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Christophe Traisnel
Lien social et Politiques, n° 53, 2005, p. 93-104.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/011648ar
DOI: 10.7202/011648ar
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Christophe Traisnel
Lorsqu’on parle, dans la franco- l’intégration des immigrants, ou sur une « adaptation » du modèle, par
† †
Lien social et Politiques–RIAC, 53, Identités : attractions et pièges. Printemps 2005, pages 93-104.
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LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 Nous souhaitons ici contribuer au tion d’une appartenance commune et
débat français sur la question de la unitaire, tout en aménageant une place
Entre unité et diversité. Le discours
identitaire du mouvement souverainiste au reconnaissance des différences par à la reconnaissance institutionnelle de
Québec et du mouvement wallon en l’intermédiaire d’une analyse des la diversité. De cette aubaine ils n’ont
Communauté française Wallonie-Bruxelles discours identitaires des souverai- pas tardé à profiter, en intégrant la
nistes québécois et des régionalistes citoyenneté dans leur discours identi-
wallons : ces deux cas de nationa- taire et leurs revendications...
lisme de contestation 2, tout en pen-
†
dans un même élan, à définir une comme le montrent les analyses les
travaillé la question identitaire en
identité collective autre pour plus récentes sur la nation et le natio-
aménageant, au sein de leurs espaces
laquelle ils tentent d’aménager un nalisme québécois, notamment celles
publics respectifs, une forme de
système de reconnaissance de la du philosophe Michel Seymour
reconnaissance des différences cultu-
diversité. Ils montrent ainsi que tout (1999a, 1999b), les souverainistes
relles qui peuvent exister entre les
projet national, ou tout modèle d’in- québécois ont rompu depuis bien
citoyens. Comme la France, ces deux
tégration, reste tributaire de la longtemps avec ce nationalisme eth-
pays constituent des sociétés d’im-
recherche d’un équilibre indispen- nique dont, à tort, on les accuse
migration depuis plus d’un siècle et
sable entre entretien d’une néces- encore bien souvent. Quant aux
demi 1, et comme elle ils sont
†
rainiste québécois, pourtant très verrons comment les régionalistes le mouvement flamand « nationa-†
attentifs quant à la définition d’une wallons et les souverainistes québé- liste ». L’affirmation du « nous » wal-
† † †
identité nationale ou régionale « uni- † cois ont perçu le thème de la citoyen- lon n’est donc pas présentée par les
taire », participent eux aussi à la
† neté comme une véritable aubaine, à militants wallons comme une affirma-
réflexion sur la place de la diversité. même de contribuer à cette affirma- tion de repli, mais au contraire
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comme une affirmation d’ouverture à ments qui peuvent toucher la société Concluant un ouvrage collectif
la diversité qui peut s’exprimer sous wallonne, notamment grâce aux consacré à l’imaginaire wallon, les
des formes multiples en Wallonie « nouveaux apports » des immi-
† † responsables de la Fondation wal-
« terre d’accueil ».
