Vous êtes sur la page 1sur 19

Cahiers de la Méditerranée

Morphologie urbaine
Jamila Binous, Hedi Eckert

Citer ce document / Cite this document :

Binous Jamila, Eckert Hedi. Morphologie urbaine. In: Cahiers de la Méditerranée, n°20-21, 1, 1980. Recherches d'ethno-
sociologie maghrébine. pp. 43-60;

doi : https://doi.org/10.3406/camed.1980.912

https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1980_num_20_1_912

Fichier pdf généré le 12/05/2018


MEDINA DE TUNIS

La morphologie urbaine

- La morphologie, reflet du fonctionnement urbain

L'ordre spatial de la Medina reflète


l'organisation sociale des habitants de cette cité. L'une des
caractéristiques de cette organisation est la séparation
très nette entre la vie publique et la vie familiale :
l'une répondant à l'ordre familial et l'autre répondant
à 1 ' ordre de la communauté .

La traduction spatiale de cette organisation


sociale devient lisible à partir du moment où l'on arrive
à cerner le principe directeur du tissu urbain. Celui-
ci est en effet la Grande Mosquée avec le quadrilatère
des souks nobles qui l'enserrent. Grande Mosquée et
quadrilatère soukier constituent le centre de la ville, sa raison
d'être matérialisée : le culte et le commerce ou la cité
tout court. Le centre de la ville commande un réseau
linéaire de voies le long desquelles se développe la vie publique
II résulte de l'entrecroisement de ces voies un espace
de surface (1) : les noyaux intérieurs constitués par
les habitations.

Le réseau linéaire s'organise suivant une


hiérarchie qui est la suivante :

- parcours principaux conduisant des portes


de l'enceinte vers la Grande Mosquée et
le quadrilatère soukier,
- bretelles de parcours principaux conduisant
vers une autre porte sans toucher le centre
religieux et commerçant,
- 44 -

- parcours secondaires se branchant sur les


parcours principaux et/ou leurs bretelles
- voies de desserte partant des parcours
principaux et/ou secondaires,
- voies d'accès reliant les espaces de
surfaces ou noyaux intérieurs résidentiels aux
espaces linéaires du système viaire.

Les réseaux de surface (1) connaissent, eux


aussi, une organisation hiérarchique. Le centre du noyau
intérieur est occupé par la maison du groupe familial
hiérarchiquement prééminent qu'entourent, avec leurs
maisons, les groupes familiaux dépendants et clients.

L'enceinte sépare la ville du chaos de l'espace


extérieur. A l'intérieur de ses murs se manifeste l'unité
du monde citadin, unité qui s'exprime à travers la
communauté dans la foi. La Mosquée, lieu de profession de cette
foi, symbolise cette unité. Elle est donc logiquement
le centre de la vie communautaire, coeur et centre de
la cité. Tous les parcours principaux, drainant parcours
secondaires et voies de desserte, convergent vers ce point
central.

De même que l'enceinte isole du chaos extérieur,


les souks enserrant la Mosquée la protègent et la
démarquent. Pour atteindre la Mosquée, le croyant, en
traversant ce filtre est identifié et reconnu comme appartenant
à la communauté.

Le réseau linéaire ouvert et accessible


s'arrête aux portes des impasses qui desservent les noyaux
intérieurs. C'est là que se situe la limite entre l'espace
public et l'espace privé. Cette limite est marquée non
seulement par un changement de fonction (les parcours
permettent de traverser, l'impasse ne permet que l'accès),
mais également par un changement dans le statut juridique
(l'impasse n'est pas une voie publique, mais bien un
passage privé) .

La série de maisons qui se trouvent de part


et d'autre de l'impasse et qui peuvent l'enjamber sans
- 45 -

aucune contradiction juridique, étaient, à l'origine,


propriété du même groupe familial. Retiré au fond de
l'impasse, le palais, demeure du patriarche, occupe le coeur
du noyau. Il est protégé du parcours par une série de
maisons en général plus modestes. Ces maisons ont dû
abriter la parentèle et la clientèle.

