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Section 3 

: Le Parlement

A la différence des troisième et quatrième Républiques, qui avaient donné lieu à des
périodes de domination du Parlement, de parlementarisme absolu pour reprendre la
formule de Carré de Malberg, la Ve République se démarque en ce qu’elle envisage un
affaiblissement du Parlement. Cet affaiblissement procède de trois grands facteurs. En
premier lieu, il est formel en ce que la Constitution de 1958 place le Parlement après le
Président de la République et le Gouvernement dans l’ordre du texte. En second lieu,
la Constitution montre un encadrement de l’organisation et du fonctionnement des
assemblées parlementaires. En troisième lieu, l’évolution politique de la V e
République, par l’effet du fait majoritaire, a conduit à une forme de soumission des
parlementaires à la décision présidentielle. Pour autant, des réformes législatives et
constitutionnelles ont été adoptées pour accroître ses pouvoirs, mais elles n’ont eu,
pour l’instant, et malgré le sursaut du Sénat dans son activité de contrôle du pouvoir
exécutif, qu’un effet limité.
Pour rendre compte de ce constat, il faut dissocier l’étude de l’organisation du
Parlement (I), de celle de ses fonctions (II).

I- L’organisation du Parlement

La Constitution encadre tout à la fois le bicamérisme propre au Parlement (A), le


fonctionnement des assemblées parlementaires (B) et, enfin, le statut des
parlementaires afin de garantir leur indépendance (C).

A- Le bicamérisme

Le bicamérisme mis en place par la Constitution de 1958 se signale d’emblée par son
caractère inégalitaire. L’Assemblée nationale et le Sénat, discutent, votent certes
conjointement la loi et contrôlent l’action du Gouvernement. Néanmoins, l’Assemblée
nationale prime en ce qu’elle dispose du dernier mot en cas de désaccord sur le vote
d’une loi. Cette inégalité se justifie par les différences de scrutin caractérisant
l’élection des membres de chaque chambre. Si les députés sont élus au suffrage
universel direct, les sénateurs sont, quant à eux, élus au suffrage universel indirect.
Distinguons rapidement les deux chambres.
1- L’Assemblée nationale

L’Assemblée nationale, située au Palais Bourbon à Paris, est composée de 577


députées, nombre qui ne peut être excédé suivant l’article 24 C tel qu’il a été modifié à
la suite de la révision constitutionnelle de 2008. Parmi ces 577 députés, une grande
majorité est élue en métropole. Il faut ajouter les députés d’outre-mer et les onze

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députés des Français de l’étranger. Le renouvellement de cette chambre est intégral en
ce sens que les élections législatives sont organisées à date fixe pour tous les sièges. Le
mandat des députés est de cinq ans : cette période est dénommée « législature ».
Depuis juin 2017, la Ve République connaît sa quinzième législature. Le projet de
révision constitutionnelle entend diminuer le nombre de députés en faisant passer le
seuil du nombre de députés de 577 à 403. De plus, le projet fixe une interdiction de
cumul de mandats dans le temps. Les députés pourraient devoir se contenter de trois
mandats consécutifs.
En ce qui concerne le mode de scrutin pour l’élection des députés, il s’agit du scrutin
uninominal majoritaire à deux tours. Le processus se déroule ainsi : pour être élu dès le
premier tour, il faut obtenir la majorité absolue, c’est-à-dire plus de la moitié des
suffrages exprimés, et un nombre de suffrages au moins égal au quart des électeurs
inscrits au sein d’une circonscription. Si aucun candidat n’y parvient, il y a lieu de
procéder à un second tour de scrutin auquel ne peuvent se présenter que les candidats
ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % des
électeurs inscrits. Pour être élu au second tour, la majorité relative suffit : le candidat
ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages l’emporte. Les députés sont investis
d’un mandat national. Bien qu’élus dans une circonscription, chaque député représente
la Nation toute entière. L’article 27 de la Constitution précise que « tout mandat
impératif est nul ». Une telle formule se rapporte donc à la nature représentative du
mandat de parlementaire qui implique que les députés se déterminent librement dans
l’exercice de leur mandat et qu’ils ne sont juridiquement liés par aucun engagement.
Politiquement, c’est plus délicat : le député ne peut pas complètement se désintéresser
des vœux des électeurs de sa circonscription, s’il souhaite être réélu…
En principe, le mode de scrutin, notamment avec l’existence du seuil pour accéder au
second tour, favorise la bipolarisation de l’Assemblée, c’est-à-dire l’existence de deux
pôles politiques opposés : la droite et la gauche. Toutefois, les élections législatives de
juin 2017 ont bouleversé la donne, puisque le centre politique n’a jamais été aussi
puissant : la majorité La République en Marche dispose de 314 députés auxquels il
faut ajouter les 47 députés Modem qui sont affiliés. En juin 2022, la majorité du
groupe présidentiel Renaissance n’est que relative, avec un total de 250 députés. On
précisera que dans le cadre des projets de révision constitutionnelle de 2018 et 2019, il
était envisagé de modifier ce scrutin afin d’y introduire une dose de proportionnelle
pour l’élection de 15 % des députés. Se pose la question du choix des circonscriptions
qui seraient soumises à la représentation proportionnelle. Une telle réforme aurait, quoi
qu’il en soit, pour effet d’atténuer encore davantage la bipolarisation historique de
l’Assemblée nationale.
Au sein de l’Assemblée nationale, un président est élu par les députés au début de
chaque législature, à la majorité absolue des suffrages exprimés aux deux premiers
tours, puis à la majorité relative au troisième et dernier hypothétique tour. Après le

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remaniement de septembre 2018, c’est Richard Ferrand qui a été élu Président de
l’Assemblée nationale. Depuis 2022, il s’agit de Madame Yaël Braun-Pivet. Cette
élection est le plus souvent une nomination décidée en amont par le Président de la
République et que la majorité parlementaire se contente de valider par un vote. D’un
point de vue protocolaire, il est à la troisième position derrière le chef de l’Etat et le
Président du Sénat. Du point de vue de ses compétences, le Président de l’Assemblée
nationale assure la direction des débats, mais il dispose également de la faculté de
nommer trois membres du Conseil constitutionnel et de le saisir à l’occasion du
contrôle de constitutionnalité a priori de la loi. En outre, il nomme certains membres
du Conseil supérieur de la magistrature.

