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MBOG BASSONG

LA THEORIE POLITIQUE
AFRICAINE

Historicité, Modélisation et Refondation


du Concept de Panafricanisme
MBOG BASSONG

LA THEORIE POLITIQUE
AFRICAINE
Historicité, Modélisation et Refondation
du Concept de Panafricanisme

4
DU MEME AUTEUR

I – ESSAIS PUBLIES CHEZ L’HARMATTAN en 2007


1- Les fondements de l’Etat de Droit en Afrique précoloniale.
2- Esthétique de l’art africain. Symbolique et complexité.
3- La méthode de la philosophie africaine, De la pensée
complexe en Afrique noire.
II- ESSAIS PUBLIES CHEZ KIYIKAAT
4- La pensée africaine. Essai sur l’Universisme philosophique,
2012.
5- Le savoir africain. Essai sur la Théorie avancée de la
Connaissance, 2013.
6- La théorie économique africaine. L’alternative à la
mondialisation du capital, 2013.
7- La religion africaine. De la cosmologie quantique à la
symbolique de Dieu, 2013.
8- Les fondements de la philosophie africaine, 2014.
III- ESSAI PUBLIES CHEZ MENAIBUC
9- La sociologie africaine. Essai sur le Paradigme de
complexité. Afrique-Antilles-Amériques, 2015.
10- Maât. La théorie du Tout. Essai sur la Vérité générale de la
nature, 2014.
11- Les impacts de météorites au Cameroun : concepts,
méthodes et enjeux théoriques, 2015.
IV- OPUSCULES ELECTRONIQUES EN LANGUE BASAA
12- Adna ni mahol má Mbog liáá-Pek inyu yani. Manifeste pour
l’édification d’une communauté Mbog liáá forte et prospère, en
traduction française.
13- Ŋkwεl ú bayímâm. Liturgie rituelle, 2011.
Consulter http://www.mbogyes.com-

6
V- ESSAIS PUBLIES CHEZ MEDU NETER
14- La Théorie du droit en Afrique : Concept, Objet, Méthode,
Portée, 2016.
15- La sagesse africaine. Comment s’initier à l’ordre de
l’Univers, 2019.
16-La Théorie de la Valeur en Économie.2019.
17- La Théorie de la communication africaine, 2019.
18- La Théorie mathématique du Tout en Afrique, 2019.
VI- ESSAIS PUBLIES CHEZ ANYJART
18- La philosophie africaine. Des mythes au logos, 2015.
19- La Renaissance africaine. Refonder la puissance de
Kemet, 2015.
VII- SUR LA PAGE FACEBOOK DE L’AUTEUR
20- Kemet. Le Livresacré de la Tradition Primordiale.

7
TABLE DES MATIERES

Note de présentation de l’auteur


Point de départ
Chapitre I : LES NIVEAUX DE REALITE
I-L’ONTOLOGIE DES NATIONS
I.1 Le déterminisme ontologique de la pensée
A-La position du problème
B-Les percées de la science
C-La question des fondements
I.2 Les mécanismes de la pensée
A-Le principe d’inclusion
B-Le principe d’exclusion
I.3 Du principe d’exclusion à l’idéologie suprématiste
A-La traversée des âges
B-Le choc des civilisations
II-LE PHENOMENE DE PANAFRICANISME
II.1La sémantique du panafricanisme
A-Les problème de vocabulaire
B-Les problèmes de définition
II.2 L’histoire et la géographie du panafricanisme
A-Le panafricanisme historique
B-La géographie du panafricanisme
II.3 Les critères normatifs d’une théorie politique
A-La critériologie commune
B- La dynamique moderne
Chapitre II : LES NIVEAUX D’ANALYSE
I-LE PROBLEME
I.1 Le panafricanisme : un phénomène complexe
I.2 Le rejet des déterminismes de « races »

9
A-Le déterminisme physique
B-Le déterminisme géographique
C-Le déterminisme religieux
I.3 La primauté du politique
II-LE CONCEPT
II.1 L’instrument d’analyse
A-Concept et jugement scientifique
B-Concept et option éthique
C-Concept et action
II.2Les matériaux
II. 3La démarche de conceptualisation
A-Le champ épistémologique
B-La méthodologie
C-L’objectivité scientifique
Chapitre III : LA MORPHOSTRUCTURE
I-LE MODELE PHARAONIQUE
I.1 L’hypothèse cosmologique du modèle étatique
I.2 La mystique de la création
I.3 La fonction antichaos du double-pays
A-L’antichaos en tant qu’objet de science
B-L’antichaos en tant qu’objet de religion
C-L’antichaos en tant qu’objet de politique
II-LE MODELE MALIEN
II.1 Le serment des rois chasseurs animistes
A-L’intégrité des rois chasseurs animistes
B-L’antichaos en tant qu’objet de politique
C-L’antichaos en tant qu’objet de religion
D-L’antichaos en tant qu’objet de science
II.2La Charte de Kurukan Fuga
Chapitre IV : LA MODELISATION
I-LA MODELISATION SPIRITUELLE

10
I.1 La vérité du mythe
A-La portée rationnelle
B-L’objectivité de la valeur
C-Le fond mythologique
I.2 Du mythe au logos
A-Le mythe en tant que logos
B-Le logos du fédéralisme
I.3 Le référent cognitif du fédéralisme
II-LA MODELISATION SCIENTIFIQUE
II.1 L’esprit scientifique africain
II.2La nature de la loi
A-La métamathématique de la loi
B-La structure géométrico-algébrique antichaos
III-LA MODELISATION ORGANISATIONNELLE
III.1 Les distorsions de sens
III.2Le projet-programme de l’idéal panafricaniste
A-Le contexte
B-La problématique
C-L’objectif général
D-Les objectifs spécifiques
Le point de chute
Bibliographie

11
Hommage à Cheikh Anta Diop !
« Il devient évident que le sentiment d’unité
historique, et partant, d’identité culturelle que la
recherche scientifique est capable de faire vivre à
l’heure actuelle à la conscience culturelle africaine,
est non seulement qualitativement supérieur à tous
ceux connus jusqu’ici, mais joue un rôle protecteur
de premier ordre dans ce monde caractérisé par la
généralisation de l’agression culturelle. »
Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie, Paris,
Présence Africaine, 1981, pp. 274-275.
« Il est raisonnable de penser qu’un gouvernement
fédéral africain donnera des armes égales aux
tenants de la religion ancestrale, en provoquant un
conseil œcuménique et ses prêtres, pour permettre la
création d’une hiérarchie, d’une liturgie mieux
adaptée, la formation et l’éducation d’une caste de
prêtre à l’échelle du continent, l’approfondissement
et la normalisation du Monothéisme ancestral. Ce
faisant, le gouvernement fédéral futur protégera le
continent de toute nouvelle pénétration insidieuse de
l’étranger, mettra les Africains à l’abri de toute
aliénation culturelle. »
Cheikh Anta Diop, « L’unité culturelle africaine » in
Alerte sous les tropiques, Paris, Présence Africaine,
1990, p. 122.

13
Note de présentation de l’auteur
EN RACCOURCI
Nous voudrions montrer :
- Quoi ? L'enjeu de la pensée africaine a été de se faire une
représentation objective de l'ordre du monde.
- Pourquoi ? L’Homme ayant été engendré par l’Univers,
il a été considéré comme le garant de l’ordre divin dont il
est co-originaire de la tâche de recréation universelle (de
l’Univers !), afin qu'à l'éternité sociale corresponde une
éternité cosmique. Même si par ailleurs on peut penser
que l’esprit de cet Homme n’est pas forcément l’esprit de
l’Univers, l’Homme des premiers temps, (l’Homo sapiens
sapiens né en Afrique) a progressivement découvert sa
propre réalité grâce à une intense activité d’observation de
la Nature. A partir de là sont nées les lois d’organisation
de la Nature, de l’esprit, de la science et de l’organisation
des sociétés depuis des temps immémoriaux.
- Comment ? Pour parvenir à cette représentation objective
de l’ordre « juste » dans une Nature déjà organisée avant
l’avènement de l’Homme, les sages, savants et initiés ont
pu établir la fonction anti-chaos inscrite en toutes choses,
inanimées et animées, invisibles et visibles. Cette fonction
s’organise comme une métamathématique agençant tout
ce qui est selon une Règle qui régit l’ordre et l’évolution
complexe de l’Univers (image 1). C’est le sens à donner à
Maât (Matè des Douala, Mèè, Maliga des Bassa dans le
Littoral camerounais, Mawu des Fon du Togo et du Bénin,
Mawela Nanjila des Luba du Congo, Mahano des Nyoro
15
en Ouganda, etc.) Aussi cette fonction a-t-elle été reprise
en projet dans les institutions traditionnelles aux fins
d'aménager une culture de paix par le biais du tiers inclus
sociologique. Il s’agit d’un paradigme africain à l’origine
de la forme particulière de l’Etat fédéral que dessinent les
grands empires de l’Egypte pharaonique (Haute et
Basse)dans l’Antiquité ou du Manden (Ghana et Mali) au
Moyen âge. La forme de l’Etat, le logos de sa stabilité,
dessine le modèle de base du lignage, du clan, de la tribu,
des nations et du double-pays précité, par croissances
complexes de ses entités respectives à la manière des
« poupées russes » (ordre fractal), chacune conservant une
autonomie relative à toutes ces échelles. Ce mode
d’organisation montre une bipolarité de l’organisation de
base, reprenant la lutte des particules primordiales,
antimatière et matière, élevées à la dignité de deux dieux
primordiaux : Horus et Seth. La symétrie « unique » de
départ (image 2) débouche sur un résultat « asymétrique »
à l’arrivée (image 3).
Nous sommes en cosmologie. Puis, la science a été
rapportée à un ordre sacral où l’initiation est une Règle de
gouvernance contraignante pour tous. C’est ainsi que notre
Afrique a pu et su conjurer les conflits, évacuer toute
tentative de domination de la Nature et des hommes, en y
neutralisant les appétits de puissance des rois, l’esclavage
de l’Autre et la violence entre et dans les Nations. Puis le
désir de paix est devenu une culture, la guerre ayant été
considérée comme un genre rétrograde. Aussi la rencontre
de l’Afrique noire avec l’islam, le christianisme, l’école et
le modèle de l’Etat-nation a-t-elle enclenché un désordre,
un mouvement général d’aliénation. Tout cela oblige enfin
16
à repenser le monde, en fixant pour toutes les Nations, des
repères solides et souhaitables pour demain.

17
Point de départ
LA CRISE DE CROISSANCE DU CONCEPT DE
PANAFRICANISME
« L’Afrique Noire n’a pas encore révélé toute
la richesse de son passé et il importe de
reconstituer celui-ci en partant des peuples
africains eux-mêmes et de la culture qu’ils
ont produite. »
Christophe Wondji, « La philosophie et le
développement d’une science » in Afrika
Zamani, n° 16 et 17, Février 1986, p. 18.
Le concept de panafricanisme date des années 19001.
Il a pour objet l’édification d’une communauté d’origine
de tous les Africains à laquelle devrait correspondre une
communauté de destin face à l’adversité dominante.
De fait, la traite négrière, la déportation, l’esclavage,
la colonisation, l’oppression, l’injustice sociale, la torture,
la terreur, l’assassinat, l’exclusion et le racisme procèdent
des rapports de domination et de forcepensés,entretenus et
mis en branle par une histoire politique enracinée dans le
fond esclavagiste et expansionniste de la Grèce antique.
Aussi la solution à cette adversité a-t-elle commandé le
pannégrisme, une idéologie fondée sur l’unité raciale des
descendants de déportés en vue de la défense de leurs
intérêts, voire d’un retour-intégration en Afrique noire.

1
Ce concept est attribué à Henri Sylvester William de Trinidad cité
dans la littérature courante par Georges Padmore in Panafricanisme
ou communisme ? La prochaine lutte pour l’Afrique, Paris, Présence
Africaine, 1960, p. 129. Il s’agit d’un brillant avocat antillais qui
aurait exercé au barreau anglais à la frontière du dix-neuvième et du
vingtième siècle. Le concept de « panafricanisme » semble avoir été
inspiré par le « racisme » anti-noir.
19
Dans l’esprit des premiers leaders noirs2, le concept
de panafricanisme a correspondu à un défi lancé aux
idéologies raciales (le panaméricanisme, le panarabisme,
le panhellénisme, le pangermanisme) avant de se muer en
un moyen de revendication des droits civiques et de
condamnation de toutes les formes de haine, de racisme et
de discrimination. Voilà pour la méthode.
En théorie, la stratégie a été l’émergence d’un front
de pensée pour lequel il importait de bien réfléchir sur les
mesures objectives, adéquates et efficaces, et surtout, à la
hauteur des enjeux de civilisation : l’intégrationnisme (Du
Bois), le« sionisme » noir (M. Harvey), l’activisme de la
FEANF3, l’anti-communisme-capitalisme (Padmore G.),le
projet du tiers-mondisme (conférence à Bandoeng),l’unité
culturelle et spirituelle des nations nègres (Diop A. et T.
Obenga) et le consciencisme (K. Nkrumah), pour ne citer
que ceux-là, ont visé un idéal panafricaniste.
Très tôt, ces approches sont apparues inadaptées aux
problèmes rencontrés par les leaders qui faisaient appel à
ces expertises. De ce point de vue, force est de reconnaître
que les forces de pression internationales ont réduit les
marges de manœuvre des leaders engagés pour la cause4.
De nombreux travaux de recherche sont été consacrés sur
le sujet ; nous n’insisterons donc pas sur ce point.

2
Les premières figures en sont : Sylvester Williams, Benito Sylvain,
Wilmot Blyden, Walter Alexander, Henri Brown, Firmin Antênor, etc.
3
Cette Fédération des Etudiants d’Afrique Noire vivant en France se
constitue en 1950 à Bordeaux.
4
Tel serait le résultat des batailles des groupes politiques de Monrovia
et de Casablanca où l’idéal panafricaniste a été mis en berne.
20
Précisons simplement que des luttes de leadership
aux putschs militaires en passant par les coups d’Etat
militaires ou civils, il s’est agi de neutraliser les forces de
revendications ou de liquider, le cas échéant, les leaders
charismatiques. P. Lumumba, Um Nyobé, B. Boganda, E.
Mondlane, N. Azikiwé, S. Touré, J. Nyerere, S. Olympio,
J. Kenyatta, H. Selassié, J. Garang, M. Keita, A.Cabral, T.
Sankara, etc., sont de ceux-là.
Bon gré mal gré, consciemment ou inconsciemment,
l’idéal panafricaniste s’est construit en montrant par le bas
des formes complexes de résistances à la fois politiques,
religieuses, ethniques, sociales, à défaut de revendications
démocratiques souvent violentes, par le haut, des intérêts
dictés par l’Europe coloniale, le Conseil de sécurité des
Nations Unies et/ou les alliances communistes.
De là à faire valoir l’idée d’une fatalité, il y a eu un
pas allègrement franchi par les Chefs d’Etats adoubés par
l’Occident. Ils ont alors bénéficié de leur position apicale
dans le modèle de l’Etat-nation, rusant bien souvent avec
l’histoire pour faire valoir leur longévité au pouvoir.
Des solutions ont été proposées pour faire avancer la
barque panafricaine avec l’union politique sous-régionale5,
le panafricanisme de coopération libérale (Plan de Lagos
de 1980, BAD6, NEPAD7), la Charte de la Renaissance
culturelle (2006), les réalisations utilitaristes d’envergure
5
La CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique
Centrale ou encore la CEDEAO (Communauté Economique des Etats
d’Afrique de l’Ouest), par exemple, qui ne montrent toujours pas des
avancées plus audacieuses.
6
C’est la Banque Africaine de Développement.
7
Pour dire en anglais New Partnership for Africa’s Development.
21
(Kadhafi8) ou encore le projet de l’Union africaine (2013),
avec l’objectif d’une unité politique à l’horizon 2063. A
chacun d’en juger l’efficacité. Nous pensons à Yves
Person qui résume assez bien le sens :
« Les Etats africains contemporains, ou du moins la
plupart de leurs leaders, rêvent de s’aligner
progressivement sur un modèle d’organisation
politique, sociale et culturelle dont ils ne voient pas
qu’il est un système abstrait masquant la réalité de
la société d’origine, et que, s’il a correspondu à un
projet efficace voici deux siècles, il est en
contradiction avec les exigences du monde actuel. 9»

C’est là un fait déconcertant. Thierry Michalon, qui


connaît bien l’Afrique, dit crûment son opinion :
« La situation désastreuse du continent est en partie
imputable, à mon sens, au mimétisme institutionnel
ainsi encouragé chez les élites et à l’ignorance
délibérée de tout ce qui relève de la culture, de la
vision de la vie, bref, à la véritable schizophrénie
développée chez les intellectuels africains par leurs
10
études juridiques selon les traditions françaises. »
Pour le politologue, le concept de l’Etat-nation, né
en Europe dans certaines conditions particulières, ne peut

8
Dans article qui a fait sensation en 2011, le géostratège Paul Pougala
a dévoilé « Les vraies raisons de la guerre en Libye » contre Kadhafi.
Celui-ci a réussi un exploit : mettre sur pied quatre réalisations de
grande envergure : le satellite africain RASCOM, le Fond Monétaire
Africain (Yaoundé-Cameroun), la Banque Centrale Africaine (Abuja-
Nigéria) et la Banque Africaine d’Investissements (Syrte-Libye).
9
Yves Person, « L’Etat-nation et l’Afrique, Le Mois en Afrique, n°
190-191, octobre-novembre 1981, p. 30.
10
Thierry Michalon, en collaboration avec Ebénézer Njoh Mouelle,
L’Etat et les clivages ethniques en Afrique, Yaoundé, Editions
Ifrikiya, 2011, pp. 78-79.
22
être tenu pour un idéal. De son côté, le juriste Thierry
Michalon a de bonnes raisons de penser que l’élite locale,
universitaire et politique, a intériorisé comme légitime une
identité historique contre nature de la culture africaine11.
Nous voudrions approfondir cette question en sortant des
chapelles disciplinaires qui enferment le débat dans les
postures méthodologiques souvent routinières. Le savant
et sociologue français Edgar Morin nous convainc :
« Cela peut chagriner beaucoup de reconnaître que
s’il existe des sociologues, la sociologie n’existe pas
encore. Mais d’autres, dont moi-même, puisent de
l’ardeur à l’idée que la sociologie doit naître. 12»

Le décor est planté : « la sociologie doit naître ». Tel


est le défi épistémologique de notre temps. Rappelons, à
toutes fins utiles, que le concept de panafricanisme est en
construction, en transformation, en déformation et même
en élargissement conceptuel. Nous voudrions le refonder
et poser de nouvelles balises pour assurer son parfait
entendement. Il sera donc question de le modéliser.
En cela, nous suivrons les traces de Cheikh Anta
Diop et Théophile Obenga relatives à l’indispensable unité
spirituelle et culturelle des nations nègres prolongée avec
11
Le déterminisme occidental a entrevu le passage inéluctable du
mode de production "primitif" au capitalisme. Pour Emile Durkheim,
les sociétés traditionnelles à solidarité fortement mécanique,
connaîtraient elles aussi, une évolution vers les sociétés dites
modernes, à solidarité organique avec des rapports corporatistes et très
intéressés. Dans le même élan, Auguste Comte a soutenu que les
sociétés "primitives" en général attachées aux pratiques fétichistes et
vénérant la nature, s’en détacheraient par le biais d’une métaphysique
« critique » du modèle spirituel africain.
12
Edgar Morin, Sociologie, 2e édition revue et augmentée par l’auteur,
Fayard, 1994, p.141. Collection Points. Série Essais.
23
intérêt par Molefi Kete Asante et Ama Mazama avec en
vue, le projet de recyclage des enseignants13.
Aussi envisageons-nous cette analyse sous l’angle de
l’épistémologie de la complexité14(1). L’avantage de cette
démarche, c’est la prise en compte de certaines passerelles
entre « cognitif et normatif », « symbolique et
politique »(2) indispensables pour rationaliser la pensée,
qui anime la théorie politique africaine(3), l’enjeu étant la
signification des faits, ce qui fait leur unité et leur stabilité
en termes de logos ou de morphologie (4).
1.La visée épistémologique
Nous pensons qu’il revient à cette épistémologie15 le
soin de cerner les changements de sens du panafricanisme
et d’élaborer une théorie en adéquation avec la puissance
d’extension historique et géographique de ce concept.

13
Afrocentric Infusion for Urban schools: fundamental Knowledge for
Teachers, Library of Congress Cataloging-in-Publication data, 2010.
Le concept « afrocentrique » impose que la pensée repose sur les
schèmes de pensée africains et s’organise autour de l’être « africain ».
14
L’expression « Epistémologie de la complexité » nous vient d’Edgar
Morin in Science et Conscience de la complexité, coordonné par C.
Atias et J.-L. Le Moigne, Coll. « Cheminements interdisciplinaires »,
Aix en Provence, Librairie de l’Université Editeur, 1984, pp. 47-103.
De ce point de vue, le paradigme cartésien est fondé sur un principe
d’exclusion (tiers exclu) tandis que le paradigme africain développe
un principe d’association (tiers inclus).
15
L’épistémologie africaine se justifie ici par le fait qu’elle formalise
une unité de la science, pour ne pas dire de toutes les sciences, en
accord avec la spiritualité africaine.
24
Nous entendons ainsi réviser sans limite aucune les
idées reçues en sociologie politique et en philosophie16 en
posant des prothèses, « posées d’abord », avant la thèse :
appréhender la domination de l’Occident sous l’angle
d’une norme de régulation et envisager, sur cette base,
une refondation du panafricanisme qui préserverait les
intérêts matériels et immatériels du continent noir.
Première prothèse :
Il est désormais établi que les rapports de domination
et d’esclavage ont quelque chose à voir avec le nomadisme
indo-aryen17. Le professeur Jean-Pierre Changeux montre
qu’il existe une relation directe entre la conscience que
nous avons de la réalité et les neurosciences : le cerveau
porte l’empreinte culturelle de notre environnement via les
stimuli encodés par les synapses neuronales. Il en résulte
un lien entre nature et culture18. Ce lien est spirituel19 (de
l’esprit !). Il prescrit une, Weltanschauung, autrement dit,
une vision du monde qui organise la science et la société.
Preuve est faite qu’il existe des dispositions stables
et causales construites par l’esprit ; celles-ci influencent
l’interprétation de la réalité. Les sages avaient prévenu :
« Rien ne vient à l’esprit qui ne soit passé par les sens ».
16
Nous reprenons le va-et-vient entre l’épistémologie et l’éthique, la
norme rationnelle et l’axiologie, la vérité et la méthode in Du texte à
l’action. Essai d’herméneutique II, Paris, Esprit/Seuil, 1986.
17
Lire l’excellent livre de Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie,
Paris, Présence Africaine, 1981.
18
Jean-Pierre Changeux, « La Lettre du Collège de France », n°18 in
Pasteur Le Mag, Magazine trimestriel de l’Institut Pasteur, n° 4,
janvier 2008, p. 61.
19
C’est l’avis du physicien Bernard d’Espagnat, Penser la science ou
les enjeux du savoir, Paris, Bordas, 1990, p. 7.
25
Aussi le chapitre I fait-il intervenir les niveaux de réalité
du panafricanisme qui influencent l’ordre social.
Deuxième prothèse :
Le lien spirituel est perceptible à travers les codes
sociaux partagés par des groupes organisés. Il implémente
de signes décryptables dans les représentations culturelles,
scientifiques et symboliques de la réalité. Aussi le titre du
chapitre II porte-t-il sur les niveaux d’analyse des signes
produits par les codes du panafricanisme.
Troisième prothèse :
Par le biais des signes, on peut remonter aux causes
lointaines, profondes, historiques, cognitives, rationnelles
et normatives des faits politiques ; ces causes structurent
les globalités structurelles de l’univers mental des groupes
organisés et sont donc irréductibles aux individus, pris
isolément. La diversité humaine et culturelle est bien une
loi de la vie ; à l’instar de la diversité minérale, végétale et
animale, elle a l’avantage de préserver une identité, une
intégrité et un habitus dictés par l’environnement et portés
par une conscience historique et collective. Nous pensons
qu’une morphostructure sociale en sous-tend l’ordre. Tel
est le titre du chapitre III.
Quatrième prothèse
Cette morphostructure sociale est physique ; on peut
l’analyser à travers la forme de l’Etat ou de la Charte; en
revanche, l’expérience de cette connaissance est spirituelle
etinobservable, car fixée par le cerveau. C’est l’analyse de
l’information en circulation qui peut instruire la forme
organisant la théorie, titre du chapitre IV.
26
Maintenant que nous avons justifié les titres de nos
chapitres, faisons appel à des connaissances spécifiques
pour parvenir à un décryptage des phénomènes complexes,
à l’instar de ceux qui gouvernent la pensée. Grâce aux
avancées des sciences cognitives (la biologie, la génétique,
la neurologie, la psychologie cognitive, la sociobiologie,
l’anthropologie, la linguistique), on peut enfin accéder à
l’infrastructure humaine pour y entrevoir la structure de
l’esprit, son paradigme20, sa norme de cognition21, puis en
modéliser des actions par la théorie de l’organisation (le
système, l’information, la cybernétique).
Pourquoi en parler ? Parce que précisément, certains
esprits peu pointilleux restent d’avis que la science est
« universelle » et qu’il suffit de « mimer » le dispositif
cognitif de l’ordre cartésien, occidental, pour faire œuvre
de science. Il s’en suit une délirante interprétation des faits
sociaux et politiques, bien souvent en contradiction avec
les lois de la communication. Il appartient à chaque groupe
social d’organiser ses propres représentations de la réalité
et, de lui conférer, d’autorité, une valeur. Aussi montrons-
nous que le dispositif africain est porteur d’un paradigme
de grande complexité.
20
La visée de Thomas Kuhn est celle d’une proposition fondamentale
(La structure des révolutions scientifiques, traduit de l’américain par
Laure Meyer, Paris, Flammarion, 1983, p. 71) ; Edgar Morin enrichit
cette première visée : « Le paradigme que produit une culture est en
même temps le paradigme qui reproduit cette culture. » (Lire surtout
L’intelligence de la complexité, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 74). Le
paradigme de Kuhn renvoie à des traditions particulières qui régulent
les crises de la science en conduisant à des changements d’orientation
tandis que Morin y entrevoit un enjeu de culture.
21
La cognition relève de l’intelligence et donne sens à la connaissance
rationnelle selon une méthode rapportée ici au « dispositif » cérébral.
27
2.La valeur du paradigme
En Afrique, la formation du lignage, du clan, de la
tribu, de la nation et de l’ensemble des nations constituées
en une fédération ou en une confédération participe de la
structure de l’Etat multinational et multiculturel, selon une
disposition fractale, autrement dit, sans changement de
forme malgré le changement d’échelle22.Cette disposition
engage des niveaux d’organisation qui reproduisent en
leur sein la structure de base par emboîtements des parties
dans le Tout. Ici, le tiers est inclus au plan sociologique.
La structure de base, lignagère ou clanique, apparaît ainsi
« protégée »par une opération mentale qui maintient son
identité dans un ensemble plus complexe comme l’Etat.
Dans les sociétés nordiques, il en va autrement. La
formation de l’Etat-nation met en scène des personnes
atomisées et désignées citoyens, c’est-à-dire des individus
sans liens affinitaires. A l’instar des objets mathématiques
ou physiques portés àl’analyse, la pensée cartésienne se
donne à traiter toute société comme une masse d’individus
isolés. Le paradigme mathématique est aussi un paradigme
sociologique ayant vocation à pulvériser tout ce qui est
« tissé » et à ruiner les velléités de solidarité affinitaire.
Les revendications catalanes, occitanes, tchétchènes,
basques, corses, kurdes, serbes, etc. sont l’expression
d’une nouvelle aventure des cultures enfin confrontées à
une période de sédentarisation plus longue et plus étendue

22
Dans son analyse mathématique des phénomènes naturels, Benoit
Mandelbrot nous conduit à une rationalisation des formes a priori
anodines à l’instar du tracé des cours d’eau ou de séismes. Cf. The
Fractal Geometry of Nature, New York, Freeman, 1977, réed.1983.
28
que les précédentes. Bien plus : ces cultures sont sommées
de se débarrasser de leurs servitudes biologiques héritées
du passé nomade.
Par un défaut de nature, le paradigme cartésien hérité
de la colonisation s’oppose ainsi au « tissé » des cultures
ethniques africaines. Les institutions de l’Etat-nation nient
le statut juridique traditionnel des ethnies et cultures. D’où
la puissante montée du tribalisme partout en Afrique noire.
Vus sous cet angle, les modèles politiques africain et
occidental s’affrontent par le biais de deux visions du
monde qui ont engendré deux théories du social opposées.
Nous introduisons dans notre démarche une nouvelle
base réflexive qui articule le noumène et le phénomène,
l’ontologie et l’épistémologie, l’éthique et l’action. Tel est
le sens à donner au contenu du chapitre I.
3.L’éthique de la connaissance rationnelle
La problématique de cette contribution peut être
résumée en ces termes : peut-on penser le panafricanisme
en taisant le statut historique des Etats traditionnels au
plan législatif (multinational et multiculturel) ; religieux
(cosmothéisme, initiation), ontologique (complémentarité
et participation de tous les êtres), épistémologique (ordre
de l’Univers et éthique conforme à cet ordre) ? Il s’agit là
des niveaux d’analyse que nous abordons au chapitre II.
La mise à plat de ces notions apparemment banales
est d’une grande importance pour élaborer une théorie. Il
s’agit là du fond des choses, d’un intérêt pour signifier les
faits de cultures et de civilisations le moins mal possible.
Car en vérité, tout cela est délicat, subtil même.
29
4.La signification des faits
La science entend réfléchir sur des questions qui
semblaient naguère banales, comme par exemple la place
et le rôle de l’homme dans la nature. Après l’appétit de
puissance et la soif de domination de cette nature, place à
un peu de philosophie. René Passet, économiste émérite et
environnementaliste, nous réconforte:
« Les vraies questions concernant l’Homme,
obscurcies pendant des millénaires par les exigences
de lutte pour la survie se posent donc enfin à lui :
elles se réfèrent à son être, sa place par rapport à
l’ordre des choses et ses relations avec la nature.23 »

Oui, assurément. Mais il y a autre chose. Il y a que,


dans le déroulement du discours tenu par le capitalisme, ce
genre de réalisme philosophique ne passe pas et se perd
même dans la brume des rêves d’une société idéale. Edgar
Morin emboîte le pas à Passet pour célébrer la sagesse :
« On appelle sous-développées des cultures qui
comportent des savoir-faire (en médecine par
exemple), des sagesses, des arts de vivre souvent
absents ou disparus chez nous ; elles recèlent des
richesses culturelles, y compris dans leurs religions
aux belles mythologies, certaines ignorant les
fantasmes des grands monothéismes, préservant la
continuité des lignées dans le culte des ancêtres,
maintenant l’éthique communautaire, entretenant
une relation d’intégration à la Nature et au
Cosmos. 24»

23
René Passet, L’Economique et le Vivant, Paris, 2e éd. Economica,
1996, p. 288.
24
Edgar Morin, La Voie. Pour l’avenir de l’humanité, Paris, Fayard,
2011, p. 49.
30
A la suite d’Edgar Morin, Nicolas Hulot, journaliste
et environnementaliste, situe le lieu de cette sagesse :
« L’Afrique est un continent qui déborde de cette
ressource qu’est la sagesse, tellement raréfiée chez
nous. 25 »

Hesna Cailliau, sociologue et historienne, finit par


crever l’abcès :
« Nous avons en Occident quantité d’experts mais
pas assez de sages. 26»

La communauté scientifique se souvient enfin et,


ironie du sort, la sagesse ancestrale revient sur le devant
de la scène scientifique par une voie inattendue qui met au
défi les vérités cartésiennes longtemps tenues pour exactes
au sens littéral. Contre toute attente, l’élite intellectuelle et
politique africaine continue d’ignorer les avancées de la
science et campe sur les postures « classiques », nie ses
traditions, sa culture, ses croyances, ses mythes, tout, mais
alors presque tout, y passe. Pour sortir de la nasse, nous
montrons la puissance du modèle politique africain. Tel
est le contenu du chapitre III. Nous entendons y signifier
les faits. Edgar Morin nous le recommande vivement :
« A ce niveau-là, il faut développer une socio-
histoire de la connaissance, y compris l’histoire de
la connaissance scientifique. 27»

25
Nicolas Hulot, propos recueillis par Nicolas Truong in Le Monde,
Hors-série Edgar Morin, p. 95. On peut noter la grande sincérité de ce
Ministre dans le gouvernement du président Emmanuel Macron.
26
Hesna Cailliau, L’esprit des religions. Connaître les religions pour
mieux comprendre les hommes, Editions Milan, 2003, p. 302.
27
Edgar Morin, en collaboration avec Jean-Louis Le Moigne,
L’intelligence de la complexité… 1999, p. 70.
31
Avec la fin des certitudes, l’Occident savant s’ouvre
enfin à la complexité du Réel, contre le discours cartésien
qui, naguère, postulait une absoluité de ses certitudes28. A
ce propos, lire René Thom est un plaisir pour qui sait
présager l’ambiance du futur. Sa faculté de pénétration des
sujets complexes de morphogénèse est étonnante :
« En effet, un caractère typique des champs
morphogénétiques sociaux est qu’ils modifient,
souvent de manière durable et irréversible, le
comportement des individus.29 »

René Thom nous invite ainsi à considérer les


champsmorphogénétiques comme des processus sociaux
instables, souvent même irréversibles. Il y dévoile deux
cas : la non-destruction d’un système par une« fonction
d’hystérie ». A ce plan, apparait une évolution vers une
forme sociale plus complexe. Puis, il y a le cas extrême où
un système social peut être entièrement détruit. Ce dernier
cas est représenté par une« courbe fermée, convexe,
lisse. ». On voit poindre les éléments d’une problématique
des rapports des mathématiques aux formes d’aliénation
mentale de l’élite intellectuelle, éléments qui confèrent à
la morphogénèse une amplitude d’analyse des faits et une
étrange séduction. La représentation de l’aliénation en tant
28
Il y a un changement de cap observé par les Occidentaux eux-
mêmes. La science de la complexité oriente les recherches vers de
nouveaux pôles disciplinaires et méthodologiques : les catastrophes
(Thom), les structures dissipatives (Prigogine), la systémique (Morin,
Bertalanffy), la cognition (Changeux, Piaget), la cybernétique
(Wiener), la théorie de l’information (Gleick, Shannon), l’algorithme
(Kolmogorov, Chaitin), le quantique (Wheeler, Weinberg, Aspect).
29
René Thom, Stabilité structurelle et Morphogénèse, Paris, 2è éd.
InterEditions, 1977, p. 322. Il y réalise une prouesse : donner une
forme à un phénomène social ou politique.
32
qu’un fait de morphogénèse peut apparaître quelque peu
forcée. Il n’en est rien car René Thom entrevoit une seule
dynamique à l’origine de toutes les formes :
« Toute évolution n’est alors qu’un changement
dans l’arrangement, la superposition de ces formes
30
élémentaires. »
C’est sur cette base que la morphologie sociale va se
constituer en une théorie politique (chap. IV). Lisons, pour
conclure cet exposé, la grande réflexion que nous suggère
Hervé Barreau :
« Quand l’esprit humain entrevoit comment tous ces
processus ont pu se mettre en route et se maintenir,
alors il ne sent plus étranger à cet Univers et
acquiert davantage de confiance en ses propres
pouvoirs qui doivent lui faire prendre conscience de
sa responsabilité concernant l’avenir de l’espèce
31
humaine et de la vie sur sa planète. »
Conscience de l’ordre de l’Univers et Responsabilité
de l’Homme dans cet Univers, tel est le sens à donner à la
sagesse. A présent, nous pouvons récapituler l’ordre de
nos chapitres après avoir justifié leurs titres et contenus.
Chap. I : Les niveaux de réalité(l’approche culturelle)
Chap. II : Les niveaux d’analyse(l’approche complexe)
Chap. III : La morphostructure (l’approche fonctionnelle)
Chap. IV : La modélisation (l’approche mathématique).

30
Idem, p. 3.
31
Hervé Barreau, L’épistémologie, coll. « Que sais-je ? », 6è édition
PUF, 2008, p. 123.
33
Chapitre I
LES NIVEAUX DE REALITE
(L’APPROCHE CULTURELLE)
« Nous ne sommes pas universels et nous ne
le serons jamais. Les catégories conceptuelles
qui informent notre représentation du monde,
les instruments d’analyse qui nous sont
familiers, les valeurs qui structurent notre vie
sociale, tout cela est culturel et donc
particulier. »
Louis-Vincent Thomas et René Lune au, La
Terre africaine et ses religions, Paris,
L’Harmattan, 2004, p. 13.
En introduction, nous avons justifié le choix de tous
nos chapitres et résumé leurs contenus respectifs. Le but
était de montrer que l’organisation d’une société et de la
science sont gouvernées par une opération mentale pilotée
dans le cerveau sous la forme d’un paradigme.
Le paradigme porte l’empreinte de l’environnement
dans lequel nous évoluons ; il permet alors de comprendre
comment se construit la culture, autrement dit, les idées,
opinions, idées, croyances, coutumes, normes, institutions
et sciences. C’est ce même paradigme qui dicte le genre de
relations à entretenir avec les voisins et groupes sociaux.
Ce qui est donc en jeu, c’est la nature de ce paradigme qui
accompagne la présence des Nations dans le monde.
Le sentiment de présence des Nations prédétermine
un positionnement et un projet de civilisation sur fond de
puissance, de prospérité, de gloire, de hiérarchisation des
« races », voire de domination et même d’asservissement
des autres Nations par la guerre, l’extermination, voire le
génocide dans une forme extrême de violence.
35
L’ontologie ou encore la connaissance de l’être en
soi de ce paradigme nous intéresse, surtout qu’il naît d’un
champ de perception du Réel32.L’ontologie oriente ainsi,
dans un fatalisme à peine justifié, le face à face violent des
Nations de puis l’Antiquité (I).Le panafricanisme s’inscrit
comme un phénomène né de ce face à face dans les temps
modernes. L’analogie avec d’autres courants idéologiques
tels le panarabisme, le pangermanisme, le panhellénisme
ou le panaméricanisme montre qu’il s’agit d’une véritable
construction de l’esprit, par altérité et différenciation de la
culture sur un double plan : métaphysique et physique (II).
I-L’ONTOLOGIE DES NATIONS
Rappelons, d’entrée de jeu, que les paradigmes du
tiers exclu (nordique, cartésien) et du tiers inclus (africain,
complexe) programment des opérations de discrimination
sociologique. Dans certains cas, l’exclusion peut amplifier
le mépris des autres, renforcer les égos, pousser à la haine
et à la peur, voire développer le racisme, et même idéaliser
le « genre » violence, souvent à titre préventif. L’histoire
des croisades en est un cas patent.
L’ontologie des Nations a des comptes à rendre à la
violence des relations internationales. Les avancées de la
science montrent une similitude de rapport et de finalité
entre le paradigme d’exclusion et la violence (I.1). C’est
dire qu’une anthropologie de la violence institutionnelle

32
Bernard d’Espagnat, op. cit., p. 204, fait une distinction entre le
Réel, connaissable à travers les phénomènes observés, et le réel-en-
soi, une réalité indépendante voilée à la science et, pour cette raison,
définitivement inconnaissable à toutes les époques.