† † grants. Car pour les militants wal- lonne, autre laboratoire de l’identité
lons, la Wallonie est et reste une terre du mouvement wallon, se réjouissent
Le directeur de l’Institut Jules que les études produites à cette occa-
d’immigration. José Fontaine, res-
Destrée, principal laboratoire de sion par les différents chercheurs
ponsable de la revue républicaine
l’identité du mouvement wallon, mettent en évidence le pluralisme
wallonne « Toudi », parle ainsi, pour
† †
LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 grande partie écrit au futur, et n’en- Québec] doit devenir un État soli-
tend être appliqué qu’après l’indé- daire ». Le PQ imagine une démocra-
†
Communauté française Wallonie-Bruxelles nition du futur État souverain et sur la toutes les personnes par une actuali-
définition d’une identité québécoise sation des interventions de l’État » †
Le Québec : « Un pays pour le basé sur la fierté, la démocratie, l’éga- affirmé par l’État fédéral. Le Québec
lité des droits, et le français comme n’est plus une province, mais une
monde » 8… et pour tout le monde
langue commune », cherchera aussi, à † vraie nation :
Comme le mouvement wallon, le travers le développement « d’un senti- †
gramme du Parti québécois, en cours ler son approche du développement En attendant l’État souverain à
de renouvellement 9, est ainsi en
† social […]. D’État-providence, [le venir, la nation poursuit ses trans-
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formations au rythme des nou- pour toujours (Landry, 2001 : 115, cussions identitaires contempo-
veaux apports qui l’enrichissent et notre traduction 11). raines, même et peut-être surtout
la renforcent : Le gouvernement du Québec se donne pour les mouvements nationalistes
pour tâche d’intégrer les diverses col- « de contestation » que sont le mou-
† †
(ibid. : 20). leur apparente antinomie, mais plutôt tionnelle » ou pour régler la question
†
Il s’agit de droits sacrés, participant blèmes identitaires, la citoyenneté dienne et québécoise, en entrepre-
au pluralisme de l’identité et de la présente cet avantage de rendre pos- nant chacune de son côté la mise en
citoyenneté québécoises : sible une synthèse entre exigence place d’un régime de citoyenneté
Quelques mots pour nos compatriotes d’unité et reconnaissance de la diver- moderne et laïc, ne percevaient pas
anglophones du Québec […] Vos sité, entre universalisme, particula- de la même façon deux dimensions
droits comme minorité nationale au risme et démocratie (Hermet et al., inhérentes à la citoyenneté : l’aspect
Québec sont sacrés, participent de 2001 : 48). Sa définition constitue droits et l’aspect appartenance. […]
l’âme du Québec et seront respectés donc un terrain de choix pour les dis- Chaque État a sa façon de recon-
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LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 53 pation politique et l’aspect accès à une réponse à la politique cana-
des droits. Sans aller jusqu’à reven- dienne de multiculturalisme : une
Entre unité et diversité. Le discours
identitaire du mouvement souverainiste au diquer la reconnaissance d’une position qui affirme la primauté de
Québec et du mouvement wallon en citoyenneté québécoise impossible l’État québécois dans les domaines
Communauté française Wallonie-Bruxelles dans le cadre fédéral 13, la gouverne
† de la politique, de l’identité et rejette
québécoise a ainsi cherché, au moins l’interprétation réductionniste vou-
jusqu’en 2003 (c’est-à-dire pendant lant que l’État québécois soit le reflet
la présence des souverainistes au d’un groupe ethnique monolithique » †
Au niveau des droits tout d’abord, Outre les droits des Québécois, le
naître ses citoyens, et chaque société la gouverne québécoise a cherché à dernier gouvernement souverainiste a
définit à sa façon le mode d’apparte- renforcer la distinction entre « les †
aussi entrepris une large réflexion sur
nance à la collectivité » (Jenson, † genres de droits que les citoyens peu- le second élément distingué par Jane
1998 : 239). vent légitimement revendiquer » †
Jenson concernant les régimes de
(Jenson, 1998 : 240) au Québec et au citoyenneté : la dimension « participa-
Dans sa stratégie d’affirmation
†
Avec le discours sur la citoyenneté, Avant la perte du pouvoir par les parler revendiqué, ni même évoqué
et la place à donner aux citoyens dans souverainistes en 2003, le Rapport par la gouverne ni le mouvement
les institutions représentatives, il ne Larose sur l’état de la langue fran- wallons, on le retrouve en filigrane
s’agit plus simplement de « mobiliser
† çaise au Québec a constitué en 2001 dans tous les documents et réflexions
tous azimuts » autour d’un discours de
† l’étape ultime de l’expression de cette publics lancés en Wallonie sur l’ave-
simple affirmation nationale, mais communauté de citoyens sans nir de la région, et en particulier dans
bien de constituer une communauté citoyenneté que tend à devenir le les documents et réflexions produits 99
rassemblant tous les citoyens cana- Québec, en défendant l’idée d’une
par les deux forums que constituent
diens du Québec autour d’une appar- « citoyenneté québécoise comme fon-
†
un forum donnant aux citoyens de citoyenneté portent sur la nécessité, tique et laisse la place à la participa-
nouveaux pouvoirs, en somme une pour la Wallonie, de définir une tion de ce que le gouvernement
“culture publique commune” » (ibid. : † « gouvernance citoyenne », peut-être
† †
wallon appelle les « forces vives »
† †
421). Société distincte du Canada, plus à même de mobiliser l’ensemble représentant tous les Wallons. Voilà
mais aussi au Canada, la société qué- de la communauté wallonne, qui est, comment le gouvernement wallon
bécoise est donc, comme de son côté à la différence de la société québé- présente le Contrat d’avenir pour la
le reste du Canada, un « forum », une
† † coise, très peu réceptive aux sollici- Wallonie :
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forums sur l’avenir de la Wallonie : sive. En tant que communauté simple- traits distincts de leur « nation québé-
†
la définition de droits attachés à la ment humaine, la Wallonie veut émer- coise » ou « région wallonne » par
† † †
qualité de citoyen en Wallonie face ger dans une appropriation de soi qui rapport à la communauté des
à un gouvernement intégrant désor- sera aussi ouverte au monde citoyens telle qu’elle est définie par
(Collectif, 1998 : 312).
