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G a z e tte Sp é cia lisée

J u r i s p r u de n c e

COPROPRIÉTÉ
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Bail et copropriété : quelle place pour la liberté contractuelle


du bailleur ? 429p5

L’essentiel
Un copropriétaire peut donner à bail les parties privatives de son lot, indépendamment du droit de jouissance
privative sur les parties communes attachées à ce lot. En posant un tel principe en réponse à une question
inédite, la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient éclairer le droit du propriétaire d’un lot
dépendant d’un immeuble soumis au statut de la copropriété. Si la solution concerne le bail, elle soulève des
interrogations liées aux actes juridiques portant sur le droit de jouissance privative que le copropriétaire
pourrait songer à exercer.

Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, no 20-18901, Sté Pharmacie 2000 c/ Consorts Q. et a., FS–B (rejet pourvoi
c/ CA Versailles, 19 mars 2020), M. Chauvin, prés. ; SCP Spinosi, SCP L. Poulet-Odent, av. : LEDIU nov.
2021, n° 200j6, p. 4, obs. G. Gil

1. Faits. L’arrêt de la troi- à titre principal sur une analyse du droit du copropriétaire
sième chambre civile de la tiré de sa propriété sur le lot, pour tenter de justifier l’im-
Cour de cassation en date possibilité de limiter l’étendue de sa jouissance des lieux.
du 23 septembre 2021 vient Les autres arguments subsidiaires se fondaient quant à
utilement préciser l’étendue eux principalement sur le droit commun des contrats et
de la liberté contractuelle en la force obligatoire (1) des conventions. Selon lui, le loyer
matière de bail portant sur contractuellement fixé tenant déjà compte de l’usage
un lot de copropriété, no- de la cour qui avait été concédé par le bail, aucun loyer
tion au cœur du statut de la complémentaire n’était dès lors dû à ce titre. Il soulevait
copropriété des immeubles aussi le fait que le silence gardé par les parties pouvait
bâtis soumis à la loi n° 65- valoir acceptation dès lors que celles-ci étaient en rela-
Note par 557 du 10  juillet 1965 et à tion d’affaires (2), ce qui aurait dû conduire les juges du
Anne-Laure son décret d’application. fond à rechercher si, en laissant leur locataire jouir de
THOMAT-RAYNAUD En l’espèce, était en cause la cour pendant plusieurs années, les bailleurs n’avaient
Maître de conférences en l’étendue de la jouissance pas donné leur accord tacite à l’utilisation de cette cour. Il
droit privé à l’université
Toulouse 1 Capitole, conférée au locataire d’un s’appuyait enfin sur le droit sanitaire et l’article R. 5125-8
institut de droit privé local à usage de pharmacie du Code de la santé publique relatif aux locaux des offi-
(EA 1920) situé en rez-de-chaussée cines et à leur aménagement, et plus spécifiquement sur
d’un immeuble soumis au son alinéa 8 précisant les contraintes d’aménagement de
statut de la copropriété. Le bien avait été loué par conven- l’officine pour permettre la livraison des médicaments
tion en date du 26 mars 1979, et le locataire pharmacien en dehors des heures d’ouverture de celle-ci, de façon à
avait eu pendant de longues années l’usage de la cour rendre possible l’isolement des médicaments et autres
commune accessible en automobile, jusqu’à ce qu’un dis- produits livrés, contrainte réglementaire que la cour en
positif ne vienne, fin 2013, l’en empêcher. cause permettait justement de respecter.
2. Procédure. L’actuel preneur a alors assigné les bail- 4. Rejet du pourvoi. La troisième chambre civile de la
leurs aux fins de les voir condamner à lui remettre la clé Cour de cassation décide pourtant de rejeter le pourvoi
dudit dispositif et à lui payer des dommages et intérêts. La en affirmant, de manière novatrice, qu’«  un coproprié-
cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 19 mars 2020 taire peut donner à bail les parties privatives de son lot,
infirmant la décision de première instance, décida alors indépendamment du droit de jouissance privative sur
que la jouissance de la cour litigieuse ne faisait pas partie les parties communes attachées à ce lot ». Elle reprend
de l’assiette du bail souscrit entre les parties et débouta ensuite à son compte les appréciations souveraines des
le locataire de toutes ses demandes. La Cour de cassation juges du fond, selon lesquelles « il ressortait des termes
fut alors saisie par le preneur de la question de savoir s’il mêmes du contrat de bail que les bailleurs n’avaient pas
était possible de donner à bail un lot de copropriété, en entendu conférer à leur locataire le droit de jouissance
excluant de la jouissance offerte au locataire moyennant le sur la cour de l’immeuble ». La dissociation entre le lot de
paiement d’un loyer, le droit accessoire de jouissance pri- copropriété et son accessoire, ainsi consacrée en matière
vative sur la cour, partie commune de l’immeuble soumis
au statut de la copropriété des immeubles bâtis.
3. Le pourvoi. Plusieurs arguments au soutien du pourvoi
(1) V. C. civ., art. 1134 anc., auj. v. C. civ., art. 1194 et C. civ., art. 1193 dans leur
furent alors présentés par le preneur. Celui-ci s’appuyait
rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
(2) C. civ., art. 1108.