36
est possible surtout que dans sa forme paranoïaque33, elle a
engendré une industrie florissante de la guerre34, toutes
choses éloignées de l’éthique de la sagesse africaine (I.2).
Nous devons nous remémorer les bases conceptuelles sur
lesquelles cette violence s’est constituée (I.3).
I.1 Le déterminisme ontologique de la pensée
La problématique d’un déterminisme ontologique de
la pensée prend appui sur les récents développements de la
science complexe (A). Dans la mesure où cette science
entrevoit une théorie de l’infrastructure humaine (B), il est
possible d’y entrevoir des conséquences à tirer au clair en
termes de fondements de la rationalité africaine, de
paradigme et de vérité sur l’Être au monde de l’Homme
Noir (C).
A-La position du problème
Les relations entre les Nations sont traversées par
des conflits de grande barbarie, si bien que les temps de

33
Il y a donc un mode d’être de la culture qui inflige rationnellement la
Traite des Noirs, l’esclavage, la déportation, la souffrance, le crime, la
torture, le racisme à d’autres Nations, au nom d’une prétendue
supériorité de « races ».
34
Dans l’industrie, la recherche militaire, les labos pharmaceutiques,
les savants occupent des postes de responsabilité. Il ne peut donc pas
exister une neutralité scientifique puisque ces savants sont conscients
des conséquences que peuvent produire leurs recherches. Wernher von
Brown qui a rendu possible le débarquement de l’Homme sur la Lune
est aussi celui qui portait l’uniforme d’officier nazi et fabriquait des
V2. Robert Dautray, le père de la bombe H française a été directeur
scientifique du programme thermonucléaire de la Direction des
applications militaires. Les savants du projet Manhattan (programme
d’élaboration de la bombe atomique pendant la deuxième guerre
mondiale) ont été heureux de fabriquer une bombe A préalablement
destinée à l’Allemagne nazie, mais larguée au Japon.
37
paix sont devenus exceptionnels, car éphémères. On le
voit bien, la modernité tend mobiliser des armes de
destruction massive hypersophistiquées, d’une très grande
cruauté. Edgar Morin ne mâche pas ses mots :
« Aujourd’hui, nous nous rendons compte de ce
qu’est la barbarie dans notre société civilisée (…)
C’est notre façon de voir qui doit changer. 35»

Contre toute attente, le sociologue engage le procès


de l’ordre dominant en égratignant au passage, sa vision
du monde, mais aussi celle des valeurs, des moyens et des
fins. Nous assistons à une sorte de retournement du zèle
qui animait l’angélisme de façade des droits de l’homme.
La sagesse antique déborde, de toutes parts, le prisme du
fétichisme dans lequel le discours de la science cartésienne
prétendit l’enserrer. L’astrophysicien Hubert Reeves met
la braise dans le foyer de la cheminée :
« La technologie n’apporte pas l’harmonie. Elle en
sape les bases antiques. 36»

L’Occident chrétien a fini par exporter sa singularité


culturelle et institutionnelle dans le monde. Ce faisant, il
se prive à dessein de tout moyen de vérifier sa cohérence ;
il joue même à faire semblant de rester rationnel tout en se
plaçant à l’abri de tout débat le concernant. Ce jeu n’est
pas spontané ; son acquisition demande un effort de veille
productif d’une activité rationnelle dont il est impensable
que ses Nations, au passé colonial avéré, puissent

35
Edgar Morin, L’intelligence de la complexité…p. 190.
36
Hubert Reeves, interviewé par Monique Mounier-Kuhn, dialogues
avec Edgar Morin, « L’Homme dans l’Univers, l’homme et la
science » in L’intelligence de la complexité…, op. cit., p. 189.
38
s’interdire. En poussant sa mauvaise conscience dans ce
jeu de l’esquive, il a consolidé ses positions.
Il faut avoir des yeux de lynx pour voir dans la
brume du vocabulaire érudit un gauchissement de l’esprit :
« Insupportable quand tout cela émane des gens
réputés des champions de toutes les modernités,
policés par des siècles de cultures prônant le respect
de la personne humaine, les vertus universelles des
Droits de l’homme, le rejet de toute violence. Et
pourtant, il y a, du discours à la pratique, tout un
monde de raffinements atroces dans le don de la
mort au nom de la civilisation.37 »

Nous sommes fondés à adhérer à des vues assez


proches de cet historien. La Traite négrière, la déportation,
l’esclavage, la colonisation et leur cortèges d’atrocités, de
haine, de racisme, de guerres et de génocides, en sont de
parfaites illustrations.
Cette singularité esclavagiste et expansionniste nous
vient d’Aristote, bien que lui-même ne l’eût pas servi aux
autres en bloc ; il aura simplement eu le talent d’élever au
rang d’une dignité épistémologique, un modèle politique
présent dans les Cités grecques de la période antique.
Nous pensons que la mise en lumière du paradigme
de ce modèle peut permettre une cure spirituelle car nous
le savons à présent, la science complexe et la technologie
n’arrêteront pas l’escalade de la barbarie. Au fond de soi,
il faut récuser l’attitude qui consiste à en banaliser la

37
Zakari Dramani-Issifou, « Le continent africain » in L’histoire
inhumaine. Massacres et génocides des origines à nos jours, sous la
direction de Guy Richard, Paris, Armand Colin, 1992, p. 327.
39
réalité. Retenons néanmoins le point de vue d’une science
complexe qui organise progressivement son retour vers un
dialogue accru avec la nature.
B-Les percées de la science complexe
Des arguments réels permettent de comprendre la
théorie de l’infrastructure humaine.
 Au plan des sciences cognitives
En paradigmatologie, Edgar Morin laisse entrevoir
une bipolarité de la structure de l’esprit rationnel:
« Cela signifie que les systèmes obéissent à certains
principes fondamentaux qui sont des principes
d’association ou d’exclusion qui les contrôlent et qui
les commandent. 38»

A partir de la partition association ou exclusion, nous


envisageons trois paradigmes culturels : 1- le tiers inclus
qui harmonise les contraires (monde africain) ; 2- le tiers
exclu qui atomise la réalité (monde nordique) ; 3- le yin et
le yang qui juxtaposent les contraires (monde asiatique) Le
mythe africain attribue à toute morphogenèse, la lutte
fratricide Horus contre Seth39, deux symboles contraires
associés aux fins de produire une harmonie sociale (Maât)
et cosmique. Le mythe hellénique (Prométhée, Sisyphe,
Œdipe, Sisyphe) introduit une anomie adamique entre les
hommes et instaurent une disharmonie avec les dieux.

38
Edgar Morin, L’intelligence de la complexité, op. cit., p. 73.
39
Ce sont des principes ontologiques, métaphysiques, fondamentaux
d’essences contraires qui s’organisent une conjonction relationnelle à
l’origine de notre monde (cf. chapitre IV).
40
Le mythe apporte la preuve que nous avons un pied,
à tout moment et à notre insu, dans le monde des vérités
de l’esprit. Le mythe et la rationalité ont en commun le fait
de reposer l’un comme l’autre sur des fondements a priori.
En génétique des populations, la biologiste Evelyne
Heyer, explique l’émergence des préférences et préjugés:
« Chaque groupe humain invente, réinvente, modifie
des traits culturels qui le différencient de ses voisins
et influent sur la diversité génétique humaine.40»

Ainsi donc, nous ne serons jamais universels car le


paradigme ordonne le moyen de pacifier ou d’exacerber
les relations entre Nations41. En donnant la priorité à la
pacification de l’existence, le modèle politique africain se
situe dans le droit fil de l’harmonie cosmique.
En anthropologie, Manuela Carneiro Da Cunha,
anthropologue, commente à juste titre :
« Il est salutaire pour nos sociétés de se frotter à ces
autres visions du monde. Attention, il ne faut pas se
leurrer pour autant et s’imaginer que l’on va
pénétrer ces autres systèmes(…) Ces frottements
nous permettent néanmoins de voir tous les angles
morts de notre propre mécanique de pensée, en
réalisant à quel point elle est historique, localisée et

40
Evelyne Heyer, « Le musée d’une humanité en mouvement »
propos recueillis par Rachel Mulot in Sciences et Avenir, Hors-série,
septembre-octobre 2015, p. 7.
41
L’ontologie permet aux membres d’un groupe social d’assurer une
bonne cohésion d’ensemble et, ce faisant, de réduire le coût de la
recherche sémique qu’impose le codage d’un message qui n’obéirait
pas à ces préjugés. En revanche, c’est l’en-face relationnel qui se pose
comme un problème ontologique toujours non résolu dans le domaine
des relations internationales, d’autant plus que c’est toujours l’objectif
de domination qui est assignée à la puissance des Nations.
41
une parmi d’autres. En aucun cas, elle n’est
unique.42 »

Nous en concluons qu’il y aune absurdité à nier ce


que, positivement, la pensée africaine peut apporter au
monde, ou encore, à nier ce qui en elle, peut avoir du sens.
En psychologie, Howard Gardner, neurologue, écrit :
« La théorie des intelligences multiples éclaire le
fait que les hommes existent dans une multitude de
contextes, lesquels requièrent, mais aussi
nourrissent, différentes formes et combinaisons
d’intelligences. 43»:

A leur racine, il y a une objectivité que nous ne


pouvons passer sous silence ; un intéressant glissement de
sens s’est produit en mode du progrès de la connaissance.
Au plan des sciences physiques
Le physicien théoricien Jean-Marc Lévy-Leblond est
de ceux qui pensent qu’il faille remettre en cause l’idée
d’une science « universelle » :
Le physicien Lévy-Leblond intervient sur le sujet :

42
Manuela Carneiro Da Cunha, propos recueillis par Bernadette
Arnaud, Sciences et Avenir, n° 790, décembre 2012, p. 49. C’est nous
qui soulignons son texte.
43
Howard Gardner, Les intelligences multiples, traduit de l’anglais par
Yves Bonin, Pillipe Evans-Clark, Marie Muracciole et Nathalie
Weinwurzel, Paris, Nouveaux Horizons, 2004, p. 165.
42
« La rationalité, semble-t-il, ne peut être que locale ;
il n’y a pas une rationalité universelle, pas de
science universelle, ni de formalisme universel.44 »

Cette approche permet une récollection du sens car


sous les apparences de certitudes, la science cartésienne et
les religions de la foi ont laissé penser que bien d’idées
incohérentes pouvaient en finir avec la tradition africaine.
La pensée occidentale s’en rend compte tardivement
après avoir manœuvré pour ne jamais la reconnaître.
C-La question des fondements
Pour cette dernière raison, René Thom a raison de
souligner de vive voix :
« On a tort de penser qu’une science pourra
toujours avancer sans se préoccuper des
fondements.45»

Dans son avertissement au capital de Karl Marx, le


philosophe Louis Althusser ponctue à son tour:
« Tout le monde sait que sans théorie scientifique
correspondante, il ne peut exister de pratique
scientifique, c'est-à-dire de pratique produisant des
connaissances scientifiques nouvelles. Toute science
repose donc sur sa théorie propre. 46»

Bernard d’Espagnat apporte des précisions :

44
Jean-Marc Lévy Leblond, « savoir et prévoir » in Les sciences de la
prévision, Collectif d’experts sous la direction de Ruth Scheps, Paris,
Seuil, 1996, p. 43.
45
René Thom, in ‘’A propos de Louis de Broglie et la mécanique
quantique’’, La Recherche, n°256, juillet – août 1993, p.882.
46
Louis Althusser, Avertissement au Capital, Livre I, Edition Garnier-
Flammarion, Paris, 1966, pp. 9-10.
43
« On a vu que lorsqu’une grande théorie, telle que
la physique newtonienne, cède la place à une autre
grande théorie, telle que la relativité, la chose
s’accompagne le plus souvent d’un changement de
paradigme consistant en ceci que les concepts
fondamentaux sur lesquels se basait la première des
deux théories sont écartés et remplacés par de
nouveaux concepts de base, très différents. 47»

De même, la construction d’une théorie politique


africaine susceptible de supplanter la théorie « classique »,
dominante, doit s’accompagner d’un renouvellement des
concepts de base.
Sigmund Freud souligne à ce propos :
« Une science doit être construite sur des concepts
fondamentaux clairs et nettement définis.48 »

Si nous sommes d’avis que la clarté et la définition


des concepts sont importantes, reconnaissons que, pour se
comprendre, la rationalité accommode les faits contingents
à une société et à un temps déterminé en même temps que
les faits nouveaux en une synthèse. Cette accommodation
est régie par des mécanismes particuliers.
I.2 Les mécanismes de la pensée
Y a-t-il une similitude de rapport et de finalité entre
les mécanismes de la pensée et les causes ontologiques de
la violence ? Mécanismes et causes sont-ils engendrés par
lamée stimulation intérieure ?

47
Bernard d’Espagnat, op. cit., p. 148. Nous allons procéder de la
même manière, en remplaçant les anciens concepts par de nouveaux.
48
Sigmund Freud, Métapsychologie, cité par Jean Perdijon in La
mesure, Editions Flammarion, 1998.
44
Aux dires des cosmologues49, l’Univers organise un
principe d’exclusion des particules entre ellessuivi d’un
principe d’inclusion. Ainsi donc, de la lutte antiparticulec
ontre particule est née, de manière bien mystérieuse, un
résidu à l’origine de notre monde.
L’analogie de ces principes avec les mécanismes de
la pensée est saisissable. Le principe d’exclusionest posé ;
tout se passe comme si le tiers exclu sociologique de la
pensée cartésienne le reprend tandis que le principe de
l’inclusion rejoindrait le tiers inclus de la pensée africaine.
Le formalisme ontologique de la création du monde
serait repris par l’esprit grâce à un encodage binaire du
cerveau. La théorie de l’information permet de penser que
le cerveau fonctionne comme un ordinateur qui code le qu
bit d’inclusion des contraires, c’est-à-dire 0 et 1, ou le bit
d’exclusion, autrement dit, 0 ou 1.On parle alors d’une
superposition quantique50. Ces mécanismes sont ramenés
une probabilité a priori : l’inclusion (A) et l’exclusion(B).
A-Le principe d’inclusion
Plus haut, nous avons vu que la violence joue un rôle
ontologique dans l’Univers : de fait, les particules du bige
49
Lire Anne Debroise, « La révolution du big bang » in Science &Vie
hors-série, n° 242, mars 2008, p. 48. Matière et antimatière sont des
particules virtuelles du vide. Elles apparaissent et disparaissent en se
neutralisant des milliards de fois en une seconde. Cette collision
permet de libérer de l’énergie. La première lumière apparaît ainsi avec
des minuscules variations de température qui font que la matière qui
naît du surplus de matière n’est pas répartie de manière homogène.
C’est cette matière en surplus qui produira les galaxies.
50
L’ordinateur quantique utilise des algorithmes qui manipulent
l’information des systèmes en état de superposition quantique (oui et
non, 0 et 1).
45
bang ont été annihilées par des antiparticules (désordre) et
un résidu de matière est né de cette lutte fratricide, de
manière mystérieuse. Nous en avons l’écho dans le mythe
négro-égyptien d’Osiris et les mythes négro-africains51.
Osiris est assassiné par son frère Seth désireux de
s’emparer du pouvoir divin de la création. Horus est le fils
d’Osiris, néde l’immaculée conception (il s’agit d’une
naissance mystérieuse). Sa mère, Isis, l’a conçu sans acte
de chair avec Osiris. Après avoir éliminé physiquement
Osiris, Seth a trouvé en Horus un nouvel adversaire dans
la conquête du pouvoir. C’est grâce au Tribunal divin de
Maât (Vérité-Justice) qui s’en est mêlé que Seth a pu être
condamné. Depuis ce temps, Horus poursuit l’œuvre de
création divine. Ainsi peut-on résumer ce mythe d’Osiris
aux versions plus ou moins longues et différentes52.
La physique moderne rejoint le mythe dans la quête
de la vérité en cosmologie. Elle y consacre l’exclusion des
protagonistes, le chaos primordial (lutte entre matière et
antimatière), puis fait intervenir un principe organisateur,
l’inclusion, qui ordonne l’organisation du désordre et la
création de la matière.
La version cosmologique de ce mythe d’Osiris vise
un éclairage au chercheur intéressé : un éclairage partiel,
sans doute, car il s’agit d’un mythe humanisé qu’il peut
relire lui-même et qui, tel que proposé, met le doigt sur les

51
Le Renard pâle des Dogon, Jeki la Njambè des Sawa-Duala en sont
des exemples, sans oublier les épopées, légendes, proverbes, contes,
aphorismes, etc., renvoient aussi à la dialectique ordre-désordre.
52
Lire surtout Fernand Schwarz, L’initiation aux livres des morts
égyptiens, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 49-50.
46
causes essentielles de la paix. Une approche analogique
permet de comprendre l’exclusion au plan humain.
B-Le principe d’exclusion
On l’a vu, l’inclusion des forces opposées organise
l’ordre et permet l’émergence d’une complexité sociale,
voire d’un Etat. La méthode africaine reprend l’ordre de
l’Univers par le biais du mythe. Nous allons voir que la
divergence avec le paradigme cartésien est sensible. Elle
se pose en termes de mécanismes cognitifs :
« En effet la pensée commune a pour traits
principaux de comporter une dimension intéressée,
d’ériger la particularité culturelle de ce qu’elle
conçoit en forme universelle au dessus de toute
remise en cause et, lorsqu’elle rencontre d’autres
formes, de les dévaluer à proportion de l’écart avec
la sienne, bref d’ériger sa particularité en norme
radicale.53 »

Pour se constituer, la pensée commune dévalue les


autres pensées et élève sa particularité en un universel :
« Elle peut bien admettre, parfois, le caractère
provisoire et incertain de certains de ses contenus,
mais ne renonce jamais à sa manière de penser. 54»

Ce qui est ainsi en jeu, c’est la volonté de ne jamais


renoncer à sa manière de penser, du reste « protégée » par
le paradigme. Edgar Morin explique :
« La pensée occidentale ne sait opérer que par
disjonction ou réduction.55 »

53
François Urvoy, Science et ontologie. L’expérience multiforme III,
Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 39-40.
54
Idem, p. 40.
47
En dévaluant les autres pensées, la fabrique de la
pensée commune réduit, sépare, voire exclut. La violence
est d’abords ymbolique, mais déjà, on voit qu’elle prépare
le lit de la violence physique.
Ahmed Moro, physicien, surgit au cœur du débat :
« Le jeu du tiers nous permet ainsi de comprendre
très clairement du point de vue anthropologique,
avec une très grande simplification néanmoins, sur
quel socle s’est construit l’esprit scientifique en
Europe : fondamentalement sur l’exclusion du
tiers.56 »

La suture anthropologique et la suture scientifique


s’organisent aussi comme une suture religieuse :
« Nous sommes donc également marqués par
l’empreinte chrétienne de notre civilisation, qui
ignore notre relation ombilicale à la nature.57 »

Réduction, absoluité, radicalité et exclusion : tels


sont les piliers actifs de l’aristotélisme et du cartésianisme.
L’argumentaire de Fritjof Capra suit deux sens:
« Le dualisme cartésien et la vision mécaniste du
monde se sont avérés à la fois bénéfiques et
nuisibles. Ils ont réussi à permettre le
développement de la technologie et de la physique

55
Dialogue entre Edgar Morin et Nicolas Hulotrecueilli par Nicolas
Truong à propos de « L’impératif écologique » in Philosophie
Magazine, puis repris dans Le Monde, Hors-série Edgar Morin, p. 95.
56
Ahmed Moro, La méthodologie et les méthodes en sciences
humaines et sociales, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 66-67.
57
Edgar Morin, Dialogue recueilli par Nicolas Truong…, p. 95.
48
classique mais ont eu des conséquences néfastes
pour notre civilisation. »58

Tous les effets voyants de la technologie de pointe


sonnent désormais en creux, aux oreilles des savants eux-
mêmes. La crise des fondements cartésiens intervenue en
Occident montre un sérieux appauvrissement spirituel et
intellectuel du sens et de la valeur. Sur le fond, il s’agit,
dans le détail, de problèmes délicats.
Edgar Morin en souffle un mot:
« La crise des fondements scientifiques (dont bien
peu de scientifiques du reste ont conscience) rejoint
la crise des fondements philosophiques, annoncée
par Nietzsche.59 »

Changement de cap : à présent, les savants avertis


apprécient le modèle cognitif et rationnel des Africains :
« Il paraît original par rapport à l’Occident. Là où
celui-ci conçoit un rapport dualiste d’unités
autonomes entre le concept et la réalité, le sujet et
l’objet, la nature et la culture, l’Afrique tentera de
découvrir une seule unité de sens, soit par
association sémantiques constitutifs), soit par une
démarche de type dialectique, qui cherche à
dépasser la différenciation des éléments pour une
donnée plus large qui les englobe dans un complexe
plus significatif que celui de leur simple addition. 60»

58
Fritjof Capra, Le Tao de la physique, Paris, Nouvelle édition
complétée, Sand, 1985, p. 23.
59
Edgar Morin, en collaboration avec Jean-Louis Le Moigne,
L’intelligence de la complexité…, p. 162.
60
Etienne Le Roy, « L’expérience juridique de l’Afrique noire » in
Domination ou partage ? Développement endogène et transfert de
connaissances, Paris, UNESCO, 1980, p. 96.
49
Revenons, avec quelques détails, sur la transition
principe d’exclusion-idéologie suprématiste.
I.3 Du principe d’exclusion à l’idéologie suprématiste
Pour fragmentaire et incomplet qu’il soit, cet aperçu
des mécanismes de la pensée qu’on vient de lire montre
déjà l’intérêt considérable présenté par l’étude du principe
d’exclusion du paradigme cartésien.
Quoi qu’on dise, l’idéologie suprématiste aryenne a
servi de cheval de Troie au fond aristotélicien des relations
internationales repris par le modèle cartésien (A). Puis, ces
mêmes relations ont été prolongées aux autres Nations
avec l’expansionnisme (B).
A-La traversée des âges
Aristote a réussi la prouesse d’élever l’esclavage,
la domination, la guerre et la violence institutionnelle au
rang d’une dignité morale et philosophique :
« Que la nature fasse cependant certains hommes
libres et d’autres esclaves, c’est ce qui est manifeste
et, pour les seconds, l’esclavage est aussi
avantageux que juste.61 »

On voit par quel contresens éthique et rationnel


Aristote a étendu l’esclavage à une manière de concevoir
les relations entre Nations. Pour légitimer cette approche,
Aristote évoque le concept de « chasse » programmé ici
comme un mode d’acquisition des « esclaves » :
« C’est pour cette raison que même la guerre est
d’une certaine manière, un mode naturel

61
Aristote, Anthropologie, textes choisis et traduits par J. C. Fraise,
PUF, 1976, p. 161.
50
d’acquisition - et la chasse est une partie de l’art de
la guerre -, mode d’acquisition dont il faut user à
l’égard de ceux d’entre les hommes qui, destinés
naturellement à être condamnés s’y refusent, avec
l’idée que c’est là, et selon la nature, une guerre
juste. »62

Pour Aristote, il existe bien un droit d’acquisition


de l’Autre et des autres, analogue à une sortie de chasse.
On voit avec quel réalisme le philosophe adapte la vie des
républiques grecques à une prospective normative.
Faut-il rappeler que l’exclusion légale des esclaves,
des étrangers et des femmes de la vie politique a participé
de la vie démocratique dans les cités grecques ?
Contre toute attente, l’idéologie d’exclusion et de
domination d’Aristote a traversé les âges, puis programmé
une guerre juste entre les Nations. Rien d’étonnant à ce
que saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone, reprenne
à son compte la notion de guerre juste pour neutraliser les
« hérétiques » donatistes en Afrique du Nord.
Avec les croisades, le Pape Urbain II puise dans ce
même registre les ressorts d’une guerre sainte contre les
musulmans. Et, quatre siècles plus tard, c’est au tour du
pape Nicolas V (Tommaso Parentucelli) de donner quitus
au roi du Portugal à l’effet de razzier et déporter les Noirs.
Machiavel (1469-1527) se serten suite de la guerre juste
comme un alibi visant la conservation du pouvoir :
« Un Prince ne doit donc avoir d’autre objet,
d’autre projet, d’autre art que celui de la guerre et
des préparatifs la concernant. Car c’est le seul art

62
Idem, p. 166.
51
convenant à qui commande ; et il possède en lui tant
de vertu que non seulement il préserve le trône d’un
Prince héréditaire, mais bien souvent élève à ce
rang les hommes de simple condition. »63

En rationalisant le droit positif, Thomas Hobbes va


plus loin : si donc « l’homme est un loup pour l’homme »
(Homo Homini lupus), autant élaborer une Constitution
taillée à la mesure du Prince. Les traits principaux de cette
manière de concevoir les relations humaines ont dominé la
pensée du siècle des Lumières.
Même des intellectuels de la stature de Voltaire
(1694-1778), Rousseau (1712-1778), Montesquieu (1689-
1755), si prompts à la contradiction politique, sont restés
indifférents à l’esclavage noir. Raymond Aron évite mal
l’écueil de quelques confusions :
« La politique est action et l’action tend à la
réussite. Si la réussite exige l’emploi de moyens
moralement répréhensibles, le Prince doit-il
renoncer au succès ? Se salir les mains ? Où
arrivera-t-il sur la voie qu’il ne peut pas
emprunter ? Quel mensonge refusera-t-il s’il
précipite sa perte en avouant la vérité ? »64

Herbert Marcuse, philosophe iconoclaste, y saisit


le moment de ruse du pluralisme politique :
« Si la forme actuelle du pluralisme a une grande
influence sur le blocage du changement qualitatif et
"prévient" la catastrophe de l’autodétermination, il
ne le déclenchera pas. S’il en est ainsi, conclut-il, la

63
Machiavel, Le Prince, le livre de poche, 1983, p. 75.
64
Raymond Aron, préface à Machiavel, op. cit, p. 8.
52
démocratie est le système de domination le plus
efficace. »65

Le paradoxe de Condorcet (1785) démontré par le


théorème d’Arrow (1951) montre, à la suite de Marcuse,
les limites du suffrage universel : de fait, plus le nombre
de votants est important, plus augmente la probabilité
d’incohérence des décisions. Dans un cas sur dix, l’intérêt
général ne peut être atteint et avec lui la démocratie. On
voit que depuis l’Antiquité, l’idéal du droit et celui de
l’Etat de droit sont sans cesse fugitifs.
Dans ces conditions, il n’est pas inutile d’observer
d’un œil froid la manière dont la délicate question du choc
des civilisations se présente aujourd’hui du point de vue
des relations internationales.
B-Le choc des civilisations
Anta Diop entrevoit un lien entre l’environnement,
l’histoire des civilisations et l’ontologie des Nations :
« Pendant toute la période nomade et longtemps
après la sédentarisation, la notion de justice semble
inconnue chez les Aryens. Toutes les valeurs
morales sont à l’opposé de celles du berceau
méridional et ne s’adouciront qu’au contact de
celui-ci. Le crime, la violence, la guerre et le goût
du risque, tant de sentiments nés du climat et de
premières conditions d’existence, prédisposaient le
monde aryen aussi extraordinaire que cela puisse
paraître, à une grande destinée historique. Quand il
se ruera, pour le conquérir, sur le berceau

65
Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie
de la société industrielle avancée, traduit de l’anglais par Monig
Wittig et l’auteur, Paris, les Editions de Minuit, 1968, p. 149.
53
méridional, il trouvera celui-ci mal défendu, sans
fortification notable, car habitué à une longue
coexistence pacifique. 66 »

Depuis ce temps, les rapports de domination et de


force sont demeurés, à peu de choses près, les caractères
essentiels qui dictent les relations entre le Nord et le Sud.
Pour un esprit curieux des problèmes que dessine la
pensée de notre temps, la seule manière d’éviter de se
laisser prendre à l’exclusion n’est pas de se replier sur,
uniquement, les livres des égyptologues africains. Il est
même recommandé de contrôler la science avancée de
notre temps pour dominer les glissements de sens souvent
dissimulés dans la rhétorique suprématiste de certains
savants occidentaux.
N’oublions pas que beaucoup d’encre et de formats
papier ont été noircis par les savants des Lumières. On sait
que Auguste Comte (1798-1857) a souligné dans ses
écrits« l’organisation caractéristique de la race blanche et
surtout, quant à l’appareil cérébral, quelques germes
positifs de sa supériorité67». Arthur de Gobineau (1816-
1882) l’y a aidé dans son fameux Essai sur L’inégalité des
races humaines, suivi de près par La mentalité primitive
de Lévy-Bruhl (1857-1939).Edmund Husserl (1859-1938)
a entrevu la Grèce antique comme la source universel
:« L’irruption de la philosophie prise dans ce sens, en y
incluant toutes les sciences, est donc à mes yeux, si
paradoxal qu’il paraisse, le phénomène original qui

66
Cheikh Anta Diop, L’Unité culturelle de l’Afrique Noire, Paris, 2e
édition Présence Africaine, p. 154.
67
Auguste Comte, Cours de philosophie positive, t. V, pp. 12-13.
54
caractérise l’Europe au point de vue spirituel.68» Max
Weber (1864-1920) en a profité : « Tous ceux qui, élevés
dans la civilisation européenne aujourd’hui, étudient les
problèmes de l’histoire universelle, sont tôt ou tard
amenés à se poser, et avec raison, la question suivante : à
quel enchaînement de circonstances doit-on imputer
l’apparition dans la civilisation occidentale et uniquement
dans celle-ci, de phénomènes culturels qui - du moins nous
aimons à le penser - ont revêtu une signification et une
valeur universelle ? 69»Même Edgar Morin est tombé dans
le piège : « Il faut aussi considérer ce fait très curieux que
la science est et demeure occidentale tout en étant
devenue tout à fait universelle.70 ».
Certes, on peut dire que cette rhétorique est porteuse
d’un sens qui a orienté l’histoire politique des relations
internationales. Il n’est pas surprenant, par conséquent,
que nombre de personnes saines d’esprit l’aient regretté en
dernière analyse. On peut parier que la suite discrète du
principe d’exclusion a fait transiter cette rhétorique vers
une idéologie suprématiste de « races », le racisme, la
haine, la violence et l’asservissement de l’autre au nom de
la civilisation décrétée « universelle ».
II- LE PHENOMENE DU PANAFRICANISME
A présent, il est question de justifier le choix du mot
panafricanisme et d’en préciser le sens dans la démarche

68
Edmund Husserl, La crise de l’Humanité Européenne et la
Philosophie, trad. J. M. Guirao, Aubier, 1977, p. 36.
69
Cf. Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme,
Paris, Plon, 1964, avant-propos, p. 11.
70
Edgar Morin, Sociologie… pp. 74-75.
55
de conceptualisation(II.1) ; ceci permettra de délimiter ce
phénomène aux plans historique et géographique (II.2) ;
encore faut-il souligner les limites d’une telle approche :la
théorie des relations internationales consacre, comme on le
sait, un certain nombre de critères permettant de dégager
une base commune dans la mise en ordre des faits et leur
réduction à l’essentiel(ontologie, épistémologie, norme,
méthodologie) ; mais ces critères-là ne sauraient devenir
un instrument d’analyse du panafricanisme, en termes de
valeur explicative, de principe constitutif, d’éthique, de
cohérence, de pertinence (II.3). Les trois points retenus
requièrent une problématique de départ pour approfondir
les détails de ce phénomène.
II.1La sémantique du panafricanisme
Le panafricanisme est en concurrence avec plusieurs
concepts désignant un seul et même phénomène politique.
Une liste non exhaustive de pseudo-synonymes et termes
concurrents laisse entrevoir les difficultés à en démêler
l’écheveau : le pannégrisme, le fédéralisme, l’Organisation
de l’Unité Africaine (O.U.A.), l’Unité Africaine (U.A.),
les Etats-Unis d’Afrique via des entités trans-étatiques ou
supra-étatiques (la Fédération du Mali ou le Conseil de
l’Entente). Cette concurrence nous oblige à justifier le
choix du concept de panafricanisme (A) et à lui trouver
une définition d’attente (ou de départ) qui, sans préjuger
du fond, nous permette de circonscrire la matière (B).
A-Les problèmes de vocabulaire
Le choix du vocabulaire répond au souci de ne pas
introduire a priori un début de réponse aux questions qui

56
vont se poser. En réduisant au minimum tous les préjugés
scientifiques qui enserrent les termes concurrents, nous
voudrions retenir le mot « panafricanisme » en raison de
sa valeur ontologique, historique, intégrative, culturelle,
éthique, cognitive et rationnelle. Aucun mot concurrent ne
déploie un tel spectre sémantique.
Autant le préciser, cette valeur est centrée sur l’unité
« raciale » des Noirs ; la nécessité d’émanciper la diaspora
et les Etats-nations du joug dominant ; l’indispensable
unité politique de ces Etats ; la reconquête de l’initiative,
la restauration de l’éthique de gouvernance multiculturelle
et multinationale, puis le retour-intégration de la diaspora
dans les Etats-nations libérés de la domination extérieure.
D’autres raisons objectives militent en faveur du mot
panafricanisme : - il est le plus fréquemment utilisé dans les
travaux des chercheurs71, aussi semble-t-il commode de
l’envisager comme un objet de connaissance ; - par son
imprécision, il présente une certaine neutralité quant aux
objectifs et stratégies à poursuivre ; -il justifie l’option d’une
perspective afro-centrée dans les stratégies de lutte et du
progrès, sans une base adoptée à l’unanimité. Il y adonc là
d’un sillon fécond pour une orientation du panafricanisme
en direction des initiatives plus riches et actualisables.
De la sorte, sa description peut être valable pour
l’ensemble des phénomènes observés ; aussi devient-il
possible de réserver les termes qui lui sont concurrents à la
désignation des causes, conséquences ou stratégies pour y
parvenir ; bien plus : quoi qu’on dise, le panafricanisme
représente leur point d’aboutissement virtuel, aux plans de

71
On peut consulter la bibliographie y afférente.
57
la théorie, de la pratique et de l’affect même si par ailleurs,
ces plans-là ne coïncident pas nécessairement.
La difficulté qu’on pourrait rencontrer tient à son
imprécision historique liée à des attitudes, aptitudes, idées,
pensées et opinions diversifiées dans un continent qui s’est
complexifié dans l’espace et le temps aux plans sociétal,
linguistique, économique, culturel, idéologique, religieux
et même « racial ». Il est donc possible de lui découvrir
une désignation ancienne, une signification ancienne et
une autre utilisation avec des fins différentes. On le voit
bien, le mot panafricanisme totalise les réalités les plus
diverses concernant la rationalisation des faits historiques
avant, pendant et après l’avènement de l’Etat-nation. Une
telle considération pourrait en renouveler le sens, l’intérêt,
la valeur et l’objectif, puis permettre même une réalisation
plus audacieuse de l’idéal panafricaniste. Ayant ainsi
justifié le vocabulaire, il convient de nous tourner vers la
signification.
B-Les problèmes de définition
Le panafricanisme apparaît difficile à définir même
quand on reconnaît son caractère historique et sa fonction.
Selon la période, il peut être considéré comme un modèle
politique, un guide d’action, une idéologie, un projet, un
mouvement, un programme, une construction politique,
une théorie cognitive et rationnelle.
Au lieu de chercher une définition totale et cohérente
de ce concept, il est donc bon de nous demander, d’entrée
de jeu, en quoi il consiste. Nous serons alors conduits à en
chercher les causes, les moteurs et les mécanismes là où il

58
s’est manifesté, puis à expliquer pourquoi ces facteurs ont
été circonscrits, puis renouvelés en d’autres circonstances.
Et là, nous pourrons entrevoir conséquemment le construit
spirituel et rationnel qui en assure la dynamique.
Quatre contenus définitionnels semblent en saturer
la matière : le panafricanisme, concept comparatif défini à
la fois par rapport à une théorie, par rapport à l’histoire,
par rapport au possible, par rapport au nécessaire, par
rapport aux idéologies à l’instar du pangermanisme, du
panhellénisme, du panarabisme ou du panaméricanisme.
L’avantage que nous avons à en parler aujourd’hui
tient au fait que l’analyse s’appuie sur les ressentiments
concrets qui ont provoqué la prise de conscience collective
d’un problème « noir » dans le monde moderne. Mais
n’oublions surtout pas que cette prise de conscience n’a
été insupportable qu’à partir du moment où démonstration
a été faite que seul le langage de la violence armée peut
être entendu ; que, sous un fallacieux prétexte de « races »,
une véritable idéologie gouvernait les attitudes de haine et
de domination du Noir toujours d’actualité.
Il faudrait donc considérer le panafricanisme avec ce
fond ontologique tragique, la captation de l’être-du-Noir
dans le monde, quia servi de socle à la radicalisation des
leaders de la diaspora avant de devenir une préoccupation
des hommes politiques africains dans l’organisation de la
lutte pour les indépendances des Etats-nations.
Depuis ce temps, le panafricanisme apparaît comme
une contrepartie des stratégies de luttes, en même temps
qu’un phénomène engendré par l’esprit de domination des

59
mondes arabe et occidental ; aussi en est-il le produit dans
le domaine des relations internationales. Or précisément,
ce domaine des relations internationales est aussi vieux
que la rencontre antique du Nord et du Sud.
II.2 L’histoire et la géographie du panafricanisme
Si le panafricanisme dessine un phénomène enraciné
dans l’histoire des rencontres Nord-Sud depuis l’Antiquité
la plus profonde, alors ses effets et leur prolongement à la
perspective d’une unité politique des Etats-nations ouvrent
la voie à un espace-temps qui ne se limite pas à notre ère
moderne. Parce que ces rencontres Nord-Sud transportent
une histoire encodée dans le cerveau, puis transmise à
travers des générations par la culture, le moment est venu
de savoir si la limitation de ce concept de panafricanisme
aux années de sa production et de la révolution des Noirs
de la diaspora suffit à lui donner un contenu pertinent.
Vu sous cet angle, le concept de panafricanisme
est« relatif » et consacre des niveaux de réalité plus
profonds, car enracinés dans la conscience historique et
mémorielle des Africains (A), laquelle opère une
reconversion du sens et de la valeur des faits du passé à
chaque confrontation avec le monde nordique(B). C’est
l’histoire de toutes ces combinaisons qui serait à l’origine
de la situation actuelle ressentie comme une guerre
ouverte à la « race » des Noirs en rapport avec son passé
glorieux. Tout se passe comme si cette guerre relève de
l’ontologie des « races ».
A-Le panafricanismehistorique

60
A bien d’égards, nous pensons qu’il faille détacher
l’objet de connaissance (panafricanisme) du sujet (l’auteur
qui se l’est représenté à un moment donné de l’histoire).
Ensuite, il faudra replacer cet objet dans une logique ayant
une spécificité : l’histoire de l’Afrique a été spécialement
marquée par un certain essor dans l’Antiquité, puis un
assoupissement et un rebondissement au Moyen âge avec
ses royaumes et empires ce, avant l’avènement de l’ordre
colonial et du modèle de l’Etat-nation. Selon le cas, c’est
la supériorité militaire des Etats africains face aux ennemis
de l’extérieur qui a joué, quand il ne s’est pas agi d’une
meilleure organisation sociopolitique, voire d’une avance
scientifique et technologique. Il existe pour ainsi dire une
continuité historique et rationnelle du sens à donner au
concept de panafricanisme que formalisent l’ordre et le
modèle étatique africain qui en résultent.
L’historien Amara Cissé s’étend sur le sujet :
« Grâce à une série de phases d’essor économique,
démographique, ces Etats et royaumes ont engendré
une société d’équilibre qui, d’instinct, fut une société
d’ordre, de stabilité, de respect de la tradition,
couronnée par des réalisations socio-politiques
élevées, hiérarchisées, prestigieuses et, de surcroît,
urbaines.72 »

Dans la majeure partie des cas, les différences qui


ont été observées restent mineures, car gouvernées par une
longue tradition spirituelle et initiatique stable des groupes
sociaux. L’ethnologue Dika-Akwa affirme :

72
Daniel Amara Cissé, Histoire économique de l’Afrique noire, Paris,
L’Harmattan/PUSAF (Abidjan), 1988, p. 7.
61
« Il est de plus en plus établi que l’expérience
étatique de ceux-ci remonte à l’époque de la 1ère
dynastie égyptienne (3188-2815 avant notre ère) au
moins, mais la vie politique en tant que telle semble
avoir vu le jour aux temps immémoriaux du
Néolithique nubien et saharien. 73»

Il est donc raisonnable de penser que cet ordre


politique a « quelque chose » de culturellement spécifique,
toujours présent dans la pensée des Africains. Il est clair
que pour réguler une société politique, il faut une finalité
pour que cette société-là, qui s’ouvre à un environnement
hostile et violent, puisse se maintenir de manière durable.
Ce fut certainement le cas pour l’empire négro-égyptien et
l’empire malien confrontés aux invasions des Hyksôs,
Perses, Grecs puis Romains pour le premier, et celles du
monde musulman et du monde chrétien pour le second.
Théophile Obenga confirme :
« Toujours, l’Egypte antique permet de comprendre
le présent négro-africain en ses traditions
caractéristiques ; de même, et toujours, les sociétés
négro-africaines vivantes, déjà "touchées" par
d’autres valeurs (spirituelles, idéologiques, morales,
etc.), recèlent en elles bien de modes de vie
archaïques qui renvoient en ligne directe à la vallée
du Nil égypto-nubienne. Le rituel pharaonique, au
sens large, n’est pas encore mort : il survit en
Afrique noire profonde. 74»

Il devient possible de mettre en parallèle les réflexes


cognitifs et rationnels de l’idéal panafricaniste en rapport

73
Dika-Akwa nya Bonambela, Les problèmes de l’anthropologie et de
l’histoire africaine, Yaoundé, éd. Clé, p. 209.
74
Théophile Obenga, op. cit., p. 183.
62
avec des variables anthropologiques plus anciennes. Avec
l’historien Christophe Wondjise dessine un espace de sa
résolution conceptuelle:
« Les hommes ne sauraient vivre ensemble dans
n’importe quelle société sans la mémoire de leur
passé. Qu’elles que soient leurs dimensions, les
collectivités humaines ne peuvent coexister avec
leurs voisines, régler leurs affaires intérieures,
maintenir leur identité sans la conscience organisée
de leur passé. Il faut donc en finir avec le mythe des
sociétés sans histoire et s’engager à reconstituer
celle-ci en repérant les principes culturels par
lesquels la conscience historique s’exprime, se
consolide et se perpétue.75 »

Ce sont ces « principes culturels » par lesquels toute


« conscience historique » s’exprime que nous recherchons.
Car tel est le « secret » de la durée de l’empire égyptien
(près de 3000 ans) et de l’empire du Ghana-Mali (près sept
siècles) face à l’adversité des agresseurs désignés.
On le voit bien, l’absence d’une finalité au service de
la mémoire collective des Etats-nations modernes doit être
ressentie comme une insuffisance objective de la raison et
une infériorité relative quant à l’organisation politique des
rapports de force organisant le panafricanisme au plan de
la géographie des frontières.
B-La géographie du panafricanisme
Le tracé des nouvelles frontières du panafricanisme
supposent une conception affirmée de ce concept.

