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Leçon 2: complément 3: L'amor fati: des Stoïciens à Nietzsche (notions: religion, bonheur,

raison, le devoir (la morale), science, vérité)

1. Rappel les Indifférents chez les Stoïciens: tout ce qui existe en dehors de l'âme et qui ne
dépend pas d'elle (corps, biens matériels, réputation, postes occupés, proches, parents, amis,
patrie, maladie, mutilation, exil, mort)
Celui qui désire les indifférents comme des biens désire mal car les indifférents ne sont pas
des biens (=ils ne sont pas là pour me rendre heureux) puisqu'ils dépendent du destin et que le
destin ne dépend pas de moi. Celui qui souffre de ce qui arrive dans le monde est ainsi seul
responsable de sa propre souffrance: il souffre (d'avoir perdu sa maison, ses richesses, sa
santé, un ami) parce qu'il aurait voulu que les choses se passent autrement (ne pas perdre
sa maison, ses richesses, sa santé, un ami), i.e. il aurait voulu que le destin soit différent= à
son service= son attitude signifie qu'il dit NON à ce qui arrive= NON au destin. Tant qu'il
désire des indifférents comme des biens= il refuse le destin comme il est. Il perd sa maison,
un ami, sa richesse, il en souffre= il aurait voulu que cela se passe autrement= il ne veut pas
ce qui arrive comme cela arrive (= il ne veut pas perdre sa maison, sa santé, un ami= il ne veut
pas le destin= car il considère faussement et fautivement les indifférents comme des biens=
comme des choses au service de son bonheur)= il refuse donc ce qui arrive comme cela
arrive (mort d'un fils, etc.)= il dit NON au destin= ce qui arrive ne correspond pas à ce qu'il
veut= il ne peut donc pas vouloir ce qui arrive= c'est cela dire NON au destin.
Au contraire, celui qui a conduit une réforme de son âme (qui a changé ses désirs plutôt que
l'ordre du monde) a pu cesser de désirer les indifférents comme des biens, tout ce qui arrive
ne l'affecte plus= ne modifie rien à sa sérénité continue (=apathie)= il ne souffre pas de
tout ce qui arrive= il n'aurait pas voulu que cela se passe autrement= il est capable
maintenant de vouloir que cela se passe EXACTEMENT comme cela arrive= il dit OUI au
destin tel qu'il est= OUI à tout ce qui arrive comme cela arrive. Consentement au destin qui
est la vraie et seule liberté et la vertu. Celui qui a changé ses désirs plutôt que l'ordre du
monde peut maintenant accepter et dire oui à la vie et au destin tels qu'ils sont= vouloir le
destin tel qu'il est= vouloir tout ce qui arrive comme cela arrive= ce que les Stoïciens
appellent l'"amor fati". Celui qui a appris à ne plus désirer ce qui ne dépend pas de lui comme
des biens (= quelque chose d'utile à son bonheur), veut désormais tout ce qui arrive comme
cela arrive suivant un thème que Nietzsche reprendra aux stoïciens: le thème de l'"amor
fati": l'amour du destin.

2. Le "Oui" à l'éternel retour selon Nietzsche . Camus parlera à propos du oui nietzschéen à
la vie d'une "adhésion totale à une nécessité totale". Le thème de l'amour du destin que
Nietzsche reprend aux Stoïciens, il le rattache à un autre thème stoïcien mais pour en faire
tout autre chose: le thème de l'éternel retour de toutes choses. Pour les Stoïciens, la thèse de
l'éternel retour renvoie à la nature cyclique de l'univers: Epictète affirme que tout ce qui
arrive est déjà arrivé et arrivera de nouveau à l'infini. Chez Nietzsche l'éternel retour n'est
pas, à la différence des Stoïciens, un principe cosmique. Nietzsche ne nous dit pas que tout
reviendra réellement à l'identique. Chez Nietzsche l'éternel retour n'est pas une réalité c'est
une pensée. Une pensée qui a valeur de test existentiel= de mise à l'épreuve de soi-même.
L'éternel retour est donc moins tant une vérité sur le monde (il reviendra à l'identique) qu'une

