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TRENT UNIVERSITY
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PROF. P. BANDYOPADHYAY
La grande inflation
COLLECTION DIRIGÉE PAR PIERRE TABATONI
L’ÉCONOMISTE
La grande
inflation
Salaire , intérêt et change
JEAN DENIZET
Introduction
PREMIÈRE PARTIE
1. La théorie quantitative . II
2. La théorie monétaire après la guerre de 1914. .. .
16
3. La réaction keynésienne .
4. La réaction monétariste . 20
5. La théorie de la formation des prix : Walras contre 34
Ricardo .
Conclusion . 148
Bibliographie . 159
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Inflation
et système économique intérieur
CHAPITRE PREMIER
I. LA THÉORIE QUANTITATIVE
2. LA THÉORIE MONÉTAIRE
APRÈS LA GUERRE DE 1914
3. LA RÉACTION KEYNÉSIENNE
4. LA RÉACTION MONÉTARISTE
30
Milton Friedman présente, c’est vrai, son argument
autrement. « La réduction de la masse monétaire de 1929
à 1933 est, dit-il, la conséquence des faillites bancaires. La
responsabilité de la Banque centrale est de n’avoir pas
fourni aux banques en difficulté, c’est-à-dire devant faire
face aux retraits de leurs déposants, des crédits en monnaie
centrale leur permettant de faire face auxdits retraits. » La
critique devient déjà plus intelligible. Mais, d’une part,
il est douteux que les faillites bancaires aient représenté
7 milliards de dollars de dépôt, c’est-à-dire le tiers des dépôts
existant à fin 1929. D’autre part, poser en principe le ren¬
flouement systématique de toutes les banques en difficulté,
c’est-à-dire leur exonération des conséquences de toute
erreur de gestion, de tout crédit imprudent, est probable¬
ment le plus sûr moyen de déclencher à terme une inflation
incontrôlable. Ce n’est guère le précepte que l’on attend
d’économistes classiques partisans de la concurrence et de
la responsabilité des agents économiques.
On ne peut jouer sur tous les tableaux : préconiser à la
fois les mécanismes de concurrence dans ce qu’ils ont de
plus rigoureux, préconiser le jeu du marché, ce qui veut dire
l’élimination impitoyable de ceux qui se sont trompés et en
même temps prôner en matière monétaire le renflouement
automatique de toute banque en difficulté. On ne peut surtout
pas prêcher la croissance régulière de la masse monétaire et
affirmer en même temps qu’on renflouera toutes les banques
en période de difficulté. Ce n’est pas le moyen d’inciter les
banquiers à la discipline. La logique voudrait qu’on pré¬
conisât rétrospectivement pour 1929-1933 l’élimination des
banques imprudentes et en même temps une politique bud¬
gétaire où de grands travaux amèneraient la fin du processus
cumulatif de réduction simultanée des revenus et de la
dépense, puis la reprise. Mais alors la solution proposée
serait keynésienne, alors qu’on veut à tout prix se distinguer
du keynésisme.
L’explication monétariste de la grande crise restera une
curiosité des spécialistes. L’opinion croit bien davantage
l’inflation dans la théorie économique 31
36
les quantités supplémentaires obtenues sont petites. C’est
le même raisonnement que, sans s’être concertés, James,
Walras, Menger, appliquent à la satisfaction tirée par un
individu de la consommation de quantités supplémentaires
d’un bien quelconque. Dès lors ils sont convaincus de
détenir la clé de la théorie de la demande du consommateur.
Celui-ci a dans l’esprit, pour chaque bien, une courbe de
demande qui va diminuer au fur et à mesure que croît la
quantité consommée. Jusqu’ici rien de choquant. C’est
même un progrès indiscutable par rapport au consommateur
de Ricardo, être assez fruste, équipé de besoins standards et
simplifiés correspondant au minimum physiologique et cul¬
turel (« ces biens dont l’habitude a fait un besoin au travail¬
leur »). La demande chez Ricardo se développe alors homo-
thétiquement en fonction de la seule démographie.