75
Christophe Wondji, « La philosophie et le développement d’une
science …, in Afrika Zamani, n°16 et 17, février 1986, p. 9.
63
 La conception historique du panafricanisme
Or nous sommes au début de l’analyse et seule est
possible une détermination grossière laissant en suspens
les espaces dont la qualification peut être contestée. Aussi
retenons-nous le fédéralisme des empires précités et les
velléités du panafricanisme. Dika-Akwa nous prévient :
« Mais le système africain conçu sur la base de la
complémentarité antagoniste empêche de traduire
leur rapport en termes de dichotomie entre elles. Un
système d’alliances n’entend pas nier le droit à la
différence. L’interprétation des données doit donc
résister ici à toute tentation d’assimiler les rapports
entre marches ou entre fédérations éternelles à un
quelconque système colonial direct ou indirect.76»

L’empire égyptien (Haute Egypte et Basse Egypte)


et l’empire du Mande (Ghana-mali) ont chacun un avant et
un arrière-pays. Le panafricanisme s’en réfère aussi à un
avant-pays (diaspora) et un arrière-pays (continent noir).
L’existence d’un fédéralisme propre à l’Afrique est,
en soi, digne d’intérêt épistémologique. Le dire ainsi suffit
à accréditer la thèse selon laquelle l’absence d’un référent
conceptuel de base demeurera un handicap dans la mise
sur pied d’un fédéralisme en Afrique. Le diagnostic doit
être plus sévère : le sens à donner à l’idéal panafricaniste
est bloqué par les globalités réelles sous-jacentes à la
forme de l’Etat-nation.
 La conception moderniste du panafricanisme

76
Prince Dika-Akwa nya Bonambela, op. cit., p. 234.
64
Si la réalité du panafricanisme a précédé de longue
date l’apparition du concept promu par Sylvester William
en 1900, il n’a pas pour autant cessé avec celle-ci, ni avec
sa mise en index par une Europe méditerranéenne qui fait
tout pour bloquer durablement son avènement en imposant
aux Etats-nations son déterminisme organisationnel77.
Le concept de panafricanisme est progressivement
marqué par une distance épistémologique qui la sépare de
l’expérience ancienne du fédéralisme en Afrique. S’agit-il
d’une différence de nature et de forme ? Ou alors s’agit-il
d’une différence de degré, avec les mêmes caractéristiques
de construction ou alors est-il question d’une différence de
niveaux d’évolution dans le même processus? Il s’agit
donc de niveaux d’analyse auxquels il faut accéder.
Avant d’y arriver, nous devons régler la question des
critères admis en théorie des relations internationales. Ces
critères valent être discutés. Le but étant d’élaborer une
théorie politique africaine, que retenir ?
II.3 Les critères normatifs d’une théorie politique
Notre problème est le suivant : à côté des critères
reconnus en théorie des relations internationales, y a t-il
des situations-types du panafricanisme à identifier, voire à
conceptualiser ? Autrement dit, si la critériologie dessine
le fonds commun des théories en relations internationales
(A), les mécanismes de fonctionnement interne du concept

77
Il s’agit pour l’Occident d’utiliser sa supériorité technologique aux
fins de bloquer le développement du continent noir ou de le retarder,
voire réussir une greffe de civilisation comme le firent la Grèce et
Rome dans l’Antiquité, ou les musulmans avec la technologie du « feu
grégeois » inconnu des Francs au cours des croisades.
65
de panafricanisme développent-ils des liaisons spécifiques
qu’il faut étudier et prendre en compte dans le montage de
la théorie du panafricanisme78 (B) ?
A-La critériologie commune
Le chapitre III propose une morphologie sociale qui
remplit, nous semble-il, les critères de la théorie : 1-une
ontologie (le principe d’inclusion du paradigme africain) ;
2- une épistémologie (la connaissance rapportée à l’ordre
de l’Univers) ; 3- une éthique (une action conforme à cet
ordre de l’Univers) ;4- une méthodologie qualitative et
interprétative articulant les trois premiers critères autour
de l’expérience historique propre aux sociétés
africaines(compréhension) et le sens à donner à cette
expérience de pensée reflétant les aspects essentiels (ordre
et désordre) des mythes cosmologiques africains.
C’est sur cette base que nous allons signifier les faits
(interprétation). C’est dire l’intérêt que revêt une réflexion
détaillée portant sur les fondements de la pensée africaine
et sur les éventuels changements qu’il faudrait faire subir à
au modèle politique dominant.
Ayons présent à l’esprit que l’épistémologue Karl
Popper s’est attaqué au positivisme en montrant que la
frontière entre « métaphysique et physique », « mythe et
concept » n’est pas aussi étanche qu’on pourrait le croire :
« Il convient, en effet, de se rappeler que la plupart
des théories scientifiques sont issues de mythes. 79»

78
Lire par exemple Cheikh Anta Diop, Les fondements économiques
et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire, Paris, Présence
Africaine, 1960, Edition revue et corrigée en 1974.
66
Nous proposons trois voies pour élaborer la théorie :
celle de l’expérience étatique fédérative rapportée ici aux
empires d’Egypte (Antiquité) et du Mali(Moyen âge) d’un
côté, à l’approche moderniste du panafricanisme de l’autre
côté. Entre les deux, il y a matière à réflexion surtout que
nous touchons aux fondements de la connaissance en
Afrique et en Occident et surtout, à la tension qui met en
opposition les savoirs de la tradition et l’ordre moderne.
B-La dynamique moderne
On peut considérer que le panafricanisme au sens de
Williams est devenu un système conceptuel et interprétatif
né du racisme (idéalisme). Il s’est progressivement affiné
depuis Du Bois, Marcus Garvey, N’krumah, Cheikh Anta
Diop, Théophile Obenga, Molefi Kete Asante, pour ne
citer que ceux-là. Son enjeu a été la libération des Noirs du
joug colonial et l’avènement du panafricanisme. Puis cet
enjeu de la libération du Noir s’est orienté vers une forme
de conspiration idéologique qui dissimule mal la visée de
conservation du pouvoir des élites au pouvoir en Afrique
avec un verrouillage démocratique des urnes. L’ordre
dominant a confié la direction des affaires aux élites
locales sélectionnées dans ses officines. Ici et là, il adoube
les dynasties tribales et corrompt les esprits par le biais des
privilèges de classe. Dans cet élan, la nouvelle élite a fini
paraffiner ses seuls intérêts en protégeant ses structures de
clan, de classe et de secte. Elle va jusqu’à modifier les
Constitutions en les taillant sur mesure, c’est-à-dire en
fonction de son appétit du pouvoir et de sa soif de
puissance. Tel est la situation qui prévaut.
79
Karl Popper, Conjectures et Réfutations, Paris, Payot, 1985, p. 379.
67
Résumons ce qui vient d’être exposé : le problème
du panafricanisme demeure non résolu. Il appelle, pour
cette raison, la construction d’une alternative, autrement
dit, une démarche de conceptualisation efficace aux fins
de densifier toutes les actions politiques y afférentes. Ce
sont là les deux niveaux d’analyse que nous retenons pour
la suite de l’analyse.

68
Chapitre II
LES NIVEAUX D’ANALYSE
(L’APPROCHE COMPLEXE)
« On peut penser que les transformations
sociales et politiques qui nous attendent, et
qui doivent nous permettre de survivre en
surmontant les dangers d’explosion, ne seront
possibles ni même envisageables à court
terme que si la culture, et l’éthique qui lui
sert de boussole, assurent à la vie humaine le
courage dont elle a besoin dans les grandes
transitions. »
Hervé Barreau, L’épistémologie, Paris, 6è
édition PUF, 1990, p. 120.
Le premier chapitre a permis d’établir les niveaux de
réalité du panafricanisme ; nous en savons un peu plus sur
l’ontologie (noumène) et l’épistémologie (phénomène) qui
constituent le fond organisationnel des relations entre les
Nations. Pour décrire des formes politiques ou étatiques, il
faut des mots, et plus précisément, des concepts.
Le débat s’est enrichi avec les concepts de double-
pays, d’ordre ou encore de stabilité (Horus), de désordre
ou encore d’instabilité (Seth), de complexité, de principe
d’inclusion, d’éthique ou de finalité. Nous entendons par
là que ces concept sont fondé le statut du fédéralisme
africain qui, à ce titre, n’ont accepté que la totalité de
l’Univers comme référent et comme mode d’accession à la
Vérité générale de l’Univers.
On l’a vu, les fondements de la théorie politique ont
un caractère à la fois historique (Etat multiséculaire et/ou
millénaire), législatif (Etat multinational et multiculturel),
religieux (rite, initiation et cosmothéisme des hiérarques,
69
empereurs, pharaons et rois), ontologique (participation et
complémentarité des parties prenantes au fédéralisme :
lignage, clan, tribu et nation), épistémologique (ordre de
l’Univers et éthique de vie conforme à cet ordre).
L’issue de ce débat ne devrait pas être sans portée en
ce qui concerne les questions liées au réductionnisme, à la
domination, à l’esclavage, à la violence légitime de l’Etat,
à l’aliénation du capital, à la ruse politique, à la guerre
juste, à la possession de la Nature, tous inhérents à la visée
narcissique et suprématiste du modèle dominant.
Au regard de la complexité de tels enjeux théoriques,
institutionnels, politiques et pratiques, on voit bien que le
panafricanisme trouve dans la forme actuelle de l’Etat, des
obstacles anthropologiques, sociologiques et structurels.
C’est bien là le problème (I). Il s’agit alors de donner
au conceptun argumentaire-massue, afrocentré ; sinon en
fait, du moins en droit, ce sont les concepts qui ont fondé
le statut historique du fédéralisme africain qui méritent
un examen davantage approfondi. Pour exister, le concept
de panafricanisme doit enfin se saisir de tous les autres
concepts précités (II).
I. LE PROBLEME
L’analyse du concept de panafricanisme montre bien
qu’il s’agit d’un phénomène social et politique complexe.
Nous l’avons vu. En général, la science complexe insiste
sur l’indispensable collaboration de toutes les
scienceshumaines et sociales en vue d’une compréhension
et d’une interprétation plus réalistes d’un phénomène
complexe.
70
Il nous a semblé opportun d’ajouter aux sciences
précitées les sciences dites « exactes », entre autres, la
biologie, la cosmologie, la mathématique, la physique. En
reconnaissant le bien-fondé d’une telle approche, il paraît
souhaitable d’éviter un syncrétisme qui pourrait déboucher
sur des risques d’éparpillement ou de confusion en théorie
politique. Aussi reprenons-nous à titre de rappel pour la
suite, les principales conclusions du premier chapitre(I.1)
en rejetant, ce faisant, les déterminismes liés aux idéaux
suprématistes de « races » (I.2) et en affirmant, séance
tenante, le caractère grandement politique du problème
posé par le concept de panafricanisme (I.3). Nous avons
déjà fait allusion à ces trois aspects au chapitre I, mais ils
méritent des construits plus utiles.
I.1 Le panafricanisme : un phénomène complexe
Ce point est solidement acquis pour qu’il ne soit pas
nécessaire de le développer plus longuement ; nous nous
limiterons à en énoncer les thèmes principaux.
Premier thème : Qu’on le veuille ou non, il est impossible
de traiter la question de l’idéal panafricaniste en fermant
les yeux sur l’histoire et la culture des sociétés africaines,
leurs traditions politiques et institutionnels, ainsi que leurs
fonctions et finalités ; il est essentiel d’y saisir leur unité
structurelle fondamentale avec pour enjeu de comprendre
comment et pourquoi elles perdurent et s’opposent à la
nouveauté. Il est acquis que les structures d’encadrement
actuels sont des freins à leur unité en raison du « diviser
pour régner » du modèle dominant. Bien entendu, et
comme beaucoup d’auteurs le soulignent avec raison à la
fin de ce chapitre, on ne saurait en aucun cas oublier qu’il
71
est question de deux modèles anthropologiques opposés
qui s’affrontent en terre africaine.
A ce qui précède, on ne voit pas comment, sauf à
sombrer dans l’aliénation, l’on pourrait, en droit, trouver
une solution réaliste en faisant appel au modèle politique
dominant. Car on le sait déjà, une telle approche souffre de
défauts ontologiques mentionnés au premier chapitre. Un
réel scepticisme à cet égard se trouve, de ce fait, justifié.
Deuxième thème : Si le concept de panafricanisme paraît
récent (1900), il semble qu’il faille sonder l’histoire la plus
profonde de l’Afrique noire pour lui donner des ressorts
anthropologiques, rationnels et même cognitifs efficaces.
En tant que phénomène, le panafricanisme apparaît
comme le résultat d’un contexte tout à fait reproductible.
On sait que l’histoire prend souvent en charge les relations
sociologiques, politiques, opportunistes, tribales et sans
doute le cadre institutionnel qui a déterminé leurs rapports,
lesquels ont été les sources de mobilité politique et sociale
face à l’adversité. Nous sommes obligés de, en quelque
sorte, tenir pour référent principal ce dont le fédéralisme
africain traite vraiment, à savoir, l’ordre de l’Univers
rapporté à l’ordre social, avant toute autre considération.
Troisième thème : Il faut dire que l’ancienneté du modèle
politique de type fédéraliste, les objectifs que celui-ci vise
ainsi que les possibilités que peut offrir la vision africaine
justifient la qualité des solutions sauvegardées, du moins
consignées dans la forme du panafricanisme des premiers
leaders noirs, que le concept soit sémantiquement récent
ou plus ancien ; nous y intégrons, en toute logique, le

72
retour-intégration des frères descendants de déportés hors
du continent noir. Mais cette affaire ne sera toujours pas
réglée, car lorsqu’il s’agit d’un objet de connaissance, une
certaine incertitude existe quand aux idées fondamentales.
Or nous sommes en science complexe et cette notion
de connaissance rationnelle ne se limite pas uniquement à
l’analyse des phénomènes politiques observés. Il intègre
l’infrastructure humaine, le paradigme organisateur de la
pensée. Le concept de panafricanisme n’est donc pas une
panacée, une orientation fourre-tout du cartésianisme, de
l’islam ou du christianisme comme une certaine élite tend
à développer, d’instinct, de telles considérations.
Il est temps de revenir sur cette question en allant au
fond des choses. C’est à ce moment-là que le concept de
panafricanisme pourra contribuer à « briser » la forme de
l’Etat-nation devenue trop étroite pour sa survie. Il faut
donc aller plus loin dans les analyses. Bernard d’Espagnat
nous montre, à ce propos, qu’il faille dépasser la pensée
cartésienne, « classique » :
« La grande ambition de la pensée complexe serait
sans doute de dépasser les grands clivages entre
inclusion et disjonction, entre holisme et parties,
entre matérialisme et spiritualisme.80 »

Retour au paradigme complexe africain, au principe


d’inclusion, qui discrimine « sacré et profane », « visible
et invisible », « unité et diversité », sans les séparer. Mais
ceci n’empêche en rien de saluer comme il se doit les
nombreux efforts déjà fournis pour faire vivre ce concept

80
Bernard d’Espagnat, op. cit., p. 174.
73
de panafricanisme, ainsi que l’esprit qui l’a édifié. Si l’on
analyse cet esprit, on constatera qu’il se situe au départ
dans le prolongement du fédéralisme africain, ne serait-
ce que dans la forme du double-pays (diaspora-continent)
qu’il faudra parfaire au plan du contenu.
Quatrième thème : Cela précisé, on voit bien que la claire
conscience de la mission à entreprendre pour relever le
défi du panafricanisme et le réalisme auquel les efforts des
chercheurs et hommes d’action politique doivent tendre
sont indispensables, aussi bien à l’efficacité des moyens
qu’à l’intelligence de la finalité : lutter contre toute forme
de désordre et restaurer, comme par le passé, le bonheur et
l’harmonie des communautés historiques (Maât).
Cinquième thème : Or, nous l’avons vu, le réalisme et le
pragmatisme des élites politiques modernes prennent le
contre-pied des opinions les plus pertinentes sur le sujet.
Dans l’ensemble, on voit aussi que le premier effort
pour donner à la recherche des solutions une place centrale
doit consister en une réfutation des thèses suprématistes
qui trouvent dans les déterminismes de « races », des sous-
entendus relevant des complexes et préjugés historiques.
N’en déplaise à certains esprits cartésiens, musulmans et
chrétiens, le mal vient du racisme historique et atavique de
ces groupes sociaux à la raison réductionniste. Nombre
d’esprit sréellement libres le regrettent déjà.
I.2 Le rejet des déterminismes de « races »
Rappelons certains faits. Le panafricanisme n’a été
envisagé qu’à partir du moment où tous les mouvements
d’émancipation de la diaspora noire ont fait du système de
74
relations Noir-Blanc, la clef d’une situation politique non
résolue. Cette prise de conscience a donné naissance à des
revendications civiques en rapport avec un refus d’agir ou
de transformation des politiques dominantes ayant conduit
à un « fatalisme »de « race » mal vécu par les descendants
de ceux qui ont été déportés et mis en esclavage. Dans
cette voie, ce sont les déterminismes physique (A) et
géographique (B), puis religieux (C) qui ont été les plus
sollicitées pour comprendre l’ampleur des préjugés
observés dans les pays du Nord.
A-Le déterminisme physique
Aucune considération scientifique digne d’intérêt ne
permet de justifier l’idée de « races » supérieures naguère
formalisées par Aristote et Saint Thomas d’Aquin, ne
serait-ce que dans le domaine des sciences, des religions,
des philosophies et des efficacités intellectuelles.
Bien plus : les paléoanthropologues, préhistoriens et
historiens ont désigné le continent noir comme le berceau
de toutes les « races ».De fait, la « race » noire, issue de
l’homo sapiens sapiens81, a été première et, en raison de sa
primogéniture, elle est la mère des autres « races », bien
avant le double apport euro-sémitique.
Les Noirs auraient mis environ200.000 ans en terre
africaine, voire plus, avant de coloniser toute la planète.
Puis, ils sont entrés dans l’histoire en inventant l’écriture,
la philosophie, la science et la religion. Bien plus : il
81
Yves Coppens, Professeur titulaire de chaire de paléoanthropologie
au Collège de France et membre de l’Académie des sciences, fixe le
berceau en Afrique, d’Ouest en Est (cf. Sciences et Avenir, novembre
2017, n°849, p. 55).
75
estdésor mais admis que l’Egypte, Sumer et Elam des
Noirs ont légué leurs connaissances au reste de
l’humanité.
Contre toute attente, rien n’a été fait pour que le
déterminisme physique puise dans cette vérité historique,
les éléments d’une analyse qui soit objective. On aurait
probablement vu que cette question de « race » a une
racine profonde, en rapport avec les servitudes biologiques
liées à l’environnement climatique et à la géographie des
Nations filles naturelles du continent noir.
B-Le déterminisme géographique
Curieusement, l’idée d’un retour de la diaspora en
Afrique, quelque temps tombée dans l’oubli, revient sur le
devant de la scène. Elle émerge, qualitativement et même
parfaitement, de la théorie du double-pays.
En un sens, l’argument est juste, mais il faut être
conscient de ses limites. Encore une fois, dans la théorie
politique « standard » (chapitres III et IV), il n’en émerge
qu’à titre d’approximation et, plus précisément, seulement
si l’on tient compte, explicitement, de la morphologie du
double-pays : diaspora-continent noir. Il lui manque le
contenu de son historicité.
En fin de compte, on peut voir que la thèse des pays
« séparés » est vraie ou fausse selon le point de vue que
l’on veut adopter. Si certains « pays » d’Outre-mer sont
des excroissances de la puissance métropolitaine, on ne
peut exclure qu’ils deviennent autonomes et pourquoi pas
indépendants, et s’organisent, tout naturellement, comme
une forme avancée du berceau de l’humanité.
76
D’ailleurs, Runoko Rashidi82, historien de renom,
nous révèle que la conscience d’une identité de « race »
est encore présente chez les Noirs d’Asie où il conduit des
travaux remarquables. Au fond, dans la pratique, elle est
« culturellement » sentie et même vécue à bien d’égards, à
la nuance près que ces Noirs d’Asie sont « socialement »
enkystés et marginalisés. Comme dans les Amériques, ces
Noirs ne sont plus en terrain neutre ; ils ne peuvent donc
pas se battre autrement, comme leurs frères d’Outre-mer.
Cet historien établit que dans beaucoup de cas, cette
« race » noire a été exterminée partout en Asie où elle fut
la première à s’installer, aux confins de notre planète. Tout
ceci permet de remettre à l’ordre du jour la nécessité
d’historiser le panafricanisme. Car là encore, le problème
des Noirs reste entièrement posé.
Après avoir payé un lourd tribut à l’histoire politique
de l’Asie, de l’Orient et de l’Occident (exterminations,
razzias, esclavages et génocides), la condition du Noir est
82
Lire Runoko Rashidi: Histoire Millénaire des Africains en Asie,
éd. Monde global, 2005.La présence d'éléments de race blanche dans
des régions comme la vallée de l'Indus, le pays de Canaan, la basse
Mésopotamie et la presqu’île Arabique, ne s'explique que par des
invasions tardives des peuples indo-européens. Ceux-ci ne
représentent pas les premiers habitants de ces lieux. De fait, Rashidi
Runoko montre que la péninsule Arabique, peuplée pour la première
fois il y a 8000 ans, était, comme la majeure partie de l'Asie, peuplée
de Noirs. Classés comme véddoïdes par les anthropologues, ces Noirs
sont une part significative de la population négroïde Mahra. Ils sont
les plus anciens Arabes que nous connaissons aujourd’hui et leur nom
découle de celui de peuples qui vivent dans les environs du Sri Lanka
(Ceylan). Leur chevelure varie de légèrement ondoyante à crépue; leur
teint de peau, de brun clair au brun foncé. Ce sont les premiers
habitants de l'Arabie. A l'origine ils étaient noirs et ils le sont restés
jusqu'à nos jours.
77
toujours précaire. Cette attitude des Nations nordiques et
asiatiques manifestant de manière atavique cette volonté
farouche d’en découdre avec les Noirs, de les asservir ou
de les exterminer a retardé l’évolution harmonieuse du
monde, mais aussi l’évolution d’une Afrique moderne.
Or tous les espaces de peuplement nordique et même
asiatique ont été développés grâce à la mobilisation de la
force du travail des Noirs surexploités et sans droit ; tout
cela a permis de légitimer, de légaliser et d’inférioriser la
« race » noire sur le terrain de la géographie.
Le disant, nous n’oublions pas que la richesse de ce
monde nordique, dans une certaine mesure asiatique,
apparaît comme une contre partie de l’exploitation de la
force de travail des Noirs, en rapport avec le dépeuplement
de l’Afrique et l’accumulation du capital par l’oligarchie
financière du monde nordique. Cette oligarchie doit à la
traite négrière une bonne part de sa fortune.
De ce point de vue, l’idéologie guerrière, la propriété
privée mercantile et bourgeoise en quête d’esclaves et la
colonisation sont au cœur de la domination des « races »et
de la férocité blanche. Vues sous cet angle, les thèses de
Max Weber sur l’essor du capitalisme apparaissent bien
simplistes. Notons que, le fait religieux ne permet pas, en
soi, l’organisation d’un développement économique même
s’il a pu exercer une influence sur celui-ci. La vérité est
ailleurs : pas dans le déterminisme géographique. C’est
davantage le la culture, la civilisation et le sang des Noirs
qui a servi de base à leur progrès fulgurant. Dans tous les
cas, le déterminisme géographique qui ignore cet épisode
des tragédies exsangues du Noir passe à côté du problème.
78
L’universel, encore une fois, affleure sous nos yeux.
Pour qui cherche à penser celui-ci, des recherches comme
celles-ci sont signifiantes au plan de la théorie en relations
internationales. Il montre qu’il n’y a pas un émiettement
de la « race » ou de la connaissance ou plus exactement
que, si émiettement il y a, il ne gît que dans le paradigme
du mythe de la « race », de la spiritualité (de l’esprit !) et
de la religion, bien avant l’essor du droit, de la philosophie
et de la science. La vérité sur la haine, le racisme et même
la violence et la guerre a été « logé », en premier, dans le
formalisme religieux des spiritualités arabe et occidentale.
C-Le déterminisme religieux
Il faut même dire que dans sa partie la plus assurée,
au plan de la « foi », le déterminisme religieux prend sa
source dans la mythologie violente des Nations nordiques.
Le surgissement du pessimisme« adamique » ou de
la malédiction de Cham dans la Bible a servi des fins
idéologiques. Ilcoïncide, très précisément, avec les enjeux
aristotéliciens de l’esclavage et de la domination. L’église
catholique a réussi à avaliser, chemin faisant, la notion de
guerre « juste » d’Aristote, reprise par la suite par saint
Augustin, puis prolongée par saint Thomas d’Aquin.
Dans la même lancée, la damnation des Nègres a eu
la faveur des rabbins juifs et du monde protestant. Si on y
ajoute les hommes de culture et intellectuels, le tour est
joué : Moshe Ben Maïmon, Montesquieu, Voltaire, Kant,
Hegel, Gobineau, pour ne citer que ceux-là, ont été partie
prenante, bon gré mal gré, de l’effervescence politique de
l’ordre esclavagiste dominant, même si on peut accorder à

79
certaines voix, très réduites et inaudibles, la volonté de s’y
interposer. Au vu d’indices dont il était question plus haut,
on peut le penser. Mais un tel effondrement de la pensée
dominante montre la subtile manière dont l’ordre et le
réductionnisme cartésiens organisent puis sonnent le glas
de leur « universel » décrété.
Le rejet des déterminismes de « races » est donc une
première étape dans notre effort pour justifier le concept
de panafricanisme en tant que fait objectif ayant pour but
d’accorder à la politique la priorité sur les autres sciences.
L’idée, en procédant de la sorte, est de cerner la vérité par
le moyen d’une élimination des conceptions douteuses de
la réalité politique dans l’Afrique traditionnelle.
I.3 La primauté du politique
Le panafricanisme ne peut être analysé valablement
que grâce à la coopération des sciences « molles » dans
leur ensemble (l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, la
linguistique, la métaphysique, la mythologie, l’éthique, la
science politique) et de certaines sciences dites « exactes »
(la neurobiologie moléculaire, la cosmologie, la génétique
des populations, les mathématiques de la morphogénèse).
Aucune de ces sciences ne peut prétendre y apporter
une explication totale. L’exactitude de cette conclusion ne
doit pas nous faire perdre de vue qu’il est possible de
soutenir le point de vue « politique » sans pour autant qu’il
faille mettre à égalité toutes ces disciplines ayant chacune,
une logique propre et une méthodologie propre. Notre
problème, c’est d’y définir des objectifs et des priorités.

80
Si nous considérons le panafricanisme en tant que
phénomène, donc objet d’une étude scientifique, alors ce
qui a été dit sur la complémentarité de toutes ces sciences
reste incontestable. Le chapitre I en restitue les preuves.
Mais si l’on s’attache au panafricanisme en tant que
problème, cette situation toujours non-résolue exige une
politique pouvant y répondre ; c’est la raison pour laquelle
le panafricanisme est fondamentalement un problème à la
fois politique et technico-institutionnel.
Notons bien la distinction déjà faite entre phénomène
et problème. Le problème que le panafricanisme pose est
celui de la mise en œuvre d’un modèle institutionnel et
politique conforme à la pensée africaine; cette mise en
œuvre exigera des transformations complémentaires dans
les comportements psychologiques et « racialistes », mais
aussi certaines structures sociales. Mais dans tous les cas,
ce sont les objectifs de nature politique qui détermineront
de telles mesures ainsi que leurs réalisations respectives.
Le problème du panafricanisme naît, pour ainsi dire,
d’une inefficacité politique ; toutes les autres sciences ont
été introduites dans l’analyse pour contribuer à expliquer
cette inefficacité. De fait, il serait absurde de parler d’un
panafricanisme ontologique (nouménal), épistémologique
(phénoménal), géographique ou paradigmatique, etc.
C’est en ce sens que nous paraît justifiée une analyse
du panafricanisme car l’essence du problème de nature
politique. Il n’est, bien entendu, aucunement exclu qu’il
englobe lui-même d’autres grilles d’appréhension de sa
réalité, mais sans se réduire à elles seules.

81
Usant à dessein d’une telle hypothèse, parlons à
présent du concept de panafricanisme, ce qu’il programme
en soi pour sa réalisation.
II-LE CONCEPT
Le concept de panafricanisme se présente comme un
instrument d’analyse du dynamisme des idées dont il
importe de préciser le caractère historique et la fonction
(II.1) ; il représente aussi un ensemble de connaissances
concrètes dont nous pouvons faire l’inventaire des divers
matériaux disponibles dans le domaine (II.2) ; on peut
dire, pour ces toutes raisons, que le panafricanisme sera le
fruit d’une enquête scientifique dont nous spécifierons la
démarche de conceptualisation (II.3).
II.1 L’instrument d’analyse
Nous avons vu que le panafricanisme est sans cesse
en construction ; il s’y transforme, se déforme, s’enrichit,
s’élargit, s’actualise en suscitant de nouvelles expériences
plus ou moins porteuses d’un certain intérêt.
Le concept requiert, pour toutes ces raisons, un
jugement scientifique sur ce qu’il représente réellement
dans l’ordre des idées (A), une approche éthique de ce
pourquoi il a été fait en relations internationales (B) et une
action d’envergure de nature à porter en liesse l’ensemble
du monde noir (C).
A-Concept et jugement scientifique
Le concept de panafricanisme n’est donc pas figé : il
peut être saisi comme un instrument d’analyse de la réalité

82
politique et même d’intervention, surtout qu’il traduit un
rapport de l’homme-noir-au-monde.
Vivre avec le panafricanisme n’est donc pas vivre en
savant ; ce n’est pas davantage soumettre son esprit à des
systèmes de valeurs importées et édictées par le monde
dominant qui, précisément, joue le rôle d’oppresseur. Le
continent noir a parfaitement joué son rôle de maîtresse de
l’histoire tant qu’elle a contrôlé le pourtour de toute la
Méditerranée et son évolution, au contact direct de leurs
rapports mutuels. Puis, l’arrivée des Arabes a permis de
stopper ce rôle. Il faut se faire une philosophie qui soit en
accord la vraie histoire et avec ce que la science a établi
une fois pour toutes comme nous l’avons vu au premier
chapitre, tout en améliorant, voire en rectifiant les options
qui pourraient, à tort, se fonder sur un mimétisme depuis
longtemps ininterrompu des savoirs dominants.
Admettre l’existence d’un concept de panafricanisme
suppose donc un jugement scientifique sur l’insuffisance
des politiques à l’œuvre pour résoudre le problème non
résolu de « race », de haine, de domination des Noirs et de
blocage de l’unité des Etats-nations, puis un jugement sur
la nature de cette insuffisance : nature des institutions,
aliénation des élites, inadéquation du système éducatif et
religieux, retard de la science, blocage de la pensée, etc..
Il est possible d’évaluer l’état du panafricanisme et
les résultats atteints. De ce point de vue, il faut avouer que
le concept de panafricanisme ne traduit pas un « langage »
commun aux hommes politiques et chercheurs. Aussi les
réflexions et actions le concernant sont-ils disparates.
Dans ces conditions, avouons que sa faisabilité paraît peu
83
vraisemblable. Pour la parfaite compréhension du concept
de panafricanisme, autant intégrer dans les analyses, les
concepts de double-pays, d’ordre (Horus) et de désordre
(Seth), de principe d’inclusion et de complexité (Maât) qui
ont naguère fondé le fédéralisme africain. Cette manière
de faire peut conduire à une vue d’ensemble équilibrée
que, à l’évidence, le seul horizon de la pensée dominante
ne fournirait pas. L’option éthique y est interpellée.
B-Concept et option éthique
Le concept de panafricanisme ne résulte pas du seul
jugement scientifique sur le contenu de concept ; il traduit
aussi une option éthique liée à la vision africaine du
monde en rapport avec l’ordre de l’Univers et surtout, la
volonté d’agir conformément à cet ordre formalisé dans
les mythes et la culture. L’honnêteté et la liberté de la
recherche d’un idéal panafricaniste pose deux exigences :
- l’indispensable mobilisation d’une génération à la
hauteur des enjeux politiques de notre temps ;
- la manifestation d’une éthique conforme à la
vision africaine du monde.
Quel sera le point de départ des deux exigences ?
L’idéologie des pionniers du panafricanisme nous a été
proposée avec un double avantage. En premier lieu, cette
idéologie prolonge logiquement l’objectif de prise du
pouvoir politique partout en Afrique noire. En second lieu,
sa formulation est assez générale pour laisser toute liberté
à la recherche de nouvelles solutions car elle n’est liée, au
départ, à aucun système politique connu, à aucun système
économique éprouvé, à aucun modèle de développement ;
84
en revanche, elle nous conduit seulement à rejeter tout
système qui pourrait nous maintenir sous le joug d’une
domination ou d’un asservissement partiel ou total, nous
privant par là de toute capacité à décider par nous-mêmes
ce qui serait souhaitable, en théorie et en pratique, pour
l’essor et l’épanouissement du monde noir.
C’est là un message que nombre d’universitaires peu
familiers à l’égyptologie, entendront mal, très mal, faute
de culture historique. Tels vont pensant que l’ensemble du
savoir significatif peut se ramener au positivisme, à l’esprit
cartésien, et jugent que cette connaissance-là, qui est à leur
portée du fait de l’école, épuise toute connaissance vraie et
que notre quête ne peut pas viser un horizon au-delà.
Nous tenterons, au dernier chapitre, de rappeler que
l’Afrique possède dans son histoire et sa culture, un savoir
puissant, jamais égalé. En conformité avec ce savoir, une
action forte et une éthique sont proposées à la hauteur des
enjeux de civilisation, car c’est l’ensemble du monde noir
qui est ici concerné. Et, dans les deux cas, Maât, en tant
qu’éthique et savoir susceptible de neutraliser le désordre,
correspond bien à une telle attente (cf. chap. IV).
C-Concept et action
Nous partons d’une vision africaine du monde plus
ou moins formalisée pour aboutir à la nécessité de l’action.
C’est dire que le postulat de valeur de cette vision qui est
la « connaissance de l’ordre de l’Univers et la nécessité
d’agir conformément à cet ordre », Maât, doit promouvoir
une orientation générale puis produire un contenu culturel
avec des normes d’action pour en traduire les conclusions.

85
Dit ainsi, on voit bien que le contenu des politiques
gouvernementales et les recherches actuelles qui n’ont pas
trait à la valorisation de ce patrimoine ancestral ne sont
pas du domaine de cette contribution. Pour cette raison,
nous n’insisterons pas sur l’histoire du panafricanisme et
les déclarations d’intention accompagnant le
pragmatisme« policé » des hommes politiques et leaders
modernes.
Retenons que le concept de panafricanisme n’est pas
une construction rationnelle en elle-même et qu’il n’a de
signification réelle qu’en ce qu’il fonde une théorie de la
pratique politique et surtout, une praxéologie renouvelée
dans le temps et l’espace mais toujours conforme, quant au
fond, à cette théorie.
L’objectif a été défini avec l’analyse du caractère et
les attributs du concept de panafricanisme. A présent, nous
pouvons faire un inventaire des ressources disponibles
pour réaliser cette tâche.
II.2 Les matériaux
On voit bien que les conditions historiques de prise
de conscience du problème du panafricanisme et surtout,
les tendances observées, donnent un contenu indiscutable
à une distinction formelle du phénomène et du problème.
Le débat de notre temps est à ranger dans le décalage
réel entre le phénomène du panafricanisme historiquement
organisé et la position « opportune » (c’est le problème !)
de la culture moderniste qui s’en détache, bon gré mal gré,
consciemment ou inconsciemment.

