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DOUGLAS E.

HARDING

VIVRE
SANS STRESS
L’accès direct à votre paix intérieure

ÉDITIONS ACCARIAS
L’ORIGINEL
VIVRE
SANS STRESS
SOMMAIRE

PRÉFACE......................................................................... 11

PREMIÈRE PARTIE........................... 13
PRINCIPES DE BASE
1 Votre rôle et le mien............................................. 15
2 La base.................................................................. 18
3 Soins d’urgence en cas de stress........................... 28

DEUXIÈME PARTIE........................................................ 35
COMMENT APPLIQUER LES PRINCIPES
DANS LA VIE QUOTIDIENNE
4 Le stress oculaire................................................... 37
5 Le stress du visage................................................ 43
6 Le stress physique................................................. 53
7 Le stress dans les relations personnelles et
sociales................................................................ 75
8 Le stress et le rythme de la vie moderne.............. 89
9 S’enrichir sans se stresser.................................... 108
10 Comment satisfaire le désir de notre cœur?.. 126
11 Le stress et la difficile condition humaine.... 143
12 Au-delà du monde du stress................................. 159

TROISIÈME PARTIE..................................................... 167


LE STRESS ET LES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE
LA VIE
13 L’enfance et l’adolescence.................................. 169
14 L’âge adulte......................................................... 190
. Introduction....................................................... 190
. La Dépression................................................. 195
. L’Indécision.....................................................217
. L’Échec............................................................224
. La Solitude.......................................................234
. L’Ennui............................................................ 249
. La Culpabilité.................................................. 260
. Les Problèmes Sexuels.................................... 269
. La vie est difficile........................................... 279
. Conclusion : troisattitudes possibles............... 293
15 La vieillesse........................................................ 307
16 La mort............................................................... 316
17 L’au-delà............................................................ 337

QUATRIÈME PARTIE.................................................... 359


LA PRATIQUE
18 La pratique........................................................ 361
TABLE DES EXPERIENCES

1. Montrer du doigt....................................................... 22
2. Pression du doigt...................................................... 23
3. Disparition du stress................................................. 29
4. Les lunettes............................................................... 39
5. Vos deux visages...................................................... 43
6. Observation de sensations internes particulières . 54
7. Observation de sensations internes générales.... 54
8. Descendre à l’intérieur du problème et le traver­
ser........................................................................... 61
9. Une expérience-dans-le-corps.................................. 65
10. Dans le sac................................................................ 75
11. Qu’est-ce qui bouge ?............................................... 93
12. La troisième personne en orbite de la Première
Personne............................................................... 98
13. C’est le mouvement qui construit........................... 100
14. L’argent dans la main............................................. 109
15. Quelle que soit la distance...................................... 112
16. Choisir ce qui est.................................................... 135
17. Essayez votre casque de sécurité
lre partie.............................................................. 145
18. Essayez votre casque de sécurité
2e partie............................................................... 147
19. Intérieur-Extérieur, un seulmonde......................... 165
20. Inclinons-nous encore devantl’évidence................. 197

9
21. Le puits de la solitude............................................. 243
22. Une fois de plus, inclinons-nous devant l’évi­
dence ................................................................. 325
23. Le visage du monde............................................... 351
24. La vision à 360°...................................................... 356
PREFACE

Cher lecteur,
Ceci est un livre grand ouvert. Il dit d’emblée ce qu’il a
à dire et si vous souhaitez l’abandonner à mi-chemin,
vous aurez néanmoins reçu son message et n’aurez rien
perdu d’essentiel.
C’est comme dans une piscine : vous pouvez vous amu­
ser à barboter dans le petit bassin ou entrer dans l’eau
jusqu’à la taille et nager quelques brasses, ou encore aller
jusqu’au bout du bassin et nager sous l’eau, plonger du
plongeoir le plus haut sans jamais toucher le fond. Mais
l’eau et son action thérapeutique restent les mêmes d’un
bout à l’autre. Alors, si vous avez envie de rester dans le
petit bain pour commencer, restez-у autant que vous
voudrez avant de vous lancer en eau plus profonde.
Si tout est clairement formulé dès le début, pourquoi
(me demanderez-vous) me donner la peine d’écrire les
derniers chapitres et vous de les lire? Parce qu’ils expli­
quent comment mettre en pratique ce qui a été découvert
dans les premiers chapitres. Les exercices anti-stress re­
commandés dans ce livre sont si simples et si faciles qu’il
est impossible de mal les faire et ils ont une telle réso­
nance que l’effet thérapeutique est immédiat. Ce qui est
difficile, c’est de l’entretenir jour après jour. Suivez votre
rythme et souvenez-vous que l’on ne se débarrasse pas des

11
vieilles habitudes du jour au lendemain. C’est un véritable
travail - le plus agréable que je connaisse - mais il est
indispensable.
Aussi ajouterai-je que si vous vous arrêtez à la moitié
du livre - disons à la fin de la deuxième partie - il serait
bon de lire au moins la quatrième, à la fin du livre, car elle
concerne les exercices quotidiens. Si vous les pratiquez,
cela vous aidera à revenir en arrière et à vous attaquer à
la troisième partie - sans peine ni stress.

Douglas Harding
PREMIERE PARTIE

PRINCIPES DE BASE

Le meilleur moyen pour trouver


quelque chose, c’est de regarder.
J.R.R. Tolkien (The Hobbit)

L’ignorant rejette ce qu’il voit mais


non ce qu’il pense. Le sage rejette ce
qu’il pense mais non ce qu’il voit.
Huang-po

Observez les faits avec les yeux d’un


petit enfant, et soyez prêt à renoncer
à toute idée préconçue. Suivez
humblement la Nature où que ce soit
et quel que soit l’abîme où elle vous
entraîne, ou vous n’apprendrez rien.
Т.Н. Huxley

Les aspects des choses les plus


importants pour nous sont cachés
parce qu’ils sont trop simples et
trop familiers.
Ludwig Wittgenstein

13
1

VOTRE ROLE ET LE MIEN

Il y a bien longtemps, le secret des transports est


apparu comme la plus simple de toutes les inventions, la
roue. Par la suite, le secret des mathématiques est apparu
comme la plus simple de toutes les idées : le zéro. Ainsi, le
secret d’une vie sans stress apparaît comme la plus simple
de toutes les expériences - simple à montrer, simple à
comprendre, simple à partager, simple à renouveler.
Comme vous allez le voir vous-même dans les pages
suivantes.

Votre rôle consistera à observer trois régies :


Premièrement, exécuter réellement les exercices faciles
que je vais vous demander de faire. Si vous les lisez
seulement, rien ne se produira et vous perdrez votre
temps.

15
Deuxièmement, vous en tenir strictement à ce que vous
découvrirez, prendre les résultats des expériences au sé­
rieux. C’est-à-dire ignorer, au moins pendant la durée
de chaque expérience, tout ce que l’on vous a habitué à
croire, et voir par vous-même, en partant de zéro, en vous
fiant à ce que vous allez découvrir, à savoir que vous êtes
bien plus heureux que vous n’avez jamais rêvé l’être. Je
vous dirai exactement comment exécuter les expériences.
Mais c’est vous qu’elles concernent, et c’est VOUS qui êtes
la seule autorité en ce domaine. Faites simplement ce que
je vous demande, soyez courageux et ouvert, vous ne
pouvez pas faire d’erreur.
Troisièmement: profiter de votre bonne fortune. Ce qui
signifie puiser dans le capital anti-stress qui est en vous
depuis toujours. Si vous le laissez simplement dormir à
la banque et refusez de signer des chèques, vous conti­
nuerez à vivre comme un pauvre - et un pauvre d’au­
tant plus malheureux que, tout au fond de lui-même, il
sait qu’il est responsable de sa propre misère. En
somme, profitez de vos découvertes et soyez généreux
envers vous-même.
Observez ces trois règles, je vous en prie. Quant à moi,
je vais vous donner une méthode pour vous débarrasser
du stress, une méthode que l’on peut décrire ainsi :
Elle s’apprend en un rien de temps.
Vous voyez immédiatement ce qu’il faut faire et com­
ment le faire.
Vous ne pouvez pas le faire mal.
L’élimination du stress est instantanée.
Si vous croyez ensuite avoir perdu le «truc», ce n’est
pas vrai, c’est simplement que vous n’avez pas été assez
attentif.
Se débarrasser du stress, quelle perspective ! Mais,
avant de commencer, une question se pose : « Si une vie
sans stress signifie une vie sans problèmes, une existence
parfaitement paisible, est-ce vraiment ce que je souhaite?
Ne vais-je pas m’ennuyer à mourir (ou mourir d’ennui) si
je ne subis plus aucune tension? Ne vais-je pas simple­
ment échanger le stress de la vie pleine de soucis que je

16
mène actuellement contre un stress pire encore: celui
d’une vie terne et ennuyeuse ? »
Ce livre se propose de résoudre la contradiction entre
notre aspiration à une vie paisible d’une part et notre soif
d’émotions et d’aventures de l’autre. Non seulement vous
entrerez au Pays du Non-Stress, mais vous ne perdrez
absolument rien des provocations, des sensations fortes,
des joies et des frissons du Pays du Stress.
Cela semble incroyable, bien trop beau pour être vrai,
trop vague et imprécis? Très bien. Alors, mettons-nous
au travail immédiatement et vous allez voir ce que je veux
dire.
2

LA BASE

AUCUNE CHOSE, AUCUN STRESS


Le stress est la conjugaison d’un ensemble de forces qui
s’exercent sur un objet et de la réaction de cet objet à cette
pression. Par exemple, ce livre est soumis de tous les côtés
à la pression de l’atmosphère, et par endroits à celle de
vos doigts. Il est également attiré vers le bas par la force
de gravité. Il est stressé.

18
Toute chose sur terre est soumise au stress : les liquides
et les gaz tout autant que les solides; l’air que nous
respirons et l’eau que nous buvons; ainsi que les objets
situés dans l’espace. En fait, tous les corps qui composent
Г Uni vers sont constamment soumis à l’influence de tous
les autres corps, comme si chacun d’entre eux ne pouvait
vivre qu’en se confrontant aux autres. Ils sont tous pris
dans une immense toile d’araignée dont ils ne peuvent
s’échapper.
Comment nous libérer de cela? Vous qui êtes en train
de lire ce livre, si vous restez assis sans vous affaisser
comme une chiffe molle, c’est bien parce que vos muscles
exercent une traction intense sur vos os.
Il y a deux façons d’échapper à cela. La première est de
devenir si petit, si vide, si «excluant» qu’il n’y a rien en
vous qui puisse attirer quoi que ce soit, rien à agresser,
rien sur quoi agir ou réagir. La deuxième est exactement
le contraire. Devenir si grand, si plein et si «incluant»
qu’il ne reste rien, à l’extérieur de vous, qui puisse vous
agresser, vous soumettre à une pression ou vous influen­
cer en aucune sorte, rien qui puisse provoquer votre
réaction.

Essayons de formuler cela autrement. Le stress s’exerce


sur des choses spécifiques. Si vous étiez rien - «non-
chose », vous ne pourriez être stressé.

'"'N.D.T.: Jeu de mots sur «nothing» = rien, et no-thing = «non-chose ».

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Et réciproquement, si vous étiez tout - toutes choses -
vous seriez également à l’abri du stress. De cette manière,
vous ne risqueriez plus d’être l’une de ces malheureuses
choses intermédiaires qui ne sont ni assez vides ni assez
pleines pour être à l’abri du stress. Vous éviteriez de rester
assis entre deux chaises - le vide total et le plein total - en
vous établissant fermement sur les deux à la fois. En étant
rien et tout, vous seriez dans une position extrêmement
avantageuse, sûre et confortable. Vous auriez déjà atteint
notre but: la Terre Promise du Non-Stress, même s’il
vous fallait un certain temps pour vous y acclimater.
Eh bien, je vous le dis: réjouissez-vous ! Vous y êtes
déjà!
Mais ne me croyez pas sur parole, acceptez simplement
de vous ouvrir à cette possibilité et laissez-moi vous
présenter les expériences qui vous permettront de vous
faire votre propre opinion sur ce sujet d’une importance
vitale. Fiez-vous uniquement à ce que ces expériences
vont vous révéler.

VOUS ETES UN PRODUIT DE LA DISTANCE


Depuis que vous êtes apparu sur la scène humaine,
vous avez été bombardé d’informations destinées à vous
persuader que vous êtes un corps solide, opaque, coloré et
d’une forme déterminée - donc que vous êtes une chose.
Et une chose est sujette au stress.
Evidemment, c’est ainsi que les gens vous voient - et ils
ont raison à l’endroit d’où ils regardent - et vous avez
raison d’adopter leur point de vue et d’utiliser votre
imagination pour vous voir comme ils vous voient, eux,
à deux mètres de distance, par exemple. Mais ce n’est pas
aussi simple. Vu de beaucoup plus loin, d’une distance
d’environ deux cents mètres, vous avez un tout autre
aspect: vous êtes une tâche de couleur dans le paysage.
De même, si l’on vous examine de tout près, disons : à un
centimètre, avec un microscope, vous êtes une toute autre
tâche de couleur, dans une autre sorte de paysage. Ces

20
trois portraits de vous, pris à trois distances différentes -
de près, à mi-distance et de loin - ne montrent que trois
de vos apparences dont le nombre est infini. Elles vous
appartiennent toutes, oui toutes, et pas seulement les
quelques images prises à mi-distance, qui vous représen­
tent comme un être humain.

Mais il existe de vous un portrait tout à fait spécial, celui


qui vous montre tel que vous vous voyez. Pas en imagina­
tion, cette fois-ci, mais en réalité, à une distance de zéro
centimètre, exactement là où vous vous trouvez. Ce n’est
pas une apparence de plus parmi toutes les autres. C’est
leur origine-même. C’est leur réalité centrale, celle qui les
génère toutes. C’est votre expérience intérieure qui n’est
révélée qu’à vous seul. Ce n’est pas ce à quoi vous ressem­
blez. C’est ce que vous êtes.
Et c’est unique, absolument différent de tout ce que vous
avez jamais rencontré. Ne me croyez pas sur parole, vérifiez
vous-même. En effectuant notre première expérience.
Souvenez-vous qu’il est inutile de poursuivre cette lec­
ture si vous ne faites pas vraiment cette expérience et les
suivantes. Ne serait-ce que pour quelques instants, aban­
donnez mémoire, imagination et idées préconçues. Ne
vous fiez qu’à l’évidence présente, à la perception du
moment. Soyez assez humble pour accepter de simple­
ment regarder et prendre la chose au sérieux. Pensez que

21
ce que vous allez voir va vous faire prendre conscience de
quelque chose d’extrêmement important. Acceptez de
regarder, avant de redéclencher tout le processus de la
construction mentale.

Expérience n9 1 : Montrer du doigt

Montrez du doigt le mur en face de vous... Voyez


comme il est solide et opaque.

Maintenant, repliez lentement votre index vers le bas


jusqu’à ce qu’il pointe vers le sol... Ce que vous désignez,
c’est encore quelque chose, une surface... Ensuite, retour­
nez votre main et pointez le doigt vers vos pieds... vos
jambes... votre poitrine... Toujours des choses, toujours
des surfaces...
Finalement, pointez vers ce qui est au-dessus de votre
poitrine: votre cou, votre visage, vos yeux... ou plutôt
l’endroit où l’on vous a dit que ces choses se trouvent...
ICI, AUCUNE SURFACE, PAS LA MOINDRE CHOSE A
DESIGNER
Vérifiez vous-même: c’est sans forme... sans couleur...
transparent... sans limites... Gardez votre doigt pointé
dans cette direction, plongez votre regard dans le vide...
Voyez comme cette non-chose que désigne actuellement
votre doigt est large, haute, profonde.
Et précisément, parce que vide de tout, n’est-ce pas vide
pour tout ? Observez, vérifiez, voyez comme c’est plein de
toute la scène environnante - le plafond, les murs, la fenê­
tre, et le paysage qu’elle encadre, le plancher, ces jambes et
ce torse et ce doigt lui-même. Voyez comme la non-chose
que vous êtes est toutes les choses qui sont offertes.

22
Avez-vous jamais été autre chose que cette NON-
CHOSE/TOUTES CHOSES, cette union parfaite entre le
rien et le tout, libre de tout stress ? En ce moment-même
vous pouvez constater que du côté désigné par le doigt il
n’y a rien qui puisse être stressé, rien qui puisse être
agressé. Vous pouvez également remarquer que ce rien,
ce vide qui est le vôtre, n’a aucune limite : ni vers le haut,
ni vers le bas, ni sur les côtés, aucune frontière au-delà de
laquelle un observateur étranger pourrait vous guetter
pour exercer une pression sur vous. Pour ces deux rai­
sons, vous êtes définitivement à l’abri du stress, parce que
vous - le véritable VOUS qui est non-chose/toutes choses
- n’avez jamais pu y être soumis.
Félicitations !
Je vous invite maintenant à faire l’expérience du stress
sur un échantillon de ces choses spécifiques, l’une de ces
choses intermédiaires entre le rien et le tout, et à constater
en même temps votre liberté par rapport à ce stress.

Expérience ne 2 : Pression du doigt

Ouvrez la main et pressez l’ongle de votre index contre


votre pouce aussi fort que possible...
Observez bien où est le stress, dans l’instant présent.
N’est-il pas dans ces choses? Et l’absence de stress, n’est-
elle pas en vous-même, cette non-chose qui accueille
toutes choses avec leur forme, leur couleur et leur opa­
cité ? Remarquez que vous ne subissez pas plus le stress de
cette main, que vous ne prenez sa forme, ou sa couleur,
ou son opacité.

23
Etant simplement espace vide pour accueillir cette
main, ses tensions et ce qui l’entoure, vous devez forcé­
ment être différent de tout cela. Votre véritable nature est
de rester impassible, transparent, immaculé et parfaite­
ment indemne comme votre écran de télévision, inaltéré
par la série de crimes, fusillades et catastrophes qu’il
révéle; ou votre miroir que ne trouble jamais ce qu’il
reflète impartialement.
Dans les chapitres suivants, nous allons voir comment
appliquer cette découverte fondamentale aux problèmes
de la vie, et en particulier à toutes les situations habituel­
lement stressantes et angoissantes. Nous allons découvrir
comme il est important et commode d’être non-chose/
toutes choses de manière consciente, et comme il est
inconfortable et mensonger de se prendre pour l’une des
innombrables choses qui se trouvent entre ces deux états,
comme entre deux chaises. Quant aux doutes et aux
objections qui vous viennent certainement déjà à l’esprit,
nous y répondrons moins par des mots que par un en­
semble d’expériences.
En attendant, chaque fois que vous hésitez à croire que
vous êtes à l’abri de tous les maux auxquels les choses
sont assujetties, retournez simplement au seul endroit
dans tout l’Univers où il n’y a aucun occupant et qui est
inaccessible aux choses et donc au stress.

Ne négligez plus cet endroit si précieux, votre centre


vital qui, pour peu que vous y portiez votre attention,

24
explose instantanément aux dimensions de l’univers. Et
tout devient clair.

TROIS CAS
Pour illustrer nos propos, voici les cas de trois person­
nes réelles. D’abord, un Français qui, à force de s’identi­
fier à une chose, est devenu si nerveux et maladroit qu’il
en est ridicule : un désastre ambulant. En réalité, il n’est
pas une personne réelle, mais un mensonge vivant. Puis,
une jeune Canadienne qui, elle, est merveilleusement à
l’aise, le charme en personne, parce qu’elle vit la réalité
de son état de non-chose. Enfin, un Américain qui décou­
vre la non-chose inaccessible au stress qui est en lui et
devient l’un des présidents des Etats-Unis les plus admi­
rables.
Assis à la terrasse d’un café, le célèbre écrivain Jean-
Paul Sartre raconte dans « L’Etre et le Néant » à quel
point il est fasciné par le comportement du garçon qui
le sert.
« Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu
trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un
peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement,
sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein
de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà
qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la
rigueur inflexible d’on ne sait quel automate, tout en
portant son plateau avec une sorte de témérité de funam­
bule... Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s’applique
à enchaîner ses mouvements comme s’ils étaient des mé­
canismes... il se donne la prestesse et la rapidité impi­
toyable des choses. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi donc
joue-t-il?... il joue à être garçon de café. »
Reprenons l’histoire. Si au lieu de jouer à être un
garfon dans un café, il pouvait voir que sa propre expé­
rience est d’être à cet instant le café lui-même, avec tout
ce qui s’y passe (y compris ses propres bras et jambes
qui accomplissent leur tâche), notre garçon factice se

25
transformerait immédiatement en son contraire. Si au lieu
de faire semblant d’être une chose, il arrêtait sa comédie
et revenait à son état de non-chose, s’il était lui-même
pour lui-même, il serait pour les autres le meilleur garçon
de café de Paris. Fidèle à sa propre réalité, il ne paraîtrait
faux à personne.
Il ressemblerait à notre second cas, Karen, une jeune
Canadienne qui, à l’âge de neuf ans, écrivit ce petit
poème :

Avez-vous déjà eu l’impression de n’être personne -


Rien qu’un minuscule atome d’air -
Tous ces gens autour de vous
Et vous n’êtes tout simplement pas là ?

Karen avait l’innocence et le courage de croire ce


qu’elle voyait. Elle aurait pu jouer le jeu des grandes
personnes et devenir une petite chose contractée et ti­
mide au milieu d’une pièce remplie d’autres grandes cho­
ses contractées et timides. Heureuse Karen, elle y a
échappé! Maintenant qu’elle est adulte, j’espère qu’elle
n’a pas complètement perdu l’art suprême de se volatili­
ser, de s’épanouir dans sa vacuité intérieure, bref d’être
une personne réelle: une personne qui laisse les autres
s’occuper de son apparence, tandis qu’elle-même prend
soin de ce qu’elle est : espace libre et invulnérable à
même de les accueillir.
Notre troisième exemple est Woodrow Wilson,
28e président des Etats-Unis, qui a écrit :

En fait de beauté, je ne suis pas une étoile


Il y en a d’autres plus plaisants et de loin.
Quant à mon visage, il ne me dérange pas,
Car je me tiens derrière ;
Le choc est pour ceux qui sont devant !

Ce n’est pas un hasard si l’auteur de ce poème plein de


sagesse a su résister avec autant de courage et de créati­
vité aux pressions de sa carrière. Il avait trouvé le chemin

26
du non-stress derrière la façade de la vie présidentielle et
les tensions qu’elle comporte. Le résultat n’était certaine­
ment pas aussi choquant pour son entourage qu’il voulait
bien le laisser croire.
3

SOINS D'URGENCE
EN CAS DE STRESS

PÉNÉTRER LE PROBLÈME
La vie a le secret de nous bousculer, nous faire perdre
notre équilibre, nous piéger lorsque nous sommes décen­
trés. Nous arrive-t-il quelque chose de fâcheux et inat­
tendu, et nous voilà en pleine crise de stress ! C’est peut-
être une facture trois fois plus élevée que prévu, ou la
remarque désobligeante d’un ami ou la mort d’un être
cher. Mais il nous arrive également d’être stressé sans
aucune raison apparente: nous sommes tendus, dépri­
més, abattus sans même savoir pourquoi. Ce stress inex­
pliqué peut se traduire par une migraine, ou n’importe
quel malaise.
A ce moment-là, nous avons besoin de soins d’urgence.
Ce chapitre va traiter des mesures à prendre en cas de
crise, parallèlement au traitement anti-stress permanent
qui nous intéresse en priorité.
Comme dans tous les cas d’urgence, la première chose à
faire est de supprimer la cause du mal. Par exemple, vous
pouvez réexaminer cette grosse facture, l’étudier dans le
détail avec son auteur et (espérons-le) faire corriger cer­
tains points litigieux... Ou encore, au lieu d’éviter votre
ami désobligeant, vous pouvez aller au-devant de lui et
vous découvrirez peut-être que sa remarque n’était pas

28
si méchante que cela. C’est en vous éloignant de lui que
vous vous en étiez fait une montagne. Quant à la mort de
cet être cher, peut-être le temps du deuil est-il passé et
c’est le moment de comprendre que si sa forme humaine
éphémère a disparu, sa Réalité est toujours aussi présente.
La Vacuité Consciente, votre Réalité commune, est éter­
nelle, et en voyant que c’est réellement ce que vous êtes,
vous êtes peut-être plus proche de lui que jamais. En fait,
vous êtes lui, là où le deuil et ses souffrances ne peuvent
avoir accès.
C’est parce que nous les fuyons que nos problèmes, nos
tensions, nos angoisses prennent tant d’importance.
Quand nous allons à leur rencontre, ils s’évanouissent
comme un mirage.
Cette première démarche dans un traitement d’urgence
du stress donne déjà une idée du remède global. La règle
d’or est la même tout au long de ce livre: pénétrer le
problème, se fondre en lui. Pour se libérer, il faut descen­
dre à l’intérieur de la souffrance, l’accepter et la traverser,
et non la survoler pour s’en détacher et la fuir.
Vous n’êtes peut-être pas spécialement stressé en ce
moment. Mais vous pouvez certainement trouver quelque
légère tension dans un recoin de votre corps pour tester
notre traitement d’urgence. Essayez de repérer une zone de
tension, même légère, une sensation gênante, voire dou­
loureuse... Peut-être dans le cou... ou autour de la bouche,
des yeux... ou n’importe où dans votre corps.
Si vous l’avez trouvée, concentrez-vous sur elle tout au
long de l’expérience suivante. Surtout prenez votre temps
et répondez à chaque question soigneusement, en vous
basant uniquement sur votre perception directe, avant
de passer à la question suivante. Pour que ce soit posi­
tif, il faut y consacrer au moins cinq minutes.

Expérience n9 3 : Disparition du stress

En vous fiant à l’évidence du moment,


• Où exactement si tuez-vous cette zone de tension...?

29
A quelle distance du sol...? A quelle distance du pla­
fond... ? A quelle distance du mur en face de vous... ?
• Est-ce un seul bloc ou est-ce divisé en deux parties... ?
ou plus...?
• Quelles sont les dimensions de cette zone...? Essayez
de la délimiter... sur le côté... vers le haut... vers le bas... ?
• Quelle est sa forme...? carrée... ronde... ellipsoï­
dale...?
• Quelle est sa couleur si elle en a une...? rosâtre...
grisâtre...?
• Est-elle fixe ou se déplace-t-elle... ?
• La sensation est-elle intermittente ou constante?
Si vous avez exécuté cette expérience consciencieuse­
ment, si vous y avez consacré quelques minutes, il vous
semble certainement de plus en plus difficile de déceler
la moindre tension où que ce soit. Très probablement
elle a complètement disparu, du moins pour le mo­
ment.
Bien sûr, ayant fait disparaître la tension ou la douleur,
vous pouvez facilement la faire réapparaître en y pensant,
c’est-à-dire en reprenant une distance par rapport à elle.
Vous devez «coïncider avec» le problème pour le suppri­
mer.
Aucune tension physique, c’est un fait, ne résiste à un
examen vraiment approfondi - pour peu qu’on y consa­
cre assez de temps et d’attention. Les tensions sont des
attributs de votre corps, et votre corps, comme tout objet,
se dissout lorsqu’on s’en approche de très prés. C’est la
distance qui fait de vous et de votre stress quelque chose et
la disparition de cette distance qui vous réduit, vous et
lui, à rien.
Ne laissez pas la vie vous surprendre décentré, à côté
de vous-même. Rentrez simplement Chez Vous, soyez
simplement la non-chose que vous êtes de toute façon,
et tous les problèmes seront résolus. Tout comme le
calme absolu règne dans l’œil du cyclone, la paix se
trouve au cœur même de la tempête de la vie - et c’est
là votre vraie demeure. Faites comme le scarabée qui,
pour échapper à la tortue affamée, s’introduit dans sa

30
carapace. Le fait d’aller droit au cœur du danger suffît à
l’éliminer.
Quand j’étais tout petit, mon père avait une recette
magique pour «faire passer la douleur». Une anecdote
particulière me revient à la mémoire: j’étais tombé et
m’étais fait mal à la jambe. Il appliqua un penny (l’une
de ces grandes pièces de monnaie anglaises d’autrefois)
sur la blessure. Le miracle se produisit : j’adhérai complè­
tement à la cause de mes larmes, qui s’évanouit. La
douleur me quitta réellement, comme mon père me
l’avait promis, parce que j’avais cessé de la fuir.
Ceci s’applique également au stress mental et aux émo­
tions négatives qui se développent aussi, et surtout, quand
on les fuit. Selon le Dr. Hans Selye, éminent spécialiste du
stress : « Il est bien établi que le seul fait de savoir ce qui
nous fait mal a une valeur curative inhérente». Vous avez
mal, vous êtes triste, en colère, anxieux? Très bien, soyez-
le ! N’esquivez pas la souffrance, ne faites pas semblant de
l’ignorer. Elle est là. Enfoncez-vous carrément dedans.
Expérimentez-la réellement. Et voyez ce qui se passe
quand elle n’est pas là-bas, mais ici.

SOINS D’URGENCE ET TRAITEMENT


A LONG TERME
Ainsi notre traitement d’urgence anti-stress est essen­
tiellement le même que notre traitement à long terme (qui
consiste, rappelons-le, à être sans cesse conscient du cen­
tre libre-de-tout-stress à partir duquel nous vivons de
toute façon). Ce n’est pas la formule du remède qui est
différente, mais son utilisation. Le traitement à long
terme peut (et devrait) se poursuivre tout au long de nos
activités quotidiennes. Il ne vous empêchera pas de vous
occuper de la cuisine et du bébé, de dicter des lettres
compliquées, de conduire sans accidents, ou de présider
une réunion. Au contraire, il vous aidera à mieux ac­
complir toutes ces tâches. Il n’en est pas de même pour
les soins d’urgence. Vous identifier à votre migraine et la

31
faire disparaître exige un certain temps. Il faut vous
concentrer sur elle seule et, pour ce faire, arrêter votre
travail chez vous, au bureau ou ailleurs, sinon cela risque
d’être dangereux. C’est à vous de discerner quel traite­
ment doit être appliqué - l’un, chaque jour et (finale­
ment) toute la journée, l’autre, en cas d’urgence et de
crise, à votre discrétion.
Je devrais ajouter que nos soins d’urgence sont diffé­
rents des premiers secours ordinaires dans la mesure où
les résultats sont difficiles, voire impossibles à prévoir. Le
principe selon lequel nous faisons disparaître ce avec quoi
nous coïncidons n’admet aucune exception. Mais son
efficacité varie selon la capacité de concentration de cha­
cun. Essayez ce traitement sans hésitation, mais ne le
considérez pas comme une méthode sûre et infaillible
pour obtenir exactement les résultats que vous recher­
chez. Il peut faire des miracles, mais il peut également
sembler inefficace.
L’avantage, c’est que notre traitement d’urgence dé­
passe le cadre des simples secours. Ce n’est pas seulement
un expédient pour nous permettre de traverser une crise :
il renforce la thérapie à long terme. Les psychologues et
l’expérience nous enseignent que les circonstances qui
accompagnent les moments de grand stress laissent sur
nous une impression profonde. A l’âge de 7 ans, je fus
poursuivi à travers toute la ville par un chien féroce. Fuir
le problème, c’était en fait l’attirer sur moi : j’aurais dû
rester immobile. Je me souviens très bien de la scène : les
gens qui me regardaient et les maisons qui défilaient
comme des éclairs tout ceci est gravé dans ma mémoire
pour la vie parce qu’à ce moment-là j’étais plus stressé et
angoissé que je ne l’ai jamais été.
Vous pourrez faire de ce principe un usage très positif.
En accueillant les moments de stress comme des appels
urgents à rentrer Chez Vous, là où il n’y a jamais aucun
stress, vous pouvez établir une association utile entre le
mal et son remède, entre votre stress et ce centre de vous-
même que rien ne peut stresser. Prendre conscience de
votre état de non-chose quand tout va bien est un bon

32
entraînement. Mais le faire quand tout va mal est encore
mieux. Alors, le fait de rentrer chez vous vous laisse une
impression encore plus profonde et la vie ne pourra plus
vous surprendre en état de distraction ou de demi-som­
meil.
DEUXIEME PARTIE

COMMENT APPLIQUER CES


PRINCIPES DANS LA VIE
QUOTIDIENNE

Des hommes ont quitté leur pays, leur


père et leur mère, leur maison, leurs
parents, leur famille, et ont voyagé de
Hind en Sind, jusqu’à ce que leurs
bottes de fer soient en lambeaux,
dans l’espoir de rencontrer Celui qui
aurait le parfum de l’autre monde.
Combien d’entre eux sont morts du
chagrin de ne L’avoir pas trouvé!
Mais vous L’avez trouvé ici, dans
votre propre maison, et vous Lui
tournez le dos.
Rumi

Oublier le Soi est la source de toutes


les misères.
Ramana Maharshi

La plupart de nos tensions et de nos


frustrations proviennent de notre
besoin irrésistible de jouer le rôle de
quelqu’un que nous ne sommes pas.
Dr. Hans Selve, The Stress of Life.

35
La DEUXIEME PARTIE traite des remèdes contre toutes
les formes que peut revêtir le stress dans la vie quoti­
dienne - stress dans les yeux, dans le visage, dans le
corps et jusqu’à celui qui perturbe nos relations avec les
autres et avec le monde. Le principe reste le même à tous
les niveaux : DESCENDRE JUSQU’AU FOND DU PROBLÈME
- ACCEPTER - TRAVERSER, mais nous allons voir que son
application varie beaucoup et nous réserve bien des sur­
prises.
4
LE STRESS OCULAIRE

Nous souffrons tous parfois de tensions musculaires


involontaires, principalement dans le cou, le visage et
surtout autour des yeux. Elles sont néfastes.
Selon le Dr. Edmund Jackson de l’Université de Chi­
cago, si vous réussissez à relâcher simplement les muscles
de vos yeux, vous avez résolu tous vos problèmes ! Il
pense que la tension autour des yeux mobilise le quart
de l’énergie nerveuse consommée par le corps. Encoura­
gés par ces déclarations (sans les prendre pour parole
d’évangile), nous allons voir dans ce chapitre comment
traiter la tension oculaire et les problèmes qu’elle suscite.

L’OUVERTURE DU TROISIEME ŒIL


Il est une expérience ancienne et très recherchée, plus
connue en Orient qu’en Occident, nommée «l’Ouverture
du Troisième Œil», cet organe mystérieux situé, selon
l’iconographie orientale, entre les deux yeux et légère­
ment au-dessus d’eux.
On s’imagine en général que cette ouverture du troi­
sième œil, ou œil unique, est purement symbolique,
qu’elle concerne davantage une transformation de ce
que l’on regarde plutôt que de ce à partir de quoi l’on

37
regarde. On aurait tout à coup (pour je ne sais quelle
raison) une vision nouvelle de la vie, illuminée, divine,
unifiée. Certains ont même pris le message à la lettre et
se sont fait percer un trou dans le front, aussi incroyable
que cela puisse paraître. D’autres encore affirment que,
loin d’être une métaphore, la vision centrale par un œil

unique est parfaitement réelle et qu’elle est le secret de


notre bonheur. Un maître du Proche Orient établissait un
lien entre l’expérience de l’œil unique et celle du corps
plein de lumière. Pour lui, c’était la naissance à la vie,
alors que le fait d’avoir deux yeux était l’entrée en enfer.
Et par enfer nous pouvons entendre : le Pays du Stress.
Le grand tournant de la vie de Ramakrishna, célèbre
sage indien du siècle dernier, se produisit lorsqu’il rencon­
tra un saint homme itinérant qui lui planta un éclat de
verre entre les deux yeux en lui disant de se concentrer là-
dessus. Après une courte période d’adaptation, la vie de
Ramakrishna devint extraordinairement active, sponta­
née et pourtant dénuée de toute tension. A tel point
qu’il fut l’un des plus grands inspirateurs de la renais­
sance indienne à cette époque. Si je mentionne son rôle
historique, c’est pour que vous ne soyez pas tenté de sous-
estimer ce qui lui est arrivé ou de rejeter ce qui est sur le
point de vous arriver à vous. (Mais soyez sans inquié­
tude: notre opération pour ouvrir votre Œil n’est pas
une opération chirurgicale, elle est beaucoup plus douce
et néanmoins tout aussi efficace).

38
Expérience n° 4 : Les lunettes

Selon votre propre expérience, en cet instant, avec


combien d’yeux regardez-vous?
Si vous portez des lunettes, tenez-les à bout de bras.
Sinon, simulez des verres avec vos doigts.

Maintenant, très lentement... rapprochez-les de vous en


observant ce qui leur arrive... chaussez-les et abaissez les
mains.
Avec combien d’yeux croyiez-vous regarder au début de
l’expérience? Et maintenant...? Que constatez-vous?...
Avec combien d’yeux regardez-vous en réalité?
Voyez comment ces deux verres jumeaux se sont remo­
delés en chemin pour devenir un monocle parfaitement
adapté à l’Œil Unique.

Votre Œil Unique ou Troisième œil est grand ouvert.


Félicitations ! En avez-vous jamais eu d’autre?
Vous pouvez vérifier facilement maintenant l’immensité
de votre champ de vision, de votre Troisième Œil. Des­
sinez de vos mains son contour, mesurez son amplitude
bras tendus, puis largement écartés, si largement qu’ils

39
disparaissent presque. Plutôt qu’un Œil, n’est-ce pas une
fenêtre ouverte, une Ouverture immense sur le monde,
ovale, sans verre, sans monture, un Trou? Pas un trou
dans quelque chose, mais simplement un trou, sans limi­
tes et vaste comme le monde (faut-il être assez fou pour
essayer d’ouvrir cela avec une perceuse électrique !).
Et c’est un trou doublement libéré du stress - car il n’y
a visiblement rien, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui
puisse subir ou imposer une tension. Ne laissez pas les
gens vous dire avec quoi vous regardez. Ils ne sont abso­
lument pas en mesure de le savoir, loin de là !
Cette célèbre et très vieille expérience du Troisième Œil
est parfaitement réelle et tout à fait évidente (pour peu
que vous preniez la peine de regarder). Elle est efficace et
vous pouvez la renouveler chaque fois que vous le sou­
haitez. Faites-la, pour vous détendre les yeux.
Quelle tension nous subissons, quelle énergie nous
gaspillons en essayant de construire quelque chose là où
il ne peut rien y avoir ! En essayant par exemple, comme
on nous le demande, de placer au centre vide de notre
univers-de-choses, deux objets à travers lesquels le regar­
der, qui ne peuvent, en fait, que nous encombrer et nous
obstruer la vue. Comme si des choses étaient capables de
voir quoi que ce soit. Pas étonnant que les visages des
animaux et des bébés soient grand ouverts, sereins, jamais
crispés. Eux n’essaient pas de tenter l’impossible! Ils
regardent tous avec leur Œil Unique. Mieux encore, ils
ne regardent pas « avec », ils sont leur Œil Unique.
Il est très instructif de voir comment les enfants se
représentent leurs yeux. Je pense à ceux qui ne sont plus
des bébés regardant inconsciemment avec leur Œil
Unique, et pas encore des adultes persuadés de regarder
avec deux yeux. Certains se dessinent avec un seul œil.
D’autres, qui ont grandi vite et s’inspirent des visages
qu’ils voient autour d’eux, en dessinent deux. A deux
ans et trois mois, Johnny voit les choses autrement. Il
demande à sa mère de lui faire un dessin. Elle trace un
cercle pour un visage, puis demande : « Et après ? ».
Johnny réclame un torse, un pantalon, puis des pieds et

40
des mains. Ensuite, il veut des yeux, alors sa mère en
dessine deux. Mais il insiste: il en veut encore, encore,
encore, jusqu’à ce que tout le visage soit couvert d’yeux.
C’est alors seulement qu’il déclare le dessin terminé.

Depuis des siècles, les sages nous répètent que les vérités
les plus importantes nous sont enseignées par les enfants.
Le message du petit Johnny est frappant. Comme lui,
nous vous proposons dans ce chapitre d’être tout yeux,
c’est-à-dire conscients d’être si grand ouvert à la scène qui
s’offre à vous que vous êtes la scène. Il est si facile, si
agréable et si naturel d’observer en même temps ce que
vous regardez et ce à partir de quoi vous regardez - facile,
agréable et naturel de vérifier les dires de Maître Eckhart :
« Nous ne pouvons voir le visible qu’avec l’invisible ». Et
vraiment, quoi de plus anti-naturel, inutile et même dé­
ment, que d’interposer une paire de globes oculaires ima­
ginaires entre ce qui voit et ce qui est vu. (Ce sont les gens
autour de vous - y compris la personne là-bas, dans votre
miroir - qui ont des visages avec des yeux ; ici, vous
n’avez rien de ce genre). Je ne connais pas de moyen
plus simple, plus agréable, plus accessible et pourtant
plus discret de vaincre le stress que cette Ouverture du
Troisième Œil. Ce qui est amusant, c’est que les gens ont
peut-être remarqué la nouvelle lumière dans vos yeux et le
relâchement inhabituel de vos muscles oculaires, mais ils

41
n’ont pas la moindre idée de votre secret, à savoir que là
où vous êtes, vous avez simplement laissé tomber tout
cela : muscles et globes oculaires !
Au début de ce chapitre, j’ai cité le Dr. Jackson qui
affirme que si vous réussissez à détendre les muscles de
vos yeux, vous avez résolu tous vos problèmes. Vous avez
maintenant le moyen de vérifier cette affirmation, avec
une expérience qui durera toute votre vie !
En attendant, n’oubliez pas : pour éviter le stress ocu­
laire, regardez sans les yeux. Dés maintenant vous pouvez
voir que ce qui reçoit ces mots imprimés est un espace
vide parfaitement détendu.
5
LE STRESS DU VISAGE

VOTRE VISAGE ORIGINEL


Dans ce chapitre, nous allons aborder le stress dans la
zone visage-tête-nuque. Il s’agit aussi d’un genre de traite­
ment de beauté élémentaire et efficace.
Toutes les choses sont stressées. En vous imaginant être
l’une d’elles, vous vous chargez de ses tensions. Mais
lorsque vous voyez qu’en fait vous êtes un espace vide
vous permettant de l’accueillir, vous vous déchargez de
ses tensions. Voyons ce qui se passe quand cette chose
est votre visage.

Expérience n" 5 : Vos deux visages

Si vous n’avez pas de petit miroir oval ou rond, un


miroir rectangulaire ordinaire fera l’affaire. Tenez-le à
bout de bras. Encadrez-y votre visage et maintenez-le
ainsi tout au long de l’expérience.
Abandonnant idées préconçues et imagination, voyez
où se présente ce visage... remarquez bien l’endroit où il
se trouve à l’autre extrémité de votre bras. C’est là aussi
que les autres le reçoivent, c’est là qu’ils placent leur
appareil photo pour le photographier et que vous placez

43
le vôtre pour un autoportrait. C’est là qu’il a toujours été,
jamais beaucoup plus près ni jamais beaucoup plus loin.
Et vous pouvez constater maintenant que cette chose
n’est pas, et n’a jamais été de ce côté-ci de votre bras,
posée sur ces épaules-ci...
Votre visage humain, votre visage acquis, votre appa­
rence est là-bas, à un mètre environ. C’est une chose.
Mais ici, de ce côté-ci de votre bras, se trouve votre
visage non-humain, votre Visage Originel, votre Réalité.
Ce n’est pas une chose. Voyez comme la différence est
grande entre les deux. Voyez comme celui-ci, à 0 centimè­
tre de distance, est lisse, comme son teint est clair et pur,
son expression ouverte et sereine, comme il est paisible et
lumineux ! Et ce petit visage fermé, là-bas ? Eh bien celui-
là est pour les autres. C’est leur affaire. Le choc est pour
eux, comme le disait le président Wilson.
Il ne s’agit pas d’un tout nouveau traitement expéri­
mental qui n’a pas encore été testé. Au contraire, il a une
longue et respectable histoire. Un texte bouddhiste vieux
de mille ans décrit ce que vous venez de voir de ce côté-ci
du miroir, comme votre «Visage Originel lumineux et
charmant », et il serait bien étonnant qu’avec le temps et
de l’attention, un peu de cette lumière et de ce charme ne
déteigne pas sur cet autre visage, si différent, de l’autre
côté du miroir. En fait, un texte indien très ancien affirme
qu’il en est ainsi. C’est l’histoire d’un roi et d’une reine

44
qui peu à peu s’éloignaient l’un de l’autre. Contrairement
à la reine, le roi était si préoccupé par ses affaires (d’Etat
ou autres, l’histoire ne le dit pas) qu’il n’avait pas le temps
de se consacrer à la découverte de lui-même. Après quel­
ques années, le roi réalisa soudain combien sa femme
avait changé. «Comment se fait-il que tu sois si belle?»
lui demanda-t-il. « Parce que j’ai trouvé mon être pro­
fond, répondit-elle, j’ai vu ma Véritable Nature». Le
reste de l’histoire - la colère du roi, comment il la chassa
du palais, comment il comprit finalement qu’il avait lui
aussi besoin de trouver sa véritable identité, comment il se
retira dans la forêt et y trouva son gourou (qui n’était
autre que la reine déguisée) - tout cela est touchant mais
hors de notre propos. Ce qui nous intéresse ici, c’est que,
lorsque la reine vit ce que vous voyez maintenant (car je
suppose que vous avez fait consciencieusement l’expé­
rience numéro 5) - c’est-à-dire son Visage Central et
non humain - l’effet produit sur son visage humain et
périphérique fut si évident que même son mari peu obser­
vateur et absorbé par ses affaires ne put l’ignorer.
Cette histoire se passait il y a très longtemps et dans un
pays lointain. Elle démontrait à quel point il est béné­
fique, à long terme, de bien faire la différence entre nos
deux visages et de bien mettre chacun à sa vraie place.
Voici maintenant une histoire plus récente et d’un tout
autre genre qui illustre aussi bien les résultats du traite­
ment d’urgence que ceux du traitement à long terme, et
véhicule le même message.
Marjory - 18 ans, belle, intelligente - était l’une des
étudiantes de l’école privée très chic où j’avais été invité
à diriger un séminaire et avais fait faire les expériences ci-
dessus. Le lendemain, elle vint me trouver en grand dé­
sarroi. Parce qu’elle était trop perturbée, trop nerveuse,
elle n’avait pas réussi à suivre le déroulement des expé­
riences. En fait, elle était suicidaire depuis des mois. La
vie, disait-elle, ne valait pas la peine d’être vécue. Et la
raison principale de sa détresse était sa «laideur». Son
visage - son nez en particulier - était «horrible». Elle
espérait que je pourrais l’aider, mais en doutait vraiment.

45
Inutile de dire à Marjory que son nez était bien moins
retroussé qu’elle ne l’imaginait et qu’en fait de beauté elle
était plutôt au-dessus de la moyenne : elle ne voulait rien
entendre. Et il ne servait à rien de lui recommander un
choix de manuels sur l’art de la relaxation, ou une psy­
chothérapie ou des exercices de méditation. Elle était
désespérée et il lui fallait un remède rapide. Rien moins
qu’un lifting instantané. Je lui montrai simplement où se
situait cette «horrible» chose. Je lui montrai clairement
qu’en cet instant précis cette «chose» était mon affaire,
mon problème (ou mon privilège) et non le sien. Ce fut
assez - assez pour transfigurer immédiatement son visage
en le débarrassant de ses tensions. J’appris par la suite
que ses professeurs avaient été très surpris par la trans­
formation survenue chez la jeune fille. Depuis lors, Mar­
jory n’a guère eu besoin de moi : le lifting a tenu ! Le seul
problème posé par son apparence était l’endroit où elle la
situait.

IMPOSSIBLE DE REVENIR EN ARRIERE


Le problème de Marjory est celui de l’adolescence, car
c’est à ce moment-là que la plupart d’entre nous adoptons
notre visage acquis et perdons notre Visage Originel.
Auparavant, nous avions, bien sûr, donné un nom à ce
visage dans le miroir et reconnu que c’était le nôtre, mais
nous étions encore libre et grand-ouvert la plupart du
temps, capable d’être en harmonie avec notre monde et
heureux de l’être. Il y a plus longtemps encore, ce visage
dans le miroir n’était simplement qu’un objet de plus dans
ce monde. Lorsque Kate, âgée de 4 ans, me rendit visite
avec ses parents et qu’elle se vit dans le grand miroir de
mon salon, elle demanda en se montrant du doigt : « Est-
ce que cette petite fille a aussi une maman?» Inutile de
dire que le visage de Kate était épanoui et ravissant à
souhait.
Ce qui me rappelle deux autres enfants. Joan, 2 ans,
que l’on avait envoyée à la salle de bains pour se laver le

46
visage et qui avait commencé par le laver dans le miroir -
son Véritable Visage étant, bien sûr, immaculé! Et
Andrew, 3 ans, blessé dans un accident de voiture, qui,
pour montrer à un ami les points de suture sur son visage,
avait emporté un miroir !
Quand vous étiez tout petit, vous pensiez que ce visage
dans le miroir était un autre « bébé », un petit copain là-
bas - ce ne pouvait être vous, puisque vous étiez ici. Mais
vous avez appris à accepter ce visage. Vous l’avez trans­
porté (ou fait semblant de le transporter) de l’endroit où il
était là-bas, derrière le miroir, jusqu’ici sur vos épaules,
tout en l’agrandissant et le retournant dans la manœuvre.
Ainsi, vous avez échangé votre Visage Originel, qui ne
connaît pas le stress parce qu’il est non-chose, contre
votre visage acquis qui est soumis au stress parce qu’il
est une chose. Vous revenez maintenant sur cette transac­
tion qui était une très mauvaise affaire et vous replacez
cette chose là où elle a toujours été en fait - c’est-à-dire à
une certaine distance. Vous redevenez transparent, car
vous avez cessé de vous jouer à vous-même ce sale tour,
si compliqué de surcroît.
C’est un véritable traitement de beauté, car vous êtes
attirant dans la mesure où vous portez votre vrai visage
(vrai parce qu’il est ici), et beaucoup moins, pas du tout
ou même repoussant si vous portez votre faux visage
(faux parce qu’il n’est pas ici). N’ayant rien qui lui appar­
tienne en propre, votre vrai visage (qui ne porte pas de
masque) est ouvert à toutes choses et à tout venant. Il est
obligé de les laisser entrer. Il a besoin de tous les visages,
comme un vide a besoin d’être rempli. Il les attire comme
un aimant attire le fer. Au contraire, ce visage faux (qui
est votre masque, un masque parmi beaucoup d’autres)
occupe, comme tous les objets, un espace d’où il exclut
tous les autres visages, toutes les autres choses, pour
pouvoir exister.
Comment a bien pu s’effectuer ce tour de passe-passe
fatal et si stressant : ce visage là, dans le miroir, démonté
et remonté sur mes épaules? Oh! de toutes sortes de
façons. Par exemple en sacrifiant l’expérience directe au

47
langage qui affirme que vous et moi sommes «face à
face». En prétendant que vous êtes à ma place et que
vous vous voyez à travers mes yeux, et que moi je suis à
votre place et que je me vois à travers vos yeux. Et en
vous souvenant de la chanson que chantait votre maman
quand vous étiez tout petit en vous caressant doucement
les joues, le nez, la bouche, les yeux :

joues rôties
bouche d’argent,
nez croquant,
petit oyo,
gros oyo,
toc, n’oyo !

Nous, les « grandes personnes », n’arrivons pas à nous


libérer de ce conditionnement, à regagner notre innocence
perdue et effacer ce stress que révéle notre visage. C’est
pourtant ce qu’essaient de faire un grand nombre d’entre
nous avec l’alcool ou la drogue. Bien que ruineux et
éphémère, le résultat peut présenter une ressemblance
frappante avec la véritable expérience. Mon ami, Wilfred
Gotham, m’a raconté que son père qui rentrait un soir en
titubant, une bouteille de whisky dans la poche, avait eu
un accident. La bouteille s’était cassée, le blessant au
visage. Le lendemain matin, la mère de Wil avait eu la
surprise de trouver du sparadrap collé sur le miroir de la
chambre à coucher ! In vino véritas.
Non, vous ne pouvez pas vous débarrasser du stress qui
marque votre visage en remontant à l’époque où ce visage
(dans le miroir) ne vous appartenait pas. Il vous faut
admettre qu’il est bien à vous, tout comme vos pieds,
votre maison, votre pays et un milliard d’autres choses,
mais en prenant conscience qu’aucune de ces choses n’est
VOUS, ni même ne VOUS ressemble. Votre miroir est
devenu un déclencheur de stress? Utilisez-le maintenant
pour vous débarrasser du stress - en le regardant pour
voir ce que vous n ’êtes pas.
A partir de maintenant, chaque fois que vous aperce­

48
vrez ce visage dans la glace vous pourrez lui dire : « Dieu
merci, je ne te ressemble pas ! » Même si tu es détendu,
beau (ou non), je suis infiniment plus attirant ! Ici, étant
vide, j’attire à moi le monde entier. »

CEUX QUI ONT VU


Nous comprendrons mieux l’importance des découver­
tes que nous avons faites dans ce chapitre - leur utilité
pour vivre sans stress comme nous le souhaitons en les
examinant à la lumière de l’Histoire. Je songe en particu­
lier à deux disciplines orientales - le Zen et le Soufisme.
L’expérience des premiers maîtres Zen (Chan) de la dy­
nastie Tang, consistait à voir leur visage originel, et vivre
Zen, c’était vivre à partir de cette vision. Pour nous, il
s’agit de remettre notre visage humain acquis à sa place,
parmi tous les autres objets stressés, là-bas, de l’autre côté
du miroir, et de cesser d’ignorer notre Véritable Visage
non humain, dépourvu de traits (et donc inaccessible au
stress) qui est ici, de ce côté-ci du miroir. Par la suite, le
Zen a développé des techniques très compliquées, notam­
ment toutes sortes de koans, ou sujets imposés pour la
méditation. Et pourtant, selon le Maître National japo­
nais Daito Kokushi (1281-1337), le but des 1 700 koans
du Zen est de nous libérer de la pensée conceptuelle pour
obtenir la claire vision de notre Visage Originel. « Quand
la pensée s’arrête», dit-il, «le Visage Originel apparaît».
Jalalu’Din Rumi (1207-1273) fut le plus grand des
maîtres et poètes soufi. Voici quelques-uns de ses nom­
breux commentaires sur notre Visage Originel dépourvu
de traits :

«Chacun aime se regarder dans un miroir, bien


qu’ignorant la véritable nature de son Visage. Mais
combien de temps dure un reflet... ? Entraînez-vous à
contempler l’origine du reflet...»
« Sa forme a disparu, il est devenu Miroir - il n’y a là
que l’image du visage d’un autre».

49
« Celui qui contemple son vrai visage - sa lumière est
plus grande que la lumière de toutes les créatures. Et
quand il meurt, sa vision demeure, car sa vision est la
vision du Créateur».

Je pourrais citer d’autres textes provenant d’autres


maîtres célèbres, appartenant à d’autres traditions, mais
ils disent tous la même chose. Et le message est clair : de
tous les êtres humains, ceux qui voient leur Véritable
Visage sont les seuls qui (quelles que soient leur religion
ou leur absence de religion), affirment avoir vaincu le
stress et atteint la félicité.
Ce qu’ils ont vu, c’est exactement ce que vous, cher
lecteur, allez voir si, une fois encore, vous regardez ce
que désigne ce doigt pointé vers vous.

LA PUBLICITE
Tout ceci, allez-vous me dire, est de l’histoire ancienne,
ce n’est plus d’actualité. Eh bien, observons le monde
contemporain. Quoi de plus actuel que notre merveil­
leuse société de consommation et ses valeurs, et cette
superbe industrie de la publicité dont la vocation est de
maintenir cette même société en ébullition permanente,
d’entretenir sa fièvre? On parle beaucoup, et avec rai­
son, de l’ingéniosité subtile de cette industrie, dont l’illus­
tration la plus spectaculaire est la persuasion subliminale
grâce à des images enregistrées inconsciemment par le

50
cerveau. Prenons un exemple. Vous avez l’intention de me
vendre un produit (certainement générateur de stress)
pour alléger mon stress. Eh bien, voici la manière habile
de procéder. Peu importe que le produit soit mauvais
pour moi (comme les cigarettes et la vodka), ou bon
pour moi (comme une boisson maltée calmante pour
l’heure du coucher) ou franchement stupide (comme une
nouvelle voiture avec un tableau de bord délirant et un
numéro d’immatriculation encore plus délirant). Dans
tous les cas, vous avez atteint qui je suis et non mon
apparence. Car, nichée au centre de moi-même, face à
l’image magnifiante de ces merveilles qui ne pourront
jamais soulager mon stress, se trouve l’Unique Merveille
toujours capable de m’en libérer, la Non-chose consciente
que je suis en tant que Première Personne du singulier du
présent. Et c’est à cette Première Personne que vous faites
appel - à mon insu, et peut-être sans comprendre ce qui
se passe réellement.

C’est la juxtaposition sacrilège (sinon consciemment


cynique) de ces deux promesses de guérison - celle
manifeste mais trompeuse et celle invisible mais vraie -
qui fait des merveilles pour la courbe des ventes de l’en­
treprise. L’image publicitaire montre réellement le traite­
ment anti-stress avec une clarté incomparable, mais
d’une manière telle que ses propriétés curatives semblent
transférées de celui qui perçoit ces produits aux produits
eux-mêmes. Très subtil, vraiment! Ces gens des médias

51
méritent d’être surveillés encore bien plus que nous ne le
pensions !

Et si c’est un produit religieux que vous vendez, vous


pourriez vous inspirer de la déesse égyptienne Selkhit qui
est parfois représentée du point de vue de la Première
Personne au lieu de la Troisième. Ici, elle pose pour la
promotion de l’adoration du soleil comme remède anti­
stress, et son message publicitaire semble s’adresser (avec
l’habileté d’une vendeuse d’il y a 2 500 ans) à la moitié
féminine du public. Cette moitié qui sait certainement au
fond de son cœur qu’un hâle n’est jamais assez profond et
ne tient jamais assez longtemps, et que le meilleur traite­
ment de beauté est un visage parfaitement détendu - si
détendu qu’il disparaît complètement.
Grâce, bien sûr, à des applications quotidiennes de sa
fabuleuse «Vanishing Cream» si incroyablement bon
marché.

N.D.T.: Il y a ici un jeu de mots autour du terme «vanishing» qui


signifie : disparaître. « Vanishing Cream » : expression anglaise un peu
ancienne désignant une cre'me de beauté de jour, et signifiant en fait:
crème pour disparaître! (pour faire disparaître les rides).

52
6
LE STRESS PHYSIQUE

INCARNATION
Nous avons observé le stress dans certaines parties du
corps - les yeux, le visage, le cou. Nous en arrivons
maintenant à l’ensemble du corps, au stress moins loca­
lisé qui est le propre de n’importe quel corps, le prix que
nous devons payer pour cesser d’être personne, et devenir
une personne.
Apparemment, vous semblez condamnés à un mini­
mum de stress - tout au moins le stress chronique inhé­
rent à l’incarnation - tant que vous serez sur terre. Seule
la mort, semble-t-il, peut vous en libérer. Eh bien nous
allons voir. Faisons d’abord le bilan de notre situation à
l’instant présent. Quel est votre statut corporel, pour ainsi
dire?
C’est un statut bizarre. Parmi les objets innombrables
que contient le monde, il y en a un tout à fait spécial. Il
n’en a pas l’air, il ressemble à tous les autres. Pourtant,
ce qu’il a de spécial, c’est que vous êtes dedans, comme
on dit. Vous seul savez ce qui se passe à l’intérieur.
Apparemment vous l’habitez. Vous vous trouvez coincé
dans cette chose que vous appelez votre corps. Une ex­
périence simple va vous révéler ce que cela signifie.

53
Expérience пв б :
Observation de sensations internes particulières

Prenons un échantillon des choses de ce monde parmi


celles qui vous entourent en ce moment - une chose à
l’intérieur de laquelle vous êtes censé être.
Regardez autour de vous : vous n’êtes pas dans ce mur,
ni ce tableau, ni cette table, ni ce pot de fleurs, ni ce
livre...
Mais vous êtes dans la main qui tient le livre...
Qu’est-ce-que cela signifie en pratique?
Cela signifie que vous expérimentez ce qui se passe dans
cette main, mais pas ce qui se passe dans la plante ou le
livre. Par exemple, palpez votre main dans tous les sens
avec les doigts de l’autre main. Résultat ? des sensations...
Maintenant, pincez cette même main de toutes vos
forces. Résultat? une autre sorte de sensations...
Enfin, appliquez le même traitement à la plante (ou à ce
livre) - caressez-en les feuilles, froissez-les, pressez-les... et
constatez que vous n’avez aucune information sur ce qui
se passe là-dedans.
Essayons de découvrir maintenant quelles informations
vous avez, de l’intérieur, sur l’ensemble de votre corps.

Expérience n° 7 :
Observation de sensations internes générales

Regardez d’abord vos pieds, et descendez lentement (je


dis bien descendez) le long de votre corps, notant au
passage les diverses sensations intérieures.
Remarquez les sensations particulières comme les ten­
sions et les douleurs - mais également la sensation moins
facile à définir (douleur ou pas) de résider à l’intérieur de
la chose que vous regardez...
Remarquez que la sensation d’épaisseur, de solidité, de
densité... d’emprisonnement, de poids, de bloc...
augmente à mesure que vous explorez vos cuisses votre
ventre, votre poitrine... Choisissez vous-même le terme

54
qui vous semble le mieux correspondre à ce que vous
ressentez dans cette expérience de l’incarnation, de la
physicalité que vous êtes en train de faire, expérience
fugitive, certes, mais fondamentale...

Si vous êtes accablé de soucis en ce moment, ou dé­


primé, si vous avez le cœur lourd, si vous êtes découragé,
vous ne comprendrez que trop bien ce que je veux dire. Et
même si vous ne ressentez aucune tension ni aucune
douleur sérieuse pour le moment, vous avez certainement
au moins quelques signes - sensations de gêne, tension,
pesanteur, chaleur, démangeaisons par-ci, par-là - qui
vous rappellent à chaque instant ce que c’est que d’être
incarné. Qu’ils soient reconnus ou ignorés, ces signes
renforcent notre impression de n’être qu’une chose dans
un monde de choses, d’être simplement quelqu’un et non
pas tout-le-monde ou personne. Mais cette sensation est
si profonde, si envahissante et permanente que nous nous
y sommes habitués au point de n’en avoir presque plus
conscience, même lorsque nous souffrons.

55
EMPRISONNEMENT ?
Nous en arrivons maintenant à un fait surprenant, un
fait que les Occidentaux ignorent ou nient carrément.
Disons que c’est le revers de la médaille que nous avons
examinée jusqu’ici. Retoumez-la, le contraste est total.
Tout au long des siècles, les grands maîtres orientaux
(en particulier hindous) ont enseigné essentiellement et
sans relâche que l’impression d’être le corps, ou d’être
dans le corps, est esclavage et illusion, qu’elle entraîne le
stress et toutes sortes de misères, bref que c’est l’enfer. Et
que le paradis ou la libération ou la réalisation du Soi
n’est rien d’autre que l’état que l’on peut atteindre en se
libérant de ce corps-prison au cours de cette vie-même. Se
retrouver délivré du corps, libre et sans limites comme le
vent, c’est (selon ceux qui affirment s’être échappés de la
prison) se débarrasser des problèmes liés à la chair et
atteindre la félicité du Nirvana. Dans le Canon Pali
bouddhiste, par exemple, la distinction est clairement
établie entre la personne qui habite une chose étroite et
dure et celle qui vit dans l’immensité, et il ne peut y avoir
aucun doute quant à l’identité de celle qui vit une vie de
paradis et celle qui vit l’enfer.
Voici une énigme apparemment insoluble. Les maîtres
qui insistent le plus sur notre dégagement du corps sont
parmi les plus vénérés. On les qualifie d’exceptionnelle­
ment sages et heureux. Comment peuvent-ils, alors que
pour l’heure ils ne semblent guère différents du reste d’en­
tre nous (ils mangent, boivent, défèquent, urinent comme
vous et moi, on peut les peser, les mesurer, les photogra­
phier et ils sont enclins à la maladie comme n’importe lequel
d’entre nous) - comment peuvent-ils alors nier le fait qu’ils
sont dans un corps, sans se leurrer eux-mêmes ou sans
mentir ? C’est peut-être très agréable et merveilleusement
exaltant spirituellement de se sentir tellement libre et sans
limites, mais si c’est un plaisir volé, alors il sera sanctionné.
Si l’exaltation est achetée aux dépens de son support phy­
sique, un prix élevé sera exigé à la fin. Pour l’alpiniste, se
couper du camp de base indispensable à l’ascension de

56
l’Everest, c’est se réserver de graves ennuis. Quant à nous
maintenant, comment réconcilier ces deux aspects appa­
remment incompatibles de notre condition - à la fois pri­
sonniers d’une boîte et libres, petits et immenses, contenus
dans l’une des choses de ce monde et incon tenables?
Eh bien, c’est possible et il faut le faire. La réconcilia­
tion peut et doit être vécue. Dans ce chapitre, nous allons
voir comment nous échapper de ce corps-prison sans être
accusé de fuir la réalité et sans nous illusionner ; comment
avoir un corps sans être dominé par lui ; comment tirer le
meilleur parti des deux mondes et être finalement vérita­
blement spirituel parce que nous sommes véritablement
physique, et véritablement physique parce que nous som­
mes véritablement spirituel. C’est un projet ambitieux, ce
chapitre va être très long, mais nous sommes au cœur-
même du problème.
Tout d’abord, examinons rapidement quelques voies de
libération déjà expérimentées par d’autres, avant de choi­
sir la nôtre, celle que nous pouvons suivre dés maintenant
et sans avoir besoin de mentir.

Voie de libération n° 1 : Epuisement et souffrance

A la fin d’une marche de plusieurs dizaines de kilo­


mètres, épuisé, trempé, transi de froid, affamé, Norman
F. Ellison, soldat britannique dans les Flandres pendant
la première guerre mondiale, pensait avoir dépassé les
limites du supportable. C’était la nuit la plus effroyable
de sa vie. Et pourtant, voici ce qu’il écrivit dans son
journal :
«Alors, un changement étonnant se produisit en
moi. Je pris conscience - une conscience aiguë - du
fait que j’étais hors de mon corps de chair. Et c’est
d’une façon impersonnelle et avec un détachement
total que je considérai les infortunes de ce corps
vêtu de kaki... qui aurait aisément pu appartenir à
quelqu’un d’autre. »

57
Par la suite, ses compagnons racontèrent que son si­
lence sinistre avait soudain fait place à un bavardage
enjoué, plein d’humour, aussi insouciant que s’il avait
été confortablement installé devant un bon feu de chemi­
née.
De nombreux cas semblables ont été signalés. Je me
souviens de l’histoire d’un prisonnier dans un pénitencier
à qui on imposait sans cesse la camisole de force. Et les
sangles étaient serrées de plus en plus fort, en guise de
punition. On ne saurait imaginer une expérience d’enfer­
mement dans le corps plus dure et plus stressante. Or,
d’après son propre témoignage ce fut exactement le
contraire : une expérience relaxante de délivrance. Et ses
tortionnaires étaient fort étonnés de voir qu’il semblait
soudain heureux et parfaitement à l’aise.

Voie de libération n° 2 : Aux portes de la mort

Les techniques modernes de réanimation ont engendré


un sigle : NDE {near death experience = expérience pro­
che de la mort), et toute une littérature sur le sujet. Un
nombre croissant de malades sont ramenés à la vie et
racontent leurs aventures qui comprennent souvent la
sensation d’avoir quitté son corps. Ils décrivent la façon
dont ils se trouvaient dans les airs et regardaient de là-
haut cette forme inerte couchée sur un lit et entourée
d’infirmières et de médecins, ou étendue, ensanglantée et
déchiquetée lors d’un accident de voiture - comme s’ils
étaient en train de regarder un film ou une pièce de
théâtre. La plupart disent qu’au début, ils voulaient réin­
tégrer leur corps mais ne savaient pas comment. D’autres
ne le souhaitaient guère. Ils avaient une sensation de paix
extraordinaire, ils étaient à l’aise, pas du tout effrayés, et
n’avaient absolument aucune envie de retourner dans ce
morceau de matière dense, tourmenté par la douleur.
Mon amie, Sarah Naegle, décrit ainsi sa propre expé­
rience après une longue et grave opération: flottant au
niveau du plafond, elle se sentait légère et libre, et regar­

58
dait froidement l’équipe médicale qui s’affairait autour de
ce corps. Le réintégrer fut un supplice pour elle. Elle a
gardé un souvenir très vif non seulement de la douleur,
mais de la sensation insupportable «de pesanteur et de
pression ». Nous n’avons pas conscience de ce poids mort
en temps normal, parce que nous y sommes habitués.
Mais si l’on en a été libéré quelques instants et qu’on le
retrouve ensuite, comme cette expérience d’enfermement
dans le corps peut sembler lourde! Comme on se sent
lamentablement rétréci !

Voie de libération n" 3 :


les voies parapsychologiques et psychédéliques

Certaines personnes affirment avoir le don du « voyage


astral», le don de s’envoler à volonté dans l’espace en
laissant le corps sur le lit en état d’hibernation. Pour ma
part, je n’ai pas cette faculté et ne la désire pas, mais je ne
vois aucune raison de nier que d’autres (et pas seulement
les chamanes) puissent en jouir. Les récits de leurs voya­
ges abondent dans toutes les cultures, de l’antiquité à nos
jours. Si vous souhaitez acquérir ce pouvoir supra-nor­
mal, vous pouvez chercher des maîtres en la matière dans
des pays comme l’Inde ou le Mexique. Cela vous coûtera
cher en temps et argent, et le succès n’est pas assuré.
Cependant, une fois maîtrisées, ces expériences de sortie-
du-corps représentent certainement un entr’acte agréable
dans l’existence physique. Se balader là-haut, esprit ou
fantôme de l’espace, ce n’est certes pas être immensément
vide comme l’espace lui-même, mais comme on doit se
sentir léger et libre par rapport à la sensation de se
retrouver « encapsulé » dans l’un de ces petits corps soli­
des et rampants là en-bas! Quel soulagement de voir si
merveilleusement exaucée la prière de Hamlet: «Oh,
puisse cette chair trop, trop solide se dissoudre ! » -
même si ce n’est que momentanément puisque le corps-
véhicule n’est pas définitivement mis à la casse, mais
seulement garé provisoirement.

59
Les drogues psychédéliques proposent et procurent
parfois de semblables voyages hors du corps. Et on n’est
pas obligé de continuer à les absorber pour en tirer profit.
Une courte expérience de cette drogue a suffi à de nom­
breuses personnes pour découvrir qu’il est possible de se
libérer de la prison du corps, et ce que cela apporte. De
sorte qu’elles ont cherché ensuite à atteindre le même but
par des moyens plus sûrs et plus légaux. Mais au moins,
disent-elles, nous savons maintenant ce que nous cher­
chons.

NOTRE VOIE
Pour une raison ou pour une autre, aucune de ces voies
de sortie du corps ne nous est ouverte ici. A moins d’être
des masochistes invétérés ou des fanatiques, nous ne
choisirons pas la voie de la souffrance et de l’épuise­
ment, d’autant que nous n’avons aucune garantie qu’elle
ne nous plonge pas dans un abîme de stress physique
encore plus grand au lieu de nous en libérer. Nous ne
souhaitons pas non plus attendre d’être aux portes de la
mort pour être délivrés : nous cherchons une voie de
sortie accessible dés à présent. Quant aux voies parapsy­
chologiques et psychédéliques, la liberté qu’elles nous
offrent est trop incertaine, trop éphémère. Elles risquent
de nous condamner rapidement à un emprisonnement
encore plus strict et à d’autres souffrances. Bref, le dé­
faut des deux premières voies est de n’être pas immédiate­
ment accessibles, et celui des deux autres est d’être
fondamentalement le contraire de ce que nous recher­
chons. Elles éludent le problème sans le résoudre, elles
le survolent et le fuient. Notre route, elle, descend à
l’intérieur du problème, se fond en lui et le traverse.

60
Expérience n° 8 :
Descendre à l’intérieur du problème et le traverser

Il s’agit ici d’une variation de notre toute première


expérience (page 22), dont nous sommes loin d’avoir
épuisé tous les enseignements. On ne fera jamais assez
cet exercice. Car si vous VOYEZ - et comment peut-on
ne pas VOIR? - c’est chaque fois comme la première fois.
Mais faites-le lentement.
Commençant par le sommet de votre corps tel qu'il se
présente à vous (et je dis bien le sommet, c’est-à-dire vos
jambes), désignez-les et remarquez bien le schéma relati­
vement symétrique :
CHOSE (doigt)... ESPACE... CHOSE (jambes)
Observez les sensations dans ces jambes...
Descendez le long du corps et désignez vos cuisses...

Descendez encore et désignez le milieu de votre corps...


Remarquez toujours le même schéma triple...
Attardez-vous dans cette zone, sentez le poids, la den­
sité de l’intérieur de cette chose... qui augmentent aux
alentours du cœur...

61
Après avoir expiré, attendez un instant avant d’inspirer à
nouveau, et ressentez bien la sensation d’être à l’intérieur
de cette zone, et d’être pesant, pesant, pesant... comme si
toute la pesanteur du monde s’était accumulée là...
Restez là jusqu’à ce que la sensation de pesanteur et
d’enfermement atteigne son point culminant...
Et maintenant, levez les yeux, regardez droit devant
vous et désignez ce qui est en-dessous de votre poitrine,
le point le plus bas, le lieu d’où vous regardez...
Voyez comme le schéma a changé soudain !
CHOSE (doigt)......... ABSENCE DE CHOSES
Regardez, regardez le lieu d’où vous regardez...
Quel lieu... ?
Voyez comme, soudain, à votre point le plus bas, au point
de la plus grande implosion, une brèche s’ouvre... vous
explosez et devenez le vaste monde...
Regardez maintenant votre Immensité... regardez à par­
tir de votre Immensité...
Soyez cette Immensité...
Quelle explosion nucléaire peut rivaliser en portée et en
puissance avec cette explosion tranquille ?
Regardez encore... N’est-ce pas ahurissant que vous
ayez pu vous croire un seul instant enfermé dans ce
petit quelque chose appelé corps humain ?

62
EVASION
Revenons un moment à notre point de départ, là où
nous étions avant d’entreprendre notre descente à l’inté­
rieur du corps : revenez à votre perception de vous-même
dite normale.
Vous êtes un prisonnier. Pire, vous êtes dans le quar­
tier de haute sécurité, vous et vos innombrables co-déte-
nus. Tous enserrés dans la camisole de force qu’est
votre propre peau, vous purgez votre condamnation à
vie. Ou bien vous avez la nostalgie de la liberté, ou alors
vous êtes tellement institutionnalisé, un tel récidiviste,
que vous avez même renoncé à ce désir - vous avez
coupé ce dernier lien avec la liberté qui fut jadis la
vôtre.
Pouvez-vous imaginer situation plus stressée, plus dé­
sespérée, plus bloquée?...
Christian et son compagnon de voyage Bon Espoir,
dans Pilgrim’s Progress™ se trouvaient à peu près dans
la même impasse. Le géant Désespoir les retenait prison­
niers dans l’un de ses cachots. Il ne leur rendait visite que
pour les frapper avec son gourdin. Et voici qu’ils gisaient
là, à moitié morts, lorsque Christian revint finalement à
lui.
« Un peu avant qu’il ne fasse jour, Christian, comme
illuminé, s’écria : Quel idiot je suis de rester dans ce
cachot puant, alors que je pourrais si bien marcher
en liberté! J’ai une clef en mon sein, elle s’appelle
Promesse et ouvrira, j’en suis certain, n’importe
quelle serrure dans le Château du Doute. Voilà une
bonne nouvelle, mon frère, dit Bon Espoir, sors donc
cette clef et essayons-la.
Alors Christian sortit la clef et l’enfonça dans la
serrure; quand il la fit tourner, le pêne céda et ils
s’enfuirent. »
Ainsi, les prisonniers n’ont pas eu à s’évader, il suffisait

Pilgrim's Progress: ouvre célèbre de l’écrivain anglais John Bunyan


(1628-1688) : « Le voyage du Pèlerin ».

63
de sortir, tout simplement ! Pour vous évader de la prison
de votre corps et échapper au désespoir futur (sinon
actuel), cherchez en vous-même votre passe-partout ap­
pelé ATTENTION. Faites tourner cette clef à fond dans la
serrure et laissez-vous tranquillement glisser au-dehors.
Comme vous venez de le faire en réalité.
En fait, vous n’avez jamais été enfermé là-dedans, ne
fût-ce qu’un seul instant. Pour dissiper cette illusion stu­
péfiante, il vous suffit de reprendre vos esprits.
Peu de gens le font. Ouvrez grand les oreilles, et vous
réaliserez à quel point cette illusion est universellement
considérée comme vérité établie. On dit «je suis in­
carné», comme on dirait «je suis fatigué» ou «je suis
amoureux». «Je suis dans cette chair, j’habite cette mai­
son d’argile, je suis une personne. Et pour la loi comme
pour le sens commun, ma personne est mon corps et ce
qu’on lui fait c’est à moi qu’on le fait, et ce qu’il fait c’est
moi qui le fais. Je suis incarné, personnifié, contenu dans
cette enveloppe mortelle... » Et ainsi de suite. Les descrip­
tions varient, la signification est la même. Comme elle est
profondément enracinée, cette superstition qui veut qu’à
la naissance nous soyons mystérieusement condamnés à
l’emprisonnement à vie (sans appel, par une sorte de
tribunal secret), et que nous soyons rarement ou jamais
relâchés sur parole et que seule la mort puisse nous
libérer! Encore que ce ne soit guère pour longtemps,
puisque nous serons appréhendés à nouveau (comme les
partisans de la théorie de la réincarnation veulent nous le
faire croire) pour être à nouveau condamnés à la vie et
transférés dans un autre établissement pénitentiaire. La
société, dit Rumi, est un stratagème pour enfermer le roi
dans un bocal en le persuadant, en outre, que le couvercle
est bien fermé. Il croira tout ce qu’on lui dira, pourvu
qu’on le lui répète assez souvent et assez fort. Et il le
croira d’autant plus aveuglément que ce sont de mauvai­
ses nouvelles. Le but de l’expérience suivante est de faire
préciser au roi ce qu’il entend exactement par être là-
dedans.

64
Expérience NQ 9 : une expérience-dans-le-corps ?

(C’est la suite de l’expérience № 6 - la première de ce


chapitre - qui consistait à tenter d’explorer l’intérieur de
votre main. Bien sûr, votre main ou votre bras ne sont
que l’une des dépendances ou des ailes de votre « maison
d’argile» et nous les étudions en tant qu’échantillon de
l’ensemble. Nous explorerons tout à l’heure d’autres par­
ties de votre demeure.)
Regardez la main qui tient ce livre et revenez-y sans
cesse. Fiez-vous uniquement à l’évidence du moment, à ce
qui se présente en cet instant, et allez lentement.
Si vous êtes dans ce corps, c’est que vous êtes dans cette
main, et donc en mesure de dire comment les choses se
présentent là-dedans en ce moment. Et vous pouvez ré­
pondre aux questions suivantes :
Est-ce sombre là-dedans...? ou simplement obscur, ou
noir comme dans un four...?
Est-ce étriqué...? aussi exigu que cela le paraît vu de
l’extérieur...? (souvent l’extérieur des bâtiments ne rend
pas justice à l’intérieur : il nous faut le point de vue de
l’habitant.)
Est-ce collant là-dedans, sale, humide...?
Est-ce encombré, bondé à ne pas pouvoir se bouger... ?
S’il en est ainsi, comment y entrez-vous... ?
Ce qui caractérise ces questions, c’est qu’elles sont
ridicules et qu’on ne peut pas y répondre. Si vous renon­
cez à vos croyances aveugles et refusez de faire appel à
votre mémoire et à votre imagination, vous voyez qu’en
cet instant présent vous n’avez pas plus d’informations
sur ce qui se passe à l’intérieur de ce poignet que sur ce
qui se passe à l’intérieur de cette montre-bracelet. Et qu’il
en est de même pour le reste de votre corps.
Il est parfaitement évident (n’est-ce-pas ?) que vous
n’êtes pas plus à l’intérieur de cette main que vous n’en
épousez la forme ou n’en êtes prisonnier. Et c’est en­
core plus évident lorsque vous portez votre attention
sur les parties de votre corps que vous ne pouvez pas
voir:

65
- Où, à l’évidence, s’arrête votre postérieur et où
commence le siège de votre chaise...?
- Où s’arrête votre dos et où commence le dossier de
votre chaise...? Quel dos...?
- Combien de doigts de pied pouvez-vous compter...?
Quels doigts de pied... ? Supposez que je sois un magicien
qui prétend avoir transformé vos pieds en sabots avec
seulement deux énormes orteils chacun, comment savez-
vous que je n’ai pas réussi... ?
- Essayons autre chose maintenant. Vous fiant à l’évi­
dence présente, combien mesurez-vous...? Trois mètres...
trois cents mètres... trois mille mètres...?
- Quelle est la forme de votre tête, telle que vous la
percevez dans l’instant présent...? Quelle tête...? Quel
moyen avez-vous de dire si je ne vous ai pas transformé
en un monstre grotesque à dix-sept têtes...?
Je pense que vous conviendrez avec moi que, quelles
que puissent être en ce moment vos sensations et ten­
sions soi-disant physiques, elles sont bien loin de vous
enfermer dans un corps-prison. Et que, même en s’addi­
tionnant, elles sont bien loin d’évoquer pour vous, en cet
instant présent, une forme humaine ou aucune autre
forme... Et en aucun cas une forme que vous puissiez
habiter...
Par exemple, portez maintenant votre attention sur une
zone de tension située soi-disant dans votre cou ou vos
épaules. Prenez le temps de l’explorer... Quelle est sa
forme, dans l’évidence présente...? Est-ce qu’elle épouse
les contours de la région dans laquelle elle est censée être
située...? Ou bien est-ce simplement une sensation en
liberté...?
Finalement, rentrez les épaules et contractez le cou et le
visage autant que vous le pouvez... et vérifiez que, même
ainsi, vous êtes toujours sans forme et sans limite dans ces
régions... puis, détendez-vous...

