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C.R. Acad. Sci.

Paris, Sciences de la vie / Life Sciences 324 (2001) 657–661


© 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés
S0764446901013336/FLA

Santé dans la ville/Health in city

Les nuisances sonores dans la ville


Claude-Henri Chouard*
Service ORL, hôpital Saint-Antoine, 10, boulevard Flandrin, 75116 Paris, France
Reçu le 25 janvier 2001 ; accepté le 5 mars 2001
Présenté par J. Rosa

Abstract – Urban noise pollution. Noise is responsible for cochlear and general
damages. Hearing loss and tinnitus greatly depend on sound intensity and duration.
Short-duration sound of sufficient intensity (gunshot or explosion) will not be described
because they are not currently encountered in our normal urban environment. Sound
levels of less than 75 d (A) are unlikely to cause permanent hearing loss, while sound
levels of about 85 d (A) with exposures of 8 h per day will produce permanent hearing
loss after many years. Popular and largely amplified music is today one of the most
dangerous causes of noise induced hearing loss. The intensity of noises (airport,
highway) responsible for stress and general consequences (cardiovascular) is generally
lower. Individual noise sensibility depends on several factors. Strategies to prevent
damage from sound exposure should include the use of individual hearing protection
devices, education programs beginning with school-age children, consumer guidance,
increased product noise labelling, and hearing conservation programs for occupational
settings. © 2001 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

noise / hearing loss

Résumé – Les nuisances sonores entraînent des lésions de l’oreille interne et des
troubles généraux. Les sons responsables peuvent être transitoires (marteau piqueur) : les
professionnels en sont théoriquement protégés, mais leur nuisance pour l’environne-
ment reste importante. Les sons continus sont les grands pourvoyeurs du traumatisme
cochléaire ; intensités et durées d’exposition dépendent de la susceptibilité individuelle.
Certains métiers exposés bénéficient d’une protection obligatoire et d’un droit à l’indem-
nisation. D’autres, exclus de la réglementation, comportent une véritable addiction au
bruit musical. L’anatomopathologie explique la clinique, et son évolution, d’abord
régressive, puis définitive. Les séquelles, (acouphène, surdité) sont invalidantes, diffici-
lement palliables. Le traitement, avant tout préventif, repose sur l’éducation, la régle-
mentation, la protection. Les conséquences générales, mieux connues du public,
comportementales, cardio-vasculaires, endocriniennes, sont liées à la sensation d’agres-
sion. Ces nuisances sonores se sont aggravées depuis quinze ans (discothèques, aéro-
ports), mais peu de progrès thérapeutiques ont été réalisés, malgré beaucoup d’efforts et
de projets. Une véritable prise de conscience collective, mais surtout individuelle, des
risques encourus et de leur prévention est nécessaire, pour éviter notamment de voir
apparaître dans la décennie à venir toute une génération de sourds. © 2001 Académie
des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
bruit / surdité

1. Introduction plus graves, la surdité et l’acouphène du traumatisme


sonore, s’y retrouvent presque autant qu’en milieu urbain.
Si, en milieu rural, la pollution sonore paraît moindre Nous rappellerons d’abord, pour n’y plus revenir, le
que dans les villes, ses conséquences pathologiques les mécanisme de la plupart des conséquences sociales et

*Correspondance et tirés à part.

