Vous êtes sur la page 1sur 6

Le retour de l’inflation signe un tournant de la mondialisation, Éric le Boucher, Les Échos 2016

I. L’inflation : définition, mesure, et évolution

1. Qu’est-ce que l’inflation ?

a. Définitions

L’inflation

L’inflation est un déséquilibre qui correspond à une perte de pouvoir d’achat de la


monnaie et se manifeste par une hausse générale autoentretenue et cumulative des prix / Quand
le rythme de cette hausse est faible mais durable, on parle d’inflation rampante / En revanche, en
cas d’emballement plus de 50% par mois, cas du Zimbabwe aujourd’hui, de l’Allemagne en 1923
on parle d’hyperinflation / Enfin, la stagflation, qui est une inflation accompagnée d’une hausse
du chômage crise de 1971-73, demeure très rare.

Déflation, désinflation

La déflation est la baisse du niveau général des prix qui accompagne les dépressions
économiques crise de 1929, / à ne pas confondre avec la désinflation années 1980, qui
correspond à la baisse de l’inflation.

b. Mesures

L’indice des prix à la consommation

L’inflation est mesurée par le taux de croissance de l’indice des prix à la


consommation, dont la construction est toujours un enjeu. L’indice des prix constitue en effet une
base de négociation pour certains salaires. Il sert à réévaluer le SMIC, permet de mesurer
l’évolution du pouvoir d’achat et de passer des mesures en valeur aux mesures en volume pour les
principaux agrégats.

La construction de l’indice des prix à la consommation

La qualité de l’indice dépend de trois facteurs qui relèvent du choix et des moyens du
statisticien. Il faut des prix en quantité suffisante. Les prix doivent être assez nombreux pour
représenter l’ensemble des biens et services d’une part, et la diversité des réseaux de distribution
d’autre part / La pondération affectée à chaque produit doit refléter la réalité. L’importance
accordée à chaque produit du panier doit prendre en compte la diversité des types d’acheteurs.
C’est d’ailleurs pourquoi l’Insee propose, en plus de l’indice général, des indices relatifs à
différents budgets / Enfin, il faut prendre en compte l’amélioration des produits.
L’augmentation pour l’acheteur du prix d’un bien peut être équivalente à une baisse si la qualité ou
les performances du produit se sont améliorées. Ces choix toujours contestés sont à l’origine de
polémiques. L’inflation est en effet différente selon les pondérations choisies.

L’indice implicite des prix du PIB

L’indice implicite des prix du PIB sert à mesurer l’évolution du niveau moyen des prix de
tous les biens et services produits dans l’économie, entre la période courante et la période de
référence. Pour ce faire on divise le PIB nominal par le PIB réel, et on en multiplie le résultat
par 100. Cet indice est implicite car il est théoriquement déduit par cette formule mathématique. Il
est connu de façon peu fréquente et ne permet donc pas de suivre de façon continue l’évolution de
l’inflation.

cmbw
Le retour de l’inflation signe un tournant de la mondialisation, Éric le Boucher, Les Échos 2016

2. L’inflation jusqu’en 1914

a. Du IIIème au XVIIème siècle

L’Édit du Maximum 301

Durant le IIIème siècle, l’Empire romain subit une très forte inflation. En effet, pendant
la Crise du Troisième Siècle, la monnaie romaine est dévaluée à cause des nombreux empereurs
et usurpateurs qui ont inconsidérément frappé monnaie afin de payer soldats et fonctionnaires
malgré des levées d’impôt insuffisantes. Entre le 20 novembre et le 9 décembre 301, l’empereur
Dioclétien publie l’Édit du Maximum ou Édit de Dioclétien afin de stabiliser la monnaie et de
réformer le régime fiscal. Ainsi, ceux qui frappent monnaie de manière inconsidérée sont
condamnés à mort. L’Édit est un échec, et il faut attendre la réforme de l’empereur Constantin
de 310 pour que l’économie romaine soit à nouveau stable.

