Vous êtes sur la page 1sur 2

Ligue des droits de l'Homme

le 18 mars 2021
La chargée de campagne "Même sol : même droit, même voix"

Note à l'attention des députés membres de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République.

Objet : Établir le droit de vote des étrangers

La présente note a donc pour objet de rappeler un état des lieux du statut discriminatoire injustifié des étrangers et sa
contingence (I), afin de proposer d'établir une réelle citoyenneté de résidence non plus fondée sur la nationalité (II).
***

I. — Le statut discriminatoire injustifié et contingent des étrangers non-communautaires


UNE ÉTUDE DE DROIT COMPARÉ QUI RELATIVISE LES PRÉJUGÉS

Les étrangers non-communautaires sont électeurs et éligibles aux élections locales, sous une condition de durée de
résidence variant entre trois et cinq ans : en Irlande depuis 1963 ; en Suède depuis 1975 ; au Danemark depuis 1981 ; aux
Pays-Bas depuis 1985 ; en Estonie depuis 1993 ; en Finlande depuis 1996 ; en Slovénie et en Lituanie depuis 2002. Ils
sont électeurs mais non-éligibles : au Luxembourg depuis 2003 et en Belgique depuis 2004 ; ainsi que, sous réserve de
réciprocité, en Espagne, au Portugal, en République tchèque et à Malte.

Hors de l'Union européenne, les résidents étrangers ont le droit de vote, et parfois d'éligibilité, aux élections municipales
en Norvège, en Islande, dans quelques cantons suisses, dans l’État du Maryland, en Argentine, en Uruguay, au Pérou, au
Venezuela, ou encore au Burkina Faso. Au Chili et en Nouvelle-Zélande, ils sont électeurs, mais non éligibles, aux
scrutins locaux et nationaux.

Une brèche introduite : depuis la réforme constitutionnelle qui a suivi l’adoption du traité de Maastricht, nationalité et
citoyenneté sont bel et bien dissociées.
Depuis 1992, les résidents étrangers de pays membres de l'Union européenne bénéficient du droit de vote et d’éligibilité
aux élections européennes et municipales en vertu de leur citoyenneté européenne. On ne peut traiter différemment le
ressortissant de l'Union européenne et l'étranger non européen, tous deux installés durablement sur notre territoire.
L'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame : « Les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Ce texte est intégré au préambule de la Constitution de la Ve
République.
Une inégalité de droits est pourtant consacrée par cette même Constitution, puisque les résidents étrangers non-
communautaires vivant en France sont exclus du droit de vote. La reconnaissance du droit de vote aux étrangers
communautaires résidant dans notre pays a créé une rupture d’égalité entre étrangers et conduit à stigmatiser davantage
encore les personnes venant de pays extérieurs à l’Union européenne.
Aujourd'hui, les Français pourraient être plus ouverts à cette question, car ils comprennent que la réussite du pacte
républicain passe par le renforcement de l'intégration, qui s'effectuera par une citoyenneté pleine. En 2017, 56% des
Français se déclarent favorables à l’extension du droit de vote aux élections municipales et européennes aux étrangers
non-européens vivant sur le territoire français.1

II. — POUR UNE CITOYENNETÉ DE RÉSIDENCE

A) LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE


Les partisans du droit de vote des étrangers proposent une conception plus ouverte de la communauté politique à partir
des hommes et des femmes qui la composent effectivement, et reconnaissent donc une citoyenneté de résidence,
dissociée de la nationalité. Pour eux, la Cité ne se limite pas à la seule nation, elle est multiple dans ses échelons et ses
imbrications, comme sont multiples les formes de participation à la vie politique.