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épreuve personnelle qui est proposée au lecteur. Il ne s'agit pas d'une thèse sur la réalité (que
celle-ci se reproduira à l'identique à l'infini). C'est une pensée que je dois m'imposer afin de
savoir jusqu’à quel point je suis capable d'aimer la vie telle qu'elle est. Il s'agit de penser et de
croire que tout reviendra exactement comme cela est arrivé afin de se demander si nous
sommes ou non capables d'aimer la vie telle qu'elle est= de supporter avec joie l'idée que
nous aurons à revivre cette vie-ci dans ses moindres détails un nombre illimité de fois. Il
s'agit de se demander si nous sommes capables de vouloir ce qui arrive au point d'en désirer
le retour éternel du tragique de l'existence que l'homme a tendance à fuir dans les
illusions de la religion (Cf. Leçon 1). Seul celui qui est capable de répondre "oui" à la
pensée de l'éternel retour de l'identique peut être dit vraiment aimer la vie comme elle est
= soit globalement insignifiante, absurde, tragique donc décevante: l'éternel retour permet
de tester notre capacité à aimer la vie telle qu'elle est, de tester notre aptitude à réussir à
aimer la vie comme elle est malgré son caractère tragique et décevant = seul réussit le
test de l'éternel retour celui qui a le pouvoir de dépasser tout ce qui en lui rejette la vie
comme elle est et nous détourne du réel au profit des promesses imaginaires et illusoires
de la religion:

Aphorisme 341 du Gai savoir :

Le poids le plus lourd – Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta
plus solitaire solitude et te disait : « Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la
vivre encore une fois et encore d’innombrables fois ; et elle ne comportera rien de nouveau,
au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y
a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même
succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les
arbres, et également cet instant et moi-même. L’éternel sablier de l’existence est sans cesse
renversé, et toi avec lui, poussière des poussières ! » - Ne te jetterais-tu pas par terre en
grinçant des dents et en maudissant le démon qui parla ainsi ? Ou bien as-tu vécu une fois un
instant formidable où tu lui répondrais : « Tu es un dieu et jamais je n’entendis rien de plus
divin ! » Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, toi, tel que tu es, et, peut-
être, t’écraserait ; la question, posée à propos de tout et de chaque chose, « veux-tu ceci
encore une fois et encore d’innombrables fois ? » ferait peser sur ton agir le poids le plus
lourd ! Oui, combien te faudrait-il aimer et toi-même et la vie pour ne plus aspirer à rien
d’autre qu’à donner cette approbation et apposer ce sceau ultime et éternel ? –

Le texte oppose deux réactions possibles face à cette pensée de l'éternel retour: le désespoir
d'une part, l'enthousiasme de l'autre. Tous ceux qui ne sont pas capables de dire oui (Ja
sagen - dire oui) au retour éternel de cette même vie tomberont dans le désespoir, cette
pensée les écrasera. Par leur incapacité à dire "oui" ils prouvent qu'ils sont incapables
d'aimer vraiment la vie: l'aimer vraiment c'est la vouloir telle qu'elle est et la vouloir
vraiment telle qu'elle est c'est être capable de vouloir qu'elle se répète exactement comme
elle à l'identique un nombre infini de fois, c'est être capable d'accepter de revivre tous les
moments de notre vie à l'identique éternellement. Or notre réaction spontanée serait plutôt