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affectives de ces nuisances sonores. Le bruit qu’un indi- lesquels le sujet a été soumis au traumatisme sonore. On
vidu réalise lui-même ne le gêne pratiquement pas ; c’est estime, par exemple, que 85 dB pendant huit heures sont
toujours le bruit de l’autre qui est désagréable ; or, la équivalents à 88 dB pendant quatre heures. Cette notion
plupart des Français sont invités, depuis des décennies, à de durée d’exposition explique pourquoi un bruit risque
apprendre leurs droits, mais ils méconnaissent leurs d’être dommageable s’il dépasse seulement 80 dB. Inver-
devoirs, découlant des avantages de la vie en commun, sement, un bruit, bien qu’il soit très bref, peut être immé-
qui consistent ici à simplement respecter l’environnement diatement fort destructeur, si son intensité est très élevée.
sonore de son voisin. De plus, l’augmentation de la lon-
gévité accentue la fréquence de la presbyacousie ; le 2.2. Susceptibilités individuelles
recrutement de cette surdité physiologique liée à l’âge
abaisse considérablement le seuil de l’audition doulou- Le risque de voir apparaître un traumatisme sonore varie
reuse ; celle-ci passe de 100 dB chez le sujet normal à 60, d’un sujet à l’autre. À durée égale ces variations indivi-
voire 50 dB, chez le presbyacousique ; en conséquence, duelles peuvent atteindre 50 dB. Les facteurs de suscepti-
ce recrutement rend ces sujets particulièrement sensibles bilité personnelle sont nombreux. Un conduit auditif
au bruit, même si celui-ci reste modéré. externe tortueux, présentant notamment des exostoses,
Nous n’évoquerons pas ici les méfaits des traumatismes protège contre l’agression sonore. Il en est de même pour
acoustiques violents, ‘blast injury’ par explosions ou atten- toutes les surdités de transmission, qui sont dues à des
tats, heureusement rares dans nos villes ; leurs dégâts lésions du tympan ou des osselets, car l’onde sonore est
mécaniques, qui disloquent les osselets et perforent le atténuée de 30 à 40 dB. C’est en particulier le cas de
tympan, dépassent de beaucoup la simple atteinte de l’otospongiose, maladie qui bloque l’étrier dans la fenêtre
l’oreille interne, et le stress général de la pollution sonore ovale. Mais cet effet protecteur n’existe que tant que la
de notre environnement moderne. cause de la surdité n’a pas été opérée. Dans l’otospon-
Nous insisterons par contre sur les conséquences audi- giose, dès que le blocage a été libéré, le traumatisme
tives du traumatisme sonore entraîné par l’écoute des sonore doit être d’autant plus redouté que les mécanismes
musiques hyper-amplifiées maintenant à la mode. Nous protecteurs que réalisent les muscles ossiculaires ont perdu
avons aujourd’hui la preuve épidémiologique de leur leur efficacité, en raison même de la procédure opératoire.
nocivité sur les jeunes générations, qui souffriront dès la Une surdité d’oreille interne préalable, quelle qu’en soit
cinquantaine d’une surdité de perception très handica- la cause, notamment iatrogène (médicaments antibioti-
pante, car, pour l’instant, elle est encore mal compensée ques ou anticancéreux) rend particulièrement sensible le
par les prothèses auditives les plus modernes. sujet. Souvent cette atteinte d’oreille interne est due juste-
Les conséquences de la pollution sonore peuvent être ment à un traumatisme sonore préalable. L’homme sem-
auditives ou générales. ble plus fragile que la femme, mais il s’agit de statistiques
relativement anciennes [1] ; il est vraisemblable, surtout
dans les jeunes générations, que cette différence selon le
2. Conséquences auditives sexe n’est plus significative. L’oreille du prématuré est
particulièrement sensible ; on le rappellera à propos du
2.1. Quantification des bruits responsables bruit à l’hôpital.

L’intensité et la durée d’une nuisance sonore permettent 2.3. Lésions réalisées


de quantifier son agressivité pour l’oreille.
La mesure de l’intensité doit tenir compte du fait que Les lésions anatomiques et fonctionnelles réalisées par
l’oreille est particulièrement sensible aux fréquences le traumatisme ont été depuis longtemps bien étudiées
moyennes comprises entre 500 et 4 000 Hz, fréquences chez l’animal. Leur connaissance permet de comprendre
dites conversationnelles, et qu’au contraire les fréquences les troubles ressentis par les patients. Elles sont neurosen-
aiguës et graves nécessitent beaucoup plus d’énergie pour sorielles. Elles intéressent les dendrites périphériques du
être perçues. L’unité appelée dBA tient compte de ces nerf auditif, et l’organe de Corti1, qui transforme en signaux
différences, en pondérant l’intensité de chacune des fré- nerveux électrophysiologiques les vibrations mécaniques
quences composant le bruit, dont on veut évaluer la des liquides cochléaires, analysées par les cils vibratiles de
nocivité. certaines de ses cellules. Ces lésions siègent avant tout
La durée de l’agression sonore s’apprécie en mesurant dans l’oreille interne, même si, à la longue, des dégéné-
la valeur moyenne de l’intensité sonore déversée pendant rescences nerveuses rétrogrades centrales peuvent parfois
une durée déterminée. Il existe un effet de durée cumulatif s’observer.
qui conduit à tenir compte du nombre d’heures par jour, Quel que soit l’éventail fréquentiel du bruit responsa-
du nombre de jours par an, et du nombre d’années durant ble, ces lésions se localisent initialement sur la zone du

1
L’organe de Corti est l’organe sensoriel de l’audition. Il est situé dans la cochlée, ou limaçon. Le vestibule, siège de l’organe de l’équilibre, et la
cochlée constituent le labyrinthe, ou oreille interne.