Une modification constitutionnelle est donc nécessaire pour mettre en œuvre cette proposition. Elle peut se faire selon
plusieurs modalités. Le choix retenu a été d’insérer un nouvel article dans le titre XII de la Constitution relatif aux
1 Le regard des Français sur le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales - France
collectivités territoriales plutôt que de modifier son article 3, qui figure dans le titre relatif à la souveraineté. En effet, il
ne s’agit pas de remettre en cause la notion de souveraineté, mais de faire évoluer notre conception de la citoyenneté.
Une loi organique décidera des modalités, notamment de la condition de résidence, qui devrait être de cinq ans.

« Art. 72-5. – Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux étrangers non
ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni
participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique détermine les
conditions d’application du présent article.»

À présent, le projet de révision de la Constitution doit être voté par chacune des deux assemblées en termes identiques ;
mais le texte est resté lettre morte au stade de deuxième lecture à l'Assemblée Nationale. Après cette adoption par les
deux assemblées, le Président aura le choix soit de faire valider la révision par référendum, soit de la faire valider par le
Parlement convoqué en Congrès (majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés requise). Pour le réinscrire à
l'ordre du jour, il est proposé que le groupe socialiste, communiste ou insoumis le fasse dans le cadre de sa "niche".

B) Modalités d'application :

Les étrangers extra-communautaires en âge de voter représenteraient une population de l’ordre de 1,84 million
d’individus2. En supposant un taux d’inscription sur les listes électorales de 25 %, la proposition de loi constitutionnelle
précitée estimait à 460 000 le nombre d’électeurs supplémentaires. Cette même proposition de loi estimait en outre que
les étrangers en âge de voter représenteraient en moyenne 3,74 % de la population en âge de voter totale. 3

Si le refus du Sénat est un obstacle majeur, est-il insurmontable ?


Le Sénat a déjà joué un rôle retardataire dans l’évolution de la démocratie
en refusant le droit de vote des femmes. Mais des moyens légaux ont été
trouvés pour dépasser les obstacles parce que la volonté politique existait.
Ce qui prouve bien que ni le Sénat, ni la Constitution ne sont des
arguments décisifs, et le texte a déjà été adopté en première lecture par le
Sénat en 2011 avec 173 pour et 166 contre.

Une pétition pour inscrire le droit de vote aux étrangers à l'ordre du


jour du Sénat? Nous proposons que cette revendication fasse l'objet d'une
pétition sur le site du Sénat, comme pour le vote de la désolidarisation des
revenus du conjoint de l'AAH qui a dépassé les 100.000 signatures, la
première à atteindre ce seuil conditionnant la possibilité d’une inscription à
l’ordre du jour de la chambre haute.

De multiples initiatives peuvent être prises.


Les associations sont ici au premier rang : pour faire signer la
pétition en faveur du droit de vote, pour promouvoir la notion de
citoyens-résidents, pour aider les jeunes à prendre conscience du
pouvoir de sanction dont ils disposent face aux maires, afin de
favoriser l’octroi du droit de vote à leurs parents plutôt que de
s’enfermer dans une abstention de solidarité, pour organiser un
vote parallèle de résidents étrangers.

Le rôle des maires : mettre en place des structures de concertation pour


les personnes encore exclues du droit de vote et d’éligibilité. La Commission consultative des services publics locaux – une
instance obligatoire – réunit, par exemple, des usagers sous la présidence du maire. On peut y inclure des étrangers. Des structures
plus spécifiques ont pu être mises en place comme les "Conseils consultatifs des étrangers" ou les initiatives de "conseillers
municipaux associés", conseils de quartier, des conseils de sages, des conseils de jeunes ou d’autres organes participatifs
Accompagner la réforme d'une campagne d'information et d'inscriptions sur les listes électorales à mener avec les
élus locaux et le gouvernement

2 Selon le rapport sur la proposition de loi constitutionnelle (N° 2223) de M. Jean-Marc Ayrault, Mme
Sandrine Mazetier et M. Manuel Valls visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections
municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France
3 https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/Primaires-2016-2017/fiche-droit-de-vote-des-
etrangers.pdf#page=7

Vous aimerez peut-être aussi