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Jurisp rud e n ce

de bail, porte en elle une vision du droit du copropriétaire tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux (8). Il
opposée à celle du preneur. y a naissance de la copropriété au sens de l’article 1 de la
loi du 10 juillet 1965 dès lors que la propriété des lots d’un

“ 
immeuble à usage total ou partiel d’habitation est répartie
La dissociation entre le lot entre au moins deux personnes.
de copropriété et son accessoire porte 6. Le lot et son accessoire – le droit de jouissance priva-
tive sur une partie commune. Par ailleurs, il est possible,
en elle une vision du droit en fonction de la configuration matérielle des lieux et des
du copropriétaire opposée à celle besoins pratiques, de rattacher à un lot de copropriété


un droit de jouissance privative portant sur une partie
du preneur commune de l’immeuble qui en constituera l’accessoire.
C’était le cas en l’espèce, puisqu’au lot litigieux était at-
La troisième chambre civile de la Cour de cassation met taché un droit réel sui generis (9) de cette nature portant
ainsi l’accent sur la prérogative individuelle du coproprié- sur une partie commune de l’immeuble, par là même
taire bailleur sur les parties privatives de son lot (I), ce «  affectée à l’usage ou à l’utilité exclusifs du lot  » en
qui lui permet de justifier la primauté de sa volonté dans question, selon le critère légal tiré de l’article 6-3 de la loi
la définition contractuelle de l’étendue de la jouissance du 10 juillet 1965 (10). Cet article, introduit par la loi ELAN
conférée au locataire par le bail, même quand il concerne du 23 novembre 2018 (11), consacre désormais l’existence
un bien soumis au statut de la copropriété (II). des parties communes à jouissance spéciale et impose la
nécessaire mention expresse de leur existence dans le
I. DROIT DU COPROPRIÉTAIRE DE LOUER règlement de copropriété, obligeant par là même à une
LES SEULES PARTIES PRIVATIVES DU LOT mise en conformité des règlements de copropriété n’en
5. Le lot, essence de la copropriété. Il convient tout faisant pas état (12). Même réservées à la jouissance d’un
d’abord, pour éclairer l’objet du litige et le raisonne- seul lot, et non rattachées à une personne, ces parties
ment du preneur, de rappeler que la notion juridique de communes à jouissance privative envisagées par l’ar-
lot est au cœur de la définition légale de la copropriété ticle 6-3 de la loi de 1965 (13) appartiennent indivisément
des immeubles bâtis (3), et à la base de la division juri-
dique  (4) de l’immeuble qui caractérise la copropriété.
Elle en constitue l’essence : il ne peut en effet exister de
copropriété au sens de la loi du 10 juillet 1965 sans lot, et (8) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 3 : « Sont communes les parties des bâtiments
et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de
réciproquement, toute copropriété au sens de cette loi est plusieurs d’entre eux. »
nécessairement divisée en lots respectant la définition lé- (9) Ce droit est, pour la jurisprudence, non pas un droit de propriété mais un
gale et d’ordre public (5) donnée par l’article 1, alinéa 2, de droit réel perpétuel (sauf si le droit de jouissance est accordé de façon tempo-
ladite loi, selon lequel : « Le lot de copropriété comporte raire) et un droit réel sui generis : à propos d’une place de stationnement qua-
obligatoirement une partie privative et une quote-part lifiée de partie commune et assorties de tantièmes, Cass. 3e civ., 6 juin 2007,
de parties communes, lesquelles sont indissociables. » n° 06-13477 : JCP 2007, I 197, obs. H. Périnet-Marquet – Cass. 3e civ., 2 déc.
2009, n° 08-20310 : JCP 2010, Chron. 336, obs H. Périnet-Marquet. Un droit
Suivant la même logique, l’article 6 de cette même loi, ar-
de jouissance exclusive sur une partie commune n’est pas un droit de propriété