2- Le Sénat

Cette chambre, située au Palais du Luxembourg, est composé de sénateurs dont le


nombre est limité, toujours suivant l’article 24 C., à 348 sénateurs. Leur mandat est de
six ans. A la différence de l’Assemblée nationale, le Sénat fait l’objet d’un
renouvellement partiel, plus précisément par moitié tous les trois ans. Là aussi, le
projet de révision constitutionnelle prévoyait de réduire de 30% le nombre de
sénateurs et de limiter, comme pour les députés, le nombre de mandats successifs à
trois. S’agissant du mode de scrutin, les sénateurs, en tant qu’ils représentent les
collectivités territoriales de la République, sont élus au suffrage universel indirect,
dans le département, par un collège de grands électeurs. Ce collège comprend, à
l’échelle du département, les députés, les conseillers régionaux, les conseillers
départementaux et surtout les conseillers municipaux qui sont les plus nombreux. Si le
département élit moins de quatre sénateurs, le scrutin sera majoritaire, uninominal ou
de liste. S’il élit plus de quatre sénateurs, le scrutin sera proportionnel.
Le Président du Sénat est élu à chaque renouvellement partiel, dans les mêmes
conditions que celui de l’Assemblée nationale. Protocolairement, il prime sur le
Président de l’Assemblée nationale, dans la mesure où il assure l’éventuel intérim de la
présidence de la République. De plus, il nomme également trois membres du Conseil
constitutionnel et peut le saisir à l’occasion du contrôle de constitutionnalité d’une loi.
Si le Sénat dispose d’un pouvoir législatif, il est perçu comme une chambre de
réflexion, de pondération, qui, historiquement, suivant l’évolution du bicamérisme
britannique, pondère les ardeurs de la chambre basse qu’est l’Assemblée nationale.
C’est la raison pour laquelle le Sénat a souvent été perçu comme une chambre
conservatrice.
Le bicamérisme a souvent fait l’objet de critiques, notamment parce qu’il porterait
atteinte à l’unicité de la représentation nationale et serait vecteur de complexité dans la
procédure législative. Ces critiques ont été surmontées : non seulement parce la
représentativité du Sénat se justifie par le développement de la décentralisation

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territoriale et que son intervention peut être raccourcies par les procédures spéciales ou
accélérées que le Gouvernement maîtrise, mais aussi et surtout parce que le Sénat
constitue réellement un contre-pouvoir dans le contexte du fait majoritaire, lorsque la
majorité sénatoriale est opposée à la majorité parlementaire. Cela s’est constaté lors
des mandats de François Mitterrand, cela se constate aujourd’hui avec un Sénat qui
exerce pleinement sa mission de contrôle du pouvoir exécutif, sans pour autant
s’opposer systématiquement aux textes de loi émanant du Gouvernement ou de la
majorité parlementaire.

B- Le fonctionnement des assemblées

Afin d’éviter les dérives connues sous les troisième et quatrième Républiques, la
Constitution de 1958 a veillé à encadrer fortement le fonctionnement des assemblées
parlementaires. Ainsi, les règlements propres à chaque, qui étaient autrefois librement
adoptés par les parlementaires, sont désormais placés sous le contrôle du Conseil
constitutionnel (renvoi à la décision de 1959 au terme de laquelle le CC censure le
règlement de l’AN en ce qu’il permettait aux députés de mettre en jeu la responsabilité
politique du Gouvernement en dehors des dispositions de l’article 49 de la
Constitution). Si ces règlements, adoptés par une résolution et votés à la majorité des
suffrages exprimés, ont une valeur permanente et peuvent être modifiés (ils l’ont été
pour l’AN et le Sénat en 2017), ils sont obligatoirement et étroitement contrôlés par le
CC en vertu de l’article 61 de la Constitution, témoignant ici de l’entreprise de
rationalisation du parlementarisme initiée en 1958.

En ce qui concerne l’organisation du travail parlementaire, il a été également


rationalisé si l’on observe la tenue des sessions parlementaires. La Constitution prévoit
en effet trois types de session, les sessions étant les périodes pendant lesquelles le
Parlement peut siéger, et ainsi exercer ses fonctions de législation et de contrôle de
l’action du Gouvernement. Il faut en effet distinguer les sessions ordinaires, les
sessions extraordinaires et les sessions exceptionnelles. Auparavant, le Parlement
maîtrisait son calendrier. En 1958, dans le cadre de la rationalisation du
parlementarisme, il doit suivre des règles très précises pour se réunir.
En premier lieu, la session ordinaire ou principale, dont le régime a été assoupli après
la révision constitutionnelle de 1995, est prévu à l’article 28 de la Constitution. La
session ordinaire est depuis lors unique et d’une durée de 9 mois (auparavant, 2
périodes de 3 mois), entre octobre et juin. Toutefois, il ne s’agit d’une session
permanente, puisque le Parlement ne pourra siéger que 120 jours au maximum durant
cette période de 9 mois. Des séances supplémentaires pourront néanmoins se tenir à la
demande de la majorité des membres de chaque assemblée ou du PM, après
consultation du président de l’assemblée concernée. Pour autant, la révision de 1995

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ne renforce pas les pouvoirs du Parlement : elle a même, paradoxalement, permis au
Gouvernement d’étoffer son emprise sur le Parlement, puisque cette durée lui permet
de déposer davantage de textes.
En second lieu, les sessions extraordinaires sont encadrées strictement par l’article 29
de la Constitution qui impose qu’elles soient instaurées pour l’adoption d’un texte
donné, à la suite de la fixation d’un ordre du jour qui justifie la session extraordinaire,
les débats ne pouvant porter que sur cet ordre du jour. Les sessions extraordinaires
peuvent se tenir à la demande du PM, le Président de la République décidant ou non de
prendre un décret pour les ouvrir. Aucune limite de durée n’est fixée dans ce cadre et
le PM peuvent renouveler sa demande dès le lendemain de la clôture d’une session. A
l’inverse, lorsqu’elle émane des députés de l’Assemblée nationale – ce qui exclut les
sénateurs -, la possibilité de demander au Président de la République l’organisation
d’une session extraordinaire est conditionnée dans le temps : la session extraordinaire
ne peut en effet pas excéder 12 jours et un délai d’un mois doit au minimum séparer la
convocation de deux sessions extraordinaires dans ce cadre. Il s’agit d’éviter que soit
restaurer par ce bais la permanence de la session parlementaire.
Dans ces deux situations, le Président de la République est en principe tenu d’adopter
le décret : c’est une obligation formelle. Toutefois, De Gaulle a pu refuser de signer un
décret de convocation de session extraordinaire en 1960, comme François Mitterrand
en 1993, en période de cohabitation (loi Falloux). La plupart du temps, elles sont
réunies à la demande du PM. Elles ont été nombreuses lors de la dernière législature,
notamment dans le cadre de la prorogation de l’état d’urgence.
Enfin, en troisième lieu, la Constitution envisage des sessions exceptionnelles à
l’occasion desquelles les assemblées parlementaires se réunissent de plein droit. Cela
vise trois situations. Tout d’abord, l’Assemblée nationale se réunit de plein droit, à
l’occasion d’une session exceptionnelle de quinze jours, à la suite d’une dissolution
afin que la nouvelle Assemblée élue puisse procéder à sa nouvelle organisation.
Ensuite, le Parlement se réunit exceptionnellement de plein droit lorsque le Président
de la République décide de recourir à l’article 16 de la Constitution. Enfin, l’utilisation
de l’article 18 de la Constitution – le droit de message et de convocation du Parlement
en Congrès par le Président – peut nécessiter, si les chambres ne sont pas en session
ordinaire, la tenue d’une session exceptionnelle.
En dépit d’une exception relative au comité secret, les séances parlementaires sont
publiques, au nom du principe de publicité des débats parlementaires.
Pour clôturer ces développements sur le fonctionnement des assemblées
parlementaires, il faut évoquer les commissions parlementaires et les groupes
politiques. Les commissions jouent un rôle primordial dans l’examen des projets et
propositions de loi. Les groupes politiques harmonisent la ligne politique de chaque
parlementaire, suivant son groupe politique d’appartenance. Au sein des commissions
parlementaires, les commissions législatives se chargent en particulier de l’examen