86
Nous voudrions montrer que le phénomène demeure
valable moyennant quelques adaptations ou modifications.
A l’opposé, la position « opportune » (le problème) vise
une greffe des institutions dominantes sur le phénomène
historique. Or celles-ci ne sont qu’une rationalisation des
objectifs, croyances et centres d’intérêts du capitalisme de
prédation ; on le pressent, seule une théorie fondée sur un
panafricanisme intégral, axiologique, peut rendre compte
du déficit de la culture moderniste. C’est le sens que nous
donnons à cette approche du concept.
Les matériaux dont nous disposerons sont ceux qui
ont en orientation une connaissance parfaite de la « boîte
noire » de la culture politique africaine. Les recherches et
thèses qui mettent l’accent sur la culture moderniste et
« opportune » ne seront pas notre préoccupation. C’est
cela qui justifie la démarche de conceptualisation.
II.3La démarche de conceptualisation
Toute recherche résolue et conséquente doit se poser
la question de savoir si telle ou telle apparence d’un fait
porté à l’analyse n’est pas, en réalité, une fausse évidence.
Jusqu’à présent, notre argumentaire de fond a été basé sur
des connaissances spécifiques de la science complexe. Le
professeur Felwine Sarr l’oriente assez bien pour nous :
« L’obstacle majeur d’une telle démarche demeure
cependant la détermination d’un champ
épistémologique c’est-à-dire d’objets spécifiques à
appréhender, mais également des démarches pour y
parvenir.83 »

83
Felwine Sarr, Afrotopia, Paris, éd. Philippe Rey, 2016, p. 107.
87
A ce niveau, envisageons le champ épistémologique
(A), et la méthodologie y afférente (B) aux fins de mener à
bien la démarche de conceptualisation (C).
A-Le champ épistémologique
Si le concept a vocation à l’essentiel, à savoir, mettre
en évidence les caractères fondamentaux et mécanismes
internes du panafricanisme, il devient opportun de l’élever
au rang d’une théorie de la pratique historique.
Ces deux dernières décennies, les travaux portant sur
le panafricanisme connaissent une vigueur nouvelle qui se
saisit de la disgrâce géopolitique de Berlin :
« Autrement dit, ce qui est en cause, c’est
la capacité d’invention politique des Africains de
cette fin de XXe siècle, mis au défi d’imaginer une
tension équilibrée entre la reconnaissance politique
du pluralisme ethnique et la construction d’une
société politique fondée sur un nouveau pacte
républicain, unissant dans le même destin les
citoyens et les nations dites ethnies.84 »

Domaine théorique neuf, le panafricanisme attire de


plus en plus un certain nombre d’universitaires dont les
approches s’organisent comme une excroissance de cette
problématique envisagée par Mwayila Tshiyembe ; ce qui
signifie, très concrètement, la prise en charge de l’identité
ethnique dans l’organisation de la République.
Il n’y a pas de contradiction théorique à ce qu’une
telle perspective soit enfin envisageable ; à bien d’égards,
elle serait même salutaire. L’histoire du fédéralisme en
84
Mwayila Tshiyembe, Le défi de la renaissance, Inpact Tribune, n°
18, premier trimestre 2001, p. 4.
88
Afrique le montre bien. Yves Person, politologue, est de
ceux qui ont entrevu cette solution aux fins de sauvegarder
le dynamisme des nations dites ethnies :
« Les communautés de base qui subsistent, et où les
cultures africaines restent vivantes sont, dans le
meilleur cas, ignorées et méprisées. Leurs forces
latentes, qui pourraient être bénéfiques par leur
fédération en communautés plus vastes, sont
négligées ou combattues.85 »

Tel est la réalité qui prévaut dans les Etats-nations


africains au Cameroun, au Mali, en Somalie, en Ethiopie,
au Nigéria, en R.D.C., en R.D.A., au Burkina, en Côte-
d’Ivoire, etc. A défaut de profondes réticences sans doute
liées à l’héritage colonial, il y a une fuite avant des leaders
et Chefs d’Etats africains que souligne Yves Person :
« L’Etat moderne, qui croit se grandir en se
qualifiant de nation, pense qu’il se mettrait en
danger s’il prenait en charge la réalité organique du
peuple, forcément divers dans sa culture et sa
convivialité. Cette fuite dans l’abstrait empêche en
fait l’analyse des problèmes réels et la recherches
des solutions les plus valables. 86»

Il y a blocage politique et institutionnel et celui-ci


s’accompagne d’un blocage de la pensée. En prenant
appui sur la sortie du collectif d’experts dirigés par Jean-
Emmanuel Pondi87, on note une évolution des opinions en
faveur d’un changement de paradigme : le temps est à la
prise en charge des enjeux de culture, voire de civilisation.

85
Yves Person, op. cit., p. 33.
86
Idem.
87
J-E. Pondi (collectif ss la dir. de), Repenser le développement à
partir de l’Afrique, Yaoundé, édition Afrédit, 2015.
89
Robert Mba prolonge le débat :
« Dans la longue marche du processus de
développement, l’heure est venue pour l’Afrique de
s’interroger sur le sens profond de son héritage
historico-culturel, de son patrimoine économique et
social mais aussi de tout le symbolisme qui entoure
sa capacité à exister en tant qu’entité autonome et
forgeur de son propre destin. 88»

Il s’y dessine un horizon en termes de valeur, de


référent, voire d’attachement psychoaffectif ; cet horizon
est fait d’idées, d’opinions, d’intuitions, mais à contours
encore flous. Laurent Mbassi prolonge dans le même sens
et impose un débat sur fond de rupture épistémologique :
« L’Afrique ne saurait s’inscrire dans le club des
peuples épanouis à travers des catégories, des
instruments et un vécu institutionnel qui ne cadrent
pas avec ses mentalités et ses convictions.89 »

Le problème du mimétisme institutionnel est posé : il


s’y dessine une trajectoire qui va d’un certain empirisme à
un idéalisme conceptuel du panafricanisme. Dans tous les
cas, un grand besoin d’autonomie épistémologique se fait
sentir, indépendamment de toute action ou de tout souci
pratique d’adaptation aux contingences à la fois politiques
économiques et institutionnelles.
Il semble même que l’enjeu c’est que rien d’essentiel
en notre culture ne soit cassé ou compromis, pourvu que
les valeurs à préserver soient orientées par le savoir. Aussi

88
Robert Mba, « Le développement sociale en Afrique » in Repenser
le développement..., p. 243.
89
Laurent Mbassi, « Les temps sont-ils accomplis ? »,» in Repenser le
développement..., pp. 168-169.
90
Tagou lance-t-il un vibrant appel à contribution aux fins
de retrouver la fraîcheur perdue avec la colonisation :
« Et si l’Afrique n’a plus de choix, n’existe-t-il pas
dans les traditions africaines des valeurs pouvant
humaniser quelque peu le développement dont le
coût écologique et social met en péril la survie de
l’humain ?90 »

Martine Ahanda Tana s’en tient à l’enjeu éthique de


l’harmonisation « valeur et savoir » de la culture :
« Il est donc temps pour les Africains de s’appuyer
sur leurs valeurs culturelles ancestrales éthiques
pour s’approprier le développement économique. Ne
dit-on pas la culture est ce qui nous reste quand on a
tout perdu ?91 »

Mueni wa Muiu et Guy Martin ont l’avantage de se


donner la peine de comprendre ce que nous avons perdu
dans notre rencontre avec l’Occident :
« A partir du 15è siècle, ces systèmes et institutions
politiques traditionnels ont été progressivement
dénaturés et profondément transformés sous l’effet
de la traite Atlantique. La paix, la sécurité et
l’harmonie ont progressivement fait la place à la
violence, la guerre, la prédation et l’insécurité. 92 »

Il devient tout à fait clair qu’il faille retrouver l’ordre


ancien qui garantissait la plénitude de nos moyens. Une
unité d’action semble même s’imposer comme solution et

90
Célestin Tagou, « Les théories et politiques globales de
développement »in Repenser le développement..., pp.49-50.
91
Martine Ahanda Tana, « Développement et Etat de droit »
inRepenser le développement..., p. 238.
92
Mueni wa Muiu et Guy Martin, « Repenser l’Etat, la démocratie et
le développement en Afrique » in Repenser le développement... p. 139.
91
le terreau devient propice à un enracinement historique de
la problématique épistémologique. Boris Bertolt tranche
dans le vif du sujet :
« L’Afrique ne saurait se développer si elle ne
s’attèle pas à mettre en avant son héritage culturel
et civilisationnel. Pourcela, la rencontre avec
l’Egypte ancienne est incontournable. 93»

Dans les détails, il s’agit de problèmes délicats qui


font appel à une maîtrise du formalisme théorique africain.
Martial Tchenzette s’en tient à un problème d’équipement
intellectuel à solder :
« Dès lors, organiser les rapports économiques et
promouvoir le développement, c’est soumettre ces
rapports aux prescriptions de la justice sociale et de
la solidarité agissante pour restaurer l’harmonie, la
paix et réaliser l’unité de l’Afrique. 94»

Telle est la contrainte de notre temps que souligne


bien Tchenzette. Qu’on le veuille ou pas, un tel horizon a
quelque relation avec l’histoire à restaurer. Plus tranchée
est celle de la science qui doit dire l’esprit de cette science
en Afrique noire.
Mais alors, face à un tel consensus rassemblant des
esprits si alertes, certaines questions surgissent : pourquoi
tous les efforts d’organisation politique et de promotion du
panafricanisme sont-ils si minces ? Que faut-il faire de
plus en dehors de l’histoire à restaurer et de l’esprit de la
science africaine à dévoiler ?

93
Boris Bertolt, « Jeunesse africaine et développement » in Repenser
le développement..., p. 449.
94
Martial Tchenzette, « Développement en Afrique et sortie de crise »
in Repenser le développement..., p. 412.
92
La réponse est toute trouvée par Jean Emmanuel
Pondi qui signe :
« Contrairement à ce que pourrait penser beaucoup
d’Africains, s’empresse-t-il de souligner avec intérêt,
un développement économique, politique et culturel
viable du continent n’est aujourd’hui envisageable
sans une stratégie concertée d’intégration. 95»

Une fois de plus, la question du panafricanisme est


posée au plan politique. Pour être opérative, il faut une
concertation entre parties prenantes aux fins de développer
une stratégie commune. Au formalisme théorique, il faut
greffer une stratégie concertée d’intégration.
Ce qui fait désormais défaut, c’est ce formalisme,
entre réflexion afrocentrée et signaux de mobilisation à
l’échelle du continent noir. En général, l’esprit rationnel
qui se ménage une obsession à laquelle il attache quelque
valeur ou finalité, s’accomplit à terme. Car toute intuition
qui pousse à cette volonté élabore une démarche en tout
point consubstantielle à l’être de vérité qui l’y pousse.
Bernard d’Espagnat le sent :
« Cette réalité dont l’homme a tant besoin comme
horizon, cette réalité charmante et lumineuse qui fuit
tout en se laissant entrevoir, cette « réalité derrière
les choses », pourquoi ne pas admettre que, tout
simplement, elle est là ? 96»

Depuis l’Antiquité, la science a été portée, soutenue


et inspirée par la rencontre d’une idée, d’un savoir et
d’une méthodologie appropriée.
95
Jean-Emmanuel Pondi, « Repenser le développement à partir des
spécificités africaines » inRepenser le développement..., p. 498.
96
Bernard d’Espagnat, op. cit. p. 228.
93
B-La méthodologie
Il n’est pas étonnant que les cosmologistes africains
qui ont sondé l’univers des millénaires durant aient validé
l’hypothèse d’un principe organisateur du monde à partir
duquel il faille agréger une méthodologie, un programme à
appliquer pour en faire une valeur, un référent conceptuel,
beaucoup plus qu’une méthode, une stratégie de la pensée.
Reprenons leur approche cosmologique du Réel : au
sein du Noun des vibrations de la matière indifférenciée,
Râ structure la matière et organise sa transformation par
étapes successives, selon un processus historique (cf. chap.
IV).Hervé Barreau y prête une oreille attentive :
« Si donc une hypothèse cosmologique rend compte
de l’Univers tel qu’il est, avec la vie et la pensée sur
la petite planète Terre, il n’y a pas lieu de la
repousser sous prétexte qu’elle n’est pas revêtue de
la légitimité d’une loi physique testable. Il suffit
qu’elle soit vraisemblable, compte tenu des données
dont nous disposons. 97»

De l’infiniment petit à l’infiniment grand, Maât, la


fille de Râ, met en œuvre l’équilibre du Cosmos organisé
par le biais de l’énergie en circulation. Au départ, il s’agit
d’une énergie résultant de la combustion de Râ, le Soleil.
Or « matière et énergie » sont équivalentes, selon la
formule consacrée :E = mc2. La matière (notée m) dans
cette formule consacrée se transforme en énergie (notée E)
quand elle approche la vitesse de la lumière (c) ; de même,
l’énergie devient matière quand elle perd de la vitesse. La
masse est par conséquent donc une énergie « figée ».
97
Hervé Barreau, op. cit., p. 115.
94
Les formes multiples que nous observons dans la
nature procèdent, par conséquent, de régularités naturelles,
causales, plus ou moins stables ; elles projettent un ordre
de l’Univers qui organise les différentes formes par des
brisures de symétrie successives ce, à toutes les échelles
d’organisation de la matière.
Etablir un lien entre cet ordre universel et la pensée
a été la principale préoccupation des sages et initiés. Ceux-
ci y sont parvenus grâce à la géométrie (mathématique de
la morphogénèse), beaucoup plus que la physique. De la
sorte, les savants africains ont préféré apprécier la fugacité
du mouvement de la matière inscrit dans la forme des êtres
plus que la grandeur, le nombre ou encore la quantité que
recherchent les physiciens de notre temps !
On peut parier que les bâtisseurs des pyramides de
l’ancienne Egypte n’ont pas ignoré le point de vue de la
physique ! Ils ont intégré à la construction mathématique
des pans de la physique qui, en retour, ont contribué à la
rationalisation mathématique. A tout considérer, le choix
d’une représentation qualitative de l’Univers a eu quelque
chose à voir avec l’intelligence cognitive davantage portée
à l’explication par la forme ou la qualité, beaucoup plus
que la quantité et la grandeur soumises aux limites du
contrôle expérimental en laboratoire.
Si l’on cherche à comprendre cette intuition des
sages, on constate qu’elle intègre des raisonnements liés à
l’observation minutieuse de la nature, puis à l’expérience
multimillénaire des hommes. Contre cette disposition de
l’esprit rationnel, les physiciens modernes ont préféré la
cohérence de détail des équations de laboratoire, en lieu et
95
place d’un système d’idées générales, philosophiques. Les
physiciens demeurent attachés à la cohérence de détail des
équivalences équationnelles et s’intéressent rarement au
développement de telles idées.
A l’analyse, le choix de la représentation qualitative
de l’Univers a quelque chose à voir avec les processus de
cognition. Si l’esprit rationnel privilégie la forme, on peut
y entrevoir une empreinte culturelle de la biologie. Dans
l’ensemble, ces idées générales ne sont pas irréelles ou
désincarnées : elles instaurent des rapports de finalité entre
la mathématique, la physique et l’action, puis simulent des
modes de raisonnement qui requièrent des méthodes à la
fois qualitative, historique et interprétative.
Toutes les idées, opinions, théories, représentations
de la réalité remontent aux principes essentiels à l’origine
de l’Univers : ordre (Horus), désordre (Seth) et complexité
(Maât). Or un tel pas ne se franchit pas aisément. Ahmed
Moro en mesure la portée pour la modernité :
« Nous prenons le risque d’affirmer que la
méthodologie en sciences sociales ne peut être
comprise que si les méthodes mises à la disposition
de l’usager (étudiant ou chercheur) sont éclairées
par cette articulation entre les figures élémentaires
des rapports ordre/désordre et la morphologie
sociale.98 »

Il s’agit d’une visée méthodologique de cohérence,


entre la transformation de l’ordre cartésien et les avancées
d’une science devenue complexe. Le fait tient au degré
d’abstraction que les sciences sociales requièrent.

98
Ahmed Moro, op. cit., p. 58.
96
Image 1 : Maât, l’équilibre cosmique, la déesse de la Vérité-
Justice, montre une forme en spirale : le flot d’écoulement de
l’énergie universelle dans la Nature et sa transformation en
masse : vent solaire, embryon fœtal, masque, crête de vague,
phyllotaxie de végétal, feu, cyclone, galaxie spirale, coquille
de nautile, le masque Toma (Libéria). Tous les ordres, à la
fois physique, chimique, végétal et humain (la pensée
artistique) s’y superposent et s’harmonisent par le biais de
la forme en spirale. Tel est le paradigme de l’ordre universel
qui est aussi le paradigme qui gouverne l’art, la science et
l’organisation des sociétés africaines. Nous pensons que
c’est cette forme qui a programmé une unité de la science ou
des sciences en lieu et place d’un éparpillement des
disciplines étanches, cloisonnées.
Cette image montre que l’esprit humain et l’ordre de
l’Univers sont co-originaires. Vu sous cet angle, on peut
en conclure que le Cosmos est dans l’Homme et l’Homme
est dans le Cosmos. La spirale représente, pour ainsi dire,
le lien entre le Cosmos et l’Homme (cf. Masque Toma).
97
Impossible d’esquiver la problématique de la puissance
de la formespiralée, mais aussi celle de son élégance et de
sa robustesse, entre géométrie de l’espace-temps et théorie
cosmologique de la morphogénèse. La forme spiralée est
certes élémentaire, mais déjà complexe ; les sages lui ont
conféré une valeur rapportée à l’organisation de la science
et de la société. C’est dire que la théorie de la valeur
(éthique) y rejoint la théorie de la science.
La puissance de la forme permet de déboucher, sans
tricher, sur des conclusions solides s’agissant de la théorie
historique du Cosmos et de celle du flot d’écoulement de
l’énergie universelle qui immerge l’Univers. Pierre Rabhi,
homme politique et célèbre environnementaliste, a une
forte intuition de cette valeur pour la modernité :
« Comprendre cet ordre ; œuvrer avec lui et
non contre lui, c’est cela l’intelligence.99»
Le monde moderne revient ainsi à l’esprit originel
de la Sophia et donne sens au lien qui unit un savoir et un
agir ; la Sophia des Négro-égyptiens qui s’était donnée à
connaître l’ordre de l’Univers et à le mettre en résonance
avec la structure de l’esprit rationnel revient sur le devant
de la scène méthodologique et écologique moderne.
La théorie politique que nous voudrions élaborer est
donc synonyme de compréhension de ce savoir tandis que
l’agir tient un rôle d’interprétation de cette théorie. En
science, la compréhension de l’expérience de pensée et
l’interprétation de cette expérience sont complémentaires.

99
Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, Paris, Actes Sud, 2013,
Babel n° 1171, p. 128.
98
Il se trouve que les considérations cosmologiques ont
dominé dans les temps anciens pour des raisons en partie
liées à une observation minutieuse de la nature, puis à
l’expérience routinière et magique des premiers temps de
vie de l’homo sapiens sapiens. De nos jours, ce sont les
considérations de la physique qui ont pris le dessus. Quoi
qu’on dise, ce changement de cap a un fondement culturel.
Ce qui est en jeu dans la présente contribution, c’est
la polysémie du concept de panafricanisme posé comme
un fait social, culturel et politique à signifier au plan de ses
causalités matérielle, formelle, finale, efficiente, théorique.
Insistons pour cette raison sur ce dernier point.
Maât est une cause matérielle : l’énergie universelle
que l’Univers déploie organise la matière ; cette énergie
sculpte les galaxies, la position fœtale de l’embryon, les
cyclones, la phyllotaxie des végétaux, le vent solaire, la
coquille du Nautile, etc.
Maât est une cause formelle : elle émerge dans une
lutte (Horus contre Seth, matière contre antimatière, ordre
contre désordre, vie contre mort, etc.) et consacre la forme
asymétrique et spiralée, des gradients de concentration
ionique, fluidique, stellaire et galactique.
Maât est une cause efficiente : elle organise l’effet
par le biais de la magie, de la géométrie des formes.
Maât est la cause finale : c’est la forme que prennent
Dieu, les dieux, le mystère et la finalité de la création.
Aussi la Parole (le Verbe créateur), issue de la source des
vibrations primordiales repart-elle à cette même source.

99
Maât est une cause théorique : elle fonde une théorie
du déploiement universel de l’énergie en un flot.
Globalement pertinente est donc la constatation que
Maât est éternelle ; elle a ses concepts essentiels : Horus
(ordre) et Seth désordre) qui enclenchent le mouvement de
la spirale. Hier, la recherche d’un savoir affiné par une
bonne connaissance de l’ordre de l’Univers a programmé
une finalité utile, puis la pensée a pris conscience de son
principe organisateur et induit la transition du quantitatif
au qualitatif de la sagesse africaine.
Dans ces conditions, aucune définition cartésienne,
positiviste ne peut traduire la réalité du panafricanisme. Le
titre des chapitres III et IV tiennent compte de cette donne
qui, en elle-même, joue un rôle d’incitation à une grande
objectivité scientifique de la théorie politique africaine.
C- L’objectivité scientifique
Il paraît essentiel de reconnaître que le concept de
panafricanisme ne peut prendre une signification objective
qu’au sein d’une théorie historique de sa pratique. Celle-
ci met en œuvre une morphologie sociale, empirique, entre
causalité (ordre de l’Univers) et finalité (action conforme
à cet ordre).Aussi le titre du chapitre III porte-t-il sur La
morphostructure du concept de panafricanisme et celui du
chapitre IV sur La Théorie du panafricanisme.
Les chapitres adoptés pour assurer notre démarche
de conceptualisationne préjugent pas des apports positifs
ou négatifs des recherches et actions déjà engagées pour
approfondir ou construire le concept de panafricanisme,
mais il rend possible uneautre grille de lecture des faits.
100
En fixant les balises de ce champ de réflexion, nous
entendons montrer que le panafricanisme désigne, en fin
de compte, des catégories hétéroclites de faits rassemblant
les solutions des acteurs mobilisant certaines ressources de
lutte, contrenature des traditions. Aussi les recherches
constituées sur cette base ont-elles un contenu résiduel, en
général débarrassé de la causalité et de la finalité des traits
essentiels du modèle politique traditionnel. De la sorte, le
panafricanisme devient une idée nouvelle, sans rapport
avec l’idéal fédéraliste ancestral ; il en est, à coup sûr,
le produit avorté.
Il existe, pour la raison ainsi évoquée, de nombreux
clivages dans les analyses. Nous en avons tenu compte,
mais celui que nous venons de souligner est radical. A la
vérité, il rend le fédéralisme ancestral et le panafricanisme
de notre temps incompatibles. On peut les juxtaposer si
l’on veut ou les combiner pour tenter une« symbiose » ; il
reste que cette « symbiose » débouchera toujours sur un
camouflage de la faiblesse réflexive plus qu’une volonté
d’isoler ou d’éliminer les incompatibilités de sens. Il sera
impropre de recourir à une telle « symbiose » pour réaliser
une alternative conséquente si l’on a présent à l’esprit le
but à atteindre : envisager la signification de la réalité
politique, et non harmoniser des thèses en conflit.
Au départ, il eût semblé impossible que l’on pût
entrevoir le concept du panafricanisme de façon autre.
Si, dans le chapitre qui suit, nous parvenons à proposer
une alternative, le but aura été atteint.

101
Chapitre III
LA MORPHOSTRUCTURE
(L’APPROCHE FONCTIONNELLE)
« L’ancien empire voit se déplacer le centre
de gravité à son détriment, condamné qu’il
est à se maintenir, soit comme un empire
secondaire et dès lors périphérique, soit
comme un vice-empire, ou encore à se
saborder en se transformant en un Etat-
royaume. Simultanément, c’est un ancien
royaume qui passe à l’hégémonie ; il réalise,
par la même occasion, l’englobalement de
son ancien englobant grâce à la souplesse des
frontières que se donnent les Etats en cause. »
Prince Dika-Akwa nya B., Les problèmes de
l’anthropologie et de l’histoire africaine,
Yaoundé, éd. Clé, 1982, p. 329.
Le chapitre II a permis de comprendre que l’Afrique
traverse une profonde crise d’identité. Aussi les désirs de
panafricanisme, même les plus sincères, sont-ils très peu
créateurs d’efficacité spirituelle, culturelle et scientifique
et même destructeurs de créativité.
Force est de reconnaître que la crise d’identité coule
les désirs légitimes de panafricanisme dans le moule d’un
modèle dominant prétendument valable pour tous et dont
il serait illusoire de s’en écarter. Notons qu’une part non
négligeable des échecs du panafricanisme est imputable à
ce modèle considéré, à tort, comme un idéal. N’oublions
pas qu’il traite d’une réalité extérieure à nous, non définie
par référence à nous. Au fond, il s’agit d’un véritable recul
du réalisme culturel, étatique et institutionnel, scientifique
et éducatif, spirituel et religieux. Dans ce sens, le concept
de panafricanisme sera culturel ou alors il ne sera pas.

103
Dans ces conditions extrêmes d’aliénation, un retour
à la réflexion conceptuelle n’est réalisable que si l’on est
en mesure d’interroger le fédéralisme historique et si ses
bases culturelles sont solides et exploitables. Mais encore
une fois, le seul moyen de briser le cercle vicieux d’un
panafricanisme routinier, autrement dit, le seul moyen qui
permette de faire de la politique « utile »sans risquer une
nouvelle errance consiste à prendre à témoin l’histoire.
Au point où nous sommes, nous n’avons pas encore
prouvé que la science politique africaine apporte sur ce
sujet une conception vraiment nouvelle. Pour nous assurer
de ce point particulier, nous devons dire en quoi consiste
le fédéralisme africain dont nous savons pertinemment que
la fonction antichaos des institutions procède d’une réalité
sensible, vécue, pensée, puis rapportée à l’ordre sacral et
mystique100 de l’Etat égyptien(I), lequel ordre a aussi servi
d’adjuvant à l’essor de l’Etatdu Mande(II).
I-LE MODELE PHARAONIQUE
Les savants négro-égyptiens ont réussi à établir une
correspondance structurale entre la version cosmologique
de la création et l’organisation de l’Etat fédéral, celle-ci la
reprenant en projet aux fins de réguler le pouvoir politique
(I.1) et la mystique de la création (I.2). Aussi la fonction
antichaos des institutions est-elle tributaire de l’approche
dialectique d’un Etat fédéral à deux pays (I.3).

100
Cet ordre est fondé sur l’antagonisme organisationnel et fratricide
du mythe osirien qui met en scène la lutte fratricide Horus (ordre)
contre Seth (désordre). Cet antagonisme est régulé par Maât, la Vérité-
Justice, l’équilibre cosmique conduisant vers des formes toujours plus
complexes, pertinentes et opératives.
104
I.1 L’hypothèse cosmologique du modèle étatique
Quels faits sensibles permettent d’établir une identité
structurale entre la cosmologie savante du monde négro-
égyptien et l’enjeu fédéraliste du double-pays ?
Il semble que pour vulgariser leurs connaissances si
complexes, les sages aient eu recours à des images à forte
charge symbolique. L’image 2 décrit un fait exceptionnel :
il s’agit d’une Charte constitutionnelle qui montre le dieu
du Ciel (Horus) et le dieu de la Terre (Seth) gouvernant,
de manière analogique, deux terres, deux pays juxtaposés :
la Basse Egypte et la Haute Egypte. Ce qui est en haut est
comme ce qui est en bas, dit l’aphorisme des Anciens.

Image 2 : L’armoirie montre le rituel du Sema taouy, une


expression signifiant réunir les deux terres, ou encore le
double-pays en égyptien ancien. Deux personnages divins,
Horus (le Maître du ciel, à droite) et Seth (le Seigneur de la
Terre, à gauche de l’image) lient les symboles végétaux de la
Haute et de la Basse Egypte, lotus et papyrus, autour d’une
charpente unique, mobilisant des énergies subtiles circulant
des deux rives du Nil (Nil blanc et Nil bleu) vers le delta (le
cartouche) ou encore de la Terre vers le Ciel.
105
La Charte constitutionnelle qui fait office d’armoirie
consacre ainsi un réalisme cosmologique rendu intelligible
par deux dieux ordonnant une morphostructure spatiale de
la gouvernance. On peut deviner l’existence de l’Unique,
la Totalité, l’Inconnaissable, l’Insondable, désigné Atoum,
le Principe des principes portant en son sein la création et
le néant devenu deux, Horus et Seth, par dédoublement
dans le Noun, l’eau indifférenciée, chaotique et quantique,
analogue à celle postulée par le big bang de la cosmologie
moderne, l’équivalent de septepyen égyptien ancien101.
Il s’agit d’un double-pays cosmique (Ciel et Terre)
ayant son équivalent territorial : la Basse Egypte (Horus)
et la Haute Egypte (Seth), respectivement à droite et à
gauche de l’image 2. Les deux pays sont séparés par une
charpente symbolique, ascendante, unificatrice : le Nil au
plan spatial, le pharaon au plan de la fonction royale. Les
deux pays dévoilent la symétrie a priori du double-pays.
Or l’image 3 apporte la preuve que cette symétrie est
apparente car Horus est plus grand que Seth. Cela précisé,
Horus et Seth ne sont donc pas identiques en qualité et en
quantité. Il est évident qu’une égalité entre Horus et Seth,
antiparticule et particule, se solderait par une uniformité,
une monotonie, une absence de création et de génération
par neutralisation de l’interaction particule/antiparticule. Il
est clair que la différence de taille entre Horus et Seth est
allusive : elle illustre l’idée d’un dépassement par un ordre
quantitatif, puis qualitatif, à savoir, la position des dieux
dessinant le primat de la valeur, à droite (Horus) ou encore

101
Théophile Obenga, op. cit., p. 58, qui signifie « la Création », « la
toute Première fois ».
106
l’excédent de matière à l’origine du monde qui fait suite à
la neutralisation de Seth et l’intervention du Tribunal de
Maât. L’analogie avec la cosmologie moderne ne laisse
aucun doute sur la portée scientifique du mythe d’Osiris:
« La guerre fratricide que se livre matière et
antimatière n’est pas équilibrée. D’où une légère
supériorité numérique de la matière sur
l’antimatière. C’est de ce reste orphelin de son
antimatière que va naître notre monde.102 »

Image 3 : La loi a priorisymétrique, Osiris contreSeth, puis


Horus contre Sethprévoit, contre toute attente,un résultat
asymétrique : Horus dépasse Seth en taille car il prend en
charge l’héritage d’Osiris son père. Cette asymétrie permet
l’ébranlement du flot d’écoulement de l’énergie universelle
en spirale : Maât. C’est cet exédent qui permet au pharaon
de veiller sur Maât et de poursuivre l’œuvre de création et
de prospérité du double-pays.Horus est à droite, derrière le
pharaon et Seth est à gauche, face au pharaon. La royauté a
ses origines en Nubie, en Haute Egypte, mais elle tire sa
puissance du delta du Nil, en Basse Egypte.
102
Anne Debroise, « La révolution du big bang » in Science & Vie
Hors série, n° 242, mars 2008, p. 48.
107
On voit que les deux dieux occupent une position
haute du piédestal, d’un niveau supérieur à la position plus
basse du pharaon. La charpente et son cartouche (image 2)
sont remplacés par le pharaon dans l’image 3, ce qui laisse
supposer que la réalité du pacte rituel des plantes (image
2) cède le pas à un échange d’énergies subtiles (image 3).
Il ne s’agit donc pas d’un échange égalitaire.
I.2 Le mystique de la création
L’image 4 apporte la preuve que la parenté entre le
faucon pèlerin et l’ornithorynque préfigure une maîtrise de
la systématique phylogénétique103.

Image 4 : Une représentation zoomorphe des dieux Horus


(faucon pèlerin) et Seth (ornithorynque, Ornis, ornithos,
renvoie à oiseau et runkhos, bec en grec) représentatifs de
la symbolique d’une lutte des essences primordiales.
La conception des dieux négro-égyptiens montre une
forme composite d’intégration de tous les ordres. Bien

103
Pascal Picq, « Faits et causes pour l’évolution » in Pour la science,
n°357, juillet 2007, pp. 40 à 54. La science des savants négro-
égyptiens montre une maîtrise de la systématique phylogénétique. Les
ordres cosmologique, biologique et humain sont in-séparés. L’art
sacré dévoile ainsi un continuum l’Homme étant considéré comme la
potentialité absolue de toutes les catégories essentielles de l’Univers.
108
plus : il n’y a pas de hasard dans le choix de ces deux
animaux104 susceptibles de porter le message d’une lutte
fratricide de tous les temps, laquelle a opposé au plan
cosmologique l’antiparticule et la particule, et à présent, le
faucon pèlerin et l’ornithorynque. Elle se poursuit au plan
divin avec Horus, dieu du Ciel, et Seth, dieu de la Terre à
corps humain et tête d’animal. Horus vole dans le ciel vers
un horizon inatteignable et sa course est assimilable au
mouvement d’expansion de l’Univers ; puis Seth fait le
chemin contraire en creusant des galeries profondes, dans
le sens de la gravité opposée à la direction du Ciel. Il
s’agit de deux mouvements opposés et complémentaires.

Image 5 : Seth a un sceptre de royauté, de commandement.


Il règne dans la Nubie, en Haute Egypte et son frère Osiris
règne au Nord, en Basse Egypte. Remarquons dans cette
représentation l’impressionnante musculature de Seth, un
dieu herculéen affrontant Horus partout et toujours.

104
Horus et Seth constituent deux lignées d’un même phylum, d’une
série évolutive avec apparition des ailes, puis la modification d’un bec
de canard en un bec d’oiseau, mais aussi la transformation des pattes
palmées de l’ornithorynque transformées en griffes de faucon.
109
La théorie synthétique de l’évolution est là, devant
nous, avant Darwin (1809-1882) ; elle a été l’objet d’une
connaissance de grande facture dans l’Antiquité. On voit
que la Charte constitutionnelle rend compte des analyses
et recherches portant sur tous les ordres, à la fois physique,
chimique, biologique et humain. Autant dire que toutes les
conclusions portent sur l’existence d’une seule et même
loi fondamentale régulant l’Univers depuis les origines.
A ce plan, on voit que ces représentations n’ont pas
pour objectif de donner une image fidèle de la version
composite de leurs corps, mais plutôt de nous informer sur
leurs natures respectives et leurs différentes fonctions.
Si la morphologie empirique, disons phénoménale du
double-pays si l’on préfère, illustre fortement l’enjeu de la
valeur dans l’échange invisible des plantes rituelles ou des
énergies, la cosmologie l’atteint mieux (chap. IV), en tout
cas plus à fond que la connaissance immédiate que nous
en avons. Aussi voudrions-nous nous en tenir, dans ce
chapitre, à la composition des images 2, 3, 4, 5, puis vivre
le passage à la création du fédéralisme de l’Etat égyptien
en un double-pays (images 6, 7).
Reprenons, pour cette raison, la composition globale
de l’image 2 pour entrevoir les enjeux « cachés » d’un
tableau riche en symboles. Un œil alerte y discrimine trois
compositions assurant sa partition : - deux tiges
rituelles(lotus et papyrus) sont nouées autour d’une
charpente dévoilant à sa base deux fourches et sur sa partie
haute un cartouche(composition 1) ; - deux blocs de trois
signes semblables, réparties sur les têtes des dieux Horus
et Seth, de part et d’autre de cette même charpente
110
(composition 2) : - des signes hiéroglyphiques à
l’extrême, trois sur la tête de Seth et quatre sur la tête
d’Horus (composition 3). Chacune de ces compositions a
une histoire à raconter.
 Composition 1
Aucune interprétation ne peut traduire la complexité
du Réel, entre la physique (cosmologie), la métaphysique
(philosophie) et le mystère de la création (respect, amour
et peur). Il semble bien que la capture du Réel par les sens
procède d’une intuition fondamentale présente dans les
strates profondes de la psyché humaine.
L’humanité étant née en Afrique, il n’est donc pas
faux de penser que le pouvoir politique s’est senti ou eût
pu se sentir comme le légataire d’un ordre universel, donc
divin. Et, comme par hasard, la géographie du fleuve Nil a
dessiné les contours de la texture du scarabée sacré et de la
cavité osseuse du crâne humain. Il se trouve que leurs
fonctions respectives de transformations alchimiques de la
matière en pâte de lumière pour le premier, ou en science
de lumière pour le second (grâce au cerveau), révèlent une
partie de la richesse du divin mais ne dévoilent jamais la
réalité « ultime » que représentent Atoum l’Inconnaissable,
Amon le « caché » ou Thot, le comptable du temps.
La combinaison corps humain, animal (biologique),
particule (cosmologique) et dieu n’a rien de dogmatique.
Elle souligne l’unité « cachée » de la création et les vertus
d’une mystique de la création. La variété iconologique est
donc de l’ordre d’une symbolique qui tente de pénétrer les

111
essences au lieu de les effleurer simplement, comme la
pensée cartésienne. Elle permet un éveil de l’esprit.
On note bien que la morphologie en « T » de l’image
6 montre un chemin unique qui se dédouble à sa base en y
répliquant la morphologie du Nil dédoublé en Nil blanc et
en Nil bleu en Haute Egypte, dans la région centrale du
Soudan. L’image 2 montre aussi un dédoublement de la
charpente centrale sous les pieds des dieux Horus et Seth.
On les voit posés sur la fourche de déviation des deux
chemins, par analogie à la déviation des deux fleuves, Nil
bleu et Nil blanc, rattrapés après le Soudan par un fleuve
unique, le Nil, ou encore un chemin unique de vérité
menant à l’illumination, à la solarisation ou au Ciel.

Image 6 :Les savants de Kemet avaient une bonne


connaissance de la texture du crâne humain. Ils y ont perçu
une analogie avec le scarabée (kheper) et la morphologie du
Nil, séparée au Sud, en Haute Egypte, en Nil blanc et en Nil
bleu, deux fourches rapportées à la charpente de l’image 2.
Les initiés ont actualisé la morphostructure spatiale
du scarabée et du crâne : la double entrée (Nil blanc et Nil
112
bleu), l’unité(le Nil), le réceptacle (delta du Nil plongeant
dans la Méditerranée). Ils n’ont pas du tout cherché à en
expliquer l’aspect ; ils ont préféré vivre cette morphologie
spatiale en conscience pour en espérer quelque résonance
avec la mystique de la création (scarabée et crâne humain)
afin qu’à l’éternité cosmique coïncide une éternité sociale.
Le cartouche de la charpente ascendante(la fonction
royale) montre que le pacte rituel des plantes ouvre le
chemin d’une élévation spirituelle du pharaon qui est aussi
celui de la remontée du cours du Nil vers la Basse Egypte
que symbolise une ligne droite, le fleuve Nil, le chemin de
la vérité liant le Ka (hiéroglyphe des bras levés) du roi au
Cosmos. Et là, le cartouche (Ka-Kheper-Râ) se raccorde
au démiurge solaire (Atoum-Kheper-Râ).
Ainsi décrite, la fonction royale peut témoigner des
échanges d’énergies entre Horus et Seth : la Charte donne
alors aux pharaons la capacité d’accomplir l’existence en
s’immergeant dans le secret du rite pour témoigner du
« mystère » vécu en conscience, sans explication possible.
Il y a là une capture morphologique du monde invisible
selon une loi de supersymétrie.
Du coup, le pacte rituel des plantes symboliques se
présente comme une offrande : il dévoile la mystique de
capture des énergies subtiles afin d’unir le bas et le haut, la
Terre et le Ciel, par le biais des deux fourches, des deux
fleuves, des deux chemins réunis en un seul, en l’Unique :
Atoum-Kheper-Râ. De la sorte, Seth et Horus sont placés
dans une forme d’harmonie qui dessine une forme spatiale
engageant la solidarité et la réciprocité de leurs espaces
respectifs. Vu sous cet angle, le double-pays est une forme
113
dialectique garantissant au mieux la stabilité et l’unité du
fédéralisme du double-pays.
Or l’harmonie des contraires est ouverture de l’esprit
à l’essentiel, mais aussi ouverture des sens au langage de
l’invisible, du Cosmos, par le biais du rite. Etsi les dieux
Horus et Seth sont les seuls présents dans la Charte, c’est
parce que leurs présences participent d’un pacte éternel
qui abolit le temps puis, instituent le pouvoir divin dans la
fonction royale en y éternisant l’instant du pacte rituel.
On le comprend à présent, les armoiries de l’ancienne
Egypte sont le support d’une formulation du divin, un
support qui donne forme aux concepts d’Horus et de Seth.
Ce faisant, le plan de l’armoirie devient le reflet du plan
céleste rapporté pour la circonstance au plan terrestre en
vue de la divine éternité de la conscience humaine. Le
pacte rituel des plantes organise par là une articulation des
deux territoires opposés par leurs intérêts, mais décidés à
dépasser l’antinomie originelle pour aller vers une forme
plus complexe de l’Etat.
 Composition 2
Nous venons de voir que la morphologie spatiale a
été bâtie en dédoublant l’Etat égyptien à l’image d’Atoum
se dédoublant en Horus et Seth. La texture du crâne et du
scarabée coïncide avec cette composition et se conforte
grâce au rituel du sema taouy (union des deux terres) où
l'unité des essences contraires, des deux fleuves, des deux
chemins se conçoit aussi comme une unité du double-
pays. Le but ultime de celui-ci a été de recevoir la vie de la
source originelle des essences contraires. Puis, la langue

114
des dieux a été capable de dévoiler les « mystères » de la
vie et de répondre aux exigences d’une conscience portée
à l’élévation spirituelle par le biais de la loi, de Maât.
L’impératif de solarisation s’est alors réalisé par le
biais du Ka(en bras levés) reliant la fonction royale au
Cosmos et au delta du Nil. Au vrai, cette fonction royale
n’a jamais cessé de recevoir la lumière de la source qui
circule le long de la charpente stylisée en un Djed Ankh,
Aduno Kine des Dogon du Mali. On voit que la pensée
égyptienne s’est organisée autour des signes symboles en
hiéroglyphes, demeurés de véritables concentrés d’énergie
d’une Parole divine enfin visible et signifiante.