De caractère modeste sont également les


maisons longeant les parcours et bretelles, parmi les "séries
cultuelles " ( 1) et les bâtiments publics. Ces maisons
de bordure se retranchent souvent derrière une longue
driba qui les relie à la rue. Elles sont presque
inexistantes dans les souks et deviennent de plus en plus nombreuses
si l'on passe d'un parcours principal à un parcours
secondaire, puis à une brerelle.

De même que la Medina reflète par son


urbanisme l'organisation sociale de ses habitants, les palais
et demeures ne sont que la matérialisation sur le sol
d'un mode de vie et d'une structure familiale.

Le système de filtres qui, à travers une


hiérarchie de parcours, nous a conduit jusqu'à l'impasse
se continue. Une driba séparée de l'impasse par une porte
est suivie d'une ou de plusieurs sqîfa -s disposées en
chicane. Le système d'entrée est d'autant plus compliqué
que la maison est riche. Réciproquement, il se réduit
à la simple chicane (sqîfa) dans les maisons modestes.

A l'intérieur de la maison, indépendamment


des dimensions, l'espace s'organise en espace de réception,
espace de service et espace résidentiel. Ce dernier
matérialise l'organisation de la famille en sous-groupes.
Chaque sous-groupe a son chef et sa pièce d'habitation.
On y rencontre la pièce du maître, celles de ses fils
mariés et, éventuellement, celles de ses petits-fils.

La clé de voûte du système social, le lieu


de rencontre, d'affrontement et de communion où hommes
et femmes, générations et hiérarchies, groupe et individu
se fondent et se confondent en un seul point spatial pour
y recevoir en même temps leur définition respective les
uns par rapport aux autres, c'est bien et seulement le
wust ed-dâr, centre de la maison et centre, multipliable,
- 46 -

du système .

L'espace central multipliable est aussi


l'endroit où se définissent et se sanctionnent les changements
de statut. Devant la foule nombreuse des parents et alliés
se succédant rigoureusement séparés par sexes se fêtent
les rites de passage : la circoncision pour les garçons,
le mariage pour les jeunes filles. Le jeune circoncis
ou la jeune mariée sont exposés, sur un trône surélevé,
aux classes d'âge et de hiérarchie des adultes parmi
lesquels ils prendront rang dès qu'ils quitteront la zone
neutre du trône .

- La morphologie, source des principes de sauvegarde et


de restructuration

A la lumière de l'analyse morphologique, on


peut donc considérer l'organisation du tissu urbain de
la Medina comme le compromis spatial réussi entre deux
fonctions urbaines exclusives l'une de l'autre : l'habiter
et le commercer. Ce tissu traditionnel les imbrique
étroitement, tout en les isolant hermétiquement.

La concentration des fonctions urbaines


primordiales dans le quadrilatère central -grande mosquée et
souks nobles- détermine rigoureusement l'organisation
du reste de l'espace urbain intra muros à travers un réseau
linéaire de voies strictement hiérarchisées.

Les parcours principaux convergeant des portes


de l'enceinte vers le quadrilatère central annoncent et
préparent la centralité à travers les "séries cultuelles"
qui les longent : zâwiya-s, f unduq-s , hammâm-s et cafés
depuis l'époque turque. Les bretelles des parcours
principaux tendant vers une autre porte sont généralement
dépourvues de ces éléments de sociabilité.

Il en est de même des parcours secondaires


où seuls apparaissent aux embouchures des voies desservant
les noyaux intérieurs, certains équipements de quartier:
l'épicier, le kouttâb , le four public.
- 47 -

Parcours principaux et parcours secondaires


enserrent les noyaux intérieurs, les constituent par leur
entrecroisement. On y accède, à partir de deux-ci, par
les voies de desserte et les impasses. Le caractère
exclusif et introverti de la vie familiale s'exprime par les
façades qui, ici, donnent sur le patio. L'isolement par
rapport aux grands parcours est assuré par 1 ' écran des
équipements de sociabilité, par les murs aveugles et/ou
un système complexe de filtres : impasse, drîba, sqîfa.
Ce dernier élément charnière entre le monde public et
le monde privé est, par ailleurs, constitutif de toute
maison.