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d’un texte de loi en projet, tandis que les commissions d’enquête se chargent d’une
enquête sur une affaire. Prévues par l’article 43 C., ces commissions sont un rouage
essentiel du travail parlementaire. Parmi ces commissions, les commissions dites
permanentes occupent une place centrale. Depuis la révision constitutionnelle de 2008,
elles sont au nombre de 8 dans chaque assemblée (auparavant, il y en avait 6).
Spécialisées dans un domaine (affaires économiques, affaires sociales, affaires
étrangères, éducation…), elles sont obligatoirement sollicitées lorsque le
Gouvernement dépose un projet de loi. Elles facilitent ainsi la discussion parlementaire
consécutive, en proposant d’emblée des amendements au texte. Elles sont composées
en fonction de la proportion de représentants de chaque parti au sein de l’une des
assemblées. C’est donc le fruit d’un accord entre les groupes politiques et leurs poids
respectifs dans les assemblées. Si des commissions spéciales peuvent être créées, il
faut mentionner, actualité oblige, les commissions d’enquête parlementaires, qui sont
prévues par l’article 51-2 de la Constitution. Chaque assemblée peut créer en son sein
des commissions d’enquête afin de recueillir des éléments d’information et de les
porter à la connaissance de l’assemblée Ces enquêtes peuvent porter sur la gestion
d’un service public ou des faits déterminés et particulièrement graves. Elles n’ont
qu’une durée maximum de six mois.
Par ailleurs, le fonctionnement des assemblées repose sur l’existence de groupes
politiques regroupant des parlementaires partageant des opinions politiques et
appartenant le plus souvent au même parti politique. Apparus au début du XXe siècle,
les groupes politiques sont consacrés par l’article 51-1 C. à la suite de la révision
constitutionnelle de 2008. Il s’agit de coordonner les positions politiques dans le cadre
de l’opposition paradigmatique entre la majorité et l’opposition, cette dernière étant de
plus en plus divisée et morcelée, particulièrement à gauche.

C- Le statut des parlementaires

Depuis la loi organique du 11 octobre 2013, adoptée à la suite de l’affaire Cahuzac, le


gouvernement Ayrault a décidé de renforcer le contrôle des déclarations patrimoniales,
notamment celles des parlementaires. Comme les ministres, il en ressort que les
parlementaires sont tenus de communiquer, dans les deux mois suivant leur entrée en
fonction, une déclaration de leur situation patrimoniale à la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique, qui peut vérifier l’exactitude, l’exhaustivité et la
sincérité de ces déclarations à l’aide de l’administration fiscale. La nouveauté est que
ces déclarations sont rendues publiques. Si l’on met de côté le traitement des
parlementaires, leur statut se spécifie, en raison de la nature indicative de leur mandat
qui ne les lie pas à leurs électeurs et de leurs fonctions dévolues à la recherche de
l’intérêt général, par un régime d’incompatibilités et un régime d’immunités
particulières.

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1- Les incompatibilités

La question des incompatibilités a pris une tournure sensible à la suite de l’affaire


Cahuzac. Elle se rapporte à une recherche de moralisation de la vie politique qui a
donné naissance à un code de déontologie adopté par l’Assemblée nationale, puis à un
déontologue de l’Assemblée nationale chargé de recevoir les déclarations d’intérêts
des parlementaires et de conseiller les députés. Une loi organique du 14 février 2014
est venue encadrer, à la suite, les règles de non-cumul des mandats. Si le Code
électoral proscrit qu’un député soit simultanément un sénateur (art. LO 137). De 2000
à 2017, le mandat parlementaire était incompatible avec l’exercice de plus d’un
mandat exécutif local particulier (conseiller, départemental, conseiller régional,
conseiller municipal d’une commune de moins de 3500 habitants). Depuis juillet 2017,
moment de l’application de la loi organique de 2014 précitée, les parlementaires ne
peuvent plus cumuler leur mandat avec aucune fonction exécutive locale (maire,
adjoint, vice-président de conseil départemental, régional…).
En outre, le mandat parlementaire est incompatible avec certaines activités. De
manière générale, le statut d’agent public, particulièrement celui de fonctionnaire, est
incompatible avec le mandat parlementaire, parce qu’il implique la soumission d’un
pouvoir hiérarchique à l’agent, ce qui va à l’encontre de la nécessaire indépendance du
parlementaire. La loi organique de 2014 a précisé et étendu ce régime
d’incompatibilité des agents publics au sens large. Le Code électoral prévoit deux
exceptions que la loi organique n’a pas remises en cause. Les professeurs titulaires de
chaires ou de direction de recherches peuvent être parlementaires car leur statut leur
garantit une indépendance suffisante. Il en va de même pour les fonctions de ministre
du Culte dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle (LO 142).
En revanche, le Code électoral pose le principe de la compatibilité du mandat
parlementaire avec des activités professionnelles privées. On considère ici que le
mandat parlementaire n’est pas une profession en tant que telle et que tout
parlementaire doit pouvoir continuer d’exercer son activité professionnelle privée,
notamment un médecin. Toutefois, une telle activité ne pourra être exercée si elle
ouvre des conflits d’intérêts : un entrepreneur qui bénéficie de subventions étatiques,
un avocat qui prendre en charge des affaires dans lesquelles l’Etat est en cause…

