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Bakri ALADDIN
INALCO
La zâ'irga évoque en premier lieu une table astrologique circulaire divinatoire. Plus
précisément, elle se présente « comme un grand tableau comprenant huit cercles concentriques
figurant les sept sphères, plus la sphère des étoiles fixes. Les sphères sont divisées en douze
secteurs égaux, correspondant aux secteurs zodiacaux... » '. Il s'agit d'une combinaison
complexe qui fera intervenir l'ascendant astrologique, la valeur numérique des lettres de
l'alphabet arabe abgad, de la poésie, de la musique. . . Elle permet, une fois certaines conditions
remplies, de répondre à des questions de toutes sortes, de deviner la nature d'un objet caché et
de lire l'avenir (ou de « dire la bonne aventure », selon l'expression de Kazimirski à la racine
ZYR).
D'une manière générale, la zâ'irga a été très peu étudiée, et n'a jamais fait l'objet d'une
monographie. Comme point de départ, il a paru important de commencer par l'étudier sous
l'angle de son évolution historique, sans prétendre pour le moment résoudre toutes les difficultés
que présente ce sujet, surtout en ce qui concerne la pratique divinatoire elle-même.
Il est indispensable, pour commencer, de ne pas confondre les deux formes de la zã 'irga :
la première, purement astrologique, remonte aux débuts de l'empire abbasside (début IIIe/
IXe siècle). La seconde, qui n'est plus uniquement astrologique, a vu le jour au début du VIIe/
XIIIe siècle au Maghreb, et elle est beaucoup plus complexe. Comme procédé divinatoire,
elle atteint son plein développement à l'époque d'Ibn Haldün (808/1406 ). Elle garde la forme
de base de la zã 'irga astrologique et mobilise d'autres connaissances de l'époque, en particulier
le gafr (ou science ésotérique des lettres de l'alphabet, cf. E F).
La zã 'irga astrologique avait pour but de deviner ce qui est caché ( al-damïr 2) au moyen
de la consultation des étoiles. F. Rosenthal (1958 I, 239, n. 364 et III, 132, n. 678) a attiré
1. Cf. P. Lory, « La mystique des lettres en terre d'Islam », Annales de philosophie de l'Université Saint-Joseph ,
Beyrouth, 1996, vol. 17, p. 107.
2. Le mot damïr signifie, dans la langue arabe moderne, « conscience morale », « pensée intime ». Mais la significa-
tion ancienne est celle de « caché », « latent ».
« Un astrologue célèbre pour ses capacité à deviner ce qui est caché (fi ifyrãg al-damïr)
était connu sous le surnom de "l'imbattable" (al-mu 'giz). L'écrivain Ibn Naçr raconte que
quelqu'un lui lança un défi et paria avec lui contre quelques dinars qu'il ne pourrait deviner
ce qu'il avait caché ; il prit pour témoins les personnes présentes, et promit devant eux de
le payer aussitôt qu'il aurait réussi. Alors le mujjrig al-damïr (l'identificateur) étala sa
"table astrologique" (zã 'irga), et se mit à répéter : "Tu as caché l'une des substances de la
terre qui n'a ni goût ni odeur". Puis il rajouta : "Il s'agit d'une pierre ! " Puis, brusquement,
il enleva son turban et partit au souk la tête découverte. Une fois de retour il déclara :
"L'objet que tu as caché est un aiguisoir comme celui-ci", et il jeta devant lui un morceau
d'aiguisoir. Puis il empocha les dinars.