L'aire centrale et les parcours principaux


qui y convergent commande le reste du réseau viaire et
en hiérarchise les catégories. C'est à partir de cet
agencement hiérarchique que devient transparente la typologie
des équipements urbains ou encore leur absence qui
caractérisent les différentes catégories de voies à 1 intérieur

'
de la ville.

Le déplacement ou la disparition du
quadrilatère central entraîneront donc l'effondrement de cet ordre
hiérarchique de la ville ou son altération profonde.

Une telle altération, par la perte des


fonctions de commande du quadrilatère central, s'est produite
à la suite de l'implantation, à la fin du 19e siècle,
de la ville neuve coloniale.

La IVedina Centrale est aujourd'hui un quartier


dans une grande agglomération urbaine. Le chaos agreste
a cessé de l'encercler au-delà de l'enceinte que rappelle
encore la toponymie des portes. Bien au contraire,
l'encerclement de la Medina par la localisation de fonctions
urbaines centrales à l'Est -Bâb Bhar, à l'Ouest -Bâb Bnât
et la Kasbah-, au nord -Bâb Souika et au Sud -gare
ferroviaire et zone industrielle- a maintenu, à l'intérieur
de celle-ci, l'essentiel du fonctionnement viaire à usage
piétonnier. Le poids de ces fonctions centrales est inégal:
l'aire centrale moderne s'est développée à Bâb Bhar
la fonction gouvernementale s'est maintenue autour de
l'ancienne Kasbah '-aujourd'hui disparue- en s 'étendant
- 48 -

vers Bâb Bnât ; la Place Bâb Souika commande comme premier


relais des transports en commun les mouvements pendulaires
vers la périphérie Nord-Ouest où habite un quart de la
population urbaine : les gares ferroviaires et routières
au Sud-Est commandent un autre quart de la population
urbaine, alors que la zone industrielle au Sud concentre
la plupart des grandes entreprises situées dans la région
urbaine.

Les flux de personnes qui , provenant de ces


quatre points centraux aboutissent en Medina ou la
traversent n'ont pas été sans imprimer une marque particulière
au fonctionnement du système viaire traditionnel.

En effet, les bretelles de parcours principaux


allant de porte à porte y sont aujourd'hui devenues les
voies hiérarchiquement prééminentes avec un glissement
sensible de l'ensemble des cheminements vers la partie
basse où un axe principal -souk sidi mahriz, souk el-grâna,
rue des teinturiers- relie Bâb Souika au Nord à Bâb Dzîra
au Sud.

Ce glissement vers la partie basse de la Medina


du parcours principal Nord-Sud s'explique évidemment
par le voisinage immédiat de l'unique aire centrale de
type moderne qui la jouxte à l'Est, au-delà de la Porte
de la Mer. Cet axe de parcours principal en direction
Nord-Sud double en outre, en tant que cheminement piéton-
nier, le périphérique automobile empruntant les mêmes
directions. Les deux flux, piétonnier et automobile, se
rejoignent et se croisent sur la Place Bâb Dzîra au Sud
et sur la place Bâb Souika au Nord.

Un second axe privilégié apparait, avec un


:

fonctionnement comparable de liaison piétonnière, entre


la kasba h et la Porte de France. Seul son dédoublement
à caractère touristique (rue Djamaa Zitouna, Souk et-Trouk)
frôle et contourne encore directement le quadrilatère
central qu'il animey notamment Souk el-Attârîne. Le point
d'intersection de ces deux axes de transit piétonnier
se situe cependant, sensiblement décalé, à l'Est et en
aval du quadrilatère central et érige en parcours principal
de raccordement une ancienne voie de desserte (rue des
- 49 -

tamis) .

Par ailleurs, un cheminement en coude va de


la Porte de France à la Place Bab Souika en empruntant
successivement la rue de la Kasbah, le souk el-Grâna,
le terrain vague du souk el-Hoût et le souk Sidi Mahris.
Ce cheminement, avec ses nombreux dédoublements et ses
antennes -rue Kramed et V_errerie, rue Zarkoun avec une
pointe jusque dans la rue de l'Agha, et rue Sidi Baiân-
fonctionne aujourd'hui comme aire centrale du tertiaire
primitif (2), soit comme aire d'achats non-quotidiens,
vestimentaires et ménagers, pour plus de la moitié de
la population urbaine. De là le caractère soukier très
accusé de ces anciens parcours principaux et leurs
bretelles, et même de certains parcours secondaires (rue de
la Verrerie), voire d'anciennes voies de desserte (rue
2arkoun) .