L’existence de préférences individualisées, subjectives, chez
le consommateur de Walras est un progrès. Où les choses se
gâtent c’est quand Walras prétend que le système des prix
dépend de la somme de ces utilités subjectives. A l’équi¬
libre, notion typiquement néo-classique, les utilités seront
proportionnelles aux prix. Si l’on a les biens i, 2, 3, . . ., n,
on a à l’équilibre :
Appréciation
40
L’idée que c’est la demande « le facteur déterminant des
prix » est une des idées les plus fausses que nous aient
léguées les néo-classiques. Quelques années après le grand
succès des idées néo-classiques, Alfred Marshall (1842-1924)
reprenait avec prudence les idées des économistes du
continent, en les nommant rarement — ils étaient pleins de
sarcasmes et de révolte, il faut le rappeler, contre ce qu’ils
appelaient l’école anglaise. Les Principes d'économie politique
— qui parurent de 1890 à 1907 — , le classique anglais par
excellence jusqu’à Keynes, se permirent d’introduire un
jour une modeste modification à l’œuvre des grands confrères :
la courbe d 'offre et de demande. Oui, il osa dire, comme
Ricardo et Stuart Mill, que l’offre comptait autant que la
demande dans la formation des prix. Son idée fut très mal
accueillie par les néo-classiques de stricte obédience. Mais
elle obtint gain de cause dans l’enseignement courant.
Cette courbe nous dit que le prix s’élève quand la
demande se déplace vers la droite, par exemple quand le
revenu a crû homothétiquement, dans le cas disons d’une
GRAPHIQUE I
l’inflation dans la théorie économique
GRAPHIQUE 2 41
42
prises et interdit, encore en règle générale, à aucun de vendre
au-dessus du prix de revient. Les consommateurs bénéficient
de la concurrence, ils n’en sont pas les acteurs. Ils choisissent
entre les produits (aux prix affichés) et répartissent entre
ceux-ci leur revenu, déterminant par ce choix les quantités,
délivrées de chaque produit. Ce choix met en difficulté les
branches ou les entreprises dont les produits sont en excès,
ouvre au contraire des débouchés pour les branches n’ayant
pas assez de produits pour la vente. Ainsi, chez Ricardo
aussi, la demande finale règle la production, même si elle
n’agit pas sur les prix. Quelle construction autrement
réaliste, autrement contemporaine que celle des néo¬
classiques. Et comme elle colle bien avec l’interprétation des
graphiques de Marshall. Les demandeurs, quand leurs
revenus augmentent de io % dans la nuit, ne font pas
monter les prix si l’appareil de production a quelque élas¬
ticité, mais leur demande augmente l’activité.
Le deuxième point où Ricardo est remarquable, c’est
le problème des feed-back, des liaisons coût-prix-coût, si
peu étudiés par les économistes, et même obstinément
refusés par eux. Chez Ricardo, le prix des produits dépend
du salaire et dépend même uniquement de lui puisque tout
le contenu d’un produit peut s’analyser en travail direct
et indirect. D’autre part, le salaire est dépensé de façon quasi
mécanique en proportions données des biens nécessaires au
travailleur et à sa famille. Mais il y a indexation du salaire
sur le prix de ces biens indispensables. Ainsi, quand la
population augmente, il faut mettre en culture de nouvelles
terres, le prix des produits agricoles augmente et le salaire
augmente. Séquence que nous connaissons : la suite chez
nous c’est l’augmentation des salaires industriels, donc des
prix industriels, donc à nouveau des salaires.
Dans la réalité de 1820 et dans le livre de Ricardo,
l’augmentation du salaire industriel est prise sur le profit
industriel et il n’y a pas de cycle infernal. Il y a — selon
Ricardo — menace d’état stationnaire. A cause de l’étalon-
or et de la discipline monétaire. Peut-être. Mais c’est tout
l’inflation dans la théorie économique 43
L’inflation d’aujourd’hui
Le sommet de la courbe de popularité du monétarisme
a été atteint au moment où commençait à faire rage une crise
inflationniste sans précédent dans les pays industrialisés.
Et la crise du type le moins capable d’être affrontée avec
succès par les idées et les méthodes monétaristes :
l’inflation d’aujourd’hui 47
48
c’est-à-dire depuis vingt ans. L’inflation était encore traitée
comme un phénomène exceptionnel. Dans les esprits, la
norme, c’était sa disparition rapide. Bien peu croyaient alors
à un danger inflationniste permanent. En second lieu per¬
sonne ne discutait le principe des changes fixes. Quand un
taux d’équilibre (ou de suréquilibre) fut trouvé avec le
dollar à 320 F, en septembre 1949, par alignement du taux
officiel sur le taux du marché parallèle, tout le monde crut,
sans même s’interroger, à la solidité de ce taux. Les dollars
du Plan Marshall n’étaient pas pour rien dans cette confiance
faite à la durabilité du taux de change du franc. Aussi ne
s’engagea pas la course entre les prix intérieurs et le prix des
devises (des produits importés) qui est la forme gravissime
de tout épisode inflationniste. La France de 1948, aussi
fragile qu’elle fut, avec son infrastructure à peine relevée,
évita ainsi la crise inflationniste que ne réussit pas aujour¬
d’hui à dominer la France industrialisée, la quatrième
exportatrice mondiale.