Toute la question se résume en ces termes: quelle


dimension est la vôtre? Une certaine tradition attribue à
Jésus ces paroles : « L’homme qui se regarde uniquement

66
de l’extérieur, et non pas de l’intérieur, se rétrécit». Si
vous êtes excentrique, décentré, et que vous vous regar­
dez de loin, par exemple à un métré de distance, il est
certain que vous vous réduisez à presque rien. En vous
délimitant vous-même, vous vous transformez en une
chose, vous vous stressez, et finalement vous commettez
un suicide.
Regardez et voyez. Après l’explosion radicale qui a
suivi votre implosion radicale, n’êtes-vous pas mort de
rire à l’idée que vous puissiez vous trouver à l’intérieur
de l’un de vos produits de fission, ou de n’importe quel
objet quel qu’il soit? Tous les objets sont visiblement en
vous. Sans avoir eu recours à des agonies de souffrance,
sans attendre de vous effondrer aux portes de la mort,
sans vous être lancé dans un voyage psychique ou psy­
chédélique, sans être parti en quête spirituelle au cœur de
l’Inde, du Tibet ou du Mexique, vous vivez maintenant
une expérience de sortie-du-corps parfaite. De plus cela
vous apparaît certainement comme votre état naturel.
Vous avez retrouvé la santé d’esprit de votre petite en­
fance.
Pour vous amuser à vos propres dépens (d’adulte),
posez-vous ces quelques questions :
Ce prisonnier a-t-il la même taille que sa prison, ou
bien est-il ballotté à l’intérieur comme un petit pois dans
une grande cosse ou un dé dans son gobelet? Est-il si
volumineux (ou sa prison si étroite), qu’il la remplit à
ras bord? Mais alors, quel exemple révoltant de suren­
combrement et de violation des droits de l’homme ! Quel
est donc ce rêve? Dans cette prison au toit de chaume
dont le bâtiment central est pourvu de quatre ailes et
deux fenêtres, on aurait fourré un prisonnier qui a exac­
tement les mêmes dimensions? Un prisonnier en forme
de prison? Qui subirait ainsi le plus épouvantable des
stress ?
Vous m’accorderez qu’on ne peut répondre à une telle
absurdité que par des hurlements de rire, et qu’on ne peut
qu’être abasourdi à l’idée que ce cauchemar éveillé ait pu
durer si longtemps.

67
EXCENTRICITE
D’où vient cette notion insensée, exclusivement hu­
maine - car aucune créature sauvage n’est assez désaxée
pour l’avoir - que l’Observateur, envoûté par quelque
irrésistible sorcellerie, est enfermé dans une minuscule
partie de ce qu’il observe? Par quel effet de magie noire
l’enfant « grandissant » est-il réduit, presque du jour au
lendemain, des dimensions cosmiques aux dimensions
humaines ?
La réponse est la suivante: les grandes personnes (en
réalité des personnes devenues toutes petites) transmet­
tent à l’enfant la maladie contagieuse appelée excentricité
qui consiste à être à côté de soi-même, distrait, absent.
C’est une maladie dont les victimes - comme si elles
participaient à un ballet infernal, ou comme si elles
étaient affligées d’une grave crise de danse de Saint-Guy
- sautent sans cesse à un mètre d’elles-mêmes, puis, se
retournant en plein vol se regardent de là-bas et se rédui­
sent elles-mêmes à l’état de chose. Situation tout à fait
imaginaire, bien sûr, mais qui n’est finalement que trop
réelle. Quelle recette idéale pour fabriquer le stress! Pas
étonnant que nombre de ceux qui souffrent de cette
maladie soient crispés en permanence, et que la plupart
soient si fatigués qu’ils ont besoin de dormir sept à huit
heures par nuit (retour à la concentricité pour se remettre
de l’excentricité). Ils doivent se reposer des contorsions de
la journée et se préparer à celles du lendemain.
En d’autres termes, plus médicaux, l’un des symptômes
les plus insignes de cette maladie épidémique, c’est que le
patient halluciné. Il «voit» le visage dans son miroir
comme retourné, agrandi, transporté à une bonne dis­
tance de là et solidement planté sur ses propres épaules.
Il croit que ce qui est là-bas est ici. Il souffre d’une
déformation de sa perception de l’espace, comme s’il
voyait son pied sortir de sa poitrine. Si doué soit-il par
ailleurs, il semble étrangement arriéré dans ce domaine.
Refusant de se rendre à l’évidence, il se révéle absolutiste
plutôt que relativiste. Il s’obstine à croire que les objets

68
sont déterminés une fois pour toutes, fixes et invariables
quel que soit le point d’où on les regarde.
La vérité qui s’impose (et elle est d’une importance capi­
tale pour nous) c’est que la nature des objets dépend de la
distance qui les sépare de leur observateur. La distance est
une magicienne : elle prête forme aux objets et la fait varier
à l’infini, selon que l’observateur se rapproche ou s’éloigne.
Le charmant petit point de lumière qu’il appelle « étoile » se
transforme en une version paroxystique de la fournaise
ardente de Nabuchodonosor lorsqu’il s’en approche.
C’est le fait d’attribuer la même étiquette « étoile » aux
deux phénomènes qui nous induit en erreur et nous
amène à croire qu’ils sont la même chose. Et il en est de
même pour vous. Si une personne se trouve à un mètre de
vous (ou à un centimètre, un kilomètre, une année-lu­
mière), elle n’est absolument pas en mesure de dire ce que
vous êtes à d’autres distances, et encore moins au Centre, à
0 centimètre de vous-même. En fait, votre réalité physique
est l’ensemble de toutes vos apparences qui gravitent à des
distances variées autour de ce Centre, cette Non-Chose qui
est votre Réalité Suprême, là où il n’y a plus de distance, là
où vous n’êtes plus ex-centré.
La majorité d’entre nous vivons presque tout le temps
décentrés d’un mètre environ. Vivre ainsi à côté de soi-
même - ce qui signifie à la fois être dédoublé et être fou -
ce n’est pas être trop physique, mais au contraire, pas
assez. C’est fuir le corps, lui fausser compagnie. C’est
refuser d’accepter la forme d’existence qui vous est don­
née. C’est la dénégation habile, inlassable de ce qui est, le
rejet mûrement réfléchi de votre substance en faveur de
votre ombre. C’est vouloir ignorer votre essence physique
qui est pourtant un fait et ouvrir ainsi tout grand la porte
au stress. Si vous voulez atteindre le lieu qui lui est
inaccessible, il vous faut descendre au cœur même de
votre nature physique et accepter les faits avec joie. Les
gens qui vivent à côté d’eux-mêmes manquent de naturel
et sont mal à l’aise. Ils n’aiment pas leur corps. Ils man­
quent de substance, ils ne sont pas reliés à la terre. Ils
s’électrocutent les uns les autres.

69
Pour retrouver votre véritable Nature et vous recentrer,
il vous suffit de revenir à vous et d’accepter votre corps au
lieu de le fuir. Il vous suffit de vous relier de nouveau à la
Terre que vous n’avez jamais quittée et qui est à l’épreuve
de tous les chocs et de toutes les secousses.

COMMENT APPREHENDER
VOTRE CORPS COSMIQUE
Ici vous n’êtes plus un prisonnier. Et vous ne vous êtes
pas évadé du corps-prison en escaladant les barbelés mais
en pénétrant dans le bureau du directeur. Vous êtes sorti
de la prison physique de la seule manière efficace qui soit :
en devenant finalement vraiment physique, c’est-à-dire
vraiment spirituel.
Mais alors, qu’est-il advenu de toutes ces sensations de
rétrécissement, de pesanteur dont vous souffriez en pri­
son ? Ont-elles disparu définitivement ? A première vue, il
semblerait qu’elles soient toujours présentes et menacent
de vous réenfermer. Ou alors, vous les refoulez et vous
n’êtes, somme toute, qu’un faux évadé. Mais il y a une
troisième solution, la seule qui ait un sens, qui soit hon­
nête et efficace. Il ne s’agit pas de nier vos sensations,
mais de les mettre à leur place, les situer dans leur
contexte et leur donner ainsi leur valeur véritable.
Comme va vous l’expliquer la fin de ce chapitre.
La formidable explosion qui suit votre implosion au
Centre ne vous propulse pas hors du physique. Bien au
contraire. Elle vous projette dans tout ce que vous avez
besoin d’être et que vous êtes physiquement, elle vous
redonne votre véritable dimension physique, celle du
monde. Elle fait revivre vos organes infra-humains et
supra-humains indispensables dont vous vous êtes ampu­
tés, en imagination, pour vous réduire aux dimensions
humaines. Elle vous restitue votre véritable Corps qui
est l’Univers. Que l’on vous en dépossède, même partiel­
lement, et vous n’êtes plus entier, vous n’êtes plus qu’un
fragment, et un fragment n’est pas viable.

70
C’est grâce à vos divers sens que vous percevez votre
véritable Corps. Ici, la distance ne détermine plus seule­
ment la forme, mais la manière dont elle est perçue.
Ainsi, votre corps céleste (par exemple les galaxies, les
étoiles et les planètes) est vu; votre corps terrestre (les
gens, les animaux, les machines, etc...) est également
entendu ; votre corps terrestre plus proche (votre nourri­
ture, par exemple) est touché, humé et goûté ; et votre
corps le plus intime (organes, tissus, etc...) est ressenti
de diverses façons: sensations de solidité et de pesan­
teur, par exemple, comme dans l’un des exercices pré­
cédents.

Tout ceci - l’ensemble de vos sens et votre


corps-Monde qu’ils révèlent - doit être accepté tel que
cela vous est donné, parce que c’est ce que vous êtes
lorsque vous cessez de vous amputer de l’essentiel de
vous-même et que vous recouvrez tout ce dont vous
avez besoin pour être vous. Mais plusieurs questions se
posent : cette ré-appropriation peut-elle se faire sans ten­
sions? Cette nouvelle vie explosée est-elle un progrès par
rapport à l’ancienne partiellement implosée ? Comment le
prisonnier libéré peut-il se défaire des attitudes et émo­
tions négatives de la vie en prison ?

71
La réponse est en trois volets :
I. Ce que vous n’êtespas (c’est-à-dire une chose limitée,
une forme humaine et rien d’autre) est stressé parce qu’en
fait tout le reste de votre être se débat à votre insu pour
rétablir tous les liens entre vous-fragment-du-Tout et votre
être véritable qui est le Tout, entre organe et Organisme.
II. Ce que vous êtes, à la fois ce Tout et son Centre
vide, est absolument dénué de stress. Pourquoi? parce
qu’il ne reste rien à l’extérieur du premier qui puisse
exercer une pression, et rien à l’intérieur du second qui
puisse en subir une.
L’implosion-explosion qui vous place à la fois au Cen­
tre et à la Périphérie du Tout vous met définitivement à
l’abri du stress dont souffrent les choses intermédiaires.

III. Et pourtant, bien sûr, vous enregistrez et accueillez


ces choses intermédiaires limitées, ainsi que les tensions
qui font d’elles ce qu’elles sont. Vous ne pouvez pas vous
en laver les mains, ni même choisir, elles font partie de
vous, elles sont votre substance. Oui, depuis ce corps
opaque et lourd ci-dessous jusqu’aux étoiles là-haut,
tout cela est fait de tensions et se maintient grâce à
elles: vous en êtes donc inévitablement rempli. Et plus
que jamais, en fait, car vous avez revêtu le monde en­
tier, vous êtes devenu chacune des choses qui le compo­
sent sans pouvoir ignorer la moindre particule.

72
Ce qui fait toute la différence, ce qui sauve la situation
et vous met à l’abri de tout, en toutes circonstances, se
résume en un seul mot : ASYMETRIE.
Voyez : en ce moment-même pour enregistrer la forme
de la main qui tient ce livre, il faut que vous soyez vous-
même sans forme ; pour enregistrer sa couleur, il faut que
vous soyez incolore; pour percevoir son opacité, vous
devez être transparent et pour apprécier sa complexité, il
vous faut être simple et limpide. De la même manière,
pour enregistrer son stress (elle tient ce livre en exerçant
sur lui une pression contraire) vous devez être exempt de
tout stress. Et il en va de même pour tous les éléments de
votre Corps total, du plus petit au plus grand. Vous êtes
toutes ces choses stressées qui emplissent votre espace, en
même temps que vous êtes totalement dégagé de tout
stress. Vous transcendez tout et vous êtes enraciné en
tout.

Comment applique-t-on cela tous les jours et que res­


sent-on? Il faut l’expérimenter pour le savoir. Le para­
graphe suivant vous donnera peut-être une idée de ce que
vous pourrez découvrir si vous êtes sincère.
Selon l’Evangile de Thomas, «Il y a une Lumière à
l’intérieur d’un homme-Lumière, et elle éclaire le monde
entier». Voilà qui ne ressemble guère à une faible bougie
instable dans son bougeoir et si éphémère, mais plutôt au
Phare d’Eddystone. Imaginez ce qui est nécessaire à cette
structure pour remplir sa fonction : depuis le faisceau de
lumière au sommet, si brillant, clair et léger comme une
plume, jusqu’à l’obscurité à la base, la solidité, le poids et
la densité de ses fondations et du rocher sur lequel il est
bâti, et tout l’équipement technique entre les deux,
chaque niveau, chaque élément, tous ces contrastes inhé­
rents, tout cela est nécessaire au bon fonctionnement de
l’ensemble. Dans la mesure où vous mettez en pratique ce
que vous avez découvert dans ce chapitre sur le stress
physique (en particulier qu’il fait partie de vous en
même temps que vous en êtes totalement dégagé) vous

73
constaterez que vous ressemblez à ce phare. Plus la lu­
mière de votre Conscience sera brillante et stable et plus
sa portée sera grande, plus vous ressentirez que ses fon­
dations physiques sont profondes et substantielles, et plus
elles le seront et auront besoin de l’être. Avec ces deux
trésors jumeaux : la Lumière et le Roc, contrastants mais
nécessaires l’un et l’autre, vous êtes déjà bien paré : vous
savez comment ils se complètent pour vaincre ensemble
votre stress sans du tout le nier. Tout ce que vous devez
faire, c’est continuer à être de plus en plus ce que vous
êtes réellement.
Pour vous encourager, je vous rappelle qu’ici vous êtes
en accord avec toutes les traditions spirituelles du monde.
La poupée japonaise Daruma qui est plombée à la base
pour l’obliger à toujours se redresser représente le prati­
quant Zen illuminé, c’est-à-dire celui qui sait comment
venir à bout de son stress. L’union entre la Lumière de
l’Esprit et le Roc Invulnérable est au cœur même des
Upanishads hindoues. Et ce n’est pas pour rien que
pour le Christianisme, dont l’archevêque William Tem­
ple disait que c’était la plus matérialiste et la plus phy­
sique des grandes religions, la Lumière présente en toute
femme et en tout homme qui vient au monde n’est autre
que le Roc Eternel.

74
7
LE STRESS DANS LES RELATIONS
PERSONNELLES ET SOCIALES

Avant de commencer à parler du stress dans les rela­


tions personnelles et sociales, il serait bon de savoir de
quoi nous parlons. Nous croyons le savoir, mais est-ce
bien vrai ? L’expérience suivante va nous le dire.

Expérience № 10 : Dans le sac

Pour une efficacité maximale, il vous faut trouver un


ami, ou plutôt deux. Si personne n’est disponible pour le
moment, vous pouvez vous débrouiller avec l’image d’un
visage d’une taille aussi proche que possible de la nor­
male. Vous avez également besoin d’un sac en papier de
20 cm sur 30 cm dont vous aurez découpé le fond pour en
faire un tube. Pourquoi cet instrument? Parce qu’il sup­
prime les distractions extérieures lorsque vous et votre
ami vous regardez l’un l’autre à l’intérieur, et vous aide
ainsi à être parfaitement attentif à ce qui se présente
réellement à vous. Mieux encore, c’est un instrument de
déconditionnement très efficace et le meilleur remède que
je connaisse contre l’hallucination. Lorsque vous voyez
des choses familières dans un décor aussi inattendu que
celui-ci, elles vous frappent forcément d’une manière très
différente. Vos parents, vos professeurs, le langage lui-

75
même n’ont jamais pris la peine de vous dire ce qu’il faut
voir lorsque vous vous trouvez à l’intérieur d’un sac à
provisions. Ils vous ont laissé libre de voir ce que vous
voyez. Attendez-vous donc à des surprises.
Vous et l’un de vos amis adaptez vos visages aux deux
extrémités du sac, tandis que l’autre ami vous pose des
questions.
(En l’absence du premier, vous pouvez mettre la photo
de quelqu’un à sa place, et en l’absence du second vous
serez obligé de sortir du sac pour lire les questions, puis
de retourner à l’intérieur pour y répondre.)

Voici les questions auxquelles vous devez répondre


mentalement, dans l’évidence du moment présent, sans
avoir recours ni à la mémoire ni à l’imagination :
- Combien de visages y a-t-il dans le sac...?
- Etes-vous face à face ou face à espace...?
- Observez les traits humains du visage en face de
vous... les contours et les formes qui le rendent unique
au monde...
- Comparez-les avec l’absence de toute espèce de traits
de votre côté, de toute marque distinctive...
- Observez les contours de ce visage... ses textures
diverses... son opacité... sa complexité...
- Et comparez-les avec votre propre absence de cou­
leur... Voyez comme de votre côté tout est lisse et pur...
Observez votre propre transparence... votre simplicité
totale... Y a-t-il aucune comparaison possible...?
Sortez du sac et refaites l’expérience avec le deuxième
ami tandis que le premier lit les questions... Enfin, laissez
vos deux amis dans le sac et posez vous-même les questions.

76
CONFRONTATION
Le but de l’expérience était de vous montrer qu’en
réalité vous n’avez jamais eu de relation personnelle ou
sociale stressante - pour la simple raison que vous n’avez
jamais eu une relation au sens ordinaire du terme. Com­
ment l’auriez-vous pu? Regardez, voyez: c’est toujours
absence-de-choses de votre côté de la scène - du côté de
la première personne - et une absence-de-choses ne peut
pas être stressée. Pour vous, la situation n’est pas symé­
trique, il n’y a pas de « transaction », pas de confrontation.
Au contraire, lorsque vous regardez les autres - vos
deux amis par exemple - aux deux extrémités du sac, ils
sont toujours face à face, ils se confrontent. Toutes les
secondes et troisièmes personnes «fonctionnent à la
confrontation», comme une voiture fonctionne à
l’essence. Et qui dit confrontation dit stress, car il y a
interaction (action et réaction) entre les deux parties.
Tenter d’affaiblir les forces opposées des deux personnes
en présence pour les réformer ou les pacifier équivaudrait
à les obliger à utiliser un carburant de qualité inférieure
dans leur voiture. Vouloir éliminer ces forces serait
comme leur demander de faire rouler leur voiture sans
aucun carburant. En règle générale, là où il y a symétrie,
il y a stress. Et c’est le stress qui fait tourner le monde.
Pas de symétrie, pas de stress. Au cœur de ce monde
plein de tensions se trouve son Centre qui en est totale­
ment exempt. C’est cela et c’est là que vous étiez, de votre
côté du sac. Et c’est cela et c’est là que vous êtes en ce
moment. De votre côté de tout ce que vous expérimentez,
de votre côté de toute situation comme de votre côté du
sac, voyez et soyez ce que vous êtes inévitablement - que
vous l’approuviez, le compreniez ou non.
Il ne s’agit pas de combattre le stress, mais de le mettre
à sa place qui est là-bas, et de ne pas le laisser pénétrer ici,
là où vous êtes, où il n’a aucune raison d’être. En tant que
première personne (et vous ne pouvez pas être autre
chose) vous êtes libéré du stress. Essayez de vivre cons­
ciemment ce que vous vivez en réalité, de l’intérieur vers

77
l’extérieur, c’est-à-dire à partir de votre Centre à l’abri du
stress vers le monde stressé. Que votre remède anti-stress,
votre devise, soit : ASYMÉTRIE, NON-CONFRONTATION.
Si le mot front se rapporte au visage, confrontation signi­
fie : front contre front. Mais front signifie aussi : « le
théâtre des hostilités, là où les ennemis se heurtent».
Pour être en paix, il vous suffit de voir que vous n’êtes
pas construit pour la guerre. Ou si vous préférez, que
vous avez déjà gagné, que vous êtes absolument invulné­
rable, que votre système défensif est parfait puisque vous
n’avez rien à défendre.
Pour pratiquer cela quotidiennement, il suffit d’être
simplement réaliste et sincère en ce qui concerne vos soi-
disant «relations» personnelles et sociales. Appliquez-
vous à observer que dans toutes vos «confrontations»
avec les gens, il n’y a en fait aucune confrontation d’au­
cune sorte. Personne ne peut entrer en collision avec vous,
parce qu’il n’y a rien à quoi se heurter. Appliquez-vous à
voir cela et tôt ou tard (peut-être plus tôt que vous ne le
pensez) vous constaterez que vous vivez naturellement à
partir de la vérité, sans effort particulier. Il n’y aura plus
rien de faux en vous.
Sans doute tous vos amis et relations n’apprécieront-ils
pas ce changement. Le refus de se prêter au jeu que jouent
les gens risque d’être considéré comme un défi et
un reproche - ou tout au moins une gêne - pour les
joueurs. Prenez le héros de Dickens, Mr. Dorrit, cet âne
prétentieux uniquement préoccupé de lui-même, et sa fille
Amy, tout au contraire sincère, ouverte, transparente.
Elle était tout simplement incapable de tenir tête aux
gens. Cela inquiétait tellement son père que pour résou­
dre le problème il engagea une gouvernante qui portait le
nom approprié de Madame Générale. « Si Mademoiselle
Amy Dorrit veut bien faire tous ses efforts et accepter
mon aide pour se fabriquer une surface», déclara cette
femme redoutable, « Monsieur Dorrit n’aura plus aucune
raison de s’inquiéter ». Heureusement le complot échoua.
Comment pouvons-nous faire échouer les innombrables
complots ourdis à l’intérieur et à l’extérieur de la famille

78
et dirigés contre notre ouverture naturelle au monde ? En
prenant conscience qu’ici il n’y a rien à enfermer, aucune
surface à renforcer ni la moindre chose à opposer à ces
gens.

TROIS EXEMPLES VIVANTS


Voici maintenant quelques exemples authentiques pour
montrer à quel point notre découverte est pratique,
comme elle s’applique concrètement à la vie réelle.
Parmi ceux que je pourrais citer j’ai choisi le mien parce
que c’est l’un des plus frappants que je connaisse et c’est
le seul dont je puisse parler en toute connaissance de
cause. Le thème principal est la peur, ma peur des gens,
et comment je m’en suis libéré. Scénario en trois épiso­
des:
1. A l’âge de 5 ans, j’assistais avec mes parents à une
assemblée religieuse. Les personnes présentes me fasci­
naient. Je garde le souvenir très vif d’une dame qui
ressemblait à une sorte de grand faisan assis. Elle portait
une longue robe de velours roux moucheté de blanc, et un
chapeau superbe hérissé de plumes marrons. Elle avait
des yeux d’oiseaux, petits et brillants. Peu m’importait
que ces yeux fussent rivés sur moi. Il n’y avait pas de
petit garçon qui puisse être intimidé par ce regard inqui­
siteur, mais seulement cette dame étonnante... Or, juste
avant cette réunion, j’avais ramassé quelques escargots
qui avaient l’air morts. La chaleur de ma poche les avait
ramenés à la vie et ils commencèrent à descendre le long
de ma chaise, puis à ramper en direction de la dame-
faisan. Imaginez son horreur! Mes escargots et moi de­
vinrent le centre de l’attention de toute l’assemblée, toute
piété cessante... En étais-je affecté? Embarrassé? Pas plus
que mes escargots. Pourquoi? A l’âge de 5 ans, j’étais
espace pour la dame, mes escargots et toute l’assemblée
scandalisée. Le vide accueille volontiers cette sorte de
choses, toutes sortes de choses.
2. Le second épisode se situe plus de vingt ans après. Je

79
devais faire une conférence sur la logique (sic) pour un
groupe de quinze personnes environ. Je ne connaissais
pas l’organisatrice. Nous nous étions fixés un rendez-
vous en ville, par téléphone, avant la réunion. Lors de
notre rencontre, sans aucune raison apparente (ce n’était
pas ma première conférence) j’étais raide, paralysé par le
trac, figé, pétrifié, sans voix. Ce fut une demi-heure hor­
rible pour moi, et pour elle. La réunion qui suivit ne fut
guère mieux. Difficile d’imaginer séance plus absurde et
plus humiliante ! Que m’arrivait-il ? Les adjectifs que je
viens d’employer en donnent une idée: raide, paralysé,
pétrifié, figé. C’est un langage qui s’applique aux choses.
Il n’y avait pas de place en moi pour cette femme. Je ne
m’intéressais pas du tout à elle, j’étais si occupé à être (ou
plutôt à construire en imagination) cet objet pitoyable
qu’elle observait que je ne la voyais guère. Et je ne fus
pas plus capable d’accueillir ensuite mon public de logi­
ciens en herbe.
C’est l’un des pires moments dont je me souvienne,
mais il y en eut d’autres, presqu’aussi pénibles. Et toute
une série d’incidents mineurs : j’étais obligé par exemple
de traverser la rue à tout moment, pour éviter de croiser
des personnes connues ; j’avais horreur que les gens me
regardent, je me sentais inférieur à eux, et en même temps
je détestais qu’ils ne me regardent pas, je leur en voulais
de m’ignorer! Peut-être était-ce une tendance familiale
mais, chez moi, elle prenait des dimensions pathologi­
ques. Mon père et son père avaient un peu ce genre de
problème. Mon père, en particulier, ne réussissait jamais
à regarder ses interlocuteurs en face...
Vous pouvez comprendre maintenant pourquoi je me
suis attaché à vaincre le stress dans les relations person­
nelles et sociales. Je souffrais tellement de cette maladie
qu’il fallait absolument que je trouve un remède.
3. Et je l’ai trouvé !
Le troisième incident est survenu récemment et je m’en
souviens clairement. Du fond d’une grande salle à Den­
ver, Colorado, je regardais la foule entrer avec un intérêt
tout particulier. J’étais extrêmement impressionné. Les

80
hommes semblaient mesurer un mètre de plus que moi et
être deux fois plus musclés, ils paraissaient pleins de
vitalité et très volubiles. J’étais surtout frappé par leur
assurance et il me vint à l’esprit que je n’avais rien à
leur apporter: qu’avaient-ils à faire d’un séminaire axé
non pas sur le stress en tant que tel, mais sur ses causes
et le remède? Mais que m’importait? Tandis que les
sièges (environ 3 000) se remplissaient, un ami vint me
parler de notre première rencontre. Entièrement occupé
par notre conversation, j’oubliais ces gens... Puis vint le
moment où je dus remonter l’allée centrale, grimper sur
l’estrade, parler et diriger les expériences (y compris celle
du sac en papier que vous venez de faire), pendant trois
heures, devant tout ce monde. Eh bien, j’étais aussi dé­
tendu qu’avec mon ami au fond de la salle. Si je n’étais
pas angoissé, c’est que là, sur cette scène, il n’y avait
personne susceptible de l’être : j’étais absent en faveur de
ce public. Enfant, libre de toute image de moi-même,
j’étais parfaitement détendu mais je n’en étais pas cons­
cient. Jeune homme, je me trahissais moi-même, j’étais un
paquet de nerfs. En vieillissant, je suis redevenu fidèle à
ma véritable identité. Une Absence, une Non-Chose, un
Vide ne peuvent avoir peur. Il n’y avait vraiment rien là
où je me tenais sur cette scène, rien qui puisse avoir le
trac, aucun visage susceptible d’exprimer l’angoisse.
Pour illustrer mon propos, parmi tous les types de
stress qui peuvent exister dans les relations personnelles
et sociales, j’en ai choisi un en particulier: la timidité
morbide, le genre de peur dont j’ai le plus souffert. Il
reste, bien sûr, tous les types de stress qui accompagnent
les relations amoureuses et sexuelles, les rapports de voi­
sinage, etc... et il y a certainement pour vous en ce mo­
ment une certaine relation empoisonnée par le stress qui
ne ressemble à aucune autre. Le malaise peut prendre des
formes variées, la détente ne peut en avoir qu’une seule.
L’unique façon de soigner votre stress personnel de ma­
nière radicale est de rester consciemment là où vous êtes
de toute façon, ce Lieu qui est à l’abri de toute tension. Le
problème n’est pas le stress en tant que fait, mais sa

81
localisation. Tant que vous l’observez à sa place, là-de­
hors, dans les corps dont il est la substance, c’est parfait.
Mais si vous l’imaginez au mauvais endroit, c’est-à-dire
ici (au centre de votre monde où il n’y a pas de corps),
rien ne va plus, c’est une erreur absurde. Ainsi, quel que
soit votre problème, la seule solution est de voir qui a le
problème, et qui ne l’a pas.
Le seul moyen de réussir vos relations personnelles est
de prendre conscience qu’elles n’existent pas au sens
ordinaire du terme. Quelque étrange que cela puisse pa­
raître en théorie, c’est pourtant simple et sensé dans la
pratique. Prenez les deux personnes dont j’ai parlé dans
ce chapitre. J’ai enregistré si nettement la première - la
dame faisan - que je la vois encore. Parce qu’ici, il n’y
avait pas d’obstacle entre elle et moi. Par contre, j’ai à
peine vu la seconde - l’organisatrice - parce que j’avais
placé ici un bloc de stress figé qui lui barrait le passage.
Dans le premier cas, il s’agissait d’une relation si totale
que je m’étais pour ainsi dire identifié à la dame. Dans le
second cas, la communication était si restreinte qu’elle
équivalait à une absence totale de relation.

UNE AUTRE VOIE


J’ai décrit ma façon de résoudre mes problèmes rela­
tionnels: une méthode indirecte qui consiste à abandon­
ner tout effort pour améliorer les relations tant que je ne
vois pas clairement ce qui se passe: les faits d’abord, la
solution ensuite. C’est la seule manière que je sois en
mesure de préconiser parce que c’est la mienne. Et je
puis garantir son efficacité car je la teste depuis de nom­
breuses années. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’il n’y
ait pas d’autres méthodes. Et j’entends d’ici certaines
objections :

Votre problème, lorsque vous étiez jeune, Douglas


Harding, c’est que vous vous étiez fabriqué une person­
nalité négative, timorée, angoissée: pour une raison ou

82
une autre, vous aviez cultivé une image dévalorisante de
vous-même. Or, si vous aviez eu la chance ou le bon sens
de construire plutôt une image valorisante de vous-même,
une image satisfaisante, positive, intrépide, votre compor­
tement en société se serait très certainement amélioré...
Bon, il semble que tout se soit bien terminé pour vous.
Vous avez trouvé votre propre méthode pour reprendre
confiance en vous-même dans vos relations avec les per­
sonnes et avec le public, et vous débarrasser de l’angoisse
et du stress. Mais il n’est pas certain que cette méthode
réussisse à d’autres, et ce n’est pas la seule. Pour se faire
des amis, il y a des façons plus directes, moins paradoxa­
les et moins radicales, que de disparaître en leur faveur.
En fait, la méthode la plus pratique pour la plupart
d’entre nous est certainement aux antipodes de la vôtre.
Elle est connue et a fait ses preuves : elle consiste à
échafauder délibérément une personnalité ici au lieu de
la démolir, à construire quelqu’un de fort avec qui il faille
compter plutôt qu’à le désintégrer en une absence. « Al­
lons, ressaisissez-vous, pour l’amour de Dieu, faites
quelque chose de vous-même ! » disent aux autres ceux
qui ont réussi. Et qui pourrait leur donner tort? Qui
songerait à dire à un adolescent faible et apathique qu’il
a raison de vouloir devenir une personne insignifiante !

Objection sérieuse et parfaitement plausible. Etudions


donc soigneusement cette méthode radicalement opposée
à la nôtre : remplir notre vacuité ici avec quelque chose de
positif pour impressionner les autres et avoir un impact
sur notre monde.
Cette méthode a une longue histoire, respectable et
même exaltante. Prenez, par exemple, le discours du Roi
Henry (Shakespeare) à ses troupes avant la bataille :

Alors, imitez le tigre


Tendez vos muscles, échauffez votre sang
Serrez les dents, dilatez les narines
Retenez votre souffle et que votre ardeur
Soit sans limite...

83
Pouvez-vous imaginer discours plus différent de ce
chapitre et de ce livre? Peut-on être plus clair et plus
convaincant pour engager les gens à se «chosifier» au
lieu de se « déchosifier » ? Bref à se stresser délibérément ?
D’un style complètement différent, et concernant non
seulement les situations de crise mais toute la vie, il y a les
innombrables livres et stages de formation très populaires
qui sont en vogue depuis le début du siècle et qui traitent
du «pouvoir de la pensée positive». Leur objectif n’est
pas très différent de celui du Roi Henry, en fait ils ex­
pliquent (je cite) : « comment accomplir des miracles par
la visualisation et l’autosuggestion», «comment faire
faire aux gens ce que vous voulez, grâce à la volonté et
à la concentration», et «comment réaliser ses ambitions
par la magie mentale». Voici ce que nous dit R.W. Trine
(l’un des architectes les moins déconcertants de cette
méthode) :
« Visualisez-vous dans une situation prospère. Affir-
mez-le calmement, tranquillement, mais fermement
et avec confiance. Croyez-le. Croyez-le absolument.
Comptez dessus, restez continuellement dans l’expec­
tative. Devenez ainsi un aimant capable d’attirer les
choses que vous désirez. Ne craignez pas de suggérer,
d’affirmer ces choses, car ce faisant, vous formulerez
un idéal qui commencera à se matérialiser. Vous
utilisez ainsi certains principes parmi les plus subtils
et les plus puissants de l’Univers. »
Et (ajouterai-je) vous êtes en passe de devenir un ma­
gicien ou faiseur de miracles compétent dans vos rapports
avec les choses et les gens.
La méthode de ces « penseurs positifs » consiste à vous
persuader d’oublier ou ignorer votre absence-de-visage.
Ils vous exhortent au contraire à cultiver sa présence,
une façade soigneusement fabriquée mais nullement ri­
gide (aimante, séduisante, puissante, dominante selon les
occasions) et surtout qui réussit et que vous pouvez
opposer aux gens. Bref, à établir la symétrie dans vos
relations de personne-à-personne. Et la magie fonc­

84
tionne, du moins jusqu’à un certain point. Il est très
possible que vous obteniez la plupart des choses dont
vous rêvez, y compris une personnalité parfaitement à
même de se défendre contre d’autres personnalités. Et
somme toute, qu’y a-t-il de surprenant, d’étrange (pour
ne pas dire de suspect) dans cette méthode positive?
N’est-ce pas la façon normale et pleine de bon sens de
passer du manque d’assurance de l’adolescent à la
confiance-en-soi de l’adulte? Une stratégie érigée en sys­
tème, et dans certains cas extrêmes en religion ?
Très bien. Mais la question demeure: quelle est la
méthode la plus pratique, celle qui a le plus de chances
de réussir à moindres frais? Cultiver votre absence-de-
visage ou votre visage, votre asymétrie ou votre symétrie
par rapport aux autres? Laquelle de ces méthodes vous
délivre réellement du stress ? Laquelle, à longue échéance,
vous apporte plus d’énergie, plus de satisfaction? La­
quelle assure, en particulier, des relations personnelles
saines et durables? Celle qui consiste à construire une
image de nous-même qui cherche à s’imposer sur l’Ecran
vierge que vous êtes, ou celle qui consiste à détruire
l’image de vous-même, voyant qu’elle ne saurait rien
imposer sur cet Ecran parce qu’il ne retient rien, pas
plus que l’écran de votre T.V. ou votre miroir ne retien­
nent les choses qui apparaissent sur eux ? Finalement je
crois que vous découvrirez que toute la manœuvre n’est
que l’un de ces jeux que jouent les gens et qui engendrent
le stress. En fait, c’est le Jeu principal d’où dérivent tous
les autres jeux et comédies, celui qui consiste à chosifier
cette Non-Chose et à objectiver le sujet, le jeu de la
Confrontation et toutes les hallucinations qu’il implique.
Pour vous aider à choisir entre les deux méthodes:
découverte de soi ou promotion de soi, conscience ou
puissance, acceptation ou exploitation de la Nature, voici
quelques autres réflexions. Il est notoire que la magie fait
boomerang et se retourne tôt ou tard contre le magicien.
Utilisez-la seulement si vous y êtes obligé (quel adulte n’y a
pas consacré beaucoup de temps et d’énergie ?), mais atten­
tion ! les biographies des personnalités exceptionnelles qui

85
se sont acharnées à gagner envers et contre tout et à ne
jamais perdre la face, ne sont guère encourageantes. En
fait, l’inconvénient de ces soi-disant pouvoirs magiques,
ce n’est pas qu’ils soient trop puissants, mais qu’ils ne le
soient pas assez. Ils sont faibles parce qu’au bout du
compte illusoires. Alors que le véritable Pouvoir, le Pou­
voir qui est la source de tous les pouvoirs, n’est autre que
votre véritable Nature, votre vrai Visage qui n’a pas de
traits, qui est éternel, celui que vous avez découvert de
votre côté de cet humble sac en papier. Il y a quelques
deux mille ans, en Chine, on l’appelait le Tao, l’im­
muable, la Non-Chose, pure Vacuité, sans goût et sans
couleur, comme l’eau si faible en apparence et qui des­
cend toujours au niveau le plus bas. Et pourtant, avoir le
Tao c’est pouvoir contenir toutes choses, s’en remettre au
Tao c’est s’en remettre au seul Pouvoir qui soit en réalité,
au Cheval Noir qui, bien qu’il fasse semblant de n’avoir
aucune chance, finit par être le gagnant. Je vous donne un
tuyau : misez sur lui, pariez tout ce que vous possédez sur
lui. Il n’échoue jamais, il ne vous abandonne jamais.
Comme le disent les Taoistes: puisez l’eau de ce puits, il
ne tarit jamais. Mais à nouveau, je vous le répète : ne me
croyez pas sur parole. Faites l’expérience de ce Pouvoir. Il
est vous, c’est votre Nature. Vous-Non-Chose, Vous-Pre-
miére-Personne, ici-même, tout proche. Essayez-le, ou
plutôt laissez-vous faire par lui.
Il vous faudra un certain temps pour y parvenir, bien
sûr. En attendant, quelle est selon vous la véritable pensée
positive? Laquelle préférez-vous? La faculté d’hallucina­
tion qui fait apparaître une seule petite personne là où
vous êtes, ou la faculté de vision qui vous révéle espace
pour le monde entier?
Contrairement au Roi Henry et à la plupart de ses
personnages, Shakespeare lui-même connaissait la ré­
ponse et avait un accès immédiat à ce que les Chinois
appellent le Tao : il avait fait l’expérience de la Vacuité
qui (selon son personnage Timon d’Athènes) nous ap­
porte toutes choses. Voyez en quels termes il parlait de
notre essence pure-comme-le-cristal :

86
Mais l’homme, l’homme orgueilleux !
Revêtu d’une petite autorité éphémère,
Ignorant ce dont il est le plus assuré,
Son essence transparente comme le verre,
Tel un singe en colère,
Joue des farces si grotesques sous la voûte céleste
Qu’il fait pleurer les anges.

Injuste pour les singes, bien sûr! Mais le message est


clair: vous avez le choix. Comme Henry et ses soldats,
vous, en tant que Première Personne pouvez vous mode­
ler sur les troisièmes personnes, les imiter, vous évertuer à
leur ressembler, et finalement vous retrouver dressé
contre elles, en perpétuelle contradiction avec elles. Ou
bien, convenant avec Emerson que l’imitation est un
suicide, vous pouvez être ce que vous êtes, à savoir cette
Source unique à l’abri de tout stress et à l’origine de
toutes les créatures avec lesquelles vous pouvez désor­
mais être en paix puisque fondamentalement vous êtes
elles et elles sont vous. Au lieu d’imiter quiconque en
quoi que ce soit, essayez d’être cette Absence, cette
Non-Chose dont parle le Timon de Shakespeare, et
voyez s’il se trouve une seule occasion, (fût-ce une ba­
taille sanglante) où la vérité n’apporte pas la bonne solu­
tion, où être ce que vous êtes vous transforme en lâche,
où votre nature transparente vous trahit alors que le Jeu
du singe en colère vous sauve. Il est une évidence simple :
de votre côté de chaque «transaction» il y a toujours
cette merveilleuse Essence, le Tao, la Conscience elle-
même. Pensez-vous qu’il soit nécessaire ou judicieux de
l’ignorer ou de la nier? Même cet apôtre de la magie
mentale, Mr. Trine, se radoucissant quelque peu et fai­
sant preuve d’une incohérence surprenante mais louable
se met à chanter les louanges de notre Source immaculée,
de l’infini et son pouvoir impressionnant qui est notre
unique recours, et il nous recommande de nous abandon­
ner avec confiance à ses interventions mystérieuses.
Voilà! Je vous ai exposé clairement la possibilité de
fonder vos relations personnelles sur ce que le Zen ap­

87
pelle votre Visage Originel (absence de visage) plutôt que
sur votre visage acquis, fabriqué. Ne me croyez pas.
Expérimentez ces deux attitudes diamétralement oppo­
sées dans vos rapports avec les autres : celle, stressante,
qui consiste à essayer de ressembler aux autres, et celle,
détendue, qui revient à être ce que vous êtes. Essayez les
deux. Voyez vous-même laquelle est la plus pratique,
laquelle vous convient le mieux, laquelle est véritable­
ment vous.
C’est la question primordiale que la vie vous pose, et
elle exige une réponse claire de votre part. Il n’y a pas de
degrés variés entre la façon d’être un quelque chose plein
de stress et celle d’être une Non-Chose/Toutes Choses
exempte de stress. Il n’y a pas de compromis possible,
pas de demi-mesure.
Et il est également inutile de réfléchir à la réponse. Il
faut regarder et voir. Vous pouvez (comme le personnage
d’Eliot, J. Arthur Prufrock) continuer à « essayer de vous
composer un visage pour l’opposer aux visages que vous
rencontrez», ou alors vous pouvez regarder et voir que
c’est impossible. Drogué par le langage (le plus puissant,
le plus répandu et le plus inconnu des hallucinogènes)
vous pouvez laisser votre façon de parler régir votre
façon d’être, dire par exemple: j’ai sauvé ou perdu la
face, je l’ai regardé en face, je vais faire face à quelque
chose ou à quelqu’un, je suis face à face (même avec votre
bien aimé)... jusqu’à ce que finalement votre visage soit
tellement bien composé qu’il est incroyablement stressé.
Ou bien vous pouvez renoncer à cette habitude et dés
maintenant vous frayer un chemin à travers l’écran de
fumée des mots pour retrouver la liberté et clarté parfai­
tes qui sont vôtres depuis toujours, inaugurant ainsi un
mode de relation tout à fait nouveau avec ceux que vous
rencontrez. A chacun d’entre eux vous pouvez dire dé­
sormais :

J'AI VOTRE APPARENCE, JE SUIS VOTRE ESSENCE.


N’est-ce pas cela, l'intimité ?

88
8
LE STRESS ET LE RYTHME
DE LA VIE MODERNE

AGITATION
J’habite à 120 kilomètres du centre de Londres. Ce
n’est pas la ville la plus grande ni la plus frénétique du
monde mais elle figure en bonne position sur la liste.
Lorsque j’y arrive en voiture et que je passe de la campa­
gne à la banlieue, et de la banlieue à la ville elle-même, j’ai
l’impression que les gens que je croise sont de plus en plus
raides, marchent de plus en plus vite et d’un pas de plus
en plus mécanique. Ils paraissent extrêmement pressés
d’arriver quelque part, mais leurs visages tendus sem­
blent dire qu’ils n’y arriveront jamais. La frustration de
la vie urbaine provient tout autant des entraves à la
rapidité que de la rapidité elle-même. Etre coincé dans
les embouteillages, aux passages pour piétons, dans des
queues qui n’en finissent pas, attendre le bus, le train ou
un taxi qui n’arrivent pas, et tous les autres obstacles
dans notre course contre le temps, tout cela est au
moins aussi épuisant et stressant que la course elle-même.
Nous sommes pleins de contradictions. En ville, la vie à
toute allure nous fait rêver de la paix et de la tranquillité
de la campagne. En vacances à la campagne, la paix et la
tranquillité de la vie rurale nous donnent la nostalgie du
mouvement. Finalement, il est difficile de dire ce qui est

89
pire : le stress de l’inaction forcée ou celui de l’agitation
forcée. Le mouvement perpétuel est certainement une
souffrance, comme l’a souligné Dante en plaçant les
amants coupables, Paolo et Francesca, dans le Second
Cercle de l’Enfer où ils seront éternellement ballottés
par des vents violents. Mais le poète a oublié de montrer
le châtiment opposé, l’ennui éternel dans un Paradis où
tout est parfaitement paisible, où le baromètre est au
beau fixe pour toujours et où ne souffle jamais le moin­
dre vent.
Bien sûr, il y a des palliatifs tant pour l’hyperactivité
que pour son contraire. Nous pouvons par exemple nous
installer dans un petit bourg de province où le rythme de
vie est calme (mais pas trop) et n’aller à la grande ville
que de temps en temps. Certains d’entre nous peuvent
peut-être trouver un travail plus calme et moins astrei­
gnant, et choisir des loisirs tranquilles comme la pêche à
la ligne et l’observation des oiseaux plutôt que le surf, le
patin à roulettes ou la danse disco ! Il y a également des
drogues pour ralentir notre rythme naturel ou l’accélérer.
Pourtant nous sommes tout à fait capables de nous cal­
mer nous-même. Notre agitation ne nous est pas unique­
ment imposée de l’extérieur par la vie moderne. Nous
nous l’imposons nous-même. Nous courons dans tous
les sens parce que nous le voulons bien, non par néces­
sité. Du moins dans notre jeune âge, nous avons tendance
à préférer le stress de la vie agitée, voire frénétique, à celui
plus contenu de l’ennui. Mais en vieillissant, la plupart
d’entre nous cherchent un compromis acceptable entre les
stress respectifs de la «suractivité» et de la «sousacti-
vité». Hélas! Il est toujours difficile de trouver la solu­
tion intermédiaire, et encore plus de s’y tenir. Ou pire
encore, cela peut être une manière de se défiler, le refus
pusillanime de vivre la vie pleinement, par crainte d’être
blessé.
En vérité, cette solution intermédiaire n’est jamais effi­
cace. Palliatifs et compromis ne serviront à rien, si rai­
sonnables semblent-ils. Le résultat n’est pas durable et ils
ne peuvent guérir le stress. Tout simplement parce qu’ils

90
ne vont pas au cœur du problème qui est l’ignorance de
notre véritable Nature. Le but de ce chapitre est précisé­
ment de dissiper cette ignorance.

LE DILEMME
Pour commencer, que voulons-nous exactement ?
Folles créatures que nous sommes, nous désirons ar­
demment des choses tout à fait incompatibles. Qu’ils se
succèdent alternativement, qu’ils s’annulent ou nous écar-
tèlent, nos désirs sont un mélange instable, sinon explosif.
Nous voulons nous reposer du stress de la vie agitée et en
même temps nous souhaitons une cure d'agitation pour
remédier au stress de la vie trop calme. (Aux lecteurs qui
trouvent que leur vie est trop monotone et sans surprise,
je recommande la nouvelle hilarante de Saki, «The Un­
rest Cure»). Nous voulons nous prélasser dans un fau­
teuil devant un beau feu de cheminée, un verre à la main
et un chien fidèle à nos pieds, et nous souhaitons nous
retrouver aplati contre la face nord du mont Eiger en
pleine tempête. Nous prions de tout notre cœur pour la
paix sur terre, oh! mon Dieu!, et nous passons notre
temps à jouer à des jeux de guerre et à regarder des
films de guerre. Et plus ils sont réalistes et atroces,
mieux c’est. Et ainsi de suite, en maintes occasions.
Tout ceci est-il absurde? Le genre humain est-il fou?
Ou bien ces contradictions inhérentes sont-elles destinées
à nous enseigner quelque chose d’important sur notre
véritable Nature? Se pourrait-il qu’elle soit, d’une ma­
nière ou d’une autre, la réconciliation entre ces deux
extrêmes? Que nous détenions le remède? Que nous
soyons le remède contre cette étrange maladie? Ne se­
rait-ce pas une chance, une bénédiction de découvrir que
notre véritable Nature ne sert pas seulement à panser
cette blessure profonde que nous nous infligeons à nous-
même, mais recèle le secret de notre santé? Impossible?
Les chapitres précédents ont déjà contribué à supprimer
ce mot de notre vocabulaire et à montrer que des termes

91
tels que « absurde » et « insensé » ne sont de loin pas aussi
désespérants que nous l’avions supposé. N’avons-nous
pas découvert que notre vie sociale était une pratique
permanente de l’art du trompe-l’œil, un goûter du style
Alice au Pays des Merveilles dans lequel tout est à l’en­
vers?
Vraiment, pour résoudre le problème de notre stress,
nous devons reprendre tout à zéro, remettre en question
nos hypothèses de base, les idées que nous avons admises
depuis notre enfance. Nous devons oser faire l’expérience
de notre propre expérience, oser être nous-même, oser
regarder la vie à partir d'ici, où nous sommes, et non à
partir de là-bas, où nous ne sommes pas. Oser ne plus être
excentré. Il nous faut aller au-delà de ce que l’on nous a
dit de voir pour découvrir ce que nous voyons. Et
comprendre que si nous sommes stressés, c’est en grande
partie parce que nous avons renoncé à faire confiance à
notre expérience directe pour nous conformer à la norme
sociale; ou, en termes plus crus, parce que nous faisons
preuve d’une crédulité ahurissante et consentons volon­
tiers à nous laisser mener en bateau.

NE PAS NOUS LAISSER MENER EN BATEAU


Ne pas se laisser mener en bateau - ou tout autre
véhicule! - c’est précisément le sujet de ce chapitre, au
sens métaphorique et littéral du terme. Pour appliquer ici
la méthode du doute absolu (notre technique du « recom-
mencer-tout-à-zéro ») vous devez vous poser la question
suivante: qu’est-ce exactement que le mouvement? Que
signifie courir dans tous les sens, ralentir, s’arrêter?
Quelle est votre expérience réelle? Je ne suis pas en
mesure de vous le dire. Personne ne l’est. Vous seul avez
accès au lieu où la réponse est parfaitement claire.
Une manière de le découvrir serait de déposer ce livre,
sortir et descendre la rue en courant. Mais peut-être n’en
avez-vous pas l’énergie. Alors, vous pourriez monter dans
votre voiture et faire un tour en ville, en essayant de

92
conduire le plus vite possible. Ou vous rendre à l’aéroport
le plus proche et prendre un avion pour n’importe où. Or
il se trouve qu’il y a un moyen bien plus économique, plus
rapide et plus sûr (et sans doute plus pratique) de vous
faire expérimenter le mouvement. De plus, dans le cas
présent, c’est une méthode idéale parce qu’inattendue. Il
y a sans doute longtemps que vous ne vous êtes pas
trouvé dans cette position, peut-être même jamais. Une
fois de plus, voir le connu sous un angle nouveau et dans
un contexte nouveau, va probablement jouer le rôle d’un
excellent révélateur, nous faire franchir la barrière qui
nous sépare de la vérité, percer l’écran opaque des
conventions qui nous cache ce que nous sommes et
avons toujours été sans le savoir.

Expérience № 11 : Qu’est-ce qui bouge ?

Il serait bon d’avoir un ami pour vous lire les instruc­


tions et questions suivantes pendant que vous faites
l’exercice. Sinon il vous faudra les lire d’abord, et les
mémoriser: pas forcément les mots exacts, mais le sens
général.
- Levez-vous, étendez un bras et pointez le doigt droit
devant vous.
- Commencez à tourner sur vous-même... tournez...
tournez...
- Il s’agit bien de mouvement...
- Mais selon votre expérience présente, qu’est-ce qui
bouge... ? Vous ou la pièce... ?
- Vous dites que c’est la pièce...?
- Alors accélérez encore, pour vous mettre en mouve­
ment vous aussi...
- Comment ! Vous n’y arrivez pas... ? Ce sont les murs,
le plafond, les meubles qui accélèrent...? et vous restez
parfaitement immobile...?
(Si vous restez centré de votre côté du bras tendu...
dans l’immobilité du point A... vous n’avez pas la tête
qui tourne. Il n’y a personne ici pour avoir le vertige...)

93
Très bien, ralentissez maintenant la pièce... douce­
ment... doucement...

Au cours de notre expérience (et comme toujours il est


essentiel de faire cet exercice et tout à fait vain de se
borner à le lire) vous découvrez que contrairement à
tout ce que l’on vous avait dit et que vous aviez pensé,
vous ne pouvez jamais, jamais bouger d’un pouce, même
si vous le souhaitez très fort. Dans ce cas pourquoi vous
soucier de ralentir le rythme de votre vie, ou d’interrom­
pre votre course contre la montre et les autres coureurs
puisque de toute façon vous n’avez jamais quitté la ligne
de départ? Que cela vous plaise ou non, vous êtes à
jamais immobile. «Repose en paix» n’est pas une for­
mule à graver un jour sur une pierre tombale : elle est
gravée sur vous dès maintenant. Pouvez-vous imaginer
malentendu plus comique, plus significatif que celui-ci?
Presque tous les êtres humains (vous êtes à présent l’une
des rares exceptions) ont toute leur vie l’impression qu’ils
se baladent dans un monde immobile, alors qu’en fait
c’est le monde, plus instable qu’une mer déchaînée ou
un ciel nuageux balayé par les vents, qui danse en eux !
Vous n’avez jamais bougé d’un pouce, ni ne bougerez
jamais. Je ne parle pas de votre apparence, bien sûr, je

94
parle de votre véritable vous, tel que vous êtes pour vous-
même en votre Centre, et non tel que vous nous apparais­
sez, vu de l’extérieur. Telle est la découverte scientifique
(et je répète scientifique) explosive que vous venez de faire
grâce à l’expérience de laboratoire la plus brève, la plus
économique et la plus facilement renouvelable qui soit.
Evidemment, pour satisfaire vos critères de vérité scienti­
fique, vous allez avoir besoin d’autres preuves pour étayer
vos découvertes et confirmer votre conclusion.

AUTRES PREUVES DE VOTRE IMMOBILITE


Pour commencer, est-ce donc une conclusion si
étrange? N’est-ce pas ce que vous pouviez présumer?
Quelques pages auparavant, vous avez découvert que
vous êtes Non-Chose Consciente, Espace, Vacuité. Et
comment pourrait-on associer cela au mouvement? Ima­
ginez le vide courant après le vide, ou s’agitant pour
imiter les choses qu’il contient ! En fait c’est un exemple
de plus qui prouve notre liberté par rapport à ce que nous
vivons: votre Nature est d’être le contraire même de ce
qui se présente à vous en ce moment. Regardez le mur en
face de vous. Tout comme vous êtes actuellement vide
pour accueillir la forme de cet objet, de même, il y a
quelques instants vous étiez immobile pour accueillir ce
mouvement. Tout comme vous êtes maintenant l’absence
de couleur qui enregistre la couleur de ce papier peint, la
simplicité qui enregistre sa complexité, la transparence
qui perçoit son opacité et le silence qui absorbe tous les
sons qui vous parviennent à l’instant, de même vous êtes
l’immobilité qui enregistre tout ce qui bouge. Vous êtes
toujours ce mariage idéal des. contraires. Ainsi votre
immobilité absolue était prévisible avant même l’expé­
rience.
Et si, vous voyant courir rapidement, j’hésite à vous
croire lorsque vous me dites que vous, en tant que Pre­
mière Personne, vous êtes immobile, je n’ai qu’à vous
photographier pour dissiper mes doutes. Je peux mentir

95
comme le diable, mais pas mon appareil photo. !••»»♦»
avoir une photo parfaitement nette de vous, il faut qiw
je suive chacun de vos mouvements, de sorte que lin ali»
ment vous êtes immobile. De même, vous avez certain»»
ment remarqué comme les chevaux restent sur place dit ni
le film d’une course : c’est la course qui court.
Pour plus de preuves de votre Immobilité, il vous nullll
d’être attentif dans votre vie quotidienne. Vous n’êtes pal
obligé, chaque fois que vous voulez vous assurer de volt#
tranquillité au Centre, de jouer au derviche tourneur puni
faire danser la pièce, la rue, le supermarché ou l’aéropnil
autour de vous. Il y a bien d’autres manières, niotni
ostentatoires.
Par exemple, vous dites que vous allez au bureau II
matin. Eh bien, essayez donc de voir ce qui se pusM
réellement. En conduisant (comme vous le dites) volt»
voiture jusqu’à la gare, remarquez le comportement d»>i
arbres, des poteaux électriques et des bâtiments qui hui»
dent la route. Voyez comme ils grossissent rapidement ин
se rapprochant de vous et comme ils accélèrent, pull
disparaissent des deux côtés, se fondent dans votre lut*
mobilité. Observez cette route qui s’élargit obligeamment
pour vous et dont la surface s’écoule telle une rivilif
d’asphalte dans cette Caverne mystérieuse que vous appt»
lez «moi». Voyez: ce n’est pas la voiture que ces malin
sur le volant font tourner, c’est toute la rue qu’elles liutl
tourner et danser. En arrivant au parking de la gai»t
remarquez qu’en fait c’est le parking qui arrive en vous
Et voici que vous prenez le train qui (disent-ils) va voui
amener à la ville. Mais n’en croyez pas un mot. Voir*
train reste parfaitement immobile. Ce sont les autru
trains, les gares, les postes d’aiguillage, les ponts qui
passent à toute vitesse. Regardez bien. C’est un fait évl<
dent, une vérité éclatante : vous n’allez pas à la ville, c'csl
la ville qui vient à vous.
(De temps à autre, la vérité transparait. Un ami gallol*
a entendu un chef de train annoncer avec le plus grand
sérieux : « La prochaine gare est Cardiff, qui arrivera dam
dix minutes ! ». Je me souviens d’un pilote d’avion noui

96
Informant, nous passagers, que Newark, dans le New
Jersey, était «en train de passer sous notre aile gauche».
I₽ jetai un coup d’œil : c’était bien vrai ! Newark passait,
liés lentement. Que signifie «voler» pour celui qui est
ilnns le «vol»? Que signifie pour le voyageur la célébré
lin mule «vitesse de vol»? Il pourrait témoigner honnête­
ment que c’est pure superstition. En réalité il plane, plus
Immobile que n’importe quels crécerelle ou épervier, au-
dessus d’un paysage qui se déplace lentement.)
Enfin, arrivant au travail et longeant le couloir qui
mène à votre bureau, vous remarquez avec bonheur que
w n’est pas vous qui avancez, mais le couloir qui s’ouvre
pour vous accueillir comme une grande fleur s’ouvrant
pour une abeille, et se perd en vous... Oui : mis à part le
fan qu’en vous déchargeant de vos mouvements sur le
monde vous vous déchargez de vos tensions, vous avez
en prime le plaisir d’une facétie toujours renouvelée. Vous
gvez là un secret, un précieux secret.
Il y a des moments où l’on ne peut ignorer ce qui se
Îiesse: l’aéroport se chargeant du mouvement que vous
mugi niez vôtre, accélérant et se mettant en pan incliné
loisque vous décollez, la gare de chemin de fer qui n’est
pus un arrêt et qui défile à une telle allure que vous ne
pouvez pas lire son nom, une scène d’accident sur le
nord de la route qui passe comme un éclair, à cent kilo­
mètres à l’heure. La vérité vous apparaît tout naturelle­
ment si c’est vous qui êtes dans l’accident («la route est
venue sur moi et m’a frappé»), si vous êtes ivre (Bertie
Wooster, titubant le long du Mail, «envoya un coup de
pied à un réverbère qui passait») ou si vous êtes très
jeune (le nounours n’est pas tombé de l’arbre dans un
nuisson d’ajoncs: le buisson est venu vers lui et l’a
heurté, lui faisant très mal). Le monde a toutes sortes de
façons de vous faire remarquer que, Non-Chose parmi
le* innombrables choses qu’il contient, vous êtes son
Centre. Ne refusez plus d’accepter le caractère excep­
tionnel de votre Nature. Pourquoi? Parce que moins
vous tricherez avec vous-même, moins vous souffrirez
du stress.

97
EGOCENTRISME
Vous n’avez aucune raison de vous insurger contre cette
bonne nouvelle sous prétexte qu’elle renforce notre égo­
centrisme déjà démesuré (diraient certains). En fait c’est le
contraire : c’est le seul moyen d’en venir à bout. C’est la fin
de l’égotisme qui, accroché à cette personne essentielle­
ment mobile et excentrée là-bas, dans le miroir, déploie
des efforts insensés pour faire d’elle le Centre de l’uni­
vers. Aventure désespérée ! Cette tâche impossible, ccl
effort toujours vain pour mettre au centre ce qui est péri­
phérique entraîne un stress immense. Et vous ne pouvez
pas le réduire en cherchant à modérer légèrement ce faux
égocentrisme, ou en vous écartant un tout petit peu de cet
égo. Non ! Votre seul remède est le véritable Egocentrisme
qui vous fait franchir à rebours le mètre qui vous sépare de
ce lieu que vous n’avez jamais quitté en réalité, le seul
véritable Centre immobile que vous puissiez jamais trou­
ver, si loin et si longtemps que vous cherchiez.
Je n’en veux pour preuve qu’un exercice très simple.
Mais une fois de plus il ne suffit pas de le lire, il faut
absolument le faire.

Expérience № 12 : La troisième personne


en orbite de la première personne

Prenez un miroir, encadrez-y votre visage et tenez-le à


bout de bras.
D’un mouvement du bras, placez ce visage sur orbite :
faites-lui décrire lentement un cercle dans l’espace, par­
tant du mur de gauche, longeant le plafond et redescen­
dant le long du mur de droite jusqu’au point de départ...
Répétez ce mouvement plusieurs fois, en en variant la
forme et la rapidité à votre gré...
Ce visage humain, cette personne est la planète de votre
Soleil.
Voyez maintenant si vous pouvez déplacer le Soleil -
«ce visage originel, brillant et charmant» - qui est de

98
votre côté de ce miroir, de votre côté de ce bras en
mouvement... essayez de lui faire faire un tour à l’autre
bout de la pièce...
Et constatez que vous ne pouvez pas le faire bouger
d’un cheveu, que seule la pièce bouge...

LE MONDE EN MOUVEMENT
Les choses bougent, même les plus stables. La Grande
Pyramide, construction fixe s’il en fût, tourne toute la
journée autour de l’axe de la Terre, qui elle-même tourne
toute l’année autour du Soleil, qui tourne autour du
centre de la Galaxie. Ajoutez tous ces mouvements, et
voilà une image de pyramide qui court frénétiquement
dans tous les sens. Quelle différence avec vous! Espace
pour tous les mouvements, vous êtes absolument immo­
bile ! C’est la conséquence naturelle de votre état de Non-
Chose, c’est également le remède contre votre agitation et
votre égocentrisme. Et c’est un fait révélé par l’expérience
directe. Seuls le dogmatisme et la fausse modestie vous
interdisent de reconnaître que vous êtes le Centre immo­
bile du monde. L’humilité face à l’évidence nous oblige à
l’accepter et à découvrir (ce qui est encourageant) que la

99
Science elle-même ne peut trouver dans l’univers aucun
Centre, ou Centre des centres objectif : cela vous laisse
libre de prendre n’importe quel point pour centre,
puisque l’univers s’organise complaisamment autour de
lui, tel un essaim d’abeilles autour de sa reine. Ainsi
vous avez le droit (ou plus que le droit, le devoir) de
considérer comme LE Centre le seul lieu que vous ne
puissiez jamais trouver excentré, le lieu que vous occupez
sans l’occuper du tout. L’idée que le moindre frémisse­
ment - sans parler du stress de la vie avec son agitation
fébrile et ses tribulations - puisse jamais vous atteindre ici
est pure imagination.
Les choses bougent, et sont elles-mêmes faites de mou­
vement. Par contraste, étant Espace Vide pour elles vous
n’avez de mouvement ni intérieur ni extérieur : vous êtes,
pour ainsi dire, immobilité faite d’immobilité. Une autre
petite expérience va vous montrer la différence entre vous
et ces choses.

Expérience № 13 : c 'est le mouvement qui construit

Secouez la main très rapidement...


Continuez à la secouer si rapidement qu’elle devient un
objet d’aspect moins solide certes, mais plusieurs fois plus
grand...
Un atome prend forme et se matérialise grâce à la
rotation rapide de ses électrons qui décrivent une orbite
comme des planètes. Immobilisez-les et l’atome craque, il
implose. Il joue sa propre version du jeu qu’enfants nous
jouions dans le noir : mettre le feu au bout d’une ficelle et
la faire tourner si rapidement que le point incandescent
devenait un cercle de lumière. Pour retransformer le
cercle en un point, il nous suffisait de stopper le mouve­
ment. Arrêtez le monde et il s’évanouit. Temps, mouve­
ment et périodicité sont ses composants. En d’autres
termes, c’est du stress figé. Vie immobile égale mort.
Cela signifie que réduire le stress d’un objet revient à le
désagréger. Ainsi de simples remèdes destinés à réduire le

100
stress de la troisième personne comme assumer moins, se
détendre, ralentir le rythme, ne font qu’éluder le problème
sans le résoudre. Dans la mesure où ils réduisent le stress,
ils réduisent la vie.
Une fois débarrassé de vos tensions, vous allez très
probablement vivre avec encore plus d’énergie, plus
d’acharnement même. Le contenu de votre Immobilité,
les choses qui constituent votre vie, qui l’animent ris­
quent fort de devenir encore plus mouvementés. Inutile
de les calmer. En fait, la situation pourrait bien être
paradoxale. Plus l’agitation est grande, plus grande est
la capacité de réaliser à quel point vous êtes libre de
cette agitation. Votre Vacuité n’est pas obscurcie mais
au contraire mise en valeur par les choses et les gens qui
la traversent. De la même manière, votre Immobilité est
accentuée par leur mouvement. Le contraste peut être très
révélateur. Et vous découvrirez sans doute comme moi
que, loin de troubler votre immobilité, les rues animées
de la ville, les matchs de football, les feux d’artifice, les
fêtes foraines - toute combinaison bruyante d’objets
mouvants - la renforcent au contraire. Je me suis trouvé
un jour couché par terre au milieu de deux cents êtres
humains hurlant, criant, gémissant, gesticulant, délirant.
Condamné à enregistrer cette folie (sans devenir elle,
comme les organisateurs m’y engageaient), j’éprouvai
une sensation de paix extraordinaire. Je n’oublierai ja­
mais la différence entre ce calme et la tempête déchaînée
autour de lui, ou plutôt à l’intérieur. Non seulement il n’y
a aucune contradiction entre la tranquillité «intérieure»
et l’agitation « extérieure », mais elles sont complémentai­
res. Ce qui laisse à penser que finalement vous n’avez pas
besoin de quitter la ville pour la campagne, ni d’adopter
des loisirs moins fatigants comme la pêche ou le tricot.
Au contraire, vous pourriez vous lancer dans la course de
Formule 1.
Qu’y a-t-il donc derrière cette passion de la vitesse?
Pour certains c’est l’équitation, les voitures de course,
les hors-bords, la planche à voile, les acrobaties aérien­
nes ou la moto. Pour d’autres ce sont les montagnes

101
russes et les grandes roues dans les fêtes foraines. Si
toutes ces activités ont un tel attrait, c’est qu’en nous
faisant apparemment accélérer, elles confirment notre
condition apparente de «chose». C’est comme si l’on
disait : je bouge, donc je suis. Si je reste assis immobile,
sans changer de place, j’ai l’impression de n’être per­
sonne, d’être seulement à moitié vivant. Que je me lève
et me déplace le plus vite possible, et j’ai l’impression
d’être quelqu’un de plus réel et plus vivant, et peu im­
porte la facture élevée à payer en stress et fatigue.
Heureusement, les efforts que nous déployons pour
nous solidifier, nous chosifier, ont des limites. Il vient un
moment où le processus s’inverse tout à coup. Jusqu’à,
disons, 150 km/h je peux facilement me persuader que je
me déplace à travers la campagne à cette vitesse. Mais au-
delà de 2 à 300 km/h, il devient beaucoup plus difficile de
se cacher la vérité : j’ai beaucoup plus de chance de voir
que je suis l’immobilité qui absorbe la campagne. A des
vitesses élevées, il est pratiquement impossible de ne pas
les attribuer au paysage. Je soupçonne que c’est la-raison
pour laquelle la course automobile exerce une telle em­
prise sur le pilote, la raison inconsciente pour laquelle son
métier le fascine. Il serait sans doute très surpris si on lui
parlait d’une motivation spirituelle ou mystique. Et pour­
tant, les vitesses élevées qu’il expérimente lui font dépasser
sa condition de chose, le transportent au-delà d’une cer­
taine limite où il découvre l’immobilité de son état de
Non-Chose. C’est ce que l’on dit également du coureur
de fond: après un long et difficile parcours, il atteint le
point culminant dans l’effort et la tension, au-delà duquel
il se retrouve soudain détendu et calme, regardant le
paysage passer doucement.
Ce qui nous intéresse ici, c’est la vie ordinaire, la
pratique quotidienne. Il n’y a rien à faire d’extraordi­
naire ni de dangereux pour atteindre notre Centre Immo­
bile inaccessible au stress. Marcher, conduire une voiture
ou être conduit, utiliser les transports en commun, voilà
les occasions idéales pour observer et voir ce qui bouge et
ce qui reste immobile.

102
CONDUIRE SANS RISQUE
J’imagine une objection sérieuse :

Etre immobile et laisser simplement le monde s’écou­


ler à droite et à gauche de mon véhicule, c’est parfait
pour le passager qui peut être décontracté, mais moi
qui suis le conducteur ou le pilote, j’ai un travail à
faire. Il faut quelqu’un de responsable au volant,
capable de prendre les bonnes décisions et d’avoir
les bons réflexes. N’être qu’immobilité pour accueil­
lir la circulation environnante, c’est le carambolage
assuré !

Ma réponse est une question : quelle que soit la tâche à


accomplir, mes résultats vont-ils être pires si je tiens
compte des faits qui s’imposent et meilleurs si je les

103
ignore ou les nie? Ou vaut-il mieux, au contraire, être
réaliste et refuser de me mentir à moi-même, même en
conduisant ma voiture? On sait bien qu’être distrait sur
la route, décentré, pressé de se trouver ailleurs, et surtout
stressé appelle l’accident. Supposez que je pousse cette
sagesse simple à l’extrême, et m’attache à voir clairement
tout ce qui se passe là-dehors et dans le siège du chauf­
feur. Voir clairement que dans ce siège, il n’y a qu’immo­
bilité Vide (ou Vide Immobile) pour absorber la route et
le paysage qui arrivent à toute vitesse. Supposez que je
fasse cela et observe le résultat sur la qualité de ma
conduite.
J’ai une raison toute particulière de prôner cette tech­
nique : je lui dois la vie ! Mon amie Virginia Parsell nous
conduisait, Richard Lang et moi-même, à Palm Springs en
Californie. C’était une route de montagne étroite, à double
sens. A gauche une paroi rocheuse, à droite le précipice.
Nous approchions d’un virage. Brusquement nous nous
retrouvâmes face à un énorme poids lourd qui débouchait
du tournant et arrivait droit sur nous. Entraîné par une
trop grande vitesse, il était en train de chavirer sur le côté
et allait visiblement bloquer toute la route. Ce qui est
surprenant, c’est que Virginia n’eut pas la réaction nor­
male d’écraser la pédale de frein. Si elle l’avait fait, je ne
serais plus là aujourd’hui pour vous raconter cette histoire.
Au contraire : embrassant d’un seul coup d’œil non seule­
ment le poids lourd fou mais toute la scène, elle accéléra
(Richard et moi crurent notre dernière heure arrivée) et au
dernier moment, contourna le camion de justesse. Elle
avait vu au loin ce qu’aucun de nous deux n’avait vu,
une petite aire de repos non goudronnée sur la droite,
surplombant le précipice, où elle se gara d’un coup de
volant rapide et précis. Nous avions évité le poids lourd
de quelques centimètres. En fait une partie de son charge­
ment se déversa sur nous.
La tentation est grande d’attribuer toute la présence
d’esprit de Virginia à son absence physique, à une lon­
gue pratique de sa conscience d’elle-même en tant
qu’Espace pour accueillir tout ce qui se présente. En

104
fait, elle reconnaît qu’à force de s’exercer pendant des
années à voir ce qui est réellement dans son siège de
chauffeur, sa conduite s’est beaucoup améliorée et que
c’est grâce à cela qu’elle a pu sauver nos trois vies en ce
jour mémorable. D’autre part, nous sommes tous capa­
bles de ce genre de «miracles» spontanés et beaucoup
d’entre nous les ont accomplis «automatiquement»
dans des situations critiques où la vie est en jeu. C’est
tout simplement que ces situations-là ne sont que d’au­
tres occasions de franchir la barrière de la vérité, grâce
non plus à des circonstances extraordinaires, ni à la
fatigue extrême, ni à des drogues, ni à un excès de
vitesse, mais cette fois grâce au danger. Au-delà de cette
barrière, nous ne sommes plus une chose en proie aux
tensions, nous retrouvons notre véritable nature de
Non-Chose, qui est inébranlable et inaccessible au
stress. Mais pourquoi ne laisser la vérité se faire jour
qu’en des situations désespérées? Exerçons-nous donc à
demeurer dans notre Centre Immobile quand tout est
calme et que nous ne sommes pas menacés d’être en­
voyés dans l’au-delà.
Ce conseil s’applique tout spécialement à vous, les
conducteurs impatients d’essayer notre technique de la
vérité sur l’autoroute. Souvenez-vous qu’on ne se libère
pas facilement de vieilles habitudes. L'idée nouvelle (non
pas la prise de conscience, ni la vision) qu’il n’y a per­
sonne en mouvement au volant risque fort d’être plus
dangereuse que la conception traditionnelle du chauf­
feur.
Allez lentement, expérimentez votre Absence/Immobi-
lité en des moments et des lieux où les risques sont
minimes. Vous verrez ensuite, au cours des mois et des
années, comme il est agréable, efficace et reposant d’être
vous-même, toujours détendu, et de laisser les objets être
eux-mêmes et assumer l’agitation. Ainsi, en conduisant,
vous expérimenterez la quiétude. Ayant appris l’art de
laisser le mouvement à la place qui est la sienne, vous
serez un meilleur conducteur.

105
OBSERVATION DES OISEAUX
Là où j’habite, en été il y a beaucoup d’hirondelles et
de martinets qui tourbillonnent à une telle vitesse qu’on
ne voit plus de l’oiseau qu’une traînée. En hiver, le ciel est
souvent envahi d’étourneaux. Pourtant, je ne les ai jamais
vus se frôler, encore moins entrer en collision, même avec
les oiseaux d’espèces différentes. Ces aviateurs hors-pair
ne suivent aucun code de la circulation, aucune règle de
priorité à droite ou à gauche, du haut ou du bas. Quel est
leur secret? Comment se fait-il que leur compétence soit
incomparablement supérieure à celle des aviateurs hu­
mains sujets, eux, aux accidents? Voici la réponse: au­
cune hirondelle n’est pour elle-même une hirondelle (pas
plus que vous n’étiez jadis un bébé pour vous-même) ;
aucune hirondelle n’est pour elle-même une chose solide
en mouvement parmi d’autres choses, un missile dange­
reux et lui-même en danger. L’hirondelle est Espace prêt à
accueillir d’autres hirondelles, d’autres espèces d’oiseaux
et bien sûr les mouches, les arbres, son nid, ses œufs etc...
La dernière des choses qu’elle puisse être pour elle-même,
c’est une machine volante merveilleusement rapide, super­
bement équipée et experte en l’art de manier ses propres
commandes. Non ! Elle vole avec ce pilote « automa­
tique» qui bientôt, dés qu’elle aura grandi, la conduira
tout droit de mon jardin en Angleterre au pays africain
vers lequel ses parents sont déjà en route.
Le Centre Immobile qui est votre recours, votre secret,
votre réalité intérieure est le même que celui de cette
hirondelle et il n’est pas moins doué que le sien. Pour­
quoi ne pas vivre à partir de ce Centre, être lui consciem­
ment, avec peut-être un peu de la splendeur et de la
virtuosité de la Nature?
En résumé : si vous voulez améliorer votre performance
en tant qu’être humain, supprimez le stress inutile. Le
meilleur moyen est de vivre à partir du Centre où il n’y
a pas d’être humain, rien qui puisse être stressé. Pour
cela, il vous suffit de vous habituer à voir ce que vous
voyez au lieu de voir ce que l’on vous dit de voir. Pour

106
circuler efficacement dans le monde, restez dans votre
Demeure, votre Centre Immobile dont vous avez la clef :
ce doigt pointé vers lui. Ne vous laissez pas surprendre
excentré.
9
S’ENRICHIR SANS SE STRESSER

FAITES FORTUNE
Bien des gens vous diront qu’ils ne veulent pas devenir
riches, non merci. Ils vous donnent toutes sortes de bon­
nes raisons pour lesquelles ils préfèrent rester pauvres.
Par exemple, la récompense ne vaut pas le stress subi ni
les efforts déployés pour amasser la fortune et la conser­
ver ; ou il y a quelque chose d’indécent et de moralement
répréhensible à être riche; ou bien ils sont trop scrupu­
leux, pas assez roublards et obsessionnels pour avoir la
moindre chance de succès dans la lutte sans merci pour la
passion du lucre. Dieu merci ! Laissons l’argent qui pue à
ceux qui ne craignent pas la pourriture !
Tous des envieux ! Soit ils ne sont pas sincères avec eux-
mêmes, soit ils sont un peu anémiés, voire réellement
malades. Tous les gens en bonne santé et vraiment vi­
vants - hommes, femmes et enfants - souhaitent profon­
dément être riches, pensent sincèrement qu’ils méritent de
l’être, sont plus ou moins persuadés qu’ils le deviendront
un jour et que leur pauvreté actuelle n’est qu’un malaise
passager.
Ce sentiment viscéral que la richesse vous est due n’est
pas un rêve chimérique. Il faut le respecter, le prendre au
sérieux. Il n’y a aucune raison de culpabiliser. C’est un

108
souhait profondément naturel. Lancez-vous à la conquête
de la fortune sans délai, sans stress ni effort ! Voilà ce à quoi
vous invite ce chapitre. Encore une de nos prétentions?
Certainement ! Simples balivernes, du vent, rien de concret
pour renflouer réellement votre compte en banque ? Certai­
nement pas, comme nous allons le voir sous peu.
Que signifie être riche? C’est posséder ce que vous
voulez. Et posséder les choses que vous désirez, c’est les
avoir là où vous les voulez, et comme vous les voulez.
C’est aussi pouvoir vous en débarrasser quand vous n’en
voulez plus, être sûr qu’elles sont en sécurité, qu’elles
vous appartiennent à vous seul et que personne d’autre
n’est en droit de les revendiquer. C’est cela être vraiment
riche, pas moins. Il vous faut également évaluer les ten­
sions que cela va vous coûter. En fait de fortune, ce serait
pour vous une grande infortune que de vous retrouver
plus stressé en étant riche que les soi-disant pauvres
gens qui vous entourent.
Y a-t-il un moyen d’accéder à la grande richesse sans
être de plus en plus stressé? Ou même en réduisant et
supprimant notre stress?
Parfaitement. Qui plus est, la richesse qu’il vous procure
est la véritable richesse. La posséder c’est vraiment possé­
der. L’expérience suivante va vous le montrer clairement.

Expérience N" 14 : L’argent dans la main

Mettez une pièce de monnaie au creux de votre main.


1) Regardez: est-ce que cette main possède la pièce.
Ne pourrait-on dire aussi bien que la pièce de monnaie
possède la main...?
Remarquez que ce n’est ni l’un ni l’autre en fait, qu’il ne
s’agit même pas du tout de possession mais de toucher ; ce
sont simplement deux objets posés l’un contre l’autre...
La main et la pièce sont deux choses, chacune occupe
son propre espace et exclut l’autre... chacune affirme son
indépendance, son caractère distinct... Aucun danger que
l’une se fonde dans l’autre, possède l’autre...

109
2) Tout en continuant de regarder la main et la pièce
qui se trouvent au bout de votre bras, dirigez votre atten­
tion sur ce qui les enregistre toutes les deux, ici, de votre
côté de ce bras...
Constatez qu’ici, vous êtes le Vide qui accueille cette
pièce, cette main et ce bras...

110
Ici il n’y a Rien, pas de quatrième objet qui s’oppose à
ces trois-là... En fait, étant vous-même Non-Chose, en cet
instant vous n’êtes rien d’autre qu’eux...
VOILA LA VERITABLE PROPRIETE.

