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CHRÉTIENNE
Saint PIE X.
Lettre sur le Sillon.
Le génocide de la Vendée
(1793-1794)
Historique du génocide
Aux États Généraux de juin 1789, la bourgeoisie libérale, lors d’un véri-
table coup d’État, confisqua le pouvoir législatif au roi Louis XVI. Ces
députés, pour la plupart juristes et imbus de l’esprit des Lumières,
s’attaquèrent à tout l’édifice social puis à celui de l’Église en votant la
L’élément déclencheur
La Convention, sûre d’elle-même, déclara la
guerre à la coalition le 1er février 1793 et décida
la levée en masse de 300 000 hommes dans toute
la France. L’Assemblée conventionnelle, malgré
le fort clivage entre Girondins et Montagnards,
eut le temps d’instituer un gouvernement
d’exception (appelé révolutionnaire) pour met-
tre en place une politique de terreur. A cette fin,
elle créa un Tribunal révolutionnaire à Paris ju-
geant sans appel « les entreprises contre- Jacques Cathelineau
révolutionnaires » ; elle mit sur pied, le 6 avril (1759-1793)
1793, un comité de Salut public destiné à se substituer aux ministres pour
l’exercice du pouvoir exécutif ; elle institua un comité de Sûreté généra-
le chargé de diriger la police et la « justice » révolutionnaires. Enfin, elle
forma dans chaque commune un comité de Surveillance chargé de contrôler
les étrangers et les suspects jugés contre-révolutionnaires.
La conscription de mars 1793 fut l’élément déclencheur du soulèvement
vendéen. Spontané et populaire, ce soulèvement fut mené par un colpor-
teur, père de famille, Jacques Cathelineau, qui devint bientôt le premier
généralissime de l’Armée catholique et royale. Les paysans allèrent chercher
La rhétorique génocidaire
Pour briser ce soulèvement, les conventionnels Mazarde et Garnier
proposèrent, dès le 12 juin 1793, de brûler les moulins, de déporter la
population et de repeupler cette région de « bons citoyens ». Le 26 juillet,
le comité de Salut public décréta contre la Vendée une levée en masse de
tous les adultes mâles des contrées voisines, l’incendie des bois et des
genêts, la destruction des « repaires des rebelles », la saisie de leurs récol-
tes et enfin la déportation des vieillards, des femmes et des enfants. « Ce
qui revient à dire, souligne Alain Gérard, que tous les hommes en âge de
combattre devront être liquidés 1. » Bertrand Barère de Vieuzac, membre
du comité de Salut public, fit, ce même jour, un rapport sur les événements
vendéens. Il acheva son discours ainsi :
La guerre de la Vendée s’est composée jusqu’ici de petits succès et de grands
revers. C’est le royalisme qui, dans Paris, a fait lever ces héros de cinq cents li-
vres, qui font la honte de l’armée. Parmi les mesures prises et à prendre, il en est
de très fortes, qui resteront secrètes et que la Convention devine sans peine ; je
vais lui soumettre les autres 2.
En effet, le 1er août 1793, Barère se chargea, au nom du comité, de pré-
senter à la Convention un décret pour en finir avec « l’exécrable guerre de
Vendée ». Son discours propose, ni plus ni moins, un plan de destruction
totale de la Vendée :
Ici, le comité, d’après votre autorisation, a préparé des mesures qui tendent à
exterminer cette race rebelle, à faire disparaître leurs repaires, à incendier leurs
forêts, à couper leurs récoltes et à les combattre autant par des ouvriers et des
pionniers que par des soldats. C’est dans les plaies gangréneuses que la médeci-
ne porte le fer et le feu, c’est à Mortagne, à Cholet, à Chemillé que la médecine
politique doit employer les mêmes moyens et les mêmes remèdes. L’humanité
ne se plaindra pas : les vieillards, les femmes et les enfants seront traités avec
les égards exigés par la nature. L’humanité ne se plaindra pas : c’est faire son
bien que d’extirper le mal ; c’est être bienfaisant pour la patrie que de punir les
rebelles. Qui pourrait demander grâce pour des parricides ? […] Nous vous pro-
posons de décréter les mesures que le comité a prises contre les rebelles de la
Vendée ; et c’est ainsi que l’autorité nationale, sanctionnant de violentes mesu-
res militaires, portera l’effroi dans les repaires de brigands et dans les demeures
des royalistes 1.
