Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
I. Un paysage politique de plus en plus éclaté qui a bloqué la vie institutionnelle de l’Espagne
A. La stabilité politique exceptionnelle de l’Espagne…
Le régime politique en Espagne est un régime parlementaire rationalisé et moniste : le président du
gouvernement n’est responsable que devant le Parlement. Le Congrès représente le Peuple (pouvoir
originaire). Il choisit le président du gouvernement selon une procédure inspiré de la IV république
française : le Roi consulte les représentants désignés par les groupes politiques, propose un candidat qui
requiert la confiance de la chambre. S’il obtient la majorité des voix (absolue, sinon simple au bout de
48heures), le roi le nomme président du gouvernement.
Pendant quarante ans, ce mode de désignation a permis une grande stabilité politique. Les partis de
centre gauche PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) et de centre droit PP (Parti Populaire) ont tour à tour
profité de l’alternance. Ce bipartisme a été favorisé par le mode de scrutin pour l’élection du Congrès, qui a
un effet majoritaire : les restes électoraux sont répartis à la plus forte moyenne, un parti peut être
représenté au Congrès s’il a recueilli un minimum de 3% des suffrages exprimés, et l’application de la
proportionnelle est faite à partir de territoires étroits, ce qui oblige les partis à être implantés de manière
assez uniforme sur tout le territoire, et donc écarte les petits partis. L’effet majoritaire du mode de scrutin a
donc permis de dégager des majorités parlementaires pendant près de quarante ans de vie constitutionnelle
B. …mise à mal par un éclatement du paysage politique
Cependant, on assiste aujourd’hui à une implosion de la démocratie majoritaire, causée par de
multiples facteurs. La crise économique de 2008 a conduit le gouvernement socialiste de Zapateros à mener
une politique d’austérité fortement décriée. Il a ensuite laissé sa place à Mariano Rajoy (PP), qui à son tour, a
mené une politique anti-crise qui a déclenché des manifestations à Madrid. Les soupçons de corruption des
politiques n’ont rien arrangé à la perte de confiance des espagnols dans leurs représentants.
Cela a donc entraîné un morcellement du paysage politique. Alors qu’en 2008, le PP et le PSOE
rassemblaient à eux seuls 84% des suffrages, ils n’en obtiennent pas même 50% aujourd’hui. Le parti
d’extrême gauche Podemos, issu du mouvement des Indignados a émergé ( il a recueilli 14,9% aux dernières
élections législatives), à l’instar du parti centriste, qui a axé sa campagne sur la lutte contre la corruption. Le
parti Vox d’extrême droite a également fait son entrée au Congrès - une première depuis la dictature
franquiste.
Cet éclatement du paysage politique empêche de trouver une majorité au parlement. En 2015, Rajoy a
dissout le Parlement. Lors des élections législatives du 20 décembre 2015, aucun parti n’a obtenu la majorité
absolue, et le Congrès n’est pas parvenu à former un gouvernement. De nouvelles élections ont eu lieu le 26
juin 2016, qui ont donné des résultats similaires. Un fragile gouvernement de droite est porté au pouvoir,
renversé en 2018 par une motion de censure constructive (première utilisation du mécanisme depuis 1978).
Le 28 avril 2019, Pedro Sanchez est porté au pouvoir grâce à une coalition inespérée entre le PSOE et
Podemos. La majorité fragile trouvée à gauche permet à la vie politique et institutionnelle de reprendre en
Espagne, alors qu’elle avait été paralysée pendant plus de 2ans.