AVOIR ET CONTENIR
Les objets ne peuvent pas se posséder les uns les autres.
Ils s’affirment, se repoussent, s’excluent mutuellement.
Au contraire, la Vacuité Consciente n’affirme rien, ne
s’oppose à rien et donc embrasse, devient et possède
réellement tout ce qu’elle contient, c’est-à-dire TOUT.
Où et quand trouver cette Vacuité Consciente? eh bien,
ici, exactement là où vous êtes en ce moment-même. Elle
seule est riche, non par dessein ni au prix de grands
efforts, mais par sa nature-même. Les gens qu’elle
contient sont des hommes et des femmes de paille dans
la mesure où ils sont des secondes et troisièmes personnes
en faillite et ne possédant même pas les vêtements qu’ils
portent. Quant aux choses qu’elle renferme, elles sont
réduites à leur plus simple expression, des modèles de
pauvreté. Mais vous, en tant que Première Personne,
vous tel que vous êtes, il vous suffit de voir que «votre
essence est Espace» comme le dit Traheme, et d’un seul
coup votre fortune est faite : vous n’êtes pas seulement
«revêtu des cieux et couronné d’astres», vous êtes les
cieux, vous êtes les astres. Tout ce qui vous est offert à
chaque instant vous appartient. Pourquoi? Parce que
vous êtes fait ainsi, vous possédez le monde d’une ma­
nière telle qu’il vous est impossible de le renier.
Allons donc! Comment pouvez-vous être le proprié­
taire légitime de toutes ces choses éparpillées dans tout
l’univers ? A quoi peuvent vous servir des biens dont vous
ne pouvez jamais prendre possession? Mille kilomètres
carrés sur la Lune, avec tous les droits d’exploitation
minière, ou mille étoiles de votre choix ne valent pas un
centime tant que vous ne pouvez pas les atteindre.
Parfaitement. Mais supposons que des mesures puis­

111
sent être prises pour que ces biens incommensurables
vous soient livrés à domicile, en bon état et quelle que
soit la distance. Vous seriez vraiment riche, alors. Tout
cela vous appartiendrait réellement si c’était en sécurité
chez vous, s’il n’y avait plus de distance entre vos biens et
vous. Prouesse invraisemblable de transport cosmique?
Et si vous en aviez déjà pris livraison dans votre som­
meil ? Eh bien, voyons un peu. Mesurons la distance entre
vous et vos biens. Prenez une règle graduée. Je pense que
personne ne pourra remettre en question la habilité de cet
instrument scientifique. Une règle d’écolier fera l’affaire,
ou n’importe quoi de ce genre.

Expérience N" 15 : Quelle que soit la distance

1) De votre place, mesurez la distance entre une per­


sonne et n’importe quel objet. Ou entre deux objets si
vous êtes seul...

2) Puis, faites pivoter lentement la règle vers vous, et


voyez comme les centimètres «rétrécissent»...
3) Lorsque la règle est complètement perpendiculaire
par rapport à vous... observez l’absence de distance
entre vous et l’objet, les centimètres ayant été réduits à
zéro...
De votre point de vue, une ligne droite tracée entre
vous, A, et l’objet «le plus éloigné», B, n’est pas du

112
tout une ligne : c’est un point. Bien sûr, vous pouvez
essayer de créer la distance entre B et vous en vous
transportant en imagination au point C et en mesurant
la distance A-В à partir de là.

Mais en supposant que vous réussissiez, la distance


entre vous, qui êtes maintenant au point C, et B serait
toujours zéro. La vérité est que, même en déployant tous
vos efforts, il vous est absolument impossible d’esquiver
ou de renier votre héritage infini. Dire que vous êtes né
avec une cuillère en or dans la bouche est le plus grand
des euphémismes. Vous avez le monopole du marché des
cuillères en or !

ECOUTEZ LES PHOTOGRAPHES,


LES PHYSIOLOGISTES, LES ENFANTS
ET LES ARTISTES
Et somme toute n’est-ce pas le simple bon sens? Tous
les photographes, amateurs ou professionnels, savent que
la personne, la montagne ou le ciel qu’ils photographient
n’est pas un phénomène passé, situé à quelques mètres,
kilomètres ou années-lumière d’eux, mais quelque chose
de bien présent qui s’inscrit sur leur pellicule, et même en
eux. Ni le photographe ni son appareil ne sont en mesure
d’enregistrer ce qui se trouve ailleurs et dans un autre
temps. Et tous les physiologistes, amateurs et profession­
nels savent que ce qu’ils perçoivent - ressentent, sentent,

113
goûtent, entendent et voient - se trouve à l’endroit-mêmc
où ils sont, eux, quel que soit l’endroit où l’objet est censé
être.
Les petits enfants sont tout aussi raisonnables et hon­
nêtes à leur manière. Ils se suspendent à la Lune, ils
cueillent les étoiles, ils prennent ce qui est donné, ils
font preuve d’humilité face à l’évidence. Bien sûr, il faut
qu’ils apprennent l’art de prétendre que les choses
(comme les maisons, les arbres, les gens) ont toujours la
même taille, qu’elles ne passent pas leur temps à grossir et
rapetisser mais ne font que se rapprocher et s’éloigner. Et
lorsque, peu à peu, ils participent de plus en plus volon­
tiers aux jeux sérieux des adultes, ils cessent de considérer
la distance comme une simple convention et l’acceptent
désormais comme parole d’évangile. Ils ont perdu le
trésor immense qu’ils avaient à leur naissance. Résultat ?
le stress, et encore le stress. Et la détresse d’avoir été
dépouillés de leur héritage. Pas étonnant qu’il faille de
longues et douloureuses années pour grandir (ou plutôt
se rétrécir) et accepter cette misère forcée. Et même alors,
nous conservons au fond de nous-mêmes une énorme
rancœur envers la société qui nous a si cruellement spo­
lié. Tant que nous n’avons pas récupéré notre véritable
fortune, tous - et pas seulement les avares, les cambrio­
leurs et les escrocs - nous passons notre vie à déployer les
plus grands efforts pour la reconquérir.
Vous pouvez maintenant réaffirmer vos droits et récu­
pérer votre bien (au meilleur sens du terme)... Enfin!
Voici que vous ouvrez votre propre caverne d’Ali Baba,
rien moins que le monde entier livré intact à domicile. Et
en outre, merveilleusement réduit à l’échelle qui vous
convient: pas de surpeuplement, pas d’encombrement
chez vous. Pas de bousculade ni de température trop
chaude ou trop froide, non plus. Car le monde est égale­
ment ralenti, refroidi ou réchauffé pour vous, selon vos
besoins.
Les petits enfants voient bien ce qui se passe, eux. Ainsi
ce jeune ami me racontant tout excité qu’il avait vu passer
très lentement un tout petit avion, certainement plein de

114
gens encore plus minuscules. Et cette petite fille me disant
au retour d’une promenade le long de l’estuaire voisin
qu’elle venait de voir un petit navire, «grand comme
ça», montrait-elle en écartant ses petites mains de
15 centimètres. Les enfants ont raison, bien sûr. Pour
que nos biens puissent entrer chez nous, il faut qu’ils
soient convenablement miniaturisés. (En fait, ce n’est
pas tout à fait exact. Les avions, les bateaux, les gens
sont élastiques, et leurs tailles apparentes sont toutes
réelles. La taille des choses n’est pas fixe, ni leur poids,
ni leur couleur, ni leur forme. Tout cela est relatif.)

Enfin, voyons l’art ! Lorsque vous parcourez la Natio­


nal Gallery, votre plaisir n’est pas moindre du fait que ces
chefs d’œuvre manquent de profondeur, qu’ils sont une
tentative bidimensionnelle pour représenter un monde
tridimensionnel. Bien au contraire. Leur manque de re­
lief n’est pas un défaut. C’est une qualité, une révélation.
Max Beckmann, peintre célèbre, disait que transformer la
hauteur, la largeur et la profondeur en deux dimensions
était une « expérience magique » pour lui, qui lui permet­
tait d’entrevoir la dimension à laquelle tout son être
aspirait. Les peintres vous plongent dans le réel, dans le
monde tel qu’il nous est donné. Ils vous murmurent à
l’oreille que cette scène (chaque scène) est votre scène,
que vous êtes sur le même plan qu’elle, où il n’y a ni
loin, ni près. La distance étant abolie, ses caractéristiques
sont vos caractéristiques. Quel superbe maquillage instan­
tané pour votre visage! Mais il n’y a pas de visage sur
lequel l’appliquer et toutes les surfaces sont votre surface !

115
Avoir la National Gallery ou la Tate comme Institut de
Beauté, quel luxe, quelle fête !
Et il y a la musique. Lorsque vous écoutez Mozart, le
son ne vous remplit pas, il vous remplace. Ces mélodies
ne vous font pas vibrer : vous êtes la mélodie. Vous n’êtes
pas musicien, vous êtes la musique - belle à pleurer.

LES RESULTATS EN TERMES D’ARGENT


Jusqu’ici, il semble peu probable que nos découvertes,
si amusantes et réconfortantes soient-elles, puissent rem­
plir nos porte-monnaie, et renflouer nos comptes en
banque. Eh bien, voyons un peu. Nous avons redécou­
vert que le monde est notre coffre à trésors : le moment
est venu d’examiner les conséquences possibles sur nos
finances, notre solvabilité. Nous avons au moins cinq
raisons de penser que les résultats devraient être positifs.
1) Combien de temps, d’argent, d’énergie dépensez-
vous pour rivaliser de standing avec vos voisins? Pour
avoir le même bateau, la même maison de campagne, la
même piscine, la même voiture, la même véranda que
Mr. Dupont ou Durand, et si possible le modèle au-
dessus? Et la même cuisine intégrée que Madame Du­
pont ou Durand, la même salle de bains de rêve, le
même bronzage, les mêmes robes à la mode, sans parler
des fréquentes mises en plis pour le chien et pour Ma­
dame. Plus les cadeaux d'anniversaire et de Noël pour les
enfants dont il faut à tous prix compléter l’effrayante
panoplie d’armes spatiales pour rivaliser avec les enfants
Dupont ou Durand ? Personne ne gagnera jamais à ce jeu
épuisant. Alors, pourquoi le jouer ? Quel symbole pourra
jamais indiquer votre standing de propriétaire des étoiles?
Qui peut rivaliser avec votre splendeur lorsque vous de­
venez Rome, l’Everest ou n’importe quel tableau célèbre
qu’il vous plaît d’accueillir? Jouez à être vous-même,
magnifique et riche au-delà de toute comparaison. Ces­
sez de jouer à ces jeux indignes, mesquins et vains avec les
Dupont-Durand. Et faites le compte de vos économies en

116
monnaie sonnante et trébuchante. Vous serez surpris de
voir ce que vous économisez en vous passant de certaines
choses. Vous découvrirez peut-être que la plupart de vos
dépenses ont été destinées jusqu’à présent à impressionner
les autres, à vous déprimer vous-même et à vous accabler
de possessions qui vous possèdent. Retirez-vous donc de
ce jeu pitoyable et absurde, accordez gaiement la victoire
aux Dupont-Durand et commencez à vivre pour vous
exprimer, et non plus pour vous déprimer. Vous y gagne­
rez de mille façons, et pour commencer peut-être bien y
gagnerez-vous leur respect. Vous ne pourrez pas cacher
longtemps que vous avez découvert le seul remède pos­
sible à l’envie: posséder TOUT, et à l’ambition sociale:
être TOUS.
2) Ensuite, vous économiserez les tranquillisants (chi­
miques et autres) qui épuisent votre vitalité, les divertis­
sements qui deviennent très vite aussi routiniers que la
routine dont ils sont censés vous distraire, les vacances
dont il faut ensuite vous reposer et toutes les vaines
tentatives d’évasion de cette prison où vous êtes enfermés
tant que vous vous considérez comme une chose. Tous
ces « remèdes » contre le stress traitent en fait les symptô­
mes et aggravent la cause, à savoir le fait de prétendre
être ce que vous n’êtes pas.
3) Et les gens finissent par vous aimer. Peut-être bien
se révèlent-ils plus généreux et plus serviables dès lors
qu’ils sentent que vous n’êtes plus en compétition avec
eux, que vous êtes espace pour eux, que vous êtes eux.
Ils sentent sans savoir comment ni pourquoi, que vous
êtes grand-ouvert pour eux. Que vous les voyez, les en­
tendez et les appréciez pour ce qu’ils sont. Et ceci les
porte à réagir de la même façon. Le secret, c’est que
vous ne pouvez être autrement et que si vous êtes totale­
ment ouvert pour eux, de tout cœur, c’est parce que
vous êtes cette Non-Chose infiniment spacieuse. Mais,
inutile d’en parler. Vous en attribuer personnellement le
mérite, l’utiliser abusivement pour vous attirer les bon­
nes grâces des gens, irait à l’encontre du but recherché :
ce serait adopter à nouveau un comportement d’objet,

117
d’une sorte particulièrement déplorable, avec autant de
stress qu’auparavant.
4) La Non-Chose que vous êtes ne demande rien à
personne, a tout, est tout. Restez simplement dans cet
état et voyez s’il ne vous apporte pas exactement ce
dont vous avez besoin au moment où vous en avez
besoin - y compris, très probablement, l’argent auquel
vous vous intéressez de moins en moins - à tel point
que vous vous demandez comment il se fait que votre
compte en banque ne soit plus jamais à découvert.
5) Ce qui m’amène à la dernière, et de loin la plus
importante des raisons pour lesquelles vivre consciem­
ment à partir de votre «richesse absolue» risque fort
d’améliorer votre « richesse relative » : on ne peut se fier
aux objets, ils posent des problèmes, changent, périssent,
contrairement à cette Non-Chose consciente qui elle seule
est fiable. Elle produit des choses. Non pas celles que
vous vous imaginez vouloir, il est vrai, mais celles que
vous voulez vraiment, vraiment, celles dont vous avez
besoin. Est-ce tellement surprenant? N’est-ce pas de
cette même Non-Chose mystérieuse, ineffable, que toutes
choses surgissent sans aucune raison (en effet, pour­
quoi?...), et que cet univers totalement improbable
émerge en ce moment-même? Quel exploit formidable,
cette entreprise cosmique qui va des quarks aux gala­
xies, avec tous ses éléments au travail et tous en bon
état de fonctionnement! Voici la Chose que votre Non-
Chose est en train de produire, là, en ce moment, exacte­
ment où vous êtes. Si l’on ne peut pas compter sur la
puissance et le savoir-faire de cette Société à Responsabi­
lité Illimitée, de cette Reine des Entreprises, sur qui
compter alors ? Si elle permet que vous soyez à découvert
de temps en temps (c’est très possible) soyez assuré que la
direction a ses raisons. Si tout en étant à son service, vous
êtes parfois à court de ceci ou cela (ce qui vous arrivera
certainement) n’en soyez pas angoissé. Votre caution est
solide.
Si je vous conseille d’accorder provisoirement un cer­
tain crédit à votre véritable nature de Non-Chose, et par

118
la suite de tout miser sur elle, c’est d’abord parce qu’un
grand nombre des représentants de notre espèce, aujour­
d’hui les plus respectés, ont proclamé qu’ils l’avaient
trouvée parfaitement fiable, malgré toutes les apparences
du contraire, et ont engagé tout le monde à en faire
l’expérience. Ensuite, parce que si vous songez aux crises
que vous avez traversées dans votre vie, vous vous rap­
pellerez sans doute comment vous avez puisé au plus
profond de vous-même, fait appel à des ressources in­
soupçonnées jusque là, avec des résultats impression­
nants. Enfin, parce que la Ressource que nous vous
recommandons est votre Source, votre Moi, votre Ori­
gine, votre Véritable Nature. Et si vous ne pouvez pas
faire confiance à cela, alors c’est que vous êtes vraiment
mal en point. Découvrant ce qui est totalement vous, plus
vous que vous-même, et renferme pourtant la puissance
irrésistible de ce qui est totalement autre que vous, votre
cœur et vos entrailles (sans parler de votre tête) ne vont-ils
pas s’écrier : « Je m’abandonne à cela, je m’abandonne à
mon Moi, et en accepte les conséquences ! » ?
Vous ne le regretterez pas.

UNE NOUVELLE SORTE DE COMPTABILITE


La confiance est un antidote puissant contre le stress.
De même que sa compagne, la gratitude, la reconnais­
sance pour la richesse inexprimable qui est la vôtre. Je
ne parle pas de quelque sentiment vague et chaleureux,
mais d’un changement d’attitude très précis, très frap­
pant. Il s’agit d’une comptabilité d’un nouvel ordre que
j’appelle comptabilité de la Première Personne. Un exem­
ple banal va vous montrer la différence.
Vous conduisez depuis des heures et êtes encore très
loin de la ville la plus proche. Fatigué, vous avez envie
de vous reposer, de vous rafraîchir. Voici une auberge
isolée sur le bord de la route: vous y prenez un café,
vous vous détendez, satisfait... Vous payez vos
10 francs... En partant, vous faites le calcul: sur cette

119
somme, combien de bénéfice pour l’aubergiste? combien
pour les frais généraux? combien pour la boisson elle-
même: café, lait, sucre? Vous en concluez que l’un dans
l’autre vous en avez eu pour votre argent. Vous n’êtes pas
reconnaissant, mais vous n’avez pas l’impression d’avoir
été volé. Et vous reprenez la route...
Cette façon pratique de compter en évaluant le coût des
choses est utile, bien sûr, et je ne dis pas qu’il faille y
renoncer. Mais elle a ses limites. C’est l’algorithme de la
privation, de la restriction, de l’avarice, de l’ingratitude.
Un calcul incomplet, trompeur et qui ne correspond pas
aux faits. Il y a une manière plus juste de tenir sa compta­
bilité, une manière qui tient compte de votre Réalité (qui
est Non-Chose) plus que de votre apparence (en tant que
chose). C’est l’algorithme de l’abondance, de la gratitude,
de la générosité. Et c’est l’anti-stress. Reprenons notre
exemple et voyons cette autre méthode.
Vous commandez votre café et le buvez comme aupa­
ravant. Vous payez vos 10 francs et commencez à calculer
le coût réel de cette tasse de café, cette table propre et ce
siège confortable que vous avez trouvés dans cet endroit
perdu au moment exact où vous en aviez besoin. Dans
votre évaluation, vous comptez les salaires de la serveuse
et du propriétaire, la mise de fonds et les frais d’entretien
du terrain, du bâtiment et des installations de l’auberge,
plus les mêmes frais pour la ferme laitière qui a fourni le
lait, plus les frais d’importation et de transport du café
venu du Brésil, plus l’entretien des bateaux et du réseau
routier... Là, vous abandonnez et concluez, à juste titre,
que cette tasse de café n’a pas de prix, car c’est l’univers
tout entier qui a contribué à produire cet article précis à
l’endroit et au moment mêmes où vous en aviez besoin.
Et bien sûr, il en va de même pour chaque service qui
vous est rendu. La serveuse qui prend votre commande et
vous sert est une déesse, rien moins que le Cosmos en
personne, bien déguisé. Cette humble tasse de café n’est
rien d’autre que le produit fini et la raison d’être de
l’Univers.
Mais peut-être cette façon de compter peu convention­

120
nelle ne vous satisfait-elle guère. Peut-être pensez-vous
que la manière habituelle d’évaluer le prix de cette tasse
de café, en partageant tous les frais également entre tous
les clients, est la seule raisonnable. Somme toute, dites-
vous, pourquoi attacher plus d’importance à l’un de ces
clients - en l’occurrence vous-même - comme s’il était le
seul et que ce soit pour lui uniquement que tout le sys­
tème fonctionne et que tout cet argent est dépensé ?
Réglons donc cette question en revenant aux faits,
c’est-à-dire uniquement à ce qui se passe réellement dans
ce café, et décidons de ne considérer comme raisonnable
que le type de comptabilité qui tient compte de ces faits.
Quels sont donc les faits réels si nous cessons de croire
à nos hallucinations et commençons à regarder honnête­
ment pour voir? D’abord, observons ce qui se passe
lorsque les autres clients boivent. Différents breuvages
disparaissent dans des fentes bordées de lèvres et il est
impossible de dire si c’est de l’eau ou du vin blanc, du
café ou du thé fort, de la soupe chaude ou froide. Compa­
rez cela avec ce qui se passe lorsque vous buvez. Les
mêmes breuvages sont aspirés dans un Abîme (sans lè­
vres, sans visage, sans rien du tout autour) et vous faites
immédiatement la différence entre le vin et l’eau, le thé
fort et le café, la soupe chaude et froide. Vous pourriez
rester dans cette auberge pendant des années, jamais vous
ne trouveriez un client qui vous ressemble. En fait, vous
êtes le seul vrai Consommateur, le seul à qui l’on serve
exactement ce qu’il commande et qui en est revigoré. Et
vous êtes le seul qui ne sortira pas du restaurant le visage
encore marqué par la fatigue et le stress.
Ainsi la comptabilité qui vous considère comme
unique, comme la seule personne à qui tout ce dispositif
était destiné, est bien la plus réaliste. Et celle qui vous
regarde comme un individu parmi des milliers d’autres
semblables à vous est tout à fait irréaliste. Il ne s’agit
pas de condamner la manière de calculer habituelle
parce qu’elle ne tient pas compte de vous en tant que
Première Personne : elle est précisément conçue pour
ignorer votre caractère unique. Mais vous êtes conçu

121
pour le savourer. Il n’y a personne comme vous. Cette
tasse de café dans une auberge au bord de la route a été
servie à l’infini, par l’infini, à un prix infini.
Au début de ce chapitre, nous avons dit qu’être riche ce
n’est pas seulement avoir les choses que l’on désire, aux
lieu et place où on les désire, mais également pouvoir s’en
débarrasser au moment voulu. C’est donc vous qui êtes le
véritable propriétaire de ce café : vous l’avez aussi long­
temps que vous le voulez et vous pouvez vous en défaire
quand il vous plaît. Ce n’est pas le cas du propriétaire
légal qui, lui, est rivé à son commerce jour après jour,
coincé dans ce trou perdu avec toutes les tensions que cela
comporte, esclave de son café. Et il en va de même pour
la compagnie aérienne toujours prête à vous transporter
de par le monde jusqu’à la ville de votre choix, le jour de
votre choix. Vous appartiendrait-elle davantage si vous
pouviez l’acheter comptant, acheter toute l’affaire plutôt
qu’un simple billet? Au contraire. Et cela ne ferait que
multiplier les tensions dont vous êtes déjà victime. Sup­
posez que Dieu vous ait tant aimé qu’il vous ait donné les
étoiles comme preuve de son amour, mais qu’il vous les
ait données de telle manière que ce soit un véritable fléau,
un fardeau permanent. Or, il vous les a données, mais
d’une manière telle que c’est le cadeau parfait. Où cache­
riez-vous vos joyaux-étoiles (tout en les exposant pério­
diquement) sinon dans votre coffre-fort du ciel ? Pouvez-
vous imaginer façon plus agréable de jouir de ce cadeau
magnifique que celle qui vous est déjà donnée ? Avez-vous
besoin d’un titre authentique pour établir votre droit de
propriété? Que serait-ce sinon une attestation prouvant
que VOUS cédez les étoiles à VOUS?
Il y a quelques années, j’ai vu à la télévision une
interview du regretté Paul Getty, l’un des hommes les
plus riches du monde. Commentant le visage tendu et
malheureux de son invité (du pauvre Mr Getty), l’inter­
vieweur se déclarait surpris de voir que sa fortune ne
suffisait pas à le réjouir. Quoi d’étonnant, en fait?
Mr Getty - et c’est tout à son honneur - ne prétendait
pas être un homme heureux. En réalité, bien sûr, il n’était

122
pas différent des autres êtres humains. Se voyant unique­
ment de l’extérieur comme quelqu’un dans le monde, et
non pas de l’intérieur comme le monde lui-même, il avait
de bonnes raisons de se sentir misérable.
Qui vous êtes vraiment est libre des tensions liées au
désir de possession illusoire par lequel une chose reven­
dique d’autres choses et ainsi perd tout. Qui vous êtes
réellement - cette Non-Chose qui ne revendique rien et
ainsi gagne tout - connaît la sérénité de la vraie posses­
sion. Vous n’êtes plus empoisonné par la crainte de ne pas
en avoir pour votre argent ou d’être roulé. Vous savourez
un univers déterminé à vous servir magnifiquement à
n’importe quel prix. Vous identifier à ce que vous n’êtes
pas : un corps, une personnalité, une entreprise, une
grande société internationale, c’est vous tromper vous-
même, vous ruiner dans tous les sens du terme, au prix
de graves tensions. Ce n’est pas positif. Mais identifiez-
vous à ce que vous êtes, cette Non-Chose qui n’exclut
rien, et vous ferez l’affaire du siècle !

LE GROS LOT
Vivre dans sa tête, c’est être pauvre, et donc stressé.
Qu’est-ce qui fait que tel homme se cramponne à sa tête
toute sa vie, comme à son chapeau dans la tempête,
alors que tel autre, après l’avoir supportée péniblement
pendant dix ou vingt ans, est heureux de laisser le vent
de Dieu l’emporter? Ou encore plus heureux de la miser
au jeu de la vie, la perdre et gagner le gros lot ? Est-ce
parce que ce dernier portait un fardeau de misère plus
lourd que la normale? Ou qu’il a subi trop d’humilia­
tions? Ou enduré une pauvreté si écrasante que finale­
ment le couvercle a sauté? Ou est-ce simplement une
question de chance? Si nous en avons, il suffit de pres­
que n’importe quoi : épuisement physique ou mental,
crise personnelle, abandon de soi dans l’amour phy­
sique, ou même quelques verres ou un joint, pour nous
libérer de cette chose monstrueuse. Pour nous délivrer,

123
même provisoirement, de cette boule de viande et ga­
gner un univers.
Voici une légende japonaise qui illustre parfaitement
cette question. Une pauvre veuve était en train de mou­
rir. L’unique bien qu’elle pouvait léguer à sa jeune fille
était un bol en bois laqué noir et très lourd, à la condi­
tion surprenante qu’elle le porte sur la tête. En fait,
c’était plus un éteignoir personnel qu’un chapeau dur
ou un casque. Et ce qui rendait la chose bien pire en­
core, c’est que sa mère insistait sur le fait qu’elle ne
pourrait jamais l’enlever toute seule. Par piété filiale, la
jeune fille obéit, et fut condamnée ainsi à une vie extrê­
mement triste et misérable. Cependant, elle réussit fina­
lement à se faire embaucher comme fille de cuisine dans
une ferme. Or il advint que le fils du fermier rendit
visite à ses parents, remarqua la servante, tomba amou­
reux et décida de l’épouser. Malgré l’opposition de ses
parents, malgré le couvre-chef et les hésitations norma­
les de la jeune fille elle-même, le mariage fut décidé. Et
lors de la cérémonie, après la dégustation habituelle du
saké, le couvre-chef explosa en mille morceaux et une
cascade de bijoux étincelants et de pièces d’or et d’ar­
gent ruissela sur les genoux de la jeune mariée. Sciem­
ment ou non, sa mère avait tout prévu pour que, ni
trop tôt ni trop tard, l’épreuve de sa petite fille se ter­
mine heureusement et qu’elle soit récompensée par un
mari modèle qui refuse de se fier aux apparences et qui,
en plus, soit assez riche pour lui offrir une magnifique
ferme toute neuve.
L’histoire ne dit pas si le couple vécut toujours heu­
reux. Je crois plutôt que les vieilles habitudes ont du mal
à mourir et que la maîtresse de maison, entourée d’une
telle profusion de récipients, saladiers et bols de toutes
sortes, n’a pu résister à l’envie de les essayer l’un après
l’autre, rien que pour voir comment ils lui allaient. Et
parfois, l’un ou l’autre d’entre eux a dû rester collé
pendant longtemps, ce qui a sans doute grevé le budget
familial et provoqué des querelles de ménage. J’aime à
croire, cependant, qu’elle n’a jamais oublié qu’ils étaient

124
tous amovibles instantanément et à volonté. Et qu’à la
fin, elle a découvert le bonheur de vivre sans chapeau, et
richement coiffée, en vérité, parce que revêtue des cieux et
couronnée d’étoiles.
10
COMMENT SATISFAIRE LE DESIR
DE NOTRE CŒUR?

OBTENIR CE QUE VOUS VOULEZ


Le moyen de mettre fin au stress et d’être heureux c’est
d’obtenir ce que l’on veut.
Quand j’étais petit, il y avait une affiche célèbre sur
laquelle un bébé déployait tous ses efforts pour saisir
une savonnette Pears. Avec pour légende : « Il ne sera
pas heureux tant qu’il ne l’aura pas attrapée ! » Voilà
qui dit tout. Non seulement sur cet enfant dans son
bain, mais sur le reste de sa vie, de votre vie et de la
mienne, quelles que soient les circonstances. Tout ou
presque tout: la légende oublie de mentionner combien
de temps les sourires et gloussements de plaisir dureront
quand il aura vraiment attrapé le savon. Dans l’instant
suivant, il apercevra sans doute le canard en plastique de
sa sœur et le même scénario recommencera. Ce n’était
donc pas la belle savonnette luisante, ou le joli canard
brillant (ou, plus tard, la panoplie de chimiste si délicieu­
sement dangereuse, le vélo dernier cri avec toutes ses
vitesses et gadgets fabuleux, la petite amie ravissante, le
dernier modèle de voiture de sport, l’emploi mieux rétri­
bué, la maison plus agréable dans une banlieue plus
élégante, ou la bonne affaire qui va enfin remplir son
portefeuille d’actions) ce n’était pas cela qu’il voulait

126
réellement ', sinon, l’ayant obtenu il se serait arrêté là,
enfin détendu, pour jouir de la vie.
Lorsque nous réussissons à obtenir ce que nous souhai­
tons, notre satisfaction est de courte durée. Certes, il y a
un moment de joie véritable. Le seul problème, c’est
qu’elle ne dure guère. Elle se transforme trop rapidement
sinon en déception consciente, du moins en indifférence.
L’énergie, l’excitation, le stress impliqués dans cette
chasse particulière ont disparu et l’attente de la proie
suivante est longue. Apparait alors le stress de l’ennui.
Nous sommes désorientés entre deux projets, sans but.
Tant d’efforts, tant de frustrations, tant de réalisations...
et nous ne nous sommes pas rapprochés d’un pouce de
notre objectif véritable qui est la satisfaction durable. Il
nous reste toujours à découvrir ce que nous souhaitons
réellement, la vraie réussite qui ne peut être mesurée qu’à
l’aune de nos propres critères de bonheur intérieur pro­
fond et non à celle des critères superficiels du monde.
Nous supposons naturellement que ce désir apparem­
ment insatiable pourrait être assouvi si nous réussissions
à acquérir toutes les savonnettes, tous les canards en
plastique du monde, à gravir toutes griffes dehors tous
les échelons jusqu’au sommet de notre profession, à obte­
nir enfin gloire et célébrité ou à exercer un pouvoir
incontesté. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vé­
rité. Alexandre le Grand fut-il enfin satisfait après avoir
conquis tout le monde connu ? Lorsqu’il réalisa qu’il n’y
avait plus aucun pays à conquérir, il pleura ! Peu d’hom­
mes d’État ont été aussi admirés que Winston Churchill,
et pourtant les dernières années de sa vie ont été empoi­
sonnées par le sentiment que son pays l’avait rejeté. Quel
compositeur plus brillant et acclamé que Tchaikovsky?
Et pourtant, à l’apogée de sa carrière il tenta de se suici­
der. Tony Hancock, lui, mit fin à ses jours au moment-
même où, reconnu comme le meilleur comique anglais de
son temps, il lui était impossible de s’élever plus haut.
Lorsqu’on les examine de l’intérieur (la seule manière
valable), combien de cas de succès exceptionnel apparais­
sent finalement comme des tragédies exceptionnelles ?

127
Vous vous souvenez peut-être comment, dans «A tra­
vers le Miroir », la Reine Blanche offre à Alice un travail
assez peu satisfaisant à 2 pence la semaine et une confi­
ture spéciale dont la régie d’emploi est: «confiture de­
main et confiture hier, mais jamais confiture
aujourd’hui ». La véritable réussite qui s’appelle: vivre
sans stress, dans la joie permanente, semblerait aussi
insaisissable que cette confiture. La seule confiture que
nous puissions goûter aujourd’hui, c’est sans doute à
peine une lichette au passage. Rarement une cuillerée,
jamais le pot.
Il n’y a rien à reprocher à cette confiture. Il ne s’agit
pas de découvrir une nouvelle marque de joie : la vieille
sorte de joie ordinaire et brève fera bien l’affaire. Mais il
faut la prolonger. Prolonger tout au long de notre vie la
satisfaction que jusqu’ici nous ne goûtons qu’à nos mo­
ments de triomphe. Moments qui, c’est triste à dire, se
font de plus en plus rares à mesure que nous vieillissons.
Le plaisir du bébé lorsqu’il saisit le jouet convoité est
fondamentalement le même que celui qu’il éprouvera
plus tard lorsqu’aprés des années d’effort il obtiendra
enfin le poste ou la prospérité ou la réputation convoi­
tés. Mais le bébé connaît cette joie plusieurs fois par jour.
Lorsque nous grandissons, nos joies se font plus rares
mais ne durent pas plus longtemps et sont vécues de
plus en plus sur un fond de tristesse et de stress.

OBTENIR CE QUE NOUS VOULONS


REELLEMENT
Qu’est-ce donc qui nous permettra de saisir cette joie
insaisissable? Quel est ce souhait profond, au cœur de
notre cœur, dont seule la satisfaction nous comblera
définitivement? Ce chapitre va nous aider à le décou­
vrir. Jusqu’ici, nous avons vu que ce que nous croyons
vouloir, depuis les jouets d’enfant jusqu’au pouvoir mon­
dial, se révéle lamentablement insuffisant. Il existe
quelque chose d’autre, quelque chose qui comble notre

128
désir profond de manière permanente, qui ne nous fait
jamais défaut. Vous pouvez en être sûr. D’abord parce
que nous en avons le pressentiment, la conviction innée :
la persistance et l’intensité de notre quête, l’espoir tou­
jours nouveau qui refuse de se laisser abattre longtemps,
prouvent que nos innombrables déceptions ne sont que
des étapes dans notre longue et tortueuse recherche du
véritable Trésor. Ensuite, parce qu’aussi bien dans le
passé que de nos jours, des hommes et des femmes ont
trouvé ce Trésor. Pour eux, chaque jour est un bon jour,
ils savourent une sérénité permanente et une absence de
stress qui sont le bonheur. Avant de vous citer leurs
exemples, je voudrais examiner encore la différence qui
existe entre nos désirs superficiels et nos désirs les plus
profonds.
Il y a longtemps que les psychologues soulignent cette
différence. Voici quelques uns des exemples qu’ils don­
nent. A table, votre mari vous assure avec une sincérité
évidente qu’il vous aime et veut effacer votre récente
querelle, mais son corps vous dit autre chose : il a le
regard fuyant, la respiration difficile et ses mains s’achar­
nent à réduire en miettes un pauvre croûton de pain. Au
bureau, un collègue vous assure sincèrement qu’il est ravi
de votre promotion et aurait refusé le poste si on le lui
avait offert. Et pendant tout ce temps-là, il est tassé
derrière son énorme bureau, la tête rentrée dans les épau­
les et la mine renfrognée, démentant ainsi les sentiments
généreux qu’il exprime. Dans votre club sportif, vous
rencontrez un homme qui souhaite ardemment participer
à une partie de surf que vous organisez. Mais au dernier
moment, il est saisi d’une telle lombalgie (parfaitement
authentique) qu’il est incapable finalement de rejoindre
votre groupe. Il en est absolument désolé, mais... «ordre
du médecin, vous savez»... La vérité, c’est qu’il a habile­
ment, quoiqu’inconsciemment, fabriqué cela pour ne pas
affronter ces redoutables vagues déferlantes qui le terri­
fient sans qu’il le sache. Ainsi il demeure en sécurité tout
en ayant sauvé l’honneur et il évite d’avouer sa peur à qui
que ce soit, et surtout pas à lui-même.

129
Mais nos mobiles cachés ne sont pas nécessairement
inférieurs à nos mobiles superficiels. Selon Dom John
Chapman, les saints sont persuadés qu’ils sont des
porcs. Leur comportement révéle tout autre chose. Peut-
être la plupart des héros et héroïnes s’imaginent-ils vou­
loir une vie tranquille, confortable et égoïste. Mais ce
qu’ils font en réalité, leur énergie et leur courage sans
bornes dans un cas d’urgence, montrent ce qu’ils veulent
réellement: c’est-à-dire se donner totalement à ce mo­
ment-là.
D’autres exemples de ce genre de double pensée ou
double sentiment vous viendront certainement à l’esprit,
peut-être tirés de votre propre expérience. C’est le propre
de notre condition humaine d’être ainsi en désaccord avec
nous-même, un niveau s’opposant à l’autre. Notre stress
provient de la différence entre ce que nous croyons que
nous voulons et ce que nous voulons vraiment, entre ce
que nous souhaitons superficiellement et ce que nous
souhaitons profondément. Et plus la différence est
grande, plus aiguës sont les tensions qui menacent de
nous déchirer. Le but de ce chapitre est de réconcilier
ces zones distinctes, voire hostiles, de notre volonté, de
trouver un moyen de rassembler tous les aspects de notre
volonté, consciente et moins consciente, personnelle et
plus que personnelle, égoïste et désintéressée, en un tout
harmonieux.
Peut-être alors serons-nous à même de vivre une vie
intégrée, qui ne soit plus écartelée ni minée par le stress.

LES TROIS SPHERES DE LA VOLONTE


Nous revenons ainsi à la question centrale de votre vie :
quel est votre désir, que voulez-vous vraiment ? Nous avons
vu que cela ne se résume pas à votre volonté consciente.
L’intention consciente de votre ami d’aller faire du surf a
été annulée par son intention beaucoup plus puissante de
rester tranquillement à la maison. Et votre propre vie
fourmille certainement d’exemples du même genre. En

130
fait, on peut distinguer trois sphères d’intention ou de
volonté : I) ce que vous croyez vouloir, II) ce que vous
voulez vraiment et III) tout le reste, ce qui vous arrive,
ce que l’Univers veut.

Et s’il se révélait que cette troisième sphère, de loin la


plus vaste, est ce que vous voulez vraiment, vraiment et
que non seulement vous contenez le monde mais que vous
l’approuvez, que vous le voulez exactement tel qu’il est -
I), II) et III) - alors vous seriez vraiment heureux. Si vous
deviez choisir vous-même d’accepter de bon cœur l’en­
semble, tout votre stress s’évanouirait.
Mais hélas! l’univers est une histoire difficile, dange­
reuse, frustrante, douloureuse et souvent extrêmement
cruelle. Comment pourriez-vous sincèrement tolérer tout
cela, sans parler de l’approuver ou, pire encore, de le
projeter activement? Votre joie libérée du stress ne se­
rait-elle pas achetée au prix de votre honnêteté, de votre
compassion, de votre réaction naturelle contre les injusti­
ces épouvantables du monde ? Ne serait-ce pas une joie
fallacieuse, la joie de ceux qui pratiquent la politique de
l’autruche? Serait-elle vraiment exempte de stress? Je ne
pense pas que les autruches soient moins stressées que les
aigles.
Mais cessons de spéculer et voyons le cas de deux
personnes qui, bien que dans des situations très différen­
tes, ont résolu concrètement ce problème de la volonté,
dans la vie réelle.
On ne pourrait être plus modeste et discret que mon
premier exemple. C’était un simple soldat entre deux
âges, un peu lourdaud, qui fut par hasard mon planton

131
pendant la guerre. Il boitait, mais c’était là son dernier
souci. Il souffrait constamment de blessures de guerre et
sa femme était en train de mourir du cancer. Il était
également l’homme le plus serein, gai et détendu, le plus
efficace aussi, que j’aie jamais rencontré. Et le moins
enclin à se plaindre. Son secret? Je suis sûr qu’il n’avait
pas conscience d’en avoir un. Et je suis également per­
suadé que, beaucoup plus par nature que par son éduca­
tion, il appartenait à cette catégorie d’êtres privilégiés qui
ont acquis d’une façon ou d’une autre l’art de vivre le
plus précieux : l’habitude de dire OUI ! à tout ce qui leur
arrive.
Mon second exemple n’a rien de commun avec le pre­
mier sinon le OUI! Tout le reste est totalement différent.
Richard Wurmbrandt a passé quatorze ans dans les
prisons communistes roumaines, pour dissidence. Il a
été battu, torturé, drogué. Pendant deux ans, il est resté
enfermé dans la « cellule de la mort », ainsi nommée parce
que personne n’en était jamais sorti vivant. Néanmoins, il
passait son temps à réconforter ses compagnons de déten­
tion. Il communiquait avec eux en tapant des messages en
morse sur les murs. C’est ainsi qu’il leur transmit le texte
suivant pour expliquer ce qui le soutenait dans ces épreu­
ves : « Lorsque vous souhaitez ce qui arrive, alors ce qui
arrive n’est que ce que vous souhaitez. Le Renoncement
ouvre la voie vers la paix. » Dans son cas, ce fut égale­
ment la voie vers la joie. Lorsqu’il fut libéré, il écrivit :
« Les années de prison ne m’ont pas semblé longues, car
j’ai découvert... l’extase d’un bonheur profond, extraordi­
naire, qui n’a pas son pareil dans ce monde. Et quand je
suis sorti de prison, c’était comme si je descendais du
sommet de la montagne d’où j’avais pu admirer la paix
et la beauté du paysage sur des kilomètres à la ronde... »
En d’autres termes, mon ordonnance et ce dissident
roumain avaient tous deux réussi à prendre conscience
des trois sphères de leur volonté: non seulement celle
qui est déjà consciente (I) et celle plus profonde et incons­
ciente qui émerge de temps en temps (II), mais également
tout le reste, cette région de notre volonté qui est la plus

132
profonde, la plus vaste et la plus cachée (III). En fait, ils
ont expérimenté jusqu’à l’extrême limite cette vérité es­
sentielle: ce qu’ils voulaient vraiment, vraiment était pré­
cisément cela qui leur arrivait, car cela est tout (puisque
tout est interconnecté), tout ce qui est, l’Univers lui-même.
Ce n’était pas l’agent qui était responsable de ce qui leur
arrivait, mais l’Agence, l’Organisation toute entière, Celui
qu’ils étaient vraiment, vraiment. Et ainsi leur désir était
comblé, malgré toutes les apparences du contraire, malgré
ce que l’observateur extérieur appellerait une tragédie
personnelle et des circonstances épouvantables. Ils ont
vécu la solution du problème du stress.

QUE POUVONS-NOUS FAIRE?


Est-ce trop difficile pour vous et moi qui ne sommes en
aucun cas des saints ni des héros, d’apprendre l’art de dire
OUI ! à la vie et de commencer à le pratiquer dès mainte­
nant?
Absolument pas. Je ne dis pas que la tâche soit aisée,
mais qu’elle est simple, et pas aussi ardue que nous le
craignons. Il suffit de la prendre par petits bouts, de
commencer par le moment présent. Bien sûr, ces mo­
ments vont s’ajouter pour constituer finalement le travail
de toute une vie, beaucoup plus long peut-être et certaine­
ment plus astreignant que celui que vous devez fournir
pour gagner votre premier million. Mais y a-t-il un autre
moyen? Voulez-vous rater l’aventure avec ses hauts et ses
bas ? Renoncer à découvrir et redécouvrir sans cesse dans
ce qui est - dans ce qu’on appelle la «réalité», parfois
atroce, parfois neutre, parfois merveilleuse - cette perfec­
tion extraordinaire, imprévisible et totalement indescrip­
tible dont Richard Wurmbrand et tant d’autres nous
assurent qu’elle existe et nous est accessible? Voudriez-
vous que cette entreprise des entreprises s’achève dès que
vous avez vu Qui vous êtes ? Voulez-vous abréger, adou­
cir, expurger l’histoire jusqu’à ce qu’il ne reste pratique­
ment plus d’histoire du tout? Certainement, ce que vous

133
voulez vraiment, vraiment, dans cette troisième sphère de
votre volonté, c’est que votre accès à ce niveau le plus
profond soit le défi qu’il est, qu’il ne soit surtout pas
automatique, qu’il soit le Test ultime de votre vie et de
l’intensité de votre vitalité. De toutes manières, n’est-ce
pas en tant que Celui que vous êtes vraiment que vous
avez déjà décidé de rendre si malaisé (alors qu’il est grand
ouvert) l’accès à Qui vous êtes ? de le rendre également si
difficile (alors qu’il est facile et naturel), si joyeux et si
douloureux à la fois ? Je ne vois pas comment vous pour­
riez revenir sur cette décision primordiale.
De toutes façons, examinons les choix que vous avez
maintenant. Maudir et menacer du poing la Puissance
cachée qui régit le monde? Gémir et vous plaindre de ce
qui vous arrive? Refouler votre amertume et votre dé­
tresse? Ou alors, accepter tout, y compris ces sentiments
négatifs? Que gagnerez-vous avec les trois premiers? Ou
que perdrez-vous avec le quatrième? Allons, soyons rai­
sonnables et donnons une chance au OUI de faire ses
preuves contre le NON.
A titre d’encouragement, je vous signale que vous pou­
vez vous mettre au travail dès maintenant. Cela ne signifie
pas simplement vous rappeler les conclusions auxquelles
nous sommes parvenus dans ce chapitre, mais les tester
sans relâche jusqu’à ce qu’elles soient intégrées dans votre
vie. Je ne veux pas dire que vous deviez serrer les dents,
afficher un sourire blême et dire OUI ! à tout ce qui vous
arrive, coûte que coûte, par devoir et discipline. Cela
risquerait de vous amener à réprimer dangereusement
vos sentiments et vous aveugler vous-même, à repousser
d’un coup de balai vos ordures personnelles et celles du
monde sous un tapis qui n’existe pas. Non : voyez les
choses telles qu’elles sont, telles qu’elles se présentent
dans votre vacuité, dans cette ouverture qui n’a manifes­
tement aucune préférence, aucune résistance ni aucun
ressentiment, aucune liste pré-établie des choses bonnes
et mauvaises, aucune norme de beauté ou de laideur,
aucune classification de ce qui est acceptable ou non-
acceptable. Et voyez ce qui se passe lorsque vous prêtez

134
attention à ce que vous êtes déjà. Voyez comme vous êtes
parfaitement conçu pour vouloir ce qui est. Voyez comme
cela vous est naturel. Et laissez tout simplement monter,
sans rien forcer, la joie et la paix qui s’installent lorsqu’on
n’a plus aucune raison de se plaindre. Avec un peu de
chance, cela vous arrivera peut-être plus tôt que vous ne
l’imaginez. Car nous allons commencer dés maintenant :

Expérience NQ 16 : Choisir ce qui est

Je vous prie de consacrer au moins cinq minutes à cette


expérience - souvenez-vous de l’enjeu.
Pensez à ce qui vous préoccupe le plus en ce moment -
détresse, ressentiment...
Formulez-le aussi précisément que possible... plongez-
vous dedans... examinez ses traits caractéristiques dans
tous les sens, en avant, en arriére, jusqu’à ce que vous
les connaissiez par cœur... examinez-en l’origine probable
et les conséquences...
Maintenant, voyez que vous êtes vide pour tout cela,
vous êtes le Miroir immaculé dans lequel tout cela se
reflète, l’Ecran sur lequel cette triste histoire se déroule
sans porter atteinte à l’Ecran lui-même, sans ternir le
Miroir...
C’est-à-dire : regardez cette détresse à partir du Lieu où
il n’y a pas de détresse, tout comme vous regardez en ce
moment ces mots imprimés à partir du Lieu où il n’y a
aucun mot imprimé, à partir du Lieu où il n’y a rien du
tout qui leur barre le passage...
Observez que vous ne pouvez pas plus refuser le pas­
sage à votre problème qu’à cette page imprimée... et
pourtant que votre problème ne risque pas plus de vous
atteindre que cette page de s’imprimer sur vous....
Maintenant, posez-vous la question suivante : comment
tout ceci est-il arrivé... ? D’où proviennent vos soi-disant
problèmes...? Ce film tragique est-il projeté sur votre
Ecran par quelque projectionniste diabolique, caché à
l’extérieur du cinéma...?

135
A l’extérieur...? Quel extérieur...? Pour vous en tant
que Ce Que vous êtes vraiment, vraiment, manifestement
sans limites, tout est à l’intérieur, tout vous appartient,
tout est vous.
Non : tout provient de, est alimenté par et retourne à
Ce Que vous êtes vraiment... Regardez, voyez, c’est
ainsi...
Quelle découverte plus révélatrice l’homme a-t-il jamais
fait que celle de son propre inconscient ? Arrivé ainsi à la
conclusion stupéfiante que ce qu’il souhaite le plus peut
parfois être ce qu’il pense souhaiter le moins, l’affaire ne
s’arrête pas là, ni sur le divan du psychiatre. Son incons­
cient personnel (II) lui fournit le tremplin dont il a grand
besoin pour aller de son conscient (I) à l’inconscient
universel (III). Dans le langage traditionnel, sa volonté
s’opposait à celle de Dieu, et il était difficile de les récon­
cilier. Mais maintenant, cet intermédiaire: l’inconscient
individuel, lui ayant montré comme il connaît peu sa
propre volonté, la réconciliation, quoique toujours diffi­
cile, est accessible. Désormais, il n’a pas plus de raisons
de nier que les aspects inacceptables de l’inconscient
universel sont sa propre volonté déguisée qu’il n’en a de
renier ceux de son inconscient individuel.

Ce n’est pas dans votre espace humain, mais dans votre


espace infini, en tant que Source et Réalité de l’humain,
que vous finissez par assumer la responsabilité de l’en­
semble des sphères de votre volonté (I, II, et III). Res­
ponsabilité de la sphère (I) : ce que vous saviez que vous
vouliez; responsabilité de la sphère (II): ce que vous ne

136
saviez pas que vous vouliez ; et responsabilité de la sphère
(III) : ce qui vous est imposé de toutes façons et dont vous
étiez le plus souvent persuadé que vous ne vouliez pas.
Tout l’ensemble se révèle finalement être ce que vous
voulez vraiment, vraiment.
Ainsi vous êtes comblé et vous découvrez ce que signifie
être profondément joyeux et exempt de stress.

CHOISIR DE PARTICIPER A LA VIE


ET NON DE LA FUIR
J’imagine ici votre dernière objection : lorsque finale­
ment j’accorde mes intentions avec celles de ma Source,
mon Origine, ma Véritable Nature (ou quel que soit le
terme choisi) et que j’accepte tout ce qui arrive, qu’en est-
il de ma vie d’être humain normal, sain et responsable?
Dois-je renoncer à mon pouvoir de décision? Vais-je
perdre tout intérêt pour les objectifs ordinaires que je
me suis fixés et ai poursuivis toute ma vie : cette maison
de campagne, ce nouveau modèle de voiture, cette fonc­
tion plus importante, ces vacances séduisantes, le plaisir
de gagner au tennis ou au golf? J’ai l’impression que je
vais me transformer en un légume parfaitement ramolli.
Telle sera peut-être votre impression, jusqu’à ce que le
malheur, ou les tensions croissantes de la vie, ou un
heureux hasard, ou la grâce vous réveillent et que vous
commenciez à intégrer consciemment les trois sphères de
votre volonté: ce que vous voulez, ce que vous voulez
vraiment et ce que vous voulez vraiment, vraiment.
Ceux qui en ont fait l’expérience confirment le résultat:
vous obtenez ce que vous voulez parce que vous voulez ce
que vous obtenez. Et néanmoins, cela ne veut pas dire que
vous serez moins efficace. Au contraire, vous le serez
davantage. Et vous aurez plus de succès dans les tâches
et activités courantes de la vie, plus de plaisir dans le
travail et les loisirs, et certainement le grand soulagement
d’être libéré de cette course vers les buts irréalisables que
les Dupond-Durand ne cessent de fixer pour vous. Cette

137
amélioration générale est, somme toute, normale. Vous
allez plus loin et avec moins d’effort lorsque vous et le
tapis roulant allez dans la même direction, lorsque vous
cessez de nager contre le courant de Dieu ou de naviguer
contre son vent. Et vous supprimez aussi les tensions du
voyage.
Dans la mesure où vous agissez consciemment à partir
de ce que vous êtes et voulez vraiment, vraiment, plutôt
qu’à partir de ce qu’on vous a dit que vous étiez et
vouliez, toutes les tâches, grandes et petites - depuis la
vaisselle jusqu’à la conception de votre belle maison (et
qu’y a-t-il de mal à cela, pour l’amour du ciel ?) - tout est
mieux fait qu’auparavant. Parce que le Vous qui agit à ce
moment-là n’est pas cette petite personne qui vous fait
face dans votre miroir, ni ces mains qui s’agitent dans
l’évier ou sur la planche à dessin ou sur le piano, mais
ce qui est beaucoup plus proche de vous qu’elles, plus
proche de vous que n’importe quoi d’autre: le Vous
« déchosifié » qui est ici et qui anime ces mains et tout le
reste. Celui-ci est forcément infiniment plus habile que
tout ce qui procède de celui-là, là-bas. Faites l’expérience
et voyez si c’est vrai.
Et vous allez faire une autre découverte agréable. Tou­
tes vos activités revêtent une qualité nouvelle. Non que
vous les revalorisiez délibérément, mais elles se revalori­
sent elles-mêmes. Vous éprouvez peu à peu le même
plaisir à faire tout ce que vous avez à faire et quelles
que soient les circonstances, sans le moindre stress.
Toute occupation devient agréable du début jusqu’à la
fin, et pas seulement pendant un court instant lorsqu’elle
s’achève avec succès. Ainsi la vie n’est plus une éternelle
remise à plus tard. C’est la confiture aujourd’hui. Même
attendre quelqu’un qui est en retard, remplir votre décla­
ration d’impôts n’est plus aussi désagréable. Ce n’est plus
si différent du moment où votre ami arrive enfin, ou de
celui où vous apprenez que c’est l’inspecteur des impôts
qui vous doit de l’argent. Vous découvrirez, je pense,
qu’aucun travail n’est trop méprisable pour vous ou indi­
gne de vos talents, et qu’inversement aucune fonction

138
supérieure n’est si supérieure ni si importante que cela.
Qui vous êtes fait tout sans le moindre effort. L’origine de
cette mystérieuse équanimité n’est évidemment pas à
l’extérieur de vous, dans ces mains et leur champ de
travail : évier, planche à dessin ou piano, mais de votre
côté, là où vous imaginiez avoir une tête pleine à craquer
d’idées et de jugements de valeur sur ce que vous devriez
faire. Exécuté consciemment à partir A'ICI, même le
travail le plus ennuyeux et le plus répétitif devient plutôt
un jeu. Pas en raison de ce qu’il est mais de Qui le fait.
Pourquoi ne pas commencer tout de suite à vérifier ces
affirmations catégoriques ? Il n’y a pas de meilleur endroit
pour débuter que l’évier de la cuisine. Vous constaterez
peut-être que le travail se fait plus rapidement, que la
vaisselle est moins ébréchée et que toute la cuisine se
retrouve parfaitement en ordre, pour changer. Les ten­
sions que l’on accumule en résistant à ce que l’on doit
faire nous rendent si gauche et malhabile, alors que
l’acceptation et la détente qui s’ensuit nous rendent si
adroit !

CREDIT ILLIMITE
Ce chapitre promet beaucoup, sous conditions, à un
prix abordable mais incontournable. Il faut payer le
montant exact, avec les devises adéquates et selon la
méthode recommandée. En d’autres termes, votre tech­
nique doit être parfaitement au point.
Si vous entreprenez quoi que ce soit sérieusement, en
comptant sur des résultats et pas simplement pour vous
amuser, vous étudiez la technique à suivre. Vous vous
renseignez sur ce qu’il faut faire, comment et dans quel
ordre. Vous le faites correctement. Pour retirer l’argent
que vous voulez d’un distributeur automatique, vous
suivez consciencieusement les instructions. Pour retirer
la joie que vous voulez du distributeur de joie de la vie,
vous devez être tout aussi consciencieux et précis.
Vous avez sans doute au moins une carte de crédit

139
ordinaire. Vous savez bien vous en servir et parfois cela
rend service. Mais ce qui est certain c’est que vous avez
sur vous une carte de crédit maîtresse qui, à condition une
fois encore de vous en servir correctement, peut ac­
complir des miracles, à chaque instant. Elle s’appelle
Crédit Illimité, et elle est conçue pour vous alimenter en
joie, entre autres bonnes choses. Mais il faut vous confor­
mer scrupuleusement à toutes les instructions :

1 - Repérez le bon distributeur. C’est celui qui est ici, là


où vous êtes, et nulle part ailleurs.
2 - Vérifiez qu’il est en bon état de marche. Il fonc­
tionne maintenant, jamais à d’autres moments.
3 - Choisissez la bonne carte. C’est celle où il y a votre
portrait, votre carte d’identité, en fait.
4 - Trouvez la bonne fente où l’introduire. C’est la
seule ouverture dans l’appareil.
5 - Introduisez la carte maîtresse la tête la première
dans ce trou vide.
6 - Tapez votre code secret à 4 chiffres. Le vôtre est
0000.
7 - Demandez à voir l’état de votre compte. Je peux
vous dire dès maintenant que vous avez un crédit illimité,
donc vous n’avez pas de souci à vous faire.
8 - Demandez ce que vous voulez. Ce que vous voulez
vraiment.
9 - Attendez.
10 - Prenez livraison.

140
Je comprends vos doutes en ce qui concerne la carte de
Crédit Illimité et la banque qui l’alimente. Vous hésitez à
croire qu’elles puissent faire face à vos exigences. Eh bien
essayez pour voir. Ou plutôt, voyez et essayez. En atten­
dant, pour vous encourager voici un échantillon des dé­
clarations faites par les porte-parole de la banque :

Demandez et il vous sera donné; cherchez et vous


trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira.
Vous pouvez avoir ce que vous voulez, pourvu que
vous le vouliez vraiment.
L’instant présent contient tout ce que vous pourriez
désirer.
Cessez simplement de faire semblant. Soyez qui vous
êtes et vous recevrez ce dont vous avez besoin. Non
pas ce que vous désirez superficiellement, mais ce que
vous voulez profondément, de tout votre cœur, et
non pas timidement.
Somme toute, vous ne recevez que ce que vous avez
demandé.

Si, après avoir essayé consciencieusement votre carte


maîtresse vous êtes encore insatisfait des résultats, c’est
peut-être pour l’une de ces trois raisons: soit le Crédit
Illimité et les promesses que nous venons de citer sont
frauduleux, soit la banque a fait faillite, soit vous avez
oublié l’une ou l’autre des instructions. Laquelle de ces
éventualités est la plus probable selon vous ?
Peut-être n’avez-vous pas choisi la bonne carte parmi
toutes celles que vous avez, celle avec votre propre visage
dessus? Sinon, peut-être ne l’avez-vous pas enfoncée à
fond dans la fente? Peut-être l’avez-vous retenue au der­
nier moment et votre visage n’a pas disparu dans le trou
vide ? Peut-être avez-vous tapé un mauvais code ? le chif­
fre 1, par exemple, au lieu du 0 ? Peut-être, enfin, n’avez-
vous pas demandé ce que vous vouliez vraiment, et bien
sûr vous êtes déçu? Peut-être avez-vous oublié ce que
vous avez demandé? Le seul moyen alors est de voir ce
que vous allez recevoir. Peut-être êtes-vous trop impatient

141
et n’avez-vous pas laissé le temps à l’appareil de fonction­
ner? Et finalement, peut-être n’avez-vous pas encore fait
vraiment le compte de tout ce que vous recevez ?
Bref, avant de blâmer l’appareil, assurez-vous que vous
l’avez utilisé correctement.

RESUME ET CONCLUSION
Faisons le bilan de ce que nous avons découvert dans
ce chapitre.
Pour mettre fin au stress, il faut gagner. Or nous avons
découvert que cette joie de gagner, c’est-à-dire de réaliser
notre désir immédiat ne dure pas, ce qui prouve que cela
n’était pas notre véritable objectif. (Ce que nous croyons
vouloir est souvent le contraire de ce que nous voulons
profondément.) Notre rôle, alors, est de prolonger la joie
d’avoir gagné en trouvant et obtenant ce que nous vou­
lons vraiment, vraiment. Et ceci, à notre très grande
surprise, se révèle être précisément ce qui nous arrive, ce
qui est, et que jusqu’à présent nous avions souhaité in­
consciemment et refusé consciemment. Nous apprécions
vraiment la vie dans la mesure où nous réussissons à
porter ce troisième niveau de notre volonté à la lumière
de notre conscience. C’est alors seulement que nous
connaissons le goût et le parfum délicieux du succès,
que nous sommes définitivement heureux, libérés du
stress et inébranlables dans l’adversité. Et pour couron­
ner le tout, nous sommes plus efficaces dans les tâches
quotidiennes qui, effectuées à partir à'ICI, à partir de
notre Véritable Nature, reflètent inévitablement un peu
de sa splendeur.
и
LE STRESS ET LA DIFFICILE
CONDITION HUMAINE

LE STRESS DU DESTIN MENAÇANT


Vouloir ce qui nous arrive, c’est évidemment ce que
l’on doit faire pour se libérer du stress. Mais comment
vouloir tout ce qui arrive aux autres? Que dire des évé­
nements effroyables qui menacent notre espèce - ceux que
nous prévoyons et ceux qui se déroulent déjà? Le stress
qu’ils engendrent n’est que trop logique et inévitable.
Peut-on y remédier autrement qu’en supprimant son ori­
gine, les causes sous-jacentes de la guerre nucléaire et de
la guerre tout court, de la pollution, de la surpopulation,
de la faim, etc...? Car, soyons réalistes, quelles sont nos
chances d’y parvenir?
Nous sommes de plus en plus nombreux à éprouver
une anxiété extrêmement profonde par rapport à la situ­
ation mondiale, à la situation critique de l’Humanité elle-
même. Il est difficile d’ignorer les faits accablants (les
médias nous l’interdisent), mais même si nous y réussis­
sons, cela ne résout pas notre stress. Au contraire, il n’en
est que plus grave parce que refoulé. Nous sommes tout à
fait conscients, pour la plupart, des désastres imminents
provoqués par l’homme lui-même, mais nous ne savons
que faire pour y remédier. Ou, si nous avons des idées,
nous ne les mettons jamais vraiment à exécution, pour

143
toutes sortes de raisons plausibles, y compris: «ce n’est
pas moi qui pourrais changer quelque chose, de toute
façon». Nous ne sommes pas heureux, mais au moins
notre stress et nos détresses sont à ciel ouvert. Il existe
un autre genre de personnes (très probablement le vôtre)
qui veulent réellement réduire les menaces qui pèsent sur
l’Humanité et l’angoisse qu’elles engendrent. Vous êtes
impatient d’agir. Vous pensez que contribuer à empêcher
le stress de s’accumuler dangereusement dans votre
monde est également un bon moyen de l’empêcher de
s’accumuler en vous, puisque vous et votre monde êtes
inséparables. Mais comment allez-vous entreprendre cette
tâche énorme?
Il y a, bien sûr, beaucoup de réponses à cette question
dont certaines sont bonnes et d’autres alimentent le feu
qu’elles sont censées éteindre. Vous avez le choix. Notre
propre réponse, dans ce chapitre, ne sous-estime ni
n’écarte aucune de celles qui promettent d’être efficaces.

ATTAQUONS-NOUS A LA RACINE
DU PROBLEME
Le meilleur moyen de réduire le stress provenant de la
situation désastreuse dans laquelle nous nous sommes
mis volontairement est évidemment de réduire le danger
lui-même. Et le meilleur moyen pour cela est d’aller
au fond du problème et d’en rechercher les causes fon­
damentales. Elles s’appellent : PEUR, HAINE ET AVIDITÉ
ou DÉSIR INSATIABLE. Cliché, lieu commun? Peut-être,
mais non moins vérité cruciale. De toute évidence, sans la
peur et la haine la guerre et son commerce disparaî­
traient. Sans le désir et l’avidité, le gaspillage insensé
des ressources humaines, biologiques et minérales
de notre planète prendrait fin. Une solution qui prétend
résoudre les grands problèmes de notre temps sans
s’attaquer à ces trois fléaux sous-jacents n’a aucune
chance d’aider notre espèce menacée, encore moins de
la mettre hors de danger.

144
A notre avis, il est important de reconnaître que la peur,
la haine et l’avidité sont finalement la même chose. Ce
sont les trois aspects de notre aliénation, de notre sépara­
tion : nous sommes séparés de nous-même, séparés les uns
des autres, séparés de tout. C’est toujours l'autre dont j’ai
peur, que je hais, que j’envie, que je projette de détruire.
Prouvez-moi qu’il y a un niveau où je suis vous et vous
êtes moi, et tous ces aspects de notre aliénation mutuelle
s’évanouissent. Niez-le, et tout ce que nous ferons soi-
disant pour la paix, le bien et le bonheur des hommes
aura finalement l’effet contraire. Au lieu de contribuer
au salut du monde, nous contribuerons à sa perte.
En fait, nous n’avons pas le choix. C’est ici, en nous-
même, que nous devons commencer, là où le problème
prend sa source. Pour chacun d’entre nous c’est certaine­
ment une aventure personnelle passionnante, tout autant
qu’un devoir envers l’humanité souffrante. Trouvons
d’abord le remède à notre propre aliénation, à notre
propre solitude, surmontons notre résistance aux gens et
aux choses, et nous trouverons alors le remède à notre
peur, à notre haine, à notre avidité en même temps qu’au
stress qu’elles engendrent. C’est alors, et alors seulement,
que nous serons capables de nous attaquer aux mêmes
problèmes à une échelle plus grande et de faire quelque
chose pour pacifier le monde. Nous ne pouvons pas
apporter aux autres une paix que nous n’avons pas trou­
vée nous-même.

Expérience № 17 : Essayez votre casque de sécurité


- première partie

Le titre intégral de cette expérience est : Essayez votre


casque de sécurité qui vous protège contre tous les acci­
dents, de moto ou autres.
Dans une feuille de papier ou un carton, découpez un
trou qui ait à peu prés la forme et la taille d’une tête.
C’est facile à faire, il suffit de plier la feuille en deux et d’y
découper un demi-ovale. Approximativement.

145
Tenez la carte à bout de bras, au niveau des yeux, et
observez ce trou. C’est votre casque de sécurité.
Voyez comme il est vacant... parfaitement vide et trans­
parent... hors de toute atteinte...
Si vous pouviez le porter toujours sur vous, vous seriez
à l’abri de toute catastrophe, d’origine humaine ou non...
Eh bien, mettez-le. Rapprochez-le très lentement de
votre visage (ou absence de visage). Enfilez-le comme un
masque... Essayez votre casque de protection pour voir si
le vide... la taille... le confort... la sécurité vous convien­
nent...
Enfilez-le à fond et maintenez-le là...
Que s’est-il produit? Ce trou est-il plein, maintenant... ?
Ou est-il toujours aussi vide, aussi transparent, aussi
limpide qu’auparavant... ? Et toujours aussi invulné­
rable... ?
Observez que la seule chose qui se soit produite, c’est
que cet espace a grandi, grandi, grandi et ses limites ont
disparu... il est devenu infini... l’Ouverture Infinie, le
Vide, l’Absence ou la Non-Chose que vous êtes... Et il
est devenu conscient en tant que Vous.
Votre casque de sécurité personnel abrite maintenant
votre monde. En toutes circonstances, vous êtes hors de
danger. Vous n’aurez jamais besoin d’enlever (en vérité il
vous est impossible d’enlever) ce qui, selon les termes de
la Bible, est votre casque du salut.

146
Retirez la carte et essayez-la de nouveau, très lente­
ment, juste pour voir si vous n’avez pas fait d’erreur...

En tant que cet Espace Vide Vaste Comme le Monde,


vous êtes indemne. Mais pouvez-vous accepter de regar­
der passer le monde avec toutes ses souffrances, ses hor­
reurs et ses catastrophes?
A défaut d’autre chose, votre cœur vous dira que c’est
impossible. Et ce n’est guère étonnant, car ce n’est que la
moitié de l’histoire, la moitié facile et totalement fausse si
on ne considère qu’elle seule. (Les pires mensonges ne
sont-ils pas tous des demi-vérités?) Dans notre expé­
rience, nous avons omis un fait capital. Pas un détail
insignifiant, non, quelque chose d’une importance absolu­
ment criante. Regardons à nouveau ce trou.

Expérience Ne 18 : Essayez votre casque de sécurité


- deuxième partie

Tenez la carte à bout de bras comme tout à l’heure... et


à nouveau voyez comme ce trou est vide... ET COMME IL
EST PLEIN...
Examinez attentivement le contenu de ce trou «vide»
dans la carte... ce qui le remplit actuellement...
Maintenant, déplacez lentement la carte d’un côté à
l’autre... de haut en bas... observez son contenu qui va
(disons) d’une paire de pieds... à un morceau de tapis...
une chaise... une fenêtre et la vue qu’elle encadre... et ainsi
de suite, sans limite... Existe-t-il quoi que ce soit que vous
ne puissiez trouver dedans...? Par une nuit claire, vous
pouvez y trouver un millier d’étoiles...
Observez maintenant V union parfaite entre le vide de ce
trou et son contenu... Ce qui vous permet de dire que
cette Non-Chose est toutes choses, et vice-versa.. Et que
ce Contenant est son contenu...
Et maintenant, essayez non pas le simple vide, cette
fois, mais le Vide tel qu’il se présente en réalité, tel que

147
vous en faites l’expérience, le Vide qui n’est pas simple­
ment rempli par la scène, mais qui est la scène...
Essayez de nouveau ce trou (toujours comme si c’était
un masque), pour expérimenter le Vide-Plein, sa taille,
son confort, pour voir s’il vous va bien... Et gardez-le
sur vous...
Enfin, retirez-le, puis essayez-le encore, très lentement...
pour vérifier qu’à aucun moment ce vide-rempli-de-la-
scène ne varie, mais que la scène s’élargit, voit ses limites
disparaître et devient infinie... Vérifiez également qu’à
aucun moment votre visage ni votre tête n’apparaissent
dans l’image...
Voici maintenant toute l’histoire, toute la vérité en ce
qui vous concerne, et elle est triple : vous n’êtes pas une
simple chose comme on vous l’a dit : vous êtes à la fois (1)
Rien du tout : une Non-Chose, et (2) le Tout, l’ensemble
des choses (donc parfaitement en sécurité en tant que (1)
et (2)), mais vous êtes aussi (3) chaque chose en particulier
qui se trouve entre les deux (et en tant que tel, complète­
ment exposé à tous les périls). Oui, grâce à votre nature
même de Non-Chose et Toutes choses, vous êtes à l’abri
des dangers et tensions du monde des objets, en même
temps que vous êtes complètement impliqué dedans par
votre troisième nature qui est d’être chaque objet en par­
ticulier. Il y a une différence infinie entre vous-Contenant
(1 et 2) et vous-Contenu (3), mais aucune séparation.
D’une part, chaque chose compte pour elle-même, d’au­
tre part vous êtes à la fois zéro, infini et chaque chose en
particulier. Dégagé du stress en tant que 0 et oo vous lui
êtes soumis en tant que tout ce qui est entre les deux.
C’est en se heurtant, en s’affrontant, que les objets qui
remplissent votre Contenant toujours serein bâtissent un
Univers. Le fer à cheval est le produit de l’affrontement
entre le marteau et l’enclume ; la farine est le produit de la
friction entre deux meules ; le papier est coupé par le duel
entre deux lames adverses; en ce moment-même, vous
tenez ce livre grâce à la pression qu’exercent votre pouce
et votre index en opposition. Et il en est ainsi à tous les
niveaux, tout est en compétition, depuis les particules

148
jusqu’aux êtres humains. (Comment les relations entre les
individus, les générations, les sexes, les entreprises, les
partis politiques, les sectes, les nations, les races, les
idéologies pourraient-elles fonctionner sans tensions ni
pressions ?) Et nous, êtres humains, allons même jusqu’à
projeter nos instincts belliqueux sur les étoiles, comme si
nos malheureux conflits terrestres ne suffisaient pas ! Ten­
nyson avait raison : la Nature est « rouge du bec aux
griffes », et il n’y a aucun moyen d’atténuer cette couleur
brutale originelle en un rose-pastel non-violent, sinon en
la regardant à travers un filtre édulcorant.
Est-ce à dire qu’une Providence cruelle vous libère
du stress d’une main pour mieux vous écraser de l’autre?
Que votre sérénité innée est vouée à la destruction puisque
vous devez prendre sur vous tout le stress du monde,
toutes ses misères, ses souffrances et ses aliénations, et
même supporter le poids terrible de l’avidité, la haine et
la peur? En vérité, comment pourriez-vous les empêcher
d’entrer? Comment pourriez vous être le Tout exempt de
stress sans contenir chacun des éléments stressés ?
Mais cessons un moment de nous poser ce genre de
questions générales et abstraites pour étudier plutôt des
cas réels, quatre exemples vivants. Observer comment des
gens ont fait face à des désastres réels dans la vie réelle,
comment ils ont affronté le stress. Cela nous aidera à
trouver nos propres réponses.

La militante de la Croix Rouge au Nigeria

Il y a quelques années, j’ai vu à la télévision le repor­


tage d’une militante de la Croix Rouge au Nigeria pen­
dant la guerre du Biafra - conflit particulièrement
horrible. Son témoignage sur les souffrances atroces de
la population civile n’était sans doute que trop fidèle à la
réalité et justifiait parfaitement son appel de fonds. Pour­
tant, ce qui m’a frappé alors plus que l’horreur de la
violence, la maladie et la faim au Biafra, c’était l’angoisse
et le stress dans sa voix et sur son visage. Elle n’aurait pas

149
pu participer davantage à la souffrance. Elle était totale­
ment impliquée, absolument pas détachée. Ce qui, j’ai
tendance à croire, devait réduire sérieusement son effica­
cité sur le terrain, comme cela nuisait énormément à la
portée de sa prestation télévisée pour récolter de l’argent.
Elle était, de toute évidence, une femme exceptionnelle,
peut-être même héroïque, mais il m’a semblé qu’il lui
manquait l’accès à cette Paix intérieure qui nous permet
(comme j’espère le montrer) non seulement de recevoir
tous les tourments du monde sans en être déchiré, mais
même de les transmuer d’une certaine manière.

Le soldat en permission

En Inde au cours de la Seconde Guerre mondiale, un


soldat britannique de trente-trois ans, en permission dans
les Himalayas, fit une découverte d’une importance capi­
tale pour lui. Ayant jeté un regard neuf sur lui-même,
voici en résumé ce qu’il écrivit :

150
«... Ce que j’ai découvert?... Deux jambes de panta­
lon aboutissant à une paire de chaussures, des man­
ches amenant de part et d’autre à une paire de mains,
et un plastron débouchant tout en-bas sur... absolu­
ment rien ! Certainement pas une tête.
Je découvris instantanément que ce rien, ce trou où
aurait dû se trouver une tête, était très habité. C’était
un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui
faisait place à tout - au gazon, aux arbres, aux
lointaines collines ombragées, au ciel... J’avais
perdu une tête et gagné un monde... En dehors de
l’expérience elle-même ne surgissait aucune question,
aucune référence, seulement la paix, la joie sereine, et
la sensation d’avoir laissé tomber un insupportable
fardeau. »
Au retour de sa permission, le soldat retourna au mess
des officiers à Calcutta. Le Bengale était alors en proie à
la famine. Il n’était pas rare que les pauvres meurent sans
soin dans les rues de Calcutta. Mais maintenant, c’était
par centaines et milliers qu’ils mouraient et un grand
nombre de vivants étaient des squelettes debouts ou cou­
chés, dont beaucoup d’enfants. A la porte-même de ses
quartiers, il fut obligé d’enjamber des formes suppliantes.
Bien sûr, il ressentit de la pitié et donna de l’argent.
Mais il ne se sentit pas impliqué. Il resta détaché, froid.
Ce n’était pas une façon délibérée d’ignorer la souffrance
qui l’entourait, il ne se retirait pas consciemment dans le
havre de perfection du Vide qu’il avait découvert dans ce
décor de montagnes si différent, et pourtant si proche.
Néanmoins il est certain qu’il fuyait le stress et la dé­
tresse qui l’entouraient en cherchant leur absence ici, au
Centre. Comme si c’était possible! Comme si ce refuge
qu’il venait de découvrir apportait en lui-même la réponse
aux souffrances du monde ! Il avait, c’est vrai, bien saisi
(et retenu avec soulagement et bonheur) la première
partie du message, la plus facile, celle concernant le déta­
chement absolu. Il lui restait à comprendre et prendre à
cœur la seconde partie, la plus dure, celle concernant
l’implication absolue. C’était un bon début, certes. Il

151
avait commencé à résoudre le problème du stress, mais
guère plus. Pour le moment, il était capable de regarder
ces corps émaciés avec une sérénité incroyable et, il faut
bien le dire, monstrueuse. Je me sens d’autant plus libre
d’en parler ainsi que le soldat, c’était moi.

Anandamayi Ma et la Rani

Une vingtaine d’années plus tard, je me trouvais à


nouveau au Bengale, cette fois dans l’ashram de Anan­
damayi Ma, sage indienne bien connue, suivie par des
millions de disciples. C’était alors une très belle femme
d’une soixantaine d’années, je suppose, et qui avait un
port et une dignité de reine. Avec l’aide d’un interprète
(elle ne parlait pas anglais, ni moi Bengali) j’eus le
privilège d’avoir plusieurs entretiens avec elle au sujet
d’un verset : « Je te salue, je te salue, O déesse qui es la
Conscience dans toutes les créatures», qui revenait sans
cesse dans les chants traditionnels que ses disciples
chantaient tous les jours et qui m’émouvait profon­
dément. Deux événements sont restés gravés dans ma
mémoire. D’abord, l’instant où, au moment où j’allais
partir, Ma m’offrit le châle qu’elle portait sur la tête
en me disant : « Je suis toi, je suis toi ! » Et ensuite, la
visite d’une Rani, princesse indienne, dont le fils unique
venait de mourir. Les sages ont la réputation d’être
détachés de tout. Eh bien j’ai vu Ma consoler cette
femme éplorée pendant des heures. Et elle pleurait
autant qu’elle.
Parmi les paroles de la sainte, il y en a qui auraient pu
m’être destinées personnellement au moment de la famine
au Bengale:
« Si, au sortir de votre méditation, vous êtes capable
de vous comporter comme auparavant, c’est que
vous n’avez pas encore été transformé... Les gens
viennent à moi et me racontent que leurs fils et
leurs filles sont montés dans leur voiture et partis
sans même lever les yeux pour voir si leurs parents

152
pleuraient. Ils sont complètement insensibles au cha­
grin de leurs parents. Voyez-vous, c’est exactement
ce qui se passe lorsqu’on a atteint un certain point
sur la Voie... On pense: “Ceux que je prenais pour
ma véritable famille ne sont en fait reliés à moi que
par la chair et le sang. Quelle importance pour
moi?”... Mais par la suite, lorsque vous vous êtes
détaché du détachement même, il n’est plus question
de détachement ou de non-détachement. Ce qui est
est CELA. »
Anandamayi Ma n’était ni «attachée à» ni «détachée
de » cette mère et son chagrin. Elle était les deux à la fois.
JE SUIS TOI, tel était et demeure son message pour ses
disciples, comme il l’a été pour moi en ce jour mémo­
rable et l’est resté depuis.

Mère Thérésa

A peu prés en même temps que la militante de la Croix


Rouge (notre premier exemple), apparut sur les écrans de
la télévision britannique une autre femme également
concernée par la souffrance humaine: Mère Thérésa de
Calcutta. La réalité qui l’entourait était à peine moins
atroce que celle de la guerre du Biafra. Mais le contraste
entre les deux femmes était extraordinaire. La voix et le
visage de Mère Thérésa témoignaient d’une sérénité,
d’une paix intérieures qui, loin d’être assombries par la
détresse des malades et des mourants qu’elle aimait et
soignait, n’en rayonnaient que davantage. Son ami et
biographe, Malcolm Muggeridge écrit :
« En s’effaçant elle-même, elle devient elle-même. Je
n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi remarquable.
La croiser un instant seulement vous laisse une im­
pression inoubliable. J’ai vu des gens fondre en lar­
mes quand elle partait, même si c’était au cours
d’une réception où ils n’avaient pu recevoir d’elle
qu’un simple sourire. Une fois j’ai eu l’occasion de
l’accompagner, avec l’une des sœurs, à la gare de

153
Calcutta... Quand le train s’ébranla et que je m’ap­
prêtai à sortir de la gare, j’eus l’impression de laisser
derrière moi toute la beauté, toute la joie de l’uni­
vers. »

Voici un exemple vivant de la manière de traiter le


stress et la détresse du monde, y compris la nôtre : plon­
ger dedans la tête la première, tout en en restant dégagé.
«Etre concerné, et pas concerné», selon les termes de
T.S. Eliot. Contrairement à la militante de la Croix
Rouge, Mère Thérésa n’oubliait pas sa Paix intérieure,
mais à l’encontre du soldat britannique, elle n’y cher­
chait pas un refuge. Elle ne s’était pas non plus arrangée
habilement pour trouver un chemin intermédiaire entre
ces deux extrêmes, un compromis raisonnable. Oh non!
Elle allait aux deux extrêmes à la fois, avec une énergie et
un dévouement incomparables, et résolvait concrètement
le problème soulevé dans ce chapitre. Peu importe le fait
que nos langage et système de pensée personnels n’aient
pas grand chose de commun avec les siens. Ce ne sont pas
ses paroles mais ses actes - et plus encore elle-même - qui
sont une leçon pour nous ici : sa démonstration réconfor­
tante de la manière d’affronter le malheur calmement et
d’être ainsi vraiment efficace.