Image 7 : A droite, Ankh, le premier symbole, à gauche, est


celui de la vie, de l’énergie vitale ; au milieu, c’est le pilier
Djed, à la structure de la charpente incarnant le couloir de
transfert de l’énergie ; à droite le sceptre Ouas, l’artère
aorte, signe de la puissance régénératrice de deux fourches.
Enfin, on voit Ankh, Djed et Ouas réunis en un seul symbole.

115
Pour Koffi Missowou105, les symboles de l’image 7
ci-dessous sont ésotériques ; mis ensemble, ils engendrent
le Mystère de la Renaissance osirienne. Tshiwala Ngalula
Kalengayi entrevoit leur conjonction comme un principe
axiologique qui doit s'appliquer dans tous les domaines de
l'activité humaine, sous peine de perpétuer le désordre et le
chaos106. En instituant la primauté de ce contenu dans la
Charte du double-pays, l’Egypte pharaonique introduit au
sein de l’Etat, le mythique, le cosmologique, le spirituel, le
religieux, l’éternité, la puissance, le pouvoir, l’énergie, ce
qui revient à aussi nier, l’autonomie du fait politique.
Tout est lié. La mystique de la lettre, de chacun des
hiéroglyphes, dévoile une image qui peut s’appliquer aux
révélations les plus subtiles. D’origine magique, le me du
neter « mot divin » vire inévitablement à la mystique de la
création. De révélateur d’un absolu sous sa forme la plus
intuitive à son inscription dans une Charte, le medu neter
ne s’en rapproche pas moins de la mystique de la création
dans laquelle il trouve les limites de sa perfection.
On le sait désormais, la cosmologie n’épuise pas la
connaissance scientifique, en particulier celle du noumène,
de la métaphysique ; et comme cette cosmologie a en vue
le phénomène, autrement dit la forme observable, elle se
sent obligée de céder le pas à l’activité du signe. Cette
cosmologie est par essence, dédoublement par le biais de
la métaphysique (elle raisonne sur ce qu’on ne connaît pas
en mobilisant les sens) et de la physique (elle parle de ce

105
https://www.facebook.com/koffi.missowou, 11 janvier 2018.
106
https://www.facebook.com/tshiwala.ngalula.kalengayi, 11 janvier
2018.
116
qu’on sait déjà à partir des expériences réalisées et de ce
qu’on peut savoir, à terme).
 Composition 3
Les hiéroglyphes sanglés sur les têtes des deux dieux
montrent des signes saisis ici comme des choses issues de
leur cause essentielle : l’antagonisme organisationnel des
forces opposées et symboliques : Horus, dieu primordial,
Maître du Ciel, et Seth, Seigneur de la Terre (traduction
des hiéroglyphes) qui, chacun, potentialisent indéfiniment
la vie, la puissance et l’énergie de l’ordre divin.
Il s’agit de vérités éternelles apparaissant à qui sait
se saisir de l’ordre immatériel inscrit dans la Charte pour
matérialiser le lien qui unit Horus et Seth en un Principe
des principes, le démiurge Atoum-Kheper-Râ, au cœur du
Mystère de la Renaissance osirienne.
Si ce lien est invisible n’oublions pas qu’il doit être
compris comme l’expression du rapport entre les essences
contraires et leur indispensable unité, le monde créé et le
monde principiel à l’origine des formes visibles. Nous en
déduisons que le visible est une création de l’invisible ; de
plus, les formes observées émanent d’une magie de l’ordre
invisible, a priori géométrique (chap. IV).
Retenons, pour conclure, que Seth et Horus scellent
un pacte rituel et symbolique avec les plantes symboliques
du lotus et du papyrus, afin que les deux terres, les deux
pays, la Basse Egypte et la Haute Egypte, demeurent unies
à jamais, puis deviennent plus fortes et prospères face aux
incertitudes, vicissitudes, aléas de la vie et à l’adversité.
I.3 La fonction antichaos du double-pays
117
Il a été possible d’entrevoir dans la lutte qui oppose
deux frères, Horus et Seth, une morphostructure spatiale
qui s’impose comme une base d’enquête scientifique de la
fonction antichaos du double-pays. A l’analyse, celle-ci a
été sentie, vécue et formalisée en un objet de science
(A),de religion (B) et de politique (C) que nous reprenons
pour susciter des discussions in formées dont nous
pouvons tirer parti en vue d’approfondir, de modéliser,
puis de refonder le panafricanisme. La vérité qui se
dégagera d’elle-même de ce qui va suivre est que science,
religion et politique sont indissociables, bien que
discriminées.
A-L’antichaos en tant qu’objet de science
Dérisoire sera la démarche scientifique et vaine sera
la méthodologie si le modèle de l’Etat égyptien n’entre pas
en résonance de phase avec les déterminations essentielles,
Horus et Seth, manifestées dans une cosmologie qui pense
le monde puis le rapporte, après coup, aux plans humain,
religieux et politique.
L’équilibre cosmique désignée Maât par les savants
négro-égyptiens contient en puissance ces deux dieux puis,
les dépasse en produisant la forme harmonieuse du double-
pays. Maât peut alors conférer à tout initié qui sait s’en
saisir la capacité de neutraliser tout désordre social et tout
dysfonctionnement naturel. Serge Sauneron témoigne :
« Les prêtres égyptiens ont un rôle très précis à
jouer, comme substituts du roi, seul officiant en
titre : entretenir l’intégrité de la présence divine sur
terre, dans le sanctuaire des temples où elle a
consenti à s’établir – et c’est tout ; leur action

118
contribue pour sa part au rôle essentiel de la
monarchie pharaonique : maintenir l’univers sous la
forme où les dieux l’ont créé ; c’est une œuvre de
spécialistes, une besogne de techniciens.107»

Le concept négro-égyptien de Maât a constitué une


vaste réflexion sur la fonction solaire ; elle est née avec la
cosmologie que reprennent les rites, offrandes, temples,
objets de culte et prêtres-initiés reconnus comme experts
garants de l’ordre universel menacé par le désordre social
et le désordre naturel. Les sciences systémiques modernes
s’y mettent enfin. Il y'a Prigogine, prix Nobel de chimie
(1977) et sa collaboratrice Isabelle Stengers confessent :
« Nous ne voulons plus étudier seulement ce qui
demeure, mais aussi ce qui se transforme, les
bouleversements géologiques et climatiques,
l’évolution des espèces, la genèse et les mutations
des normes qui jouent dans les comportements
sociaux.108 »

Ce n’est pas sans raison que le sociologue et penseur


de la complexité, Edgar Morin, s’intéresse à l’enjeu du
désordre dans la maîtrise de la méthode complexe :
« Il ne faut pas chercher seulement l’ordre, mais
aussi le désordre, et élaborer les stratégies pour
connaître pour connaître les formes diverses du jeu
ordre/désordre/organisation. 109»

107
Serge Sauneron, Les prêtres de l’ancienne Egypte, Paris, Seuil,
1998, p. 45.
108
Ilya Prigogine & Isabelle Stengers, La nouvelle alliance, éditions
Gallimard, 1979, 1986, p. 36.
109
Edgar Morin, en collaboration avec Jean-Louis Le Moigne, op. cit.,
p. 127.
119
C’est dire que l’attitude religieuse des prêtres-initiés
africains est compatible avec la science. Dans leur quête
de la vérité, le dépouillement dogmatique et l’approche
holiste ont conféré à cette attitude une sagesse véritable,
différente de la « foi »projetée par les religions du Livre :
christianisme, judaïsme et islam.
Mbombog Nkoth Bisseck, un prêtre-initié chez les
Bassa du Cameroun écarte de sa réflexion la thèse
d’une« foi » au sens des religions dominantes :
« Chez l’Africain elle exprime plutôt une piété,
entendue au sens d’adhésion globale, libre et
raisonnable de l’homme au système de valeurs issu
de la compréhension du monde partagée par les
membres de sa société d’appartenance.110 »

S’agissant de la religion égyptienne, l’égyptologue


Alexandre Piankoff préfère parler de cosmologie :
« On ne peut guère alors parler de religion au sens
moderne du mot, mais bien plutôt d’une cosmologie,
d’une physique véritable, à laquelle personne
n’échappait ni ne pouvait échapper, pas plus qu’on
échappe de nos jours aux lois de la
thermodynamique.111 »

Nous touchons là à un point essentiel. Nombreux


sont les philosophes et scientifiques qui, traitant des sujets
touchant aux mythes africains, croient aujourd’hui devoir
en nier la portée cosmologique. Or s’il est une leçon qui se

110
Mbombog Nkoth Bisseck, « La voie africaine du gouvernement » in
IVè Congrès Internationale des Etudes Africaines, Barcelone, 12 au 15
janvier 2004, p. 7.
111
Alexandre Piankoff, La création du disquesolaire, IFAO, bibli. 2,
tome 19, p. 7.
120
dégage de ces mythes c’est, comme nous l’avons vu, que,
contrairement à ce qu’on pouvait penser il y a quelques
décennies, une telle approche de la réalité est erronée, non
pas dans le détail, mais de manière essentielle. Il est temps
de revisiter nos connaissances. Les témoignages en faveur
d’une science authentique sont de plus en plus reconnus et
surtout affinés avec l’évolution des connaissances.
Anna Mancini manifeste avec une voix autorisée la
visée d’une conciliation du Cosmos avec l’ordre humain:
« Nous ne pouvons nier l’évidence de l’intérêt
manifesté par l’Egypte antique pour l’aspect
énergétique du cosmos et du groupe humain,
essentiellement sous forme d’énergie solaire
(Maât).112»

Théophile Obenga apporte sa contribution à ce débat


et laisse entrevoir le monde des formes visibles comme un
prolongement invisible de l’énergie de ces mêmes formes :
« Retenons, d’ores et déjà, que la pensée
pharaonique est une pensée solaire, c’est-à-dire une
pensée qui a tenté de comprendre le Soleil en tant
que vie, force et durée éternelle, inséparable du
destin de l’homme sur cette planète Terre. Cet effort
est présenté, au niveau du dire, sous forme de
mythes. Mais la pensée est là, rigoureuse, exigeante,
à la recherche du Réel et de la Totalité qui vit de ce
Réel et qui est ce Réel lui-même.113 »

De ceci, nous pouvons en discuter. Serge Sauneron,


égyptologue, souligne pour nous en convaincre que :

112
Anna Mancini, La sagesse de l’ancienne Egypte pour l’Internet,
Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 104-105.
113
Théophile Obenga, op. cit., pp. 94-95.
121
« A parcourir les textes grecs anciens, on ne peut se
défendre de l’idée qu’aux yeux de ces vieux auteurs
l’Egypte était comme le berceau de toute science et
de toute sagesse. Les plus célèbres parmi les savants
ou les philosophes hellènes ont franchi la mer pour
chercher, auprès des prêtres, l’initiation à de
nouvelles sciences.114 »

Nous allons donc miner le terrain pour éviter de


mauvaises interprétations. Le savant Albert Einstein lui-
même n’avait-il pas envisagé la relation entre l’expérience
religieuse cosmique et la physique ? Lisons le savant :
« J’affirme que l’expérience religieuse cosmique est
l’énergie directrice la plus grande et la plus noble
qui existe derrière la recherche scientifique.115 »

Est-ce la raison pour laquelle les savants égyptiens


sont demeurés de grands initiés et surtout, n’ont jamais
perdu de vue que le désordre a été premier à la création du
monde et en Haute Egypte gouverné par Seth, puis l’ordre
est intervenu à la création grâce à un excédent de matière
qui correspond aussi à l’émergence de la Basse Egypte où
trône Horus ? A partir de l’énergie invisible en circulation,
comment retrouver la valeur ayant suscité la neutralisation
de Seth et ce dépassement de l’antinomie originelle pour
aller vers une morphologie spatiale, spiralée de Maât et
du double-pays ? Que faire pour introduire la valeur dans
tous les domaines de la connaissance (droit, économie,
politique, art, architecture, écologie, habitat, astronomie,

114
Serge Sauneron, op. cit., p. 129.
115
Albert Einstein, Mes dernières années, cité par René Huygues de
l’Académie française in La nuit appelle l’aurore, en collaboration
avec Daisaku Ikeda, Paris, Rocher, 2002, p. 95.
122
divination, médecine, pharmacopée, chasse, sport, morale,
religion, spiritualité, philosophie, etc.) ?
Tirons-en une conclusion : l’intuition qui a guidé les
grandes découvertes, en cosmologie, pourrait bien être le
fait d’une dévotion cosmique animant les grands esprits en
quête de vérité sur l’Être de l’Univers. Pour demain qui
commence aujourd’hui, nous devons y revenir (chap. IV).
B- L’antichaos en tant qu’objet de religion
Rappelons, pour la circonstance, que c’est bien avec
l’unification du double-pays de l’Egypte pharaonique que
la Charte constitutionnelle de Kemet a été mise sur pied
vers 3000 av. J.-C.Mais avant cette unification, il y a eu
Abydos, première capitale de l’institution pharaonique à
l’époque préhistorique. Abydos a alors abrité le lieu sacré
où ont été inhumées les dépouilles des premiers souverains
(3700 à 2700 ans av. J.-C.) et très précisément, dans le
cimetière d’Oum el-Kaab. Il y a donc eu Haute Egypte
(Seth) puis Basse Egypte (Horus). La prospérité a été le
fait d’une alliance politique des deux terres.

123
Image 8 : Les signes ci-dessus montrent des glyphes, une
écriture symbolique indiquant que le totémisme initiatique
est en vigueur, avec des identités ethniques et des terroirs.
On y retrouve le domaine du « chien » et le signe de
« l’arbre » par exemple (3è à partir de la gauche en haut)
préfigurant le rite d’Anubis (canidé, chacal ou chien), et la
résurrection initiatique de l’Osiris végétant (Cf. Travaux de
Günter Dreyer, Directeur des fouilles d’Abydos).
Narmer ou Ménès apparaît dans l’histoire comme le
dernier roi d’une ancienne dynastie dite « 0 »116 ou encore
le premier unificateur du double-pays, la dynastie « 1 »
avec pour métropole princière la ville de Memphis (Hout-
Ka-Ptah, demeure du Ka en égyptien ancien) en Basse
Egypte, pendant 1400 ans. Le pharaon Narmer devient un
roi, un Horus, en d’autres termes, un fils du divin Soleil
qui reçoit de l’énergie solaire grâce aux rayons de lumière
de Maât, la fille de Râ ; le roi retourne au Soleil la même
énergie, en spirale, sous la forme d’offrandes votives117,
vases, statues, tables d’offrandes, etc.

116
L’égyptologue Günter Dreyer montre l’existence des rois scorpion,
chacal ou chien, cigogne, taureau, éléphant, poisson, conque, gazelle,
bien avant l’avènement de la première dynastie. On retrouve là la
marque du totémisme historique de l’Afrique noire.
117
Lire l’article de Bernadette Arnaud et Aline Kiner » Oum el-Kaab,
la nécropole des ombres » in Sciences et Avenir, mai 2006, pp. 56-64.
124
Image 9 : Narmer (3100 av. J.-C.) roi de la Haute-Égypte
(Horus), est l'unificateur de l'Égypte constituée à l'origine
de plusieurs royaumes rivaux (Seth). Ce souverain nous est
connu par une tête de massue et une palette en basalte
trouvées à la fin du XIXè siècle à Hiérakonpolis, en amont
du Nil, en Haute Egypte près de Thèbes.
L’initiation a une grande importance dans la religion
négro-égyptienne. Dans la cérémonie de couronnement, le
roi est coiffé de la couronne blanche oblongue (Hedjet) de
Haute Egypte et de la couronne rouge (Decheret) de Basse
Egypte. Dans un deuxième temps, il célèbre la réunion du
double-pays en tournant autour du Djed nouant les plantes
symboliques de Haute et Basse Egypte. Il est coiffé à ce
moment de la double couronne (pschent) des deux pays,
flanquée pour la circonstance du serpent-uraeus sous la
forme de cobra (Ouadjet) de la Basse Egypte et du vautour
(Nekhbet) de la Haute Egypte (image 10).

125
Image 10 : Le pschent (double couronne du pharaon)
flanqué d’une couronne blanche (Hedjet), pour la Haute
Egypte et rouge (Decheret) pour la Basse Egypte. On note
sur le front le serpent-uraeus, le cobra (Ouadjet) de la Basse
Egypte et le vautour (Nekhbet) de la Haute Egypte.
Partis d’Abydos, les rois originaires de la région de
Thèbes (Haute Egypte)118 vont ensuite conquérir la Basse
Egypte (Horus) puis faire de la Haute Egypte le berceau
de leur puissance (Seth). La capitale se déplace à Memphis
(Basse Egypte) mais la plupart des rois continueront à se
faire enterrer à Oum el-Kaab, à Abydos, en Haute Egypte,
à côté de leurs glorieux ancêtres.

118
Les premières nécropoles royales ont été trouvés près d’Abydos et
à Negada, au nord de Thèbes.
126
Au Nouvel Empire, du temps du règne de Ramsès II,
le pouvoir se réinstallera à Thèbes, en Haute Egypte. Il est
clair que le poumon de l’institution pharaonique est bien
Abydos, en Haute Egypte, avec ses fêtes annuelles où les
statues divines et les totems étaient portés en procession,
les sanctuaires étant inaccessibles à la foule des fidèles.
Tôt dans l’Antiquité, les souverains d’Abydos ont
manifesté les conditions d’un enracinement mémoriel des
origines (Haute Egypte) et des fins (Basse Egypte).Dans
cet ordre d’idées, les Négro-égyptiens regardaient la Nubie
comme leur terre natale et étaient horrifiés par l’idée de se
voir enterrés ailleurs qu’en Nubie. Les rois de la première
dynastie continueront donc à se faire enterrer à Abydos
près de leurs ancêtres. Ce faisant, ils regarderont la Basse
Egypte et le delta du Nil comme une indispensable zone
de complémentarité spatiale, ouverture sur l’étranger par
le biais de la Méditerranée. Il a toujours existé un pays
d’adoption ou de transit, l’endroit où l’on est né ou appelé
à vivre, et un pays originaire où l’on peut disposer à tout
moment des droits de citoyenneté, d’ascendance affinitaire
et clanique qui permettent alors de dépasser l’antinomie
déchirante. La loi d’harmonie, qui allie l’ordre (le lieu de
naissance) et le désordre (le pays d’adoption), impose une
récollection du sens. Le prince Dika-Akwa écrit :
« Le double mouvement commence bien avant
l’apparition de l’empire ; déjà au stade du double
royaume, on voit l’un tourné vers l’étranger, l’autre
tourné vers l’intérieur et favorable à la
parentalisation avec peuples conquis ; on aurait tort

127
de croire leur opposition irréductible, car chacun
connaît son rôle et la totalité. 119»

Le mythe du retour auprès des rois et des ancêtres


est un aveu de réminiscence de certaines idées, quasi
ataviques qui, de fait, rencontrent le type idéal d’Africain
enclin à maintenir la mémoire des ancêtres hors de portée
du chaos des origines tant redouté. Bernadette Menu le
sait, pour avoir effectué d’importants travaux sur l’histoire
de l’Egypte pharaonique :
« Deux types de conflits dominent l’imaginaire qui
sous-tend le couple pouvoir-religion. Ce sont, d’une
part, le conflit qui accompagne la création du
monde et, d’autre part, le conflit qui a trait à la
transmission du pouvoir, avec les démêlés qui
opposèrent Horus et Seth.120 »

Le fédéralisme du double-pays empêche l’oubli des


origines et témoigne alors d’une continuité culturelle de la
civilisation. L’idée de Renaissance religieuse et l’esprit du
panafricanisme moderne ont probablement leur empreinte
historique à Abydos (Aboudjou, Abidjan).
Dans certains cas, le double-pays permet de reforger
une résistance endogène face à une adversité culturelle,
politique, militaire ou économique exogène, dans d’autres
cas, il permet d’insuffler les changements indispensables à
une adaptation à certaines avancées du monde extérieur.
Nous voilà situés si l’on veut à comprendre pourquoi
il est indispensable d’associer la diaspora à l’expérience
119
Dika-Akwa, op. cit., p. 330.
120
Bernadette Menu, Egypte pharaonique. Nouvelles recherches sur
l’histoire juridique, économique et sociale de l’ancienne Egypte,
Paris, L’Harmattan, 2004, p. 30.
128
millénaire du panafricanisme aux fins de consolider les
acquis et renforcer, ce faisant, les possibilités d’adaptation
de l’Afrique à la modernité occidentale.
C- L’antichaos en tant qu’objet de politique
Le cœur du pouvoir bat à Abydos avec ses chefferies
protodynastiques contrôlant des terroirs limités. Toutes les
formes politiques sont des variétés morphogénétiques de
la même conception de l’ordre, malgré les conflits, voire
les guerres qui ont sans doute existé. Bernadette Menu
intervient dans le même sens :
« Au sein du corps social, l’évitement est la règle. Il
s’agit d’assurer le triomphe de la maât. Si le conflit
surgit malgré tout, c’est selon l’équité qu’il sera
résolu, et le règlement du conflit va créer du droit,
puisque dans l’idéal, on ne va solliciter la justice
que si l’on a une prétention défendable. Le conflit,
qu’il soit politique, social, judiciaire, n’est utile que
s’il a des résultats positifs, que s’il réalise une
victoire de l’organisation sur l’incréé.121 »

On peut penser que le désir de paix et de conjuration


des conflits a pris le dessus ; c’est ce qui peut expliquer la
volonté des chefferies locales et protodynastiques de
s’unir autour d’une Charte. Il en est ainsi dans la famille,
le lignage, le clan, la tribu. Les nomes négro-égyptiens
sont au nombre de 42 sous le Nouvel Empire. Il s’agit de
districts administratifs organisés autour des ethnies
principales : 22 en Haute Egypte et 20 en Basse Egypte.
Ces nomes, en rapport asymétrique, sont gouvernés
par des chefs au nom du pharaon: ce sont les nomarques.

121
Idem, p. 34.
129
Le double-pays est déjà présent dans chaque nome et porte
le sceau des mythes fondateurs délimitant des terroirs de
type affinitaire, lignager, clanique, tribal. Ceux-ci peuvent
ensuite resserrer les liens d’ascendance et de descendance
affinitaire qui visent une appréhension de l’importance des
Nations auto-constituées dans l’organisation de l’Etat aux
fins de gagner en complémentarité et en densité.
La valeur, Maât, assurée par la neutralisation de Seth
à chacun de ces niveaux d’organisation périphérique des
nomes consacre une science de l’organisation préoccupée
par les qualités émergentes des niveaux inférieurs. L’Etat
fédéral assure un développement harmonieux des parties
prenantes dont certaines des qualités seront masquées ou
inhibées dans l’organisation du double-pays.
L’Univers est participation et complémentarité. Dans
ce sens, les parties prenantes au fédéralisme (les nomes) y
mutualisent leurs efforts. Pas de table rase du lignage, du
clan, de la tribu et de la nation, imbriqués à la manière des
poupées russes, autrement dit, indéfiniment hiérarchisés.
A bien d’égards, l’entraide et la coopération sont
demeurées une constance du mode de vie communautaire
en milieu de sédentarisation ; les individus et les groupes
sociaux organisés spatialement en terroirs interagissent. Ils
sont proches et apprennent à se serrer les coudes face à
l’adversité. Aussi les unités qui émergent s’organisent-
elles en sous-unités entrant en coopération. Elles reçoivent
de la sorte un bénéfice mutuel puis se protègent de toute
forme d’exploitation par des tricheurs. Le gain moyen est
alors engrangé et permet au groupe social de se reproduire
au détriment des tricheurs. Une différence est vite établie
130
entre les tricheurs et les coopérateurs qui entendent les
punir pour éviter que la tricherie se propage en leur sein.
En général, tout le monde se connaît et la palabre permet
les règlements de conflits. Le profit, le mercantilisme, le
capitalisme, la guerre permanente, la tricherie, n’ont pas
pu prospérer dans un tel système politique.
Le sentiment démocratique est présent dès le lignage
et le clan avec une autocensure et une autorégulation des
parties prenantes qui ont des voies de recours connues de
tous. La fonction des institutions est alors de réinstaurer
l’ordre sans cesse remis en cause ; dans ces cas, le mythe
cède le pas à la coutume, et la coutume à la loi. Certains
nomes peuvent reprendre une certaine forme d’autonomie
si le pouvoir central faiblit ; ils redeviennent indépendants
dans les périodes les plus troubles.
Le pacte rituel d’Horus et de Seth matérialise un but
à atteindre : la transcendance du divin sur l’ordre terrestre.
Il impose, pour ainsi dire, une initiation et un pouvoir
contraignant au plan mystique : tous les chefs locaux et
le pharaon lui-même sont tenus au strict respect de la
loi cosmique assignant des devoirs mais aussi des droits
et surtout, une limite à leurs fonctions respectives.
Pouvoir et religion sont intimement liés en raison du
secret entourant les rites. Ceux-ci permettent de maintenir
les rois « captifs » de leur initiation. Ce qui est ainsi en
jeu, c’est le don de soi en vue de l’accomplissement d’une
cause transcendante à savoir, la perspective d’assurer une
éternité sociale. Dans ce sens, la pensée africaine ne fait
pas de table rase des rois et systèmes politiques qui ont
préexisté : il y a toujours la recherche d’un juste équilibre
131
des pouvoirs en compétition aux fins de conjurer le chaos
social, puis de gagner en complexité organisationnelle. En
égyptologue avertie, Bernadette Menu témoigne :
« Les pouvoirs locaux n’étaient pas pour autant
évincés ; les dieux territoriaux et leurs représentants
reçurent en délégation royale d’autorité une portion
du sol sur laquelle ils exerçaient le dominium utile ;
ils furent mis en réserve de la royauté, l’alternance
politique entre le roi-dieu et les dieux-rois pouvant
être considérée comme un des mécanismes ayant
permis la durée trois fois millénaire du régime. 122»

L’idée d’une éternité sociale faisant écho à l’éternité


cosmique a toujours hanté la conscience des dieux-rois, de
sorte que leurs œuvres ont été portées par la rencontre de
la science avec la volonté de construire durablement pour
célébrer tout ce qui dépasse l’Homme. Il en va ainsi d’un
fédéralisme qui assurait la longévité du système politique
en privilégiant notamment une alternance entre le roi-dieu
et les dieux-rois des divers nomes. Dans l’ensemble, on
peut considérer que la cosmologie négro-égyptienne a été
condensée dans une charte mythique osirienne qui, elle-
même, s’est déployée dans une Charte du double-pays. Ce
faisant, celle-ci a permis de dévoiler une valeur suprême,
transcendante qui a correspondu à la quête d’une vérité
générale de la Nature programmée dans la construction
des pyramides et l’exercice du pouvoir (image 11).

122
Ibidem.
132
Image 11 : La traduction littérale des hiéroglyphes renvoie à
peu près à ceci : « grand âme de vérité, grand architecte
(bâtisseur) de vérité », ou encore « à chaque âme de grande
élévation spirituelle conforme à Maât correspond un édifice
divin bâti en harmonie avec Maât, la vérité. »
Nous voilà revenus sur ces hiéroglyphes égyptiens
repris sans grande piété par la franc-maçonnerie de notre
temps. Qui d’entre nous, visitant les grandes métropoles
de l’Occident, n’a pas contenu sa rage devant les statues,
monuments et symboles ayant quitté l’Afrique noire sans
contrepartie? Si l’on a ressenti cette rage, il est difficile,
intellectuellement plus encore qu’affectivement, de devoir
se l’imposer à vie. Il s’agit d’un choix libre. Devons-nous
considérer que la modernité, si féconde en désillusions et
en crises, nous pousse à renoncer au passé ? A parer celui-
ci de couleurs chatoyantes, c’est n’est pas céder à une
pulsion biologique : c’est mettre du sens, de l’espérance et
de la valeur dans nos convictions.
Il ne fait aucun doute qu’il existe une Afrique noire
qui se souvient toujours du double-pays. On le croyait
incompréhensible et même mort. C’est le contraire qui est
vrai : le double-pays habite notre conscience historique et
133
peut servir de base à la construction du panafricanisme de
notre temps aux plans institutionnel, symbolique, rituel et
rationnel (image 12).

Image 12 : Le pacte rituel scellant le double-pays : l’île de


Zanzibar et le Tanganyika. La Tanzanie naît de cette union
en 1964 ; le deux devient trois. Le Pacte est exécuté par le
Président Nyerere Kambarage Julius.
C’est en chercheurs abusés, inconscients de la portée
des mythes et rites que nous avons perdu de vue que ceux-
ci peuvent encore servir de base au panafricanisme. En
vertu d’une convergence des causes et effets, le modèle
pharaonique a servi d’adjuvant à la Charte du Mandé.
II-LE MODELEMALIEN
Si la fonction antichaos des institutions ancestrales
avait tout intérêt à garder sur elles les traditions magiques
de la confrérie des chasseurs(II.1), elle n’en restait pas
moins contrainte par les échanges marchands greffés à un
islam nomade, expansionniste et esclavagiste. La Charte
de Kurukan Fuga montre que d’importantes concessions
ont été faites à l’islam(II.2). Ces deux aspects permettent
de saisir la complexité des relations multilatérales entre les
Noirs et Arabe savant l’irruption christianisme et du
134
modèle de l’Etat-nation, lequel finira par neutraliser la
fonction antichaos des institutions traditionnelles en
Afrique noire.
II.1 Le serment des rois chasseurs animistes
Il est évident que la conversion à l’islam de certains
rois, empereurs et commerçants noirs, si théorique qu’elle
fût, a entraîné avec elle d’importants changements de sens
du pouvoir traditionnel. Aussi le serment des chasseurs,
produit en 1222 à Dakajalan123 a-t-il été remplacé par la
Charte de Kurukan Fuga en 1236124, mi-opportunisme, mi-
ruse, contre l’intégrité axiologique des chasseurs(A). Puis,
l’islamisation a orienté une morphologie du double-pays :
d’un côté Horus, la royauté magico-religieuse et ses bois
sacrés, de l’autre Seth, l’islam nomade, ennemi héréditaire
et juré des Noirs, sédentaires et animistes(B).L’usure du
temps a permis à l’islam arabe de supplanter le vieux fond
traditionnel(C), faute d’un renouvellement scientifique de
la pensée mythologique (D). Nous limiterons l’analyse aux
derniers ressorts de la fonction antichaos des institutions.
A-L’intégrité axiologique des chasseurs animistes
Une analyse conjointe du serment de la confrérie des
chasseurs et de la Charte constitutionnelle montre que

123
Le serment des chasseurs a été recueilli par Youssouf Tata Cissé
auprès de Fadjimba Kante en 1965, maître chasseur et patriarche des
forgerons de Tegué-Koro (Sud de Bamako).
124
La Charte de Kurukan Fuga en notre possession est une
retranscription d’une déclaration orale qui remonterait à l’intronisation
de Soundjata Keita, empereur du Mali à la fin de l’année 1236 (cf.
travaux de Wa Kamissoko et Yusuf Tata Cissé des années 1970).
Cette Charte a été inscrite par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine
culturel immatériel de l’Humanité.
135
mentalement, sans en avoir toujours conscience, les rois
islamisés ont donné un gigantesque coup de balai dans les
trésors d’une grande sagesse prudemment accumulée par
les générations antérieures. Lisons ce serment pour nous
en faire une idée objective.
1. Les chasseurs déclarent :
Toute vie (humaine) est une vie.
Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie,
Une vie n’est pas plus ancienne, plus respectable qu’une autre vie,
De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.
2. Les chasseurs déclarent :
Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable.
3. Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur son prochain,
Que chacun vénère ses géniteurs,
Que chacun éduque comme il se doit ses enfants,
Que chacun entretienne, pourvoie aux besoins des membres de sa
famille.
4. Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur le pays de ses pères.
Par pays ou patrie, faso,
Il faut entendre et surtout les hommes ;
Car tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de
sa surface
Deviendrait aussitôt nostalgique.
5. Les chasseurs déclarent :
La faim n’est pas une bonne chose,
L’esclavage n’est pas non plus une bonne chose ;
Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là,
Dans ce bas monde.
Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,
La faim ne tuera plus personne au Manden.
Si d’aventure la famine venait à sévir ;
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour prélever des esclaves ;

136
C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche
de son semblable
Pour aller le vendre
Personne ne sera non plus battu,
A fortiori mis à mort,
Parce qu’il est fils d’esclave.
6. Les chasseurs déclarent :
L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
D’un mur à l’autre, d’une frontière à l’autre du Manden ;
La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce
jour au Manden.
Quelle épreuve que le tourment !
Surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours.
L’esclave ne jouit d’aucune considération,
Nulle part dans le monde.
7. Les gens d’autrefois nous disent :
L’homme en tant qu’individu
Fait d’os et de chair
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
Se nourrit d’aliments et de boissons ;
Mais son âme, son esprit vit de trois choses :
Voir ce qu’il a envie de voir
Dire ce qu’il a envie de dire
Et faire ce qu’il a envie de faire ;
Si une seule chose venait à manquer à l’âme humaine,
Elle en souffrirait
Et s’étiolerait sûrement.
En conséquence, les chasseurs déclarent :
Chacun dispose désormais de sa personne,
Chacun est libre de ses actes,
Chacun dispose désormais des fruits de son travail.
Tel est le serment du Mandén
A l’adresse des oreilles du monde tout entier.
Résumons les 7 (sept) points de ce serment pour en
actualiser le sens, rapporté aux droits de l’Homme.
Strophe 1- Le respect de la vie est fondé en droit et en
philosophie contre l’esclavage d’Aristote et l’inégalité des
races au sens de Gobineau, Lévy-Bruhl ou du Code noir.
137
Strophe 2- Toute justice appelle une réparation de torts
causés à autrui. Pourtant, le racisme, la Traite, l’esclavage,
la colonisation et les exactions religieuses sont sans suite.
Strophe 3- Les actes de réciprocité dans la protection de la
vie et de l’éducation familiale sont dignes d’intérêt pour
chacun et pour tous contre les valeurs de l’individualisme.
Strophe 4- La conjuration de toute forme d’anomie sociale
est un idéal qui procède d’un acte de patriotisme.
Strophe 5- L’esclavage et la famine sont du même ordre
de calamités à éviter. Ce qui est donc en jeu, c’est le sens à
donner à l’humanisme, l’entraide, la coopération afin que
règne une sécurité alimentaire contre les razzias et toutes
formes d’esclavage.
Strophe 6- Le genre violence ou « guerre juste » au sens
d’Aristote, de saint Augustin, de Hegel, du stalinisme, du
nazisme, du jihad, des terrorismes, des croisades, est un
non-sens pour l’Homme. Dans ce sens, pas d’exploitation
de l’homme par d’autres hommes au sens de l’aliénation
du travail par Karl Marx. Aucun nom de tribu n’est cité.
Strophe 7- La palabre africaine doit prôner la tolérance des
idées, l’argumentaire, la délibération, le consensus puis un
sens élevé de la responsabilité et de la justice.
Ce serment semble avoir eu pour objectif des effets
correctifs. Pour avoir assimilé l’état d’esprit des Arabes au
leur, puis intériorisé comme légitime l’identité nomade et
ses valeurs, certains rois islamisés ont prêté le flanc aux
effets voyants d’un islam qui a sans doute correspondu à
leurs intentions, impératifs et jugements opportuns. Ils ont
donc entrevu dans ce don d’eux-mêmes pour cette « foi »,
138
des actions aux conséquences positives pour eux-mêmes et
leurs peuples. Tout compte fait, la soumission sans réserve
à l’islam arabe est devenue, pour ces rois eux-mêmes, un
regrettable appauvrissement de la sagesse traditionnelle.
Aussi le serment des chasseurs a-t-il eu pour objectif d’en
corriger les effets dévastateurs.
La fonction antichaos des institutions vaut d’autant
plus que les expériences vécues avec l’islam éclairent ce
que les chasseurs ont ressenti avec amertume. Il est clair
que ceux-ci ont entrevu dans cette« foi »des dispositions
psychologiques mal épurées. Robert et Marianne Cornevin
nous rappellent le contexte de conversion à l’islam:
« Le noir païen n’était aux yeux du blanc qu’un
esclave en puissance, le noir musulman devenait
l’égal du blanc ; mais en perdant son complexe
d’infériorité vis-à-vis du blanc, il acquérait un esprit
de conquête vis-à-vis de ses frères noirs ; sous le
prétexte religieux, il devenait licite et méritoire
d’aller razzier troupeaux, récoltes et jolies filles
chez les voisins païens pour agrandir son royaume
et fournir en esclaves les marchands blancs qui
allaient les vendre sur les marchés
méditerranéens. 125»

On le voit, il ne s’est pas agi d’une ignorance, mais


d’une subtile tricherie affligeante et régressive des rois, du
fait même de cette subtilité. Ce qui est donc prôné dans ce
serment des chasseurs, c’est la correction des bavures de
l’islam, la restauration de l’ordre préétabli, et la visée de
l’état« juste » de la Nature inscrit en toutes choses, petites