Les principaux axes de cheminement traversent


en outre partie des anciens souks du quadrilatère central
et l'ensemble des souks hors quadrilatère dont ils étendent
le caractère et le fonctionnement soukier le long des
parcours principaux qu'ils empruntent. La rue de la Kasbah
et la rue Djamaa Zitouna en sont l'exemple sur l'axe du
cheminement de transit Ouest-Est, alors que la rue des
teinturiers d'une part et les dédoublements divers de
l'axe Grâna-Hût-Sidi Mahriz d'autre part illustrent ces
transformations sur l'axe Nord-Sud.

Quant aux parcours principaux situés dans


la partie haute ou Ouest de la Medina, ils ont aujourd'hui
la fonction de parcours secondaires et parfois de voies
de desserte.

Ceci est notamment le cas de la rue du Pacha


et de la rue Tourbet el-Bey, historiquement parcours
principaux conduisant au quadrilatère central. A cette relative
désaffectation de ce second axe Nord-Sud correspond la
nouvelle fonction de parcours secondaire adjuvant que
remplissent certaines anciennes voies de desserte orientées
Ouest-Est. C'est ainsi que la rue de la Hafsia et la rue
du Riche canalisent des flux s 'écoulant de la bordure
- 50 -

Ouest sur les hauteurs vers 1 ' aire centrale de Bâb Bhar
à l'Est.

L'orientation générale du trafic de drainage


vers la ville basse et le centre-ville moderne a rendu
nécessaire ce réajustement du système viaire traditionnel.

Orientée, de par son agencement traditionnel,


sur ces deux faubourgs au Nord et au Sud, la vieille Medina
a vu son réseau viaire s'adapter en fonction de
l'orientation Est-Ouest que lui impose le fonctionnement de la
ville actuelle, centrée sur Bab Bhar.

Dans l'ensemble, les glissements et transferts


hiérarchiques des voies comme autant de phénomènes
d'adaptation à une réalité urbaine nouvelle n'altèrent pas
profondément le système viaire global.

En effet, à l'exception des rues Pacha et


Hafsia, l'automobile n'y pénètre pas encore. Le danger
d'une déstructuration totale et irréversible se préciserait
avec le transit automobile à travers la Medina sur des
voies -et par là à travers toute une trame urbaine -qui
ne résisteraient pas aux exigences technologiques d'un
trafic pour la prise en charge duquel elles ne sont pas
faites.

Il nous paraît finalement utile de souligner


le caractère positif de ce qui n'est, en dernière analyse,
que des rajustements largement respectueux -bien que malgré
eux- de la trame urbaine et de la hiérarchie des réseaux
linéaires ou viaires en fonction de la situation spatiale
privilégiée de la Medina au coeur pratiquement de la grande
région urbaine de Tunis.

Or, la sauvegarde de la ville ancienne en


tant que témoignage encore parfaitement lisible d'une
civilisation originale a peut être avantage à s'informer
profondément du fonctionnement urbain traditionnel et
des rajustements qu'il autorise. Préserver la trame et
les volumes n'a de sens que dans la mesure où sera
sauvegardé le fonctionnement des réseaux qu'ils mettent en place
et dont ils sont finalement l'expression et le support
matériel.
- 51 -

Et c'est à travers le fonctionnement -dont


nous connaissons le caractère actuel relativement fidèle
au modèle ancien- que nous saisissons les chances les plus
sérieuses d'une sauvegarde active ne demandant que des
âû"
rajustements importants niveau du quadrilatère central:
Grande Mosquée et souks nobles.

La revitalisation d'un centre urbain ancien


acquiert tout son sens quand, en l'appliquant à la Medina
de Tunis, l'essentiel de l'effort est concentré sur la
réhabilitation de son centre vital qui est précisément
à l'origine de tout le système urbain.

