe de quel peuple [šaʻb] il vient, il dira : « Je
suis de Muḍar » ou « Je suis de Rabīʻa ». En ce qui concerne les
tribus [qabā’il] qui représentent une plus proche relation, elles sont
par exemple Tamīm qui fait partie de Muḍar, et Bikr de Rabīʻa 29 .
20 Comme à son accoutumée, al-Ṭabarī rapporte aussi d’autres
définitions et commentaires savants sur la signification de ces
deux termes. Selon lui, l’exégète Ibn ʻAbbās (m. 687) aurait
expliqué que šuʻūb voulait dire « grandes collectivités » (ğummāʻ)
et que qabā’il se référait à des « clans » (buṭūn). D’autres encore
ont pensé que šaʻb avait le sens de « grande tribu » comme les
Banū Tamīm ou de « parenté éloignée » (nasab baʻīd) alors que
« tribu » renvoyait à un groupe plus restreint (afḫāḏ) 30 . Selon
Muqātil b. Sulaymān (m. 767) :
Par šuʻūb Dieu veut dire les « têtes de tribus » [ru’ūs al‑qabā’il] qui
sont les Rabīʻa, les Muḍar, les Banū Tamīm et les Azd et par qabā’il,
il veut dire les tribus [afḫāḏ] comme les Banū Saʻd, les Banū ʻĀmir,
les Banū Qays, […] 31 .
21 Clairement, même si les exégètes diffèrent sur le sens exact de
ces catégories 32 , ils reconnaissent tous la richesse de la
langue. Le Tafsīr al‑ğalālayn, composé beaucoup plus tard,
propose une explication des termes associés :
Šuʻūb est le pluriel de šaʻb qui est le niveau le plus élevé de
parentèle. Qabā’il est [un niveau] plus bas que celui de šuʻūb. Il y a
ensuite les ʻamā’ir [sing. ʻimāra] puis les buṭūn [sing. baṭn] puis les
afḫāḏ [sing. faḫḏ] puis en dernier lieu les faṣā’il [sing. faṣīla]. Par
exemple, Ḫuzayma est un šaʻb, Kināna une qabīla, Qurayš une
ʻimāra, Qusay un baṭn, Hāšim un faḫḏ, et enfin al‑ʻAbbās une faṣīla
33 .

22 « Šaʻb » mis à part, toutes les autres catégories peuvent être


traduites, et le sont régulièrement, par « tribu » ou « clan ». On
pourrait décider de suivre la traduction de l’arabe moderne qui
veut que qabīla soit l’équivalent de tribu. Cependant, il faut quand
même se rendre à l’évidence que la nomenclature est plus riche
en arabe médiéval qu’en arabe moderne et en français. De plus,
si Ḫuzayma est un šaʻb, que dirions-nous de la catégorie
« Arabes », et de là de celle des « Berbères » ?
23 Ibn al-Kalbī (m. 819-820) est le plus important auteur de
généalogies des Arabes, sa Ğamharat al‑Nasab étant un chef-
d’œuvre du genre. Son autre compilation des généalogies des
Arabes du Nord (Maʻadd) et des Yéménites (Qaḥtān) comprend
quelques détails intéressants sur les Ṣanhāğa et les Kutāma qui
seraient, selon lui, issus de Yéménites de Ḥimyar et installés
parmi les Berbères.
24 De Ḥimyar s’installèrent parmi les Berbères Ṣanhāğa et Kutāma
les descendants d’al‑Sūr b. Saʻīd b. Ğābir b. Saʻīd b. Qays
b. Sayfī et ils y restèrent jusqu’à ce jour 34 .
25 L’origine arabique d’au moins certains groupes de Berbères parut
plausible à la fin du e siècle. Au-delà de son aspect légendaire

ou inventé, cette généalogie renvoie à un processus au terme


duquel un certain savoir sur le Maghreb est intégré dans le savoir
impérial. Ainsi, des Yéménites installés au Maghreb se font une
place au cœur de la mémoire collective locale et impériale en
utilisant une forme de savoir et de mystification répandue. Qu’en
ont dit les chefs et les généalogistes des Ṣanhāğa et des
Kutāma ? En l’absence de source, il serait plus utile de noter la
contribution du discours sur la « similarité » entre Arabes
(Syriens ou Yéménites) et Berbères à la réification de deux
catégories Arabes et Berbères au Mashreq et au Maghreb.
26 La similarité entre les groupes venus d’Arabie et les « locaux »
35 , le rapprochement entre leurs modes de vie, et leur
intégration au sein d’un même « système » contribuent à la forme
et au contenu du savoir généalogique. Dans sa géographie du
monde, al‑Yaʻqūbī (m. 897-898) décrit ainsi la région de Barqa
(Cyrénaïque) :
On appelle la deuxième montagne de Barqa « l’Occidentale ». Il y
habite un groupe [qawm] 36 de Ġassān, un groupe de Ğuḏām, Azd,
et Tuğīb, et d’autres clans [buṭūn] d’Arabes et des « groupes » [qurā]
[qui font partie des] buṭūn des Berbères parmi lesquels des Lawāta,
des Zakūda, des Wamfarṭa, et des Waznāra 37 .
27 L’application de la science généalogique arabe aux Berbères
reflète la participation de « Berbères » à l’organisation de
l’intégration politique et économique impériale, même s’il est
parfois dit que ces premières notices généalogiques sont arabes
et qu’elles sont des représentations étrangères aux Berbères, et
donc nécessairement biaisées ou même erronées.
28 Nous limitant à ces quelques commentaires sur le déploiement
de la nomenclature « tribale » dans les premiers textes arabes, il
est possible de montrer que l’invention des Berbères est
intrinsèquement liée à celle des Arabes. La transformation des
conditions historiques des Arabes qui suivit la formation de
l’empire et la production d’une mémoire collective, au moment où
des non-Arabes revendiquent une place au sein du nouvel
édifice, explique l’apparente instabilité épistémologique du
système classificatoire. Toutefois, il est aussi clair que cette
apparente précarité du savoir n’empêche en aucun cas que la
catégorie Berbère acquiert un grand degré d’objectivité en un
siècle. La mobilisation de la généalogie par les historiens des
conquêtes (futūḥ) au e siècle rend bien compte de ce

processus.
29 Les auteurs des futūḥ imaginent les Berbères du Maghreb
comme ils imaginent les Arabes : une multitude de fédérations
tribales, tribus et clans, tous liés par une généalogie commune
38 . La généalogie arabe est déjà très développée et se

présente comme une véritable science, une branche de la


connaissance savante 39 . C’est donc tout naturellement qu’elle
fait irruption au sein des récits des conquêtes (futūḥ). Le plus
ancien récit de la conquête du Maghreb, le Futūḥ Miṣr wa l-
Maġrib d’Ibn ʻAbd al‑Ḥakam (m. 871) introduit les Berbères à
deux reprises 40 . La première notice généalogique fait des
Berbères les descendants de Cham fils de Noé ainsi que les
cousins de « tous les Sūdān et les Abyssiniens », des « Sind et
Hind » et des « Coptes » 41 . Plus loin, ils sont réintroduits
comme les sujets d’un ancien roi défait 42 . Bien qu’elles
n’appartiennent pas au récit des raids et batailles, c’est bien
grâce à ces notices que le texte établit l’existence des Berbères
au Maghreb avant l’islam, comme un « peuple » ancien 43 . Les
Berbères sont un peuple issu de la même matrice, au même titre
que les Banū Isrā’īl, les Coptes, les ʻağam, et bien entendu les
Arabes. Comme les noms d’autres « peuples » en arabe,
« barbar » est un pluriel et un singulier collectif. Nos auteurs
emploient « les Berbères » (al‑barbar) plutôt que « peuple
berbère » (al‑šaʻb al‑barbarī ou al‑umma al‑barbariya) 44 . La
généalogie arabe accomplit la fonction idéologique (et
grammaticale) de produire l’unité d’un « peuple ».
30 En lisant Ibn ʻAbd al‑Ḥakam, on se rend compte que
l’anachronisme et la réification des catégories « Berbère » et
« Maghreb » préparent l’audience à leur conquête en tant que
telle. Ceci est d’autant plus évident que dans le récit il ne s’agit
jamais plus que de telle ou telle tribu que l’auteur désigne comme
berbère et non du « peuple » berbère. En plus de les identifier
pour une audience qui ne les connaît pas, le fait d’ajouter la
désignation (adjectif) « berbère » aux noms de tribus achève la
berbérisation du nouvel espace maghrébin. Cependant, il n’est
pas question pour l’auteur de réfléchir à l’impact que l’imposition
du nouvel ordre impérial ait pu avoir sur l’ordre tribal. De même,
le fait que son savoir tend à être plus dense sur les tribus du
Maghreb oriental nous informe sur l’état de l’information
disponible en Égypte en son temps.
31 Dans un passage bien connu des spécialistes, Ibn ʻAbd al-
Ḥakam décrit la Kāhina comme « la reine des Berbères en ce
temps-là » (wa hiya iḏḏāk malikat al‑barbar) 45 . Bien
qu’intéressant et maintes fois commenté 46 , le récit du conflit
entre la Kāhina et Ḥassān b. al‑Nuʻmān évoque un
commandement unifié des Berbères sous la Kāhina. Or, les
Arabes ne pénètrent pas plus loin que l’Ifrīqiya. Les Berbères en
question sont donc clairement dans le Maghreb oriental et c’est
ce Maghreb-là que Ḥassān est venu pacifier au nom de l’empire
omeyyade. Ibn ʻAbd al‑Ḥakam n’a pas beaucoup plus
d’information sur la conquête du Maghreb ou sur ceux qui y
vivent. Pour lui, les deux notices généalogiques sur les Berbères
suffisent. Les Maghrébins ne l’intéressent pas particulièrement,
son livre portant principalement sur l’Égypte. Il peuple le Maghreb
de Berbères pour déguiser son ignorance des identités qui
importent à ceux qu’il appelle « Berbères ». Qui d’entre ces
derniers se serait reconnu comme Berbère ? Expression de
l’idéologie impériale qui circule en Égypte au e siècle, cette
berbérisation est fondée sur une lacune de savoir historique qui
fait des Berbères des spectres et des sujets de récits légendaires
47 .

32 Pour retourner à la question qui nous préoccupe, il faut insister


sur le fait qu’on ne trouve pas chez les premiers auteurs arabes
de consensus sur l’origine des Berbères ou sur le statut de telle
ou telle tribu (ou peuple) berbère. En fait, on ne trouve pas de
consensus sur l’application de termes aussi fondamentaux que
tribu et peuple. Mais, il est absolument incontestable que tous
ces lettrés arabes contribuèrent à la berbérisation du discours
savant sur les habitants du nord-ouest de l’Afrique. C’est ainsi
qu’un siècle après les conquêtes, les Arabes étaient convaincus
que les Berbères avaient habité le Maghreb pendant des siècles
et qu’ils les avaient conquis. Dans cette construction, la
généalogie arabe joua un grand rôle : elle fut un important
mécanisme de réification et de projection anachronique.

Enjeux
33 La notion de berbérisation nous permet d’attirer l’attention sur les
mécanismes qui permirent aux auteurs arabes de peupler le
Maghreb préislamique de Berbères. Elle met en contraste leurs
stratégies narratives et leurs procédés intellectuels avec les
particularités de leur imaginaire. Elle nous renseigne beaucoup
également sur l’émergence de la catégorie et souligne les
difficultés techniques auxquelles nous sommes confrontés. Ceci
dit, puisqu’il faut aussi expliquer pourquoi l’étude du phénomène
de la berbérisation a été ignorée aussi longtemps, nous devons
revenir au problème de la traduction, qui illustre bien la situation
actuelle et les possibilités à venir.
34 Reprenons donc un passage d’Ibn al‑Kalbī (m. 819/820) cité plus
haut :
‫و أﻗﺎم ﻣن ﺣﻣﯾر ﻓﻲ اﻟﺑرﺑر ﺻﻧﮭﺎﺟﺔ و ﻛﺗﺎﻣﺔ اﺑﻧﻲ اﻟﺳور ﺑن اﻟﺳﻌﯾد ﺑن ﺟﺎﺑر ﺑن اﻟﺳﻌﯾد ﺑن ﻗﯾس ﺑن‬
.‫ﺻﯾﻔﻲ ﻓﮭم اﻟﻰ اﻟﯾوم‬
et que nous traduisons de la manière suivante :
De Ḥimyar s’installèrent parmi les Berbères Ṣanhāğa et Kutāma les
deux descendants d’al‑Sūr b. al‑Saʻīd b. Ğābir b. al‑Saʻīd b. Qays
b. Ṣayfī et ils y restèrent jusqu’à ce jour 48 .
35 Dans son indispensable article sur « le mythe d’origine berbère »,
Maya Shatzmiller traduit ce même passage ainsi :
Les tribus des Ketama et des Sanhadja n’appartiennent pas à la race
berbère : ce sont des branches de la population yéménite qu’Ifricos
Ibn Saifi établit en Ifrikia avec les troupes qu’il y laissa pour garder le
pays 49 .
36 À travers ses nombreux ouvrages et articles, Maya Shatzmiller a
contribué immensément à l’historicisation des représentations sur
les Berbères. Allant au-delà des textes, à la recherche d’une
explication historique de ces mythes, et donc des conditions de
leur production, elle ouvrit ainsi la voie à l’étude de la
berbérisation. Il est donc surprenant de la voir invoquer la notion
de race alors même que rien dans l’original ne l’y oblige : le mot
« race » est simplement inventé. On peut donc se demander
comment il lui arrive d’aller au-delà du texte de cette manière…
Dans sa note explicative, Maya Shatzmiller renvoie le lecteur non
pas au texte d’Ibn al‑Kalbī mais à un des textes fondateurs du
savoir colonial sur les Berbères : la traduction abrégée du Kitāb
al‑ʻibar d’Ibn Ḫaldūn (m. 1406) faite par William McGuckin, baron
de Slane (1801-1878) 50 .
37 Si le mot existait dans l’original, on pourrait penser que le baron
de Slane eut recours au mot « race » après avoir cherché une
solution à la richesse de la langue arabe : après tribu et nation, il
y a race. Ce choix aurait été tout à fait logique au milieu du
e siècle. Quant à Ibn Ḫaldūn, il reprend Ibn al‑Kalbī et donne

la même information sur l’origine himyarite des Ṣanhāğa et des


Kutāma 51 , sans modification et donc sans « race ». Pour
retrouver le mot arabe que le baron de Slane traduit par « race »,
il faut chercher ailleurs dans le Kitāb al‑ʻibar parmi la multitude de
références aux généalogies des Arabes et des Berbères. Dans
sa discussion du très petit nombre d’Arabes qui se sont installés
au Maghreb avant et après l’Islam, Ibn Ḫaldūn explique que la
nation (umma) des Berbères repoussait les intrus 52 . C’est donc
la « umma » d’Ibn Ḫaldūn que le baron de Slane aurait traduit par
« race », alors que le texte d’Ibn al‑Kalbī ne donne aucun
qualificatif particulier. Il n’est pas nécessaire ici d’en faire la
démonstration mais il suffit de relever que dans les premiers
textes arabes, y compris le Coran, le mot « umma » possède une
multitude de sens et que les Berbères ne sont pas une umma
dans ces textes-là 53 . L’introduction du mot « race » empêche
l’historien d’apprécier l’évolution de la langue arabe et donc
l’historicité des modes de savoir.
38 Le savoir colonial français fit de l’Ibn Ḫaldūn colonial, celui du
baron de Slane, une matrice et un référent privilégié pour toute
approche de l’époque médiévale. Cet anachronisme produisit
l’idée de l’immuabilité du Maghreb médiéval, notamment à
travers une vision essentialiste des Maghrébins. Ce court-circuit
est bien ancré dans les pratiques savantes, et donne lieu encore
aujourd’hui à des assertions symptomatiques :
Les différents peuples et principautés berbères de l’Antiquité nous
semblent avoir constitué des ethnies relativement stables […]. C’est
une image toute différente que nous donnent des Berbères les
historiens arabes du Moyen Âge. Il est vrai que ces écrivains, et
particulièrement Ibn Khaldoun, qui est la principale source, n’écrivent
que plusieurs siècles après la conquête arabe… 54 .
Il est désormais question dans certains textes […] d’une division des
Berbères en deux grands groupes, qu’Ibn Khaldūn définira ensuite
comme deux races 55 .
La littérature en arabe sur les Berbères fut néanmoins beaucoup plus
considérable que les littératures latine et grecque [sic], et culmina à
la fin du quatorzième siècle avec […] le Kitāb al‑ʻIbar d’Ibn Khaldūn
56 .

39 Et plus loin :
Ainsi classifiés, on leur donna un nom, et donc pour la première fois,
on les identifia comme une nation, un peuple, une race 57 .
Notre critique nous permet de mieux comprendre pourquoi on n’a
jamais envisagé d’étudier la berbérisation mais seulement
l’arabisation et l’islamisation des Berbères… 58 .
40 Faut-il imaginer l’histoire des Berbères au singulier ? Jusqu’à
présent la réponse a été affirmative, ce qui a contribué à occulter
totalement l’historicité de la question. Selon Michael Brett et
Elizabeth Fentress, le problème est que les historiens ont, dans
le passé, délesté les Berbères de leur rôle de protagonistes de
leur propre histoire 59 . Plus récemment, les historiens ont tenté
de corriger cette apparente injustice et de recentrer l’histoire sur
un peuple qui, pour reprendre l’ouvrage de Gabriel Camps, a été
aux marges de l’histoire. Mais comme le dit si bien ce dernier,
l’Histoire a horreur des simplifications, surtout lorsqu’elles sont
abusives et prêtent aux siècles passés des conceptions politiques
actuelles 60 .
41 On ne saurait si bien dire…
NOTES
1. Il n’est pas du tout sûr que les deux notions aient au départ
correspondu au sens qu’on leur donne aujourd’hui.
2. « When the Arab Conquests began the whole of North Africa
was Berber country » (N , 1982, p. 1).
3. « The term [Berber] is first recorded in Arab authors » (B ,
F , 1996, p. 5 n. 5).
4. « Par respect des sources, et pour éviter tout anachronisme et
toutes les ambiguïtés idéologiques du mot “Berbères”, nous
parlerons donc surtout ici de “Maures”. Mais, comme on le verra,
des raisons stylistiques évidentes font que nous n’avons pu éviter
“Berbères” dans certaines phrases. » (M , 2003b, p. 11
n. 36).
5. « The least unsatisfactory solution seems to be to use the term
“Berber” in the broader sense of those groups who were
perceived to be indigenous North Africans, both in antiquity and
in the middle ages, as well as anyone who is still perceived that
way today. » (B ,F ,, 1996, p. 5).
6. Voir S , 1983a.
7. Voir « Marāqiya » dans Y -Ḥ , Muʻğam al-buldān,
t. V, p. 93.
8. Voir « Barqa » dans ibid., t. I, pp. 387-388.
9. Voir « al-Sūs » dans ibid., t. III, pp. 280-281.
10. I ʻA -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
2002, p. 170. L’origine orientale des Carthaginois a laissé son
empreinte sur l’imaginaire des auteurs comme Procope.
11. En général, les discussions sur l’orientalisation du nord-ouest
de l’Afrique ne concernent pas la domination Byzantine ou la
christianisation.
12. Pour une chronologie des batailles et une discussion des
enjeux historiographiques, voir l’excellent ouvrage de K ,
2010. Voir aussi C , 2012.
13. Pour les enjeux de la différence entre l’ordre politique en
Andalousie et au Maghreb, voir R , 2010.
14. Sur la formation et l’organisation de l’Ifrīqiya voir D , 1973
et 1967-1968. Voir aussi C , 1986 ; F , 2013.
15. Pour une discussion intelligente des défis auxquels sont
confrontés les historiens, voir P , 2011b.
16. La quatrième fitna entre les frères al-Amīn et al-Ma’mūn dura
de 809 à 827.
17. Voir, par exemple, P , 2011. L’idée que ces
positionnements doivent être vus comme étant « maghrébins »
tend à constituer le Maghreb comme unité d’analyse et par
implication les Berbères aussi. De même, la représentation d’un
« monde islamique » constitué par le couple Maghreb‑Mashreq
tend à autoriser la constitution du Mashreq et du Maghreb
comme unités d’analyse.
18. Bien que faisant partie de l’Occident, les sources andalouses
précèdent aussi les sources maghrébines. Pour les contributions
de l’historiographie espagnole, voir D F , 2009. Voir aussi,
M -G , 1992 et B , 2011.
19. Voir sur ce sujet H , 2007.
20. Il faut tenir compte du fait que tous ceux qui se disaient
Yéménites au Maghreb n’avaient pas immigré directement du
Yémen mais que certains étaient des Yéménites de Syrie.
21. Voir par exemple M , 1976.
22. Voir R , 2010, pp. 102-105. La notion de « révolte
Berbère » est ensuite reprise par les auteurs maghrébins.
23. I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et
I Y ʻ , 1986.
24.S ḥ , al-Mudawwana, t. X, p. 141. Le contrat serait caduc
si l’acheteur doutait du statut de l’esclave berbère, étant donné
les pratiques d’enlèvement de femmes libres. Selon les sources
et notamment les chroniques cette pratique fut à l’origine de la
révolte berbère un siècle auparavant.
25. Scribe ou simplement qui sait écrire en arabe.
26. S ḥ , al-Mudawwana, t. IX, pp. 3-4.
27. A -M ʻ , Murūğ al-ḏahab, t. I, p. 60. Dans le même
volume, al-Masʻūdī exprime une opinion assez intéressante
quand il avance que « dans le quatrième iqlīm se trouvent
l’Égypte, l’Ifrīqiya, les Berbères (al‑barbar), al‑Andalus, et [les
contrées qui se trouvent] entre eux » (ibid., p. 88).
28. Coran, XLIX, 13, trad. de l’auteur de cet article.
29. A -Ṭ , Tafsīr al-Ṭabarī, éd. par -M , t. XXI, p. 383.
30. Ibid. Voir aussi, -M ḫ , Tafsīr Muğāhid, t. II, pp. 605-
609.
31.M B. S -B ḫ , Tafsīr Muqātil, t. III, p. 264.
32. « A dispute over the nature of shuʻūb constituted one of the
most fundamental issues dividing the shuʻūbīs and their
opponents, an issue that has somehow gone unnoticed by
modern historians. » (M , 1976, p. 165).
33.A -M ḥ , Tafsīr al-Ğalālayn, p. 687.
34.I -K , Nasab maʻadd wa al-Yaman, éd. par Ḥ ,
1988, t. II, p. 548. Avons-nous affaire ici à un substrat de
traditions yéménites sur la Berberia de la mer Rouge ? Voir
A , 1997.
35. Les migrations vers le Maghreb et à l’intérieur de celui-ci sont
difficiles à cerner pour cette époque. Il faut donc se rappeler que
« local » est une notion relative et imprécise.
36.Qawm peut aussi être traduit par « peuple », « gens » ou
même « nation ». Pour une meilleure discussion qu’il est possible
d’en donner ici, voir l’étude philologique de F , 1991.
37.A -Y ʻ , Kitāb al-buldān, éd. par J , 1861, p. 132.
38. Les études sur l’émergence des Arabes sont trop
nombreuses et nous ne pourrions en faire ici une synthèse. Pour
un sens de la diversité des approches et des interprétations voir,
par exemple, B , 1975 ; H , 2001 ; R , 2003.
39. Voir B S ,D F (éd.), 2014.
40. Le récit d’Ibn Ḥabīb (mort en 852 ou 853) est plus ancien
mais, étant beaucoup moins riche en informations sur les
conquêtes du Maghreb, les historiens lui ont préféré celui d’Ibn
ʻAbd al‑Ḥakam.
41.I ʻA -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
2002, p. 8. Cette généalogie provient certainement d’un matériau
ancien spécifique aux « Berbères » de la région de Berbera
(Somalie actuelle). Voir R , 2011.
42.I ʻA -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
2002, p. 170. Si la filiation biblique patriarcale est reconnaissable,
la filiation « royale » renvoie à une autre tradition (logique) plus
proche de celle des Persans.
43. Maya Shatzmiller a proposé que « dans l’ensemble il s’agit
de trois filiations : la première, qui est la plus fréquente, proclame
les Berbères originaires de Palestine […]. La deuxième voit les
Berbères comme des descendants de Cham fils de Noé, nés au
Maghreb après l’exil de celui-ci. La troisième accorde à plusieurs
tribus berbères une origine himyarite sud-arabique. »
(S , 1983a, p. 147).
44. Ces dernières formulations expriment un imaginaire moderne
avec ce qu’il en découle comme traduction de langues
européennes.
45.I ʻA -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. de T ,
p. 200.
46. À ce sujet voir H , 2001.
47. Le caractère légendaire n’exclut pas l’inclusion de faits
historiques.
48.I -K , Nasab maʻadd wa al-Yaman, éd. par Ḥ ,
1988, t. II, p. 548.
49.S , 1983a, p. 147.
50.H , 2003.
51.I Ḫ , Kitāb al-ʻibar, éd. Le Caire, 1862, t. VI, p. 148.
52.Ibid., p. 12.
53. Voir D , 2004.
54.C , 1980, pp. 119-120.
55.M , 2003b, p. 695.
56.B ,F , 1996, p. 81.
57.Ibid., p. 83.
58. Sans parler de la romanisation et de la christianisation des
Berbères.
59. B ,F , 1996, p. 7.
60.C , 1980, p. 18.

AUTEUR
RAMZI ROUIGHI
University of Southern California
II. – Résistances et contre-discours
Approches historiographiques
du discours de la résistance
berbère
Soléna Cheny

1 L’histoire du Maghreb médiéval, et plus précisément celle de sa


conquête, ne nous est connue que par le prisme de
l’historiographie arabo-musulmane. Loin de nous décrire avec
exactitude comment elle s’est déroulée, les chroniques
médiévales nous apprennent beaucoup sur l’image de ce
« lointain perfide » pour reprendre l’expression du calife ‘Umar.
La façon dont est décrite la réaction des populations locales, et
particulièrement celle des populations qualifiées de « Berbères »,
est significative de cette vision orientale d’un monde dont les
réalités sont mal saisies ou dont on ne fait que peu de cas.
2 Les héros de la résistance berbère, aujourd’hui encensés pour
leurs exploits et cristallisant une partie des passions identitaires,
prennent naissance dans une historiographie orientale ou
orientalisée, qui n’est pas contemporaine des faits. La façon dont
sont décrits Kusayla et la Kāhina, comme les autres habitants
acculés par les troupes d’invasion arabes, s’inscrit dans une
culture particulière, au sein d’une littérature dont les visées sont
plus larges qu’une simple description chronologique. Les thèmes
abordés, le décor planté et les personnages fantasmés
appartiennent à un monde étranger au territoire qu’ils décrivent.
3 La résistance berbère, aujourd’hui devenue une fierté culturelle,
appartient à cette littérature. Il serait intéressant d’en donner la
mesure et de l’inscrire dans des thèmes proprement orientaux.
Pour ce faire, nous démontrerons que cette résistance berbère
ne représente qu’une infime partie de l’histoire de la conquête.
Puis, nous nous attacherons à relever tous les éléments d’un
décor oriental afin de les inscrire dans les problématiques
propres à l’historiographie arabo-musulmane médiévale.
4 Il convient tout d’abord de définir ce que l’on entend par
résistance. Afin d’avoir une vue assez large, nous avons
déterminé, à partir des récits des auteurs médiévaux, trente-deux
moments où armées d’invasion et populations locales se
rencontrent ; c’est-à-dire que nous avons considéré la résistance
dans sa réalité comme dans son éventualité et avons inclus la
résistance d’autres communautés à titre de comparaison. Les
rencontres sont définies selon une grille de lecture qui ne se
limite pas à l’affrontement réel, à un lieu déterminé ou à un temps
arrêté. Elles peuvent correspondre à une bataille, à une
expédition dans son ensemble ou au signalement d’un traité de
paix. Ainsi, nous avons pu établir qu’il existe cinq traitements des
réactions des populations nord-africaines à l’invasion arabe :
La résistance victorieuse : quand les populations triomphent de leur
adversaire lors d'un affrontement armé.
L’échec de la résistance : la défaite quelle qu’elle soit, que l’attaque soit à
l’initiative des Arabes ou des populations locales.
L’absence de résistance : quand les populations se rendent sans avoir
combattu ou tenté de négocier.
La négociation : quand la soumission volontaire des communautés donne
lieu à un accord ou un traité de paix.
La réaction non signalée : quand le territoire ou la cité sont pris sans qu’il
n’y ait aucune mention de la réaction de ses habitants.
5 Qu’en est-il dans le détail ?
6 Les épisodes relatifs aux victoires du camp romano-berbère sont
peu nombreux. Nous n’en comptons que trois sur l’ensemble des
rencontres, soit à peu près 9 % des trente-deux recensées. Il
s’agit de la bataille de Tahūḏa, où le général ‘Uqba b. Nāfi‘ trouve
la mort face aux troupes de Kusayla 1 , de la prise de Kairouan
par le prince berbère 2 et du premier affrontement entre la
Kāhina et le général Ḥasan b. al‑Nu‘mān 3 . À l’inverse, dans dix
cas sur trente-deux, les populations locales subissent un échec
après s’être élevées contre l’ennemi arabo-musulman. Cela
représente près de 30 % des récits, un tiers des rencontres.
Nous retrouvons la prise de Tripoli par 'Amr b. al‑‘Āṣ 4 , la
bataille de Sufetula (actuelle Sbeïtla) menée par 'Abd Allāh
b. Sa'd contre le patrice Grégoire 5 , la mystérieuse prise de
Ğalūla par Mu'āwiya b. Ḥudayğ 6 et l’expédition dans l’ouest de
‘Uqba 7 . Puis, la bataille de Mams opposant Kusayla à Zuhayr
b. Qays 8 , la prise de Tunis par Ḥasan b. al‑Nu'mān 9 , l’attaque
d'une coalition de Berbères et de Byzantins contre ce général 10
, son deuxième affrontement contre la Kāhina 11 , la prise de
Zaġwān 12 et celle de Sağuma par Mūsā b. Nuṣayr 13 se
soldent par l’échec des populations ayant opposé une résistance
plus ou moins farouche.
7 Les récits colorent parfois la réaction des populations de manière
particulière. Ils ne l’occultent pas mais insistent sur l’absence de
toute opposition. La prise de Ṣabrāta est rapportée par les
auteurs suivant la même tradition 14 : cette cité, subissant
jusqu’alors les assauts de ‘Amr b. al‑‘Āṣ, profite du difficile siège
de Tripoli pour relâcher sa résistance et reprendre son souffle. La
forteresse ouvre ses portes et laisse ses troupeaux paître à
l’extérieur. Une cohorte arabe est envoyée pendant la nuit vers
Ṣabrāta. Elle arrive au matin, ne laissant aucune chance aux
habitants insouciants. Cette anecdote est riche de sens.
L’inconscience des habitants s’oppose à la stratégie du général
arabe. De même, Ibn ‘Abd al‑Ḥakam souligne, dans la conquête
du Maghreb extrême, la facilité avec laquelle ‘Uqba b. Nāfi‘
traverse le territoire de la tribu berbère des ‘Anbiya « sans être
inquiété par la moindre velléité de résistance 15 ».
8 Les populations locales ont aussi le choix de passer un accord,
de signer un traité avec le général gouvernant. Il s’agit de
communautés ou de personnes qui voient dans la paix avec le
nouvel arrivant un moyen d’accéder à un rang particulier, de se
venger d’un ennemi ou de mettre simplement un terme au conflit.
Ces moments y sont peu nombreux. Ils ne concernent que
12,5 % des rencontres entre les deux camps. Nous pouvons citer
le traité de paix entre les Rūm‑s, les Berbères et ‘Abd Allāh
b. Saʿd au début de la conquête 16 , celui passé entre les
populations de l’Ifrīqiya et Abū al‑Muhāğir 17 , la soumission du
comte Julien/Yūlīyān à ‘Uqba b. Nāfi‘ ou Mūsā b. Nuṣayr selon
les versions 18 et celle des villes du Djérid tunisien à Ḥasan
b. al‑Nuʿmān 19 suite à la politique de la terre brûlée attribuée à
la Kāhina. Les moments de rapprochement avec le camp arabo-
musulman sont peu nombreux et conservent des zones d’ombre.
Plusieurs raisons peuvent pousser les populations à se ranger
sous la tutelle arabo-musulmane : l’arrêt des pillages, le
règlement d’une vengeance ou la désaffection de son camp.
Dans chaque cas, c’est la supériorité des nouveaux maîtres qui
est soulignée. Le traité leur assure la réussite de la poursuite de
la conquête par une rentrée financière importante, Julien leur
ouvrant la voie d’al‑Andalus et les populations du Djérid leur
permettant de renverser la Kāhina. L’enjeu semble ici justifier la
présence sur le sol africain. Sans allié, sans tribut et sans paix, y
a-t-il un intérêt à fournir de si gros efforts humains et financiers
pour conquérir une terre qu’on peine à saisir ?
9 Toutefois, l’essentiel des affrontements relayés par les sources
passe sous silence la réaction des populations locales, qu’elle
soit belliqueuse ou sympathisante. Les auteurs attestent de la
prise d’une ville ou de la conquête d’un territoire sans en
mentionner la réaction des populations locales. Il est curieux de
constater que c’est le cas le plus représenté parmi nos trente-
deux rencontres. On en dénombre quatorze, soit 43 % de
l’ensemble. Cela concerne la conquête du territoire des Lawāta
20 et la prise de Zawīla par ʿAmr b. al‑‘Āṣ 21 , l’expédition de

pillage 22 , la prise de Gafsa 23 et de Marmağanna 24 par ‘Abd


Allāh b. Sa‘d, les razzias 25 de Mu‘āwīya b. Ḥudayğ ainsi que sa
prise de Sousse 26 , auxquelles s’ajoutent la conquête du
Fezzan 27 , Qasṭīliyya et Ġadāmis 28 , l’expédition dans l’Ouest
par ‘Uqba b. Nāfi‘ 29 , ainsi que la prise de Tunis 30 par Ḥasan
b. al‑Nu‘mān, celle de Zaġwān 31 et de Sağuma 32 par Mūsā
b. Nuṣayr et sa conquête du Maghreb extrême.
10 Nous retrouvons ainsi quatre types de réactions, et une omission,
parmi lesquelles la résistance victorieuse ne représente que trois
cas sur trente-deux, soit à peine 9 %. Nous voyons bien que
l’objectif des sources n’est pas tant d’apporter des éléments
historiques sur un épisode précis mais bien de légitimer une
entreprise difficile et coûteuse, de démontrer qu’elle sert les
intérêts du califat par les gains qu’elle rapporte et la gloire dont
elle auréole ses héros, même si pour ce faire elle doit
ponctuellement souligner la réaction des populations locales et
notamment ses victoires. Ces victoires ne sont finalement
qu’anecdotiques au sein de l’ensemble de la mémoire de la
conquête. L’attention n'est pas portée sur les Berbères mais bien
sur la conquête dans sa dimension politique et spirituelle (le
signalement de la prière avant le combat va dans ce sens). Le
décor planté en arrière-plan renvoie lui aussi aux mêmes
préoccupations.
11 Le récit dans lequel s’insère la résistance berbère appartient à la
littérature que l’on nomme adab, que l’on traduit généralement
par « Belles-Lettres », dans lesquels les héros servent de
modèles au lecteur. Les généraux arabes, au même titre que les
chefs des communautés nord-africaines, sont mis en scène pour
servir d’exemples ou de contre-exemples. Parmi les thèmes
remarquables nous retrouvons celui du ğihād, thème fantasmé
sur le modèle de celui mené par le Prophète.
12 La guerre sainte, ou plus précisément l’« ouverture » de l’Afrique
à l’islam (rappelons que les chroniques se nomment pour la
plupart futūḥāt), remplit toutes les conditions d’un ğihād parfait à
l’image de celui mené par le Prophète au temps béni de la Umma
unifiée. Il se justifie par plusieurs éléments. Il existe des traditions
prophétiques dans lesquelles Monastir serait une des portes du
Paradis. Nous pouvons mentionner également l’intervention des
califes dans le choix de ce territoire. Même si ‘Umar refuse d’aller
conquérir ce qu’il appelle le « lointain perfide », il réunit les
Compagnons et les Suivants pour leur demander conseil, comme
le faisait Muḥammad avant lui. C’est finalement 'Uṯmān b. ‘Affān
qui va autoriser les armées arabo-musulmanes à pousser plus
loin que la Tripolitaine. Le ğihād se déroule selon les règles :
avant le combat on propose à l’ennemi de se convertir. S’il
refuse, on lui offre de payer l’impôt des gens du Livre en le
menaçant de l’attaquer dans le cas contraire. Devant un nouveau
refus, les troupes se mettent en marche. Nous retrouvons cette
procédure lors de la bataille de Sufetula. Après la victoire, le
butin est partagé entre les musulmans qui réservent un
cinquième au calife. Les sources insistent aussi sur l’importance
de la prière. ‘Abd Allāh b. al‑Zubayr prie malgré l’attaque des
troupes de Grégoire :
Mettant pied à terre, il fit la prière du soir [âsr] à la tête de tout le
monde. Les Roum, étonnés de ce spectacle et de l’indifférence que
le chef arabe leur témoignait, firent sortir contre lui une foule de
cavaliers et de fantassins, armés de toutes pièces. Ibn ez-Zobeir
continua la prière sans se laisser intimider, et, quand il eut accompli
ce devoir religieux, il sangla son cheval, sauta en selle et s’élança
sur l’ennemi. L’ayant mis en pleine déroute, il le contraignit à rentrer
dans la ville. Alors il s’en retourna et les laissa 33 .
13 Comme lui, les généraux guidant les armées d’invasion sont
décrits comme de pieux musulmans. ‘Uqba b. Nāfi‘ est ainsi un
modèle de piété :
S’étant décidé dans la suite à faire une expédition militaire, il laissa
dans la ville une partie des milices [Djond], sous les ordres de Zoheir
ibn Keis, et, ayant appelé ses fils, il leur dit : « J’ai vendu mon âme à
Dieu, et j’ai fait un excellent marché : je dois combattre l’infidélité
jusqu’à ce que je comparaisse devant lui. Je ne sais si vous me
reverrez jamais ou si je vous reverrai, car mon souhait est de mourir
dans la voie de Dieu. Tenez ferme à l’islamisme. O mon Dieu !
Accueille mon âme avec bonté 34 ! ».
14 Ce sera le premier martyr de la conquête au Maghreb, tombant
sous les coups de Kusayla, qui devient alors un des héros de la
résistance. Le chef berbère est dépeint avec autant d’intérêt que
celui porté à ‘Uqba. Les deux personnages forment un couple
littéraire qui fonctionne très bien. Face à la piété de ‘Uqba, nous
avons l’apostasie de Kusayla, les deux chefs rivalisant
d’intelligence stratégique. ‘Uqba remporte le combat de la piété
et de la postérité puisqu’il fonde la grande mosquée de Kairouan,
la première signalée au Maghreb. Tous ces éléments propres à la
guerre sainte s’accompagnent d’une série de récits fabuleux
dans lesquels les personnages s’inclinent devant la puissance
divine ou vérifient les traditions prophétiques.
15 La conquête est auréolée de légendes. Nous l’avons dit, Monastir
est connue pour être une des portes du Paradis. Les victoires
arabes n’existent que grâce à l’intervention du Divin ou parce que
son héros est protégé par lui. Les exploits de ‘Uqba n’existent
que grâce à la protection qu’Allāh lui accorde. Certaines victoires
tiennent du miracle. C’est le cas de Ğalūla. Après un siège
difficile, les armées arabes démoralisées font volte-face lorsque,
soudain, un nuage de fumée les poursuit : les murailles de la ville
viennent de s’écrouler grâce à Dieu. Dans certaines versions,
'Abd al‑Malik, futur calife, revient sur ses pas pour récupérer son
arc et est témoin de ce miracle. C’est lui qui rappelle les troupes
en fuite et conquiert la ville.
16 Le récit de la fondation de Kairouan est tout aussi riche
d’éléments merveilleux. ‘Uqba décide de fonder la ville ex nihilo,
dans un lieu inadéquat : l’endroit est infesté de bêtes sauvages.
Après plusieurs prières, il ordonne aux animaux de déguerpir.
Les animaux s’exécutent tenant dans leur gueule leurs petits.
Pendant plus de quarante ans, plus aucune bête féroce ou autre
insecte nuisible ne vint perturber le calme de la ville. Afin de
déterminer l’orientation exacte de la qibla sur un territoire où elle
n’avait jamais été définie auparavant, ‘Uqba interroge les
savants, mais aucun n’arrive à se mettre d’accord. Après
plusieurs mois, c’est dans son sommeil, à l’image du Prophète
lors de son voyage nocturne, qu’il reçoit les conseils de Dieu.
Marchant dans les fondations de la mosquée, c’est à l’écoute de
la voix de Dieu, que lui seul peut entendre, qu’il détermine
l’orientation exacte de la prière. C’est à partir de celle de la
mosquée de Kairouan que seront ensuite construites les autres
mosquées du Maghreb.
17 Il y aurait d’autres exemples à citer, mais les deux précédents
sont assez représentatifs du style littéraire employé par ces
chroniques arabo-musulmanes. N’oublions pas que ces
dernières sont écrites par des oulémas et commandées par des
souverains ou rédigées à proximité des cercles du pouvoir. Les
thèmes abordés, la façon de retracer les événements et de faire
intervenir les personnages sont propres à cette historiographie
orientale : construite et développée en Orient au cours des e et
e siècles de notre ère.

18 Les travaux anglo-saxons, depuis Patricia Crone 35 en passant


par Fred Donner 36 , et les recherches récentes d’Antoine Borrut
37 et de Françoise Micheau 38 ont montré comment se

construit cette memoria orientale. Antoine Borrut parle même de


vulgate, stratifiée, filtrée, par plusieurs générations de savants
guidés par les préoccupations concrètes des souverains. Celui
qui détient l’histoire est celui qui a le pouvoir. Les Abbassides ont
donc le pouvoir de colorer à leur avantage l’histoire des premiers
temps de l’Islam. Bien qu’une partie des traditions soit déjà mise
en place, ils ont le loisir d’orienter le récit. Cette vulgate, ainsi
compilée, sert de modèle à la « science » historique qui est,
rappelons-le, en grande partie au service des sciences
religieuses.
19 Lʼisnād, chaîne des informateurs qui conduisent à la
connaissance rapportée, nous permet de remonter aux plus
anciens informateurs, aux traditionnistes ayant participé à
l’élaboration de cette mémoire. Qu’ils soient réels ou empruntés,
les isnād‑s nous montrent que c’est la mémoire orientale qui est
valorisée : les informateurs les plus anciens vivent en Orient, à
proximité du pouvoir ou des anciens personnages influents,
comme en particulier 'Urwa b. al‑Zubayr dans le cercle de ‘Ā’iša.
20 Les sources médiévales, qu’elles soient écrites en Orient ou en
Occident, s’inscrivent dans cette continuité. Elles reprennent,
avec quelques variantes, le récit consigné sous l’autorité des
anciens traditionnistes. Elles participent ainsi de la propagande
abbasside. Les thèses d’une tradition andalouse, ifrīqiyenne ou
égyptienne ne résistent pas à l’analyse des isnād‑s 39 . Même
les sources chrétiennes sont influencées par cette vulgate.
21 La résistance berbère s’insère dans cet ensemble et est
ensevelie dans cette memoria. Elle n’en représente qu’une infime
partie. Les éléments parsemés qui nous permettent de dresser
un tableau du monde berbère à l’époque médiévale doivent être
relus à la lumière des motivations propres de cette mémoire. Dès
lors, les héros berbères interviennent à des moments particuliers
de l’histoire califale. Nous pouvons remarquer que sous les
généraux envoyés par ‘Umar et 'Uṯmān, califes qualifiés de
rāšidūn (« bien guidés »), la résistance n’existe pas ou n’est pas
incarnée par un personnage héroïque. L’absence de notification
d’une quelconque réaction concerne essentiellement les
premières expéditions. Ce n’est qu’à partir d’Abū al‑Muhāğir,
mais surtout avec ‘Uqba b. Nāfi‘, qu’apparaissent les
personnages de Kusayla et de la Kāhina, et que la résistance
berbère prend vie. Ces généraux appartiennent désormais au
califat omeyyade. La thèse d’Antoine Borrut nous apprend que la
maîtrise de l’historiographie par les Abbassides s’inscrit dans une
volonté de critiquer la dynastie précédente et de justifier leur
accession au pouvoir, tout en traçant une certaine continuité pour
ne pas supporter la culpabilité de la fitna. Cette continuité est
primordiale pour éloigner leurs anciens alliés ‘alides de toute
prétention au califat. Le récit de la conquête illustre parfaitement
cette thèse. L’histoire s’écrit sans rupture avouée entre les califes
rāšidūn et les Omeyyades, bien que l’assassinat de 'Uṯmān
donne lieu à une période de répit pour le Maghreb. La rupture est
plus subtile. Ne pourrait-on pas voir dans la résistance berbère
un moyen de critiquer les Omeyyades, incapables de mener le
ğihād ? La résistance des chefs locaux viendrait ainsi entacher
les exploits des généraux musulmans sans pour autant ternir
l’image d’une Umma qui resterait unie par l’Islam et son
expansion d’une dynastie à l’autre.
22 La résistance berbère s’inscrit donc dans un discours produit en
Orient. Elle n’existe que pour auréoler d’une plus grande gloire la
victoire des généraux arabes, pour servir de modèles aux élites
orientales ou orientalisées et dans le cadre particulier d’une
historiographie elle aussi orientale et orientalisée. Ses héros sont
parés d’atours orientaux, la Kāhina est décrite avec toutes les
qualités d’un chef arabe tandis que Kusayla se rapproche de
l’islam. Ils ne prennent vie qu’à de rares reprises, moments clefs
de la conquête ou plutôt du récit. Ils n’interviennent que dans le
jeu de leur opposition au général conquérant, l’auréole de l’un
garantissant la grandeur de l’autre. Récupérée à l’époque
coloniale, par l’entreprise de traduction et d’édition du ministère
français de la Guerre, cette littérature est de nouveau
orientalisée, mais de l’extérieur cette fois-ci. Le mouvement
orientaliste reprend à son compte, et selon ses propres codes et
enjeux, les personnages de la geste arabe médiévale. Ils sont de
nouveau transportés dans un monde qui leur est étranger.
Kusayla et la Kāhina deviennent ainsi les descendants de
chrétiens et servent une nouvelle propagande : celle de la
présence française dans le nord de l’Afrique.