Une fois qu'il fut revenu à lui, on lui dit : "Nous avons tout compris, sauf lorsque tu es
parti en courant, la tête découverte. . Il répondit : "Un astre m'a indiqué une couleur, u
autre astre une autre couleur, et ces deux indices sont entrés en conflit, car ils n
s'harmonisaient pas entre eux. Je ne savais pas quelle couleur on obtiendrait en l
mélangeant, ni ce qui se trouvait entre elles. Si bien que mon cœur se mit à s'échauffer
La chaleur de la réflexion atteint la tête, et c'est pourquoi je me suis découvert le crâne e
ai couru chez le teinturier. Je lui ai demandé : "Lorsqu'on mélange telle et telle couleur,
que va-t-on obtenir ? Il me répondit : " la couleur de l'aiguisoir " ( misannï ). Par augure
par conjecture, j'ai deviné que c'était un aiguisoir. Mon intuition s'est donc révélé
bonne 8 ! »
Dans cette anecdote, la zâ'irga reste fondamentalement liée à l'astrologie. Elle obéit
principes de l'harmonie universelle, où rien sur terre ne peut échapper à ce qui a été dicté
le mouvement des astres. Mais on voit que l'intuition du praticien est fondamentale, de sor
que, en fin de compte, la table astrologique n'est qu'un support, un prétexte, l'essenti
travail revenant à l'astrologue. Celui-ci avoue d'ailleurs qu'il faut faire la part du hasard et
la chance dans son travail.
Par ailleurs, on nous a raconté ici l'histoire d'une réussite exemplaire. Qu'en est-il des
échecs ? Mais, bon an mal an, la zâ'irga n'a cessé de progresser !
Le premier tournant de son évolution est marqué par l'empreinte de Mâlik Ibn Wuhayb
(525/1 13 1), un proche conseiller d'Ibn Tâsfin à Marrakech. Ibn Haldün (1 957, 1, 387) lui attribue
l'invention du bayt al-qasïd (le "vers-modèle"), vers indispensable au bon fonctionnement du
procédé divinatoire 9. C'est un vers de mètre tawil comprenant 44 lettres. On assiste là à l'entrée,
dans la pratique de la zã 'irga astrologique, d'éléments de gafr et de poésie.
En mettant de côté les problèmes que pose la biographie d'al-Bùnï (622/1225) et les
différentes éditions de son livre principal Šams al-ma 'ãrif al-kubrã 10, on découvre dans celui-
ci des informations très importantes sur la zã 'irga au VIIe/XIIIe siècle. La grande édition,
plusieurs fois parue au Caire et reprise à Beyrouth se trouve, par rapport aux deux autres
éditions, encore à l'état manuscrit, enrichie par plusieurs chapitres, dont un sur la zâ'irga (à
laquelle une vingtaine de pages sont consacrées dans le chapitre XXXIV). Malgré certaines
8. Le personnage d'Ibn Naçr al-Kãtib (« l'écrivain », « le secrétaire ») est cité une deuxième fois par Ibn al-Qiftï (1903,
439), qui lui attribue un livre intitulé Kitãb al-Mufäwada. Sous ce titre on trouve le nom entier du personnage (Abü
al-Hasan Muhammad b. 'All), qui écrivit la Mufâwada pour le roi bouyide Galâl al-Dawla, mort à Bagdad en 435/
1044 (Haggï Halïfa II, 1758).
9. De Slane (1862, 247, n. 3) l'appelle « le vers technique » et il écrit à ce propos : « au reste, ce vers ne sert qu'à aider
la mémoire en indiquant certaines lettres qui doivent s'employer dans cette opération cabalistique et montrer l'ordre
dans lequel on doit les prendre ».
1 0. Sur ce livre voir P. Lory ( 1 989, 97- 1 1 1 , et la note 1 ). Les manuscrits de la BnF Arabe 2650 et Arabe 265 1 contiennent
le texte de la grande édition, dont le nombre de chapitres a été augmenté, par rapport à la petite, du chapitre XXXIV
(ou XXXV selon Arabe 265 1). Ce chapitre, qui traite de la zâ'irga , fait défaut dans la première édition.