125
Robert et Marianne Cornevin, Histoire de l’Afrique des origines à
nos jours, 2è édition revue et complétée, Paris, Payot, 1966, p. 161.
139
ou grandes par Maât des Négro-égyptiens126 et Maa Ngala
des Bambara du Mandé. Rappelons, à toutes fins utiles,
que le serment des chasseurs est commun aux Bambara et
Malinké du Mandé.
Rappelons que ce serment des chasseurs constitue un
appel lancinant « à l’adresse des oreilles du monde tout
entier » afin que les peuples et Nations de la planète Terre
aient le courage des initiatives qui conditionnent l’essor de
la fraternité humaine et universelle. Il faut admettre que
sous son avatar de « foi », les rois chasseurs ont constaté
que l’islam n’a pas été capable de fournir aux Africains
une action équilibrée de l’esprit rationnel. Sous ses aspects
de « révélation » divine, il ne pouvait pas atteindre un tel
but. Par certains de ses écrits, il a été porteur d’une forme
de manipulation des esprits et ses techniques ont offert à la
ruseopport une le soin de se constituer des porte-voix d’un
zèle jamais égalé. C’est ainsi qu’on peut comprendre le
réalisme des signataires de la Charte qui allieront ainsi, en
des proportions variables, les valeurs de l’islam arabe et de
l’animisme noir du Mandé.
B-L’antichaos en tant qu’objet de politique
L’histoire politique du Mandé a été dominée par les
Bambara (Ban-mâna qui signifie ceux qui refusent la
domination), cousins des Dogon et proches des Diawara
au plan de l’enracinement dans les valeurs ancestrales.
Rappelons que les Soninké (ancêtres des Sarakolé actuels
ou Marka) commerçants et guerriers à l’instar des Dioula,

126
Inscription de Shabaka, texte Ancien empire entre 716 & 700 B.C.,
in Théophile Obenga, L’Afrique dans l’Antiquité, Paris, Présence
Africaine, 1973.
140
ont une histoire politique qu’on pourrait rattacher à la
grande épopée des Malinké auxquels on doit le nom du
Mali, par assimilation de l’ensemble du pays aux Mandé,
Manden, Mandingue. Soumangourou Kante127, maître des
forgerons et roi soninké de Sosso, s’empare de Ghana en
1203 puis, il est vaincu par Soundjata Keïta, un Malinké
de la caste des forgerons chasseurs lui aussi. C’est sous le
règnede ce dernier que la Charte du Mandéverra le jour en
1236128, 14 ans après le serment des chasseurs.
Entre les empires de Ghana et de Mandé, on note des
similitudes avec le modèle du double-pays négro-égyptien.
Dans l’ensemble, le Mandé déroule une fonction antichaos
organisée par l’ordre magique des forgerons, repris sur
fond de décentralisation avec des provinces tribales ou
nomes plus ou moins autonomes, à l’instar de l’empire des
savants négro-égyptiens. Pas de table rase du temps passé
et on peut envisager une continuité logique de la mémoire
culturelle, avec peu de rapports d’influence institutionnelle
avec l’islam. Ces rapports ne compromettent pas encore la
fonction antichaos des institutions traditionnelles.
Al Bakri signale un double-pays établi à l’apogée de
Ghana, en 1068 :

127
Son vrai nom serait Soumba N'Golo Diarisso d’après la tradition de
l’initié Sira-Missa Doumbia, descendant de Fakoli Doumbia.
128
Les délégués convoqués pour la signature de cette Charte en 1236
représentaient les 12 tribus ayant fait allégeance à Soundjata. En cela,
le modèle de décentralisation des nomes égyptiens a traversé plusieurs
siècles, puis laissé sa marque dans la conscience politique du Mandé.
Ceci fonde la preuve d’une subtile réalité de la mémoire derrière la
brume des apparences.
141
« Ghana est une grande cité comportant deux
agglomérations : l’une située dans la plaine est
musulmane, habitée par des marchands arabo-
berbères, des jurisconsultes et des savants
distingués. On y compte douze mosquées dont tout le
personnel est salarié (…) La ville royale et animiste
était sise à mille de la première agglomération, et
des bois sacrés l’entouraient. D’où le nom de El-
Ghaba (la forêt) que les musulmans lui avaient
donné. 129»

Puis, trois siècles plus tard, Ibn Fadallah Al Umarîy


témoigne à propos de l’empire du Mali :
« Chapitre 10, sur le pays du Mali et ses
dépendances… Dans ces régions, il n’y a personne
méritant le nom de roi, si ce n’est le souverain de
Ghana, qui est comme le vice-roi de l’empereur de
Mali, bien qu’il soit chez lui comme un véritable roi.
Au Nord du pays de Mali, il ya des Berbères blancs
qui vivent sous la domination de ce souverain. 130»

L’empire du Mali émergera ainsi avec tout ce qui


restera de Ghana et l’englobera dans le grand empire du
Mande, atteignant Tombouctou à l’Est. Le roi de Ghana
devient vice-empereur, ce qui montre bien qu’il n’y pas de
table rase de l’ancien système royal. Il y a davantage une
intégration dans la panstructure nouvellement aménagée.
L’ethnologue Dika-Akwa explique ce mécanisme du
double-pays malien :

129
Cf. Tarikh el-Fettach, trad. O. Houdas, Maisonneuve, Paris, 1964,
pp. 76-77, cité par Daniel Amara Cissé, Histoire économique de
l’Afrique noire, Tome 3. Le Moyen âge, Paris, L’Harmattan, 1988, p.
48, en notes de bas de pages n° 41.
130
Cf. Revue Présence Africaine, février-mars 1958, pp. 176-177, cité
par Dika-Akwa, op. cit. p. 287.
142
« Il y a comme une filiation de structures découlant
les unes des autres, renvoyant sans cesse les unes
aux autres, et imbriquées pour s’assurer un
continuum perpétuel.131 »

On peut en conclure que l’empire du Mali est une


production politique de la civilisation noire du
Mandé132.Et Dika-Akwa de conclure que :
« La répétition des mêmes constantes dans la
formation des royaumes et des empires dans des
pays aussi éloignés que l’Egypte pharaonique et le
Vieux-Cameroun, ou le Bénin Ancien, et au cours
des périodes historiques aussi éloignées que les
XVIIe et XVIIIe dynasties (1580 - 1200 avant notre
ère) et les XVe-XIXe siècles de notre ère donne à
penser que l’histoire politique de l’Afrique
traditionnelle n’a qu’une constitution. Celle-ci a dû
être inspirée par un modèle original qui se perd
dans la nuit des temps de la vallée du Nil.133 »

Lorsque Soundjata Kéita, surnommé Mary-Diatta (le


lion du Mali) meurt en 1255, l’empire du Mandé en voie
d’islamisation est greffé à des institutions traditionnelles
nourries par les valeurs de la confrérie des forgerons. Ibn
Batouta, historien berbère qui a visité le Soudan témoigne
en 1352 à 1353 de l’esprit de cette civilisation :
"De ce que j’ai vu de bon dans la conduite des noirs".

131
Prince Dika-Akwa, Les problèmes de l’anthropologie…, p. 167.
132
Les historiens Robert Cornevin et Marianne Cornevin, op. cit.,p.
163, écrivent : « Cet empire qui comprenait les trois grandes régions
aurifères exploitées à cette époque, du Galam (Falémé inférieure),
Bambouck (entre Falémé et le Sénégal) et Bouré-Mali, avait été créé
par un noir qui n’avait subiaucune influence extérieure ; car l’Islam,
qui devait jouer par la suite un rôle important dans le développement
du Mali, n’a manifestement pas marqué Soundjata. »
133
Prince Dika-Akwa nya B., op. cit., p. 226.
143
Les actes d’injustice sont rares chez eux ; de tous les
peuples, c’est celui qui est le moins porté à en
commettre et le Sultan (roi nègre) ne pardonne
jamais à quiconque s’en rend coupable. De toute
l’étendue du pays, il règne une sécurité parfaite ; on
peut y demeurer et voyager sans craindre le vol ou
la rapine. Ils ne confisquent pas les biens des
hommes blancs qui meurent dans leur pays ; au
contraire, ils préposent à l’héritage des curateurs
choisis parmi les hommes blancs et il reste entre
leurs mains jusqu’à ce que les ayants droits viennent
les réclamer. 134 »

Ce qui a façonné une telle sécurité dans tout le


pays du Mandé c’est l’ordre initiatique et magique, la
pleine exaltation des valeurs de justice sociale, de plein
emploi, de santé pour tous, d’absence de famine, de
coopération et d’entraide dans tout le pays.
C-L’antichaos en tant qu’objet de religion
Les griots du Mandé (jéli) racontent que Soundjata
Keita est un paralytique qui, grâce à sa magie, a fini par se
lever et marcher. Puis il a vaincu Soumangourou Kante,
chef des forgerons, magicien comme lui. Sans entrer dans
les jugements de valeur de l’histoire des vainqueurs, nous
notons que là où la magie paraît à première vue tourner en
rond, on voit qu’en définitive, il y a un sursaut méritoire
de l’éthique de vie communautaire des chasseurs, mais à
un autre plan qui permet de corriger les effets de l’islam
arabe. Le Mandé est, avant tout, le fait d’une tradition dont
les pratiques magiques et religieuses ont donné assise à

134
Ibn Battuta, cité par Cheikh Anta Diop, L’unité culturelle de
l’Afrique Noire, Paris, 2e édition Présence Africaine, p. 154.
144
une civilisation spirituellement équilibrée. Le fait n’est pas
nouveau : on l’a déjà repéré en Egypte. Serge Sauneron
signe sa déposition :
« Nous ne pouvons, sans quelque abus, ranger la
magie au nombre des sciences sacerdotales. Aux
yeux des prêtres pourtant, la connaissance des
formules adéquates fournissait une puissance à peu
près illimitée sur les êtres vivants, les dieux et les
forces de l’univers. 135»

Ce n’est pas rien tout ce qui a été dit car tant que les
rois ont été des magiciens engagés dans la valorisation des
institutions traditionnelles, leurs pouvoirs respectifs ont eu
un écho favorable auprès des populations qui en ont tiré
bénéfice. C’est dire que les pratiques magiques ont été très
fécondes en enseignements promus, puis sauvegardés dans
les cercles ésotériques de la sagesse ancestrale en vue de la
survie et du bonheur des générations futures.
Hampaté Ba signale que « quand nous parlons des
sciences initiatiques ou occultes, termes qui peuvent
dérouter le lecteur rationaliste, il s’agit toujours, pour
l’Afrique traditionnelle, de savoir entrer en relation
appropriée avec les forces qui sous-tendent le monde
visible et qui peuvent être mis au service de la vie.136»La
chute des traditions magiques du pouvoir est intervenue
avec les pressions concomitantes de l’islam arabe et du
christianisme puis, la surimposition du modèle de l’Etat-
nation. Vues par un Africain informé, ces deux religions

135
Serge Sauneron, op. cit., p. 185.
136
Hampaté Ba, « La tradition vivante » in Histoire générale de
l’Afrique. Méthodologie et préhistoire africaine, UNESCO, 1980,
p.193.
145
sont chose subtile, car c’est au sein de la réalité empirique
qui s’y déploie que se pose avec intérêt, la question de leur
valeur institutionnelle et historique.
Où est le problème si la magie, le rite, le mythe et la
rationalité sont inhérents à notre rapport à la nature?
Lylian Kesteloot rafraîchit notre mémoire sur le sujet :
« L’Europe (pour ne citer qu’elle) a connu une
longue tradition où la magie se confondait avec les
sciences ésotériques, largement héritées de l’Egypte
et de la Kabbale juive. 137»

En son premier sens le plus péjoratif, la magie peut


servir à désigner l’état primitif de la science, sans examen
critique. Mais son exploitation rationnelle a été menée de
telle manière que les sages ont fini par fournir les preuves
en faveur de son maintien en l’état, grâce aux rites réussis
et mythes qui ont permis d’affermir la cohésion sociale.
C’est Hesna Cailliau, sociologue, se souvient :
« La décadence d’une culture survient lorsque ses
représentants ne comprennent plus le sens des
mythes.138 »

Les anthropologues Louis-Vincent Thomas et René


Luneau font bien de nous rappeler que « les mythes négro-
africains traditionnels sont révélateurs de premier ordre
en ce qui concerne les structures profondes de la pensée,
les régulations de la vie sociale, la situation de l’homme
dans le monde, ses rapports étroits au sacré, les idées

137
Lilyan Kesteloot, op. cit., p. 119.
138
Hesna Cailliau, L’esprit des religions. Connaître les religions pour
mieux comprendre les hommes, Editions Milan, 2003, p. 21.
146
forces de sa cosmologie.139 » Approfondissons cet enjeu
du mythe cosmologique en science.
D-L’antichaos en tant qu’objet de science
La fonction antichaos de la science tient son gabarit
de la connaissance cosmologique des origines. Dans le
mythe des Bambara du Mandé, Maa Ngala est le Principe
des principes à l’origine de la création, Maître du temps et
de la Totalité existentielle :
« Maa Ngala, c’est la Force infinie
Nul ne peut le situer dans le temps ni l’espace
Il est dombali (inconnaissable)
Dambali (incréé-infini) 140».
MaaNgala organise l’existant à partir d’un vide qui
vit au sein duquel s’accomplit un mouvement universel.
« Il n’y avait rien, sinon un Être.
Cet Être était un Vide vivant,
Couvrant potentiellement les existences contingentes.
Le temps infini était la demeure de cet Être-Un.
L’Être-Un se donna le nom de Maa Ngala.
Alors il créa Fan
Un Œuf merveilleux comportant neuf divisions,
Et y introduisit les neuf états fondamentaux de l’existence. 141 »
La théorie du Nombre est inscrite dans la fonction
antichaos du mythe cosmologique. Ce mythe établit de la
sorte une théorie historique du Cosmos avec Maa Ngala
comme son agent organisateur qui met de l’ordre dans le
chaos avec la création neuf états de l’existence. A partir de

139
Louis-Vincent Thomas et René Luneau, op. cit., p. 149.
140
Texte recueilli par Amadou Hampaté Ba, « La tradition africaine »,
in Histoire générale de l’Afrique. Méthodologie et préhistoire
africaine, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, pp. 194-195.
141
Idem.
147
là, le Cosmos a une histoire qui se prolonge, avec la
création, par une théorie synthétique de l’évolution grâce à
Maa Ngala, l’Un. Lisons Hampaté Ba :
« Dans la savane soudanaise, tout ce qui existe sur notre planète est
divisé en trois grandes catégories ou ‘’classes d’êtres’’, elles-mêmes
subdivisées en trois groupes :
- Au bas de l’échelle, les êtres ‘’muets’’ ‘’inanimés’’ dont
le langage est considéré comme occulte. Ils sont solides,
liquides ou ‘’fumants’’ (gazeux).
- Au degré médian, les ‘’animés immobiles’’ (végétaux).
- Enfin, les animés mobiles qui sont terriens, aquatiques
ou volants. »
« Dans toute cette ‘’Histoire naturelle’’, celle de
l’homme est éminente parce qu’il résume tous les
règnes (minéral, végétal et animal) en lui-même,
puisqu’il a été composé d’une parcelle de tout ce qui
a existé avant lui, et aussi parce qu’il a été doté de
la parole et qu’à ce titre il est partenaire de Dieu et
gardien de la nature. 142»

L’Homme est considéré chez les Bambara comme


une parcelle de tout ce qui a existé avant lui ; il est donc
Conscience de la conscience de Tout ce qui est, autrement
dit, la potentialité absolue et autoconstituée gardien de la
nature. Celui-ci instaure une fonction antichaos au cœur
de la science pour maintenir en l’état tous les équilibres
naturels préétablis ; aussi toutes les sciences se font-elles
avec la conscience de l’ordre de l’Univers. En politique,
en religion et en science, cet ordre est resté flexible, sans y
perdre la totalité de son armature cognitive, rationnelle,

142
Ibidem, p. 103.

148
organisationnelle et paradigmatique. Les historiens Bah et
Ghomsi soutiennent, preuves historiques à l’appui :
« Il y eut, en quelque sorte la rencontre intime et
sélective des éléments exogènes et endogènes, ce qui
a préservé la personnalité et le génie créateur des
peuples du Soudan occidental et central. 143»

On doit aller plus loin : la personnalité africaine a été


affirmée tant qu’elle puisait dans ses traditions magiques,
sacrées et rationnelles. Les effets cumulés de l’islam, du
christianisme et du modèle de l’Etat-nation lui ont fait
perdre l’initiative scientifique, religieuse et politique.
II.2 La Charte de Kurukan Fuga
En 1236, un comité de 12 rois aurait déclamé cette
Charte à Kurukan Fuga (Cercle de Kangaba, dans le Sud
du Mali). Celle-ci a été reprise, puis actualisée du 03 au 12
Mars 1998à l’issue d’un atelier régional144 de concertation
à Kankan (Guinée), entre les communicateurs traditionnels
et des spécialistes recrutés dans les domaines concernés.
Sans entrer dans le débat organisé autour des controverses

143
Thierno M. Bah et E. Ghomsi, « Problématique des transmissions
et des techniques » in Afrika Zamani, n° 16 et 17, février 1986, p. 35.
144
https://www.village-justice.com/articles/charte-kouroukan-fouga-
simple-patrimoine-culturel-immateriel-humanite-texte,24108.html. Ce
comité était formé des 12 hommes clefs qui furent les alliés directs de
Soundjata Keita lors de la bataille de Kirina : Kanmandian Camara,
Tiramagan Traoré, Fakoly Koroma, Gassim Goundo, Farawani
Condé, Serrakoman Konaté, Mandé Bouari, Sidimanba Koïta, Daman
Diawara, Môlia Maghan Magassouba, Samary Böbö et Sondjata keita
lui-même. Ce texte a été traduit avec l’aide des linguistes guinéens
sous la supervision de Mr. Siriman Kouyaté – magistrat et
traditionniste.

149
y afférentes, nous nous contentons de faire de cette Charte
le fond historique d’une réflexion prolongeant le serment
des chasseurs du Mandé.
1. La société du grand mandé est divisée en seize (16) porteurs de
carquois, cinq (5) classes de marabouts, quatre classes (4) de
nyamakalas. Chacun de ces groupes a une activité et un rôle
spécifiques.
2. Les nyamakalas se doivent de dire la vérité aux Chefs, d’être leurs
conseillers et de défendre par le verbe les règles établies et l’ordre sur
l’ensemble du royaume.
3. Les morikanda Lolu (les cinq classes de marabouts) sont nos
maîtres et nos éducateurs en islam. Tout le monde leur doit respect et
considération.
4. La société est divisée en classes d’âge. A la tête de chacune d’elles
est élu un chef. Sont de la même classe d’âge les personnes (hommes
ou femmes) nées au cours d’une période de trois années consécutives.
Les Kangbès (classe intermédiaire entre les jeunes et les vieux)
doivent être conviés pour participer à la prise des grandes décisions
concernant la société.
5. Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité
physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son
prochain est punie de la peine de mort.
6. Pour gagner la bataille de la prospérité, il est institué le Kön ̈gbèn
Wölö (un mode de surveillance) pour lutter contre la paresse et
l’oisiveté.
7. Il est institué entre les mandenkas le sanankunya (parenté à
plaisanterie) et le tanamanyöya (forme de totémisme). En
conséquence, aucun différent né entre ces groupes ne doit dégénérer,
le respect de l’autre étant la règle. Entre beaux-frères et belles-sœurs,
entre grands parents et petits-enfants, la tolérance et le chahut
doivent être le principe.
8. La famille Keïta est désignée famille régnante sur l’empire.

150
9. L’éducation des enfants incombe à l’ensemble de la société. La
puissance paternelle appartient en conséquence à tous.
10. Adressons-nous mutuellement les condoléances.
11. Quand votre femme ou votre enfant fuit, ne le poursuivez pas chez
le voisin.
12. La succession étant patrilinéaire, ne donnez jamais le pouvoir à
un fils tant qu’un seul de ses pères vit. Ne donnez jamais le pouvoir à
un mineur parce qu’il possède des liens.
13. N’offensez jamais les nyaras.
14. N’offensez jamais les femmes, nos mères.
15. Ne portez jamais la main sur une femme mariée avant d’avoir fait
intervenir sans succès son mari.
16. Les femmes, en plus de leurs occupations quotidiennes doivent
être associées à tous nos Gouvernements.
17. Les mensonges qui ont vécu 40 ans doivent être considérés comme
des vérités.
18. Respectons le droit d’aînesse.
19. Tout homme a deux beaux-parents: Les parents de la fille que l’on
n’a pas eue et la parole qu’on a prononcé sans contrainte aucune. On
leur doit respect et considération.
20. Ne maltraite pas les esclaves, accordez leur un jour de repos par
semaine et faites en sorte qu’ils cessent le travail à des heures
raisonnables. On est maître de l’esclave et non du sac qu’il porte.
21. Ne poursuivez pas de vos assiduités les épouses: du Chef, du
voisin, du marabout, du prêtre, de l’ami et de l’associé.
22. La vanité est le signe de la faiblesse et l’humilité le signe de la
grandeur.
23. Ne vous trahissez jamais entre vous. Respectez la parole
d’honneur.
24. Ne faites jamais du tort aux étrangers.

151
25. Le chargé de mission ne risque rien au Mandé.
26. Le taureau confié ne doit pas diriger le parc.
27. La jeune fille peut être donnée en mariage dès qu’elle est pubère
sans détermination d’âge. Le choix de ses parents doit être suivi
quelque soit le nombre des candidats.
28. Le jeune homme peut se marier à partir de 20 ans.
29. La dot est fixée à 3 bovins: un pour la fille, deux pour ses père et
mère.
30. Venons en aide à ceux qui en ont besoin.
31. Il y a cinq façons d’acquérir la propriété: l’achat, la donation,
l’échange, le travail et la succession. Toute autre forme sans
témoignage probant est équivoque.
32. Tout objet trouvé sans propriétaire connu ne devient propriété
commune qu’au bout de quatre ans.
33. La quatrième mise-bas d’une génisse confiée est la propriété du
gardien.
34. Un bovin doit être échangé contre quatre moutons ou quatre
chèvres.
35. Un œuf sur quatre est la propriété du gardien de la poule
pondeuse.
36. Assouvir sa faim n’est pas du vol si on n’emporte rien dans son
sac ou sa poche.
37. Fakombè est désigné Chef des chasseurs. Il est chargé de
préserver la brousse et ses habitants pour le bonheur de tous.
38. Avant de mettre le feu à la brousse, ne regardez pas à terre, levez
la tête en direction de la cime des arbres.
39. Les animaux domestiques doivent être attachés au moment des
cultures et libérés après les récoltes. Le chien, le chat, le canard et la
volaille ne sont pas soumis à cette mesure.
40. Respectez la parenté, le mariage et le voisinage.

152
41. Tuez votre ennemi, ne l’humiliez pas.
42. Dans les grandes assemblées, contentez-vous de vos légitimes
représentants et tolérez-vous les uns les autres.
43. Balla Fassèkè Kouaté est désigné grand chef des cérémonies et
médiateur principal du Mandé. Il est autorisé à plaisanter avec toutes
les tribus, en priorité avec la famille royale.
44. Tous ceux qui enfreindront à ces règles seront punis. Chacun est
chargé de veiller à leur application.

Nous ferons trois commentaires.


Les résolutions de la Charte du Mandé montrent que
l’esprit traditionnel de paix, de tolérance et de générosité a
constitué le sous-bassement de la Constitution malgré les
concessions importantes accordées à l’islam (cf. article 3
en particulier). Il semble que c’est pour se désolidariser de
l’islamisation officielle des mœurs politiques que Fakoli
Koroma et Tiramakan Traoré, signataires de la Charte, se
sont éloignés du pouvoir pour marquer leur indignation et
leur mécontentement face à tant de concessions145.Tel est
le premier commentaire.
A cette époque du Mandé impérial, les conceptions
métaphysiques d’Avicenne, l’astronomie d’Al-Kwârizmi,
les textes du médecin juif d’expression arabe Maïmonide
ou du médecin philosophe Averroès sont connus. Toutes
les connaissances négro-égyptiennes léguées à la Grèce et
à Rome (Aristote, Galien, Euclide, Ptolémée, Dioscoride)
sont revenues au Ghana et au Mandé, par une autre voie
enrichie par les contributions originales des Arabes dans
divers domaines : astronomie, mathématique, astronomie,
145
C’est un descendant de Fakoli Doumbia, un initié du nom de Sira-
Missa Doumbia qui nous en a fait mention.
153
philosophie, logique, optique, géographie, etc. Tel est le
deuxième commentaire.
Si la science et la philosophie des Grecs, puis des
Arabes ont supplanté le fond mythologique de la pensée
africaine en voie de sclérose scientifique, indiquons que
dans le même temps, la conversion des princes et de l’élite
à l’islam et au christianisme a été tout aussi néfaste. Ce qui
est resté la source profonde de l’idéal moderniste dans le
contexte du Mandé des rois islamisés, c’est l’inversion de
la polarité organisationnelle ; ceux-ci n’ont plus assuré la
victoire de l’ordre (Horus) sur le désordre (Seth).Tel est le
troisième commentaire. La problématique religieuse du
Mandé est toujours d’actualité et reste non résolue dans
l’ordre politique moderne. Elle se réfère à un monde où
l’effet nouveau de la « foi » se pose comme un frein à tout
ordre de pensée logique, anthropologique et ontologique.
Meinrad Hebga, philosophe, montre son indignation :
« Pour ceux d’entre nous qui ont embrassé le
christianisme ou l’islam, il devrait être clair que la
renonciation aux ‘’superstitions païennes’’, comme
disent les missionnaires, ne les oblige point à rejeter
toutes nos conceptions anthropologiques, pour les
remplacer par celles des nations arabes ou
européennes.146 »

Dans quelles proportions ce jésuite espère-t-il poser


le curseur de sélection des valeurs entre l’animisme et le
christianisme ? Puis, l’animisme et l’islam ? A ce plan, il
faut pousser à fond l’examen critique en question : s’agit-
il de choisir d’être par tous les moyens avec l’Autre qui
146
Meinrad Hebga, La rationalité d’un discours africain sur les
phénomènes paranormaux, Paris, L’Harmattan, 1998, pp. 6-7.
154
par ailleurs vous rejette (le paradigme d’exclusion) ou ne
faut-il pas chercher à être soi-même, un « en-soi » centré ?
Aussi Louis-Vincent Thomas et René Luneau nous invite-
t-il à éviter un comportement de facilité :
« Dès lors, il faut tourner la page, renvoyer dos à
dos islam et christianisme et trouver dans la
création d’une Afrique résolument moderne, des
raisons de vivre et d’espérer que les religions ne
147
peuvent plus donner. »
Le dire ainsi est fort utile car en soi, cette liberté de
ton est saine. Si nous voulons passer à autre chose qui soit
enfin salutaire, l’on doit éviter de faire de la « foi » un
passe-partout qui détruit nos capacités à opérer des choix
religieux, culturels et politiques conséquents.
Nous devons tourner une page sombre de l’histoire,
celle qui consiste à postuler d’un côté l’intangibilité de la
« foi » chrétienne et musulmane, de l’autre, une science
pratiquée sous le seul angle technique qui prive la pensée
d’une réflexion sur le paradigme qui les fait se mouvoir en
s’aménageant des objectifs communs de domination.
Dans de telles conditions, il n’est pas absurde de
constater que ce qui est approché par deux chemins
différents, la religion et la science, c’est le même Un : la
conception nordique du Réel qui anesthésie la fonction
antichaos des institutions traditionnelles.

147
Louis-Vincent Thomas et René Luneau, op. cit.,p. 333.
155
Chapitre IV
LA MODELISATION
(L’APPROCHEMATHEMATIQUE)
« Nous avons vu que tout concept possède
une figure de régulation, un logos qui est, en
principe, une image homomorphe (modèle)
de la figure de régulation du référent. »
René Thom, Stabilité structurelle et
morphogénèse, Paris, 2è édition InterEditions,
1977, p. 331.
Le chapitre III a permis de montrer que la fonction
des institutions traditionnelles est de conjurer ou d’évacuer
le conflit en favorisant, soit :1- le remplacement de la
forme étatique de départ au profit d’une autre, davantage
complexe (le double-pays de l’Egypte pharaonique) ;2-
l’intégration harmonieuse d’un élément extérieur(l’islam),
sans compromettre les acquis du double-pays(le Ghana du
XIè siècle) ; 3- le retour à la forme étatique initiale après le
compromis social mal négocié avec l’islam (le serment des
rois magiciens du Mandéen 1222) ; 4-l’opportunisme des
rois islamisés au contact du monde extérieur(la Charte de
Kurukan Fuga du Mandé de Soundjata Keita en 1236).
Dans tous ces cas de figure, le paradigme d’inclusion
a été à l’œuvre, contre le tiers exclu du modèle occidental
et arabe, lequel a fini par inverser la polarité de la victoire
du dieu Horus sur le dieu Seth dans l’ordre traditionnel.
Nous en payons le prix fort avec l’aliénation généralisée
des élites locales islamisées, puis christianisées avec
l’ordre colonial, le tout greffé à un modèle de l’Etat-nation
contre nature des traditions. Tels sont les ressorts de la
nasse qui enserre le panafricanisme de notre temps.

157
Avec les avancées de la science complexe, il est clair
que le monothéisme cosmologique s’insère dans le courant
le plus authentiquement riche de sens. Il met en jeu l’état
d’équilibre des systèmes sociaux instables, entre ordre et
désordre(I). Ces concepts, qui organisent désormais les
descriptions scientifiques du monde(II), peuvent enfin se
donner à construire une théorie politique africaine en usant
d’un langage réaliste et pertinent, sans plus jamais avoir à
se soucier d’une référence au positivisme dominant (II.3).
I-LA MODELISATION SPIRITUELLE
Il s’agit de la construction d’un modèle, autrement
dit, une manière de relier en un Tout cohérent les principes
primordiaux, essentiels et scientifiques de l’ordre (Horus),
du désordre (Seth), et de la complexité (Maât) dans lequel
la cause et l’effet se jouent à fond. Ce modèle est, cela va
de soi, d’une importance pratique considérable, puisque
c’est lui qui justifie l’emploi scientifique des termes dans
lesquels des disciplines telles que la science politique, la
philosophie, l’esthétique, le droit, etc. peut s’exprimer.
A ce plan, la spiritualité synthétise rationnellement
les idées sur la base desquelles le modèle peut s’organiser
comme une théorie cognitive et même rationnelle. Celle-ci
n’aura de signification que dans la mesure où elle laissera
entrevoir une représentation du réel aux plans du mythe
(I.1), du logos (I.2) et du référent cognitif attaché à l’esprit
en quête de vérité scientifique pour apaiser la raison (I.3).
I.1La vérité du mythe
Nous pouvons enfin déchirer le voile des apparences
du panafricanisme en mettant au jour ce qui est se cache
158
derrière son idéal. Ici, le mot idéal est suffisamment banal
pour que tout un chacun l’entende et se fasse une idée de
l’ordre étatique à bâtir avec un minimum de bon sens.
Aussi est-il souhaitable de lui trouver une direction
« commune » pour que la forme ne trahisse pas le fond
(A). En cela, la visée de la valeur rapportée à l’ordre de
l’Univers peut être porteuse d’objectivité (B)via la finalité
du mythe (C). Cette opération mentale laisse deviner un
horizon vers lequel il est très raisonnable de regarder.
A-La portée rationnelle du mythe
Une remarque avant l’analyse : impossible depuis
quelques décennies de faire du mythe africain un véritable
logos sans courir le risque d’un surgissement de la critique
philosophique, accrochée aux basques d’un cartésianisme
par ailleurs dépassé en Occident.
Ce qu’il faut comprendre dans cette histoire, c’est
que la pensée complexe en édification insiste désormais
sur la manière de séparer l’objet (l’objectif à atteindre) du
sujet (subjectif). Il est possible d’éviter un tel écueil par
quelque raffinement conceptuel dépassant l’opposition du
rationnel et du non rationnel, en intégrant la métaphysique
dans la physique, la philosophie dans la cosmologie.
Posons donc le problème de manière frontale : peut-
on, en notre for intérieur, sous-estimer les résultats atteints
par le paradigme d’inclusion de l’esprit rationnel (Horus,
Seth, Maât) qui a permis de retourner sous toutes les
facettes, envisageables, l’idée d’une indispensable unité
politique des Etats africains très tôt apparue dans l’histoire
face aux diverses contraintes ?
159
C’est dans les structures mentales et inconscientes148
que nous avons pu dégager, dans les chapitres précédents,
la conception africaine de l’ordre politique africain, sacral
et initiatique ; cette conception a allié l’environnement, la
biologie et l’information pertinente en circulation via les
jugements de valeur. Comme il faut s’y attendre, toutes
ces structures mentales sont porteuses de valeurs, de codes
et d’éléments de signification pour le lignage, le clan, la
tribu et la nation, lesquels éléments ont permis d’élaborer
les mythes, rites, finalités, symboles, formes, techniques,
sciences, théories et normes, etc.
Nous mettons un accent particulier sur les rapports
qui existent entre le jugement de valeur et la conception du
monde car nous pensons qu’il y a lieu de comprendre au
préalable ce jugement, ce qui fait qu’il a été conçu tel qu’il
est avant tout effort d’interprétation entendue ici comme
une signification du fait, du phénomène. Il s’agit de doter
la théorie politique d’une méthodologie, donc d’une règle
de contrôle et d’évaluation de la connaissance avec pour
objectif d’échapper à l’illusion d’une transparence du fait
politique désigné ici « panafricanisme ».
C’est ici que se pose le problème : N’existe-t-il pas
dans la nature une forme de réalité prescrivant une Vérité
générale de la Nature, une forme valeur se situant hors de
toute estimation subjective (sujet) de la science politique ?

148
Pour Lévi-Strauss, il est clair que : « Les mythes se pensent dans
les hommes et à leur insu. » En fait, poursuit-il après analyse, « les
mythes n’ont pas d’auteur : dès l’instant qu’ils sont perçus comme des
mythes et quelle qu’ait été leur origine réelle, ils n’existent
qu’incarnés dans la tradition. » cf. Le cru et le cuit, Plon, 1964, p. 20
et p. 26.
160
B-L’objectivité de la valeur
Il y a dans cette disposition de la métaphysique un
caractère surprenant des essences de l’Univers saisies ici
comme une forme de l’intuition à signifier et rapporter à
une valeur inscrite dans le mythe.
Quoi qu’il en soit des particularités de telles saisies,
il est évident que le mythe issu des actes de la vie n’est pas
indépendant de la réalité de l’être culturel des Africains
qu’il contribue à édifier et à déterminer, au même titre que
les catégories théoriques de l’objectivité. Lorsqu’il s’agit
donc d’affirmer l’objectivité de la forme valeur peut-on,
en toute légitimité, mettre entre parenthèse cette forme de
réalité sentie, vécue de manière concrète, puis formalisée
par le mythe, la science et la régulation politique ?
Nous pensons que non. De fait, quoique élément
d’une métaphysique déjà complexe, la notion de valeur
mérite d’être posée. Dans cette métaphysique, il y a un
effort de son identification et cet effort-là a permis de
libérer l’esprit scientifique des servitudes biologiques. Le
discours cartésien n’est pas du tout préoccupé par une telle
approche de la valeur.
Remarquable a été la prudence des savants et sages
africains aux prises avec une physique qui tend à mesurer,
à mécaniser et à terme, à défigurer toute réalité portée à
l’analyse. La physique de notre temps est tombée dans ce
piège et peine toujours à s’en affranchir. Le mot valeur ne
doit donc pas être sujet à caution : est valeur, la conformité
de l’ordre social et politique à l’ordre de l’Univers qui a
engendré l’Homme au bout de 13, 7 milliards d’années.

161
Herbert Marcuse encadre le débat :
« Si l’homme a appris à voir ce qui réellement est, il
agira en accord avec la vérité. L’épistémologie est
éthique par elle-même et l’éthique est
épistémologie.149 »

Où se trouve ce qui est, et comment « voir » cette


vérité ? Pour le moment, on n’a pas besoin de calculer ou
de quantifier. Il faut d’abord observer la nature, puis en
déduire des lois au lieu de s’en tenir à la richesse des
développements mathématiques. Avouons que c’est grâce
à la cosmologie que l’ontologie, ce qui réellement est, a pu
permettre la détermination de la valeur cardinale, devenue
éthique (une action en conformité avec la conscience de ce
qui est). Ce glissement entre cosmologie et ontologie, puis
éthique, dépasse largement l’apriorisme métaphysique du
mythe : il égrène la forme du logos que dessine la pensée
du panafricanisme qui est une pensée du conflit.
C- Le fond mythologique
Le mythe d’Osiris est fondateur d’une épistémologie
du désordre, du conflit, de la violence, du chaos ou de
l’injustice. La lutte fratricide engagée entre Horus et Seth
pose le mobile de complexification de l’Etat en un double-
pays qui permet de résoudre au plan théorique le problème
du panafricanisme : diaspora noire et continent à unir.
Le Renard pâle des Dogon du Mali reprend l’enjeu
du désordre dans l’organisation de l’ordre : les couples de
jumeaux divins à dominante mâle et femelle inspirent une
déchirure et l’harmonie qui lui succède. Quant au mythe

149
Herbert Marcuse, op. cit., p. 149.
162
de Jaki la Njambè des Sawa du Cameroun, l’accent est
mis sur un conflit générationnel : le père fait subir à son
fils de cuisantes épreuves qui concourent à une maturation
de ce dernier et, contre toute attente, raffermissent le lien
social et familial. Il n’y a pas de parricide comme on le
voit avec le mythe d’Œdipe ; ni pessimisme, ni fatalité,
attachés aux mythes de Sisyphe et d’Orphée150.
Les mythes dérivés que sont la légende, l’épopée, le
conte ou le proverbe ne sont pas en reste : le conflit y est
présent et il appartient à la société globale de restaurer la
paix menacée l’Homme. Dans tous les cas, le but c’est
l’affermissement des liens de sang, de « race ».
L’idée générale qui se dégage de cette brève analyse
des mythes et de leurs dérivés en Afrique noire est la
reconnaissance du désordre, du conflit ou de l’injustice
comme des paramètres indispensables à la production de
l’ordre, de la paix, de la justice et de l’affermissement des
liens au sein des groupes sociaux. Pour incomplet qu’il
soit, cet aperçu du mythe et ses dérivés subodore, on le
pressent, la possibilité d’un panafricanisme transcendant
les pensées individuelles et consacrant un bel argument en
faveur de la métaphysique du sens.
Souvenons-nous (chapitre III) que, à ne cherchant
pas à définir le Principe des principes et en le nommant
Atoum des Négro-égyptiens ou Maa Ngala des Bambara,
autrement dit, Dieu suprême insondable ou inconnaissable,
le mythe a évité de s’égarer sur la voie cartésienne des

150
Edward Petiska, Mythes et légendes de la Grèce antique, Paris, 11è
éd. Gründ, 1992, pp. 9-10.
163
vérités absolues qui ont dressé les Nations les unes contre
les autres au nom des religions (islam et christianisme).Il
existe pour ainsi dire une aptitude scientifique au mystère
et, par conséquent, à l’opposé des vérités absolues que
proposent les religions dominantes. Ce n’est donc pas en
isolant le mythe et en l’exilant du champ du logos que l’on
identifiera ce qui relève de l’objectivité du panafricanisme.
De plus, à quoi bon une coupure brutale, arbitraire, de ce
que la nature a uni au plan ontologique : mythe et action ?
Le fédéralisme le montre : pas de coupure ontologique.
Cette approche implique que la forme de réalité dont
il est question est d’une nature qui ressemble moins à celle
du phénomène à analyser qu’à l’intuition qui la découvre
et, à ce titre, n’accepte que l’essence de l’Univers comme
seul référent cognitif et normatif. C’est dire que pour se
réaliser, le panafricanisme aura besoin de l’intuition qui
perçoit cette forme de réalité par le biais du mythe, puis
s’ouvre à une rationalité scientifique et philosophique qui
lui impose la notion de valeur.
Il est temps de revenir sur cette question en allant au
fond des choses et en expliquant, aussi bien que possible,
pourquoi nous tenons l’approche africaine de cette valeur
pour correcte surtout que, elle promeut une unité de ce qui
a été séparé par la force des choses : diaspora et continent.
Le panafricanisme tient en première approximation,
uniquement en première approximation, le sens que revêt
le fédéralisme en raison du cordon diaspora-continent noir
perçu comme une réminiscence du double-pays (l’Egypte
et le Mande). L’argument peut être juste, mais il faut être

164
conscient de ses limites151. Souvenons-nous que ce qui a
perdu le Mali, c’est la pénétration insidieuse de l’islam et
son imposition dans la structure du double-pays.
De ce point de vue, il y a quelque chose d’inspirant à
interroger les Chartes de l’Egypte pharaonique (Antiquité)
et du Mande(Moyen âge) aux fins de combler les lacunes
du concept de panafricanisme. Dans ces deux expériences,
la métaphysique et la physique (la cosmologie) demeurent
les alliées d’un fédéralisme ancestral offrant le sentiment
du « mystère » qui a incité les sages à en découvrir le
sens « profond », « caché », « secret »152. Très attachant
dans ses règles de la méthode, Emile Durkheim explique :
« Une pensée qui se retrouve dans toutes les
consciences particulières, un mouvement que
répètent tous les individus ne sont pas pour cela des
faits sociaux. Si l’on s’est contenté de ce caractère
pour les définir, c’est qu’on les a confondus, à tort,
avec ce qu’on pourrait appeler les incarnations
individuelles. Ce qui les constitue, ce sont les
croyances, les tendances, les pratiques du groupe
pris collectivement ; quant aux formes que revêtent
les états collectifs en se réfractant chez les individus,
ce sont choses d’une autre espèce. 153»

151
Les limites nous rappellent que la rude épaisseur du rationalisme
cartésien n’est que le formalisme d’une apparence culturelle et que
derrière une rationalité apparemment cohérente, peut se dissimuler
une forme de réalité sans grand rapport avec la valeur. Le discours
cartésien en est un formalisme, clos en lui-même, fini et fermé et,
quand il veut s’ouvrir à la réalité, il en déforme la valeur.
152
Dans son article « La naissance du monothéisme » in Le Monde des
Religions, n°28, mars-avril 2008, p. 40, Jan Assmann, professeur
d’égyptologie à Heidelberg parle d’un monothéisme cosmologique.
153
Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF,
1937, 1986, 22è édition, p.8.
165
Or, on le voit, le panafricanisme doit reprendre
en projet de telles« croyances, tendances et pratiques du
groupe pris collectivement » et éviter les états collectifs
que sont l’islam et le christianisme, surimposés. Nous
savons à quel point les sages et savants de très grande
élévation spirituelle, ont su allier leur passion pour les
vérités scientifiques avec l’intelligence de l’essentiel. Il est
remarquable de constater que par le seul exercice de la
cosmologie et d’une spiritualité très active, ils ont atteint
les cimes du logos de la création.
I.2 Du mythe au logos
Quoi qu’on en ait médit, le mythe est possible à titre
de logos, de figure de régulation sociale et politique (A).A
présent, nous prolongeons le débat engagé au chapitre III
relatif à l’Être de l’Univers que dévoile la pratique de ce
logos de la connaissance (B).
A-Le mythe en tant que logos
Le sociologue Edgar Morin éclaire notre lanterne :
« Les mythes entretiennent la communauté, l’identité
commune qui est un lien indispensable des sociétés
humaines. Ils font partie d’un ensemble où chaque
processus est capital à la production du tout.154 »

Or la spécificité du mythe et du rite africains, c’est


qu’ils se font avec et contre le désordre en vue de restaurer
la valeur, autrement dit, l’ordre de l’Univers indépassable
par toute forme de rationalité. Aussi la pensée africaine
use-t-elle de stratagèmes les plus divers pour ne jamais
sortir du canevas cosmologique(images 2 et 3).