NOTES
1.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 71 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 139 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 174 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī
l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 371 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad.
de M G S , 1925-1934, t. I, p. 288 ; ‑N ,
Nihāyat al‑‘arab, trad. de M G S , pp. 129-130 ;
I ‘A ‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P ,
1954, p. 39 ; I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad.
de P R et R , p. 49.
2.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 75 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 140 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l-ta’rīḫ, trad. de F ,
p. 372 ; I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad.
de F , 1901-1904, vol. 1, p. 19 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar,
trad. de M G S , t. I, p. 289 ; ‑N , Nihāyat
al‑‘arab, trad. de M G S , pp. 130-131 ; I ‘A
‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P , 1954, p. 39 ;
I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de
P R et R , p. 49.
3.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 77 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 360 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 144 ; I ‑Aṯ , Kitāb al‑kāmil fī l-ta’rīḫ, trad. de F ,
p. 377 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 22 ; ‑T , Riḥla, trad. de
R , août-septembre 1852, p. 120 ; I ‘Iḏ
‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F , 1901-
1904, vol. 1, p. 26 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M
G S , 1925-1934, t. I, pp. 213-214 ; ‑N ,
Nihāyat al‑‘arab, trad. de M G S , p. 558 ; I
‘A ‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P , 1954,
p. 40 ; I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de
P R et R , pp. 25 et 53 ; É
N , Chronographie, trad. de D , p. 95.
4.I ‘A ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 39 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 355 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de
M G S , 1859, p. 24 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī
l‑ta’rīḫ, trad. de F , pp. 354-355 ; ‑T , Riḥla, trad. de
R , février-mars 1853, pp. 138-139.
5.I ‘A ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 43 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 357 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 128 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F ,
pp. 358-359 ; I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib,
trad. de F , 1901-1904, vol. 1, pp. 6-7 ; I Ḫ , Kitāb
al‑ʻibar, trad. de M G S , 1925-1934, t. I, p. 209 ;
t. III, p. 192 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de M G
S , pp. 103-108 ; I ‘A ‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad.
de L -P , 1954, pp. 36-37 ; I A D
‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de P R
et R , p. 38 ; T C , The Chronicle,
trad. de M et S , p. 478 ; M S , Chronique,
trad. de C , pp. 440-441 ; A M , Kitāb
al‑‘Unwān, p. 479.
6.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 59 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de
F , p. 362 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad.
de M G S , 1859, pp. 79-80 ; ‑M , Riyāḍ
al‑nufūs, trad. de I , 1969, p. 134 ; I ‘Iḏ ‑M ,
Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F , 1901-1904, vol. 1,
p. 10 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M G
S , 1925-1934, t. I, p. 211 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab,
trad. de M G S , pp. 114-115 ; I A D
‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de P R
et R , p. 40.
7.A ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, pp. 136-138 ;
I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F , pp. 368-
369 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M G S ,
1925-1934, t. I, pp. 211-212 et 286-288, t. II, p. 161, t. III,
pp. 192-193 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de M G
S , pp. 122-127 ; I ‘A ‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad.
de L -P , 1954, pp. 38-39 ; I A D
‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de P R
et R , pp. 44-47.
8.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, pp. 75-77 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
pp. 141-142 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de
F , pp. 372-373 ; I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān
al‑muġrib, trad. de F , 1901-1904, vol. 1, pp. 19-21 ; I
Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M G S , 1925-
1934, t. I, pp. 212-213 et 289-290 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab,
trad. de M G S , p. 132 ; I ‘A ‑Ḥ ,
Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P , 1954, pp. 39-40 ; I
A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de P
R et R , p. 50.
9.A ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M G
S , 1859, pp. 91-96 (concerne la résistance des Rūm-s) ;
I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de
P R et R , pp. 12-13 et 25 (concerne
la résistance de populations chrétiennes. La version d’Ibn Abī
Dīnār étant très proche de celle d’al‑Bakrī, je ne pense pas qu’il
s’agisse de Berbères chrétiens mais bien de Rūm-s).
10.A ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, p. 146 ; I
‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 376 ; I
‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F ,
1901-1904, vol. 1, p. 25 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de
M G S , p. 339 ; I A D ‑Q ,
Kitāb al‑mu’nis, trad. de P R et R ,
p. 53.
11.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 79 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 143 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 139 ; ‑T , Riḥla, trad. de
R , août-septembre 1852, p. 121 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-
kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 378 ; I ‘Iḏ
‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F , 1901-
1904, vol. 1, p. 29 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M
G S , 1925-1934, t. I, p. 214 ; ‑N , Nihāyat
al‑‘arab, trad. de M G S , p. 560 ; I ‘A
‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P , 1954, p. 41 ;
I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de
P R et R , pp. 54-55 ; É N
, Chronographie, trad. de D , p. 97.
12.A ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, pp. 146-147 ;
I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de
F , 1901-1904, vol. 1, p. 32.
13.A ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 267 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad.
de M G S , 1925-1934, t. I, p. 206.
14.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 39 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de
F , p. 355 ; ‑T , Riḥla, trad. de R , février-
mars 1853, pp. 125-126.
15.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 71.
16.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, pp. 43-45 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de
H , 1966, p. 357 ; A ‑Ṭ , Ta’rīḫ al‑rusul wa l‑mulūk, trad.
de Z , 2001, vol. 1, p. 285 ; M , 1935-1945, p. 89 ;
‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, pp. 128-129 et
132 ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F ,
p. 360 ; I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad.
de F , 1901-1904, vol. 1, p. 8 ; ‑T , Riḥla, trad. de
R , août-septembre 1852, pp. 122-123 ; I Ḫ ,
Kitāb al‑ʻibar, trad. de M G S , 1925-1934, t. I,
p. 210 ; A ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de M G
S , pp. 109-110 ; I ‘A ‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de
L -P , 1954, p. 37 ; I A D ‑Q ,
Kitāb al‑mu’nis, trad. de P R et R ,
p. 38 ; T C , The Chronicle, trad. de
M et S , p. 478.
17.A ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, p. 136.
18.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, pp. 89-91 ; I ‑Aṯ , Kitāb al‑kāmil fī l-ta’rīḫ, trad. de
F , pp. 369-369 ; I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān
al‑muġrib, trad. de F , 1901-1904, vol. 1, p. 293 ; I
Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M G S , 1925-
1934, t. I, pp. 212 et 287, t. II, p. 136 ; ‑N , Nihāyat
al‑‘arab, trad. de M G S , p. 124 ; I ‘A
‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P , 1954, p. 38.
19.A ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, p. 145 ; I
‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 378 ; I
‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F ,
1901-1904, vol. 1, p. 29 ; I Ḫ , Kitāb al‑ʻibar, trad. de M
G S , 1925-1934, t. I, p. 214.
20.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, pp. 35-37 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de
H , 1966, p. 352 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik,
trad. de M G S , 1859, pp. 11-12 ; I ‑Aṯ ,
Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 354 ; I ‘Iḏ
‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F , 1901-
1904, vol. 1, p. 2 ; I ‑F ‑H ḏ , Muḫtaṣar kitāb
al‑buldān, trad. de M , 1973, p. 97.
21.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 37 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 353 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de
M G S , 1859, pp. 28-29.
22.I ʿA ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 43 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 356 ; M , 1935-1945, pp. 86 et 88 ; ‑M , Riyāḍ
al‑nufūs, trad. de I , 1969, pp. 127 et 128 ; I ‘Iḏ
‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F , 1901-
1904, vol. 1, pp. 4 et 8 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de
M G S , p. 109.
23.A ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969, p. 129 ; I
‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 360 ; I
‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, trad. de F ,
1901-1904, vol. 1, p. 8 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de
M G S , p. 109.
24.I ‘A ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 61 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 357 (sous Mu'āwiya b. Ḥudayğ) ; ‑B , Kitāb
al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M G S , 1859,
p. 323 (sous Mūsā b. Nuṣayr) ; I ‑Aṯ , Kitāb al-kāmil fī
l‑ta’rīḫ, trad. de F , p. 381 ; ‑N , Nihāyat al‑‘arab,
trad. de M G S , p. 563 (sous Mūsā b. Nuṣayr) ;
I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de
P R et R , pp. 56-57.
25.I ‘A ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 57 ; ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H ,
1966, p. 358 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 135.
26.A ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, pp. 84-85.
27.I ‘A ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, pp. 61-65 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad.
de M G S , 1859, pp. 34-37.
28.I ‘A ‑Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, trad. de G ,
1948, p. 65 ; ‑M , Riyāḍ al‑nufūs, trad. de I , 1969,
p. 135 ; ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 37 ; I ‘A ‑Ḥ , Kitāb
al‑ansāb, trad. de L -P , 1954, p. 38.
29.A ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 173 ; I A D ‑Q ,
Kitāb al‑mu’nis, trad. de P R et
R , p. 47 (concerne exclusivement la conquête du Sūs, le
reste de l’expédition relève de l’échec de la résistance).
30.A ‑B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, trad. de H , 1966,
p. 360 (par Zuhayr b. Qays).
31.I A D ‑Q , Kitāb al‑mu’nis, trad. de
P R et R , pp. 56-57.
32.A ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 267 ; I ‘Iḏ ‑M , Kitāb
al‑bayān al‑muġrib, trad. de F , 1901-1904, vol. 1, p. 33 ;
I ‘A ‑Ḥ , Kitāb al‑ansāb, trad. de L -P ,
1954, p. 42.
33.A ‑B , Kitāb al‑masālik wa l‑mamālik, trad. de M
G S , 1859, p. 85.
34.A ‑N , Nihāyat al‑‘arab, trad. de M G
S , p. 122.
35.C , 1977.
36.D , 1998.
37.B , 2011.
38.M , 2012.
39. Thèse que l’on retrouve chez É. Levi-Provençal, A. Gateau et
P. K. Hitti.
AUTEUR
SOLÉNA CHENY
Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne
L’évolution du discours sur les
Berbères dans les sources
narratives du Maghreb médiéval
( e- e siècle)
Allaoua Amara

1 Les origines du peuplement du Maghreb ont fait depuis


longtemps l’objet d’un débat historiographique. Les préhistoriens
admettent l’idée d’une présence humaine très ancienne 1 , mais
les historiens, qui reprennent en grande partie les mythographies
antiques et médiévales, montrent le rattachement de ce
peuplement au Proche-Orient ancien 2 . Tout en cherchant la
berbérité dans la préhistoire, l’Antiquité préromaine, romaine et
post-romaine, les historiens contemporains prennent les
représentations des populations préislamiques du Maghreb par
les auteurs de langue arabe comme un point de départ 3 . Plus
récemment, Ramzi Rouighi a repris la thématique déjà abordée
par plusieurs chercheurs, notamment Maya Shatzmiller 4 ,
Joaquín Vallvé Bermejo 5 et Harry Norris 6 , pour montrer que
les « Berbères » étaient le résultat d’un processus de
berbérisation qui avait débuté en al‑Andalus au e siècle, à la

suite d’une catégorisation sociale élaborée par les Omeyyades


de Cordoue. Ce processus s’était généralisé au Maghreb durant
le siècle suivant pour réunir plusieurs groupes sous la même
bannière 7 . Aussi, les travaux récents de Ahmed M’charek ont
montré la continuité du peuplement et de l’ethnonymie au
Maghreb depuis l’Antiquité à travers l’identification des
ethnonymes des principales populations du Maghreb médiéval :
les Zanāta (Dianenses ou Zanenses), les Hawwāra (Auares), les
Ṣanhāğa (Vsinazi), les Kutāma (Ucutamini) et les Masūfa
(Masofi) 8 .
2 Je me propose ici de reprendre cette thématique, en me
concentrant sur les discours produits par les auteurs de langue
arabe au sujet des populations du Maghreb au moment de la
conquête omeyyade. Il sera question de l’origine des traditions
préislamiques reprises par ces derniers et qui ont été exploitées
dans la catégorisation des Berbères. À partir de quelle date
précisément les textes désignent ces populations comme
autochtones et surtout berbères ? Quelles images et
représentations ont été construites autour de ces populations et
quels critères ont été retenus pour les identifier et les
catégoriser ?
3 Le corpus sur lequel se fonde cette étude est constitué de
sources diverses s’inscrivant dans le cadre de récits de
conquêtes (al‑futūḥ), de généalogies (ansāb), de dictionnaires
biographiques (ṭabaqāt), de chroniques (aḫbār) et de descriptions
géographiques (masālik wa mamālik). Une lecture critique de
cette documentation textuelle est nécessaire pour tenter
d’analyser l’évolution des discours sur les Berbères entre le e et
le e siècle.
Une berbérité renvoyant à un territoire
échappant au contrôle du pouvoir
califal
4 L’absence de documents et de témoignages remontant à la
première présence musulmane au Maghreb rend difficile d’avoir
une idée des représentations que se firent les premiers
musulmans des populations qui occupaient la région. Le dinar
frappé par le gouverneur Mūsā b. Nuṣayr en langue latine et le
graffiti découvert à Chypre mentionnant la première arabisation
du toponyme de l’Ifrīqiya ne permettent pas d’améliorer notre
connaissance du peuplement du nord de l’Afrique au moment de
l’administration omeyyade. Le graffiti daté de 80/699 et le
papyrus de 94/712 montrent bel et bien que les Omeyyades ont
arabisé le toponyme Africa en Afrīqiyya pour désigner les
anciens territoires byzantins d’Afrique 9 . Cependant, les
territoires habités par les populations anciennes dans les futurs
Maghreb central et extrême n’étaient pas encore identifiés avec
la « Terre » des Berbères, une dénomination qui allait être
utilisée un peu plus tard.
5 Les renseignements fournis par les récits de conquêtes, bien que
tardifs, pourraient apporter quelques éléments de réponse. Ainsi,
la tradition irakienne de la conquête de l’Afrique byzantine montre
en quelque sorte un monde éclaté en communautés n’ayant
aucun lien entre elles, à l’image des Luwāta, des Nafūsa, des
Ṣanhāğa et des Zanāta. La lecture du récit intitulé al‑Ḫilāfa wa
l‑siyāsa, attribué à Ibn Qutayba (m. 376/986), permet de dire que
le vocable « barbar » a été tardivement utilisé, et que les groupes
cités n’avaient pas conscience d’une appartenance commune. Le
récit attribué à Ibn Qutayba mentionne une population désignée
comme berbère, mais lorsqu’il parle de la conquête des territoires
habités par les Hawwāra, les Zanāta et les Kutāma, il n’emploie
pas le mot barbar. Cependant, lorsqu’il évoque la première
organisation administrative du Maghreb omeyyade en 94/712, ce
dernier est de nouveau utilisé pour mentionner les notables
locaux qui rallient les nouveaux maîtres du pays 10 .
6 En revanche, le récit de conquêtes élaboré par Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ
(m. 240/854) laisse penser que les auteurs orientaux donnent
plusieurs termes : barābir, barābira et barbar, mots utilisés pour
désigner une résistance rencontrée par les conquérants. C’est à
partir de la défaite des troupes de ‘Uqba à la bataille de Tahūḏa
en 62/682 que le fait berbère devient notable. Les Barābir puis
Barbar-s sont la cible des expéditions menées par Ḥassān
b. al‑Nu‘mān (71-86/690-705) 11 . Mais quand l’auteur cite les
Ṣanhāğa et les Awraba, il ne fait aucun lien avec ces Barbar-s
12 . Cependant, le récit de Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ laisse penser à une

dénomination commune des populations préislamiques sous le


nom de Barbar, lorsqu’il parle d’une conversion massive à l’islam
sous le gouvernorat d’Ismā‘īl b. ‘Ubayd Allāh b. Abī al‑Muhāğir
(100-101/718-719) 13 , et, après cette date, le mot barbar est
utilisé d’une manière générique pour désigner le soulèvement
des communautés converties à l’ibadisme et au ṣufrisme contre
le pouvoir califal 14 .
7 De même al-Balāḏurī (m. 279/892) dans son récit de la
« Conquête des pays » (Kitāb futūḥ al‑buldān) fait un lien entre
les communautés de Cyrénaïque et les Berbères (les Luwāta
sont Berbères). Sous sa plume, la mythique Kāhina est
considérée comme la reine des Berbères (malikat al‑Barbar) et
ces derniers font l’objet désormais de plusieurs récits légendaires
les rattachant à l’Orient : d’une part aux Qaysītes de l’Arabie du
Nord et de l’autre aux Ḥimyarītes du Yémen 15 . Mais cette
désignation des populations de la Cyrénaïque ne s’applique pas
chez lui à l’Ifrīqiya, habitée par les gens du même nom (ahl
Ifrīqiya) et considérée comme une entité politique et humaine
distincte 16 . Cela laisse entendre que la berbérité est liée pour
lui aux populations du Maghreb installées en dehors des
territoires de l’Afrique byzantine — même si la première
interprétation du vocable barbar/barābira est en rapport avec
l’aspect linguistique, en désignant ceux qui « bavardent » ou
ceux ayant une langue intelligible 17 . Comme son prédécesseur,
al‑Ṭabarī (m. 310/922) associe la dénomination barbar/barābira à
la rébellion ibāḍito-ṣufrīte du e siècle puis à la dissidence

idrisīde 18 , ce qui confirme notre opinion sur une distinction des


Berbères par rapport à leur attitude face au pouvoir califal.
8 C’est le récit de l’Égyptien Ibn ‘Abd al‑Ḥakam (m. 257/870) qui
mentionne pour la première fois le mot barbar pour désigner une
partie des populations se trouvant au Maghreb au moment de la
conquête. Si l’on accepte l’authenticité de ce texte qui avait été
transmis par voie orale jusqu’au e siècle, une lecture

chronologique des récits de conquêtes pourrait nous donner un


indice sur la première utilisation du mot barbar dans les sources
arabes. L’Ifrīqiya tout d’abord désigne un espace politique
dépendant de l’empire byzantin, comme l’attestent tous les récits
relatifs aux premiers raids musulmans sous le commandement
de ‘Amrū b. al‑‘Āṣ. Il est habité par les Africains (« al-Afāriqa »)
qui, selon des récits s’appuyant sur l’autorité d’al‑Layṯ b. Sa‘d et
de ‘Abd Allāh b. Lahī‘a, auraient pour origine Fāriq b. Bayṣir 19 .
Il n’y a aucune mention d’un peuplement qualifié de berbère
pendant cette période. Seul un groupe est mentionné par la suite,
durant la première expédition de ‘Uqba b. Nāfi‘ : les Mazāta de
Tripolitaine. Le fait berbère n’intervint que durant la seconde
expédition du même ‘Uqba. Les gens du Sūs (« ahl al‑Sūs »),
dans le sud marocain, sont présentés comme une branche des
Berbères (Barbar-s) et sont liés à la résistance à l’avancée des
troupes omeyyades, aux côtés des Byzantins (Rūm-s) et des
‘Ağam-s. Aucun détail ne permet cependant d’identifier ces
Barbar-s dont les récits présentent al‑Kāhina comme leur chef.
En outre, les mots butr et barānis sont cités pour subdiviser les
populations barbar-s en deux principales branches 20 . Il est
certain que cette catégorisation n’a rien de religieuse, au même
titre que les autres populations de l’Afrique byzantine à savoir les
Rūm-s et les ‘Ağam-s, car Ibn ‘Abd al‑Ḥakam parle aussi de
Berbères chrétiens. Cette représentation des Berbères en butr et
barānis se poursuit à propos de la révolte dite berbère sous les
derniers gouverneurs omeyyades de l’Ifrīqiya 21 .
9 Une question se pose donc sur l’emploi du mot barbar pour
désigner une catégorie de populations du Maghreb qui est, à son
tour, subdivisée en deux parties : butr et barānis 22 . Pour quel
motif Ibn ‘Abd al‑Ḥakam range plusieurs communautés rurales
du Maghreb du début de la période islamique dans une catégorie
appelée Barbar ? Cette désignation est-elle liée à un facteur
politique, c’est-à-dire à la rébellion, ou bien à d’autres facteurs ?
S’agit-il d’une généralisation du vocable barbar pour désigner les
communautés non intégrées au califat omeyyade ? Une lecture
de la production historiographique de l’Ifrīqiya au début de la
période islamique peut apporter des éléments de réponse.
10 C’est dans les premiers siècles de l’Islam que la singularité de
l’ancienne province byzantine s’affirme, dans la production
intellectuelle comme l’espace soumis au pouvoir émiral. Les titres
de plusieurs ouvrages, notamment Ṭabaqāt ‘ulamā’ Ifrīqiya de
Muḥammad b. Saḥnūn (m. 256/869) et Ṭabaqāt ‘ulamā’ Ifrīqiya
wa Tūnis d’Abū l‑‘Arab (m. 333/944) sont un témoignage de cette
définition du territoire à la fois par les élites savantes et
politiques. Cette caractérisation est renforcée par une série de
hadiths mettant en valeur cette entité géographique et ses
conquérants musulmans 23 . C’est à travers cette production que
se dessinent les images que se font les musulmans installés sur
ces territoires des populations préislamiques du Maghreb. Dans
le chapitre consacré aux mérites (faḍā’il) de l’Ifrīqiya, Abū l‑‘Arab
rapporte des traditions attribuées au prophète Muḥammad
mettant en avant les gens de l’Ifrīqiya :
Certes, des gens de mon peuple de l’Ifrīqiya viendront, au jour de la
résurrection, avec des visages dont l’éclat sera plus vif que celui de
la lune dans sa quatorzième nuit 24 .
11 Dans un autre hadith, la ville de Monastir est considérée comme
l’une des portes du paradis 25 et les gens du Maghreb (ahl
al‑Maġrib) sont promis aux premiers rangs dans l’autre monde
26 . Cependant, dans ces hadiths il est manifeste que les

populations présentes au Maghreb au moment de la conquête ne


sont pas toutes concernées par cette promesse divine. Au
contraire, les Berbères font partie d’une catégorie indésirable,
comme on le constate dans un autre récit. Ainsi, le célèbre dévot
de Kairouan, al‑Bahlūl b. Rāšid (m. 183/799) aurait invité ses
amis à manger après avoir pris connaissance qu’il n’était pas
berbère 27 . Cette image négative concernant une grande partie
des populations préislamiques du Maghreb est sans doute
associée à l’opposition politique mais aussi religieuse manifestée
par les Berbères à l’égard de l’Ifrīqiya omeyyade puis aghlabide.
Les populations installées autour de l’Ifrīqiya sont en fait
considérées tantôt comme rebelles à l’ordre califal, tantôt comme
hérétiques.
12 Cette négation des populations rangées dans la catégorie Barbar
se vérifie avec les textes juridiques mālikites. Ainsi, dans la
recension du Muwaṭṭa’ par l’Andalou, Yaḥyā b. Yaḥyā al‑Layṯī,
d’origine des Berbères Maṣmūda, il est écrit que le calife ‘Uṯmān
aurait collecté l’impôt de capitation (ğizya) des Barbar-s, car ils
s’opposèrent à l’islam 28 . La circulation de cette image et la
catégorisation des Barbar-s comme un groupe spécifique
trouvent progressivement une place dans la production juridique
mālikite. Il semblerait que la jurisprudence mālikite de Kairouan
prend la langue comme base d’identification des Berbères. Ainsi,
Ibn Abī Zayd al‑Qayrawānī (m. 386/996) fut consulté sur un
homme berbère qui ne connaît pas l’arabe, faisant sa prière en
berbère. Il répondit qu’il est permis de le faire 29 . C’est donc par
rapport aux Arabes et à l’islam des califes que se construisent les
images et la catégorisation des populations préislamiques du
Maghreb.

Un regard intérieur : Ibn Sallām al-


Luwātī
13 Au moment où se construit une image négative des Berbères
dans l’Ifrīqiya habitée largement par les Orientaux, les territoires
acquis à la cause ibadite commencent à se manifester
culturellement après une période marquée par les troubles
politiques et militaires. Ainsi, Ibn Sallām al‑Luwātī (m. vers
274/887) compose l’un des plus anciens textes narratifs du
Maghreb islamique dans lequel il relate l’histoire de l’ibadisme
des origines à son époque. Ce récit, qui a été modifié par la
suite, nous permet d’avoir une idée sur le discours élaboré par
une communauté berbère au e siècle. Issu des Berbères
Luwāta de Tripolitaine, Ibn Sallām rapporte plusieurs traditions
prophétiques s’inscrivant dans le cadre des mérites (faḍā’īl).
Employant la dénomination Barbar pour désigner les populations
des territoires ibadites, il insiste sur le fait que les rapports des
Berbères à l’islam remontent au temps du Prophète. Ce dernier
aurait été informé par Dieu de la bonne religiosité des Berbères,
car ces derniers auront pour mission la renaissance de l’islam 30
. L’ibadisme, désormais approprié par les Berbères, se considère
comme le représentant légitime de la communauté musulmane
(al‑ğamā‘a), ce qui s’étend aux populations non-arabes de
Tripolitaine. Dans le récit d’Ibn Sallām, on voit ainsi les Luwāta
s’identifier comme étant Barbar lors de la visite rendue par un
groupe, issu de cette communauté, au calife ‘Umar b. al‑Ḫaṭṭāb
31 .

14 Le texte d’Ibn Sallām emploie donc le mot barbar pour désigner


un ensemble de communautés anciennes converties à
l’ibadisme. Cependant, l’expression ahl al-Maġrib (« les gens du
Maghreb ») est aussi en usage, par exemple lorsque l’auteur cite
une lettre adressée par Abū ‘Īsā Ibrāhīm b. Ismā‘īl al‑Ḫurasānī
aux ibadites maghrébins.
15 À la même époque, la ville de Tāhart connut la composition d’une
chronique dynastique consacrée aux imams rustumides, dans
laquelle on peut trouver un discours relatif aux Berbères. Son
auteur est Ibn al‑Ṣaġīr al‑Mālikī qui vécut dans la seconde moitié
du e siècle. Dans cette chronique cependant, il faut noter que
les communautés ibadites de la région ne s’identifient pas aux
Berbères, à l’exception des Luwāta. Le mot barbar n’est en effet
employé qu’une fois, à propos des chefs luwāta 32 . Il semble
que ce soit avant tout le sentiment d’appartenir à l’ibadisme qui
regroupe alors les communautés présentes au Maghreb au
moment de la conquête omeyyade, comme les Hawwāra,
Luwāta, Lamāya, Mazāta et Nafūsa.

La catégorisation des Berbères


16 Il est établi que les populations des territoires non soumis au
pouvoir central de Kairouan étaient toujours considérées comme
Barbar-s. Pourtant la littérature géographique des e et
e siècles permet de voir un monde berbère éclaté dont le

caractère commun est la survivance d’une toponymie que nous


considérons aujourd’hui comme berbère. Les auteurs de
descriptions géographiques s’appuient sur la langue pour
catégoriser les populations. Ainsi le marchand-missionnaire Ibn
Ḥawqal (m. après 367/977) entreprend plusieurs voyages au
Maghreb et en Afrique subsaharienne, au cours desquels il
distingue des peuplements considérés comme barbar, s’étendant
de la Cyrénaïque jusqu’à Tādmekka et Awdaġust dans le
Sahara. L’auteur ne dit pas grand-chose sur les critères de cette
classification, mais il situe généralement le peuplement berbère
dans les régions rurales ou dans les petites localités. Il range les
Lawāta, les Kutāma, les Hawwāra, les Zanāta, les Ṣanhāğa et
les Mazāta dans la même catégorie, al‑Barbar 33 . Les Berbères
d’après la description d’Ibn Ḥawqal sont une composante des
populations du Maghreb, aux côtés d’autres éléments que
l’auteur ne précise pas. En revanche, il livre à la fin du chapitre
consacré au Maghreb un tableau des branches formant les
Ṣanhāğa et les Zanāta. Ces derniers se composent de tribus
nombreuses réparties dans les territoires ruraux et le désert, et il
fait de Goliath leur ancêtre commun 34 .
17 De même, le géographe al‑Bakrī (m. 487/1094) nous livre des
renseignements importants sur le peuplement de plusieurs
régions pour lesquelles il renvoie aux faits linguistiques et
vestimentaires pour catégoriser les populations 35 . Ainsi, les
habitants de Syrte sont considérés comme n’étant ni Berbères, ni
Latins, ni Arabes, ni Coptes, car ils ne parlaient aucune de ces
quatre langues 36 . Mais à propos du territoire rural de Tripoli,
al‑Bakrī parle de Coptes vêtus à la manière des Berbères 37 .
Cette identification de groupes humains se retrouve pour d’autres
régions du Maghreb. Ainsi, après avoir parlé des Arabes et des
Africains de la ville de Gabès, al‑Bakrī mentionne le peuplement
alentour : les Luwāta, les Lamāya, les Nafūsa, les Zuwāġa et les
Zawāwa 38 . Il en est de même pour Ṭubna, Biskra, Tahūḏa,
Bāġāya, Bône, Monastir, Tiǧīs, Tāhart et Tanger. En outre, dans
les territoires présentés comme proprement berbères, al‑Bakrī
détaille la répartition géographique des tribus et donne parfois les
significations des toponymes berbères. Le peuplement berbère
d’après le texte d’al‑Bakrī s’étend au sud du Sahara, car l’auteur
identifie certaines communautés installées sur les axes routiers
menant à l’Afrique subsaharienne, notamment les Ğuḏāla et les
Masūfa 39 . Le critère retenu dans cette catégorisation semble
donc avoir été essentiellement linguistique, c’est-à-dire les
populations qui pratiquent la même langue. Telle est la
conclusion faite par al‑Bakrī lorsqu’il déclare son intention de
consacrer un chapitre de son livre aux Berbères 40 .
18 Cette catégorisation des Barbar-s dans la description et la
narration d’al‑Bakrī s’inspire sans doute de la catégorisation des
nations faite par les auteurs proches du califat omeyyade de
Cordoue. Dans le Kitāb ǧamharat ansāb al‑‘arab, Ibn Ḥazm de
Cordoue (m. 456/1063) consacre un chapitre à la généalogie des
Berbères aux côtés des Arabes, dans lequel il rejette les opinions
exprimées par les généalogistes yéménites quant aux origines
ḥimyarītes ou qaysītes des populations préislamiques du
Maghreb, et il évoque pour la première fois des généalogistes
berbères. Ces derniers rattachent les Berbères à Cham, fils de
Noé 41 . Il présente des chaînes généalogiques fictives,
notamment en ce qui concerne les Zanāta, dont l’ancêtre
supposé est Šāna b. Yaḥyā 42 . Il est à noter qu’Ibn Ḥazm nous
donne un tableau de tribus berbères dont les ethnonymes sont
arabisés. Aussi, il mentionne un peuplement berbère en
al‑Andalus à travers une liste de familles issues de différentes
communautés anciennes du Maghreb, attestant une
catégorisation des populations préislamiques sous la
dénomination de Barbar. Cependant, il cite également certains
généalogistes berbères qui donnent aux Sadrāta, Mazāta et
Lawāta, c’est-à-dire aux nomades ibadites du Maghreb oriental,
une origine copte 43 .
19 Ibn Ḥazm se démarque donc des généalogistes yéménites qui
font descendre les Ṣanhāğa et les Kutāma de Ḥimyar 44 , mais il
reprend d’autres traditions orientales. Ces dernières regroupent
les populations du Maghreb dans la catégorie dénommée Barbar
ou Barābira. Ainsi, al‑Ṭabarī nous livre plusieurs récits dans
lesquels il est dit que Misrāym serait l’ancêtre commun des
Coptes (al‑Qubṭ) et des Berbères (al-Barbar) 45 . Dans un autre
passage, l’auteur reprend la tradition biblique et voit en Cham
(Hām) l’ancêtre des Berbères, aux côtés des Coptes et des gens
du Soudan 46 . Une troisième opinion enfin est avancée par
al‑Ṭabarī, qui donne aux Berbères une origine cananéenne du
Levant 47 , un fait qui renvoie à la fondation de Carthage par les
Phéniciens.
20 Les Berbères sont désormais l’une des nations du monde. Ainsi,
Ṣā‘id al‑Andalusī (m. 462/1070), auteur de la classification des
nations, Kitāb ṭabaqāt al‑umam, les range dans la quatrième
nation, aux côtés des Coptes et des Noirs 48 , signe de la
diffusion, dans l’Andalus des Omeyyades, de cette catégorisation
des Berbères.
21 Cette catégorisation est cependant loin de faire l’unanimité parmi
les auteurs maghrébins, car ces derniers utilisent parfois d’autres
noms pour désigner les populations et leurs langues. Ainsi, Abū
l‑‘Abbās al‑‘Azafī (m. 633/1235), dans son récit hagiographique
consacré au grand saint de la région de Marrakech, Abū Ya‘izza,
donne de nombreuses explications des mots parlés par les
« gens de la campagne berbère », qu’il qualifie comme une
langue occidentale (al‑lisān al‑ġarbī) 49 sans doute par
opposition à une langue orientale 50 . Les différents mots
rapportés par l’auteur montrent bel et bien qu’il s’agissait de l’une
des variantes de la langue berbère 51 . En outre, Abū l‑‘Abbās
al‑‘Azafī donne une explication du mot māzīġ, mon seigneur 52 ,
sans aucun rapport à l’ancêtre éponyme, Amāzīġ, revendiqué par
certaines communautés autochtones.
22 Dans l’espace socioculturel ibadite, le vocable barbar est
employé pour désigner les Berbères et leur langue (bi‑lisān
al‑barbar, al-barbariyya). L’exemple d’al‑Darğīnī (m. 774/1372)
est significatif. Dans son entreprise visant à rapporter l’histoire
des ibadites selon des catégories (ṭabaqāt), cet auteur fournit un
nombre impressionnant de toponymes berbères ou berbérisés, et
de mots et expressions qu’il traduit en arabe 53 . La lecture du
texte montre que le mot barbariyya ou l’expression al‑lisān
al‑barbarī font référence à la langue parlée par ces populations,
que l’auteur désigne comme la langue des ibadites, en
l’occurrence des Zanāta, des Nafūsa et des Mazāta 54 .
Cependant, les Ṣanhāğa ont leur propre langue que l’auteur
désigne sous les vocables de lisān al-Ṣanhāğa 55 .
23 Enfin, les récits rapportés par le géographe anonyme du Kitāb
al‑istibṣār fī ‘ağā’ib al‑amṣār (fin du e siècle) récapitulent les
différents discours sur les Berbères. Bien que la présence des
tribus berbères sur les territoires s’étendant de l’ouest
d’Alexandrie jusqu’à l’océan atlantique soit affirmée, l’auteur
prétend que les Francs (Ifranğ) forment la plus ancienne
population du Maghreb installée sur les territoires de l’Ifrīqiya. La
venue des Berbères de l’Orient aurait provoqué leur repli sur les
îles de la Méditerranée, avant qu’un compromis entraîne leur
retour. C’est à la suite de ce pacte que les Berbères auraient
décidé d’habiter les montagnes, les Francs s’installant dans les
villes. Quant aux origines des Berbères, deux visions
contradictoires circulent : ils seraient les descendants des
Amalécites de Goliath ou ils seraient d’origine muḍarīte (de
Fārūq b. Muḍar, dont serait tiré le toponyme Ifrīqiya) 56 . Tout au
long de sa description, l’auteur s’intéresse au peuplement vu
comme berbère, présentant, comme ses prédécesseurs, des
ethnonymes arabisés de la même manière.

L’ancienneté d’une nation : les


Berbères dans la production historique
du e siècle
24 L’Islam d’Occident connaît une production notable d’écrits
historiques aux e et e siècles. Je me contenterai ici

d’analyser quatre textes qui reflètent l’évolution du discours sur


les Berbères à la fin du Moyen Âge.
25 Le premier est une compilation faite par Ibn ‘Iḏārī al‑Marrākušī
entre 690/1291 et 712/1312 et relative à l’histoire de l’Occident
musulman. Ne donnant aucune information notable sur le passé
préislamique, elle commence par les expéditions militaires
permettant d’imposer la domination omeyyade à l’Afrique
byzantine. Comme dans la tradition kairouanaise relative à la
conquête omeyyade, il n’y a aucune mention de Barbar-s dans
plusieurs hadiths relatifs aux mérites du Maghreb. De même,
l’auteur se contente de mentionner deux acteurs face à la
conquête omeyyade, les Afāriqa et les Rūm-s, ignorant
totalement les Berbères jusqu’à l’expédition menée par ‘Uqba
dans le Maghreb occidental 57 . À partir de cette période, les
Berbères sont mentionnés mais sans fournir le moindre détail sur
ce peuplement, malgré l’évocation de quelques groupes
considérés comme Berbères par d’autres sources, les Luwāta,
les Hawwāra, les Zuwāġa, les Maṭmāṭa et les Zanāta.
L’appartenance religieuse semble avoir été la base de la
distinction faite par Ibn ‘Iḏārī al‑Marrākušī lorsqu’il parle des
chrétiens (naṣāra/Nazaréens) et des Berbères de l’Ifrīqiya, et il
précise que ces derniers ne se sont jamais convertis au
christianisme 58 . Dès l’avènement d’al‑Kāhina, le fait berbère est
remarquablement présent dans le récit. Installée dans l’Aurès,
cette femme est désignée comme reine des Berbères, mais sans
aucune précision. Après avoir rapporté les conversions à l’islam,
les révoltes anti-califales et « l’apostasie » des Barġawāṭa 59 ,
l’auteur accorde une place à la généalogie des Berbères,
reprenant les traditions attribuées aux généalogistes berbères tel
Ibn Abī l‑Mağd al‑Maġīlī. Dans le cas des Zanāta, il écrit qu’ils
descendent de Ğāna dont l’ancêtre serait Māzīġ 60 . Comme Ibn
‘Abd al‑Ḥakam, Ibn ‘Iḏārī al‑Marrākušī reprend le thème de la
dichotomie Butr/Barānis, pour dresser son tableau des tribus 61 .
26 Après l’islamisation et l’éradication des « hérésies », toutes les
populations préislamiques du Maghreb central et extrême sont
rangées dans la catégorie de Barbar, reposant sur un critère
purement linguistique. L’auteur cherche à établir une généalogie
montrant leur ancienneté et leur origine orientale, faisant par
exemple descendre les Zanāta de Tlemcen des Arabes Qaysītes
62 . Rébellion et hérésie sont indissociables des Berbères, mais

cette image s’estompe après la diffusion du malikisme et la prise


du pouvoir par des dynasties locales. Un rôle constructif leur est
reconnu dès l’avènement des Zirīdes, et avec la fondation par la
suite de plusieurs dynasties berbères.
27 Dans le Maghreb al-Aqṣā, Ibn ‘Abd al-Ḥalīm ( e/ e siècle)
compose le Kitāb al‑ansāb, dans lequel il aborde largement la
question des origines des Berbères. Il emploie le nom de
Maġārib pour désigner trois régions du nord de l’Afrique :
al‑Maġrib al‑fawqī (le Haut Maghreb) pour la région s’étendant de
la mer Rouge à la Cyrénaïque, al‑Maġrib al‑wasaṭī (le Maghreb
central) pour la région comprise entre la Cyrénaïque et Tanger, et
enfin al‑Maġrib al‑Aqṣā pour la façade atlantique du Maghreb 63 .
Quant au peuplement, les Berbères et les gens du Soudan sont
rattachés aux Cananéens du Levant, et il situe la tombe de Kūš,
frère de Canaan, dans le Sous. La tradition biblique est reprise
pour expliquer la diversité des peuples musulmans : les Arabes
seraient les descendants de Sem, les Turcs seraient ceux de
Jafet, et les Berbères, avec les Coptes et les gens du Soudan,
seraient les fils de Cham. Après le Déluge, les anges partagèrent
les territoires du monde entre les fils de Noé, le Maghreb étant
donné à Cham avec le continent africain 64 . Pour expliquer le
lien entre les Cananéens et les Berbères, Ibn ‘Abd al‑Ḥalīm
rapporte des traditions selon lesquelles Cham se rendit en
Palestine où il dut affronter les fils de Sem. Après de violents
affrontements, il gagna le Maghreb 65 . Le récit de Goliath est
avancé également pour rattacher les Berbères au Levant. C’est à
la suite d’un déplacement forcé des nouveaux venus, désormais
berbères, qu’une lutte se déclencha contre les Francs. Ces
derniers désertèrent le pays, laissant les tribus berbères
s’installer dans cette région, et Ibn ‘Abd al‑Ḥalīm donne alors un
tableau de la répartition des tribus partageant l’appartenance aux
Barābira 66 . Après avoir rapporté plusieurs traditions, l’auteur
relève que les généalogistes divergent sur les origines des
Berbères, récapitulant les opinions antérieures. Il semble
notamment avoir été fortement inspiré par le livre perdu d’Ibn Abī
l‑Maǧd al‑Maġīlī intitulé Tārīḫ al‑kan‘āniyīn wa l‑‘amālīq, qui
insiste sur l’origine orientale, qaysīte et cananéenne, des
Berbères.
28 Ibn ‘Abd al-Ḥalīm confirme cette présentation dans le chapitre
consacré aux populations du Maghreb al‑Aqṣā, précisant que les
Berbères quittèrent la Palestine et s’installèrent au Maghreb pour
rejoindre Cham dans la région de Salé. Le dualisme butr/barānis
trouve également sa place dans son texte, mais en rattachant les
deux branches aux Arabes Qaysītes et Muḍarītes 67 . Enfin il
achève son ouvrage par les récits sur les mérites des Berbères
et leur primauté dans l’islam. Comme dans les traditions ibadites,
l’islam des Berbères remonte au temps de la prophétie de
Muḥammad à Médine. Ainsi le deuxième calife de l’Islam, ‘Umar
b. al‑Ḫaṭṭāb, aurait annoncé que l’islam renaîtra grâce aux
Berbères, et le prophète Muḥammad aurait dit que ses petits-fils
al‑Ḥasan et al‑Ḥusayn, seront chassés de l’Orient et ne
trouveront refuge que chez les Berbères 68 .
29 Les Berbères forment désormais une catégorie importante de la
Umma islamique. Ils sont rattachés à l’Orient par leur passé
préislamique. Cependant, le récit d’Ibn ‘Abd al‑Ḥalīm ne permet
pas de clarifier les rapports entre les différents groupes berbères.
30 Ce discours se retrouve dans un autre texte, le Kitāb mafāḫir
al‑barbar, qui serait l’œuvre du même Ibn ‘Abd al‑Ḥalīm. Après
un préambule sur les motifs pour lesquels le livre est composé,
l’auteur catégorise clairement les Berbères comme une nation,
qui a été souvent mal considérée 69 . Dans son développement
sur le rôle des Berbères dans l’Occident musulman, l’auteur
donne la généalogie des Kutāma : Kutām b. Barnus b. Māzīġ
b. Kan‘ān b. Ḥām b. Nūḥ 70 . Comme dans le Kitāb al‑ansāb, on
voit que les Berbères Barānis se réclament de leur ancêtre
commun, Māzīġ, que l’on retrouve dans les textes antiques sous
le nom de Mazax. Māzīġ est associé à la tradition rattachant les
Berbères aux Cananéens du Levant, tout en reprenant la
tradition biblique des fils de Cham, fils de Noé. En reprenant
l’opinion exprimée par le généalogiste berbère Ibn Abī l‑Maǧd
al‑Maġīlī dans son Kitāb al‑ansāb, Ibn ‘Abd al‑Ḥalīm subdivise
les Berbères en deux catégories, la première étant celle des
Barānis dont l’ancêtre est Māzīġ fils de Cham. Son tableau des
tribus montre que la catégorie Barānis regroupe les
communautés agricoles. En revanche, les Butr, formant la
seconde catégorie, sont composés de communautés pastorales
comme les Zanāta, les Luwāta et les Nafza. Et pour conclure,
l’auteur rapporte lui aussi plusieurs hadiths sur les mérites des
Berbères, ces derniers étant annoncés comme étant les porteurs
du message de Muḥammad 71 .
31 Enfin, l’ouvrage monumental d’Ibn Ḫaldūn (m. 808/1406) est une
somme qui reprend en grande partie le discours médiéval sur les
populations préislamiques du Maghreb. Dans sa chronique, Kitāb
al‑‘ibar wa dīwān al‑mubtada’ wa l‑ḫabar fī ayyām al‑‘Arab wa
l‑‘Ağam wa l‑Barbar 72 , qui fut rédigée à la demande du sultan
ḥafṣīde Abū Isḥāq (751-770/1350-1369), il consacre sa troisième
partie à l’histoire des tribus et des dynasties berbères du
Maghreb. Cette partie commence par un chapitre intitulé « Notice
sur les tribus et les dynasties berbères, l’un des deux grands
peuples qui habitent le Maghreb. Histoire de cette génération
depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours et exposé de
diverses opinions qu’on a énoncées au sujet de son origine. »
32 D’emblée, Ibn Ḫaldūn reconnaît l’ancienneté du peuplement
berbère au Maghreb :
Depuis les temps les plus anciens, cette génération d’hommes [ǧīl]
habite le Maghreb dont elle a peuplé les plaines, les montagnes, les
plateaux, les régions maritimes, les campagnes et les villes 73 .
33 Il décrit des populations s’adonnant à l’élevage et à l’agriculture.
Comme ses prédécesseurs, il rapporte des opinions divergentes
sur les origines des Berbères. Ces derniers se divisent en deux
catégories, Butr et Barānis, rappelant le discours d’Ibn ‘Abd
al‑Ḥakam et d’autres. Des origines yéménites, persanes,
ḥimyarītes, judaymīdes, laḫmīdes et la descendance de Goliath
ou de Māzīġ, fils de Canaan fils de Cham, sont récapitulées par
l’auteur. Mais il rejette la majorité de ces opinions :
Sachez maintenant que toutes ces hypothèses sont erronées et bien
éloignées de la vérité 74 .
34 Ibn Ḫaldūn rapporte donc les diverses opinions sur les origines
des populations préislamiques du Maghreb, du Yémen au
Levant, et il les critique en tentant de donner des arguments.
Mais il ne peut pas finalement se démarquer de la culture
dominante tendant à montrer leur origine orientale. Cependant, il
rejette leur origine arabe :
Prétentions que je regarde comme mal fondées ; car la situation des
lieux qu’habitent ces tribus et l’examen du langage étranger qu’elles
parlent prouvent suffisamment qu’elles n’ont rien de commun avec
les Arabes. J’en excepte seulement les Ṣanhāǧa et les Kutāma, qui,
au dire des généalogistes arabes eux-mêmes, appartiennent à cette
nation ; opinion qui s’accorde avec la mienne 75 .
35 Après plusieurs contradictions, Ibn Ḫaldūn reprend la
cosmographie biblique telle qu’elle est rapportée notamment par
Ibn al‑Kalbī et al‑Ṭabarī, mais en ajoutant le nom d’un certain
Māzīġ comme fils de Canaan, fils de Cham, fils de Noé, comme
ancêtre commun des Berbères, à l’exception des Ṣanhāǧa et des
Kutāma.
36 Outre les modes de vie et l’occupation du sol, la langue est la
base de la catégorisation des Berbères par Ibn Ḫaldūn :
Leur langue est un idiome étranger, différent de tout autre :
circonstance qui leur a valu le nom de Barbar. Voici comment on
raconte la chose : Ifīqaš fils de Qays fils de Sayfi, l’un des rois Tubba,
envahit le Maghreb et l’Ifrīqiya, et y bâtit des bourgs et des villes
après en avoir tué le roi. Ce fut même d’après lui, à ce que l’on
prétend, que ce pays fut nommé Ifrīqiya. Lorsqu’il eut vu ce peuple
de race étrangère et qu’il eut entendu parler un langage dont les
variétés et les dialectes frappèrent son attention, il céda à
l’étonnement et s’écria : « Quel barbara est le vôtre ». On les nomma
Barbar pour cette raison. Le mot barbara signifie, en arabe, un
mélange de cris inintelligibles ; de là on dit, en parlant du lion, qu’il
berbère, quand il pousse des rugissements confus 76 .
37 La berbérité est donc une distinction linguistique donnée par les
récits légendaires, sans aucun rapport au vocable antique. La
nation des Berbères s’affirme de manière claire chez Ibn Ḫaldūn :
Les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave
et nombreux ; un vrai peuple comme tant d’autres dans ce monde,
tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains 77 .
38 La prise de pouvoir par des dynasties issues des Zanāta est
accompagnée par une revendication d’une appartenance arabe.
Le chérifisme devient un discours supportant la légitimité
politique 78 . Les auteurs proches du pouvoir font circuler l’idée
d’une origine arabe ‘alīde des Zayyānides de Tlemcen et des
Mérinides de Fès. Sans verser dans ce débat, il suffit de rappeler
que Muḥammad b. ‘Abd Allāh al‑Tanasī (m. 899/1494) affirme
dans sa chronique dynastique, Nuẓum al‑ḏurr wa l‑‘iqyān fī bayān
šaraf Banī Ziyyān, que les Zanāta sont d’origine arabe et que les
Zayyānides sont les descendants des nobles idrisīdes 79 .
39 Le discours sur les populations présentes au Maghreb au
moment de la conquête omeyyade connaît donc une évolution
notable au Moyen Âge. Durant les premiers siècles de l’Islam, le
Maghreb est vu par les yeux de ses conquérants 80 . L’origine
des temps n’est pas musulmane et la mémoire collective
recherche en premier lieu les traces de l’histoire prophétique 81
et, surtout, biblique. Des récits attribuent à Cham la fondation de
villes ou de mosquées, ou rapportent la légende qui fait
descendre les Berbères des Cananéens, chassés de Palestine
par les Juifs. Tous ces récits rattachent en effet le peuplement du
Maghreb au Proche-Orient ancien.
40 De manière progressive, les populations préislamiques sont
désignées sous le nom de Barbar, entraînant la disparition des
autres groupes humains, comme les Latins africains, les Goths et
les Grecs 82 . À partir de la première moitié du e siècle le sens
du mot barbar s’élargit pour intégrer d’autres groupes, dont le
seul caractère commun semble avoir été linguistique. Pourtant,
les populations autochtones du Maghreb oriental avaient subi
des transformations juridiques, politiques et sociales durant les
siècles romains. Les gentes barbarae ne sont plus mentionnés
dans la région et ils sont remplacés par les Africains, c’est-à-dire
des « autochtones romanisés 83 », que les premiers textes
arabes désignent sous la dénomination de Afāriqa. Bien que ce
vocable ait disparu, d’autres dénominations antiques trouvent
leur place dans la production narrative du Moyen Âge, comme
les Ucutamani 84 , qui sont arabisés en Kutāma et rangés dans
la catégorie des Berbères. Mais le vocable mauri n’est plus
reconduit dans le contexte musulman 85 . Au contraire, le mot
afri (« africains ») est employé pour désigner une partie de la
population de l’Ifrīqiya au moment des conquêtes omeyyades.
41 Comme l’ont montré Ramzi Rouighi et d’autres, cette
catégorisation aurait pour origine al‑Andalus sous les
Omeyyades au e siècle. Ce processus de « berbérisation »,

ou plutôt de catégorisation, se généralise à l’ensemble du


Maghreb. En se fondant sur la Crónica mozárabe de 754, qui
mentionne les Maures dans la bataille qui oppose le patrice
Grégoire aux troupes omeyyades, Ramzi Rouighi pense que les
groupes locaux présents au Maghreb au moment de la conquête
sont considérés comme étant Maures et qu’il n’y a pas lieu de
parler de Berbères. En se référant aux réalités sociales et
politiques, les Omeyyades auraient inventé une nouvelle
catégorie, al‑Barbar, désignés en tant que nation à part entière
pour légitimer un groupe distinct au service des Omeyyades 86 .
Bien que les données disponibles permettent d’appréhender le
rôle d’al‑Andalus omeyyade dans cette catégorisation des
Barbar-s, les matériaux linguistiques relativisent l’idée d’une
invention andalouse des Berbères, car les communautés ayant
un trait commun avec les désormais Berbères sont identifiées en
dehors du Maghreb et d’al‑Andalus, en Afrique subsaharienne et
en Égypte par exemple. Les différentes populations du Maghreb
présentes au moment de la conquête omeyyade sont donc
rangées dans une seule catégorie, al‑Barbar, avec la disparition
non seulement du nom Maurus, mais aussi d’Africains et de
Grecs. Il s’agit effectivement d’un processus qui permet la
réunification de plusieurs communautés sous la même bannière.
Les conquérants musulmans n’avaient-ils pas une connaissance
de la dénomination Maurus, et comment le mot barbar a-t-il été
introduit dans le vocabulaire arabe médiéval ?
42 Les recherches menées par Ramzi Rouighi pourraient nous
donner un élément de réponse même si elles sont fondées sur
une documentation textuelle tardive. Le mot barbar est présent
dans la poésie et la littérature arabes préislamiques pour
désigner, comme dans la littérature gréco-latine, un espace
géographique situé à l’est de la mer Rouge sans référence à un
peuple 87 . C’est probablement cette connaissance qui aurait été
reprise par les premiers musulmans pour désigner les territoires
échappant à l’autorité des califes. Cependant, la lecture des plus
anciens récits de conquêtes remet en question cette affirmation,
car les Lawāta et les Zanāta par exemple sont considérés
comme Barbar-s au e siècle, et les travaux récents ont montré
la continuité du peuplement et de l’ethnonymie depuis l’époque
romaine.
43 Après deux siècles de la présence musulmane au Maghreb,
toutes les populations présentes au moment de la conquête
arabe sont désormais rangées dans une seule catégorie, les
Berbères. Pour ce faire, les auteurs reprennent donc des
légendes antiques et la tradition biblique. Cette démarche se
heurte à une divergence profonde à cause des enjeux politiques
à la suite de la prise du pouvoir par des dynasties autochtones.
L’appartenance à la berbérité semble donc avoir été linguistique
et culturelle.