La deuxième idée de base chez Ibn Haldün consiste à appliquer à la za irga astrologique
des techniques empruntées au gafr, comme al-bast (détachement des lettres, pour donner à
chacune sa valeur numérique) et al-kasr (fractionnement). Ces deux procédés font partie d'une
large opération appelée istinfãq al-hurüf (questionnement des lettres). Elle consiste par exemple,
à décomposer la lettre A (alif) en ses trois lettres de base prononçables (= ALF), et faire la même
décomposition des trois lettres sorties de la première opération de détachement. Ceci afin de
trouver la valeur numérique de chacune des lettres en question. Une fois converties en valeurs
numériques, celles-ci, dans des opérations compliquées et à travers des « règles » précises, aident
à « extraire » une réponse, en prose ou en poésie, à une question préalablement posée 13. À tour
de rôle, les auteurs de la zâ'irga « polyvalente », insistent sur la complémentarité de ces deux
composantes principales. Si un auteur parle de l'aspect astrologique de cette zâ 'irga postérieure
au VIIe s.h., sans tarder il se rattrape pour rappeler l'autre aspect, le gafr, et vice- versa. L'ensemble
des « sciences » et techniques qu'il faudrait gérer décourage les curieux. « Il faut noter, écrit al-
Büni, l'énoncé de la question posée, le nom de celui qui la pose, le jour, l'heure, l'ascendant, le
couchant, l'intermédiaire, le diamètre, ce qui se trouve entre eux comme signes du zodiaque, la
balance de la métrique et la balance de la musique. Fais le total de toutes les lettres alphabétiques
et procède à leur fractionnement l4. » Les connaissances exigées par al-Büni couvrent plusieurs
domaines de la culture générale de son époque.
1 1 . Ibn Haldün ( al-Muqaddima , 1 962, IV, 1151 ; 1 1 54, 1155, 11 57) cite al-Bunï plusieurs fois, et parle souvent de son
livre al-Anmãt mais jamais du Šams al-ma 'ãrif.
12. Sous ce nom il est cité une seule fois ibid., p. 1 178, et une vingtaine de fois bayt al-qasïd , ibid., p. 1 169-1 176.
L'expression « bayt al-qasïd » signifie le vers qui résume le message moral d'un poème ; R. Blachère traduit par :
vers essentiel, sublime, quintessence, cf. Dictionnaire arabe-français-anglais , Paris 1977, t. 2, p. 933. V. Monteil le
traduit par « poème clef », Cf. la traduction de al-Muqaddima ou Discours universel sur l'Histoire, vol. Ill, p. 1 150.
13. Pour plus de détail cf. E. Doutté, Magie et religion dans l'Afrique du Nord , Paris 1984, p. 176. D'ailleurs, on peut
noter un rapport direct entre le kasr (fraction) et le bast (numérateur) mis en pratique par le mathématicien Ibn al-
Bannã al-Marrakushï (VII-VIIIC h.) et les termes utilisés dans la zâ'irga, cf. Kasr et 'Ilm al-hisãb in EP.
14. Šams al-ma 'ãrif p. 346.
Ceux-ci sont augmentés et détaillés dans le fameux poème attribué à al-Sabtï, et donné
entier par Ibn Haldùn (cf. trad. V. Monteil III, p. 1 1 1 4 sq.). Ce long poème de quelques cent
n'est pas produit par al-Büni. Pourtant le nom de son auteur est cité trois fois dans son Šam
ma 'ãrif. L'identification du personnage pose quelques difficultés. Le célèbre mystique Abü
' Abbas al-Sabtï (601/1205, EI2, VIII, p. 71 1-713) pouvait en être l'auteur pendant sa jeuness
à l'époque où, pour assurer sa vie, il enseignait la grammaire et le hisãb (l'arithméti
Autrement dit, c'est son ascétisme basé sur la charité et la pratique de l'aumône pour répan
le bien, qui pousse les chercheurs à écarter toute possibilité de le confondre avec l'auteur d
dite qasïda. Mais le problème, dans Šams al-ma 'ãrif, est que al-Büni ne fait pas une n
distinction entre « Abü al-'Abbãs al-Sabtï qui avait atteint la perfection dans le gouvernem
des événements du monde ( al-tasrïf) en adoptant, comme modèle moral, le nom de Dieu, e
soit-il, le Généreux » et « le ustãd (maître) du Centre dont la zâ'irga a pris le nom » 15.