L’épisode dû à la guerre de Corée fut brutal mais bref.
Type même de l’inflation importée et de l’inflation de
matières premières. En 1950, les Etats-Unis, surpris par la
reprise des hostilités en Corée, relancent leur industrie
d’armement complètement arrêtée depuis 1945. L’appel
fait à leurs propres producteurs de matières premières ainsi
qu’aux matières premières du marché mondial provoque une
hausse brutale de l’ensemble des cours des produits pri¬
maires. L’indice américain des matières premières doubla
du début de l’année 1950 à la fin. Le reflux s’amorça dès le
début de 1951. Mais il fallut trois ans et la dépression amé¬
ricaine de 1953-1954 pour retrouver le niveau de fin 1949.
Dans la deuxième moitié de 1950 et surtout en 1951 les
prix de gros, puis les prix de détail, avec les décalages
très réguliers qu’on retrouvera en 1972, sont affectés dans
tous les pays. C’est vraiment la répétition — en plus petit —
de l’inflation de matières premières de 1972-1973. La
France est très atteinte : les prix de détail totalement stables
pendant toute l’année 1949 et la moitié de l’année 1950
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l’inflation d’aujourd’hui
49
commencent à monter lentement d’abord au deuxième
semestre 1950 puis très fortement en 1951. D’août 1950 à
décembre 1951, la hausse est de 28 % ; 20 % pour la seule
année 1951. C’est beaucoup plus que le taux que nous avons
connu en 1974 dans des circonstances cependant plus graves
(hausse des matières premières beaucoup plus forte
qu’en 1951, à quoi s’est ajouté le quadruplement du prix
du pétrole). Déjà la République fédérale était moins fragile
à l’inflation que la France puisque ses prix sont restés
stables en 1950, alors qu’en 1951 ils augmentaient seulement
de 10 %. M
La fin de la crise en France intervint avec l’accession de
M. Pinay à la présidence du Conseil. Dès son arrivée, dans
les premiers jours de 1952, les prix cessèrent de monter et
ceci dura cinq ans. Cinq ans non pas de faible hausse, mais
de stabilité absolue : fin 1956 l’indice était au même niveau
qu’en janvier 1952. On a dit que Pinay aurait été aidé par
une dépression mondiale : c’est tout à fait inexact, l’écono¬
mie américaine reste à un très haut niveau jusqu’au milieu
de 1953 et c’est seulement en 1953-1954 qu’elle connaîtra
une crise. Ce qu’il y a de vrai c’est qu’en 1952 les prix des
matières premières ont déjà fortement baissé et continueront
à le faire. Et finalement c’est là la grande différence entre
I950_I95I et 1972-1973. Dans le premier cas, la flambée
des prix des matières premières était due à une demande
précipitée s’exerçant sur une offre très élastique ; par ralen¬
tissement de la demande et élargissement de l’offre, les
prix reviennent assez vite au niveau antérieur et puis retrou¬
vent leur trend de longue durée à la baisse. En 1972, le
facteur déclenchant est aussi une demande exacerbée. Mais
cette demande est mise à profit par les détenteurs de pro¬
duits pour organiser l’offre, la canaliser et tenter de conso¬
lider la hausse*£ur le graphique de 1950-1951, les prix des.
matières premières reviennent plus ou moins vite au niveau
antérieur. Ç’avait été le cas déjà lors de la crise de 1920-1921,
troisième épisode comparable de flambée des matières pre¬
mières. Sur le graphique de 1972-1974, les prix, après avoir
J. DENIZET
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LA GRANDE INFLATION
50
été multipliés par 2,5 ou 3 selon les indices, baissent seule¬
ment de 25 % de juin 1974 à juin 1975 ; de plus,
dès juin 1975, ^es prix repartaient à la hausse, montrant
bien que le seuil de juin 1975 était le nouveau plancher qu’il
ne fallait pas espérer voir enfoncer. La forte baisse de 1951-
1953 n’a pas ramené les prix de détail à leur niveau anté¬
rieur : nos prix n’ont déjà plus de flexibilité à la baisse. Mais
elle a beaucoup aidé au maintien de leur stabilité. En 1975
au contraire la baisse des matières premières a été trop
faible pour aider les prix de détail à retrouver la stabilité
ou même un rythme de hausse moins rapide.