NOTES
1. Sur le peuplement préhistorique, voir à titre d’exemple H ,
2000, pp. 7-10, qui le décrit de manière controversée.
2. « Dès la plus haute Antiquité, des récits circulaient chez les
mythographes sur les origines des habitants du Nord de l’Afrique,
ceux que nous avons l’habitude de nommer Berbères. Certaines
de ces légendes connurent un succès qui franchit les siècles.
Salluste ( er siècle av. J.-C.) distinguait une première strate de
peuplement constituée par les Gétules et les Libyens. » (C ,
1996, p. 7). Pour le Moyen Âge, voir à titre d’exemple B ,
F , 1996, pp. 116‑119 ; A ‑F , 1992 ; S ,
2000. On peut aussi signaler les travaux s’inscrivant dans des
perspectives historique, linguistique et anthropologique publiés
dans le volume Imazighen del Maghreb entre Occidente y
Oriente, R A (éd.), 1994.
3. Voir à titre d’exemple, C , 2007.
4. S , 2000.
5.V B , 2003.
6.N , 1982.
7.R , 2010 et 2011 ; voir également son article dans ce
volume, pp. 000-000.
8.M’ , 2014 et 2015.
9. Lettre de Qurra b. Šarīk, gouverneur de l’Égypte, aux gens de
Banda, Bardiyyāt Qurra b. Šarīk, éd. par A Ṣ , 2004, p.
211.
10.I Q , al-Imāma, pp. 288 et 292-308.
11.Ḫ B. Ḫ ṭ, Tārīḫ, pp. 138 et 175.
12.Ibid., pp. 175 et 183.
13.Ibid., p. 207.
14.Ibid., pp. 231 et 257.
15.A -B ḏ , Kitāb futūḥ al‑buldān, Beyrouth, 2000, pp. 222-
223 et 227.
16. Selon ces mêmes traditions, le nom de l’Ifrīqiya aurait deux
origines ; le pays perfide (mufarraq), car ces habitants auraient
trahi le gouverneur byzantin. La seconde origine aurait été tirée
du personnage mythique préislamique, Ifrīqaš b. Qays b. Sayfī
al-Ḥimyarī (ibid., p. 227).
17.Ibid.
18. « En cette année (153/770) fut tué ‘Umar b. Ḥafṣ b. ‘Uṯmān b.
Abī Ṣufra en Ifrīqiya par l’ibādite Abū Ḥātim, Abū ‘Ād et les
Berbères qui étaient avec eux » ( -Ṭ , Tārīḫ al-umam,
Beyrouth, 2003, vol. 4, pp. 504 et 600).
19. I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par I
‘U , 1995, p. 212.
20.Ibid., pp. 220-229.
21.Ibid., pp. 242-253.
22. Sur la division des Berbères en Butr et Barānis et sa relation
avec les modes de vie, voir B , 1981 ; M , 2003b,
pp. 711‑742.
23. Voir K , 2006, pp. 16-17.
24.A -‘A , Ṭabaqāt, trad. de B C , 2009, p. 2.
25. « Il y a une des portes du Paradis que l’on appelle al-
Monastir : on y entre par la faveur de la miséricorde de Dieu et
on sort par l’effet de son pardon » (ibid., p. 5).
26.Ibid., p. 18.
27.Ibid., pp. 34-35.
28.M .A , al-Muwaṭṭa’, p. 187.
29.I A Z -Q , Fatāwā, éd. par L ḥ , 2004,
pp. 103-104.
30.I S -L , Kitāb bad’ al-islām, éd. par S
et I Y ‘ , 1985, p. 145.
31.Ibid., p. 146.
32.I -Ṣ , Aḫbār al-a’imma al-rustumiyīn, éd. par N ṣ et
B ḥḥ , 1986, p. 45.
33.I Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, Beyrouth, 1992, pp. 69-97.
Les Berbères sont associés notamment à la rébellion et aux
schismes.
34. Ibid., pp. 97-103.
35. Sur les matériaux linguistiques berbères dans l’ouvrage d’al-
Bakrī et d’al-Idrīsī, voir C , 1983 ; M , 2010-2011.
36.A -B , Kitāb al-Masālik, éd. par Ṭ , 2003, vol. 2, p.
177.
37.Ibid., p. 178.
38.Ibid., p. 189.
39.Ibid., pp. 349-350.
40.Ibid., p. 373.
41. « Les gens dirent, ils sont les descendants de Cham, fis de
Noé, que la bénédiction soit sur lui. D’autres prétendent qu’ils
sont du Yémen et certains disent qu’ils descendent de Barr
b. Qays b. ‘Aylān. Cela est faux » (I Ḥ , Kitāb ǧamharat
ansāb al‑ʻarab, Beyrouth, 2001, p. 495).
42.Ibid., pp. 495-498. Ğāna, chez Ibn Ḫaldūn qui serait
l’équivalent de Zana, dont l’ethnonyme berbère iznātan et ses
transpositions arabes (Zanātan, Banū Zāna, Banū Ğāna) sont
identifiables dans les sources antiques avec l’adaptation de
Dianenses, Odianenses, Zanenses, Auzanenses (voir M’ ,
2015, pp. 463-466).
43.Ibid., p. 498.
44.A -Ṭ , Tārīḫ al-umam, Beyrouth, 2003, vol. 1, p. 261. Cet
auteur reprend les récits rapportés par Ibn al-Kalbī : « Wa aqāma
min Ḥimyar fī-l-Barbar Sanhāğa wa Kutāma, fahum fīhi minā al-
yawm ».
45.Ibid., p. 127.
46.Ibid., p. 129.
47.Ibid., p. 261.
48.Ṣ ‘ -A , Kitāb ṭabaqāt al-umam, p. 38.
49.A -‘A , Da‘āmat al-yaqīn, pp. 37-38 et 46.
50. Voir le texte de Mehdi Ghouirgate dans ce volume, pp. 000-
000.
51. Sur les matériaux linguistiques relatifs à la langue berbère
dans le Da‘āmat al-yaqīn de al-‘Azafī, voir M , 2008.
52.A -‘A , Da‘āmat al-yaqīn, p. 63.
53.A -D , Kitāb ṭabaqāt al‑mašā’iḫ, éd. par Ṭ , 1974,
vol. 2, pp. 312-416.
54. Sur les dénominations et les vestiges de la langue berbère
dans les textes ibadites, voir M , 2016, pp. 297-360 ; O -
B , 2008 ; B , 2017.
55.A -D , Kitāb ṭabaqāt al-mašā’iḫ, éd. par Ṭ , 1974,
vol. 2, p. 408.
56.Kitāb al-istibṣār, éd. par ‘A -Ḥ , 1958, pp. 109 et 155-
156.
57.I ‘Iḏ -M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, éd. par
C et L -P , 1983, vol. 1, pp. 6-25.
58.Ibid., pp. 25-26.
59.Ibid., pp. 48-65.
60. Ğāna b. Yaḥyá b. Sūlāt b. Wartnāğ b. Farā b. Safkū b. Māzīġ.
61. Dans la catégorie des Barānis, on trouve notamment les
Kutāma, les Maṣmūda, les Awraba, les Wazdāğa (I ‘Iḏ -
M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, éd. par C et L -
P , 1983, vol. 1, p. 65).
62.Ibid., p. 300.
63.I ‘A -Ḥ , Kitāb al-ansāb, éd. par Y ‘ , 1996, p. 15.
64. « Le partage du monde entre les trois fils de Noé est une
tradition répandue chez les auteurs médiévaux. Cette tradition
qui s’inspire de la Bible est l’adaptation chrétienne de la
conception cosmographique antique et païenne de la division
tripartie du monde. Dans la filiation de cette tradition figure à
l’origine la chronique d’Hippolytus Portuensis (1re moitié du e
siècle apr. J.-C.) » (C , 2008, p. 3).
65.I ‘A -Ḥ , Kitāb al-ansāb, éd. par Y ‘ , 1996, pp.
19-26.
66. « Les Luwāta s’installèrent à Tanger, les Hawwāra
s’établissent à Tripoli, les Nafūsa à Sabra, les Maġrāwa
s’installèrent dans la Qasṭīliyya, les Zanāta près de l’Aurès et les
Kutāma trouvèrent les territoires de l’Ifrīqiya » (ibid., p. 37).
67. « Il y a deux branches de Berbères : les Berbères qaysītes et
les Berbères burnus. Les Berbères qaysītes sont les fils de Bar
fils de Qays fils de ‘Aylān » (ibid., p. 50).
68.Ibid., p. 76.
69.Kitāb mafāḫir al-barbar, éd. par Y ‘ , 1996, p. 121.
70.Ibid., p. 190.
71. Ibid., p. 239.
72. La présence berbère dans l’ouvrage d’Ibn Ḫaldūn ne se limite
pas à la troisième partie, et elle est aussi très forte dans la
première, intitulée Kitāb al-‘umrān, autrement dit la Muqaddima
(voir S , 1982, p. 87).
73.I Ḫ , Kitāb al-‘ibar, trad. de M G S ,
1969, vol. 1, p. 215.
74.Ibid., pp. 126-137.
75.Ibid., p. 139.
76.Ibid., pp. 125-126.
77.Ibid., p. 149.
78. Évariste Lévi-Provençal a bien montré la continuité du
discours des chorfas. Sur cette question, voir B , 2006.
Sur la légitimation généalogique en Occident musulman à la fin
du Moyen Âge, on se reportera à l’article de B -G ,
2014.
79. A -T , Naẓm al-durr, pp. 109-110.
80.L , 1975, vol. 1, p. 12.
81.D , 1987, p. 243.
82. Sur le peuplement du Maghreb à la veille de la conquête
omeyyade, voir K , 2010, pp. 66-68.
83.M , 2003b, p. 30.
84.Ibid., pp. 468-469.
85. Sur la réapparition des Maures au Maghreb oriental du
e siècle, voir M , 2003a.
86.R , 2010, pp. 97-99.
87.R , 2011, pp. 70-72.

AUTEUR
ALLAOUA AMARA
Université Émir Abdelkader, Constantine
« Dieu ouvrira une nouvelle
porte pour l’islam au Maghreb »
Ibn Sallām ( e/ e siècle) et les hadiths sur les Berbères, entre
Orient et ibadisme maghrébin

Cyrille Aillet

1 Parmi les sources maghrébines les plus anciennes, et les moins


connues, figure le Kitāb fīhi bad’ al‑islām. Ce « Livre sur le début
de l’islam » a été écrit vers 273/886-887 par un certain Ibn
Sallām b. ʻUmar, un auteur ibadite contemporain du grand
géographe irakien al‑Yaʻqūbī. Sa famille appartenait aux
Berbères Luwāta et était originaire du Djebel Nafūsa. Elle s’était
également implantée à Surt, sur la côte libyenne, et fréquentait la
Tripolitaine, l’Ifrīqiya, Kairouan, et la grande métropole
égyptienne de Fusṭāṭ, pour le commerce comme pour la
recherche du savoir. Il était le petit-fils de ʻUmar b. Imkitān, l’une
des figures pionnières de l’ibadisme dans le Djebel Nafūsa, mort
au combat contre les troupes kairouanaises en 144/761, et son
père avait été gouverneur de Surt au début du e siècle. Ibn
Sallām est donc l’héritier d’une mémoire familiale militante, qui
irrigue très largement son ouvrage. Celui-ci dresse en effet
comme un mémorial collectif des origines de l’ibadisme au
Maghreb, et ambitionne de fournir à ses adeptes une sorte de
bréviaire de la doctrine. Nous avons déjà retracé cet arrière-plan
biographique et idéologique dans une étude 1 qui complétait les
travaux de Werner Schwartz 2 .
2 Nous allons maintenant nous intéresser plus particulièrement aux
« mérites des Berbères » (faḍā’il al-Barbar) qui, vers la fin de ce
livre, proclament à grand renfort de traditions prophétiques la
déchéance des Arabes comme porteurs de la Révélation au
profit des Berbères, chez qui s’ouvrira une nouvelle « porte pour
l’Islam ». Il s’agit plus particulièrement de trois hadiths, dont nous
fournissons la traduction et l’édition arabe. Ces trois pièces sont
rassemblées au beau milieu d’une séquence cohérente — ce qui
est rare dans ce traité composite — de qiṣaṣ, de courts récits à
portée historique qui retracent le développement de l’ibadisme
depuis la grande fitna du e siècle, son introduction au Maghreb
et la proclamation de l’imamat d’Abū l-Ḫattāb al‑Maʻāfirī (140-
144/757-761). La section qui leur est consacrée, intitulée
« Chapitre sur ce qui, dans la mémoire-trace [aṯar] issue du
Prophète, béni soit-il, concerne les éloges des Berbères », vient
interrompre le récit afin d’inscrire la « manifestation » (ẓuhūr)
politique de la doctrine en Occident dans une téléologie
historique dictée par la Révélation. La trame factuelle reprend
ensuite jusqu’à l’imamat d’Abū Ḥātim al‑Malzūzī et sa défaite en
155/772. Une liste des plus éminentes autorités religieuses de la
secte au Maghreb (tasmiyya) vient clore la narration.
3 Dans l’économie de l’ouvrage, ce chapitre occupe une place
stratégique, car il vient apporter la touche finale et la caution
prophétique à une entreprise de justification des révoltes qui ont
conduit à l’émancipation politique du Maghreb, tout
particulièrement sous l’égide des ibadites. Le recours aux hadiths
apparaît comme le couronnement d’une sémiotique dans laquelle
l’islam véritable (l’ibadisme) a désormais pour berceau le
Maghreb, et pour vecteur les Berbères. Face à ce nouveau
peuple élu se dresse l’Empire — tyrannique, persécuteur et
impie — que les « Arabes » incarnent collectivement aux yeux de
l’auteur.
4 De nos jours, ce discours est encore jugé suffisamment abrasif
pour que, dans un article récent, une historienne se lance, en
guise d’analyse, dans une critique de l’isnād de ces hadiths afin
d’en rejeter catégoriquement le contenu, reflet selon elle du
« malaise identitaire » et du « nationalisme » berbères 3 . Il est
vrai que, dans le camp des défenseurs de la cause
« amazighe », ce matériel sert de pièce à conviction pour un
plaidoyer pro domo. Il y a pourtant bien longtemps qu’Ignác
Goldziher, dans l’excellente étude qu’il a consacrée à la
littérature sur les mérites respectifs des peuples, la šuʻūbiyya,
s’est penché sur les hadiths qui véhiculaient selon lui une forme
de patriotisme, voire de « nationalisme » local, en valorisant la
place des peuples non-arabes dans l’Islam 4 . Tout en puisant
principalement ses exemples dans l’abondante production sur les
« mérites des Perses », l’islamologue hongrois avait même
souligné l’existence de ce phénomène parmi les ibadites du
Maghreb, puisqu’il avait pu consulter la somme d’Abū Zakariyyā’
al‑Warğlānī (actif au début du e/ e siècle) traduite par Émile
Masqueray en 1878 5 . L’historiographie postérieure, tout en
critiquant à juste titre sa transposition dans le contexte islamique
médiéval des aspirations nationalistes du e siècle, paraît avoir

laissé de côté cette hypothèse et minimisé la portée politique


possible de la šuʻūbiyya. Roy Mottahedeh note que des
mouvements dissidents, ou des constructions politiques à forte
composante ethnique — comme celle des Ṣaffārides de l’est
iranien (861-1003) — ont pu exploiter ce type d’argumentation 6 .
Son essai souligne par ailleurs l’existence d’un fort sentiment de
distinction culturelle parmi les élites iraniennes islamisées, dont il
ne nie pas qu’il puisse avoir joué un rôle dans la configuration
des entités politiques en Iran 7 . Et pourtant, la šuʻūbiyya lui
paraît renvoyer avant tout à une « controverse littéraire » sans
enjeux politiques sérieux 8 . Les travaux postérieurs vont
sensiblement dans le même sens 9 , de sorte que l’on s’est
finalement assez peu intéressé à ce qui pouvait relier un tel
discours à des processus de différenciation ethnique, régionale
ou dynastique, c’est-à-dire à la construction politique des entités
collectives.
5 Assurément, il est un courant où ce lien semble évident : c’est le
kharijisme. Hamilton Gibb affirmait qu’en s’attaquant aux
prérogatives des Qurayš et en défendant l’égalité des croyants
de toutes origines, il avait été le véritable berceau de la
šuʻūbiyya. Selon lui, cet égalitarisme l’aurait détourné de toute
promotion du particularisme ethnique ou régional 10 . C’est tout
le contraire dans l’œuvre d’Ibn Sallām, dont le discours de
dissidence face à l’Empire repose précisément sur la
construction d’une altérité berbère. La tonalité de cette
argumentation n’est pas étrangère à quiconque fréquente la
littérature maghrébine médiévale, mais ces hadiths — colportés à
l’identique pour certains — étaient surtout connus pour la période
mérinide, où fut composé le Kitāb mafāḫir al‑Barbar. Dans une
étude récente, Mehdi Ghouirgate propose cependant une
relecture de ces « Éloges des Berbères » à la lumière de la
littérature almohade. Il suggère à juste titre que l’on peut
remonter plus loin dans le temps, et évoque le rôle du kharijisme
dans la formation et la diffusion de cette rhétorique ethniciste 11 .
Or, précisément, l’opuscule d’Ibn Sallām permet de revenir aux
sources du phénomène et d’en compléter la généalogie par une
enquête sur le milieu ibadite maghrébin entre le milieu du e et

la fin du e siècle. Reconstituer les chaînons manquants de cette


tradition, au-delà du cercle de l’ibadisme, relève encore du défi.
Tout du moins peut-on désormais restituer les grandes phases de
manifestation de cette apologétique berbère, qui toujours
s’articule à des programmes politiques spécifiques. Notre propos
est donc d’examiner la longue durée d’une transmission, mais
aussi d’explorer des phénomènes de résonance entre l’Orient et
le Maghreb 12 .

« Ils ressusciteront la religion de Dieu


après qu’elle eut péri »
6 Partir du corpus d’Ibn Sallām semble constituer la voie la plus
sûre, aussi rayonnerons-nous à partir de ces trois hadiths. La
première unité textuelle met en scène le Maghreb comme espace
destiné à devenir le nouveau berceau de l’Islam, lorsque les
Arabes, déchus de leur rôle de porteurs de la Révélation, seront
relayés par les Berbères, nouveau peuple élu :
‫أن ﻋـــﺎﺋﺷﺔ أم اﻟﻣؤﻣن رﺣــﻣﮭﺎ ﷲ دﺧل ﻋﻠﯾﮭﺎ ذات ﯾوم رﺟل ﻣن اﻟــﺑرﺑر و ھﻲ ﺟﺎﻟﺳﺔ ﻣﻊ‬ ‫و ﺑﻠﻐﻧﺎ ﱠ‬
،‫ت ﻟﻠﺑرﺑري دوﻧﮭم‬ َ ‫ ﻓﻘﺎﻣت ﻋﺎﺋﺷﺔ ﻋن وﺳﺎدﺗﮭﺎ ﻓ‬،‫اﺛﻧﻲ ﻋﺷر رﺟﻼً ﻣن اﻟﻣﮭﺎﺟرﯾن و اﻷﻧﺻﺎر‬
ْ ‫ط َر‬
‫ﻓﺄرﺳﻠت اﻟﯾﮭم ﻋﺎﺋﺷﺔ ﺗﻠﺗﻘطﮭم ﻣن‬ ْ .‫ ﻓﺎﺳﺗﻔﺗﻰ اﻟﺑرﺑري ﻓﻲ ﺣﺎﺟﺗﮫ ﺛم ﺧرج‬.‫ﻓﺎﻧﺳ ّل اﻟﻘوم ﻏﺿﺎﺑًﺎ‬
‫ أﻧّﮫ‬،‫ ﻏﺿﺑﻧﺎ ﻣن اﻟرﺟــــل‬:‫ ﻗﺎﻟوا‬.‫ﻟم ذﻟك‬ َ ‫ ﻗﻣﺗم ﻋﻧّﻲ ﻏﺿـــﺎﺑًﺎ و‬:‫ ﻓﺟﺎءوا ﻛﻠّﮭم ﻓﻘـﺎﻟت ﻟﮭم‬،‫دورھم‬
‫ ﻓﻘﺎﻟت‬.‫دﺧل ﻋﻠﯾﻧﺎ رﺟل ﻣن اﻟــﺑرﺑر ﻛﻠّﻧﺎ ﻧزدرﯾــﮫ و ﻧﺑﻐض ﻗو َﻣﮫ ﻓﺂﺛرﺗﮫ ﻋﻠﯾﻧﺎ و ﻋﻠﻰ ﻧﻔﺳك‬
‫ و ﻣﺎ‬:‫ ﻗﺎﻟوا‬.‫ آﺛـرﺗﮫ ﻋﻠﯾـــﻛم و ﻋﻠﻰ ﻧﻔﺳـــﻲ ﺑ َﻣﺎ ﻗﺎل ﻓﯾـــﮭم رﺳــــول ﷲ ﻋﻠﯾﮫ و ﺳــﻠّم‬:‫ﻋـــــﺎﺋﺷﺔ‬
‫ ﻛﻧت‬:‫ ﻗﺎﻟت ﻋـــــﺎﺋﺷﺔ‬.‫ ﻧﻌم‬:‫ أﺗــــﻌرﻓون ﻓُﻼﻧًﺎ اﻟـــﺑرﺑري؟ ﻗﺎﻟوا‬:‫ ﻗــــﺎﻟت‬.‫اﻟذي ﻗﺎل ﻓﯾﮭم رﺳـــول ﷲ‬
‫ ﻓﻧظر‬،‫ﺳﺎ إذ دﺧل ﻋﻠﯾﻧﺎ ذﻟك اﻟــﺑرﺑري ﻣﺻﻔر اﻟوﺟﮫ ﻏﺎﺋر اﻟﻌﯾﻧﯾن‬ ً ‫أﻧﺎ و رﺳــــول ﷲ ذات ﯾوم ﺟــﻠو‬
‫ ﻓﺄرﻗــــﺗﻧﻲ أﻣس طﺎھر اﻟدم‬،‫أﻣر أم ﻣرﺿتَ ﺷﯾﺋًﺎ‬ ٌ ‫ ﻣﺎ دھﺎك‬:‫اﻟﯾﮫ رﺳول ﷲ ﻋﻠﯾﮫ اﻟﺳّﻼم ﻓﻘﺎل ﻟﮫ‬
:‫ ﻗﺎل‬.ٍ‫ﺑت ﯾﺎ رﺳــول ﷲ ﺑﮭ ٍ ّم ﺷدﯾد‬ ‫ ﱡ‬:‫ ﻓﻘﺎل اﻟﺑرﺑري‬.‫ﺻﺣﯾﺢ اﻟﻠون ﻓﺟﺋﺗﻧﻲ اﻟﺳﺎﻋﺔ ﻛﺄﻧ َﻣﺎ ﻧﺷرتَ ﻣن ﻗﺑر‬
‫ ﻓﻘﺎل‬.‫ﻲ آﯾـﺔ ﻣن ﷲ‬ ْ
ّ ‫ﻧزﻟت ﻓ‬ ‫ ﺧﻔت ﻣن ذﻟك أﻧّﮫ‬،‫ﻲ ﺑﺎﻷﻣس‬ ‫ ﺗردﯾدك ﺑﺻـــرك ﻓ ﱠ‬:‫ ﻗﺎل‬.‫و ﻣﺎ اﻟذي أھ ّﻣك‬
‫ ﻓﻼ ﯾﺣزﻧك ذﻟك إﻧّﻣﺎ ﺗردﯾدي ﺑﺻري ﻋﻠﯾك ﺑﺎﻷﻣس ﻣن أﺟل أن ﺟﺑرﯾل ﻋﻠﯾﮫ‬:‫ﻟﮫ ﻋﻠﯾﮫ اﻟﺳّﻼم‬
ُ
‫ ﯾﺎ ﺟﺑرﯾل و أي‬:‫ ﻗﻠت‬:‫ﻲ‬ ّ ‫ ﻗﺎل اﻟﻧﺑ‬.‫ ﯾﺎ ﻣﺣﻣد أُوﺻﯾك ﺑﺗﻘوى ﷲ و ﺑﺎﻟﺑرﺑر‬:‫اﻟﺳـــﻼم ﺟﺎءﻧﻲ ﻓﻘﺎل‬
‫ ھم اﻟذﯾن‬:‫ ﻗﺎل‬.‫ ﻣﺎ ﺷﺄﻧﮭم‬:‫ ﻓﻘﻠت ﻟﺟﺑرﯾل‬:‫ﻲ‬ ّ ‫ ﻗﺎل اﻟﻧﺑ‬.‫ ﻓﺄﺷﺎر إﻟﯾك ﻓﻧظرت‬،‫ ھم ﻗوم ھذا‬:‫ ﻗﺎل‬.‫اﻟـــﺑرﺑر‬
‫ ﯾﺎ ﻣﺣ ّﻣد دﯾــن ﷲ ﺧﻠﻖ ﻣن ﺧﻠﻖ‬:‫ ﻗﺎل ﺟﺑرﯾل‬.‫ﯾﺣﯾون دﯾـن ﷲ ﺑﻌد إذ ﯾَﻣوت و ﯾﺟدّدوﻧﮫ ﺑﻌد إذ ﯾَ ْﺑﻠَﻰ‬
‫ﷲ ﻧﺷﺄ ﺑﺎﻟﺣــــﺟﺎز و أﺻﻠﮫ ﺑﺎﻟﻣدﯾﻧﺔ ﺧﻠﻘﮫ ﺿــــــﻌﯾﻔًﺎ ﺛم ﯾﻧـــــ ّﻣﯾﮫ و ﯾﻧ ِﺷﺋُﮫ ﺣﺗّﻰ ﯾــــﻌﻠو و ﯾــﻌظم و‬
‫ و اﻟﺷﻲء‬،‫ و اﻧّ َﻣﺎ ﯾﻘﻊ رأس دﯾن ﷲ ﺑﺎﻟﻣﻐرب‬،‫ﺛﻣر اﻟﺷــــﺟرة و ﯾﮭرم ﻛﻣﺎ ﺗﮭرم اﻟﺷــــﺟرة‬ ِ ُ ‫ُﺛﻣر ﻛﻣﺎ ﺗ‬
ِ ‫ﯾ‬
.‫اﻟطوﯾل اﻟﺛﻘﯾل إذا وﻗﻊ ﻟم ﯾُرﻓَﻊ ﻣن وﺳــــطﮫ و ﻻ ﻣن أﺻـــﻠﮫ و اﻧّﻣﺎ ﯾُرﻓَﻊ ﻣن ﻋﻧد رأﺳﮫ‬
Il nous a été rapporté que ʻĀ’yša, la mère du croyant — que Dieu la
bénisse — se trouvait un jour assise en compagnie de douze
Muhāğirūn et Anṣār, lorsqu’un Berbère fit son entrée. Elle se leva de
son siège et resta seule avec ce dernier après avoir congédié les
personnes présentes, qui furent très mécontentes de devoir sortir.
Elle accepta tout ce que le Berbère lui demandait, puis celui-ci sortit.
Elle envoya ensuite quelqu’un chercher les membres de l’assemblée
chez eux, et ils revinrent auprès d’elle. « Pourquoi êtes-vous partis
en colère ? » leur demanda-t-elle. « C’est cet homme qui nous a mis
en colère. Un Berbère méprisable vient nous voir et, alors que nous
détestons ces gens-là, toi tu lui accordes la préséance, non
seulement sur nous, mais aussi sur toi-même ». « Je lui ai donné la
préséance sur vous et sur moi-même parce que le Prophète
— puissent la prière et le salut lui être réservés — m’a dit quelque
chose à leur propos », répondit-elle. « Et qu’a-t-il donc dit à leur
propos ? ». « Vous connaissez Untel, le Berbère ? ». « Oui »,
répondirent-ils. ʻAy’šā’ leur raconta alors : « Nous étions un jour assis
avec le Prophète lorsque ce Berbère vint nous voir. Il avait le visage
jaune et les yeux enfoncés dans leurs orbites. Le Prophète de Dieu
— puisse le salut lui être réservé — le regarda fixement et lui
demanda : “Qu’est-ce qui ne va pas ? As-tu un problème ? Es-tu
malade ? Hier, en allant te coucher, ton sang était pur et ta couleur
de peau tout à fait saine, alors qu’aujourd’hui on dirait que tu sors de
la tombe !”. « Le Berbère répondit qu’il avait été préoccupé par un
grave souci. “Lequel ?” demanda le Prophète. “Hier, tu m’as regardé
d’une telle façon que j’ai eu peur que Dieu ne fasse descendre un
verset à mon propos”. « Le Prophète le rassura alors : “N’aies pas
peur, je t’ai regardé ainsi, hier, parce que Gabriel — puisse le salut lui
être réservé — m’a dit un jour : ‘Muḥammad, tu ne dois te fier qu’à la
crainte de Dieu [taqwá] et aux Berbères’. J’ai demandé à Gabriel qui
étaient les Berbères, alors il m’a répondu en te montrant : ‘Ces gens-
là !’. Après t’avoir regardé, je lui ai demandé pourquoi, et il a alors
déclaré : ‘Parce qu’ils ressusciteront la religion de Dieu après qu’elle
eut péri et qu’ils la renouvelleront après qu’elle eut été mise à
l’épreuve. Muḥammad ! La religion divine est l’une des créations de
Dieu, elle est née dans le Ḥiğāz et a pris source à Médine.
Lorsqu’elle a été créée, elle était faible, mais ensuite elle grandira et
prendra des forces. Elle s’élèvera jusqu’à devenir immense et
donnera des fruits, comme le fait un arbre. Puis elle déclinera,
comme décline l’arbre. Alors la cime de la religion de Dieu atteindra
le Maghreb, une cime lourde et altière qui seule se développera
encore, tandis que plus rien ne poussera entre ses racines et son
milieu’ » 13 .
7 L’emblématique épouse du Prophète sert de caution à une
véritable entreprise de déconstruction de l’idéologie impériale
abbasside. Ce hadith conteste tout d’abord la primauté et la
centralité de l’Orient et du Ḥiğāz, que la géographie abbasside
n’a eu de cesse de réaffirmer. L’idée banale du déclin de l’islam
trouve une nouvelle expression dans la métaphore végétale de
l’arbre, dont les racines et le tronc dépérissent tandis que sa
frondaison s’épanouit. Cette métaphore proclame le déclin de
l’Orient, terreau nourricier de la religion, et la vitalité des terres
nouvelles de l’islam, où un nouveau peuple, à peine sorti de la
ğāhiliyya, reprendra le flambeau des Arabes. Ce discours de
légitimation face à l’Orient s’est développé dans le contexte de
l’émancipation politique de l’Occident du Dār al‑Islām, à partir du
milieu du e siècle. On connaît ainsi l’effort des Omeyyades de

Cordoue pour présenter al‑Andalus comme le nouveau foyer de


l’arabité en Islam. Néanmoins, les émirs de Cordoue ne
remettaient pas en cause les fondements d’un discours aimanté
par la référence orientale, tandis que Ibn Sallām bouscule la
hiérarchie habituelle de l’Islam en proclamant la supériorité des
Berbères sur les Arabes. Ces derniers forment la racine même
de l’islam, qu’ils ont étendu aux autres peuples par les
conquêtes, mais Ibn Sallām ne cesse de rappeler qu’ils ont
déclenché la grande « discorde », divisé les croyants et
corrompu la foi 14 .
8 Le camp du califat et la nébuleuse politique dite « kharijite »
(« dissidente ») par ses adversaires ne cessaient en effet de se
renvoyer la responsabilité de la fitna, et l’on perçoit aisément
dans ce hadith un écho du discours anti-Qurayš des kharijites. Si
l’on en croit al‑Ṭabarī, lorsqu’Abū Ḥamza s’empara de Médine en
130/747-748, il s’en prit publiquement à la morgue de ses
habitants 15 . La prise de Kairouan par les ṣufrites en 139/757 se
serait accompagnée du massacre des Qurayš, qui formaient
l’élite arabe des conquêtes 16 . En accordant sa préférence à ce
visiteur berbère, méprisé de tous, ʻĀ’yša légitime un courant de
pensée qui conteste vigoureusement l’ordre politique et social de
l’Empire. Ibn Sallām substitue d’ailleurs à la nomenclature
officielle des Compagnons celle, alternative, des pères
fondateurs de l’ibadisme. À l’orgueilleuse caste des Muhāğirūn et
des Anṣār, que la littérature impériale présente comme les fers
de lance de la conquête du Maghreb, est opposée une nouvelle
élite de la foi. L’ibadisme maghrébin, si profondément ancré
parmi les Berbères qu’il en vint à associer son nom à ces
populations, transpose cette opposition sur le terrain de
l’ethnicité. Les autochtones, arrachés à la ğāhiliyya par les
Arabes mais relégués à un statut de dominés — comme le
rappellent à travers quantité d’anecdotes plus ou moins
légendaires les récits de la conquête —, sont en réalité les
détenteurs d’une foi dépouillée de toute compromission, de tout
artifice, « naïve » dans le sens où l’on employait ce mot à l’âge
classique.
9 L’argumentation d’Ibn Sallām offre un reflet inversé de l’image
des Berbères telle qu’elle transparaît au miroir des récits de
conquête de la littérature arabe, orientale et andalouse. Et cette
dernière se fait très certainement l’écho d’une période de
l’histoire du Maghreb — des années 750 à la fin du e siècle —
où les Berbères étaient encore largement identifiés au kharijisme,
comme nous l’avons vu. La peinture d’un monde encore plongé
dans l’ignorance de l’islam, voire exposé à l’apostasie, et en tout
cas enclin à la rébellion et à l’insoumission, constituait
probablement une réponse au défi politique qu’avait représenté
ce courant politique pour les califats. La confrontation de la
production sunnite avec le témoignage des sources ibadites,
héritières de la mouvance kharijite du milieu du e siècle, est

éclairante sur ce point. Certes, les régimes narratifs ne sont pas


les mêmes, mais l’on ne peut comprendre les contre-récits
produits en milieu ibadite sans se référer aux modèles adverses.
10 Ce conflit de mémoire ne se déroule pas que sur le terrain du
récit historique. Il contamine aussi le champ miné des traditions
prophétiques, jusque dans les joutes actuelles des internautes,
vivant conservatoire d’une culture séculaire de la polémique
religieuse. En suivant ce fil conducteur, nous avons complété nos
recherches en consultant la base de données de Maktabat
al‑Šāmila. On constate ainsi que le récit mis en avant par Ibn
Sallām répond aux assertions qui circulaient en Orient, et qu’il
constitue par exemple une sorte de reflet inversé de l’un des
hadiths reproduits dans le Musnad d’Ibn Ḥanbal (m. 241/855), qui
en rejette d’ailleurs la validité (ḥadīṯ munkar). Après l’isnād
réglementaire, il est question de l’exclusion d’un Berbère venu
rendre visite au Prophète :
.‫ي‬‫ ﺑَ ْرﺑَ ِر ﱞ‬:َ‫"ﻣ ْن أَﯾْنَ أ َ ْﻧت؟" ﻗَﺎل‬ ِ :ِ ‫ﺳو ُل ا ﱠ‬ ُ ‫ ﻓَﻘَﺎ َل ﻟَﮫُ َر‬،ٌ‫ﺳﻠﱠ َم َر ُﺟل‬ َ ُ ‫ﺻﻠﱠﻰ ا ﱠ‬
َ ‫ﻋﻠَ ْﯾ ِﮫ َو‬ َ ِ‫ﻲ‬ ّ ‫س ِإﻟَﻰ اﻟﻧﱠ ِﺑ‬ َ َ‫َﺟﻠ‬
ِ ‫ﺳو ُل ا ﱠ‬ َ ‫ أ َ ْﻗﺑَ َل‬،‫ﺎم‬
ُ ‫ﻋﻠَ ْﯾﻧَﺎ َر‬ َ ‫ "ﻗُ ْم‬:‫ﺳﻠﱠ َم‬
َ َ‫ ﻓَﻠَ ﱠﻣﺎ ﻗ‬.‫ َوﻗَﺎ َل ِﺑ ِﻣ ْرﻓَ ِﻘ ِﮫ َﻛذَا‬."‫ﻋ ِﻧّﻲ‬ َ ُ ‫ﺻﻠﱠﻰ ا ﱠ‬
َ ‫ﻋﻠَ ْﯾ ِﮫ َو‬ َ ِ ‫ﺳو ُل ا ﱠ‬ ُ ‫ﻗَﺎ َل ﻟَﮫُ َر‬
ِ ‫اﻹﯾ َﻣﺎنَ ﻻ ﯾُ َﺟﺎ ِو ُز َﺣﻧ‬
."‫َﺎﺟ َر ُھ ْم‬ ِ ‫ "ِ ِإ ﱠن‬:َ‫ ﻓَﻘَﺎل‬،‫ﺳﻠﱠ َم‬ َ ُ ‫ﺻﻠﱠﻰ ا ﱠ‬
َ ‫ﻋﻠَ ْﯾ ِﮫ َو‬ َ
Un homme vint s’asseoir près du Prophète — puissent le salut et la
prière lui être réservés — et le Messager de Dieu lui demanda :
« D’où viens-tu ? ». Il répondit : « Je suis berbère ». Le Messager de
Dieu — puissent le salut et la prière lui être réservés — lui ordonna
alors : « Éloigne-toi de moi », et il dit à ceux qui l’entouraient de faire
la même chose. Lorsqu’il se fut levé, Le Messager de Dieu
— puissent le salut et la prière lui être réservés — s’approcha de
nous et nous déclara : « Leur foi ne dépasse pas leur glotte ! » 17 .
11 C’est en réponse, sinon à ce hadith du moins à l’un de ses
semblables, qu’a été forgée, entre la seconde moitié du
e siècle et les années 880, la tradition transmise par Ibn

Sallām. La sentence « leur foi ne dépasse pas leur glotte » (inna


l‑īmān lā yuğāwiz ḥanāğirahum) sous-entend que la conviction
religieuse de ces individus n’atteint pas leur cœur, selon une
opposition classique entre la foi intérieure des vrais convertis
(al‑īmān bi l‑qalb) et celle, tout en paroles (al‑īmān bi l‑lisān), des
faux convertis « hypocrites ». Par ailleurs, cette formule était
quelquefois employée aux côtés de la célèbre prédiction
concernant la secte qui « déviera de la religion comme la flèche
qui rate sa cible » (hum yamriqūna min al‑dīn kamā yamriqu
l‑sahm min al‑ramiya) — prédiction identifiée très tôt à la sédition
des kharijites, précisément 18 . Le matériau recueilli par Ibn
Ḥanbal donne donc l’exemple d’une association en fait assez
commune entre la déviation religieuse, les kharijites, et les
Berbères.
12 Ce n’est d’ailleurs pas le seul hadith qui polémique contre
l’impiété supposée des Berbères. Toujours dans le Musnad, une
tradition va plus loin encore dans l’anathème :
.‫ ﻓَ ْﻠﯾَ ُردﱠھَﺎ‬،‫ ﻓَﻠَ ْم ﯾَ ِﺟ ْد ِإ ﱠﻻ ﺑَ ْرﺑَ ِرﯾﺎ‬،ً‫ﺻدَﻗَﺔ‬
َ ‫َﻣ ْن أ َ ْﺧ َر َج‬
Si quelqu’un est prêt à s’acquitter de l’aumône mais ne peut la verser
qu’à un Berbère, alors il doit s’y refuser catégoriquement 19 .
13 Une autre, consignée par le Syrien al‑Ṭabarānī (m. 360/970),
affirme :
ِ ‫ﺳ ْﺑﻌُونَ ُﺟ ْزء ِﻟ ْﻠﺑَ ْرﺑَ ِر ﺗِ ْﺳﻌَﺔٌ َو ِﺳﺗﱡونَ ُﺟ ْز ًءا َو ِﻟ ْﻠ ِﺟ ِّن َو‬
ِ ‫اﻹ ْﻧ ِس ُﺟ ْز ٌء َو‬
.‫اﺣدٌ َوﷲ‬ َ ‫ْاﻟﺧﺑث‬
Le mal est divisé en soixante-dix parts égales. Le Berbère en
possède soixante-neuf, le djinn et l’humain une seule 20 .
14 Le même auteur tient d’ailleurs les Berbères pour des « païens »
(mağūs), des « associationnistes » (al‑laḏīna ašrakū), « exclus
par le Prophète » (nahà ʻanhum) 21 . Nuʻaym b. Ḥammād
(m. 228/842-843), le maître d’al‑Buḫārī, attribue au Messager de
Dieu une anecdote devenue très populaire, qui les campe en
ennemis de Dieu :
ّ
.‫إن ﻗوم ھذا أﺗﺎھم ﻧﺑﻰ ﻗﺑﻠﻰ ﻓذﺑﺣوه وطﺑﺧوه وأﻛﻠوا ﻟﺣﻣﮫ وﺷرﺑوا ﻣرﻗﮫ‬
Avant moi, ces gens-là reçurent un autre prophète, mais ils
l’égorgèrent, ils le firent cuire, mangèrent sa chair et burent la sauce
22 .

15 On perçoit bien, à travers ces quelques exemples, à quel point


l’ouvrage d’Ibn Sallām s’insère dans une entreprise politique plus
large, de la part du kharijisme maghrébin, pour contrecarrer
l’arsenal polémique qui s’était développé en Orient en réaction
aux soulèvements berbères du milieu du e siècle.