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de dire: je ne veux pas revivre ma vie à l'identique et encore moins un nombre infini de fois.
Pourquoi? Parce qu'elle contient trop de douleurs, trop de tragique, trop de déceptions.
Pour Nietzsche, la religion chrétienne et la morale judéo-chrétienne est né de ce rejet de la
vie: elles nous culpabilisent d'avoir accompli certains actes en les qualifiant de mauvais,
d'immoraux, d'égoïstes, autant de formes de ce qu'elle définit comme étant le mal. Elles
nous font éprouver du remords et une mauvaise conscience qui forment en nous un jugement
de condamnation par rapport à un grand nombre de nos désirs et de nos actions.
Condamnation qui s'accompagne d'un refus de voir ces désirs se réaliser à nouveau et ces
actions jugées mauvaises se répéter: il y a toute une part de notre existence à laquelle nous
disons "non", qu'on juge comme étant fautive, comme une manifestation du mal, et ce
jugement a pour origine l'intériorisation des interdits de la religion chrétienne et de la
morale judéo-chrétienne. La religion et la morale nous ont appris à haïr la vie en nous (les
instincts, les désirs) et hors de nous (le monde est rempli par le péché, par la faute bref par le
mal), à la regarder avec mépris. On condamne le monde ici-bas comme un monde mauvais,
rempli de malheurs et de fautes, on lui préfère un au-delà parfait: on voudrait vivre dans le
monde irréel qu'invente la religion: le Paradis rempli de bonheur et de bienfaits, et pour
obtenir l'accès à ce monde irréel parfait que nous promet la religion on se plie aux
commandements de la religion et de la morale. On vient de le voir, on a tendance à dire "non"
à la douleur et à la faute (morale) et Nietzsche parle du "oui" à l'éternel retour comme d'«
une formule d’acquiescement supérieur, née de la plénitude et de la surabondance, un oui dit
sans réserve à la vie, et même à la douleur, et même à la faute, à tout ce qu’il y a de
déroutant et de problématique dans la vie » (Nietzsche, Ecce homo, « Naissance de la tragédie
», § 2)
Nietzsche nous dit la pensée de l'éternel retour nous permet de savoir si nous aimons
vraiment la vie ou non= si nous sommes capables de vouloir qu'elle revienne à l'identique
un nombre infini de fois. Ou si au contraire nous n'aimons pas la vie: nous ne sommes pas
capables de la vouloir à nouveau un nombre infini de fois= nous sommes réactifs, notre
volonté d'accepter la vie telle qu'elle est: telle qu'elle est en nous (=nos désirs, nos instincts) et
hors de nous (= tout ce qui arrive dans le monde de beau mais aussi et surtout de tragique
et de terrible). Tout ça c'est une part de la vie qu'on rejette, et pour cette raison on est
incapables de dire oui à nouveau à la vie dans son entier. Il s'agit de lutter contre notre
tendance à préférer l'irréel des arrières mondes imaginaires promis par la religion
(Dieu, le Paradis) au profit du seul réel et rien que du réel. Il s'agit de cesser de haïr le
réel et de lui préférer l'irréel. La religion et la morale judéo-chrétienne nous font
préférer CE QUI N EST PAS à ce qui EST. Il s'agit de réconcilier notre capacité
d'aimer avec la réalité que la religion sépare en nous faisant aimer CE QUI N EST PAS
au détriment de ce qui est.
C'est le constat que fait Nietzsche, l'homme est un animal devenu malade, un être dont la
volonté de vivre est sans puissance: un être qui n'aime pas assez la vie pour lui dire
"oui" et l'affirmer en lui en acceptant d'agir selon ses désirs et ses instincts et hors de lui
(= en approuvant tout ce qui arrive dans le monde quel qu'il soit). Pour cette raison la
puissance vitale en l'homme (d'affirmation, de création et de domination) sous la
pression de son rejet de la vie, est diminuée. Et sa puissance vitale est diminuée car sa
volonté de puissance est affaiblie.