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clavier cochléaire correspondant aux fréquences 4 000 à ces professionnels traumatisés chroniques, il faut rajouter
6 000 Hz. Avec la répétition de l’agression elles débor- l’énorme cohorte des jeunes générations qui hantent ces
dent progressivement vers les aiguës extrêmes, c’est-à-dire lieux en une communion d’intensités sonores déraisonna-
la base de la cochlée au voisinage de l’étrier. Mais elles bles, qui témoigne d’une véritable addiction au bruit
n’atteignent jamais le deuxième tour de spire du limaçon musical. Buffe et Cudennec [3] ont observé au milieu des
et la zone des fréquences graves. Cette prédilection pour années 80, que plus de 50 % des jeunes recrues présen-
la zone des 4 kHz pourrait s’expliquer par le fait que cette taient une perte auditive moyenne sur la fréquence
zone du clavier cochléaire est celle qui reçoit de plein 6 000 Hz dont la moyenne était supérieure à 10 dB.
fouet et en premier l’intensité mécanique de l’onde de Depuis cette époque les méfaits de cette agression chro-
choc liquidienne. Mais cette explications mécanique appa- nique ont augmenté [4]. En clinique ORL, il est très
remment de bon sens n’est pourtant pas démontrée. courant aujourd’hui de rencontrer des sujets qui viennent
Ces lésions peuvent être éphémères ou définitives. Les consulter parce qu’acouphène et sensation d’oreille pleine
‘lésions éphémères’ comportent un gonflement des termi- sont encore présents plusieurs heures après une sortie en
naisons nerveuses, une rigidité passagère des cils vibrati- discothèque.
les, et des modifications structurelles transitoires de la Parmi ces professionnels du son, il faut également citer
morphologie intracellulaire de l’organe de Corti, notam- les musiciens de musique classique [5]. Les joueurs de
ment des cellules ciliées internes et externes. cuivres et de percussions sont certes les plus atteints,
Les ‘lésions définitives’ sont liées non seulement à surtout lorsqu’ils ont l’habitude de répéter dans des pièces
l’agression mécanique dont l’organe de Corti est victime, petites, réverbérant en écho les intensités émises, car au
mais également aux troubles microvasculaires entraînés cours d’un jeu normal dans une salle de concert, leur
par l’onde de choc liquidienne. Les cils vibratiles sont pavillon est orienté de manière à ne pas les traumatiser [6].
arrachés et les cellules ciliées qui les supportent dégénè- Au contraire, les oreilles des joueurs de clarinettes, de
rent ; les terminaisons des fibres nerveuses efférentes et hautbois et parfois de violons sont situées juste devant les
afférentes s’atrophient, et disparaissent peu à peu dans la trombones et les trompettes, et reçoivent de très près les
sclérose cicatricielle. énormes intensités sonores produites par les cuivres [7].
Ces lésions, éphémères ou définitives, rendent bien Les ingénieurs du son méritent une mention spéciale,
compte des deux éléments de la séméiologie clinique, parce qu’ils ont l’habitude d’entendre leurs mixages à des
l’acouphène et l’hypoacousie. intensités particulièrement élevées, ce qui entraîne un
traumatisme sonore chronique, qui diminue leur acuité
2.4. Populations à risques auditive. Cette façon de travailler est d’autant plus éton-
nante, qu’aux hautes intensités la discrimination fréquen-
Les plus connues se retrouvent dans les métiers compor- tielle est physiologiquement moins bonne.
tant une exposition permanente à des bruits intenses. Pour Parmi les autres populations à risques, citons les patients
la plupart des professionnels du bruit, il existe dans la séjournant dans certains services spécialisés [8]. Les pré-
législation du travail une importante réglementation, mise maturés [9] et les sujets hospitalisés en réanimation [10]
progressivement au point dans les trente dernières années, sont au contact d’appareillages bruyants pendant des
qui les met théoriquement à l’abri de tout danger. Mais les durées souvent prolongées, d’autant plus dangereuses que
consignes de protection, souvent vécues comme une les machines responsables sont généralement situées tout
astreinte supplémentaire, sont rarement suivies par les près de l’oreille de ces patients. Ce problème de l’agres-
sujets intéressés. En effet, les conséquences du trauma- sion sonore se pose également dans la chirurgie de la
tisme sonore professionnel, acouphène et surdité, repré- surdité, lorsqu’il s’agit de fraiser l’os mastoïdien, car la
sentent pour beaucoup un handicap lointain, difficilement source d’intensité sonore est particulièrement proche de
imaginable, qui de plus constitue un trouble indemnisa- l’oreille interne.
ble. À ce propos il faut souligner que, dans les stands de tir,
le casque protecteur est toujours porté, non pas tellement 2.5. Aspects cliniques
pour se protéger du traumatisme sonore, mais parce que
l’intensité de la déflagration déconcentre le tireur, et ne lui Les aspects cliniques du traumatisme sonore se résu-
permet pas au coup suivant de bénéficier de l’expérience ment en deux tableaux aigu et chronique.
acquise par le coup précédent. Ne conviendrait-il pas que Le traumatisme aigu (pétard de 14 juillet, soirée dans
les professionnels du bruit puissent trouver un intérêt une boîte disco, etc.) peut être bénin ou sévère. Le trau-
immédiat et patent au port du casque anti-bruit ? matisme aigu bénin comporte des bourdonnements et une
D’autres métiers à risques sont pratiquement ignorés par impression d’oreille pleine. Mais ces signes sont éphémè-
la réglementation, ou ne sont protégés que par des textes res ; ils disparaissent en quelques heures ; ils seront sans
flous, inapplicables et inappliqués [2]. Insistons tout par- lendemain s’ils ne sont pas suivis de nouvelles agressions
ticulièrement sur le danger encouru par les disc-jockeys, ultérieures.
les serveurs et les réceptionnistes des discothèques, dans Dans sa forme sévère, le traumatisme aigu entraîne la
lesquelles les amplifications sont telles qu’elles atteignent même symptomatologie. Mais celle-ci ne régresse pas
138 dB sur la scène et 139,5 dB près des haut-parleurs. À spontanément, sauf si un traitement d’urgence peut être