Les derniers seront les premiers


16 Mais, tandis que la littérature contemporaine consacrée aux
« mérites des Persans » met en avant l’appartenance de ce
peuple à une très ancienne civilisation impériale, l’affirmation de
la dignité des Berbères ne pouvait reposer sur les mêmes bases.
C’est au contraire leur jeunesse en islam qui assure la fraîcheur
et la sincérité de leur foi : une façon pour ces textes, écrits dans
des milieux qui se voulaient résolument « berbères », de
‫‪contester et de détourner le leitmotiv des sources sunnites sur‬‬
‫‪l’incroyance de ces populations qui, à peine arrachées au‬‬
‫‪paganisme, seraient encore enclines à l’apostasie.‬‬
‫‪17‬‬ ‫‪Le second hadith est supposé avoir été transmis par la figure‬‬
‫‪tutélaire et consensuelle de ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb, admise au‬‬
‫‪panthéon ibadite. Il cite aussi al‑ʻAbbās b. Mirdās al‑Sulamī, le‬‬
‫‪« Compagnon-poète », bien connu des sources sunnites. Ibn‬‬
‫‪Sallām développe ici une argumentation « primitiviste », qui fait‬‬
‫‪de la rusticité des Berbères la manifestation d’une fois encore‬‬
‫‪exempte de tout compromis avec la civilisation :‬‬
‫ﻋﻣرو ﺑن‬ ‫اﻟﺧطﺎب رﺣﻣﮫ ﷲ ﻗدم ﻋﻠﯾﮫ ﻗوم ﻣن اﻟﺑرﺑر ﻣن ﻟواﺗﺔ أرﺳﻠﮭم اﻟﯾﮫ َ‬ ‫ّ‬ ‫أن ﻋﻣر ﺑن‬‫و ﺑﻠﻐﻧﺎ ّ‬
‫اﻟرؤوس و‬ ‫اﻟﻌﺎﺻﻲ ﻣن ِﻣﺻر اذ ﻛﺎن ﺑﻣﺻر واﻟﯾًﺎ ﻓﻲ ﺧﻼﻓﺔ ﻋﻣر‪ .‬ﻓدﺧﻠوا ﻋﻠﻰ ﻋﻣر و ھم ﻣﺣﻠﻘون ّ‬
‫ﺳﺎﺋِﮫ‪ :‬ھل ﻓﯾﻛم ﻣن‬ ‫اﻟﻠّ َﺣﻰ ﻓــــﻘﺎل ﻟﮭم ﻋﻣر‪ :‬ﻣﻣن أﻧﺗم؟ ﻗﺎﻟوا‪ :‬ﻣن اﻟــــﺑرﺑر ﻣن ﻟواﺗﺔ‪ .‬ﻓﻘﺎل ﻋﻣر ﻟ ُﺟﻠَ َ‬
‫ِ‬
‫ﯾﻌرف ھذه اﻟﻘﺑﯾﻠﺔ ﻓﻲ ﺷﻲء ﻣن ﻗﺑﺎﺋل اﻟﻌرب و اﻟﻌﺟم‪ .‬ﻗﺎﻟوا‪ :‬ﻟﯾس ﻟﻧﺎ ﺑﻘﺑﯾﻠﺗﮭم ﻋﻠم‪ .‬ﻓﻘﺎل اﻟﻌﺑّﺎس ﺑن‬
‫ﻣرداس اﻟﺳﻠﻣﻲ‪ :‬ﻋﻧدي ﻣﻧﮭم ﻋﻠم ﯾﺎ أﻣﯾر اﻟﻣؤﻣﻧﯾن‪ ،‬ھؤﻻء ﻣن وﻟد ﺑَ ّر اﺑن ﻗَﯾْس‪ ،‬و ﻛﺎن ﻟﻘَﯾس ﻋدّة‬
‫ﻣن اﻟوﻟد و ﻟﮫ َوﻟَد ﯾﺳ ّﻣﻰ ﺑَ ّر ﺑن ﻗَﯾْس و ﻓﻲ ﺧﻠﻘﮫ ﺑﻌض اﻟدﻋـــﺎرة‪ ،‬ﯾﻌﻧﻲ ﺿﯾﻖ اﻟﺧﻠﻖ‪ ،‬ﻓﻘﺎﺗل إﺧوﺗﮫ‬
‫ذات ﯾوم ﻓﺧرج إﻟﻰ اﻟﺑراري ﻓﻛﺛر ﻓﯾﮭﺎ ﻧَﺳﻠﮫ و وﻟده ﻓﻘﺎﻟت اﻟﻌرب‪ :‬ﺗَﺑَ ْرﺑَ ُروا أي ﻛﺛروا‪ .‬ﻓﻠ ّﻣﺎ ﻧظر‬
‫إﻟﯾﮭم ﻋﻣر‪ ،‬و ﻛﺎن أوﻓدھم إﻟﯾﮫ ﻋـــﻣرو ﺑن اﻟﻌــــﺎﺻﻲ و أرﺳل ﻣﻌﮭم ﺗ َر ُﺟﻣﺎﻧًﺎ ﯾﺗرﺟم ﻛﻼﻣﮭم إن‬
‫اﻟﻠّ َﺣﻰ‪ .‬ﻗﺎﻟوا‪ :‬ﺷﻌر أﻧﺑت ﻋﻠﻰ‬ ‫ﺳﺄﻟﮭم ﻋﻣر ﻋن ﺷﻲء‪ ،‬ﻓﻘﺎل ﻟﮭم ﻋﻣر‪ :‬ﻣﺎ ﻟﻛم ﻣﺣﻠﻘﯾن اﻟـــرؤوس و ِ‬
‫ﺷﻌرا ﻓﻲ اﻹﺳــــﻼم‪ .‬ﻓﻘﺎل ﻋﻣر‪ :‬ھل ﻟﻛم ﻣــــَداﺋن ﺗﺳﻛﻧوﻧﮭﺎ؟ ﻗﺎﻟوا‪ :‬ﻻ‪ .‬ﻗﺎل‬ ‫ً‬ ‫اﻟﻛــــﻔر ﻓﺄﺣﺑﺑﻧﺎ أن ﻧﺑدل‬
‫ﺻﻧون ﻓﯾﮭﺎ؟ ﻗﺎﻟوا‪ :‬ﻻ‪ .‬ﻗﺎل‪ :‬ھل ﻟﻛم أﺳــــواق ﺗﺗﺑﺎﯾﻌون ﻓﯾﮭﺎ؟ ﻗﺎﻟوا‪ :‬ﻻ‪.‬‬ ‫ﻋﻣر‪ :‬ھل ﻟﻛم ﺣﺻون ﺗﺗﺣ ّ‬
‫ﻓﺑﻛﻰ ﻋﻣر رﺣـــــﻣﺔ ﷲ ﻋﻠﯾﮫ‪ .‬ﻓﻘﺎل ﻟﮫ ُﺟـــــﻠﺳﺎؤه‪ :‬و ﻣﺎ ﯾﺑﻛﯾك ﯾﺎ أﻣﯾر اﻟﻣــــــؤﻣﻧﯾن‪ .‬ﻗﺎل‪ :‬أﺑﻛﺎﻧﻲ‬
‫ﻲ رﺳول ﷲ‬ ‫ﺣدﯾث ﺳﻣﻌﺗﮫ ﻣن رﺳول ﷲ ﺻﻠّﻰ ﷲ ﻋﻠﯾﮫ و ﺳﻠّم ﯾوم ُﺣﻧَﯾْن‪ .‬إﻧﮭزم اﻟﻣﺳﻠﻣون ﻓﻧظر إﻟ ّ‬
‫و أﻧﺎ أﺑﻛﻲ ﻓﻘﺎل‪ :‬ﻣﺎ ﯾﺑﻛﯾك ﯾﺎ ﻋﻣر؟ ﻗﺎل‪ :‬ﻗﻠت‪ :‬أﺑﻛﺎﻧﻲ ﯾﺎ رﺳــول ﷲ‪ ،‬ﻗﻠت‪ ،‬ھذه اﻟﻌﺻﺎﺑﺔ ﻣن‬
‫ﻓﺈن ﷲ ﺳﯾﻔﺗﺢ ﻟﻺﺳﻼم ﺑﺎﺑًﺎ ﻣن‬ ‫اﻟﻣـــــﺳﻠﻣﯾن و إﺟﺗﻣﺎع أﻣم اﻟ ُﻛﻔر ﻋﻠﯾﮭﺎ‪ .‬ﻓﻘﺎل ﻟﻲ‪ :‬ﻻ ﺗﺑك ﯾﺎ ﻋﻣر ّ‬
‫ﯾﻌز ﷲ ﺑﮭم اﻹﺳﻼم و ﯾذل ﷲ ﺑﮭم اﻟﻛﻔّﺎر‪ ،‬أھل ﺧﺷﯾﺔ و ﺑﺻﺎﺋر‪ ،‬ﯾﻣوﺗُون ﻋﻠﻰ ﻣﺎ‬ ‫اﻟــــﻣﻐرب ّ‬
‫ﺻﻧون ﻓﯾﮭﺎ و ﻻ أﺳواق ﯾﺗﺑﺎﯾﻌون ﻓﯾﮭﺎ‪ .‬ﻓﻠذﻟك‬ ‫أﺑﺻروا‪ ،‬ﻟﯾﺳت ﻟﮭم ﻣداﺋن ﯾﺳـﻛﻧوﻧﮭﺎ و ﻻ ﺣﺻون ﯾﺗﺣ ّ‬
‫ﺑﻛﯾت اﻟﺳﺎﻋﺔ ﺣﯾن ذﻛرت ﺣدﯾث رﺳول ﷲ و ﻣﺎ ذﻛر ﻟﻲ ﻋﻠﯾﮭم ﻣن اﻟﻔﺿل‪ ،‬ﻓردّھم إﻟﻰ ﻋﻣرو‬
‫ﻋـــــﻣرا أن ﯾﺟﻌﻠﮭم ﻓﻲ ﻣﻘدّﻣﺔ ﻋﺳـﺎﻛره‪.‬‬
‫ً‬ ‫ﺑﻣﺻر و أﻣر‬
‫ﻋﻣرا أن ﯾﺟﻌﻠﮭم ﻓﻲ ﻣﻘدﻣﺗِﮫ ﻓﻛﺎﻧوا ﻣﻊ‬ ‫ً‬ ‫ّ‬
‫اﻟﺧطـــــﺎب و أﻛرﻣﮭم و أﻣر‬ ‫ﻓﺄﺣﺳن إﻟﯾﮭم ﻋـــﻣر ﺑن‬
‫ﻋــــﻣرو ﺑن اﻟﻌﺎﺻﻲ ﺣﺗﻰ ﻗُﺗل ﻋﺛ َﻣﺎن ﺑن ﻋﻔﱠﺎن‪ .‬ﻓﻠﻣﺎ ﻛﺎن ھذا اﻟﺣدﯾث ﻟﻌﺻﺎﺑﺔ ﻣن أھل اﻟﻐرب ﻋن‬
‫أﺣﻖ أن ﯾﻛوﻧوا ﯾﺳﺗوﺟﺑون ﻓﺿل ھذا اﻟﺣدﯾث‪.‬‬ ‫ﻋﻣر ﻋن رﺳــــول ﷲ رﺟوﻧﺎ أن ﯾﻛوﻧوا أھل دﻋوﺗﻧﺎ ّ‬
‫‪Il nous a été rapporté que ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb — que Dieu le‬‬
‫‪bénisse — reçut un jour la visite d’un groupe de Berbères Luwāta,‬‬
‫‪qui lui avaient été envoyés d’Égypte par ʻAmrū b. al‑ʻĀṣī, qui‬‬
‫‪gouvernait alors cette province. Lorsqu’ils firent leur entrée auprès de‬‬
ʻUmar leurs têtes et leurs barbes étaient complètement rasées.
ʻUmar leur demanda : « De quel groupe faites-vous partie ? ». « Des
Berbères Luwāta », répondirent-ils. ʻUmar demanda à ceux qui
étaient assis avec lui : « Est-ce que quelqu’un parmi vous connaît
cette tribu parmi les Arabes et les non-Arabes [ʻağam] ? ». « Nous ne
connaissons pas leur tribu », répondirent-ils. Cependant, al‑ʻAbbās
b. Mirdās al‑Sulamī lui assura : « Je les connais, ô commandeur des
croyants, ils sont de la descendance de Barr b. Qays. Parmi les
nombreux fils de Qays, il y en avait un qui s’appelait Barr b. Qays. Il
était de nature corrompue [al‑daʻāra], c’est-à-dire qu’il s’emportait
facilement [ḍayq al‑ḫulq]. Aussi tua-t-il un jour ses frères avant de
s’enfuir vers des contrées sauvages [al‑barārī], où sa lignée et sa
progéniture prospérèrent à un tel point que les Arabes disaient d’eux
“tabarbarū” — ils ont prospéré ». ʻUmar les regarda. ʻAmrū b. al‑ʻĀsī
avait pris soin de joindre à leur délégation un traducteur capable
d’expliquer à ʻUmar ce qu’ils diraient, au cas où ce dernier aurait
voulu leur demander quelque chose. ʻUmar les questionna :
« Pourquoi avez-vous la tête et la barbe complètement rasées ? ». Ils
répondirent : « Nos cheveux et nos poils de barbe ont poussé au
temps de l’infidélité [al‑kufr], aussi avons-nous voulu changer
d’aspect au temps de l’islam ». « Vivez-vous dans des villes ? ».
« Non ». « Êtes-vous protégés par des forteresses ? ». « Non ».
« Faites-vous vos achats et vos ventes sur des marchés ? ».
« Non ». Soudain ʻUmar — que Dieu le bénisse — se mit à pleurer,
et tout son entourage lui demanda : « Pourquoi pleures-tu
commandeur des croyants ? ». « Ce qui me fait pleurer, ce sont des
propos que j’ai recueillis de la bouche du Prophète — puissent la
prière et le salut lui être réservés — le jour de Ḥunayn. Ce jour-là, les
musulmans avaient été battus. Le Prophète me regarda et vit que je
pleurais. Il me demanda pourquoi, alors je répondis que je pleurais le
sort de la communauté [ʻaṣāba] des musulmans, contre laquelle
s’étaient réunies les nations infidèles. Alors, il me déclara : “Ne
pleure pas ʻUmar, car Dieu ouvrira une nouvelle porte pour l’islam au
Maghreb. Dieu se servira de ces gens pour fortifier l’islam et humilier
les infidèles — ceux qui, livrés à la crainte et à l’intellect [ahl ḫašiya
wa baṣā’ir], périront de leurs raisonnements. Ces gens seront
dépourvus de villes pour y vivre, de forteresses pour s’y réfugier, de
marchés pour faire leurs achats et leurs ventes”. C’est pour cela que
j’ai pleuré tout à l’heure, quand je me suis souvenu de la parole du
Messager de Dieu et de tout le bien qu’il m’avait dit de ces gens-là ».
ʻUmar les renvoya alors à ʻAmrū en Égypte et lui ordonna de les
placer à l’avant-garde de ses armées. ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb se montra
bon et bienveillant à leur égard et il ordonna à ʻAmrū b. al‑ʻĀsī de les
placer à son avant-garde. Ils se trouvaient avec lui lorsque ʻUṯmān
b. ʻAffān fut tué. Concernant le hadith transmis par ʻUmar, d’après le
Messager de Dieu, sur cette communauté de gens d’Occident
[ʻaṣāba ahl al‑Maġrib], nous espérons que les partisans de notre
cause [daʻwatinā] sont ceux qui répondent le mieux à cette
description élogieuse 23 .
18 Les stéréotypes culturalistes forgés par la littérature arabe
sunnite contre les Berbères sont ici désamorcés et retournés
contre le milieu qui les a produits. Dans ce discours militant,
imprégné des idéaux d’austérité et de dépouillement qui
caractérisent la spiritualité ibadite, l’absence de civilisation de ces
« barbar-s » est au contraire revendiquée comme un signe de
sincérité. L’islam n’est-il pas né parmi les Bédouins d’Arabie, loin
— tout du moins en apparence — des fastes impériaux du
Moyen Orient ? À la hiérarchie de l’Empire s’oppose celle de la
foi, où les Berbères ralliés à la cause ibadite occupent le premier
rang.
19 Il s’opère ici un retournement des signes habituels de l’altérité
entre « Arabes » et « Berbères ». En premier lieu, l’absence de
barbe s’opposait à la norme esthétique — voire à la
préconisation religieuse si l’on se réfère à certains hadiths — qui
encourageait les musulmans à se la laisser pousser. De plus, les
sources arabes médiévales retiennent, parmi les traits distinctifs
des révoltés berbères, le fait qu’ils se rasaient entièrement la tête
avant de prendre les armes. Ainsi, les Aḫbār mağmūʻa — un
texte andalou du e ou du e siècle — notent que les troupes de
Maysara, l’initiateur des révoltes berbères à Tanger au milieu du
e siècle, s’étaient tondues la tête avant de partir au combat, et
que les Berbères d’al‑Andalus avaient fait de même pour montrer
leur ralliement à sa cause 24 . Abū Zakariyyā’ al‑Warğlānī relate
une autre anecdote à ce propos, qui met en scène le futur rebelle
Abū Yazīd, « l’Homme à l’Âne » qui allait assiéger le calife
fatimide à Mahdia dans les années 940. Selon ce chroniqueur, sa
dissidence aurait été provoquée par l’humiliation subie de la part
d’un habitant d’Égypte qui, le croisant en route vers le pèlerinage
et la tête rasée, l’aurait frappé après s’être écrié : « Couvre-toi la
tête, homme séditieux [ṯā’ir] 25 ». Outre la référence possible
aux révoltes berbères, le fait d’arborer un crâne nu peut entrer en
contradiction avec les rites de l’iḥrām, qui stipulent qu’il faut
justement s’abstenir de se couper les cheveux avant d’avoir
accompli son pèlerinage. Ce n’est en effet qu’à la fin du ḥağğ que
le pèlerin pouvait se raser entièrement en signe de purification.
Ce geste marque peut-être ici, et dans les récits sur les révoltes,
une forme d’adhésion à l’idéal kharijite du « sacrifice » (širā’). En
tout cas, sous la plume d’Ibn Sallām, ce qui est symbole de
révolte pour les partisans du califat se convertit en marque de
piété et d’humilité 26 .
20 De même, le dénuement dans lequel seraient plongés les
Berbères, privés de tout le confort et la sécurité qu’apportent la
civilisation urbaine et le développement de l’État, apparaît
comme un gage de pureté, comme la promesse d’un retour aux
sources de la religion, à l’enfance de l’islam. C’est une façon
adroite de réfuter la hiérarchie des peuples dressée par les
géographes comme par les chroniqueurs sunnites dans leurs
récits de la conquête du Maghreb. Qu’on se rappelle l’image
frappante du ğund syrien, dirigé par Balğ, qui aurait affronté sur
l’oued Sebou, en 123/740-741, des combattants nus, armés de
frondes primitives 27 . C’est aussi une réponse à la célèbre geste
de ʻUqba b. Nāfiʻ, sorte de saga à la gloire des conquérants
arabes. Lorsque ʻUqba atteignit Tanger, voici le portrait que le
légendaire souverain local, Julien, lui aurait dressé des
Berbères :
Tu as laissé derrière toi les Rūm-s et n’as devant toi que les
Berbères. Ils sont comme les bêtes d’un troupeau [al‑bahā’im]. Ils
n’ont adopté ni la religion chrétienne ni aucune autre. Ils se
nourrissent de cadavres [al‑ğayf], mangent leurs propres bêtes
[mawāšihim] et boivent le sang de leurs nuques. Ils n’ont jamais cru
en Dieu Tout-Puissant et ils ne le connaissent même pas ! 28 .
21 Dans les deux cas, se profile le thème de la Ğāhiliyya, l’ère de
l’ignorance, mais celle-ci est perçue tantôt comme la menace
d’un retour au paganisme et au chaos anétatique, tantôt comme
la possibilité d’un ressourcement de l’islam.
22 Mais il y a mieux : le deuxième hadith prend le contre-pied du
schéma narratif habituel de la conquête du Maghreb. Les
Berbères envoyés en Orient par ʻAmr b. al‑ʻĀṣ ne font pas figure
de trophées ou de pièces de butin exhibées par les conquérants,
comme c’est le cas dans les nombreuses anecdotes relatives à
la réduction en esclavage des autochtones et de leurs femmes,
condamnées à peupler le harem des califes. Bien au contraire, ils
repartent comblés d’honneurs et, surtout, ils viennent à former
l’avant-garde de l’armée des conquêtes. Ce détail n’est pas
anodin puisqu’il s’agit de faire des Berbères les véritables acteurs
de la diffusion de l’islam au Maghreb. La brutalité de la prise de
possession des terres occidentales par les Arabes apparaît
d’autant plus illégitime que les Berbères seraient en réalité des
musulmans sincères et exemplaires, et que le Maghreb aurait été
gagné à la religion révélée par un processus d’auto-islamisation :
ce seraient ses habitants qui y auraient diffusé l’islam
authentique, l’ibadisme. En creux se dessine la légende des
« porteurs de science » (ḥamalat al‑ʻilm) qui, depuis Baṣra,
auraient introduit la doctrine au Maghreb 29 .
23 Cet éloge des Berbères, principalement fondé sur des arguments
religieux, aurait pu se suffire à lui-même, mais Ibn Sallām
introduit un autre élément de légitimation, courant dans la
littérature šuʻūbite : la généalogie. Le deuxième hadith fait en
effet dériver ces populations de Barr b. Qays b. ʻAylān, supposé
être un descendant de Muḍar, l’ancêtre mythique des Qaysites
ou Qays ʻAylān, les Arabes du Nord. Cette construction
généalogique est bien connue des auteurs médiévaux comme de
l’historiographie postérieure. En effet, les sources orientales
contemporaines d’Ibn Sallām, comme le Kitāb futūḥ al‑buldān
d’al‑Balāḏūrī (m. 279/892) 30 ou le Kitāb al‑buldān d’al‑Yaʻqūbī
(m. 283/897), la signalent aussi. À propos de la région de Barqa,
ce dernier évoque justement les Luwāta, dont Ibn Sallām était
membre, en précisant qu’ils se plaçaient dans la filiation d’un
certain Luwāta b. Barr b. Qays ‘Aylān. Ce discours cohabitait
avec d’autres représentations, puisque certains groupes se
rattachaient à la prestigieuse lignée arabe des Laḫmides, dont
une partie serait venue s’installer au Maghreb, quand ils ne
s’affiliaient pas plutôt aux Byzantins (Rūm) 31 . Ibn Ḥazm
souligne que les Berbères se disaient aussi bien d’origine qaysite
— alors que Qays n’avait jamais eu de fils nommé Barr, précisait-
il — que de lignée ḥimyārite, donc yéménite 32 . Ibn Ḫaldūn, qui
opère une synthèse de ces traditions, écarte, lui aussi, le postulat
d’une origine commune des Arabes et des Berbères 33 . La
lecture de l’opuscule d’Ibn Sallām nous permet en tout cas de
supposer — ce que confirme d’ailleurs al‑Yaʻqūbī — que
l’apparition de ces filiations généalogiques doit beaucoup au
contexte des révoltes kharijites du milieu du e siècle et à
l’émergence des premières entités politiques autonomes au
Maghreb. Se dire qaysite dans ce contexte revenait à contester
le discours sur la primauté des Arabes et de l’Orient dans l’Islam.
Il n’en reste pas moins qu’Ibn Sallām introduit des détails inédits
dans la biographie fictive de ce Barr b. Qays. Dans une sorte de
variation autour du mythe de Caïn et Abel, le crime commis par
Barr b. Qays rompt l’unité originelle des deux peuples et fonde
l’exil des Berbères — peuple implicitement reconnu comme
indomptable — vers l’Occident.

« Il mettra un autre peuple à votre


place, et ces gens ne vous
ressembleront pas »
24 Le dernier composant du triptyque vient renforcer le thème de
l’élection divine des Berbères. Cette fois-ci, c’est derrière
l’autorité du premier et du dernier des quatre califes « bien
guidés » que s’abrite l’argumentation, qui convoque aussi le
célèbre transmetteur Ibn Masʻūd et la figure, plus obscure mais
connue des sources sunnites, d’al‑Bakrī :
‫ ﯾﺎ أھل ﻣ ّﻛﺔ و ﯾﺎ أھل اﻟﻣدﯾﻧﺔ‬:‫ ﻗﺎل ﻋﻠﻲ ﺑن أﺑﻲ طﺎﻟب‬:‫و ﺑﻠﻐﻧﺎ ﻋن رﺟل ﻣن ذرﯾّﺔ أﺑﻲ ﺑﻛر ﻗﺎل‬
‫ و ھم اﻟذﯾن‬،‫أُوﺻــــﯾﻛم ﺑﺎ و ﺑﺎﻟﺑرﺑر ﻓﺈﻧّﮭم ﺳﯾﺄﺗوﻧﻛم ﺑدﯾــن ﷲ ﻣن اﻟﻣـــــﻐرب ﺑﻌد إذ ﺗﺿﯾﻌوﻧﮫ‬
‫ذﻛــــر ﷲ ﻓﻲ ﻛﺗﺎﺑﮫ )ﻓﺳوف ﯾﺄﺗﻲ ﷲ ﺑﻘوم ﯾﺣﺑّﮭم و ﯾﺣﺑّوﻧﮫ( إﻟﻰ ﻗوﻟﮫ )ﻟوﻣﺔَ ﻻﺋِم( ﺛم ﻻ ﯾﻧظرون ﻓﻲ‬
‫ ﻓﻣن ﺣﯾن ﻗﺗل ﻋﻠﻲ ﺑن أﺑﻲ طﺎﻟب إﻧّ َﻣﺎ ﻧُﻘﺎﺗل ﻧﺣن اﻟﻌرب‬:‫ ﻗﺎل اﻟﺑﻛري‬.‫ﺣﺳب أﺣد ﺧﺎﻟف طــﺎﻋﺔ ﷲ‬
‫ ﻗﺎل‬.‫ و ﻣن ﺣﯾن اﻟﻔﺗﻧﺔ ﻓﺈن اﻟـــﺑرﺑر اﻧّﻣﺎ ﯾﻘﺎﺗﻠون ﻋﻠﻰ دﯾـــــن ﷲ ﻟﯾﻘﯾﻣوه‬،‫ﻋﻠﻰ اﻟدﯾﻧــــﺎر و اﻟدرھم‬
‫ ﯾﺎ أھل‬:‫ ﻗﺎم ﻓﻲ آﺧر ﺣ ّﺟﺔ ﺣ ّﺟﮭﺎ ﺧطﯾﺑًﺎ ﻓﻘﺎل‬:‫ و رﻓﻊ اﻟــﺣدﯾث إﻟﻰ ﻋﺑد ﷲ ﺑن ﻣﺳﻌود ﻗﺎل‬.‫اﻟﺑــــﻛري‬
‫ﻣ ّﻛـﺔ و ﯾﺎ أھل اﻟﻣـــدﯾﻧﺔ أوﺻﯾﻛم ﺑـــﺗﻘوى ﷲ و اﻟﺑرﺑر ﻓﺈﻧﱠﮭم ﺳﯾﺄﺗوﻧﻛم ﺑدﯾن ﷲ ﻣن اﻟﻣﻐرب و ھم‬
.‫ و إن ﺗﺗوﻟّوا ﯾﺳﺗﺑدل ﻗو ًﻣﺎ ﻏﯾرﻛم‬:‫[ اﺳﺗﺑدل ﷲ إذ ﯾﻘول‬...]
Il nous a été rapporté par un descendant d’Abū Bakr ces propos de
ʻAlī b. Abī Ṭālib : « Ô Mecquois et Médinois, je vous confie à Dieu et
aux Berbères, car ces derniers viendront vers vous depuis le
Maghreb avec la religion de Dieu, après que celle-ci leur ait été
apportée. Ce sont eux que Dieu mentionne dans son Livre (“Dieu
fera bientôt venir des hommes ; il les aimera, et eux aussi
l’aimeront”) jusqu’à (“le blâme de celui qui blâme”)[ 34 ], et ils
n’auront aucune considération pour quiconque s’opposera à
l’obéissance que l’on doit à Dieu ». Al‑Bakrī a dit : « Du temps où ʻAlī
b. Abī Ṭālib fut assassiné, nous autres les Arabes nous combattions
pour de l’argent, et au temps de la fitna, les Berbères combattaient
quant à eux pour établir la religion de Dieu ». Al‑Bakrī, qui tenait ce
hadith de ʻAbd Allāh b. Masʻūd, a raconté que, lors du pèlerinage de
l’adieu, le Prophète avait prononcé dans son sermon les paroles
suivantes : “Ô Mecquois et Médinois, je vous recommande la crainte
de Dieu et je vous confie aux Berbères, car ils viendront vers vous
depuis le Maghreb avec la religion de Dieu, et […]”. Dieu manifeste
sa volonté de changement lorsqu’il déclare : « Si vous tournez le dos,
il mettra un autre peuple à votre place 35 » 36 .
25 Les attaques portées contre les « Arabes » se font plus précises.
Depuis le règne du troisième calife, ʻUṯmān, ils se seraient livrés
à la vénalité et à la corruption, déclenchant ainsi la fitna qui a
brisé l’unité de l’islam. Ces accusations, étayées par l’évocation
du moment solennel du pèlerinage de l’adieu et par l’exégèse de
deux versets coraniques, justifient le remplacement de l’ancienne
élite de la foi par la nouvelle garde, incarnée selon lui par les
Berbères. Les véritables « dissidents » ou « kharijites », ce sont
les Arabes, responsables de la fitna, suggère Ibn Sallām : les
Berbères, loin d’être des agents de la discorde, n’obéissent qu’à
Dieu. Ibn Sallām s’appuie alors sur une lecture šuʻūbite du
Coran, XLVII, 38, interprété comme l’annonce du remplacement
des Arabes par un nouveau peuple élu 37 . Pour Ibn Sallām il
s’agit des Berbères, naturellement, mais beaucoup d’encre avait
coulé en Orient à ce sujet. Ce verset avait par exemple nourri les
revendications des Yéménites contre les Qurayš, comme le
laissent entendre certaines interprétations contenues dans le
Tafsīr du Syrien Ibn Kaṯīr (m. 774/1373) 38 . La référence
coranique vient en tout cas couronner la thèse du déclin de
l’Orient en faveur de l’Occident, des Arabes au profit des
Berbères.
26 L’œuvre d’Ibn Sallām offre ainsi une occasion unique de pénétrer
au cœur d'un processus de légitimation des pouvoirs autonomes
berbères qui débute dans la seconde moitié du e siècle. C’est

également un témoignage irremplaçable sur la stratégie


d’implantation des mouvements kharijites au Maghreb à cette
période. La conquête des groupes tribaux par l’ibadisme semble
avoir largement reposé sur l’exacerbation du clivage entre les
élites conquérantes, venues d’Orient, et les populations locales.
Ce clivage a été transcrit dans le langage de l’ethnicité, que l’on
peut définir comme l’identification à un groupe culturel et
linguistique dont l’unité fictive repose sur l’opposition à une autre
entité collective présentée comme homogène.

La généalogie mythique des


Rustamides, ou la confluence des
deux peuples
27 C’est ainsi que l’ibadisme maghrébin semble s’être assez
rapidement identifié aux « Berbères » face aux forces de
l’Empire, perçues comme étrangères et dominatrices, et
rassemblées sous l’étiquette commode d’un label ethnique
commun : les « Arabes ». Dans le même temps, la nébuleuse
kharijite, tout en se réclamant des vieux lignages yéménites en
Arabie, soutenait les « Perses » contre les « Arabes » dans les
provinces de l’Est. La šuʻūbiyya persane précéda-t-elle la
šuʻūbiyya berbère et lui servit-elle de modèle ? Cela n’a rien de
sûr, car on a plutôt l’impression de deux phénomènes qui se sont
développés de façon relativement synchrone et autonome, en
puisant chacun dans un arsenal argumentatif assez distinct.
Quand, en milieu berbère, se développait une apologie de la
piété des autochtones, représentants d’un Islam dépouillé de
toute fioriture, les défenseurs de la cause persane se réclamaient
au contraire d’un empire immémorial et raffiné, tournant en
dérision la rusticité des nouveaux maîtres de l’Orient !
28 Il dut pourtant y avoir des relations entre ces deux discours,
diffusés respectivement à l’est et à l’ouest du domaine de l’Islam
par la mouvance kharijite. On sait à quel point les contacts et les
circulations entre les foyers orientaux de l’ibadisme (Baṣra, l’Iraq,
voire le Ḫurasān) et le Maghreb ont été intenses au cours des
e- e siècles. Le premier imam de Tāhart, ʻAbd Allāh

b. Rustam, était d’ailleurs « persan » et la ville, surnommée


« l’Iraq du Maghreb », abritait une colonie de « Persans » (qawm
min al‑furs) 39 . Les communications entre ces deux foyers de
propagande expliquent très certainement pourquoi, à une période
indéterminée, les auteurs ibadites commencèrent à faire
remonter les Rustamides aux « rois des rois » de l’ancienne
Perse. Ce montage généalogique est attesté pour la première
fois dans le Kitāb siyar al-aʾimma d’Abū Zakariyyā’ al‑Warğlānī,
composés dans le bassin de Ouargla vers la fin du e siècle.
Dans cet ouvrage, le récit de la propagation de la doctrine au
Maghreb est précédé par deux séries de faḍā’il consacrés aux
Perses et aux Berbères.
29 La partie sur les Berbères reproduit mot à mot les trois hadiths
que nous avons déjà analysés, ce qui souligne leur popularité en
milieu ibadite. Il ne s’y ajoute qu’un seul récit, non pas un hadith
prophétique, mais une simple maxime attribuée à ʻĀ’yša :
‫ ﻣن أي‬:‫ ﻗﺎﻟت‬.‫ أﻧّﮭﺎ أﺑﺻرت ﺻﺑﯾّﺎ ﻟﮫ ذؤاﺑﺗﺎن ذا ﺟﻣﺎل و ھﯾﺄة‬،‫ رﺿﻰ ﷲ ﻋﻧﮭﺎ‬،‫وﺑﻠﻐﻧﺎ ﻋن ﻋﺎﺋﺷﺔ‬
‫ اﻟﺑرﺑر ﯾﻘودون اﻟﺿﯾف و‬:‫ رﺿﻰ ﷲ ﻋﻧﮭﺎ‬،‫ ﻗﺎﻟت ﻋﺎﺋﺷﺔ‬.‫ ﻣن اﻟﺑرﺑر‬:‫ﻗﺑﯾل ھذا ﻣن اﻟﺳﺑﺎء؟ ﻗﺎﻟوا‬
.‫ﯾﺿرﺑون اﻟﺳﯾّف و ﯾﻠﺟﻣون اﻟﻣﻠوك ﻟﺟﺎم اﻟﺧﯾل اﻟﻠﺟم‬
Il nous a été rapporté que ʻĀ’yša, puisse Dieu être satisfait d’elle, vit
un jeune garçon qui portait deux nattes de cheveux. Il avait belle
apparence. Elle demanda alors : « À quelle lignée celui-ci appartient-
il, parmi les captifs ? ». On lui répondit : « Des Berbères ». Alors
ʻĀ’yša, puisse Dieu être satisfait d’elle, déclara : « Les Berbères
savent conduire l’hôte, frapper de leur épée et mettre la bride aux
rois comme on bride les chevaux » 40 .
30 Le détail visuel des cheveux tressés n’est pas anodin : il renvoie
à la tradition exégétique de l’Islam classique. Dans le Tafsīr de
Māturīdī (m. 333/945) on trouve, parmi les explications possibles
du mystérieux Ḏū l‑Qarnayn — le « Bicornu », généralement
identifié à Alexandre le Grand — l’évocation des deux nattes qui
auraient formé comme des « cornes » de chaque côté de son
visage 41 . Al‑Ṯaʻlabī (m. 427/1035) fait de cette coiffure un
insigne de beauté et de noblesse 42 . Cette façon de nouer les
cheveux est par ailleurs associée à la figure de Zayd b. Ṯābit qui,
alors qu’il n’était encore qu’enfant, suivit le Prophète dans son
Hégire 43 . Le recyclage de ce motif dans l’apologétique ibadite
permet une fois de plus de transformer l’altérité berbère en signe
d’élection. Quant à l’image finale, fière revendication de
l’insoumission berbère, elle porte le sceau de l’idéologie kharijite.
31 Dans la seconde moitié du e siècle, la rhétorique ethnicisante
des faḍā’il al-Barbar semble être devenue un élément familier de
la culture ibadite, dans un espace qui s’étend de Djerba et du
Djérid aux oasis du nord du Sahara. Al‑Darğīnī au e siècle se

contente de reproduire la version la plus ancienne 44 . En


revanche, l’éloge des Perses qui ouvre les Siyar d’Abū Zakariyyā’
constitue une innovation. L’auteur saharien affirme puiser sa
matière dans l’œuvre d’al‑Ğāḥiẓ (m. 255/858-859) et d’Ibn
Qutayba (m. 276/889). Nous n’avons pas pu vérifier l’exactitude
de cette assertion, car il faudrait mener une recherche plus
approfondie dans l’œuvre de ces deux auteurs. En revanche,
nous avons pu constater qu’Abū Zakariyyā’ importait des
morceaux choisis, bien connus de la littérature orientale, qu’il
mettait néanmoins au service d’un objectif local étroitement
corrélé à la stratégie discursive des faḍā’il al-Barbar. Il s’agit en
effet de renforcer le prestige des imams de Tāhart en les dotant
d’une ascendance impériale et de plaider ainsi pour le Maghreb
face à l’Orient. L’obscur ʻAbd Allāh b. Rustam devient par cette
opération un lointain descendant de Chosroès, l’une des figures
centrales de la littérature politique arabe 45 . Un songe
prémonitoire, bien connu des sources orientales, avertit le « roi
des rois » de la chute prochaine de son empire et de l’avènement
de l’islam, tout en annonçant que le règne des Perses sera
restauré en Occident au bout de plusieurs générations 46 . Or
Abū Zakariyyā’ voit précisément dans l’imamat rustamide
l’héritier de la dynastie perse. Le discours mis en œuvre par Ibn
Sallām se trouve alors complété : l’islam, corrompu à la racine
par la fitna des Arabes, a connu une nouvelle vie dans le terreau
encore vierge de l’Occident berbère, fécondé par le legs politique
de l’ancienne Perse. Que le personnage de Chosroès ait incarné
la toute-puissance du pouvoir impérial, en contradiction
manifeste avec le discours ibadite sur la « tyrannie », ne semble
pas contrarier Abū Zakariyyā’. L’essentiel est de fabriquer du
mythe, pour la collectivité et pour la postérité, en conférant aux
Rustamides, balayés depuis longtemps de la carte politique du
Maghreb, une stature impériale digne de leurs adversaires. En
faisant converger dans son portrait les deux registres principaux
de la šuʻūbiyya, Abū Zakariyyā’ scelle l’union des deux grands
peuples non-arabes de l’Islam, réduisant ainsi le domaine califal
à une base ethnique finalement étroite, celle de l’arabité.
Quelques décennies plus tôt, le Cordouan Ibn Ḥazm
(m. 456/1064) attribuait lui aussi aux Rustamides une généalogie
impériale persane 47 . Alors qu’il écrit peu avant la chute de
Tāhart en 296/909, Ibn Ṣaġīr n’en touche pourtant pas mot, ce
qui permet de situer cette conversion posthume entre le e et le
milieu du e siècle. Confrontée au morcellement de ses

communautés et à la domination politique des Fatimides et de


leurs épigones ziride et hammadide, l’orthodoxie wahbite fut
également défiée, pendant cette période, par la vigueur du
prosélytisme nukkārite et par le modèle de résistance incarné par
son leader messianique, Abū Yazīd. Dans ce contexte, l’imamat
rustamide fut d’autant plus idéalisé qu’il allait devenir le symbole
unificateur d’un âge d’or perdu.

Une relecture sunnite des faḍā’il


ibadites
32 Les faḍā’il al-Barbar transmis par Ibn Sallām sont devenus un
élément du patrimoine communautaire ibadite au Maghreb, mais
leur vie ne s’est pas arrêtée aux frontières de cette minorité
religieuse, semble-t-il. Nous avions déjà signalé qu’une partie de
ce matériel semblait avoir été réutilisée par deux sources
marocaines de l’époque mérinide, le Kitāb al‑ansāb (« Livre des
généalogies ») d’Ibn ʻAbd al‑Ḥalīm et le Kitāb mafāḫir al‑barbar
anonyme 48 , mais nous n’avions pas été assez attentifs aux
variations que ces deux textes du e siècle comportaient par
rapport à la lectio d’Ibn Sallām. Nous concentrerons notre
attention sur le premier de ces deux ouvrages.
33 Ibn ʻAbd al‑Ḥalīm nous livre en effet une version qui s’apparente
structurellement et formellement au deuxième hadith, mais
diverge sur le fond 49 . Il affirme l’avoir tirée d’un ouvrage sur les
Berbères écrit en 420/1029-1030 par un certain Abū l-Ḥasan ʻAlī
al‑Tamīmī à « Abbada », c’est-à-dire Úbeda en al‑Andalus :
Wahb b. Munabbih et Kaʻb al‑Aḥbār ont raconté qu’un jour où ʻAmrū
b. al‑ʻĀṣ siégeait avec ses compagnons en Égypte, un groupe de
Maghrébins vint lui rendre visite. Leurs têtes et leurs barbes étaient
complètement rasées. D’après ce que j’ai compris, tous deux ont
rapporté qu’ils étaient douze. ʻAmrū b. al‑ʻĀṣ leur demanda alors :
« D’où viennent ces hommes ? ». Ils répondirent : « Du Maghreb
extrême [al‑Maġrib al‑Aqṣā] ». Il les interrogea : « Quel est le motif
de votre visite ? ». « Le désir de l’islam et l’amour de la religion de
Muḥammad — puissent la prière et le salut lui être accordés »,
déclarèrent-ils. Il les questionna alors : « Pourquoi vos têtes et vos
barbes sont-elles rasées ? », car ils avaient tondu de près leurs
têtes, à la façon des hommes de religion chez les chrétiens. Ils
répondirent : « C’est quand nous avons appris que Dieu — qu’il soit
béni et exalté — avait envoyé son Prophète — puissent la prière et le
salut lui être accordés — pour appeler la Création à la religion de
Dieu. Il nous a éclairés, nous qui étions ignorants, et nous avons
alors rasé sur nos têtes [tous les cheveux qui y avaient poussé] à
l’ère de l’infidélité. Ils se rasèrent donc, jusqu’à ce que leurs poils
repoussent au temps de l’islam. ʻAmrū b. al‑ʻĀṣ envoya alors à ʻUmar
b. al‑Ḫaṭṭāb — puisse Dieu être satisfait de lui — une lettre où il
racontait ce qu’ils lui avaient dit. Il les envoya à ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb
avec un traducteur, pour qu’il puisse comprendre leurs langues
berbères. Quand ils arrivèrent auprès de ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb
— puisse Dieu être satisfait de lui —, il leur demanda : « Qui êtes-
vous ? ». « Des Berbères du Maghreb extrême », répondirent-ils.
ʻUmar demanda alors à l’assemblée : « Connaissez-vous ce groupe
de population ? ». Dans l’assemblée, un šayḫ répondit alors que oui,
et il demanda aux Berbères : « À quel groupe de Berbères
appartenez-vous ? Aux Berbères Qays ou aux Berbères Barnūs ? ».
Ils lui répondirent alors : « Nous sommes des Berbères Qays ». Le
šayḫ expliqua alors à ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb : « Commandeur des
croyants, Qays ʻAylān avait un fils nommé Barr. Il partit après s’être
mis en colère contre ses frères et alla s’installer chez les Berbères du
Maghreb, où sa descendance prospéra, de sorte que les Arabes
disaient d’eux : barbartum, c’est-à-dire « vous vous êtes multipliés
parmi les Berbères ». ʻUmar les questionna : « Vivez-vous dans des
villes ou dans des terres incultes [fī l-bawādī] 50 ? ». Ils répondirent
qu’ils n’avaient pas de villes. « Mais ne craignez-vous pas, en vivant
dans les terres incultes d’être à la merci des conquérants ? ». Ils lui
répondirent : « Nous cultivons l’art équestre et sommes éloignés des
attaques ». ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb s’exclama alors : « Grâce soit rendue
à Dieu, qui m’a fait vivre assez longtemps pour rencontrer ces
gens ! ». « Pourquoi es-tu si content de les voir ? », lui demandèrent
ses compagnons. Il raconta alors : « J’étais avec le Messager de
Dieu — puissent la prière et le salut lui être accordés — au cours de
l’une de ses expéditions, et je vis beaucoup d’infidèles [ahl al‑širk] et
peu de musulmans. Cela me fit pleurer. Le Messager de Dieu
— puissent la prière et le salut lui être accordés — me demanda
alors : « Pourquoi pleures-tu, ô Ibn al‑Ḫaṭṭāb ? ». À mes explications,
il répondit : « Dieu fortifiera la religion jusqu’à ce que viennent à vous
des groupes des tribus du Maghreb ».
ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb se montra bon à leur égard. Après réflexion il
écrivit ensuite à ʻAmrū b. al‑ʻĀs de les placer à l’avant-garde de ses
troupes, ce qu’il fit. Ils provenaient de différentes fractions [afḫāḏ].
Selon une autre version rapportée par ʻAlī b. ʻUmar al‑Tamīmī
d’après ʻUmar b. al‑Ḫaṭṭāb, [le Prophète] aurait dit : « Dieu fortifiera la
religion grâce à un groupe de Berbères qui constituera pour les
musulmans un barrage à leurs frontières ». Je pense que c’est un
hadith.
Dans son livre, ʻAlī b. ʻUmar al‑Tamīmī 51 écrit qu’un Berbère se
rendit un jour à la ville du Prophète — puisse le salut lui être
accordé — mais Dieu, dans sa bienveillance, venait de se saisir de
ce dernier. Il demanda alors une audience à Fāṭima, la fille du
Messager de Dieu — puissent la prière et le salut lui être accordés —
et déclara à son serviteur : « Je désire saluer la Famille de la Maison
[ahl al‑bayt] du Messager de Dieu — puissent la prière et le salut lui
être accordés. Elle lui demanda alors : « Qui es-tu ? ». « Un Berbère,
habitant du Maghreb », dit-il. Elle s’en réjouit alors et se montra
bienveillante à son égard en lui envoyant un présent. Elle lui expliqua
en effet : « J’ai entendu le Messager de Dieu — puissent la prière et
le salut lui être accordés — dire : “Chaque Prophète a des apôtres
[ḥawārī], et mes apôtres à Médine sont les Anṣār. Mais ma
descendance établie au Maghreb extrême aura pour apôtres les
Berbères. Ô Fāṭima, Ḥasan et Ḥusayn seront tués, et les seuls à
accorder l’hospitalité à leur descendance seront les Berbères du
Maghreb extrême. Malheur à ceux qui les ont tués et chassés ! Bénis
soient ceux qui les ont aimés, accueillis et bien traités ! Ô Fāṭima,
Dieu — gloire à Lui — a mis dans les cœurs des Berbères, pour ma
descendance, de la bonté et de la bienveillance. Or quiconque aime
ma famille les aime aussi. Ô Fāṭima, à la fin des temps les Berbères
se dresseront avec assurance au service de cette religion, engagés
sur un juste chemin” » 52 .
34 Bien que l’isnād de ce récit remonte aux tout premiers temps de
l’islam, il s’agit très certainement d’une tradition élaborée en
réaction aux hadiths produits par les milieux kharijites, et qui a
circulé de part et d’autre du Détroit jusqu’à Úbeda, l’un des
bastions de l’arabité en al‑Andalus. La structure narrative,
semblable à ce que l’on trouve dans le deuxième texte, défend ici
une hiérarchie sociale tout à fait classique. La primauté des
Qurayš et des Arabes n’est pas remise en cause : bien au
contraire, les Berbères sont présentés comme leurs plus fidèles
alliés, chargés de défendre et étendre l’islam à ses frontières. La
deuxième séquence reprend sur un mode simplifié la structure du
premier hadith mais, outre que Fāṭima remplace ʻĀ’yša, les
Berbères apparaissent avant tout comme de dignes serviteurs de
la Famille du Prophète. En résumé, il s’agit d’une construction
idéologique qui valorise le rôle des Berbères dans l’Islam sans
pour autant remettre en question les hiérarchies sociales héritées
du temps de la conquête. L’allusion à la fuite vers l’ouest des
descendants de Ḥasan et de Ḥusayn se réfère bien sûr à la
geste idrisside. D’où peut venir ce matériau littéraire, consigné
par écrit à Úbeda vers 1029-1030 ? Peut-être du royaume voisin
de Málaga, fondé justement quelques années auparavant par les
Ḥammūdides. Cette dynastie locale se disait en effet issue du
lignage idrisside, et donc descendante de ʻAlī et de Fāṭima
— dont l’apparition dans notre récit s’explique mieux — par leur
fils Ḥasan. Cette généalogie prestigieuse leur servit d’alibi pour
prétendre au califat, mais les Ḥammūdides s’identifiaient très
largement aux Berbères. Ils étaient donc tout à fait susceptibles
de s’approprier le mythe de Barr b. Qays et les faḍā’il al-Barbar
qui circulaient au Maghreb à partir d’une lecture beaucoup plus
consensuelle, où le portrait de la dévotion des Berbères ne
contredisait nullement la hiérarchie sociale et culturelle alors en
vigueur dans le domaine sunnite.
35 Les trois hadiths sur les « mérites des Berbères » que contient
l’ouvrage d’Ibn Sallām constituent un témoignage unique sur
l’usage politique du thème et du registre de la šuʻūbiyya en milieu
ibadite et dans un contexte de confrontation avec l’Empire
abbasside ou son héritier affranchi, l’émirat aghlabide de
Kairouan. Loin de se réduire à une simple « controverse
littéraire », la šuʻūbiyya semble avoir alimenté, dans ce contexte,
des logiques de différenciation spatiale et politique — entre
l’Orient et le Maghreb, l’Empire et les populations « conquises ».
Elle semble aussi avoir contribué à la légitimation des révoltes
« kharijites » qui aboutirent à la formation des premières formes
de gouvernement autonome au Maghreb, dans la seconde moitié
du e siècle. Ces récits nous éclairent donc sur un aspect

fondamental de la propagande (daʻwa) ibadite au Maghreb : la


construction d’une altérité entre « Arabes » et « Berbères ».
Puisant dans la forme littéraire des faḍā’il ou des mafāḫir dédiés
aux peuples de l’Islam, la mouvance dont Ibn Sallām se fait le
porte-parole lui donne toutefois un sens bien différent, marqué du
sceau doctrinal de la nébuleuse kharijite.
36 Pour comprendre les enjeux de cette querelle des peuples, il faut
tout d’abord faire tomber les œillères de la sectorisation
géographique dans laquelle s’enferment trop souvent les études
scientifiques. Bien qu’Ibn Sallām écrive dans un cadre bien
délimité spatialement et idéologiquement — on pourra dire par
facilité qu’il appartient à une « minorité » —, son œuvre
ambitionne avant tout de forger, pour le groupe dont il se
réclame, une mémoire collective. C’est ainsi que les Berbères
deviennent le peuple dépositaire de l’islam véritable, c’est-à-dire
de l’ibadisme présenté comme le seul héritier fidèle de la
Révélation, et que, partant, le Maghreb en devient le seul
véritable foyer. Si l’Orient et les Arabes ont été premiers dans
l’Islam, cette antériorité ne saurait fonder une préséance
hiérarchique. En sombrant dans la fitna, les Arabes ont perdu
leur rang et sont devenus des maîtres tyranniques, auxiliaires de
l’Empire. Tout juste arrachés au paganisme, les Berbères sont au
contraire porteurs d’un islam revenu à l’enfance, comme l’étaient
les Bédouins d’Arabie au temps de la Révélation.
37 Cet échantillon de šuʻūbiyya berbère diffère très sensiblement de
ce que l’on peut connaître, dans l’Orient de la même époque, de
la querelle des « Perses » contre les « Arabes », même si vers la
fin du e siècle, Abū Zakariyyā’ al‑Warğlānī allait construire des
ponts entre ces deux discours. Premièrement, l’argumentation
déployée dans l’opuscule d’Ibn Sallām possède une portée
politique et religieuse évidente, qui s’explique par le rattachement
doctrinal de son auteur. Par ailleurs, elle retourne les arguments
de ses adversaires en faisant de la rusticité des Berbères un
signe de dévotion et de sincérité religieuse opposé à la
corruption de l’Orient impérial. Outre les transferts qui ont pu
s’opérer entre la mouvance kharijite orientale et le Maghreb, les
trois hadiths en question sont surtout une réponse éclatante aux
récits de la conquête du Maghreb, tels qu’ils se déployèrent dans
la littérature abbasside dès le e siècle. Il faut avoir à l’esprit que
cette littérature a forgé une série de stéréotypes sur les Berbères
— présentés comme des rebelles chroniques, incultes et
déviants — en réaction précisément au défi politique qu’avaient
représenté les révoltes du milieu du e siècle. Et c’est à ce type

de représentation qu’Ibn Sallām et ses prédécesseurs ont


opposé une contre-mémoire.
38 Devenu un élément du patrimoine collectif de l’ibadisme, ces
hadiths semblent avoir circulé parmi les Berbères. Mieux encore,
ils firent l’objet d’une réappropriation et d’une réécriture en milieu
sunnite. Le Kitāb al‑ansāb d’Ibn ʻAbd al‑Ḥalīm, écrit dans le
royaume mérinide au début du e siècle mais à partir d’un autre

traité composé à Úbeda en 1029-1030, reprend la même


structure tout en adaptant l’éloge des Berbères à un horizon
doctrinal orthodoxe. En effet, les Berbères y sont présentés
comme des musulmans exemplaires sans que la primauté des
Arabes soit remise en question. Nous avons proposé de voir
dans cette formulation consensuelle la marque d’un recyclage
des hadiths d’inspiration kharijite au Maghreb occidental, peut-
être dans l’entourage des Ḥammūdides.
39 L’étude de ce matériau narratif, dont la plasticité est remarquable,
nous a conduits à tenter de retracer des chaînes de transmission.
Bien qu’incomplet, ce travail de reconstitution nous a menés par
différents canaux de l’Orient abbasside au Maghreb ibadite, qui
se sont livrés une véritable guerre des représentations. Les
faḍā’il al-Barbar ont continué à circuler et à susciter des
réponses, dont on perçoit les échos au Maghreb occidental et
jusqu’en al‑Andalus. L’histoire locale ou communautaire, qui
confine parfois à la microhistoire, ne prend sens, en vérité, que
par ces connexions multiples.