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3. La volonté de puissance chez Nietzsche. La volonté de puissance désigne le processus
par lequel tout vivant tend à aller vers toujours plus de puissance, à augmenter sa
puissance, processus par lequel tout ce qui vit cherche à devenir sans cesse toujours plus fort,
toute vie recherche la puissance= à augmenter sa force, à viser son intensification (ressentir le
plus possible) et son expansion (étendre sa domination et imposer sa loi aux autres). Tout ce
qui vit recherche la puissance. De l'enfant qui grandit à l'arbre qui en poussant occupe plus
d'espace et couvre d'ombre tout ce qui l'entoure, la vie se confond avec ce processus
d'expansion. Même "dans la volonté du serviteur, dit Nietzsche, j'ai trouvé la volonté de
devenir maître". Il y a volonté de puissance à chaque fois qu'il y a vie et il y a vie à chaque
fois qu'un organisme veut repousser plus loin ses propres limites et se dépasser lui-même,
aller au-delà de ce qui le limite. A retenir (par coeur): La vie est dit Nietzsche "instinct de
croissance" (Nietzsche, L'Antéchrist), c'est un "vouloir-devenir plus fort" (Nietzsche,
Fragments posthumes). Pour l'homme cela veut dire: grandir, occuper plus d'espace, ressentir
plus de choses et plus vivement toutes choses, mais aussi aller au-delà de ce qui nous limite
(songeons au sportif qui s'entraîne pour repousser ses limites, ça c'est de la volonté de
puissance), dominer ceux qui nous entourent et le plus d'hommes possibles (la volonté de
pouvoir et de commandement est une forme de la volonté de puissance), s'emparer d'un
territoire que l'on ne possède pas (les conquérants comme Alexandre ou Napoléon font preuve
de volonté de puissance), d'une richesse que l'on ne possède pas (l'ambition professionnelle
est une forme de la volonté de puissance), le désir sexuel, la séduction (faire céder la
personne que l'on désire et qui nous résiste). L'homme en bonne santé désire ainsi tout ce
qui le rend plus fort et méprise tout ce qui l'affaiblit. La volonté de puissance désigne ainsi
le processus par lequel tout vivant tend à aller vers toujours plus de puissance= à augmenter
sa puissance= à devenir plus fort, à intensifier la vie et la force. La volonté de puissance se
confond donc avec le processus qui définit la vie elle-même d'expansion, de croissance et de
tendance à "sentir plus". C'est cette volonté de puissance que condamne la morale
judéo-chrétienne.
La morale judéo-chrétienne a affaibli la volonté de puissance en l'homme car elle lui
commande de ne pas rechercher la puissance, de s'écarter de ses instincts de prédation et
de domination, de les regarder avec dégoût, crainte et culpabilité, bref elle le conduit à
condamner la vie en lui et hors de lui (= à trouver moralement horrible la volonté de
domination). Cette haine de la vie inculquée par la religion conduit l'homme à
s'atrophier lui-même, à retourner sa volonté contre elle-même en lui faisant se sentir
coupable de vouloir ce qu'il veut = l'augmentation de sa puissance quitte à ce que cela se
fasse au détriment des autres = ce que condamne la morale judéo-chrétienne. Tout ce qui
vit est défini par ce mouvement car ce mouvement est la vie même. Mais il y a ceux qui ont
les moyens de leurs ambitions et parviennent à satisfaire leurs aspirations: les forts. Et ceux
qui n'y arrivent pas: les faibles qui subissent la force des forts 1. Les forts représentent donc
1
Attention à bien éviter tout contresens ici: Nietzsche ne défend pas la brutalité ni le sadisme à l'égard des
faibles: un homme fort recherche à affronter un autre homme fort pour se mettre lui-même à l'épreuve, s'attaquer
aux faibles déjà soumis c'est faire preuve de faiblesse car ce n'est pas se mettre à l'épreuve, ni chercher à
repousser ses limites en allant au-devant de ce qui a suffisamment de force pour nous résister. Le fort doit mettre

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une menace pour la survie des faibles donc les faibles vont inventer des valeurs capables de
les protéger de la force des forts: ces valeurs sont celles que défend la morale judéo-
chrétienne.