Comparaison des quatre cas

En début de chapitre, nous avons dit que pour s’atta­


quer intelligemment au stress - surtout celui dû aux
multiples dangers dont nous sommes menacés et que
l’homme a créés lui-même - il fallait s’attaquer à leurs
racines : la peur, la haine et l’avidité ou le désir insatiable.
En un mot, l’aliénation. Dans quelle mesure nos quatre
personnages ont-ils chacun réussi cela?...
1) Tout dans la militante de la Croix Rouge révélait sa
peur de la guerre et de ses conséquences, sa haine des
responsables de la guerre et son désir fou d’assurer la
sécurité et la survie de ses amis. Résultat : stress et ineffi­

154
cacité. Cette voie mène tôt ou tard au désespoir ou à la
folie.
2) Le soldat en Inde avait réussi à trouver une sorte de
paix au-delà de la peur, de la haine et de l’avidité. Mais il
restait inconsciemment fortement attaché à cette demi-
vérité qui est vision de lui-même comme Espace vide,
par opposition à la vérité totale qui est vision de lui-
même comme Espace rempli. C’était pour lui le moyen
de se désengager de l’humanité souffrante, attitude totale­
ment irréaliste, pour ne pas dire plus. Aucun écran ne
pouvait lui dissimuler la misère humaine. Résultat : beau­
coup de culpabilité et de stress cachés.
3) Je ne doute pas que Anandamayi Ma ait été totale­
ment libérée de la peur, la haine et l’avidité, ainsi que de
toutes émotions. (Nous le sommes tous, en notre centre,
mais elle l’était consciemment.) Et je suis sûr que les
larmes qu’elle versait en partageant la douleur de cette
jeune mère endeuillée étaient d’autant plus sincères qu’el­
les ne troublaient en aucune façon sa propre sérénité
absolument imperturbable. Elle prenait sur elle la dou­
leur de l’autre étant elle-même libre de toute douleur, tout
comme elle prenait sur elle le visage de l’autre étant elle-
même sans visage. Pour apprécier pleinement ce que cela
signifie concrétement, il faut, comme Ma, voir Qui vous
êtes. Et pour cela, il vous suffit de voir dès maintenant
comme votre propre Espace est vide pour enregistrer ces
commentaires sur elle.
4) A sa manière, Mère Thérésa a trouvé la confiance
au-delà de la peur, l’amour au-delà de la haine, le renon­
cement et le détachement au-delà de l’avidité. Elle réussit
à prendre sur elle les tragédies humaines les plus effroya­
bles parce que la Paix qui est au centre d’elle-même
demeure intacte. Dans notre langage, elle a résolu le
problème du stress en s’immergeant dedans: elle est le
stress tout en ne l'étant pas. Théorie absurde? Si vous
voulez. Mais concrètement, c’est ainsi que cela fonc­
tionne. Et cela fonctionne bien !
Vous pensez peut-être que, contrairement aux femmes
que j’ai décrites, vous n’êtes pas de l’étoffe dont on fait les

155
héros et les saints. N’en soyez pas trop certain. D’innom­
brables hommes et femmes méconnus se sont levés pour
faire face au défi de la misère et de la souffrance humai­
nes, alors qu’ils ne s’étaient jamais imaginés dans la peau
d’une héroïne ou d’un héros. Leurs croyances et voca­
tions particulières leur appartiennent en propre, mais
leur comportement est un message pour tous: vous êtes
faits de la même étoffe qu’eux, vous avez en vous la même
capacité de force sereine. Et comme eux, vous êtes ca­
pable de faire face à n’importe quoi, sans porter la moin­
dre atteinte à cette Paix Parfaite qui est au centre de nous-
même, cette Sécurité absolue que nous partageons tous.

NOTRE PRATIQUE QUOTIDIENNE


A quoi tout ceci se résume-t-il dans notre pratique
quotidienne? Que pouvons-nous faire dans l’immédiat
par rapport à la condition humaine et toutes les catas­
trophes qui s’accumulent dans le monde? Nous pouvons
faire trois choses :
1. - Cesser de jouer à l’autruche. Sortir la tête du sable
de la pensée utopique et cesser de prétendre que tout va
bien et que nos ennuis vont se dissiper. Ce n’est pas vrai.
Ou alors, si un nuage disparaît, un ou deux autres vont, à
coup sûr, se lever à l’horizon. Et même si toutes les
calamités engendrées par l’homme - présentes et à venir
- pouvaient être miraculeusement écartées, il resterait
toutes les autres. Les catastrophes naturelles sont... natu­
relles. Autant que les catastrophes individuelles. L’Huma­
nité elle-même, comme toutes les autres espèces, est sur la
liste noire de la Vie. Tout périt. Reconnaître et accepter
de bon cœur ce fait évident, c’est déjà réduire le stress qui
naît de la volonté de l’ignorer. Qui plus est, ayant envi­
sagé et accepté notre mort en tant que chose dans le
monde, nous ne sommes pas obligé de dramatiser l’événe­
ment en spéculant sur l’heure et la manière dont il se
produira, individuellement ou collectivement. Si on l’en­
visage et l’accepte calmement, le principe universel de la

156
mort n’est pas une raison de se lamenter continuellement
ni de tirer une figure aussi longue que celle de l’entrepre­
neur des pompes funèbres. Cela n’engendre-t-il pas plutôt
une certaine tendresse? Cela ne revêt-il pas une beauté
merveilleuse, surprenante? Cela ne dissipe-t-il pas nos
peurs, peur de la mort et peur de la vie ?
2. - Mais la peur n’est pas si négative, pourvu qu’elle
nous conduise à l’unique refuge où nous serons à l’abri de
tous les dangers : ce lieu de Sécurité incomparable, ce
Lieu ou Non-lieu que nous n’avons jamais quitté. En
pointant le doigt vers notre absence de visage, ou en
regardant simplement Ce-à-partir-de-Quoi nous regar­
dons en ce moment, ou par n’importe quel moyen de
notre choix, rentrons Chez Nous, redevenons Ce que
nous sommes. Et restons-le. Vivons à partir de cette
Réalité absolument sans danger, plutôt qu’à partir de
cette apparence dans le miroir sujette aux accidents. Et
voyons ce qui se passe, ce que devient notre stress.
3. - Mais ne nous fixons pas sur le Contenant, ici, aux
dépens de son contenu, le monde. Nous ne rappellerons
jamais assez qu’il ne s’agit pas de comparer les avantages
de l’un par rapport à l’autre, il ne s’agit pas de compro­
mis ou de modération, mais d'extrémisme. Nous devons
découvrir et vivre cette vérité étrange : nous sommes à
jamais libres du stress, de la douleur et de la tragédie du
monde en même temps qu’ils font à jamais partie de nous,
tout comme la joie et l’amour du monde. Alors, essayons
de découvrir quel rôle spécial nous devons jouer, quel
travail unique et imprévisible nous devons accomplir
pour le bien de ce monde qui n’est autre que nous-
même. Peut-être est-ce une tâche très humble et cachée,
peut-être guère plus que de donner l’exemple d’un bon­
heur personnel exempt de stress et d’une manière d’ap­
précier et d’accepter les gens et les choses tels qu’ils sont.
(Seule cette Absence que nous sommes est capable d’un
accueil aussi parfait). Mais soyez sûr que le simple fait de
voir un seul instant que vous êtes Vide-pour-tout a des
conséquences très profondes. Votre meilleure contribu­
tion à l’avenir du monde n’est pas ce que vous dites, ni

157
ce que vous faîtes, mais ce que vous êtes maintenant. Rien
n’est plus contagieux que cet état dénué de stress, cette
sérénité impersonnelle qui englobe tout.
Voici donc notre triple pratique, notre discipline
concrète. Que ce soit dans notre travail ou dans nos
loisirs, il n’est jamais mauvais ni vain de vivre à partir
de la vérité. D’accord, il est très facile de voir la vérité, et
très difficile de continuer à la voir sans cesse ! Mais la vie
sans elle est-elle plus aisée ? Est-il plus commode de vivre
à partir de mensonges? Souvenons-nous (pour nous en­
courager) que notre pratique ne consiste pas à changer
notre style de vie, mais à observer comment nous vivons,
à prendre conscience que nous sommes ce Vide-Plein,
cette combinaison tout à fait étonnante de liberté totale
et de totale implication.
Et souvenons-nous que vivre ainsi consciemment est la
meilleure des choses que nous puissions faire pour notre
monde en péril.
12

AU DELA DU MONDE DU STRESS

Dans le chapitre précédent, nous avons vu quatre atti­


tudes possibles face à la souffrance qui nous entoure:
celle de la militante de la Croix Rouge qui est complète­
ment bouleversée par elle ; celle du soldat britannique en
Inde qui refuse de se laisser toucher par elle; celle de
Anandamayi Ma qui accompagne sa disciple jusqu’au
fond de sa douleur tout en restant parfaitement im­
muable et sereine; et celle de Mère Thérésa totalement
différente, extérieurement, de celle de la sainte hindoue et
parfaitement identique intérieurement. La première nous
est apparue comme particulièrement stressée, la seconde
comme recelant beaucoup de stress refoulé, alors que la
troisième et la quatrième en étaient remarquablement
exemptes.
Dans ce chapitre, je vais compléter l’histoire du second
personnage, parce que c’est la mienne et la seule que je
puisse décrire avec certitude, et parce qu’elle va nous
aider dans la suite de notre recherche.
La chance ou la grâce, plus que mes propres mérites,
m’ont permis de trouver une voie qui conduit au delà du
stress. J’espère que vous la trouverez aussi praticable que
moi. C’est une manière de plonger sans être submergé,
une manière qui ne nous demande pas d’être des saints ou
des héros, ni de nous convertir à une foi quelconque, mais

159
simplement d’être ce que nous sommes, maintenant, là où
nous sommes.
Je ne vois pas de meilleur moyen de l’introduire qu’en
redisant mon expérience himalayenne telle que je la revis
à présent, dans le cadre plaisant mais moins grandiose des
sierras de la Californie du sud où j’écris ceci, par un matin
de printemps, après la pluie. Mon but est toujours le
même. Accorder un maximum d’attention à la scène (y
compris ce que j’appelle «moi-même» et qui en fait
partie) avec un minimum d’interprétation : s’éveiller
comme pour la première fois à ce qui EST, s’incliner
devant l’évidence. S’INCLINER DEVANT L’ÉVIDENCE - et
je dis bien s’incliner au sens littéral du terme comme au
sens figuré voilà notre règle de base à partir de mainte­
nant et tout au long de cette expérience :
Levant les yeux, j’enregistre ce ciel bleu outremer, sans
nuages, infiniment vaste, illimité. Abaissant lentement
mon regard, je découvre la silhouette onduleuse d’une
colline vert foncé qui se détache sur le bleu intense du
ciel. Puis ses pentes parsemées de buissons. Puis l’herbe
horizontale vert clair, éclaboussée de fleurs et de gouttes
de rosée qui miroitent dans la lumière du matin. Tout est
silencieux et immobile. Et jusqu’ici il n’y a que le specta­
cle, aucune trace du spectateur... Hélas! cette description
dément le fait le plus frappant : le spectacle se suffit à lui-
même. Aucun mot ne peut exprimer cette sublime inéluc­
tabilité, cette indépendance totale par rapport à moi.
Je continue à me prosterner devant l’évidence, et je
découvre deux chaussures de la taille de celles d’un en­
fant attachées à deux jambes de pantalon tellement rédui­
tes par la perspective qu’on dirait des jambes de short,
elles-mêmes reliées à un plastron de chemise si raccourci
qu’il ressemble plutôt à un lambrequin s’ouvrant large­
ment vers le bas du tableau.
Oui : le bas du tableau. Cette créature - telle qu’elle se
présente - est à l’envers.
Puis, continuant à me prosterner devant l’évidence, je
découvre... absolument rien:
Une Absence...

160
Et pas n’importe quelle absence. Pas celle de la chose
remplacée par son image, comme la lettre manquante
dans ce M T, ou la tête que vous cherchez en vain dans
notre dessin. Non. Ma chemise se termine en bas, au bas
de la scène, par un Trou absolument vide de toute repré­
sentation, par... absolument rien. Et la dernière phase de
ma révérence devant l’évidence m’amène à l’endroit le plus
négligé et sous-estimé du monde, le lieu qui est Absence de
lieu, le Terminus des terminus, unique, déconcertant, le
Mystère qui est plus que digne de mon humble obéis­
sance. Tous les lieux, tous les objets que je rencontre ont
un arrière-plan. Quelque part ils s’arrêtent et quelque chose
d’autre commence : quelle que soit leur taille, ils se situent à
l’intérieur d’un périmètre dont le tracé plus ou moins net
marque la limite entre eux et leur environnement. Tous,
sauf cette chemise magique que je porte. Comme si une
mite transcendantale s’était acharnée à grignoter tout le
tour de l’encolure. Mais non. Ceci n’est pas l’œuvre d’un
rongeur quelconque, mais celle du mystère-même de la

161
création, le mystère du ICI pris en flagrant délit de jaillir de
NULLE PART, du CE QUE jaillissant du RIEN, tel une ma­
rionnette à ressort de la boîte à surprises divine. Tous les
objets qui se situent au-dessus de cette Ultime Ligne de Base
- ces chaussures miniatures là haut, ce pantalon raccourci,
cette chemise lambrequin elle-même sur trois de ses côtés -
tous sont normaux dans la mesure où ils se détachent
sur quelque chose. Ces objets-là, je les connais bien, je
peux les manipuler, ils sont dans mes compétences. Mais
Ceci me dépasse. Ici j’ai trouvé quelque chose qui ne repose
sur rien, sinon un vide. C’est irrégulier, anormal, absurde -
et tous ces mots sont encore bien trop faibles pour décrire
une telle Bizarrerie. Voici la Ligne qui sous-tend toutes
choses et qui est elle-même sous-tendue par un Blanc
total, par Ce Qui brille par son absence. Au-dessus d’elle,
le monde. Au-dessous, pas même un grain de poussière,
et (ce qui nous importe ici) aucun lieu où il puisse se poser.
Revenons un instant à notre soldat anglais. J’étais dans
le génie, l’un de ces sapeurs dont la mission traditionnelle
est double: miner les fortifications d’un camp et cons­
truire celles de l’autre. Le travail que je fais maintenant
n’est pas si différent. Je suis encore dans la démolition-
construction, mais c’est la première qui prend le pas sur
l’autre. Il y a beaucoup de choses étonnantes dans le
monde, mais quoi de plus stupéfiant que cette entreprise
de minage qui creuse un tunnel sous le monde lui-même ?

AU-DESSOUS DE CETTE ENCOLURE

RIEN
NI TETE NI ÉPAULES
NI ESPACE VIDE POUR ELLES

Il y a bien longtemps que ma condition a été décrite


parfaitement. Quand Jésus disait qu’il «n’avait pas de
place où poser sa tête », je suis convaincu qu’il ne parlait
pas d’un lit où dormir. Il avait assez d’amis pressés de
l’accueillir. Non : loin de se plaindre, il parlait avec grati-

162
tude et émerveillement de CE QU’il voyait et qui était pour
lui le plus précieux. Prise séparément, cette réflexion
semble être celle d’un vagabond sans domicile. Placée
dans son contexte, elle est l’expression de celui dont le
lieu de naissance et le foyer sont cette Absence de lieu.
Elle rejoint précisément la pensée du maître Zen Mumon :
« Il n’existe aucun lieu où poser notre Visage Originel ».
Car ce n’est pas comme si, arrivant dans ce No-man’s
land et « No-things’land » w on aboutissait à une impasse,
à une zone inexistante, insignifiante et inintéressante. Bien
au contraire. C’est cet Inconnaissable, des profondeurs
duquel jaillit le connu sans raison et sans restriction,
cette Semence Inconcevable de toute vie et de toute pen­
sée, y compris celle-ci. C’est ce Visage que masquent tous
les visages. Dans les chapitres suivants je vais montrer
comment lorsqu’on découvre Ceci, on découvre le Sens
de toutes choses, pas seulement le trésor mais la Trésore­
rie, la Ressource des ressources, le Remède des remèdes,
et qui plus est, l’emplacement idéal où déverser tout votre
stress. On cherche en vain des étiquettes valables pouvant
s’appliquer à cette Non-existence qui est infiniment plus
réelle que tout ce qu’elle produit, tout ce qui existe. Elle
nous déconcerte comme elle déconcertait le maître Zen
Huang-po qui disait: «Ce n’est pas le simple néant. Je
veux dire que cela existe vraiment, mais d’une manière si
stupéfiante que nous sommes incapables de l’appréhen­
der. C’est une existence qui est non-existence, une non-
existence qui est néanmoins existence. Ce véritable Vide
est un phénomène magnifiquement réel ».
Au début de ma période « Himalayenne », il y a environ
un demi-siècle, j’utilisais une série de termes pour dési­
gner ce No-man’s land. Je l’appelais Vide, Capacité,
Absence, Néant et Vacuité - et je n’ai pas trouvé mieux
depuis. Désespérément inadéquats pris séparément, ils se
complètent les uns les autres collectivement. Mais je
l’appelais aussi Espace, pensant ainsi être plus clair. Ou

MN.D.T.: «No-things’land» = zone indéfinie sans choses, en parallèle

avec le « No-man's land ».

163
plus précisément: «Espace Vide pour accueillir cette
scène». Phrase malheureuse, car elle semblait laisser en­
tendre que j’avais trouvé au-dessus de la Ligne de Base le
contenu du monde, et au-dessous, son Contenant et qu’on
pouvait ainsi les séparer. Certes, ayant séparé l’Espace et
son contenu, j’ai cherché immédiatement à les restituer
l’un à l’autre. Je suis même allé plus loin en affirmant
leur unité. Mais le mal était fait. Les morceaux ne pou­
vaient pas être recollés. Le moindre coup d’œil aurait dû
suffire à m’avertir, à me montrer que le monde dans son
intégralité - contenant et contenu - se situe au-dessus de
la Ligne, et qu’il y a toujours place pour le tout. En y
réfléchissant avec du recul, comme elle était fausse l’image
d’un monde séparé de son espace ! Bien sûr, si j’avais pris
soin de les dissocier, il faudrait bien que je les rende l’un à
l’autre. Une manipulation aussi gratuite et compliquée de
la matière-même de ma vie ne pouvait guère manquer de
l’affecter. Il y eut des moments où je laissais cet espace
irréel, inhabitable et abstrait envahir le No-man’s land
en-dessous de ma Ligne de Base pour y fuir le monde
réel de l’espace habité, et en particulier ses aspects les
plus tragiques. C’est ainsi qu’à mon retour à Calcutta
après mon séjour dans les Himalayas, je fus capable de
me détacher de ces êtres faméliques. Etant « espace pour
les accueillir», j’étais dans une certaine mesure libéré
d’eux. Rien d’étonnant donc à ce que j’aie payé en stress
ce demi-mensonge, cette fausse libération.
Fort heureusement, l’erreur ne résidait pas dans l’expé­
rience initiale mais dans l’interprétation que j’en avais
faite. Le sens que je donnais à ce que je voyais était faux,
mais non la vision elle-même. Il a toujours été évident que
lorsqu’on tourne son regard vers soi-même pour regarder
en soi, on ne peut pas voir une version fausse ou partielle de
sa propre Nature, même si la compréhension ou l’interpré­
tation de cette vision est erronée. Et heureusement, à
mesure que je me familiarisais avec cette vision intérieure
parfaitement infaillible, l’idée que je plongeais mon regard
dans un espace vide, ici, se corrigea d’elle-même. Avec le
temps et la pratique, j’appris qu’il n’existe aucun refuge,

164
bunker ou abri anti-aérien, en dessous de la Ligne, que ma
vie se situe bon gré mal gré au-dessus d’elle, et que le seul
moyen de me libérer du monde et de ses problèmes c’est de
m’identifier à eux.
Si je suis parfaitement satisfait maintenant, c’est que
j’ai cessé de me considérer comme Contenant, mais au
contraire suis heureux de mon contenu.

Expérience № 19 : Intérieur-Extérieur, un seul monde

Désignez du doigt la scène qui se présente à vous et


remarquez que contenu et contenant ne font qu’un.
Maintenant, faites pivoter votre doigt de 180° et dési­
gnez... exactement la même chose... Remarquez que le fait
de tourner votre regard vers l’intérieur ne change absolu­
ment rien...
Remarquez que le regard tourné vers l’intérieur ne met
pas plus en valeur l’espace que celui tourné vers l’exté­
rieur ne met en valeur son contenu.
Voyez comme il est absurde de penser que l’on a un
monde extérieur et un monde intérieur...
Dans les chapitres suivants, nous allons voir en détail
comment on se débarrasse du stress en l’acceptant, et non
en le fuyant. Comment la route à suivre pour le transport
de ces matières toxiques n’est pas une route ascendante et
qui fuit la souffrance, mais au contraire une route qui la
traverse et descend jusqu’à la Lisière du Monde, le seul
lieu sûr où elles puissent être déchargées - ce lieu où la
partie inférieure de votre corps (appelée à tort votre tête)
a déjà été larguée, et où le reste ayant été inversé va
suivre. C’est là que vous trouverez le remède ultime
pour votre stress, là qu’il sera détruit irrévocablement.
Ne craignez rien ! L’idée la plus angoissante, celle de
votre propre mort, sera déchargée en même temps que
tout le reste. Où exactement? Juste un peu en-dessous
du bord inférieur de ce livre. Continuez à lire jusqu’à la
fin de la page jusqu’à ce que vous arriviez au-delà, au
Bout du Monde, et voyez...

165
TROISIEME PARTIE
LE STRESS ET LES DIFFERENTES
ETAPES DE LA VIE

« “L’en-Soi-pour-Soi”, l’absolu a non


seulement disparu de la vie, mais est
devenu quelque chose de ridicule aux
yeux des hommes».
Kierkegaard

«Etre rien est le seul moyen d’être


tout ; seule façon de posséder tout ».
John Smith, le Platonicien

« Tant que je suis ceci ou cela, je ne


suis pas tout ».
Eckhart

«Maintenant (dit-elle) je connais la


cause, ou la cause principale de votre
maladie. Vous avez oublié ce que
vous êtes».
Boethius

167
La forme que revêt le stress dépend des circonstances et
de notre tempérament personnel, mais aussi de notre âge.
Dans cette Troisième Partie, nous observerons le stress
chez l’enfant, lorsque le prix à payer pour devenir humain
consiste à oublier Ce Que nous sommes; le stress chez
l’adulte, lorsque pour assumer notre humanité-solitude,
ennui, culpabilité, échecs, etc... - nous devons nous rap­
peler Ce Que nous sommes ; et le stress à l’heure de notre
mort, quand pour mourir paisiblement il nous faut sim­
plement demeurer dans Ce Que nous sommes, Г Essence
qui ne peut pas mourir - pour la simple raison qu’elle n’a
jamais vécu.
Dans cette Troisième Partie, nous arrivons à la section
la plus profonde de la piscine décrite dans la Préface.
Pour les lecteurs qui ne se sentent pas tout à fait prêts à
aller plus loin, c’est le moment de retourner aux chapitres
où ils avaient pied et d’aller ensuite directement aux
toutes dernières pages du livre où ils trouveront les exer­
cices quotidiens à pratiquer pour nous tous. Si vous
décidez de sauter la Troisième Partie et de ne pas vous
risquer en eau profonde pour le moment, souvenez-vous
que l’eau est partout la même : c’est toujours H2 O. Plus
d’eau ne veut pas dire une eau plus pure. Que vous
risquiez un doigt de pied dans cette pureté, ou que vous
y plongiez complètement, c’est la même chose : vous
l’avez toute entière, vous l’êtes entièrement.

168
13

ENFANCE ET ADOLESCENCE

LA MAGICIENNE ET SES SEPT SORTILEGES


Commençons par le premier stress, celui qui nous
envahit lorsque nous sommes jeunes. Et quoi de plus
approprié à ce sujet qu’un conte de fée, un conte pour
les enfants de tous pays et de tous âges, plein de magie
blanche et aussi terriblement noire?
Il était une fois un vieux couple qui avait sept filles. Ils
vivaient au fin fond de la campagne et formaient une
famille aimante et heureuse, mais si pauvre que Eye-
bright(,), la plus jeune des filles, fut obligée de quitter la
maison pour chercher fortune dans le vaste monde dont
elle ne connaissait rien. Après des semaines de voyage
difficile, elle parvint à une ville belle et prospère, dirigée
par une magicienne. Cette Méchante Fée avait jeté sur
tous ses sujets sept sorts qui les réduisaient, comme sous
le poids d’une presse pesante, à une fraction de leur taille
initiale, les déformaient de manière grotesque, les tour­
mentaient profondément. Une fois remodelés, ils avaient
droit à l’approbation royale et à la citoyenneté. Ainsi,
bien que nantis par ailleurs, les gens étaient de véritables
puces, des nains horriblement difformes, sautillant le long
MN.D.T.: Eyebright = Œil brillant.

169
des rues splendides comme autant de grenouilles. Gre­
nouilles boiteuses et possédées, en plus !
Aussi, Eyebright qui n’était pas en état de poursuivre
son voyage se trouva-t-elle confrontée à un dilemme
atroce : soit rester assise à la porte de la ville, vivre
comme une mendiante avec les restes qu’elle pourrait
trouver en fouillant dans les ordures - intacte physique­
ment mais soumise au stress de la vie de paria et affamée,
soit accepter d’être réduite à l’état de naine difforme et
folle pour vivre dans l’aisance, tout en subissant le stress
de connaître en son for-intérieur le terrible prix qu’elle
aurait payé en respect de soi, pour acheter le respect des
autres et une existence confortable. D’une façon comme
de l’autre, il semblait que la vie qui l’attendait allait être
une vie de stress intense et permanent.
Or, comme il est de règle dans tous les bons contes de
fée, notre héroïne était aussi intelligente que courageuse.
Elle trouva finalement (comme nous allons le voir) un
moyen de faire échec au système, de contrecarrer la
magie noire de la Méchante Fée grâce à sa propre
magie blanche beaucoup plus puissante, évitant ainsi les
deux sortes de stress.
Voici ce qui arriva :
La reine avait coutume d’organiser régulièrement des
soirées de gala au palais pour les enfants et les étrangers,
et Eyebright se laissa entraîner à l’une d’elles. Après avoir
souhaité la bienvenue à ses invités et les avoir fait asseoir,
la Fée agita sa baguette magique. Ils entrèrent tous en
transe et elle leur parla ainsi :
« Il m’appartient de vous initier aujourd’hui à ce que
signifie être citoyen de ce royaume. Pour que règne l’ordre
dans ce pays, je vous jette sept sorts :
« Premièrement, à partir de cet instant votre Grand Œil
se fermera et vous regarderez le monde à travers deux
tout petits trous ;
«Deuxièmement, depuis quelques années l’un de mes
intimes qui s’appelle Chose-Qui-Dévisage vous convoite
du regard derrière la vitre de sa cage. Désormais, grâce à
ce sortilège, il est libre de sauter sur vous, de vous enva­

170
hir, vous parasiter et vous posséder. Je vous ordonne
d’être un hôte aimable, de bien accueillir ce parasite de
toute votre vie qui va prendre votre place, pomper votre
énergie et finalement vous tuer ;
«Troisièmement, vous ne pourrez plus vagabonder
sans limites, libres comme le vent. Je vous ai pris dans
mon filet et enfermés chacun dans une boîte pour la vie.
« Quatrièmement, vous serez séparés des êtres qui vous
sont chers et remodelés de telle façon que désormais vous
serez tous à couteaux tirés: la confrontation est la pre­
mière loi de cette cité ;
« Cinquièmement, mon pouvoir magique détruit le don
d’immobilité qui vous permettait de faire danser la ville
agréablement autour de vous. En conséquence, c’est vous
qui allez vous mettre en mouvement, vous traîner dans les
rues désormais mortes, immobilisées ;
« Sixièmement, par ce coup de ma baguette magique je
transforme votre richesse infinie en dénuement total. Je
place tous vos biens hors de votre portée, je les éparpille
aux quatre coins du monde, car il me plaît de vous
tourmenter ;
« Septièmement et pour finir, vous passerez votre vie à
désirer ardemment ce que vous avez perdu aujourd’hui,
cherchant désespérément à combler le vide de votre cœur
sans savoir comment.
«Ainsi, mes enfants, vous voici conformes à ma vo­
lonté, réduits à la taille et à la forme réglementaires et
correctement parasités.
«Et maintenant, lorsque vous vous réveillerez vous
aurez tout oublié de ce qui vient de se passer. Vous ne
saurez plus que je vous ai envoûtés et ainsi, ces sept
sortilèges seront pour vous paroles d’évangile. Ce seront
des faits de la vie qui, comme l’air que vous respirez,
seront si élémentaires et naturels que vous ne leur accor­
derez jamais la moindre pensée ni, ce qui est plus impor­
tant encore, le moindre regard.
«Eveillez-vous donc maintenant à votre nouvelle vie
et votre nouvelle condition de fidèles citoyens de mon
royaume... »

171
Or, il arriva que Eyebright succomba aussi facilement
que les autres aux maléfices de la Méchante Fée - excepté
au deuxième. Certes, l’horrible Chose-Qui-Dévisage réus­
sit bel et bien à sortir de sa cage de verre et à l’envahir. En
fait, elle ne réussit que trop bien ! L’invasion ne fut que
trop réelle et trop dévastatrice. Mais au lieu d’accueillir ce
parasite en hôtesse accomplie, ou du moins de tolérer
cette Chose aux yeux écarquillés, elle ressentit une telle
souffrance, une telle honte, une telle fureur contenue que
tout le monde remarqua son air renfrogné et le rictus de
sa bouche.
Les années passèrent sans qu’elle se réconcilie jamais
avec cet hôte forcé...
Jusqu’au jour où, ayant grandi, elle découvrit que la
Chose-Qui-Dévisage avait un point faible. Elle sommeil­
lait de temps en temps. Alors, son étreinte étant relâchée,
elle pouvait soudain être délogée, repoussée et maintenue
à distance pendant quelques instants. En outre, chaque
fois que Eyebright réussissait à la surprendre et à l’évin­
cer, elle parvenait à la repousser un peu plus loin et à la
maintenir là-dehors un peu plus longtemps. Bientôt elle
comprit que plus elle la combattait énergiquement, plus la
Chose perdait de sa force tandis que la sienne grandissait.
De plus en plus fréquemment elle trouva l’énergie et le
courage de la repousser, de la maintenir au bout de son
bras et de la rejeter dans sa cage de verre. Tant et si bien
que finalement la Chose renonça et se réinstalla tranquil­
lement derrière sa vitre, à bonne distance, telle un animal
de compagnie mais plus du tout un parasite. Elle finit par
ressembler à un bon chien de garde qui sait que sa place
est dehors, jamais dedans. Ainsi, l’horrible et dangereuse
Chose-Qui-Dévisage, favorite de la Méchante Sorcière
délivrée de sa maîtresse et de ses sortilèges, retrouva une
vie normale, à sa place et selon sa propre nature. Et
Eyebright la rebaptisa Fidélia, en reconnaissance de son
dévouement envers elle, sa véritable Maîtresse. (Ou Œil
Ecarquillé lorsqu’elle était d’une humeur guillerette).
Ainsi, ayant brisé le plus pernicieux des sortilèges, il lui
fut facile de briser les autres un par un. Elle comprit

172
rapidement que les sept sorts apparemment si puissants
n’étaient en réalité que du bluff. Même si par la magie de
la Sorcière les citoyens croyaient être tout le contraire de
ce qu’ils étaient, cela ne changeait en rien ce qu’ils étaient
vraiment. Lorsqu’avec la rage du désespoir on avait assez
de courage et d’énergie pour s’attaquer à sa magie tant
vantée, elle se révélait n’être que de la poudre aux yeux.
De plus en plus heureuse et émerveillée par cette dé­
couverte libératrice, Eyebright se mit à en parler, très
prudemment, à ses meilleurs amis. A la fin, plusieurs
d’entre eux s’aperçurent qu’eux non plus n’avaient pas
besoin de continuer d’héberger ce parasite, ni de rester à
moitié aveugles, enfermés, déformés, impuissants à faire
danser le monde à partir de leur immobilité et réduits à la
misère, mais qu’ils pouvaient se libérer de ces malédic­
tions et se retrouver comme au jour de leur naissance.
Et à leur tour, ces amis montrèrent à leurs amis comment
briser les sept sortilèges...
C’est ainsi que se développa dans cette cité - et que

173
continue de se développer - un mouvement de Résistance
dont le but est de dénoncer la grande supercherie du
Système, le Jeu d’entre les jeux qu’il n’est pas dangereux
de jouer si l’on sait que c’est un jeu, une chimère, mais qui
devient fatal et source de stress si on le prend au sérieux.
Car les membres de la Résistance ne sont pas une poignée
d’originaux, ce ne sont pas des marginaux ni des fauteurs
de troubles. Lorsque ce n’est pas nuisible, ils sont capa­
bles de jouer à être envoûtés tout aussi bien que ceux qui
le font avec sérieux. Et quel sérieux !
En fait, loin d’être antisociale, la Résistance est pro­
fondément concernée par le bien-être, la survie-même de
la cité. Finalement, la magie noire détruit la magicienne
en même temps que ses victimes. Certes, ses sortilèges ont
assuré la prospérité de la cité au cours des siècles. Mais ils
deviennent de plus en plus contre-productifs et condui­
sent petit à petit à un suicide collectif. Le quatrième, en
particulier, la confrontation, échappe désormais à tout
contrôle. Acceptable pour un temps, il continue d’engen­
drer des forces diaboliques qui finissent par mettre la cité
elle-même en danger de mort.
Et vous, cher Lecteur, qui avez pratiqué attentivement
nos exercices destinés à briser ces sept sortilèges, vous êtes
maintenant un membre de la Résistance. Vous faites
désormais partie de cette Equipe de Survie qui voit que
notre seul espoir en tant qu’individus humains et race
humaine réside dans notre capacité à nous libérer de cet
envoûtement, comme notre héroïne. Et qu’aucune ré­
forme, religieuse, psychologique ou politique, si dras­
tique ou éclairée soit-elle, ne pourra nous sauver si les
réformateurs et les réformés continuent de dormir et de
rêver le cauchemar en sept actes.
Et aucune réforme ne guérira notre stress, même si
notre état s’améliore provisoirement. La question est la
suivante : comment pouvons-nous devenir aussi parfaite­
ment détendus que le chat qui ronronne sur mes genoux,
ou le bébé qui gazouille dans son berceau, ou l’hirondelle
qui vire-volte au-dessus de notre tête, tout en étant plei­
nement humains ? Et voici la réponse : seulement en deve­

174
nant délibérément aussi insensibles à la sorcellerie de la
Magicienne qu’ils le sont, eux, naturellement. Seulement
en nous inclinant devant l’Évidence plutôt que devant Г Au­
torité.

QUAND NOUS ETIONS TRES JEUNE


Oublions maintenant notre conte de fée et revenons à
la vie réelle, à des histoires d’enfants réels et à vous
personnellement. Oui : personnellement.
A vous tel que vous êtes selon votre propre expérience
de vous-même, vous en tant que Première Personne du
Singulier, c’est-à-dire : Qui vous êtes vraiment. A vous tel
que vous étiez avant que cette Méchante Fée ne vous
réduise à sa guise, et à vous tel que vous êtes maintenant
que vous voyez que tout cela n’était qu’une gigantesque
supercherie. En d’autres termes, à vous tel que vous viviez
alors, inconsciemment, à partir de votre Centre, de votre
Source, et tel que vous vivez maintenant, consciemment,
à partir de ce même Lieu où Rien (Aucune Chose) ex­
plose en Tout (Toutes Choses). Je parle évidemment des
moments où vous n’oubliez pas Ceci, où vous n’êtes pas
excentré, distrait, absent de vous-même.
Qui vous êtes vraiment, cette Première Personne qui dit
« Je » n’est jamais venue au monde. Le monde est né en vous.
Vous n’avez jamais été pour vous-même une jeune chose
ou une chose tout court. A tous les égards vous étiez
différent de ceux qui étaient autour de vous - ou plutôt
à l’intérieur de vous. C’était eux qui étaient petits, pas
vous. C’était eux qui étaient solides, opaques, toujours
en mouvement et donc soumis au stress, alors que vous
étiez spacieux, transparent, immobile, très libre et donc à
l’abri du stress. Ces petites jambes que vous regardiez là
en-bas, (non, là en-haut), ces mains agiles que vous
contempliez là-dehors ainsi que tous les autres objets et
compagnons qui allaient et venaient autour de vous
étaient tous sujets au stress - et souvent un stress terrible
parce que c’étaient des objets et les objets sont ainsi. Par

175
contre, vous n’étiez pas comme cela, vous, parce que vous
n’avez jamais été un objet.
Certains enfants demeurent résolument Première Per­
sonne. On les appelait jadis « innocents ». De nos jours,
on leur colle l’étiquette « arriérés mentaux », « demeurés »,
«idiots». En marge de la communauté, ils sont le plus
souvent relégués dans des institutions spécialisées. Mais,
bien sûr, la plupart des enfants ne restent pas innocents
longtemps, et c’est votre cas et le mien. Intimidés, nous
simulerons, croirons, ferons à peu près n’importe quoi
pour éviter d’être le vilain canard qu’on laisse dehors,
dans le froid. Nous avons l’instinct grégaire, nous som­
mes impatients d’entrer dans le Système, de nous laisser
tailler et modeler selon la norme, si douloureux que ce soit.
L’opération commence étonnamment tôt dans certains
cas, et tard dans d’autres. Il n’y a pas de règle absolue.
Lorsqu’on demande où il est à Simon Oliver, 18 mois, il
pointe son doigt résolument droit devant lui, vers l’exté­
rieur. Il est encore illimité, il n’est pas séparé de la scène
qui l’entoure. Pourtant, il répond immédiatement à son
nom, et à aucun autre. Il est déjà sur la voie de la
citoyenneté totale, si jeune soit-il. On a déjà commencé
à le rétrécir et le comprimer. Mais pendant quelques
années, il restera très souple, très flexible et n’aura
aucun mal à retrouver sa taille véritable qui est absence
de taille. Le processus qui mène à la contraction finale, à
la « chosification » - pour lui comme pour nous tous - est
interminable et souvent déchirant. En général, il se pour­
suit jusqu’à la fin de l’adolescence, et pour beaucoup
d’entre nous il n’est jamais tout à fait terminé. Enfant,
nous avons heureusement une façon merveilleuse de réa­
gir à ce qui nous arrive, nous savons tirer le meilleur parti
des deux mondes et déjouer le Système, en général très
discrètement. Pour les besoins de la vie sociale et en
certaines occasions, non seulement nous sommes capa­
bles d’être, mais nous avons grand besoin d’être ce petit
garçon appelé Simon, ou cette petite fille quel que soit son
nom, cet être humain unique et limité. Mais dans notre
for-intérieur, et sans doute la plupart du temps, nous

176
savons très bien comment nous évader de la boîte de la
Magicienne et exploser dans toutes les directions. (Le mot
«exploser» traduit mal un événement d’une envergure
aussi cosmique et pourtant si fulgurant et qui vous
donne une telle sensation de détente.) A cet âge, nous
avons encore le don de coïncider avec notre monde,
même lorsque nous apprenons à jouer de plus en plus
habilement le jeu absurde et dangereux mais nécessaire
qui consiste à n’être que l’un de ses occupants.
A quatre ans, Jean joue dans le jardin. Il joue son
propre jeu, tout seul. Sa mère l’appelle depuis la maison
et lui dit de rentrer. Déclinant l’invitation, il répond : « Je
ne suis pas là ! » Puis, à la réflexion, il commence à jouer
le jeu de sa mère et rentre à la maison « comme un gentil
garçon». Comme un gentil garçon. (Nous avons ainsi
tous continué à nous conduire comme des garçons et
des filles gentils ou méchants, jusqu’à devenir vraiment
cela ou le croire.)
Kate, que nous avons déjà rencontrée, a maintenant
5 ans. Elle rapporte de l’école une photo panoramique
des élèves et des professeurs. Elle indique à sa maman le
nom de toutes les personnes jusqu’au moment où elle
arrive à elle-même, dans la première rangée, et dit: «Je
ne sais pas qui est celle-là, je ne l’ai jamais vue ».
Piaget cite le cas d’un garçon qui lui disait avoir un
frère du nom de Jean. Et comme il lui demandait si Jean
avait un frère, le petit répondit fermement : « Non ! »
A table, Thomas (5 ans) déclarait que s’il mangeait le
reste de son riz au lait il serait rempli jusqu’au plafond.
Debout dans son bain, Pierre (6 ans) se regardant lui-
même s’exclame : « Je n’ai pas de tête ! »
Mon amie Caroline me raconte qu’elle se souvient très
clairement de son embarras quand, à neuf ans, assise avec
sa famille autour d’une table pour jouer aux cartes, elle ne
pouvait pas comprendre pourquoi sa mère voulait abso­
lument qu’elle se compte elle-même parmi les joueurs. Et
ne pensez pas que Caroline était sotte. Elle a maintenant
un diplôme en philosophie. Et s’il vous est encore difficile
de croire qu’un enfant intelligent de neuf ans puisse être

177
aussi bête, écoutez Hakim Jamal parlant de lui-même
lorsqu’il avait 10 ans: «Je savais que mes bras et mon
corps étaient noirs, je pouvais les voir, mais j’étais per­
suadé que mon visage était blanc et que si elle (la petite
star de cinéma Shirley Temple) me rencontrait un jour,
elle répondrait à mon amour.» Et il n’y a aucun doute
qu’il était extrêmement intelligent. (En fait, derrière ce
fantasme d’enfant se cache une vérité dont le monde a
grand besoin. En supposant que Hakim et Shirley se
soient rencontrés, qui aurait eu le visage noir, et qui le
visage blanc? C’eut été un exemple d’échange de cou­
leurs. En réalité, notre teint véritable, celui qui nous est
commun à tous, n’a qu’une seule couleur qui est absence
totale de couleur. Le moyen de réduire les tensions racia­
les qui serait le moins sujet à controverse et qui aurait la
portée la plus considérable serait de permettre à tous de
reconnaître ce fait absolument évident dès les premières
années d’école. Tous les hommes et toutes les femmes
sont nés libres - erreur: supprimez «nés» - sont libres
et égaux et sans aucune pigmentation. Ne pourrait-on
ajouter un article en ces termes à la Déclaration des
Droits de l’Homme et à la Constitution de la République
d’Afrique du Sud ?)
Notre réduction à l’état d’objet, où notre comporte­
ment n’est plus dicté par ce que nous sommes pour
nous-même mais par ce que nous paraissons être pour
les autres, est une longue et dure épreuve mais elle est
normale, indispensable et dans un sens parfaitement na­
turelle. Pourtant elle est également vécue dès l’enfance
comme quelque chose d’anti-naturel, d’injuste et de
monstrueux. Nous sommes plongés dans le stress, et les
tensions s’accumulent en nous.
Si A.A. Milne avait une perception aussi subtile de
l’esprit de l’enfant, c’est sans doute parce qu’il n’avait
jamais tout à fait grandi lui-même, le veinard! Ainsi il
écrivit un poème intitulé «Nursery Chairs»("’: lorsqu’il
est assis sur l’une des chaises de la nursery, Christopher

N.D. T. : Nursery Chairs = Les chaises de la nursery.

178
Robin (3 ans) est un grand lion rugissant qui terrifie sa
nounou. Sur d’autres chaises, il est un voilier entièrement
gréé et un explorateur qui descend le fleuve Amazone.
Selon Milne, Christopher Robin ne joue pas à être un
lion, n'imagine pas être un navire : c’est ce qu’il est réelle­
ment dans l’instant présent. (Dans notre langage, étant
lui-même Espace Vide sans structure, sans forme et sans
limites, il est libre de le remplir avec ce qui lui plaît et de
se vivre dans cette chose.) Cependant, la quatrième chaise
de la Nursery pose toujours un sérieux problème à Chris­
topher. C’est une chaise haute placée devant la table,
dans laquelle il doit «bien se tenir», ce qui signifie être
seulement cette petite chose que tout le monde veut qu’il
soit. Et il se plaint : « J’essaie de prétendre que c’est ma
chaise et que je suis un bébé de 3 ans ! » Il n’a aucune
difficulté à être un lion, ou un navire ou quoi que ce soit
que vous puissiez lui suggérer, il s’en amuse beaucoup,
pourvu qu’il ne soit pas coincé, enfermé dans ce rôle !
Mais il a beaucoup de mal et aucun plaisir à n’être qu’une
petite personne, toute la journée, et finalement toute sa vie.

PEUT-ON EVITER LE GOULOT


D’ETRANGLEMENT DU STRESS?
Comment s’étonner que les tensions s’accumulent pro­
gressivement chez l’enfant et l’adolescent? Il est plutôt
surprenant que ce ne soit pas pire, lorsqu’on songe à
l’épreuve qu’il ou elle doit subir. Ils contenaient le
monde et voici qu’ils en sont pratiquement exclus. Ils
observaient le monde et voici que ce sont eux qui sont
soumis à son examen. Ils étaient le Soleil et le Centre du
monde et voici qu’ils ne sont plus que d’infimes astéroï­
des. Ils se fondaient dans les choses du monde, ne fai­
saient qu’un avec elles, et voici qu’ils se retrouvent dressés
contre elles. Ils s’inspiraient de l’infini et voici que pour
tout recours il ne leur reste que leurs maigres ressources.
Ils étaient plus riches que Crésus et les voici plus pauvres
que le mendiant Lazare. Ils étaient le Roc inébranlable et

179
voici qu’ils ne sont plus que flocons d’écume sur la mer
qui se brise en vain sur Lui. Pouvez-vous imaginer
épreuve plus cruelle et plus complexe, rites d’initiation
plus pénibles, pour être admis dans ce Clan qui s’appelle
Humanité, cette Tribu des tribus?
Il est normal, donc, qu’ayant pris conscience que ces
rites sont pure fantaisie, un sauvage abus de confiance de
la part de la société à l’égard de ses membres les plus
innocents, certains parents inquiets souhaitent éviter à
leurs enfants le calvaire qu’ils ont eux-mêmes enduré.
On me pose souvent cette question : pourquoi faudrait-il
que nos enfants tombent dans le même vieux piège, re­
produisent nos erreurs et en subissent toutes les consé­
quences? Au lieu de passer par ce goulot d’étranglement
périlleux et stressant sur la petite route qui mène de
l’immensité de l’enfance à l’immensité de l’Eveil, pour­
quoi ne passeraient-ils pas directement, avec notre aide,
d’une autoroute à l’autre, en évitant carrément le goulot
d’étranglement? Ce que disent et font les enfants témoi­
gne bien de leur éveil, nous montre comme ils ont cons­
cience de leur immensité, de la petite enfance à
l’adolescence. Ne pourrait-on pas tracer une route di­
recte de l’Eden à la Terre Promise, sans passer par les
souffrances de la Captivité en Egypte et de la Traversée
du Désert?
Argument convaincant, certes, et que mon travail avec
des écoliers semblerait corroborer. Je me souviens de
deux occasions en particulier, l’une en Floride et l’autre
en Californie.
Le directeur de l’école m’avait invité à rencontrer un
«groupe de discussion un peu spécial», composé d’une
douzaine d’enfants, tous âgés d’environ dix ans. Ils firent
avec enthousiasme toute une série d’expériences (dont
vous connaissez maintenant la plupart, cher Lecteur)
pour en étudier ensuite la signification. Et leurs commen­
taires furent remarquables. Certains déployèrent une
grande éloquence, en particulier au sujet de l’Œil Unique
et de la Lumière Intérieure qu’il révèle. Et regardant son
visage dans un miroir, un garçon s’exclama, tout excité :

180
«C’est comme un aimant très puissant qui arrache d’ici
tous ces trucs inutiles pour les jeter là-bas, derrière la
vitre, comme un tas de ferraille ». Et un autre, émerveillé
par l’idée qu’au centre de notre vie il n’y a pas une chose
vivante, mais la Source de toutes les choses vivantes, de
s’écrier: «Oui, et cela ne vous rend même pas orgueil­
leux ! » Quant à moi, je ne pus m’empêcher de comparer
ce groupe d’enfants avec certains groupes d’adultes qui
ont en principe l’avantage d’avoir une expérience de la vie
quatre ou cinq fois plus importante qu’eux, et je pensai en
mon for intérieur que «avantage» n’était certes pas le
mot juste. Cela me rappela un certain garçon qui, à peu
prés au même âge, faisait l’école buissonnière pour aller
au Temple discuter avec les redoutables Anciens qu’il
décontenançait. Lui aussi avait découvert que son Œil
Unique était plein de lumière.
La seconde occasion est très différente mais tout aussi
mémorable. C’était une classe d’une vingtaine d’adoles­
cents. Nous étions assis par terre, en cercle. Pour la
première et la dernière fois de ma vie, je cédai à la
tentation soudaine de me présenter comme le Docteur
Harding, célèbre chirurgien esthétique.
«Y a-t-il quelqu’un ici qui n’aime pas son visage?»
demandai-je. La réponse fut claire : à des degrés divers,
aucun d’entre eux n’était satisfait de son apparence.
«Très bien. Je vais donc vous opérer. Votre lifting sera
instantané, sans douleur, gratuit, total et parfaitement
aseptique. Et il se pourrait bien que cela transforme
toute votre vie. » (Ahurissement général, gloussements
nerveux d’appréhension, de gêne, d’incrédulité... 10 se­
condes de silence.) « Voilà, c’est fini ! Sortez vos miroirs
de poche et vérifiez que votre visage a bien été “lifté” *** de
vos épaules jusque là-bas, derrière la vitre où vous le
voyez maintenant... Vous savez ce qui se passe dans le

'"'N.D.T. : Jeu de mot anglais intraduisible : « to lift» signifie à la fois:


lever, soulever et supprimer. Le « lifting » soulève la peau et supprime les
rides, et ici, le visage a été « lifté » : soulevé des épaules jusque dans le
miroir.

181
laboratoire d’analyses d’un hôpital? Il est d’une impor­
tance capitale d’isoler les cultures de microbes et autres
spécimens pour éviter qu’ils se propagent et contaminent
les gens. Pour cela, on les maintient dans des bocaux de
verre scellés. Eh bien, c’est ainsi que je vous ai débarras­
sés de votre visage que vous ne pouviez pas accepter.
Voyez comme il est bien enfermé là-bas, derrière cette
vitre. Il ne peut pas plus s’échapper ni vous contaminer
que les spécimens les mieux isolés du laboratoire ».
Pour conclure, j’assurai ces jeunes gens qu’il ne s’agis­
sait pas d’un jeu de société mais du meilleur de tous les
traitements de beauté: ils trouveraient leur visage bien
plus beau maintenant qu’il avait retrouvé sa place nor­
male, en sécurité derrière la vitre du miroir. Les autres
également le trouveraient plus séduisant maintenant qu’il
était tout à fait détendu. Ce n’était pas la nature-même de
cette chose qui était un problème mais la place qu’on lui
avait donnée. Bien sûr, je n’ai aucun moyen de connaître
le résultat à long terme de cet exercice hilarant de chirur­
gie esthétique, mais l’opération elle-même avait sans
aucun doute été prise très au sérieux. C’était le moment
idéal pour ces enfants.
Ces deux exemples (et je pourrais en citer bien d’au­
tres !) suffiront à illustrer mon point de vue : je pense que
beaucoup de jeunes (sinon tous) souhaitent par moments
(ou même désirent ardemment) se débarrasser de leur
visage, se « déchosifier », se fier à leurs propres percep­
tions, pour peu qu’on les y encourage.
Dans ce cas, pour en revenir à notre question, pour­
quoi ne pas leur donner alors régulièrement tout l’encou­
ragement possible, en tenant compte de leurs besoins
divers, selon leur âge et leur tempérament? Pourquoi
faudrait-il que nos enfants soient entraînés dans ce jeu
de « l’auto-chosification », source de tant de tensions, ce
jeu de charade (toujours absurde, souvent pathologique
et parfois mortel) qui consiste à faire prendre à la Pre­
mière Personne des attitudes de troisième personne?
Alors qu’on sait fort bien qu’ils ont toutes les chances
de prendre le jeu de plus en plus au sérieux, d’en devenir

182
esclave au point d’en souffrir de plus en plus, tant sur le
plan personnel que sur le plan social - et ce jusqu’à leur
mort?
Voici la réponse: si rationnelle et bien intentionnée
soit-elle, cette tentative de déviation routière ne réussira
pas. Il est impossible de contourner la zone dangereuse.
Ou, si l’on y parvient, on n’arrive pas à la bonne destina­
tion. Si des parents surprotecteurs réussissaient à épar­
gner à leurs enfants le Purgatoire ou Г Enfer de cette
étape où ils se vivent comme une chose séparée, il est
absolument certain que ce n’est pas au Paradis de la
Vacuité exempte de dualité qu’ils arriveraient, mais plu­
tôt dans une sorte de Limbes de «subnormalité». Un
idiot excelle dans l’art de maintenir constamment la
Chose-Qui-Dévisage, ce parasite en puissance, derrière
sa vitre.
Pourquoi est-ce impossible ? Parce que l’histoire ances­
trale ne le permettra pas. On ne peut jamais faire l’éco­
nomie d’une phase importante du processus de
l’évolution de la vie. Tout comme dans l’utérus vous
avez dû traverser toutes les étapes du développement, de
l’état d’amibe à la forme humaine la plus élevée, comme
vos ancêtres animaux, de même hors de l’utérus vous
devez traverser les étapes d’auto-chosification (devenir
ex-centré, acquérir un visage, être une troisième per­
sonne) comme vos ancêtres humains. Vous ne pouvez
pas, en tant qu’individu, choisir de ne pas récapituler
leurs aventures. Vous ne pouvez atteindre votre rang
élevé dans l’échelle de l’évolution qu’en suivant la même
route que vos aïeux. Mais elle a été tellement refaite et
améliorée pour vous qu’elle est à peine reconnaissable. Et
ce qui leur a pris des siècles ne vous prend que neuf mois
avant la naissance et environ le même nombre d’années
après. On ne peut pas supplanter l’Histoire, on ne peut
que la précipiter. Elle ne se laisse pas contourner mais
adore être bousculée.
Le résultat pratique est le suivant : il est bon de rappe­
ler aux enfants leur Identité de temps en temps, en des
occasions spéciales comme les deux que j’ai citées, ou de

183
façon moins formelle et sur l’impulsion du moment,
pourvu que ce soit des interventions brèves, détendues
et assez espacées pour que les enfants soient libres de
faire leur propre choix. Mais il n’est pas bon de revenir
souvent à la charge et d’insister. Surtout lorsqu’intervien-
nent les pressions normales des relations familiales et que
ces conseils ressemblent plus à des consignes parentales
qu’à des réflexions fortuites. Il ne faut pas que les enfants
soient déchirés entre deux messages contradictoires, l’un
venant de leurs parents et de quelques amis disant qu’ils
sont tout le contraire de ce qu’ils paraissent être, et l’autre
venant du reste de la société affirmant qu’ils sont exacte­
ment cela. Il est probable que l’enfant sera plongé dans la
confusion, ou très en colère, ou les deux à la fois, et qu’il
subira ainsi un stress dix fois pire que celui que ces cœurs
tendres essaient désespérément d’épargner à la nouvelle
génération.

Vingt-cinq jours après la conception, vous portiez les traces évidentes des
ouïes de vos ancêtres poissons et viviez dasns la mer comme eux, mais une
mer en modèle réduit.

184
Non, nous ne pouvons pas plus éviter d’être des
« choses » à plus 8 ans que nous ne pouvons éviter d’être
« poisson » à moins 8 mois.
Par contre, nous pouvons et devrions éviter de rester
«chose» plus longtemps que nécessaire. Il serait tout à
fait naturel, plausible et conforme à notre histoire, que
nos enfants et leurs enfants et les enfants de leurs enfants
passent de plus en plus tôt de l’état de chose à celui de
Non-chose, au cours des années et des siècles à venir.
Deux de mes meilleurs amis déjà, Richard et David
Lang, frères jumeaux, ont découvert leur véritable iden­
tité ensemble, à 17 ans. Ils en ont maintenant plus du
double et n’ont jamais perdu la vision. Je pense que le
jour viendra où l’âge de 17 ans sera considéré comme
vraiment tardif pour se débarrasser de son visage et le
mettre en quarantaine derrière sa vitre.
A ces parents dont l’inquiétude est compréhensible, je
dirais donc : soyez fidèles à votre véritable Nature et vous
ne pourrez pas faire d’erreur avec vos enfants. Vouloir
imposer à des adultes votre vision à laquelle vous attachez
tant de prix est déjà une attitude assez violente et contre-
productive. Vouloir l’imposer à des enfants est pire. C’est
un manque de respect et un abus de pouvoir. Occupez-
vous de ce qui vous regarde : par exemple, n’oubliez
jamais votre Ligne de Base, cette Ligne où s’arrête le
monde, et que votre propre Absence de visage rayonne
dans votre vie ! Soyez la Première Personne du Singulier
que vous êtes - mais sans le crier sur les toits, sans faire
du prosélytisme partout et en toute occasion. Ce que vous
êtes parlera si fort que même votre famille entendra le
message quand ils en auront besoin.
Répondez clairement et brièvement aux questions que
vous posent vos enfants sur des sujets fondamentaux,
sans profiter forcément de l’occasion pour faire un ser­
mon. Surtout, souvenez-vous qu’avant de perdre leur
visage ils doivent le trouver, que leur sagesse sera le
fruit de la découverte de leurs erreurs, que leur paix
résultera de la solution de leurs conflits et que c’est en
passant par l’épreuve du stress qu’ils se libéreront de lui.

185
Plus vous laisserez vos enfants satisfaire rapidement
leur besoin de participer au grand Jeu ancestral, ce jeu
aux sept règles auquel les adultes doivent se livrer pour
devenir vraiment adultes, plus vite viendra le moment où
ils se lasseront de jouer et seront heureux de retrouver
comme vous leur Innocence naturelle, exempte de toute
tension.

JUDAR ET LE TRESOR
Ce chapitre a débuté par un conte de fée de mon
invention, il se termine par deux contes anciens. Les
trois histoires sont différentes mais se terminent par la
même expérience, la plus révolutionnaire et la plus ba­
nale de toutes, la plus surprenante et la plus évidente à la
fois. La rater, c’est manquer le coche de votre vie et rester
sur le bord de la route, monument élevé à la gloire du
stress.
Voici rapidement l’histoire de Judar, le pauvre pêcheur.
Il découvre, bien caché, la maison contenant le trésor du
monde et frappe à la porte. Le portier armé d’une hache
ouvre et dit: «Tends ton cou pour que je te coupe la
tête». Confiant, Judar obéit et l’opération est sans dou­
leur. Il voit que le portier est un corps sans âme. Après
maintes aventures, il parvient au trésor lui-même, qui se
compose de Quatre Objets Précieux : le Disque Céleste
qui permet à son possesseur de voir tous les endroits du
monde comme s’il y était, l’Epée qui donne le pouvoir de
supprimer toutes les créatures, la Chevalière qui donne à
celui qui la porte le pouvoir de posséder et dominer le
monde, et le Pot de Collyre qui permet de découvrir tous
les trésors du monde. Il prend possession des quatre
objets.
Que signifie pour vous cette histoire tirée des Contes
des Mille et Une Nuits? En voici une interprétation : vous
avez toutes les raisons de partir à la recherche du trésor
infini qu’on vous a dérobé par la ruse, échangé contre une
boule de viande grotesque placée sur vos épaules. Vous

186
êtes pauvre, plein d’audace et encore jeune, tout au moins
de cœur. Vous souffrez encore tellement de la supercherie
de la substitution, de cette pure folie, de la mauvaise
affaire que vous avez faite (peut-on imaginer pire?) que
vous êtes prêt à chercher partout... quoi?... Vous n’en
avez pas une idée très claire. Puis un jour, par un merveil­
leux hasard, vous tombez sur le trésor du monde. Vous
frappez à la porte, fort, longtemps, avec l’énergie du
désespoir. Avec plus de courage encore, vous payez le
prix de l’entrée, le tarif normal qui est le sacrifice de
votre tête, et vous récupérez ce qui vous appartient, ce
trésor à la fois si familier et tout à fait nouveau. Vous
avez tant souffert de sa perte, vous l’avez désiré si obsti­
nément qu’il a maintenant plus de valeur que jamais.
Auparavant, il était aussi naturel que la lumière du so­
leil. Désormais, il a un éclat surnaturel, il est plus brillant
que le soleil lui-même, tout en étant plus ordinaire, plus
insignifiant que jamais, simple au-delà de toute expres­
sion. Il suffit de regarder pour voir et la distance est
abolie: le monde afflue à la porte de son propriétaire.
Et d’un seul battement de paupières, vous pouvez le
détruire et le recréer. En tournant tout simplement votre
regard vers l’intérieur, vous voyez immédiatement votre
Nature profonde et celle de tous les êtres, vous découvrez
la Nature de toutes choses et faites tomber toutes les
barrières qui les séparaient. Autant de pouvoirs réelle­
ment divins, et pourtant si ordinaires, plus simples que
la simplicité-même.
Là-dehors, les gens ne sont pas en position de juger qui
vous êtes. Ici, vous êtes à l’endroit idéal pour le faire. En
apparence, vous n’êtes qu’un être humain. En réalité,
vous êtes l’Etre, votre richesse et votre puissance dépas­
sent toute imagination.
Oui, vraiment, vous êtes très fortuné. Tout ce qui vous
manque, c’est un tout petit peu de cette sincérité candide
qu’on vous a fait perdre à force de persuasion, de moque­
ries et d’intimidations, quand vous étiez très jeune.

187
SIMPLE BON SENS
Notre deuxième conte de fée traditionnel nous vient de
Scandinavie. Il peut se résumer en deux phrases. Car c’est
en substance la même vieille histoire du mauvais sort qui
nous lie depuis l’enfance. Et un seul regard à notre miroir
de poche est plus efficace pour nous en délivrer que tous
les mots dont je dispose.
Sept jeunes princes avaient été transformés en sept
poulains. Ils redevinrent des princes dès que leur tête eût
été coupée et placée sous leur queue.
Pas simplement coupée, remarquez bien! Mais placée
entre leurs deux pattes arrière, comme s’ils allaient passer
le reste de leur vie à jouer au football avec.
Tout comme dans notre première histoire, l’horrible
Chose-Qui-Dévisage n’est plus un parasite mais un sim­
ple jouet lorsqu’elle est remise à sa place. Résultat : Eye­
bright est de nouveau elle-même. Et plus qu’une
princesse, elle est la reine qui détient les clefs du trésor
royal.

188
J’ai pensé que vous aimeriez voir cet auto-portrait que
j’ai fait il y a trente ans. Pas très flatteur mais, pour moi,
d’une vérité toujours criante.
14

L’AGE ADULTE

INTRODUCTION
Ayant lu les chapitres qui précédent et exécuté cons­
ciencieusement nos exercices, vous avez « vu ». Comment
pourrait-il en être autrement? Vous ne savez pas ce qu’est
l’évidence tant que vous n’avez pas vu CE QUE vous êtes.
Et quand je dis voir, je ne veux pas dire comprendre (la
vision de CE QUE nous sommes nous déconcerte, nous
plonge dans une sorte d’idiotie éveillée), ni croire (c’est
si mystérieux, si incroyable que l’on en est abasourdi), ni
ressentir (malgré le mystère, c’est plus neutre et plus banal
que le fond blanc sur lequel ces mots sont imprimés).
Non : je parle de cette même faculté de vision simple et
ordinaire grâce à laquelle vous pouvez voir n’importe
quoi. La différence entre regarder CE QUE vous êtes et
ce que les autres semblent être, réside dans la direction de
votre regard et non dans le regard en soi. Il n’y a pas deux
façons de regarder.
Si vous tournez maintenant la flèche de votre attention
vers l’intérieur, vous êtes pour vous-même exactement CE
QUE vous avez toujours été et serez toujours : immuable,
sans âge. Pour les autres, cependant, vous avez mûri et
êtes à présent un adulte. C’est ainsi qu’ils vous voient. Au
cours de votre enfance et adolescence, vous avez appris à

190
accepter leur point de vue. Vous êtes devenu - spécialiste
d’un jeu extraordinaire - on pourrait dire d’une perfor­
mance athlétique extraordinairement difficile appelée Ex­
centricité — qui consiste à sauter à environ un mètre de
vous-même en vous retournant en plein vol pour vous
voir comme les autres vous voient. Et maintenant, sans
vous retirer totalement du jeu vous le jouez à peu près
comme Christopher Robin jouait à être un grand lion
rugissant et un navire en pleine mer, et comme vous
avez joué jadis à être une locomotive lancée à 200 km/h,
ou un nuage immobile tout rose dans le soleil couchant.
Car vous, le joueur, avez découvert que vous êtes
en réalité l’archétype-même du Non-joueur, l’immuable,
à jamais immobile comme un roc, et incapable d’aucune
ruse, d’aucun jeu quel qu’il soit. Vous n’avez plus aucune
excuse, aucune raison de confondre votre apparence
extérieure avec votre Réalité centrale, ni de refuser d’ad­
mettre qu’elles sont diamétralement opposées en tous
points.

Vous êtes donc maintenant en mesure d’affronter le


stress de la vie d’adulte en suivant les conseils de ce
livre. Pour cela, il vous faut distinguer trois plans : (I) ce
que vous êtes à la distance minimum, au point d’implo­
sion totale ; (II) ce que vous êtes à la distance maximum,
au point d’explosion totale, et (III) tout ce qu’il y a entre
les deux - vos produits de fission, pour ainsi dire, votre
univers à niveaux multiples. Au plan (I), vous êtes à l’abri
du stress parce qu’il n’y a rien en vous qui puisse être
stressé. Au plan (II), vous êtes à l’abri du stress parce

191
qu’il n’y a rien à l’extérieur de vous qui puisse vous
stresser. Entre les deux, non seulement vous êtes à sa
merci, mais il est votre substance-même, vous n’êtes que
stress. C’est ce qui anime le monde. C’est ce qui vous
anime également. Et vous ne pouvez rien contre cela.
Est-ce donc là tout ce que nous avons à vous offrir ici ?
Une méthode non pour réduire le stress mais pour le
mettre à sa place, le renvoyer dans la région (III) à
laquelle il appartient et où vous êtes complètement pris
dans ses filets? Une méthode qui ne réduit absolument
pas la quantité ni la gravité du stress, mais n’est qu’une
simple technique pour s’en détacher?
Pas du tout ! Nous proposons de vous en délivrer de la
façon la plus radicale et la plus définitive qui soit. Et voici
comment : le fait de prendre conscience que votre stress est
là-bas et non ici, le fait de le remettre à sa place suffit à
transformer complètement votre vécu. (Par exemple
quand : « Je suis angoissé par la guerre » devient : « La
guerre est une situation angoissante », il est probable que
l’angoisse va diminuer. Et quand: «Je suis tellement
amoureux» devient: «Elle est tellement adorable», la
relation amoureuse sera sans doute moins tendue et
l’amour plus authentique.) Ainsi, en pratique il y a deux
sortes de stress dans la région (III) : celui qui est nécessaire
parce que c’est lui qui construit et stimule l’univers, et celui
que vous lui ajoutez inutilement en imaginant que vous
appartenez réellement à cette région alors que vous êtes
basé au plan (I). Bref, il y a le stress sain et le stress toxique.
Tout ceci est plutôt abstrait, un résumé sommaire du
sujet, mais qui va prendre corps dans ce chapitre. A la
lumière des principes que je viens d’énoncer, nous allons
examiner les manifestations du stress les plus courantes
dans la vie adulte, les problèmes concrets dont souffrent
la plupart des êtres humains. Dans chaque cas, il nous
faudra faire la différence entre les deux sortes de stress -
celui qui est inévitable, dynamisant et lié aux choses telles
qu’elles sont, et celui que l’on peut éviter, qui est destruc­
teur et lié à nos hallucinations.
Nous n’essaierons pas de couvrir toute la gamme des

192
souffrances liées à nos délires, et des cas de stress inutile.
Nous étudierons seulement certains des plus représenta­
tifs. Cela suffira largement pour montrer comment les
mêmes principes, le même remède, peuvent s’adapter
parfaitement et s’appliquer à l’infinie diversité des be­
soins humains. Si vous ne trouvez pas ici la réponse à
votre problème particulier, vous trouverez certainement
toutes sortes d’idées qui vous permettront de l’aborder
efficacement, si grave puisse-t-il vous paraître. Plus
votre problème est important, plus il vous faut lâcher
prise. Quelque étrange et inquiétante que puisse être
votre marque personnelle de stress toxique, il n’y a
qu’un seul dépotoir où vous puissiez le déverser, à savoir
au-delà de la Lisière du Monde qui est votre Ligne de
Base. Comme nous allons le voir sous peu...
Avez-vous vu le film « Les Dieux Sont Tombés Sur La
Tête»? Le Bushman qui en est le héros trouve une bou­
teille de coca-cola qui lui apporte toutes sortes d’ennuis.
Comme il n’arrive pas à s’en débarrasser, il comprend que
la seule solution est d’aller la jeter au Bout du Monde,
c’est-à-dire, pour lui, une falaise très haute et très
abrupte, à des journées de marche, dans le Kalahari. Ce
qu’il parvient à faire, à son grand soulagement.
Prenez exemple sur le Bushman. Il a essayé de se
débarrasser de la bouteille maléfique par toutes sortes
de moyens, mais elle lui est toujours revenue finalement,
jusqu’à ce qu’il soit allé la jeter au seul endroit d’où elle
ne pourrait jamais revenir. Pour vous, cet endroit est
votre propre Bout du Monde, votre Ligne de Base. Ces­
sez de l’ignorer et les avantages multiples que vous récol­
terez ne cesseront de vous émerveiller.
Quand vous étiez très jeune, vous jouissiez de ces
avantages tout naturellement. Comme la vie était diffé­
rente alors ! Quel révolutionnaire vous étiez !
Oui : chaque petit enfant est un dissident clandestin, un
espion au milieu de la Société, un inconditionnel isolé,
dressé contre le statu quo. Mais très vite le Bureau des
Activités Anti-Humaines le repère et lui applique le trai­
tement contre-révolutionnaire classique. Il subit un la­

193
vage de cerveau jusqu’à ce que ses idées subversives soient
non seulement effacées, mais inversées. On le persuade que
le seul moyen pour lui de faire partie de la race humaine,
c’est de se mettre à l’envers. Pas seulement au sens méta­
phorique du terme, mais au sens littéral. Et ce traitement
est si efficace qu’il oublie presqu’immédiatement ce qui
s’est passé. Il est sûr d’être à l’endroit, de l’avoir toujours
été et de le rester définitivement, comme tous les gens qui
l’entourent. Tellement sûr qu’il ne prend même pas la
peine d’y songer ou d’y jeter un coup d’œil en passant.
Le prix de cette nouvelle vie à l’envers se paie en stress et
est cumulatif. Même si l’aveuglement est obligatoire et
universel, il n’est jamais bon marché.
Au cours d’un voyage en Australie, l’un de mes amis
découvrit que les habitants de ce pays se voyaient égale­
ment «dans le bon sens», c’est-à-dire la tête fermement
vissée en haut. Tous, excepté son jeune neveu, doué d’un
remarquable sens de l’observation, qui lui déclara tout
net : « Oncle, je suis à l’envers ! » Puis, réflexion faite, il
changea d’avis et décida que c’était son oncle qui était à
l’envers. De toute façon, chacun était dans le sens opposé
de l’autre. Manifestement. Je parierais que maintenant,
quinze ans plus tard, ce jeune homme se voit (s’hallu-
cine) comme tous les autres, la tête en haut, les pieds en
bas. J’espére néanmoins qu’un beau jour il sera à nou­
veau retourné par une contre-contre-révolution, et qu’une
fois de plus s’inclinant devant l’évidence, il verra ce qu’il
voit et se libérera ainsi du stress accumulé à force de
prétendre ne pas le voir.

194
Il y avait une fois un maître Zen qui, réalisant qu’il
allait mourir, demanda comment étaient morts ses prédé­
cesseurs, et décida qu’il allait faire autrement. Il voulut
absolument partir (du moins c’est ce que l’on raconte)
«dans la posture sur la tête», au grand étonnement de
ses disciples consternés. Manière ridicule de se faire va­
loir ? Ou jeu Zen stupide ? Ou au contraire effort déses­
péré pour réveiller les perceptions de ses disciples
imbéciles avant l’heure de leur propre mort? Accordons-
lui le bénéfice du doute, profitons du conseil dès mainte­
nant et regardons nos pieds là-haut, puis abaissons notre
regard le long de nos jambes et de notre tronc jusqu’à la
grande Ouverture au bas du tableau. Et laissons s’écouler
par cette voie d’évacuation le stress toxique accumulé
dans ce corps-réceptacle. Laissons-le s’écouler dans
l’abîme immense et largement ouvert que rien n’a jamais
pu obstruer, et certainement pas une simple tête.
Comment videriez-vous un broc rempli d’eau sale sinon
en le retournant? Et comment pourriez-vous conserver
l’eau sale sinon en négligeant de retourner le pot?
Dans les sept sections de ce chapitre consacré au stress
dans la vie adulte, nous allons vider ainsi sept coupes de
ces eaux sales plus ou moins toxiques selon leur nature.

LA DEPRESSION
Ayant invité mes amis à me décrire les moments de
dépression qu’il leur arrive de traverser de temps en
temps, j’ai été surpris par la diversité des témoignages.
Certains évoquent la futilité de la vie, se plaignent qu’elle
n’ait aucun sens : ils sont perdus, errent sans but et sans
savoir où aller. Ou, pire encore, ils ont l’impression d’être
complètement coincés. Les uns parlent de dégoût total,
d’autres décrivent un désespoir d’autant plus désespérant
qu’ils ne savent à quoi l’attribuer. Certains sont persuadés
de n’avoir aucune qualité, d’être rejetés à juste titre par
tout le monde, y compris les animaux. D’autres encore
utilisent un langage plus physique pour décrire leur dé­

195
pression: absence de vitalité, épuisement, incapacité de
faire face à quoi que ce soit, sensation de sombrer dans
un abîme sans fond ou de se trouver écrasé de tous les
côtés, comme pris dans un étau. Et ainsi de suite. Il
semble que le démon de la dépression dispose d’une
panoplie infinie de masques tragiques : il n’utilise jamais
deux fois tout à fait le même.
Notre but est de dévoiler ce que cachent tous ces
masques, découvrir le dénominateur commun de la dé­
pression sous toutes les formes que peut prendre le stress
et trouver le meilleur remède possible.
Revenons à ce qui, à première vue, apparaît comme
l’opposé de la dépression : cette expérience « hima-
layenne » que nous avons revécue ensemble dans un cha­
pitre précédent. En fait, ce ne fut absolument pas une
expérience d’élévation spirituelle, exaltante ou eupho­
rique. Au contraire, ce fut une expérience de dégringo­
lade, une retombée à plat. Ce ne fut pas une acceptation
désinvolte de ce qui était donné, mais une révérence
profonde devant l’évidence, au sens littéral aussi bien
que figuré : le regard qui descend du vaste ciel jusqu’à
un simple plastron de chemise, et jusqu’au bouton le
plus bas. On pourrait appeler cela un exercice délibéré
de démoralisation, sinon de dépression. La façon dont
on parle de la dépression est assez éloquente pour expri­
mer ce qui se passe. Par exemple, on dit qu’on est brisé de
chagrin ou accablé de soucis, ce qui évoque l’état du
corps aussi bien que celui de l’esprit. Ou encore, que
l’on est abattu, effondré, anéanti. Avant, vous étiez
«remonté», exalté, illuminé, vous viviez sur les som­
mets, alors que maintenant vous êtes tombé au plus bas.
Oui : cette expérience himalayenne fut une véritable
descente, mais c’était un essai, une simple excursion tou­
ristique dans les profondeurs, trop brève et trop expéri­
mentale pour me faire ressentir la densité du stress qui y
règne. Ce fut une répétition de la Chute depuis le Ciel, via
la Terre, jusqu’au fin fond de l’Enfer. Depuis cette im­
mense étendue de bleu - espace pur et presque non-chose
- jusqu’aux beaux objets que rencontra d’abord mon

196
regard : nuages, pics enneigés, contreforts bleutés, herbe
très verte, puis ces pieds miniatures (jaillissant de l’herbe
plutôt que posés sur elle) et finalement ce tronc inversé et
coupé... Bref, du haut en bas une expérience de rétrécisse­
ment, de condensation et de solidification. Autrement dit,
la Terre m’est apparue comme la « chosification » du Ciel,
ce corps inversé comme la «chosification» de la Terre, et
le Point que je désigne maintenant, Ici, comme la « cho­
sification » de ce corps, la contraction finale, le terminus
de tout le processus de descente et d’implosion.