Al-Bùnï distingue, au début du chapitre XXXIV de Šams al-ma 'ãrif, trois catégorie
la zâ'irga :
a) Une première catégorie nommée al-mawdü ' al-musta 'ãr (le sujet emprunté). C
ressemble au fa 7 ( omen = présage), on l'appelle également al-markaz (le centre). D'après lu
ce procédé était connu à l'époque du calife abbasside al-Ma'mùn. Il consiste à noter le
de la personne qui pose une question, de faire le fractionnement des lettres arabes de son n
de les mélanger avec les lettres extraites du fractionnement des lettres de la question posé
de convertir toutes les lettres en valeurs numériques... Ce procédé dont la base est le
ressemble, si on le suit jusqu'à la fin, à une sorte de zã 'irga coupée de son autre composant
l'astrologie. Ce qui est contradictoire avec l'évolution de la zâ'irga conçue dans cet art
b) Une deuxième nommée : al-mawdü ' al-bastï (le procédé de la conversion des let
en chiffres) est prise des carrés magiques ( awfãq ) quadrilatères et hexagonaux inscriptibl
dans des cercles. Al-Bùnï considère ce procédé divinatoire comme étant le plus facile.
réponses sont données soit en vers du mètre ragaz soit en prose rimée.
1 5. Cf. Šams , p. 1 55, 345, un contemporain et disciple du grand mystique Abü al-4 Abbãs al-Sabtï, a laissé une biogra
pleine d'anecdotes sur la générosité de celui qui est devenu l'un des sept patrons de Marrãkush ; cf. Yüsuf b. Ya
al-Tàdilï (ou Ibn al-Zayyãt), al-Tašawuf ilã rigai al-tasawwuf ] éd. par A. Tawfíq, Rabat 1984, p. 451 sq. Jam
ne parie de zã 'irga.
16. Cf. Šams al-ma' ãrif (ch. XXXV), manuscrit BnF, Arabe 2651 f. 91. Le texte du manuscrit diffère légèrem
l'édition du Caire, ch. XXXIV, p. 345-346.
Grâce également à la nouvelle édition du catalogue de Rabat, j'ai comparé les incipit de
deux titres de Margäni. De Slane a présenté l'œuvre du pseudo-Sabtï contenue dans les folios
1-20 comme étant un seul traité.
En effet il y a dans ces vingt folios deux traités du même sujet qui se suivent et se
complètent, sans que le copiste les sépare d'une façon nette, du fait de l'absence des deux
titres :
17. Pour le poème d'al-Sabtï, cf. Ibn Haldûn, al-Muqaddima , éd. Wãfi, Le Caire, vol. Ill, p. 1158-1165 ; pour celui
d'al-Bûnï, cf. Šams , op. cit , pp. 348-349.
18. Cf. H.-P.-J. Renaud, « Divination et histoire nord-africaine au temps d'Ibn Haldûn », Hespéris XXX (fase. 3-4),
Paris, 1943, p. 213-21.
19. Cf. Catalogue E. Lévi-Provençal, Les manuscrits arabes de Rabat , Paris 1921, p. 191 n° 478 ; cf. également la
nouvelle édition : Muhammad Ibrahim al-Kattânï et S. al-TãdilI, Fahras al-mabtütä( al-'arabiyya al-mahfuzafi
al-ffizãna al- ' ãmma , Casablanca, 1997, vol. V, p. 238, n° 4401 .
20. Cf. Catalogue des Mss. Arabes de la B.N. Paris 1883, p. 485. L'attribution du titre à Abü al-'Abbäs al-Sabtî se
trouve en effet dans la page de garde, au premier emplacement d'un tableau qui sert de table des matières de quelques
19 titres que contient ce recueil de la BnF N° 2684. Mais cette table des matières faite par le copiste s'avère fautive,
dès le départ.
a) BnF 2684, ff. lv-12v 'Atar al-dawla al-malakiyya... dont Y incipit s'accorde, à u
variante près, avec celui du ms. de Rabat décrit dans la nouvelle édition du catalog
b) id., ff. 12v -20 Tuhfat al-lablb al- 'ãlim fi al-kašf 'an asrãr al- 'awâlim (chef d'œu
de l'intelligent savant en matière de dévoilement des secrets des mondes). Le cont
de ce deuxième traité est en fait l'exposé de deux questions et les réponses obtenu
par la zã 'irga.