154
Edgar Morin & Jean-Louis Le Moigne, op. cit., p. 71.
166
Lisons Louis-Vincent thomas et René Luneau :
« En bref, maintenir l’ordre que garantit et justifie
le mythe, supprimer le désordre quand il s’introduit
dans le groupe, provoquer le désordre qui revitalise
la collectivité, lui fournir des soupapes de sûreté
dont elle a besoin, tout cela afin de réintroduire
l’ordre, c’est au fond toujours la même opération et
c’est de ce côté que réside la principale fonction du
rite.155 »

Notre démarche consiste à affranchir la lutte entre


Horus et Seth de l’emprise du mythe pour en faire un objet
de connaissance, d’autant plus que la fonction des mythes,
rites et institutions est d’introduire de l’ordre dans les
relations sociales et politiques menacées par les conflits. Il
est bon d’en savoir davantage sur le récit mythologique
lui-même qui indique bien que le dieu Seth a enfermé son
frère Osiris dans un coffre après avoir découpé son corps
en 14 morceaux dispersés dans les eaux du Nil ! Isis,
épouse d’Osiris, est parvenue à les retrouver à l’exception
du sexe avalé par un poisson. Le fils Horus orphelin naîtra
« miraculeusement »,autrement dit, sans acte de chair, par
le biais de l’immaculée conception. Ne nous attardons pas
sur l’intrigue du mythe en revenant à l’essentiel.
Il y a bien une similitude de rapport et de finalité
entre le mythe africain et la cosmologie moderne.
De fait, nous avons noté au chapitre III que la lutte
entre matière et antimatière aux origines de la création
divine a conduit à leur annihilation mutuelle puis, un
excédent de matière serait intervenu sans que l’on sache

155
Louis-Vincent Thomas et René Luneau, op. cit., p. 208.
167
trop comment, par miracle pourrait-on dire. A l’échelle
humaine, cette approche abrupte de la cosmologie a une
valeur allusive ; elle montre que la lutte entre la matière et
l’antimatière, Horus et Seth, peut être rapportée au plan de
la régulation sociale. Bien plus : la reconnaissance de la
puissance de Seth (cf. image 4) et sa neutralisation sont de
l’ordre du pouvoir de création divine à l’échelle
cosmologique comme à l’échelle humaine.
La loi, Maât, assure la gouvernance de ce pouvoir
sur lequel le pharaon doit veiller en permanence aux fins
d’éviter un retour au chaos. La fonction antichaos des
institutions africaines est inscrite dans le mythe et le rite à
titre de figure de régulation politique, donc de logos156.A
ce plan, le désordre politique est manifeste (Seth), donc de
l’ordre des apparences ; mais il ne donne aucun sens par
lui-même sauf celui de sa manifestation. C’est en présence
d’Horus qu’il acquiert force de vie. Horus et Seth, sont des
idéaux types de la vérité en cosmologie : ils organisent la
société et le pouvoir.
Il en va ainsi du panafricanisme qui, au terme de la
réalité sentie et vécue dans la chair de la diaspora noire,
est devenu manifeste ; ce panafricanisme attend ainsi une
neutralisation du désordre, conforme au modèle politique
du fédéralisme traditionnel. Pour le neutraliser la diaspora
doit intégrer la structure du double-pays africain que le
colon ne peut pas lui donner. En raison de cette ambiguïté

156
La première chose qu’il faut savoir à propos de ce logos, c’est que
ni les philosophes, ni les scientifiques de notre temps ne sont près à
comprendre les questions que soulèvent les mythes cosmologiques.

168
instaurée par la rencontre Nord-Sud, il paraissait bon de ne
pas aborder la question du modèle africain prématurément.
Au stade où nous nous trouvons, nous devons l’affronter
en dévoilant la manière dont le logos organise la pratique
du fédéralisme ancestral.
B- Le logos du fédéralisme
Ce n’est donc pas sans raison que les théories
avancées de la complexité rejoignent le mythe africain
dans la quête de la vérité. Dès lors, le désordre n’a de sens
que par rapport à un ordre. Il n’est guère contestable que la
saisie de la valeur qui se dégage plus haut est fonction du
contexte culturel et historique. On comprend pourquoi le
modèle cartésien a évacué la problématique du désordre.
Puis, il s’est donné à combattre le mythe africain et à lui
nier quelque vérité, en accord avec son réductionnisme,
son exclusion des autres. L’objet de notre théorie politique
étant de dévoiler l’ordre naturel du panafricanisme, c’est
ce qui est « caché » sous le voile du fédéralisme que nous
devons justifier : le logos. Nous voudrions accéder à sa
vérité, comprendre le pourquoi et le comment de son mode
d’être : une figure de régulation entre ordre et désordre.
Rappelons-nous que le fédéralisme africain tire son
inspiration de l’ordre de l’Univers, puis il a été imposé par
le pouvoir politique. Aucune main « invisible » n’est là
pour rétablir l’ordre, comme on le voit dans les traditions
libérales. De fait, la pensée africaine considère que tout
intérêt général ne peut et ne saurait être la résultante des
intérêts individuels. En contournant à ce plan le barbelé
des servitudes biologiques, les sociétés africaines naguère
qualifiées de « primitives »,de « non civilisées », de « sans
169
écriture », de « sans histoire », de « sans Etat », ont intégré
la valeur du mythe et son logos, sa figure de régulation.
Edgar Morin déploie ce logos sur le terrain de la méthode
complexe :
« Il faut articuler les principes d’ordre et de
désordre, de séparation et de jonction, d’autonomie
et de dépendance, qui sont en dialogique
(complémentaires, concurrents et antagonistes) au
sein del’univers.157 »

Depuis la plus lointaine enfance de la cosmologie


scientifique, ils y étaient donc, ces savants, initiés et sages
parvenus à des connaissances dont nous avons à peine tiré
quelque enseignement : l’Univers intelligible et sa mise à
disposition dans la pratique du fédéralisme. L’Univers
s’est manifesté comme un véritable objectif, un référent de
base de la science et d’organisation de la société. Entre les
observations et la rationalité, un idéal est né : la valeur.
1.3 Le référent cognitif du fédéralisme
On retourne au fédéralisme africain ? Oui et non.
Oui - parce que nous devons bien le connaître face à
l’ordre dominant et y justifier nos choix géostratégiques et
géopolitiques. Ce n’est pas parce que l’Afrique est tombée
après coup aux mains des mondes occidental chrétien et
oriental musulman qu’il faille l’y laisser stagner à jamais.
Non - parce que les valeurs traditionnelles les plus
authentiques sont susceptibles de réajustement face aux
Nations hégémoniques que nous devons tenir en respect,
autant que Maât tient Seth en respect pour sauver Horus et

157
Edgar Morin, L’intelligence de la complexité, …, p. 256.
170
toute la création. En somme, il s’agit de bien « connaître »
l’Afrique pour pouvoir la sauver en toute connaissance de
cause face aux crises complexes et multiformes.
Le lecteur doit être averti sans plus tarder : bien que
le modèle africain présente un parcours aboutissant à une
théorie, il n’a pas à présenter l’orthodoxie d’un modèle
cartésien, positiviste. Si le modèle politique africain pose
une question marginale, c’est eu égard aux interrogations
positivistes de notre temps ; or cette question marginale
est fondamentale et même cruciale parce que la réflexion
doit porter sur une théorie politique africaine à l’abandon.
Il apparaît donc judicieux de prendre pour référence
provisoire la morphologie empirique des Etats égyptien et
malien, question d’y repérer le référent cognitif, voire les
principes normatifs de la connaissance apriori. Et pour
cause : on ne fonde pas une modèle authentique sur une
méconnaissance. Compte tenu de ce qui précède, il n’y a
aucun doute que la vérité de l’Univers a été introduite dans
les mythes pour permettre à toute mémoire défaillante de
raviver le « construit » cosmologique en temps opportun.
C’est cela qu’on peut retenir de l’histoire des mythes. En
sociologue averti, Georges Balandier précise :
« Leur ordonnance, considérée comme soumise aux
mêmes lois, s’exprime sous une forme dualiste : elle
manifeste une bipartition de l’univers organisé (le
cosmos) et de la société, et se reporte à des
principes antithétiques et complémentaires, dont
l’opposition et l’association sont créatrices d’un
ordre, d’une totalité vivante.158 »

158
Georges Balandier, Anthropologie politique, PUF, 1967, p. 128.
171
La bipartition de l’Univers entre ainsi en résonance
avec la bipartition de la société, bien entendu, en rapport
avec la structure de l’esprit qui la découvre sous la forme
d’un affrontement antithétique des essences. Le paradigme
du mythe qui organise le paradigme du pouvoir est aussi
celui de la loi inscrite dans le Réel. Anta Diop y entrevoit
une tradition savante ancrée en Egypte :
« Il n’y a pas de doute que la théorie du mouvement
dialectique dû à l’action des contraires (thèse,
antithèse, synthèse) tire son origine de la
cosmogonie hermopolitaine, qui explique tous les
phénomènes de l’univers par l’action des principes
contraires.159 »

Mais alors quel retard pris par l’Occident savant


pour comprendre le monde par le biais de la cosmologie ?
Qu’est-ce qui n’a pas marché dans la pensée cartésienne
pour que la cosmologie africaine prenne cette avance, près
de 10.000 ans au bas mot ?Hubert Reeves, cet icône de
l’astrophysique, nous donne une version des faits :
« Il n’était pas de bon ton pour un physicien de
parler de ‘’cosmologie’’. Avant le XXè siècle, la
‘’vision’’ du monde, la ‘’Weltanschauung’’, était
réservée aux philosophes, aux poètes, aux gens ‘’pas
sérieux’’. Là voilà aujourd’hui qui revient en force,
en physique et en astronomie. 160»

La pensée africaine dévoile ainsi les traces les plus


anciennes d’une cosmologie et d’une philosophie restées
in-séparées dans la conception du monde et de la science.

159
Cheikh Anta Diop, op. cit., p. 445.
160
Hubert Reeves, dialogue avec Edgar Morin in L’intelligence de la
complexité…, p. 195.
172
II-LA MODELISATION SCIENTIFIQUE
La cosmologie de notre temps rencontre désormais
le mythe africain dans la quête de la vérité scientifique. A
ce plan, nous ne pouvons pas encore savoir si nous avons
découvert ou pas le secret de l’Univers, mais nous avons
la certitude que nous la côtoyons de façon asymptotique. Il
nous faut atteindre le Graal.
Plus haut, nous avons compris comment l’intuition
métaphysique a permis de penser le monde sous tous ses
aspects grâce à deux principes symétriques et simples au
départ (Horus et Seth), puis asymétrique à l’arrivée. Les
deux principes se sont imposés comme les soupapes d’une
loi qui les contient en puissance et les transcende : Maât.
Cette trilogie des dieux Horus, Seth et Maât dessine
les contours d’un monothéisme cosmologique au cœur de
l’esprit scientifique africain (II.1). L’occasion est donnée
d’affiner la nature profonde de cette loi(II.2) puis, de
préciser la structure mathématique qui programmes a
fonction antichaos. Celle-ci a été rapportée par les sages à
l’organisation de la société afin que l’éternité sociale fasse
écho à l’éternité cosmique (II.3).Reprenons chaque aspect
retenu pour l’analyse.
II.1 L’esprit scientifique africain
La démarche que nous adoptons permet de faire de
la spiritualité un objet scientifique. De cette façon, il est
possible de savoir comment l’esprit entre en contact avec
le monde, puis consacre une pensée et une mémoire qui
élaborent les conditions psychologiques de la raison, puis
de la rationalité scientifique. En Afrique noire, l’activité
173
métaphysique a coïncidé avec l’activité scientifique. Et, vu
sous cet angle, donnons sa part au Bergson qui sommeille
encore en chaque sage africain :
« Ainsi, science et métaphysique ‘’intuitive ‘’ sont ou
peuvent devenir également précises et certaines.
L’une et l’autre portent sur la réalité même. Mais
chacune n’en retient que la moitié, de sorte qu’on
pourrait voir en elles, à volonté, deux subdivisions
de la science, ou deux départements de la
métaphysique, si elles ne marquaient pas des
directions divergentes de l’activité de la pensée.161 »

Cette disposition de l’esprit scientifique africain est


contraire à la science cartésienne qui a toujours combattu
le mythe et la métaphysique en y amplifiant la dissidence
par une guerre livrée sans merci à la théologie moderne.
La laïcité de l’Etat-nation est née de cette distorsion entre
la science et la métaphysique intuitive.
Reconnaissons que la biologie joue un rôle qui n’est
pas des moindres dans la grande distorsion métaphysique,
mythologique, ontologique, de l’ordre cartésien dominant.
On voit que la biologie humaine est inextricablement liée
à la capacité qu’a l’infrastructure humaine (paradigme) de
procéder à un affinement de l’esprit scientifique.
De fait, nous n’avons aucune raison d’ignorer les
ressorts spirituels et cognitifs de ce modèle scientifique
africain pour épouser aveuglément une modèle cartésien
contre nature et culture du continent noir. Qui plus est, ces

161
Henri Bergson, La Pensée et le mouvant, in Œuvres, éd. Du
Centenaire, Paris, P.U.F., 1970, p. 1286, cité par Ilya Prigogine et
Isabelle Stengers, La nouvelle alliance. Métamorphose de la science,
Gallimard, 1986, p. 153.
174
ressorts-là ont montré leur cohérence et leur pertinence
face aux sujets qui ensanglantent l’humanité ou plongent
la planète Terre dans une impasse existentielle. Faire une
science avec conscience de l’ordre de l’Univers c’est, de
la sorte, procéder à une description relativement complète
d’innombrables phénomènes régulièrement observés dans
le temps. De ce point de vue, les sages africains, plus que
tous les savants, a eu le temps d’en manifester l’intérêt et
de totaliser un nombre important d’expériences concrètes
et vécues, du seul fait de la primogéniture terrestre des
Noirs. Nous avons intérêt à en tirer quelque enseignement.
Souvenons-nous, à cet égard, que la métaphysique
des dieux, Horus, Seth et Maât (la spirale sur le pschent du
pharaon) a organisé la partition du double-pays en terroirs
organisés selon une harmonie duale, mais déjà complexe
ce, à toutes les échelles d’organisation lignagère, clanique,
tribale, nationale et même multinationale162. Les modalités
d’occupation163 de l’espace ont été précises, symboliques,
puis marquées par des phases de transition ayant permis
d’évacuer, à défaut de conjurer les crises. Dans les grands
empires africains, la sensibilité de la mémoire culturelle au
double-pays était liée à la grande habileté à procéder à son

162
Nous avons montré au chapitre III une répartition sur le sol des
groupes sociaux et la configuration duale qui affecte leurs structures
locales en y organisant les relations sociales. Vraisemblablement,
toute relation et toute contrainte sociale pouvaient se visualiser
comme une liaison géométrique dans un territoire donné et organisé
des lignages, clans, tribus, nations en opposition dialectique à chaque
niveau d’organisation. La mise sur pied d’une Charte constitutionnelle
réglant ces relations a été une de ces contraintes.
163
Les lieux sacrés, tombes, arbres mythiques, rivières, lacs, buissons
et montagnes permettent de localiser les frontières entre terroirs.
175
maintien grâce à un ordre initiatique puissant, car greffé à
l’option de sa conformité à l’ordre de l’Univers. Plus le
fédéralisme du double-pays a été capable de codifier son
expérience du monde vécue, de manière rationnelle, plus il
a été capable de lutter contre les dangers qui menaçaient
son intégrité axiologique.
Bien plus : une telle habileté avait atteint des degrés
très élevés grâce à l’unité de la science. Celle-ci simulait
l’expérience passée en prévision de nouvelles situations
imposées de l’extérieur, entre autres, l’esprit mercantiliste,
l’islam, le christianisme, la déportation et l’ordre colonial.
Pour le faire correctement, il a fallu que le modèle de la
spiritualité et celui de la science soient équilibrés, aux fins
de conjurer les risques d’anomie. Aussi est-il important
d’entrevoir la nature de cette loi qui permettait aux sages
de maîtriser l’ordre de l’Univers et, par ricochet, de bien
réguler l’ordre social menacé par la faillibilité humaine.
II.2 La nature de la loi
La recherche d’une symétrie unique et universelle
(de l’Univers) a toute une histoire derrière elle. L’image 2
montre que la taille des deux dieux primordiaux, Horus et
Seth, a procédé d’une symétrie « unique » qui a prévu un
résultat « asymétrique » à l’arrivée (image 3).
Les savants et sages africains ont été persuadés que
cette asymétrie fonctionnelle de la dynamique instable de
la matière est assimilable à un algorithme(A). Ce faisant,
ils ont réussi un formalisme géométrique-algébrique qui a
permis d’instituer le fédéralisme du double-pays, lequel
fédéralisme a repris en projet l’ordre de l’Univers(B).

176
A-La métamathématique de la loi
Notons bien que l’élaboration d’une loi de l’Univers
a correspondu à des hypothèses de travail validées à partir
des observations, expériences et faits établis sur la durée,
des siècles, voire des millénaires. La science africaine a eu
pour tâche d’organiser une tâche concrète, sociologique et
politique, en créant les réseaux d’une culture universelle
(de l’Univers) à travers la religion, l’économie, l’art, le
droit, l’architecture, la médecine, l’astronomie, etc. A ce
propos, le savant Obenga signale l’existence d’un dialogue
entre un vieux prêtre égyptien et Solon, savant grec venu
s’instruire des mœurs démocratiques négro-égyptiennes
aux environs du VIIè siècle av. J.-C.:
« Quant à la vie intellectuelle, tu vois sans doute
quelle attention la loi, chez nous (Egyptiens), y
apporte : à partir des premiers principes qui
touchent l’Univers, elle a réglé toutes les
découvertes jusqu’à la divination et la médecine, qui
a en vue la santé ; des spéculations divines elle a
tiré des applications humaines, veillé à l’acquisition
de toutes les autres connaissances qui s’en suivent
de celles-là.164 »

A cette époque-là, on voit que la conscience d’une


loi dont dépendraient les connaissances scientifiques et
religieuses est réelle. La vérité est qu’il faut remonter à un
millénaire plus tôt pour évaluer les éléments probants de
cette réalité. D’abord le titre du livre de mathématique
recopié par le scribe Ahmès et daté d’environ 1650 ans
avant notre ère. Ce titre est évocateur : « Méthode correcte
d’investigation dans la nature pour connaître tout ce qui
164
Théophile Obenga, op. cit., p. 101.
177
existe, chaque mystère, tous les secrets.165 » Il montre
clairement que le monde a été l’objet d’un certain nombre
de formalismes mathématiques prolongés à une véritable
théorie de la connaissance. Nous sommes d’autant plus
convaincus par cette intuition métaphysique que John D.
Barrow, astronome et mathématicien à l’université du
Sussex (Grande Bretagne) écrit avec autorité sur le sujet:
« La façon la plus simple de voir les mathématiques
est de soutenir que le monde est, au sens profond,
mathématique..166 »

Cette même approche mathématique du monde a été


une préoccupation des astronomes négro-égyptiens surtout
que, comme John D. Barrow, ils se sont intéressés aux
« premiers principes qui touchent l’Univers ». L’intuition
métaphysique s’est étendue à un mode d’exploration de la
nature qui a fini par orienter la vérité. En se plaçant ainsi
aux origines de l’Univers, une unité du Réel est apparue et
manifestée dans l’organisation des mythes cosmologiques.
L’on assiste à la naissance progressive de tous les
ordres :physique, chimique, biologique et humain167. Puis
l’esprit a entrevu comment les processus ont pu se mettre
en route et se maintenir selon un équilibre
cosmique désigné Maât. Ensuite, le léger avantage en
taille du dieu Horus sur le dieu Seth (image 3). Cette
asymétrie de la taille se pose comme le déclencheur du
mouvement spiralé de la rainure qui surmonte le pschent
du pharaon (images 9, 10). Nous pensons que les sages

165
Idem, p. 357.
166
John D. Barrow, Pourquoi le monde est-il mathématique ? Paris,
Odile Jacob, 1996, p.76.
167
Lire Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie …, pp. 387-457.
178
Négro-égyptiens nous invitent ainsi à prolonger, par la
pensée, la dynamique géométrique que prend l’échange
subtile des énergies entre Horus et Seth au cours du rite
d’union des deux terres : Haute et Basse Egypte. Ce
prolongement par la pensée intègre le caractère infini et
complexe de notre information sur le monde et sur
l’activité réelle des milliards de neurones qui la perçoivent
par les stimuli sensoriels, puis organisent la pensée.
Cette information est inaccessible au calcul et à la
physique car ce qui est en jeu dans cette dynamique, c’est
la relation entre le microscopique (l’énergie subtile qu’on
ne voit pas) et le macroscopique, autrement dit, la forme
visible surgie sous la forme d’une spirale par le biais d’un
prolongement de la réalité invisible dans le visible.
De fait, l’énergie spirituelle qui circule sous la forme
d’une information dans le corps social engage, en termes
techniques, une rupture de symétrie (concept physique) ou
une catastrophe (concept mathématique), au passage à la
limite entre le lignage et le clan, le clan et la tribu, la tribu
et l’Etat, le continent et la diaspora, par translation du flot
des énergies invisibles engagées dans les conflits sociaux.
Le surgissement de la spirale procède du mystère de
la création assurant le passage de la magie à la géométrie,
de la forme invisible à la forme visible. On voit donc par
quelle gymnastique la pensée (métaphysique) a matérialisé
la transformation des forces invisibles, immatérielles, dans
la continuité de la transformation des unités politiques, du
lignage au clan, du clan à la tribu, de la tribu à la nation,
de la nation à la multinationalité, de la multinationalité au
double-pays. Il y a là un sens mathématique à décoder,
179
surtout que les sages ont préféré pour comprendre de telles
transformations par la géométrie, plus que la physique des
particules invisibles, informalisable en science. Les causes
et effets de ce surgissement de la spirale par la pensée ont
trouvé, en mathématique, des explications qualitatives.
C’est le sens à donner aux travaux de Thom, le père
de la théorie des catastrophes. A l’instar des sages négro-
égyptiens de l’Antiquité, il a tenté une percée robuste et
audacieuse en direction d’une « théorie herméneutique qui
s’efforce, face à n’importe quelle donnée expérimentale,
de construire l’objet mathématique le plus simple qui
puisse l’engendrer.168 » C’est cette théorie de Thom qui a
inspiré la modélisation théorique de la loi sous-jacente à
l’esprit du double-pays fédéral.
B-La forme et la dynamique de la loi
L’ordre politique du double-pays reprend en projet
la loi, Maât (le troisième principe de la thermodynamique
autrement dit, la complexité, l’organisation, l’ordre et la
néguentropie). Cette loi prend acte du premier principe de
la thermodynamique, cet ordonné qui conserve l’énergie,
(Horus) et du deuxième principe de la thermodynamique
assurant la manifestation de l’entropie (Seth), la tendance
qu’a la nature et l’homme à détruire l’ordonné, à précipiter
le désordre social, une menace fondamentale récurrente.
Qu’on se souvienne alors que la loi est la même à
toutes les échelles, de l’invisible au visible : la réalité des

168
R. Thom, Paraboles et catastrophes, Paris, Champs/Flammarion,
1992, pp. 67-68.
180
objets à la portée de la science finit par se dissoudre dans
la géométrie de la spirale (image 14).
Nous l’avons déjà dit plus haut :Atoum des savants
négro-égyptiens et Maa Ngala des savants bambaras sont
hors de portée du calcul. L’intuition rationnelle, en accord
avec les données de la cosmologie, a mis un certain point
d’honneur à dire une origine du monde et son évolution,
toutes consignées dans les mythes :
« Tous les mythes africains de l’origine de l’homme
partent soit d’un œuf, d’une spirale ou d’un néant
qui subit des vibrations dues à des énergies
cosmiques, lesquelles transforment cet œuf ou cette
spirale en mouvements d’abord fermés, puis se
déroulant jusqu’à s’ouvrir en laissant tomber un
couple androgyne : homme-femme, lesquels
fécondés par l’apport de ces énergies nouvelles
donnent naissance à un rejeton.169 »

L’auteur de ce texte ajoute en substance : « Ongba


son-kum i i nunda kii mbog i loo 170» qui signifie dans la
langue bassa du littoral camerounais: une « représentation
de l’abîme sans fond à l’origine de l’Univers. »Tous les
termes sont sans équivoque : la conscience des origines de
l’Univers est claire et avérée. Question : la représentation
est-elle empirique ou proprement théorique ?
Interprétons cet abîme sans fond171comme une sorte
de gouffre inaugural, impénétrable, insondable. On dirait,
169
Eugène Wonyu Ndôŋ- Lolog, Œuvres choisies, Iroko éditions,
Yaoundé, 2007, p. 22. Collection logos.
170
Idem.
171
Dans son dictionnaire en langue bassa, Pierre Emmanuel Njock,
Nkobol nu Hop bassa, Kaya/Makak, Yaoundé, 2007, p. 565, écrit en
effet : « sonkum : soso njoôŋ bέέ » ou abîme sans fond.
181
dans le langage de la physique moderne, un trou noir à
partir duquel toutes les formes naturelles ont émergé. Dans
ce sens, le concept de son-kum indique que nous vivons
dans un trou noir. Ce saut dans un vide conceptuel est
curieux surtout que personne, aucun chercheur, ne peut
observer un « trou noir ». On est tenté d’en conclure que
la coïncidence avec la physique moderne n’en est pas une.
L’hypothèse probante est que le mythe résulte des
hypothèses et calculs mathématiques dès lorsqu’il s’agit,
hier comme aujourd’hui, d’un objet « théorique » que se
représentent les physiciens à partir des équations robustes
de la relativité générale d’Einstein, en rapport avec le Big
Bang de la théorie quantique !
Curieux tout de même, ces aspects majeurs de la
théorie quantique rassemblés dans le concept égyptien de
sytpy, sep tepy, la Première fois, la Création172, ou encore
la première fluctuation !Il n’est pas évident de penser
que l’Univers a une origine quantique. Cette analogie ne
saurait relever de la pure coïncidence, surtout que d’autres
mythes africains nous éclairent sur cette réalité quantique.
Chez les Dogon du Mali, on note « une origine de la
spirale de la création 173». La même spirale est présente
chez les Bambara du Mali : « dans le vide universel se
produit un mouvement, un tournoiement (yereyere-li)174.
C’est donc un vide vivant puisqu’on note un mouvement,

172
Théophile Obenga, op. cit., p. 58.
173
Idem, p. 298.
174
Lilyan Kesteloot, Introduction aux religions d’Afrique, Paris,
alfAbarre, 2009, p.35. Collection Africa is beautiful.
182
en accord avec les données de ce concept de la physique
quantique de notre temps175.
Les Ashanti du Ghana partagent le même modèle
symbolique de la spirale. Webster-Plass signale bien qu’on
« rencontre souvent la spirale, symbole de la naissance et
de la création, sur les ailes d’un oiseau ou sur la tête d’un
animal.176 »Force est de reconnaître le vitalisme de ces
vieilles écoles aux versions nuancées d’une seule et même
réalité : les forces physiques balisées par une forme, une
spirale de la morphogénèse.
Une représentation du sous-système quantique a été
possible à partir de certains travaux. Pour Frédéric Chevy
le tourbillon(la spirale) sont le produit de deux forces en
compétition au sein des particules et atomes : « la poussée
d’Archimède qui tend à ramener le tourbillon vers le
centre du piège et la force de Magnus qui repousse le
tourbillon tournant dans le même sens177. »

Image 13 : La dynamique de la loi dans l’infiniment petit.


On retrouve ainsi la symbolique de la lutte entre Horus et
Seth et sa transformation en une dynamique spiralée que
l’on retrouve sur le pschent du pharaon.

175
Le Vide est plein d’énergie in Science et vie, n° 1029, juin 2003.
176
Margaret Webster-Plass, « Poids à or des Ashanti » in L’art nègre,
Abidjan, Club Africain de livre, 1972, p. 140.
177
Lire l’article de Frédéric Chevy, « Le monde quantique. La preuve
par les atomes froids » in Les Dossiers de la Recherche, n° 29,
trimestriel de novembre 2007, p. 77.
183
Si personne n’a vu l’Univers en totalité, il est clair
que même la cosmologie n’est scientifique que jusqu’à un
certain point. Au-delà de ce point, c’est le non-observé qui
trône, voire l’inobservable. Là, la métaphysique reprend
ses droits et prolonge en pensée la science du visible.
Dans l’infiniment grand, la galaxie spirale apparaît
comme un sous-système-univers plus ou moins autonome
et ouvert à un univers plus complexe, celui de la matière
noire mystérieusement infinie, évanescente (image 14).

Image 14 : La dynamique de la loi. La galaxie spirale


constituée de milliards d’étoiles. Le Trou noir (au centre)
correspond à près de deux millions de masses solaires. Tout
autour, on retrouve la matière noire organisant la cohérence
du sous-système galaxie. Maât, l’équilibre cosmique, la loi,
la spirale est, en soi, un concept géométrique opératif et
universel. Par la spirale que dessine la galaxie, Maât établit
un lien spirituel (de l’esprit !) entre l’Homme et le Cosmos.

184
De la sorte, la galaxie spirale joue le rôle de modèle
intermédiaire d’analyse, de solution d’attente d’une vérité
plus objective, voire ultime, s’il en est. C’est donc en tant
que double simplifié d’une réalité infiniment complexe que
nous intégrons ce sous-système à l’analyse en supposant
qu’il ne sera jamais observable en totalité. La question se
pose donc : comment cette spirale réussit-elle à engloutir
dans sa seule singularité, des milliards d’étoiles comme le
Soleil en les privant à la fois d’étendue et d’épaisseur par
une distorsion géométrique minime de leurs apparences ?
Bien plus : comment une forme, si simple à première
vue (Maât), réussit-elle à superposer, puis à harmoniser en
un seul jet d’ensemble autant de globalités structurelles, à
la fois multiformes et complexes (les massifs montagneux,
océans, continents, planètes et systèmes stellaires) en un
tout spiralé ? Pourquoi cette forme-là, mais rien que celle-
là, pour les absorber en niant leurs intégrités formelles ?
Probablement parce que seules trois dimensions sont
accessibles à nos sens, les autres étant « repliées » ou alors
« dilatées » à des échelles qui empêchent de les observer
au même moment, ou en raison d’un algorithme cérébral
incapable de capter la suite infinie des informations.
La spirale immerge trois infinis178 : l’infiniment petit
des particules et atomes (image 13), l’infiniment grand des
planètes et galaxies (image 14) et l’infiniment complexe
178
Il s’agirait, aux différentes échelles, de catastrophes locales qui
disparaîtraient dans un monde infiniment plus grand. De telles
catastrophes doivent intégrées dans une boîte d’observation de
dimension supérieure. C’est celle-ci qui agrègerait les paramètres
« observables » en y masquant les structures « catastrophiques ».

185
d’une pensée qui découvre la réalité métamathématique du
monde (image 19). Dans ces trois infinis, la spirale réussit
à émerger, éternellement et indéfiniment, par fluctuations
quantiques des contraires en lutte à toutes les échelles de
la matière organisée. C’est la symbolique de la lutte que
les sages négro-égyptiens ont formalisé par deux concepts
génésiaques : Horus, l’ordonné, et Seth le désordonné, son
contraire conceptuel (images 2, 3).
Ces concepts représentent les apparences du monde
physique : la particule et l’antiparticule (image 13) dans
le monde quantique des vibrations, puis l’expansion et la
gravitation (image 14) dans l’infiniment grand des forces
cosmologiques hors de portée du calcul et de la science, la
connaissance et la non connaissance (l’esprit, la pensée).
Les sages ont pensé que la loi de l’Univers étant la
même à toutes les échelles d’organisation de la matière, y
compris la pensée qui en est issue, les concepts Horus,
Seth et Maât peuvent être assimilables au plan dynamique
(métabolique), à celles qui régissent la vie de l’homme et
l’évolution des sociétés. Dans ce sens, la spirale de Maât a
un rôle de construction du discours unitaire de la Nature
qui dépasse le seul calcul de la physique.
La fonction à allure mathématique de la spirale peut
donc être représentative de la cause intime de la matière
primordiale au plan des essences, fondements et principes
constitutifs de la loi. C’est ce qui fait dire au scribe que la
résolution du secret ou du mystère de la création divine
passe par une opération mathématique (et non physique !),
en termes d’une méthode correcte d’investigation dans la
nature pour connaître tout ce qui existe, chaque mystère,
186
tous les secrets179.Cette loi serait une solution d’attente de
la réalité ultime s’il en est. Forts de leurs expériences de
pensée, les sages l’ont considérée comme définitivement
provisoire. Telle serait la clé explicative du monde.
La conviction des sages était qu’il existe bel et bien
une structure de l’Univers réductible à une théorie unique,
une symétrie unique, une fonction quadratique susceptible
d’être itérée180 dans les dimensions 3 ou 4. Maât est cette
loi manifestée comme une théorie unique, autrement dit, la
codification la plus succincte de l’information sur la forme
générale, géométrique (topologie) de l’Univers.
II.3 La fonction antichaos de la loi
En reproduisant la fonction mathématique de la loi et
en dévoilant la géométrie qui la produit, la pensée a touché
du doigt le secret de la forme qui l’a rendue vivante par le
biais d’images à charge symbolique (A), toutes rapportées
pour la circonstance à la régulation des sociétés(B).
A-L’imagescientifique de la morphogénèse
Au plan de la physique, le conflit entre Horus et Seth
engage le grand flot d’écoulement de l’énergie universelle
(mẖtwrt en égyptien ancien), autrement dit, Maât. Au plan
mathématique, ce flot est un objet géométrique.
En cherchant à comprendre le monde et la manière
dont celui-ci s’est divinement organisé, les sages avaient
déterminé la place et le rôle que les hommes y occupent,

179
Théophile Obenga, op. cit., p. 357.
180
Nous pensons qu’une telle itération pourrait aboutir à une topologie
cosmique, du type de la symétrie dodécaédrique de Poincaré dont la
forme géométrique est une sphère.
187
bien entendu, après les dieux (mythes). Les différentes
postures de la déesse de la Vérité-Justice (images 15 et 16)
témoignent de la puissance de la forme « spirale »et de la
mathématique acquise à des fins spirituelles et religieuses.
On retrouve là le fruit d’une imagination métaphysique
particulièrement sensible au mouvement de l’énergie et de
la matière particulaire. Ce n’est pas sans raison que même
la théorie du Nombre (0 à 9) est liée à de fascinants rituels
magiques et religieux (images 2, 3 et 12).
En plus d’une représentation mathématique, Maât a
été une représentation iconologique qui rend compte de la
fonction d’unification du Réel. La représentation de Maât
a donc été le fruit d’une élaboration théorique. Au vrai,
cette représentation prend acte de la réalité particulaire du
Noun considéré comme un vide vivant des tourbillons
origines quantiques d’où émergent Atoum le dieu suprême,
inconnaissable et insondable, puis Râ le dieu Soleil, son
hypostase lumineuse.
C’est dire que les libertés prises par les savants avec
l’esthétique divine de Maât ne sont pas absence de rigueur
scientifique. Ces libertés ont sollicité la sensibilité pour la
mise en scène du Réel. En conférant à cette déesse noire
un surcroît de pouvoir, les qualités esthétiques de Maât ont
facilité sa saisie par des esprits qui n’ont pas eu une haute
préparation scientifique (images 15 et 16). On voit donc
que les sages étaient experts en mathématiques appliquées
à la religion. Explorées à fond, les images de Maât disent
de la façon la plus inattendue une unité physique du Réel
et une unité de la science en résonance avec la loi et le
cadre théologique élaboré. Maât cumule ainsi le caractère

188
sacré d’une déesse noire et la réalité métamathématique de
l’Universs physique des quantas et des masses. Horus et
Seth sont ses principes alliés dans une symétrie unique. Du
coup, les atomes et molécules de de la théorie physique sont
secondaires dans la saisie
sai d’une Vérité mathématique de la
Nature. C’est ici qu’on appréhende au mieux tout le génie
de la pensée : faire de Maât, la loi qui transcende le Tout
Tout.
Maâty incarne la théorie mathématique du Tout !