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appliqué dans les soixante premières heures environ. l’efficacité. Mais lors de travaux dangereux, la nature des
Cependant, malgré ce traitement, ces signes perdurent signaux d’alarme doit être adaptée à l’atténuation sonore
souvent, laissant un acouphène cicatrice, et une surdité ; obtenue, par exemple en devenant visuels, ou en exigeant
celle-ci, dont nous avons vu le substratum anatomique, est une réponse de la part du sujet alerté.
remarquable parce qu’elle porte uniquement sur la fré- Il faut enseigner les risques du traumatisme sonore. Il
quence 4 kHz, et n’est pas ressentie par le patient. faut régulièrement les rappeler, et constamment inciter
non seulement les professionnels, mais également les
Le traumatisme sonore chronique s’observe après une
utilisateurs domestiques de matériel de bricolage bruyant,
période plus ou moins longue d’agressions sonores régu-
à se protéger systématiquement contre les méfaits du bruit,
lièrement répétées, apparemment sans conséquence. Puis
auxquels ils se croient souvent « habitués » ! En matière
progressivement apparaissent un acouphène et surtout
d’addiction musicale, les enfants doivent être, dès l’âge
une hypoacousie, que l’évolution anatomopathologique
scolaire, informés du risque qu’ils encourraient, s’ils sui-
explique bien. L’atteinte des cellules ciliées internes
vaient les habitudes de leurs aînés. Cette éducation doit
entraîne une baisse du seuil d’audibilité, accompagnée de
également être donnée aux adolescents et aux adultes
recrutement. L’atteinte des cellules ciliées externes est
jeunes, en sachant qu’elle est chez eux beaucoup plus
responsable d’une perte de la discrimination fine des
difficilement efficace, et s’apparente un peu à une désin-
fréquences, qui diminue l’intelligibilité de la parole dans
toxication.
le bruit, et amène des confusions entre les mots et surtout
Il faut aussi, et d’urgence, réglementer les intensités
les consonnes, aboutissant en pratique aux pataquès les
sonores dans les discothèques, comme on l’a fait pour les
plus gênants dans la vie quotidienne, caractéristiques des
baladeurs [11]. Sinon, dans une décennie, on verra appa-
surdités de perception endocochléaire. Cette surdité
raître toute une génération de sourds, dont l’atteinte
s’aggrave progressivement, et devient un jour très gênante.
cochléaire par traumatisme sonore, qui n’est subjective-
ment perceptible qu’après plusieurs années, deviendra
particulièrement grave, lorsque les effets physiologiques
2.6. Possibilités thérapeutiques
de la presbyacousie seront venus s’y ajouter.