2- Les immunités

Afin que les parlementaires puissent exercer librement leur mandat, il leur est octroyé
une immunité qui les protège des poursuites judiciaires abusives qui les empêcheraient
d’être présents dans les chambres parlementaires, soit de pouvoir s’exprimer librement

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lors des débats. Il s’agit de protéger le mandat et non la personne du parlementaire. Il
faut ici dissocier l’irresponsabilité de l’inviolabilité.
L’article 26 C. consacre l’irresponsabilité absolue et perpétuelle des parlementaires
pour les opinions ou les votes qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions. Ils ne
pourront être ni poursuivis, ni recherchés, ni arrêtés, ni détenus pour les propos qu’ils
pourraient tenir lors de débats parlementaires ou soutenir dans des rapports écrits. Il
s’agit de garantir la liberté d’expression et de conscience. Ainsi, l’irresponsabilité ne
protège pas les parlementaires pour les propos ou écrits émis dans le cadre de leurs
activités politiques extra parlementaires (réunions publiques ou émissions télévisées).
Elle ne les protège pas davantage des voies de fait commises dans l’enceinte du
Parlement sur un autre parlementaire. Le mandat est protégé, pas la personne. Par
ailleurs, les règlements des assemblées prévoient des censures voire des exclusions
temporaires pour les parlementaires qui se livreraient à des appels publics à la violence
ou tiendraient des propos injurieux.
L’article 26 consacre en outre le principe de l’inviolabilité parlementaire. A la
différence de l’irresponsabilité, il s’agit de limiter les arrestations des parlementaires
pour les crimes ou délits qu’ils auraient pu commettre. Le but est ici de faire en sorte
que les parlementaires ne soient pas empêchés d’exercer leur mandat, en raison de
voies judiciaires éventuellement utilisées par leurs adversaires afin qu’ils ne puissent
siéger. On ne doit pas empêcher le parlementaire de siéger (continuité de l’institution
parlementaire au nom de l’intérêt national), quand bien même il n’est pas ici question
d’immunité. Si un juge souhaite prendre une mesure privative ou restrictive de liberté
à l’encontre d’un parlementaire, il doit au préalable obtenir l’autorisation du bureau de
l’Assemblée. Si le bureau refuse, les poursuites seront suspendues pendant la durée de
la session ordinaire. Toutefois, l’accord du bureau ne sera pas nécessaire en cas de
crime flagrant…

II- Les fonctions du Parlement

Le Parlement assure deux fonctions principales : la fonction législative, d’une part, qui
consiste en l’élaboration et l’adoption de la loi ; la fonction de contrôle de l’action du
Gouvernement d’autre part, qui peut s’exprimer par la voie de l’enquête ou de
sanctions politiques comme la motion de censure. La rationalisation du
parlementarisme a particulièrement rétréci la maîtrise de ces compétences
fondamentales par le Parlement. Toutefois, la révision constitutionnelle de 2008 s’est
efforcée de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement, sans pour autant remettre en cause
le facteur central de cette diminution des pouvoirs du Parlement qu’est le fait
majoritaire. Envisageons ces deux fonctions principales, en abordant la fonction
législative d’un côté et la fonction de contrôle de l’autre.

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A- La fonction législative

Il faut ici distinguer les quatre étapes fondamentales qui président à l’adoption de la
loi, et qui témoignent, entre autres, du processus initial de rationalisation du
parlementarisme et de la tentative plus récente de réajustement des pouvoirs du
Parlement.

1- L’initiative encadrée de la loi

L’article 39 al. 1 de la Constitution précise que seuls le PM et les membres du


Parlement peuvent être à l’origine d’une loi. Lorsque le texte émane du PM, il s’agit
d’un projet de loi ; lorsqu’il émane des parlementaires, il s’agit d’une proposition de
loi. Toutefois, la Constitution favorise clairement le PM sur ce terrain. Les lois de
finances et les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent en effet être
entreprises que par le Gouvernement. Si cette restriction rentre dans le cadre de la
rationalisation du parlementarisme, elle se justifie également d’un point de vue
technique, dans la mesure où le Gouvernement dispose des services administratifs qui
l’assistent dans la préparation de ces textes stratégiques.
L’encadrement de l’initiative législative se constate formellement, au regard des étapes
de la procédure, et matériellement, au regard du contenu, du domaine que la loi peut
intégrer.

Du point de vue formel, la Constitution impose des obligations qui pèsent


particulièrement sur le Gouvernement. En effet, l’article 39 al. 2 impose que tout
projet de loi soit examiné par le Conseil d’Etat, qui doit notamment vérifier sa
conformité à la Constitution et aux règles internationales. De même, il examine la
rédaction et même l’opportunité du texte, soit sa justification politique et juridique. Le
CE peut émettre des propositions de modifications. Toutefois, l’avis du CE n’est que
consultatif, tant et si bien que le PM n’est pas tenu de le suivre. En outre, les projets de
loi doivent être délibérés en Conseil des ministres, conduisant à ce que la
responsabilité du Gouvernement soit collectivement endossée. Si le choix de
l’assemblée parlementaire devant laquelle le projet sera présenté en premier lieu est
libre, il n’en va pas de même, selon l’article 39 al. 2, pour les projets de loi de finances
et les projets de LFSS qui seront obligatoirement déposés en premier lieu devant l’AN.
Elue au suffrage universel, l’AN est prioritaire pour connaître des textes qui se
rapportent aux citoyens contribuables qu’elles représentent. En revanche, les projets de
loi qui concernent l’organisation des collectivités territoriales seront prioritairement
étudiés par le Sénat et donc déposés sur le bureau du Sénat, compte tenu de sa fonction
représentative là également.

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S’agissant d’une proposition de loi, elle peut émaner d’un ou de plusieurs
parlementaires et doit être déposée devant le bureau de l’assemblée à laquelle il(s)
appartiennent. Depuis la révision de 2008, l’article 39 précise que le président de l’une
des deux assemblées parlementaires peut soumettre pour avis, au CE, une proposition
de loi sauf si l’auteur de la proposition s’y oppose. Cette faculté est rarement utilisée.
L’initiative parlementaire des lois connaît deux limitations constitutionnellement
précisées et particulièrement contraignantes : tout d’abord, l’article 40 C prévoit
l’irrecevabilité financière d’une proposition de loi dont l’adoption aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou
l’aggravation d’une charge publique. L’objectif est d’éviter toute proposition de loi
démagogique et, à l’évidence, d’entraver la rédaction d’une loi par les parlementaires.
C’est le bureau de chaque assemblée, haute autorité exerçant une compétence générale
sur le fonctionnement de chaque assemblée, qui opère ce contrôle. Ensuite, l’article 41
C, on l’a vu, permet au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à toute proposition de
loi qui ne respecterait pas le domaine de la loi ou qui serait contraire à une délégation
accordée pour l’adoption des ordonnances. Elle peut être soulevée soit par le
Gouvernement, soit le Président de l’Assemblée concernée. Si un désaccord naît entre
les deux autorités, le CC pourra être saisi, qui statuera dans les huit jours. L’article 41
C. est, on l’a dit, peu utilisé dans le cadre du fait majoritaire.