L'auteur précise (f. 1 9) que le šayh (son maître) utilisait dans ses travaux la totalité
cercle (= table circulaire). Quant à lui, il avoue qu'il fait usage uniquement d'une partie
celui-ci. Ce procédé s'appelle selon ses propres termes al- 'amai al-awsat (le procédé moy
À la fin du texte de ce deuxième titre, on trouve un tableau qui contient l'usage ( tadbïr ) d
douze signes du zodiaque.
Toutes ces précisions aideront, un jour, à mieux orienter les chercheurs dans ce domain
trop compliqué et face auquel plusieurs chercheurs, suivant l'exemple d'Ibn Haldün,
avoué leur incapacité à percer le mystère de ce procédé divinatoire 21 .
Mais ce qui nous intéresse, en matière de développement de ce procédé, est de pouvoir fai
la part de la zã 'irga et d'autres procédés, tel le gafr. Une phrase d'al-Margânî, dans le prem
traité ( 'Atar al-dawla ), nous paraît d'un grand secours dans ce domaine. Al-Margânï voulait
effet, offrir au sultan marinide Abü Färis (qui avait un grand intérêt pour les sciences) un t
sur l'une des sciences occultes (al- 'ulüm al-maktüma), celle qui devrait être la meilleure (f.
et b). Il a décidé d'écrire un traité sur la « zã 'irga al- 'alam » (table astrologique du monde)
l'on attribuait à Abü al-'Abbãs al-Sabtï. « Car, celle-ci, écrit-t-il, nous rend plus satisfaits p
ses multiples cercles concentriques que le cercle ( dâ'irat ) d'Ibn Talha » (f. 2V).
Kamãl al-Din Muhammad Ibn Talha, originaire de Nisibin, fut à la fois jurisconsulte,
spécialiste du Hadit (tradition du Prophète de l'Islam), théologien et praticien des sciences
occultes. Plusieurs fois qâdï, imam d'une mosquée à Damas et ministre pour deux jours, il
s'installe à la fin de sa vie à Alep où il mourra en 652/1254 22. Dans cette ville, il écrit al-
Durr al-munazzam fi al-Ism al-a 'zam (Les perles enfilées concernant le plus grand Nom).
C'est un commentaire d'un « cercle » qui contient le mystère du plus grand Nom de Dieu,
toujours inconnu des musulmans. L'histoire de la découverte de ce « cercle » est rapportée
par l'auteur au début de son livre. Elle est confirmée à deux reprises par al-BQnï dans Sams
2 1 . De Slane a écrit une note pour exprimer son regret de la traduction du texte d'Ibn Haldün sur la zã 'irga ; on peut y
lire : « Toutes les incorrections queje viens de signaler, la complication des procédés, l'obscurité répandue à dessein
sur les passages les plus importants du texte, et surtout l'absence d'un bon exemplaire des tables, me décidèrent enfin
à discontinuer un travail qui ne pouvait offrir un résultat satisfaisant. Je le fis avec d'autant moins de regret que le
sujet lui-même n'a aucune importance réelle ou scientifique, et qu'Es-Sibti, en imaginant son procédé, n'a probablement
eu pour but que d'abuser de la crédulité de ses lecteurs ». Cf. Les Prolégomènes d'Ibn fjaldün , Paris 1938, troisième
partie, p. 206.
22. Cf. Kahhãla, Mu 'gam ... X, p. 1 04.
Il est indispensable de noter que le Durr est un ouvrage de gafr, procédé de divination
basé sur la valeur numérique des lettres de l'alphabet et les noms divins. Il contient aussi des
thèmes tels les malãhim : prédiction concernant le Mahdi, le retour du Christ, l'anté-Christ, la
fin des dynasties et celle du monde. Il ne traite aucunement de zâ'irga. Celle-ci n'était pas
encore répandue en Orient musulman. L'éloge fait par al-Margânï de la zã 'irga et sa supériorité
sur le « cercle » d'Ibn Talha, signifie qu'en Occident musulman le gafr y est déjà intégré.
Vu sous un autre angle, le Durr reflète une influence précoce d'Ibn 'Arabi sur Ibn Talha 25.