Morale du troupeau: la morale judéo-chrétienne est ce que Nietzsche appelle la "morale des
esclaves" ou la "morale du troupeau": il s'agit pour les faibles d'inventer des valeurs
capables de protéger les faibles des forts, de défendre les intérêts des faibles face aux
forts en diminuant la force des forts= en les empêchant d'exercer cette force et de
rechercher la puissance.
Une tornade n'est pas méchante elle ne l'est que du point de vue du faible qui cherche à s'en
protéger: de même le fort n'est pas méchant ni mauvais il ne l'est que du point de vue des
faibles qui doivent s'en protéger, la morale n'est pas absolue (=il n'y a pas de bien et de mal
en soi) elle ne consiste que dans le point de vue des faibles à l'égard des forts= la morale
consiste l'évaluation du monde au travers du regard des faibles.

A retenir: Du point de vue du faible, le mal c'est ce que fait le fort. La force, la
puissance, la vie sont donc condamnées par la morale qui fait de l'impuissance une
vertu.
L'homme issu de l'occident chrétien n'arrive plus à vouloir augmenter sa puissance vitale=
sa volonté de puissance est affaiblie= il n'arrive plus à s'affirmer, à créer, à augmenter son
pouvoir et à dominer= sa volonté de puissance= sa puissance vitale est déclinante. Il n'arrive
plus à s'affirmer et à dominer car la morale le lui interdit, il n'arrive plus à créer= à poser
des valeurs et à les imposer= car il vit sous le poids des valeurs chrétiennes qui
affaiblissent sa puissance vitale en le faisant vivre dans la culpabilité d'agir selon sa propre
volonté et en lui faisant préférer à la vie ici-bas la chimère d'une autre vie meilleure que
celle-ci, après la mort. Dans ces conditions l'homme occidental n'arrive plus à aimer (1) la
vie ni (2) sa propre vitalité, il se met (1) à préférer une vie après la mort contre cette vie
imparfaite et il vit sous le poids de la morale qui lui commandent de contrôler ses instincts et
qui en culpabilisant les instincts diminuent ainsi notre force vitale conduite par les instincts.
L'homme occidental est un homme dont la puissance vitale (= la vitalité) a été diminuée sous
le poids de la culpabilité morale et religieuse. C'est un homme qui n'aime plus la vie, qui lui
préfère un "arrière-monde" une vie au-delà de cette vie-ci, et qui éprouve sa propre vitalité -
ses pulsions, ses instincts, comme un mal qu'il faut réprimer. L'homme a tendance à refuser la
vie telle qu'elle est (à cause des souffrances qu'elle inflige): la morale et la religion portent
cette tendance réactive à son paroxysme. Le test de l'éternel retour permet d'identifier sur le
vif cette tendance humaine au refus de la vie, il fait apparaitre en plein jour ce non que nous
adressons sans cesse à la vie sans le savoir. A ce non du ressentiment, Nietzsche oppose le
oui de l'amour de la vie, l'acquiescement total.
Pourquoi total? Car aimer la vie ne veut pas dire seulement vouloir revivre éternellement les
bons moments uniquement mais de vouloir tout revivre et tout donc désirer au même titre
dire oui pour l'éternité aux bons comme aux plus mauvais moments de notre vie avec un
désir d'une égale intensité pour tout ce qui est= l'agréable comme le douloureux. Celui
qui n'est capable de dire oui pour une éternité de fois qu'aux moments agréables de sa vie
le faible qu'il a vaincu sous sa protection. Il ne veut pas sa destruction.