NOTES
1.A , 2015.
2.S , 1983 ; I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par
S et I Y ʻ , 1986.
3.B H , 2015.
4.G , 1966, t. I, p. 144.
5.Ibid., p. 145.
6.M , 1976, p. 162
7.Ibid., p. 181.
8.Ibid., p. 162.
9. Voir par exemple N , 1990 et E , 1997.
10.G , 1962, p. 69.
11.G , 2014a.
12. Helena De Felipe (D F , 2018) s’est également
intéressée à ces hadiths, mais avec un champ de vision plus
large et dans une optique différente de la nôtre. Nos deux
travaux se complètent donc plutôt qu’ils ne se répètent.
13.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, trad. de
L T , 1960, pp. 106-107 (ici revue et corrigée par
l’auteur de cet article).
14.A , 2015.
15.A -Ṭ , Ta’rīḫ al-rusul wa l-mulūk, éd. par ‑Ğ ḥ,
2008, t. IV, pp. 1512-1516 ; trad. de B , 1989, t. 27,
pp. 112-121.
16.I ʻIḏ -M , Kitāb al-bayān al-muġrib, éd. par
C et L -P , 1983, t. I, p. 70.
17.I Ḥ , Musnad, t. XIV, no 8803, p. 402.
18. Pour ne citer que cet exemple : I ., Kitāb al-sunna, t. II,
p. 622.
19.I Ḥ , Musnad, t. XI, no 7064, p. 636.
20.A -Ṭ , al-Muʻǧam al-kabīr, t. XVII, p. 299 ; A -S ṭ,
al-Āla’ al-maṣnūʻa fī l‑aḥādīṯ, t. I, p. 144.
21.A -Ṭ , al-Muʻǧam al-kabīr, t. XX, p. 332.
22.N ʻ I Ḥ ,Kitābal-fitan, éd. par ‑Ẓ , 1991,
t. I, p. 266.
23.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, trad. de
L T , 1960, pp. 107-108, ici revue et corrigée par
rapport à ma version anglaise publiée dans A , 2015, p. 78.
24.Aḫbār Mağmūʻa, éd. par ‑A , 1989, pp. 37 et 44.
25.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, éd. par
A , 1985, p. 169 ; trad. de L T , 1960, p. 348 (la
traduction semble erronée, car Abū Yazīd y est seulement
« couvert de poussière » au lieu d’avoir la tête rasée.
26. Pour d’autres références à la pratique du rasage des
cheveux, voir F , 2015, pp. 19-20.
27.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, trad. de
L T , 1960, pp. 37-40 ; I ʻIḏ -M , Kitāb
al-bayān al-muġrib, éd. par C et L -P , 1983, t. I,
p. 55.
28.Ibid., p. 26.
29. À ce sujet, voir A , 2011, pp. 69-70.
30.A -B ḏ , Kitāb futūḥ al-buldān, éd. par R ḍ , 1988,
t. I, p. 22.
31.A -Y ʻ , Kitāb al-buldān, éd. par J , 1861, pp. 131-
133 ; trad. de W , 1937, pp. 202-203.
32.I Ḥ , Kitāb ǧamharat ansāb al-arabʻ, éd. par L -
P , 1948, p. 495. Sur la généalogie ḥimyārite, voir
récemment D F , 2014, pp. 59-61.
33.I Ḫ , Kitāb al-ʿibar, trad. de C , 2012, pp. 133-
142.
34. Coran, V, 54, al‑Mā’ida, trad. de M , Paris, Gallimard,
1967, p. 136.
35.Ibid., XLVII, 38, Muḥammad, trad. de M , Paris,
Gallimard, 1967, p. 633.
36.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, trad. de
L T , 1960, pp. 108-109, ici revue par l’auteur de cet
article.
37. Au e siècle, l’ibadite Hūd b. Muḥakkam al-Hawwārī se
contente pourtant de voir dans les versets en question une
simple menace adressée aux pécheurs (Ḥ I M ḥ
‑H , Tafsīr Kitāb Allāh al-ʻAzīz, t. I, pp. 432-433 ; t. IV,
pp. 144-155).
38.I K ṯ , Tafsīr al-Qur’ān, t. III, pp. 136-137.
39.A -Y ʻ , Kitāb al-buldān, éd. par J , 1861, pp. 141-
143 ; trad. de W , 1937, pp. 215-217.
40.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, éd. par
A , 1985, p. 56 ; trad. de L T , 1960, p. 109. Notre
traduction comporte quelques modifications.
41.A -M , Tafsīr al-Qur’ān, t. VII, p. 206.
42.A -Ṯ ʻ , al-Kašf wa l-bayān, t. VI, p. 190.
43. Pour ne citer que cette référence, voir I Ḥ , Musnad,
t. VII, p. 23.
44.A -D ǧ , Kitāb ṭabaqāt al-mašā’iḫ, éd. par Ṭ , 1974,
t. I, pp. 15-18.
45.A Z ’ -W , Kitāb siyar al-a’imma, éd. par
A , 1985, pp. 58-60 ; trad. de L T , 1960, pp. 110-
111.
46. Pour toutes les références, voir A , 2011, pp. 68-71.
47.I Ḥ , Kitāb ǧamharat ansāb al-ʿarab, éd. par L -
P , 1948, pp. 511-512.
48.I ‘A -Ḥ , Kitāb al-ansāb, éd. par Y ‘ , 1996,
pp. 74-75 et Kitāb mafāḫir al‑barbar, pp. 237-239.
49. Nous laisserons de côté le Kitāb mafāḫir al-barbar, dont les
divergences textuelles par rapport au Kitāb al-ansāb ne sont pas
essentielles pour notre propos.
50. Il serait inexact de traduire bādiya par la « campagne », car
ce terme s’oppose au monde citadin et sédentaire, dominé et
contrôlé par l’État.
51. Serait-ce le père de Muḥammad b. ʻAlī b. ʻUmar al-Tamīmī al-
Māziġī (m. 536/1141-1142), le grand juriste malikite andalou ?
52.I ‘A -Ḥ , Kitāb al-ansāb, éd. par Y ‘ , 1996,
pp. 74-75. Nous ne reproduisons pas ici le texte arabe, la
traduction suffisant pour rendre les divergences visibles.
AUTEUR
CYRILLE AILLET
Université Lumière Lyon 2 – UMR 5648 – CIHAM – IUF
III. – Langues et généalogies
berbères
Anciens mots, nouvelles
lectures : hybridisme culturel au
Maghreb médiéval
Helena de Felipe

1 Le Maghrébin al-Ḥasan al-Yūsī (m. 1691) affirmait, au retour d’un


pèlerinage de quatre mois en Égypte, ne pas avoir rencontré un
seul ouléma dont la catégorie intellectuelle fut digne 1 . Abū
Sālim al‑‘Ayyāšī (m. 1679), au cours d’un séjour en Orient,
s’étonnait aussi de ce que, sur la propre terre du Prophète et à
très courte distance de La Mecque, puissent habiter des
Bédouins ignorant les principes de base de l’islam. Cet
étonnement dérive d’un certain point de vue maghrébin selon
lequel l’Orient, et par conséquent ses habitants, était un référent
intellectuel et religieux d’où émanait la connaissance islamique
par excellence 2 . Ces considérations se basent sur un modèle
d’autoperception du Maghrébin en tant qu’excentré ou
périphérique. Les cas cités illustrent la position du Maghrébin, et
du Berbère en tant que Maghrébin, par rapport à l’Orient ; ce sont
des témoignages intéressants quant à la double perspective
concernant le Maghreb au cours du Moyen-Âge : une
appartenance à l’espace islamique nuancée par son propre
contexte culturel et historique.
2 Le lien entre les Arabes, les peuples de la côte orientale de
l’Afrique et ceux d’au-delà de l’Égypte permet l’incorporation des
Barbar-s à la liste des peuples ayant établi ce contact malgré
leurs différences 3 . Les contrastes de toutes sortes, évidents,
entre eux et les Arabes se sont exprimés, comme nous le
savons, au travers de différentes traditions textuelles. Dans cette
catégorie d’extranéité interne se trouvent les Barbar-s, mais
également d’autres groupes tels que les Furs 4 , et nombreux
sont les textes arabes constatant les différences entre ces
peuples et les Arabes.
3 Les processus d’arabisation et d’islamisation qui surgissent avec
l’arrivée des Arabes dans le nord de l’Afrique supposent, malgré
leurs différents rythmes de développement, une immersion de
ces Barbar-s dans la sphère « arabo-islamique », le Dār al‑Islām.
L’islamisation et l’arabisation qui se produisent alors sont
aisément appréciables entre les élites sans que pour autant les
Barbar-s, rangés dans la catégorie de Maghrébins par la
géographie classique arabe et sa représentation de la
cartographie humaine en usage, soient décrits comme
possesseurs de caractéristiques propres. Situer le Berbère dans
ce cadre chronologique et spatial signifie conjuguer les discours
sur les Maghrébins et les Berbères provenant de l’Orient avec
ceux qui se produisent dans le propre Maghreb.
4 Malgré ces perceptions internes, il est bien connu que l’espace
nord-africain, maghrébin, fut longtemps inclus, pour l’imaginaire
européen, dans l’espace oriental : orientale sa religion et
orientaux ses habitants. Le fait que l’époque moderne ait attribué
à ce territoire le nom de « Barbarie » ne représenta aucun
obstacle pour que le Maghreb avec ses habitants, berbères ou
pas, soit situés dans cette sphère culturelle et religieuse :
l’Orient. Le début de la période coloniale européenne dans le
monde islamique occasionna un nouveau changement dans les
résonances du Maghrébin et du Berbère. Une modification au
hasard des intérêts de l’époque coïncidant avec le
développement de disciplines scientifiques déterminées qui
exprimaient, à travers divers arguments, la « désorientalisation »
du Maghreb.
5 En 1903, l’anthropologue espagnol Antón y Ferrándiz, qui n’avait
d’ailleurs jamais visité le Maghreb, écrivait :
L’Arabe Syrien est un intrus au Maroc et en Espagne : il y arriva déjà
aux temps préhistoriques ; aux temps historiques ensuite, avec les
Phéniciens et les Carthaginois, à Barcelone, Málaga, Cadix et sur
toute la côte ; et plus tard jusqu’à l’intérieur avec les Juifs et les
Arabes, fondant des cités et dominant l’Ibère grâce à un niveau de
civilisation et de culture supérieur. Et non content de s’infiltrer dans le
Maghreb et d’en peupler les villes grâce à ces mêmes courants, il fut
également pris dans des bandes de tribus qui, venant de l’Arabie et
traversant l’Égypte, conquirent la totalité de la Barbarie à laquelle ils
imposèrent leur religion… 5 .
6 Ce texte est représentatif d’un discours très habituel dans la
littérature coloniale, française et espagnole, discours dans lequel
on fait mention de la condition d’étranger de l’Oriental dans le
Maghreb et en Espagne, se référant de façon implicite à
al‑Andalus. Antón y Ferrándiz, comme d’autres auteurs de
l’époque, entend l’Oriental comme un déterminant géographique,
ce qui lui fait inclure comme provenant de l’Orient non seulement
l’Arabe mais aussi le Phénicien, et même le Carthaginois. Ce
facteur géographique va de pair avec certaines constructions
politiques, un type d’organisation, des valeurs et un caractère
qui, pour lui et quelques autres auteurs de l’époque, contrastaient
avec les authentiques habitants du Maghreb, qui sont « les
habitants primitifs de la Mauritanie, les Libyens 6 ».
7 Cette distinction de l’Arabe et de l’Oriental, en tant que fait
étranger au Maghreb berbère, n’est absolument pas, comme on
l’a signalé, un discours étrange à cette époque. Mais il faut
cependant remarquer qu’il est en outre nuancé, dans le cas
espagnol, par une série d’idées telles que la communion raciale
entre l’Ibère et le Berbère, les liens entre l’ancienne langue
basque (euskera) et les langues berbères, et le fait différentiel
d’al‑Andalus, à savoir l’arrivée des Arabes et le partage de leur
civilisation à un moment déterminé de l’histoire 7 . Si l’on en croit
ces discours, le processus visant à atteindre la communion,
raciale et culturelle, voulue avec le Maghreb, obligeait donc à une
nécessaire désorientalisation de ce dernier : il faut mettre fin à ce
qui, en lui, est arabe, en tant qu’oriental et exogène. Cette
désorientalisation n’affecte pas seulement l’arabité mais aussi le
facteur islamique qui se traduit à cette époque par des textes se
rapportant à un islam spécifique et différencié au Maghreb, un
islam qui serait, par conséquent, un produit de l’idiosyncrasie de
ses habitants originels et qui les amènerait à se régir suivant les
coutumes qui leur sont propres, bien que tamisées par leur
islamisation à partir du e siècle 8 . Les domaines affectés par
cet essai de désorientalisation retracent également, en creux, les
lignes maîtresses qui font du Maghreb un espace oriental, c’est-
à-dire l’arabisation et l’islamisation.
8 La bibliographie concernant l’histoire des Berbères explique en
grande partie que ces derniers aient conservé, malgré de tels
procédés, certaines des caractéristiques propres à leur avoir
culturel ainsi que d’autres antérieures, qu’il n’est pas nécessaire
de signaler ici. Cette circonstance s’est parfois exprimée par
l’emploi du terme « résistance ». Personnellement, je ne
considère pas ce terme adéquat pour définir « le Berbère » ; je lui
préfère celui qu’employa Burke, « peuple hybride », pour parler
du peuple conquis produisant, comme tel, « des artefacts
hybrides », entre autres les textes 9 . Dit d’une autre façon,
l’espace maghrébin et les espaces berbères s’insèrent dans les
traditions arabes à une époque première en y occupant une
place d’élément étranger à l’arabité. Cette insertion peut
s’apprécier dans les diverses sources attribuant des
caractéristiques déterminées à l’espace maghrébin et à ses
habitants. Plus tard, la production intellectuelle propre au
Maghreb utilisa des modèles textuels et narratifs similaires. Ces
recours textuels se situaient, bien entendu, dans le cadre de la
culture et de la langue hégémoniques dans le Maghreb médiéval,
toutes deux arabes.
9 Au long de ces pages nous pourrons constater que la production
textuelle maghrébine utilisa ces recours non seulement pour
affirmer la position que les traditions arabes leur avaient attribuée
dans la représentation du monde, mais aussi pour resituer et
exalter le Maghrébin ou le Berbère à l’intérieur d’un espace où le
fait arabe et la langue arabe n’étaient pas uniques mais bien
hégémoniques. C’est ce point de vue-là, celui de l’hybridation
culturelle, que j’examine en analysant une série de textes où l’on
peut apprécier la caractérisation du Maghrébin et du Berbère
dans certaines sources arabes. Ce portrait peut présenter des
différences selon le contexte dans lequel furent produites ces
sources ; nous pourrons ainsi établir un panorama allant de
l’acceptation des discours arabes orientaux jusqu’à
l’incorporation de genres et formes narratifs visant la resituassion
et l’autoreprésentation du Maghrébin et du Berbère. On peut
observer ce processus d’hybridation dans la construction de
l’espace lui-même aussi bien que dans la caractérisation
d’individus et de groupes.

L’espace et ses habitants


10 L’idée des Barbar-s comme terme associé originairement à tout
le nord de l’Afrique, y compris la zone nord-ouest du Maroc
actuel, a été récemment révisée et remise en question. Ramzi
Rouighi a retracé l’évolution historique du mot dans les textes.
Comme le rappelle cet auteur, nous savons également que le
terme barbar ou barbara semble faire référence, dans diverses
sources arabes, à des populations de la côte orientale de
l’Afrique 10 . Quoi qu’il en soit, au cours des siècles suivants une
grande partie des sources arabes postérieures à Ibn ʿAbd
al‑Ḥakam reconnaissent un lien entre l’espace maghrébin, en
particulier celui du Maġrib al‑Aqṣā, et les Barbar-s des textes
arabes. Même avant Ibn ʿAbd al-Ḥakam on trouve l’exemple du
texte d’Ibn Hišām, daté du début du e siècle, et qui recueille le
récit de Wahb b. Munabbih ( e siècle) 11 .
11 Ainsi, certains géographes arabes relient ces Barbar-s à une
partie concrète de l’espace maghrébin, un lointain territoire de
l’ouest sur lequel on possédait très peu d’information. Ce lien est
présent dans l’œuvre d’Ibn Rustah, quand il aborde la description
du second iqlīm situant ses territoires dans l’ordre suivant,
d’Orient en Occident : Miṣr, la terre du Maġrib (arḍ al‑Maġrib),
bilād Ifrīqiya, bilād al-Barbar et, finalement, baḥr al‑Maġrib 12 .
Ceci équivaut à exprimer en termes géographiques que les
Barbar-s étaient en tout cas hors de l’Orient, dans sa périphérie,
dans un lieu étranger hors du centre du monde islamique. La
fameuse métaphore géographique utilisée pour décrire le monde
du point de vue de la géographie classique arabe et que nous
trouvons, entre autres, dans l’œuvre d’Ibn ‘Abd al‑Ḥakam,
compare le monde à un oiseau dont la tête serait La Mecque,
Médine et le Yémen, la poitrine le Šām et Miṣr, l’aile droite l’Irak
et les nations qui se trouvent à l’arrière, l’aile gauche le Sind et
derrière lui le Hind, et la queue serait le Maghreb. Le texte
termine en précisant que la queue est la pire des parties de
l’oiseau 13 . Cette image de l’oiseau coïncide avec un courant
que nous analyserons plus en profondeur un peu plus loin et
selon lequel le Maghrébin, généralement d’un point de vue
négatif, est associé à l’hétérodoxie religieuse et à la rébellion. Au
e siècle, le Kitāb mafāḫir al-barbar (« Livre des distinctions

des Berbères »), une œuvre dont le titre ne laisse aucun doute
quant à ses intentions, mentionne cette même figure, plus
résumée. Ici, le Mašriq serait la tête de l’oiseau, le Yémen une
aile, le Šām l’autre aile, l’Irak la poitrine et le Maghreb la queue.
Indépendamment du contexte dans lequel s’inscrit cette figure de
l’oiseau, il semble significatif qu’un Maghrébin présent lors de
cette description ajouta et précisa qu’il s’agissait d’un « paon »,
voulant dire par là que la queue représentait le meilleur de cet
animal 14 .
12 Le premier texte met l’accent sur les Barbar-s en tant que peuple
périphérique par rapport aux centres de l’Islam ; le second
persiste dans la même ligne mais l’adaptation que nous voyons
dans les Mafāḫir est le brillant résultat d’une appropriation de
genres, où l’on utilise le langage géographique arabe et ses
figures rhétoriques pour mettre en valeur la spécificité
maghrébine. Il ne s’agit nullement de refuser l’arabité mais bien
de réaliser une nouvelle lecture d’éléments narratifs déjà
partagés à cette époque-là.
Le langage des traditions
13 Les textes des traditions sont également intéressants pour
analyser les discours croisés entre les deux contextes. Cette
question a déjà fait l’objet d’études de ma part lors d’un autre
travail, mais je tiens à le citer ici parce qu’il contribue à éclairer le
panorama de caractérisation des Berbères du point de vue
oriental 15 . Outre les mentions des Barbar-s dans les collections
canoniques de hadiths, reliées aux impôts ou à la pureté, sans
aucune relation avec ce dont on traite ici, un certain courant de
hadiths apocryphes dessine une image des Barbar-s négative et
stigmatisée. Ce courant, probablement né dans un contexte
égyptien, se réfère aux Barbar-s comme un peuple violent doté
de toute une série d’attributs négatifs. Ces pseudo-traditions sont
présentes dans des ouvrages orientaux tel que celui de Nu‘aym
b. Ḥammād 16 , parmi d’autres, et jusque dans des répertoires
biographiques maghrébins comme ceux de Abū l‑‘Arab 17 ou
al‑Māliki 18 . Mohamed Talbi a déjà signalé l’incidence de la
révolte kharijite de l’an 740 dans la formation de ces textes 19 .
14 Il est donc particulièrement intéressant de souligner l’importance
du patrimoine textuel dans le contexte ibaḍite maghrébin. Dans
certains de ces textes les plus significatifs, d’Ibn Sallām à
al‑Darǧīnī, en passant par Abū Zakariyyāʾ, se trouve un chapitre
consacré aux Faḍāʾil al‑barbar (« Vertus des Berbères ») dont le
titre est explicite 20 . Sous ce titre sont recueillies des traditions
dans lesquelles le rôle des Barbar-s en général, et des Lawāta
en particulier, constitue une des pierres angulaires de l’Islam et
revêt une grande importance dans la défense de la foi. Il faut
mentionner ici certains textes n’apparaissant pas dans les
sources orientales et possédant de ce fait des racines
maghrébines liées aux Berbères. Leur présence dans un ouvrage
tel que le Kitāb mafāḫir al‑barbar 21 nous en confirme l’usage
comme recours pour resituer le Berbère dans l’espace islamique
et pour une caractérisation opposée aux images surgies dans un
contexte oriental.

L’organisation de la société berbère


15 Il est évident que pour les premières sources arabes, celles qui
s’occupèrent du Maghreb, la description de ses habitants et de
leur organisation ne revêtit aucun intérêt particulier au‑delà de ce
qu’on peut attendre d’un adversaire dans la conquête. Certains
de ces textes peuvent néanmoins contribuer à confirmer cette
question.
16 Le Kitāb al-ta’rīḫ de ‘Abd al-Mālik Ibn Ḥabīb fait allusion aux
Barbar-s 22 mais aussi aux Rūm‑s ou aux Ifranǧ, comme c’est le
cas quand il rapporte l’entretien entre le calife omeyyade
Sulaymān b. ʿAbd al‑Mālik et Mūsā b. Nuṣayr, venu d’Occident,
qui répond aux questions du calife en lui décrivant les différentes
umam rencontrées et de quel genre d’adversaire il s’agit. Mūsā b.
Nuṣayr lui répond en nommant dans cet ordre les Rūm‑s, Barbar-
s, ahl al-Andalus et les Ifranǧ, énumération qui représente à mon
avis une ligne géographique parcourant le Maghreb et traversant
al‑Andalus avant d’atteindre le nord de la Péninsule. Le portrait
des diverses peuplades tracé dans ce texte représente aussi
bien la position des Rūm‑s ou l’image péjorative des rois
d’al‑Andalus que le nombre et le courage des Ifranǧ. Dans ce
texte, Mūsā b. Nuṣayr parle des Barbar-s comme étant les plus
ressemblants aux Arabes pour ce qui est de certaines valeurs
propres au combat, entre autres la résistance et le courage, mais
aussi concernant la trahison et le non-respect des pactes ou de
la parole donnée 23 . Semblables mais différents, selon les
propres paroles de Ramzi Rouighi :
Mentionner les qualités qui font des Arabes et des Berbères des
images en miroir, à la fois similaires et différentes, pourrait avoir un
lien avec des politiques plus proches de l’époque d’Ibn Ḥabīb 24 .
17 Ce n’est pas la seule différence entre les Barbar-s et les autres
umam dans l’œuvre d’Ibn Ḥabīb. Lorsque Mūsā b. Nuṣayr sort
d’Ifrīqiya, laissant à sa place son fils ‘Abd Allāh, il emmène
100 hommes, des notables du peuple barbar (wuǧūh al‑barbar),
20 rois des Rūm‑s et 100 rois d’al‑Andalus. Au-delà du topique
littéraire ou des quantités dont parle le texte, ce qui m’intéresse
c’est la différence de terminologie : les Barbar-s n’avaient pas de
malik, comme les Rūm‑s ou les « gens » (ahl) d’al‑Andalus, mais
des wuǧūh (« notables ») 25 . Ce texte est illustratif quant à la
perception qu’avaient les Arabes de la société des Barbar-s ; il
s’agit donc d’un type d’organisation où n’existe point l’autorité
individuelle, malik, mais bien celle des notables. D’autre part, les
Rūm‑s ont des rois et, d’après le texte d’Ibn ‘Abd al‑Ḥakam
quand il fait allusion à la conquête de l’Égypte, les Rūm‑s avaient
une dawla, qui disparaît avec l’arrivée de ‘Amr b. al‑‘Āṣ sur le
territoire 26 .
18 En relation cependant avec les rois barbar‑s, Ibn ‘Abd al‑Ḥakam
donne, outre celui de Ǧālūt dont nous analyserons le cas plus
loin, un autre exemple assez exceptionnel : il s’agit de la Kāhina,
« reine » (malika) des Berbères. Dans ce contexte, je considère
que la terminologie est plus liée à des questions de genre qu’à
un concept de règne équivalent à celui des Rūm‑s. Il l’appelle
« reine » comme il le fait pour d’autres figures de l’Antiquité
égyptienne, par exemple Dalūka 27 . Par ailleurs, quel autre
terme pourrait-on employer pour se référer à une femme menant
un groupe de combattants ? Il existe également des témoignages
d’autres autorités individuelles dont les limites ou les marges
d’action sont imprécises, par exemple Ismā‘īl b. Ziyād al‑Nafūsī
qui est « élu par les Berbères pour [se gouverner] eux-mêmes »
(wallā al‑barbar ‘alā anfusi‑him) 28 .
19 Je crois pour ma part que les sources nous révèlent différents
systèmes d’autorité au Maghreb, mais qui sont loin d’être
homogènes sur tout le territoire. La pluralité de ces systèmes
d’autorité et de structures est évidente mais cela n’empêcha pas
les auteurs arabes d’englober ces populations dans un type de
structure tribale semblable au système oriental. Dans ce sens est
assez remarquable la rareté de la terminologie faisant référence
au cadre tribal, dans les sources les plus anciennes, mais aussi
dans les sources ibadites produites dans un contexte berbère.
Les termes qabīla et qabāʾil n’apparaissent nullement associés
aux Barbar-s, ni chez Ibn Ḥabīb ni chez Ibn ‘Abd al‑Ḥakam qui ne
les utilise pas, par exemple, pour accompagner des noms
concrets de tribus tels que Zanāta ou Lawāta. D’autres termes
comme baṭn (« Fraction de tribu ») n’apparaissent pas chez le
premier et rarement chez le second 29 . Ces données coïncident
d’une certaine façon avec celles qu’offre une analyse similaire
réalisée à propos des sources ibadites ; là encore l’usage de ce
vocabulaire n’est pas courant et les ethnonymes apparaissent
habituellement sans catégories.

Lectures arabes de termes nord-


africains : le langage généalogique
20 Le langage généalogique a, par tradition, fait partie du patrimoine
arabe quand il s’est agi de représenter le monde. Ces textes
orientaux furent étudiés pour leur extraordinaire degré
d’expressivité et aussi parce qu’ils illustrent les distances
physiques et mentales des auteurs arabes par rapport aux
peuples avec qui ils entraient en contact, ainsi que la place qu’ils
accordaient à ces derniers. Le système d’organisation reflété
dans les généalogies est lié à une forme concrète de
compréhension du monde et jouit d’une grande vitalité, en partie
grâce à sa relation avec la légitimité du pouvoir politique et
religieux. Il s’agit donc d’un genre de narration très enraciné dans
la culture arabe et selon lequel, après le déluge, le monde aurait
été partagé entre les descendants des trois fils de Noé. Tout
comme ils le firent pour le reste des peuples non-arabes, les
auteurs arabes englobèrent les Barbar-s dans ces généalogies
30 .

21 Il est bien connu qu’une partie de ces récits intègrent les Barbar-
s, en tant que descendants de Cham, à travers Canaan ou
directement, à d’autres peuplades africaines, et qu’ils partagent
donc l’héritage généalogique des descendants du fils maudit de
Noé à qui le patriarche annonça que sa descendance serait
esclave des fils de Sem. D’autres récits tracent les lignes
généalogiques rattachant certains groupes berbères à des
personnages ou à des tribus du Yémen, comme dans le cas des
rapports concernant Ḥimyar ou la figure du roi Ifrīqiš, par la suite
utilisés par les Almoravides Ṣanhāǧa 31 . D’autres liens avec
certaines tribus arabes sont ceux qui semblent unir l’Almohade
‘Abd al‑Mu’min et Qays 32 . Au-delà de ces ascendances,
construites dans le cadre des processus de légitimation de la part
des dynasties maghrébines, d’autres légendes font allusion à des
parentés « moins nobles », pour ainsi dire, dans le cadre d’une
lecture arabo-islamique de la généalogie, parentés qui
procédaient pourtant de l’Orient. Toutes ces traditions sont bien
connues, ainsi que leur développement et leur répétition dans
des sources postérieures. Certaines sources maghrébines et
orientales englobent les Berbères dans des trames complexes
que résume l’œuvre de Ibn Ḫaldūn, même si quelques-unes de
ces traditions survivent jusqu’à l’époque coloniale.

Goliath, roi des Berbères

22 C’est le cas de certaines traditions reliant la figure de Goliath


avec l’origine orientale des Berbères 33 . Ǧālūt (Goliath) est déjà
cité dans l’œuvre d’Ibn Hišām, qui recueille le récit de Wahb
b. Munabbih, dans un texte qui situe l’origine des Berbères en
Palestine 34 . Dans son Kitāb al-masālik, Ibn Ḫurradāḏbih
mentionne cette légende en affirmant de façon explicite que
Ǧālūt était le roi des Berbères de la Palestine et que ceux-ci
émigrèrent au Maghreb quand David lui donna la mort 35 . Les
diverses versions de cette légende coïncident avec l’idée selon
laquelle les Barbar-s provenaient de la Palestine. Cette
affirmation de peuplades émigrées depuis cette région vers le
nord de l’Afrique ne naît pas des sources arabes puisqu’on la
trouve également dans des ouvrages antérieurs, tels que ceux de
Procope de Césarée 36 . Cet auteur du e siècle ne se réfère
évidemment pas aux Barbar-s, mais il consacre une partie de
son récit — des guerres contre les Vandales dans le nord de
l’Afrique — à expliquer l’origine de l’établissement des Maures en
Libye. Au-delà du débat terminologique entre Barbar et Maure
37 , cet auteur fait allusion aux migrations en provenance de la
région palestinienne antérieures à celle des Phéniciens. Ces
mouvements de population correspondraient à l’établissement
des Maures dans la région. Bien entendu, aussi bien le récit de
Procope que celui des sources arabes sont, dans leur majorité,
un compendium de traditions et de légendes, avec une base
historique, et la coïncidence sur cette question ne manque pas
d’intérêt. Il faudrait en outre y ajouter la relation du nom Ǧālūt
avec l’hébreu gālūt, qui renvoie à l'idée d’exil et de diaspora 38 .
Ǧālūt, comme roi des Barbar-s, et le récit de son émigration sont
mentionnés par des auteurs arabes orientaux postérieurs, tels
que Ibn al‑Faqīh, Ibn ‘Abd al‑Ḥakam, ainsi que par des auteurs
maghrébins et andalous tels que Ibn ‘Abd al‑Barr ou Ibn Ḫaldūn
parmi d’autres 39 . Cette circonstance finit cependant par se
refléter dans le langage généalogique et ce terme se retrouve
dans un nasab concret.
23 Le fait que la mention de Ǧālūt s’insère dans le nasab d’Abū
Yazīd Maḫlad b. Kaydād est particulièrement intéressant. Ce
fameux personnage regroupa plusieurs peuplades berbères sous
le drapeau de la nukkāriyya, l’un des groupes nés de l’ibadisme
maghrébin nord-africain. Le soulèvement d’Abū Yazīd, « l’homme
à l’âne », provoqua de sérieuses difficultés aux Fatimides
maghrébins et son personnage est donc représenté dans les
sources sunnites aussi bien que chiites comme un rebelle. Le
Kitāb mafāḫir al-barbar établit avec une extraordinaire précision
le lien entre Abū Yazīd et Ǧālūt en situant le personnage parmi
les Berbères révoltés : « son nasab remonte jusqu’à Ǧālūt et se
connecte à lui 40 ». Le texte du Kitāb al‑istibṣār recueille le
nasab complet des deux figures 41 . Bien que certaines sources
relient Ǧālūt aux groupes Zanāta, la filiation qui s’établit avec Abū
Yazīd est très intéressante, car il ne fut pas le seul membre du
groupe Zanāta à atteindre la notoriété dans les sources. Pour
conclure sur la caractérisation généalogique d’Abū Yazīd, on se
doit de signaler le nasab figurant dans l’œuvre d’Ibn ‘Iḏārī, qui
établit une large chaîne jusqu’à Yfran, pour ajouter ensuite
qu’Yfran était Abū al‑Kāhina et le rattacher à nouveau aux
Zanāta 42 . Nous devons d’abord nous demander quelle peut
être l’origine de cette relation avec Ǧālūt, figure caractérisée
comme opposant politique et religieux par les sources qui en font
le portrait. On pourrait supposer qu’il s’agit de traduire dans un
langage généalogique l’idée qu’Abū Yazīd ne possédait ni la
légitimité par rapport aux Arabes ni la garantie politique que cela
pouvait supposer. Mais nous pouvons également considérer une
autre possibilité, à savoir que le terme Ǧālūt ne corresponde pas
au Goliath des sources orientales.
24 David M. Hart consacre une intéressante étude à la présence de
Ǧālūt dans les généalogies des Berbères marocains 43 . Il y
signale l’idée, exposée par Gabriel Camps, de la relation entre le
terme Ǧālūt et le terme Agellid, documenté à l’époque
préislamique et désignant une sorte de chef ou même de « roi ».
Gabriel Camps faisait référence au lien existant entre les deux
langues, l’arabe et le tamazight, appartenant à la famille afro-
asiatique et, par conséquent, à une parenté entre les deux
termes 44 . Que nous nous trouvions face à une « traduction
culturelle » 45 ou que le terme oriental pour le personnage
biblique se soit fusionné avec le tamazight pour désigner un roi
est une autre possibilité. C’est peut-être la raison pour laquelle
l’image de Ǧālūt comme « roi des Berbères » fut si bien
acceptée. La présence de Ǧālūt dans des généalogies de
l’époque contemporaine, documentée par David M. Hart, est une
preuve de l’extraordinaire vitalité dont jouit plus tard cette relation
généalogique. Il est difficile de savoir dans quelle mesure l’auteur
des Mafāḫir se réfère au Goliath biblique ou au vocable Agellid
quand il insère le terme dans le nasab de Abū Yazīd. On pourrait
le voir comme une volonté d’évoquer l’idée d’une souveraineté
ancienne et non‑arabe, en particulier si nous tenons compte de
l’autre nasab le reliant à la Kāhina et nous ramenant à un cadre
nord-africain préislamique. Si les sources arabes trouvèrent le
terme transcrit, Agellid, elles l’auraient adapté à leur propre
univers culturel, faisant une lecture orientale du terme amazigh.
Ce cas démontre à la perfection la façon dont le langage
généalogique oriental adapte la réalité sociale berbère ainsi que
la réalisation de nouvelles lectures des termes de langues non-
arabes.

Butr et al-Barānis (?)


25 Comme barbar ou agellid, les termes butr et barānis ont
également fait l’objet de diverses hypothèses et études. Ces
travaux prétendent appréhender le sens de ces vocables ainsi
que leur rôle dans la configuration de la société nord-africaine et
ont représenté depuis des décennies une ligne continue de
discussion académique.
26 Ils apparaissent pour la première fois dans l’ouvrage d’Ibn ‘Abd
al‑Ḥakam et sont ensuite utilisés par les différentes sources
arabes qui traitent du Maghreb et d’al‑Andalus, bien au-delà des
textes du genre généalogique. Butr et barānis ont fonctionné
comme dénominateurs-identifiants dans des chroniques, des
dictionnaires biographiques ou des textes géographiques, et
représentent des catégories dont l’origine, comme je l’ai dit, a été
largement discutée. Les travaux s’intéressant à cette fameuse
« dualité » des peuplades berbères ont englobé des analyses
étymologiques et anthropologiques qui prétendaient répondre à
leur nomenclature et au fondement de cette division exprimé
dans l’ouvrage d’Ibn ‘Abd al‑Ḥakam : des nomades chameliers
face à des montagnards sédentaires, interprétations des termes
basés sur leurs modes d’habillement et sur des arguments de
type religieux, pour ne signaler que quelques-uns des schémas
explicatifs alors retenus 46 .
27 Je considère que la perspective de ce travail, en nous situant
dans une lecture arabisée de termes non-arabes, peut offrir une
nouvelle hypothèse pour l’interprétation des vocables. Si nous
voulons savoir ce qui permit l’interprétation du terme butr comme
« ceux de la queue courte », je crois que nous devons la
chercher dans l’intéressante analyse d’Yves Modéran, qui
reprend de façon détaillée les textes et sources faisant référence
à butr et barānis et les conjugue grâce à une interprétation
harmonieuse sur la dualité médiévale. D’après lui, le terme butr
se référait effectivement à ceux à « la queue courte » et l’auteur
se réfère pour cela à une tradition insérée dans une source
ibadite qui montre comment les Berbères Lawāta prouvaient leur
conversion à l’islam par le rasage du crâne, comme symbole
extérieur et conséquence d’une transformation intérieure. Yves
Modéran avançait :
Cette coutume, si elle s’est généralisée dans les années 640-670 en
Libye, peut avoir donné naissance au terme Botr possédant, dès le
début, une signification à la fois religieuse et politique 47 .
28 Dans une étude antérieure j’ai déjà eu l’occasion de prolonger
cette ligne ouverte par Modéran, en appuyant son hypothèse et
en la complétant par d’autres apports ; j’y soutenais l’idée selon
laquelle le fait de se couper « la queue » ou le « panache »
constituait une pratique ancestrale parmi les peuplades nord-
africaines, et aussi que dans le contexte de la conquête
islamique, cet acte signale des peuplades soumises militairement
et politiquement, ou encore converties dans le sens religieux 48 .
Si cette interprétation est correcte, nous serions face à un terme
strictement arabe, situation qui, à mon avis, n’est pas identique
au terme al‑barānis.
29 Ce terme al-barānis fut traditionnellement vocalisé et utilisé
comme un pluriel arabe ; en maintes occasions, comme nous le
savons, comme pluriel du mot burnus, circonstance qui est à la
base de plusieurs des hypothèses que j’ai citées plus haut. Je
propose une nouvelle lecture du terme al‑barānis, prétendant
essentiellement critiquer la formation de ce mot à partir de
l’article arabe (al‑) et d’un vocable arabe ou arabisé (barānis). Je
soutiens la thèse d’une translittération en arabe d’un terme latin
précédé du préfixe -I-, caractéristique des pluriels en langues
amazighes 49 . Il s’agit d’une méta-analyse de l’article, ce qui
permet une autre lecture du terme. Le -I- en tant que préfixe
amazigh est présent dans d’autres termes appliqués à la société
berbère, comme dans Lawāta-Ilaguas/Laguantan, documentés
depuis l’époque préislamique et ajoutés à l’arabe suivant un
processus d’arabisation du terme 50 . Le fait d’ajouter un préfixe
amazigh à un terme latin ne serait pas non plus exceptionnel,
comme l’ont démontré les études de Tadeusz Lewicki 51 ou
Franco Fanciullo, qui signalent les formes d’arabisation de
vocables latins, par exemple amerkidu/emerkid<mercêde (m), ou
filice>ifilku, pour n’en mentionner que quelques-uns par rapport à
notre propre lecture 52 . Le mot latin qui pourrait suivre ce -I-
serait d’une certaine façon en rapport avec la racine latine
liberare (« lbrns » ?) et formerait avec butr une dénomination
logique, à mon avis, pour une représentation textuelle de la
population nord-africaine. La différence des groupes en question
se référerait alors à des catégories intéressantes pour un récit de
conquête comme celui d’Ibn ‘Abd al‑Ḥakam, et coïnciderait en
partie avec l’appréciation de Michael Brett qui identifiait les
Barānis à des peuplades chrétiennes 53 . Nous nous trouverions
ainsi face à une dénomination de « soumis et non-soumis », ces
derniers reliés d’une certaine façon à la racine latine citée.
30 Je n’ai trouvé aucune documentation sur l’usage de ce terme
dans le latin nord-africain, mais je considère qu’il existe assez
d’indices permettant de penser que les termes auxquels se
référait Ibn ‘Abd al‑Ḥakam signalaient des catégories nées dans
le contexte de la conquête islamique. D’autres termes arabes
faisant allusion à la population maghrébine — aʿǧām, afāriqa —
furent également objet de controverse et correspondent à une
terminologie à laquelle il est impossible de trouver un parallèle
précis dans les sources d’époques antérieures. Un nouveau
contexte politique et culturel produit une nouvelle nomenclature
et le récit de la conquête islamique du nord de l’Afrique n’est pas
une exception.
31 Néanmoins, cette hypothèse ne prétend nullement réaffirmer
l’idée d’une dualité de la société nord-africaine, car le texte d’Ibn
‘Abd al‑Ḥakam ne spécifie nulle part que ces dénominations
puissent correspondre à une division globale de toute la
population maghrébine 54 . Dans le cadre de ces dénominations
liées à la sujétion, et sans doute à la fiscalité, il pourrait exister
d’autres groupes dont le statut répond à la casuistique complexe
du contact avec un nouveau territoire. La dualité de la société
maghrébine en fonction de son appartenance à Butr et à Barānis
paraît confirmée chez des auteurs postérieurs 55 . Le langage
généalogique apporte alors un formidable outil discursif pour la
structuration de cette dualité et sa « fossilisation », comme
schéma de compréhension de la société berbère. De cette
« généalogisation » des termes provient l’apparition de burnus,
comme étymon auquel se rattacheraient les Barānis. Ce
pourquoi le terme subit un processus similaire à celui que décrit
Corriente pour le vocable « al‑Andalus », dans lequel l’article est
une lecture arabisée d’un emprunt à une autre langue 56 .
Dépourvu de l’article, le terme burnus apparaît dans les
généalogies comme un ancêtre, de même qu’apparaît
« al‑Abtar », singulier présumé du collectif al‑Butr, les deux
termes ne figurant pas dans l’ouvrage d’Ibn ‘Abd al‑Ḥakam mais
apparaissant dans les ouvrages postérieurs.
32 Les généalogies relatives aux Berbères trouvent dans les
œuvres d’Ibn Ḥazm et d’Ibn Ḫaldūn leurs exposants les plus
remarquables. Dans ce sens, il est important de signaler les
différences des sources utilisées par les deux auteurs. Le
premier ne mentionne pas les termes butr ou al‑abtar mais
seulement celui de madġis relié, comme nous le savons, au
vocable berbère d’où procèdent Amazigh et une bonne partie de
la terminologie actuelle : tamazight, tamezgha, etc… Il cite par
contre le terme burnus qui correspond, à mon avis, à la
reconstruction d’une filiation généalogique inexistante 57 . Ibn
Ḫaldūn, non content d’utiliser l’ouvrage d’Ibn Ḥazm, cite d’autres
sources, entre autres celles d’experts en généalogies berbères
58 , pour asseoir les bases d’une extraordinaire structure, tout à

fait arabe, celle qui traça un schéma pour la compréhension de la


société maghrébine et dont la répercussion sur des sources
postérieures n’est plus à signaler.
33 La représentation textuelle réalisée par les sources arabes des
peuplades nord-africaines partage certaines caractéristiques
avec celle d’autres peuplades, dans le contexte de la prise de
contact avec ces dernières au cours de leur expansion. Les
auteurs arabes nommèrent les groupes humains habitant le
Maghreb en utilisant des termes arabes tels que butr, ou d’autres
empruntés à d’autres langues en usage dans le nord de l’Afrique,
tels que « ilbrns » (?) ; ou encore des noms de groupes tels que
Lawāta ou Nafūsa, provenant de langues amazighes. Les
difficultés pour transposer en arabe les phonèmes provenant
d’autres langues provoquèrent des cas de fusion intéressants,
comme celui du nom Ǧālūt/Agellid qui constitue un cas évident
de traduction culturelle.
34 Par rapport à une terminologie comme celle de butr et « ilbrns »
(?), nous devons penser que nous nous trouvons face à des
termes dynamiques qui peuvent avoir une signification concrète
dans l’œuvre d’Ibn ‘Abd al‑Ḥakam, mais qui change dans des
sources postérieures en fonction du contexte dans lequel elles
sont utilisées. La saisie du nouveau territoire s’incorpore aux
discours et schémas de compréhension familiers pour un
Oriental, comme c’est le cas des généalogies où nous trouvons
plus tard ces termes « généalogisés » et faisant partie d’une
structure de représentation traditionnelle pour les Arabes.
L’insertion du Maghreb et des Berbères dans les généalogies et
dans la géographie de l’espace islamique les incorpore en les
situant dans un espace physique concret : « la queue de
l’oiseau ». De même, et en raison du contexte dans lequel se
déroulèrent la conquête du Maghreb et la rébellion kharijite de
l’an 740, le langage des traditions, dans ce cas apocryphes, leur
confère une place hors de l’orthodoxie et chargée de
connotations négatives.
35 La disparité entre les populations du Maghreb et les rares textes
primitifs dont nous disposons rendent difficile la connaissance
des types d’autorité en vigueur pour les Barbar-s en particulier et
les Maghrébins en général : les mentions de wuǧūh, d’une part,
et de leaders individuels, d’autre part, nous éclairent sur la
difficulté des auteurs arabes pour homogénéiser le vaste et
pluriel territoire maghrébin. C’est aussi pourquoi on ne trouve,
dans les premières sources, que de rares mentions de termes
capables de structurer la société tribale (qabīla, baṭn, etc.) qui,
avec le temps et dans des sources postérieures, seront un
recours indispensable dans la représentation de l’espace humain
maghrébin déjà arabisé.
36 La production textuelle maghrébine se réalise en langue arabe,
qui est la langue hégémonique. Cependant la langue ne fut pas
le seul outil provenant de l’Orient à être utilisé par les Maghrébins
dans leurs écrits : des discours orientaux s’incorporent
également au patrimoine maghrébin, qui les utilise
occasionnellement pour resituer sa position dans l’espace
islamique. Le meilleur exemple en est le texte de réponse à
l’image de l’oiseau, produite en Orient et à présent incorporé
dans une perspective maghrébine, dans le Kitāb mafāḫir
al‑barbar, cette œuvre adoptant le patrimoine de traditions du
milieu ibadite dans lequel les Barbar-s jouent un rôle, nouveau et
digne, comme défenseurs de l’islam.
37 Le langage généalogique constitue un outil historiographique
oriental qui a déterminé la compréhension de la société
maghrébine jusqu’à une date relativement récente. Dans les
textes maghrébins est attesté le rôle croissant que les auteurs
arabes lui ont conféré. Cette circonstance n’empêche pas que
des dynasties de souche berbère relient leurs origines aux
Arabes, comme recours pour consolider leur autorité politique et
religieuse. Ainsi dans le cas des Almoravides on utilise, en
particulier, des sources orientales puisque d’elles découle la
légitimation. La façon de faire habituelle des sources classiques,
où s’ajoute constamment le patrimoine textuel acquis, donne
comme résultat un Maghreb difficile à appréhender, car il s’agit
d’une narration écrite en utilisant simultanément des termes
provenant de langages différents, qui peuvent ou non conserver
la signification de leur source originelle. Il y a, de la part des
Maghrébins, un développement de la représentation textuelle
que font d’eux les Arabes, mais également une appropriation de
motifs, langages et discours arabes qu’ils utilisent pour se situer
à nouveau dans l’espace islamique. Des mots et des lectures
hybrides qui confirment le processus de fusion culturelle du
Maghreb à l’époque médiévale.

NOTES
1. Cette contribution a été réalisée dans le cadre du Programme
I3 (MINECO), le projet de recherche ANR « Maghribadite » (dir.
Cyrille Aillet) et le project « Islam 2.0: marcadores culturales y
marcadores religiosos de sociedades » (MINECO, FFI2014-
54667-R) [IP : Luz Gómez García]. La majeure partie de ce texte
a été traduite par Marie-Geneviève Alquier.
2.E M , 2001, p. 85. Sur ce sujet au Moyen-Âge, M ,
2005.
3. Sur le mot barbar, voir le travail suggestif de R , 2011.
4. Sur les origines des Furs, voir B S , 2014.
5. « Es un intruso el siro-árabe en Marruecos y en España: llegó
aquí, ya en tiempos prehistóricos, y en los históricos con los
fenicios y cartagineses á [sic] Barcelona, Málaga, Cádiz y á [sic]
toda la costa, y después, con los judíos y los árabes, al interior,
fundando ciudades y dominando al ibero por su grado superior
de civilización y cultura. Con estas mismas corrientes se infiltró
en el Moghreb y pobló sus ciudades; pero allí, además, cayó en
bandas de tribus que desde la Arabia cruzaron el Egipto y
tomaron tierra en toda la Berbería, á [sic] la que impusieron su
religión… » (A F , 1903, p. 12).
6. « Estos son los primitivos habitantes de la Mauritania, los
libios » (ibid., p. 10).
7. Voir D F , 2016b.
8. Voir M D , 2003, pp. 228-231.
9.B , 2010, pp. 86-88 et 76-79, respectivement.
10.R , 2011, pp. 71-72.
11.I H , Kitāb al-tiǧan, p. 322.
12.I R , Kitāb al-aʿlāq, p. 97.
13.I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
2002, p. 1.
14.Kitāb mafāḫir al-barbar, éd. par Y ‘ , 1996, p. 126.
15.D F , 2018. Sur ce sujet, voir aussi l’article de Cyrille
A dans ce volume, pp. 000-000.
16.N ‘ I Ḥ , Kitāb al-fitan, éd. par Z , pp. 158-
164.
17.A -‘A , Ṭabaqāt, trad. de B C , 1920, p. 210.
18.A -M , Riyāḍ al-nufūs, éd. par ‑B , 1994, t. II, pp.
352-354.
19.T , 1966, p. 19.
20.I S , Kitāb Ibn Sallām, éd. par S et I
Y ʻ , 1986, pp. 121-125; A Z ’ ‑W , Kitāb
siyar al-aʾimma, éd. par ‑‘A , 1979, pp. 33-35 ; ‑D ǧ ,
Kitāb ṭabaqāt al‑mašā’iḫ, éd. par Ṭ , Beyrouth, s. d., I,
pp. 15‑19.
21.Kitāb mafāḫir al-barbar, éd. par Y ‘ , 1996, pp. 237 sqq. et
A , dans ce volume, pp. 000-000.
22. Le Kitāb al-ta’rīḫ et les Barbar-s qui y sont mentionnés, ont
été minutieusement analysés par Ramzi Roughi, surtout par
rapport au terme « barbar », objet de son étude. Voir R ,
2011, pp. 89‑91.
23.I Ḥ , Kitāb al-taʾrīḫ, p. 148 (§. 430).
24. « Mentioning the qualities that make Arabs and Barbar mirror
images, simultaneously similar and different, may have
something to do with politics closer to Ibn Habib’s time »
(R , 2011, pp. 90-91).
25.I Ḥ , Kitāb al-taʾrīḫ, p. 146 (§. 424).
26.I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
2002, p. 58.
27.Ibid., p. 26.
28.Ibid., p. 225.
29.Ibid., p. 198. Voir R , 2011.
30. Sur les généalogies, voir B S , D F (éd.),
2014 ; sur les origines des Berbères, D F , 1990.
31.D F , 2014.
32.F , 2003.
33. Sur Goliath et l’origine des Berbères, voir D F , 1990,
pp. 383-385 ; R , 2011, p. 99.
34.I H , Kitāb al-tiǧan, pp. 321-322.
35.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , texte arabe p. 66 ; trad. p. 91.
36.P C , Historia de las guerras, pp. 245-248.
37.R , 2011, pp. 67-72.
38.V , 1991, p. 417.
39.I -F , Muḫtaṣar kitāb al-buldān, éd. par G , 1967,
p. 83 ; I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par
T , 2002, p. 170 ; I ‘A ‑B , al‑Qaṣd, p. 26 ; I
Ḫ , Kitāb al‑‘ibar, éd. Beyrouth, s. d., t. VII, p. 4.
40.Kitāb mafāḫir al-barbar, éd. par Y ‘ , 1996, p. 188.
41.Kitāb al-istibṣār, éd. par ‘A -Ḥ , 1985, p. 205.
42.I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al-bayān al‑muġrib, éd. par
M ’ et ‘A , t. I, p. 228.
43.H , 2000.
44.C , 1980, pp. 26-27.
45.B , 2010, pp. 105-109.
46. Un état de la question dans D F , 2016a et 2016c.
47.M , 2000, p. 63.
48.D F , 2018.
49. Je remercie Meftaha Ameur, professeure détachée auprès de
l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), pour son aide sur
ce sujet.
50.C , Juánide, p. 47, Livre I (vers 144), n. 22 ; p. 60, Livre
I (vers 480-485) ; p. 69, Livre II (vers 85), n. 65. « Levathai »
dans P C , Historia de las guerras, pp. 307,
310, 314 et 343.
51.L , 1952.
52.F , 1992, pp. 170 et 178.
53.B , 1978, pp. 510-512.
54.I ‘A -Ḥ , Futūḥ Miṣr wa l-Maġrib, éd. par T ,
2002, pp. 201, 205 et 214.
55.A -Iṣṭ ḫ , Kitāb masālik al-mamālik, p. 44.
56.C , 2008, pp. 115-118.
57.I Ḥ , Kitāb ǧamharat ansāb al‑ʻarab, éd. par H , pp.
495-498.
58.B , 1915.