Du point de vue matériel, la loi est limitée dans son champ d’application. C’est là une
innovation centrale de la Ve République qui rompt ainsi avec la culture du
légicentrisme qui, sous les Républiques antécédentes, permettait au législateur de
prendre toute mesure par l’intermédiaire de la norme législative. Il faut, pour
l’essentiel, se reporter à l’article 34 C., qui ouvre, tout de même, un domaine
particulièrement étendu à la norme législative de la V e République. Par ailleurs, le
législateur détermine les conditions électives (art. 3), est sollicité pour la déclaration de
guerre (art. 35), œuvre à la création d’une nouvelle collectivité territoriale (art. 72).
C’est le Conseil constitutionnel, « chien de garde » de l’Exécutif, qui veille au respect
de la limitation du domaine de la loi. Outre la procédure de l’article 41, le Conseil
constitutionnel pourra être amené à contrôler la constitutionnalité d’une proposition ou
d’un projet de loi, entre le vote du texte et sa promulgation, en vertu de l’article 61 C.
Enfin, le CC pourra être amené à contrôler le domaine de la loi après la promulgation
de la loi, en vertu de l’article 37 al. 2 de la Constitution, aboutissant au déclassement
de normes réglementaires contenues dans une loi votée et promulguée. On le verra, la
procédure de la QPC est spécifique car elle vise à faire abroger une loi promulguée
dont les dispositions porteraient atteinte aux droits fondamentaux.
Par sa décision « Blocage des prix et des revenus » de 1982, le CC a neutralisé l’article
61 C quant au domaine de la loi, puisqu’il a posé qu’une loi qui contiendrait des
dispositions réglementaires, n’en serait pas pour autant contraire à la Constitution. En

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outre, il a développé une jurisprudence dite de « l’incompétence négative » où, au
contraire, il sanctionne le législateur lorsqu’il n’a pas suffisamment légiféré.
L’absence d’un contrôle strict du domaine de la loi a par conséquent conduit à une
extension de l’intervention du législateur et à une véritable inflation de la norme
législative. Il en ressort surtout que de nombreuses lois souffrent de ne pas être
normatives, c’est-à-dire de prescrire des droits et obligations, et de les sanctionner :
Cf. l'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 (« l'architecture est une expression de la
culture »), l'article 1er de la loi du 16 juillet 1984 (« les activités physiques et sportives
constituent un facteur important d'équilibre, de santé, d'épanouissement de chacun »),
l'article 1er de la loi du 9 janvier 1985 (« l'identité et les spécificités de la montagne
sont reconnues par la Nation et prises en compte par l'État, les établissements publics,
les collectivités territoriales et leurs groupements dans les actions qu'elles conduisent
») ou, encore - en touchant des enjeux bien plus délicats -, l'article 1er de la loi du 29
janvier 2001 (« la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 »).
Le 21 avril 2005, dans une décision intitulée « Avenir de l’Ecole », le CC a finalement
accepté de signaler les dispositions d’une loi qui appartiennent au domaine
réglementaire, sans pour autant la frapper d’inconstitutionnalité. Ainsi, le
Gouvernement pourra de lui-même modifier directement ces dispositions par décret
sans avoir à saisir à nouveau le Conseil, par la voie de l’article 37 al. 2.

2- L’examen du projet ou de la proposition de loi en commission

Une fois le projet ou la proposition déposée, la première lecture du texte commence


devant l’assemblée concernée. Elle débute par une transmission de la proposition ou
du projet de loi pour examen à une commission législative, étape obligatoire pour tout
texte. En vertu de l’article 43 de la Constitution, le projet ou la proposition de loi peut
être transmis soit à une commission permanente, soit à une commission spéciale, créée
spécifiquement pour l’examen du texte. Depuis la révision constitutionnelle de 2008,
les commissions permanentes sont au nombre de 8 dans chaque assemblée
(auparavant, il y en avait 6). Spécialisées dans un domaine (affaires économiques,
affaires sociales, affaires étrangères, éducation…), elles sont obligatoirement
sollicitées lorsque le Gouvernement dépose un projet de loi. Elles facilitent ainsi la
discussion parlementaire consécutive, en proposant d’emblée des amendements au
texte. Elles sont composées en fonction de la proportion de représentants de chaque
parti au sein de l’une des assemblées. Après discussion, la commission législative
sollicitée pour l’étude du texte, tel qu’il a été présenté par le rapporteur, adopte à son
tour un rapport dans lequel elle peut conclure au rejet du texte ou proposer des
rectifications par voie d’amendements.
Cet examen initial par la commission est central : il est devenu obligatoire depuis la
révision de 2008, l’article 42 C. indiquant que la discussion en séance publique doit en

11
principe porter sur le texte tel qu’il a été modifié en commission, alors que jusqu’alors,
la discussion portait sur le texte tel qu’il avait été déposé sur le bureau de l’assemblée.
Toutefois, la commission ne sera pas sollicitée préalablement pour les lois de révision
constitutionnelle, les projets de lois de finances et les projets de LFSS.