Enfin, le monde industrialisé vivait à cette époque, avec
confiance, le système de changes fixes défini à Bretton
Woods. Et il est évidemment plus facile de lutter contre
une hausse provoquée par les matières premières dans un
climat de changes stables. Ce n’était plus le cas en 1975.
Dernière observation : l’inflation de 1950-1951 est un
cas pur d’inflation par les coûts, d’inflation d’offre, pas du
tout d’inflation monétaire ou d’inflation de demande. L’infla¬
tion de 1946-1949 déjà avait eu pour caractéristique que les
prix augmentaient beaucoup plus vite que la masse moné¬
taire ; par contre, les prix s’élevaient parallèlement aux
salaires, trait typique de l’inflation de coût. L’inflation
de 1950- 1951, elle, est déclenchée par la hausse des matières
52
moins nettement ailleurs. La hausse devient plus vive
jusqu’en 1968. A nouveau changement de rythme jus¬
qu’en 1972, où au milieu de l’année débute « la grande
inflation ». Sur le début d’inflation de 1956-1957 aux Etats-
Unis, il existe peu d’explications. 1954 et 1955 avaient été
des années de retour progressif à l’équilibre budgétaire :
le déficit budgétaire ne peut donc pas être invoqué. Le taux
de croissance de M2 (masse monétaire au sens large, y
compris les dépôts à terme) l’année précédente avait été
particulièrement faible (2,5 %) : la croissance trop rapide
de la masse monétaire ne peut donc pas être invoquée. Les
monétaristes d’ailleurs parlent très peu de l’inflation 1956-
1957. Par contre, il y a, semble-t-il, une augmentation assez
forte des salaires.
La hausse continue ensuite à un rythme très lent jus¬
qu’en 1965. Chose notable, elle traverse les dépressions
de 1957-1958, puis de 1960-1961, sans que la hausse cesse,
sans même que le rythme diminue (sauf à la fin de 1958).
Ceci n’a guère frappé à l’époque. Pourtant la stagflation,
dont on n’a parlé qu’en 1970- 1971, était déjà là. Philipps
venait à peine d’inventer ses fameuses courbes liant de
façon inverse le chômage et la hausse des prix. Mais déjà
les inflations de la fin des années 50 lui donnent tort. Déjà
sont dissociés les mouvements d’expansion et de dépression
d’une part, et le mouvement des prix. Celui-ci déjà poursuit
son chemin de façon autonome.
Arrivent 1964 et les incidents de la baie du TonknmJLa
£ guerre américaine au Vietnam va être le vrai début de la
crise inflationniste qui dure depuis dix ans. Johnson exploite
l’incident pour se faire donner les pleins pouvoirs par le
Congrès et commence une véritable guerre qui ne dit pas
son nom. Naturellement il ne veut pas demander au Congrès
les recettes fiscales nécessaires : leur montant révélerait
*
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l’inflation d’aujourd’hui 53
1. Bulletin Sedcis.
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l’inflation d’aujourd’hui 55
consommation
en des %ménages
1966 et de 5,2 en 1967.augmente, en volume,
Le chômage de 4,8"*%"
a commencé son
ascension structurelle, à contre-courant de l’évolution éco¬
nomique : les demandeurs d’emploi sont 140 000 au début
de 1966 et 250 000 à la veille de mai 1968. Mais il est peu
probable que ceci ait joué un rôle dans les événements^
Mai 1968 est un signe clinique de la lassitude engendrée
par le système productiviste triomphant depuis^ vingt ans 1. .
de l’insatisfaction profonde, de la frustration nées à la fois
d’un système de production de plus en plus mécanisé et
d’un système de consommation lui aussi standardisé d’où
disparaissent chaque jour davantage la saveur, l’originalité,
la qualité. La révolte étudiante se grossit de tous les courants
anarchistes et anticonformistes, des contestataires des partis
et des syndicats. Le mouvement est aussi adversaire de ces
organisations que de la classe dirigeante ; il est une menace
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^ ê 'i v Ü,
LA GRANDE INFLATION
56
aussi grave pour les uns que pour les autres. Ayant besoin
les uns et les autres d’une diversion et d’une récupération,
ils se mirent d’accord sur des concessions salariales impor¬
tantes, que les uns et les autres considéraient comme sup¬
portables pour le système.
Qui a eu raison, qui a eu tort à Grenelle le 29 mai 1968 ?
Pompidou ou Debré ? Ce qui a été certainement prédomi¬
nant dans l’attitude de Pompidou, ce fut de s’assurer le
concours de la cgt pour le retour à l’ordre, pour la reprise du
travail. Pour cela il fallait lui assurer une victoire que ses
cadres puissent utiliser vis-à-vis des éléments gauchistes.