La controverse de Bodin et Malestroit 1566-68

Au XVIe siècle, la controverse entre Bodin et Malestroit est le premier débat sur l’inflation.
En 1566, Malestroit défend l’idée que la hausse des prix n’est qu’une illusion. Les pièces
contiennent de moins en moins de métaux précieux au XVIe siècle, la monnaie s’est donc
dépréciée. Toutefois, le prix des denrées en termes de métaux précieux n’a pas augmenté, il n’y a
donc pas d’inflation, mais comme il faut de plus en plus de pièces pour fournir la quantité de
métaux précieux demandée, il y a l’illusion d’une inflation. En 1568, Bodin répond que la hausse
des prix est engendrée par les flux massifs de métaux précieux entrant en Europe depuis la
découverte des mines d’argent et d’or d’Amérique du Sud, par la spéculation des producteurs de
céréales stockant les grains en attendant la hausse des prix, et par les dépenses de guerre et
d’apparat qui sont improductives, et qui développent ainsi l’insuffisance de l’appareil productif
insuffisance de l’offre. Bodin est ainsi un des premiers à énoncer la théorie quantitative de la
monnaie. Face à l’inflation, il préconise le libre-échange afin de faire circuler l’or en dehors des
frontières.

La naissance des billets de banque XVIIème siècle

Le XVIIIe siècle est important en matière d’inflation. Le papier-monnaie est inventé et


circule dans le privé. Apparaît ainsi le système de Law. Le banquier écossais John Law cherche
à faciliter le commerce et l’investissement en France sous la régence de Philippe d’Orléans
1716-20. Pour ce faire, il encourage l’utilisation de papier-monnaie dans le but de liquider la dette
laissée par Louis XIV. Il crée donc la Banque générale, qui est à l’origine des premières grandes
émissions de titres boursiers. La spéculation va cependant ruiner le système. Ainsi en 1720,
lorsque les actionnaires et les porteurs de billets demandent subitement à récupérer leur or, les
richesses coloniales ne sont pas encore arrivées et le numéraire fait défaut, le système doit
admettre sa banqueroute.

b. Le XIXème siècle

Stabilité et corrélation entre les prix et les fondamentaux au XIXème siècle

Au XIXème siècle, à court terme, les prix sont extrêmement fluctuants, mais à long
terme, ils se révèlent relativement stables. En effet, en 1913, le niveau général des prix n’est
pas plus élevé que celui du début du XIXème siècle. Cela semble être lié au fait que les
fluctuations de courte durée recouvrent les cycles Juglar et les fluctuations de longue durée aux
cycles Kondratiev les fluctuations économiques sont liées aux fluctuations des prix. Cette
stabilité est fondamentalement due au système d’étalon bimétallique or-argent.

cmbw
Le retour de l’inflation signe un tournant de la mondialisation, Éric le Boucher, Les Échos 2016

Observations empiriques

En effet, on observe 0.25% d’inflation par an dans une France où les gains de productivité
dans l’agriculture sont faibles selon Morineau / On observe une baisse des prix industriels dans
les principaux pays parallèle aux gains de productivité. Ces derniers provoquent une baisse des
coûts unitaires de production, et couplés à de faibles débouchés et à une concurrence vive entre
producteurs, la baisse des prix est mécanique / On observe des épisodes d’inflation ponctuels liés
aux cycles Kondratiev guerres napoléoniennes, guerre de Sécession, boom des chemins de fer…

cmbw
Le retour de l’inflation signe un tournant de la mondialisation, Éric le Boucher, Les Échos 2016

3. L’inflation de 1914 à aujourd’hui

a. L’instabilité de l’entre-deux-guerres

Une tendance générale à l’inflation qui ne doit pas masquer les différences

Il y a une tendance à l’inflation dans les PDEM jusqu’à la crise de 1929, notamment dans
les lieux de conflit et aux USA 15% par an entre 1916 et 1920. On observe toutefois des
différences importantes. Le Royaume-Uni subit la déflation, tandis que démarre l’hyperinflation
allemande en 1923.