À signaler, à titre d'exemple, quelques idées : a) La distinction faite par Ibn 'Arabi entre les
gens de la lumière (ahi al-anwãr ) pour désigner les mystiques de l'Orient musulman et les gens
des secrets (alh al-asrãr) pour qualifier les mystiques de l'Occident musulman ; on la retrouve
dans al-Durr (Ms. BnF 2666 f. 39). b) On y retrouve également la notion du « sceau des saints »
(hãtam al-awliyã '), qui est, selon Ibn Talha, Jésus Christ ('Isa al-Masïh), qui rencontrera al-Mahdi
à la Grande Mosquée de Damas, rencontre qui assurera la perfection mutuelle des deux entités
(kamula ahaduhumã bi-al- 'ãhar) 26 (id., f. 54v). Bien qu'il y ait des connotations si'ites dans ce
livre, on ne peut pas considérer Ibn Talha comme un auteur chi 'ite ; car il occupait des postes
clés dans l'administration ayyoubide en Syrie, c) Enfin, la notion de la šagara (arbre, avec la
racine arabe qui signifie discorde) y est présente toute seule ou annexée à d'autres mots : šagarat
al-hilãf (l'arbre de la discorde) ou šagarat al-hanzal (l'arbre de la coloquinte, symbolisant une
dynastie ennemie) (ff. 35, 36). Il faudrait signaler enfin la ressemblance de cette notion avec
celle de la šagarat al-nu 'mãniyya, faussement attribuée à Ibn 'Arabi qui contient des prédictions
sur la conquête par le sultan ottoman Selim 1er de la Syrie et de l'Egypte 11 .
23. Cf. Šams al-ma 'ãrif. op. cit , p. 48-19 et 328 sq ., où al-Bûnï consacre tout un chapitre pour exprimer son admiration
de ce « cercle de l'être » (< dâ'irat al-wugüd), car il contient tout ce qui apparaîtra dans le monde : des rois, des
souverains et des événements futurs (p. 328-345) ; à noter que ce chapitre est suivi dans Šams par celui de lazâ 'irga.
24. Cf. Manuscrit de la BnF, Arabe 2666, f. 3. Cf. également H. H., Kašf al-zunün, éd. Yaltakãya, Istanbul 1941, vol. I,
p. 734 où H. H. rapporte la même histoire. À noter, d'après lui, que c'est 'Abd al-Rahmãn al-Bastãmi (m. 858/1454)
qui identifia le nom de l'ascète de la Mosquée d'Alep, al-Ihmïmî.
25. Son nom entier : Kamãl al-Dïn Abü Sãlim (Abü 'Abdallah) Muhammad b. Talha b. Muhammad b. al-Hasan al-
Quraši al-'Adawi. Il est säfi'ite. Il mourut, d'après le manuscrit de la BnF, Arabe 2440 (ff. 1-138) le 27 rajab 652h.
/ 14. 09. 1254 à Alep. Le Ms. de la BnF 2440 contient le texte de son Kitãb al-'iqd al-farïd li al-Malik al-Sa'ïd ,
ouvrage de morale politique et religieuse, copié le 13 jumãdã 805h.
26. Sur la notion de sceau des saints, cf. M. Chodkiewic z, Le Sceau des saints , Paris, 1986.
27. Sur al-Šagara al-nu 'maniyya et la réfutation de son attribution à Ibn 'Arabi, cf. D. Gril, « L'énigme de la Shajara
al-nu' mãniyya fi al-Dawla al-'Uthmâniyya », Varia Turcica , XXXII, Paris-Montréal, 1999.
copiés à l'époque ottomane. Un seul texte, copié avant cette époque (776h.) et qui fait partie
du fonds de la Staatsbibliothek de Berlin (Sprenger 869, ff. 28-52v), présente beaucoup de
différences en volume et en contenu. Ceci dit, il faudrait trouver d'autres copies manuscrites
anciennes pour pouvoir mieux juger des interpolations et les distinguer du texte originel d'Ibn
Talha.