A-t-il payé trop cher le retour à l’ordre ? C’est une question
qui échappe à l’économiste. Mais l’épisode n’est certaine¬
ment pas l’origine et le moteur de la grande inflation. La
poussée irrésistible, et lentement croissante avec le temps,
était commencée avant, elle continua après. Reste que
l’diabitude d’accorder des hausses de salaires nominales
économiquement impossibles à transformer en hausses
réelles était prise.
Si la hausse du salaire horaire instantanée fut limitée :
10 % environ entre avril et septembre 1970 — avec bien
sûr une hausse beaucoup plus forte des bas salaires et moins
forte des salaires des qualifications supérieures — , le phé¬
nomène marquant est la différence de rythme avant et
après 1968. 6 % par an, on l’a dit, en 1966 et 1967 ; 10,5 %
par an en 1969 et 1970. Depuis lors, sauf au deuxième
semestre 1975, le rythme n’a fait que s’accélérer : 11%
en 1972 ; 16 % en 1973 ; 20 % en 1974 ; puis à nouveau
16 % en 1975.
De même, après mai 1968, les prix de détail s’installent
sur un palier de 5 à 6 % par an ; contre les 3 % antérieurs.
Ceci jusqu’en 1972 où va se jouer un nouveau scénario, le
dernier de l’histoire que nous connaissons, mais aussi le
plus grave. Ce qui effraya l’opinion, ou au moins les experts,
dans l’inflation de 1968-1969, c’est sa généralisation. L’in¬
flation de la guerre vietnamienne aux Etats-Unis, l’inflation
salariale en Europe — où l’exemple de la France avait fait
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l’inflation d’aujourd’hui 57
4. l’inflation de 1972
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LA GRANDE INFLATION
il
58
taux de hausse des prix élevés frappe enfin des esprits. Le
phénomène cependant ne reçoit droit de cité qu’après avoir
reçu son nom. Le ministre des Finances anglais invente,
dans un discours à la Chambre des Communes, le génial
« stagflation ». Le mot imagé, sinon euphonique, est si
frappant que les économistes consentent à étudier ce phé¬
nomène récalcitrant, et, par là même, prometteur pour le
progrès de la connaissance. «J
1971 fut une année troublée par les événements concer¬
nant le dollar, dont nous parlerons plus loin. Après un début
de reprise au premier semestre, la stupeur provoquée par
la décision du 15 août amène une nouvelle dépression au
second semestre. Le 18 décembre, au Smithsonian Institute
à Washington, les ministres des Finances des dix principaux
\
pays se mettaient d’accord sur de nouvelles relations de
change et surtout sur le principe d’un retour au système de
changes fixes. Tout de suite après commença une reprise
générale de l’expansion dans tout le monde industrialisé.
Jusqu’en juin environ, cette reprise encore modérée ne
provoqua de hausse ni des prix, ni des taux d’intérêt
retombés entre-temps à des niveaux très bas (3 % aux
Etats-Unis pour les Fédéral Funds). La hausse des prix,
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elle, était revenue à 4 %. Le système monétaire international
rajusté, des prix en hausse modeste, des taux d’intérêt
très bas, une reprise d’activité forte et générale, tout parais¬
sait pour le mieux en ce printemps de 1972. Personne ne
Ls’attendait
ments qui etsepersonne ne comprit
déroulèrent à partirsurdule milieu
moment delesl’année.
événe¬
Contrairement aux crises précédentes 1956-1957, 1968-1969,
la cause déclenchante fut climatique. C’est la sécheresse
exceptionnelle en urss, les besoins de céreâîés et de soja de
tkti ce pays qui servirent de détonateur. Leurs achats faits dans
le plus grand secret, à la fin de juin, aux quatre ou cinq grands
négociants américains, provoquèrent, quand ceux-ci cher¬
chèrent la marchandise, une flambée sur le marché de Chi¬
cago. On était en effet au moment où les Etats-Unis avaient
réduit au minimum les superficies cultivées pour diminuer
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l’inflation d’aujourd’hui
l’inflation d’aujourd’hui
61
l’inflation d’aujourd’hui 65
70
72
New York — puisqu’on y traite la même marchandise, le
dollar — impose dans le monde entier les taux américains.