L’hyperinflation allemande

Lors de la conférence de Versailles, l’Allemagne est condamnée à verser


d’importantes réparations, dont le montant est fixé à 132 milliards de marks-or en 1921.
L'Allemagne doit payer 2 milliards par an et s'acquitter d'un impôt de 26% sur ses exportations
pendant 42 ans. L’interprétation classique de l’hyperinflation consiste à dire que la situation
a été entrainée par une création monétaire excessive. En effet, la création monétaire est hors
de toute limite et est destinée à financer le déficit engendré par les réparations. Mais cette thèse,
qui attribut la cause première de l’hyperinflation allemande à la création monétaire est
contestée notamment par Aftalion qui met en avant une autre séquence explicative. Le mark
a d’abord été victime d’une dépréciation sur le marché des changes liée au contexte international
querelle des réparations allemandes, ce qui a conduit à une inflation importée et au
déclenchement d’un mécanisme cumulatif d’inflation.

Dans Le Monde d’hier, souvenirs d’un européen, 1944, Stefan Zweig explique ainsi que
l’inflation est telle qu’il apparaît un nouveau métier, « l’accapareur ». Il s’agit d’un agent chargé
d’un ou deux sacs à dos rempli de rentenmark, qui achète des denrées aux paysans à 5 fois leur
valeur au moment de l’achat, puis qui les revend 5 à 15 fois plus cher le lendemain. Les paysans
découvraient ensuite en allant en ville que « tandis qu’ils n’avaient exigés que le quintuple pour
leur denrées, les prix de la faux, du marteau, du chaudron qu’ils voulaient acheter avaient entre-
temps été multipliés par vingt, par cinquante. Dès lors, ils ne songeaient plus qu’à se procurer des
objets manufacturés et exigeaient le paiement en nature, marchandise contre marchandise ».
L’inflation est donc tellement intense que le troc est revenu en Allemagne.

Pour sortir de l’hyperinflation, le Dr. Schacht nouveau directeur de la Reichbank, fait


passer le taux d’escompte de 5% à 90% en septembre 1923, et en octobre, le Rentenmark est
introduit 1000 milliards de Mark = 1 Rentenmark. Ces mesures provoquent la fin de la fuite devant
la monnaie, et la fin de l’inflation galopante. Dès 1924 la situation est consolidée, et en août
1924, le Reichsmark revient et remplace le Rentenmark.

L’inflation en France

« C’est la première guerre mondiale qui marque la véritable entrée de la France dans l’ère
de l’inflation “moderne” » - Thomas Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle, 2001.
Le taux d’inflation annuel moyen en France sur l’ensemble du XXème siècle est de 8%, soit
des prix de détail multipliés par 2000 sur 100 ans (1+0.08)^100 ≈ 2000. De 1914 à 1920 on
observe une phase inflationniste liée à la guerre puis à la reconstruction / De 1921 à 1922 on
observe une période de déflation à l’occasion d’une récession économique sévère / De 1923 à
1929 on observe une reprise de l’inflation, en particulier sous le cartel des gauches, avant que
Poincaré ne la combatte par un plan de stabilisation / De 1930 à 1934 on observe une période de
déflation du fait de la Grande Crise / À partir de 1937 on observe un retour de l’inflation à la suite
des mesures du Front Populaire accords de Matignon qui entrainent une brusque hausses des
salaires. Sous l’Occupation et à la Libération, le taux d’inflation avoisine les 50% et atteint 58% en
1948. Depuis 1945, l’inflation ne provoque plus en réaction la déflation mais la désinflation.
cmbw
Le retour de l’inflation signe un tournant de la mondialisation, Éric le Boucher, Les Échos 2016

b. L’inflation de 1945 au début des années 1980

L’inflation dans les pays développés de 1953 à 1986 %

USA Japon RFA France G.-Bretagne

1953-59 2 3 2 5 3

1960-68 2 5 3 4 4

1969-73 5 7 6 6 8

1974-79 8 8 5 11 16

1980-86 8 2 4 12 11

L’inflation conjoncturelle

L’inflation d’après-guerre est liée à l’urgence de la reconstruction. Il y a de fortes


tensions sur les prix car les économies sont en situation de pénurie demande > offre. L’appareil
productif étant détruit, il est impossible de répondre à la demande et les prix augmentent /
L’inflation est également due à des chocs exogènes. La guerre de Corée 1953 provoque des
tensions sur le cours des matières premières dans tous les pays. La guerre d’Algérie 1954-62 fait
naître une inflation importée en France. De même que la guerre du Vietnam 1964-73 dans le cas
des USA. Le choc pétrolier de 1973 mène à un quadruplement des prix du pétrole. Cette
augmentation du prix du baril fait augmenter les coûts de production, ce qui mène à un
renchérissement des biens et par voie de conséquence à l’inflation.