Le traitement du traumatisme sonore aigu est un traite-


ment d’urgence. Il doit être entrepris dans les premières
3. Conséquences générales
heures. Il consiste en perfusions de vasodilatateurs et de
Les conséquences générales de la pollution sonore sont
corticoïdes, et en oxygénothérapie employant le carbo-
liées au stress et au vécu du bruit. Il est démontré qu’une
gène de manière discontinue dans le nycthémère pendant
agression sonore permanente ou intermittente, telle celle
plusieurs jours. Le traumatisme chronique installé ne relève
qu’on peut rencontrer dans certains ateliers, ou au voisi-
plus du traitement curatif ; seule la prothèse palliative peut
nage des aéroports ou des autoroutes, augmente le risque
lui être proposée si la surdité est très handicapante. Si le
d’hypertension artérielle [12] et d’infarctus du myocarde
recrutement2 est maintenant bien pallié par les prothèses
[13].
numériques modernes, la discrimination des fréquences,
De même des troubles neuroendocriniens [14] ont été
et notamment de la parole dans le bruit, reste très difficile
décrits, avec une augmentation de la sécrétion noradré-
à compenser par l’appareillage. Le traitement du trauma-
nergique, d’ACTH, et d’hormone somatotrope. Enfin, les
tisme sonore est donc avant tout préventif. Il comporte la
troubles du sommeil sont particulièrement fréquents dans
protection et l’éducation.
les zones d’habitation situées près des grands moyens de
Les bouchons d’oreille, en cire ou en mousse expansi- communication, en sachant que les aéroports, par l’aspect
ble, suppriment une quinzaine de dB s’ils sont bien étan- intermittent du bruit qu’ils engendrent, sont les plus redou-
ches ; c’est généralement suffisant dans la plupart des tables. On admet que le sommeil est perturbé si le bruit
situations domestiques (ponceuses, scies circulaires, frai- ambiant dépasse 45 dB pour la Communauté européenne,
seuses, etc) ; cependant, à la longue, ils peuvent donner mais seulement 35 dB pour l’Organisation mondiale de la
des irritations mécaniques de la peau du conduit. Le santé [9].
casque anti-bruit supprime au moins 25 dB ; il en existe Le bruit à l’école est particulièrement redoutable au
plusieurs modèles, dont l’encombrement augmente avec niveau des cantines scolaires [9]. Lorsque l’insonorisation

2
Le recrutement réalise une distorsion de la sensation d’intensité. Il apprécie le pincement de la plage d’intensité sonore, qui sépare le seuil
liminaire du patient – c’est-à-dire l’intensité la plus faible pour laquelle un son est perçu – du seuil pour lequel le son, soudain trop fort, devient
douloureux. On appelle cette plage la dynamique du sujet. Chez le sujet normal, cette dynamique va de 0 à 100 dB. Chez le sujet atteint d’une
surdité d’oreille interne, cette dynamique va se rétrécir. Quand le seuil liminaire s’élève à 40 dB par exemple, le sujet n’entendra que les sons ayant
au moins cette intensité, et n’entendra pas les sons plus faibles. De plus, le seuil douloureux va passer par exemple vraisemblablement de 100 à
80 ou 70 dB. La plage d’audition confortable – c’est-à-dire la dynamique de ce sujet sourd – ne sera donc plus que de 30 ou 40 dB, au lieu de
100 dB pour un sujet normal. Dans la vie quotidienne le recrutement gêne beaucoup le sourd, pour qui les sons, à peine perçus, deviennent
désagréables. Il est difficile de le supprimer, même si les prothèses auditives numériques commencent à pouvoir moduler en temps réel l’adaptation
nécessaire de l’intensité délivrée dans le haut-parleur.

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de celles-ci a pu être réalisée, on a observé une améliora- 4. Conclusion


tion du travail et de l’attention des élèves aux cours de
l’après-midi. À noter que les baladeurs ne sont dangereux Le progrès entraîne souvent l’émergence d’une patho-
que par les risques d’accidents qu’ils font encourir à leur logie nouvelle. L’amplification facile de la moindre sono-
porteurs distraits quand ils circulent dans les voies publi- rité, qui est depuis quelques années à la portée de tous, est
ques. Dans les usines, ou certains ateliers, le bruit perma- responsable de troubles progressifs, dont les dommages
nent, quelle que soit sa nature, entraîne une baisse de la insidieux compromettent la vie organique et la qualité de
vigilance, une diminution des performances et du respect la relation sociale.
des consignes de sécurité. Cependant, dans bien des Leur traitement est essentiellement préventif. Il est urgent
métiers dangereux, le bruit est utile, car il empêche l’assou- que l’information des jeunes générations et l’amélioration
pissement, surtout s’il comporte une question intermit- de la réglementation existante se conjuguent pour en
tente, impliquant obligatoirement une réponse. prévenir la survenue.

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à titre habituel de la musique amplifiée, à l’exclusion des salles dont setting by establishing a department of sound: a survey of recent research
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