Image 15 : Le cycle S de Thom, représenté par la courbe


mathématique de la morphogénèse (section 7.5, fig.7.1, page
140, cf. Stabilité structurelle et morphogénèse)
morphogénèse) mime la forme
des positions de Maât. Notons que sur ces deux images, la
posture repliée du genou dessine un « S » retourné au plan
vertical. Laa perspective cavalière montre au niveau du
genou une courbe qui relève l’inclinaison de la cuisse vers le
haut pour s’affaisser brutalement, en éventail, sur la plante
du pied. La déesse porte sur sa tête une plume d’autruche he (à
gauche) qui symbolise l’équilibre cosmique. Elle porte aussi
des cornes entourant le disque solaire d’Aton (à droite),
question de simuler le mythee de la vache laitière associée à
la couleur blanchâtre de la Voie lactée (du lait !). On voit
bien que les sages ont observé l’espace, puis ont établi des
analogies facilement assimilables par le sens commun peu
rompus aux sciences pointues.

189
La science a donc proposé une signification générale
de ses résultats : mimer la loi de l’Univers. En situant de
tels résultats dans
dan la perspective culturelle pertinente pour
le mythe et le rite, l’activité métaphysique a répondu à
l’activitéé scientifique : comprendre la nature et imaginer la
manière dont les sociétés peuvent s’y insérer de manière
harmonieuse
monieuse.. La cosmologie a correspondu à cette attente
attente.

Image 16 : A gauche, la catastrophe débouche sur une


spirale ailée.. A droite, le cycle « S » de la fonction d’hystérie
de René Thom, matérialisée par la main gauche rattrapée
par une main droite ailée.
Maât formalise une épistémologie du conflit : Horus
confronté à Seth, sur fond de géométrie spiralée.. Il s’en
2
suit un écoulement de l’énergie (E=m.c
( au sens d’Albert
Einstein) qui mobilise la vitesse de la lumière, « c » et la
masse « m » des corps qui viennent à l’existence. Nous
devons à Maât l’existence de toutes les formes naturelles
observées et nées de sa fonction universelle antichaos.
L’introduction des mathématiques en cosmologie ne
pouvait que renforcer le discours sur l’unité du Réel par le
biais de la morphogénèse.
morphogénèse Pour les sages, celle-ci ci repose
sur un logos,
logos une structure géométrico-algébrique au sens
de Thom ici désignée Maât,, laquelle assure la stabilité du
190
système Univers en s’opposant depuis les origines du
monde à Seth, à l’entropie, au chaos.
B-La structure géométrico-algébrique antichaos
La fonction mathématique antichaos de la spirale,
Maât, a pour équation algébrique : X² –X - 1 = 0. D’après
Euclide, « Une droite est dite coupée en extrême et en
moyenne raison quand, comme elle est toute entière
relativement au plus grand segment, ainsi est le plus
grand relativement au plus petit. »

Image 17 : Une analyse de Maât en topologie algébrique. La


spirale enveloppe une croix ansée, Ankh, apparaissant au
croisement de la droite Horus (7-9) plus longue que celle de
Seth (6-8).La spirale couvre l’espace, le temps, le Nombre.
On a x (en abscisse) et y (en ordonnée) sur l’image
17 ci-dessus. De l’équation x/y = y/x-y, on obtient x(x-y)
= y². De la sorte, x² – x .y = y². En multipliant l’équation
par 1/y², on obtient (x²/y²) – (x .y/y²)- 1= 0. En posant X =
x/y, on obtient X² – X - 1 = 0.Le discriminant de cette

191
équation est donné par ∆ = b2 – 4ac, une solution positive,
réelle qui est le Nombre d’or, la section dorée, équivalent
à un nombre irrationnel, exactement (1+√5)/2, de manière
approximative 1,61803399.Les propriétés algébriques de
ce nombre d’or le lient à la série de Fibonacci (image 19).
La géométrie de l’Univers est quasiment euclidienne
comme l’ont montré les savants négro-égyptiens repris par
Euclide. De fait, la courbure de l’espace est considérée
comme faible et plus ou moins homogène et isotrope, a
priori. Le Nombre y sature l’espace-temps selon une ligne
courbée qui représente aussi le chemin que prend la forme
de pensée spirituelle, artistique, politique, étatique.
Cette forme « spirale » qui a hanté les grands esprits
de la science sacrée, est aussi apparue comme la forme
« valeur », seule fonction d’unification du Réel, y compris
la pensée formalisée (axiomatique) est rendue consciente
de son algorithmique, une fonction logarithme contenant
la spirale et le Nombre d’or ci-dessus (image 18). Dans un
article intitulé « La cosmologie africaine des origines à
nos jours », Jean Paul Mbelek entrevoit dans les mythes
négro-égyptiens une logique axiomatique du Kheper au
cœur de toutes les transformations de la matière dans le
temps et dans l’espace:
« Une logique mathématique est sous-jacente à la
cosmogonie égyptienne, plus précisément la
cosmogonie de l’école d’Héliopolis. Notre étude
révèle que cette cosmogonie repose sur une logique
mathématique de structure analogue à celle mise en
œuvre dans l’axiomatisation des entiers naturels par

192
Peano (le kheper correspond à l’application de la
succession de Peano).181»

Image 18 : Masque initiatique Toma (Libéria) exécuté dans


le canon du Nombre d’or(cf. Travaux de Din Edouard et
Nkoth Bisseck in Papyrusn° 4, 1991 p. 8). Une catastrophe
apparaît avec émergence d’une spirale intérieure, à l’instar
de la spirale ailée de Maât (images 16 et 17).
Les sages étaient persuadés que les sciences de la
Nature et les sciences de l’esprit ont en commun le logos
de l’ordre universel. De ce point de vue, les progrès de
l’informatique quantique ont apporté la grande preuve que
le cerveau humain peut être entrevu comme un ordinateur
biologique qui encode les informations, soit par 0, soit par
1 (c’est le bit exclusif fonctionnant comme un interrupteur
en indiquant soit« allumé », soit« éteint ») ; soit encore par
0 et 1 à la fois (c’est le qubit inclusif de l’information).

181
Contribution de l’auteur à la journée scientifique organisée sous
l’égide des associations Khepera et Shabaka Institute, le samedi 04
octobre 2003 à Paris.
193
Dans ce dernier cas, l’ordinateur quantique calcule
plus rapidement et résout les problèmes hors de portée du
simple bit. Les experts en concluent que le qubit est plus
performant parce qu'il couvre le« 0 » et le« 1 » qui permet
de traiter une masse importante d'informations182.On peut
pousser la réflexion en assimilant le paradigme africain au
qubit : c'est ça, c'est aussi l'autre, et même les deux à la
fois (le tiers inclus sociologique).
Nous en déduisons, par analogie du fonctionnement
du cerveau humain, que le paradigme africain (qubit) est
plus riche en information que le paradigme cartésien (bit).
Le concept de Maât intervient dans nos analyses comme
une opération mentale du cerveau, donc un algorithme
(le tiers inclus), une sémantique (discours sur le Réel et
une signification), une relation (conjonction de tout ce qui
est), une méthode (science, philosophie, éthique), une
sémiologie (objet théorique de type trou noir), une suite
mathématique (la série de Fibonacci, 1, 2, 3, 5, 8, 13, ...)
liée aux propriétés algébriques et géométriques, statiques
et métaboliques du Nombre d’orque nous reprenons ici en
pointillés (spirale intérieure au cercle).

182
Lire l’article de Julia Kempe, Sophie Laplante et Frédéric Magniez,
« Comment calculer quantique » in Les dossiers de la Recherche. Le
monde quantique. Les nouvelles frontières de la physique, n° 29,
trimestriel novembre 2007, pp. 51-58.
194
Image 19 : Simulation de la suite de Fibonacci (1175-1240)
sur le logiciel R, réalisée en 9 points, 1000 points, 100.000
points par Nswadi Ki-Mbazi par programmation, non
linéaire. La spirale, Maât, débouche sur une géométrie
circulaire qui fait intervenir une boucle de rétroaction.
Dans ce sens, la géométrie de la spirale entrante et la
spirale sortante que dessine aussi la galaxie (image 14)
tient lieu de plateforme visible d’une énergie lumineuse
émergeant de la matière noire. Cette dernière constituerait
le substrat de la matière ordinaire que nous observons.
On peut pousser cette réflexion :à bien y réfléchir,
les sages avaient des télescopes ou des types d’appareils
suffisamment performants pour entrevoir la forme. Pour
représenter Maât puis en déduire un tel logos de la forme
transformée en une axiomatique ou une pensée formelle,
les sages ont dû procéder à des observations poussées des
galaxies. Ils y ont réussi une théorie de la morphogénèse.
Maât est le fondement, dans la durée, d’une infinité
de formes qui ont été avalées par le passage à la limite de
la forme spirale grâce aux brisures de symétries (concept
de la physique) encore désignées catastrophes (concept de
la topologie algébrique en mathématique) : gaz, particules,
atomes, minéraux, molécules, végétaux, animaux, puis les
hommes (image 1) en sont le résultat obtenu au bout de
quatorze milliards d’années. La théorie des systèmes a
prescrit au niveau des sociétés traditionnelles, les lignages,
clans, tribus, nations, multinations, double-pays, apparus
par complexifications successives de la famille affinitaire.
Réjouissons-nous sans réserve de voir que la pensée
africaine a correspondu à la réalité ontologique de notre
195
Univers, comme si l’esprit rationnel et la loi étaient co-
originaires et solidaires d’une tâche commune, inclusive,
universelle et unique : conjurer le chaos. Une éthique de
vie communautaire, multinationale et multiculturelle est
née de cette fonction antichaos universelle.
III-LA MODELISATION ORGANISATIONNELLE
Avec l’irruption de l’islam, du christianisme, puis de
l’ordre esclavagiste du modèle dominant, la confrontation
Horus/Seth a perdu son sens conventionnel, mythique. Les
faits montrent des catastrophes généralisées aux plans de
l’identité sémantique et spatiale183 de ce mythe.
A tous égards, le tiers inclus qui servait de fonction
antichaos s’est altéré en entraînant des distorsions du sens,
de la valeur et de la finalité du double-pays traditionnel
(III.1). La conjuration du désordre ou sa neutralisation (le
sens) permettait de mimer l’ordre de l’Univers (la valeur),
afin qu’à l’éternité cosmique coïncide une éternité sociale
(la finalité). Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Le modèle
de l’Etat-nation a fait table rase de ce qui faisait la force et
la « vérité » du double-pays. Il est question de restaurer le
fond organisationnel de ce double-pays tel que pratiqué en
Haute Egypte et Basse Egypte dans l’Antiquité, puis au
Ghana-Mali aux premières lueurs du Moyen âge. Dans ce
sens, l’idéal panafricaniste correspond à une conjonction
entre la diaspora et continent noir (III.2). Ce serait là une
des voies objectives pour assurer l’avenir du Monde noir
et partant, celui de l’humanité. A tout considérer, on peut
entrevoir dans la fonction antichars du double-pays rituel,

183
René Thom, op. cit., p. 294.
196
le motif permettant de sceller une nouvelle alliance avec
nos origines dans le Cosmos étoilé.
III.1 La distorsions du sens
L’adversité extérieure (islam, christianisme, capital,
déportation, esclavage, colonisation, modèle politique de
l’Etat-nation) qui a traversé le continent noir a introduit de
nouvelles « niches » opposées au substrat du double-pays.
Il s’y est développé des langages porteurs de morphologies
secondaires. De nouveaux mythes ont émergé avec leurs
cortèges de dissonances cognitives suivies de catastrophes
généralisées : sémantiques d’un côté, spatiales de l’autre.
Les sémantiques ont engagé de nouvelles langues,
de nouveaux concepts et de nouvelles significations ; entre
temps, les spatiales ont créé de nouveaux pôles d’intérêts.
Entre sema taouy de l’ancienne Egypte, le serment des rois
du Ghana-Mali, la Charte de Kurukan Fuga du Mandé, le
panafricanisme des premiers leaders noirs, l’Organisation
de l’Unité Africaine, puis l’Union Africaine, on observe
des écarts conceptuels. Il ne porte plus cette « pensée
dichotomique mais pourtant résolument unifiante
(symboles, dialectique de complémentarité) et désireuse
de ne rien perdre de la richesse du tout, qu’il soit matériel
ou spirituel.184 ». Chose a priori étrange, le noyau a perdu
son amande rationnelle et poétique:
« L’homme, soumis au désordre de par sa condition
humaine, s’engage nécessairement dans un
mouvement cosmique qui doit l’amener à dépasser
cette condition pour retrouver l’harmonie, c’est-à-
dire l’ordre qui continue de lui être suggéré par le

184
Louis-Vincent Thomas et René Luneau, op. cit., p. 268.
197
rythme de la nature, par tous les messages des
ascendants ancestraux et mythiques à travers les
proverbes ou énigmes, les mythes et les contes, les
rites et la connaissance profonde.185

Récapitulons pour qu’on se comprenne bien : notre


analyse de l’ordre politique et sacral africain a eu pour but
de dévoiler les caractères fondamentaux du fédéralisme
africain, à savoir, sa pyramide des sous-unités lignagères,
claniques, tribales et nationales en un double-pays. Puis, il
y a été entrevu le mécanisme déterminant : une dynamique
des contraires produisant un mouvement spiralé : c’est le
logos de sa forme (images 9, 10 du pschent du pharaon).
La théorie politique est intervenue pour encadrer le
logos de la forme spiralée de l’énergie, autrement dit, la
métamathématique de la réalité universelle (de l’Univers),
rapportée au principe d’organisation de la société par le
biais de l’inclusion du tiers, qui correspond à une mise en
ordre toujours plus poussée de l’organisation (Maât). Ce
faisant, les institutions traditionnelles y ont répercuté la
fonction antichaos de l’Univers. On le note bien dans la
réaction de Mbombog Nkoth Bisseck, initié dans la
confrérie ancestrale du Mbog.
Il écrit :
« Le principe central de l’Univers est sa tension
constante vers la consolidation de l’existence. Et
cette existence est conçue comme étant liée à la

185
Idem, p. 51.
198
capacité de ses composantes à améliorer leur
solidarité, à maîtriser les forces du désordre.186 »

Les sages ont su et pu faire de cette approche une


théorie politique commandée par une gouvernance de type
communautaire, à la fois multinationale et multiculturelle.
En introduisant en science des concepts divins à résonance
peu usuelle dans la physique moderne, Noun, Atoum, Râ,
Horus, Seth, Maât, Kheper, c’est leur conception éthique,
esthétique et herméneutique du mondequi a été dévoilée :
elle reprend en projet une philosophie de la Nature qui fait
écho à l’indispensable éternité cosmique. L’égyptologue
Bernadette Menu en donne une illustration parfaite :
« La création n’est pas une œuvre achevée, elle doit,
par la lutte perpétuelle, à laquelle se livrent les
dieux et les pharaons, défendre sans cesse les
acquis, procéder à une mise en ordre toujours plus
poussée de l’univers tout entier.187 »

Nous voudrions défendre ces acquis imposés par la


Nature comme l’horizon d’une harmonie universelle, puis
celui d’une harmonie sociale dont dépend une harmonie de
soi. S’il en est ainsi, l’équilibre de notre monde organisé
correspond bien à l’équilibre du Tout harmonieux dont
dépend Maât, la déesse de la Vérité-Justice qui met de
l’ordre en toutes choses.
Le président-poète Senghor l’a bien vu :
« Pour le négro-africain, la réalité d’un être, voire
d’une chose est toujours complexe puisqu’elle est un

186
Nkoth Bisseck, Mbog. Concept et portée d’une autre vision du
monde, textes dactylographiés inédits.
187
Bernadette Menu, op. cit., p. 34.
199
nœud de rapport avec les réalités des autres êtres,
des autres choses.188 »

Les chercheurs de bonne foi qui ont pris le temps


d’interpréter les faits historiques témoignent des enjeux
scientifiques de cette option religieuse :
« Cette affirmation d’un ordre et d’un équilibre où
toute chose semble tenir la place qui lui revient et
ne trouve sens que dans sa relation au tout, suppose
en dernière analyse une rigueur, une ‘’rationalité’’
à laquelle la description ordinaire des phénomènes
religieux dans les sociétés traditionnelles ne nous
avait pas habitués.189 »

On voit que cette rigueur s’est même révélée comme


un acte de connaître qui a été enseigné, puis transmis par
l’éducation des millénaires durant. Ce tissé africain, senti,
vécu, puis pensé, a été formalisé comme un logos de toute
action. Puis, sont intervenus l’islam arabe, le christianisme
occidental, l’Etat-nation et le capitalisme, tous contraires à
la vocation historique des Nations africaines. Depuis leur
irruption dans le champ des savoirs endogènes, la grande
sagesse a été reléguée au second plan. Face à la grande
désolation en cours, l’idéal panafricaniste doit s’abreuver à
la source avec un plus : être perçu comme un besoin de
remise en ordre de l’ordre initiatique traditionnel. Tel est,
du reste, le but du projet-programme que nous proposons.
III.2 Le projet-programme de l’idéal panafricaniste
Nous devons refonder le concept de panafricanisme
en nous inspirant du fédéralisme du double-pays, à l’instar
188
Léopold Sédar Senghor, Œuvre poétique, Paris, 5e édition Seuil,
1990, p. 390.
189
Louis-Vincent Thomas et René Luneau, op. cit.,p. 130.
200
de ce que furent la conception de la Haute et de la Basse
Egypte pour la période antique, ensuite celle du Ghana et
Mandé pour le Moyen âge malien. Le savant Théophile
Obenga a sur le sujet une attitude précautionneuse :
« Des risques sont donc à prendre pour que
l’Afrique moderne, qui se construit dans un
monde implacable, ne se renie pas en sa
culture spécifique, qui appartient également
à l’homme universel. 190»

Le contexte violent des rapports humains (A) dans


lequel s’est imposée la problématique toujours non réglée
du panafricanisme(B) doit nous pousser à renforcer, puis à
cimenter l’idéal panafricaniste du double-pays(C). Cela
sonne comme un impératif catégorique pour la génération
actuelle confrontée au monde nordique qui entend garder
le contrôle des richesses du continent noir. Dès lors, que
pouvons-nous envisager comme objectifs spécifiques (D)
? Chaque point mérite un bref commentaire.
A-Le contexte
Nous n’allons pas proposer une nouvelle définition
du concept de panafricanisme qui viendrait s’ajouter à la
liste des énoncés antérieurs. Un concept ne se restreint pas
à une définition surtout qu’il est la saisie historique d’un
phénomène en évolution.
Les caractères fondamentaux du fédéralisme ont été
dégagés et ses mécanismes-clés portés à l’analyse. Puis la
théorie politique a permis de formaliser le fond culturel,
social et cognitif du logos de la forme : une spirale (image
190
Théophile Obenga, op. cit., p. 512.

201
17, 18 et 19).Ce sont les principales conclusions de cette
analyse que nous reprenons dans ce projet-programme.
Première conclusion: les traditions d’exclusion de la
civilisation nordique ont engendré des « niches »de haine,
de racisme, de violence, de domination, d’asservissement
et d’esclavage, aggravées par l’expansionnisme du capital.
Le modèle d’organisation nordique (occidental, arabe), si
violent, ne changera pas « subitement ». Il procède de son
paradigme cartésien. Celui-ci est une opération mentale du
cerveau qui, en rapport avec l’environnement, détermine
le mode de pensée et de comportement des « races ».
Deuxième conclusion : une importante distorsion du
sens et de la valeur et de la finalité du modèle traditionnel
a été introduite dans l’imaginaire africain avec l’expansion
de la « foi » chrétienne et musulmane, de la nouvelle école
et de l’Etat-nation. Bien que sévère, la distorsion n’est pas
irrémédiable. Certes, elle empêche de vivre le sentiment
d’une communauté d’origine à laquelle doit correspondre
une communauté de destin.
Troisième conclusion : quand on y réfléchit bien, on
voit que le modèle nordique verrouille par le haut(le
contrôle du pouvoir politique) la démarche d’émancipation
du joug colonial et néocolonial. Pour y parvenir, il a fait
installer ses relais (intellectuels, politiques et théologiens)
au pouvoir, puis les y maintient par la force des armes et
les contraintes sectaires, religieuses, militaires, politiques,
administratives et économiques. La vérité est que tous ces
relais dépassent rarement les 30% de la population. Tout
n’est donc pas perdu et on peut compter avec cet arrière-

202
pays, à condition de prendre le pouvoir là où il se trouve.
Il s’agit de trois fronts :
1- Le front spirituel à prolonger au front religieux ;
2- Le front scientifique à prolonger au front éducatif ;
3- Le front politique à greffer au front institutionnel.
Aucun de ces trois fronts de pouvoir, certes distincts,
mais complémentaires, ne peut être envisageables ans les
deux autres. Tous sont étroitement liés.
Le premier front permet de résister « durablement »
face à l’adversité extérieure ; le deuxième front permet
d’adapter la tradition à la modernité sans y plier l’échine
culturelle de cohésion temporelle et spatiale ; le troisième
front permet de conduire la réalité culturelle sur les rails
du développement durable que l’on sait compatible avec
l’être profondément pieux des Africains. Ce sont là, de
fait, les caractéristiques essentielles de notre expérience de
la réalité historique. Il faut entendre par là qu’il existe
d’autres facteurs de la défaite, mais ces trois fronts fondent
un bloc historique indissociable quant au fond et soulèvent
une problématique.
B-La problématique
Que faire face à latâche complexe de reconstruction
d’un idéal panafricaniste ? Aurons-nous le courage des
idées et initiatives visant à unir tout le continent noir et sa
diaspora ? Bien plus : par où commencer ?
Il y a deux réponses « toutes faites » à ces deux
questions : il faut prendre le temps de bien se préparer en
préparant les générations futures de manière méthodique

203
et durable. On ne s’attaque pas à plus fort que soi avec des
moyens de défense rudimentaires.
Il faut donc commencer par le commencement : agir
pour reconquérir notre spiritualité, puis l’organiser autant
que faire se peut à l’échelle continentale, voire planétaire,
sous la forme d’une religion de résistance ; ce faisant, il
faut s’armer de science aux fins de refonder le système
éducatif africain. Entre temps, nous devons mettre sur pied
des associations et cercles de réflexions, question de mûrir
puis de diffuser l’objectif et les moyens pour y parvenir. Il
s’agit, bien entendu, d’une solution d’attente.
Nous entendons par là qu’il faille atteindre un seuil
minimal de compétence culturelle ou d’épaisseur politique
pour engager quelque action « efficace » et salutaire. Nous
allons y revenir dans les lignes qui suivent.
C- L’Objectif général
Ce projet-programme de société et de civilisation
vise la maturation des trois fronts précités,(1), (2) et (3),
lesquels requièrent des détails d’accompagnement pour la
mise sur pied du double-pays, la diaspora (pays de transit
colonial) et le continent noir (pays d’origine).L’objectif
de ce projet-programme est de prendre le contrôle du
monde sans que cela prête à sourire.
Pour y parvenir, nous devons vivre avec un certain
nombre d’obsessions de type organisationnel converties en
objectifs spécifiques.
D-Les objectifs spécifiques

204
Premièrement, nous devons penser ardemment à la
création d’une puissante confrérie panafricaine (à l’instar
de la franc-maçonnerie et rose-croix) en complément des
confréries traditionnelles. Le but, c’est de préparer la mise
sur pied d’une religion panafricaine avec sa hiérarchie des
prêtres, ses lieux et objets de culte, ses liturgies et textes.
Nous sommes prévenus :
« La levée des boucliers contre le nigritisme sera
principalement et paradoxalement le fait de
quelques Négro-africains adeptes des religions
étrangères qui se sentiront contrariés dans le hamac
de leur confort ordinaire et pour qui l’émergence, la
résurrection ou la renaissance de cette spiritualité
deviendrait comme un cauchemar insupportable et,
sans doute, une menace pour leur pain
quotidien.191 »

Un peuple qui a perdu sa spiritualité et sa religion ne


peut résister durablement face à l'adversité extérieure. Le
judaïsme a permis aux Juifs de résister durablement face à
l’adversité occidentale chrétienne ; l'islam aura permis aux
Arabes de sortir des griffes des croisades ; quant aux
Asiatiques, ils ont vite compris et neutralisé l'irruption des
missionnaires chrétiens ; ce faisant, le christianisme a pu
étendre sa domination ailleurs, en Afrique noire. Il est
donc certain, et l’histoire le montre, que le pouvoir tant
convoité par les opposants politiques africains ne saurait
résister à l’adversité sans une religion forte et un savoir de
pointe nous engageant dans la perspective du nucléaire.

191
Tedanga Ipola Bembela, Ressusciter le Dieu des Nègres. Procès
d’une refondation religieuse négro-africaine, Paris, Edilac/Menaibuc,
2008, p. 479.
205
Priver l'Afrique de ses traditions religieuses, c'est la
priver de toute capacité d’initiative scientifique, puisque
l'Afrique et même l'Asie, n'ont jamais dissocié la religion
de la science. C'est faux de dire que la foi est intangible et
encore plus faux de penser, comme la science cartésienne
l'a fait, que la science et la religion sont dissociables.
Pour preuve, la Chine, le Japon et l'Inde prennent le
dessus politique et scientifique grâce à leurs croyances sur
fond du zen, du Tao et du bouddhisme ou de l’hindouisme.
En politique, la confrérie panafricaine, s’il en est, et les
confréries traditionnelles ont mission de bloquer les
trahisons à répétition des opportunistes. Il revient à ces
confréries de recruter, puis de sélectionner les membres et
acteurs du jeu politique parmi les plus performants, et
surtout, de les contrôler. Des Kamites organisés peuvent se
faire initier en contactant les maîtres spirituels de leurs
contrées respectives et préparer, le cas échéant, les termes
de référence de la grande religion africaine.
En science, les penseurs de la science dite complexe
admettent que la science cartésienne est dépassée et que
les religions orientales sont plus proches de la science. Ils
admettent aussi que la science n'est pas universelle. Fini
l'universalisme occidental.
On le sait enfin : c'est la spiritualité (l'esprit) qui
contrôle la science. L'esprit a un paradigme. Le paradigme
cartésien (arabe et occidental) commande l'exclusivisme
de la religion, le racisme, la haine, le messianisme, mais
aussi les guerres de religion. En science, cet exclusivisme
se transforme en certitude quasi absolue, puis en appétit de
domination, de puissance et de violence par les armes. En
206
politique, cet exclusivisme se mue en une catégorisation
des individus isolés, désignés « citoyens ». C’est le règne
du « diviser pour régner », de l'individualisme à outrance,
de la prédation, du profit, du capital, de la ruse, de la
violence et de la mort.
Le paradigme du yin et du yang (asiatique), ni trop
violent, ni trop pacifique, est à cheval entre le paradigme
cartésien et le paradigme africain. Ce dernier inclut le tiers
et promeut ainsi le communautarisme, la coopération, la
tolérance, le bonheur pour tous, les équilibres écologiques,
la science avec conscience l'ordre de l'Univers, l'entraide,
l'absence de prison, l'absence de chômage, l'absence de
guerres de religions. Les empires égyptien et malien ont
été deux fois premières puissances du monde, dans
l’Antiquité et au Moyen âge. Deux fois de suite, les
grands assaillants sont revenus à la charge. Rien
n’empêche que, pour la suite, la troisième fois soit la
bonne et définitive, et que plus jamais, ces assaillants
ne soient en mesure de nous ravir le leadership.
Deuxièmement, la programmation des recherches de
grande envergure est importante dans tous les domaines du
savoir africain. Et ce faisant, il faut s’arrimer à la science
avancée avec pour objectif, la refondation du système
éducatif africain. Il est question de financer de telles
recherches en vue de leur reprogrammation dans le
système éducatif africain : pharmacopée, médecine, art,
droit, économie, histoire, sociologie, mythes, philosophie,
religion, artisanat, architecture, astrophysique, physique
des particules, ciel et espace, cosmologie, informatique
quantique, biologie moléculaire, technologies de pointe.

207
Et comme cela ne se fera pas de si tôt, engageons
nos compétences dès maintenant : que chaque Kamite en
thèse travaille sur un sujet de théorie générale pour toute
l’Afrique. Sans de telles recherches, il n’y aura pas de
corpus théoriques et de développement pour l’Afrique et
par l’Afrique. Notre élite locale est la seule au monde dont
l’ambition est de répéter les théories, religions, institutions
politiques et propositions des autres sans avoir une seule
qui lui soit propre et conforme aux valeurs des traditions.
Troisièmement il importe d’envisager, à moyen et
long terme, la conquête du pouvoir politique à travers les
postes électifs : les maires, députés, sénateurs, etc. Mais
seule la conquête de la magistrature suprême, disons
donc au sommet des Etats, permettra la réalisation de
l’idéal panafricaniste du double-pays entre sœurs et
frères d’Afrique par delà les océans. Il ne s’agit donc
pas d’un projet-programme de société et de civilisation qui
ferait rigoler, comme aiment à le faire nos politiciens de
salons feutrés et « bourgeois ». Il ne s’agit pas non plus de
prendre le pouvoir pour le pouvoir, mais davantage, de
régénérer en profondeur l’esprit kamite de reconquête de
l’initiative historique. Ne tombons pas dans le piège des
grandes mesures cosmétiques visant à tromper la vigilance
des électeurs ou à donner un certain nombre de solutions
démagogiques et irréalisables.
Dit de cette façon, on voit bien que seuls des Etats
généraux de tous les ministères publics à la solde de ce
modèle de l’Etat-nation permettront un état des lieux sans
complaisance, puis la prise en charge des vraies réponses,
autrement dit, à la hauteur des enjeux planétaires ! Mais

208
cela suppose que, soit les pouvoirs en place sont acquis à
nos vues, soit ils sont conquis par les Kamites eux-mêmes
qui, dès lors, organiseront l’idéal panafricaniste du double-
pays : diaspora et continent noir. Cela sonne comme un
impératif de notre temps !

209
Point de chute
L’IMPERATIF D’UN IDEAL PANAFRICANISTE
« Tout ce qui vient d’être exposé exige un
sursaut collectif et par conséquent aux plans
spirituel, économique et aussi politique. Il ne
suffit pas de méditer ces problèmes, encore
faut-il les ressentir en soi. Ce qui a été dit
représente un programme vaste et non
irréalisable. »
Tedanga Ipola Bembela, Ressusciter le Dieu
des Nègres. Procès d’une refondation
religieuse négro-africaine, Paris, Menaibuc
et Edilac, 2008, p. 482.
Nos leaders politiques actuels n’ont pas compris que
le modèle de l’État-nation, le christianisme et l’islam ont
un seul et même projet : assurer la domination du monde
nordique avec l'aide de l'élite locale aliénée.
Pendant que l’Etat-nation structure profondément la
pauvreté, promeut les injustices sociales et assure toujours
davantage la protection, puis la reproduction de la classe
politique dominante en relation étroite avec les grandes
sectes d’obédience étrangère, les religions de la « foi » se
préoccupent de récupérer les dominés, pauvres, démunis et
faibles d’esprit éjectés du système politique dominant. Là,
elles s’enrichissent au nom de la « foi » et ponctionnent au
nom de l’ignorance de la plus grande masse là où, très
précisément, nos traditions religieuses avaient obligation
de partager pour le bonheur de tous, de commun accord
avec la logique initiatique du pouvoir politique africain.
C’est dire que l’amour du prochain tant prôné par ces
religions de la « foi » ne peut avoir de sens que par le biais
du fédéralisme intégral de nos traditions ancestrales, et

211
non celui des bonheurs promis dans les paradis illusoires.
La gangrène, c'est l’intellectuel qui s’est désigné par son
diplôme de docteur, d’ingénieur, ou d’universitaire. Or en
général, celui-ci est complexé, et donc peu intéressé par sa
propre histoire et sa culture qu’il nie par ailleurs ; aussi
répète-t-il abondamment le maître, le prélat et l'imam. Il a
le profil retors du faux révolutionnaire.
Il existe cet autre larron : le grand chef traditionnel
auxiliaire de l'administration coloniale qui opère souvent
en fin manœuvrier conscient des intérêts et privilèges à lui
accordés. Il sert de marchepieds au pouvoir local.
Puis il y a l’initié, le sage, très proche du paysan, du
vendeur à la sauvette ou du pauvre des villages. Ceux-là
représentent près de 70% de la population. C'est sur ces
dernières classes sociales susceptibles d’être transformées
en catégories révolutionnaires que les Kamites engagés en
politique devront s'appuyer pour gagner la bataille finale.
Souhaitons à tous :

212
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Cette bibliographie, non exhaustive, est divisée en
cinq parties qui regroupent les sensibilités disciplinaires
les plus diverses : histoire et égyptologie ; anthropologie et
sociologie générale ; science complexe et épistémologie ;
droit et science politique.
I- Histoire et Egyptologie
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africaines, Paris, Khepra, n° 1-6, 1992, 1993, 1994,
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Abidjan, ABC/NEA, 1976. Direction historique.
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- Barguet, P., Le Livre des Morts des Anciens
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civilisations de l’Afrique, Payot, 1948.
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enseignement. 19-20-21 janvier 1984, Montpellier,
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- Cornevin, R., et M., Histoire de l’Afrique des
origines à nos jours, Paris, Payot, 1966.
- Daumas, Fr., La civilisation de l’Egypte
pharaonique, Paris, Arthaud, 1971.
- Daumas, Fr., Les dieux de l’Egypte, Paris, PUF,
1977. Coll. Que sais-je ?

213
- Deschamps, H., L’Afrique Noire précoloniale,
Paris, PUF, 1962.
- Diallo, T., Alfa yaya, Roi du Labé (Fouta Djallon),
Paris - Dakar - Abidjan, ABC/NEA, 1976.
Direction historique : Ibrahima Baba Kaké ;
Direction littéraire : François Poli. Coll. Grandes
figures africaines.
- Dika-Akwa Nya Bonambela, P., Les Descendants
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Editions Osiris - Africa, 1985.
- Diop, C. A., Nations nègres et culture, T. I., Paris,
3e édition Présence Africaine, 1979.
- Diop, C. A., L’Afrique noire précoloniale, Paris, 2e
édition. Présence Africaine, 1987.
- Diop, C. A., Civilisation ou Barbarie.
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Africaine, 1981…
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- Montet, P., L’Egypte et la Bible, Neuchâtel, 1959.
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Direction littéraire : François Poli. Coll. Grandes
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Paris, 4e édition Gallimard, 1980.
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Paris, 1967.
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mouvement, Fayard, Paris, 1988.
- Boudon, R., Les méthodes en sociologie, PUF,
Paris, 1969.
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Ed. de Minuit, 1984.
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- Cullivier, A., Manuel de sociologie, Tome I,
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Paris, Institut d’ethnologie, 1966.
- Dika-Akwa Nya Bonambela, P., Problèmes de
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- Homère, L’Odyssée, Traduction, introduction,
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cycle, Bordeaux, 1964.
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- Ziegler, J., Les vivants et la mort. Essai de
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III- Sciences de la complexité - Epistémologie
- Atlan, H., L’Organisation biologique et la
Théorie de l’Information, Hermann, 1972.
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- Bachelard, G., Le nouvel esprit scientifique,
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- Bachelard, G., Epistémologie, textes choisis
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- Brillouin, L., La science et la théorie de
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portes des Univers parallèles, mars 2003.
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- Capra, F., Le temps du changement, Rocher,
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- Delors, J., Changer, Stock, 1975.
- D’Espagnat, B., Penser la science ou les enjeux
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- Gleick, J., La théorie du chaos, Albin Michel,
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Gallimard, Idées, 1973.
- Jonas, H., Le principe Responsabilité, trad.,
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- Lestienne, R., Le hasard Créateur, La
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- Morin, E., Le paradigme perdu : la nature
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nature, Paris, Seuil, 1977.
- Morin E., Introduction à la pensée complexe,
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J.-J., Du cosmos à l’homme, L’Harmattan,
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- Passet, R., L’Economique et le Vivant, Paris 2e
édition Economica, 1996.
- Peirce, C. S., textes anticartésiens. Prés. et
trad.de Joseph Chenu, Paris, Aubier-
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- Prigogine, I., Introduction à la
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- Prigogine, I., et Stengers, I., La Nouvelle
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- Ruelle, D., Hasard et chaos, Odile Jacob,
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Décembre 2002/Janvier 2003, Hors - série.
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- Badié, B., Culture et démocratie, Economica,
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une sociologie du champ juridique », in Actes
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- Chevelier, J., L’Etat de droit, Paris,
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Travail, Paris, 3e édition Mont-chrestin, 1988.

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- Favre, P., Naissance de la science politique en
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- Gicquel, J., et Hauriou, A., Droit
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- Godelier, M., « L’occident est-il le modèle
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- Gonidec, P.F, Les systèmes politiques
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- Kelsen, H., Théorie pure du droit, trad.
française de la 2e édition par Charles
Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.
- Kojève, A., Esquisse d’une phénoménologie du
droit, Paris, Gallimard, 1982.
- Olawale Elias, T., La nature du droit
coutumier, Paris, Présence Africaine, 1961.
- Platon, La République, traduction et notes par
Robert Baccore, Paris, Garnier-Flammarion,
1996.
- Pondi, J-E (ss la dir. de) Repenser le
développement à partir de l’Afrique, Collectif,
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- Prélot, M., Boulouis, J., Institutions politiques
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- Renaut, A., et Sosoé, L., Philosophie du droit,
PUF, 1991. Coll. Recherche politiques.
- Timbal, P. C., et Castaldo, A., Histoire des
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- Tocqueville, A., De la démocratie en
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- Villey, M., Philosophie du droit. Définitions et
fins du droit, Paris, Dalloz, 1975.
- Weber, M., Sociologie du droit, Paris, PUF,
1986. Coll. Recherches politiques.

227
Ce livre fait rebondir le débat sur lepanafricanisme
dont les signes de blocage épistémologique, institutionnel
et politique se font sentir. Il propose une refondation de ce
concept sur la base des Chartes de Kemet (Haute Egypte et
Basse Egypte) et du Mandé (Ghana et Mali) dont la forme
du fédéralisme mime la dynamique bipolaire des essences
fondamentales de l’Univers.
On y découvre la fonction antichaos des institutions
opposée à l’esclavage (christianisme, islam, Code noir), la
guerre juste (Aristote, saint Augustin), la ruse politique
(Machiavel), l’aliénation marchande (Marx), la possession
de la Nature (Descartes), la violence légitime de l’Etat
(Weber) et l’inégalité des races (Gobineau). A tous égards,
le modèle de l’Etat-nation qui prolonge ces considérations
s’oppose à l’essor des Etats africains et bloque, ce faisant,
la dynamique de leur destin fédéral.
Pour sortir de cette nasse, un projet-programme de
société est proposé. Il intègre les velléités panafricanistes
d’une diaspora qui projette son retour-intégration en terre
africaine à défaut d’opposer au modèle dominant un face à
face décomplexé, afrocentré et indépendantiste.
MBOGBASSONG est en service au Ministère de
la Culture (Yaoundé – Cameroun. Géologue de
formation et planétologue, il approfondit la
réflexion sur les rapports entre les sciences de
l’univers et la régulation des sociétés humaines.
Il est Mbombog, initié dans l’ordre ancestral du
Mbog Basaá (Cameroun).
Illustration de couverture : Le rite initiatique de sema taouy : union
de la Haute-Egypte et de la Basse-Egypte. Les armoiries montrent les
tiges des plantes rituelles (lotus du Sud et papyrus du Nord) nouées
autour du signe-univers, entre Seth, à gauche, et Horus, à droite.

228

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