mais « des principes de nouvelle
† l’État, et de garantir une forme
gouvernance comme la définition Cet objectif a d’ailleurs été solen- d’« unité dans la diversité » pour la
† †
immigration. Chaque année, il accueille identitaire de ce dernier. structures sociales et les institutions de
sur son territoire environ 25 000 nou- l’État reflètent le pluralisme de notre
6
Après une condamnation en justice en
veaux immigrants (source : Immigration citoyenneté et de notre identité natio-
2004, le Vlaams Blok a changé de nom.
Québec). En matière d’immigration, la nale » (Parti québécois, 2001 : 9).
†
mulant une réflexion collective et COURTOIS, Luc, et Jean PIROTTE, éd. mains. Charleroi, Institut Jules Destrée,
concertée avec les principaux acteurs de 1994. L’imaginaire wallon. Jalons pour 50 fiches.
la société wallonne (partenaires sociaux, une identité qui se construit. Louvain-
universitaires, décideurs…). Le La-Neuve, Publications de la Fondation INSTITUT JULES DESTRÉE, « Déclara- †
Bibliographie a new political space : The end of the INSTITUT JULES DESTRÉE. 1999. La
Quebec-Quebec debate ? », présenté dans
†
Wallonie au futur. Sortir du XXe siècle :
BEAUCHEMIN, Jacques. 2003. « Qu’est †
le cadre du colloque Quebec and Canada évaluation, innovation, prospective.
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ce qu’être Québécois ? Entre la préser- in the New Century : New Dynamics, Charleroi, Institut Jules Destrée et
vation de soi et l’ouverture à l’autre »,
†
New Opportunities, Queen’s University, Région wallonne, 480 p.
dans A. G. GAGNON, éd. Québec : État du 31 octobre au 1er novembre. En ligne :
et société. Montréal, Québec/Amérique, http://www.cpds.umontreal.ca/fichier/ JENSON, Jane. 1997. « Fated to live in
†
pour une culture post-nationale », Toudi, JENSON, Jane. 1998. « Reconnaître les dif-
québécois, brochure, 36 p.
†
†
Ideas. Canadian National Policy Inno- Fier d’être québécois. Montréal, Parti
Montréal, Québec/Amérique, t. 2 : 413-
vation in Comparative Perspective. québécois/VLB éditeur : 109-129.
438.
Oxford, Oxford University Press, 240 p.
GOUVERNEMENT WALLON. 2000. PARTI QUÉBÉCOIS. 2001. Un pays pour
CHARBONNEAU, Jean-Pierre. 2002. Le le monde. Programme du Parti québé-
Contrat d’avenir pour la Wallonie.
pouvoir aux citoyens et aux citoyennes. cois, version abrégée. Montréal, Parti
Jambes, Gouvernement wallon, Docu-
Québec, Gouvernement du Québec, québécois, octobre, 40 p.
ment définitif, second tirage, juillet,
39 p.
180 p.
SEYMOUR, Michel, dir. 1999a. Nationa-
COLLECTIF. 1998. « Manifeste pour la
GOUVERNEMENT WALLON. 2002. Le lité, citoyenneté et solidarité. Montréal,
†
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