Ceux-ci, sous l’influence du monétarisme, ont connu
en 1969, puis en 1974, des niveaux absurdes. L’explication
est simple, quand on vise aveuglément des taux de crois¬
sance bas de la masse monétaire, il faut pratiquer parfois
des taux insupportables. En 1969, le Fédéral Reserve
System a ramené le taux de croissance annuel de M2 de 10 %
à 2 %. Mais le taux du marché monétaire est passé de 6 %
à 9 %. En 1974, Ie taux de croissance de M2 a été ramené
de 10 % à 5 %. Mais le taux du marché monétaire est passé
de 9 % à 13 %. Comme si les efforts marginaux de compres¬
sion de la masse monétaire devenaient de plus en plus
coûteux en termes de taux.
En France, on a subi les taux américains, sans doute,
mais de plus en plus on a pratiqué des taux très supérieurs
au taux de l’eurodollar. La motivation était double, d’abord
défendre le franc en régime de taux de change flottant. Une
seconde considération a renforcé la première : il faut, ont
dit certains experts, assurer à l’épargne une rémunération
réelle positive. Sous-entendu : une épargne forte diminue
la consommation, donc est favorable à la lutte contre l’infla¬
tion. Toujours la croyance que l’inflation actuelle est
d’abord une inflation de demande. Ainsi les taux d’intérêts
supérieurs à 10 %, ou proches de 10 %, n’étaient plus un
mal temporaire imposé par des conceptions techniques
américaines (éminemment discutables même dans la concep¬
tion américaine) et dont il fallait se débarrasser au plus vite,
ils devenaient une mesure de politique économique rai¬
sonnée et permanente.
Nous le savons, on a ajouté ainsi avec les meilleures
intentions du monde une indexation aux autres et on a
contribué à rendre l’inflation encore plus permanente et
encore plus progressive. Certes, nous n’avons pas l’intention
de soutenir que les épargnants ne méritent pas, comme les
autres catégories sociales, la protection de leur rémunération.
Il y a cependant de sérieuses objections. En fixant les
l’inflation d’aujourd’hui 73
6. REMÈDES
76
mettrait en marche dans le bon sens l’engrenage au bout
duquel il y aurait une forte réduction des hausses, et peut-
être la stabilité ou du moins la semi-stabilité obtenue par
les grandes nations concurrentes.
C’est un processus de ce type qu’a engagé le gouverne¬
ment Barre après avoir très correctement analysé l’inflation
actuelle en termes d’inflation de coût. Le blocage des prix
pour trois mois, suivi de la baisse de la tva a pour objet
cette décélération d’un des éléments du système, les prix
de détail. L’objectif est que les négociations de salaires du
premier trimestre s’ouvrent alors dans un climat détendu
grâce à la réduction du rythme de hausse des prix.
Il est impossible naturellement de se prononcer sur le
succès d’une manœuvre qui, aussi bien conçue soit-elle,
dépend cependant de l’exécution et du climat politique.
Ce qu’on est obligé cependant de souligner, c’est que la
gravité des taux d’intérêts élevés a été, semble-t-il, sous-
estimée. Sans doute la défense du franc sert-elle de justi¬
fication aux taux très élevés encore pratiqués en ce dernier
trimestre 1976. Bien qu’on puisse être très sceptique sur
l’efficacité de cette arme, il faut espérer que les premiers
succès du plan permettront une politique de baisse très
nette des taux. Sans quoi c’est pour le coup que l’intérêt
réel, avec des hausses de prix ralenties, deviendrait insup¬
portable pour les entreprises, et d’ailleurs aussi pour les
ménages endettés pour l’achat de leur logement.
Il faut dire en effet quel immense camp silencieux des
partisans de l’inflation constituent les chefs de famille
comme les chefs d’entreprise, pour qui la continuation des
hausses de prix actuelles est le seul moyen d’échapper à la
faillite ou à la ruine. C’est pourquoi aucune expérience
anti-inflationniste ne réussira si l’on ne modifie pas rétro¬
activement le taux des crédits au logement, les crédits
bancaires à moyen et long terme aux entreprises, en rendant
mobiles les annuités d’intérêt pour les adapter au nouveau
rythme de hausse des prix. Pour les emprunts obligataires,
il faudra en faciliter la conversion, pour tenir compte des
l’inflation d’aujourd’hui 77
Inflation
et système monétaire international
■
CHAPITRE PREMIER
90
Bretton Woods ne comportait rien qui obligeât les Banques
centrales à soutenir le dollar quotidiennement et de façon
illimitée. La section 3 de l’article IV prévoit des transactions
de change monnaies contre monnaies. Elle ne privilégie
pas le dollar. La section 1 qui prévoit la « définition » des
monnaies en dollar ne prévoit pas la défense de cette défi¬
nition par interventions sur le seul marché du dollar. Il
est théoriquement concevable que chaque pays intervienne
sur les n — 1 relations de change de sa monnaie avec les
autres monnaies. Sur chaque relation les deux Banques
centrales intéressées interviennent ensemble : il faut évi¬
demment un accord pour que leurs interventions ne soient
pas incohérentes, ne se contrarient pas réciproquement.