Il serait bien entendu illusoire que de vouloir


ramener dans son quadrilatère central les fonctions
disparues ou les fonctions centrales nouvelles d'une ville ayant
une taille et des exigences technologiques différentes.
L'opération musée et l'opération transfert tueraient la
trame urbaine soit en la figeant en bazar soit en la
faisant éclater sous un poids démesuré.

Il existe néanmoins, dans une grande ville


comme Tunis dont l'aire centrale est en pleine expansion,
certaines fonctions centrales spécifiques dont la
concentration dans le périmètre de l'ancien quadrilatère de commande
serait à envisager et à étudier très sérieusement. L'aire
centrale traditionnelle de la Medina deviendrait ainsi
un point de localisation préférentiel pour certains
équipements de type central. La proximité spatiale de l'aire
centrale moderne et son extension spatiale indécise seraient
deux facteurs dont on pourrait profiter.

La restitution d'une certaine centralité dans


le quadrilatère ne ferait évidemment pas disparaître les
cheminements actuels, mais les orienterait plus fortement
et les maintiendrait au moins dans les limites
morphologiques tolérables qu'ils exploitent actuellement.

Quant à la trame résidentielle des "noyaux


intérieurs" sa situation est différente suivant sa
localisation en hauteur ou en ville basse. Si la ville basse est
caractérisée par les zones de démolition -El-Hafsia et
El-Khirba- où s'établit l'artisanat moderne, utilitaire
ou de récupération, et par des tâches importantes d'oukali-
sation de part et d'autre de l'axe Nord-Sud, les hauteurs
- 52 -

apparaissent, 1 ' oukalisation mise à part et qui y a un


impact bien moindre, comme des quartiers résidentiels encore
potentiels. La fonction de parcours secondaire et de voie
de desserte qu'y remplissent les anciens parcours principaux
renforce encore ce caractère.
créé'
Il s'est ainsi en Medina une sorte de
spécialisation des quartiers en renforcement de ce que
la morphologie permettait comme types d'utilisation. La
ville haute apparaît alors comme une zone à vocation
résidentielle, alors que la ville basse rassemble le réseau
soukier commerçant. Ceci est bien évidemment dû au fait
que la Medina, aujourd'hui seulement quartier d'une très
grande ville, est commandée par les structures urbaines
globales et le type de fonctionnement urbain que celles-
ci permettent ou induisent.

Si l'accentuation de la fonction résidentielle


en ville haute et l'extension de la fonction commerçante
en ville basse ont été essentiellement conditionnées par
l'implantation de l'aire centrale moderne à Bab Bhar, il
n'en reste pas moins que la morphologie a largement permis,
sinon encouragé, cette bipartition accusée. Encore faut-
il craindre qu'un point de rupture ne soit atteint dans
un proche avenir. Toutefois, l'emprise soukière a été
historiquement plus dense en ville basse (grâna, hût, sidi mah-
riz, blât) où, par ailleurs, les bretelles de parcours
principaux sont plus nombreuses. On peut donc avancer que
la ville basse était morphologiquement davantage préparée
à assumer les fonctions nouvelles et ceci d'autant plus
qu'elle abritait également le quartier franc... avec ses
f ondouks .

Quant à la ville haute, elle a toujours été


-la typologie de l'habitat l'atteste entre autres- le séjour
préféré des "beldyîa". Andalous et Ottomans s'y sont
installés (rue des Andalous et rue du Pacha). La vraie ville
"résidentielle" est-on tenté de lire, se trouve sur les
hauteurs pour des raisons climatologiques évidentes (cf
Amadeo). Pour ce qui est de la ville basse, elle devient
dès la fin du 13e siècle lieu d'accueil pour les populations
non musulmanes : la hâret el-yedûd se trouve en ville basse.
- 53 -

Vers la fin du 17e siècle, les négociants juifs


et chrétiens venus d'Europe s'installent en ville basse,
dans le quartier franc. A leur suite se déverse sur la
frange basse de la ville toute une population
méditerranéenne non-musulmane qui est généralement liée à la présence
des négociants livournais, génois et marseillais. Maltais,
Siciliens, Catalans et Grecs s'y fixent. C'est l'exode,
au lendemain de l'indépendance, de ces descendants de
premiers immigrants européens, qui, en libérant la ville basse,
l'a immédiatement livrée à 1 ' oukalisation -souvent
structurelle- par l'immigration rurale musulmane.