Expérience Ne 20 : Inclinons-nous encore devant l’évidence

Cher Lecteur, veuillez m’accompagner une fois de plus


dans cette épreuve de vérité, cette soumission à l’évidence.
Prenez tout votre temps.
Regardez et désignez le ciel, puis ces collines, enfin
l’herbe et ces pieds, et plus bas encore, ces jambes rac­
courcies, ce tronc et Ce Qui est à leur base. Oui, je sais : ce
plafond doit vous tenir lieu de ciel, le mur en face de vous
remplacer les collines et ce tapis, l’herbe. Mais peu im­
porte. C’est essentiellement la même descente du Ciel à la
Terre, et surtout de ces pieds inversés à la Ligne de Base
du tableau. Je compte sur vous pour ne pas vous conten­
ter de lire simplement le récit de cette salutation au
Cosmos, de cette soumission à l’Evidence-Qui-Créve-
Les-Yeux, de cette humilité face à ce qui est Donné. Je
vous demande d’expérimenter vous-même cette proster­
nation. Maintenant...
Veuillez remarquer en passant qu’ici ce n’est pas un
monde artificiel de pure invention. Ce n’est pas un Uni­
vers de confort, fabriqué et préconditionné pour géomè­
tres, navigateurs, fabriquants de calendriers et autres
spécialistes anciens et modernes, mais plutôt le monde à
l’état brut, naturel, tel qu’il apparaît aux non-spécialistes
depuis la nuit des temps. C’est ce que nous voyons et non
ce que nous avons intérêt à voir, ni ce que nos parents,
nos professeurs, la société et le langage lui-même veulent

197
nous persuader de voir, ni ce que nous croyons voir alors
que nous sommes victimes d’une hallucination. Bien sûr,
nous avons besoin des deux mondes, l’ersatz et l’authen­
tique, l’artificiel et l’originel. L’univers fictif fabriqué est
précieux d’un point de vue pratique. Mais l’univers réel
qui-nous-est-donné et dont il prend la place est indispen­
sable. C’est lui qui nous délivre du stress dont nous
souffrons lorsque notre vie est fondée sur une fiction
commode que nous prenons pour la vérité pure, et
quand ce mensonge pernicieux nous plonge en Enfer.
Bien que l’homme moderne le rejette et le méprise,
l’univers réel tel qu’il nous est donné si généreusement
était parfaitement acceptable, dans l’ensemble, pour nos
ancêtres du moyen-âge. Ils avaient l’audace et le bon sens
de fonder leur conception du monde sur lui. Leur cosmo­
logie prenait des formes variées, certaines plus arbitraires
et fantastiques que d’autres. Mais il en est une en parti­
culier qui a un rapport direct avec notre sujet: celle de
Dante, dans son grand poème «La Divine Comédie».
C’est la plus riche, la plus complète et la plus réaliste à
bien des égards. En voici l’essentiel :
Au sommet du tableau, il y a le Ciel, le royaume de la
lumière par opposition à l’obscurité, de la légèreté par
opposition à la pesanteur, de l’esprit par opposition à la

198
matière - immense, libre, heureux. Le Ciel, dit le poète,
est un grand Sourire. Au-dessous de ce sommet des
sommets, on trouve les sphères célestes, les royaumes
angéliques habités tour à tour par les étoiles, les planè­
tes, le Soleil et la Lune, un peu moins « spirituels » et un
peu plus « matériels ». Puis vient la Terre, le monde sub­
lunaire des humains et des créatures inférieures - des
êtres petits, non lumineux et accablés par toutes sortes
de problèmes. De là, on descend dans les Régions Infer­
nales ou Enfer, encore plus sombres et plus tourmen­
tées, représentées comme un puits conique convergeant
vers le centre de la Terre. C’est l’Enfer à neuf étages, et
plus on descend, plus le sort de ses habitants est hor­
rible. Tout en bas, Judas, le traître, et ses pairs, Brutus
et Cassius, sont coincés, à l’envers: leur tête disparaît
entre les mâchoires de Lucifer, tandis que leurs jambes
battent désespérément l’air de l’Enfer, condamnés qu’ils
sont à la souffrance éternelle.
Ce tableau issu de l’imagination de Dante offre une
version soigneusement dramatisée de la façon dont les
choses se présentent en réalité : de plus en plus opaques,
solides, denses, stressées, déprimantes et déprimées, à
mesure que l’on se rapproche du Témoin solitaire de
tout, au centre du système. Si nous cherchons un monde
réel et habitable, un Univers fait pour être vécu plutôt
que conceptualisé et manipulé, alors celui de Dante est ce
qu’il nous faut: un Univers concentrique, structuré
comme un mandala ou un oignon. Nous ne sortirons
pas de notre état dépressif tant que nous n’aurons pas
retrouvé ce monde réel. Pour combattre et dominer la
Nature, nous concevons un Univers uniforme, un Uni-
vers-Pomme-de-terre, dont la surface est parsemée de
petits yeux - quelques points de vie, îlots de conscience
- mais qui en fait n’a ni Œil, ni Centre. Pour être en
harmonie avec la Nature, nous percevons un Univers
non-uniforme ou Univers-Oignon dont le cœur est un
Œil immense au centre de nous-même. Pour mettre le
stress de la Nature à sa place dans ce mandala ou oignon
et le rendre ainsi inoffensif, nous désignons et ouvrons cet

199
Œil Unique. Et la seule façon de l’ouvrir, c’est de l’ouvrir
tout grand, plus grand que le vaste monde.
Désigner quelque chose, c’est désigner... au moins un
point, bien sûr ! Mais, voyez : une fois que vous avez
désigné ce Point, Ici, que vous l’avez pénétré jusqu’au
fond, il n’en reste absolument aucune trace, il explose
avec une déflagration telle que la plus grosse explosion
nucléaire fait figure de simple nuage de vapeur sortant
d’une bouilloire. Ce centre de l’Univers est le point de
convergence de toute la dépression, la souffrance, la
culpabilité et le stress, le point de concentration de la
pesanteur, le plus éloigné qui soit de la légèreté et de la
lumière du Ciel. C’est l’Enfer le plus infernal, et qui
devient de plus en plus diabolique jusqu’à ce que l’on
parvienne au Terminus. Ces petits pieds inversés que je
regarde en ce moment et que j’appelle miens sont en
vérité mes pieds de Judas, jusqu’à ce que je cesse de me
trahir moi-même et me place là où l’Enfer s’arrête et où
commence le Ciel. Là où je vois et suis cette Ligne de
Base, le Bout du Monde et le Fondement de l’Etre d’où
surgissent ces pieds tout comme le Ciel et l’Enfer. Et
lorsque finalement, n’étant plus coincé quelque part
dans le Cône Infernal, nous avons atteint le fond, l’Enfer
cède soudain la place au Ciel. Lorsque nous sommes assez
déprimé, ou très déprimé, nous sommes en pleine souf­
france. Mais c’est lorsque nous atteignons vraiment le
comble du désespoir que nous sommes soudain libéré de
la souffrance, instantanément. Avant cela, la Grande
Percée, la Grande Ouverture de notre Œil Intérieur, la
Grande Révolution qui inverse tout ne peuvent se pro­
duire.
Cela est aussi vrai pour vous et pour moi que ce l’était
pour Dante et son guide Virgile, dans « L’Enfer » de La
Divine Comédie. Ils eurent la sagesse de ne pas rebrousser
chemin pour sortir de cette horrible Fosse. Au contraire,
ils poursuivirent leur route jusqu’à l’extrême limite et
découvrirent là un passage secret vers le monde resplen­
dissant, le vaste ciel et ses magnifiques étoiles. Conclusion
heureuse et inattendue du voyage dévastateur du Poète

200
dans les Régions Infernales. Le seul moyen d'échapper à
cet horrible lieu de supplice était d’y entrer complètement
et de le traverser. En d’autres termes, de ne pas reculer
devant l’épreuve : ne pas essayer de se réconforter, ni de
se ressaisir, ni de nourrir de faux espoirs. Ne pas s’oppo­
ser mais accepter. Ne pas résister à la dépression, mais la
faire sienne.
Voici trois variations sur le même thème, pour encou­
rager et guider toutes les personnes soi-disant atteintes de
dépression aiguë, occasionnelle ou chronique.
Tout d’abord une citation extrêmement succincte du
Tao Tô King chinois, (3e siècle av. J.-C.) : « Le Sage,
éveillé et serein, avoue qu’il retombe et va à la dérive,
qu’il semble avoir tout perdu, qu’il est un imbécile apa­
thique, découragé, ignorant, ballotté de-ci, de-là, inutile,
intraitable, malappris. “Les gens ont l’air plein de vie et
d’assurance”, dit-il, “et moi seul suis déprimé”. (Oui:
déprimé \) Mais la grande différence entre lui et eux,
c’est qu’il puise sa substance dans “le sein de la Mère”. »
C’est-à-dire qu’il tire sa substance du Tao, le plus
profond des puits, qui n’est jamais tari et ne lui fait
jamais défaut. Et qui est l’ancien équivalent chinois de
notre Ligne de Base, Bout du Monde, Source, Ressource
la Strate de l’Etre la plus profonde, qui ne repose sur
aucun sous-sol.
Notre seconde citation nous vient de Maître Eckhart
(allemand, 13e-14e siècle) : « Nous devons prendre la place
la plus basse dans notre propre Fondement, au tréfonds
de notre Soi, dans la plus grande humilité. Quand l’âme
descend au fond d’elle-même, dans les recoins les plus
secrets de son être, elle est soudain inondée par le pou­
voir divin. »
Et enfin Hubert Benoît, psychiatre français contempo­
rain: «Je lutte sans cesse pour “m’élever”... La Félicité
Parfaite, (cependant) ne m’attend pas en-haut mais en-
bas ; elle ne m’attend pas dans ce que je considère
comme un triomphe, mais dans ce qui m’apparaît en
réalité comme un désastre. La joie parfaite m’attend
dans l’annihilation totale de mes espoirs. L’homme qui

201
est vraiment désespéré, qui n’attend plus rien du monde
phénoménal, est envahi par la joie parfaite qu’il cesse
enfin de repousser. »
Notez bien, s’il vous plaît : l’annihilation totale de mes
espoirs. Si au fond du gouffre de la dépression je ne
trouve pas la joie parfaite dont parle Benoît, c’est parce
que je ne descend pas tout à fait jusqu’au vrai fond, je
refuse de me laisser sombrer complètement. Et si le sou­
lagement est de courte durée, c’est parce que je refuse de
renouveler l’aventure et de redescendre aussi bas. Car il
ne suffit pas de vivre cette expérience une seule fois. Il ne
s’agit pas d’une crise de désespoir une fois pour toutes, à
laquelle succéderait un bonheur éternel. C’est plutôt ce
qu’évoque Saint-Paul lorsqu’il dit qu’il meurt chaque
jour. Et il n’est pas malheureux pour autant. Au
contraire, il évoque constamment la joie qui inonde son
cœur.
Dans un certain sens, ce livre est un manuel d’initiation
à l’art de la dépression. L’idée maîtresse est qu’il faut
descendre. Si je me compare à un garçon d’ascenseur, je
suis celui qui crie : « On descend, on descend ! » jusqu’au
sous-sol du monde, mesdames et messieurs, avant de
remonter jusqu’au jardin sur le toit. Ce livre est aussi,
bien entendu, un manuel d’initiation à la joie la plus
pure. Mais le voyage n’est pas donné. C’est comme si,
pour aller de New York en Alaska, j’étais obligé non
seulement de passer par Miami, mais en outre de payer
chaque kilomètre du trajet.
Sans vouloir insinuer que le christianisme en ait l’ex­
clusivité, je dirai qu’entre toutes les religions c’est certai­
nement celle qui est la plus profondément attachée à ce
principe et l’illustre avec le plus d’intensité. Examinons
donc rapidement cette foi, non pas dans l’une de ses
versions édulcorées, mais dans son expression la plus
forte. Et nous ne nous perdrons pas dans des détails
théologiques, mais resterons fidèle à l’esprit.
Quand le Roi des rois se mêle personnellement à son
monde, il ne le fait pas à moitié. Il devient le paria de tous
les temps. Que celui dont on nous dit que sa présence est

202
source de joie et qu’à sa droite nous aurons le bonheur
éternel se trouve lui-même plongé dans les affres de la
pire des souffrance est tout à fait symptomatique.
Comble de l’échec, il est ridicule et gênant. Il est humi­
lié, méprisé, abandonné par ses meilleurs amis, trahi. Il
endure les plus grands tourments, sombre au fin fond de
l’Enfer.
Non qu’il soit un Roi malade, un maître de l’humour
noir à ses propres dépens, un incompétent, un masochiste
cosmique qui s’amuse à accumuler les souffrances par
plaisir. Non. Il suit la voie qu’il doit suivre. Il est réa­
liste. Il se trouve que l’univers si difficile et si étrange
(quel euphémisme!) est cet état de l’être que produit
l’Abîme du non-être. Comment pourrait-il ne pas l’accep­
ter ? Quand la vacuité insondable qui est sa nature prend
forme, elle se révéle cruciforme. Soumis, le Maître du
monde obéit jusqu’à la mort, même la mort sur la croix.
Il souhaite le bien, il fait de son mieux, et pourtant il
tombe au niveau le plus bas. Croyez bien qu’il n’aurait
pas pris cette route si humiliante et dure s’il avait pu en
choisir une plus gratifiante et plus douce. Pour le bien-
être de ses créatures, il souhaiterait sincèrement ouvrir
une route rapide, à plusieurs voies, qui contournerait
carrément l’Enfer et relierait directement la Terre au
Ciel. Mais voilà ! nous sommes embarqués avec lui,
nous sommes de la même substance que lui, en vérité
nous sommes lui et il n’y a personne d’autre. Aussi de­
vons-nous suivre sa voie qui est la voie authentique de
l’Etre. Celle qui comporte ce terrible goulot d’étrangle­
ment appelé Calvaire, et qui passe ensuite par le tombeau
vide (tellement vide !) pour remonter rapidement jus­
qu’aux étoiles.
Savoir que vous n’êtes pas la victime d’une escroquerie,
qu’on ne vous a pas fait payer un prix excessif pour le
droit d’Etre, et que ce n’est pas à vous en particulier que
l’on a attribué un voyage exceptionnellement pénible,
voilà qui change tout ! La dépression que vous traversez
en ce moment, quelles qu’en soit la cause et la forme,
n’est pas liée à votre seule personne. Elle est cosmique,

203
universelle, c’est la nature de la Nature. Ce n’est pas
simplement un échantillon représentatif de ce qui est,
c’est votre participation inévitable et nécessaire à ce qui
est. Pour l’amour de Dieu, n’imaginez pas que vous êtes
ici dans le pétrin en train de vous tordre les mains de
désespoir, alors que là-haut il se frotte tranquillement
les siennes de joie. S’il est bienheureux là, c’est parce
qu’il est aussi avec vous au fond de l’abîme de votre
dépression. Avec vous, et pour vous, et en vous. Ici,
nous sommes tous dans le même bateau-Dieu. Avec le
mal de mer, sans doute, et certainement en train de
nous noyer et de sombrer jusqu’au fin fond de l’océan...
Mais - ah ! - c’est là que nous trouvons la perle. Nulle
part ailleurs. Il n’y a pas d’autre solution, on ne peut la
trouver à moindres frais. Car ce n’est pas une perle de
culture, un bijou de fantaisie. Elle coûte la terre et le ciel
et davantage encore. Le prix n’est pas négociable, il n’y a
pas de réduction possible pour les saints ou les sages ou
les «voyants» - encore moins pour vous et moi. Je ne
vous demande pas de croire le slogan des prédicateurs
fondamentalistes: «Sans croix, pas de couronne», mais
simplement de reprendre courage lorsqu’apercevant peut-
être une toute petite lueur au milieu de votre nuit de
douleur, vous commencez à soupçonner à quel point ces
pasteurs étaient en fait réalistes. Vous êtes affreusement
déprimé? Vous êtes dans la nuit la plus noire et votre
fardeau n’a jamais été aussi lourd ? Eh bien, c’est l’heure
de votre crucifixion. Maintenant, vous n’avez plus rien à
perdre, vous avez tout à gagner en vous inclinant devant
les faits...
Et en continuant - avec la même humilité devant ce qui
est - à vous soumettre à votre ascension, votre couronne­
ment, votre gloire ineffable.
Telle est la bonne nouvelle qui émane du cœur-même
de cette religion extraordinaire, cette foi si négative en
apparence, et si totalement positive en réalité. Le même
message apparaît dans les autres religions, certes, mais
c’est ici qu’il est formulé de la manière la plus frappante
et la plus poignante. C’est pourquoi il est si important

204
pour nous. Et l’une des formes les plus condensées et les
plus éloquentes qu’il ait revêtu est le symbole de la perle
de grand prix, le joyau qui repose sur le lit de la mer en
furie. Cette mer cruelle et déchaînée est la vôtre. Oui.
Mais c’est aussi votre perle. Elle représente le tournant
dans votre histoire, si tragique par ailleurs. Et quel tour­
nant!
L’Hymne de la Perle est un poème gnostique du 3e
siècle, à l’extrême lisière du christianisme. On peut le
considérer comme l’un des chaînons intermédiaires les
plus précieux entre les spiritualités orientale et occiden­
tale. Son enseignement correspond parfaitement à notre
démarche. Voici l’essentiel de l’histoire :
Le Roi des rois qui régne quelque part en Orient des­
cend en Egypte en la personne de son fils, pour rapporter
la perle précieuse qui se trouve là-bas, au fond d’un lac,
gardée par un redoutable dragon. Chemin faisant, le
Prince se débarrasse de sa toge brillante et abandonne
tous les signes de sa royauté. Lorsqu’il arrive en Egypte,
afin que personne ne remarque qu’il est étranger, il em­
prunte les vieux vêtements d’un Egyptien et mange la
même nourriture que les gens du pays. De sorte que,
rapidement intoxiqué par cette nouvelle alimentation, il
oublie complètement qui il est et quelle est sa mission. En
fait, il devient Egyptien. Cependant, en Orient la cour
s’inquiète: ayant appris la déchéance du Prince et l’état

205
de stupeur dans lequel il est plongé, ils lui envoient un
rappel à l’ordre sévère, par aigle voyageur. Le Prince
revient à lui et se lance dans l’action. Laissons-le racon­
ter sa propre histoire :

Ma liberté brûlait du désir


De retrouver sa véritable nature.
Je me souvins de la perle
Que j’étais venu chercher
Et j’entrepris de le charmer,
Le terrible serpent au souffle menaçant.
Je l’endormis en le berçant...
M’emparai vivement de la perle,
Et repris le chemin de la maison de mon Père.
J’ôtai leurs vieux vêtements sales
Les abandonnant dans leur pays,
Et repris le chemin droit
Vers la lumière de notre maison,
L’Orient...
Et retrouvant ma toge aux brillantes couleurs,
Je m’enveloppai de toute son ampleur,
Et entrepris mon ascension...

Et voici notre interprétation de ce mythe ancien :


Vous, cher Lecteur êtes un personnage royal voyageant
incognito. Tellement incognito que vous vous êtes laissé
prendre vous-même par votre déguisement. Vous êtes en
réalité le Prince, seul héritier du Roi qui est l’Unique, le
Parfait et le Tout. Mais vous n’êtes pas seulement des­
cendu dans le monde, vous êtes descendu en grade ; vous
avez déchu, abandonnant l’un après l’autre vos vêtements
ou apparences galactiques, stellaires et planétaires en
vous laissant glisser vers la scène humaine. Ici, vous
endossez l’apparence de « l’un d’entre eux » et en arrivez
peu à peu, au prix d’un stress croissant, à penser, sentir et
agir comme eux, à la troisième personne. Vous devenez
même à vos propres yeux ce que vous paraissez être pour
eux, une personne ordinaire, pas plus royale que les
autres fellahin. Et déprimée, en plus! Pourquoi êtes-

206
vous déprimé? Pourquoi en avez-vous marre, ras-le-bol
de tout cela ? Parce que vous oubliez le fait que, en tant
que Première Personne vous êtes extra-ordinaire, L’Ex­
tra-Ordinaire. Comme le dit Boethius, vous êtes en mau­
vaise posture parce que vous avez oublié qui vous êtes.
Mais maintenant on vous a rappelé quelles sont votre
véritable identité et votre mission ici-bas. Il s’agit de
descendre encore plus bas. Cesser de résister, aller jus­
qu’au fond de votre dépression et en découvrir la merveil­
leuse issue. Vous laisser couler au plus profond de
l’océan. Ou si vous préférez, selon les circonstances, au
plus profond de l’abîme de l’Enfer, de la lourde angoisse
de votre cœur, de la nuit profonde de votre esprit (quel
que puisse être ce monstre insaisissable). Ou simplement
au plus profond des régions les plus basses que désigne
votre doigt lorsque vous le faites descendre le long de
votre corps jusqu’à votre Ligne de Base et au Bout du
Monde. Car c’est ici, au fond de la mer que se trouve le
trésor qui renferme, tout en le transcendant infiniment, le
remède à toute dépression.
Mais voilà: votre descente au fond de l’abîme pour
regagner la perle royale est entravée par un monstre qui
n’est autre que votre propre résistance, votre refus obstiné
de subir d’autres pertes et d’autres humiliations. C’est le
plus malin, le plus convaincant des baratineurs, prêt à
n’importe quelle ruse pour vous éloigner de votre propre
trésor.
A ce moment de l’histoire, prenons la liberté de la
remettre à jour en la complétant avec quelques exemples
des multiples stratagèmes de ce perfide dragon.
1. - Il déploie tous ses efforts pour vous persuader que
votre perle précieuse n’a en fait aucune valeur, qu’elle
n’est pas plus nacrée, plus irisée que l’eau environnante.
Avec un air de sainte-nitouche et un sourire affecté, il
reconnaît qu’il est un vieux dragon stupide assis comme
une vieille poule couveuse sur un œuf de porcelaine qui
n’éclorera jamais. Il en cite pour preuve les plus grands
maîtres spirituels d’Orient et d’Occident qui affirment
tous que la perle n’a ni forme, ni couleur, ni traits carac­

207
téristiques et que la gagner c’est ne rien gagner du tout.
En échange, il nous offre aimablement un plateau chargé
des bijoux les plus chatoyants, qui contrastent de manière
éclatante avec cet objet terriblement insignifiant qu’il faut
chercher au fond de l’océan - expérience terne s’il en fût !
Au contraire, dit-il, je vous offre ici des expériences
ineffables, des délices mystiques agrémentés d’explosions
d’amour, d’extase et de joie. Ces bijoux-là ne sont pas du
toc. Ils sont réels, d’une beauté exquise, rutilants, étince­
lants de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, comme sur
l’herbe la rosée du matin au soleil levant. Toutes les
anthologies mystiques en parlent... Or, si vous avez un
peu de jugeote, ne discutez même pas avec lui, et n’accor­
dez aucune attention à ses ersatz de perles. Sans nier leur
éclat ni leur charme, ne manquez pas d’en jouir pleine­
ment lorsqu’elles se présenteront à vous, mais n’oubliez
pas qu’elles sont tout aussi éphémères que la rosée du
matin. Qu’elles vont et viennent sans aucune raison, de
manière tout à fait inopinée, et qu’il est impossible de les
trouver lorsqu’on en aurait le plus besoin. Alors que la
vraie perle - précisément parce que c’est un bijou ordi­
naire de quatre sous (et pourtant extraordinaire et sans
prix), parce qu’elle n’a l’air de rien (et pourtant elle est
tout), et parce qu’elle est vous-même, votre propre Na­
ture - est accessible à la demande, toujours, selon vos
besoins, même si vous êtes de l’humeur la plus sombre
ou si votre problème paraît insoluble.
2. - Ou bien, au lieu de jouer à la sainte-nitouche, le
dragon fait semblant d’être honteux. Il n’est qu’un vieux
dégoûtant. Coquin et timide, il vous fait remarquer que,
c’est triste à dire, mais la perle de pureté est enterrée sous
une montagne de crottes de dragon. Avant de pouvoir
repérer et revendiquer le trésor, il faut donc nettoyer ces
excréments. Il vous donne sa parole que la perle sera
vôtre dès que vous aurez déblayé ces saletés. Alors, vous
retroussez vos manches et prenez vos nouvelles fonctions
de préposé aux toilettes d’un dragon. Mais, hélas! Ce
dragon n’est pas constipé. Tôt ou tard, vous réalisez que
malgré tous vos efforts le tas d’immondices augmente

208
plutôt qu’il ne diminue. Vous découvrez son truc : dès que
vous avez le dos tourné, il se soulage à nouveau sur le tas
de fumier... En d’autres termes, selon lui vous devez
absolument purger votre mauvais karma, vous perfec­
tionner de toutes sortes de façons, en vous soumettant à
toutes sortes de pratiques, avant de pouvoir espérer vous
frayer un chemin jusqu’à la joie cachée derrière votre
dépression. Il sait bien, évidemment, que la tâche qu’il
vous a assignée est sans fin. Car vous vous trouvez obligé
d’assumer non seulement votre charge karmique person­
nelle relativement légère, mais également le poids des
atavismes moins personnels enfouis à des niveaux plus
profonds. En fait, tout ce travail déplaisant est absurde.
Ce n’est qu’un artifice de plus dans le répertoire du grand
dragon illusionniste. Le dragon lui-même est fantoma­
tique et ses excréments n’ont pas plus de substance que
lui. Nous avons déjà constaté maintes et maintes fois que
la perle de votre véritable Nature brille d’un éclat si
lumineux qu’il n’y a rien (réel ou imaginaire) de plus
évident au monde, pour peu que vous ayez l’audace de
retourner votre attention vers elle. Tous les dragons de
l’univers, dussent-ils souffrir de diarrhée chronique, ne
peuvent même pas rêver de la ternir, ne fût-ce que d’un
iota.
3. - Mais nous avons affaire à un grand acteur, spécia­
liste des transformations rapides ! Il peut également jouer
le dragon modeste et magnanime. Il déploie alors toute
son éloquence :
« Quoi, cette perle fabuleuse ici, dans cette Egypte sans
mystère ? Gardée par ce serpent si ordinaire ? A d’autres !
Non, mon cher Principicule, ce n’est pas ici, dans cette
grotte sombre et crasseuse que vous trouverez cet article,
mais là-haut sur le toit du monde, au Tibet, terre mys­
tique. Ou peut-être caché quelque part au fond de l’Inde
secrète, ou en Thaïlande, ou au Mexique, ou même (que
le Bouddha nous protège!) au Japon. Ou n’importe où,
d’ailleurs (ajoute-t-il à mi-voix) pourvu que ce soit assez
loin, assez difficile à trouver, assez ésotérique et non-
égyptien. »

209
Bien qu’elles ne méritent en fait qu’un éclat de rire, ces
sornettes de dragon ont un succès étonnant. La perle qui
s’appelle : pas-ici, pas-maintenant, pas-moi, extrêmement-
diflicile-à-trouver, est mille fois plus recherchée que la
vraie perle précieuse. Et pourtant, elle n’a aucune valeur.
4. - Le dragon peut également faire le savant. Recon­
naissant qu’il est assis sur la vraie perle, il s’engage à vous
la donner dés que vous en saurez assez long sur les perles
et les pierres précieuses pour l’apprécier à sa juste valeur.
Tout ce qu’il vous demande de faire, c’est de lire ces trois
ou quatre livres sur le sujet. Ou cinq, ou six... Alors, vous
vous lancez dans cette étude avec passion. Mais, hélas!
La rangée de livres à lire ne cesse de s’allonger. Chaque
nouveau volume promet de tout révéler, de vous apporter
le dernier indice nécessaire pour trouver la perle... et puis
il en arrive un autre... En fait, la majorité de ces livres
traitent des pêcheurs de perles, ou des huîtres, ou même
des coquilles d’huîtres, mais jamais de la perle elle-même,
Et la plupart de leurs auteurs ne reconnaîtraient même
pas le précieux joyau, dût-il leur tomber directement du
ciel sur les genoux, tel un grêlon unique accompagné du
tonnerre et d’éclairs. En outre, les meilleurs livres concer­
nant la perle elle-même sont également trompeurs, dans
la mesure où ils attirent votre attention sur des rangées et
des rangées de caractères d’imprimerie qui n’ont rien de
commun avec la perle et sont toujours à trente centimè­
tres de distance de l’essentiel. Car la perle n’est pas ce que
vous lisez, mais ce qui lit.
Alors, dites à ce vieux serpent savant avec sa toge de
professeur ce qu’il peut faire de ses rangées de millions de
volumes sur la perle ! Dites-le lui poliment, mais ferme­
ment !
5. - Car il est, somme toute, votre créature, un animal
familier vilain et dangereux qu’il faut maintenir à sa
place, plutôt qu’une bête sauvage à tuer. Soyez bienveil­
lant, aussi conciliant que possible. Mais surtout, ne dis­
cutez jamais avec lui. L’enseignement le plus sage de
l’Hymne de la Perle est qu’il faut apaiser le dragon. Il
ne faut pas le prendre à rebrousse-écailles. Il adore vous

210
provoquer, se lancer dans de grands débats avec vous,
vous accompagner dans vos recherches, dans ce long
voyage en quête de la perle que vous découvrirez peut-
être un jour ! Il aime batifoler avec vous autant que vous
livrer une bataille acharnée. Bref, il est prêt à déployer
tous les subterfuges pour vous empêcher de trouver la
voie vers le trésor, ici et maintenant. L’un de ses trucs
les plus efficaces est de vous offrir une brochure intitulée :
« Comment vous comporter avec votre Dragon ». Elle four­
mille de conseils sur la manière de tirer le meilleur parti de
l’animal en étudiant son anatomie, sa physiologie et son
comportement jusqu’à ce que vous connaissiez parfaite­
ment la forme, la texture et l’éclat de chaque écaille, de
chaque dent et de chaque griffe, ainsi que la composition
chimique exacte de la fumée qu’il vomit. Vous n’avez
aucune chance d’atteindre la paix de l’Esprit qui est
sous-jacent à votre mental (vous dit-il) tant que vous ne
connaîtrez pas suffisamment ce dernier pour vous frayer
un chemin à travers les méandres de ses complexités...
Evidemment, vous rencontrez à nouveau le même pro­
blème, et c’est ce qu’il attend : plus vous explorez la
nature du dragon, plus vous trouvez de matière à explo­
rer. Vous découvrez des labyrinthes à l’intérieur des laby­
rinthes, que « vous devez tous connaître pour devenir un
adulte mûr et responsable», des labyrinthes tout à fait
fascinants, si plaisants que vous ne pouvez plus vous en
détacher. Une étude qui exige d’y consacrer pour le moins
toute une vie. Pendant ce temps, le dragon est conforta­
blement assis sur son œuf de porcelaine. Qui en fait n’est
rien d’autre que cela pour vous tant que vous n’avez pas
réussi à le chasser de là.
Et comment y parvenir ? Eh bien, je vous recommande
la stratégie de Ramana Maharshi: «Ne vous occupez
jamais du mental. Si vous cherchez sa source, il s’éva­
nouira, laissant le Soi (la perle) intact... Il n’y a pas de
mental à contrôler si vous réalisez le Soi... Vous avez
ignoré ce qui est réel et vous vous accrochez au mental
qui est irréel. »
Et celle de Nisargadatta : « Ne vous y trompez pas, tous

211
les arguments en faveur du mental sont produits par le
mental lui-même, qui assure ainsi sa protection, sa survie
et son développement. Seul le refus total d’accorder la
moindre attention aux convulsions et circonvolutions du
mental peut vous amener au-delà du mental. »
Et celle du maître Zen qui, lorsqu’un disciple le pria de
pacifier son mental, lui demanda de le lui montrer.
«Hélas! Je ne puis vous le montrer» répondit le disci­
ple. « Eh bien voilà », dit le maître, «je l’ai pacifié pour
toi ! »
Souvenez-vous enfin de cet autre maître qui nous
conseillait de chercher d’abord le royaume (synonyme
pour lui de la perle précieuse) et que le reste nous serait
donné de surcroît. Peut-être penserez-vous comme moi
que c’est là le meilleur résumé de toute l’affaire. Tout le
reste nous sera donné de surcroît, y compris, sans aucun
doute, les fonctions du mental que les circonstances exi­
geront - si tant est qu’elles en exigent du tout.
6. - La plus cruelle des ruses du dragon, c’est quand il
s’attribue un doctorat en médecine, adopte un air profes­
sionnel et prononce un diagnostique définitif : « dépres­
sion irréversible!» Très courante, d’ailleurs, ajoute-t-il
d’un ton jovial. Dîtes-lui que sur l’Autoroute de la Vie,
il est interdit de faire demi-tour avant d’arriver à l’Échan-
geur 0, et c’est précisément le prochain. Dîtes-lui égale­
ment qu’il est le Roi des Menteurs et que même en Enfer
le monstre «dépression irréversible» n’existe pas. Vous
pouvez lui faire remarquer qu’au cours d’une journée, la
circulation dans un sens sur l’Autoroute est identique à
celle dans l’autre sens, de sorte que pour chaque véhicule
qui arrive à l’Échangeur 0, il y en a un autre qui en sort.
Tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, tout ira bien
pour vous. Comment pouvez-vous en être si sûr? Parce
que vous savez Qui vous êtes vraiment, vraiment, vrai­
ment.
7. - Et maintenant, voici l’un des stratagèmes les plus
perfides du dragon. «Tu es déprimé, mon pauvre, ton
moral est bien bas», dit-il, tout sucre et tout miel. «Et
moi qui fais tout mon possible pour te retenir et t’empê­

212
cher de tomber plus bas ! Sois raisonnable ! A quoi bon
essayer de passer par-dessus moi pour sombrer encore
plus bas? Et je ne parle que du côté négatif de mon
aide. Le côté positif est encore plus utile. Vital, même.
Je vais t’aider à remonter. Grimpe sur cette excellente
échelle de secours et tu seras bientôt sorti de ce lieu
infernal. Tu pourras à nouveau te dorer au soleil du
monde d’en-haut. »
En fait, le dragon a soigneusement mis en place une
forêt d’échelles. Même la plus longue, cependant, n’at­
teint pas tout à fait le sommet de la fosse, et toutes ont
quelques barreaux pourris. Vous ne pouvez pas plus vous
évader de ce puits qu’une mouche d’une dionée. Ce qui ne
signifie pas, bien sûr, que nous ne devions pas tous faire
nos tentatives d’escalade. Il y a toutes sortes de façons
utiles de se réconforter et de réagir contre notre dépres­
sion, depuis les drogues-miracles jusqu’aux méditations-
miracles. Certains de ces remèdes sont merveilleux tant
que dure leur effet, c’est-à-dire pas longtemps. Une fois
de plus, le seul moyen de sortir de la dépression, c’est de
descendre jusqu’au fond et de la traverser.
Mais ces sept ruses du dragon ne sont pas une liste
exhaustive des moyens ingénieux qu’il a inventés pour
m’éloigner de la perle qui se trouve au plus profond de
ma dépression. Loin de là. La liste est aussi longue que
mon bras ; ce bras que je n’ai pas du tout besoin d’étendre
si je veux vraiment saisir la perle. Voici un aperçu de
quelques uns de ses autres subterfuges. Il me persuade
que je suis un infirme qui ne peut trouver la perle que
revêtu d’une robe orange et dans une chaise roulante
poussée (ou retenue?) par l’infirmier Machinsitananda.
Ou que je n’y parviendrai jamais à moins de me trans­
former en contorsioniste capable au minimum de faire un
nœud de vache avec mes jambes sans dire ouf, et si
possible de faire prendre à tout mon corps les formes les
plus grotesques que l’on puisse imaginer. Ou à moins
d’être un idiot prêt à croire n’importe quelles balivernes.
Ou un fou furieux heureux de mourir pour ces balivernes.
Ou tant que le tigre sauvage, vif et ardent qui est en moi

213
ne sera pas changé en un petit agneau. Ou tant que je ne
serai pas un cheval émasculé à tous points de vue sauf
anatomiquement, ou un masochiste qui se flagelle quoti­
diennement. Ou un modèle de vertu tellement plus saint
que toi que tu t’enfuis en courant. Etcetera. Etcetera.
Quel escroc que ce vieux serpent ! Comme ses artifices
devraient sauter aux yeux de l’intelligence la plus
moyenne et comme nous nous y laissons prendre! Jus­
qu’à ce que nous nous décidions à regarder. Il déteste que
nous regardions pour voir! Mais rien ne vaut un coup
d’œil si c’est la vérité que nous cherchons. Et rien ne vaut
la vérité si nous souhaitons vraiment vaincre la dépres­
sion. Car, qu’est-ce que la dépression, en fait, sinon une
sorte de vision mensongère particulièrement stressante ?
Naturellement, c’est la chose la plus facile au monde de
voir le chemin qui mène à la perle, en passant par-dessus
le dragon assoupi. Il vous suffit de cesser d’oublier de
regarder le lieu d’où vous regardez. Vous constaterez
alors que vous vous êtes déjà emparé de son trésor, que
déjà vous êtes la perle elle-même, nichée au plus profond
de la mer. Mais ce n’est pas si facile de vous ressentir là
en-bas et de vous y maintenir bien ancré consciemment.
Car il est dans la nature de vos émotions de toujours
vouloir s’élever, de chercher à gagner, de ne jamais vou­
loir perdre, de souhaiter l’expansion, jamais la contrac­
tion. Même le plus saint des ascètes ne peut s’abaisser
délibérément sans espoir de récompense. Vous ne pouvez
pas vous accabler vous-même, mais vous pouvez auto­
riser la vie à faire le travail pour vous. Et vous pouvez
même vous émerveiller de voir comme elle sait bien le
faire, juste comme il convient et au moment voulu, pour
peu que vous ayez le courage de lui dire : Oui, et de lui
faire confiance, même si ses méthodes vous paraissent
arbitraires et cruelles. Car elles sont en réalité fort avisées
et tout à fait bienveillantes. Dire Oui, Oui, Oui, ce n’est
pas du gâteau, certes. Ou si c’en est, c’est le gâteau le plus
triste qu’on ait jamais fait : lourd comme du plomb. Mais
il vous laisse finalement un goût de légèreté merveilleuse.
Dieu sait que ce n’est pas un mode de vie facile. Mais la

214
vie qui dit Non à la vie est mille fois plus dure, mille fois
plus déprimante en fin de compte! Et combien futile,
combien pitoyable !
Vous êtes comme une boisson amère, gazeuse, et vos
sentiments sont les bulles qui pétillent. De par leur na­
ture, elles ne peuvent que monter... Alors vous vous
sentez tout pétillant ce matin, dans une forme éblouis­
sante! Cette fois-ci, pensez-vous, la bonne humeur va
sûrement durer. Les beaux jours sont revenus, pour de
bon. Mais inévitablement une horrible tranche de vie
vous tombe dessus et vous enfonce à nouveau. Et voici
qu’une grosse bulle est coincée sous son poids, tout au
fond du verre. Et vous êtes infiniment malheureux et
amer... Pourtant ici-même, dans votre désespoir ex­
trême, une surprise vous attend si vous avez un peu de
patience. Cette horrible chose qui vous a fait descendre
au fond de l’abîme, ce poids apparemment mort, ce pro­
blème apparemment insoluble est finalement un morceau
de sucre qui, en se dissolvant, adoucit toute la boisson.
Ou du moins la rend douce-amère. Si vous l’acceptez sans
réserve, votre malheur devient bénédiction. La véritable
joie, qui est la paix véritable, vous inonde. La boisson ne
sera plus jamais la même... Mais bientôt le sucre a fondu
complètement, libérant cette bulle d’émotion coincée qui
remonte maintenant à la surface. Seulement pour être
reprise au piège prochainement et renvoyée au fond,
sous le poids d’une autre tranche de vie. Et ainsi, tout le
processus doux-amer se répète inlassablement, sous des
formes infiniment variées.
Tels sont les hauts et les bas de la vie comme elle se
déroule au-dessus de votre Ligne de Base. Ils alternent
sans cesse, quelle que soit votre attitude : que vous les
maudissiez, les tolériez simplement ou les accueilliez fina­
lement à bras ouverts par la seule grâce de Dieu, ou parce
que vous avez regardé-pour-voir, ou les deux à la fois.
L’art de gérer les vicissitudes inévitables de la vie, c’est
l’art de faire confiance à ce qui les sous-tend, la capacité
d’être consciemment le théâtre imperturbable de toutes
ces perturbations. Ici, vous êtes le roc sur lequel repose

215
le monde, où tout commence et tout finit. Unique, éter­
nel, immuable, vous êtes le Moteur Immobile.

Pour résumer et conclure, que devez-vous faire concrè­


tement par rapport à la dépression qui vous terrasse en ce
moment-même ?
La réponse est double. Premièrement, Voyez Qui vous
êtes, puis voyez ce qui se produit. C’est la proposition
essentielle de ce livre, l’hypothèse de base qu’il faut tester
jour après jour : la solution de votre problème quel qu’il
soit, c’est de voir qui a le problème. Non pas de compren­
dre, ni de sentir, ni de penser qui a le problème, mais de
vraiment regarder ce «QUI» et attendre le résultat de
cette observation. Cette attitude est toujours possible,
quelles que soient les circonstances. Le reste ne dépend
pas de vous.
Et voici la seconde partie de notre réponse. Voyez Qui
vous êtes, voyez ce qui se produit, et faites confiance. Si, à
cause de votre tempérament dépressif, ou de votre condi­
tionnement, ou des circonstances particulièrement diffici­
les dans lesquelles vous vous trouvez, votre dépression
persiste malgré tout, alors votre seul recours est de vous
y soumettre, de bon gré. L’acceptation est extrêmement
importante. Cela change tout. Plus que la dépression

216
acceptée, la dépression à laquelle on s’abandonne en toute
confiance comme à un mal momentanément nécessaire
mais qui recèle des bienfaits cachés n’a rien de commun
avec la dépression au vieux sens du terme. C’est à elle que
le sage du Tao Tô King fait allusion lorsqu’il dit que lui
seul est déprimé. C’est le lait du sein de la Mère qui
contient les vitamines qui vous sont essentielles.
Pour reprendre les termes d’un chapitre précédent, le
caractère de votre dépression a changé du tout au tout.
Oui : du tout au tout. Car elle se situe maintenant au
niveau (III) de votre volonté (ce que vous voulez vrai­
ment, vraiment) et non plus au niveau (II) (ce que vous
voulez vraiment), ni au niveau (I) (ce que vous croyez
vouloir). La nature de ce changement et la sensation
que vous en aurez sont encore inconnues de vous. Mais
attendez avec confiance. Préparez-vous à une joie qu’on
ne peut atteindre autrement qu’en traversant ce cauche­
mar monstrueux et mystérieux que nous appelons DE­
PRESSION.

L’INDECISION
La façon dont nous parlons de notre incapacité à
prendre une décision révèle avec éloquence le stress que
nous subissons. Nous sommes déchirés entre des influen­
ces, des principes, des mobiles, des lignes de conduite
incompatibles. Nous sommes tiraillés, écartelés, tourmen­
tés par l’indécision. Le degré de tension varie énormé­
ment selon qu’il nous faut choisir entre une famille et
une carrière, sélectionner une pomme sur un plateau de

217
fruits, un programme à la télévision, ou décider quelle
carte on va jouer. Il dépend également de nombreux
facteurs tels que l’urgence du problème en jeu, le poids
respectif des termes de l’alternative, depuis combien de
temps ils sont en balance et à quel point vous êtes résolu
ou non ou croyez l’être. Ce serait plus simple - quoique
pas forcément plus facile - si vous deviez toujours choisir
entre ce qui est sage et ce qui est insensé, entre la pru­
dence et la témérité, entre le bien et le mal. Mais vous êtes
si souvent obligé de choisir entre deux maux que de toutes
manières vous vous retrouvez avec des ennuis. Par exem­
ple : faut-il prendre des analgésiques qui obscurcissent la
conscience ou supporter la douleur ? Faut-il empoisonner
les taupes qui réduisent votre pelouse à l’état de terrain
vague ou les laisser continuer? Vous pourriez également
éviter tous les dilemmes possibles en devenant membre
d’une institution qui prendra les décisions pour vous.
Mais même cette solution extrême ne sert à rien. Ou si
elle est efficace, elle équivaut à un suicide. Il n’y a rien à
faire, on est obligé de choisir tout le temps. Vous avez
choisi de porter tel vêtement aujourd’hui, de vous asseoir
dans tel fauteuil, de lire ce livre plutôt qu’un roman
policier, d’étudier ce paragraphe sur l’indécision au lieu
de vous lever et d’aller vous faire une tasse de thé. Du
berceau jusqu’à la mort, votre vie consiste à choisir,
choisir, choisir sans cesse. Ce qui signifie qu’au mieux
vous êtes légèrement, mais constamment, stressé. Et au
pire, tellement tiraillé que, comme pour l’âne incapable de
choisir entre deux carottes également appétissantes, votre
indécision vous tue.
Si vous me répondez que la vie est ainsi et que vous n’y
pouvez rien (à part éviter les endroits où il faut choisir
entre deux carottes, comme les champs de courses, les
casinos et les marchés financiers), eh bien évidemment je
suis obligé d’en convenir, dans la mesure où il s’agit de
l’histoire superficielle de votre vie. Je suis sûr que si vous
deviez surveiller mon comportement quotidien, vous en
concluriez - à juste titre de votre point de vue - que moi
aussi, je vis en faisant des choix. Que ma vie, comme la

218
vôtre et celle de tout le monde, se déroule dans une
successions d’impasses et est donc stressée. C’est très
certainement l’image que les autres en ont.
Mais ce n’est pas la réalité. C’est ce que nous paraissons
être, mais pas ce que nous sommes. S’il y a une leçon que
nous devrions déjà savoir, s’il y a une découverte essen­
tielle que nous ayons faite à plusieurs reprises au cours de
notre étude, c’est que les apparences sont trompeuses et
vous n’êtes pas du tout ce que vous paraissez être. Bien
plus, l’histoire de votre vie vue de l’intérieur est absolu­
ment le contraire de celle vue de l’extérieur. Cette loi
s’applique parfaitement à votre pouvoir de décision, ou
ce que l’on appelle ainsi. Toutes vos hésitations doulou­
reuses entre des solutions contradictoires, toutes les ten­
sions créées par l’obligation de choisir entre deux
solutions tout aussi mauvaises ou deux solutions plus ou
moins bonnes... tout cela n’est que gesticulation super­
flue, coup monté, du vent... La vérité du point de vue
de la Ligne de Base, c’est que vous n’avez jamais eu à
faire un choix, n’en avez jamais fait et n’en ferez jamais.
Votre nature-même est de saper, de miner le choix, de le
faire voler en éclats avec toutes les tensions qu’il recèle.
Incroyable?... Inquiétant?... Je devine vos protesta­
tions : « Je choisis, donc je suis. Attention ! en suppri­
mant mon stress, ne me supprimez pas, moi ! » Bon.
Assez de généralisations, prenons des exemples. Voici
une anecdote autobiographique datant d’il y a quelques
années :
Comme il arrive souvent sur la route de la vie, je me
trouvais à un carrefour, hésitant sur la voie à suivre.
J’avais fabriqué un prototype, un instrument (l’idée en
était simple mais la forme compliquée), pour montrer
aux gens CE qu’ils sont et ce qu’ils ne sont pas : un
moyen pour transmettre le message de ce livre visuelle­
ment plutôt que verbalement. Fallait-il prendre des ris­
ques, aller de l’avant et fabriquer l’objet en série pour le
lancer sur le marché, ou bien le garder pour moi? Il y
avait autant de «pour» que de «contre». D’une part,
j’avais le soutien pratique d’un ami enthousiaste, bien

219
placé pour en assurer la vente, ainsi que le soutien moral
de nombreux autres. D’autre part, il allait me falloir
beaucoup de temps et d’argent pour obtenir le brevet
d’invention et assurer la fabrication, et je n’avais aucune
expérience en la matière ni aucune vocation pour les
affaires... Eh bien, si vous rapportiez l’histoire vue de
l’extérieur, vous diriez qu’aprés quelques semaines d’hé­
sitations, je choisis finalement la solution aventureuse et
m’engageai irrévocablement à mettre le projet à exécu­
tion. Et vous ajouteriez sarcastiquement que ma décision
se révéla être la mauvaise, parce que dès que je l’eus prise,
je reçus de mon ami plus-du-tout-bien-placé une lettre
très longue et très intéressante de... prison... Inutile de
dire que mon entreprise commerciale fut un fiasco.
L’histoire de cette aventure vue de l’intérieur, vue d’ici,
c’est-à-dire la réalité et non l’apparence de l’affaire, est
tout à fait différente. Je n’ai pas hésité entre action et
non-action et ensuite choisi l’action pour la regretter
presque immédiatement. Non, cela ne s’est pas du tout
passé ainsi. J’ai appliqué le principe et la technique du
Non-choix : pas de prise de décision, pas de regrets, pas
de remords, pas de stress.
Voici le détail de cette technique. Il ne s’agit pas,
lorsqu’on est confronté à un problème, de s’asseoir lâche­
ment et d’attendre que ça se passe. Ni de jouer à pile ou
face ou de consulter un astrologue en espérant un résultat
positif. Pas du tout. Le plan d’action comporte quatre
étapes :
1. - Concentrez-vous sur votre Ligne de Base d’où
émergent les pours et les contres, laissez-les apparaître
en aussi grand nombre et aussi détaillés que possible.
Etudiez-les sous tous les angles. Gardez-les à l’esprit,
vivez avec, ruminez-les, dormez dessus, mais ne recher­
chez pas une décision. Méditez le problème sous tous ses
aspects. Vous êtes l’Ecran sur lequel ils apparaissent et
disparaissent, vous êtes leur Miroir et en tant que tel vous
restez neutre. Il se peut que surgisse, bien en vue sur
l’Ecran, une date limite à laquelle vous devez avoir
trouvé la solution du problème. Méditez cela aussi.

220
2. - Un matin au réveil, ou dans la journée au cours
d’une occupation, tout le scénario se présente à vous
spontanément, inopinément, vous arrivant des profon­
deurs au-delà de la Ligne de Base. La solution proposée
vous semble si parfaite, si adaptée à votre problème que
vous ne doutez pas un instant qu’elle soit la bonne. Elle a
été parfaitement conçue en vous et pour vous, mais non
par vous. En tous cas pas par vous, l’être humain.
Ainsi elle vous arrive empreinte de l’autorité de son
origine qui est le véritable Vous, la Source, le Commence­
ment et la Fin du Monde.
3. - Maintenant, c’est au tour de cette décision elle-
même, qui semble si juste, d’apparaître sur l’Ecran au-
dessus de votre Ligne de Base et de révéler ses limites et
ses défauts. Toutes sortes de doutes vont probablement
surgir. Vous allez voir comme son application est difficile
et tous les problèmes qu’elle pose. Mais à nouveau, n’es­
sayez pas de les résoudre en choisissant entre plusieurs
solutions. Laissez-les mûrir jusqu’à ce qu’à leur tour ils
soient prêts à se résoudre d’eux-mêmes.
4. - Finalement, le plan est exécuté. Et c’est avec
intérêt, et peut-être avec un certain respect mêlé de
crainte que vous le regardez prendre forme. A aucun
moment vous n’avez l’impression d’en être l’auteur. Il se
forme en vous comme les nuages se forment dans le ciel,
ou des dessins compliqués dans un kaléidoscope.
Telle est donc la technique du Non-choix qui vous évite
de vous stresser inutilement. Elle est efficace et créative,
car elle produit des solutions naturelles, imprévisibles,
parfaitement adaptées, que vous ne pourriez jamais trou­
ver personnellement. Et s’il en est ainsi c’est que, pour
vous dire la vérité, ce n’est pas du tout une technique, ce
n’est pas un «truc» utile pour vous éviter les affres de
l’indécision, et certainement pas une recette pour vous
assurer une vie tranquille à tout prix. Non. Ça marche
parce que c’est ainsi que vous êtes fait, c’est ainsi que
vous fonctionnez de toute façon, que vous en ayez cons­
cience ou non. Tout cette histoire de «choisir une chose
plutôt qu’une autre » est illusoire, une vaste comédie. Les

221
individus pris séparément en tant que tels sont impuis­
sants à changer quoi que ce soit dans un univers où le sort
de chacun d’entre eux est étroitement lié au reste. Pré­
tendre le contraire, prétendre que notre petit moi peut
exercer sa volonté librement est aussi absurde et malhon­
nête que prétentieux et stressant. Seule la Source de tout,
ne subissant aucune emprise, jouit d’un véritable libre
arbitre. Et seuls les actes dictés, inspirés par Elle et
ressentis comme tels ont ce parfum merveilleux d’origina­
lité et de justesse qui n’appartient qu’à Elle. Mais il ne
s’agit pas ici de fatalisme. Il ne s’agit pas de renoncer à la
lutte et d’accepter d’être une machine à l’intérieur d’une
Machine. Il s’agit de s’identifier à l’inventeur de la Ma­
chine, de se situer dans la Liberté-même. Il s’agit d’être
votre Source, de choisir ce qui vient d’Elle et d’en per­
cevoir les bienfaits.
Ici, vous pourriez me faire remarquer à juste titre que,
dans mon propre cas, mon refus de choisir m’a conduit
au mauvais choix. De l’avis de mon comptable, de mon
banquier et de tout autre observateur extérieur, certes.
Mais pas du mien. Pas de mon avis de Première Per­
sonne. Le fait est que ces décisions-là, que l’on prend
sans avoir choisi, ne sont jamais mauvaises. Inconforta­
bles souvent, douloureuses parfois, mais toujours recon­
nues comme justes en définitive. Quelle différence avec ces
décisions soi-disant personnelles mais qui vous partagent
en deux. Même justifiées par les événements immédiats, et
donc apparemment bonnes au début, elles se révélent
négatives à long terme. Et l’on éprouve la sensation très
nette d’avoir commis une erreur, une erreur fatale peut-
être.
Pour terminer ma propre histoire, mon invention plus
exactement ma non-invention, le bébé que j’ai aidé à
mettre au monde n’est pas mort-né. Il a montré à cer­
tains amis et rappelé à d’autres la voie pour rentrer Chez
Eux, là où le Monde commence et finit. Et quel
comptable pourrait chiffrer la valeur d’un seul de ces
Retours à la Maison? Par ailleurs, comment isoler une
démarche des autres ? C’est un tout. Le monde ne sera pas

222
gagné à ce mode de fonctionnement par de petites victoi­
res çà et là, mais par une large victoire sur le plus vaste
des fronts. C’est la marée et non une succession de va­
guelettes qui inonde la plage.
Au-dessus de votre Ligne De Base, c’est le monde du
Non-choix. Là, tout est pris dans les fils serrés de la toile
du conditionnement mutuel, et la liberté est une illusion.
C’est votre Ligne De Base elle-même qui est le lieu du
Choix, le seul lieu où la liberté soit réelle, puisque c’est ici
que vous voyez qu’il n’y a rien qui puisse contraindre ou
être contraint. C’est ici que vous - Qui vous êtes vrai­
ment, vraiment, vraiment - faites ce Choix suprême, libre,
le seul Choix réel, que Hamlet était incapable de faire.
Quelle angoisse pour lui que cet échec! Mais Vous choi­
sissez d’étre. Ici, Vous décidez librement d’être non seule­
ment l’Origine de toutes choses, mais l’Origine de Vous-
même. Non : ce n’est pas le choix de Hobson. Vous n’êtes
pas obligé d’être. Il n’y a absolument personne ni rien au-
dessous de Vous qui puisse Vous faire apparaître. Regar­
dez, Vous choisissez de Vous produire Vous-même ici et
maintenant. Comment faîtes-Vous cela? C’est LE Mys­
tère. Acceptez mes félicitations !
Il y a une autre façon d’envisager les choses. Vous
savez dans votre cœur que vous avez la liberté de choix.
Vous en êtes parfaitement sûr. Mais dans votre tête, vous
n’y croyez pas, parce que vous êtes complètement condi­
tionné, de l’extérieur par votre environnement, et de
l’intérieur par votre hérédité. Et vous ajouterez peut-être
que seul l’inconditionné, alias Dieu, a le pouvoir de
choisir. Mais il n’y a là aucune contradiction. Le vous
apparent qui n’a pas le choix se situe au-dessus de la
Ligne De Base, alors que votre Vous véritable qui a le
choix se situe sur elle.
Votre cœur vous dit que c’est vous qui choisissez. Votre
tête vous dit que seul Dieu choisit. A eux deux, ils vous
disent Qui vous êtes, en ce moment-même.
En fin de compte, le seul moyen d’être exempt de stress
c’est d’être Lui, ou Elle, ou Ça (à vous de choisir le
pronom qui vous convient) qui est la Liberté Elle-même.

223
Et voici quelques réflexions que j’aimerais vous sou­
mettre à propos de cette Ligne De Base :

« Les autres acquièrent de l’autorité sur vous si votre


volonté est distincte de celle de Dieu. »
Rabbin Nahnan de Bratzlav

«C’est parce que nous ne sommes pas assez proche


de Toi pour partager Ta liberté que nous voulons
notre propre liberté différente de la Tienne. »
George Macdonald

« Pour Dieu, la liberté est nécessaire ! »


Vladimir Soloviev

Je ne cherche pas ici à montrer seulement à quel point


les réflexions de ce genre sont conformes à la réalité, mais
plutôt à montrer comment vivre ainsi. Sans tensions. Et
quelle que soit notre religion si nous en avons une.

L’ECHEC
Qui d’entre nous n’a eu, à un certain moment de sa vie,
le sentiment d’avoir tout raté, du moins à ses propres

224
yeux? Combien - même parmi ceux d’entre nous qui
semblent avoir réalisé leurs ambitions les plus audacieu­
ses - sont intimement persuadés d’avoir vraiment réussi,
de ne s’être jamais trahis, d’avoir tenu leurs promesses de
jeunesse et accompli l’essentiel de ce qu’ils avaient à
accomplir?
Comme il nous coûte cher en stress et détresse l’amer et
triste récit de défaite que nous avons à conter, ou pour­
rions conter si ce n’était pas si humiliant! Si réussir
signifie vivre la vie que nous aimons, faire le travail qui
nous plaît, et apporter une contribution peu glorieuse
mais indispensable au bien de la communauté, alors je
pense que ceux qui ont le mieux réussi sont ces ouvriers
qualifiés ou spécialisés que personne ne saurait accuser
d’être dévorés d’ambition. Par ailleurs, si échouer signifie
avoir le sentiment de n’avoir pas réussi à acquérir dans
notre vie publique le pouvoir, la gloire ou la position
sociale que nous pensions mériter, et dans notre vie pri­
vée les amis dévoués et les relations heureuses que nous
aimerions avoir, alors oui, nous avons vraiment tout raté.
Notre vie est un fiasco, même si le monde entier nous dit
que c’est un succès éclatant.
En fait, rétrécissements et désappointements progres­
sifs sont les motifs dominants de notre vie, aussi répéti­
tifs et ennuyeux que les motifs d’un papier peint. Espoirs
flamboyants, vastes potentialités et multiples possibilités

225
de choix sont jetés par-dessus bord à mesure que nous
vieillissons. Le nouveau-né d’aujourd’hui pourrait être le
Bouddha ou le Christ de demain (B) : le monde ABC est
son huître. L’enfant d’aujourd’hui pourrait réussir (E),
mais son huître a déjà rétréci (DEC). Le jeune d’au­
jourd’hui pourrait réussir assez bien (G), mais son huître
a encore rétréci (FGC). Et ainsi de suite jusqu’à la vieil­
lesse où, de rétrécissement en rétrécissement, il ne lui reste
plus que la coquille de l’huître. Il est fichu. Sa vie, toutes
nos vies, sont des morts lentes, du berceau à la tombe,
vouées à l’échec. Léonard lui-même a échoué sur bien des
plans, et n’a certes pas réussi à rester vivant.
En même temps, il y a quelque chose en nous qui n’est
pas dupe, qui s’insurge devant cette contraction impla­
cable, défaite après défaite. Il y a la sensation d’avoir
été floué. Et nous sommes stressés et affligés, dans notre
subconscient du moins. On pourrait dire de la plupart
d’entre nous, adultes, que si nous ne sommes pas déçus
par la vie, si nous n’avons pas un sentiment d’échec et de
frustration (sinon d’amertume), c’est que nous ne sommes
qu’à demi-éveillés et n’avons que très peu conscience de
notre valeur et de nos capacités réelles, même si nous les
connaissons au plus profond de nous-même. Dans la
mesure où nous nous sommes vraiment éveillés et avons
soif de vivre, nous savons pertinemment que quelque
chose manque, que quelque part on s’est trompé de clef
et que la porte ne s’est pas ouverte. Nous savons qu’il
existe un horizon plus vaste que nous avons perdu et un
secret dont nous avons oublié l’essentiel, un Saint-Graal,
un talisman ou un élixir qui nous attend juste au-delà de
notre champ de vision et remettrait tout en place, nous
guérirait de notre mal. Car l’échec est une affection
grave !
Eh bien, le remède existe. Il est à votre portée et à la
mienne dès à présent, il suffit de le demander. C’est celui
que nous allons prendre par voie interne, comme n’im­
porte quel autre médicament, à raison d’une dose quoti­
dienne. Il est souverain contre l’échec. C’est une recette
pour un succès total, secréte mais soigneusement testée.

226
Mais d’abord, définissons bien le genre de santé que
nous souhaitons. Qu’est-ce que le succès? Comment dé­
cririez-vous une personne qui a vraiment réussi? Par
exemple: quelqu’un pour qui le mot «défaite» n’a pas
de sens, quelqu’un qui ne recule jamais devant aucun
obstacle et accomplit le grand destin qu’il ou elle s’est
fixé, infatigablement, contre vents et marées, jusqu’au
bout? Définition prolixe, mais qui correspond bien au
genre d’homme ou de femme que j’ai à l’esprit. Je
pense, par exemple, à Thérèse de Lisieux. Elle disait
qu’elle était sûre d’être née pour un grand destin, et
dans son cas le grand destin signifiait devenir une grande
sainte. (Vous et moi préférons sans doute d’autres grands
destins, mais peu importe, la grandeur reste la même sous
des formes infiniment variées.) Elle accomplit cette tâche
formidable avec un succès incroyable, bien qu’elle mourût
à 24 ans. S’il existe un mot qui résume sa vie, c’est :
héroïsme. En général, être grand c’est être un héros. Et à
vous personnellement je dirai : lorsque vous avez les
armes d’un héros (et vous les avez) et que vous savez les
utiliser (et vous le savez) et que vous avez le courage de
les utiliser (et vous avez ce courage), eh bien alors, vous
avez tout pour devenir un héros de première classe (ou
une héroïne, bien sûr. L’un de mes dictionnaires donne le
mot « héros » pour les deux sexes et c’est dans ce sens que
je l’utilise.)
Peut-être la définition du héros n’est-elle pas encore
très claire. Dans ce cas, nous ne pouvons mieux faire
que nous tourner vers la Grèce Antique. La littérature
grecque fourmille de héros dont les exploits mystiques
ont intrigué et inspiré le genre humain depuis lors.
C’étaient bien plus que des récits exaltants. Beaucoup
plus profond et édifiant que ne le soupçonnaient les
anciens Grecs eux-mêmes, leur message n’a pas encore
été totalement déchiffré. Il est extrêmement important
pour nous ici, car il livre le secret de la réussite su­
prême, avec une précision sans pareille et une grande
richesse d’images.
Prenons l’histoire du héros Persée. Elle regorge d’ensei­

227
gnements pour nous, d’autant plus riches qu’ils font appel
à l’imagination.
Persée était à moitié divin, à moitié humain, fils de
Zeus, le Père des dieux, et de Danaë, simple mortelle.
Le père de Danaë, Acrisius, avait été averti qu’il serait
tué par le fils de sa fille. Il prit donc la précaution d’en­
fermer cette dernière dans une tour de laiton. Mais Zeus,
loin de se décourager, prit la forme d’une pluie dorée,
traversa le toit et la féconda, engendrant ainsi Persée.
Quand Acrisius découvrit que sa fille avait donné nais­
sance à un fils, il les jeta tous deux à la mer dans un
coffre. Mais Zeus les fit débarquer sains et saufs à Séri-
phos, où un pêcheur les secourut et les conduisit au roi du
pays qui les reçut en amis.
Lorsque Persée atteignit l’âge adulte, le roi lui confia la
tâche redoutable de tuer la Méduse, l’une des terribles
sœurs Gorgones, dont la tête était couverte de serpents
menaçants en guise de cheveux - vision si effroyable
qu’un seul regard sur elle vous transformait en pierre.
Notre héros entreprit de s’équiper pour l’aventure avec
le plus grand soin. D’abord il alla trouver les Moires, ces
trois sœurs qui n’avaient qu’un seul œil pour elles trois, et
le leur déroba tandis qu’elles se le passaient l’une à l’au­
tre. Ensuite il les obligea à le guider jusqu’aux Nymphes
qui lui donnèrent les Sandales Ailées (conférant à celui
qui les portait le pouvoir de voyager très rapidement dans
les airs), la Bourse Magique (servant à faire disparaître et
réapparaître les choses) et le Chapeau de l’invisibilité
(donnant à celui qui le portait le pouvoir de disparaître
à volonté). Athéna, la déesse personnifiant la sagesse et la
puissance idéales, lui prêta le Bouclier Miroir, qui seul
permettait de regarder la Méduse sans danger. Finale­
ment, Hermès lui offrit une magnifique épée pour décapi­
ter le monstre.
Ainsi muni de cette panoplie formidable, notre héros
découvrit la Méduse, la décapita sans la regarder directe­
ment, cacha sa tête dans la Bourse Magique et s’en alla
tranquillement sans craindre la fureur des deux sœurs
grâce au Chapeau de l’invisibilité.

228
Telle est, en résumé la célèbre histoire de Persée le Héros
et de Méduse la Gorgone. Et c’est également, si nous le
voulons bien, notre propre histoire en neuf paraboles :

1. Le héros divin-humain

Persée était mortel par sa mère et divin par son père.


Votre nature aussi est double. Vu de l’extérieur, vous
n’apparaissez que trop humain et mortel. Vu de l’inté­
rieur, vous êtes manifestement tout le contraire.

2. La Chute

Persée est tombé à la mer. Il va à la dérive, toute trace


de sa divinité a disparu, il manque de se noyer... quel
échec! Vous aussi êtes descendu dans le monde, vous
êtes perdu, en danger de mort.

3. La mission

Ayant survécu à toutes les adversités et atteint l’âge


adulte, Persée est chargé de résoudre LE problème, celui
de la «pétrification». Autrement dit, de la solidification
personnelle, puisqu’il est universellement admis (à tort)
que l’on est enfermé dans un corps, rétréci aux dimen­
sions d’un objet comme tous les objets qui sont là-dehors.
Pour vous, lorsque vous sortez de l’état de bébé, le visage
de votre mère et tous les visages que vous voyez devien­
nent en fait celui de la Méduse vous persuadant que vous
êtes comme elle, que cette chose que vous regardez est
identique à Ce qui la regarde. Désormais votre tâche
consiste à démonter ce mensonge. Vous devez trouver le
moyen de regarder, d’affronter ce visage, tous les visages,
sans vous laisser changer en pierre, le moyen de voir que
vous n’avez rien de commun avec ces objets. Et vous êtes
déjà merveilleusement équipé pour cette mission, grâce à :

229
4. L’Œil Unique

D’abord, vous avez besoin, comme Persée, de votre Œil


Unique ou Troisième Œil. Pour cela, il vous suffit de
prendre conscience que vous n’avez jamais regardé avec
autre chose.

5. Les Sandales Ailées

A nouveau, il vous suffit d’être réellement attentif pour


voir que le monde vous est donné en deux dimensions : en
hauteur et largeur, mais sans profondeur. Persée, chaussé
des Sandales Ailées, peut aller partout. Mais vous faites
mieux que cela : vous êtes partout, instantanément.

6. La Bourse Magique

Comme Persée encore, vous avez à votre disposition le


Vide qui sans cesse absorbe et produit tous les trésors du
monde. Vous êtes réellement cette Bourse Sans Fond et
cette Corne d’Abondance. Par essence vous êtes Capacité,
Espace Infini pour accueillir tout ce qui se présente. Et
vous êtes capable de produire ce qui est nécessaire.

7. Le Chapeau de l’invisibilité

Voyez comme votre couvre-chef disparaît en même


temps que la tête sur laquelle vous imaginiez le mettre.
L’art de vivre, de vivre sans stress, c’est de porter le
Chapeau de l’invisibilité dedans et dehors, en-haut et
en-bas, et - oui ! - même dans la chambre de votre bien-
aimé(e). Où que vous soyez et quoi que vous fassiez.
Souvenez-vous du petit poème de Karen: «Tous ces
gens autour de vous, et vous n’êtes tout simplement pas
là!»

230
8. Le Bouclier Miroir

Le Bouclier Miroir d’Athéna est ce que vous voyez


lorsque vous faites pivoter votre attention de 180° et
regardez Qui regarde. C’est la Transparence qui, en
vous, enregistre actuellement ces mots imprimés. Quand
vous oubliez votre Bouclier Miroir, chaque tête que vous
regardez vous transforme immédiatement en ce qu’elle est
elle-même, en «pierre». Mais lorsque, plongeant votre
regard dans votre Bouclier Miroir, vous voyez le reflet
de cette tête dans cette Absence-totale-de-tête, il n’y a
plus aucun danger. Vous ne risquez pas d’être changé en
pierre.

9. L'Epée Magigue

En réalité, il n’y a qu’une seule Méduse dans tout le


pays, une seule tête funeste couverte de serpents, et c’est
la vôtre, exactement où vous êtes, en ce moment-même.
Toutes les autres sont parfaitement normales comme
vous pouvez le voir, pas la moindre trace de serpents!
Alors votre mission de héros est de couper cette mons­
truosité venimeuse d’un seul coup net de votre Epée
Magique. En fait votre Epée est déjà en place sur votre
cou, en train de vous décapiter! Oui, bien sûr, ce n’est
rien d’autre que votre propre Ligne De Base au-dessous
de laquelle votre tête imaginaire, par contraste avec tou­
tes celles que vous voyez au-dessus de la Ligne, est une
absurdité et un mensonge. Mais un mensonge assez réel et
monstrueux pour empoisonner toute votre vie.
Quelle lucidité, quelle richesse d’enseignements dans
cette histoire ancienne ! C’est l’histoire de votre victoire.
Elle est déjà accomplie, totale, inconditionnelle. Ce n’est
pas une victoire aux dépens des autres. Elle sert vos
ambitions les plus modestes. Elle dissout votre stress...
Comment cela? C’est ce que nous allons voir.

231
C’est votre victoire

Ce n’est pas simplement une grande épopée mythique,


l’archétype de la victoire personnelle de quelqu’un d’autre
sur de terribles adversités. C’est le récit de votre propre
triomphe. Les expériences que vous avez déjà faites, de­
puis celle de l’Œil Unique jusqu’à celle de la Ligne De
Base, ne sont rien d’autre que votre victoire sur l’horrible
Gorgone, merveilleusement anticipée par les Grecs il y a
2 500 ans.

Elle est déjà accomplie

Vous êtes sorti indemne de l’épreuve. Vous avez gagné.


Il ne vous reste plus désormais qu’à éviter de vous endor­
mir et rêver que vous êtes un perdant et un raté. Le plus
drôle, c’est qu’à partir de maintenant votre grande mis­
sion héroïque consiste à ne jamais cesser de voir qu’elle
est déjà accomplie.

Elle est totale

C’est la seule histoire de réussite à cent pour cent. Tout


ce que vous faites d’autre, tout ce que quiconque fait
d’autre, peu importe ce que c’est, est imparfait. Cela
pourrait être mieux fait, ou durer plus longtemps, ou
donner plus de satisfaction. Mais votre performance hé­
roïque ne pourrait être améliorée d’un iota. Elle est par­
faite du premier coup. Persée n’était pas un « yuppie ». Il
ne suivait pas des cours du soir pour apprendre à tuer les
Monstres et n’a certainement jamais été apprenti-héros. Il
n’a pas eu besoin de tout cela, parce qu’il s’est assuré que
tous les dieux étaient de son côté. Comme vous. Vous
avez tous les deux une chance inouïe.

232
Elle est inconditionnelle

Un succès partiel ordinaire est quelque chose que l’on


gagne. On ne gagne pas la victoire parfaite. Ce n’est pas
une question de valeur. Vous ne la méritez pas. Vous êtes
la victoire, en dépit de tout. Si vous n’êtes pas un per­
sonnage admirable, souvenez-vous que Persée ne l’était
pas non plus. La façon dont il a traité les Sœurs Moires
était scandaleuse. Il les a tout simplement agressées !

Elle sert vos ambitions les plus modestes

Les tâches qui ne sont pas accomplies par Qui vous êtes
vraiment, vraiment, vraiment, ne le sont jamais parfaite­
ment. Quand vous commencez à vivre la « vie héroïque »,
c’est-à-dire vivre à partir de votre véritable Nature, votre
nature humaine périphérique en bénéficie forcément.
Vous ne pouvez pas savoir d’avance comment ni quand,
mais vous pouvez compter sur Vous-même-le-héros-su-
perhumain pour donner un coup de main à vous-même-
l’être-humain-non-héroïque quand c’est nécessaire.

Elle dissout votre stress

En accomplissant votre mission, en même temps que


vous avez tranché votre horrible tête de Méduse (horrible
parce que placée au mauvais endroit), vous vous êtes
débarrassé du stress qu’elle faisait peser sur vous. Grâce
à votre Epée Magique, vous dessinez et redessinez votre
Ligne De Base jusqu’à ce qu’elle reste définitivement
tracée. Vous DÉCAPITEZ LE STRESS. Et vous le laissez se
dissoudre dans la vacuité, vous le déversez dans ce lieu
qui est Absence de Lieu. C’est une Epée Magique car ce
qu’elle coupe n’est pas tout simplement retiré, c’est anni­
hilé. Il n’y a pas de restes, pas de problème d’enlèvement
de débris.
Tout le reste, tout ce que vous entreprenez d’autre est

233
un échec en soi. Cela finit toujours par tomber en ruines,
par se résorber complètement jusqu’à n’être plus qu’un
simple point sur cette Ligne. Cela descend jusqu’au fond
du Puits de l’Enfer, pour ainsi dire. Mais comme nous
l’avons vu, ceci n’est pas une fin. Si l’on n’oppose aucune
résistance, c’est le plus joyeux des commencements. Ici,
l’implosion totale est suivie immédiatement de l’explosion
totale. Tout ce qui arrive sur votre Ligne De Base est
Vous, et en tant que tel un succès complet. Lorsque
vous vivez consciemment à partir de cette Ligne, Vous
êtes le monde. Certes, tout ce qui le compose (entre
autres et non des moindres, le personnage qui figure sur
votre passeport) est en perpétuelle fluctuation et dissolu­
tion, aussi éphémère que les étincelles jaillissant de l’eau
qui scintille au soleil. Mais cela ne fait que mettre en relief
votre victoire impérissable et son caractère unique. Elle
implique tous ces composants et brille de toutes leurs
étincelles.
Pour être un héros et réussir parfaitement, vous triom­
phez du monde en descendant à sa Base et en vous
déployant en éventail à partir de là. C’est le salut du
monde.
Regardez. Y a-t-il une alternative?

LA SOLITUDE
Il va presque sans dire que le sentiment de solitude, le
stress et la souffrance se tiennent compagnie dans les
ténèbres des profondeurs et que la communion, la légè­
reté et la joie - ou du moins le détachement par rapport à

234
la souffrance - se trouvent sur les sommets radieux.
« Riez et le monde rira avec vous, pleurez et vous pleure­
rez seul. » S’il ne le résume pas, ce vieil adage est du moins
une bonne introduction à ce chapitre.
On en trouve l’expression classique dans la Divine
Comédie de Dante. Au-dessus des étoiles, le Ciel des
Ciels recouvre le chaudron bouillonnant de l’univers du
plus magnifique des couvercles. C’est un vaste amphithéâ­
tre où des myriades d’âmes bienheureuses sont rassem­
blées en une communion étemelle, resplendissantes dans
leur corps de résurrection - foule immense de personnes
unies dans un tel amour qu’elles ne se lassent jamais les
unes des autres, ne fut-ce qu’un instant. Excepté Lucifer et
sa bande, aucune d’entre elles ne quitte jamais la pièce
pour prendre l’air, encore moins pour aller visiter ce lieu
si étriqué où, bon gré mal gré, nous nous sentons isolés ici-
bas. Il semble que ces âmes bienheureuses n’éprouvent
jamais le besoin de s’éloigner un moment de ce paradis
merveilleux, où régne une entente paisible et unanime,
pour aller faire l’expérience stressante de la pensée et des
émotions indépendantes. C’est précisément cette sorte de
comportement rebelle qui a provoqué la chute de Lucifer
en Enfer, tout au fond du chaudron où il n’y a aucune
harmonie, où tout le monde est à couteaux tirés, où
chacun est seul et soumis à un stress terrible. Entre ces
deux pôles, à mi-chemin entre le zénith de l’unité et le
nadir de l’aliénation, se trouve la scène terrestre qui nous
est familière - compromis instable entre ces deux extrê­
mes. Ici réflexe de séparation et désir de communion se
livrent un combat dont l’issue reste toujours indécise, tels
deux vieux époux qui ne peuvent ni vivre ensemble ni se
séparer.
Eh bien, si cette image (abstraction faite du décor
théâtral et de la licence poétique) nous donne une idée
de la situation dans laquelle vous et moi nous trouvons,
notre avenir semble bien sombre. Apparemment nous
devons choisir entre trois maux : l’union monolithique
tout là-haut, la séparation et la solitude tout en-bas, et
ici au milieu, un mélange des deux fort peu satisfaisant.

235
Telles sont les apparences. Mais il devrait y avoir, et il
y a bel et bien un moyen d’échapper à ce « trilemme ». Au
point où vous en êtes, vous savez maintenant où est la
sortie. Mais avant de nous esquiver, examinons à nou­
veau ce problème de la solitude d’un point de vue plus
banal et contemporain.
Le sentiment de solitude est l’une des formes les plus
déprimantes que puisse prendre le stress. Certains d’entre
nous en souffrent beaucoup, d’autres peu, en tous cas
consciemment. D’où vient cette différence? Qu’est-ce
qui fait qu’une personne ne se sente pratiquement jamais
seule, pas même sur son lit de mort, alors qu’une autre
souffre de la solitude presque constamment, même dans
une foule, même en famille - peut-être même plus encore
en ces occasions-là ?
La première réponse, qui n’en est pas vraiment une
parce qu’elle est trop facile et élude la question, c’est
que certains d’entre nous sont nés solitaires et d’autres
avec l’instinct grégaire. Certains d’entre nous seraient du
type Clint Eastwood et d’autres du genre des braves
citoyens sociables que ce dernier est heureux de quitter
lorsqu’il part au galop vers le désert. En d’autres termes,
chacun de nous a un caractère dont il ou elle doit s’ac­
commoder, et nous n’y pouvons pas grand chose.
En réalité ce n’est pas vrai : nous y pouvons beaucoup,
comme nous allons le voir. Mais, pourquoi ces différen­
ces ? Il y a des raisons plus importantes que notre carac­
tère. Par exemple : notre milieu socio-culturel,
l’ancienneté et la maturité de la civilisation à laquelle
nous appartenons, notre âge et les circonstances particu­
lières de notre vie présente.

1. Les facteurs culturels

Si vous apparteniez à une culture tribale ancienne qui


ait survécu aux temps modernes et que je vous interroge
sur vos sentiments de solitude, il y a de grandes chances
que vous ne sauriez même pas de quoi je vous parle. Très

236
probablement il ne vous serait jamais venu à l’esprit que
vous puissiez être un individu distinct de vos compa­
gnons, ayant des opinions et des humeurs personnelles.
Vous avez l’instinct grégaire, vous n’êtes pas un solitaire.
Votre style de vie, c’est la communauté et la solidarité
sociale. A tel point que si, pour une raison ou une
autre, vous vous trouviez séparé ou expulsé de la tribu,
il ne vous resterait qu’à vous coucher pour mourir. Une
vie à la Robinson Crusoé serait impensable pour vous.
Dans votre culture, il n’y a pas de place pour le sentiment
de solitude.
De même, si vous êtes un Japonais ou un Chinois
raffiné et que je vous demande de me parler de vous-
même, il y a de grandes chances que vous m’expliquerez
en détail quels sont votre place, votre rôle dans votre
famille, au bureau ou à l’usine, dans tel ou tel club dont
vous faites partie. Vous vous définirez vous-même en
termes de relations plutôt qu’à titre d’individu.
Mais si, au contraire, vous êtes Américain, Scandinave
ou Anglais et qu’on vous pose la même question, il y a de
grandes chances que vous parlerez de vos passe-temps
favoris, de vos livres et de vos films préférés, de vos
espoirs et de vos craintes quant à votre avenir person­
nel, de votre psychologie, de vos états d’âme, et peut-
être de votre sentiment de solitude. L’Oriental a ten­
dance à se considérer lui-même comme faisant partie
d’un tout, inséparable de ses semblables. Tandis que
nous, Occidentaux, avons plutôt tendance à nous consi­
dérer comme libres et indépendants, nouant de multiples
contacts avec nos semblables, bien sûr, mais essentielle­
ment uniques dans notre individualité. Et dans ce sens,
solitaires.
En général, les attitudes et tendances que nous attri­
buons à notre tempérament particulier sont déterminées
beaucoup plus que nous ne le pensons par notre environ­
nement culturel, et même géographique.
Que faire, donc, si nous nous sentons pris dans les filets
des obligations sociales? Partir dans les bois avec Tho­
reau ou vers les Mers du Sud avec Gauguin? Ou si nous

237
nous sentons trop seul et centré sur nous-même, rejoindre
une communauté rurale vouée à l’amitié, à la vie simple et
au travail en commun ? Ou adopter une religion orientale
ou occidentale qui, dès que nous réussissons à croire ce
qu’elle nous demande de croire, nous offre la compagnie
d’autres croyants ?
Bien sûr, nous devons essayer de sortir de notre isole­
ment par tous les moyens que notre conscience et notre
bon sens nous permettent. Mais si nous croyons que la
solution adoptée sera durable, nous risquons fort d’être
déçus. Les racines de notre conditionnement culturel sont
bien plus anciennes et profondes que nous ne l’imaginons.
Non ! la bonne solution n’est pas de nous arracher
comme des plantes à repiquer et d’essayer de reprendre
racine dans un autre sol : il nous faut en trouver une
meilleure.

2. Les facteurs sociaux

Nos attitudes ne dépendent pas seulement de l’endroit


où nous nous trouvons, mais aussi de l’époque où nous
vivons, du niveau de maturité de la culture dans laquelle
nous sommes nés. Prenez notre civilisation occidentale
chrétienne vieille de deux mille ans. Son histoire peut se
résumer en deux mots : individualisation progressive.
C’est-à-dire acquisition d’une conscience de plus en plus
aigue d’un moi séparé, seul et dressé contre les autres
plutôt que placé à côté d’eux ou uni à eux; développe­
ment de la notion de solitude avec tous les avantages
qu’elle comporte en termes d’indépendance, et tous les
inconvénients en termes de stress. Si vous aviez été un
peintre il y a mille ans, il y a fort peu de chances que
vous ayez réalisé le moindre portrait individuel ou signé
vos œuvres. Vous seriez au contraire resté tranquillement
anonyme, heureux de vous fondre dans la communauté.
Il est également probable que vos opinions et votre
comportement auraient différé très peu de ceux de vos
contemporains, et que même vos états d’âme auraient

238
été calqués sur les modèles extérieurs plutôt qu’inspirés de
l’intérieur. Ainsi, selon nos critères actuels votre style
aurait manqué d’originalité. Mais ce que vous auriez
perdu en liberté, vous l’auriez gagné en soutien de la
part de la société qui vous aurait épargné la souffrance
de la solitude.
Quelle différence avec notre conception actuelle de la
vie dans cette même civilisation occidentale, mais mille
ans plus tard ! L’individualisme est devenu notre reli­
gion. A des degrés divers, certes, car il y a bien des
groupes différents qui correspondent à des différences
de classe et de vocation. A un bout de l’échelle, il y a
des millions de travailleurs (manuels et autres) dont
l'idéal de vie est d’entretenir de bons rapports de voi­
sinage, d’être dévoués à leur groupe, et de se faire re­
marquer le moins possible par des opinions ou
comportements singuliers, ou par une ambition person­
nelle. Résultat: une assurance mutuelle contre la détresse
de solitude, à un prix jugé relativement peu élevé. A
l’autre bout de l’échelle, se trouvent un nombre assez
limité de personnages marquants - notables, intellec­
tuels, artistes - dont les valeurs sont totalement différen­
tes. Parmi eux, l’originalité et l’individualisme les plus
criants, l’initiative personnelle et le mépris des conven­
tions ne sont pas seulement tolérés : ils sont l’objet de la
plus grande admiration. En général les résultats sont aussi
coûteux pour l’individu qu’ils sont précieux pour la so­
ciété dans laquelle il vit. L’isolement est la maladie pro­
fessionnelle des êtres doués.
Où vous situez-vous, où aimeriez-vous vous situer dans
cette hiérarchie ? Et où que vous vous placiez, quel serait
le prix à payer pour échapper au sentiment de solitude?
Que devriez-vous faire? Que pouvez-vous faire? Les per­
spectives semblent bien sombres, de toute façon, car il
faut choisir entre deux maux : soit renoncer à votre origi­
nalité et à votre amour propre, vous conformer jusqu’à
être tout à fait normalisé et votre sentiment de solitude
sera allégé au détriment de votre originalité - soit renon­
cer à votre conformisme et être aussi agressivement diffé-

239
rent que vous êtes capable de l’être, même si vous devez
vous retrouver horriblement seul. Si l’on pose la question
en ces termes, il n’y a pas de réponse possible. Dans les
deux cas vous aurez des problèmes. En outre cela suppose
que vous et moi soyons capables de changer radicalement
de style de vie sur commande : hypothèse tout à fait
insensée, bien sûr !
Ici, nous nous sommes engagés à trouver une réponse
plus réaliste, une solution raisonnable et applicable, un
remède naturel qui guérisse notre détresse de solitude
sans détruire notre originalité. Une solution qui ne nous
oblige pas à changer de groupe social ou de mode de vie,
ni à faire quoi que ce soit d’ostentatoire ou de bizarre.
Mais il nous faut encore examiner deux autres facteurs
de cette solitude.