3- L’inscription à l’ordre du jour parlementaire du projet ou de la


proposition de loi

Une fois l’examen par la commission clôturé, le texte doit ensuite être discuté par
l’assemblée. Pour cela, il doit être inscrit à l’ordre du jour d’une séance de
l’assemblée. Le régime de cette inscription a connu des évolutions notables.
Initialement, l’article 48 distinguait un ordre du jour prioritaire et un ordre du jour
complémentaire, le Gouvernement fixant le premier et pouvant favoriser ses projets de
loi. Le second était fixé par la conférence des Présidents, réunion des autorités de
chaque assemblée, mais le calendrier parlementaire était tellement surchargé par
l’ordre du jour prioritaire que ces textes n’avaient aucune chance d’être discutés et
votés. Ainsi, par la maîtrise de l’ordre du jour prioritaire, le Gouvernement pouvait
étouffer l’initiative parlementaire.
La révision constitutionnelle de 1995 a tenté de corriger quelque peu cette situation, en
réservant une séance parlementaire par mois à l’examen des textes inscrits à l’ordre du
jour complémentaire : une fenêtre parlementaire était ouverte pour discuter des
propositions de loi. La révision de 2008 change bien plus substantiellement le régime
de l’ordre du jour. L’article 48 C prévoit désormais un partage équitable de l’ordre du
jour à l’échelle d’un mois: durant deux semaines de séances parlementaires, le
Gouvernement détermine l’ordre du jour, durant les deux autres, le Parlement
détermine l’ordre du jour. Toutefois, une nuance décisive doit être apportée : le
Gouvernement peut bouleverser cette répartition en empiétant sur l’ordre du jour fixé
par le Parlement pour l’étude des lois de finances et l’études des LFSS. Il en ira de
même pour les textes qui sont en attente d’étude depuis par une chambre après
transmission par l’autre depuis six semaines au moins, ainsi que pour quelques textes
ponctuels. Dans les deux semaines imparties au Parlement, une sera consacrée au
contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Enfin,
toujours à l’échelle de quatre semaines, l’ordre du jour sera maîtrisé par les groupes de
l’opposition parlementaire durant une journée.
Là aussi, la révolution n’est pas accomplie. Le projet de révision constitutionnelle
porté par le Président Macron prévoit d’ailleurs de redonner la maîtrise de l’ordre du
jour au Gouvernement pour les textes relatifs à la politique économique, sociale ou
environnementale, à moins que la conférence des présidents ne s’y opposent.

4- L’adoption de la loi

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Si la Constitution ne donne pas de délai global pour l’adoption des lois ordinaires, elle
fixe des délais butoirs pour les lois de finances et les LFSS. Pour les lois de finances,
l’AN dispose d’un délai de 40 jours après le dépôt du texte pour se prononcer en
première lecture, puis le Sénat dispose d’un délai de 15 jours. Pour les LFSS, l’AN ne
dispose que d’un délai de 20 jours en première lecture, le Sénat de 15 jours.
Lorsque le texte a été fixé à l’ordre du jour, s’ouvre alors en séance la phase du débat
public, au sein de la première assemblée saisie. Cette phase comporte deux temps : la
discussion générale, qui est une discussion d’ordre politique, puis la discussion article
par article qui correspond à une discussion plus technique. L’article 42 C. précise que
le débat public ne peut débuter qu’après l’expiration d’un délai de six semaines après
le dépôt du texte sur le bureau de l’assemblée concernée. Ce délai ne s’applique pas
pour les projets de lois de finances, de financement de la sécurité sociale et pour les
projets relatifs aux états de crise. De même, sont exemptés de ce délai, les textes
adoptés selon la procédure accélérée prévue à l’article 45 C.
Une fois la discussion générale achevée, une discussion article par article intervient.
Elle est plus longue car elle a pour but d’examiner en séance publique chaque article,
amendement et sous-amendement du texte. Le droit d’amendement trouve à
s’exprimer de manière privilégiée : l’article 44 C. le reconnaît aux membres du
Parlement, ainsi qu’à l’ensemble du Gouvernement. C’est une arme redoutable qui
permet de revoir de fond en comble les textes en proposant des modifications ou
suppression, et qui permet aussi et surtout de ralentir leur discussion. Il est illimité : un
député ou un sénateur peut déposer autant d’amendements qu’il le souhaite. Toutefois,
il est encadré : les parlementaires sont invités à déposer leurs amendements dès
l’examen en commission du texte, car, à défaut, le Gouvernement peut s’opposer à la
discussion de l’amendement en séance publique (44 al. 1). De plus, le Gouvernement
peut déclarer les amendements irrecevables s’ils conduisent une charge publique ou
s’ils relèvent du domaine réglementaire (40, 41 C.). Enfin, le Gouvernement peut
demander que l’assemblée vote en une seule fois le texte, en ne retenant que les
amendements de son choix (44 al. 3). Les parlementaires se servent beaucoup de ce
droit, souvent à des fins d’obstruction, pour les parlementaires de l’opposition.
La révision constitutionnelle de 2008 a tout de même atténué ce déséquilibre favorable
au Gouvernement en élargissant l’utilisation de l’article 41 C. : il est désormais permis
aux présidents des assemblées parlementaires de s’opposer aux amendements du
Gouvernement dont le contenu n’appartiendrait pas au domaine de la loi. En cas de
conflit, le CC peut être saisi. Le CC peut d’ailleurs, à l’occasion du contrôle de
constitutionnalité exercé sur le fondement de l’article 61 C., soit le contrôle a priori,
censurer des amendements qui auraient été intégrés au texte législatif : il s’agit ici de
censurer ce que l’on appelle les cavaliers législatifs, c’est-à-dire les amendements
dépourvus de tout lien avec le texte.

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Le vote, en tant que tel, intervient ensuite. Les modalités de votation sont variables et
il faut retenir que le principe fondamental est celui du vote personnel : aucune
délégation de vote n’est envisageable en vue de s’assurer de la sincérité du vote et
d’éviter l’absentéisme. La délégation ne sera autorisée que dans des cas très précis,
notamment en cas de maladie grave d’un parlementaire. Le vote pourra être accéléré
en cas de recours, par le Gouvernement, à la procédure de l’article 44 al. 3 C., dite
procédure du vote bloqué.
Il n’en demeure pas moins que le processus normal implique le recours à la navette
parlementaire. En vertu de l’article 45 C., la transmission du texte d’une chambre à
l’autre s’impose naturellement compte tenu du bicamérisme parlementaire. Lorsque le
texte est déposé devant la seconde chambre, celle-ci le découvre pour la première fois.
S’opère donc une première lecture du texte devant cette assemblée, laquelle doit
reprendre la même procédure que celle suivie par la première chambre : examen en
commission, inscription à l’ordre du jour, ouverture de la discussion puis vote article
par article. L’étude du texte aura lieu après l’expiration d’un délai de quatre semaine
après la transmission.
Deux hypothèses s’ouvrent logiquement : soit le texte est voté en des termes
identiques, sans amendement, et il est adopté ce qui entraînera sa promulgation par le
Président de la République dans les quinze jours, soit la seconde chambre amende le
texte et il est donc renvoyé à la première chambre pour qu’elle procède à une seconde
lecture. La discussion est alors limitée aux articles pour lesquels il y a encore des
désaccords entre les deux chambres. Le reste du texte est considéré comme acquis.
En théorie, tant que les chambres ne parviennent pas à un vote identique, la navette
doit se poursuivre, car l’article 45 C. impose que le texte soit adopté par les deux
chambres en des termes identiques. Pour éviter une boucle sans fin, la Constitution
prévoit la possibilité, au bout de deux lectures, de réunir une commission mixte
paritaire (article 45 al. 2 C). Avant la révision de 2008, seul le PM pouvait décider de
la réunir. Depuis 2008, elle peut être réunie par la décision des présidents des deux
assemblées, agissant conjointement, s’il s’agit d’une proposition d’une loi. Elle pourra
également être convoquée dès l’issue de la première lecture, si le Gouvernement
décide de recourir à la procédure accélérée. Elle est composée de sept députés et de
sept sénateurs, en fonction de la composition politique des assemblées (en général 4 de
la majorité, trois de l’opposition).
Le Gouvernement est libre de retenir ou non le texte proposé par la CMP. S’il le
retient, il le soumet au vote des assemblées. Seuls les amendements acceptés par le
Gouvernement pourront être déposés. Si les chambres votent le texte dans les mêmes
termes, il est considéré comme définitivement adopté.
En cas d’échec de la CMP, la navette reprend jusqu’à ce que les chambres parviennent
à un accord. Cela est très rare (un cas en 2010, sur le projet de loi organique sur les
pouvoirs de nomination du PDR). Il reste qu’en ultime instance, le dernier mot revient