ticle également d’ordre public, prévoit aussi ce caractère et ne peut constituer la partie privative d’un lot. V. J. François, « Qu’est-ce qu’un
indissociable (6) : « Les parties communes et les droits qui droit réel de jouissance spéciale ? », D. 2019, p. 1660 ; B. Kan-Balivet, « La
leur sont accessoires ne peuvent faire l’objet, séparément nature juridique du droit de jouissance exclusif sur les parties communes »,
des parties privatives, d’une action en partage ni d’une Defrénois 30 sept. 2008, n° 38825, p. 1765 et s.
licitation forcée. » Il ne peut donc exister de lot constitué (10) V. L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 6-3 : « Les parties communes à jouissance
exclusivement soit de partie privative réservée à l’usage privative sont les parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité exclusifs
d’un lot. »
exclusif d’un copropriétaire déterminé (7), soit de quote-
(11) L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l’aména-
part de partie commune affectée à l’usage ou à l’utilité de gement et du numérique : JO, 24 nov. 2018.
(12) Avant la loi ELAN, ce droit de jouissance exclusif pouvait résulter du règle-
ment de copropriété ou d’une décision d’assemblée générale à la majorité de
l’article 26, soit à l’unanimité en cas d’atteinte à la destination de l’immeuble
(3) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 1. ou encore d’une usucapion. La mise en conformité du règlement de copro-
(4) Le lot constitue une structure de division d’un immeuble bâti (immeuble par priété (RCP) avec l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965 et l’exigence d’une
nature) qui relève de la notion plus large de fraction d’immeuble désignant une mention expresse de ces parties dans le RCP, imposaient aux syndics de
division d’immeuble ne s’appliquant pas à la propriété du sol et ne comportant copropriété de faire voter cette question à l’assemblée générale à la majorité
pas de changement de limites. D., 4 janv. 1955, art. 7, al. 3. Sur cette fraction de l’article 24 de la loi de 1965 d’ici le 23 novembre 2021. V. la préconisation
s’exercent ou peuvent s’exercer des droits réels concurrents. n° 13 du 16 septembre 2021 du GRECCO sur le report nécessaire de la date
(5) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 43. limite de mise en conformité.
(6) Pour éviter les difficultés qui naîtraient d’une modification de la composition (13) L’article 6-3, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1965 indique par ailleurs que le
des lots, la loi a prévu, pour les besoins de la publicité foncière, une rupture dans « règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire
l’indivisibilité des parties privatives et de la quote-part de parties communes. de ce droit de jouissance privative supporte. Des quotes-parts de charges de
V. art. 6-1 de la loi de 1965. On a aussi voulu éviter que les droits soumis à conservation, d’administration ou d’entretien des parties communes pour-
publicité foncière tels que les hypothèques ou les privilèges ne grèvent tout le ront donc être mises à la charge du titulaire du droit de jouissance exclusif ».
lot, mais seulement les parties privatives : C. civ., art. 2148-1. V. encore C. civ., À défaut d’une telle prévision, « les charges correspondant à l’emplacement sur
art. 2217 s’agissant de la publication du commandement de saisie immobilière. lequel un copropriétaire bénéficie d’une jouissance privative seront réparties
Il est, de ce fait, possible de purger les inscriptions d’hypothèques et des privi- entre tous les copropriétaires proportionnellement aux valeurs relatives des
lèges grevant les lots. parties privatives comprises dans leurs lots, alors même qu’ils n’en ont pas eu la
(7) L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 2 : « Sont privatives les parties du bâtiment et jouissance ». Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance du
des terrains réservées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé. » 30 octobre 2019 : JO, 31 oct. 2019.