3. Les facteurs individuels

Nous avons déjà noté plus haut que votre histoire


personnelle est un résumé, extrêmement condensé bien
sûr, de l’histoire de votre race. Si vous avez été élevé
normalement, et non soumis à des privations ou mauvais
traitements, vous n’avez pas plus souffert de la solitude
pendant votre enfance que vos ancêtres de l’âge de la
pierre. Évidemment, il y a de grandes différences entre
les individus et de nombreuses exceptions à la règle géné­
rale, mais dans l’ensemble le sentiment de solitude aug­
mente avec le vieillissement de l’espèce aussi bien que de
l’individu. Jeunes ou dans la force de l’âge, nous sommes
nécessairement plus impliqués dans la société, plus mêlés
aux autres de toutes sortes de façons que lorsque nous
sommes vieux. En outre, les vieilles personnes (et je parle
en connaissance de cause) n’ont plus le même intérêt pour
les activités qui structurent le temps des jeunes et les
relient à la communauté. Elles n’ont plus envie d’appren­
dre de nouveaux jeux, d’acquérir de nouvelles compéten­
ces, de suivre la mode de l’époque, sans parler d’élever
une famille et de se battre pour que leurs enfants aient

240
une place au soleil. Si la solitude est précisément le mal
des personnes âgées et s’il est difficile d’y remédier, c’est
qu’une partie d’elles-mêmes la souhaite ardemment, alors
que l’autre la déteste. Il n’est guère agréable d’être ainsi
déchiré. J’en sais quelque chose.
Lorsqu’avec l’âge survient l’isolement, faut-il donc ré­
gresser et redevenir pour ainsi dire un enfant, afin d’igno­
rer le fléau de la solitude à quatre-vingts ans comme à huit
ans? Non. De toute évidence, même si elle apporte un
soulagement partiel, la sénilité est pire que le mal origi­
nel, et en tout cas il n’est pas en notre pouvoir de la
susciter. {Devenir comme les petits enfants est tout à fait
autre chose. C’est la régénération et non la dégénéres­
cence.) Le véritable remède au sentiment de solitude que
nous allons voir bientôt est devant nous et non derrière.
C’est un progrès audacieux et non une régression.
Mais avant de franchir ce pas, consacrons un moment
à ce que d’aucuns pourraient appeler « le remède sensé »
(et ils ajouteraient sans doute : «... ce n’est pas trop tôt ! »)

4. Les facteurs circonstanciels

Il se peut que votre sentiment de solitude soit dû à un


changement radical des circonstances de votre vie : la mort
de votre conjoint, le départ d’un enfant bien aimé ou d’un
ami intime. Ou bien vous avez été obligé de déménager et
vous vous retrouvez dans une ville inconnue apparemment
moins accueillante où tout vous est étranger. Ou encore
vous êtes parti à la retraite et vous réalisez soudain à quel
point vos collègues de travail vous permettaient d’entrete­
nir cette image de vous-même membre-utile-apprécié-et-
respecté de la société. Votre sentiment de solitude est
alors beaucoup plus lié au ternissement de cette image et
à votre répugnance à vous percevoir comme solitaire qu’à
un véritable manque de compagnie.
Loin de nous l’idée de mépriser les moyens sensés,
ordinaires, de corriger et minimiser l’impact de ce genre
d’événements douloureux. Bien au contraire, prenons

241
toutes les mesures raisonnables possibles. Inscrivons-nous
dans un groupe dont les membres ont les mêmes problè­
mes que nous, essayons une agence matrimoniale, parta­
geons notre maison devenue trop grande avec une autre
âme solitaire, prenons des cours de remise en forme
physique, participons à un voyage organisé, dans un
pays inconnu, avec des gens de notre âge (hors saison,
c’est meilleur marché), et cetera. Il y a toutes sortes de
façons normales et sensées d’échapper à la solitude si on
le souhaite vraiment.
Oui, bien sûr. Mais ne nous imaginons pas qu’aucune
de ces mesures d’urgence, aucun de ces palliatifs résoudra
notre problème d’une manière définitive. Car il est beau­
coup plus profond que nous ne le pensons et exige une
solution infiniment plus subtile.

Comment vous et moi allons-nous reconnaître cette


solution idéale lorsque nous la rencontrerons? A deux
signes infaillibles. D’abord il nous apparaîtra qu’elle
n’est pas seulement la solution de ce problème particu­
lier, mais celle de tous les problèmes, et surtout celui de
notre véritable identité, de notre véritable raison d’être,
de notre véritable destinée. Et deuxièmement nous décou­
vrirons qu’elle est bien plus que cela en fait, et qu’elle
consiste moins à nous débarrasser d’un vieil obstacle
qu’à déterrer un trésor que nous cherchions depuis long­
temps. Plus les racines de la maladie sont profondes, plus
le traitement doit être puissant. Dans ce cas, c’est le plus
puissant et le meilleur. Tout se passe comme si, alors que
vous tracez au bulldozer une déviation tant attendue pour
contourner une ville, vous tombez sur un gisement d’or
assez important pour vous permettre de construire une
ville toute neuve et dans un site beaucoup plus sain.
De même pour le traitement de la détresse de solitude.
Le seul véritable remède à cette angoisse est la découverte
de votre Solitude Suprême. Votre souffrance est la porte
ouverte à Dieu, l’occasion favorable qui permet à
l’Unique de se manifester en vous. Le pire annonce le
meilleur. Sans implosion, il ne peut y avoir d’explosion.

242
Je conçois que ces affirmations brutales peuvent vous
paraître extravagantes. Elles exigent plus que des explica­
tions : je vous propose de les vérifier par une expérience :

Expérience № 21 : Le puits de la solitude

Vous vous sentez solitaire en ce moment?


Alors localisez ce sentiment. Cherchez à voir exacte­
ment où vous le trouvez dans ce monde, où il se situe.
Une fois de plus, je vous demande de vous incliner devant
l’évidence, d’accepter humblement ce qui est donné.
Regardez le ciel immense. Est-ce là que vous vous sentez
enfermé et solitaire ? J’imagine que non. Bien au contraire.
Regardez la vue qui s’offre à vous, que ce soit des
collines et des forêts, ou des maisons, des immeubles et
la foule qui se presse. Est-ce là qu’est votre sensation
d’isolement? Certainement non.
Abaissez maintenant votre regard sur ces pieds et ces
jambes inversés. Votre détresse est-elle là, quelque part
dans ces chaussures ou dans ces jambes de pantalon?
Quelle question stupide !
Maintenant, abaissez encore votre regard...

Ah! nous chauffons! Ou ressentons-nous plutôt un


froid glacial? N’est-ce pas ici que s’est concentré votre
sentiment de solitude? Ici qu’il pèse si lourdement, de
tout son poids sur vous? Sur votre cœur surtout? Votre

243
cœur si lourd, si froid, votre cœur serré, brisé? Dans les
chansons et la littérature populaires, ne retrouvons-nous
pas souvent l’expression cœur solitaire ? Pour une bonne
raison, c’est qu’au fond de notre cœur nous savons où se
niche notre solitude: c’est au tréfonds de nous-même, à
notre point le plus bas, ce puisard de notre vie dans lequel
se déverse toute l’angoisse de la séparation et du manque
d’amour, cette véritable Fosse, le Puits empoisonné de la
Solitude, au Bout du Monde.
Ne soyons pas trop pressé de bondir hors de ce Puits si
froid et déprimant. Acceptons un moment d’être honnête
avec nous-même, de cesser de prétendre que notre soli­
tude est ailleurs, que c’est la faute des autres ou qu’elle
n’est pas si terrible que cela après tout. Acceptons d’être
la solitude-même, abandonné de tous dans ce Puits au
Bout du Monde...
Et maintenant, n’essayons pas de remonter pour sortir
du Puits, mais descendons tout au fond, tout au fond...
et... voici la percée ! Comme Dante et Virgile se glissèrent
à travers la plus étroite des fissures pour déboucher sur le
vaste monde étincelant, notre implosion dans l’infiniment
petit produit notre explosion dans l’infiniment grand...
Avez-vous le cœur brisé? Avez-vous perdu courage?
Alors reprenez courage. La vie vous a finalement broyé
assez fin, vous pouvez désormais passer par le chas de
l’aiguille au sortir duquel vous serez le Cœur qui bat
dans toutes les poitrines.
Ce n’est qu’un discours prétentieux? Alors transfor-
mez-le en expérience. Désignez ce Point, ce lieu d’où

244
vous regardez. Et observez sa disparition totale. Et conti­
nuez de désigner l’immensité que vous êtes, là où vous
êtes. Non pas l’Espace vide infini, ni même l’Espace plein
infini - plein de cette même scène qui s’offre à vous - mais
('Espace qui est tout cela, qui est ce monde merveilleux, et
qui tout seul n’est qu’une abstraction dénuée de sens.
Voilà ce que vous êtes maintenant. Vous étiez une tête
d'épingle dans le monde, minuscule, pesante et refermée
sur elle-même. Désormais vous êtes le monde entier. Dans
votre explosion, vous êtes devenu l’immensité et la légè-
rcté-mêmes. Vous qui rejetiez tout et vous sentiez rejeté,
voici que vous contenez le tout. Le solitaire que vous
étiez, celui qui exclut tout, est devenu Celui qui inclut
tout, le Seul, l’Unique, à nul autre pareil. Regardez
bien : pouvez-vous trouver votre égal ou vos pairs ? Quel­
qu’un qui vous ressemble? Regardez bien: en explosant
vous êtes devenu le monde ; existe-t-il dans ce monde une
explosion comparable à celle-ci? En vous fiant unique­
ment à ce que vous percevez en ce moment, n’êtes-vous
pas, à l’évidence, absolument sans égal ?
Vous ne comprenez pas un mot de tout ceci ? Moi non
plus! Mais vous le voyez (n’est-ce pas?) et de manière si
claire que notre vue habituelle semble être devenue sou­
dain synonyme de cécité.
Oh, je sais bien que toutes sortes d’objections vous
viennent à l’esprit. Par exemple la question rabat-joie
par excellence: «Bon, et alors?»... Ou l’argument que
cette merveilleuse nouvelle est bien trop bonne pour être
vraie. Ou que, même si la vision est brillante tant qu’elle
dure, elle n’est qu’à moitié convaincante précisément
parce qu’elle est si fugitive. Ou tout autre raisonnement
qui vous permette de refuser l’évidence. Je vous suggère
de faire demi-tour et d’avoir le courage de faire face à
votre Solitude Suprême dans toute sa majesté. En d’au­
tres termes, d’avoir le courage de faire face aux condi­
tions requises pour vous libérer du stress.
Pour conclure cette partie, je voudrais vous offrir quel­
ques encouragements. Je dis bien: encouragements et
confirmation, et non pas : preuves supplémentaires. N’ou-

245
bliez jamais que la moindre expérience vécue, réelle, pro­
fane et concrète vaut mille fois plus que les discours,
même si leur contenu est très positif et leur auteur très
sage. Néanmoins, je vous soumets ici, à titre d’informa­
tion, un échantillon de la philosophie éternelle concernant
notre véritable identité.
Bien que la découverte merveilleuse, parfaitement lu­
cide, simple et stupéfiante qui est au cœur de toutes les
traditions spirituelles soit ensevelie, négligée et très sou­
vent niée avec véhémence par les experts religieux, elle
n’en reste pas moins la racine commune, l’âme-même de
toutes ces traditions. C’est une proclamation qui mérite
d’être saluée par toutes les trompettes et toutes les cloches
du Ciel et de la Terre, et elle vous concerne vous person­
nellement. Oui, personnellement. Elle vous annonce que,
plus proche de vous que n’importe quoi d’autre, «plus
proche de vous que votre souffle, vos mains et vos pieds »
(selon Tennyson) se trouve l’Un, l’Unique que vous êtes
vraiment, vraiment, l’Etre de votre être, le Soi et la
Source et la Substance de tous les êtres. Et vous n’êtes
pas seulement une étincelle de ce Feu Eternel, ni un
simple rayon de la Lumière Unique qui brille en tout
homme, toute femme et tout enfant en lesquels le
monde se produit. Ni une partie du Tout qui (pour citer
Dante) « rassemble les feuillets éparses de tout l’univers et
les relie par amour en un seul volume». Vous êtes ce
Volume lui-même. Vous êtes l’ensemble de ce Tout qui
est strictement indivisible. Je répète : indivisible.
Je vous entends d’ici : « Indivisible peut-être, incroyable
sûrement ! » A cela, je réponds : si vous suivez l’avis de
Huang-po, le grand maître Zen: «Observez les choses
telles qu’elles sont et ne prêtez aucune attention à ce que
disent les autres», que trouvez-vous? Cherchez autant
que vous pourrez, où vous voudrez et aussi longtemps
que vous voudrez: que la Conscience prenne la forme
implosive du Je-ne-suis-rien ou la forme explosive du Je-
suis-tout, vous ne la trouverez nulle part ailleurs que là où
vous êtes, à l’instant où vous l’êtes. Et je vous pose à
nouveau cette question-clé: regardez ce qui regarde et

246
voyez, y a-t-il une seule explosion dans le monde qui soit
de loin comparable à votre propre explosion qui vous fait
devenir le monde ? Non : je crains bien que vous ne soyez
condamné à Ce Que vous êtes, à votre unicité absolue, à
votre incomparable grandeur, et vous n’avez aucun
moyen d’y échapper.
Quoi? Vous ne me croyez toujours pas? Dieu merci!
Ne croyez que vous-même. Et non pas ce que vous
pensez, mais ce que vous voyez.
Mais peut-être ne croyez-vous pas ce que je viens de
vous dire sur le cœur-même de toutes les grandes reli­
gions? Alors, à la lumière des expériences que vous avez
faites consciencieusement, lisez ce qui est reconnu comme
les Ecritures saintes les plus inspirées du monde et vous
changerez vite d’avis. En attendant, voici quelques cita­
tions. Je pourrais en trouver des dizaines pour illustrer
cette Nouvelle embarrassante qui vous concerne person­
nellement, mais je suis obligé de me limiter à trois d’entre
elles, choisies parmi les pensées des Sages contemporains
les plus respectés sur la scène internationale :

«Quand il n’y a rien que Vous-Même, vous êtes


heureux. C’est là toute la vérité. »
Ramana Maharshi

« Quand vous trouvez tout en vous et qu’il n’y a rien


d’autre que votre propre Soi, c’est la Réalisation
complète, parfaite, qui embrasse tout. L’Union
Suprême signifie que l’univers entier est en vous. »
Anandamayi Ma

«Vous êtes la Source et le Cœur de tout... Tout est


vous et vous appartient. Il n’y a personne d’autre. »
Nisargadatta Maharaj

Que dîtes-vous? «C’est la mégalomanie orientale, en


Occident nous sommes plus avisés et plus modestes»?
Alors laissez-moi vous citer cette phrase de Sainte Cathe­
rine de Gênes (notez bien : Sainte Catherine) : « Mon MOI

247
est Dieu, et je n’en reconnais pas d’autre». Donc, si vous
ne recherchez pas simplement un remède provisoire à
l’angoisse de la solitude et au stress mais une guérison
radicale, il faudra bien que vous acceptiez la vérité sur
vous-même. Il faudra que vous laissiez le bourgeon de
votre petite solitude s’épanouir en cette fleur merveilleuse
qui est la Solitude Suprême. Dés maintenant.
Qu’attendez-vous ?
Peut-être que je vous rassure encore avec quelques
mots sur cette Solitude Suprême ?
Il y en a deux sortes. L’une qui est mauvaise : on essaie
d’être conscient de soi en tant que conscience nue, vide de
tout objet. C’est la conscience d’un moi solitaire qui est
lavé de toute pensée. D’aucun ont tenté sincèrement
d’atteindre cet état. Il est très difficile d’y arriver, encore
plus d’y rester. Mais dans la mesure où on réussit à s’en
approcher, c’est une véritable tentative de suicide. L’autre
sorte qui est la vraie est la Solitude Suprême pleine à ras-
bord. Regardez ce qui regarde et voyez: pouvez-vous
exclure qui que ce soit ou quoi que ce soit? Ayant ex­
plosé à l’infini, ne contenez vous pas absolument tout?
Quant à chacune de ces myriades de créatures que vous
avez accueillies en vous, ce qu’elles sont réellement, in­
trinsèquement, n’est-ce pas ce que vous êtes vous-même
intrinsèquement? Si votre Nature Véritable était diffé­
rente de celle d’une seule de ces créatures, eh bien vous
ne seriez pas le Seul, l’Unique. Regardez-les, vous avez
leur apparence. Regardez en vous ce qui regarde, vous
êtes ce quelles sont.
Comme dans le conte de fée, la grenouille qui était si
solitaire et ordinaire est devenue le Prince qui est Seul et
Sans Egal.

Après avoir écrit ces dernières pages, j’ai lu par hasard


ce texte de Kurt Vonnegut :
« Comment les gens religieux peuvent-ils croire toutes
ces balivernes manifestement inventées de toutes piè­
ces?... Si l’on accepte un credo, n’importe lequel, cela
vous donne accès à cette sorte de famille élargie que

248
Гоп appelle une congrégation. C’est une façon de
combattre le sentiment de solitude. Chaque fois que
je vois une personne fuir la raison et adopter une
religion, je pense : voilà quelqu’un qui ne peut tout
simplement plus supporter d’être si diablement seul. »
Comme il a raison! J’ajouterai pourtant qu’il y a un
moyen beaucoup plus efficace et plus honnête d’échapper
à l’angoisse de la solitude que de fuir ce que le sens
commun appelle raisonnable pour céder à la déraison de
la religion. Et ce moyen consiste à se rendre à la raison du
sens peu commun qui se fie uniquement à ce qui est
DONNE. Comme nous l’avons vu si souvent, le sens
commun est la plupart du temps absurde et une grande
partie de ce que nous appelons « raisonnable » relève tout
autant de la superstition que les dogmes religieux.
Mon expérience personnelle m’apprend que lorsque je
rejette à la fois les balivernes des croyances religieuses et
celles des hypothèses profanes et que je jette un regard
nouveau sur Celui Qui fait cela, je trouve des amis qui
font exactement la même chose. De bons amis, innombra­
bles et fidèles. Des amis dont l’amour mutuel est incondi­
tionnel parce qu’il provient d’une Identité commune, de
la Solitude Suprême partagée. Des amis qui savent que
seul l'Unique ne souffre pas de la solitude.
Alors je dirais : si vous ne voulez plus vous sentir si
diablement seul, cessez d’être si diablement supersti­
tieux. Renoncez à la superstition, qu’elle soit du sens
commun ou de la religion, car c’est la même chose.
Essayez de vous incliner devant l’évidence plutôt que
devant l’Autorité.

L’ENNUI
Nous comprendrons mieux l’ennui - sa nature, le stress
qu’il engendre et son remède - si nous étudions d’abord
ses manifestations, de la plus grave à la plus anodine,
comme sur une sorte d’échelle de Beaufort inversée. Par
commodité, nous choisirons sept degrés ou «forces»,

249
mais bien sûr, comme les forces du vent elles se mélangent
et se chevauchent, sur le modèle d’une rampe et non d’un
escalier.

7. Paralysie absolue

Pour le moment, prenons l’ennui absolu lié à l’immo­


bilité absolue comme limite théorique - un peu comme le
zéro absolu - et non pas comme un état réel. Nous y
reviendrons à la fin de ce chapitre.

2. Paralysie

Il s’agit ici de l’ennui qui n’est que trop réel engendré


par l’immobilité presque totale. A juste titre, cet état peut
être redouté encore plus que la mort. C’est pourquoi la
société l’utilise comme l’une de ses punitions les plus
sévères. Les mouvements du coupable sont restreints
plus ou moins durement, selon la gravité du crime et
l’humanité ou la barbarie du système pénal. Cela va
depuis l’assignation à résidence et la prison ordinaire,
jusqu’à l’enchaînement à un mur dans un dongeon ou
dans une cage en fer suspendue à un carrefour, exposée
à la hargne publique, comme une mouche qui est immo­
bilisée mais continue à se débattre dans la toile d’une
araignée particulièrement horrible. Ce n’est ni par ha­
sard, ni par un artifice arbitraire que dans l’Enfer de
Dante les plus affreux des méchants ne sont pas ballottés
dans les flammes éternelles, mais enchâssés dans la glace
éternelle. Pas plus que ce n’est un hasard, je pense, si au
cours des ateliers que je dirige ce sont les exercices qui
démontrent notre immobilité qui ont suscité le plus de
colère et de peur. Et pour comprendre ce que la paralysie
presque totale peut signifier dans la vie réelle, prenez le
cas désolant d’un homme jeune et vigoureux qui, à la
suite d’une attaque, ne peut plus bouger que les yeux et
un doigt avec lequel il pianote des messages pour déplorer

250
que l’hôpital le maintienne en vie contre sa volonté.
Imaginez, par exemple, que vous ne puissiez plus bouger
les mâchoires et que l’on soit obligé de vous nourrir par
un tube relié à votre estomac, sans aucun espoir d’amé­
lioration. L’ennui, le stress résultant d’une telle situation
sont inimaginables.

3. Chômage

Le chômage, y compris le sous-emploi grave - qu’ils


soient dûs à notre système économique, à la technologie
qui substitue peu à peu les machines aux personnes, à un
handicap, à la maladie, ou à la vieillesse - est bien sûr l’un
des fléaux les plus problématiques de notre temps. Et c’est
un mal particuliérement cruel parce qu’il ressemble telle­
ment à la semi-paralysie. Il ne s’agit pas de discuter ici ce
qui pourrait ou devrait être fait dans ce domaine sur le
plan politique. En attendant les éventuelles grandes me­
sures pour résoudre le problème, ce qui nous intéresse ici
c’est ce que peuvent faire dès maintenant les victimes de
ce fléau pour alléger et, en fait, mettre fin à l’ennui et le
stress dont ils ou elles souffrent. Ce que peuvent faire les
gens de tous âges qui ne savent que faire d’eux-mêmes ni
comment organiser leur temps et trouver un but dans leur
vie.

4. Travail mécanique

Même lorsqu’ils se dénichent un emploi, le travail peut


se révéler si monotone et répétitif que c’est à peine moins
ennuyeux que d’être au chômage. L’illustration classique
de ce piège à hommes, c’est le film de Charlie Chaplin,
«Les Temps Modernes», dans lequel, après toute une
journée passée debout devant le tapis roulant à serrer
une succession interminable de boulons identiques, Char­
lie sort de l’usine incapable d’arrêter son geste. Il est
devenu une machine lui-même, un robot secoué de mou­

251
vements saccadés, serrant d’invisibles boulons. N’est-il
pas évident que s’il arrive souvent que les ouvriers qui
travaillent à la chaîne déposent leurs outils et s’en ail­
lent, c’est beaucoup plus à cause de l’ennui, du stress né
de la restriction et de la répétition mécanique des mouve­
ments du corps qu’à cause des griefs formulés officielle­
ment? Somme toute se mettre en grève c’est faire preuve
d’initiative, faire un geste qui est dénié aux paralytiques.
Nous ne prétendons pas avoir des conseils utiles à donner
aux experts qui s’attachent à étudier le problème de la
satisfaction dans le travail. Mais nous avons quelque
chose de très pratique à proposer aux personnes qui ne
supportent pas le travail sur les machines et à tous ceux et
toutes celles qui sont stressés parce que leur métier est
trop fastidieux. Franchement, combien d’entre nous ont
un métier qui est intéressant à plein temps ?

5. Travail non mécanique

Il y a des gens bien intentionnés qui, pour encourager


l’ouvrier d’usine lassé de son travail, lui donne le conseil
suivant: «Travaillez dur, faites preuve d’initiatives au­
tres que la grève et vous serez peut-être promu chef
d’équipe. Ou même, avec un peu de chance, on vous
donnera un emploi dans un bureau». D’accord, mais à
combien de personnes ce conseil peut-il s’appliquer? Il y
a des chances que les ouvriers continuent à être bien
plus nombreux que les patrons pendant longtemps en­
core. En outre (ce qui est beaucoup plus important pour
nous ici) si vous parvenez à accéder aux sphères directo­
riales, vous ne ferez qu’échanger une sorte de stress
contre une autre. Le patron a souvent le front plus ridé
que ses employés et parfois ils le plaignent plus qu’ils ne
l’envient. Eux savent ce qu’ils font, ce qu’ils vont faire
demain et ce qu’ils feront l’an prochain. Lui voudrait
bien le savoir. Certes le chef d’exploitation et ses assis­
tants ne souffrent pas trop de l’ennui, pris entre les
éternelles revendications de la base qui réclame des sa-

252
laires plus élevés, des horaires moins lourds et de meil­
leures conditions de travail, et les éternelles exigences de
la direction qui réclame une meilleure productivité. Mais
ils souffrent d’anxiété. Etre promu de l’atelier à la salle
de conférence n’est certainement pas un avantage en
matière de stress, c’est seulement une manière d’échan­
ger une sorte de stress contre une autre qui risque d’être
encore plus nocive.

6. Travail créatif

Il en va de même pour les personnes dont la profession


consiste à être original, à inventer du neuf plutôt qu’à
rajeunir le vieux. Ils ont à peu prés les mêmes problè­
mes : s’ils sont moins stressés par l’ennui, ils le sont plus
par le doute (y compris le doute de soi-même, si paraly­
sant) et sont minés par l’angoisse de voir se tarir la source
de leur inspiration. Poètes, peintres, compositeurs, écri­
vains, et inventeurs bien sûr, tous dépendent de cette
source s’ils veulent rester originaux, s’ils n’ont pas encore
baissé les bras et accepté de faire du commercial banal. Et
même si la source coule à flot, ils doivent encore s’assurer
que l’eau est potable pour les autres autant que pour eux-
mêmes. Il est bien connu que la Muse est une dame
capricieuse que l’on peut invoquer mais jamais comman­
der. A moins que vous ne soyez un génie extraordinaire
comme Mozart (et Dieu sait que sa vie courte et tragique
a été empoisonnée par le stress), votre Muse peut être
hors de service pendant une période qui vous semble
une éternité. Le stress de la certitude (l’ennui qui naît
lorsque l’on sait trop bien ce qui va arriver) est presque
entièrement remplacé par celui de l’incertitude (l’angoisse
de ne pas savoir ce qui va arriver). De toute façon, ce
n’est pas une bonne idée de conseiller à quelqu’un qui est
stressé par la monotonie de son travail de relever ses
manches et devenir un grand créateur, sinon un génie. Il
aurait le droit de vous envoyer son poing dans la figure.

253
7. Travail spirituel

Allons-nous donc prescrire le travail « spirituel » (quel


que soit le sens de ce terme délicat) du dévot sincère, du
prétendu saint, de l’apprenti sage ou Bodhisattva, comme
l’antidote à tous les stress liés au travail créatif de l’artiste
ou innovateur en tous genres? La solution est-elle de
parcourir les sommets « Himalayens » à la recherche des
pics enneigés de l’expérience mystique, plutôt que d’esca­
lader péniblement les collines des contreforts en compa­
gnie d’artistes médiocrement inspirés? Est-ce là notre
remède radical à l’ennui, celui qui risque de nous faire
verser le moins de larmes, souffrir le moins d’angoisses et
courir le moins de dangers? Hélas non! Le destin du
pauvre Lucifer devrait nous mettre en garde contre les
risques de la démarche spirituelle ambitieuse. Il était
l’Ange de Lumière, l’Etoile du Matin, il était le plus
élevé, le plus beau et dans un sens le plus « spirituel » de
tous les archanges. Satan comme l’a dépeint Milton, avait
toutes les vertus: force d’âme, courage, intelligence et
esprit d’initiative, toutes... sauf l’humilité. Aussi a-t-il
été vraiment humilié. Son arrogance sans bornes lui a
valu son châtiment, son auto-surévalutation radicale l’a
conduit à sa déchéance totale. Plus l’orgueil est grand,
plus la chute est profonde, et il a subi la peine la plus
cruelle que l’Enfer puisse infliger.
Que signifie pour vous et moi en termes pratiques ce
danger terrible qui nous guette dans les hauteurs, tel
l’abominable homme des neiges? Contre quel péril veut-
on nous mettre en garde ?
Il y a plusieurs réponses, mais une seule nous importe
ici : ce n’est rien d’autre qu’un stress insupportable qui a
provoqué la chute de Lucifer, alias Satan. Ayant passé de
l’ennui de l’inactivité à l’ivresse de l’hyperactivité, il a
découvert qu’il n’était pas de taille à supporter cette
tension. Il en est de même pour nous : escalader, se hisser
en s’agrippant, grimper tant bien que mal vers les hau­
teurs pour échapper à nos problèmes, c’est le moyen le
plus difficile d’éviter le stress des régions inférieures. Nous

254
soumettre à une discipline sévère, par exemple, pour
atteindre les cîmes élevées de l’illumination (quel que
puisse être ce monstre aérien), nous forcer à méditer
jusqu’à ce que finalement, après avoir enduré maints
hivers - et même les hivers froids et sombres de maintes
vies - nous parvenons à la Lumière, ayant atteint l’été
ineffable du Nirvana et réalisé notre Nature resplendis­
sante de Bouddha : que d’efforts, que de stress, que d’in­
certitudes dans tout cela ! Nous risquons de ne jamais y
parvenir. Et d’ici là, que de souffrances !
Tout cela pour prendre finalement conscience de la
futilité et de l’absurdité absolument évidentes de la plus
ambitieuse de toutes les ambitions ! Ne citons qu’un seul
exemple :
Lorsqu’il était jeune, Bankei (maître Zen japonais du
dix-septième siècle) découvrit dans un texte confucéen la
description d’une mystérieuse « Vertu Lumineuse » et dé­
cida de trouver ce que c’était et comment l’acquérir, à
n’importe quel prix. Ayant consulté en vain tous les
maîtres de l’époque, il résolut de chercher tout seul et
entreprit de pratiquer zazen en solitaire (méditation as­
sise dans la position du lotus, le dos droit et les jambes
croisées correctement). Voici un extrait de sa propre
version des faits :

« Ayant découvert une grotte dans la montagne, j’y


entrais et m’assis là tout nu, sans me soucier des
aspérités du roc. Il m’arrivait de rester en zazen
pendant sept jours sans manger. Une fois assis, je
m’abandonnais totalement à ma méditation, indiffé­
rent à ce qui pouvait arriver, au péril même de ma
vie. Je restais souvent assis en lotus jusqu’à tomber
du rocher, d’épuisement. Comme il n’y avait per­
sonne pour m’apporter de la nourriture, je jeûnais
souvent pendant des jours et des jours. »

Il continua ainsi jusqu’à perdre tout espoir de vivre,


jusqu’à être presque mort, en fait. C’est alors, et seule­
ment alors, qu’il lui apparut soudain qu’il était sur la

255
mauvaise voie depuis le début et qu’il avait dépensé toute
cette énergie pour rien. Il réalisa qu’il était cette Vertu
Lumineuse qu’il languissait de trouver. Passant du lan­
gage de Confucius à celui du Bouddha, il la rebaptisa le
Non-Né, qui est notre Véritable Nature à tous. «Il est
plein de sagesse et de lumière. Comme il n’est jamais né il
ne meurt jamais... Et par lui toutes choses sont bien
organisées». Il se guérit miraculeusement vite et devint i
bientôt un maître Zen réputé. Son thème favori était le .
Non-Né, dont chacun pouvait voir qu’il était en lui de­
puis toujours. Il était absurde d’essayer de le gagner, de
l’atteindre ou de le réaliser, cela ne servait qu’à nous
empêcher de le voir. Le Non-Né, la Vertu Lumineuse, |
notre Véritable Nature et notre Guérison - qu’est-ce
donc sinon cette Immobilité Absolue classée Force 1 sur
notre échelle de stress? Ainsi cette échelle est inversée,
comme un gigantesque sablier.

La Vertu Lumineuse, le Non-Né, le Tao, le Secret de la


Vie Sans Stress, l’immobilité Absolue, la Ligne de Base, le |
Bout du Monde - quel que soit le nom que vous lui donnez
- est en nous. C’est parfaitement évident dès le début, et
toute cette ambition spirituelle, tout cet effort mortelle­
ment stressant pour y parvenir est injustifié et ridicule.

Et pourtant, non. Il est tout à fait naturel et normal que


nous commencions tous à chercher dans les hauteurs ce
qu’on ne peut trouver, en fait, que dans les profondeurs.

256
En dernière analyse, nous sommes tous des Lucifers
poussés à nous envoler comme des ballons qui se gon­
flent de plus en plus en s’élevant dans une atmosphère de
plus en plus raréfiée jusqu’à ce qu’ayant atteint un pla­
fond critique nous éclations soudain sous l’effet d’une
trop grande pression intérieure et redégringolions brus­
quement à notre point de départ. Et ce n’est ni à la Case
Trois, ni à la Case Deux, ni à la Case Un que nous
retombons finalement (ce sont des régions de l’Enfer où
l’on ne cesse de subir des pressions et contractions impo­
sées de l’extérieur), mais bel et bien, après une implosion
totale, à la Case Zéro où se trouve l’ouverture étroite vers
l’Espace Infini de l’explosion totale. Et nous voici enfin
libérés définitivement du stress.
Notre problème, en fait, ce sont les demi-mesures - un
mal dont ne souffrait certainement pas le maître Zen
kamikaze Bankei. Ce n’est pas ce que nous faisons qui
provoque notre échec, mais notre tiédeur. Nous nous
trouvons coincés à mi-hauteur de l’échelle Beaufort du
Stress, victimes à la fois du stress imposé de l’extérieur
(qui nous enferme, restreint nos mouvements et suscite
notre ennui) et de celui de l’intérieur (qui nous pousse à
nous excentrer, nous agiter et suscite nos angoisses). Ainsi
nous faisons de notre mieux pour tirer le plus mauvais
parti des deux mondes. Notre remède consiste à laisser
monter notre bulle jusqu’à son extrême limite où elle
éclate sous l’effet de la pression interne, et à laisser
retomber les débris jusque tout en bas, jusqu’à la Ligne
de Base elle-même.
Finalement, pour guérir notre ennui et l’impuissance
qui le suscite il ne s’agit pas de chercher à acquérir du
pouvoir et à nous élever dans les sphères supérieures, au
contraire. La phrase célèbre de Lord Acton : « Le pouvoir
corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument » ne
M'applique pas seulement à la politique. Les sages authen­
tiques nous mettent sans cesse en garde contre toutes les
formes de surenchère spirituelle et nous conseillent en
particulier de n’accorder aucune attention et de ne sur­
tout pas cultiver les siddhis ou pouvoirs magiques que la

257
maîtrise spirituelle peut nous procurer. On ne saurait le
répéter assez : comme dans la « Divine Comédie » de
Dante, le chemin d’évasion de l’Enfer ne monte pas
pour s’échapper vers l’extérieur, il plonge tout au fond
et passe à travers.
Pour commencer, oui, certainement, améliorez-vous:
laissez votre ballon se gonfler et s’élever jusqu’à son
plafond naturel ou même un peu plus haut. Et quand
vous pensez que vous en avez assez des hauteurs et de
leur stress, n’essayez pas de crever le ballon. Laissez faire
la vie : elle le crèvera certainement au bon moment.
Votre rôle essentiel est très facile, et c’est le sujet de ce
livre. Vous devez observer consciemment ce petit jeu
d’ascenseur à partir du seul lieu où il n’y ait place pour
aucun jeu, le seul lieu d’où il puisse être observé, de toute
façon: l’Espace Immobile, votre Ligne de Base, le Bout
du Monde, l’Œil Unique qui enregistre en ce moment ces
mots, cet assortiment de synonymes pour le désigner Lui-
même. Autrement dit, c’est par implosion que vous tra­
verserez le stress pour découvrir l’absence de stress. Par la
suite, il vous sera difficile de trouver quoi que ce soit
d'ennuyeux !
Cette Non-Chose, que vous êtes là où vous êtes, étant
par définition et par expérience dénuée de tout intérêt,
moins attrayante qu’un film interminable représentant
de la neige sur un fond d’une blancheur de neige, vous
penseriez, n’est-ce-pas (et votre robuste bon sens en serait
persuadé) que cet espace béant se révélerait être le Bâille­
ment ultime, le supplice suprême de l’ennui. Et que cette
Attaque qui vous a frappé avec la Force Un sur notre
échelle de Beaufort (le patient étant pleinement conscient
mais ayant perdu tout espoir de bouger quoi que ce soit)
vous plongerait dans l’Enfer de l’ennui le plus doulou­
reux, le plus atroce que l’on puisse imaginer. Voilà ce
que vous penseriez.
Eh bien regardez et voyez. Ouvrez votre Œil sur Ce
Que vous êtes, sur cet Œil lui-même. Est-ce que vous
trouvez cela ennuyeux à pleurer, en cet instant même?
Cet Œil verse-t-il jamais une larme sur quoi que ce soit,

258
encore moins sur l’ennui? Comment pourriez-vous vous
lasser de quelque chose qui est Absence-de-chose ? Com­
ment pourriez-vous jamais être saturé de cette Absence de
nourriture? Avez-vous jamais rencontré un objet aussi
gaillard que ce Non-objet qui produit inopinément des
univers multiples avec la plus grande désinvolture? Fai-
tes-en l’expérience maintenant, cher lecteur, pour le sim­
ple plaisir d’en avoir le souffle coupé. N’est-ce pas une
merveille sans pareille, ce Bout du Monde, cette Ligne de
Base à votre encolure avec tout le monde espace-temps
au-dessus d’elle, et ni espace, ni temps, ni monde, absolu­
ment rien au-dessous d’elle? Donnez-lui seulement une
petite chance et vous verrez que cette Absence-de-chose
est la seule chose qui ne vous inspire jamais un sentiment
de ras-le-bol, qui ne perde jamais son charme, qui soit
toujours flambant neuve, qui ne devienne jamais une
habitude. Personnellement, je suis incapable d’écouter
les arias de Mozart, mon compositeur préféré, plus
d’une heure ou deux, ni de regarder les tableaux de mes
peintres favoris, Chagall et Miro, plus de cinq minutes
avec une attention absolument totale. Et même si je
pouvais le faire plus longtemps, je finirais forcément par
m’en lasser parce que c’est une chose entre toutes les
choses et limitée par elles de milliers de façons. «Seul
l’infini nous comble, jamais le fini », dit un texte indien
ancien. Comme c’est vrai ! Tout est le jouet des tensions
intérieures et extérieures.
C’est le stress qui construit tout, entretient tout, détruit
tout, délimite tout, paralyse tout, et c’est lui encore qui
est là lorsque tout vous abandonne. Seul, libre de tout
stress, cet inexprimable et inimprimable que VOUS ETES,
d'OÙ VOUS VENEZ, Cela seul ne perd jamais de sa fraî­
cheur, ne se ternit jamais, ne s’use jamais, ne perd jamais
son génie, son dynamisme. Le nom que j’aime lui donner
est celui emprunté à Goethe : Mère Nuit. Non pas pour
m’aider à le comprendre, mais pour me rappeler que je ne
le pourrai jamais.
Essayez pour voir si l’ennui persiste. Etes-vous en train
de suer sang et eau sur cette maudite déclaration de

259
revenus ? Voyez qui fait cela. Etes-vous en train de passer
l’aspirateur sur des kilomètres de moquette à fleurs roses
absolument hideuse? Détendez-vous, regardez les fleurs
danser et voyez qui n’est pas en train de passer l’aspira­
teur. Devez-vous laver la vaisselle toute la journée?
Voyez s’agiter ces deux mains qui ne sont reliées à au­
cune épaule, et voyez que Vous êtes le spectateur amusé.
Bref, essayez la vision à double sens. Regardez simulta­
nément Celui Qui Regarde et l’objet regardé. Et voyez:
n’avez-vous pas effacé toute trace d’ennui et de stress?
Ne sont-ils pas remplacés par un intérêt inusité, un plaisir
tranquille qui confèrent une valeur et une fascination
nouvelles à cet objet jugé si fastidieux un moment plus tôt ?

Ne croyez pas mais vérifiez ce que je vous dis : toute


chose, quelle qu’elle soit, observée consciemment à partir
de son Origine, est imprégnée de Son parfum et brille de
Son éclat.
La splendeur est là. Toujours. Pour la trouver, il suffit
d’aller à sa Source.

LA CULPABILITE
Une grand part de notre stress provient du sentiment
de culpabilité, beaucoup plus même que nous ne le soup­
çonnons. Mais qu’est-ce que la culpabilité? Lorsqu’on
déclare un homme coupable de meurtre, qu’est-ce que
cela signifie?
Si vous voulez dire qu’il a commis cet acte, qu’il a été

260
pris sur le fait et doit en subir les conséquences, très bien.
Je vous suis. Mais si vous voulez dire par là qu’il est
condamnable ou carrément mauvais, et donc, implicite­
ment, que vous, l’homme ou la femme qui le jugez ainsi,
êtes comparativement innocent, en tous cas non coupable
de meurtre - alors je ne vous suis pas du tout. Il me
semble que vous dites n’importe quoi.
Car, vous me dites que ce meurtrier est un homme très,
très mauvais et qu’il en est personnellement responsable.
Très bien, mais je demande : qu’est-ce qui l’a amené à être
ainsi? Sa tendance naturelle, dîtes-vous, son mauvais
caractère, et celui-ci ne s’est pas formé en un jour. Là, je
suis tout à fait d’accord et je pose la question : combien
de temps faut-il pour construire une personnalité et
qu’est-ce qui contribue à sa construction? Etre respon­
sable de ses actions, c’est être responsable de ce qui les
provoque, c’est-à-dire : le genre de foyer dans lequel on a
été élevé, le genre de parents que l’on a eus et tout ce qui
les a faits, eux ce qu’ils sont. Et ainsi de suite, en remon­
tant de génération en génération. Il n’y a pas de limite.
Est-ce tout cela en bloc que nous reprochons à cet
homme ? Le tenons-nous responsable des facteurs généti­
ques, des gènes et chromosomes qui ont abouti à son
crime, ainsi que de tous les facteurs physiques, chimi­
ques, biologiques et socio-familiaux qui ont favorisé
cette évolution ? A-t-il vraiment, mû par un esprit diabo­
lique, tramé toute cette saga incroyablement compliquée
et dont le commencement se perd dans la nuit des
temps?... véritable démon avec des cornes, une queue et
crachant le feu, dirigeant toute l’opération avec jubila­
tion, depuis le commencement jusqu’à son aboutisse­
ment dans un meurtre sanglant ? Voyons ! Il n’y a pas
de doute: soit il n’est pas responsable de ce crime, soit,
»'il est responsable, c’est un «lui» très différent de celui
qui est sur le banc des accusés. Si vous tenez compte de sa
personnalité toute entière, de tout ce qui a contribué à
faire de lui ce qu’il est maintenant, alors vous voyez que
vous êtes obligé d’inclure une grande partie du monde et
de son histoire. Que peut-on finalement passer sous si­

261
lence dans cette biographie colossale, cette immense toile
d’araignée de causes et d’effets ?
Ceci n’est ni un débat théorique, ni une affaire de
curiosité pure et simple, ni un jeu intellectuel. Ce pro­
blème de la culpabilité est d’une importance capitale,
pour deux raisons. Premièrement, il est impensable que
l’on continue à distribuer les blâmes avec une telle
complaisance. L’honnêteté, la charité, la simple décence
et le simple bon sens exigent que je mesure pleinement la
portée de ce que j’avance lorsque j’attribue la culpabilité
aux autres - si toutefois mes propos ont une signification
réelle et ne sont pas que simples commérages, une façon
d’aboyer ma désapprobation comme un chien aboie après
certains visiteurs et pas après d’autres.
Ma seconde raison est plus importante et plus person­
nelle. La voici : lorsque je fouille ma propre vie secrète
depuis l’enfance, je découvre infiniment plus de culpabi­
lité que je ne l’avais jamais soupçonné, et en conséquence,
un besoin urgent de pardon. Ce qui revient à dire : énor­
mément de stress caché. Je découvre qu’un grand nombre
de comportements soi-disant « innocents », blancs comme
neige, étaient en fait teintés de rose, sinon de rouge-sang
par la mesquinerie et le manque de cœur, et même pro­
fondément entachés par endroits de noire méchanceté, si
ce terme a un sens. Non, je ne suis pas en train de jouer
au jeu de « Je suis plus humble que toi » ou « Comme je
suis horrible, n’est ce pas?» Je rapporte simplement ce
que je trouve lorsque j’examine mon enfance et ma vie
adulte débarrassées du voile de l’hypocrisie. Je ne sais pas
ce qu’il en est pour vous, mais pour moi, c’est ainsi.
Enfant, j’entendais vaguement, de temps en temps,
parler de désastres récents. Un peu plus âgé, je lisais
leur compte-rendus détaillés. Jeune homme, j’écoutais,
fasciné, les reportages des envoyés spéciaux. Aujourd’hui
ces événements font irruption dans mon salon en sons et
couleurs. Un crescendo de souffrance humaine. Bien
qu’on me mette le nez dedans depuis des années, mon
attitude, mon engagement personnel par rapport à cela
ont-ils changé pour autant? Est-ce que maintenant,

262
lorsque je vois à la télévision des scènes d’incendie, de
tempête, d’inondation, de maladie et de guerre, j’envoie
à leurs victimes ce message muet : « Comme je voudrais
que ce désastre m’ait frappé moi plutôt que vous, ou être
avec vous en ce moment, en pleine épreuve, au lieu d’être
confortablement assis ici, en sécurité»? Ou le message
est-il: «Moi, je suis peinard!»? La réponse va sans
dire. Depuis mon plus jeune âge, avec une joyeuse insou­
ciance j’ai consacré mon argent à ce deuxième paquet de
bonbons, ce timbre rare, cette veste à la mode, cette
nouvelle voiture de sport, cette encyclopédie la-plus-ré-
ccnte, etc... au lieu de l’envoyer aux œuvres de charité
dont les appels pour Noël remplissent ma corbeille à
papiers. Pires encore, bien que moins fréquentes, il y a
tout au long de ma longue vie ces pulsions de colère, de
mépris, de haine et même, oui ! de meurtre envers une
succession d’ennemis et d’amis (sic). Parmi mes souve­
nirs d’enfance ineffaçables, il y a ce cri-du-cœur de ma
mère : « Tu es incapable de donner de l’affection », et cette
remarque de plusieurs professeurs: «Si les regards pou­
vaient tuer... », deux commentaires bien mérités. Je faisais
souvent un rêve terriblement réaliste : j’avais vraiment tué
quelqu’un, et serais finalement attrapé. C’était comme si
dans mon rêve je me souvenais que j’étais coupable et
qu’à mon réveil je l’oubliais. Beaucoup plus que je ne
l’ai jamais imaginé, j’ai vécu ma vie, sinon en criminel,
du moins aux dépens des autres. Cela m’a beaucoup
troublé à un niveau profond, j’ai souffert du sentiment
de culpabilité, et cela a été la source principale du stress
dans ma vie. Seul le pardon pourra jamais laver ce senti­
ment de culpabilité. Le pardon total, inconditionnel.
Qu’est-ce que j’entends par pardon? Où le trouver?
Qui pardonne à qui ? C’est ce que nous allons voir.
Je ne saurais souligner assez le fait que ce que je viens
de dire ne s’applique qu’à moi, et non à vous, deuxième
personne, ou à ces troisième personnes là-bas - que vous
ou eux soyez catalogués comme citoyens respectables ou
coupables de meurtre ou quoi que ce soit d’autre. Mes
remarques sur l’absurdité et l’impossibilité de rejeter le

263
blâme sur les autres - sur cet homme dans le box des
accusés, sur les gens en tant que tels - restent valables.
Le blâme ne peut être exporté. Son unique cible est ici-
même. Il ne peut en être autrement : comme nous l’avons
vu maintes et maintes fois, ce qui est vécu de l’intérieur,
du point de vue de la Première Personne, n’est pas seule­
ment différent de l’histoire vue de l’extérieur, du point de
vue de la seconde ou troisième personne, mais c’est dia­
métralement opposé. Il est faux d’affirmer: «Il est cou­
pable », parce qu’en tant que troisième personne il est né
conditionné par son passé. Par contre, il est juste de dire :
«Je suis coupable», parce qu’en tant que Première Per­
sonne, Je suis Non-né et responsable de mon passé. De tout
mon passé, depuis la nuit des temps.
Donc le grand problème est de savoir quand, où et
comment trouver l’absolution de cette culpabilité, le par­
don inconditionnel sans lequel notre vie est secrètement,
constamment déchirée et en proie au stress permanent.
La réponse qui s’impose est celle qui nous devient de
plus en plus familière, la seule réelle, la seule vraiment
concluante : voir clairement qui pose la question. Ce qui
signifie : s’incliner devant l’évidence.
Ici, à la base de cette vie marquée par le sentiment de
culpabilité, sous-tendant toute l’attention que je porte à
ma personne (et que Dieu aide les autres), il y a cette
Ligne de Base où commence le sentiment de culpabilité
quand on regarde au-dessus d’elle, et où il disparaît
quand on regarde au-dessous. C’est Ici que la Conscience
Pure, perdant son innocence, jaillit des sombres profon­
deurs de l’inconscient, telle un grand feu d’artifice multi­
colore aussi sinistre que glorieux. En tant que mon
apparence - c’est-à-dire l’homme que vous voyez, la
seconde ou troisième personne qui a la tête en-haut et
dont la photo orne mon passeport, toute cette partie de
moi-même qui se situe bien au-dessus de cette Ligne de
Base - je suis tenu pour responsable uniquement de ce
que je fais et non de ce que vous faites. Il faut qu’il en soit
ainsi pour la loi et le sens commun. La vie en société
serait impossible autrement. Mais pour celui que JE

264
SUIS, pour celui que JE VOIS, décapité, sans nom et à
l’envers, ma Ligne de Base annule la tête qui n’est pas
Nculement ma carte d’identité, mais aussi mon certificat
de non-responsabilité. Ici, je remets le pauvre vieux Dou­
glas Harding à sa place. Ici, je suis responsable de lui et
de tous les autres qui sont au-dessus de la Ligne. Ici, je
suis responsable de tout ce que je produis. Ici-même et en
ce moment-même je dois affronter ce fait effrayant : en
tant que Première Personne du Singulier je suis coupable
de ce monde et de toutes les actions qui y sont accomplies
et de toutes les souffrances qui y sont endurées. Il est
aussi malavisé que stressant d’ignorer ce fait.
Et ceci n’est pas seulement une apparence, c’est une
réalité. Si j’y prête vraiment attention, si je suis honnête
avec moi-même, je vois bien qu’il m’est impossible de
me désolidariser de la moindre créature, fut-elle la plus
malfaisante, la plus stupide, la plus méprisable ou la
plus pitoyable du monde. Il ne s’agit pas de dire: «Je
vais là-bas pour l’amour de Dieu», mais: «Je vais là-
bas - dans la cellule de prison, dans le pavillon des fous,
sur l’échafaud, aussi bien que dans des endroits plus
heureux» - pour la raison simple mais absolument im­
placable que Qui je suis vraiment, vraiment est Ce Que
vous et tous les autres êtes vraiment, vraiment. Nous
n’avons pas une Ligne de Base personnelle. Il n’y a
qu'un seul Lieu où le monde commence et s’arrête, un
seul Fondement de l’Etre, et plus vite je m’y installerai,
plus vite mon sentiment de culpabilité sera apaisé. Ce
n’est que lorsque je reconnais que je suis entièrement à
blâmer que je suis totalement pardonné. Et mon stress
est déchargé par-dessus bord, comme tous les stress toxi­
ques, vidé dans le Grand Dépotoir du Vide Total. Ici,
Celui qui est coupable, Celui qui pardonne et Celui qui
est pardonné ne font qu’Un. Le Seul qui soit à blâmer
pour le monde est son Sauveur. Tout au fond de nos
cœurs qui ne craignent ni le mystère, ni le paradoxe, ni
l’épouvante que cela suscite, ne savons-nous pas que
c’est la vérité, la seule solution, la sagesse, et que finale­
ment tout est bien ainsi ?

265
«Pas vraiment», me direz-vous. «Si en tant que Pre­
mière Personne du Singulier, en tant que Fondement de
l’Etre et Ligne de Base je fais éruption comme le Vésuve
et produis ce monde désastreux, j’ai une lourde responsa­
bilité. Certes, la pyrotechnie est magnifique. Mais ceux
qui reçoivent les pires des retombées sont peu impression­
nés. Tout le spectacle est une mixture diabolique
d’égoïsme, de culpabilité, de stress et de souffrances.
Qui pourrait être pardonné d’avoir créé cela ? »
A quoi je réponds : c’est le prix de la générosité, de
l’amour, de la joie et des beautés merveilleuses qu’il
n’est pas difficile de trouver dans le monde. C’est le prix
de l’existence-même d’un monde. Alice avait raison. Ce
n’est pas l’amour débridé qui fait tourner le monde (un
grave débordement d’altruisme l’arrêterait), mais «que
chacun s’occupe de ce qui le regarde». Chacun étant et
faisant ce qu’il ou elle doit être ou faire. C’est ainsi que les
choses se passent, dans le stress et, lorsque c’est néces­
saire, aux dépens des autres. La seule autre solution, c’est
qu’il n’y ait rien du tout, un grand beau Vide magnifique­
ment généreux et sans le moindre stress. Soyons réalistes :
lorsqu’il s’occupe de lui-même, un être humain en bonne
santé (je veux dire un être humain en tant que tel) n’est
pas plus coupable qu’un chou bien portant disputant à
ses voisins les moindres miettes de substances nutritives
qu’il puisse atteindre par ses racines. Un chou vraiment
égoïste, oui, aussi a-t-il un cœur splendide ! Le plus beau
du jardin.
Non, ce n’est pas l’Amour qui fait tourner le monde,
mais c’est l’Amour qui donne naissance au monde,
l’Amour qui ne peut pas se décharger de la responsabilité
sur les autres, l’Amour qui porte sur ses épaules, non pas
une tête, mais la responsabilité de tout, l’Amour qui en se
reconnaissant coupable de tout est aussi la guérison de
tout sentiment de culpabilité. C’est cet Amour-là qui est
notre Ligne de Base, notre origine, notre source dont
nous ne nous sommes jamais éloignés.
Le génie particulier de la Foi Chrétienne est l’intuition
que le Très Haut et le Meilleur est également son

266
contraire. Qu’il est Lui-même parce qu’il s’abaisse lui-
même à descendre jusqu’au Plus Bas et au Plus Misé­
rable. Qu’il descend jusqu’aux bas-fonds de la création
et prend sur lui toutes les formes de souffrance et de
misère. Miracle des miracles, l’Amour sauve le monde
en se chargeant de tout ce dont le monde a besoin d’être
sauvé ! En particulier sa culpabilité.
Le mystère est insondable. Pour le comprendre, il n’y a
qu’un seul moyen : commencer à le vivre, à en sentir le
poids. Et pour cela il faut cesser de s’élever à tout prix au-
dessus de la Ligne de Base et se laisser couler à pic à
travers toute cette culpabilité et tout ce stress jusqu’au
seul Lieu qu’ils ne puissent atteindre.
Notre péché originel nous est pardonné lorsque nous le
confessons et nous immergeons en lui, en vertu de la loi
selon laquelle tout ce dont nous approchons de très près,
tout ce que nous absorbons disparaît. Ainsi, comme
Dante et Virgile, après avoir expérimenté le poids mort
du monde et sa nuit noire nous découvrons le monde
radieux et ses étoiles étincelantes.
La vraie sagesse n’est pas bon marché. Etre soi-même
revient très cher, cela vous coûte tout ce que vous avez.
Dans un sens, bien sûr, voir Qui vous êtes est tout à fait
gratuit, comme si on vous faisait l’aumône de ce qui vous
appartient déjà. Ouvrir votre Troisième Œil et accueillir
le monde, peut-on imaginer un moyen plus facile, plus
naturel et moins douloureux d’acquérir la sagesse? oui,
mais vous ne pouvez pas en rester là. Accueillir le monde
devient très vite se charger du monde avec toute sa culpa­
bilité et ses souffrances. Existe-t-il destin plus accablant?
Lorsque vous voyez que vous êtes le Non-né, l’incondi­
tionné, Celui qui est à l’envers, vous vous retrouvez
séparé des autres qui sont à l’endroit, nés et condition­
nés, et vous êtes obligé de plaider coupable. Fidèle à
vous-même et plein de compassion pour les autres, vous
n’avez pas le choix. Honnêtement.
C’est la pente inéluctable. L’histoire d’Odin nous ai­
dera peut-être à accepter ce fait et à vivre l’expérience
elle-même. Dans la mythologie Scandinave, il était le

267
père des dieux, le dieu du ciel et des enfers, celui qui
donnait du courage aux guerriers, l’inspiration aux poè­
tes et la sagesse aux apprentis sages. Evidemment, on
s’imagine ce chef supérieur des dieux et des hommes
s’élevant, comme l’aigle qui est l’un de ses symboles,
très haut au-dessus de la scène terrestre où la sagesse
doit être gagnée chèrement. Mais la légende est très diffé­
rente. Lui aussi paya le prix fort pour la sagesse, en deux
versements. D’abord il sacrifia un œil pour elle, ce qui
n’est pas une grande perte comme nous avons pu le
voir. Ainsi, on l’a représenté borgne. Puis, il se sacrifia
lui-même. Il fut pendu. Pendant neuf jours et neuf nuits,
pendu à Г Arbre Yggdrasil au centre du monde il endura
de grandes souffrances. Mais il réussit finalement à se
pencher et à saisir les runes magiques qui devaient appor­
ter la connaissance ultime à l’humanité. On pense que
c’est la raison pour laquelle cette ancienne sculpture sur
bois norvégienne le représente tirant la langue. Ce n’est
pas un geste de défi, c’est ce qui arrive aux gens qui sont
pendus.

Image bien sinistre. Et pourtant son histoire nous per­


met de terminer cette partie sur une note plus gaie. Odin
avait un autre symbole qui était l’anneau. L’une des
formes qu’il prenait était un col en métal (souvent très
ouvragé et à moitié en or) porté par certains guerriers qui
ne craignaient plus, alors, de se battre sans armure voyant
qu’ils étaient sous la protection spéciale du dieu. Qu’ils en
aient eu conscience ou non, leur col traçait la ligne où
tout danger, toute violence et toute culpabilité disparais­

268
sent. Pour reprendre les termes d’un précédent chapitre,
ils portaient l’ultime casque de sécurité qui ne couvre pas
de tête, le casque du salut éternel.
Ici, sur la Ligne, vous avez traversé et dépassé la culpa­
bilité et la souffrance, et atteint l’innocence divine qui est
éternelle. Jetez maintenant un regard sur celui qui est
dans le box des accusés. Votre Col d’Odin est la ligne de
démarcation entre votre culpabilité et votre innocence.
Pas la moindre vétille, encore moins un véritable crime,
ne peut être épinglé sur un accusé inversé et décapité.
C’est en absorbant la distance qui vous sépare de chez
vous que vous rentrez chez vous, de même c’est en absor­
bant la culpabilité du monde que vous atteignez le lieu où
elle n’existe plus. Ici, vous êtes plus innocent qu’un nou-
veau-né. Descendre à l’intérieur et passer à travers, c’est
la seule voie radicale !

LES PROBLEMES SEXUELS


Le but de ce livre - son hypothèse de travail à vérifier
par tous les moyens possibles, tous les jours que Dieu fait
c’est que la prise de conscience de soi est la réponse, la
clef du royaume dont vous êtes le roi, le remède souverain
à tous vos problèmes, quels qu’ils soient. Comme l’a dit
Thomas A Kempis, « Si vous voulez avoir l’esprit en paix
et résolu, vous devez tout laisser derrière vous et vous
regarder vous-même ». Précisément : approcher votre
Ligne de Base ou votre Bout du Monde, c’est abandon­
ner derrière vous, une à une, toutes les choses stressées
que vous n’êtes pas, jusqu’à atteindre la Non-chose
exempte de stress que vous êtes. C’est éplucher consciem­
ment l’oignon de vos apparences, vous débarrasser de
toutes les pelures, l’une après l’autre, jusqu’à découvrir
votre réalité au centre qui est la conscience elle-même,
tout à fait parfaite.
Vous allez me dire, j’en suis sûr : la conscience de soi est
peut-être le remède à la plupart de mes problèmes, mais
certainement pas de mes problèmes sexuels. Ici, le remède

269
devrait être l’inconscience de soi. Je dois m’oublier et me
perdre pour pouvoir m’occuper uniquement et totalement
de mon ou ma partenaire. Si les animaux n’ont pas du
tout de problèmes sexuels, c’est qu’ils savent si bien s’ou­
blier eux-mêmes, et si les gens en ont tant c’est qu’ils sont
si incompétents dans ce domaine.
A quoi je réponds : ouvrir les yeux n’est jamais mau­
vais, pourvu qu’on les ouvre tout grands. L’ennui avec
nous, êtres humains, ce n’est pas que nous soyons trop
conscients de nous-mêmes, c’est que nous ne le soyons
pas assez. Si nous allions jusqu’au bout, nous n’aurions
pas de problèmes, y compris de problèmes sexuels. En
l’état actuel des choses, nous sommes assis entre deux
chaises : la chaise de celui qui regarde seulement le
monde extérieur, et celle de celui qui regarde aussi à
l’intérieur de lui-même. Et nous retombons péniblement
sur notre derrière, bien loin de cette Ligne de Base où il
n’y a plus de problème. Non, il n’est pas question de
revenir en arrière pour s’oublier soi-même. Pour attein­
dre l’harmonie, il faut continuer d’avancer jusqu’à la
pleine conscience de soi. Et ceci s’applique tout autant à
l’harmonie sexuelle qu’à tout le reste. Car là aussi, la règle
fonctionne: vous trouver vous-même c’est vous perdre
vous-même. Trouver votre véritable identité, c’est vous
débarrasser de vos identités acquises. Découvrir finale­
ment que vous êtes en réalité Non-chose, c’est cesser de
vous identifier à toutes sortes de choses. Ce sont elles qui
vous séparent, vous et votre bien-aimé(e), et entraînent
vos détresses sexuelles. Lorsqu’il nous conseille vivement
de rechercher le soi avec toute l’énergie dont nous dispo­
sons, le maître Zen Dogen ajoute: «Trouver le soi, c’est
oublier le soi et oublier le soi, c’est être illuminé par
toutes les créatures - et non pas les illuminer». De la
même façon, le véritable but des relations sexuelles, c’est
de jouir pleinement de votre partenaire - dans le sens
profond d’être illuminé par elle ou lui. Et ceci n’est pos­
sible que lorsqu’il ne reste rien de vous pour obscurcir le
paysage. Tant que vous n’aurez pas atteint ce but, votre
union ne sera jamais complète.

270
Tout au fond de notre cœur, nous le savons bien. Aussi
lu vérité apparaît-elle souvent, sous des formes et en des
lieux divers. Prenons l’exemple charmant de la légende
Scandinave du Prince Lindworm.
Son histoire commence comme toutes les histoires : une
sorcière a jeté un sort qui a transformé un personnage
royal en un monstre. Le Prince Lindworm, devenu un
horrible serpent, parvint à exercer un tel pouvoir dans le
pays qu’il exigea et obtint la fille du roi en mariage.
Heureusement, au soir de la noce la Princesse fit preuve
d’une intelligence admirable. Elle enfila dix chemises de
nuit. Lorsque Lindworm lui demanda de se déshabiller,
elle lui demanda de commencer le premier et de se dé­
pouiller d’une peau. Il obéit à contre-cœur, et elle enleva
une chemise. A nouveau, il lui demanda de se déshabiller,
et à nouveau elle accepta, en exigeant toutefois qu’il se
débarrasse d’abord d’une seconde peau. Et ainsi désha­
billage et dépouillement se poursuivirent jusqu’à ce que
tous deux fussent entièrement nus - et que Lindworm fût
redevenu un beau Prince. Le sort jeté par la sorcière
n’avait fait que dissimuler sa royale grandeur sous plu­
sieurs enveloppes. Dix exactement, couvertes d’écailles et
opaques, mais toutes différentes.
Quel merveilleux ballet on pourrait composer autour
de ce conte de fée à la fois espiègle et si profond ! Le titre ?
« Le Mariage des Poupées Russes ! », peut-être.
Le sens de cette histoire est assez clair pour nous. Nos
problèmes sexuels pourraient difficilement être plus gra­
ves que ceux du Prince Lindworm et de sa Princesse. Ils

271
sont résolus lorsque, nous détachant de nos actes qui sont
à l’extérieur de nous, nous portons notre attention sur
l’acteur lui-même. Alors, chacun d’entre nous ayant cons­
ciemment atteint l’état de Non-chose est vide pour ac­
cueillir l’apparence de l’autre. Sans cette bascule vers
notre centre, nous restons cramponné à une image de
nous-même extérieure à nous. Etre quelque chose pour
soi, c’est être à côté de soi, excentré, mal en point, partagé
en deux. Partagé, par exemple, entre un Torn ou une
Marie en train de faire l’amour sur le lit et un Tom ou
une Marie en train de regarder par le trou de la serrure de
la chambre à coucher, si l’on mène le double jeu d’acteur
et de voyeur, le moins qu’on puisse dire c’est que le
résultat est certainement mitigé. Les « ex-centriques »
sont peut-être des machines à copuler passables, mais
certainement de bien pauvres amants.
Si les couples ne réussissent pas à s’unir parfaitement,
c’est parce que chacun tient à sa précieuse petite identité
séparée, et est isolé de l’autre par dix (ou plus) gaines de
protection, comme les câbles électriques positifs et néga­
tifs. Ce n’est que lorsqu’ils sont dénudés jusqu’à leur
métal commun, leur métal conducteur, qu’ils peuvent se
fondre l’un dans l’autre dans un brasier d’amour. Paro­
diant le titre de George Macdonald : « L’homme ne peut
rencontrer l’homme qu’en Dieu », disons : les formes ma­
térielles male et femelle ne peuvent se rencontrer que dans
l’immatérialité. (Sexistes des deux bords, prenez acte).
Chacun étant vide pour la forme de l’autre, les implo­
sions séparées des deux partenaires culminent dans leur
explosion commune - dont leur orgasme est une expres­
sion toute spéciale, un supplément recommandé mais
facultatif. Rien d’étonnant à ce que, depuis des siècles,
les dévots tibétains trouvent que le seul symbole adéquat
de l’union quintessencielle de la forme et du vide est un
couple en train de faire l’amour. Dans la plupart des
temples, des milliers et des milliers de couples copulent
joyeusement dans une position assise plutôt stylisée : sur­
pris et immortalisés dans l’acte, tels des rangées d’abeilles
figées dans l’ambre.

272
Oui, il est grand temps que nos descriptions ridicule­
ment prudes de ces icônes yab-yum rendent justice à leur
beauté terrienne autant qu’à leur beauté sacrée. Grand
temps que nous cessions de faire les saintes nitouches et
de tourner autour du pot. Grand temps que nous osions
nous exprimer verbalement comme ils le font visuelle­
ment. En tous cas, en vertu de la loi selon laquelle les
extrêmes se rencontrent, il n’est pas facile, ni fructueux
de démêler l’érotique du sacré. Témoin le Tantrisme.
Témoin l’ancienne tradition des prostituées consacrées à
un temple dont les plinthes étaient ornées des sculptures
érotiques appropriées. Témoin le comportement excep­

273
tionnellement libre de nombreux dévots spirituels parfai­
tement sincères, tant au moyen-âge qu’à l’époque ac­
tuelle. Témoins les œuvres de génies tels que
D.H. Lawrence et James Joyce, etc. etc. Disons pour
résumer que le mariage entre la Mère et le Père cosmi­
ques - alias Madame Vide et Monsieur Forme - est
particulièrement réussi et que l’accouplement humain est
l’expression temporelle de leur étreinte extatique éter­
nelle.
Dans notre culture occidentale, il existe des synonymes
pour leur lit conjugal, le lieu sacré et profane où la forme
se transforme en vide par implosion, et le vide en forme
par explosion. L’un de ces termes est «le royaume des
cieux» qui est en nous, le royaume où règne l’amour.
C’est une scène très animée, par un mouvement à la fois
centripète et centrifuge. L’amour qui fait tourner le
monde y pénètre jusqu’au centre, et l’on ne peut s’empê­
cher de remarquer le coté sexuel de son mouvement de
va-et-vient incessant.

Ceci est la clef du royaume :


Dans ce royaume il y a une cité,
Dans cette cité il y a une ville,
Dans cette ville il y a une rue,
Dans cette rue il y a une ruelle qui serpente,
Dans cette ruelle il y a une cour,
Dans cette cour il y a une maison,
Dans cette maison il y a une chambre qui attend,
Dans cette chambre il y a un lit vide,
Et sur ce lit un panier -
Un panier de fleurs parfumées,
De fleurs, de fleurs,
Un panier de fleurs parfumées.

Fleurs dans un panier,


Panier sur le lit,
Lit dans la chambre,
Chambre dans la maison,
Maison dans la cour envahie de mauvaises herbes,

274
Cour dans la ruelle qui serpente,
Ruelle dans la grande rue,
Rue dans la ville haute,
Ville dans la cité,
Cité dans le royaume
Ceci est la clef du royaume,
Du royaume ceci est la clef.

11 est significatif que dans ce poème traditionnel si


justement célèbre le moment décisif, le lieu où l'implo­
sion atteint son point culminant et se transforme en
explosion, soit un lit. Quelle belle et riche image! Elle
associe le lit de mort (où le monde se termine), le lit de
naissance (où le monde commence) et le lit conjugal (où
tout le processus cosmique est reproduit à deux, dans les
étreintes et les cris que l’on appelle rapports sexuels)!
Quel mystère ! A la fois si lubrique et si subtil, si riche,
si complexe et varié, si religieux, si profond ! Et si univer­
sel, mon Dieu !
Oui, je sais : cette histoire de luxure universelle est trop
universelle pour être utile. Elle est poétique et fascinante,
c’est vrai, mais beaucoup trop générale pour être mise en
pratique là-haut, dans ce grand lit qui attend la suite des
événements. A quoi cela se réduit-il, la nuit, pour une
foule d’entre nous dont la vie sexuelle est aussi aléatoire
que le climat anglais ou aussi prévisible qu’un froid po­
laire? Ou encore, aussi invariable que le doux climat du
paradis terrestre et susceptible de devenir aussi ennuyeuse
que n’importe quelle autre routine?
Evidemment, je ne connais pas vos problèmes person­
nels dans ce domaine. Mais je connais leur solution. Ce
que vous avez à faire est évident. Quels qu’ils soient,
voyez qui a ces problèmes. Pour être plus clair, même
lorsque vous faites l’amour avec passion - surtout
lorsque vous faites l’amour avec passion - voyez votre
propre absence en faveur de l’être aimé. N’essayez pas
de sentir ou de comprendre votre absence : il n’y a Rien
à sentir ou à comprendre. Ne l’imaginez pas, ne la pensez
pas, ne la verbalisez pas sous forme de « Tiens, j’ai dis­

275
paru ! ». Simplement tournez votre regard aussi bien vers
l’intérieur que vers l’extérieur. Alors, on est loin du
« Comme je suis excité ! » ou « Quel plaisir sensationnel
il ou elle me donne !» Il y a des frissons de jouissance,
certes, mais il n’y a personne pour les ressentir. Non:
cette fois c’est : « Comme il ou elle est adorable et exci-
tant(e) ! » « Quel(le) partenaire incroyable ! », plutôt que :
«Quelles choses inimaginables il ou elle me fait ou fait
pour moi ! » Les sensations sont enivrantes parce qu’elles
sont vraies, vraiment centrées sur l’autre et non pas sur
soi, objectives et non subjectives. Une sexualité de cette
sorte qui implique que vous soyez véritablement vous-
même, et non une misérable doublure de vous-même -
c’est-à-dire que vous soyez ancré(e) en votre centre, à
0 centimètre de vous-même, plutôt qu’à un métré de
distance - est une véritable source d’illumination aussi
bien que d’épanouissement sexuel. Lorsqu’un blanc et
un noir se rencontrent, ils échangent leurs visages. De la
même façon lorsqu’un homme et une femme s’unissent
sexuellement, ils échangent leurs corps. Chacun reçoit et
prend le sexe opposé. Sans cet échange, c’est de la mas­
turbation à deux. Avec, c’est une méditation à deux qui,
pour être physique, n’en est pas moins spirituelle.
Evidemment, il est inutile d’essayer de déclencher cela
comme on presse sur l’interrupteur pour allumer la lampe
de chevet tamisée pour l’occasion. Il faut d’abord s’habi­
tuer à être absent-présent dans un aéroport, au bureau,
dans les magasins, dans la rue, dans notre salon aussi bien
que dans notre chambre à coucher. Jusqu’à ce que cela
devienne naturel d’être naturel à peu près partout et à
tous moments. Alors, si vous avez consacré assez de
temps et d’attention à perdre l’habitude de vous chosi-
fier, vous découvrirez qu’être absent-présent est aussi
facile au lit qu’à table, devant l’évier, à votre bureau ou
au volant. Ou même à l’église, à la synagogue, au temple
ou à la mosquée. Et ce n’est pas étonnant. Car vous ne
faites qu’appliquer à votre vie sexuelle la leçon que vous
ne cessez d’apprendre tout au long de votre vie, à savoir
que pour bien faire quelque chose, vous devez le faire à

276
partir de la perception que vous avez de votre Première
Personne et non de l’idée que vous vous faites de vous-
méme en tant que troisième personne. A partir de ce
merveilleux espace à la fois Vide-de-toutes-choses et
Plcin-de-toutes-choses que vous voyez que vous êtes, et
non de ce petit objet insignifiant que vous êtes au regard
des autres. Vous découvrez à nouveau que si mentir est
toujours inefficace, se mentir à soi-même sur soi-même est
pire que tout - que ce soit au lit ou ailleurs. Les faux
rapports sexuels, fondés sur de fausses images de soi,
«ont très peu satisfaisants. Et en fin de compte, toutes
les images de soi sont fausses. Par contre, les rapports
sexuels fondés sur l’absence totale d’image de soi sont
très épanouissants. Parce qu’ils sont naturels.
Qu’est-ce donc que vous faites, alors, avec tant de
naturel? Vous faites ce qui est censé être la chose la plus
difficile au monde, mais qui est en fait la plus facile. Vous
voyez Qui vous êtes. L’habitude s’impose à vous peu à
peu. Elle gagne votre vie sexuelle qui devient ainsi plus
agréable. Mais bien sûr, les relations sexuelles authenti­
ques ne sont pas seulement faites de plaisir physique.
Idles sont faites d’amour. Sinon, elles ne sont guère plus
qu’un accouplement animal visant à décharger des ten­
ions « sous-animales » (comme on dégonflerait un pneu)
et suivi de l’abattement, du goût amer, de la nausée du
post coïtum triste. Si les rapports sexuels sans amour sont
une gymnastique stressante et dénuée de sens - si gagner
des compétitions sexuelles (marathons, conquêtes amou­
reuses, collection de positions, recherche du pouvoir,
athlétisme en chambre et stratégies de lit de toutes sor­
tes) est beaucoup moins gratifiant que gagner n’importe
quelle compétition ordinaire - c’est pour une raison très
«impie. La nature-même des épreuves sportives sur piste
est essentiellement de séparer, car elles sont fondées sur la
rivalité et l’art de faire mieux que les autres. Alors que la
nature des épreuves au lit est essentiellement d’unir, car
elle est fondée sur l’art de disparaître en faveur de l’autre,
de descendre tout au fond jusqu’à la source-même de
l'amour. Aimer vraiment quelqu’un - avec ou sans le

277
bénéfice du sexe c’est descendre au niveau où il ou elle
n’est plus quelqu’un d’autre, mais le soi de soi-même. Le
Prince Lindworm et sa Princesse ne pouvaient pas
consommer leur mariage, ne pouvaient pas s’aimer vrai­
ment tant qu’ils n’avaient pas fait tout le chemin jusqu’au
Bout du Monde et à la Ligne de Base, l’origine et l’abou­
tissement de tout amour, quel qu’il soit.
Mais que serait-il arrivé si seulement l’un d’entre eux
avait fait le chemin, si lui ou elle avait insisté pour garder
une couche de protection - une pellicule d’écailles de
serpent ou une dernière chemise de nuit? Que faire si
votre partenaire souhaite rester en-deçà de cette Ligne
où vous pourriez ne plus faire qu’un ?
La réponse est que vous êtes déjà parfaitement un, bon
gré mal gré, même si il ou elle choisit pour le moment
d’ignorer cette vérité éternelle. Ainsi le problème d’un
comportement unilatéral n’est pas un problème du tout.
Bien sûr, il est préférable que vous partagiez consciem­
ment votre plongée vers le Lieu où il n’y a plus de dualité.
Mais l’essentiel est que vous vous occupiez de vos propres
affaires qui, à ce niveau-là, sont celles de votre partenaire
et du monde entier.
Car voyez : vous enregistrez en ce moment cette page
imprimée. Le fait qu’elle ne soit pas vide-pour-vous vous
rend-il moins vide-pour-elle ? Lorsque vous regardez une
rose, votre plaisir est-il moindre à l’idée que le sentiment
n’est pas réciproque? Absolument pas. La vérité stupé­
fiante et pourtant évidente est que vous ne pouvez voir
Qui vous êtes vraiment, vraiment qu’en tant que Qui vous
êtes vraiment c’est-à-dire en tant que tous les êtres, en
tant que l’Unique Qui Voit à travers eux tous. Vous
n’atteignez pas ce stade de conscience de soi et d’amour
véritables, vous ne vous reposez pas sur votre Ligne de
Base en tant que quelqu’un, mais en tant que Personne-
Tout le monde. Dans le domaine sexuel comme ailleurs,
soyez simplement Qui vous êtes vraiment et vous incluez
l’autre.
En-dehors de ce niveau ultime, il demeure un fait
incontestable, c’est que même si vous appliquez cette

278
thérapie à vos complexes sexuels, il vous en restera tou­
jours quelques-uns. Et de nouveaux problèmes risquent
de surgir, avec leur dose de stress. C’est sûr.
Mais il y a un traitement universel pour tous, quels
qu’ils soient et le voici : considérez les problèmes comme
des flèches lumineuses qui vous renvoient à votre terre
natale, le pays bien-aimé semé de roses, exempt de tous
problèmes, sexuels ou autres.
Regardez: ce véritable lit de roses se trouve à trente
centimètres environ de cette page imprimée, de votre côté.
C’est le lit d’amour vide et parfumé sur lequel l’univers
est conçu et en train de naître en ce moment-même...

un lit vide
Et sur ce lit un panier -
Un panier de fleurs parfumées :
De fleurs, de fleurs,
Un panier de fleurs parfumées,
Ceci est la clef du royaume,
Du royaume ceci est la clef.

LA VIE EST DIFFICILE


L’ami infortuné dont j’ai parlé plus haut, celui qui
devait lancer mon invention mais n’a pu le faire parce
qu’il a été mis en prison, m’a écrit une longue lettre
enflammée pour me dire qu’il avait découvert là-bas que
la vie est difficile ! Jadis acclamé du public, il était soudain
devenu l’objet de son mépris (hypocrite, certes, mais
difficile à supporter), avec un procès qui avait fait beau­
coup de bruit et une peine de prison qui avait bouleversé
toute sa vie de famille. Il avait fallu cette longue et dure
épreuve pour lui faire prendre conscience de cette vérité
remarquable. Il avait fallu à Gautama Bouddha sept ans
de mortifications si terribles qu’il faillit en mourir pour
parvenir à la même conclusion : la vie est souffrance. Et
elle lui a semblé si importante qu’il l’a appelée: «La
Première Noble Vérité ». Remarquez bien : Noble Vérité.

279
Je trouve cela bizarre. A première vue, les deux hommes
ont payé très cher une découverte qui aurait dû n’être que
trop évidente dés le début (depuis les cris de la naissance
jusqu’au râle de la mort) et ne pas coûter un centime de
plus. Mais à la réflexion, ce qui est vraiment évident c’est
que peu d’entre nous ont commencé à apprendre, et encore
moins à appliquer, la leçon qui nous enseigne que toute
existence vécue au-dessus de la Ligne de Base est un fiasco,
une désillusion. Ou tout au moins, qu’elle est partagée en
deux, parce que le positif est toujours assorti du négatif et
qu’on ne peut avoir l’un sans l’autre. Le dilemme est
insoluble à ce niveau. L’âge d’or ne se lèvera point. Pas
d’armistice entre les combattants, encore moins de traité
de paix, et aucun espoir d’éviter le stress inévitable dans
ces conditions. Ce n’est pas que, par malheur, la vie soit
difficile pour beaucoup d’entre nous, mais qu’elle est
conçue pour être difficile pour nous tous, malgré les appa­
rences et malgré les espoirs qui renaissent éternellement.
On peut comprendre pourquoi des millions d’Orientaux
réalistes croient qu’être pris dans la Roue de la Vie est
une grande infortune et que pour atteindre le bonheur
suprême, il faut s’en libérer à jamais.
Ce qui est curieux c’est que nous soyons tellement
surpris, ou même choqués, fâchés, humiliés, pleins
d’amertume, le tout à des degrés divers, chaque fois que
nous refaisons cette découverte capitale. Nous avons beau
passer des années, des dizaines d’années, toute une vie à
redécouvrir sans cesse cette Vérité soi-disant Noble, cela
ne change rien. En incurables optimistes que nous som­
mes, nous continuons à croire, contre toute évidence, que
la vie n’est pas une guerre impossible à gagner entre le bien
et le mal, l’amour et la haine, la beauté et la laideur, etc.
mais qu’elle est en réalité bonne, belle et pleine de ten­
dresse, même si l’époque est provisoirement détraquée.
Ceci est un château en Espagne. La vie est essentiellement
bipolaire, et c’est la leçon la plus dure que nous ayons à
apprendre. Dés la petite enfance, nous sommes partagé
en deux, et nous le restons toute notre vie.
Les conséquences pratiques de cette division semblent

280
d'abord inacceptables, puis humiliantes. Nous sommes
amenés à admettre par exemple que, dans la mesure où
il est bien vivant, notre amour est loin d’être dévotion
pure, que notre relation avec l’être aimé est une relation
d’amour-haine, et qu’on n’y peut rien. Que notre métier
cul un mélange de joies et de souffrances. Que bonté et
générosité sincères ne peuvent exister en nous sans la
dureté et l’égoïsme tout aussi sincères. Que l’intelligence
1a plus aiguë exige une certaine forme d’idiotie. Et ainsi
de suite. Il n’y a pas d’exception à la règle. Artistes du
cirque de la vie, nous ne cessons de pratiquer le Grand
Ecart et le Grand Numéro d’Équilibre. On pourrait dire
que la vie est di-abolique, une gigantesque entreprise de
dualité, un festival de contradictions et de conflits inté­
rieures. Et c’est ce que nous appelons le stress.
Voici quelques exemples de ces contradictions, pris au
hasard, et leurs résultats dans la vie :
1 - Le premier est encore celui de Thérèse de Lisieux. Si
la sainteté est moins synonyme de bonté que d’humilité et
d’amour, alors Thérèse a bien mérité sa canonisation.
Mais évitons de simplifier à l’extrême. Prenez l’extrait
üuivant de son Autobiographie :

«Une grande grâce m’a été accordée; l’une des plus


grandes, je crois, que j’ai jamais reçue dans ma vie...
J’ai senti que j’étais née pour un grand destin. Mais
quand je me suis demandée comment j’allais le réa­
liser, Dieu a mis dans mon esprit l’idéal que je viens
de mentionner (Celui de Jeanne d’Arc.) La gloire qui
m’était réservée était de celles qui ne se révèlent pas
aux yeux des hommes : je devais me consacrer à
devenir une grande sainte... L’ambition audacieuse
d’aspirer à la grande sainteté ne m’a jamais quitté. »

Eh bien si l’on appelle cela de l’humilité, je voudrais


bien savoir ce que c’est que l’orgueil! Thérèse a réalisé
non ambition. Elle est devenue l’une des saintes les plus
authentiques et les plus attachantes des temps modernes.
Il lui a fallu tout cet orgueil pour atteindre une telle

281
humilité, parce que tout en étant une sainte, elle était
aussi humaine que n’importe lequel d’entre nous.
2 - Notre second exemple va être beaucoup plus proche
de nous. C’est à vous que je vais m’adresser. Pensez à l’être
que vous aimez de tout votre cœur et de toutes sortes de
façons - votre mari ou votre femme, peut-être - et qui vous
rend votre amour. Est-ce un amour constant et toujours
égal, jamais troublé par le moindre malentendu, le moindre
ressentiment, par aucune crise d’aucune sorte? Croyez-
vous vraiment que si seulement vous aviez plus de matu­
rité et de tendresse vous pourriez jouir de la rose de cette
amour sans que jamais ses épines puissent vous blesser ? Et
avez-vous la naïveté de penser que quelque part dans ce
monde (et pas seulement dans les romans) il y a des gens
plus heureux et meilleurs que vous qui, toute leur vie,
connaissent un amour régulier et sans complication, sans
jamais expérimenter son contraire? Si oui, cher lecteur,
vous feriez bien d’y réfléchir à deux fois.
3 - C’est à moi, maintenant, de fournir le troisième
exemple. Un vieil ami très cher m’a téléphoné pour m’an­
noncer sa visite aujourd’hui, ajoutant que j’allais avoir un
choc en le voyant. Non, il ne s’était pas fait pousser la
barbe. Non, il n’avait pas été défiguré dans un accident,
enfin, pas exactement. Il avait un œil au beurre noir.
Certainement pas le résultat d’une bagarre de rue ou
d’une rixe de bar: ce n’était pas son genre. Querelle de
ménage? Je posais la question avec autant de tact que
possible. Exactement, répondit-il. Et je dirais que sa
femme et lui forment un couple tout a fait uni. Mais...
la vie est difficile. Elle nous offre des yeux brillants et
souriants, mais aussi des yeux au beurre noir, aux sens
propre et figuré.
4 - Hier aussi, j’ai reçu une lettre d’un ami israélien
contenant de nombreuses citations du journal d’une jeune
fille juive, Ethy Hilthum. Elle habitait Amsterdam et lors
de la Seconde Guerre mondiale fut déportée à Auschwitz
où elle mourut. En voici quelques extraits traduits de
l’hébreu par mon ami :
« Nous essayons de sauver tant de choses dans la vie

282
en nous réfugiant dans un mysticisme vague. Mais le
mysticisme doit être fondé sur une base de franchise
totale et sur un examen froid et lucide des choses.