Ce n’est pas un système simple, mais c’est un système
concevable. C’est celui qu’ont mis au point entre eux les
Européens, après 1973, avec Ie système de flottement
concerté, vulgairement appelé « serpent ». Il permet de faire
fonctionner un système de changes fixes sans monnaie
nationale étalon, et par conséquent privilégiée, sans effets
d’assymétrie. Et aussi sans retour à l’or et sans création
d’une banque mondiale émettant une monnaie mondiale,
deux solutions, l’une qui appartient au passé et l’autre à
l’avenir, auxquelles les Etats-Unis et leurs alliés privilégiés
sont allergiques. C’est pourquoi la solution des interventions
directes de chaque Banque centrale sur toutes les inter¬
parités aurait dû être proposée très tôt comme la seule
bonne interprétation du traité de Bretton Woods.
Or il fallut attendre 1965 pour qu’une vois officielle
dénonce le fonctionnement de fait du système. Cette voix
fut celle du général de Gaulle. Malheureusement, si son
attaque sur le rôle privilégié conféré au dollar était incontes¬
table, sa proposition d’un système entièrement basé sur Vor
était moins heureuse. Il n’avait aucune chance sur ce thème
de se rallier le minimum de partisans nécessaires pour
ébranler les Etats-Unis. Rappeler au respect du traité signé,
qui ne comportait aucun rôle privilégié pour le dollar ;
proposer un système de règlements internationaux conforme
LE RÉGIME DE CHANGES FIXES
92
au-dessus de 35 $ et par des achats dans le cas inverse. Aveu
significatif de la volonté de maintenir les cours de l’or
proches de la parité magique.
Enfin, le paiement du quart des quotas en or, la consti¬
tution de ce fait d’une encaisse considérable entre les mains
du Fonds monétaire international, était une dernière dispo¬
sition qui montrait les hésitations et les compromis dans
l’attitude à prendre vis-à-vis de l’or.
Etranges dispositions quand on pense qu’elles ont été
arrêtées par Keynes, bien connu pour son aversion pour le
métal, et par des fonctionnaires américains qui n’avaient
probablement pas vis-à-vis de l’or des vues très différentes
de celles de leurs successeurs d’aujourd’hui. Keynes expri¬
mait certainement l’opinion de tous les négociateurs de 1944
quand il parlait de l’or comme « la relique barbare ». Alors ?
Eh bien, probablement du côté américain la considération
des 25 milliards de dollars en or joua un rôle essentiel.
Pourquoi se priver de cet atout ? Pourquoi commencer
une hasardeuse démonétisation de l’or quand le dollar peut
sans doute être une authentique monnaie-or. Ils changeront
d’avis quand le stock aura fondu et quand les dettes exté¬
rieures à vue seront dix fois plus fortes que l’encaisse-or.
Alors une vaste campagne pour la démonétisation de l’or
sera engagée.
En résumé, le traité de Bretton Woods vaut mieux que
sa réputation : il tente plus ou moins adroitement de mettre
sur pied un régime de changes fixes où les ajustements sont
confiés plus aux prêts internationaux et à des dévaluations
réglementées qu’aux sévères déflations des systèmes de
monnaies métalliques, illustrées par le fameux théorème
de Hume. Le traité a rendu d’immenses services ; il en
aurait rendu de plus grands encore si l’aveuglement des
gouvernements n’avait pas interdit toutes les réformes
quand elles étaient encore possibles.
CHAPITRE II
96
plus grand en ces matières que les mécanismes du type
monétariste. Un excédent inspire confiance et n’incite pas
aux hausses de prix. D’autre part, ces grands excédents ne
viennent que pour partie d’excédents commerciaux ; pour
la plus grosse part, ils viennent de capitaux en quête de
refuge, de stabilité et d’un intérêt convenable. Ces capitaux
restent sagement abrités dans leurs comptes à numéro dans
le cas de la Suisse, leurs comptes de non-résidents dans les
autres cas. Ils n’entrent pas dans le circuit monétaire. Ils
n’achètent rien. Ce sont des marks ou des francs suisses qui
ne font pas le marché.