Alain Gérard commente ainsi ce discours :
L’incendie de la Vendée prend une valeur tout à la fois expiatoire et rédemp-
trice. « L’humanité, assure l’orateur, ne se plaindra pas : c’est faire son bien que
d’extirper le mal. » Ainsi, dans « ces malheureux départements dont la gangrène
politique menace de dévorer et d’anéantir la liberté », la « médecine politique »,
affirme-t-il, est-elle habilitée à porter « le fer et le feu ». De la sorte, on tuera
moins des hommes particuliers que des symboles, et ce faisant, on se protège à
l’avance contre d’éventuels remords. Du reste, « exterminer cette race rebelle »
constitue seulement le prix à payer pour créer l’homme nouveau 2.
Le projet de décret fut bientôt adopté par la Convention. L’article pre-
mier stipulait : « Le ministre de la Guerre donnera sur le champ les ordres
nécessaires pour que la garnison de Mayence soit transportée en poste
dans la Vendée […] ». Quelques autres articles méritent d’être reproduits :
Art. VI : il sera envoyé par le ministre de la Guerre des matières combusti-
bles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts.
Art. VII : les forêts seront abattues ; les repaires des rebelles seront détruits ;
les récoltes seront coupées par les compagnies d’ouvriers, pour être portées sur
les derrières de l’armée et les bestiaux seront saisis.
Art. VIII : les femmes, les enfants et les vieillards seront conduits dans l’inté-
rieur. Il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à
l’humanité.
Article XIV : les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la
République ; il en sera distrait une portion pour indemniser les citoyens qui se-
ront demeurés fidèles à leur patrie, des pertes qu’ils auraient souffertes 3.
Au club des Jacobins, Legendre, ancien boucher, approuva l’idée
d’anéantir les Vendéens dans leur ensemble : « Ce n’est plus aujourd’hui
qu’il faut se parer d’une vaine pitié, ce n’est plus le temps de faire grâce : il
faut que nous périssions ou que nous exterminions nos ennemis 4. » A
l’assemblée conventionnelle, le message fut entendu. Billaud-Varenne
pensa que les difficultés avec la Vendée étaient une occasion rêvée pour
sévir et pour se débarrasser des ennemis intérieurs de la République :
« Nous devons nous applaudir puisque les malheurs mêmes du peuple
exaltent son énergie, et nous mettent en mesure d’exterminer nos enne-
mis 5. » A Paris, fin août 1793, un certain Gaston encouragea à la besogne :
1 — Gazette Nationale ou le Moniteur universel, n° 275, 2 octobre 1793, vol. 24, p. 16. (Voir
document original en annexe 1).
2 — Gazette Nationale ou le Moniteur universel, ibid. p.16. (Voir document en annexe 1)
3 — Reynald SECHER, La guerre de Vendée : guerre civile, génocide, mémoricide, dans
l’ouvrage collectif « Le Livre noir de la Révolution française », Paris, Cerf, 2008, p. 235. Les
mêmes exemples dans Jacques CRÉTINEAU-JOLY, Histoire de la Vendée militaire, Paris, Plon,
1865, t. 1, p. 229.
1 — Extrait du discours de Carrier cité par Jacques CRÉTINEAU-JOLY, Histoire de la Ven-
dée militaire, t. 1, p. 367-368.
L E G É N O C I D E D E L A V E N D É E 169
les marais de Savenay comme s’en vanta le général Westermann dans son
rapport, rédigé à chaud (23 décembre) :
Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains, elle est morte sous notre sabre
libre avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les
bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les en-
fants sous les pieds des chevaux, massacré des femmes qui au moins pour cel-
les-là n’enfanteront plus de bri-
gands. Je n’ai pas un prisonnier
à me reprocher, j’ai tout exter-
miné… Mes hussards ont tous à
la queue de leurs chevaux des
lambeaux d’étendards brigands.