L'agencement traditionnel des réseaux de


surface ou noyaux intérieurs et l'état actuel de leur
fonctionnement nous permettent d'aborder aussi l'insertion de
l'artisanat dans la trame urbaine.

En effet, les funduq-s-artisanat se greffant


comme des doigts sur les parcours autorisent largement
la comparaison avec les noyaux intérieurs desservis par
une impasse. Cette forme d'organisation spatiale n'est
cependant pas unique, car il existe également des souks
d'artisanat fonctionnant sur le mode du parcours.

La raison de ces deux types d'organisation


spatiale apparaît clairement quand on regroupe les activités
artisanales en celles produisant pour le commerce et celles
faisant fonction de service ou s ' adressant directement
à la clientèle. C'est ainsi que les forgerons de Bab Djedid
et les selliers de Bab Mnarâ organisèrent leur souk sur
le début d'un parcours principal menant au quadrilatère
central, alors que les teinturiers de Bab Dzira et les
tisserands des funduq el-Benna et el-ouarda s'établirent
dans des "souks en impasse" ou f oundouks .

Ces deux types d'organisation spatiale de l'artL-


- 54 -

sanat sont encore extrêmement vivants malgré l'allure


moderne de la majeure partie des entreprises artisanales.

En dehors des tisserands dont les survivants


animent toujours funduq el-henna et funduq el-warda d'autres
souks en impasse subsistent ou se sont constitués :

-dinandiers rue senfage, alors que le souk


du cuivre s'est davantage spécialisé dans
la vente.

- ciseleurs sur cuivre rue mahfoudh


- ateliers de confection et de la chaussure
dans une impasse de la basse rue de la kasbah
- menuisiers-ébénistes dans une transversale
de la rue de la verrerie
- ateliers de cordonniers rue el-jeloud et
fournissant en chaussures le sûq el-blâghjîya

L'artisanat de service ou s 'adressant


directement à la clientèle continue de s'établir le long d'un
parcours principal qu'il transforme alors en souk. Les
exemples sont également relativement nombreux :

- renaissance d'un sûq el-hajjâmîn (souk des


coiffeurs), place Bâb Souika.
- souk des ébénistes rue Saqalli, rue Sidi
Kaddous et avec un début de regroupement
soukier rue sidi boumendil par exemple.

Le déferlement d'un artisanat à multiples


nuisances -bruits et odeurs- constitue cependant une première
agression à l'ordre ancien qui reléguait près des portes
les activités de ce type : teinturiers près de Bab Dzira,
forgeronsà Bab Djedid, tanneurs extra muros, etc. La
deuxième agression c'est celle de 1 ' éparpillement des activités
artisanales à travers les noyaux intérieurs le long des
voies de desserte, ou encore ponctuant certains parcours
secondaires : c'est notamment le cas des rues du pacha
et de la hafsia où la desserte automobile a dû constituer
une forte incitation. Les camionnettes de livraison per-
- 55 -

turbent profondément l'écoulement du trafic piéton.

C'est donc au niveau de l'essaimage anarchique


de l'artisanat de production à travers le tissu urbain
que nous décelons une menace particulièrement grave pour
l'homogénéité de la trame. En outre , d'anciens foundouqs
de production tombent en ruine : souk des teinturiers.
D'autres sont sous-utilisés ou totalement désaffectés :
sûq el-haddâdîn, sûq ech-chawwâchîya, funduq el-harâirîya
(souk sidi mahriz) où s'étiole une triste "aaiçariya de
marchands de textiles semi-ambulants.

Il faudrait étudier très sérieusement le


regroupement spatial de cet artisanat éparpillé, tout en tenant
compte des contraintes qui sont aujourd'hui propres à ce
type d'activité : surfaces, possibilités de desserte par
camionnettes, aération, éclairage. Des propositions dans
ce sens ont même été formulées pour le noyau historique
d'une ville d'Allemagne (3) où, pourtant ce type
d'organisation spatiale a des racines historiques et morphologiques
bien moins profondes ( 4) .