«La plupart des gens ne voient dans la vie que ce


qu’il est permis de voir, mais nous devons nous
libérer de toutes les idées préconçues... alors la vie
devient riche et abondante, même dans les moments
de grande souffrance.
« La souffrance ici est vraiment terrible. Et pourtant,
le soir, à la tombée du jour, je marche d’un pas
joyeux le long des barbelés, et de mon cœur s’élève
toujours le sentiment que la Vie est merveilleuse. »

Pour ma part, je pense que ces trois extraits du journal


d'Ethy ne font qu’un et que le réalisme pur et brutal des
ilcux premiers doit être considéré comme la condition
préalable, l’autre face du troisième et de la joie tendre
dont il est empreint. Elle avait l’intelligence, le cœur et
lu grâce de considérer les deux aspects violemment oppo­
sés de sa vie à partir du Lieu de leur origine, à partir de ce
que nous appelons sa Ligne de Base, et de les y maintenir
unis. A ce sujet elle écrit: «Je trouve la paix en moi-
même. Et ce “Moi”, cette partie la plus profonde et la
plus riche de moi, je l’appelle Dieu. »
Ces quelques exemples pris au hasard illustrent bien la
forme que prend le Grand Numéro d’Equilibre dans la
vie réelle. Je pense que nous n’aurons aucune difficulté à
trouver d’autres exemples tirés de notre propre expé­
rience. Ce qui complique tout, c’est notre tendance à
toujours nous réfugier dans un optimisme (pour ne pas
dire une euphorie) aveugle et nous entêter à prétendre que
nous pouvons vivre quelque chose d’heureux et de bon
«ans avoir à subir son contraire, l’épreuve de force et la
désillusion inévitable: plus on s’est envolé dans le bon­
heur, plus on retombe dans la tristesse. Il est mauvais
pour nous de vivre ainsi. Si vous reconnaissez que la vie
est comme les montagnes russes, ses hauts et ses bas ne
vous affecteront pas. Niez-le et vous serez malade. Pour

283
éviter le stress toxique, il est essentiel de dire la vérité, à
savoir que «l’homme est né pour avoir des problèmes
comme les étincelles pour s’envoler» et qu’il ne peut
rien y faire. Rien, sinon cesser d’ignorer le Non-né.
Le funambule qui marche sur son fil en plein ciel a
besoin de tout le poids du négatif dans sa main gauche
pour contrebalancer celui du positif dans sa main droite.
Et quelle angoisse jusqu’à ce qu’il aperçoive le Filet de
Sécurité tendu au-dessous de lui.

Regardez à nouveau, s’il vous plaît, le Lieu où les bras du


funambule se rencontrent - ou plutôt où ils ne se rencon­
trent pas mais disparaissent dans l’Absence d’épaules,
dans le Vide total.
Regardez à nouveau votre Ligne de Base, le Bout du
Monde, le Bord par-dessus lequel tout votre stress est
déchargé. Et voici qu’un nom de plus s’ajoute à notre liste
pour désigner ce Lieu remarquable entre tous et pourtant si
méprisé : notre Filet de Sécurité. Car lui seul est au-delà de
tous les contraires, indivisible, immuable, invulnérable,
l’amortisseur de tous les chocs. Suspendue en l’air, très
haut au-dessus de ce Filet ou Trampoline d’Or, de ce
Plancher du Ciel (qui est aussi le Plancher de l’Enfer)
toute la vie est atrocement difficile. La seule façon de
supporter les tensions de la vie du cirque, c’est de ne jamais
perdre de vue le Tapis Magique qui amortit les chutes.
Ce merveilleux revêtement de sol me rappelle une petite
histoire de je ne sais où. Il y a très longtemps, le Paradis

284
était au sommet du monde, si haut que très peu de saints
(«ans parler des pécheurs tels que vous et moi) y arri­
vaient. Les anges se consultèrent et décidèrent de l’abais­
ser un peu. Mais il était encore trop haut et une minorité
seulement réussissait à l’atteindre. Ils l’abaissèrent encore,
sans beaucoup plus de succès. Finalement ils le laissèrent
tomber par terre, et même jusqu’au sous-sol du monde,
où il se remplit enfin.
Voyez donc par vous-même. Pour trouver le Paradis,
laissez la vie vous envoyer au tapis. Elle le fera, soyez-en
sûr, elle vous laissera tomber - jusque dans le Filet de
Sécurité qui, lui, ne vous trahira jamais. La vie ne peut
que vous décevoir. Mais si vous n’attendez rien de la
Vacuité qui sous-tend la vie, elle ne peut pas vous déce­
voir. Et si vous attendez tout d’elle, elle ne peut pas vous
décevoir non plus. C’est la pusillanimité avec laquelle nous
demandons à la vie une chose précise - cette rose-ci ou cette
rose-là, et sans épines, en plus - qui est source de stress et
nous empêche de jouir pleinement du jardin de roses.
Sans aucune raison apparente, vous vous êtes produit.
Imprudemment, vous avez choisi la vie - et vous voilà
pris dans une aventure terriblement stressante. Et plus
stressante encore qu’elle n’en a l’air. Car ce n’est pas
que vous soyez condamné à vous charger de toutes sortes
de formes de stress une fois devenu un adulte mature,
mais que être mature c'est se charger de tout le stress.
Et être vraiment mature, c’est se charger consciemment
de tout le stress du monde depuis son Origine, depuis la
Base - la Base d’où tout procède et où tout retourne. En
particulier, ce n’est pas que vous et moi nous soyons
chargés de un, deux ou même trois des lourds fardeaux
que nous avons évoqués dans ce chapitre, et que - Dieu
merci ! - nous soyons libres du reste. Que, par exemple,
suffisamment écrasés par l’ennui et la solitude, les senti­
ments de culpabilité et d’échec nous soient épargnés.
Non. Que nous le voulions ou non, nous sommes enga­
gés dans cette affaire difficile jusqu’au cou. Et c’est une
affaire de tout-ou-rien - plutôt une affaire de tout-et-rien
à responsabilité illimitée. Nos idées sur la vie ne tiennent

285
pas debout, sont partiales et fragmentaires. La vie elle-
même est bien faite, englobe et accepte tout. Nous avons
beau essayer, il n’est pas question de choisir les bons
morceaux et de jeter le reste. Pas question de faire la
fine bouche et de choisir ce qui nous plaît parmi ses
principaux ingrédients, même si un grand nombre d’en­
tre eux sont plus amers que l’armoise.
La plupart d’entre nous dont la vie n’est pas exposée
sur la place publique peuvent cacher aux autres l’ampleur
de leur stress, et l’ignorer eux-mêmes dans une certaine
mesure. Volontairement ou pas, quelques-uns sont plus
exposés aux feux de la rampe. Pour une raison ou pour
une autre, leur triste histoire est révélée, le bilan est
publié. Prenons un exemple très instructif, la célèbre
histoire de quelqu’un à qui il n’a été épargné aucun des
problèmes que nous avons cités. Un homme qui a connu
toutes ces souffrances. Un génie qui a su descendre au
fond de lui-même et s’inspirer librement de la Base où
tous les problèmes sont résolus, et qui pourtant a trouvé
moyen d’en rester si éloigné. Je parle de Piotr Ilitch
Tchaikovski, considéré en général comme le plus grand
des compositeurs russes.
Toute sa vie, il a été en proie à une psychose maniaco-
dépressive. Les phases euphoriques étaient de courte durée,
les états dépressifs interminables. Lorsque son ami Nicolai
Rubinstein critiqua violemment son Premier Concerto de
piano, il sombra pendant neuf mois dans une dépression
aiguë qu’il décrit comme si insupportable qu’il aurait voulu
être mort. Les quelques œuvres composées pendant cette
période - sa Sérénade Mélancolique et des chants désespé­
rés - reflètent son humeur sombre. Et il ne s’agissait pas de
la crise de confiance d’un jeune compositeur : il avait trente-
cinq ans et était déjà sur le chemin de la gloire.
Plus tard, alors qu’il était au faîte du succès internatio­
nal le plus spectaculaire que l’on puisse imaginer, il souf­
frait encore de périodes de dépression, doutant de sa
carrière, de son talent créateur. Les triomphes fréquents
ne compensaient pas les quelques échecs. La devise qu’il
avait adoptée instinctivement n’était pas: «Je gagne à

286
droite ce que je perds à gauche », mais « Perdre une seule
chose, c’est tout perdre». Pour lui, son énorme succès
populaire ne parvenait pas à compenser la malveillance
des critiques.
Evidemment, doutant ainsi maladivement de lui-même
il était paralysé par l’indécision. Après avoir mis tous ses
espoirs dans certaines de ses compositions, il les prenait
ensuite en horreur et les détruisait. Puis il le regrettait et
essayait de les reconstituer. A propos de l’une de ses
œuvres majeures qu’il avait composée avec un soin et un
enthousiasme tout particuliers, il écrivit: «Vous ne pou­
vez imaginer pire souffrance que la mienne... L’opéra
"Oprichnik” est si mauvais que je m’enfuis des répéti­
tions pour ne pas entendre une note de plus. Il n’y a
aucune action, aucun style, aucune inspiration. »
De tels excès d’auto-critique n’étaient guère favorables
них relations personnelles. Les accès de sociabilité stimu­
lée par la boisson alternaient avec les crises de misanthro­
pie. Aimable et généreux avec les individus, il affirmait
qu’il «haïssait l’humanité dans son ensemble» et recher­
chait souvent la paix dans la solitude à la campagne ou
dans les pays étrangers où il pouvait passer inaperçu.
Cependant lors d’un voyage à Rome, Naples, Florence
et Venise, il se plaignit de n’avoir pu échanger une seule
parole amicale avec les gens qu’il avait croisés. Il rêvait de
la chaleur de la vie familiale. Et quand finalement il se
décida à se marier (un acte de pure folie de la part d’un
homosexuel confirmé), le résultat fut si abominable qu’il
tenta de se suicider. Ses préférences sexuelles (il parlait en
termes voilés de la « sensation Z »), mais aussi ses dépen­
ses extravagantes face à la misère environnante entrete­
naient en lui un sentiment de culpabilité qui le poursuivit
jusqu’à la fin de sa vie.
On pourrait croire que par compensation au moins,
cette tempête de problèmes ne le condamnerait jamais à
l’immobilité dans la mer lisse de l’ennui. Mais non. La vie
lui semblait souvent atrocement terne. Après avoir
composé le « Lac des Cygnes » se trouvant « en panne
d'idées», il se plaignit moins du manque d’inspiration

287
que de l’ennui. Peu de compositeurs ont travaillé aussi
dur que lui, pourtant il considérait la paresse, son dégoût
du monde et l’ennui comme ses pires cauchemars. A
vingt-neuf ans, il se reprochait d’être «morne, fatigué,
médiocre, mauvais professeur, impopulaire et gros».
(Les photos prouvent qu’il était beau!) A trente-et-un
ans il écrivit : « Je suis vieux, plus rien ne m’intéresse. Je
vis de souvenirs et d’espoirs. Mais que puis-je espérer?»
Bref, il serait difficile de trouver une seule forme de
stress dont ce brillant compositeur n’ait pas souffert gra­
vement, de son propre aveu dans sa correspondance vo­
lumineuse et dans ses conversations. Le miracle, l’énigme
sinon le paradoxe, c’est qu’une âme aussi tourmentée ait
pu produire l’une des musiques les plus sublimes - tendre,
lyrique, et d’une aérienne gaieté - qui ait jamais été
offerte à nos oreilles ravies.
La question est peut-être absurde mais il faut la poser :
aurait-il créé une telle œuvre musicale si sa vie avait été plus
calme, moins angoissée, moins sombre et cruelle ? S’il avait
accepté le fait que la vie est terriblement difficile de toute
façon ? S’il avait eu par exemple le même tempérament que
Brahms, son brillant contemporain allemand si posé et
équilibré? S’il avait été moins enclin à l’auto-destruction?
(Personne ne sait s’il s’est finalement suicidé ou non). La
tempête de stress dans laquelle il a vécu était-elle le prix à
payer pour ces rythmes sereins? S’il était descendu cons­
ciemment en lui-même pour se libérer de son stress en le
déversant au-delà de sa Ligne de Base, aurait-il été le grand
compositeur que le monde entier reconnaît aujourd’hui en
lui ? Ou n’aurait-il été, au contraire, qu’un musicien banal,
connu seulement de sa propre génération ?
Il y a une chose dont je suis sûr : lorsqu’on a dit et fait
tout ce qu’on devait dire et faire, on doit prendre les gens
comme on les trouve, les laisser être ce qu’ils sont obligés
d’être et même les aimer pour cela et cesser de prétendre
savoir ce qui est bien et mal pour eux à tel moment, ce
qu’ils doivent faire ou ne pas faire. Finalement, la seule
façon dont on puisse aider les autres, c’est en se mêlant de
ce qui nous regarde, nous. Néanmoins la question que

288
nous avons posée à propos de Tchaikovski mérite une
réponse, car elle en entraîne une autre qui, elle, nous
regarde : ai-je à choisir entre un stress intense et un très
haut niveau de créativité d’une part, et peu de stress mais
une créativité moindre de l’autre? Pourquoi tous ces
llchus efforts pour nous débarrasser de notre stress, si
[>ar la même occasion nous perdons toute notre origina-
ité, notre inspiration, notre génie qui nous permettent
d’apporter notre contribution unique à notre culture, à
l'humanité, au monde, quel qu’en soit le prix?
J’espère que grâce aux découvertes que nous avons
faites ensemble, vous êtes aussi certains de la réponse
que moi-même. Pour ma part, je ne crois pas que le fait
d'être en bonne santé puisse nous nuire d’aucune façon,
ni diminuer notre impact sur les autres, ni compromettre
le service que nous pouvons rendre à l’humanité. Je ne
crois pas que la musique eût été plus pauvre si Tchai­
kovski avait été plus équilibré, que nous aurions perdu
ce qu’il aurait gagné. Je ne crois pas que l’univers soit un
enfer où la misère et le mal auraient le dernier mot, un
monde où la souffrance serait vaine et ne porterait pas en
elle le germe de sa propre transformation en joies incom­
parables et inattendues. Mon cœur, mon esprit, mon
expérience de cette traversée périlleuse qu’est la Vie me
disent qu’il n’en est rien. En revanche, tout me dit non
pas, j’insiste : non pas que les épreuves amères qui nous
attendent vont nous être épargnées, mais que leur trans­
formation soudaine, magico-chimique, en leur contraire
n'est jamais très loin. La formule n’est pas seulement à
portée de main. C’est en plein visage qu’elle nous frappe,
notre Visage Originel, celui qui n’est pas ici. Cet index se
tient tout prêt à me reconduire Chez Moi.
Mon but n’est absolument pas d’esquiver ou d’endor­
mir la souffrance, mais de la remettre à sa place. Ce livre
sc propose de découvrir l’unique Sanctuaire qu’elle ne
peut envahir et le moyen d’y accéder. Il s’agit de recon­
duire le stress à sa place, comme on reconduit un cheval
du jardin de fleurs à la cour de la ferme.
Chaque fois qu’il retrouvait sa Muse, Piotr Ilitch

289
Tchaikovski avait libre accès à ce jardin heureux, avec sa
Fontaine centrale d’où jaillit l’inspiration avec prodiga­
lité. A ces moments-là, du moins, il cessait de boucher la
Fontaine. Dans le rire et les chants, en composant sa belle
musique, il se débarrassait de sa tête... comme on débou­
che à grand bruit une bouteille de champagne qui coule
alors à flots, libre et pétillant.
Mais la plupart du temps, hélas!, l’espace largement
ouvert qu’il était naturellement était obstrué par un bou­
chon monstrueux d’une vingtaine de centimètres de large
qui, même s’il n’était qu’imaginaire, réussissait à réduire le
flot de l’inspiration à un mince filet, un misérable goutte à
goutte. D’une manière ou d’une autre, il s’arrangeait pour
maintenir sa tête là où elle ne devait pas être, pas aussi
fermement et continuellement que la plupart d’entre nous,
certes, mais assez pour lui faire vivre l’enfer. Voici par
exemple la description de sa première apparition en tant
que chef d’orchestre, par un ami qui était présent :

« J’ai vu qu’il était affolé. Il a fait une entrée timide,


comme s’il voulait se cacher ou s’enfuir, et lorsqu’il
est monté sur la tribune il semblait au supplice. Il
semblait avoir totalement oublié son œuvre. Il ne
voyait pas la partition devant lui et dirigeait tout
de travers. Heureusement les musiciens connais­
saient si bien la musique qu’ils jouèrent sans faire
attention à lui... Par la suite, Piotr Ilitch m’a dit
que dans son affolement, il avait eu l’impression
que sa tête allait tomber de ses épaules s’il ne la
maintenait pas fermement en place. Pour éviter
cela, il avait serré sa barbe très fort d’une main
pendant tout le concert. »

En fait, s’il avait laissé la maudite chose s’en aller, cela


l’aurait sauvé lui et le concert.
Pourquoi l’idée de la vie sans tête était-elle encore plus
angoissante pour Tchaikovski que la réalité de la vie
avec? Pourquoi nous accrochons-nous tous si fort et la
plupart du temps à cette chose monstrueuse qui nous

290
rend la vie si dure ? Pourquoi allons-nous même jusqu’à
chérir l’instrument de notre torture ?

La réponse est dans la question. Nous supposons qu’une


vie dure vaut mieux que l’absence totale de vie. Nous
Nupposons que les hurlements de douleur qui résonnent
dans la chambre de torture brillamment éclairée de la vie
«ont moins terribles que le silence éternel de la nuit dé­
serte de la mort. Nous supposons que la poêle à frire dans
laquelle la vie nous fait réduire à petit feu est préférable à
la flamme qui nous consume intégralement. Nous suppo-
10ns que vivre sans tête, que ce soit au Ciel, en Enfer ou
eur Terre, c’est ne pas vivre du tout. Et Tchaikovski
nupposait que, même si c’était douloureux d’avoir cette
chose vissée sur lui, la laisser disparaître serait encore
pire. C’est ce qu’il supposait, et c’est ce que nous suppo-
*ons. Supposons, supposons, supposons...

291
Au lieu de nous perdre dans toutes ces suppositions,
pourquoi ne pas simplement regarder pour voir? Pour
vérifier si nos craintes sont fondées ou pas? Allez-y,
maintenant: soyez votre propre bourreau... et survivez.
D’un seul coup, délivrez-vous de ce boulet de concentré
de détresse plus lourd que le fer, et sauvez-vous, joyeux et
libre comme l’air et la lumière du jour. Regardez et voyez
maintenant l’effet que cela vous fait de mourir... et de
ressortir de l’autre côté non seulement indemne, mais
purifié, rafraîchi, déployé à l’infini et devenu étemel. Si
vous avez du mal à vous laisser glisser dans cette nuit
noire, si vous trépignez de colère et pleurez sur vous-
même, c’est que vous refusez de regarder vraiment pour
découvrir que cette obscurité est un excès de lumière,
l’éclat éblouissant d’un million de soleils.
Mais êtes-vous vraiment cohérent? Jusqu’à quel point?
Vous avez grand peur d’accepter l’évidence, les faits tels
qu’ils sont donnés. N’est-il pas vrai, pourtant, qu’au fond
de votre cœur il y a quelque chose qui vous dit de les
accueillir chaleureusement? Et qu’à un certain niveau,
vous savez que votre salut réside dans votre soumission
à ce qui est, votre humble acceptation de ce que cela
signifie d’être cette Première Personne du Singulier, indi­
catif présent? Dans ce cas, bénie soit l’incohérence! Mais
quelle incohérence monumentale, quelle duplicité, même !
Quelles contradictions flagrantes - et sur le sujet le plus
vital, en plus ! Sur le Sujet Soi-même !
Vous souvenez-vous de la déesse égyptienne de Г An­
cien Empire (citée plus haut) qui faisait pratiquement
étalage de sa Première Personne et nous renvoyait si
efficacement à la nôtre? Eh bien, étant donnée cette
duplicité innée que nous partageons tous, comment
s’étonner de ce qu’elle ait allié le charmant à l’horrible,
le plus divin au plus bestial, le plus rassurant au plus
effrayant. C’est sous le nom de la Déesse Scorpion
qu’elle devint célèbre sous le Nouvel Empire. Vous
voyez pourquoi ?
Oui, la vie est difficile, c’est vrai. Déesse et scorpion
coexistent, malaisément, mais pour toujours. Ces mains

292
dispensatrices de bonheur ne cesseront de se transformer
en pinces pour saisir, broyer et déchirer.
Mais ne perdez pas de vue le lieu d’où elles provien­
nent. Au bas de chaque image, et de la vôtre maintenant,
»c trouve la Ligne de Base où toutes vos manifestations se
fondent dans l’Un et l’Unique, au-delà de toute beauté et
de toute horreur.

à gauche : « La déesse Selkhet - 1500 av. J.-C. »


ti droite : « Un scorpion vu par lui-méme ressemble à peu près à ceci ».

Il n’est pas difficile de voir Ceci et d’être Ceci. En fait,


lu vie éternelle, la Vie derrière la vie, est terriblement
facile !

CONCLUSION :
TROIS ATTITUDES POSSIBLES
Toutes les conclusions auxquelles nous sommes parve­
nus ici en ce qui vous concerne personnellement - je veux
dire: du point de vue de la Première Personne - sont
extrêmement flatteuses. Si on mettait le sujet aux voix,

293
qui ne conviendrait que cette description de vous comme
le Lieu de l’Etre, la Source de Tout, ou a fortiori l’Unique
est de l’intoxication pure et simple? Bien. Alors, fini le
délire. Nous allons commencer la conclusion de ce chapi­
tre par ce que tout le monde pourrait appeler un portrait
de vous sain et mesuré, crédible, pas embarrassant et
«réaliste». Bref, l’opposé de cette autre description qui
n’était rien de tout cela. Voici donc :

Vous n’avez rien de spécial, vous êtes un parmi des


millions et pas plus divin que les autres. Vous êtes
seulement humain, somme toute, ce qui signifie que
vous n’êtes pas parfait, que vous avez beaucoup de
défauts. En réalité il y a quelque chose de détraqué
en vous, de terriblement détraqué. Pour commencer,
si vous êtes en train de lire ce livre sur le stress, c’est
que vous admettez que vous en souffrez et qu’il vous
rend la vie impossible. Et ceci n’est que l’une des
nombreuses angoisses qui montent en vous comme
les gaz des marais se dégagent de la végétation pour­
rissante. Nous avons observé environ sept des formes
que revêt votre stress, mais en fait leur nombre est
illimité. Mauvaise nouvelle? oui, mais pas de quoi
désespérer. Il y a beaucoup de remèdes disponibles
pour améliorer votre état rapidement. Le marché
regorge d’offres de thérapies de toutes sortes. Alors,
ne restez pas assis là à gémir sur la condition hu­
maine. Pour l’amour de Dieu, pour vous-même,
faites quelque chose! Cessez de broyer du noir et
de contempler votre nombril. Agissez !

Vraies ou fausses, voilà le genre de choses que la société


nous serine toute notre vie sur tous les tons plus ou moins
subtils. Nous avons rapidement entendu et appris la
leçon! Et quel empressement nous mettons à y croire,
avec quelle joie, quel soulagement même, nous nous
laissons convaincre! Comme nous sommes heureux de
nous être débarrassés de notre outrecuidance infantile
qui nous faisait croire qu’ici régne le Roi du Monde,

294
I* U nique qui est le Centre de l’univers, absolument extra­
ordinaire et très important. Quel bonheur d’avoir rejoint
lu race humaine, si vile soit-elle. Nous buvons les mau­
vaises nouvelles comme du petit lait. Beaucoup d’entre
nous sont impatients de se prosterner devant n’importe
quel gourou ou anti-gourou qui nous démontre de façon
éclatante dans quel pétrin nous sommes. Et nous le sui­
vrons à travers le monde pendant des années rien que
pour continuer à l’entendre décrire notre infortune et le
peu de chances que nous avons de nous tirer de là.
Loin de moi l’idée de jouer au trouble-fête et de gâcher
le plaisir de ceux qui se délectent à s’inquiéter de leur état
(et plus les nouvelles sont mauvaises, mieux c’est). Ce
livre ne s’adresse pas à eux, mais à ceux qui en ont
assez de se lamenter sur leur triste destin. Aux hommes
et aux femmes qui ne souhaitent ni applaudir ni se dissi­
muler les mauvaises nouvelles qui leur parviennent de
tous côtés depuis si longtemps, mais qui sont décidés à
étudier le sujet de manière honnête, intelligente et
concrète.
Traitons donc cette histoire de nos infortunes person­
nelles aussi raisonnablement et aussi calmement que nous
traitons des problèmes moins personnels, en affaires par
exemple.
Supposons que vous soyez le président d’une grosse
société. Or le bruit se répand que le désastre est immi­
nent, que la firme court à la faillite et son patron à la
disgrâce et à la ruine. Quelle va être votre réaction ?
Il y a trois attitudes possibles, totalement différentes :
1. Vous pouvez refuser de réagir, partir en croisière
autour du monde et cesser d’y penser, persuadé que la
situation va se régler d’elle-même.
Ce qui est fort peu probable. Vous risquez plutôt
d’avoir de graves ennuis à votre retour, et d’avoir perdu
beaucoup d’amis. Vous ne l’aurez pas volé.
2. Vous pouvez paniquer. Vous pouvez lancer des or­
dres à droite et à gauche, licencier le chef d’exploitation et
le directeur des ventes, fermer une filiale ou deux et
licencier le personnel, laisser tomber les vieux modèles et

295
en lancer de nouveaux. Agir vous semble la seule solu­
tion. « Ne restez pas plantés là, les bras croisés ! » criez-
vous, «Bougez-vous! N’importe quel changement vaut
mieux que l’immobilisme ! »
Le résultat presque certain c’est que les choses vont
empirer. Des remèdes improvisés, administrés aveuglé­
ment à un malade que le médecin ne prend pas le temps
d’examiner risquent fort de le tuer. Il y a une chance sur
mille qu’ils le guérissent.
3. Si vous êtes un homme ou une femme d’affaires
compétent(e), plutôt que de réagir de cette manière im­
pulsive, excessive, vous choisissez de ne rien faire, de ne
prendre aucune mesure de redressement tant que vous n 'au­
rez pas étudié les faits. Vous convoquez une réunion de
bureau extraordinaire au cours de laquelle le directeur des
ventes va exposer ses graphiques faisant apparaître les
tendances actuelles du marché et les prévisions pour
l’avenir, le chef d’exploitation faire son rapport sur les
possibilités d’augmenter la production et de réduire le
coût des matières premières, et le comptable communi­
quer ses prévisions pour les pertes et profits de l’exercice
de l’année courante, dire s’il juge nécessaire d’augmenter
ou diminuer le découvert, etc...
C’est alors, et alors seulement, que vous décidez ce qu’il
faut faire. Cet ensemble d’informations bien enregistrées
et bien réfléchies va peut-être vous permettre de voir
clairement quelles sont les mesures sages et énergiques à
prendre pour relancer votre affaire. Ou peut-être au
contraire allez-vous en conclure qu’il ne faut rien précipi­
ter avant que la situation soit plus nette. Ou encore vous
réalisez maintenant que votre panique était injustifiée,
que toutes ces rumeurs de catastrophe imminente
n’étaient absolument pas fondées, qu’elles étaient même
pure malveillance et qu’après examen approfondi, votre
affaire se révéle tout à fait prospère. Bref, que les nouvel­
les ne pourraient pas être meilleures !
Voilà comment nous menons nos affaires dans notre
métier si nous avons le moindre bon sens pratique.
Si seulement nous appliquions le même principe pro-

296
lessionnel : les faits d’abord, l’action ensuite, dans nos
affaires privées. Et en particulier dans la plus intime de
toutes, c’est-à-dire: nous-même. Comme nous sommes
loin, pour la plupart d’entre nous, d’être aussi raisonna­
bles lorsqu’il ne s’agit plus des événements périphériques
de notre vie, mais de son cœur-même. Quand nous de­
vons traiter des problèmes matériels, des questions d’ar­
gent, de propriété, de marchandises, nous sommes
relativement sensés. Mais lorsque nous devons résoudre
les problèmes du Propriétaire de ces objets, c’est-à-dire
nous-même, nous sommes pris d’une douce folie. Sans
la moindre preuve, sur de simples on-dits et par peur ou
par ignorance, nous décidons que notre vie a mal tourné,
que nous sommes complètement détraqués, que nous
n'avons pas de chance ou sommes même maudits.
Alors, affolés, nous courons dans toutes les directions à
la recherche de remèdes contre un mal que nous n’avons
jamais examiné de près et qui pourrait bien être tout le
contraire de ce que nous croyons.
Mais maintenant, vous et moi sommes revenus à la
raison. C’est en hommes et en femmes d’affaires que
nous allons nous lancer dans cette grande entreprise qui
consiste à découvrir notre véritable Nature pour vivre en
accord avec elle, pour être nous-même et non pas quel­
qu’un d’autre. Ignorant les rumeurs et refusant de pani­
quer, nous voulons simplement observer les faits réels.
Comment allons-nous procéder?
Dans notre monde moderne, l’activité la plus efficace et
la plus objective est la science. Je ne parle pas de la
science appliquée (voyez les choses absurdes et destruc­
trices qu’elle produit) mais de la science pure, de cet esprit
de recherche qui est humilité face à l’évidence, face à ce
qui est donné, sans intention de l’exploiter ou de le
déformer. Pour faire les progrès stupéfiants qu’elle a
faits au cours des siècles, elle a dû éviter constamment
toute pensée trop optimiste ou trop pessimiste, et toute
tendance à tripatouiller les faits dans un but intéressé.
Mission difficile que cette bataille jamais remportée
contre les préjugés et la déloyauté. Si quelque chose est

297
capable de détruire les illusions vue nous nous faisons sur
nous-même, que ce soit de grandeur ou au contraire
d’insignifiante médiocrité, c’est bien cette discipline émi­
nemment objective, patiente et impartiale qui s’appelle la
science pure. Si elle devait confirmer notre grandeur
absolue et notre « compréhensivité » totale, ou au
contraire notre absolue médiocrité et notre exclusivisme
total, ou encore (pourquoi pas?) les deux à la fois, alors
nous ferions mieux de nous réveiller. Nous aurons intérêt
à prendre ses conclusions au sérieux, en faisant abstrac­
tion de nos réactions initiales de peur, de méfiance, de
modestie vraie ou fausse, de joie délirante, ou de tout
autre sentiment a priori.
Qu’est-ce que la science a donc à dire sur vous ? Beau­
coup trop pour que nous puissions le résumer ici ou
ailleurs, c’est la première réponse qui vienne à l’esprit.
Mais nous pouvons aisément décrire vos caractéristiques
générales. On peut réaliser un croquis rapide vous repré­
sentant en tant que système de phénomènes naturels à
niveaux multiples - le mot «phénomènes» désignant vos
innombrables apparences qui se manifestent autour du
« noumène », l’unique réalité dont elles sont le reflet à tel
ou tel niveau. Si nous avons le courage de faire appel à ses
méthodes, la science est parfaitement capable de prouver
l’absurdité des conclusions de ce chapitre et de ce livre, ou
au contraire leur bien fondé. Elle a toutes les qualités
requises en la matière, puisque sa méthode de travail
consiste précisément à ne tenir compte que de ce qui est
donné, ce qui est vu, et non ce qui est imaginé. Ses
fondations ne peuvent être que l’humble expérience sen­
sorielle, sinon cette gigantesque structure n’aurait jamais
pu décoller du sol, encore moins se maintenir en équili­
bre.
Avant de considérer ce croquis qui vous représente,
souvenons-nous de deux principes essentiels. Première­
ment, ce que les autres perçoivent de vous, et ce que
vous êtes dépend de l’endroit d’où ils vous regardent, de
la distance à laquelle se trouve l’observateur qui s’appro­
che ou s’éloigne de vous. Deuxièmement, aucune des

298
images qu’il reçoit de vous n’est la bonne, ne révèle votre
«véritable vous». Elles sont toutes valables, certes, et
nécessaires à l’ensemble de votre puzzle personnel. Bien
plus, elles se nourrissent l’une de l’autre, elles sont inter­
dépendantes et inextricablement liées à ce que vous appe­
lez votre existence personnelle. Mais choisir une seule de
vos apparences, par exemple celle qui se présente dans la
région A-В, comprise entre deux cents mètres et deux
mètres, et la prendre pour seule réalité est totalement
absurde. Elle n’a aucun droit à ce titre, car elle n’est
qu’une apparence entre autres, un simple phénomène. Et
elle n’est qu’une abstraction si on la dissocie de toutes les
autres apparences régionales de cette Réalité centrale C
autour de laquelle elles gravitent - ce Point unique sur
lequel est rivé le regard de votre observateur à mesure
qu’il se rapproche de vous et qui n’est autre que le Point
que nous avons si souvent désigné depuis le début de ce
livre.

Si votre observateur, muni d’appareils sophistiqués,


vise ce Point C de très, très loin, il trouve d’abord l’es­
pace immense, semé de têtes d’épingles de lumière. Elles
sont centrifuges, se déplacent vers l’extérieur au-delà du
champ de vision, en une lente explosion. Celle sur laquelle
il se concentre se transforme peu à peu en un groupe de

299
points lumineux, toujours en pleine explosion, et dont
l’un donne naissance à une galaxie spiroïdale (la Voie
Lactée, notre univers). Celle-ci à son tour cède progressi­
vement la place à une seule de ses myriades d’étoiles (à
savoir notre Soleil, notre propre Système Solaire), puis à
l’une de ses planètes (la Terre), à un pays, une ville, une
maison, un être humain, un visage, enfin, qui se trouve à
environ un mètre du Centre. Alors, équipé d’un nouvel
assortiment d’instruments optiques électroniques, votre
observateur continue d’explorer le dernier mètre de son
voyage. Le visage se réduit à un morceau de peau, puis à
un groupe de cellules, à une seule cellule, et enfin à des
molécules, des atomes, des particules... suivies de quoi?
Pourra-t-il aller jusqu’au Point Central qui est le but de
tout le voyage? Jusqu’au Véritable Vous, celui qui est au
cœur de tout le spectacle cosmique? Jusqu’à Vous tel que
vous êtes au Centre de Vous-même ?
Avant de chercher à répondre, voyons ce qui vous est
arrivé à vous au cours de ce strip-tease. On a pelé votre
oignon jusqu’au cœur, ou presque. On vous a dépouillé
de tous vos biens, presque jusqu’au dernier centime. Vous
avez perdu tous vos signes particuliers: votre nature
céleste lumineuse, votre nature humaine, terrestre et
opaque, votre identité sociale en tant que Marie Dupont
ou Pierre Durand (au niveau cellulaire, vous n’avez plus
rien d’humain), votre vie (au niveau moléculaire, vous
n’êtes plus vivant et n’avez plus de couleurs), votre soli­
dité, votre matérialité (en tant qu’atomes et particules,
vous perdez même cela). Ainsi, tout près de votre Cen­
tre, il ne reste pratiquement rien du «vous apparent».
Malgré cela, votre observateur ne peut jamais achever
son voyage. Il ne peut jamais dévoiler la Réalité centrale
qui donne naissance à cet ensemble d’apparences vaste
comme le monde. Il ne peut jamais saisir la Pierre Etince­
lante qui, jetée dans l’étang du cosmos, a fait naître toutes
ces ondulations. Non. Il reste à l’extérieur, toujours en­
core à une certaine distance de vous (et un millimètre ici
équivaut à une année-lumière). Il reste loin de Vous qui
êtes le seul à même de compléter son histoire en lui disant

300
te que Vous êtes vraiment, ce que Vous êtes pour Vous,
ici en plein Centre, à zéro distance de Vous.
Mais il n’est pas très bon auditeur, alors au lieu de le lui
dire, vous pouvez le lui montrer. Suggérez-lui de faire
pivoter son regard de 180° et de placer vos deux absences-
dc-tête côte à côte, et invitez-le à regarder avec vous et non
plus en vous. C’est alors, et seulement alors qu’il arrivera à
terminer son voyage. Lorsqu’il s’approche tout prés, il vous
trouve réduit à presque rien. A zéro centimètre de vous, il
trouve exactement la même chose que vous, c’est-à-dire que
vous êtes réduit à une Absence-totale-de-quoi-que-ce-soit,
й cette Vacuité Consciente qui se perçoit elle-même comme
Vide-de-toutes-choses et Pleine-de-toutes-choses.
Voici, sur un simple croquis, les découvertes de la
ncience contemporaine lorsqu’elle se permet de s’évader
provisoirement de ses terrains de recherche de prédilec­
tion à la périphérie, pour se retourner carrément vers le
Centre et explorer ce domaine-là. Ayant entouré l’objet
ou troisième personne de ce système élaboré de cercles
concentriques, en s’approchant de vous l’observateur ne
peut éviter de les relier les uns aux autres et de les relier
tous à leur Centre commun qui est le Sujet ou Première
Personne du Singulier. Et s’il est vraiment honnête, son
profond respect devant l’évidence objective doit forcé­
ment l’amener à s’incliner encore plus bas devant le
Sujet qui n’est autre que lui-même.
Qu’est-ce donc que cela sinon une autre version de notre
expérience himalayenne-dantesque démythifiée, étoffée et
mise à jour? Pouvez-vous souhaiter confirmation plus
éloquente de votre magnificence cosmique que celle appor­
tée ici ? Ou réfutation plus probante de l’image courante
qui vous représente comme « simplement humain somme
toute » et pas du tout magnifique ? C’est un fait incontour­
nable : pour être un homme ou une femme, un enfant ou
un adulte, il faut être à la fois infiniment moins et infini­
ment plus que cela. Vous ne pouvez échapper ni à votre
mystère, ni à votre grandeur. En dernière analyse, vous ne
pouvez pas vous dispenser d’être le Meilleur et le Très
Grand, le Seul et l’Unique.

301
C’est à force de nier ce que vous êtes que vous créez le
stress.
Pour reconstituer l’image de vous que nous avons pré­
sentée tout au long de ce livre, nous avons fait appel à
deux témoins principaux qui ne sauraient être accusés de
complicité tant ils sont différents. D’abord, à la recherche
de l’évidence nous avons recueilli le témoignage de celui
qui regarde avec des yeux d’enfant et nous parle de lui-
même et du monde tel qu’il est donné. Ensuite, à la
recherche de preuves vérifiées, nous avons fait appel au
témoignage objectif du scientifique qui nous parle de ce
qu’il appelle le monde naturel. Et nous avons vu que les
deux s’accordaient parfaitement. Mais ce n’est pas tout. Il
reste un troisième témoin que nous avons appelé de temps
en temps mais que nous devons maintenant interroger de
plus près. Pour avoir le point de vue de la connaissance
intuitive, interrogeons l’anthropologue, l’étudiant en reli­
gions et mythologies comparées, qui nous parle du monde
surnaturel tel qu’il a été expérimenté par l’humanité de­
puis la nuit des temps, dans le monde entier et dans toutes
les cultures, jusqu’à nos jours. Et si les trois témoins sont
d’accord sur l’essentiel, vous et moi aurons vraiment
intérêt à nous réveiller !
Ce que je constate lorsque je retourne en moi-même, en
mon centre, à ma véritable nature et ce que constate
l’expert en sciences naturelles lorsqu’il vient jusqu’ici,
c’est que je ne suis pas ici ce que je parais être là-bas. Je
ne résiste pas à un examen minutieux. Je suis démoli
morceau par morceau, et finalement je disparais complè­
tement. Pour réapparaître immédiatement vaste comme le
monde. L’implosion se termine en explosion. Or, que va
nous dire notre troisième témoin, l’expert en surnaturel?
Allons interroger quelqu’un qui pourrait bien nous être
hostile et contredire nos découvertes, un représentant de
ce phénomène étrange qu’est le shamanisme. Peut-on
imaginer témoin plus différent de tous les autres que ce
shaman sibérien peut-être malade de corps et d’esprit,
avec ses visions délirantes en rêve ou en transe et son
tempérament extrêmement nerveux ?

302
Le shamanisme est encore bien vivant dans les sociétés
«primitives» partout dans le monde. Personnage-clé de
nu tribu, le shaman est quelqu’un d’exceptionnel. Au
début de sa carrière, souffrant de graves tensions il
N’isole, et son comportement est inexplicable: parfois il
court dans tous les sens comme un fou, parfois il reste là,
inquiet et inerte. Son initiation au rôle de shaman, sa
première expérience majeure, èst une épreuve de démem­
brement progressif et douloureux. Il rêve qu’on lui coupe
la tête et les membres. Ses organes vivants sont remplacés
par des organes inanimés, des pierres. Pour compléter le
tout, il doit parfois être bouilli dans un chaudron. Etant
ainsi mort à son vieux moi, il arrive qu’il découvre que
son nouveau moi est une lumière à la place de sa tête et de
son corps, au centre-même du cosmos. Alors, n’étant plus
attaché à la terre, il peut voler vers les multiples niveaux
des mondes supérieurs et inférieurs où les esprits lui
enseignent les secrets dont sa tribu a besoin et lui trans­
mettent son pouvoir de guérison. Lorsque ces aventures
se répètent souvent, il est lui-même guéri, ses organes sont
régénérés, son énergie et son intelligence sont remarqua­
bles. Sa relation avec la Nature, les animaux en particu­
lier, est beaucoup plus intime. Stupéfiante même, dans
certains cas. Par dessus tout, il a maintenant le don
surnaturel de guérir les malades.
Bien sûr, les détails de cette histoire diffèrent énormé­
ment d’une tribu à l’autre et d’une région à l’autre. Et
bien sûr, ils sont fantastiques. Mais ce qui est très impres­
sionnant, et très important pour nous ici, c’est la logique
de l’histoire dans ses grandes lignes, au-delà de toutes
différences culturelles. Traduite en notre langage, elle
affirme que, quelle que soit la maladie par laquelle il se
manifeste, le stress ne peut être guéri à son propre niveau
(ou à ce qui semble être son propre niveau), ni en s’élevant
à des niveaux supérieurs, mais uniquement en descendant
au niveau le plus bas, à la Ligne de Base, seul lieu de
guérison véritable. La source du stress est profonde,
pour l’atteindre il faut une thérapie puissante. Avec des
palliatifs superficiels et des remèdes de charlatan pour

303
traiter un patient considéré comme «seulement humain
somme toute», on est loin de résoudre le véritable pro­
blème. Pour être efficace, le remède doit être radical et on
ne saurait imaginer épreuve plus sévère que celle du sha­
man. La pilule est vraiment amère : elle le détruit complè­
tement et le reconstruit sur un autre modèle. Pas étonnant
qu’elle soit difficile à avaler: ce n’est rien moins que le
cosmos ! torride et glacial, multiple, l’invraisemblable cos­
mos ! Pour être un tout, soyez LE TOUT. Indirectement et
d’une manière pittoresque c’est ce que nous dit le shaman,
se révélant finalement beaucoup plus objectif que ne le
laisserait supposer son extraordinaire mise-en-scène.

Quand vous perdez votre tête, votre centre vital descend dans votre
ventre. Tel semble être le message de cette peinture pariétale shamanique
trouvée sur le territoire Menomini, dans le Michigan.

Revenons-en aux trois attitudes possibles face à votre


propre stress.
La première consiste à fermer les yeux et faire la sourde
oreille. Ce n’est pas très efficace. Vous n’êtes pas soulagé,
mais au moins vous n’allez pas plus mal. C’est ce que font
la plupart des gens.
La seconde, la voie du désespoir et de la panique,
consiste à essayer un traitement après l’autre sur un

304
patient qui n’a jamais été examiné. C’est tout à fait
inefficace. Au mieux, cela réussit à traiter les symptômes
du malade mais pas sa maladie, et les résultats sont
éphémères. Au pire, ça le tue. Ceux qui espèrent réduire
le stress de cette façon (et ils sont nombreux) ne devraient
pas s’étonner s’il ne fait qu’empirer.
La troisième solution est de dire: les faits d’abord,
l'action ensuite. Ne faites rien pour votre stress avant de
trouver le temps et le courage de jeter un regard neuf et
honnête sur celui qui est censé être stressé. Alors il vous
apparaîtra certainement (nous avons vu que cela apparaît
sans cesse) que si vous étiez angoissé ce n’était pas parce
que vous aviez mal analysé les faits, mais parce que vous
aviez tout compris de travers. Non seulement par paresse
ou par peur nous avons négligé d’examiner de près l’état
du patient, nous avons éludé la question avec désinvol­
ture, mais nous avons même inversé l’évidence. Comme
nous l’avons vu maintes fois, la version conventionnelle
de nous-même, celle que donne le sens commun est non
seulement absurde, mais carrément perverse. Les menson­
ges nourrissent le stress. Inversement, les faits le tuent.
Seule la vérité nous libère.
C’est cette troisième méthode que pratiquait Ethy, la
jeune fille juive qui est morte à Auschwitz. Je n’hésite pas
à citer encore une fois ses paroles en conclusion de ce
chapitre sur le stress dans la vie adulte :

«La plupart des gens ne voient dans la vie que ce


qu’il est permis de voir, mais nous devons nous
libérer de toutes les idées préconçues... alors la vie
devient riche et abondante, même dans les moments
de grande souffrance.
Le soir, à la tombée du jour, je marche d’un pas
joyeux le long des barbelés, et de mon cœur s’élève
toujours le sentiment que la Vie est merveilleuse...
Je trouve la paix en moi-même. Et ce “Moi”, cette
partie la plus profonde et la plus riche de moi, je
l’appelle Dieu. »

305
1. La guérison de mon stress est en Dieu, donc
2. je Le cherche partout
3. et si je ne Le trouve pas
4. c'est parce que je ne
5. m'incline pas assez bas
15

LA VIEILLESSE

Nous n’allons par reprendre ici le problème de la vieil­


lesse en détail puisque nous en avons déjà parlé dans le
chapitre précédent, en particulier en évoquant la dépres­
sion, la solitude et l’ennui. On pense généralement que ces
détresses sont le propre des vieilles personnes. Mais les
jeunes n’en sont certainement pas exempts, pas plus qu’ils
ne sont à l’abri de l’indécision, des sentiments d’échec et
de culpabilité ni des problèmes sexuels. Toutes ces afflic­
tions nous empoisonnent l’existence depuis l’enfance.
Mais deux angoisses risquent fort de s’amplifier avec
l’âge. L’une est la peur de la mort (quand, comment et
dans quelle souffrance ?) et la crainte de l’au-delà. Ce sera
le sujet du chapitre suivant. L’autre est le désœuvrement.
Les objectifs qui étaient notre raison de vivre : fonder une
famille, élever des enfants, trouver un emploi, faire car­
rière, se construire une personnalité, faire des économies
pour la retraite, etc... tout cela est terminé, et rien ne vient
le remplacer. Lorsque nous dépassons les soixante-dix
ans, que reste-t-il pour structurer notre temps, éveiller
notre intérêt, nous pousser à l’action? Quand on n’a
plus de but, pourquoi continuer à vivre sinon par habi­
tude ou simple inertie? La peur de lâcher prise et de se
laisser couler dans ce qui est encore plus vide que la
vieillesse, le vide insondable de la mort elle-même, est-ce

307
là tout ce qui nous retient accrochés à ce qu’il reste
d’épaves du naufrage de notre vie ?
La réponse habituelle du sens commun (tout au moins
celle des gens d’âge moyen réfléchis et attentionnés), c’est
que nous devrions saisir cette occasion rêvée pour acqué­
rir de nouvelles connaissances et développer de nouveaux
talents, nous consacrer enfin à notre violon d’Ingres,
essayer de voir du pays et, d’une manière générale, ne
pas nous laisser aller. Sans doute ces conseils sont-ils
sensés et bien-intentionnés, mais ils ont un grave défaut.
Ils demandent aux vieux de ne pas être vieux. Ils leur
proposent de se fixer le même genre d’objectifs qu’ils
avaient jadis, ou alors de s’en forger de nouveaux totale­
ment artificiels et qui n’ont rien d’excitant. Rien de tout
cela n’est approprié. Il faut se rendre à l’évidence : les
vieilles personnes sont de vieilles personnes, des créatures
très différentes de ce qu’elles étaient, et il est aussi vain de
vouloir leur insuffler des enthousiasmes synthétiques que
de vouloir leur injecter ces extraits de glande de singe
dont on parlait tant quand j’étais jeune.
Voici la question que nous posons, nous les vieux (bien
que rarement à haute voix): à quoi diable cela sert-il
d’apprendre une langue que nous n’aurons jamais l’occa­
sion de parler ? de planter des arbres que nous ne verrons
jamais grandir? de tresser des paniers, broder des cous­
sins ou sculpter de petits animaux en bois qui ne serviront
à personne? de traîner nos guêtres dans d’innombrables
galeries de peinture? de soumettre nos sucs gastriques à
des épreuves très exotiques, d’essayer de dormir dans des
lits plus ou moins douteux et de vivre la valise à la main
plutôt qu’à la maison ? A quoi bon acheter une nouvelle
voiture que nous ne pourrons bientôt plus conduire, ou
faire construire une nouvelle maison dans laquelle nous
ne pourrons même pas mourir puisqu’elle ne sera pas
terminée? A quoi cela sert-il? A rien. Tout est inutile et
source de tracas. On ne peut pas retourner en arrière. On
ne peut pas retrouver l’énergie de la jeunesse ni de la fleur
de l’âge. Tout cela est derrière nous, terminé à jamais. Si
nous, les vieux, voulons vivre une vie authentique et non

308
pas factice, nous devons le faire à notre façon. Pourquoi?
Parce que si nos détresses: dépression, solitude, etc...,
sont à peu prés les mêmes que celles des jeunes, celui
qui les éprouve n’est pas du tout le même. Ce dont nous
avons besoin, c’est d’un but, d’un mode de vie pour lequel
la vieillesse soit une aide et non un handicap. Non pas
quelque chose que nous réalisons malgré nos soi-disant
infirmités, mais plutôt grâce à elles.
Un sacré programme! Est-ce possible? Peut-il y avoir
un mode de vie adapté à la vieillesse, qui puisse lui donner
un sens, lui apporter dignité, inspiration et, même, - oui
, énergie ? Je ne pense pas à un objectif réservé exclusive­
ment aux vieux, mais qui, propre à tous les âges, reste
vivant et stimulant jusqu’à la fin. Ou mieux encore, un
but que la vieillesse permette précisément de poursuivre à
fond, et peut-être avec plus de succès que jamais aupara­
vant. Ainsi, tout comme l’enfance est la période de la
découverte de soi, et l’âge adulte celle de l’expression et
du développement de soi, la vieillesse est le temps de... au
fait, de quoi ?
De la réalisation du Soi. La réalisation du Soi qui trans­
cende notre nature humaine. C’est le moment par excel­
lence pour découvrir le sens de la vie et la Nature de celui
qui la vit. Dans ce domaine, les vieux ont de grands
avantages sur les jeunes. En voici au moins quatre :
1. « La maturité est tout », dit Edgar dans « Le Roi
Lear ». Etre vieux, c’est connaître la vie et avoir été formé
par elle, en être rassasié. Dans la mesure où on est cons­
cient, être vieux c’est avoir appris à distinguer ce qui n’est
pas important de ce qui l’est vraiment. C’est savoir ce que
c’est que d’échouer comme de réussir, de perdre comme
de gagner, de sombrer jusqu’au fond aussi bien que de
s’élever jusqu’aux sommets. Et c’est savoir aussi ce qui est
constant et ne suit pas ce mouvement de yoyo. C’est
connaître la nature humaine et Ce Qui l’étaye. C’est être
capable de faire la différence entre le clinquant et l’or. Si
nous n’atteignons pas tout à fait ce degré de sagesse
pratique (soyons honnête, peu d’entre nous y parvien­
nent) ce n’est pas à cause de notre âge. Au contraire,

309
c’est parce que nous refusons notre âge, parce que nous
nous accrochons à notre passé. Avoir la sagesse de l’âge,
c’est être à jour dans l’histoire de votre vie, c’est être
contemporain de vous-même, de sorte que vous savez
enfin Ce Qui est Quoi. Ce n’est pas seulement avoir bu
la coupe de la vie jusqu’au fond, mais aussi avoir décou­
vert Ce Qui est permanent tout au long de la dégustation.
Toutes nos expériences concernent Cela précisément, Ce
Que vous êtes vraiment. Ce Que et Qui vous êtes vrai­
ment, vraiment. Et maintenant vous êtes tout à fait mûr
et prêt, non seulement pour le voir, mais pour le vivre.
2. Pour se consacrer à fond à cette aventure suprême de
la vie, sans trop de distractions et de soucis, on a besoin
de temps. Ce temps, vous l’avez. A moins que vous n’ayez
vraiment pas de chance, ou bien que vous remplissiez
délibérément vos journées d’occupations triviales desti­
nées à endormir votre conscience, vous avez tout le loisir
de vous consacrer à cette tâche. Alors, mettez-vous au
travail. Et ce n’est pas simplement une manière intelli­
gente, utile, voire passionnante de passer le temps entre
le moment où vous vous êtes retiré des affaires et celui où
vous allez vous retirer de la vie. Non. Mais plutôt, ayant
quitté votre premier emploi provisoire de boucher, ingé­
nieur, secrétaire ou autre, vous prenez maintenant votre
véritable emploi qui consiste à découvrir Qui est cet
employé et s’il est aussi périssable que le sont manifeste­
ment les bouchers, ingénieurs, secrétaires etc... Bien loin
de vous être retiré, vous avez pris l’emploi le plus astrei­
gnant et le plus important que vous ayez jamais eu et qui
ait jamais existé. Ce n’est pas un choix facile. C’est un
choix très dur à plus d’un égard. Mais vous avez toute
l’expérience nécessaire, et toute la journée, et tous les
jours de la semaine pour vous atteler à la tâche et réussir
brillamment. Vous avez l’acquis de votre vie, le temps de
le digérer et toute l’énergie que cette merveilleuse entre­
prise peut vous donner. L’énergie pour achever votre vie
en découvrant ce Vous-même qui vous attend là, au bout
de la route, accueillant et souriant dans ses merveilleux
atours.

310
3. Pour cela, le plus important est le don de détache­
ment. La vieillesse vous en fait cadeau. Vous avez eu des
désillusions, des déceptions, vous n’avez pas réussi à
atteindre tous vos objectifs, et ceux que vous avez at­
teints ne vous ont pas toujours apporté la satisfaction
que vous attendiez. Eh bien, avec du recul, tout ceci est
un atout précieux et indispensable. Lorsque vous étiez
plus jeune, l’obstacle à votre Réalisation était votre be­
soin de saisir telle chose, d’accomplir telle autre et de vous
cramponner à une troisième. Vous aviez soif d'agir,
c’était votre passion. Mais maintenant que vous êtes
finalement peu à peu détaché non seulement de l’action
nécessaire, mais aussi de l’action bien souvent purement
gratuite, vous êtes libre de découvrir l’Acteur, d’être Lui
ou Elle ou Ça. Inutile d’écarter les obstacles, ils s’écartent
d’eux-mêmes obligeamment, et tombent.
4. Vous êtes en train de vous ceindre les reins pour
vous embarquer dans l’aventure de votre vie, dans l’his­
toire extravagante qui fait paraître timorée l’escapade la
plus hardie de votre jeunesse. Vous rassemblez vos forces
pour le grand saut, non pas dans la Nuit, mais dans la
Lumière que vous commencez à si bien connaître. Vous
allez enfin mettre un terme au rêve tenace dans lequel
vous êtes une grenouille, et vous éveiller définitivement
pour découvrir que vous êtes un beau Prince. Un Roi,
même. Le Roi suprême.
Et il paraît que vous êtes fichu, que c’est fini pour
vous ? Laissez-les dire !
Oui, vous avez ces quatre inestimables atouts de la
vieillesse: la maturité de l’expérience, de longues heures
de loisir, le détachement de tout ce à quoi vous étiez
enchaîné tels des bœufs ou des chevaux de trait, et l’im­
minence du Grand Voyage.
Je crois vous entendre dire que tout cela est bien joli
mais pas très réaliste. Combien de vieilles personnes qui
au cours de leur vie ne se sont jamais préoccupées de leur
véritable identité (et c’est la majorité) vont être capables
de s’y intéresser soudain? A cet âge, il est difficile de
changer les habitudes de penser profondément enracinées.

311
A quoi je réponds : d’abord, ne vous préoccupez pas
d’elles pour l’instant. Occupez-vous de vos affaires. Ce
livre vous concerne vous et moi. Si nous sommes arrivés
ensemble jusqu’ici, jusqu’au bassin le plus profond de la
piscine, c’est bien la preuve que cette aventure est la
vôtre. Sinon, vous seriez encore en train de patauger
dans le petit bassin. Ou plus vraisemblablement vous
seriez déjà sorti de l’eau, séché et habillé pour sortir
dans la rue.
Deuxièmement, si la difficulté de changer complète­
ment de manière de penser à cet âge est réelle, il faut
ajouter que c’est plus un problème culturel qu’une ten­
dance naturelle. Il y a eu dans l’histoire de l’humanité des
époques et des pays où il était généralement admis que la
vieillesse était l’âge propice à acquérir la sagesse qui mène
à la Réalisation du Soi ; que bien sûr, plus on commence
tôt mieux c’est, mais qu’il n’est jamais trop tard pour
commencer; et que manquer l’occasion qu’offre la vieil­
lesse de s’éveiller, c’est manquer le coche de la vie, ni plus
ni moins qu’une tragédie. L’exemple le plus frappant de
cette conception est l’ancien paradigme hindou des étapes
de la vie. En résumé : d’abord l’enfant et l’adolescent dont
le rôle est de s’initier au fonctionnement de la société, puis
l’adulte qui doit contribuer à ce fonctionnement en tra­
vaillant et en fondant une famille, et enfin le vieillard dont
le devoir est de découvrir Qui a fait tout cela, Quelle est
sa véritable Identité et comment elle se fond dans l’iden­
tité Universelle. Ce modèle idéal n’a pas encore tout à fait
disparu en Inde. Notre culture occidentale, hélas! n’a
pratiquement pas le temps de réfléchir à cette conception
de la vie et de la mort, et ne se doute même pas qu’elle
existe et peut être un choix réel. Elle a adopté cette
hypothèse ridicule, pour ne pas dire insultante, que la
vieillesse n’est tolérable que si elle se nie elle-même et
singe la jeunesse. Mais les temps changent rapidement.
Notre culture est dans le creuset de l’évolution. C’est à
vous et à moi d’entretenir le feu sous le chaudron et de
modeler ce qui va en sortir.
Revenons à vous personnellement. Supposons que vous

312
noyez une personne âgée qui souffre de l’angoisse du
désœuvrement, du manque de but dans sa vie. Que
devez-vous faire ? Eh bien, pour commencer vous pouvez
changer le mot désœuvrement en pure bénédiction, car en
déblayant le terrain il vous permet de vous diriger vers le
grand But de votre vie, la Réalisation du Soi. Quant à la
prétendue difficulté d’y parvenir, n’en croyez rien. Les
expériences que vous avez faites vous ont montré encore
et encore que voir Qui vous êtes est la chose la plus facile
nu monde. Et il n’est pas vrai non plus qu'entretenir la
vision soit la chose la plus difficile au monde. Comment
cela pourrait-il l’être, puisqu’il s’agit simplement de répé­
ter ce qui est si facile à faire, jusqu’à ce que cela devienne
parfaitement naturel et spontané? Voilà ce à quoi vous
devez vraiment consacrer votre vieillesse. Et souvenez-
vous: ce n’est pas une tâche artificielle, forcée, c’est la
plus naturelle qui soit, plus naturelle que la Nature elle-
même. Et si vous vous y consacrez entièrement, peut-être
bien que vous découvrirez, à votre grand étonnement, que
vivre consciemment à partir de Ce Que vous êtes vrai­
ment vous vient plus naturellement et plus rapidement
que vous ne l’auriez jamais pensé.
Et si vous et moi devenions séniles, perdions nos facul­
tés mentales un peu avant de mourir? Qu’en serait-il,
alors, de ce grand But de Réalisation du Soi?
En réalité, Vous, l’Unique que vous êtes vraiment,
vraiment, c’est-à-dire la Conscience elle-même, n’a ja­
mais eu de facultés mentales. Son contenu, par contre,
tous vos produits mentaux ont commencé lorsque vous
êtes né : ils étaient d’abord un grand chaos retentissant,
puis ils se sont organisés en un univers qui devra forcé­
ment se désorganiser à nouveau avant ou pendant que
vous serez sur votre lit de mort. C’est le comportement
normal des univers, c’est ainsi qu’ils nous sont « servis ».
Ce sont eux qui souffrent de sénilité. Et alors? Eh bien
leur Origine qui est votre véritable Nature demeure im­
perturbable.
Malgré cela, il est naturel de redouter la sénilité. La
meilleure assurance que vous puissiez prendre contre elle

313
est de voir et de vivre Cela qui est parfaitement à l’abri de
ce genre de choses. Je ne peux rien vous garantir, mais si
vous voulez rester sain d’esprit, alors laissez votre esprit
là-dehors, loin du Centre, et soyez cet Unique Sans Esprit
ici, Celui qui est sa source. Le meilleur moyen de rester
intelligent là-dehors, c’est d’être, ici, cette Essence Cris­
talline parfaitement transparente dont parle Shakespeare.
Vous avez sa parole qu’ainsi vous ne dégénérerez pas en
un singe en colère. Ni en aucune espèce de singe, ajoute­
rais-je, et surtout pas en un singe sénile.
Vous avez encore des doutes? Certes, vous et moi
avons de bonnes raisons de craindre de retomber en
enfance, de devenir de vieux fous ayant oublié les neuf-
dixièmes des connaissances acquises au prix de tant d’ef­
forts, de dégénérer en pauvres idiots qui se retrouvent la
tête vide pour un oui ou pour un non, incapables de
mettre un nom sur un visage familier ou de se rappeler
quel jour on est et ce qui s’est passé hier. Nous redoutons
de devenir de stupides vieux fossiles aussi peu sûrs de
nous-mêmes que de tout le reste, gâteux sinon complète­
ment timbrés. Et toutes ces craintes sont légitimes.
Mais un instant ! Cette soi-disant dégénérescence doit-
elle forcément être un désastre? Le sage Taoiste (que
nous avons déjà rencontré plus haut) va jusqu’à dire:
Jamais de la vie ! Au contraire ! En fait notre description
de ce que nous craignons de devenir correspond très bien à
sa description de ce qu’il est ravi d’être déjà. Dans le
grand livre chinois, le Tao To King, le sage se présente
comme un pauvre bonhomme vraiment très médiocre
selon les critères normaux. Et il insiste souvent sur ce
point, avec un enthousiasme étrange. Ce que nous inter­
prétons, nous, comme des handicaps angoissants, est
pour lui une attestation de libération du stress qui lui
donne accès à la qualité de sage. La seule différence
entre lui et nous, c’est qu’il est parfaitement conscient
de son idiotie. Il s’en réjouit, il l’assume complètement,
alors que nous la fuyons. Mais plus maintenant ! Jetons-
nous y la tête la première, au lieu d’attendre que les
années nous y poussent! Gardons-nous de la sénilité

314
clinique (qui n’est jamais totale) en y plongeant immédia­
tement si profondément que nous ressortons de l’autre
côté. Et souvenez-vous : pour être sûr de ne jamais per­
dre la tête, assurez-vous que vous n’en avez jamais eu.
Même si vous êtes un grand perdant, vous ne pouvez pas
perdre quelque chose que vous n’avez jamais eu. Voyez ce
fait évident, savourez-le, et recevez votre diplôme de sage
taoïste incognito. Ou si vous n’aimez pas l’étiquette
taoïste, contentez-vous d’être un simple sage, ce qui signi­
fie être, consciemment, ce que vous êtes vraiment, vrai­
ment.
Et d’ailleurs, qu’est-ce exactement que ce mystérieux
Tao? C’est la Voie. C’est le programme de l’univers, le
programme de votre vie lorsque vous êtes en harmonie
avec l’univers. C’est votre Nature la plus profonde, votre
véritable Nature. C’est quelque chose comme ce que nous
entendons par Dieu, et même comme ce que Jésus enten­
dait lorsque, parlant en tant que Première Personne du
Singulier, il disait qu’il était la Voie, la Vérité et la Vie. En
termes de ce livre, ce n’est rien d’autre que votre Ligne de
Base, l’épée fatale et pourtant salvatrice de Persée qui, en
tranchant la tête qui vous sépare de Dieu et de toutes les
créatures, vous unit à eux absolument et pour toujours.
Et tout cela est résumé graphiquement dans le sceau
chinois qui représente le TAO lui-même et qui se compose
des deux caractères qui signifient : TETE et PARTIR.
16
LA MORT

Les animaux et les bébés accueillent la mort tout à fait


naturellement. Ils n’anticipent pas sur ce qui va leur
arriver. Mais pour nous qui avons le don de prévoir, la
perspective est profondément stressante, à des degrés
divers selon les individus, mais d’autant plus que nous
ne voulons pas savoir que nous savons. Nous ferions
bien de reconnaître que notre stress est intimement lié
au fait que nous sommes mortels et que la peur en est le
ressort principal. Notre but dans ce chapitre n’est pas
tant d’analyser cette angoisse que de la traverser pour
aller au-delà.
Toutes nos peurs ne sont-elles vraiment que l’expres­
sion de notre crainte fondamentale de la mort ? On pour­
rait souvent croire qu’elles expriment plutôt la peur de la
vie. Mais non, c’est la peur de ce qui nous attend au bout
de la vie, la peur de l’épreuve finale. Si nous analysons
nos angoisses personnelles, il y a des chances que nous
allons découvrir que c’est la menace de mort qui les sous-
tend. Ainsi nous avons le vertige dans les hauteurs parce
qu’une chute implique notre destruction. Nous avons
peur des araignées parce que nous avons l’intuition, ou
un souvenir ancestral, que certaines d’entre elles, les
grosses, noires, sont venimeuses et que leur piqûre est
mortelle. Alors, pour plus de sûreté nous les fuyons

316
toutes, sauf les toutes petites. Si j’ai peur de parler en
public, avec tous ces yeux rivés sur moi, je pense que
c’est exactement comme les biches qui entrent hardiment
dans mon jardin et se sauvent dés que je les regarde. La
première chose que font les tueurs, c’est d’immobiliser
leur victime par le regard. C’est également pour une
bonne raison que nous redoutons tellement l’échec, le
déshonneur, le ridicule, que ce soit en affaires, en sport,
en amour ou ailleurs. Car que sont tous ces déboires
sinon les premiers signes avant-coureurs de notre mort,
les premiers des coups qui nous frapperont avant long­
temps et finiront par nous jeter à terre définitivement?
Certes, la mort n’a rien de flatteur, c’est l’opprobre ul­
time. Quel spectacle absurde nous offrons, uniquement
préoccupé de nous-même, source de problèmes et de
gêne pour tout le monde et si désagréable à regarder
pour ceux qui sont à notre chevet! C’est la défaite la
plus complète et la plus ignominieuse. Y a-t-il faillite
plus totale que celle de la vie? pensée plus angoissante
que celle qui nous rappelle que chaque minute nous
rapproche de l’échec final? Le plus grand péché de tous,
disait Calderon, c’est d’être né. Vivre est un crime capital
et très bientôt nous serons pénalisés pour l’avoir commis.
Ce qui est étonnant, c’est que l’angoisse de notre triste
sort ne nous ait pas anéantis bien avant la date officielle
(mais secréte) de l’exécution.
Si ces réflexions nous paraissent trop sombres, exagé­
rées et bizarres, c’est simplement dans la mesure où nous
refusons de voir les choses en face. Ces faits sont pourtant
inéluctables, et c’est ce qui rend cet avant-dernier chapitre
de notre livre si important. Nous devons maintenant
accepter d’affronter cet adversaire que les Upanishads
appellent le Roi de la Mort. «Vous ne m’échapperez
jamais!» s’écrie-t-il en se rapprochant de nous. Et il a
raison. Alors, qu’avons-nous à perdre? Retournons-
nous et faisons-lui face carrément. Notre seule chance
de le vaincre, c’est de lui concéder la victoire, mais en la
considérant sous un angle nouveau. Triompher de lui en
acceptant son défi et le sort qu’il nous réserve, tout en

317
sachant que l’acceptation totale est la route, désormais
familière, vers la liberté.
En d’autres termes, au lieu de lutter à découvert contre
un ennemi aussi puissant, essayons à nouveau le travail
de sape, descendons dans les fondations de la mort et
faisons-les s’écrouler si possible. Pour ce faire, il nous
faut de bons outils : d’humbles pelles, des foreuses et des
explosifs puissants. Essayons.

1. SC = NS
Sens Commun = Non-Sens. Non-sens lorsqu’il s’agit
de nous-même. Il fonctionne assez bien lorsqu’il s’ap­
plique aux autres, aux seconde et troisième personnes,
mais il se fourvoie complètement quand il s’applique à
la Première Personne. Si je suis vraiment décidé à exami­
ner moi-même ce grave problème de la mort, à ne pas
l’esquiver ni laisser la responsabilité aux autres, alors c’est
bien ma propre mort qui est en question, et non celle des
autres. La leur est facile à avaler, diluée, douce, relative­
ment inoffensive. La mienne titre 100 %, et elle frappe
dur. Si de toute cette étude il ressort un fait absolument
flagrant, c’est que tout ce que le sens commun et l’opinion
courante dit sur moi, sur cette Première personne du
Singulier, n’est pas seulement un non-sens, c’est un contre­
sens. Voici quelques exemples pour mémoire : on m’a dit
que je regarde le monde à travers deux petits trous situés
dans un visage qui est ici, que derrière ce visage je suis
face à face avec ceux que je rencontre, que je suis petit,
opaque et très mobile, que je suis enchâssé dans un corps,
etc... etc... Je peux donc affirmer sans exagérer que tout ce
que le sens commun dit que je suis est exactement ce que
je ne suis pas. Il s’ensuit que je peux prendre le sens
commun pour guide à condition que lorsqu’il me dit
d’aller vers le Nord, j’aille vers le Sud, lorsqu’il me dit de
grimper, je descende, et lorsqu’il dit « oui », je dise « Non
merci, jamais de la vie ! ». Et quand les gens raisonnables
me disent que je vais périr, je dis « Parlez pour vous, mes

318
amis. Le fait que vous juriez que je suis mortel équivaut
pour moi à un certificat d’immortalité ! »
Si je découvre que quelqu’un ment régulièrement, je
peux lui faire confiance à condition de prendre le
contre-pied de tout ce qu’il me dit. Le sens commun est
quelqu’un de ce genre. Ses représentants, c’est-à-dire
presque tous les gens que j’ai rencontrés, m’ont dit tout
au long de ma vie comment elle allait se terminer. Donc,
ce sera le contraire. Je ne le considère pas comme une
preuve décisive, mais comme une indication. La formule
SC = NS fournit la pioche et la pelle plutôt que la dyna­
mite, mais ce sont deux bons outils pour entamer nos
travaux de sape.

2. VOUS N’ETES PAS COMME ÇA


Les gens sont mortels, hommes et femmes, tous autant
qu’ils sont. Et comment sont ces mortels, de leur propre
aveu et d’après ce que nous voyons d’eux ?
Ce sont des objets assez petits se détachant nettement
sur un arrière-plan. Ils sont aussi opaques et compacts
que les souches auxquelles ils ressemblent quand ils dor­
ment. Ils s’agitent dans tous les sens. De temps en temps,
ils enfournent des substances étrangères dans des trous
bordés de dents, au milieu de leur tête. Ils se détériorent
lentement puis disparaissent. Tels sont ceux que le Roi de
la Mort a marqué de son sceau. Vient un jour où ils s’en
vont, se couchent et ne se relèvent plus, leur respiration
s’arrête, ils deviennent froids et rigides et ils sont incinérés
ou mangés par les vers. Si vous leur ressemblez tant soit
peu, il est certain que vous subirez le même sort qu’eux.
Regardez immédiatement et voyez si vous êtes du type
mortel.

319
3. LES MORTS NE MEURENT PAS
Oh oui, ces gens sont bien vivants. C’est pour cela
qu’ils meurent. Mais vous? Regardez et voyez. N’êtes-
vous pas déjà mort? N’avez-vous pas déjà été exécuté
de la manière la plus sommaire et la plus spectaculaire:
la décapitation? Voyons! vous ne pouvez pas être déca­
pité deux fois !

Pour être absolument sûr que vous ne pouvez jamais


perdre la vie, voyez que vous n’avez pas de vie person­
nelle à perdre.
Si vous pensez que je plaisante, ou que je suis complè­
tement idiot, réfléchissez encore. Epluchez encore une fois
votre oignon. La science elle-même, avec toute la force de
son autorité, affirme que, intrinsèquement, là où vous
êtes, vous êtes plus mort qu’un clou, beaucoup plus
mort. Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire. Vu à une
distance d’un mètre ou deux, vous avez une apparence
humaine, vous avez l’air vivant et solide. A un centimètre
de distance, vous semblez encore vivant mais plus du tout

320
humain. A un millimétré de distance, vous paraissez
solide, mais ni humain ni vivant. Et si on avance en­
core, même votre solidité apparente (ou quoi que ce
fantôme de fantôme ait pu être) a été exorcisée et il ne
reste pratiquement rien de vous. Finalement, à 0 centimè­
tre de votre centre vous pouvez voir vous-même qu’il n’y
a plus trace d’humanité, ni de vie ou de mort, ni de
substantialité. Il ne reste que la Conscience de cette hié­
rarchie d’attributs qui se manifestent dans les autres. La
vie dont vous jouissez est leur vie, c’est la vie de ceux qui
sont nés et qui mourront. N’ayant pas de vie qui vous
appartienne en propre, vous êtes l’immortel bénéficiaire
de la vie du monde. La moindre étincelle de vitalité
personnelle signerait votre arrêt de mort.
Pour vous tuer, il faudrait qu’une flèche ou une balle
pénètre jusqu’au centre de vous-même. Mais sur leur
trajet elles sont progressivement dématérialisées et vous,
en tant que Première Personne, êtes indemne. Tout au
fond de nous-même, nous savons cela. D’où, par exem­
ple, la légende de Saint Christophe qui, pour faire traver­
ser un fleuve au Christ enfant, le porta sur ses épaules. Au
moment de son martyr, les flèches tirées sur lui manquè­
rent toutes leur but. Il fut donc décapité, ce qui était sans
importance puisque de toute façon il n’avait pas de tête !

321
4. LA CONSCIENCE, CETTE NON-CHOSE
QUI SE TROUVE UNIQUEMENT ICI
ET MAINTENANT
Aucune chose n’est consciente des autres choses. Fouil­
lez tout l’univers et vous ne trouverez jamais de Cons­
cience nulle part ailleurs qu’en vous-même qui n’êtes pas
objet mais espace pour les objets. En vous-même qui êtes
vide de vous-même, non substantiel, et donc plein de tout
ce qui est substantiel et mortel.
Où est la Conscience? Seulement ici. Quand la Cons­
cience est-elle? Seulement maintenant. Souvenirs, antici­
pations ne s’appliquent qu’au contenu de la Conscience,
au spectacle éphémère qui se déroule en elle, et non à la
Conscience elle-même qui est immuable, n’a jamais de fin
et n’est jamais interrompue. De toute évidence les autres
gens, ces deuxièmes et troisièmes personnes dorment,
s’évanouissent, sont anesthésiées et meurent. De toute
évidence, rien de ce genre ne vous arrive ni ne peut vous
arriver à vous, la Première Personne. Pour Vous, il n’y a
pas d’interruption de Conscience entre le moment où
vous vous endormez le soir, et celui où vous vous réveil­
lez le matin, ni pendant que votre corps subit une inter­
vention chirurgicale. Comment cela se pourrait-il? Vous
êtes la Conscience elle-même qui, à l’inverse de son
contenu, n’est pas intermittente. Pour Vous, pour votre
véritable Vous, il n’y a ni naissance ni mort, ni perte de
conscience, pas même pour une fraction de seconde.
Vous, en tant que Conscience, êtes absolument intem­
porel. Vous êtes hors du temps. C’est le temps qui est en
vous. Et cela n’a rien d’étonnant, puisque vous êtes va­
cuité totale, et donc immuable et éternel. Car, là où il n’y
a rien pour enregistrer le temps il n’y a pas de temps.
C.Q.F.D.
Souvenez-vous : quelle heure est-il ici, en votre centre,
lorsque vous amenez votre montre jusqu’à votre œil -
jusqu’à votre moi ?

322
5. LES EXPERIENCES PROCHES DE LA MORT
Selon des observateurs extérieurs, votre immortalité
Mcmble être confirmée lorsque vous vous trouvez au
bord de la mort. En effet, les récits de tant de victimes
de maladie ou d’accident que l’on croyait mortes et qui
Mont revenues à elles et ont raconté leur expérience
« Proche de la mort »(,) témoignent non pas de la proxi­
mité de la mort, de son approche, mais au contraire de
non recul à une distance infinie pour laisser place à la
lumière et à l’amour, perçus comme éternels. Ces anecdo­
tes ne sont que des rumeurs et non des évidences de
première main, vérifiables maintenant et par tout un
chacun. Bien que remarquablement cohérentes et encou­
rageantes, elles ne prouvent strictement rien sur la mort.
Mais elles renforcent ce que nous avons découvert sur
d’autres bases, plus sûres, à savoir que votre Nature
profonde n’est pas faite de matière périssable, loin de
là : Ce Que et Qui vous êtes vraiment, vraiment est
Г Unique Impérissable.

6. LE RECUL DE LA MORT
Cette curieuse habitude qu’a la mort - notre propre
mort, j’entends - de garder ses distances, de jouer à
l'inaccessible, se manifeste bien avant le début de n’im­
porte quelle NDE. Il est bien connu que les vieilles per-

En anglais : NDE = Near Death Experiences.

323
sonnes lucides et intelligentes, et pas seulement celles qui
sont gâteuses, ne se sentent pas plus proches de la mort à
quatre-vingts ans qu’à dix-huit. Fait révélateur, nous
n’avons pas l’impression d’être pressé par le temps.
Nous ne nous levons pas le matin avec la peur au ventre
de ne pas passer la journée ou la semaine, ou l’angoisse de
ne pas voir les jonquilles au printemps prochain. Nous
nous sentons aussi immortel que lorsque nous étions dans
la force de l’âge. Mais ce qui est encore plus significatif,
c’est que nous n’attribuons pas la même éternelle jeunesse
aux autres. Les autres paraissent bien leur âge. Les pau­
vres! ils sont plus lents, plus ridés, plus chenus que
jamais. Ils sont plus proches de la tombe chaque fois
que nous les rencontrons. Seule la Première Personne
jouit de cette certitude «absurde» d’être immortelle.
Prise séparément, ce n’est pas une preuve recevable.
Mais ajoutée aux cinq premières, c’est un indice non
négligeable, un outil à ne pas dédaigner.
Voici donc votre équipement, votre trousse à outils
pour creuser profondément la question de votre mort.
Et que découvrez-vous au fond du puits? Ni du sable,
ni simplement la mine d’argent que représente votre sou­
lagement de n’avoir plus peur de la mort, mais de l’or
pur. Encore une fois, c’est tout au fond du puits que se
trouve le trésor.
Et en quoi consiste-t-il? A découvrir que la mort est
exactement ce que vous souhaitez, ni plus ni moins. Il y a
trois étapes. D’abord vous pensez que votre plus cher
désir est que la personne qui est dans le miroir et sur la
photo dans votre passeport continue à vivre. Ensuite que
ce que vous souhaitez vraiment, c’est qu’il ou elle meure
dès qu’il ou elle en aura assez et que sa tâche sera ac­
complie. Finalement, vous découvrez que ce que vous
voulez vraiment, vraiment, étant vous-même la Source
de la vie et de la mort et libre des deux, c’est que tout
(la vie, la mort et leurs tensions) continue à se passer
exactement comme cela se passe en Vous, ici et mainte­
nant. Et c’est la fin de la grande peur qui est à la base de
toutes les autres, la peur de la mort. Au niveau de votre

324
Ligne de Base, le monde et la vie, la mort, les peurs et les
tensions, tout cela disparaît et vous êtes comblé. Parfaite­
ment comblé !
Mais ne nous contentons pas de décrire le processus.
Regardons une fois encore.