Les routes sont semées de cada-
vres. Il y en a tant que, sur plu-
sieurs endroits, ils font pyrami-
de. On fusille sans cesse à Sa-
venay car à chaque instant il ar-
rive des brigands qui prétendent Passage de la Loire après la bataille de Cholet
se rendre prisonniers. Kléber et
Marceau ne sont pas là. Nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur don-
ner le pain de la liberté et la pitié n’est pas révolutionnaire 1.
A la lecture de ce bulletin, la Convention décréta des « actions de grâ-
ces » pour les armées qui venaient d’écraser la Vendée. Marceau et Kléber,
avec les représentants Prieur et Turreau, se rendirent à Nantes pour assis-
ter à la fête civique préparée en l’honneur de cette journée mémorable. La
Convention avait déjà nommé (le 8 novembre) la Vendée, le département
Vengé. La mission était accomplie. Barère de Vieuzac pouvait être satisfait :
la Vendée Militaire n’existait plus, ou si peu.
ges détruits. Ils aspiraient tous à la paix. Tout pouvait renaître, dans les
larmes et dans la douleur.
Mais la Convention en décida autrement. Hentz et Francastel, commis-
saires de la République à Angers, expliquèrent dans un rapport de trente-
huit pages que « la pensée d’une amnistie était odieuse et la dignité natio-
nale la repoussait […] même si la guerre de Vendée était politiquement finie ».
Le général Turreau, nommé récemment commandant en chef de l’armée
de l’Ouest, proposa un plan
d’amnistie auquel le comité de
Salut public ne répondit pas. Il
adressa un second plan au
comité, daté du 15 janvier
1794 :
Mon intention est bien de tout
incendier, de ne réserver que les
Les fusillades de Nantes points nécessaires à établir les
cantonnements propres à l’anéantissement des rebelles ; mais cette grande me-
sure doit être prescrite par vous. Je ne suis que l’agent passif des volontés du
Corps législatif que vous devez représenter dans cette partie. Vous devez éga-
lement vous prononcer d’avance sur le sort des femmes et des enfants que je
rencontrerai dans ce pays révolté. S’il faut les passer tous au fil de l’épée, je ne
puis exécuter une pareille mesure sans un arrêté qui mette à couvert ma respon-
sabilité […]. En huit jours, la Vendée doit être battue, tous les rebelles pressés
entre moi, Haxo et Dutry […] 1.
Sans attendre de réponse, il envoya des instructions à ses généraux le
19 janvier 1794 dont le texte est intitulé : « Instruction relative à l’exécution
des ordres donnés par le général en chef de l’armée de l’Ouest, contre les brigands
de la Vendée, (30 nivôse an II) 2.
Tous les brigands qui seront trouvés les armes à la main, ou convaincus de
les avoir prises pour se révolter contre leur patrie, seront passés au fil de la
baïonnette. On en agira de même avec les filles, femmes et enfants qui seront
dans ce cas. Les personnes seulement suspectes ne seront pas plus épargnées,
mais aucune exécution ne pourra se faire sans que le général l’ait préalablement
ordonnée. Tous les villages, métairies, bois, genêts et généralement tout ce qui
peut être brûlé sera livré aux flammes, après cependant que l’on aura distrait des
lieux qui en seront susceptibles, toutes les denrées qui y existeront ; mais, on le
répète, ces exécutions ne pourront avoir leur effet que quand le général l’aura
ordonné […].
1 — Guerre des vendéens et des chouans contre la République française, par un officier, ibid,
t. 3, p. 151.
2 — Registre paroissial, Archives municipales de La Chapelle-Basse-Mer. Voir aussi,
R. SECHER, La Chapelle-Basse-Mer, Paris, Perrin, 1986.
3 — Archives départementales du Maine et Loire, IL, 1127/3.
4 — Archives historiques de l’armée, B58.
Blancs comme Bleus, dans des fours ; à Clisson, ils font fondre des corps pour
en récupérer de la graisse pour les hôpitaux et les charrettes, etc 1.
Mais ajoute notre auteur :
Tout sentiment magnanime est interdit comme le proclame Carrier : « Qu’on
ne vienne pas parler d’humanité envers ces féroces Vendéens ; ils seront tous
exterminés ; les mesures adoptées nous assurent un prompt retour à la tranquilli-
té dans ce pays ; mais il ne faut pas laisser un seul rebelle car leur repentir ne se-
ra jamais sincère » 2.