Et cependant la crainte de Yinflation importée par les
excédents de balance des paiements est une crainte quasi
obsessionnelle. En 1970 et 1971, quand 10 à 15 milliards
de dollars, jusque-là placés sur le marché de l’eurodollar,
se mirent à refluer vers les Banques centrales, ce fut une
panique en Europe et au Japon, des cris d’inquiétude, des
mesures de défense partout, avec des intérêts négatifs, des
interdictions d’entrée pures et simples. L’Allemagne ne
prit aucune mesure de ce genre, contraire à son éthique
libérale, mais proclama le 10 mai 1971 le flottement de sa
monnaie, portant, avant Nixon, le premier coup, mortel,
au régime de Bretton Woods. Elle avait une excuse car
tous les autres pays s’étaient cadenassés et les dollars,
comme un flot qui cherche sa voie, n’avaient plus qu’une
issue : la Bundesbank. On aurait mieux fait de se préoc¬
cuper des vraies menaces inflationnistes : hausse des
salaires, hausse des matières premières, hausse des taux
d’intérêt. La panique devant les dollars — qu’il était d’ail-
leurs parfaitement possible de stériliser — a été une des
erreurs les plus manifestes de cette période, une des plus
responsables de la déconfiture finale. La grande critique
contre les changes fixes avec étalon-dollar, celle de nous
avoir « inondés » de dollars, nous obligeant par suite à
émettre des francs, des marks, des lires « inflationnistes »,
ne paraît donc pas très fondée.
Moins fondée encore est la version qui critique non pas
97
CHANGES FIXES ET INFLATION
98
Cette différence ne pouvait être soldée du temps de David
Hume que par une diminution de l’encaisse métallique
totale de la nation. Son fameux théorème du rééquilibrage
plus.
CHANGES FIXES ET INFLATION 99
Dollars
externes
1964
Fin 29,36
1965
-
29,56
-
1967
1966
-
-
1969 38,7
3*>2
- 1968
35)8
45)7
47
-
1970
-
1971
- 1973 67,68
1972 82,86
- 1974 92,49
119,24
- 1975 126,27
-
1976
134,81
Juin
Détenus par
I. LA SURÉVALUATION DU DOLLAR
2. l’argumentation FLEXIBILISTE
Il n’est donc pas juste de dire que les changes fixes c’est
une roulette où on ne perd pas. Ce n’est vrai qu’avec des
gouvernements indécis ou avec des Banques centrales qui
n’esquissent aucune défense sur le marché des changes lui-
même. La hausse des taux d’intérêt est la limite de leur
capacité d’imagination et de combat. Sur le marché des
changes, les Banques centrales ne savent en général que
reculer, centime par centime ; rien de tel pour aiguiser
l’appétit des spéculateurs et multiplier le nombre des sui¬
veurs. Se battre en retrait, en défensive pure, dans toutes les
stratégies possibles, est toujours la meilleure façon de perdre.
Les luttes de change ne font pas exception.
Dépréciation par
Pour 1 $ rapport à la parité
du 18 décembre 1971
Livre Sterling
Parité Smithsonian 2 605
— 9,9 %
(18-12-1971) 2 347
Fin 1972 — n,4 “
Fin 1973
2 347
Fin 1974 023
2 318 — 9,94 --
— 22,
Fin 1975
26 octobre 1976 158
Lire — 40 -
Parité Smithsonian — 2,1 %
581,5
(18-12-1971)
607,
Fin 1972 594 75
Fin 1973
Fin 1974 649,45 — 4,32 --
— 10,46
Fin 1975 — 14,94 -
683,60
26 octobre 1976 862
— 32,6 -
145
influence directe des prix les uns sur les autres, qui joue dans
le sens de la « stabilité », surtout si les pays les plus sages sont
aussi les pays ayant les échanges extérieurs les plus impor¬
tants. De 1945 à 1971, ce ne sont pas toujours les mêmes
pays qui ont été les plus sages. La France a eu souvent des
déficits de sa balance commerciale : elle a joué ainsi un rôle
de soutien de l’économie européenne non négligeable. En
sens inverse, elle bénéficiait de la stabilité des prix de
l’Allemagne et du Benelux. Parfois, elle a eu elle-même un
taux de hausse de prix inférieur à celui de l’Allemagne, par
exemple en 1965-1966. Mais il y a eu en permanence des
îlots de stabilité auxquels les autres pays pouvaient s’arrimer.
Ceci ne peut plus jouer en système de changes flexibles où
les différences de niveaux de prix s’inscrivent immédiate¬
ment dans les niveaux des changes et, par conséquent, se
durcissent sans rappel possible vers la stabilité.
CONCLUSION
CONCLUSION
CONCLUSION
CONCLUSION
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