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à l’AN, qui se justifie par l’onction du suffrage universel direct dont bénéficient les
députés. Si le désaccord persiste après la CMP, le Gouvernement peut décider de
demander un ultime vote à l’AN, non sans avoir permis une dernière lecture par les
deux chambres avant de donner le dernier mot à l’AN. Les députés voteront alors une
seule fois, sans pouvoir amender le texte (projet de révision prévoit de donner le
dernier mot à l’AN immédiatement après l’échec éventuel d’une CMP). S’il s’agit
d’une loi organique, le vote sera acquis à la majorité absolue des membres de l’AN.
Enfin, la Constitution exclut le recours au dernier mot de l’AN pour les projets ou
propositions de loi constitutionnelle, pour les lois organiques relatives au Sénat, enfin,
des lois organiques relatives au droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’UE pour
les élections municipales.

B- La fonction de contrôle

La révision constitutionnelle de 2008 a renforcé cette activité de contrôle, tombée en


déshérence dans le cadre de la rationalisation du parlementarisme. L’article 24 C
précise que le Parlement contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques
publiques.
En dehors des instruments classiques du parlementarisme, la Constitution prévoit la
possibilité pour le Parlement des commissions d’enquête parlementaire et de bénéficier
de l’appui de différents organismes.
Les commissions d’enquête parlementaire sont prévues par l’article 51-2 de la
Constitution. Chaque assemblée peut créer en son sein des commissions d’enquête afin
de recueillir des éléments d’information et de les porter à la connaissance de
l’assemblée. Elles ne peuvent être créées que via une résolution, proposée par des
parlementaires, et adoptée à la majorité des voix de la chambre.
Ces enquêtes peuvent porter sur la gestion d’un service public ou des faits déterminés
et particulièrement graves. Elles n’ont qu’une durée maximum de six mois. Leur objet
est donc limité et elles ne peuvent pas porter sur des faits qui ont donné lieu à des
poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Elles ne
peuvent comporter plus de trente membres à l’AN et plus de vingt membres au Sénat.
Elles sont composées en fonction de la proportionnalité des groupes politiques dans
chaque assemblée. Elles peuvent exiger de l’administration tout document nécessaire,
sauf s’il est couvert par le secret. Elles peuvent faire citer des témoins et recourir à la
force publique. Ces auditions sont publiques.

En outre, le Parlement bénéficie dans le cadre de sa mission de contrôle, des


commissions législatives qui peuvent suivre l’application des lois, notamment en
contrôlant l’existence des décrets d’application. Les commissions des finances vont
contrôler l’exécution fidèle du budget par les administrations. Des missions

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d’information et des délégations parlementaires peuvent également être créées dans le
cadre de la fonction de contrôle.

Section 4 : Le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel est classiquement perçu comme l’innovation centrale de la


Ve République. Descendant d’un comité constitutionnel dont la fonction, sous la IV e
République, ne consistait qu’à constater une éventuelle incompatibilité entre la loi et la
constitution de 1946, le Conseil de 1958 allait au tout premier chef, empêcher toutes
les dérives antécédentes de la souveraineté parlementaire. Qualifié d’ « arme contre la
déviation du régime parlementaire » par Michel Debré, le Conseil constitutionnel
devait cantonner le législateur au respect des dispositions constitutionnelles qui
encadraient son action, pour ne pas retomber dans les travers des régimes précédents,
marqués par le légicentrisme et la transformation pratique en régimes d’assemblée. Le
Parlement ne devait pas voter des lois au-delà de son champ de compétences tel qu’il
était délimité à l’article 34 de la Constitution et ne pouvait, surtout, mettre en jeu la
responsabilité politique du gouvernement que dans les formes contraignantes prévues
par l’article 49 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel apparaissait donc comme
le gardien du régime parlementaire rationalisé. On rappellera au passage que le régime
politique correspond au mode d’organisation des pouvoirs publics et plus précisément
à la nature des rapports entre les institutions politiques, permettant de localiser la
source du pouvoir.
Si le rôle du Conseil constitutionnel avait initialement été restreint à cette mission
d’encadrement, ses fonctions ont considérablement évolué, à tel point qu’il occupe
aujourd’hui une place centrale dans les institutions et dans la vie politique,
particulièrement à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui a
ajouté un nouvel article à la Constitution, l’article 61-1 de la Constitution.
Avant de prendre la mesure de cette évolution des compétences et de la jurisprudence
du Conseil constitutionnel, il convient de s’attarder sur sa composition, qui est restée,
statutairement, assez stable.

I- Les règles statutaires

L’étude de la composition du Conseil constitutionnel précèdera celle des


incompatibilités et obligations statutaires qui pèsent sur les membres du Conseil
constitutionnel.