Ce titre est attribué, dans plusieurs manuscrits, à Ibn 'Arabi (638/1240), comme c'est le
cas pour les deux textes conservés à la BnF (Arabe 2684, ff. 90-123 ; et 2694, ff. 1-48, copié
au début de l'année 1008h.). O. Yahia, dans son Histoire et classification de l'œuvre d'Ibn
'Arabi, ne met pas en cause l'authenticité de cette attribution. Il classe cette œuvre sous la
catégorie : « ésotérisme, art divinatoire et symbolisme des lettres » 28.
Il est impossible, dans le cadre de cet article, de faire le point sur cette œuvre ; je
tâcherai d'en donner un aperçu rapide. Schématiquement, celle-ci est susceptible d'être divisée
en trois parties : les vingts premiers folios sont consacrés à la zâ'irga, les folios 21 à 44
reflètent une cosmologie et une physique très proches de celles des Ihwãn al-safã et d'Ibn
'Arabi, et l'auteur nous invitant au folio 35v à adopter la doctrine de l'unicité de l'être ( wahdat
al-wugüd) ; la dernière partie (f. 45-48) expose une éthique et une mystique philosophiques.
Ibn 'Arabi ne peut pas être l'auteur de cette œuvre. L'expression « unicité de l'être »
présentée ici implicitement, comme madhab, doctrine, correspond à une époque contemporaine
ou postérieure à Ibn Taymiya (728/1328), qui, par sa critique, l'avait répandue. En revanche,
il est très probable que l'auteur de cette œuvre originale soit le maître d'al-Margâni, l'initiateur
d'Ibn Haldün à la zã 'irga. Il s'agirait de Abü Zakariyã Yahiã b. ' Abdalwãhid ai-Andalusi al-
Hayyãt (m. après 764h.), duquel al-Margânî, nous donne un portrait qui manque de beaucoup
de traits pour être clair ! Tout d'abord, al-Margânî confirme que son maître était en Afrique
en 764h. et qu'il l'avait côtoyé un certain temps. Toujours d'après al-Margãni, son maître
avait une maîtrise extraordinaire de la pratique de la zã 'irga, il était capable de deviner tout ce
que faisait son disciple en son absence 29 . Son maître avait la possibilité de deviner le passé,
le présent et le futur. « On dirait, écrit-il, qu'il recevait une Révélation 30. » Une lecture attentive
de Usül al- 'uqül permet de constater qu'on est devant un auteur sûr de lui ; il dicte son livre à
un disciple afín de l'initier à la compréhension de la zâ'irga et à une doctrine philosophico-
magique. Le folio 9 (ms. 2694) présente une définition globale et caractéristique. Tout d'abord
la zâ'irga renferme des secrets kabbalistiques ( asrãr harfiyya). Elle dépend des relations
(nisab) naturelles, d'une capacité intellectuelle et d'un procédé technique ( qâ'ida sinâ'iyya).
28. Cf. O. Yahia, Histoire et classification de l'œuvre d'Ibn 'Arabi, Damas, 1964, vol. II, p. 519 (R. G. 808).
29. Cf. Ms. BnF, Arabe 2684, f. 3.
30. Cf. id., f. 4.
La zâ'irga dans Usül al- 'uqül n'est point un simple procédé technique isolé, elle e
par ce principe de contrariété, ancrée dans une théorie de magie sympathique qui jus
toute action divinatoire. Ceci mérite un examen plus spécifique.
CONCLUSION
La position d'Ibn Haldün vis-à-vis de la zâ'irga est bien mitigée.Tout d'abord, il refu
l'idée selon laquelle la zâ'irga peut être un moyen de dévoiler l'Inconnaissable ou de per
le Mystère divin ( al-Gayb ). Ce domaine, d'après lui, est réservé aux prophètes et aux grand
saints de l'Islam. Il affirme qu'elle doit rester dans le cadre d'un procédé technique ( am
sinâ'ï) bien déterminé. Celui-ci consiste à établir une correspondance entre la question e
réponse au niveau de la connaissance humaine ( Muqaddima , I, 388 ; III, 1 157). Pourtant
reconnaît que beaucoup d'hommes parmi l'élite de la société (al-f}awã$$) ont la passion
d'obtenir, par son intermédiaire, des renseignements sur l'Inconnaissable, et cela malgr
caractère étrange et énigmatique de sa mise en pratique (id., I, 368 ; 388).