I. La stabilité institutionnelle espagnole est aussi mise à mal par les revendications
indépendantistes
A. L’équilibre trouvé entre localités et gouvernement national cité en exemple…
Selon la constitution, l’Etat espagnol est un Etat Unitaire plurinational : c’est donc une nation unie
d’un point de vue culturel, avec plusieurs nationalités politiques en son sein : on voit que ce qui peut
apparaître comme un paradoxe institutionnel a en fait été longuement réfléchi. L’Etat a mis en place une
séparation verticale des pouvoirs originale, avec une sorte de régionalisation asymétrique, qui a longtemps
été une référence pour d’autres Etats européens. En effet, les régions peuvent légiférer dans 22 domaines
consacrées. Si elles s’abstiennent, c’est l’Etat qui légifère. Ainsi, elles peuvent prendre en charge l’exécution
des lois dans le domaine de la compétence nationale, ou même introduire des législations spéciales (comme
les polices régionales, mises en place en parallèle de la police étatique). La Catalogne, les Pays Basques et la
Galice sont des régions provisoires d’autonomie, qui exercent le plus leurs compétences législatives.
Depuis longtemps, les partis autonomistes représentés au Congrès monnayaient leur soutien à la
majorité qui s’était dégagée en échange de plus de pouvoirs politiques pour leurs institutions, ce qui s’était
traduit par un affaiblissement de l’Etat unitaire. Cependant, la remise en cause de l’Etat Unitaire est de plus
en plus virulente aujourd’hui, et s’est incarné dans le mouvement indépendantiste catalan.
B. …aujourd’hui remis en cause par la crise catalane, qui pose un problème de légitimité
démocratique
L’interrogation majeure pour l’avenir institutionnel de l’Espagne reste la situation catalane. Suite à la
crise économique, la Catalogne étant une région très touristique et assez riche, des manifestations
pacifiques en faveur d’une plus grande autonomie et d’une souveraineté locale ont eu lieu, et cette volonté
d’autonomie a été attisée par le profond mépris montré par Mariano Rajoy, alors au pouvoir. Depuis 2012,
une majorité transpartisane ouvertement indépendantiste est au pouvoir au Parlement Catalan. Le 23
janvier 2013, un premier processus participatif citoyen avait été organisé au sujet de l’indépendance, ou 80%
des votants s’était exprimé pour l’indépendance. Le 1er octobre 2017, un référendum illégal a cette fois-ci
été organisé par les autorités catalanes. 90% des 40% de votants étaient favorables à l’indépendance. Celle-
ci a donc été proclamée le 11 octobre 2017, décision qui a immédiatement été suspendue par Madrid. Les
institutions catalanes ont été mises sous tutelle, en vertu de l’article 155 de la constitution. Les
indépendantistes catalans ont joué de l’opposition entre légalité et légitimité.
Les dernières élections législatives ont mobilisé 80% des électeurs, et ont reconduit la majorité
indépendantiste, alors même que les leaders du mouvement, Artur Mas et Carlos Puigdemont, étaient soit
en détention soit en fuite. La crise est donc loin d’être apaisée, bien que Pedro Sanchez en ait appelé au
dialogue dans une tribune de fin 2019. Elle a été gelée par la crise du covid et le confinement. Le rapport de
mars 2005, sur une éventuelle révision constitutionnelle envisageait d’inclure la dénomination des
Communautés autonomes. Il a ouvert la discussion sur la répartition des compétences, mais
l’autodétermination n’était évidemment pas envisagée.
Conclusion :
L’avenir institutionnel de l’Espagne est donc incertain. La constitution semble avoir besoin d’être
révisée pour faire face aux défis de son temps : la monarchie est de plus en plus questionnée, la majorité au
sein du Parlement devient presque impossible à obtenir, ce qui gèle la vie institutionnelle espagnole, et le
compromis trouvé entre localités et gouvernement national ne convient plus, du moins dans le cas catalan.
On peut considérer qu’au vu des quarante années de démocratie qu’a connu l’Espagne, et de son ancrage
dans l’Union Européenne, le régime démocratique est stable, et il est temps de procéder à des révisions
constitutionnelles. La crise de la covid19 a cependant rendu impossible cette prise de décision pour l’année
2020.
Bibliographie :
- Trente ans d'application de la Constitution espagnole, Pierre Bon
- Droit constitutionnel et institutions politiques, Guillaume Tusseau et Olivier Duhamel
- Y a-t-il un modèle espagnol ? Alain Tourraine
- Tribune de Pedro Sanchez « Je ne laisserai pas la flambée nationaliste catalane compromettre la
démocratie »