A- La composition du Conseil constitutionnel

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Au sein du Conseil constitutionnel, l’on distingue des membres nommés et des
membres de droit.
Le Conseil constitutionnel contient neuf membres nommés : trois sont nommés par le
Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, trois par le
président du Sénat. La nomination présidentielle est doublement spécifique : il nomme
le Président du Conseil constitutionnel – qui est actuellement Laurent Fabius – et son
pouvoir de nomination n’est pas soumis à contreseing en ce sens qu’il exerce ce
pouvoir en propre, sans devoir recueillir la signature du Premier ministre pour que
l’acte qu’il prend soit juridiquement valide. La nomination du Président du CC n’est
pas sans conséquence : le Président dispose en effet d’une voix prépondérante en cas
de partage des voix. En outre, il fixe l’ordre du jour du Conseil constitutionnel et
désigne les rapporteurs pour chaque affaire.
Toutefois, il faut d’emblée préciser que l’article 56 de la Constitution précise que les
membres du Conseil constitutionnel rentrent dans la catégorie des emplois ou
fonctions visés par l’article 13 de la Constitution, depuis la révision de 2008. Dès lors,
le pouvoir de nomination s’exerce ici après avis public de la commission permanente
de chaque assemblée parlementaire. Pour que les commissions puissent empêcher la
nomination présidentielle, il faut que les votes négatifs exprimés dans les deux
commissions correspondent aux trois cinquièmes des suffrages exprimés dans ces deux
commissions, hypothèse difficilement observable. Pour les membres nommés par les
deux autres Présidents, un avis simple de la commission permanente de l’assemblée
concernée suffit.
Le mandat des membres du Conseil constitutionnel est d’une durée de neuf ans, non
renouvelable. La composition du Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous
les trois ans : tous les trois ans, trois nouveaux membres sont nommés, un par le PDR,
un par le Président de l’AN et un par le Président du Sénat. Les trois membres
nommés en 2019 sont Jacques Mézard, Alain Juppé (nommé par Richard Ferrand) et
François Pillet. En 2022, ont été nommés membres du CC : Jacqueline Gourault,
Véronique Malbec et François Seners.
Outre les membres nommés, l’article 56 al. 2 prévoit une bizarrerie française : celle
des membres de droit du CC qui sont les anciens présidents de la République, qui ne
concernent, précisons-le, que les présidents élus et non pas les présidents par intérim
(Poher n’a donc pas siégé au CC). Il s’agit d’un droit de siéger et non pas d’une
obligation. Aujourd’hui, seul VGE siège de manière régulière : Nicolas Sarkozy a
cessé de siéger depuis juillet 2013 et Jacques Chirac depuis mars 2011. Quant à
François Hollande, il avait annoncé, dès décembre 2016, qu’il ne siégerait pas au
Conseil après la fin de son mandat. Si les présidents peuvent renoncer à l’exercice de
ce droit, ce dernier leur est garanti à vie. Si l’on a pu prétendre que cette présence des
anciens présidents se justifiait par leur expérience et le rôle d’arbitre conféré par
l’article 5 de la Constitution, l’argument peine à convaincre à la lumière de la

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présidentialisation du régime et de l’absence de neutralité de figures politiques
majeures qui, de surcroît, pourront avoir à connaître des lois votées sous leur
présidence, compte tenu de l’ouverture du contrôle a posteriori de la loi.
La suppression des membres de droit du CC devait être envisagée par le projet de loi
constitutionnelle soutenu par le président Macron.
De manière générale, il faut noter que la composition du CC relève de déterminations
politiques qui n’en font pas une juridiction au sens statutaire du terme. Ceci explique
notamment que le CC ne comporte que peu de juristes de formation (deux
aujourd’hui), ce qui interroge quant à la compétence de certains membres. Ceci le
distingue notablement du Tribunal constitutionnel fédéral allemand qui impose à ses
membres de posséder le certificat d’aptitude aux fonctions de juge qui sanctionne la
formation commune à tous les membres des professions juridiques. Quant à la Cour
suprême américaine, elle est coutumièrement composée d’éminents juristes, qui ont
souvent un passé d’universitaire.

B- Les incompatibilités

Les membres du CC doivent respecter un régime d’incompatibilités qui est censé


garantir leur impartialité. En premier lieu, ils ne peuvent remplir des fonctions
publiques pendant leur mandat au sein du CC, telles que celles de membres du
Gouvernement, du CESE, ou de Défenseur des droits. Ainsi Nicole Belloubet a dû
libérer son siège au sein du CC pour devenir, en juin 2017, Garde des Sceaux. Dans la
continuité, les membres du CC ne peuvent, depuis 1995, cumuler leurs fonctions au
sein du CC et un mandat électoral, qu’il soit local, national ou européen. Enfin, les
membres du CC connaissent le même régime d’incompatibilité avec un emploi public
que les parlementaires. Il en ressort que seuls les professeurs de l’enseignement
supérieur, dont l’indépendance est préservée, peuvent conserver leur statut de
fonctionnaire et siéger au CC (cf. Vedel). Les membres du CC pourront, comme les
parlementaires, continuer à exercer leurs activités professionnelles privées, sauf si ces
dernières ouvraient un conflit d’intérêts. On peine toutefois à comprendre comment
l’activité de conseil juridique peut être encore considérée comme compatible avec le
statut de membre du CC, tant elle ouvre, mécaniquement depuis l’instauration de la
QPC, un conflit d’intérêts pour tout membre du CC qui s’y emploierait.

C- Les obligations statutaires

Cette question est centrale. Si les membres du CC ne sont pas des magistrats, ils
disposent d’un statut spécifique qui vise à garantir leur indépendance vis-à-vis des
pouvoirs publics, comme des intérêts privés. C’est dans cette perspective qu’outre le
régime d’incompatibilité, les membres du CC sont tenus à une obligation de réserve

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pour préserver leur objectivité. A ce titre, les membres du CC ont pour obligation de
prêter serment devant le PDR. Par ce serment, ils jurent de garder le secret des
délibérations et des votes, même après la fin de leur mandat. Ils s’engagent également
à ne pas prendre de position publique ou de faire des consultations sur des questions
relevant de la compétence du CC. Cette obligation touche également les membres de
droit, qui ne sont cependant pas tenus de prêter serment.
En cas de violation de cette obligation de réserve, la seule sanction prévue est la
démission d’office, après un vote du Conseil à bulletin secret. C’est ici la seule
exception au principe d’irrévocabilité des membres du CC. Cette sanction est
insuffisante car elle est trop radicale et implique une violation patente à l’obligation de
réserve. Surtout, elle ne s’applique pas aux membres de droit et aux anciens membres
du CC, qui sont donc libres de révéler le contenu des débats et des positions au sein du
Conseil, après la cessation de leurs fonctions. L’ancien président du CC, Jean-Louis
Debré a ainsi publié un livre, en 2016, significativement intitulé Ce que je ne pouvais
pas dire. Cela n’a pas empêché Pierre Joxe, alors membre du CC, de faire part de ses
critiques sur la fonction même du CC en 2010, dans la presse.

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