Les populations qui ont fui sont soit tuées, soit emprisonnées dans les
villes des alentours. Rapidement, devant l’afflux des prisonniers qui en-
combrent les prisons, la décision est prise de les exécuter. Neuf fusillades
se déroulèrent à Avrillé, aux Champs des Martyrs, entre le 12 janvier et le
16 avril 1794 (1 994 hommes, femmes et enfants sont exécutés) 3. Une
douzaine de fusillades se déroulèrent également aux Ponts-de-Cé (au sud
d’Angers) où 1 500 à 1 600 prisonniers sont passés par les armes. A
Saumur, 950 Vendéens sont exécutés par fusillades ou par guillotine (500 à
600 vont périr en prison) ; 600 à 700 autres, capturés lors de la Virée de
Galerne, iront à Bourges, où seulement une centaine survivront 4.
On pourrait citer des dizaines d’exemples. Dans sa très longue étude
intitulée Essai sur la Terreur en Anjou 5, l’historien Camille Bourcier expli-
que comment il est arrivé à dénombrer près de 10 880 victimes vendéennes
ou angevines fusillées ou guillotinées, en Anjou :
Nous l’avons déjà dit : « Francastel ne voulait pas qu’on gardât par écrit ce
qui avait rapport aux brigands. Tous ceux qui furent arrêtés et conduits dans le
temple de la Raison, et dans la ci-devant église des Petits-Pères, furent égale-
ment fusillés sans être portés sur le registre révolutionnaire » (Blordier-
Langlois, I, p. 427). Plusieurs auteurs se sont occupés néanmoins de fixer des
chiffres. M. Godard-Faultrier, entre autres, dans son Champ des Martyrs
d’Avrillé. Il évalue à 2 100 environ le nombre des individus fusillés en cet en-
droit ; aux Ponts-de-Cé 1 500, à Angers et ses environs 3 600. Ce qui ferait un
chiffre de quatre à six mille personnes.
Mais M. Godard-Faultrier dit qu’il ne compte pas les individus fusillés au
port de l’Ancre, à Érigné, à la pointe de l’île des Ponts-de-Cé, les exécutions sur
l’échafaud, les noyades de la Baumette, de Montjean, et les fusillades répétées
sur tous les autres points de l’Anjou. M. Godard n’a pas l’air de trouver exagéré
le chiffre total de 10 000 ; c’est qu’en effet il ne l’est pas. J’admets, comme lui,
son premier nombre. Avrillé : 2 100 ; Les Ponts-de-Cé : 1 500, j’irais à 1 900 ;
pour Angers et ses environs : 1 500 ; pour Saumur, Bournan, etc, : 600 ; pour
Doué-La-Fontaine : 550 ; pour Sablé, Chemillé : 180 ; pour Tours, Laval, Le
Mans, Alençon (je ne parle que des Angevins ou Vendéens) 1 500 ; Assassinés :
50 ; Paysans, femmes, etc : 2 500. Total : 10 880. En adoptant le chiffre de dix
mille, je crois rester en deçà de la vérité. Je n’y fais entrer, est-il besoin de le di-
re, aucun de ceux qui ont péri les armes à la main 1.
Après la défaite des Vendéens à Savenay, des milliers d’entre eux fu-
rent envoyés dans les prisons de Nantes. De la mi-décembre 1793 à la fin
février 1794, une commission improvisée fit exécuter 3 200 à 3 800 person-
nes par la guillotine ou par les fusillades. Comme ces moyens de tuerie
prenaient trop de temps – les morts devaient être enterrés – Carrier ordon-
na des noyades dans la Loire, mais à grande échelle. Selon Jacques Husse-
net, 1 800 à 4 800 personnes ont été noyées sur ordre de Carrier et près de
2 000 autres sur ordre d’autres révolutionnaires 2.
1 — Revue de l’Anjou, t. 6, 1870, p. 68-71. L’article fut publié en tiré-à-part chez Barassé à
Angers, 1870, 292 p.
2 — Jacques HUSSENET (dir.), « Détruisez la Vendée ! », p.458.