AUTEUR
HELENA DE FELIPE
Universidad de Alcalá
Le monde berbère dans les
sources arabes de l’Orient
médiéval
Motifs afro-asiatiques et visions arabo-musulmanes

Mohamed Meouak

L’Orient préislamique, un berceau des


ethnies afro-asiatiques ?
Les savants anciens ont divisé les habitats de la terre qui entourent
l’océan Atlantique en trois parties : une partie appelée Asie qui est la
portion de Sem fils de Noé [qism yusammā Ašiya wa-huwa sahm
Sām b. Nūḥ], une partie appelée Europe qui est la portion de Japhet
fils de Noé [wa-qism yusammā Ūrubā wa-huwa sahm Yāfiṯ b. Nūḥ] et
une partie appelée Afrique qui est la portion de Cham fils de Noé
[wa-qism yusammā Ifrīqiya wa-huwa sahm Ḥām b. Nūḥ] alors que la
partie asiatique est entourée par l’océan Atlantique en trois endroits :
la mer orientale qui est limitrophe à l’ouest de la région située à
droite, la partie européenne et son Occident situés à sa gauche et la
partie africaine en dessous de l’Égypte et la Syrie et de la mer
Méditerranée 1 .
1 À la lecture de ce texte, tiré de la version arabe de l’Historiae
adversus paganos de Paul Orose (début du e siècle), nous
pourrions légitimement nous demander si nous ne serions pas en
présence de l’un des textes les plus anciens concernant un
aspect central de notre étude, à savoir l’existence de détails
spécifiques relatifs à la problématique afro-asiatique contenus
dans les sources arabes du Moyen Âge. Il nous semble que cet
extrait constitue un exemple intéressant du traitement qu’une
partie de l’historiographie arabo-musulmane a réservé aux faits
touchant le domaine berbère, tant d’un point de vue des origines
et de sa localisation que de sa propre histoire. La première des
choses qui frappe d’emblée est le renvoi, obligé dirions-nous, à
Noé patriarche et personnage à la fois biblique et coranique. La
deuxième est bien entendu la division du monde connu à
l’époque et sa distribution dirigée vers les trois fils de Noé : Sem,
Cham et Japhet. Enfin, un point important est constitué par les
noms de deux des trois régions réparties, à savoir l’Asie et
l’Afrique. Mais, cela étant, prenons garde car la problématique
des origines du monde berbère est très complexe et ne peut être
discutée en profondeur en l’espace de quelques pages.
2 Cette étude tentera de mettre au jour des matériaux susceptibles,
nous l’espérons, de mieux cerner la place des Berbères dans la
production géographique de l’Orient au Moyen Âge. Nous
essaierons de dégager des faits relatifs à un Orient en tant que
possible berceau des ethnies afro-asiatiques et pour cela, il sera
nécessaire de s’arrêter sur les notions complexes de « chamito-
sémitique », « afro-asiatique » et « afrasien », autant de concepts
qui ont surtout animé des débats de linguistique sans avoir eu à
s’intéresser réellement aux aspects géo-historiques. Ensuite, il
sera indispensable de voir brièvement dans quelle mesure la
notion de « motif » peut aider à mieux comprendre le rôle de
l’historiographie arabo-musulmane dans son approche des
ethnies non-musulmanes. Pour ce faire, nous pensons qu’il serait
également utile de voir comment un ethno-toponyme comme
Ifricos connut des avatars singuliers, de l’Antiquité à l’époque
islamique. Outre l’intérêt de se pencher sur la question des
origines historiographiques de l’Ifricos, nous nous centrerons
aussi sur le principe de barbar. Enfin, nous proposerons dans les
lignes de conclusion quelques idées sur l’opportunité de poser
les jalons d’une enquête ultérieure qui mettrait en relation étroite
les Berbères avec les ethnies africaines, et tenter ainsi une
première incursion dans le champ de l’ethnogenèse des entités
ethniques de la région, à savoir le Maghreb et l’aire saharo-
sahélienne.
3 Il est bien connu que les Berbères ont été parfois l’objet de
mentions les associant à l’Afrique subsaharienne 2 . En outre,
nous savons que si le Maghreb a bien été un thème historique
traité par nombre d’écrivains, celui d’un espace géographique qui
s’est vu conquis mais également objet de civilisation, il
n’empêche que cette portion de « terre » appartient bel et bien à
un continent qui possède ses propres traits écologiques,
morphologiques, ethniques et culturels. Si l’on s’en tient à une
perspective historiographique, on observe d’abord que l’espace
entendu comme étant le Maghreb constitue une somme de
territoires structurés à partir de l’Orient arabe qui s’active à le
rattacher au domaine culturel musulman. Nous savons que
plusieurs écrivains orientaux ont essayé de caser ce Maghreb
dans un contexte oriental, celui des origines mettant ainsi en
relief le thème de l’orientalisation ou non du Maghreb. Le vocable
« berbère », qui sera examiné avec attention, réfère d’abord aux
populations anciennes du Maghreb, celles rencontrées par les
troupes arabo-musulmanes au moment de la conquête. Ces
Barbar-s nous sont connus grâce aux sources arabes qui mettent
d’abord en avant le concept d’« autochtonie » face au milieu
englobant l’arabité orientale. Cette notion apparaît dans les
années 1970 en Amérique du Nord avec l’auto-identification des
Amérindiens comme « peuples autochtones » ou « premières
nations » 3 . Mais lorsqu’on pose le problème de la
reconnaissance puis de l’interprétation du terme barbar dans les
textes arabes, nous nous trouvons confrontés à un sérieux
problème d’identification pour savoir qui se cache derrière le
label « barbar » ? Pour la période antique, plus exactement celle
qui précède l’arrivée des musulmans en Afrique du Nord, nous
devons à Yves Modéran des travaux lucides et convaincants qui
démontrèrent que l’image des Berbères avait été élaborée afin
de mettre en opposition la romanité face à l’identité des
autochtones 4 . Cependant, nous devons rappeler que l’idée d’un
« autre », celui qui peuple le nord de l’Afrique, coexiste avec une
autre notion, à savoir celle liée à la volonté pour les auteurs
arabes de rattacher le monde berbère à l’Orient, et tenter de
montrer que les Berbères proviennent de ce même Orient,
idéalisé et terre de civilisation. Les géographes arabo-orientaux
se feront un devoir de démontrer que le Maghreb n’est autre
qu’une espèce de succursale culturelle orientale très tôt
connectée à l’Orient. Face à un tel discours, on découvre que les
pouvoirs locaux maghrébins vont encourager la rédaction
d’ouvrages qui mettront en place une historiographie célébrant
les « exploits des Berbères » (mafāḫir al-Barbar) et favorisant
ainsi la théorie faisant du Maghreb un espace spécifique avec
ses traits culturels et ethniques propres, capables de rivaliser
avec l’Orient 5 . Ce dernier point est à notre avis crucial car il a
suscité de nombreux débats qui ont parfois mis en exergue le
thème du miroir que l’Orient représentait pour le Maghreb, à la
fois proche et éloigné du berceau de l’Islam.

L’origine des Berbères, le « motif »


afro-asiatique et la « vision » arabo-
musulmane
4 Dans les lignes suivantes, il ne sera pas question de reprendre
en détail le dossier volumineux consacré aux origines des
Berbères. Mais cela dit, nous allons tenter d’exposer quelques
points en relation avec ce thème. Pour cela, nous verrons
quelques aspects du concept d’afro-asiatique d’un point de vue
linguistique. Puis, nous réfléchirons sur ce que nous entendons
par « motif » comme outil susceptible de nous aider à mieux
comprendre nos objectifs. Enfin, nous essaierons de nous
expliquer sur l’emploi du vocable « vision » pour le rattacher à
quelques exemples pris dans la littérature géographique arabe
d’Orient.

Au début était le « chamito-sémitique »…

5 La production scientifique consacrée à la question des origines


des langues afro-asiatiques est volumimeuse et parfois teintée
de polémiques. Plusieurs notions seraient en principe à prendre
en compte afin de mieux comprendre les tenants et les
aboutissants d’une telle problématique. Toutefois, nous nous
limiterons à quelques observations qui tenteront de relier le
champ linguistique au domaine de l’histoire des Berbères dans
les sources arabes.
6 Si au début était le « chamito-sémitique », nous pouvons dire que
les concepts changèrent dans les années 1970 pour convertir
cette notion en « afro-asiatique » puis en « afrasien ». Ces mots
ont souvent partagé la recherche d’un des pères des études sur
les langues et cultures afro-asiatiques que fut Joseph H.
Greenberg. Ce dernier forgea le terme « afro-asiatique » ayant
observé sa présence sur les continents asiatique et africain et
afin de pallier les problèmes d’une dichotomie présente dans
l’emploi de l’expression « chamito-sémitique », entre une
branche sémitique d’un côté et une inexistante branche unitaire
chamitique de l’autre 6 . Certains spécialistes se demandèrent
comment aborder la problématique, notamment en fonction d’une
approche synchronique (de l’intérieur) ou par rapport à une vision
diachronique (dans le temps). Pour tenter de cerner le problème,
nous devons faire quelques rappels nécessaires 7 . Mais, et on
pouvait aisément l’imaginer, les théories élaborées puis
transmises par J. H. Greenberg sont loin de faire l’unanimité au
sein de la communauté scientifique. Certains se rangent toujours
derrière la formule de « chamito-sémitique », qui semble
obsolète, et d’autres critiquent simplement la mise en place de
telles idées, pensant que celles-ci répondraient plutôt à des
positions idéologiques marquées par une vision occidentale de
domination des relations nord-sud débordant largement le cadre
strict de notre étude.
7 De manière très résumée, nous pouvons dire que les langues de
la famille afro-asiatique couvrent une aire géographique
considérable, qui s’étend du nord de l’Afrique (du Maghreb
jusqu’au Nigeria et une partie du Cameroun, en passant par
l’Éthiopie, l’Érythrée et la Somalie) à l’île de Malte, ainsi que dans
tout le Proche-Orient, pour s’arrêter aux frontières de l’Iran où
l’on trouve encore quelques îlots arabophones. L’appellation de
« chamito-sémitique » attribuée à ces langues est paraît-il une
pure invention des linguistes de la fin du e siècle, d’où cette

désignation controversée. Sous l’influence de la Genèse (Bible


judéo-chrétienne), les linguistes européens présentèrent les
Hébreux, les Araméens, les anciens Égyptiens et les Arabes
comme les descendants de Sem (d’où « sémitique ») et de Cham
(d’où « chamite »), les fils du patriarche Noé. Ainsi, dans cet
océan que représente le domaine afro-asiatique, le berbère serait
entre autres faits le résultat de l’évolution d’une langue-matrice
appelée « afrasienne » utilisée entre le XVIIe et le XVe millénaire,
entre le nord du Soudan et les hauts plateaux de l’Éthiopie, et
peu vraisemblablement au Moyen Orient. Mais est-on bien sûr de
la validité de tout ce qui vient d’être rappelé 8 ?
8 Mahé Ben Hamed et Pierre Darlu publièrent en 2003 une étude
intéressante sur les origines de la diffusion de l’afro-asiatique.
Cette recherche se proposait de mettre en place une réflexion
méthodologique sur la problématique de l’évolution d’un phylum
linguistique en tentant de définir un cadre théorique global pour
examiner l’évolution des populations humaines de façon
syncrétique, biologique et culturelle à la fois. En plus de réaliser
une revue critique des approches linguistiques et
extralinguistiques de la question du foyer de l’afro-asiatique, les
auteurs proposent une méthodologie qu’ils qualifient d’« unique »
tenant compte des limites observées dans les approches
actuelles et passées sur cette question, de considérations
propres à chacune des disciplines concurrentes ainsi que des
incidences dues à la nature même des données disponibles. L’un
des intérêts majeurs de l’article réside dans le fait qu’il offre un
bilan à la fois clair et critique des données disponibles pour
ensuite suggérer une approche pluridisciplinaire, qui se baserait,
entre autres outils, sur les données biologiques et linguistiques 9
.
9 Plus tard, en 2012, Salem Chaker est revenu sur les thèmes de
« berbère » et « afro-asiatique » d’un point de vue linguistique.
Son étude, contenant des développements à la fois savants et
didactiques, a plusieurs mérites. D’emblée, le berbérisant pose la
question de l’origine géographique et les aires de diffusion du
berbère 10 . Ces deux points ont évidemment une grande
importance pour notre travail car ils constituent un tremplin par
lequel nous pourrions mieux saisir les origines, les aires
d’implantation du berbère et les développements de la langue au
cours de la période médiévale. S. Chaker rappelle les
précautions indispensables que le linguiste et l’historien doivent
prendre notamment en utilisant les notions de « culture » et de
« civilisation » pour essayer de comprendre la genèse du berbère
dans le cadre d’aires géographiques si différentes que sont le
Sahara, l’Atlas ou le Sahel. Les conséquences de ces rappels
lorsqu’on postule que le berbère appartient effectivement à la
famille afro-asiatique sont diverses selon le propre chercheur. De
fait, et malgré les hésitations et les hypothèses émises depuis
plus d’un siècle et demi, l’apparentement de la langue berbère
semble ne faire aucun doute puisqu’il est l’une des branches de
la grande famille linguistique afro-asiatique. Cette notion de
parenté linguistique est définie et relative : elle est de nature
strictement linguistique et n’implique rien en termes
d’anthropologie (origine des peuplements) et/ou de culture. Elle
est toujours relative dans le temps et se trouve confrontée à des
obstacles chronologiques et aux méthodes du comparatisme
linguistique. Il paraît que les apparentements que l’on peut
scientifiquement établir ne remontraient jamais au-delà de la
période néolithique ancienne. Or, il faut rappeler que l’histoire de
l’humanité, des ethnies et des langues, ne commence pas avec
la pierre polie et l’agriculture. Il est nécessaire de signaler que la
parenté afro-asiatique du berbère n’implique en rien une
provenance moyen-orientale, sémitique ou est-africaine. Il
semblerait, au contraire, que les faits préhistoriques comme les
données linguistiques prouveraient une très grande ancienneté
du berbère en Afrique du Nord 11 . C’est ainsi que le berbère
peut être considéré comme la langue « autochtone » du nord de
l’Afrique et il n’existe actuellement pas de trace positive d’une
origine extérieure ou de la présence d’un substrat pré ou non-
berbère dans cette région. Aussi loin que l’on puisse remonter
— c’est-à-dire dès les premiers témoignages égyptiens —, le
berbère est déjà installé dans son territoire actuel. La toponymie
n’a pas permis jusqu’ici d’identifier précisément un quelconque
sédiment préberbère 12 .
10 Basées sur un nombre limité de travaux récents, les remarques
précédentes autour d’une problématique complexe et dépassant
nos compétences permettent de mettre en relief deux points qui
animent notre étude. Grâce à ce détour par la linguistique
historique dans le domaine berbère, nous pouvons donc imaginer
que les écrivains arabes de l’Orient musulman ont su élaborer
des histoires mettant en avant de véritables motifs à la fois
historiques et légendaires, de manière parfois subtile, retraçant
ainsi la naissance du monde berbère, dans son contexte oriental,
ou asiatique, et/ou africain. Et ces motifs, visibles ou non pour le
lecteur, doivent être examinés à la lumière des textes disponibles
qui n’en demeurent pas moins des constructions établies par des
individus marqués par leur époque et les contingences de leur
environnement. Grâce à un ensemble de sources spécifiques, il
est à notre avis possible d’ébaucher une réflexion, aussi modeste
soit-elle, sur une vision proprement arabo-musulmane relative
aux Berbères et qui, comme cela a déjà été remarqué, fait la part
franche à l’origine orientale des Barbar-s.

« Motifs » afro-asiatiques et « visions » arabo-


musulmanes de l’histoire des Barbar-s

11 Qu’est-ce qu’un « motif » ? D’après les linguistes et les


spécialistes de sémantique, le « motif » est souvent associé à la
notion de « thème », dans une tradition qui remonte au siècle
dernier. Cette notion appelle des clarifications : un motif peut être
une toile de fond, un concept vaste, signifiant soit une certaine
attitude — par exemple la révolte — soit une situation de base,
impersonnelle, dont les acteurs n’ont pas encore été
individualisés, alors qu’un thème serait plutôt l’expression
spécifique d’un motif, son individualisation, et pourrait ainsi se
concrétiser dans un personnage précis. Par exemple, François
Rastier dit explicitement :
Les motifs peuvent être (re) définis comme des structures textuelles
complexes de rang supérieur (macrosémantique) qui comportent des
éléments thématiques, mais aussi dialectiques (par changement
d’intervalle temporel), et dialogiques (par changement de modalité)
13 .

En fait, selon l’auteur cité :


Le motif est un syntagme narratif stéréotypé, et partiellement
instancié par des topoï, alors que le thème est une unité du palier
inférieur, non nécessairement stéréotypée, et qui se trouve dans
toutes les sortes de textes 14 .
12 Si la question du motif ne peut être discutée en quelques lignes,
il ne faut pas oublier que la problématique de notre étude,
d’abord élaborée sur un concept linguistique, est susceptible
d’expérimenter un tournant pour se convertir en véritable
question historique. Nous devons essayer de voir s’il est possible
d’aboutir à une historicisation de la notion linguistique d’« afro-
asiatique » pour arriver à la convertir, si possible, en véritable
thème historique. Nous passerions alors du domaine de la
langue comme marqueur d’identité vers un champ historico-
géographique afin de dégager, autant que possible, les traits
saillants d’un milieu ayant des caractéristiques précises et ayant
évolué dans des circonstances concrètes. L’une des opportunités
offertes pour réaliser un tel mouvement est constituée par le fait
que les Berbères, tels qu’ils apparaissent dans les sources
écrites en arabe, entrent dans une histoire que nous appellerions
« afro-asiatique ». Cette histoire serait celle élaborée puis
rédigée à la lumière des écrivains arabes médiévaux de l’Orient,
de leur culture et de leur vision, transformant ainsi une idée,
vague et obscure, en un motif historiographique digne d’être
compilé et discuté. Nous savons par exemple que le binôme
tribal Ṣanhāǧa‑Kutāma 15 , comme élément clé dans la
fondation, création ou invention des entités tribales berbères
apparaît de manière récurrente chez des géographes arabo-
orientaux comme Ibn Ḥawqal, al-Iṣṭaḫrī, al-Muqaddasī. Sur ce
dernier point, nous savons, par exemple, que des individus
appartenant à la tribu des Mazāta affirment avoir des origines
yéménites :
[Waddān] Il y a des groupes de musulmans qui prétendent provenir
des tribus arabes du Yémen mais la plupart d’entre eux sont des
Mazāta qui y sont majoritaires 16 .
13 Entre « motifs » afro-asiatiques et « visions » musulmanes d’une
grande communauté d’individus, à savoir les Berbères,
l’utilisation de ces deux thèmes n’est pas chose simple. Mais
sans prétendre à un emploi systématique des valeurs du
« motif » et de la « vision », nous voudrions surtout attirer
l’attention du lecteur sur le fait que l’examen de la place des
Barbar-s dans la littérature arabo-orientale du Moyen Âge doit
impérativement passer par la mise en perspective du sujet et sa
place dans l’historiographie arabo-musulmane. Pour mener à
bien un tel programme, il est nécessaire de connaître les
modalités d’approche des auteurs, la terminologie usitée et les
objectifs poursuivis. C’est pour cela que nous essaierons de
renvoyer, autant que possible, aux historiens et géographes
arabes de l’Orient, auteurs d’œuvres spécifiques et dans
lesquelles on puise, çà et là, des termes, des mots, des idées
susceptibles de nous éclairer sur la problématique de l’histoire
des Berbères vue par le prisme arabo-musulman.

De l’Ifricos antique à l’Ifrīqiya arabe ou


les vicissitudes géo-historiques d’un
ethno-toponyme
14 Dès que l’on aborde l’histoire du nord de l’Afrique, l’une des
premières constatations est celle de la variété et la complexité
des noms qui désignent cette aire, de l’époque antique jusqu’aux
temps modernes. À l’heure actuelle, l’expression « Afrique du
Nord » désigne en principe le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie,
Libye, Mauritanie). C’est sans aucun doute une immense partie
du continent africain qui a une forme géographique presque
quadrilatérale, limitée au nord par la Méditerranée, à l’ouest par
l’océan Atlantique et par le Sahara, autre mer intérieure, au sud.
Depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, le nord de l’Afrique fut
successivement appelé Libye par les Grecs et les Romains,
Barbarie par les Européens durant la période médiévale, ǧazīrat
al-Maġrib par l’historiographie arabe, « Afrique du Nord » par les
Français, etc. Mais, pour les besoins de notre étude, nous ne
verrons que le toponyme qui date de l’époque antique, à savoir
Africa et son homologue arabe Ifrīqiya. L’ethno-toponyme Africa
est souvent employé dans l’historiographie latine postérieure à la
chute de Carthage. Il désignait soit les régions sous domination
carthaginoise, qui correspondent plus ou moins au nord-est de
l’actuelle Tunisie, soit il comprenait l’ensemble du nord de
l’Afrique ou même encore tout le continent africain 17 . De
nombreux mystères planent encore sur les origines du nom. Est-
il de souche phénicienne, libyco-berbère, latine ? Les auteurs, de
l’époque ancienne jusqu’à la période moderne, ont apporté
plusieurs explications à cette question 18 .

L’Ifricos ou le souvenir d’un ethno-toponyme


ancien

15 Dans ses Antiquités juives, Flavius Josèphe (mort vers 100)


signale que les habitants appelés Afri avaient hérité leur nom
d’un des fils d’Abraham et Cetura appelé Afer 19 . Ce dernier
aurait dirigé une armée contre la Libye et, s’y étant établi une fois
ses ennemis vaincus, il donna à ses descendants le nom de leur
ancêtre et désigna les habitants par le nom d’Afri et leur territoire
Africa 20 . Cette tradition qui fait d’un descendant d’Abraham
l’ancêtre éponyme des Afri se retrouve relayée par
l’historiographie arabo-musulmane du Moyen Âge. En effet, Ibn
Ḫaldūn (mort en 806/1408), sur la base d’écrivains antérieurs,
signale à propos des tribus berbères que celles-ci faisaient partie
des Yéménites qu’Ifricos établit en Ifrīqiya lorsqu’il envahit cette
contrée 21 . Nous voyons que les références textuelles données
évoquent clairement le même héros éponyme, Ifricos ou Afer,
originaire de l’Orient qui aurait envahi l’Afrique, mais sans
toutefois dater l’événement. Dans ce sens, nous allons résumer
ici trois pistes d’investigation parmi d’autres et susceptibles de
nous éclairer sur l’origine du nom Africa.

L’Afrique ou la voie du libyco-berbère

16 Au début du e siècle 22 , l’historien de l’Antiquité Stéphane

Gsell avait déjà constaté que la locution africa terra était le


résultat d’une dérivation latine de l’ethnique Afer, employé
principalement au pluriel. Il faut sans doute rechercher non pas
l’étymologie d’Africa mais plutôt celle d’Afer 23 . Si une origine
latine lui paraît malgré tout peu probable, Stéphane Gsell croit,
cependant, que les Romains tenaient ces vocables des mêmes
habitants de l’Afrique. Il suppose même qu’Afer avait dû être
employé par les autochtones, soit les Carthaginois, soit d’autres.
Mais cela dit, comme Afer est absent des inscriptions puniques
alors qu’on y trouve la racine lby, correspondant au terme grec
« libyen », le savant français pensait qu’il était sans doute
d’origine autochtone.
17 Du côté de la langue berbère, les sciences onomastiques
peuvent fournir différentes perspectives d’approche. En rapport
avec Afer, on relèvera les formes suivantes : Ifru, divinité libyque
mentionnée par une inscription latine 24 ; Ifar, nom de lieu
signalé par Corippe (mort après 568) mais qui reste, pour l’heure,
sans identification ; Ifuraces, nom d’une ethnie citée plusieurs
fois chez Corippe et dont les territoires étaient situés en
Tripolitaine 25 ; īfrī (pl. īfrān), mot berbère ayant le sens de
« grotte » de sorte que, par exemple, la tribu des Īfrān
mentionnée dans les sources arabes serait d’origine troglodyte
d’autant plus que le phénomène du troglodytisme était
particulièrement fréquent dans le nord de l’Afrique 26 . Deux
questions peuvent être posées à la vue des données qui
viennent d’être fournies : les Afri seraient-ils donc, à l’origine, les
habitants des grottes ? L’ethnique Afer appartiendrait-il dans ce
cas à la langue libyque ?

L’Orient ou le canal des langues sémitiques

18 Si l’on se tourne très brièvement vers les langues sémitiques, on


verra que des spécialistes ont essayé de relier le mot afer à la
racine br signifiant « traverser », d’autres l’ont fait avec la racine
fr avec le sens de « cendre », « poussière ». Certains linguistes
auraient en outre proposé de faire dériver le lexème afer avec br
suivant le schéma suivant : transformation du b en p ou en f qui
aurait donné fr. Avec la chute de la vélaire, on aurait ainsi obtenu
le mot afer. Selon le spécialiste des langues sémitiques S. Seger
27 , à l’origine de la proposition indiquée antérieurement, les Afri

étaient des Phéniciens du nord de l’Afrique, peuplant les


campagnes par opposition à ceux vivant en milieu urbain.
Cependant, le nom Afer manque dans les documents et les
inscriptions libyques découverts jusqu’à nos jours, et aucune
donnée n’autorise à avancer l’hypothèse selon laquelle les
Phéniciens auraient porté un nom formé sur la base de la racine
br ou fr, avec les acceptions de « traverser » ou « cendre » et
« poussière ».

L’Europe ou la filière latine/indo-européenne


19 En 1976, Michèle Fruyt, linguiste et spécialiste des langues de la
péninsule italique ancienne, a proposé une autre direction de
recherche qui fait appel au latin et, plus particulièrement, aux
langues italiques du sud pour éclairer Africa et Afer 28 . À la base
de cette nouvelle perspective, il existe un double constat. Afri se
distingue des autres dénominations des ethnies du nord de
l’Afrique ancienne, alors que des Numides et des Maures sont
présents en grec et en latin : Afri n’existe qu’en latin ; de même,
Libyes correspond à Aigues en grec, lby en phénicien et Lebou
en égyptien, mais Afri n’a pas de correspondant certain dans une
autre langue que le latin. C’est donc probablement par le latin
que les mots Afri et Africa pourraient être expliqués, et sans
doute par le biais des langues italiques 29 . M. Fruyt estime que
ce sont les Latins qui ont emprunté à l’osque l’adjectif africo
devenu africus en latin au sens de « pluvieux », qui apporte la
pluie. Par extension, on aurait la formule africus ventus et, si le
mot africus était d’origine osque, le vocable africa serait alors
postérieur à la notion de « vent ». On a ainsi appelé africa terra la
région qui se situait là où soufflait l’africus ventus. Il y aurait donc
eu passage d’africus ventus à africa terra, mais il faut tout de
même prendre en compte le fait qu’au sens ancien la locution
africa terra représentait le territoire sous tutelle carthaginoise, ou
le nord-est de la Tunisie d’aujourd’hui. Il est vrai que le mot africa
a connu bien des vicissitudes d’un point de vue sémantique mais,
selon M. Fruyt, durant la période ancienne, il était limité aux
territoires qui se trouvaient au sud-ouest de l’Italie d’où semblait
venir le vent dit africa ventus 30 . Quant aux termes afer et afri, il
semble que l’on serait passé de la désignation de la terre à celle
de ses habitants. Aussi intéressante qu’elle soit, cette hypothèse
doit cependant être mise en relation avec les explications
fournies par les auteurs anciens pour éclairer l’origine de la
dénomination grecque du continent africain. La Libye aurait été
ainsi appelée du fait du vent libs qui souffle depuis cette zone. Si
l’étymologie grecque est recevable alors la dénomination latine
pourrait être une copie, voire un calque réalisé à partir du grec
31 .

L’Ifrīqiya, territoires arabo-musulmans en Afrique ?

20 Après un bref détour par l’histoire ancienne, il est nécessaire de


s’arrêter maintenant sur le mot pôle africa en arabe, c’est-à-dire
l’Ifrīqiya des sources médiévales 32 . Par exemple, nous savons
qu’Ibn al-Kalbī (mort en 204/819), auteur d’une Ǧamharat
al‑nasab, s’est intéressé aux origines de l’Ifrīqiya et a enregistré
des matériaux invitant à douter sérieusement de l’origine
yéménite des Berbères. Cet écrivain a en effet discuté la validité
de la théorie de la conquête de l’Ifrīqiya par les tabābi‘
yéménites. Giovanni Canova est revenu sur cette question
complexe pour poser l’hypothèse selon laquelle la conquête du
nord de l’Afrique par Ifrīqīs, nom mythique d’un conquérant
yéménite et fondateur de la ville d’Ifrīqiya, remonterait en fait à
des traditions puisées dans le folklore de l’Arabie du Sud,
transmises par les Aḫbār al-Yaman et la célèbre qaṣīda
ḥimyariyya, et donc serait à mettre au compte de récits
légendaires 33 . Ibn al-Kalbī a été suivi par quelques épigones
comme al-Ṭabarī (mort en 310/923) à propos de Ḥām al-Qibṭ,
des Sūdān et des Barbar-s, ou encore au sujet d’Ifrīqīs et des
Barābira 34 .
21 En outre, il est intéressant de s’arrêter sur un passage transmis
par le savant Abū Muḥammad al-Hamdānī (mort en 361/971). Ce
dernier, observant que la structure du nom Ifrīqīš en faisait un
mot qui n’entrait pas dans la tradition onomastique arabe, aurait
affirmé que le toponyme original d’Ifrīqīs ne pouvait être qu’un
terme composé de deux segments : ifrī et qays ! Rien n’est moins
sûr et en l’absence de confirmation du fait par d’autres sources
arabes, il est difficile de considérer cette notice comme une
information pleinement valable 35 .

L’Ifrīqiya chez quelques géographes arabo-orientaux

22 Le nom Ifrīqiya est abondamment documenté dans la littérature


arabe du Moyen Âge. Ce sont les historiens et les géographes
qui ont mis à l’honneur le vocable pour désigner, en principe, la
partie occidentale de l’empire musulman, notamment l’Orient du
Maghreb. Mais il faut préciser que cet « Orient » du Maghreb est
parfois flou et n’est pas fixé de manière stable. Enfin, il ne faut
jamais perdre de vue que l’Ifrīqiya n’est pas la même dans l’esprit
de tous les géographes arabo-orientaux ainsi que nous l’avons
évoqué antérieurement. L’image que ces derniers en ont est
diverse et variée, et ses limites demeurent aléatoires selon les
époques. L’espace ifrīqiyen est également l’objet de confusions
de la part de l’historiographie arabo-musulmane. Ainsi, l’Ifrīqiya, a
parfois été identifiée à l’ensemble du Maghreb ou
occasionnellement limitée géographiquement à une seule
province. En fait, elle semblerait avoir correspondu à la Numidie
et la Byzacène, comprenant un morceau de la Tripolitaine, et une
partie de l’Aurès 36 . L’Aurès pourrait être considéré comme une
sorte de limite occidentale qui marquerait ce qu’est cette Ifrīqiya
dans l’esprit des écrivains arabes de l’Orient. C’est peut-être pour
cela que l’Ifrīqiya a souvent été associée aux émirats aghlabide
puis ziride et enfin au sultanat hafside. Elle s’étendrait donc de
l’Algérois à la Tripolitaine, voire jusqu’à Surt. Outre ces grandes
aires régionales, elle comprend des cités côtières et des villes à
l’intérieur des terres aussi célèbres que Carthage, Hippone, ou
encore Leptis Magna 37 . Quelques exemples nous aideront à
cerner plus précisément l’idée que l’on avait de cette portion du
ġarb al-islām vu depuis l’Orient.
23 Al-Iṣṭaḫrī, à propos de la ville de Tripoli d’Occident, dit que celle-
ci faisait partie des diyār al-Maġrib et des diyār šarqiyya du
Maghreb. On pourrait rendre le terme diyār par « centres de
peuplement » si l’on admet que le mot dār (sing. de diyār),
équivaut à « habitats », voire « hameaux ». Puis il cite la localité
comme appartenant au « district d’Ifrīqiya » (min ‘amal Ifrīqiya) et
il évoque également des mulūk Ifrīqiya (« souverains d’Ifrīqiya »)
38 . Quant au géographe Ibn Ḫurradāḏbih, au moment de fournir

la liste des entités tribales et leur système d’orientation pour la


prière, il signale des ahl al-Maġrib et d’Ifrīqiya, mentionne
Qayrawān comme « capitale de l’Ifrīqiya » (madīnat Ifrīqiya) et
précise que la Sicile se trouve en face de l’Ifrīqiya 39 . Rappelons
que ce dernier auteur livre une liste de près de trente tribus
berbères et aborde déjà la question des possibles
apparentements entre certains groupes tribaux 40 .
24 En outre, nous savons grâce à Ibn Ḥawqal que Tunis et
Mahdia sont bien situées dans arḍ Ifrīqiya ([la] « terre d’Ifrīqiya »)
et que Tripoli, cité ancienne, appartient au ‘amal Ifrīqiya (« district
d’Ifrīqiya ») 41 . Le même écrivain signale que Tāhart constitue
une province de l’Ifrīqiya (wa-kūrat Tāhart min Ifrīqiya) alors que
dans l’ensemble, les géographes arabes semblent distinguer le
Maġrib, à savoir Maghreb central et occidental, de l’Ifrīqiya. Ce
dernier fait indique bien que cette contrée correspondrait à un
large Maghreb oriental, c’est-à-dire l’est de l’Algérie et la majeure
partie de l’actuelle Tunisie, ainsi qu’une portion occidentale de la
Libye 42 .
25 Nous pourrions multiplier les exemples attestant le nom Ifrīqiya
mais les quelques données proposées suffisent, pensons-nous, à
montrer que celui-ci est largement employé dans la
documentation arabe. Pour clore ce bref paragraphe, nous
voudrions signaler l’existence du nom géographique Ifrīqa, relevé
dans l’ouvrage de l’écrivain andalousien Abū Muḥammad al-
Rušāṭī (mort en 542/1147). Ce dernier a rédigé un dictionnaire
géographique dans lequel il enregistre la nisba al-Bāǧī :
Bāǧa en « Africa » [Ifrīqa] et Bāǧa en Andalus ; j’ai vu dans des livres
d’histoire que dans la langue des non-Arabes l’interprétation de Bāǧa
est la « paix » [tafsīr Bāǧa fī luġat al-‘aǧam al-silm] 43 .
26 Mais que conclure de cette dernière information ? En l’état des
choses, il nous paraît difficile de savoir avec certitude s’il s’agit
d’une erreur du copiste ayant mal transcrit le toponyme Ifrīqiya
ou alors s’il est bien question du terme ifrīqa comme équivalent
de Africa des Anciens. Si la dernière hypothèse se révélait
exacte, nous serions en présence de l’une des rares mentions
textuelles du nom Ifrīqa.

Brève note sur les Afāriq(a) chez le géographe Ibn Ḫurradāḏbih

27 Si l’ethno-toponyme Ifrīqiya est bien utilisé pour signifier un lieu


et une ethnie, il est bon de rappeler qu’un autre terme, construit à
partir de la même racine, a connu un succès plutôt relatif dans
les sources arabes du Moyen Âge. Il s’agit des mots afāriq,
afāriqa qui semblent désigner, en principe, les autochtones, voire
les Africains. Le géographe Ibn Ḫurradāḏbih signale que la
localité de Gabès avait été la « capitale » des Africains
non‑Arabes (Qābis madīnat al-Afāriqa al-A‘āgim) 44 . En outre, il
dit que la ville de Kairouan redevint la capitale des Africains et
des Romains — Byzantins ? — (al-Afāriq wa-l-Rūm-s) après
avoir conclu la paix avec les Berbères (al-Barbar) 45 .
28 La problématique consacrée aux Afāriq est fort complexe et
teintée de polémiques. Pour cela, nous nous contenterons dans
les lignes suivantes de rappeler brièvement quelques aspects.
Les conquérants arabo-musulmans au er/ e siècle ont sans
doute distingué au moins trois groupes de population dans le
nord de l’Afrique : les Rūm‑s (Byzantins), partie de la population
exogène et membres de l’élite au service des institutions
byzantines, généralement de langue grecque, les Afāriqa,
probablement en partie de culture romaine, implantés en milieu
urbain et de langue latine et les Barbar-s, communautés rurales
établies sur une bonne portion des territoires nord-africains 46 .
Le flottement qui existe entre les termes dédiés à représenter les
ethnies est tel qu’il est impossible d’en discuter sur la seule base
des textes géographiques. Il faudrait sans nul doute ajouter les
textes historiques et autres ouvrages pour en savoir plus et
comprendre, peut-être, le pourquoi de tel nom attribué à tel
groupe ethnique.

Variations textuelles autour de la


notion de barbar chez les géographes
de l’Orient arabo-musulman
29 Dans un récit puisé à l’œuvre du géographe persan Ibn
Ḫurradāḏbih, que nous sommes bien en peine de dater, il est dit
que lors du périple qui conduisit les Berbères de Barqa au
Maghreb (la partie occidentale du nord de l’Afrique), ils eurent à
souffrir une grande détresse lorsqu’ils arrivèrent dans la localité
de Wardāsā :
Le poète a dit : les Berbères ont passé une journée bien dure
Lorsque le destin les a menés à Wardāsā 47 .
30 Cette notice constitue à notre avis une excellente mise en
bouche pour examiner la problématique de l’origine des Barbar.
Comme nous allons le voir, d’autres textes offrent quelques
éléments à verser au dossier et permettent ainsi de jauger des
difficultés du travail à réaliser, surtout en ce qui concerne
l’identification des individus inclus dans les groupes nommés
Barbar.
31 En naviguant à l’intérieur du Fihrist de l’écrivain oriental Ibn al-
Nadīm, composé vers 377-378/987-988, on trouve une notice
intéressante sur les langues du pays des Sūdān dans lequel il
inclut des « Berbères » (al-Barbar) et d’autres ethnies comme les
Nūba, les Buǧa, les Zaġāwa, les Marāwa (Méroé) et les Istān
(Zanǧ d’Irak). Dans le même texte, l’auteur fait également
allusion au fait que certains groupes ethniques mentionnés ne
possédaient « ni calame, ni écriture » 48 . Nous croyons que ce
dernier renseignement permet de mesurer la profondeur des
problèmes engendrés par l’étude du milieu berbère, si tant est
que le vocable Barbar renvoie bien aux Berbères.
32 Il pourrait s’agir en effet d’« autres » Barbar-s, à savoir ces
ethnies qui sont clairement identifiées dans la littérature gréco-
romaine comme étant localisées à la périphérie méridionale des
mondes grec et romain et dont les descriptions ont parfois été
reprises par l’historiographie arabo-musulmane 49 .
33 Ce texte d’Ibn al-Nadīm, écrit en Orient au e/ e siècle, pose la
question de l’existence, ou non, d’une écriture spécifique en
berbère à l’époque prémoderne, ce qui pourrait avoir eu une
influence notable sur la production littéraire originale dans la
propre langue berbère 50 . La question complexe de savoir si le
berbère avait été écrit au moyen d’un système alphabétique
propre durant la période médiévale va au-delà de nos propres
connaissances et déborde le cadre de ce travail. Pour être
cernée dans les meilleures des conditions possibles, il est tout à
fait clair que cette problématique doit faire appel à l’intervention
des préhistoriens, des linguistes, des historiens et des
archéologues 51 .

Trois notes sur l’origine des Barbar-s : l’Orient


omniprésent

34 Voyons maintenant quelques informations concernant l’origine


des Barbar-s prises chez quelques géographes arabo-orientaux
et qui constituent sans nul doute la meilleure preuve de l’intérêt
porté sur les mythes de création et de fondation des ethnies non-
musulmanes. Dans une narration puisée chez le généalogiste al-
Kalbī et consacré à la description de la « terre de Miṣr » (arḍ
Miṣr), le géographe persan Ibn Ḫurradāḏbih indique que les
Coptes et les Berbères (al-Qibṭ wa-l-Barbar) étaient des
descendants de Miṣr b. Hām b. Nūḥ 52 . En outre, le même
écrivain affirme que la Palestine aurait été le berceau des
Berbères dans un épisode connu des sources arabes. Dans le
récit de l’auteur persan, on retrouve, entre autres indices, le lieu
commun de l’ancêtre éponyme, à savoir Goliath (Ǧālūt) 53 .
Ensuite, nous relevons des informations identiques dans une
notice plus courte compilée par Ibn al-Faqīh al-Hamaḏānī qui est
sans doute partiellement empruntée à Ibn Ḫurradāḏbih. Dans ce
fragment, on note la présence de David (Dāwūd) qui mit fin à la
vie de Goliath, ce qui entraîna le départ des Berbères vers le
Maghreb 54 . Enfin, dans un contexte historiographique similaire,
signalons les observations d’Ibn Ḥawqal qui précise que les
Berbères étaient très nombreux et se rattachaient à la famille de
l’ascendance de Goliath 55 .

Les Barbar-s, motifs légendaires et historiques des sources


arabo-orientales et approche islamique des ethnies non-arabes

35 L’un des écrivains arabo-musulmans les plus anciens chez lequel


nous relevons des données de choix sur la notion de Barbar est
l’historien et géographe al-Ya‘qūbī (mort en 284/897). Son Kitāb
al-buldān contient une série d’éléments susceptibles de nous
aider à mieux délimiter la place occupée par le terme barbar
dans un livre à vocation fondamentalement encyclopédique. Cela
étant dit, il est intéressant d’observer que le vocable barbar, tel
qu’il est utilisé dans l’ouvrage, apparaît souvent dans le cadre de
renseignements concernant les modes de peuplement des
milieux berbères. Afin d’illustrer notre propos, nous allons citer
quelques exemples relatifs aux divers types d’occupation des
territoires qui mettent en relief des différences d’une région à une
autre et fournissent des données sur les variantes d’organisation
des groupes tribaux 56 . Tout cela étant posé, l’historien ne peut
donc esquiver la question de savoir quels sont les individus qui
se cachent derrière l’étiquette « Barbar » ? Il s’agit là d’un
problème de reconnaissance ethnique difficile à résoudre car
plus que tout autre objet d’étude, il est bien connu que les
sociétés islamiques médiévales poussent, parfois, ce même
historien à penser les phénomènes de différenciation ethnique
sous forme de catégories.
a) Établissements et hameaux peuplés de Berbères (manāzil
al-Barbar et diyār al-Barbar)

36 Ces deux expressions, empruntées au vocabulaire des modes


d’occupation des espaces, illustrent avec une relative précision le
caractère foncièrement rural des implantations berbères sur le
sol nord-africain. Nous savons bien entendu que cette
nomenclature répond aussi à une volonté de classer et
d’organiser les ethnies selon des critères que nous appellerons
« islamocentriques ». Mais il n’empêche que ces données
montrent la volonté manifeste des écrivains orientaux de
comprendre l’organisation territoriale des Berbères. Et à ce sujet,
il est, croyons-nous, utile de rappeler la notice d’Ibn al-Faqīh al-
Hamaḏānī qui, après avoir évoqué la mort de Goliath par David
en Palestine puis l’exode des Berbères vers le Maghreb, signale
que les Barābira n’aimaient pas vivre en ville mais préféraient les
montagnes et les zones sablonneuses (wa-karahat al-Barbar
nuzūl al-madā’in fa-nazalū al-ǧibāl wa-l-rimāl) 57 .
37 Al-Ya‘qūbī est sans aucun doute l’un des écrivains orientaux qui
a compilé le plus de renseignements sur les Berbères. À propos
de la région de Rammāda, en Libye, il dit que celle-ci était
constituée par des établissements berbères (manāzil al-Barbar)
peuplés par des Mazāta et autres groupes non-arabes de vieille
souche (al-‘aǧam al-qudum) 58 . Ensuite, en évoquant les
Berbères Māṣala, il précise qu’ils peuplaient une région de la
Libye dans des hameaux (diyār al-Barbar min Māṣala b. Luwāta)
59 . Puis, concernant la région de Barqa, il évoque les noyaux

de peuplement berbère (diyār al-Barbar) des Marāwa, des


Maṣ‘ūba, des Zakūda et d’autres tribus des Luwāta (min buṭūn
Luwāta) 60 . À propos de Barqa, ajoutons qu’Ibn Ḫurradāḏbih
affirme que les Luwāta avaient occupé sa région qui était
nommée Anṭābulus avec le sens de « pentapolis », dans la
langue des Rūm-s (wa-hiya Anṭābulus bi-l-rūmiyya wa-hiya ḫams
madā’in) 61 . Enfin, et toujours en Libye, al-Ya‘qūbī signale
qu’autour d’Aǧdābiyya vivaient des tribus berbères (Zanāra,
Wāhila, Masūsa, Suwa, Taḥlāla, Ǧudāna) et il y est question de
leurs possibles origines syro-orientales (al-ša’m) par les Laḫm et
byzantines (al-rūm) 62 .

b) Organisation des Barbar-s selon la terminologie tribale :


qawm, « tribu » et buṭūn, « fractions »

38 En plus de la division en noyaux de peuplement spécifiques,


nous savons que l’historiographie arabe médiévale a mis en
valeur une terminologie susceptible d’expliquer le mode
d’organisation des Berbères en tribus et fractions tribales. Ce
vocabulaire a été l’objet de nombreuses études qui ont tenté de
répondre aux interrogations posées par les structures mêmes du
milieu berbère. Nous avons relevé quelques exemples dans la
géographie d’al-Ya‘qūbī qui permettent de mieux évaluer le sens
des mots employés et offrir ainsi l’opportunité de mesurer
l’impact du peuplement berbère dans le nord de l’Afrique à la
lumière des textes arabes de l’Orient. Comme nous allons le voir,
les deux termes vedettes sont qawm ou « tribu » et buṭūn (pl. de
baṭn) ou « fractions », autant d’indicateurs capables de nous
informer sur la taille des groupements berbères signalés dans les
textes. Cela étant, avant d’entamer l’exploration des vocables
qawm et buṭūn, rappelons qu’ils illustrent d’abord les notions de
« groupe » et « ventre ».
39 À propos des habitants de Bāġāya, nous apprenons qu’ils
constituaient une véritable mosaïque ethnique avec des « tribus
du ǧund » (qabā’il min al-ǧund), des « non-Arabes issus des
gens du Ḫurāsān » (‘aǧam min ahl Ḫurāsān), des « non-Arabes
parmi les non-Arabes du pays issus des restes de Romains
[Byzantins ?] » (‘aǧam min ‘aǧam al-balad min baqāyā al-Rūm) et
avec en plus des « groupes berbères Huwwāra » localisés dans
l’Aurès (qawm min al-Barbar min Huwwāra) 63 . Un peu plus loin,
le même auteur évoque la localité de Tīǧis, dans le « district de
Bāġāya » (‘amal Bāġāya), qui était habitée par des « Berbères
non-Arabes appelés Nafza » (qawm Barbar ‘Aǧam yuqālu lahā
Nafza) 64 . Dans le Hodna occidental, il est dit que le site de
Maqqara (Magra) était composé de tribus « non-arabes » (qawm
min al-‘aǧam) et de tribus berbères (qawm min al-Barbar) dont
les Zandāǧ, les Karīra et les Sārīna 65 . Plus à l’ouest de Magra,
on apprend que le site de Hāz était habité par d’anciennes tribus
berbères (qawm min al-Barbar al-qudum) comme les Yarnyān
(Īrnyān ?) des Zanāta, puis des Ṣanhāǧa et des Zawāwa parmi
les Barānis 66 . Il est intéressant de voir comment ici le terme
« anciennes » paraît servir de critère de différenciation entre
tribus que l’on pourrait qualifier d’authentiquement berbères
(Yarnyān/Īrnyān ?) et celles qui ont peut-être subi des
modifications dues aux contacts avec les milieux arabes et
autres. À l’ouest du Maghreb central, on observe que les
environs de Tlemcen étaient peuplés de tribus berbères (qawm
min al-Barbar) comme les Miknāsa et les Sarīna 67 . Au Maghreb
occidental, les pourtours de Fès étaient habités par l’ancienne
tribu berbère des Barqasāna (Barqasāna qawm min al-Barbar al-
qudum) 68 . Plus au sud, nous trouvons une information sur le
peuplement de Tāmdult qui était constitué de Berbères (qawm
min al-Barbar) notamment les banū Tarǧā 69 . Enfin, nous
savons que le site d’Aġmāt était composé de Berbères Ṣanhāǧa
(qawm min al‑Barbar min Ṣanhāǧa) 70 . De retour à l’Orient du
Maghreb, al-Ya‘qūbī livre quelques indices sur le site de Barnīq
(actuelle Benghazi). Il dit que celui-ci était peuplé de
« descendants d’anciens Romains [Byzantins ?] » (qawm min
abnā’ al-Rūm-s al‑qudum) et de tribus berbères comme les
Taḥlāla, les Suwa, les Masūsa, les Maġāġa, les Wāhila et les
Ǧudāna 71 . Une fois de plus la région de Tripoli est l’objet de
mentions qui mettent en avant son occupation par les Berbères
Nafūsa qui sont qualifiés de « tribu non-arabe de langue » (wa-
hum qawm ‘aǧam al-alsun) et entièrement ibadite 72 . Quant à la
population des environs de Béja, elle était composée d’« une
tribu berbère connue sous le nom de Wazdāǧa » (qawm min al-
Barbar yuqālu lahum Wazdāǧa) 73 .
40 Pour le mot buṭūn, nous avons recueilli trois mentions concernant
la partie orientale du Maghreb. Nous avons une première
occurrence au sujet des cantons de la ville de Barqa habités par
des fractions berbères (al-buṭūn min al-Barbar) 74 . Puis, nous
trouvons une information sur les villages autour de Barqa
peuplés de fractions berbères (wa-qurā buṭūn al-Barbar) comme
les Luwāta, les Zakūda, les Mafraṭa et les Zanāra 75 . Enfin, nous
avons un détail concernant la ville de Fālūsan et son peuplement
composé de différentes fractions berbères (buṭūn al-Barbar),
comme les Maṭmāṭa, les Tarǧa, les Ǧazūla, les Ṣanhāǧa, les
Inǧifa et les Wānziǧa 76 .

c) Le label barbar associé à d’autres ethnies

41 D’un point de vue historiographique, il est nécessaire de rappeler


ici que les Berbères sont parfois associés aux autres ethnies
peuplant le nord de l’Afrique. Nous en voulons pour exemple
quelques cas relatifs aux ‘Arab, ‘Aǧam, Rūm-s et Afāriqa. Mais
comment expliquer ce mode d’approximation ethno-historique ?
Est-il possible de savoir quel était l’objectif des écrivains
orientaux au moment de signaler telle ou telle ethnie ? N’est-on
pas face à une modalité rhétorique qui associait des ethnies
d’une même région, voire continent, à un ancêtre commun ? Rien
n’est moins sûr et pour l’heure et en l’état de nos connaissances,
nous nous contenterons d’offrir quelques mentions puisées une
fois de plus chez al-Ya‘qūbī.
42 Par exemple, nous savons que sur la route qui va d’Aǧdābiyya à
Awǧila, on rencontre « la tribu connue sous le nom de Lamṭa qui
est semblable aux Berbères » (qawm yuqālu lahum Lamṭa ašbah
šay’ bi-l-Barbar) et est réputée pour la fabrication des fameux
boucliers « lamṭiens » 77 . Ensuite, au sujet des Huwwāra de la
région de Labda-Barqa, on dit qu’ils descendaient des anciens
Berbères (al-Barbar al-qudum) et de tribus yéménites dont ils
méconnaissent le nom 78 . Toujours au Maghreb oriental, nous
apprenons que Gabès avait une population composée d’un
« mélange d’Arabes, de non-Arabes et de Berbères » (wa-ahluhā
aḫlāṭ min al-‘Arab wa-l-‘Aǧam wa-l-Barbar) 79 . Entre Tripoli et
Gabès, on mentionne des « tribus berbères » (qawm min al-
Barbar) comme les Zanāta, les Luwāta et les Africains (Afāriqa)
80 . La population de Kairouan est constituée par des « non-

Arabes des non-Arabes [dits] “du paysˮ, des Berbères et des


Romains [Byzantins ?] » (wa-bihā ‘Aǧam min ‘Aǧam al-balad al-
Barbar wa-l-Rūm) 81 . En outre, nous recueillons des mentions
sur le peuplement des villes de Tūzir, al-Ḥāmma, Taqiyūs, Nafṭa
et Biššara constituées de « tribus de non-Arabes parmi les
Romains anciens [Byzantins ?] (qawm ‘Aǧam min al-Rūm al-
qudum), Africains et Berbères ; il y avait des tribus d’Africains
anciens et de Berbères » (wa-l-Afāriqa wa-l-Barbar ; wa-bihā
qawm min al-Afāriqa al-qudum wa-min al-Barbar) 82 .
43 En allant vers l’Occident du Maghreb et une fois franchi l’Aurès,
nous savons que dans la région il y avait des « catégories de
non-Arabes, de Berbères et d’autres » (wa-bihā aṣnāf min
al-‘Aǧam min al-Barbar wa-ġayrihim) 83 . Puis, nous relevons
une information sur les tribus conformant la population de Niqāws
(N’Gaous) avec notamment celle de l’armée (al-qawm min ǧund)
et des Berbères Miknāsa de la fraction des Zanāta et des Awraba
84 .

d) Brassage ethnique au Maghreb : à propos du concept


d’aḫlāṭ (« mélange»)

44 La notion de « mélange » est bien présente dans les sources


arabes de l’Orient. Celle-ci semble être chère à l’historiographie
médiévale qui privilégie ce thème pour plusieurs raisons, dont le
désir de décrire et de classer afin de contrôler les groupes et les
ethnies non-arabes inclus dans le domaine musulman. Nous
avons relevé quelques occurrences du terme aḫlāṭ qui signifie,
outre l’idée de « mélange », « populace », voire « racaille ».
Donnons quelques exemples qui permettront de mesurer la place
du mot dans les textes arabes orientaux.
45 Au Maghreb oriental, nous apprenons que dans la zone de l’oued
Maḫīl, il y avait un « mélange » de populations dont la majorité
était berbère (aḫlāṭ min al-nās wa-akṯaruhum al-Barbar) comme
les Māṣala, les Zanāra, les Maṣ‘ūba, les Marāwa et les Faṭīṭa 85 .
Ensuite, il est fait état de la population de Ṭubna composée d’un
« mélange » de divers groupes ethniques : « aḫlāṭ min Qurayš
wa-l-‘Arab wa-l-ǧund wa-l-‘Aǧam wa-l-Afāriqa wa-l-Rūm wa-l-
Barbar 86 ». Puis, on livre un renseignement sur le peuplement
de la ville de Sūs dont l’aire est peuplée par un « mélange de
Berbères » (wa-ahluhā aḫlāṭ min al-Barbar) avec surtout des
Madāsa 87 . De même, nous savons que les Māṣala b. Luwāta
habitent une région de la Libye dans des hameaux de type diyār
et parmi un « mélange de gens » (wa-aḫlāṭ min al-nās) 88 . Enfin,
nettement plus à l’ouest du Maghreb, il est rappelé que le
peuplement de Siǧilmāsa (wa-akṯaruhum Ṣanhāǧa) était
composé de nombreux Berbères d’origine ṣanhāǧienne 89 .