Expérience № 22 :
Une fois de plus, inclinons-nous devant l’évidence

Ici, vous aurez besoin de la carte que nous avons


utilisée dans une expérience précédente, qui comporte
un trou en forme de tête.
Placez-vous de préférence dehors, ou à la fenêtre.

Tout au long de l’expérience, concentrez-vous sur le


bord inférieur du trou que j’ai indiqué avec une flèche.
Maintenez la carte à bout de bras et remplissez cet
espace de la scène qui s’offre au loin, au troisième plan...
Rapprochez la carte très lentement et voyez la scène
qui s’offre au second plan...
Maintenant amenez-la lentement sur vous, enfilez le
trou, et voyez comme l’espace est plein de la scène qui
s’offre au tout premier plan, y compris ces petites jambes
qui sont à l’envers et ce plastron de chemise tronqué...
N’est-ce pas délicieusement étrange et merveilleuse­
ment approprié qu’un objet aussi insignifiant qu’une che­

325
mise déchirée puisse dévoiler le Mystère de tous les mys­
tères et le Trésor de tous les trésors? Et confirmer la
défaite du Roi de la Mort !
Vous êtes mort, absolument mort, en sortant de la vie
par la plus humble des portes. Vous avez battu la mort à
son propre jeu, vous vous êtes libéré d’elle à jamais.
Totalement. Elle est même devenue une amie fidèle, car
elle vous dégage de l’obligation d’être Marie Dupont ou
Pierre Durand, ou n’importe qui d’autre. Et elle me
dégage de l’obligation de n’être que Douglas Edison
Harding et personne d’autre. Quelle délivrance !

LA LEGENDE DU GRAAL
Jusqu’ici, dans ce chapitre, nous avons examiné la face
éclairée de la mort, celle qui est connue, nettement définie
et évidente pour tous. Mais, bien sûr, il y a une autre face,
plus mystérieuse, plus obscure, infiniment plus complexe.
Et qui joue un rôle tout aussi important dans notre stress,
notre santé en général et notre vie-même. Elle se mani­
feste sous forme de fantasmes, de rêves, de folklore, de
légendes, de mythes, de dogmes, de rites religieux etc...
De cette jungle hantée, cette forêt immense et indomp­
table, j’ai extirpé pour nous une fleur toute spéciale la
légende du Saint Graal - parce que, plus que toutes, elle
plonge ses racines dans le terreau de la mort et de la
transformation. Et aussi parce qu’elle est un bel échantil­
lon de la flore de cette région, dans toute sa vigueur
sauvage et toute sa variété. En fait, avant de l’examiner
j’aimerais parler de son habitat. Je veux dire : des mythes
en général et de leur importance pour notre enquête sur le
stress, surtout celui causé par la mort.
Les mythes ressemblent aux billets de banque. Il y en a
de toutes sortes, depuis ceux qui ne valent presque rien
jusqu’à ceux qui valent une petite fortune. Certains sont
relativement neufs et propres, d’autres sont usés, déchirés,
sales. Certains n’ont même plus cours et beaucoup sont
des faux. Une monnaie bien suspecte mais dont nous ne

326
pouvons nous passer. Or, il est une banque sûre, à la­
quelle le monde entier fait confiance autant qu’à la table
de multiplication, c’est le Grand Mythe Eternel qui nous
pourvoit tous d’un épais carnet de chèques de voyage,
encaissables partout. Le plus utile et le plus durable de
tous jusqu’à présent, ce Mythe vieux de plus d’un million
d'années est toujours aussi puissant. Jamais remis en
question, il est tellement considéré comme allant-de-soi,
réel et factuel, qu’il n’est même plus pris pour un mythe
mais pour une loi naturelle d’ordre divin. Lorsqu’on est
poli, on l’appelle Sens Commun. Mais son véritable nom,
plus cru, est: Non-sens. Pour nous, sa formule mnémo­
technique est SC = NS. Sa devise est : Je suis le mortel que
je parais être. Son logo est l’index qui pointe dans toutes
les directions sauf vers l’intérieur, vers l’immortel. Au
cours de son long âge d’or, il s’est révélé très productif
et dynamique. Cela a coûté cher, mais le prix était encore
abordable. Désormais, cependant, il n’est plus rentable. Il
devient rapidement contre-productif au point de nous
menacer d’un génocide. Ou n’est-ce pas plutôt d’un
« omnicide»? Il a toujours été le premier producteur de
stress toxique. Et il a toujours été considéré comme sacré;
beaucoup trop sacré, en fait, pour permettre à de simples1
mortels de le remettre en question.
Oui, il y a de bons et de mauvais mythes. Il y en a eu de
tous temps. Si vous en doutez, songez à tous les mythes
totalitaires que l’humanité a dû subir.
De loin le plus insidieux et le plus persistant de tous, ce
supermythe qui s’enorgueillit du titre hautement respecté
de Sens Commun est aussi, dans un sens, le plus totali­
taire. Heureusement, il a trois ennemis implacables. Le
premier, comme nous l’avons vu, est le jeune enfant. Le
second est le Sens Peu Commun (alias : Revenir-à-Soi et
Regarder-pour voir) qui est la raison d’être de ce livre et
le but de nos expériences. Appelons-le: Démythologisa-
tion radicale. Sa tâche consiste à miner patiemment les
fortifications de l’ennemi, à coups de pioche, pelle et
dynamite. Le troisième semble se ranger du côté de l’en­
nemi mais est en fait un allié formidable. Appelons-le

327
Remythologisation radicale. Sa tâche est de collaborer à ce
travail de sape en utilisant comme outils une panoplie de
bons mythes et folklore anciens bien réglés et huilés pour
jouer à nouveau le rôle qui a toujours été le leur : saper les
mauvaises histoires contemporaines. La Légende de Per­
sée et de la Gorgone en est un bon exemple. Nous avons
vu comment le héros s’attaque courageusement à la dame
aux boucles de serpents, la dame Sens Commun, qui
«chosifie» tous ceux qui la regardent. Il fait ainsi
échouer le mensonge si communément admis de la symé­
trie Première Personne - troisième personne, et débar­
rasse le pays de la malédiction de la confrontation.
L’Hymne de la Perle est un autre exemple riche d’ensei­
gnements sur la mort et la transformation. Des enseigne­
ments au sens et au charme peu communs ! Et il y en a
d’autres, comme vous pourrez le voir dans le chapitre
suivant.
Mais soyons prudents quant à la validité des preuves
que ces « bons » mythes peuvent apporter en ce qui
concerne notre véritable Nature et le sens de la vie et de
la mort. J’acquiesce plutôt que je ne m’incline. Je les place
à la barre des témoins. Parce que je les prends au sérieux,
je puise en eux, avec gratitude, les témoignages dont j’ai
besoin, mais sans perdre mon sens critique. Et je laisse de
côté tout ce qui me paraît hors de propos ou obscur.
J’encours la peine de mort et j’insiste : pour moi, regar­
der Celui Qui regarde, ne serait-ce qu’une minute, est
infiniment plus important et plus valable que se référer
pendant des années à Frazer, Campbell et Eliade. Sans
aucun doute. Car je n’ai aucun moyen de prouver la
validité du mythe que je lis, ni le rapport qu’il peut y
avoir entre lui, ma vie et ma mort, si ce n’est en retour­
nant mon attention de 180° vers Celui Qui lit. Je vérifie la
validité de ce qui est donné indirectement là-bas en le
comparant à ce qui est donné directement ici, la validité
des preuves indirectes en les comparant au témoignage
direct, la validité de ce que j’ai en le comparant à ce que
je suis. C’est le seul moyen pour moi de me frayer un
chemin à travers la jungle obscure des mythes du

328
monde. Et alors? Alors, quel soulagement de voir confir­
mées l’une après l’autre les découvertes simples que j’ai
déjà faites avant de m’aventurer dans cette forêt fasci­
nante! Quelle merveille de ressentir la puissance libéra­
trice et réconfortante du vrai mythe qui contraste
tellement avec le pouvoir ensorcelant et asservissant du
faux mythe si froid et dénué d’amour. Ainsi la connais­
sance intime de la vie, de la mort et de la joie qu’elles
recèlent suit un processus descendant. Cela commence
par la vision claire pour devenir un ressenti profond : je
découvre mon absence-de-tête, mon centre de gravité
descend et je découvre mon cœur. Une fois de plus
Dante a raison :

C'est la vision qui nous apporte la félicité,


Et non l’amour, qui vient ensuite.

... deux vers que je verrais volontiers imprimés en lettres


majuscules tout au long de ce livre.
Voici donc la célèbre légende du Saint-Graal telle
qu’elle est apparue en Angleterre et en France au 12e
siècle. Une histoire qui parle de l’amour, sinon une his­
toire d’amour, dans laquelle priorité est donnée à la
vision. Elle était très compliquée dès le début, et son
issue restait étrangement incertaine. Au cours des siècles
suivants et dans plusieurs pays européens, on y a ajouté
toutes sortes de complications aboutissant à des dénoue­
ments divers plus ou moins heureux et convaincants,
parfois très énigmatiques. Les quelques exemples sui­
vants tirés de ce mythe-fourre-tout feront notre affaire.
Le Graal est le plat sur lequel fut servi l’agneau pascal
au dernier souper de Jésus. Des récits postérieurs en ont
fait la tasse dans laquelle il a bu en cette occasion, qui a
également servi à recueillir les gouttes de son sang lors­
qu’il était sur la croix. Parfois il est dit que c’est le joyau
qui tomba de la couronne de Lucifer lorsqu’il fut préci­
pité en Enfer - une émeraude qui aurait conservé ses
propriétés divines. Dans tous les cas, il est considéré
comme le plus sacré de tous les objets, la source de

329
pouvoirs magiques fabuleux, le talisman de l’immortalité
et le vase contenant la vérité éternelle. Ainsi, la quête du
Graal était considérée comme le seul but digne d’un
chevalier de la Table Ronde du Roi Arthur. Quels que
fussent les dangers, et même si la quête devait être longue
et le succès incertain, c’était l’amour de sa vie.
Le chevalier qui part à la recherche du Graal ne sait
même pas où aller. Il ne peut que cheminer au hasard en
se fiant à Dieu et à sa bonne étoile. S’il a de la chance,
après de nombreuses aventures très étranges il parvient à
un château splendide qui contient le Graal mais qui est
situé au milieu d’un vaste désert. Le maître du château est
un personnage mystérieux appelé le Roi Pêcheur, un
infirme qui a une blessure à la cuisse ou aux organes
génitaux. Il ne peut pas toucher le Graal lui-même et
donc, ne peut être guéri. Sa blessure ouverte l’empêche
de mourir et sa maladie perpétuelle est la cause de la
stérilité de la terre. Mais il se porte assez bien pour aller
à la pêche. C’est alors seulement qu’il est heureux.
Au cours de son séjour dans le château, le chevalier
assiste à une procession d’objets sacrés dont l’un répand
une lumière brillante. Il reconnaît le Graal et devrait
demander immédiatement à quoi et qui il sert. Comme
il ne le fait pas, il se réveille, le lendemain matin, seul. Le
Graal a disparu et le château est désert. Tout simplement
parce qu’il n’a pas posé la bonne question. Il ne suffisait
pas de voir le Graal, il fallait en découvrir la signification.
Selon certains textes, lorsqu’on vous demande: «Pour
qui est le Graal?» il faut répondre: «Pour le Roi du
Graal». Ce qui, évidemment, soulève la question: «Qui
est le Roi du Graal ? »
Dans d’autres versions, un chevalier un peu innocent
aide le Roi Pêcheur à soigner sa blessure, ce qui lui
permet de mourir d’une mort naturelle. Et ainsi le désert
fleurit, la vie renaît, toute la signification du Graal est
enfin révélée. Le chevalier naïf apprend le secret de la
mort et de la résurrection.

330
INTERPRETATION DE LA LEGENDE
DU GRAAL
Lorsque, sans raison apparente, on est frappé, troublé,
fasciné par cette histoire aux multiples facettes, si étrange
et décousue, on lui prête forcément une signification toute
personnelle. On peut y choisir tel ou tel détail, ou au
contraire prendre tout en bloc. Le but-même d’un
mythe est de représenter beaucoup de choses pour beau­
coup de gens. Voici mon interprétation. Vous pouvez y
choisir ce qui vous plaira :

1. La coupe miraculeuse

Vous avez déjà compris que la coupe-Graal est encore


un autre nom pour désigner notre Ligne de Base et le
Bout du Monde. Un nom qui convient parfaitement.
Car c’est ici, là où se termine cette chemise-bavoir qui
est la mienne, qu’est ma place à la table de l’univers.
C’est à cette place seule que mon univers m’est « servi ».
Quel festin ! Des profondeurs mystérieuses de la cuisine
du Non-Etre, arrive sur mon assiette ce mets sacré appelé
Etre, fumant, odorant, magnifiquement garni et aroma­
tisé. Quel menu (à la carte et à la table d’hôte), quelles
portions généreuses, le tout servi 24 heures sur 24! Et
personne ne sait qui est le chef ni comment il fait cela,
et tout seul en plus !
C’est la vie.
Mais la coupe-Graal sert aussi la mort. Elle a contenu
le corps de l’agneau du sacrifice, et par la suite, le sang du
Seigneur crucifié. Ici, on n’est plus celui qui mange, mais
celui qui est mangé.
Lorsque je fais l’expérience du Graal ici-même, je par­
viens mystérieusement à réconcilier ses deux fonctions
totalement opposées, avec un minimum de mots. D’une
certaine manière, cela m’aide à vivre pour mourir et à
mourir pour vivre sans que j’ai besoin de m’expliquer
constamment ce double paradoxe. Ici, le Saint Graal est

331
le lieu de ce miracle permanent, le lieu où je suis à la fois
rempli du monde et libéré de lui et de son stress. Comme
je l’ai découvert dés le début de mes recherches.

2. Expérience et signification du Graal

« Nous avons vécu l’expérience, mais le sens nous en a


échappé» écrivait le poète T.S. Eliot (dont, soit dit en
passant, le célèbre poème «The Waste Land» est une
variation sur le thème du Graal). On pourrait croire
qu’il parlait au nom du chevalier qui a vu le Graal défiler
dans le château du Roi Pêcheur mais l’a laissé passer sans
commentaire, sans poser la moindre question à son sujet.
Faute d’avoir su apprécier le trésor il l’a perdu, du moins
pour le moment.
Quel était sa mission lorsqu’il est parti à la recherche
du Graal? Il ne s’agissait pas, s’il le découvrait, de le
rapporter à la cour du Roi Arthur pour le faire admirer
de tous et être admiré lui-même pour son exploit. Certai­
nement pas. Le but était de voir le Graal, non de le
revendiquer. Car il dispense ses dons à celui qui le voit
clairement, non à celui qui essaie de l’emporter. Les
présents sont là, accordés gratuitement, indépendam­
ment du mérite de celui qui le voit. Mais avant de pou­
voir les accepter et en profiter, il faut que ce dernier
apprécie leur source à sa juste valeur, qu’il la prenne au
sérieux. Sinon, c’est comme s’il n’avait jamais trouvé le
Graal. Comme s’il avait aperçu le diamant Koh-i-noor
chez un brocanteur, qu’il l’ait vu clairement et considéré
comme de la camelote, et soit ressorti de la boutique aussi
pauvre qu’avant.
J’ai horreur de dire cela, mais j’imagine que sur dix de
mes lecteurs, cinq ne feront pas du tout les expériences. Et
que sur les cinq qui les feront, trois ou quatre diront:
« Bien sûr, je vois. Et alors ? », avec un soupir peut-être,
ou avec le bâillement blasé de l’adulte qui en a vu d’au­
tres. A quoi je réponds : « Alors, vous êtes à tous points
de vue le contraire de ce que l’on vous a dit que vous

332
étiez. Alors, vous êtes l’immortelle splendeur. Alors, vous
êtes de nature divine. Alors, tout vous appartient, tout
procède de vous, tout vous revient. Et bien plus encore.
C’est tout. C’EST TOUT ! » Là, je m’arrête, j’abandonne. Et
je me tourne vers vous, mon cher Lecteur qui avez non
seulement effectué nos expériences mais les avez faites de
tout votre cœur avec la sincérité d’un enfant. Vers vous, le
digne héritier de l’innocent chevalier qui soigna le Roi
Pêcheur et rendit la vie à son royaume. Et je vous dis :
« Voyez comme tout cela est merveilleusement au point :
alors que la vision de Qui vous êtes vraiment, vraiment,
est toujours la même et parfaite, la signification de ce que
vous voyez est inépuisable, susceptible d’enrichissements
sans fin. Voyez comme vous avez besoin des deux à la
fois, comme elles convergent naturellement et deviennent
inséparables, avec un peu de temps et d’attention. »
Le message le plus important est contenu dans cette
petite phrase : « le Graal est pour le Roi du Graal ». Pas
pour le chevalier, pas pour vous et moi en tant que tels.
Le fait est que, réduit à ma seule dimension humaine, je
suis incapable de voir Qui je suis vraiment, vraiment. En
tant que Marie Dupont, Pierre Durand ou Douglas
Harding, je ne puis voir ma véritable identité. Quand je
la vois (et comment pourrais-je faire autrement ?) c’est au
nom de et en tant que l’Unique que nous sommes tous,
l’Unique qui est. Lorsque l’on prend conscience de cela,
on se sent à la fois plein d’humilité et d’exaltation. Cela
signifie qu’en travaillant sur nous-même comme vous et
moi sommes en train de le faire ici ensemble - c’est-à-
dire : en examinant notre véritable nature et en appréciant
sa valeur inestimable - c’est pour le monde entier que
nous travaillons. Et c’est le meilleur service que nous
puissions rendre au monde. La lumière qui nous envahit
va forcément rejaillir sur tous les êtres, pour la simple
raison que nous sommes eux. Pour qui est donc ce Saint
Graal qui est votre trésor, votre Ligne de Base et le
commencement et la fin de votre monde? Pas pour
vous, simple être humain. Pas pour vous, le Pêcheur de
poissons blessé. Il est pour vous le Pêcheur d’hommes, le

333
Roi du Graal qui n’est autre que le Tout, le Roi des rois,
l’Unique Impérissable. Etre sauvé, c’est être Lui. Et être
Lui, c’est sauver Son monde.

3. Le Désert

Ce n’est pas dans un décor merveilleux que le chevalier


découvre ce merveilleux Graal, mais au milieu du Désert.
Où exactement se trouve ce Terrain Vague, ce Désert
d’Arabie?...
Exactement là où vous êtes en ce moment-même, au
centre immobile et vide de votre monde agité. Au centre
où vous avez abandonné votre nature céleste, votre na­
ture terrestre, votre nature humaine, votre vie, votre
existence même. Ici, vous êtes plus mort que mort. Ce
n’est que lorsque vous aurez vu cela clairement, lorsque
vous l’aurez accepté pleinement, que vous serez assez
vide, assez largement ouvert pour vous laisser envahir
par la vie du monde entier qui vous ressuscite. Lorsque
vous avez la certitude absolue d’être cet affreux Désert,
c’est alors que vous découvrez là le Saint Graal qui vous
inonde déjà de son eau vive.

4. Le Roi Pêcheur

Le personnage le plus énigmatique de la légende du


Graal est le Roi Pêcheur grabataire. Et parce qu’il est si
étrange, il est probablement très important que nous
l’interprétions correctement. Que signifie sa blessure in­
solite à l’aine? Pourquoi le maintient-elle en vie au-delà
de la durée normale tout en refusant de guérir? Com­
ment, et sur quel rivage perdu, ce royal infirme va-t-il
pêcher? Pourquoi est-ce sa seule consolation? Attrape-t-
il des paniers pleins de beaux saumons, ou simplement
des anguilles et de temps en temps une bonne vieille
chaussure ? Ou des monstres marins inconnus ?
Vous avez certainement reconnu dans ce portrait-robot

334
celui d’un personnage étrangement familier. Appelons-le
Mr Roi. Mr Roi est parfaitement conscient qu’il est
malade. Il souffre d’être si impuissant et si stérile que
ses prétentions et son statut social en sont bafoués, sans
parler de la douleur du désir insatisfait. Il fait appel aux
médecines traditionnelle et parallèle, sans résultat. Il se
prête sérieusement à plusieurs sortes de psychothérapie,
mais ne sait si elles soulagent ou aggravent son angoisse.
En désespoir de cause, il envisage une analyse qui promet
ou menace de durer plusieurs années sans être jamais
vraiment terminée. Pendant ce temps, il lit et se docu­
mente sur l’océan de l’inconscient. Il compte y trouver
l’inspiration, mais en vain. Son étrange ménagerie de
personnages symboliques et d’archétypes le fascine. Il
espère envers et contre tout qu’un jour ils s’uniront
pour le guérir et lui rendre sa vitalité et son pouvoir
créateur. Comme il se doit, il rêve de l’un ou l’autre de
ces personnages fantomatiques et note ses rêves dans son
journal intime. Quant aux autres, chaque soir il jette sa
ligne dans les eaux du rêve avec optimisme, au moment
de sombrer dans le sommeil.
Oui, Mr Roi va mal, mais son passe-temps lui apporte
au moins quelques satisfactions. Sans doute n’est-ce pas
très efficace (parfois même, vous dira-t-il, c’est stressant),
mais c’est mieux que rien. Il vaut mieux être comme
Mr Micawber qui espérait toujours un miracle pour le
tirer d’affaire, plutôt que n’être personne n’espérant rien.
Vous conviendrez, je pense, que Mr Roi, alias le Pêcheur
de la légende, ne nous est pas si étranger somme toute.
Qu’il nous est même très proche, pour peu que l’on tra­
duise et adapte le sens profond de sa pêche. Dans ce cas,
qui est l’innocent chevalier qui aide le pêcheur à se guérir
pour mourir ensuite et ramener le pays à la vie ? Et, trêve
de métaphore, quel est le secret de son succès ?
Voyons la suite de l’histoire de Mr Roi. Réduit au
désespoir par sa maladie, encouragé par la sagesse naïve
d’un ami et peut-être sous l’effet de la Grâce, il revient à
la simplicité, il s’ouvre à ce qui est évident, ce qui est
simplement donné. Ayant enfin le courage de regarder,

335
il cesse de soutenir que son passe-temps vaut mieux que
rien, et décide que rien ne vaut mieux que Rien. Il voit
bien, enfin, qu’il est ce Rien ou Non-chose à quoi rien ni
personne au monde ne peut se comparer - ce Rien qui est
en même temps visiblement Tout, cette Absence de Cho­
ses qui est Toutes Choses.
Alors, au lieu de hanter le rivage de l’océan du Non-
être, dans l’espoir d’attraper quelque bon poisson, il
plonge carrément dedans. Il devient l’océan lui-même,
avec son infinie fécondité, son inépuisable réservoir
d’Etre. Enfin, c’est la prise de sa vie. C’est le gros poisson
qui ne s’est pas enfui. Il a attrapé la mer.
Ayant accepté la mort suprême, il peut vivre la vie
suprême. Non pas en tant que ce petit pêcheur à la
ligne, faible et toujours déçu, mais en tant que le Roi du
Graal qui régne sur tout, éternellement.
Pour Le voir, c’est-à-dire pour être Lui, il vous suffit de
retourner votre attention vers le centre de vous-même.
Maintenant.
17
L’AU-DELA

Un nombre incalculable d’êtres humains ont vécu et


sont morts dans la peur de l’au-delà beaucoup plus que
de la mort elle-même. Seule une personne exceptionnelle­
ment vertueuse ou exceptionnellement confiante pouvait
mourir avec l’assurance d’échapper à une éternité de
tortures diaboliques. On devait être déchiqueté avec des
crochets, embroché sur des fourches et précipité dans des
fournaises incandescentes, jeté vivant dans des chaudrons
d’eau bouillante comme un homard ou enchâssé dans la
glace éternelle... et pour endurer ces souffrances perpé­
tuelles, votre corps survivait miraculeusement à ces mau­
vais traitements, avec une conscience miraculeusement
maintenue en perpétuel éveil. Ceci se passait dans un
endroit aussi réel que les rues et les maisons de la ville
dans laquelle vous habitiez, un lieu tout aussi repérable
que le ciel étoilé au-dessus de vos têtes, mais infiniment
plus rapproché. L’Enfer, cette vaste chambre de torture
de l’univers, était sous vos pieds, et même pas très loin !
Les volcans qui crachent du feu et les geysers qui crachent
de l’eau bouillante venaient confirmer l’image terrifiante
du monde infernal que décrivaient les prêtres, les évêques,
les papes ainsi que les textes sacrés.
Telle est en gros l’idée dans laquelle j’ai été élevé, la
version indiscutable que l’on m’a donnée à croire depuis

337
l’enfance. Ainsi je sais de quoi je parle. Les sensations,
l’angoisse suscitées par cette perspective sont inoublia­
bles. Alors que le Paradis était pour moi si éloigné et si
vague qu’il ne me posait aucun problème, l’Enfer, lui,
était très réel et très dangereux. Un sermon du feu de
l’enfer prêché par un certain Mr Bell, personnage véné­
rable, immense, avec une longue barbe blanche et un air
solennellement apocalyptique, réussit à me persuader,
lorsque j’avais douze ans, que le malheureux pécheur
voué à l’enfer que j’étais devait rejoindre l’assemblée des
Elus pendant qu’il était encore temps. Auparavant,
lorsque je ne trouvais pas immédiatement mes parents
j’étais absolument paniqué, persuadé que le Seigneur
ressuscité les avait emportés dans son Paradis avec les
autres saints, m’abandonnant moi et tous les autres, les
méchants, aux cris et gémissements de l’Enfer, et à son
feu éternel.
De nos jours, nous aimons considérer notre glorieux
héritage d’églises et de cathédrales comme l’expression
de l’adoration et de la gratitude des hommes envers le
Tout Puissant pour ses bienfaits. Avec leur musique
exquise, leurs vitraux flamboyants, les riches vêtements
de cérémonie et l’ambiance réconfortante de communion
entre les fidèles, leurs constructeurs ont dû avoir l’im­
pression d’entrevoir le Paradis. Certainement. Mais il y
avait d’autres considérations. Ces édifices étaient égale­
ment des pots-de-vin, des entreprises de corruption
éhontées, ou disons des primes payées au Grand Agent
d’Assurances dans le Ciel, dans l’espoir d’augmenter
leurs chances de le rejoindre là-haut plutôt que d’être
jetés dans cet autre endroit là en-dessous. Je soupçonne
que, plus que la joie et la gratitude, ce fut la terreur qui
produisit Chartres, Amiens et la Basilique de Saint
Pierre à Rome. Ces magnifiques ouvrages de piété, ainsi
que les pèlerinages et pénitences de toutes sortes, étaient
de petits investissements pour éloigner l’horrible menace
de l’Enfer. Hélas ! Tout ceci ne pouvait que réduire les
chances d’être envoyé, à l’heure de la mort, dans le
camp de concentration éternel du Tout Puissant. Une

338
horreur à côté de laquelle nos Belsens et Buchenwalds
font figure d’hôtels de luxe.
Bien sûr, nous qui sommes modernes ne sommes pas
assez stupides pour croire un mot de toutes ces absurdi­
tés. Cette image de l’Au-delà très répandue jadis nous
étonne, nous fait sourire et, pour la moitié inférieure du
tableau surtout, nous dégoûte. Non que la moitié supéri­
eure fût tellement plus acceptable. Que penser de la
satisfaction que les élus ressentaient (d’après certains des
meilleurs théologiens du moyen-âge) en regardant là en-
bas ce qu’ils avaient réussi à éviter : le supplice éternel des
damnés? Nous avons la certitude d’être bien loin de ces
temps de méchante superstition et de l’angoisse générée
par leur eschatologie redoutable.
Méfions-nous des simplifications extrêmes. Les régions
infernales n’ont pas disparu. La géographie a été révisée.
Sans qu’on y prenne garde, l’Enfer est monté dans le
monde. L’angoisse et les tortures sont toujours là. Dans
notre étude, nous avons situé l’Enfer au-dessus du Bord
du Monde et de la Ligne de Base, et nous avons vu que
chacun en fait l’expérience de ce côté-ci de la mort. Pour
éviter l’incarcération permanente dans cet Enfer, pour
affronter cette menace toujours diabolique, nous avons
conclu que la solution n’est pas de repousser cela dans
l’Au-delà et de n’y plus penser, ni de nier son existence
avec désinvolture, mais au contraire de le regarder bien en
face, de souligner sa réalité toute proche de nous. Nous
inclinant profondément devant l’évidence, nous plon­
geons dans cet enfer et le traversons, non pour atteindre
un Au-delà qui est, mais un Au-delà qui n’est pas, et
certainement pas pour atteindre une sorte de vie après
la mort qui transcenderait notre monde familier et serait
à l’extérieur de lui. Non. L’Enfer de ce monde-ci est bien
suffisant, l’Enfer qui se rétrécit et descend jusqu’à son
nadir exactement là où je suis, ici et maintenant, l’Enfer
qui converge sur le Point qui explose instantanément en
notre vaste, vaste monde depuis les particules jusqu’aux
galaxies. Ce monde-ci qui n’est autre que le Paradis des­
cendu sur terre. Ce monde tel qu’en lui-même il nous est

339
révélé lorsque nous le regardons à partir de sa Source.
Au-delà de lui on ne trouve pas d’autre Ciel ni d’autre
Enfer, mais le Vide, l’Abîme où il n’y a ni hauteur, ni
largeur, ni profondeur, ni espace, ni temps, ni le moindre
grain de poussière.
Cet Abîme au-dessous de la Ligne, cet Au-delà qui est
au-delà du Ciel, de l’Enfer et de l’existence elle-même
mais néanmoins absolument réel, est d’une importance
capitale pour nous car il se trouve que c’est notre re­
fuge, notre guérison et le lieu où nous nous débarrassons
de tout notre stress toxique. Dans ce dernier chapitre,
nous allons en compléter la description en faisant appel
à certaines des traditions religieuses et profanes qui par­
lent de ce Lieu sans lieu, où il n’y a pas de place où
reposer sa tête ni de tête à reposer.

1. L’AU-DELA DANS LE CHRISTIANISME


Tournons-nous d’abord vers notre tradition spirituelle
occidentale et tous ses mystiques qui ont soit ignoré, soit
dédaigné l’image officielle de l’Au-delà, sans parler des
déformations qu’elle a subies dans les traditions populai­
res. Non, elle n’était pas pour eux la vision cauchemar­
desque de la vie future qui a tourmenté mon enfance.
Pour ces mystiques, comme pour nous ici, le Ciel et
l’Enfer sont présents et non pas à venir, ici et non pas
là-bas, de ce monde-ci et non pas d’un autre monde. Loin
d’être au-delà de nous, ils sont avec nous chaque jour, du
matin au soir, et ils se situent entièrement de ce côté-ci de
notre mort. Par delà la vie et la mort se trouve le véritable
Au-delà, qui est la Source totalement mystérieuse et inde­
scriptible de la vie et de la mort, de l’espace et du temps,
ainsi que des innombrables formes sous lesquelles ils se
manifestent. N’ayant aucune des qualités de ses créatures,
cette Origine de tout ne peut être décrite que néga­
tivement, par contraste: elle est informe, intemporelle,
illimitée, impensable, insaisissable, complètement décon­
certante. Et c’est précisément parce qu’elle est si pure et

340
immaculée, parce qu’elle ne porte aucune marque et n’est
soumise à aucune des limitations et imperfections qui
sont le propre de ses créatures, qu’elle est le remède
souverain qui les purifie et leur apporte la guérison défi­
nitive. Cette Source incomparable a été baptisée de noms
divers: le Fondement de l’Etre (La ligne de Base pour
nous), le Mystère, l’Abîme (pour nous: la Profondeur
qui transcende la profondeur), l’ineffable, les Ténèbres
Divines, le Désert, le Non-Dieu (pour nous, Ce Qui n’a
ni les qualités positives de Dieu ni celles négatives du
Diable), et ainsi de suite - tant de noms différents et
tous lamentablement inadéquats sinon trompeurs. Heu­
reusement, ce qui importe, ce qui nous libère de nos
angoisses, ce n’est pas notre connaissance du Grand Au-
delà (il est absolument mystérieux, surtout pour lui-
même), mais la perception directe que nous en avons.
Car: seul Cela peut être vu clairement parce que seul
Cela est si simple, si clair et si évident qu’il est impossible
de le voir à moitié. Seul Cela peut être perçu parfaitement
parce qu’il n’y a rien à percevoir. Seul Cela peut nous
protéger des ravages du temps et les réparer, parce que
seul Cela est hors du temps. Seul Cela est digne de notre
confiance parce que Cela ne dépend de rien, n’a besoin
d’aucun support : Cela a le don exceptionnel de se hisser
hors du Néant, hors du Vide Inanimé, tout seul. Si l’on ne
peut faire confiance à Cela Qui possède ce savoir-faire
invraisemblable, à qui ou à quoi peut-on faire confiance ?
La seule façon de rencontrer ce Maître Médecin et
d’être traité par lui pour nos angoisses, la seule façon de
Le tester c’est de L’essayer, ce qui signifie en fait: être
Lui. Ainsi, tout en restant terriblement mystérieux, inac­
cessible et terrifiant, Il est aussi terriblement évident,
intime, proche et précieux, plus proche et plus précieux
que tout. En vérité, ce qui le rend à la fois si précieux et si
irrésistible c’est qu’il nous bouleverse complètement, au
sens propre comme au sens figuré. Pour être exact, je suis
tout « retourné » d’amour pour Lui.
Voici, choisis plus ou moins au hasard, quelques ex­
traits de textes traditionnels consacrés à cet adorable

341
Guérisseur dont le traitement consiste à mettre le patient
sens dessus dessous :
Maître Eckhart : « Si elle (votre âme) aspire à l’union,
c’est qu’elle n’a jamais vraiment aimé Dieu, car le véri­
table amour est dans l’union. »
«Si vous aimez Dieu en tant que Dieu, Esprit, Per­
sonne ou Image, débarrassez-vous de tout cela. Alors,
comment L’aimerai-je? Aimez-Le tel qu’il est: non-
Dieu, non-Esprit, non-Personne, non-image, mais unité
absolue, pure et limpide, libre de toute dualité. Et en Lui
laissons-nous sombrer éternellement de vacuité en va­
cuité...
« Quelle est la fin ultime ? C’est le mystère des ténèbres
du Dieu éternel qui est inconnu, qui n’a jamais été connu
et ne le sera jamais. »
Saint-Jean de la Croix: «Ceux qui Le connaissent
parfaitement perçoivent très clairement qu’il est parfaite­
ment incompréhensible. »
Dionysius l’Aéropagite: «Sa Nature sans forme pro­
duit toutes les formes. En lui seul le Non-être est un excès
d’Etre, l’absence de vie un excès de vie et son impassibilité
un excès de sagesse ».
Et que pensez-vous de cette description poétique de
notre Ligne de Base par Angélus Silesius?

Où est ma demeure ?
Là où ne se trouve ni Moi ni Toi.
Où se trouve la fin
Vers laquelle je dois me diriger ?
Elle est là où il n’y a pas de fin.
Alors où dois-je me rendre ?
Au-delà du Dieu même,
Dans un Désert.

Je doute que cela lui plaise d’être mentionné parmi les


mystiques chrétiens, mais je ne puis résister à l’envie de
citer le célèbre psychanalyste contemporain, R.D. Laing.
Il est difficile d’imaginer conclusion plus appropriée à
notre sujet :

342
« La vocation essentielle de l’homme n’est pas la décou­
verte du monde extérieur, ni la production, ni même la
communication ou l’invention. C’est de permettre à l’être
de surgir du non-être. Lorsqu’on a conscience d’être le
véritable instrument d’un processus permanent de créa­
tion, on est transporté au-delà de toute dépression, per­
sécution ou présomption, au-delà même du chaos ou du
vide, dans le mystère-même de cette perpétuelle commu­
tation du non-être en être, et cela peut être l’occasion de
cette grande libération qui se produit lorsque l’on passe
de la crainte du néant à la réalisation qu’il n’y a rien à
craindre. »

2. L’AU-DELA DANS LE BOUDDHISME


Le Nirvana, but suprême de la démarche bouddhiste,
est décrit comme l’état dans lequel on est libéré des
limitations de l’existence. Le Bouddha l’appelle « le
Non-né, l’Incréé, le Sans Origine, le Sans Forme», par
contraste avec le monde phénoménal ou Samsara qui est
né, créé et formé. Bien qu’il n’ait aucune caractéristique
restrictive, on nous dit que le Nirvana est permanent,
stable, impérissable, immuable, intemporel, immortel. Il
est la puissance, la félicité, le refuge, le lieu de la sécurité
absolue. Il est la Vérité, et la Réalité Suprême. Il est le

343
Bien, l’unique but et le couronnement de notre vie, la
Paix incomparable...
Nous avançons vers le Nirvana par étapes. Selon Ed­
ward Conze, elles comprennent :
«Quatre “dhyanas (méditations) sans forme” qui
représentent les étapes nécessaires pour supprimer
toute trace de l’objet. Tant que nous sommes atta­
chés à un objet, si raffiné soit-il, nous ne pouvons
atteindre le Nirvana. D’abord, on voit l’espace infini
en toute chose, puis la conscience infinie, puis le vide.
Ensuite, on renonce même à la saisie du néant... (Au-
delà de ceci on trouve un lieu) où il est dit que l’on
touche le Nirvana avec son corps. »

Le Nirvana est le rivage qui est baigné par l’océan du


Samsara, leur lieu de rencontre. Et le Sage voit que ce
rivage est absolument vide. Pour être délivré de la souf­
france, il faut se centrer sur et vivre consciemment à
partir de cette ligne de rencontre, indéfinissable et pour­
tant manifeste, entre l’océan et le rivage. Selon le
Bouddha lui-même, le Nirvana est accessible et claire­
ment visible pour le disciple avisé.
Que signifie tout cela? N’est-ce pas tout simplement
une description en termes légèrement différents de ce à

344
quoi nous a menés notre enquête? Au lieu d’imaginer,
au-dessous de notre Ligne de Base, «un espace où le
monde se produit», ne nous a-t-elle pas amenés à dé­
couvrir que la Ligne elle-même est le Lieu où le monde
de l’espace-temps s’arrête et où «l’on touche le Nirvana
avec son corps?» Ne nous a-t-elle pas amenés à voir les
choses du même Œil que le Bouddha qui a dit égale­
ment qu’à l’intérieur-mème de ce corps se trouve le lieu
de l’origine et de la fin du monde ? Quelle satisfaction de
savoir désormais exactement où le trouver dans ce
corps!
Il est vrai que le Bouddhisme a inventé des enfers
encore plus compliqués que les Chrétiens. Mais on n’y
est pas condamné pour l’éternité. Selon La Voie vers la
Réalisation Instantanée, l’Enfer n’existe que dans l’esprit :
lorsque l’on prend conscience de sa propre vacuité, il n’y
a pas d’Enfer. En d’autres termes les Enfers qui sont au-
delà de ce monde du Samsara sont vraiment menaçants
jusqu’à ce que nous voyons qu’ils sont une illusion et que
notre propre Nature immaculée est le seul Au-delà véri­
table mais inexprimable.

3. L’AU-DELA DANS LE SOUFISME


Le grand maître sufi, Rumi, n’a aucun doute sur le Lieu
où l’on rencontre l’Au-delà. « Vous n’avez jamais vu la
tête de l’Homme», dit-il, «Vous êtes une queue». A
maintes reprises, il fait remarquer que la Première Per­
sonne est décapitée. Ainsi, l’on est coupé, au sens littéral
du terme, de sa petite personnalité mesquine et totale­
ment imaginaire, et relié à la Source et Origine de tout,
qui est le «Non-être permanent». Uni à la Non-existence
qui, selon Rumi, «est l’usine de Dieu». Lorsqu’on sait
qu’il y a des diamants cachés sous les fondations d’une
maison, il faut la démolir suffisamment pour atteindre le
trésor. Le corps doit être démoli pour la même raison. Ici,
dit Rumi, on arrive «au Lieu où il n’y a plus de lieu».
C’est le Trésor lui-même.

345
Et voici comment Hassan Shushud, un maître Turc,
décrit récemment le Soufisme de l’Ordre Naqshbandi :

« C’est la voie de la réalisation que suivent ceux qui


ne peuvent accepter la.Création comme un fait ac­
compli... L’annihilation (fana) est la base essentielle
de la réalisation. Sans elle, le contact avec la réalité
ne peut être établi, les voiles qui cachent la véritable
nature des choses ne peuvent être retirés. Sans l’an­
nihilation, l’illusion cosmique ne peut cesser, les
fictions de l’esprit et de la mémoire sont intermina­
bles. Qu’est-ce que l’annihilation? C’est passer de
l’existence phénoménale à l’être réel, au Mystère de
la libération absolue... Les Mystères longtemps ca­
chés aux “vivants” ont certainement été révélés à
ceux qui ont réussi à échapper au monde des appa­
rences et à entrer dans le royaume de la vraie décou­
verte. Ils ont été libérés de tous les problèmes
mentaux, émotionnels ou surnaturels. »

Ce qui n’est pas très éloigné de notre conception qui


consiste à dire que la réponse au stress du monde est
l’Au-delà d’où le monde surgit.

4. LE PRINCE CHANGE EN GRENOUILLE


CHANGEE EN PRINCE
Voyons maintenant les versions profanes de l’Au-delà.
Dans le folklore et dans les comptines, le Bout du
Monde est un endroit où se produisent des choses mer­
veilleuses. Le plus bel exemple est le conte de fée dans
lequel un beau prince a été transformé en une horrible
grenouille par une sorcière (qui a inspiré ma parabole de
Eyebright et la Magicienne).
Dans la version anglaise traditionnelle, le Prince-
changé-en-grenouille se retrouve dans un puits au Bout
du Monde. Arrive une jeune fille qui est prête à faire ce
qu’il lui demande. Finalement il lui dit :

346
Ouvre la porte, ma douce, mon cœur,
Ouvre la porte, ma chérie,
Souviens-toi des mots que nous avons échangés
Là-bas dans la prairie, au puits du Bout du Monde.
Pose-moi sur ton genou, ma douce, mon cœur,
Pose-moi sur ton genou, ma chérie
Souviens-toi des mots que nous avons échangés
Là-bas dans la prairie, au puits du Bout du Monde.

Coupe-moi la tête, ma douce, mon cœur,


Coupe-moi la tête, ma chérie
Souviens-toi de la promesse que tu m’as faite
Là-bas, au bord du puits froid et sinistre.

Fidèle à sa promesse, elle lui tranche la tête et - hop ! -


la grenouille redevient un beau Prince.
Traduisons cela en termes de ce livre: bébé, vous étiez
naturellement beau et aimant parce qu’au-dessous de
votre Ligne de Base, il n’y avait pas de visage à composer
ou faire grimacer pour affronter les gens ou les repous­
ser. Et vous étiez plus riche qu’un roi, parce qu’au-
dessous de cette Ligne vous ne possédiez rien, aucun bien
personnel auquel vous accrocher, qui ne serait qu’un
ersatz minable de votre domaine vaste comme le monde
au-dessus de la Ligne. Mais vous avez contracté la mala­
die humaine et une énorme tumeur s’est développée sous
la Ligne, qui a engendré un stress terrible. Pour vous
guérir, il a fallu vous soumettre à l’opération chirurgicale
la plus radicale qui soit, une céphalectomie. L’opération
a été si réussie que la moindre cellule cancéreuse de cette
grosseur maligne a été éliminée. Et vous êtes maintenant
redevenu aussi bien portant, aimant et naturel que
lorsque vous étiez tout petit. Peut-être même plus beau.
Pour en revenir au conte du Prince et de la grenouille,
comme le style et les images sont différents des sentences
pesantes des mystiques ! Mais le message est bien le
même. Avec la légèreté qui le caractérise, le folklore a
une façon de montrer aux gens ce qu’ils ressentent pro­
fondément et obscurément mais qu’ils ont besoin de

347
porter à la lumière de la conscience. Il en est de même
pour les comptines. Voici l’une de celles que je préférais
quand j’avais quatre ou cinq ans :
Tom, Tom, le fils du joueur de pipeau
Avait appris à jouer quand il était jeune ;
Mais le seul air qu’il savait jouer
Etait : «Très loin par delà les collines» -
Par delà les collines et très, très loin,
Le vent emportera mon cabochon.

Soixante-quinze ans plus tard, je n’ai pas changé de


refrain. Le vent de Dieu emporte toujours mon cabo­
chon au Bout du Monde.

5. STRATEGIE DU BORD DE L’ABIME


Le Bout du Monde a toujours été une préoccupation
essentielle de l’être humain, une énigme apparemment
insoluble, une menace, un défi fascinant avec d’une part,
la possibilité (ou la nécessité) de le trouver, et d’autre
part, le danger (ou la nécessité) de tomber par-dessus
bord quand on l’aura trouvé. Et tomber dans... quoi?
Même, et surtout lorsque nous sommes enfants, l’infini
nous séduit et nous trouble. Nous pensons que l’espace ne
peut pas s’étendre indéfiniment : il doit forcément s’estom­
per, se dissoudre quelque part, ou alors être tranché net
par les ciseaux tout puissants de Dieu. De même, le temps
doit certainement s’arrêter, avoir un commencement et
une fin au-delà desquels rien ne se passe. Et pourtant
l’espace et le temps ne peuvent pas s’arrêter, nulle part ni
à aucun moment. Les deux possibilités sont inimaginables.
Ce qu’il y a de remarquable dans cette énigme, ce n’est pas
qu’elle soit manifestement insoluble (cela la rend plutôt
amusante et insignifiante), mais que son insolubilité soit
précisément ce qui la rend si fascinante. Et non seulement
fascinante, mais si précieuse. Et non seulement précieuse,
mais unique parce qu’elle est la clé-même de notre félicité.
Il y a trois étapes dans le développement de l’énigme.

348
1. Incurvation de la Terre plate, 2. Incurvation de l’Uni-
vers «plat» et 3. l’Univers inincurvable de la Première
Personne.

1. Incurvation de la Terre plate

Jusqu’à l’époque de Christophe Colomb et des grands


navigateurs, on croyait que la Terre était plate, un im­
mense radeau fini flottant sur l’Abîme. Aussi leurs équi­
pages mouraient-ils de peur (et cela se comprend). Et ils
se mutinaient lorsqu’ils craignaient d’approcher ce bord
redoutable où l’océan allait se terminer et eux tomber
dans l’Abîme.
Nous n’avons plus cette crainte puisqu’on a découvert
que la Terre est une sphère et que sa surface est courbe :
aussi loin qu’il aille, aucun globe-trotter ne risque plus de
tomber par-dessus bord.

2. Incurvation de l’Univers « plat »

Jusqu’à notre siècle, on croyait que l’Univers aussi était


«plat», c’est-à-dire que son espace, comme son temps,
s’étendaient à l’infini. A l’infini? Hypothèse inconcevable.
Alors, s’arrêtaient-ils à un moment, dans un Abîme au-delà
de l’espace et du temps ? Abîme dans lequel il était possible
que l’on puisse tomber ? Un risque bien faible, certes, qui ne
devait pas nous empêcher de dormir, mais néanmoins une
énigme toujours insoluble. Alors vint Einstein et son célè­
bre concept d’un Univers fini mais illimité. Les calculs
mathématiques correspondants étant d’un niveau bien
trop élevé pour la plupart d’entre nous, nous devons nous
contenter de l’image d’un espace-temps courbe. Ce qui
signifie que nous pouvons voyager dans l’espace autant
que nous voulons, nous ne risquons pas plus d’arriver
au bord de l’univers que les marins de jadis d’arriver
au bord de la Terre. Comme eux, en poursuivant notre
voyage nous nous retrouverions à notre point de départ.

349
Dans ce cas, qu’y a-t-il au-delà de cet Univers fini (ou
soi-disant fini)? Certainement pas une sorte d’espace-
temps extra-muros anémié et complètement usé. En fait,
cette question n’en est pas une, elle n’a pas de sens. Inutile
d’essayer d’imaginer l’inimaginable. Les concepts fonda­
mentaux qui s’appliquent à l’Univers objectif ne peuvent
être déformés en percepts.

3. L’Univers inincurvable de la Première Personne

Par contre, en tant que Première Personne du Singulier,


je n’ai aucune difficulté à imaginer ce qui se passe. Au
départ, mon Univers est perceptible et non conceptuel, et
j’ai le plus grand respect pour la façon dont il se révèle à
moi. C’est comme si je recevais la visite d’un inconnu et
qu’au lieu d’essayer d’imaginer comment il est, je me
contentais de simplement le regarder et l’écouter et en
apprenais ainsi beaucoup plus à son sujet en une minute
qu’en une année d’étude. De même, quand j’ai l’humilité
de prendre l’Univers tel qu’il se présente à moi, eh bien je
découvre qu’en effet il est plat. Je vois que si sa hauteur et
sa largeur sont données de manière perceptible, sa pro­
fondeur et sa distance sont une construction mentale.
(Voir Expérience № 15) Le contenu de son espace se
présente ici. Et le contenu de son temps se présente
maintenant. Le passé et le futur ne sont réels que dans
la mesure où ils apparaissent dans le moment présent.
La Première Personne, Celui que je suis vraiment, ne
peut éviter le risque de tomber hors de l’espace et du
temps en les «courbant». Ils refusent carrément de se
plier à ma volonté. En réalité chacun de ces marins
voyait juste et avait toutes les raisons de s’inquiéter.
Mais s’il avait pris la peine de regarder, il aurait vu
qu’en tant que Première Personne, avant même de s’em­
barquer il avait déjà basculé tête et épaules par-dessus
bord dans l’Abîme. Loin de l’angoisser au point de le
pousser à la révolte, ce fait évident l’aurait au contraire
libéré de toute anxiété s’il lui avait accordé son attention.

350
Pour nous, la leçon à tirer de tout cela c’est qu’en
voulant absolument éviter le vide et se tenir à bonne
distance de cet horrible précipice, le monde des seconde
et troisième personnes réussit également à passer à côté
du remède contre le stress. A force de vouloir à tout prix
nous protéger d’un danger qui est en fait la plus grande
des bénédictions, nous nous retrouvons pris au piège d’un
problème qui est en fait le problème, le fléau de notre vie.
Ici survient une objection majeure :
D’accord. Je vois que ma tête a disparu dans l’Abîme
au-delà du bord du monde. Malgré tout, je n’ai pas perdu
ma tête, loin de là. Pourquoi ? Parce que je peux la toucher,
la palper. Et si je peux plonger la main dans cette mare de
néant aussi facilement que dans n’importe quelle vulgaire
mare à poissons et manipuler ce qui se trouve dedans, cela
veut dire que c’est une mare de quelque chose. Allons
donc! Ce merveilleux Au-delà n’est pas si Au-delà que
cela, somme toute ! Il est simplement au-delà de la portée
de l’un de mes sens. Un point c’est tout ! Et après?
Pour répondre à cela, nous vous proposons une expé­
rience très simple :

3. Expérience № 23 : Le visage du monde

Gardez les yeux grand ouverts tout au long de l’expé­


rience.
Palpez votre front de long en large et de haut en bas.
Observez que cette sensation se situe au sommet de la
scène, dans la région du plafond ou du ciel.и
Maintenant, amenez lentement vos doigts sur vos sour­
cils, votre nez, vos joues... et remarquez que cés sensations
se situent au milieu du tableau, dans la région des arbres,
des maisons et des gens. Ou, si vous êtes à l’intérieur, dans
la région des murs, des fenêtres, des portes et des meubles...
Maintenant, descendez encore jusqu’à votre bouche et
votre menton... et remarquez que ces sensations se situent
au bas du tableau, dans la région du sol ou du tapis que
vous regardez...

351
Et que tout se termine une fois de plus par ces pieds à
l’envers, ces jambes tronquées, ce plastron de chemise
découpé...
Finalement, ramenez vos doigts explorateurs au som­
met de cette scène et de ce visage et faites-les descendre en
un seul mouvement jusque tout en bas...

Remarquez quelques détails frappants concernants votre


visage invisible: quelle surprise, quelle plaisanterie!... ces
pieds à l’envers et si minuscules, ce visage à l’endroit et si
vaste !
Simultanément ressenti comme votre visage et vu
comme celui du monde, il confirme votre intime conne­
xion avec tous les objets et tous les visages. Avec lui vous
pouvez déposer un baiser sur toutes les frimousses que
vous rencontrez, pour ainsi dire.
Chaque trait de ce visage, du front jusqu’au menton, se
situe bien au-dessus de ce plastron de chemise, bien au-
dessus de votre Ligne de Base. Au-dessous d’elle se trouve
l’Au-delà que ni la vue ni le toucher ni aucun des sens, ni
la conscience elle-même ne peuvent pénétrer. C’est pour­
quoi le Zen l’appelle l’inconscient.

Autant pour notre avocat du diable et son bavardage


sur les mares à poissons. Je ne sais ce que vous en pensez,
quant à moi, il m’a certainement aidé à prendre davan-

352
tage conscience de mon union avec le monde qui est au-
dessus de la Ligne. Une conscience toute nouvelle, au­
jourd’hui même !

6. L’AU-DELA, LE GRAND INCONSCIENT


D.T. Suzuki, le grand maître qui a introduit le zen en
Occident au début de ce siècle, appelait cet Au-delà le
Grand Inconscient ou l’inconscient Cosmique, à l’exem­
ple des fondateurs du Zen en Chine il y a plus d’un
millénaire. Voici ce qu’il écrit :

« Le champ relatif de la conscience disparaît quelque


part (c’est moi qui souligne) dans l’inconnu, et cet
inconnu, une fois reconnu, entre dans la conscience
ordinaire et met de l’ordre dans toute la confusion
qui y régne et qui nous tourmentait à des degrés
divers... Puisque nous connaissons ses limites, notre
conscience limitée nous crée toutes sortes de soucis,
de peurs, de déséquilibres. Mais dés que nous réali­
sons que notre conscience émane de quelque chose
qui est intimement relié à nous, même si nous ne
pouvons pas le connaître de la même façon que
nous connaissons les choses relatives, nous sommes
libéré de toute forme de tension, totalement détendu
et en paix avec nous-même et avec le monde en
général. »

Par la suite, Suzuki avertit que si ce Grand Inconnu ne


peut pas faire valoir ses droits naturellement, il se mani­
festera de manière violente ou pathologique, et nous
serons alors « désespérément anéantis ».
J’ajouterai que le moyen d’éviter cela est de cesser
d’ignorer la Frontière où le connu et l’inconnu se rencon­
trent, où le patient est en contact direct avec le vrai
Guérisseur et où l’Au-delà est vraiment l’Au-delà.
Si l’on ne se contente pas de la lire et qu’on la prend au
sérieux, cette recette n’est pas une simple formule abs­

353
traite, un vœu pieux qui ne peut être vérifié et mis en
pratique dans la vie quotidienne. Bien au contraire, elle
devient incroyablement réelle et vivante dés que nous
l’appliquons à notre corps. Il n’y a rien de plus naturel.
Là en-bas, quelque chose de très ordinaire me rappelle
sans cesse à l’ordre: j’espère que ce «truc» vous sera
aussi utile qu’à moi. M’inclinant une fois de plus profon­
dément devant l’évidence, je découvre deux fermetures.
La première est une humble fermeture-éclair ridicule
dans sa banalité. Elle est verticale. On est obligé de
l’ouvrir plusieurs fois par jour, sinon le résultat est incon­
fortable, honteux et malsain. On s’en sert constamment,
mais il arrive qu’elle se détraque et qu’il faille la rempla­
cer. La seconde est horizontale. Rien moins que banale,
elle suit le tracé de ma Ligne de Base magique. Elle ne se
détraque jamais, mais il est terriblement facile de l’ou­
blier, et moins on s’en sert, plus elle se rouille et devient
difficile à manipuler. Il faut absolument que j’ouvre cette
deuxième fermeture le plus souvent possible. Sinon, c’est
bien pire que de pisser dans mon pantalon. Je souffre de
toxémie, je m’auto-empoisonne. Finalement je deviens
fou, et ma folie sent mauvais. Le seul moyen de me
guérir est d’ouvrir sans cesse cette fermeture horizontale
jusqu’à ce qu’elle glisse facilement et reste ouverte assez

354
longtemps pour laisser sortir les produits toxiques qui se
sont accumulés derrière. Car je possède deux vessies, pour
ainsi dire: l’une pour éliminer le liquide et l’autre pour
éliminer le stress. Et les deux doivent être vidées fréquem­
ment si je ne veux pas tomber malade.
Pourrais-je cultiver meilleure habitude que celle-ci :
chaque fois que j’ouvre cette fermeture-éclair verticale,
me souvenir que je dois ouvrir l’horizontale ? Ou mieux
encore, vérifier qu’elle est déjà ouverte, et pour toujours ?

DE LA VISION A 180° A LA VISION A 360°


Comment vivre ainsi, avec la Ligne de Base toujours
ouverte? Qu’est-ce que cela signifie, qu’est-ce que cela
représente comme pratique quotidienne, à chaque heure,
à chaque minute ?
C’est la vie multipliée par deux, d’un seul coup, le
passage soudain de la vision à 180° à la vision à 360°,
de l’existence hémisphérique à l’existence sphérique, de la
myopie à la claire vision, d’une demi-présence au monde

355
à une présence totale, de la souffrance dûe au stress du
monde à sa guérison. Cela signifie être centré et non
éparpillé. C’est être réunifié.
Ce traitement n’est pas quelque chose d’ésotérique,
vague et fuyant. Il est précis, spécifique et à la portée de
tous. Pour chaque situation stressante au-dessus de la
Ligne, il existe le remède correspondant au-dessous.
Chaque là-bas a son Au-delà.
Cette thérapie aux applications multiples, élégante et
profonde, n’est pas à comprendre mais à vivre. Com­
ment? A l’aide de notre dernière expérience.

Expérience nQ 24 : La vision à 360°

Regardez cette page et montrez-la du doigt. Voyez


comme elle vous apparaît clairement. Maintenant, faites
pivoter votre doigt de 180° et désignez ce qui est en face,
ce qui enregistre cette page, et voyez comme cet espace-
vide-pour recevoir-cette-page s’impose encore plus claire­
ment qu’elle...
Tournez maintenant votre regard vers l’extrême gauche
et désignez ce qui se présente là. Voyez comme c’est net et
distinct. A nouveau, faites pivoter votre doigt de 180° et
désignez ce qui est à l’intérieur, ce qui enregistre ces
objets. Et voyez comme c’est clair et net...
Répétez l’opération en tournant votre regard vers la
droite...
Vérifiez que quel que soit le point que vous désignez, il
a sa contrepartie ici. Que chaque objet trouve sa place, sa
case, sa niche à l’intérieur du sujet. Que chaque cas de
stress là-dehors a son lit d’hôpital qui l’attend ici, prêt à
recevoir le patient. Ou plutôt, prêt à le renvoyer dehors,
guéri...
Autant pour ce qui est vu. Et la sensation? Quel effet
cela vous fait-il d’être guéri, de n’être plus handicapé, de
n’être plus myope? Choisissez celles qui vous conviennent
le mieux parmi les descriptions suivantes :
Vous vous sentez comme une lumière pure. Vous vous

356
sentez comme Brahma aux quatre visages, qui regarde
éternellement dans toutes les directions. Vous vous sen­
tez comme un samouraï sur le qui-vive, avec tous vos
yeux (y compris ceux à l’arriére de votre absence de
tête) grand ouverts, prêts à tout. Vous vous sentez
comme un saint caduc en train de recoller son auréole
brisée et se retrouvant pleinement lui-même. Vous vous
sentez comme une petite fille faisant tourbillonner son
cerceau. Vous vous sentez comme une boîte de soupe
délicieuse, mi-liquide mi-épaisse, que l’ouvre-boîte a dé­
barrassée de son couvercle. Vous vous sentez comme un
amoureux qui a enfin trouvé sa moitié. Vous avez la
même sensation que dans le métro, lorsqu’il sort du
tunnel et passe en surface: après cette bousculade si
stressante, vous avez enfin trouvé un siège et vous vous
détendez en jouissant d’être le silence que traverse le
cliquetis des roues sur les rails, et la clarté immobile
témoin de toute cette agitation banlieusarde qui passe.

Le stress dont vous souffrez est inversement propor­


tionnel à votre angle de vision. On va de la mauvaise
santé de la vision étroite - un angle de 5° peut-être - à
la santé moyenne de la vision à 180° et, tout à coup, la
santé éclatante de la vision à 360°.
Mais en fait il ne s’agit pas de cesser d’être malade et
unilatéral pour devenir sain à tous azimuts, mais de voir
que vous avez toujours été en parfaite santé.

357
7. CONCLUSION
Une fois qu’il s’est produit, le rôle de l’Etre c’est d’être,
sans compter. Au commencement et en premier lieu, il
n’avait aucune raison d’être. La Mère Universelle est
encore sous le choc de s’être donné naissance à elle-
même. C’est la Grande Irrégularité derrière toute sa ré­
gularité et elle ne s’habituera jamais au fait de s’être
produite. Quant au Non-être, qui est le nom de la mater­
nité où elle se trouve, elle ne peut qu’en rester muette de
stupeur.
Si vous éprouvez un frisson d’émerveillement indicible
devant ce qui est derrière l’Etre, c’est en tant que l’Etre et
pour l’Etre que vous l’éprouvez. Et si vous êtes complète­
ment bouleversé et miraculeusement guéri par son incom­
préhensibilité, c’est parce que incompréhensible ne veut
pas dire inaccessible, et mystérieux ne signifie pas nébu­
leux. Ce qui dans un sens est le secret le plus obscur, dans
un autre sens est ce qu’il y a de plus clair, de plus évident
au monde, brillant de l’éclat le plus pur.
Retournez votre attention et plongez maintenant votre
regard dans la brillance de votre Au-delà, et dans l’au-
delà de votre Brillance.

Qui a eu cette idée absurde que vous - Vous qui êtes au-
delà de l’Au-delà - pouviez souffrir du stress ?

358
Q U A TRIÈME PARTIE

LA PRATIQUE

On peut pratiquer même en


travaillant. C’est peut-être difficile
au début, mais l’habitude engendre
rapidement l’efficacité et le travail
ne sera plus un obstacle à la
méditation.
Qu’est-ce que la pratique?
Recherchez constamment le “JE”, la
source de l’ego. Demandez-vous “Qui
suis-JE”? Le “JE” pur est la réalité,
l’Existence-Conscience-Félicité
absolue. Quand on oublie cela, les
malheurs s’accumulent.
Ramana Maharshi

Observez les faits avec les yeux d’un


petit enfant, et soyez prêt à renoncer à
toute idée préconçue. Suivez
humblement la Nature où que ce soit
et quel que soit l’abîme où elle vous
entraîne, ou vous n’apprendrez rien.
Т.Н. Huxley

359
J’ai déjà cité cette phrase de Т.Н. Huxley au début de
ce livre. Elle réapparaît à la fin parce qu’elle est encore
plus pertinente maintenant. Désormais, au lieu d’observer
simplement les faits, NOUS NOUS INCLINONS devant eux
et cela nous amène à l’ABIME, et non à un abîme.
Accepter de nous y laisser conduire de plus en plus
fréquemment et par des routes de plus en plus variées,
telle est notre pratique.

360
18

LA PRATIQUE

DEUX FAÇONS DE PRATIQUER


Si vous avez lu au moins la première moitié de ce livre
et fait les expériences qu’elle contient, vous avez déjà
commencé à mettre en pratique notre méthode pour
traiter le stress. Ce dernier chapitre est destiné à vous
montrer comment poursuivre et développer votre pra­
tique, et comment surmonter les difficultés que vous
allez forcément rencontrer.
Il y a deux façons de procéder: celle qui consiste à
suivre un programme régulier d’exercices quotidiens, et
celle qui consiste à traiter chaque stress qui surgit, dans
l’instant, à partir de votre Vacuité ou Ligne de Base.
Certes, la première est un système un peu artificiel, alors
que la seconde est naturelle, une discipline régie par la vie
elle-même. Le seul inconvénient, c’est qu’on oublie si
facilement de l’appliquer. Aussi la plupart d’entre nous
au début, et certains presque toute leur vie, préféreront
suivre un programme d’exercices réguliers à titre d’entraî­
nement pendant qu’ils sont moins stressés, pour se pré­
parer à faire face aux moments de grand stress.
L’avantage, c’est que nous pouvons choisir le temps et
le lieu de notre pratique. La vie, elle, a moins d’égards.
Le programme hebdomadaire que nous vous suggérons

361
est progressif et correspond, comme vous le verrez, aux
sept premiers chapitres de la Deuxième Partie, et aux sept
sortilèges jetés par la Magicienne dans l’histoire qui se
situe au début de la Troisième Partie : chaque jour de la
semaine vous apporte une formule de désenvoûtement.
Voici les grandes lignes du programme :
1. Commencez la journée en lisant le chapitre du jour
et en exécutant les expériences qu’il comporte.
2. Tout au long de la journée, trouvez des occasions de
les mettre en pratique.
3. Ayant terminé le programme à la fin de la semaine
revenez en arriére et recommencez tout le lundi matin.
PAGE JOUR EXERCICE PENDANT LA JOURNÉE
du jour
Lun. Le 3e œil Tout en voyant ce que vous
regardez, voyez ce à partir de
quoi vous regardez : cette Fe­
nêtre unique, immense sans
cadre, sans stress.
Mar. Absence de Vérifiez où se trouve votre
visage visage : là-bas dans le mi­
roir, en sécurité derrière la
vitre, là où les autres et leur
appareil photo l’enregistrent.
Mer. Liberté Sentez comme vous remplis­
sez l’espace, vous n’avez pas
de limites. Voyez comme il
est absurde de penser que
vous êtes dans un corps.
Jeu. Échange des Lorsque vous vous trouvez
visages en face de quelqu’un - à la
maison, au bureau - voyez
que vous n’êtes pas face à
face, mais que c’est face là-
bas à espace ici.
Ven. Votre Centre Lorsque vous marchez, cou-
immobile rez ou voyagez en voiture, en
bus ou train, voyez que vous
êtes immobile. Laissez le
stress du mouvement à sa
place, dans le paysage mou­
vant.
Sam. Votre Remarquez qu’il n’y a aucune
Fortune distance entre vous et ce que
vous regardez: c’est-à-dire
que cela ne pourrait pas
vous appartenir davantage.
Dim. Tout ce que Triomphez du stress en re­
votre cœur connaissant que ce qui vous
désire est arrivé cette semaine était
ce que vous souhaitiez vrai­
ment. A partir de la Source
dites OUI A CE QUI VOUS
ARRIVE.

363
LES RESULTATS DE VOTRE PRATIQUE
Évidemment, quand nous décidons de pratiquer nous
attendons des résultats rapides, oubliant que nous venons
seulement de commencer à renverser nos croyances et à
briser les moules conventionnels qui se sont accumulés et
figés autour de nous depuis des dizaines d’années. Et
évidemment nous sommes découragés quand il nous
semble que rien ne se passe. Il y a cinq réponses à cela,
toutes encourageantes.
Premièrement, si vous faites les expériences, vous ne
pouvez les faire que parfaitement. Vous ne pouvez pas
voir plus ou moins votre Vacuité, ou voir Cela partielle­
ment. Donc la perfection de la cause rejaillit forcément
sur l’effet. Dés votre première expérience de cette vision,
les conséquences sont profondes, même si vous ne vous en
rendez pas compte. Ét bien sûr, chaque fois que vous
répétez l’expérience, c’est de plus en plus facile. Jusqu’à
ce que vous découvriez un jour, à votre grande surprise et
pour votre plus grande joie, que la nouvelle habitude s’est
peu à peu installée. Par exemple, vient le moment où vous
remarquez que votre visage est automatiquement absent
en faveur de celui de la personne que vous aimez, et même
en faveur de ceux des personnes que vous n’aviez pas du
tout conscience d’aimer. Et vous découvrez que vous êtes
véritablement construit pour l’amour, pour être les autres,
et non pour affronter qui que ce soit. C’est comme
lorsque l’on pèse du riz : bien que ce soit le dernier grain
qui fasse pencher la balance, chaque grain est nécessaire
pour faire le poids.
Deuxièmement, il est très probable que c’est vous qui
serez la dernière personne à remarquer ce qui vous est
arrivé et que vous êtes désormais détendu en des occasions
qui, jusqu’ici, vous mettaient au comble du stress. Et
somme toute, c’est absolument normal : Qui Vous êtes au
centre de vous-même est parfait depuis toujours et ce sont
les autres qui vont récolter les fruits bénéfiques sur votre
moi périphérique. Ce que vous allez récolter, vous, c’est la
profonde satisfaction d’être votre Source immuable.

364
Troisièmement, ne vous fiez pas uniquement à ce que
vous ressentez. J’entends souvent le reproche suivant:
« D’accord, je vois que je suis Espace vide vis-à-vis de
cette chose qui me fait souffrir, mais cela ne l’empêche
pas de continuer à me tourmenter. Je ne me sens pas du
tout mieux ! » La vérité, c’est que vous ne pouvez pas vous
sentir mieux ou plus mal en tant qu’Espace vide, mais
vous ne devez plus être affecté par les choses bonnes ou
mauvaises qui viennent se loger en vous. Continuez à être
cet Espace neutre, consciemment, prenez courage et
continuez à voir.
Quatrièmement, vous commencez maintenant à vivre à
partir de votre Source, à partir de la Non-chose que vous
êtes au lieu de la chose que vous croyiez être. Désormais
vous voyez la vie et la vivez telle qu’elle est. Il s’ensuit
qu’elle se passe certainement mieux à bien des égards que
vous ne remarquez pas. Cet Univers serait vraiment un
Enfer s’il était plus avantageux de croire ce qui n ’est pas,
de vivre de mensonges et d’illusions. Peu importe si en ce
moment vous êtes satisfait de ce qui est. C’est ainsi que
sont les choses, c’est ainsi que Vous êtes, et vous acceptez
raisonnablement les deux dans un esprit de confiance.
Cinquièmement et dernièrement, le fait n’en demeure
pas moins que si voir votre Vacuité est la chose la plus
facile au monde, maintenir cette vision est très difficile.
Mais ce contraste n’est-il pas précisément ce que nous
souhaitons? Que serait la vie sans le courage et l’au­
dace, sans l’aventure, sans un formidable défi pour nous
permettre de donner le meilleur de nous-même ? Et quel
défi pourrait-on comparer à cette unique et grande aven­
ture jamais terminée et pourtant achevée depuis toujours
puisque vous pouvez avoir la satisfaction de toucher le
but dés votre premier pas sur la route ? En outre, ce n’est
pas un long chemin difficile à parcourir, fait d’une série
de petites étapes difficiles à franchir. Chacune est simple
comme bonjour, et vous pouvez la franchir dés mainte­
nant.

365
CETTE METHODE A-T-ELLE FAIT
SES PREUVES?
Avant de vous engager dans une démarche ardue (ou
disons: exigeante) et d’y consacrer du temps et des ef­
forts, vous êtes en droit de vous demander si cette mé­
thode originale et unique pour soigner le stress a été mise
à l’épreuve.
Avant tout, considérons les techniques spéciales pré­
sentées dans ce livre. Les outils de travail tels que le sac
en papier et la carte trouée (pages 75 et 145), et les
expériences telles que «pointer du doigt» et «arrêter la
montre» (pages 22 et 322) ont fait leurs preuves au cours
des vingt dernières années. Mes amis et moi les avons
partagées avec des dizaines de milliers de gens en
Amérique du Nord ainsi qu’en Europe occidentale et
orientale, dans des assemblées allant de 10 à 2 500 parti­
cipants, et à l’occasion d’innombrables rencontres de
personne à (non)personne. Pratiquement tous ont « vu »,
généralement avec stupéfaction et enthousiasme. (Qui
pourrait nier que notre côté du sac - oh surprise ! - est
ouvert et vide ?) D’autre part, si beaucoup de gens ont vu
parfaitement cette Ouverture et cette Vacuité (parfaite­
ment, car on ne peut voir autrement), le nombre de
ceux qui ont continué à cultiver l’expérience jusqu’à ce
qu’elle s’entretienne elle-même et porte des fruits en abon-

366
dance est, semble-t-il, relativement faible. Mais pour cer­
tains que la vision paraît avoir laissés indifférents, il pour­
rait bien s’avérer que la semence ait bien pris mais qu’elle
se soit enkystée, attendant de germer au moment propice.
D’autres, sans aucun doute, se sont lancés dans la grande
aventure dés le début, à mon insu et à celle de mes amis.
Nous n’avons pas d’organisation pour garder un œil sur
nos clients d’un jour (un bien piètre terme pour les dési­
gner mais néanmoins préférable à « sac-en-papiéristes »).
Et bien sûr, ayant vu Cela, ils n’ont plus besoin de nous
car ils ont - ils sont - tout le scénario, y compris la
technique. Quant à ceux de nos amis qui ont «vu» et
sont restés en contact avec nous, les résultats de leur
pratique assidue sont, à mon avis, extrêmement variés,
souvent impressionnants et très beaux, toujours bénéfi­
ques.
Certes, notre voie est nouvelle. Mais pour innovatrice
qu’elle soit, elle côtoie et rejoint même par endroits la
Grande Voie largement ouverte depuis quelques trois
mille ans grâce à laquelle d’innombrables voyageurs ont
réussi à atteindre leur But qui était de rentrer Chez Eux
pour s’apercevoir tout simplement qu’ils n’avaient jamais
été ailleurs. Au cœur de toutes les grandes religions :
Hindouisme, Bouddhisme, Taoïsme, Judaïsme, Christia­
nisme et Islam, il y a la certitude que tous les êtres
humains et toutes les créatures sont des phénomènes
régionaux, des apparences d’une Réalité Centrale
Unique à laquelle on a attribué provisoirement toutes
sortes de noms, entre autres : la Conscience, qui me
semble tout aussi valable que n’importe lequel d’entre
eux. Et toutes enseignent que le but de la vie est de
retourner à cette Source, à ce Centre, de rentrer Chez
Soi pour redécouvrir son Essence, de tourner son regard
vers l’intérieur pour découvrir Cela, pour être Cela qui est
par définition indéfinissable, mystérieux au-delà de toute
expression et pourtant accessible instantanément parce
que c’est Ce Que nous sommes pour l’éternité. Au cours
des siècles, cette âme de la religion, la flamme qui l’anime,
a été étouffée, édulcorée, méprisée, enterrée et apparem­

367
ment écrasée à maintes et maintes reprises, mais en vain.
Elle est toujours là, rayonnante, au Centre de toute expé­
rience «mystique». Son efficacité dans la vie («pour
vaincre le stress», selon notre langage) a résisté à
l’épreuve du temps, elle est prouvée d’une façon plus
éclatante que jamais, de même que l’est son accessibilité.
Elle mérite bien le nom de Philosophie Eternelle. Ce livre
s’inspire de la tradition et la prolonge. Son but est de la
débarrasser de ce qui n’est pas l’essentiel, des éléments
pittoresques hors de propos, des complications et de la
confusion semées par les prêtres, afin de ramener au
grand jour l’Essence-même du message qui est plus sim­
ple que tout ce qu’on peut imaginer. Si nos techniques
sont aussi modernes, rationalisées, démythifiées que pos­
sible, ce qui les sous-tend est aussi ancien et aussi riche
que l’Humanité et le monde lui-même. Et de toutes les
grandes intuitions humaines, c’est certainement celle qui a
été la plus parfaitement vérifiée.
Ne cherchez pas forcément les racines religieuses sous
la forme délibérément séculière de ce livre. (Si on laisse
des racines en paix, elles produisent des fleurs et des fruits
très sains.) Mais si cela vous intéresse tant soit peu, cette
incursion dans «l’expérience mystique» peut vous être
d’un grand secours pour surmonter le stress, en vous
apportant le soutien et l’amitié des grandes âmes du
passé et en vous donnant accès à quelques unes des
nombreuses voies, directes ou détournées, qui vous ramè­
nent Chez Vous, à la Source. N’est-il pas surprenant et
particulièrement exaltant de voir comme l’approche fran­
chement agnostique de ce livre, et ses expériences basées
sur le doute, remettant en question nos idées reçues et nos
croyances les plus établies, nous amène directement aux
sources de l’histoire de la vie spirituelle de l’Humanité,
nous faisant redécouvrir, en fait, son don instinctif pour
résoudre le problème du stress?

368
TRANSMETTEZ LE MESSAGE
En général, lorsqu’une méthode est nouvelle il faut la
maîtriser parfaitement et totalement avant de pouvoir la
transmettre. Mais celle-ci est différente. Dés que vous
avez fait la toute première expérience du livre et vu que
votre doigt désigne votre Vide-Plein-Eveillé, vous êtes
parfaitement qualifié pour initier quelqu’un d’autre. Il
est impossible de transmettre une version inférieure de
cette vision intérieure. En fait, pour vous encourager
vous-même, pour le bien de vos amis et pour l’avenir de
l’Humanité, je vous recommande vivement de partager
cette expérience vraiment libératrice. Vous n’êtes pas
obligé de tout comprendre, encore moins de tout expli­
quer, jusque dans les moindres détails (qui le pourrait?).
Il s’agit simplement de faire avec votre partenaire les
expériences qui semblent convenir à la situation du mo­
ment. C’est ce que vous voyez qui compte, et non ce que
vous en pensez. Vous verrez que le meilleur moyen de
rester conscient de votre Vide-Plein est d’introduire vos
amis au leur.
Mais il ne servirait à rien de leur imposer l’expérience.
Un bon conseil : si vous êtes détaché et paisible dans votre
désir de partager, allez-у sans hésiter. Si votre désir est
intense, soyez prudent. S’il est passionné, cela risque
d’être contreproductif pour les deux intéressés. Pour
nous détendre, il suffit de nous rappeler que tous les
êtres vivent de toutes façons à partir de leur Vide-Plein
et que c’est à eux de décider s’ils souhaitent ou non en
prendre conscience maintenant.
Montrer Cela aux gens est d’autant plus important et
utile que cela permet de créer des groupes informels
d’amis sincères vivant aussi consciemment que possible
à partir de Ce Qui est identique en chacun d’eux. Cette
sorte d’amitié est le meilleur encouragement, le meilleur
soutien, car l’état de celui ou celle qui vit sans tête est
contagieux. Alors, au lieu d’attendre de rencontrer des
compagnons sans tête, créez-les! C’est l’entreprise la
plus fructueuse et la plus joyeuse que je connaisse. Et les

369
amis que vous rencontrez ainsi sont des amis pour la vie,
car leur amour, comme l’identité partagée dont il est une
manifestation, est indépendant des mérites humains et
tout à fait indestructible.
Répandre ce message dans le monde, c’est lui rendre un
service incomparable, ainsi qu’à vous-même. Le moyen
de cultiver ce que vous avez reçu, c’est de le donner à
votre tour. Si j’ai pu continuer à «voir Qui je suis» tout
au long des années, c’est qu’il m’a été donné de le parta­
ger. Sans cette contribution active, sans ce travail, je ne
sais pas si j’aurais pu entretenir la vision qui l’a inspiré.
Vous trouverez vous-même, cher Lecteur, la forme
unique que prendra votre propre contribution. N’hésitez
pas ! Cela vous apportera une joie à nulle autre pareille.
ACHEVÉ D’IMPRIMER
EN JUILLET 20 1 0
PAR L’IMPRIMERIE
DE LA MANUTENTION
A MAYENNE
FRANCE
№ 157-10

Dépôt légal : 3' trimestre 2010


Lorsque nous rencontrons des situations stressantes dans notre
vie quotidienne, notre tendance naturelle est la fuite. Si au contraire
nous pouvons intégrer le stress en nous, le conflit disparaît.
“Le but de ce livre - son hypothèse à vérifier par tous les
moyens possibles et tous les jours - c’est que la prise de conscience
de soi est la réponse, la clé du royaume dont vous êtes le roi,
le remède souverain à tous vos problèmes, quels qu’ils soient.”
Cette méthode peut transformer l’ennui en joie et le découra­
gement en félicité. Il n’y a qu’une chose à faire : avoir l’audace de
jeter un regard neuf sur soi-même.
L’approche franchement agnostique de ce livre et ses expé­
riences basées sur le doute, remettant en question nos idées reçues
et nos croyances les plus établies, nous amènent directement aux
sources de l’histoire spirituelle de l’humanité, nous faisant décou­
vrir, en fait, son don instinctif pour résoudre le problème du stress.

“Hors normes, Vivre sans stress n ’est pas à proprement parler un


ouvrage sur la relaxation, ou alors au sens le plus profond, le plus
spirituel du terme puisque son auteur, le célèbre Douglas Harding, nous
y livre les dernières mises au point de sa méthode d’éveil. Attendez-vous
à une grande découverte ! ” La Vie Naturelle
“L’auteur, l’un des pionnier du développement personnel, propose
une méthode très simple pour avoir l’audace de remettre en question
nos idées reçues, nos croyances sur la vie et sur le monde.”
Psychologies
“Des techniques originales, simples et profondes qui permettent à
ceux qui les pratiquent de percevoir clairement et rapidement leur
véritable identité, leur nature divine.” Terre du Ciel
“Dans un langage clair, sans théorie intellectuelle, D. Harding
propose avec son humour habituel des expériences simples, concrètes et
percutantes dans le but de s’éveiller à la conscience de soi. Un ouvrage
d’intérêt pour qui entreprend de sortir du carcan de la mécanicité du
psychisme humain.” 3e Millénaire

ISBN 978-2-86316-181-4 23 €

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