L’inflation structurelle

Les Trente Glorieuses sont une ère d’inflation permanente bien que modérée. On mesure
5% d’inflation en moyenne sur la période dans les pays de l’OCDE. Cela est lié à un contexte
institutionnel favorisant la hausse des prix et des salaires consommation de masse, compromis
fordiste, Etat providence / Augmentation des coûts de production dans le secteur industriel, en
particulier des salaires accords de Grenelle en France en 1968, +35% SMIG / Généralisation des
politiques macroéconomiques de régulation conjoncturelle à l’origine d’une inflation de tendance
stop and go sous Kennedy et Johnson aux USA / Hausse de l’inflation dans les pays à économie
d’endettement dont le financement repose sur le crédit bancaire France, Japon.

c. La désinflation à partir des années 1980

La désinflation des années 1980

Depuis 1945, l’inflation ne provoque plus en réaction la déflation mais la désinflation

Les politiques monétaires monétaires restrictives depuis le tournant initié par la FED à
l’arrivée de Volcker 1979 / Le contre-choc pétrolier qui produit une baisse du prix du baril et des
produits de base 1986 / Affaiblissement des syndicats sous Reagan et Thatcher ils négocient
moins bien les salaires / Les salaires ne sont plus strictement indexés sur l’inflation / Baisse du
salaire minimum / On observe toutefois une reprise de l’inflation entre 1987 et 1990 dans la plupart
des pays de l’OCDE. Ainsi, dans le cas de la France, l’inflation passe de 2,8% en 1987, à 3,4% en
1989. Il y a également une légère reprise de l’inflation en Allemagne du fait de la réunification.

cmbw
Le retour de l’inflation signe un tournant de la mondialisation, Éric le Boucher, Les Échos 2016

La grande modération des années 1990

En rupture avec celui des deux décennies précédentes, l’environnement économique de la


« grande modération » se caractérise par une inflation mondiale basse et stable, proche de
2%, jusqu’aux premières turbulences de la crise financière de l’été 2007, selon les travaux de
Claudio Borio. Les causes de la Grande modération sont débattues. L’existence même de ces
débats démontre que les banques centrales ne portent pas l’entière responsabilité du régime
d’inflation des années 1990-2000 autrement dit, l’inflation n’est pas toujours et partout un
phénomène monétaire.

Les facteurs de la grande modération

La mondialisation a renforcé la concurrence et a fait augmenter les


importations de produits bon marché venant de pays à bas coûts. De
plus, il en est résulté un changement fondamental des mécanismes de
Mondialisation
formation des prix. On est passé d’un régime de prix gouverné par les
vendeurs à un régime de prix dominé par les acheteurs du fait du
surplus d’offre selon Aglietta, Berrebi, et Cohen 2009.

Les politiques monétaires d’inspiration monétariste, ont


Politiques économiques
Ces deux nouvelles régulations
fait de la lutte contre l’inflation leur priorité.
– monétaire et salariale – ont
créé un rapport de force Les politiques de réforme du marché du travail et de la détermination
défavorable aux salariés des salaires ont permis de lutter contre l’inflation. En France et surtout
conduisant d’une manière en Allemagne, les politiques de remise en cause de l’indexation
décisive à la modération des
salaires et des prix
des salaires sur l’inflation et les gains de productivité, ont été
l’instrument principal de la désinflation
Selon Larry Summers, nous sommes confrontés à une stagnation séculaire,
c’est-à-dire une période de faiblesse de la productivité, de la croissance et de
Productivité
l’inflation qui entraîne une anémie des taux d’intérêt. Les TIC ne suffisent plus à
garantir des gains de productivité, ce qui freine l’augmentation des salaires.

Fin

cmbw

Vous aimerez peut-être aussi