D'autre part, Ibn Haldün défend avec enthousiasme l'authenticité de cette pratique. F
à ceux qui refusent de croire à ce procédé et qui nient sa validité, il oppose son témoign
personnel. Le fait d'avoir assisté à plusieurs « essais » de cette pratique lui a permis de const
qu'elle fonctionne régulièrement ( 'amai muttarid) et qu'elle obéit à des lois sûres (qän
sahih). Celui qui la pratique, ayant un niveau suffisant d'intelligence et une certaine intuitio
y croit fermement (id., I, 389). « J'ai vu, écrit-il, dans la contrée du Maghreb (ard al-Magrib
des gens qui l'ont pratiquée ; ils ont réalisé des choses étranges et extraordinaires, ils ont ét
capables d'influer sur l'être des choses (al-tassarufbi al-wugüd), ceci grâce à une assista
divine » (id., III, 1181 ; ce passage pourrait être une citation d'un maître d'Ibn Haldün,
éventuellement d'un autre maître antérieur à lui). Cette pratique de la zã 'irga vaut pour lui
titre d'« une curiosité formidable » (malïha mina al-mïlah ). Mais malgré l'attrait de la zâ'irg
et son usage répandu en Afrique du Nord, avant Ibn Haldün et à son époque, il n'hésite pas à
l'identifier à la magie, un nom auquel ceux qui la pratiquaient ont voulu échapper à tout pri
(id., 1157).
Ce qu'il faudrait retenir à propos de la zã 'irga, c'est qu'elle a continué d'être admirée
pratiquée après Ibn Haldün, tout en restant une curiosité d'une élite politique pratiquée
cour des rois du Maghreb. Son équivalent en Orient musulman fut « le cercle » d'Ibn Ta
qui sera remplacé, à l'époque ottomane, par « l'arbre » de Nu'mân (al-šagara al-nu 'mãniyya...
L'une des manifestations tardives de la zâ'irga insistait sur sa marque royale. Dans l
recueil de textes regroupant des traités de la zã 'irga (ms. BnF 2684), il y en a un, anonyme
sans titre. L'auteur de celui-ci écrit : « Je n'ai vu personne parmi les gens au pouvoir q
autorise l'usage ou qui en a fait une faveur aux autres, au contraire tous ils l'ont caché
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al-falakiyya 2684 (ff.lv-12V) ; Tuhfat al-labïb al-'âlim fi al-kašf 'an asrãr al-'awãlim , id. (ff.l2v-20).
Dans ce recueil de textes 2684 (ff. 1-167), il y a une quinzaine de traités sur la zairga. Un grand nombre
restent anonymes ou sans titres ; c'est le cas de celui que j'ai présenté à la fin de la conclusion (ff.65v-71).
Al-Siôzï, Abü Sa'ïd, Ahmad b.Muhammad, Al-Za 'irgat fi al-hïlag wa al-kathida, 6686 (ff. 23-3 lv).
Ibn Talha, Kamal al-Dïn, Muhammad, Al-Durr al-munazzam fi al-ism al-a'zam 2666 (l-109v) ; il y a
d'autres manuscrits à la BnF du même titre, cf.les Nos: 2663 (ff. 1-80), 2664 (ff. 1-132), 25 (ff. 1-88), 2667
(ff. 1-110), 2668 (ff. 1-88), 2669 (ff.1-152), 4606 (ff. 1-78, f. 48 où figure un autre cercle, cf. la figure 3 à
la fin de l'article) 6598 (ff. 1-102). Ils sont tous copiés à l'époque ottomane. Il y a un exemplaire du même
ouvrage à la Bibliothèque nationale de Berlin (Sprenger 869, ff. 28-52v) avec la variante de titre suivante :
Šarh al-Ism al-a 'zam wa tusamma Dâ'irat Ibn Talha. Tous les Mss de la BnF sont copiés après le XIe siècle
de l'hégire (XVIIe après J.-C.), celui de Berlin est copié au VIIIe h./XIVe après J.-C.