Restructurer l'artisanat en Medina, dans un


souci de sauvegarde globale, c'est avant tout discipliner
et réorganiser toutes les tendance virtuelles d'organisation
et de localisation, dans le sens d'une meilleure
fonctionnalité qui, elle, est précisément compatible avec le modèle
traditionnel. Les problèmes que pose l'artisanat dit
traditionnel en particulier sont des problèmes de "civilisation"
qui, dans un premier temps, n'ont rien à voir avec une
option de revitalisation d'un centre ancien.

Une telle revitalisation sera avant to ut une


restructuration souple. Elle devra tenir compte des données
suivantes :
- le changement de direction des parcours
principaux qui, aujourd'hui, se font dans le
sens Oues-Est, Est-Ouest, contrairement à
l'orientation préférentielle Nord-Sud que
révèle le réseau linéaire;
- la séparation très stricte des fonctions
- 56 -

. Résidentielles
. Commerçantes
. Artisanales
selon le modèle tel qu'il a été analysé par
l'A. U. A. S. M. (5)
- L'importance du quadrilatère central pour
le maintien du type de fonctionnement urbain qui fait
l'originalité digne de sauvegarde de la trame traditionnelle.

Les tâches précises d'une telle entreprise


de restructuration, menée en terme d'une sauvegarde active
du tissu urbain, seraient essentiellement les suivantes:
- Ramener le fonctionnement soukier sur les
parcours principaux ou de transit stricto
sensu
- redéfinir les noyaux intérieurs à fonction
résidentielle (indice d'utilisation du sol ,
rapport voies de desserte et hauteur des
murs, protection contre les nuisances des
parcours, définition des équipements de
quartier)
- nettoyage des noyaux intérieurs de l'emprise
commerçante à indice de centralité et
artisanale de production et de service.
- restructurer le groupement en funduq ou
souk des activités artisanales actuelles
selon leur typologie : production ou service
tout en tenant compte des exigences
technologiques et de desserte et leur incidence sur
la localisation préférentielle (à résoudre
selon le modèle traditionnel : en bordure
du tissu compact) .
soit :
étendre à l'ensemble de la Medina, et à des
niveaux d'intervention divers et à définir,
la méthode de l'intervention Hafsia.
- 57 -

- Principes de sauvegarde de la morphologie et de son


fonctionnement

De par l'imbrication étroite de la Medina dans


l'agglomération urbaine, il sera impossible de vouloir
revenir au modèle morphologique de 1880. D'après le constat
que nous venons de faire, il apparaît très clairement que
le fonctionnement actuel, malgré les risques à long terme
d'un laissez-faire, ne compromet pas encore la morphologie.
La sauvegarde pourra donc se faire à partir des flux, des
types d'utilisation du bâti et du fonctionnement actuel
de la Medina en tant que quartier urbain.

Les principes de la sauvegarde permettant à


la fois la réhabilitation, la restructuration et
l'insertion fonctionnelle dans la ville s'appuieront donc
essentiellement sur les quatre points que voici :

1) Centralité - mosquée et souks nobles : revitalisation


2) Parcours principaux à séries d'équipements organisés
en réseau linéaire : maintien et redressement,
assainissement
3) Noyaux résidentiels avec séparation stricte d'avec
les parcours équipés : assainissement
4) Espaces et linéaires d'artisanat : restructuration
globale et assainissement.

Tunis, le 26 novembre 1971

Jamila BINOUS
Hédi SCKERT
- 58 -
LES PARCOURS HISTORIQUES

Parcours principaux

Parcours secondaires et bretelles


de parcours principaux

Espaces résidentiels
Espaces publics

L'ORGANISATION DE L'ENSEMBLE URBAIN :


ESPACES PUBLICS ET ESPACES RESIDENTIELS
PARCOURS HISTORIQUES
ET PARCOURS ACTUELS.
Parcours Historiques
Parcours actuels
Parcours principaux actuels
- 60 -

Espace public (commerces , édifices religieux etc..)


ouvrant vers l'extérieur de l'îlot.
Espace résidentiel (maisons de bordure) ouvrant vers
l'extérieur de l'îlot.
Espace résidentiel ouvrant sur les voies intérieures
E&S. de desserte.
Impasse

NOYAU INTERIEUR

Vous aimerez peut-être aussi