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à tous les copropriétaires de l’immeuble, et le droit de le bail n’avait pas, semble-t-il, conféré la jouissance de la
jouissance privative est nécessairement accessoire au lot cour litigieuse à un tiers.
de copropriété auquel il est rattaché, sans pouvoir consti-

“ 
tuer la partie privative d’un lot (14). En l’espèce, le droit de
jouissance exclusive litigieux portait sur une cour, partie La Cour de cassation consacre
commune de l’immeuble. le droit du copropriétaire de donner
7. Le lot objet de propriété et objet des actes juridiques
du copropriétaire (le pourvoi). Le locataire, auteur du à bail les seules parties privatives
pourvoi, se rattachait à cette notion juridique de lot de de son lot, indépendamment du droit
copropriété en tant qu’« entité particulière » (15) réalisant
la « synthèse juridique » des éléments parties communes de jouissance privative sur les parties


et parties privatives (16) et objet du droit du copropriétaire, communes
droit autonome et unique figurant dans son patrimoine et
dont il peut disposer (17). Le preneur invitait ainsi à envisa-
ger le lot comme l’objet des opérations juridiques décidées 8. La dissociation, par le copropriétaire bailleur, du lot et
par le copropriétaire, qu’il s’agisse de le vendre, de l’hypo- de son accessoire. La troisième chambre civile de la Cour
théquer, de le donner ou, comme en l’espèce, de le louer. de cassation ne suit pas le preneur dans son raisonnement
La spécificité du lot et l’unité du droit de propriété (18) dont et décide de ne pas admettre l’impossible dissociation du
il est l’objet devaient dès lors avoir pour conséquence que lot et de son accessoire que soutenait le preneur. Elle
sa cession porte sur tout le lot et non sur l’un de ses élé- consacre ainsi le droit du copropriétaire de donner à bail
ments ou accessoires. En l’espèce, le locataire soutenait les seules parties privatives de son lot, indépendamment
qu’il devait en être de même de la location du lot qui devait du droit de jouissance privative sur les parties communes
concerner le lot dans son ensemble. Selon lui, le lot de attachées à ce lot. S’appuyant implicitement sur la concep-
copropriété auquel est rattaché un droit de jouissance pri- tion dualiste des droits du copropriétaire, apparemment
vative sur une partie commune ne pouvait être cédé ni loué consacrée dans l’article 2 de la loi du 10 juillet 1965 aux
sans ce droit. Le preneur tentait ainsi d’imposer une vision termes duquel les parties privatives sont la propriété ex-
unitaire du droit du copropriétaire sur son lot indépen- clusive de chaque copropriétaire et dans son article 4 se
damment de la nature de l’opération juridique réalisée. référant aux parties communes objet de la propriété indi-
Il voyait dès lors, dans la possible dissociation et cession vise entre l’ensemble des copropriétaires ou seulement
autonome (19) du droit de jouissance privative accessoire du certains d’entre eux, la troisième chambre civile décide
de mettre l’accent sur la prérogative individuelle du co-
lot de son titulaire, une violation de l’article 6-3 de la loi de
propriétaire qui peut choisir de donner à bail les seules
1965 relatif aux parties communes à jouissance spéciale.
parties privatives de son lot, à l’exclusion du droit de jouis-
Il tentait ainsi de se glisser dans le sillage d’un précédent
sance privative rattaché à titre accessoire au lot dont il