« Ethnicité » et identité des Barbar-s ou de l’utilité de saisir les


noms claniques et les nisba-s tribales
L’inconvénient que revêt l’histoire de l’Islam médiéval pour
l’appréhension des phénomènes ethniques est l’impression de fixité
des frontières ethniques qui se dégage des textes. Ceci empêche
d’envisager des formes de syncrétisme (métissages) et de percevoir
la complexité des phénomènes sociaux. En outre, les faits
exclusivement ethniques (l’association de processus sociaux et d’une
identité avec un nom unificateur, dès lors interprété comme un
ethnonyme par les historiens), perçus comme allant de soi, n’ont pas
vraiment suscité d’analyses poussées, les chercheurs concentrant
surtout leur attention sur les différences confessionnelles et la
division nomades/sédentaires 90 .
46 Aujourd’hui, il semble possible de poser jusqu’à un certain point
la question de la langue des sources et donc du vocabulaire des
entités collectives.
47 Un regard sur la langue des textes révèle une assez forte
indétermination de l’usage des ethnonymes tels que Afāriq,
‘Aǧam, Barbar, Rūm, etc., toute la difficulté étant de proposer une
analyse fine articulant fait de langue et fait social sans réduire
ces phénomènes à de simples conventions. Il s’agirait donc de
tenter de décrire des processus et non seulement des ethnies,
tout en notant leur efficacité politique, sociale, voire économique.
a) Nomenclature tribale, « quantité de Berbères » et
onomastique

48 Nous connaissons les noms des principales tribus berbères


existantes au moins à la fin du e/ e siècle. Même si cet
inventaire ne fournit pas systématiquement les éléments
nécessaires pour localiser les lieux d’implantation géographique,
il a au moins le mérite d’exister. Voici donc la liste des groupes
berbères compilée par Ibn Ḫurradāḏbih dans un paragraphe
intitulé « Latitudes berbères » (a‘rāḍ al-Barbar) :
Huwwāra, Zanāta, Amtāha [Lamāya ?], Ḍarīsa, Maġīla, Warfaǧūma
des Nafza, Walīṭa, Maṭmāṭa, Ṣanhāǧa, Nafza, Kutāma, Luwāta,
Mazāta, Zabbūǧa, Nafūsa, Lamṭa, Ṣaddīna, Maṣmūda, Ġumāra,
Qālama, Awraba, Utīta, banū Simǧūn, Abkata [Awkata ?] des Zanāta,
banū Wārklān, banū Yaṣdurān, banū Wartaǧī et banū Manhūsā 91 .
49 En plus de cette première information, donnée comme une sorte
d’entrée en matière, les ouvrages arabes révèlent quelques
détails plus génériques des centres de peuplement berbères à
travers la géographie du Maghreb, notamment grâce à l’œuvre
d’Ibn Ḥawqal. Par exemple, la ville de Surt était dotée d’un
peuplement berbère « plus grand, plus considérable et plus
important que dans les régions environnantes 92 ». Puis, on
apprend que la ville de Gabès était peuplée par un nombre
important de Berbères (wa-bihā min al-Barbar al‑kaṯīr) 93 . Au
Maghreb central, il est dit qu’Alger, ses vastes plaines et ses
montagnes sont habitées par un grand nombre de Berbères (wa-
lahā bādiya kabīra wa-ǧibāl fīhā min al‑Barbar kaṯra) 94 . Le site
de Barašk, à l’ouest d’Alger, a un peuplement en majorité
berbère (al-ġālib ‘alā ahlihā al-Barbar) 95 . Dans la campagne de
Ténès, il y a des Berbères et les tribus berbères sont
nombreuses et riches (bādiya min al-Barbar wa-qabā’il fīhā
amwālihim ǧasīma ġazīra) 96 . On dit ensuite que la campagne
de Māsītah était habitée par des Berbères (bādiya min al-Barbar)
97 . Outre cette dernière donnée, on apprend que non loin de

points d’eau de la région du Fezzan, il y a des tribus berbères qui


vivent dans un état d’abandon (qabā’il min l-Barbar al‑muhmalīn)
98 . Dans la région du Hodna occidental, nous relevons

quelques renseignements sur le peuplement berbère de certains


sites. Par exemple, on dit qu’al-Masīla (Msila) est occupée par
diverses tribus berbères comme les Banū Birzāl, les Banū
Zandāǧ, les Huwwāra et les Mazāta 99 . Puis, il est question d’un
village appelé Awsaǧīt dans les environs de Msila ayant des
magasins tenus par des Berbères Kutāma 100 . Enfin, plus à
l’ouest, au nord du Maghreb occidental, à propos de la localité de
Kurt, on sait que « sa population est constituée de
commerçants […] et la majorité d'entre eux sont des Berbères »
101 .

b) Les nisba-s tribales berbères vues au prisme des sources


arabes de l’Orient musulman

50 Il existe un autre moyen de mesurer l’impact du monde berbère


dans la géographie arabo-musulmane. Nous voulons parler ici de
l’onomastique et plus particulièrement de la nisba tribale barbarī,
« berbère ». Cet adjectif indiquant l’origine tribale est
relativement présent dans les textes étudiés et il offre ainsi à
l’historien l’opportunité d’apprécier l’arsenal méthodologique
employé par les écrivains arabes du Moyen Âge lorsqu’ils
mentionnent des individus issus du monde berbère 102 . Cette
pièce onomastique constitue également un des outils de
l’identification ou de l’auto-identification. Elle offre en principe
l’opportunité de situer un individu au sein d’un groupe plus ample
que celui de la famille ou du clan. Outre les données exposées
antérieurement, nous souhaiterions rappeler que la nisba tribale
a souvent tendance à ranger l’individu dans des catégories. En
effet, il est possible que l’adjectif de relation tribal soit en réalité
un outil énonçant une filiation de notabilité enterinée par la
relation avec une entité tribale de prestige. De ce fait, on peut
alors soutenir l’idée selon laquelle la nisba est réelle ou fictive
selon les circonstances d’appartenance à telle ou telle tribu, voire
selon les modalités contractuelles d’une relation entre individus
et groupes tribaux.
51 Mais voyons quelques détails contenant ladite nisba déclinée au
masculin. Dans un premier exemple, nous trouvons une mention
du gouverneur de Tunis pour le compte des Abbassides qui se
nommait Ḥammād « le Berbère » (al-Barbarī) et qui était
« client » (mawlā) du calife Hārūn al-Rašīd 103 . Ensuite, nous
relevons un renseignement concernant Ibn al-Ṣaġīr qui était
Berbère des Maṣmūda (al-Barbarī al-Maṣmūdī). Ce dernier
contrôlait (fī yaday) les territoires de Ḫalfāna, l’oued Ramal,
l’oued al-Zaytūn, le « fort » d’Aswad Ibn al-Hayṯam jusqu’à
Tripoli, puis le territoire situé au-delà de la mer d’al-Andalus 104 .
Ensuite, nous trouvons une information sur Ibrāhīm b.
Muḥammad al-Barbarī al-Mu‘tazilī qui fut amené à contrôler (fī
yaday) Ayzraǧ/Īzraǧ ?, ville située dans les parages de Tāhart
105 .

Ethnogenèse des mondes berbères et


perspectives africaines
52 Les besoins grandissants de l’administration islamique en
matière de connaissance et d’exploitation des régions soumises
à sa domination sont vraisemblablement à l’origine des
premières descriptions du Maghreb, et par voie de conséquence
du domaine berbère. Si al‑Ya‘qūbī et Ibn Ḫurradāḏbih sont les
précurseurs d’un genre nouveau, d’autres consolideront et
apporteront des améliorations dans l’écriture dʼouvrages de
géographie. Cependant certains points précis doivent être
rappelés ici. On ne se contente plus d’écrire sur la base
d’informations relevées dans d’autres sources mais on parcourt
les lieux afin de décrire les réalités diverses et variées, et surtout
pour explorer les contextes ethniques, sociaux, écologiques et
économiques. Un écrivain comme Ibn Ḫurradāḏbih conforte le
genre al-masālik wa-l-mamālik pour le porter à un niveau tel qu’il
décrit certes les espaces, voire les individus et leurs modes de
vie, mais il s’intéresse également aux bases du pouvoir des
entités politiques du Maghreb. À cette perspective générale, il
faut ajouter un thème mis en valeur par les géographes, à savoir
la description de l’espace ethnographique. Celui-ci est l’objet
d’une profonde attention de la part d’al-Ya‘qūbī qui, comme nous
l’avons vu, offre une foule de renseignements sur les tribus
berbères même s’il y a parfois un caractère d’inventaire. Ces
listes de tribus apparaîtront avec une plus grande rigueur sous la
plume d’Ibn Ḥawqal notamment lorsqu’il énumère les groupes
tribaux appartenant aux Ṣanhāǧa et aux Zanāta. Cela étant,
n’oublions pas que pour les géographes, principalement arabes
et citadins, l’« autre » est irrémédiablement ce Barbar, nomade et
rustre. Et les récits sur le monde berbère vu d’Orient, s’ils
peuvent tirer leur substance d’événements historiques réels,
témoignent au moins de la perception que pouvaient en avoir les
auteurs arabo-orientaux et donc de l’image qu’ils pouvaient avoir
de leur propre monde.
53 Au terme de ce voyage au centre du monde berbère vu depuis
l’Orient, il est temps de dresser un bilan même si celui-ci est
forcément incomplet et provisoire. Cet Orient est bel et bien
présent dans la genèse historiographique des tribus berbères et il
représenterait une sorte de berceau qui aurait été en contact
étroit, à des périodes précises de l’histoire, avec les ethnies
asiatiques et africaines. Mais rien n’est plus difficile que de
procéder à une remontée dans le temps afin de mesurer si les
faits exposés ont vraiment eu lieu tel que les racontent les
sources arabes de l’Orient. En effet, nous avons vu brièvement
que le thème des origines afro-asiatiques des Berbères est fondé
surtout à partir d’un socle linguistique et donc, son utilisation est
délicate car parfois il ne prend pas en compte le contexte
historique, c’est-à-dire la diachronie. Il est vrai que les Barbar-s
sont abondamment cités dans les textes arabo-orientaux mais il
est nécessaire de ne jamais perdre de vue que ces citations
renvoient parfois à d’autres Barbar-s que ceux africains. Donc, il
est plus que jamais indispensable de savoir à qui l’historien est
confronté. Et pour ce faire, l’assurance de la mise en place des
fondements chrono-géographiques permettrait de discuter plus
sereinement des données. Pour tenter de mieux comprendre les
questions posées, il a été proposé de réfléchir sur les vicissitudes
de l’ethno-toponyme Ifricos qui, au fil du temps et après quelques
péripéties d’ordre géographique et linguistique, s’est transformé
en Ifrīqiya. L’omniprésence de ce terme dans les sources arabes
du Moyen Âge, porteur d’un contenu sémantique et historique
exceptionnel, offre l’opportunité de mieux encadrer le concept de
barbar dans le contexte africain. Mais, là encore, il faut être
prudent car nous savons que les auteurs, tant orientaux
qu’occidentaux, avaient des idées nuancées sur la localisation et
les limites spatiales de l’aire ethno-géographique considérée.
Alors, peut-être qu’en réfléchissant sur la notion de barbar, il
serait possible, sans doute, de faire la distinction entre des
ethnies d’Orient, d’Europe et d’Afrique ayant été baptisées
« Barbares » par d’autres peuples ? C’est ce que nous avons
essayé de voir succinctement en posant la question des
informations relatives au vocable Barbar, entre histoire et
légende, et en suggérant l’idée, connue par ailleurs, d’une
approche islamique des ethnies non-arabes de la part du monde
arabo-islamique. Ce dernier point a pour conséquence la
formulation de quelques observations sur la notion
d’« ethnicité berbère » et l’avantage qu’il y aurait de se pencher
plus en détail sur les modes de signalement des Berbères
notamment à travers les nisba-s géographiques.
54 En vertu des matériaux disponibles dans les sources, est-on en
mesure de s’atteler à l’élaboration d’une histoire de la genèse
des ethnies se rattachant au monde berbère qui serait apte à
expliquer le processus d’affirmation identitaire, linguistique et
politique des entités qui sont regroupées sous les labels mauri
puis barbar de la fin de l’Antiquité au début de la période
islamique ? Si l’on considère la nature diverse des populations
qui étaient englobées derrière les gentes ou les royaumes
maures dès l’époque vandale, oui certainement car ces
ensembles ont évolué au cours de l’histoire, au gré des contacts
avec d’autres groupes et du fait de circonstances précises. Une
fois pris en compte ce point, peu reconnu parmi les historiens de
l’Afrique antique alors qu’il est complètement assumé par
exemple par les spécialistes du domaine eurasiatique ancien et
médiéval 106 , le modèle de l’ethnogenèse dans ses multiples
formes, en ce qui concerne la mise en valeur de l’ethnicité
comme élément déterminant de la construction identitaire des
Mauri‑s puis des Barbar‑s, serait-il valable ? Les choses sont loin
d’être simples car la documentation écrite et les matériaux
archéologiques, s’ils existent bien, sont difficiles à contextualiser
et à interpréter avec toute la précision nécessaire. Mais en dépit
de ce constat, il est un fait crucial qui se trouve dans le nom
comme marqueur d’ethnicité ou qui prouverait l’existence d’un
ensemble de mythes et de traditions à l’origine de cette ethnicité.
Dès lors, on doit reconnaître certaines limites de la démarche qui
sont dues, et nous insistons, non pas au contenu des données
mais bien plus au caractère fragmentaire et discontinu des
informations disponibles et à l’absence en Afrique de
structuration politique durable des États héritée de ces modalités
d’ethnogenèse. En plus, il ne faut jamais perdre de vue que les
noms d’ethnies présents dans les textes médiévaux, arabes ou
persans, ne décrivent pas des groupes humains absolument
cohérents du point de vue de l’organisation sociale et des traits
culturels mais bien une mosaïque ethnique qui doit désormais
être mieux signalée et mise en perspective.
55 La machine de l’Islam, comme moteur d’assimilation des ethnies
dans un moule religieux précis constitue sans nul doute un thème
à prendre en compte. Les motifs consacrés aux Berbères
présentés tout au long de cette étude montrent, jusqu’à un
certain point, comment une écriture « impériale » absorbe les
ethnies non-arabes. L’empire islamique met très tôt en place ses
projets d’arabisation et d’islamisation du fait de nécessités
précises : territoires, religion et langue sont autant de sujets à
l’intérieur desquels les mondes berbères se voient dépeints
comme une aire culturelle à part, qui échappe souvent aux
écrivains officiels du fait de la propre méconnaissance des
Arabes. Dès lors, nous pensons que les espaces berbères sont
comme une pierre angulaire du domaine africain qui est
véritablement enracinée sur le « continent noir ». Comment les
écrivains arabes organisent-ils les renseignements relatifs aux
Berbères dans les notices sur les ensembles ethniques
africains ? Il est trivial d’affirmer que le domaine berbère est
partie intégrante du monde africain mais il faut le souligner avec
plus de conviction car, mis à part des travaux de linguistique
notoires et les recherches en préhistoire et en histoire ancienne,
rien n’a vraiment été fait sur ce sujet d’un point de vue de
l’histoire médiévale en ce qui concerne le passage de la basse
Antiquité à l’Islam 107 . Il est désormais difficile, pour ne pas dire
impossible, de ne plus connecter ces deux domaines reliés par
l’histoire et l’on en veut pour preuve les données sur la langue
berbère fournies par l’épigraphie islamique du Sahel au Moyen
Âge (Saney, Bentyia et Essuk), les chroniques régionales dites
tārīḫ, certes tardives mais fort utiles, ainsi que quelques travaux
sur les documents africains rédigés en arabe ( e- e/ e-
e siècles) qui sont autant d’outils susceptibles d’affiner nos

connaissances 108 .
56 Alors est-il possible de soutenir qu’une bonne partie de l’Afrique
était berbère, si l’on se penche sur des faits historico-
linguistiques mis au jour à propos des Berbères du nord et des
Berbères du Sahel ? La réponse à une question aussi complexe
et lourde de conséquences impliquerait selon nous une critique
renouvelée et raisonnée des labels afro-asiatique, afrasien et
chamito-sémitique appliqués au domaine berbère et à la lumière
des nouvelles acquisitions de la recherche mentionnées
antérieurement. Mais il s’agit là d’un autre programme pour une
autre expédition dans le monde berbère. Ce projet devrait en tout
cas tenter de démontrer que, contrairement à ce que nous
raconte une partie de l’historiographie arabo-musulmane, les
Berbères ont bel et bien fait partie de l’histoire africaine.

NOTES
1.O , Kitāb Hurūšiyūš, p. 21.
2. Sur ces questions, voir par exemple les travaux pionniers de
John O. Hunwick, Tadeusz Lewicki, Paulo F. de Moraes Farias,
Knut S. Vikør et Lameen Souag.
3. Voir les observations de M , 2006, pp. 55-58.
4. Par exemple, voir M , 2008, passim.
5.S , 1999, pp. 224-228 ; G , 2014a, pp. 80-90.
6. Consulter G , 1980, pp. 329-332, tout en sachant
que c’est dans une série d’articles publiés dans les années 1950
que le linguiste élabora ses premières théories sur les langues
afro-asiatiques.
7. Sur l’afro-asiatique, voir G , 2012, pp. 41-64.
8. Sur le développement antérieur, voir par exemple P ,
1998, pp. 51-53 ainsi que G , 2012, pp. 41-45, à propos des
problèmes de définition et de classification des langues afro-
asiatiques.
9.B H ,D , 2003, pp. 80-96.
10. Voir C , 2012, pp. 101-103, et G , 2012, pp. 135-
145.
11.C , 2012, p. 113, affirme que « Les formes médiévales
les plus anciennes du berbère accessibles — ce ne sont souvent
que des bribes (El-Bekri, documents almohades, ibadites…) —
sont quasiment du “berbère contemporainˮ, bien qu’elles soient
âgées pour certaines de près d’un millénaire ».
12. En guise d’entrée en matière, voir B , 2007, pp. 11-19,
G , 2010, pp. 1-40, K , 2013, pp. 16-25 et G ,
2012, pp. 146-162.
13.R , 1995, p. 231.
14.Ibid. Sur ces questions vastes et complexes, il existe une
abondante bibliographie ; voir par exemple le volume
monographique de la revue Ethnologie française, 1995, consacré
au « Motif en sciences humaines » et notamment les textes de
C , 1995, C , 1995 et V , 1995.
15. Voir un exemple de ce topos chez -Ṭ , Ta’rīḫ al‑rusul
wa l‑mulūk, éd. Beyrouth, 1992, t. I, p. 129 « qāla : wa-aqāma
min Ḥimyar fī l-Barbar Ṣanhāǧa wa-Kutāma, wa-hum fīhim ilā l-
Yamān ».
16.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 345.
17.D ,F , 1981, p. 23 ; G , 1913-1928, t. VII, p. 7.
18. Dans la mesure où les renseignements seraient disponibles,
une autre piste à sonder, avec toutes les précautions d’usage,
serait celle de l’hypothétique relation entre l’ethno-toponyme
Africa et le terme berbère tafarka, « terre », « propriété
terrienne », donnant l’adjectif afarkiw, « celui qui vit sur cette
terre ».
19. Sur les Afri des sources anciennes, voir V , 1975 et
1985 ; M , 2003b, pp. 57, 305, 334, 350, 446, 448, 517 et
519-520.
20. Flavius Josèphe cité dans G , 1913-1928, t. II, p. 247,
t. VII, pp. 1-8.
21.I Ḫ , Kitāb al-ʻibar, éd. par Š ḥ , t. II, pp. 58 et 65,
sur Ifrīquš b. Abrāha, et l’étude détaillée de C , 2006,
passim.
22. Pour de plus amples détails sur les thèmes abordés dans les
trois sous-parties suivantes, voir M , 2013, pp. 62-64.
23.G , 1913-1928, t. IV, pp. 257-258 et t. VII, pp. 1-8.
24. Exemple tiré du Corpus Inscriptionum Latinum cité dans
G , 1913-1928, t. VI, pp. 136 et 167, t. VII, pp. 2-5. Sur la
possible existence d’une langue proto-berbère, voir M ,
2011, pp. 103-113 ; G , 2010, pp. 11-17, sur l’histoire du
berbère à l’époque antique notamment au sujet des inscriptions
libyques ; F , W , 2016, pp. 41-44, 50-53, offrent
quelques observations sur l’élément berbère et les changements
linguistiques survenus au Sahara antique.
25. Corippe cité dans G , 1913-1928, t. V, p. 4, t. VII, p. 3. Sur
ce sujet, voir M , 2003b, pp. 292-296 ; Z , 2005, pp.
409-416.
26.B , 1999, pp. 7-30, pour le Maroc, et sur le troglodytisme
au Maghreb durant la période médiévale, voir M , 2010b,
pp. 328-335.
27. Cité dans D ,F , 1981, p. 26.
28.F , 1976, passim.
29.Ibid., p. 223.
30.Ibid., p. 229.
31.Ibid., p. 231.
32.C , 2009, pp. 132-134 ; B , 2016, pp. 119-124.
33.C , 2006, pp. 189-190.
34.A -Ṭ , Ta’rīḫ al‑rusul wa l‑mulūk, éd. Beyrouth, 1992, t. I,
pp. 129, 261, t. V, p. 598.
35. Dans C , 2006, pp. 191-192.
36. Voir P , 2002, pp. 11-27.
37. Quelques détails dans F , 2013, pp. 9-14.
38.A -Iṣṭ ḫ , Kitāb masālik al-mamālik, éd. par G , 1870,
pp. 36, 38 et 45. Voir quelques occurrences de l’ethno-toponyme
dans -M , Aḥsan al-taqāsīm, éd. par G , 1877, pp.
216 et 239.
39.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , 1889, texte arabe p. 5, trad. p. 4 ; texte arabe p. 87,
trad. p. 62 ; texte arabe p. 225, trad. p. 170.
40.M , 2003b, pp. 180-181, 185-186 et 774-775, pensait
que la nomenclature tribale livrée par le géographe persan était
« une étrange liste ethnonymique […] qui paraît très ancienne ».
41.I Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par K , 1938-1939,
pp. 61 et 68.
42.Ibid., p. 95.
43.A -R ṭ , Kitāb iqtibās al-anwār, éd. par B V et
M , p. 25, alors que chez un autre auteur de la seconde
moitié du e/ e siècle comme I -Ḫ ṭ, Kitāb iḫtiṣār
iqtibās al-anwār, éd. par B V et M , p. 107, on
apprend que la localité de Bāǧa se situe en Ifrīqiya. À noter que
le chroniqueur andalousien I Ḥ -Q ṭ , Muqtabis V,
éd. par C , C et Ṣ ḥ, p. 272, affirme qu’à
l’époque romaine, des Afāriqa avaient eu pour capitale la ville de
Ṭāliqa dans la région de Séville (« min balad Išbīliya »).
44.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , 1889, texte arabe p. 86, trad. p. 62.
45.Ibid., texte arabe p. 92, trad. p. 66.
46.M , 2007, pp. 65 sqq.
47.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , 1889, éd. p. 86, trad. p. 62.
48.I -N , Kitāb al-fihrist, éd. par T ǧ et M ,
1973, p. 21. En outre, sur ces ethnies, voir -Y ‘ , Kitāb al-
buldān, éd. par G , 1892, pp. 335, 336 et 360 ; I
Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad. de
G , 1889, texte arabe p. 17, 83, 89, 93, 176, 230 et 265, trad.
p. 13, 60, 64, 67, 137, 173 et 207, respectivement ; I Ḥ ,
Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par K , 1938-1939, pp. 51-57, 147,
153, 160 et 162-163 ; I -F -H ḏ , Muḫtaṣar kitāb
al-buldān, éd. par G , 1885, pp. 4, 5-7, 59-60, 63-64, 76-78,
80, 83-84, 152, 162, 197 et 257 ; ‑M , Aḥsan al-
taqāsīm, éd. par G , 1877, pp. 242-243 ; -Iṣṭ ḫ , Kitāb
masālik al-mamālik, éd. par G , 1870, pp. 4-5, 10-11, 29, 35,
37-40, 44, 52, 54 ; -I , Kitāb nuzhat al-muštāq, éd. par
C ,G et L D V , 1970-1984, t. I, pp. 10,
24, 30, 32, 38, 40, 44, 46-47, 49-50, 52, 58, 63, 98, 134-135,
221-222, 325 ; -Q , Āṯār al-bilād, pp. 18-25, 163-164 ; I
Ḫ , al-Muqaddima, éd. par -Š , 2005, t. I, pp. 75,
249, 353 ; t. II, pp. 217, 218, 271 ; t. III, pp. 112, 176.
49.M , 2003b, pp. 696-698, note que l’ethnonyme Mauri a
évolué en l’équivalent, peut-être curieux d’un point de vue
linguistique, de Barbar des sources arabes alors qu’Afri est
devenu Afāriq et Romani s’est transformé en Rūm.
50. Voir M , 1988, pp. 61-63, qui consacra quelques brèves
observations sur les Berbères à partir de la riche littérature
géographique arabe du Moyen Âge. Dans un autre registre, il
serait instructif de lire les propos de B , 2007, pp. 23-36, au
sujet de ce que les Berbères pensaient de leur langue et culture.
En lisant le livre de H. Basset, publié d’abord en 1920, il ne faut
jamais perdre de vue le contexte politique sous-jacent particulier
et la position scientifique et éthique de son auteur, citoyen
français ayant vécu entre la fin du e siècle et le début du
e siècle, c’est-à-dire en pleine époque coloniale.

51. On peut trouver un excellent exemple de ces recherches


pluridisciplinaires dans S ,L ,N , 2003, pp. 17-44,
sur les inscriptions rupestres du Maroc mises au jour sur treize
sites ainsi que l’intéressante « Postface » signée M. Hachid
(ibid., pp. 53-67) ; voir également la mise au point utile de
A -Z , 2004, pp. 66-68, sur les langues et les écritures
« préberbères » documentées dans les régions du Sahara et du
Sahel.
52.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , 1889, texte arabe p. 80, trad. p. 59. L’expression qāla
(« il a dit ») n’est pas accompagnée du nom de l’auteur mais,
dans la note n, l’éditeur précise qu’il s’agit d’al-Kalbī, sans doute
le fameux Ibn al-Kalbī.
53.Ibid., texte arabe p. 91-92, trad. p. 66.
54.I -F -H ḏ , Muḫtaṣar kitāb al-buldān, éd. par
G , 1885, p. 83.
55.I Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par K , 1938-1939,
p. 104.
56. En guise de comparaison, voir P , 2011a, pp. 18-22, sur
les espaces berbères du Maghreb occidental étudiés à partir de
quelques géographes.
57.I -F -H ḏ , Muḫtaṣar kitāb al-buldān, éd. par
G , 1885, p. 83.
58.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 342.
59.Ibid.
60.Ibid., p. 343.
61.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , 1889, éd. texte arabe p. 91, trad. p. 66. Sur ce fait,
voir M , 2003b, p. 301.
62.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 344.
63.Ibid., p. 350.
64.Ibid., pp. 350-351.
65.Ibid., p. 351. Sur Maqqara dans les sources arabes, voir
M , 2010a, pp. 56-59.
66.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 352.
67.Ibid., p. 356.
68.Ibid., p. 358. Sur la tribu des Barqasāna, voir B , 2011,
pp. 320-321. Dans d’autres textes arabo-musulmans, ce
groupement tribal est appelé Barqaǧāna et Barqašāna.
69.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 359.
70.Ibid., p. 360.
71.Ibid., p. 343.
72.Ibid., p. 346.
73.Ibid., p. 349.
74.Ibid., p. 343.
75.Ibid. Cette graphie Zanāra est sûrement une forme erronée
pour Zanāta. D’autres passages font état de cette même erreur.
76.Ibid., pp. 356-357. À titre de comparaison avec les Wānziǧa
examinés dans la Descrittione dell’Affrica de Léon l’Africain, voir
les observations de C , 2009, pp. 110-111.
77.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 345.
78.Ibid., p. 346.
79.Ibid., p. 347.
80.Ibid.
81.Ibid., p. 348. Le texte fournit erronément le segment « al-balad
al-Barbar » au lieu de « balad al-Barbar ».
82.Ibid., p. 350.
83.Ibid., p. 349.
84.Ibid., p. 351.
85.Ibid., p. 342.
86.Ibid., p. 350.
87.Ibid., p. 359.
88.Ibid., p. 342.
89.Ibid., p. 359.
90. Passage emprunté à J , 2013 [disponible en ligne]. Voir
P , 2011a, pp. 22-28, à propos d’une possible « identité
berbère » détectée dans la littérature géographique arabe.
91.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et trad.
de G , 1889, texte arabe pp. 90-91, trad. pp. 65-66.
92.I Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par K , 1938-1939,
p. 68.
93.Ibid., p. 70.
94.Ibid., p. 76.
95.Ibid., p. 77.
96.Ibid.
97.Ibid., p. 81.
98.Ibid., p. 84.
99.Ibid., p. 86. Sur Msila dans les textes arabes, voir M ,
2010a, pp. 51-55.
100. « […] qarya fīhā ba‘ḍ ḥawānīt li-Barbar Kutāma » (I
Ḥ , Kitāb ṣūrat al-arḍ, éd. par K , 1938-1939, pp.
87-88).
101. « […] wa-ahluhā tuǧǧār […] wa-l-ġālib ‘alayhim al-Barbar »
(ibid., p. 81).
102. Sur la notion de nisba, voir S , 1991, pp. 95-122,
principalement à partir des dictionnaires bio-bibliographiques de
l’Orient musulman médiéval.
103.A -Y ‘ , Kitāb al-buldān, éd. par G , 1892, p. 348.
104.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et
trad. de G , 1889, texte arabe p. 88, trad. p. 63, vocalise le
nom en Ibn al-Ṣuġayr. I -F ‑H ḏ , Muḫtaṣar kitāb
al-buldān, éd. par G , 1885, p. 79, reprend mot pour mot la
notice du premier écrivain mentionné mais appelle le
protagoniste par le nom d’Ibn al-Ṣufayr.
105.I Ḫ ḏ , Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. et
trad. de G , 1889, texte arabe p. 88, trad. p. 64. I -F
-H ḏ , Muḫtaṣar kitāb al-buldān, éd. par G , 1885, p.
80, emprunte l’information au premier auteur cité mais en
appelant le personnage par le nasab d’Ibrāhīm b. Muḥammad b.
Maḥmūd al-Barbarī al‑Mu‘tazilī.
106. Le thème de l’« ethnogenèse » des peuples inclus dans le
domaine eurasiatique ancien et médiéval a fait l’objet d’excellents
travaux comme ceux d’Anatoly M. Khazanov, Thomas T. Allsen,
Peter B. Golden et Devin DeWeese.
107. Malgré ce constat, on rappellera l’existence de travaux de
qualité publiés par Elizabeth Fentress, David J. Mattingly, Yves
Modéran et Ahmed Siraj, pour ne citer que quelques noms.
108. Il existe une bibliographie relativement bien fournie sur ces
questions. Le lecteur pourrait consulter par exemple les études
linguistiques de Sergio Baldi, Maarten Kossmann, Robert Nicolaï
et Lameen Souag ; pour le volet historique, il serait fructueux de
recourir aux publications de Jean Boulègue, John O. Hunwick,
Dierk Lange, Tadeusz Lewicki, Paulo F. de Moraes Farias et Knut
S. Vikør.

AUTEUR
MOHAMED MEOUAK
Universidad de Cádiz
Al‑lisān al‑ġarbī ou la langue des
Almohades
Mehdi Ghouirgate

1 D’une façon générale, le Maghreb n’avait pas bonne réputation


en Orient et en al‑Andalus. On reprochait à ses habitants d’être
des rustres, peu au fait de la culture savante, la langue arabe, n’y
étant que peu répandue, voire pas du tout. De même, après avoir
livré une opposition acharnée aux conquérants arabes, les
autochtones avaient fini par rejeter cette « occupation ». En effet,
allant de pair avec cette indépendance politique, l’islamisation se
fit, Ifrīqiya mise à part, dans un cadre où dominèrent les
différentes hétérodoxies de l’Islam : kharijisme, chiisme et les
différentes formes berbérisées de l’islam (Barġawāta, religion de
Ḥā-Mīm, Suswāla, etc.). Les premiers à avoir jeté les bases d’un
État au Maghreb et à avoir réussi à unifier les deux rives du
détroit de Gibraltar, furent les Berbères almoravides. Ceux-ci, par
l’intermédiaire de leur souverain, Yūsuf b. Tāšfīn (r. 1071-1106),
ne cherchèrent pas à s’opposer au califat abbasside en lui
reconnaissant une primauté de droit : le souverain saharien
adopta la titulature qu’il s’était octroyée pour l’occasion de prince
des musulmans (amīr al‑muslimīn), évitant ainsi de heurter de
front le lointain calife de Bagdad qui restait seul Prince des
croyants (amīr al‑mu’minīn). Allant de pair avec cette politique, et
sans doute par réalisme, les dynastes d’origine saharienne
abandonnèrent très largement aux docteurs de la loi (fuqahā’)
andalous, le soin d’administrer l’Empire, sur la base de la
doctrine malikite dominante en al‑Andalus.
2 Tel ne fut pas le chemin suivi par le fondateur du mouvement
almohade, Ibn Tūmart (m. 1130). Bien qu’ayant lui-même voyagé
en Orient et acquis une solide formation classique, ce Berbère
originaire du sud du Maġrib al‑aqṣā, provoqua une rupture
religieuse, ainsi qu'avec tous les autres pouvoirs du monde
musulman, ce qui le fit apparaître comme un réformateur radical,
figure emblématique de ce que Maribel Fierro a appelé « la
Révolution almohade ». Symptomatique à cet égard est
l’adoption d’un nom à connotation religieuse, les Almohades
(al‑muwaḥḥidūn), évoquant l’unicité divine (tawḥīd), rejetant de
facto les autres musulmans dans le camp de l’impiété. Pour
mener à bien cette tâche, ils adoptèrent un dispositif apte non
seulement à replacer les Berbères dans l’histoire de l’islam mais
à leur donner la primauté sur tous les autres peuples de la
Umma.

L’instrumentalisation d’un ḥadiṯ


3 À la base du message délivré par Ibn Tūmart, on trouve
l’utilisation d’une tradition du Prophète (un hadith) qui avait
suscité un intérêt particulier dans le milieu des fuqahā’ andalous,
ainsi que dans les milieux soufis 1 :
L’islam a débuté comme étranger et il redeviendra étranger [pour la
fin des temps], tel qu’il a débuté, bienheureux les étrangers ! (bada’a
al‑islām ġaribān wa-sa-ya‘ūdu ġaribān kamā bada’a, fa-ṭūbā li-
l‑ġurabā’).
4 Les principales sommités de la vie intellectuelle de l’Occident
musulman au e siècle (Abū Bakr al‑Ṭurṭūšī, Abū Bakr Ibn

‘Arabī, Ibn Bāǧǧa, Ibn Tūmart 2 , etc.) évoquèrent cette tradition,


deux acceptions prévalant pour ġarīb et son pluriel ġurabā’ . La
première acception renvoie à la rareté des vrais musulmans, qui
constituent, de par leurs idées et leurs pratiques, l’avant-garde de
la communauté des croyants, cette situation les rendant
étrangers à leur milieu d’origine et au monde qui les entoure. La
seconde acception possible évoque l’étranger à une société
donnée, au sens littéral du terme, celui qui est sans attache.
5 On retrouve cette tradition dans le seul ouvrage attribué à Ibn
Tūmart qui nous soit parvenu 3 , A‘azz mā yuṭlab. Un
détournement d’une autre tradition incline à penser qu’Ibn Tūmart
et ses successeurs cherchèrent à l’exploiter politiquement en se
faisant identifier à ces ġurabā’. On en trouve l’écho chez un
détracteur d’Ibn Tūmart et de l’almohadisme, un Andalou du
e siècle, Abū Isḥāq al-Šāṭibī, qui lui reproche cette

identification au nom d’une stricte orthodoxie sunnite de rite


malikite. Par là même, il dénonce le procédé visant à assimiler
les ġurabā’ aux Almohades tel qu’il apparaît dans l’un des traités
attribués à Ibn Tūmart 4 :
Il a prétendu dans son traité sur l’imamat qu’il est lui l’imam ; ses
compagnons étant les ġurabā’ dont il est dit : « L’islam a débuté
comme étranger et il redeviendra étranger [pour la fin des temps], tel
qu’il a débuté, bienheureux les étrangers ! » 5 .
6 Afin de donner une assise solide à son mouvement, Ibn Tūmart
s’appuya sur un autre hadith. Originellement, la tradition était la
suivante :
Il y aura une fraction de la communauté qui manifestera son
attachement à la vérité jusqu’à ce qu’advienne l’Heure (lā tazālu ṭā’ifa
min ummatī ẓahirīn ‘alā l‑ḥaqq ḥattā taqūm al‑sā‘a).
7 Ibn Tūmart, dans son A‘azz mā yuṭlab, transforme le sens
ésotérique en un sens plus concret :
Les gens de l’Occident porteront la vérité jusqu’à la fin des Temps et
qu’advienne l’Heure (lā yazāl ahl al‑ġarb ẓāhirīn ‘alā al‑ḥaqq ḥattā
taqūm al‑sā‘a) 6 .
8 Le dévoiement réside dans la spécification, absente de la
tradition canoniquement reconnue, du rôle que devaient jouer les
habitants du Maghreb à la Fin des Temps. En s’identifiant aux
ġurabā’, les Almohades s’attribuaient un rôle d’avant-garde
éclairée dans une perspective eschatologique. La nouvelle
qualification donnait force et légitimité aux Almohades. De fait,
pour Ibn Tūmart et ses partisans, la mission prophétique qui
incombait aux Arabes, au sens de peuple élu, était désormais
révolue, l’heure étant venue pour le peuple d’Occident (al‑ġarb),
c’est-à-dire les Berbères et plus précisément ceux du Maġrib
al‑aqṣā, de prendre la suite des Arabes. On trouve très
clairement exposée cette mission, dans un poème énoncé par un
Algérois sur la tombe d’Ibn Tūmart à Tinmal. Cette élégie (riṯā’)
dit en substance :
Salut au tombeau du glorieux imam, rejeton de la meilleure des
créatures, Muḥammad, à qui il ressemble par son caractère, son
nom, le nom de son père, la destinée qui lui était réservée. [Il]
revivifia les sciences religieuses, sut mettre à jour les secrets du
Livre 7 . Nous reçûmes l’heureuse nouvelle qu’il allait arriver et faire
régner à jamais ici-bas l’équité et la justice, conquérir les contrées
[amṣār] de l’Orient et de l’Occident, vaincre les Arabes des plaines et
des montagnes. […] Cinq signes le marquent aux yeux de l’homme
qui suit la droite voie : l’époque, le nom, le lieu, la filiation, une
conduite caractérisée par l’impeccabilité et que Dieu dirige. […] Les
fidèles entreprendront des expéditions contre les Arabes de la
Péninsule, autant dire qu’ils y sont déjà, ils remporteront sur les
Rūm-s des victoires pourvoyeuses de butin… 8 .
9 C’est en fonction de ce nouveau statut de peuple élu, chargé de
sauver le monde le jour de la parousie, que les Almohades firent
le choix d’appeler leur langue, « langue occidentale » (al‑lisān
al‑ġarbī), en référence au ḥadiṯ. Ils ne lui donnèrent pas le nom
de langue des Berbères (lisan al-barbar), appellation trop
péjorativement connotée pour faire l’objet d’une utilisation
politico-religieuse. Preuve du caractère engagé et polémique de
cette dénomination, les auteurs ayant servi la dynastie almohade,
al‑Bayḏaq, Ibn Ṣāḥib al‑Ṣalāt et Ibn al‑Qaṭṭān, désignèrent tous
la langue employée par Ibn Tūmart et ensuite dans le cercle de
l’État sous le nom de « langue occidentale », quand les auteurs
postérieurs, Ibn ‘Iḏārī, Ibn Simāk ou Ibn al‑Ḫaṭīb n’évoquent que
la langue berbère ou le terme de ‘aǧamiyya, terme consacré
servant à désigner tout idiome non‑arabe.
10 Dès lors, la langue berbère, et plus précisément celle des
Maṣmūda, employée par l’initiateur du mouvement almohade Ibn
Tūmart, passe du statut de langue vernaculaire au statut de
langue du sacré, en tant qu’attachée à sa mémoire :
La première action qu’il [Ibn Tūmart al-Mahdī] mit en œuvre fut de
composer en berbère, à leur endroit, un livre intitulé « al‑Tawḥīd »
[l’Unicité]. Il s’agit de sept sections, en fonction du nombre de jours
de la semaine. Il leur ordonna de lire tous les jours une section, lors
de la prière du matin, après avoir terminé de lire une section du
Coran. Car, en lui, se trouvent la connaissance de Dieu, le Très-Haut,
ainsi que l’ensemble des dogmes, tels que la connaissance de la
volonté divine et de la prédestination, de même que la foi dans ce
qu’elle implique comme obligation envers Dieu, le Très-Haut ; ce qui
est licite et ce qui ne l’est pas en prescrivant le bien et en prohibant
le mal et ce qui lui est associé. Il rédigea, à leur intention, un livre
nommé « Les règles » [al‑Qawā‘id] et un autre « l’Imamat »
[al‑Imāma]. Les gens les possèdent jusqu’à nos jours, que ce soit en
arabe ou en berbère. Ibn Tūmart était le plus éloquent [le plus clair]
des hommes dans les deux langues. [Ainsi] il leur transmettait [grâce
à ces deux ouvrages] des exhortations et des paraboles édifiantes. Il
sut s’attirer les âmes et se gagner les cœurs. Il leur facilita la
connaissance par lui-même et par ses principaux compagnons 9 .
11 Il convient de remarquer que dans ce passage d’al‑Ḥulal
al‑mawšiyya, une chronique de la seconde moitié du e siècle

attribuée à Ibn Simāk, la langue berbère bénéficie d’une égalité


de statut avec l’arabe, en jouissant d’un support écrit et comme
langue d’expression du sacré. Cette promotion du berbère
permettait aux Almohades de se différencier radicalement de
leurs prédécesseurs almoravides et des fuqahā’ andalous, mais
aussi des pouvoirs orientaux. La nouvelle dynastie, en adoptant
une figure de référence locale, Ibn Tūmart, et un centre de
pèlerinage situé dans le haut Atlas occidental à Tinmal, se
référençait à elle-même sans devoir reconnaître de prééminence
à personne d’autre, et surtout pas aux différents pouvoirs
orientaux qui dominaient les lieux saints de l’Islam. Cela
constituait pour le pouvoir almohade une condition sine qua non
d’accès au califat. Symptomatique à cet égard, en Rabī‘ I 556
(janvier 1161), alors que les Almohades étaient sur le point
d’unifier le Maghreb en achevant la conquête de l’Ifrīqiya, ‘Abd
al‑Mu’min (r. 1130-1163) fit adresser aux populations de l’Empire,
depuis Bougie, une lettre qui insistait sur le rôle imparti à la
« langue occidentale » et sur le devoir pour tous ses habitants de
l’apprendre.
Et je commence par les principes de l’Islam. Il faut apprendre aux
gens la science [la connaissance] de l’unicité divine [tawḥīd] qui est
l’affirmation de l’Un et la négation de tout ce qui est en dehors de Lui.
On commande à ceux qui comprennent la « langue occidentale »
[al‑lisān al‑ġarbī] et qui la parlent de lire le tawḥīd dans cette langue,
du début jusqu’à la fin à propos des miracles et qu’ils l’apprennent
par cœur. On commande aux Ṭalaba de la « présence » (Ṭalabat
al‑ḥaḍar) et consorts 10 de lire les professions de foi et de les
apprendre par cœur. Le commun 11 a pour obligation, sur son lieu
de résidence, de lire la « profession de foi » et celle qui commence
par : « Sache, que toi et nous sommes guidés par Dieu », qu’il [le
commun] l’apprenne par cœur et qu’il s’efforce de la comprendre.
J’inclus dans cette obligation les hommes et les femmes, les
hommes de condition libre et servile ainsi que tous ceux qui espèrent
briguer une charge 12 .
12 Ce statut se manifestait également dans le fait que
l’apprentissage des cadres de l’Empire se faisait dans les deux
langues, comme le souligne Ibn al‑Qaṭṭān 13 . C’est en vertu de
ce statut que les discours énoncés en « langue occidentale »
avaient préséance sur ceux qui l’étaient en arabe, y compris au
palais almohade de Séville au cours des réceptions officielles
comme celle du 21 ša’bān 668 (7 avril 1173), telle qu’elle est
décrite par Ibn Ṣāḥib al‑Ṣalāt :
Le pieux cheikh Abū Muḥammad ‘Abd al‑Wāḥid b. ‘Umar prêcha
premièrement en berbère [bi-l-lisān al‑ġarbī] aux Almohades. Ce qu’il
fit pour eux avec une grande clarté pour que tous comprennent. Par
la suite, il traduisit en langue arabe afin de rendre le sermon
intelligible [sous-entendu pour les Andalous] 14 .
13 Clef de voûte de l’édifice almohade, le bilinguisme arabo-berbère
doit s’entendre à plusieurs niveaux. Il résulte de la volonté
d’imposer et de pérenniser un État, dans des contrées où
prédominait un modèle de société relativement acéphale et où
l’immense majorité de la population ne pratiquait qu’une des
langues berbères. C’est ce qu’indique al‑Idrīsī quand il note la
présence, aux alentours de Fès, de tribus berbères connaissant
l’arabe, élément assez remarquable à ses yeux pour être noté
15 . En outre, le système reposait sur une cohabitation, plus ou

moins bien jugulée, entre ‘Abd al‑Mu’min, ses descendants et les


cheikhs almohades, qui constituent un groupe de dirigeants
représentant une classe bien distincte du reste de la population
par la naissance, la formation, le statut et l’organisation. Les
cheikhs almohades monopolisaient avec les Mu’minides les
postes de commandement à travers tout l’Empire. Or, ils tiraient
toute leur légitimité, leur pouvoir et leur prestige du fait qu’ils
étaient rattachés à la geste d’Ibn Tūmart et assimilés aux débuts
héroïsés du mouvement almohade. La majeure partie de la
genèse du mouvement s’était déroulée dans un cadre berbère,
avec des protagonistes qui s’exprimaient dans cette langue,
parfois de façon exclusive. De surcroît, Ibn Tūmart était réputé
avoir excellé dans les deux registres, l’arabe et le berbère et
donc, à ce titre, il put toucher le plus grand nombre.

La langue occidentale support à la


propagande
14 À bien des égards, cet effort propagandiste participa du succès
almohade : en effet, il adressait aux différentes strates
composant la population de l’Occident musulman un discours
intelligible à chacun. Pour la masse des habitants du Maġrib
al‑aqṣā, les Almohades ont eu recours, pour caractériser les
Almoravides, à un qualificatif en berbère qui a été retranscrit
sous une forme arabisée, zarāǧina. Ce terme est l’arabisation du
mot berbère désignant les pies (izragān), soit des oiseaux à la
fois noirs et blancs, mais dont le cœur est réputé être noir 16 . Il
faut probablement entendre par cette image que si, en
apparence, les Almoravides peuvent être identifiés au blanc,
couleur que leur confère leur rôle dans la défense d’al‑Andalus,
leur nature véritable est le noir. Le noir renvoie sans aucun doute,
selon les Almohades, au côté illégitime et inique de ce pouvoir
(almoravide). Il convient d’établir un parallèle avec la façon de
faire d’un grand nombre de saints qui, eux aussi, utilisent des
récits mettant en scène des animaux (lions, oiseaux, ânes, etc.)
afin d’édifier leur auditoire. Ce procédé est également utilisé par
Ibn Tūmart qui, pour magnifier la vaillance de l’un de ses
compagnons, aurait dit :
Abū Marwān est un lion qui est né durant l’été, il ne craint pas d’être
piétiné au combat [Abū Marwān d-īzem yelūlān tānabdūt wer-yūkīl
araṣṣāṣ] 17 .
15 Cette comparaison animalière 18 tranche avec la tonalité
d’autres messages attribués à Ibn Tūmart, par exemple
l’appellation péjorative et conceptuelle utilisée pour dénigrer les
Almoravides et destinée à la frange la plus éduquée,
majoritairement andalouse, de la société, celle
d’« anthropomorphistes » (muǧassimūn) 19 .
16 On peut retrouver une instrumentalisation du blanc destiné aux
Maghrébins dans le fait que les Almohades ont fait évoluer le
nom originel de Tinmal, relatif à la terre rouge, en le faisant
glisser vers celui de Tīnmallal. Ce dernier terme est formé à partir
de la racine mll qui renvoie à l’idée de « blanc ». De la sorte, on
substitue à un nom relativement insignifiant, un autre bien plus
lourd du point de vue de la charge sémantique en berbère de
cette contrée, puisqu’il désigne littéralement « Celui des Blancs »
ou « Celui des Purs », c’est-à-dire en fait le « Pays des Purs ».
Cette appellation cadrait mieux avec leur ambition. L’auteur du
Kitāb al‑istibṣār, récemment identifié à Ibn ‘Abd Rabbih 20 ,
n’ignore rien de sa signification quand il évoque la « Ville Blanche
al‑Madīna al‑Bayḍā’, connue sous le nom de Tinmal ».
17 Récemment, on a proposé d’interpréter le toponyme Tinmal
comme signifiant littéralement « l’apprenante », dans le cadre
d’une réhabilitation du passé almohade en cours dans certains
milieux berbéristes 21 , ce mot servant aujourd’hui à désigner
l’école dans le berbère standardisé enseigné 22 . Or les sources
arabes médiévales invalident largement cette théorie. On peut y
constater un clivage marqué entre les sources pro-almohades,
qui utilisèrent de façon exclusive la graphie Tinmallal pour
désigner la base du mouvement almohade, et les autres sources
postérieures. Les premières furent rédigées, sans exception par
des auteurs qui servirent à des titres divers dans les cours
almohade et hafside. Quant aux sources qui se démarquèrent de
cette graphie, il s’agit le plus souvent d’ouvrages écrits dans un
contexte mérinide ou nasride (Rawḍ al‑qirṭās, Mafāḫir al‑barbar,
al‑Ḥulal al‑mawšiyya, etc.), ou par des opposants déclarés au
régime en place comme al‑Idrīsī, ou encore de Maghrébins qui
rédigèrent leurs ouvrages en Orient à destination d’un public
oriental, comme al‑Marrākušī. Il faut remarquer que cette liste
recoupe exactement celle de ceux qui refusèrent d’employer
dans leurs ouvrages la nouvelle appellation almohade de
« langue occidentale » pour désigner l’idiome utilisé par la
dynastie berbère.
Les différentes transcriptions de Tinmal par les auteurs

A
T T T

Auteur anonyme du
Al‑Marrākušī Al‑Idrīsī
Kitāb al‑ansāb
Ibn al-Zayyāt
Al‑Bayḏaq Ibn ‘Iḏārī
al‑Tādilī
Ibn ‘Abd al‑Mun‘im
Ibn Ṣāḥib al‑Ṣalāt Ibn Abī Zar‘
al‑Ḥimiyarī
Ibn al‑Qaṭṭān Ibn al‑Ḫaṭīb
Ibn Sa‘īd al‑Maġribī Auteur anonyme des
Mafāḫir al‑barbar
Ibn ‘Abd al‑Malik Ibn Simāk
Ibn Ḫaldūn Ibn ‘Abd Rabbih

Al-Zarkašī Jean-Léon l’Africain

18 Dès les origines, Ibn Tūmart utilise en berbère des métaphores


relatives au blanc afin de mieux édifier son auditoire, composé
presque exclusivement de Maghrébins. Ainsi al‑Bayḏaq met-il en
scène al‑Mahdī (Ibn Tūmart) répondant à ceux qui étaient sans
doute des fonctionnaires almoravides et se faisaient fort de
l’empêcher de franchir le Wād Umm Rabī’ 23 :
Les Pays [ou Chemins] des Blancs [ou des Purs] du Sūs, nous les
atteindrons [malgré vous] [awmāwren mellūlnīn n-Sūs ad awen-nākk]
24 .

19 Ailleurs, l’auteur anonyme du Kitāb al‑ansāb rapporte un jeu de


mots d’Ibn Tūmart, concernant l’un de ses secrétaires, qui était
connu sous le nom de Mallūl b. Ibrāhīm b. Yaḥyā al‑Ṣanhāǧī. Le
Mahdī l’aurait appelé « Mallūl au blanc burnous » (Mallūl an-
wūhlġū̄) 25 , renforçant la connotation du prénom par la couleur
blanche de son habit, pour souligner la pureté de son
engagement en faveur des Almohades. D’ailleurs la vie tout
entière de ce secrétaire fut marquée par le blanc, puisque le
texte rapporte qu’il fut adopté par le groupe lignager des
Tīnmallal et qu’il s’installa définitivement dans la ville du même
nom, où il aurait laissé de nombreux descendants, appelés Banū
Mallūl.
20 Dans ces deux cas, il ne fait aucun doute que le qualificatif de
« blancs » ou « purs » se rapporte aux Almohades. Un autre
élément insuffisamment souligné est le fait que, dans le cadre de
la reconstruction apologétique des débuts du mouvement
almohade, al‑Mahdī aurait rencontré ‘Abd al‑Mu’min pour la
première fois dans un hameau appelé Mallāla et situé non loin de
Bougie. On relèvera la coïncidence entre le nom de la localité, où
se serait déroulée cette rencontre initiatique qui allait bouleverser
l’histoire du Maghreb, et Tīnmallal. Ce nom augure, a posteriori,
de l’installation des Almohades à Tīnmallal, voire de la future
position éminente de ‘Abd al‑Mu’min, originaire des environs de
Tlemcen. En témoigne le fait qu’al‑Marrākušī, qui accorde des
pouvoirs divinatoires au Mahdī, lui fait dire ceci :
Son pouvoir [de ‘Abd al‑Mu’min] tirerait son origine d’un lieu dans le
nom duquel figureraient un m et deux l, et lorsqu’il répétait ce mot
[Mallāla], il disait : « Non ce n’est pas celui-ci » 26 .
21 Manifestement, Ibn Tūmart sut instrumentaliser les symboles en
vigueur chez les Maṣmūda. En outre, on peut rapprocher cette
valorisation de la couleur blanche de l’importance de
l’esclavagisme dans les sociétés du Maghreb, où, de l’aveu
même de l’hagiographe al‑Tādilī, les Noirs étaient tenus en grand
mépris par les Maṣmūda 27 . Ce jeu sur les mots de Tinmāl,
Tīnmallal, Mallūl, de même que les treize phrases en berbère
recensées dans les Documents inédits d’histoire almohade,
restent incompréhensibles pour qui n’est pas bilingue, ce qui est
à rapprocher avec la montée en puissance du bilinguisme arabo-
berbère.

La montée en puissance du
bilinguisme arabo-berbère
22 L’utilisation de phrases en berbères dans des textes arabes
semble indiquer que ces ouvrages sont destinés, avant tout, à un
public maghrébin. On peut aussi avancer l’hypothèse qu’à ce
moment-là le bilinguisme s’étend bien au-delà du cercle restreint
des seuls Berbères proprement dits. En effet, une anecdote
rapportée par Ibn Marzūq, à propos d’Abū Marwān Ibn Zuhr
(Avenzoar), met en évidence que nombre d’Andalous désirant
servir ou servant les Almohades avaient ressenti le besoin
d’apprendre le berbère, dans le cadre de l’École de Marrakech
28 . Cet apprentissage est considéré comme indispensable pour

pouvoir bénéficier d’une promotion et des prébendes qui allaient


avec 29 .
23 C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’ouvrage d’Ibn Tūnart 30

(1085-1172) : son dictionnaire, qui comprend 2 500 entrées


arabes avec leur traduction en berbère, atteste de la volonté de
mettre le berbère au même niveau que l’arabe, en participant à
l’élaboration d’une langue écrite. Il recourt essentiellement à la
langue des Maṣmūda, celle utilisée par les Almohades alors que
l’auteur était originaire de la Qal‘a des Banū Ḥammād et qu’il
s’installa finalement à Fès pour y exercer la fonction de cadi. De
même, un notable de Ceuta, lui-même d’origine arabe, al‑‘Azafī
(m. 1236), à la demande du gouverneur almohade de Ceuta,
consacra un ouvrage à Abū Ya‘zā (m. 1176), un saint berbère
monolingue ; le texte contient 16 phrases en berbère, aisément
compréhensibles pour un locuteur du tašelḥit. Si bon nombre de
ces phrases ont un lexique et une syntaxe berbères, d’autres en
revanche présentent un étonnant mélange. Dans certaines, la
syntaxe est berbère, mais le lexique entièrement arabe, à
l’exception de la préposition s (« à l’aide de ») : tūb-aġ s-rabb
al‑‘alāmīn (« je me repens avec l’aide du Seigneur des
mondes ») — cela peut aussi être l’inverse : qūlū l-izam saggān
(« dites au lion noir »). À ce titre, il constitue peut-être un bon
indice de l’interpénétration entre les deux langues à l’œuvre dans
les classes dirigeantes.
24 Cela est d’autant plus remarquable que les phrases berbères se
trouvant dans les Documents inédits d’histoire almohade sont
sans doute représentatives d’un stade antérieur et ne comportent
que très peu d’emprunts à l’arabe, le plus souvent du vocabulaire
religieux. Ainsi dans la phrase prêtée à Ibn Tūmart :
Yarwal l-ḥaqq āy l-bāṭāl ār-dās yakšam īfrī āyā (i)ġna n-l-bāṭal mak
fallās yaffaġ l-ḥaq yawat ār-ad-akku yaššī-gh ān-as ītazawrīn n-
ddūnīt.
La justice a fui l’injustice et elle est venue chercher refuge dans cette
grotte, ceci a renforcé l’injustice mais si l’injustice vient à sortir de son
asile, elle frappera à son tour ce ventre dévorant [c’est-à-dire les
Almoravides] qui le précédait parmi les hommes 31 .
25 On repère aisément les termes arabes ḥaqq, baṭal et dunyā, qui
servent à Ibn Tūmart à vouer aux gémonies ses adversaires
almoravides à partir d’un argumentaire religieux, les emprunts
arabes venant souligner le propos. En outre, les Almoravides
sont assimilés à un ventre dévorant car les impôts, et en
particulier les taxes extra-coraniques, dans le contexte d’une
société récemment étatisée, étaient assimilés à une oppression
abominable, une extorsion servant à engraisser les élites
dirigeantes.
26 Il est important de constater, comme l’avait déjà souligné
Georges Séraphin Colin, qu’on voit déjà aux e- e/ e-
e siècles les prémices de ce qui deviendra par la suite l’arabe

maghrébin, étant donné que les verbes conjugués sous leur


forme impérative se retrouvent dans l’arabe maghrébin
contemporain. De même, à l’un des voyageurs venu visiter Abū
Ya‘zā et à qui on explique la façon de procéder du santon qui,
pour les accueillir, leur embrasse les pieds, il est dit que c’est fi‘l
māzīġ c’est-à-dire « la façon de faire du seigneur », mélange
entre l’arabe fi‘l et le berbère māzīġ, qui est traduit un peu plus
loin par al‑‘Azafī par sayyidī et mawlāy 32 . Ce bilinguisme qui
était de mise au sein de l’appareil d’État almohade explique
pourquoi bon nombre de termes berbères qui furent ensuite
employés par les dynasties succédant aux Almohades (Mérinide,
Hafside, etc.), et jusque très récemment dans le cas du Maroc
précolonial, sont en fait des créations almohades. En tant que tel,
ces mots constituent des emprunts à la langue des Maṣmūda,
bien que leur sens ait évolué avec leur utilisation dans un
contexte étatique.
Mots berbères dont le sens évolua du fait de l’action des autorités almohades

S
N S ’

Haie Camp califal enceint d’une toile blanche. Ce camp


d’aubépines est conçu de telle façon à ce qu’il constitue une
protégeant excroissance du palais de Marrakech dont il reproduit
les les grands traits architectoniques. Le but poursuivi
Afrāg
troupeaux est de permettre au calife de se mouvoir dans un
ou les même espace, le sien, celui régi par les préceptes de
jardins la pompe et de l’étiquette. Il resta en usage au Maroc
potagers. jusqu’au début du e siècle.
Plat servant
Plat que l’on consomme pour le serment
à sceller une
Asmās d’allégeance des principaux dignitaires almohades
union, un
(bay’a ḫāṣṣa).
pacte.
Garde personnelle du calife. Sous la forme burǧ tiḍāf,
cela pouvait signifier le sens de tour de garde. On
Tiḍāf Garde.
peut constater que le chroniqueur oriental Ibn al‑Aṯīr
connaissait cette expression puisqu’il l’a citée.
Tāzalīt Prière (?) Ibn ‘Iḏārī a prétendu qu’il s’agit de l’appel à la prière
et de la tenue de la prière en langue berbère (iqāmat
al‑ṣalāt en arabe). L’appel à la prière débutait par une
phrase en berbère qui demeure inexpliquée (sūdūd
wa nārdī) et une expression en arabe, « le jour est
advenu par la grâce de Dieu » (aṣbaḥa wa li-llāh
al‑ḥamda). Abū Isḥāq al‑Šāṭibī, est de loin l’auteur le
plus disert sur la question et a estimé, à l’instar du
précédent d’al‑Ma’mūnb, qu’il s’agit d’une innovation
blâmable (bid’a) attribuable « à l’autoproclamé
al‑Mahdī »c.
Cour du palais servant aux défilés et à la pompe
califale. Comme cela lui est habituel, Ibn ‘Iḏārī
l’emploie dans une forme mi-arabe, mi-berbère,
asārāg al‑qibāb (place principale, celle qui est
consacrée au cérémonial, et sur laquelle seul le calife
a le droit de chevaucher), et asārāg al‑awwal (qui
Patio, cour
correspond sans doute à asārāg amzwaru), première
Asārāg d’une
cour, car le commun des Almohades est obligé d’y
maison.
passer pour se rendre à la mosquée. Longtemps
après, au e siècle, c’est bien cette forme berbère

qui sert à Luis Mármol de Carvajal à désigner cette


partie du palais de Marrakech où il avait été retenu
captif. Il le fit en castillanisant légèrement Asārāg en
Cerequed.
Espace servant à délimiter, à l’intérieur du palais,
l’espace dévolu au souverain et à sa famille au sens
strict du terme (femmes, enfants en bas âge,
esclaves), c’est-à-dire le dār al‑ḫalīfa, distinct du
Vestibule, reste du palais qui servait à faire fonctionner la
Imi n-
porte de machine étatique (dār al‑išrāf, greniers
tigmmi
maison. monumentaux, garnisons des mercenaires, etc.).
Dénomination que l’on retrouvera, en dehors de
Marrakech, à Tlemcen et à Tunis, c’est-à-dire dans
les entités politiques héritières de la décomposition
de l’Empire almohade.
Mizwār Équivalent – Il pouvait désigner les šayḫ‑s almohades, sous une
de šayḫ, il forme mi-arabe mi-berbère : « leurs seigneuries les
faut mizwār‑s ». – Désormais, dans un contexte
entendre almohade, il peut avoir pour acception celui qui,
celui qui nommé par le pouvoir central, a pour charge de
occupait une seconder, voire de surveiller le chef de tribu. À ce
place titre, il était la courroie de transmission entre le calife
éminente et la société segmentairee. – Ce terme pouvait
dans le également recouvrir le sens de chef de ce corps des
cadre de la intellectuels du régime qu’étaient les ṭalaba (mizwār
société al‑ṭalaba ou mizwār li-l‑ṭalabaf). On pouvait
segmentaire. également se servir du terme mizwār pour désigner
le chef du corps des médecins en charge de la santé
du calife (mizwār al‑aṭibbā’)g. Les Mérinides et les
Hafsides continuèrent à employer mizwār avec le
sens de « préposé, chef ». Au Maroc, il sert
aujourd’hui à désigner le chef d’une confrérie ou
d’une corporation. En Tunisie, son sens a glissé
jusqu’à désigner le tenancier d’un lupanar.
a. I ‘Iḏ ‑M , Kitāb al‑bayān al‑muġrib, éd. par ‑K ,
1985, p. 286.
b. Ce calife mu’minide fit une tentative pour abroger le legs tūmartien et
revenir au sunnisme malikite qui prévalait avant les Almohades.
c. A -Š ṭ , Kitāb al-iʿtiṣām, t. II, pp. 60 et 78-79.
d. M C , Description générale de l’Afrique, t. II, p. 56.
e. A -‘A , Da‘āmat al-yaqīn, éd. par -T , p. 53 ; I S , al-Ḥulal
al-mawšiyya, éd. par Z et Z , 1978, p. 189.
f. F , 1997, p. 353.
g. Cette dénomination nous a été donnée par le Cairote I A Uṣ ‘ ,
‘Uyūn al-anbā’, éd. par R ḍ , 1965, p. 532.

27 Ce bilinguisme revisité permet d’expliquer d’autres faits


marquants qui sont restés longtemps dans l’ombre, car non
expliqué par Évariste Lévi-Provençal. C’est ainsi qu’al‑Bayḏaq
rapporte les faits suivants :
Nous fûmes surpris par une pluie de huit jours, si bien que nos bêtes
faillirent périr, enlisées dans la boue ; aussi le Prince des croyants
appela-t-il cet endroit Tāġazūt n-walūṭ (la « Vallée de la boue ») 33 .
28 Cette appellation, pouvant être rendue par « Vallée de la boue »,
met en lumière la capacité de ‘Abd al‑Mu’min de nommer et de
dominer l’espace, en survivant à une épreuve « imposée par
Dieu ». C’est probablement en fonction de ce bilinguisme qu’il
faut réapprécier bon nombre de ces événements. C’est ainsi que
le lieudit, sur lequel al‑Bašīr procède au tamyīz en 1128, soit la
purge qui précède la tentative de prendre Marrakech, nous est
donné sous la forme de « yger n‑wasannān ». Si on peut
interpréter l’étymologie de ce toponyme comme renvoyant au
« champ d’aubépines », on peut tout aussi bien le comprendre
comme « le champ de ces jours-là », ou, plus exactement,
comme « le champ où se produisit cet événement
extraordinaire ». L’usage du démonstratif berbère ān se retrouve
d’ailleurs dans des phrases attribuées à Ibn Tūmart, comme :
« Faites passer ce šayḫ 34 (azzayd amġār-anna) », toujours en
usage aujourd’hui en tašelḥit.
29 Avatar de ce nouveau statut donné à la langue, la majorité des
termes berbères que l’on retrouve dans les chroniques, dans les
traités culinaires ou dans les ouvrages de géographie se
rapportent au parler des Maṣmūda 35 .
30 Pour la première fois, le berbère ne resta pas cantonné en tant
que langue d’expression d’une caste militaire : en effet, les
Almohades mirent en demeure tous leurs sujets d’apprendre les
rudiments de cette langue pour pouvoir prononcer les paroles
d’adhésion à la nouvelle foi, celles qui permettraient d’être sauvé
le Jour du jugement dernier. À ce titre, la lecture des ouvrages
portant sur le credo almohade, attribués à Ibn Tūmart, était
rendue obligatoire. Cette injonction était également valable pour
les Andalous et tout particulièrement pour leurs fuqahā’ qui
devaient ainsi faire allégeance au calife et à l’ordre qu’il
représentait. Cela ne fut pas sans susciter des réactions, même
longtemps après la prise de Marrakech par les Mérinides en
1269 : Abū Isḥāq al‑Šāṭibī ( e siècle), par réaction, s’attacha à
dénigrer Ibn Tūmart en s’attaquant au ressort de son idéologie
qui reposait largement sur une redéfinition de la place que devait
tenir le peuple d’Occident (ahl al‑ġarb), c’est-à-dire les Berbères,
au sein du monde musulman. Cela démontre pour le moins que
l’onde de choc était immense et que la reconnaissance donnée à
la « langue occidentale » en tant que support du nouveau peuple
élu était perçue comme l’une des caractéristiques majeures de la
période almohade.

NOTES
1.F , 2000.
2.I T , A‘azz mā yuṭlab, éd. par A -ʻA , 1997,
p. 395.
3. Maribel Fierro souligne que le seul exemplaire conservé porte
la date de 1184, soit un demi-siècle après la mort d’Ibn Tūmart. Il
est donc malaisé d’établir s’il s’agit là d’une œuvre authentique
ou apocryphe. Il semblerait plutôt qu’elle est à apprécier à l’aune
des efforts entrepris par les califes mu’minides pour légitimer
leurs actions. Il est à ce titre regrettable que ‘Abd al‑Ġanī Abū
l-‘Azm, qui, le dernier, a établi et annoté cet ouvrage en arabe, ne
doute point de son authenticité.
4. Cet ouvrage est aujourd’hui perdu, mais nous savons
néanmoins, grâce à Ibn Simāk, qu’il avait été composé en arabe
et en berbère.
5.A -Š ṭ , Kitāb al-i‘tiṣām, éd. par R ḍ , s. d., t. II, p. 80.
6.I T , Aʿazz mā yuṭlab, éd. par A -ʻA , 1997,
p. 398.
7. Maribel Fierro a récemment entrepris de reconsidérer
l’entreprise almohade à l’aune d’un substrat chiite ismaélien.
L’influence chiite apparaît ici avec clarté jusque dans la
terminologie employée.
8.A -M , Kitāb al-Mu‘ǧib, éd. par I M ṣ , 1998,
pp. 133-134.
9.I S , al-Ḥulal al-mawšiyya, éd. par Z et Z ,
1978, pp. 109-110.
10. C’est-à-dire les autres Almohades de condition.
11. On ne sait pas s’il s’agit des non-Almohades de condition ou,
plus probablement, des Almohades de rang inférieur.
12. ‘A , 2010, p. 10. Traduction ici revue et corrigée par
rapport à celle initialement proposée dans G , 2014c,
p. 230.
13.I -Q ṭṭ , Naẓm al-ǧumān, éd. par M , 1990, p. 173.
14.I Ṣ ḥ -Ṣ , Ta’rīḫ al-mann bi-l-imāma, éd. par
‑T , 1987, p. 434.
15.A -I , Kitāb nuzhat al-muštāq, éd. par H -S , 1983,
p. 90.
16.I -Q ṭṭ , Naẓm al-ǧumān, éd. par M , 1990, p. 132.
De tous les auteurs qui citent ce quolibet, il est le seul à nous en
préciser la signification.
17.Documents inédits d’histoire almohade, trad. de L -
P , pp. 119, 123 sqq. Pour cette phrase M , 1932,
p. 70, propose la traduction suivante : « Abū Marwān est le lion
né à la prime saison, il ne tient pas compagnie au plomb ».
18. Sur le lion et sa symbolique au sein des dynasties berbères
voir G ,D , 2014.
19.S , 2005.
20.L D , P V (dir.), 2002-2012, t. I,
pp. 317-324.
21.A , 2005.
22.E M , 2010, p. 120. On trouve comme réponse aux
questions posés par l’universitaire : ur saswa ġmk-lli ttinin
imḥdaren ġ-tig°mma-nsn d-aylli ttlmaden ġ-tinmel (« Il y a une
différence entre ce que les élèves disent à la maison et ce qu’ils
apprennent à l’école [Tinml] »).
23. Comme le fit valoir C , 1931. C’est ainsi qu’al‑Bayḏaq
transcrit le nom de ce fleuve.
24.Documents inédits d’histoire almohade, trad. de L -
P , p. 67. Pour cette phrase G. Marcy propose la
traduction suivante : « Les chemins blancs du Sous, nous vous
les franchirons ! » (M , 1932, p. 73).
25. Pour cette phrase G. Marcy propose la traduction suivante :
« Mellul au blanc “ḥaik” » (M , 1932, p. 71).
26.A -M , Kitāb al-Mu‘ǧib, éd. par I M ṣ , 1998,
p. 128.
27.A -T , al‑Tašawwuf, éd. par ‑T , 1997, p. 328.
28.I M , al-Musnad, éd. par V M , 1981, trad.
esp. p. 344.
29.M , 2006.
30. À propos de ce manuscrit : G , 2014b.
31.Documents inédits d’histoire almohade, trad. de L -
P , p. 40. Pour cette phrase G. Marcy proposait « La
justice a fui la concussion, et elle est venue chercher contre elle
refuge dans cette grotte ; l’iniquité est triomphante, mais jamais
le bon droit vient à sortir de son asile, il frappera jusqu’à ce qu'il
ait complètement englouti à son tour ce ventre dévorant qui le
précédait parmi les hommes » (M , 1932, p. 72).
32.A -‘A , Da‘āmat al-yaqīn, éd. par -T , p. 53.
33.Documents inédits d’histoire almohade, trad. de L -
P , p. 151.
34.Ibid., p. 45. Ibn Tūmart s’adresse à l’assemblée des
Almohades pour qu’on laisse passer son père.
35.V B , 2000, p. 360.

AUTEUR
MEHDI GHOUIRGATE
Université Bordeaux Montaigne - ERC IGAMWI
Conclusion
Histoire de l’Islam, des Berbères
et de l’Occident islamique
Maribel Fierro

1 José Ortega y Gasset affirmait qu’il était impossible de séparer


l’étude du Moyen-Âge européen de celle de la civilisation
islamique et rappelait comment
les peuples européens et les peuples arabes [avaient investi] le
territoire occupé pendant des siècles par l’Empire romain. Germains
et Arabes étaient des peuples périphériques, sis aux abords de cet
Empire, et l’histoire du Moyen Âge est l’histoire du devenir de ces
peuples à mesure qu’ils investissent le monde impérial romain, qu’ils
s’y installent et qu’ils absorbent des bribes de sa culture… 1 .
2 Les Romains appelaient ces peuples germains « Barbares »,
c’est-à-dire des étrangers parlant des langues autres que le latin
2 . Pourtant ce n’est pas à ce terme qu’ils eurent recours pour

désigner les Arabes.


3 De leur côté, et comme les Romains avant eux, les Arabes,
quand ils établirent un empire qui s’étendait de la péninsule
Ibérique à l’Inde, durent aussi au cours de leur expansion
impériale se confronter à de nouveaux peuples aux langues et
cultures différentes des leurs. Pour nommer ces peuples, le
terme barbar apparut dans les sources arabes : il servait à
désigner la côte orientale de l’Afrique, ainsi que les
communautés établies depuis le nord de l’Afrique jusqu’à l’ouest
de l’Égypte. Au fil du temps, al-barbar finit par être réservé aux
populations non-arabes et non-byzantines (les Rūm-s) de ce
territoire 3 . C’est de là que vient le vocable « berbère » que nous
employons à l’heure actuelle pour désigner ceux que nous
considérons comme les populations autochtones du nord de
l’Afrique avant l’arrivée des conquérants arabes et musulmans.
4 Les articles réunis ici par Dominique Valérian sont des études
qui, sous différentes perspectives, analysent les sources où est
documenté le terme al‑barbar, les sens qui lui sont donnés et leur
explication, ainsi que les évolutions et persistances de cet usage.
On y voit aussi dans quelle mesure ce vocable nous est utile
pour retrouver les processus sociaux, politiques et culturels qui
se sont produits dans la région après la conquête islamique.
5 Les articles de Allaoua Amara, Annliese Nef et Ramzi Rouighi
illustrent différents aspects du complexe processus
d’ethnogenèse qui a donné lieu à la « berbérisation » du nord de
l’Afrique ou, pour le dire autrement, à la conviction que des
groupes humains qui s’autodésignaient ou étaient désignés par
différents noms (Lawāta, Kutāma, Ṣanhāğa, Maṣmūda, pour
donner quelques exemples) constituaient en réalité un seul et
même peuple. Une idée qui apparaît déjà chez un auteur des
débuts de l’Islam, Ḫalīfa b. Ḫayyāṭ (m. 240/854), puisque
— comme le fait remarquer Amara — il semble employer le
terme al-barbar comme une dénomination générique des
populations préislamiques, même si par ailleurs il semble
distinguer les « barbar », d’un côté, et les Ṣanhāğa et les
Awraba, de l’autre. Nef et Rouighi insistent particulièrement sur la
nécessité de ne pas faire de projection de catégories et de
perspectives d’époques ultérieures en les rapportant aux
premiers siècles après la conquête et, surtout, de catégories et
perspectives actuelles, car on s’expose à tomber dans des
anachronismes et dans l’essentialisation d’une catégorie, « al-
barbar », située en marge de l’histoire. Ce qui intéresse Nef, ce
sont les dynamiques sociales qui se reflètent dans le processus
d’« invention » des Berbères : pour elle, l’apparition d’une
catégorie nouvelle — celle des Berbères —, inexistante à
l’époque préhispanique, est le fruit de la révolution symbolique
qui a accompagné l’instauration d’un nouvel État né de la
conquête arabo-musulmane du nord de l’Afrique. Cette révolution
symbolique a engendré la nécessité de renommer les territoires
incorporés à l’empire islamique en construction et les gens qui
vivaient sur ces territoires. Nef nous rappelle que, dans de telles
circonstances, il ne s’agit pas tant de groupes dominants et de
groupes dominés caractérisés par la passivité que de processus
de coproduction d’un nouvel ordre. Helena de Felipe, elle,
renvoie comme cadre explicatif à l’« hybridisme culturel »
consacré par P. Burke. En d’autres termes, toutes deux nous
engagent à fuir les approches binaires et à retrouver la
complexité de l’agencement des différents groupes impliqués.
6 L’idée que le vocable barbar, repris du monde gréco-latin par les
Arabes, faisait surtout référence à une réalité linguistique est très
répandue, et Mohamed Meouak consacre plusieurs paragraphes
de sa contribution à nous orienter sur les schémas interprétatifs
modernes de la situation sociolinguistique nord-africaine. Les
Arabes auraient appelé al-barbar les habitants des terres
conquises à l’ouest de l’Égypte parce que ceux-ci parlaient une
langue incompréhensible. Mais ce référent linguistique — nous
dit Rouighi — n’est pas fréquent dans les textes les plus anciens,
et de plus il n’est pas suffisamment clair quand il apparaît, sans
oublier que pour refléter cette réalité linguistique les Arabes
disposaient d’un autre terme, ʻağam, et qu’en outre le terme
al‑barbar est parfois appliqué aux Byzantins de langue grecque.
Il existe des textes où, au-delà de la réalité linguistique d’une
langue qui n’était pas l’arabe, ce qui est mis en avant c’est que
cette langue avait des sonorités surprenantes. Sous les
Almohades, il sera fait référence à la langue des Berbères en
fonction de sa situation spatiale au sein du monde islamique :
c’est la langue de l’Occident islamique, al-lisān al-ġarbī, dans un
cadre temporel qui fut interprété par les « Unitaires » comme
celui annoncé dans de vieux hadiths où le Maghreb apparaissait
représenté comme le lieu où la religion serait renforcée et
demeurerait, tandis qu’elle se dissolvait dans les autres régions
du monde islamique. Ce al-lisān al-ġarbī fut alors élevé, sous le
gouvernement des califes muʼminides, au rang de langue du
rituel religieux, de la théologie et de la communication entre
gouvernants et gouvernés.
7 Outre le référent linguistique, il y a la dimension généalogique.
Sur ce terrain, le caractère d’autochtone n’est pas associé en soi
au terme al-barbar, étant donné que dans les sources arabes les
« Berbères » ne sont pas considérés comme des résidents
originaires du Maghreb. Les sources arabes médiévales
présentent les barbar-s du nord de l’Afrique comme des
descendants de Cham, installés en Palestine mais qui avaient
rejeté le judaïsme et dont le chef Goliath avait été vaincu par
David. Comme ils n’avaient pas de roi, un Ḥimyarīte, Ifrīqiš
b. Qays b. Ṣayfī, les avait guidés et conduits jusqu’au Maghreb.
Nous avons là un écho de la présence phénicienne dans le nord
de l’Afrique et un lien avec les populations yéménites, peut-être
le reflet de la forte présente yéménite dans les armées de la
conquête. D’autres généalogies ont circulé comme celles qui
faisaient de certains groupes berbères les descendants d’Arabes
Qaysītes. H. De Felipe met en avant la façon dont, dans le Ta’rīḫ
de ‘Abd al‑Malik b. Ḥabīb (m. 238/853), le gouverneur du nord de
l’Afrique et conquérant d’al-Andalus, Mūsā b. Nuṣayr, parle des
Berbères comme étant très proches des Arabes par leur
résistance et courage, mais aussi par leur tendance à la trahison
et au non-respect des pactes et de la parole donnée. Ainsi, les
Berbères deviennent le reflet dans le miroir, un « Autre », qui
rappelle celui qui les regarde.
8 Pour comprendre ces filiations généalogiques, Nef signale qu’il
faut avoir à l’esprit que c’est dans l’Occident islamique — nord de
l’Afrique et péninsule Ibérique — que l’on trouve, très tôt et bien
avant d’autres régions du monde islamique, des expériences
politiques autonomes face au califat abbasside, et même
indépendantes de lui. Il suffit de penser aux Rustamides de
Tāhirt, aux Idrissides du Maghreb Extrême, aux Midrarides de
Siǧilmāsa, aux Barġawāṭa de la côte atlantique, outre les
Aġlabīdes et les Fatimides d’Ifrīqiya, ou les Omeyyades de
Cordoue. Dans le cas nord-africain, cette dérive autonomiste a
donné lieu à ce qu’on pourrait appeler une šu‘ūbiyya barbariyya à
laquelle on n’a pas suffisamment prêté attention et qui a même
été niée 4 , mais qui peut être illustrée par différents textes et sur
laquelle il est nécessaire de travailler. Au-delà des textes
analysés dans les contributions de ce volume, une source
historique tardive, généralement datée du e/ e siècle, les
Aẖbār mağmū‘a, indique que le Maṣmūda Ḥafṣ b. Maymūn eut
une querelle avec l’Arabe Ġālib b. Tammām al‑Ṯaqafī alors qu’il
défendait la supériorité des Maṣmūdas sur les Arabes. La
querelle prit fin avec la mort de Ḥafṣ des mains de Ġālib, ce qui
ne fut pas pour déplaire à l’Omeyyade ‘Abd al-Raḥmān Ier.
Lorsque le frère de Ḥafṣ menaça d’une rébellion de sa tribu si les
Quraych ne soutenaient pas leur cause, l’émir le fit prisonnier et,
une fois à Cordoue, ordonna son exécution 5 . Le père de Ḥafṣ
pourrait être Maymūn b. Sa‘d, le fils d’un client (mawlā) du calife
omeyyade al-Walīd b. ‘Abd al-Malik. Maymūn était arrivé en
al‑Andalus à l’époque de ‘Abd al-Raḥmān Ier et c’est lui qui avait
donné la mort au gouverneur arabe Yūsuf al-Fihrī. Sa famille, les
Banū Maymūn, parlait berbère 6 . Nous avons là un clair reflet de
cette tentative de la part des Almohades — analysée par Mehdi
Ghouirgate — de donner aux Berbères non seulement une place
dans l’histoire islamique, mais la primauté sur tous les autres
peuples de la communauté musulmane. Cette partie des Aḫbār
mağmū‘a a dû être écrite dès l’époque almohade, alors que les
Maṣmūdas grâce au Mahdī Ibn Tūmart revendiquaient une
supériorité à la fois ethnique et religieuse, de même que pour Nef
le vocable al-barbar impliquant un référent linguistique a dû
s’imposer au e siècle en réaction au « nativisme » des

Almoravides et des Almohades et à leur soutien des langues


autochtones. L’époque almohade voit l’expansion d’une
rhétorique ethniciste qui fait l’apologie de ce qui est berbère pour
articuler un projet politique spécifique, en reprenant pour cela le
précédent ibadite.
9 Les aspirations autonomistes dans la région nord-africaine chez
nombre des conquis ont déterminé en grande mesure leur
mauvaise presse dans les sources arabes. Celles-ci reflètent le
point de vue négatif des conquérants qui contraste, par exemple,
avec le traitement donné aux Coptes, moins enclins à la
rébellion. Cela changea quand, au / e siècle, le
gouvernement par les populations locales est devenu une réalité
assumée et permanente (c’est le siècle des Mérinides, des
Abdelwadides et des Hafsides). De plus, ce gouvernement
indépendant n’était alors plus accompagné de dissidence
religieuse comme ça avait été le cas dans les premiers temps
(ibadisme, chiisme, mutazilisme, prophétisme berbère). C’est à
cette époque qu’un auteur favorable aux Berbères tel que Ibn
‘Abd al-Ḥalīm — contrairement à des auteurs de la première
époque — parlera de la façon dont la conquête du nord de
l’Afrique s’est effectuée très facilement, avec une précoce
conversion des Berbères à l’Islam. Les transformations et les
adaptations dans la représentation des Berbères et de ce qui est
propre à eux se reflètent aussi dans cette image du monde
comparé à un oiseau qu’analyse Helena De Felipe : le nord de
l’Afrique serait la queue de l’oiseau, ce qui marginalise les
Berbères en tant que peuple périphérique, mais quand cette
queue vient à être assimilée à celle d’un paon royal, elle permet
de valoriser la spécificité maghrébine.
10 Pour Amara, ce qui distingue les barbar-s dans les sources
orientales, c’est précisément leur attitude de rébellion face au
pouvoir califal et leur dissidence religieuse, à la différence
d’autres populations locales comme les Rūm-s ou les Afāriqa-s.
Dans des vers célèbres attribués à l’Andalou Ibn Sahl al-Yakkī
(mort après 560/1164), le poète affirme :
J’ai vu Adam en rêve et je lui ai dit :
« Père des humains, les gens affirment que les Berbères sont tes
descendants. »
Il a répondu :
« S’il en est ainsi, je répudie Ève. 7 »
11 Cette image déplorable des Berbères peut être rapportée à leur
catégorisation parmi les peuples non-monothéistes, ainsi qu’en
fait état l’alfaqui cordouan Abū ‘Umar Ibn ‘Abd al-Barr
(m. 463/1071) quand il dit que les enfants capturés chez ceux qui
ne suivent pas une religion d’Écriture, tels que les Vikings
(mağūs), les Siciliens, les Turcs, les Indiens, les Daylamites, les
Berbères et les Bagwāṭīs (je comprends les Barġawāṭas), doivent
être convertis de force à l’Islam (ǧubirū kullu-hum ‘alā l-islām),
quel que soit leur âge 8 . Le renvoi à Cham et à sa descendance
joue également dans cette association des Berbères avec la
violence.
12 Face à cette vision négative, le Kairouanais Abū l-‘Arab
(m. 333/945), dans l’introduction de son dictionnaire biographique
d’oulémas, louera, lui, les habitants de l’Ifrīqiya, en incluant un
hadith selon lequel ils arriveraient au jour de la résurrection avec
des visages dont l’éclat serait plus vif que celui de la lune dans
sa phase la plus lumineuse. Nous sommes déjà là à un moment
où l’on commence à écrire en arabe sur les peuples conquis non
pas à destination des vainqueurs, mais pour les vaincus eux-
mêmes. Ce point de vue positif apparaît en premier lieu dans les
communautés ibadites. Des sources ibadites médiévales telles
que l’œuvre d’Ibn Sallām ( / e siècle) établissent que le lien des
Berbères avec l’Islam remonte au Prophète en personne qui
avait annoncé qu’ils auraient à leur charge la renaissance de
l’Islam. Ibn Sallām emploie aussi bien le terme barbar que ahl al-
Maġrib, le premier pour parler de populations autochtones
converties à l’ibadisme. Les populations des territoires non-
soumis au pouvoir central de Kairouan sont « al-barbar », ce qui
porte Amara à relativiser la proposition de Rouighi selon laquelle
les Berbères seraient une invention des Andalous. Amara met en
avant la continuité dans le peuplement et l’ethnonymie du
Maghreb de l’Antiquité jusqu’à l’époque islamique, en même
temps qu’il souligne la coupure terminologique marquée par la
conquête avec la disparition progressive du terme maurus et la
progressive généralisation de al-barbar, pour des réalités
auxquelles on se référait auparavant par différents vocables
(rūm, afāriqa, ʻağam). Ce fut tout un processus qui favorisa
l’unification de différentes communautés sous une même
catégorie, linguistique et culturelle. De son côté, Rouighi nous
rappelle que jamais avant l’arrivée des Arabes l’Afrique nord-
occidentale n’avait constitué une unique entité géographique,
politique, économique ou culturelle. Les auteurs de l’Antiquité ne
concevaient pas les communautés, sociétés et tribus qui vivaient
dans la région comme un seul et même peuple. Cette idée
unificatrice est due à l’émergence et au développement des
notions arabes de maġrib et barbar.
13 Le binôme ʻarab/barbar fonctionne pour le nord de l’Afrique
comme celui de ʻarab/ʻağam dans d’autres régions du monde
islamique comme la Perse, évoquant l’instauration d’un système
de privilèges en faveur des Arabes face auquel les non-Arabes
(ʻağam) s’élevèrent de diverses façons — y compris par la
violence, comme il arriva durant la révolution abbasside —
jusqu’à obtenir à la longue un plus grand égalitarisme 9 . Nous
avons déjà indiqué que, contrairement aux sources arabes non-
ibadites, Ibn Sallām, auteur ibadite du / e siècle, inclut dans
son œuvre une partie sur les mérites des barbar-s, dans laquelle
il insiste sur leur foi et la revivification de l’Islam qu’ils mettront en
œuvre. Dans cette posture, on ne trouve pas à proprement parler
un égalitarisme khāridjite mais la création d’un particularisme
ethnique et régional. L’importance de l’œuvre d’Ibn Sallām, tant
par sa chronologie que pour la source en arabe favorable aux
Berbères qu’elle est, justifie l’analyse détaillée que fait Cyrille
Aillet des trois hadiths où sont mis en avant les Berbères et où il
voit, à la suite de Goldziher, une forme de šuʽūbiyya qui nous
aide à mieux comprendre la construction politique des identités
collectives. Le premier hadith nous parle d’un Berbère qui, s’étant
présenté devant le Prophète le visage jaune et les yeux enfoncés
dans leurs orbites après avoir passé la nuit à craindre d’être
réprouvé 10 , est rassuré par Muḥammad. D’après ce dernier,
l’ange Gabriel lui a affirmé que les Berbères seraient le peuple
chargé de ressusciter la religion de Dieu après sa décadence,
ajoutant même que l’Islam est comme un arbre qui plonge ses
racines dans le Ḥiğāz, mais dont la cime grandira et s’épanouira
dans le Maghreb. Voilà un hadith qui va à l’encontre d’un autre,
extrait des collections canoniques sunnites, où les Berbères sont
disqualifiés par le Prophète et accusés d’être des gens dont la foi
ne dépasse pas les gorges, évoquant ainsi les rébellions
(perçues comme apostasie) que les Berbères avaient entreprises
au / e siècle. Un autre des hadiths rapportés par Ibn Sallām
fait allusion à une coutume spécifiquement berbère, celle de se
raser la tête. Aucun de ces hadiths n’a rencontré de succès en
dehors du contexte local et « sectaire » nord-africain, mais on ne
peut pas pour autant les considérer comme moins « islamiques »
que ceux qui donnent le point de vue opposé, si l’on suit la
proposition de Shahab Ahmed selon laquelle le terme
« islamique » inclut toujours divergence, diversité, et désaccord,
puisque l’Islam est une tradition discursive où les musulmans ne
se limitent pas à prendre en compte le texte de sa Révélation
mais qu’ils ont toujours incorporé aussi le pré-texte et le contexte,
de sorte que rien de ce que font ceux qui se considèrent
musulmans ne peut être considéré comme non-islamique 11 .
14 Pour Nef, il n’existe pas dans l’œuvre d’Ibn Sallām d’opposition
barbar/ʽarab, car on n’y trouve pas de critiques envers les Arabes
en tant que tels mais envers les ğund-s, c’est-à-dire les Arabes
conquérants, pour leur conduite, tandis que d’après C. Aillet ces
hadiths représentent l’aboutissement d’une sémiotique où l’Islam
véritable (l’ibadisme) a pour berceau le Maghreb et pour vecteur
les Berbères, peuple nouveau face auquel se dresse l’empire
tyrannique, persécuteur et impie, que les Arabes incarnent
collectivement. Ibn Sallām se serait ainsi efforcé de créer une
mémoire collective opposée aux stéréotypes sur les Berbères
issus de leurs rébellions. Face à d’autres populations des
territoires conquis, les barbar-s nord-africains — comme on l’a
déjà dit — sont représentés dans les sources comme
particulièrement résistants à l’expansion islamique. Cette
résistance fait l’objet par Soléna Cheny d’une analyse détaillée
qui précise les différentes façons dont celle-ci est décrite dans
les sources historiques : résistance victorieuse (9 % des
32 épisodes localisés), échec de la résistance (30 %), absence
de résistance, négociation (12,5 %) et absence de réaction
rapportée (43 %). Cheny conclut que l’objectif des sources n’est
pas tant d’apporter des éléments historiques sur les épisodes
narrés que de légitimer une entreprise coûteuse et difficile, en
démontrant qu’elle sert les intérêts du califat par les gains qu’elle
rapporte et par la gloire qu’en obtiennent ses héros. Les
personnages de « résistants » berbères comme Kusayla et la
Kāhina seront ensuite repris pour servir les besoins de l’époque
coloniale et les intérêts de la France 12 .
15 La lecture de toutes ces études nous oblige à repenser ce qui
nous semblait acquis et à prendre en compte les différentes
perspectives échafaudées par le passé et qui continuent de
s’échafauder aujourd’hui. Elle nous rappelle aussi ce qu’il nous
reste encore à étudier, comme le fait Nef lorsqu’elle souligne la
nécessité de traiter plus en profondeur la pratique du walāʼ dans
l’Occident islamique, ou Rouighi quand il indique que dans les
discussions sur l’orientalisation de l’Afrique nord-occidentale on
n’inclut généralement ni la domination byzantine ni la
christianisation. Outre son contenu spécifique, cet excellent
volume a le mérite de compléter d’autres études récentes qui se
sont penchées sur les transformations conceptuelles mais aussi
terminologiques qui ont eu lieu après l’expansion impériale
arabo-musulmane s’agissant de certains peuples, nations et
ethnies, comme dans le cas des Perses, des Turcs et des
Arabes eux-mêmes 13 . Grâce à ces nouvelles publications et à
celle-ci, nous disposons désormais d’une base solide pour
entreprendre des études comparatives qui nous permettront de
mieux comprendre comment les besoins d’un empire fondé sur
une nouvelle religion ont influencé certaines conceptualisations
du monde et de ses peuples.

NOTES
1. José O G , prologue de : I Ḥ , El Collar de
la Paloma, pp. 12-13.
2.B , 2010 ; F , 2013.
3.R , 2011.
4.B H , 2015.
5.Aḫbār mağmūʻa, éd. et trad. esp. de L A ,
texte arabe pp. 113-115, trad. pp. 104-105.
6.F , 2008, pp. 32-33.
7.C G , 2007. Il semble cependant que ces vers
n’étaient pas de lui mais d’un poète antérieur (L D ,
2012).
8.M , 2013, p. 42.
9.M , 1997 ; C , 2006.
10. La couleur jaune peut être vue comme le signe d’une
profonde dévotion et d’un pieux renoncement, mais le visage
jaune renvoie aussi à la coutume qui était celle des Arabes
yéménites tels que les Azd de se peindre le visage en jaune. Les
Azdites avaient une forte présence dans les armées qui
entreprirent la conquête du nord de l’Afrique, et on peut
rapprocher cette coutume de la dénomination sufrite donnée à
certains groupes de Khāridjites (F , 1998).
11.A , 2015 ; G , 2017.
12.H , 2001.
13.S , 2013 ; F , 2015 ; W , 2016.

AUTEUR
MARIBEL FIERRO
CSIC, Instituto de Lenguas y Culturas del Mediterráneo y Oriente Próximo
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