jurisprudentiel ayant décidé, en présence d’un règlement
peut conserver l’utilité en tant que propriétaire. Est ainsi
de copropriété instituant un droit de jouissance exclusif et
précisée l’étendue des prérogatives du copropriétaire à
particulier comme dépendance directe de locaux en rez-
l’occasion du bail et assurée la primauté de la volonté du
de-chaussée bordant un passage, que ce droit ne pouvait
bailleur sur la logique unitaire du lot.
être vendu séparément de ces locaux ni loués à un tiers (20).
En l’espèce la situation était quelque peu différente car II. LIBRE DÉLIMITATION CONTRACTUELLE,
PAR LE COPROPRIÉTAIRE BAILLEUR,
DE L’ÉTENDUE DE LA JOUISSANCE
DU LOCATAIRE
(14) V. J. François, « Qu’est-ce qu’un droit réel de jouissance spéciale ? », D. 2019, 9. Liberté du copropriétaire-bailleur de limiter l’assiette
Chron., p. 1660, de la jouissance du locataire. Par la dissociation du lot
(15) F. Terré et P. Simler, Précis Droit des biens, 10e éd., 2018, Dalloz, n° 631.
(16) F. Terré et P. Simler, Précis Droit des biens, 10e éd., 2018, Dalloz, n° 631.
de copropriété et de son accessoire, la troisième chambre
(17) Sur cette image du droit du copropriétaire sur le lot et son analyse en droit civile de la Cour de cassation vient ici interpréter le droit
de propriété sur le lot, voire en droit réel de type nouveau. V. P. Capoulade, de la copropriété à l’aune des besoins du droit contractuel
D. Tomasin (dir.), La copropriété 2021-2022, 2021, Dalloz, nos 224-13 et s., marqué par le principe de la liberté, appliqué en l’espèce
spéc. n° 224-15 ; W. Dross, RTD civ. 2014, p. 907 ; F. Bayard-Jammes, La au bail, cette convention par laquelle le bailleur confère au
nature juridique du droit du copropriétaire immobilier, analyse critique, thèse, locataire un droit de jouissance exclusive sur une chose
2003, LGDJ, n° 329. moyennant le paiement d’un loyer (21). Le droit du locataire
(18) P. Capoulade, D. Tomasin (dir.), La copropriété 2021-2022, 2021, Dalloz,
n° 224-14.
naît du contrat de bail et de l’exécution de ce contrat par
(19) Par le passé, une jurisprudence a pu considérer que le droit de jouissance le bailleur. Le droit ainsi conféré au locataire est un droit
privatif ne pouvait être dissocié des autres éléments du lot, ni par une déci- personnel qui lui permet d’exiger du bailleur la jouissance
sion majoritaire de l’assemblée générale, ni par l’effet d’une décision de jus- temporaire du bien loué. En effet, le bailleur ne trans-
tice : CA Paris, 5 févr. 1990, n° 87/4471 : Juris-data 020300 ; Loyers et copr. fère pas au preneur un droit réel qui lui aurait conféré un
1990, comm. 185 ; JCP N 1990, II 168. Comp. Cass. 3e civ., 17 déc. 2013, pouvoir direct et immédiat sur une chose s’exerçant sans
n° 12-23670 : Defrénois 15 mai 2014, n° 116b2, p. 493, obs. L. Tranchant :
l’entremise de quiconque. Il consent à perdre certaines
le droit de jouissance privative attaché par le règlement de copropriété à un lot
ne peut être cédé en tout ou en partie qu’avec l’accord du syndicat de copro-
priétaires.
(20) Cass. 3e civ., 25 janv. 1995, n° 92-19600 : RDI 1995, p. 370, obs. P. Capou- (21) V. C. civ., art. 1709 : le bail ou louage de chose est « le contrat par lequel une
lade et C. Giverdon – CA Paris, 16 févr. 2006, n° 05/08935 : Loyers et copr. des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps et
2006, p. 138 ; AJDI 2006, p. 472. moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ».

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prérogatives de propriétaire, notamment celle de l’exclu- au bailleur, en l’espèce copropriétaire dans un immeuble
sivité de la jouissance. Désormais c’est le locataire qui soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis,
aura l’exclusivité de la jouissance que le bailleur doit de préciser dans le bail l’assiette de la jouissance conférée
lui assurer pendant le temps du contrat, du moins sur au locataire. Il lui est reconnu le droit de ne conférer que
l’assiette précise dont il a bien voulu concéder la jouis- la seule jouissance de la partie privative de son lot, et celui
sance. Le droit conféré au locataire consiste dans un de conserver l’usage de la cour commune objet d’un droit
droit d’usage de la chose et dans le droit d’en percevoir de jouissance privative qu’il peut se réserver. Il n’y a donc
les fruits, parce que la consommation des fruits n’altère pas d’automaticité de la mise à disposition du locataire de
pas la substance de la chose, du moins si ce dernier droit la cour objet d’un droit de jouissance privative en vertu du
lui a bien été accordé par le bailleur. Le locataire n’a, par règlement de copropriété. C’est au bailleur à en décider
hypothèse, qu’une jouissance limitée dans le temps, elle au moment du contrat en fonction de son intérêt et de ses
n’est pas perpétuelle, ce qui va encore la distinguer d’un besoins, ce qui, en pratique, peut se rencontrer en par-
droit réel. Le bailleur a la liberté de définir l’étendue de la ticulier dans les immeubles anciens, quand par exemple
jouissance des lieux loués qu’il entend offrir au locataire. le bailleur entend se réserver un réduit de palier, partie
Cette délimitation de l’objet du droit du locataire est d’ail- commune à jouissance exclusive.
leurs issue d’une clause du bail tenant à la désignation des 11. La question de la location ou de la cession à un tiers
locaux, espaces extérieurs et équipements d’usage privatif du droit réel de jouissance privative. Si la décision précise
dont le locataire a la jouissance exclusive (22), ce qui per- utilement que le droit de jouissance privative attaché au
mettra de vérifier la correcte exécution de l’obligation de lot n’est pas nécessairement inclus dans l’assiette du bail,
délivrance de la chose par le bailleur, et de rechercher la elle fait naître des interrogations liées aux actes juridiques
responsabilité contractuelle du locataire en cas de dégra- que le copropriétaire pourrait songer à réaliser sur ce
dations dans les espaces dont il a la jouissance exclusive. droit qu’il s’est a priori réservé. Le copropriétaire pourrait-
En l’espèce, une clause dudit bail commercial décrivait le il ainsi, en vertu de son droit de jouissance privative sur
local de pharmacie et énonçait, par une formule de style, une partie commune, envisager de mettre cette dernière
que « les lieux décrits s’étendent et se poursuivent sans à disposition d’un tiers indépendamment de la location de
qu’il soit besoin d’en faire plus ample description », ce la partie privative du lot ? Pourrait-il encore céder à un
qui sous-entendait dès lors, pour l’auteur du pourvoi, une tiers ce droit réel de jouissance privative accessoire à son
étendue de la jouissance plus large que celle retenue par lot ? Même si la Cour de cassation ne se prononce pas
les juges du fond et devant, selon lui, englober la cour sur ces points, le droit de réaliser des opérations de ce
litigieuse. genre pourrait être revendiqué par des copropriétaires
10. Interprétation souveraine des clauses contractuelles. désireux de tirer profit du seul droit de jouissance sur une
L’interprétation du contrat relevant du pouvoir souverain partie commune. Cela supposerait toutefois que l’accès à
du juge du fond sous réserve du contrôle de la dénatu- la partie commune à jouissance privative puisse se faire
ration des clauses claires et précises dudit contrat, la de manière indépendante et que le règlement de copro-
troisième chambre civile de la Cour de cassation ne revient priété ne vienne pas limiter les droits du copropriétaire
pas sur l’appréciation qui en a été faite par l’arrêt d’appel en se fondant sur la destination de l’immeuble. Les pré-
ayant considéré que la jouissance de la cour ne faisait pas rogatives reconnues à tout titulaire d’un droit réel, sauf à
partie de l’assiette du bail, puisqu’elle a été exclue par la ce qu’il soit doté d’une affectation personnelle empêchant
volonté du bailleur et par l’acceptation du contrat par le sa circulation – comme c’est le cas avec un simple droit
locataire. Même si, en l’espèce, le bail était commercial, d’usage et d’habitation limité aux besoins personnels de
la solution posée par la troisième chambre civile l’est en son titulaire et de sa famille –, vont dans le sens d’une
termes généraux, par référence au bail, sans égard à son possible circulation du droit en question, restant à savoir
régime spécifique éventuel. Elle a donc vocation à s’appli- à quelles conditions. Si l’on suit un précédent jurispru-
quer aux baux de droit commun soumis au Code civil ou dentiel, il semblerait que le droit de jouissance privative
aux baux soumis à une législation spéciale. La troisième attaché au lot par le règlement de copropriété puisse être
chambre civile assure ainsi la primauté de la délimitation cédé en tout ou en partie avec l’accord du syndicat des
contractuelle de la jouissance sur l’unité du lot de copro- copropriétaires (23).
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priété, tel que le prévoit le règlement de copropriété. C’est

(22) Certaines législations spéciales comme celle du bail d’habitation imposent


que soient prévues dans le contrat-type de location : la détermination de la
consistance, celle de la destination de la chose louée et de la surface habitable, (23) Comp. Cass. 3e civ., 17 déc. 2013, n° 12-23670 : Defrénois 15 mai 2014,
ainsi que la désignation des locaux et équipements d’usage privatif dont le n° 116b2, p. 493, obs. L. Tranchant : le droit de jouissance privative attaché
locataire a la jouissance exclusive et, le cas échéant, l’énumération des parties, par le règlement de copropriété à un lot ne peut être cédé en tout ou en partie
équipements et accessoires de l’immeuble qui font l’objet d’un usage com- qu’avec l’accord du syndicat de copropriétaires. En ce sens : LEDIU nov.2021,
mun : L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 3. n° 200j6, p. 4, obs. G. Gil.

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