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n'aime pas la vie dans son entier= il dit NON à la vie car aimer la vie c'est dire OUI (Ja
sagen - dire oui) à la vie tout entière DANS TOUS SES ASPECTS, c'est être capable de la
vouloir en totalité= de tout vouloir en elle avec la même intensité= c'est être capable de
vouloir au même titre et avec une égale intensité et un même amour le retour de tous les
moments de l'existence= aussi bien le retour des moments agréables que le retour des
moments douloureux, terribles et même atroces= c'est refuser de sélectionner entre tous ces
moments, il faut vouloir que tous reviennent= vouloir que tous reviennent= TOUS les
vouloir au même titre= c'est tout vouloir de la vie= c'est dire "je le veux" à la vie tout
entière= à la vie telle qu'elle est et qui comme elle est contient des moments agréables
comme des moments atroces= vouloir que tout revienne= vouloir que reviennent les
moments atroces tout autant avec la même force et le même désir que vouloir que
reviennent les moments agréables. Aimer la vie= ne jamais vouloir plus les uns que les
autres. C'est donc le contraire de la nostalgie: le nostalgique regrette les bons moments de sa
vie il aimerait les revivre. Ici il s'agit de tout vouloir revivre et pas qu'une seule fois mais un
nombre infini de fois: de vouloir revivre avec le même désir, avec un amour d'une égale
intensité aussi bien les meilleurs souvenirs de ma vie que les plus douloureux moments de
mon existence. Il s'agit en pensant que toute l'existence va revenir à l'identique un
nombre infini de fois si je suis prêt à accepter ce retour ou non= si je suis capable, si j'ai
assez de force en moi, d'aimer autant la mort de mon meilleur ami (souvenir atroce) au point
d'en vouloir le retour éternel, que mon plus beau voyage et tous les plus beaux moments de
ma vie (souvenirs magnifique) ou si j'en suis incapable.
Il n'est pas sûr dit Nietzsche que nous ayons nous, simples humains, la force de désirer ce
retour éternel car il comporte trop de maux que nous ne voulons plus souffrir une deuxième
fois donc encore moins une infinité de fois. Nietzsche nous dit pour trouver des hommes
capables de vouloir l'éternel retour du même, il faudra dépasser l'humain (= l'être façonné
par la morale judéo-chrétienne):

« Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre
que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter
de supporter l’inéluctable, et encore moins se le dissimuler (...), mais l’aimer... » (Ecce homo,
« Pourquoi je suis si avisé », § 10)

« l’idéal de l’homme le plus exubérant, le plus débordant de vie, celui qui dit le plus grand oui
au monde, qui ne s’est pas simplement résigné à ce qui fut et est, et n’a pas simplement appris
à le supporter, mais tout au contraire veut l’avoir de nouveau, tel que cela fut et est, pour
toute l’éternité, criant insatiablement da capo » (Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 56)

Da capo est une expression musicale italienne qui signifie que l’on recommence au début à
jouer le morceau. La métaphore musicale permet de comprendre qu'il faut être capable
d’apprécier la vie comme on apprécie la musique, i.e. en voulant et en aimant la réécouter
toujours de nouveau à l’identique.

Or rares sont les hommes dit Nietzsche qui en sont capables, car nous avons tous tendance à
fuir ce qui nous fait du mal certainement pas à désirer qu'il se reproduise à l'identique à

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l'infini. Qui pourrait vouloir revivre un nombre infini de fois la maladie ou le décès d'un
proche? Qui pourrait vouloir revivre un nombre infini de fois la souffrance d'une personne
que nous aimons? Pire: qui pourrait vouloir revivre tout cela exactement comme (= de la
même façon, avec la même envie) il accepterait de revivre des moments de joie intense?
Personne apparemment! Personne n'en est capable! Personne encore du moins. C'est la
"pensée la plus lourde" dit Nietzsche= elle nous écrase= nous accable. Car elle nous demande
de parvenir à à désirer i.e à vouloir revivre ce que justement nous ne pouvons pas désirer,
ce que nous sommes justement incapables de désirer, ce que ne nous pouvons que refuser
parce qu'il nous fait mal. Nous nous détournons de la souffrance car nous voulons être
heureux nous sommes incapables d'aimer la souffrance donc incapables de désirer la
revivre éternellement donc incapables de désirer le retour éternel de toutes choses. Pour
y arriver il faut réussir à nous dépasser nous-mêmes. L'acceptation de l'éternel retour se
situe du côté de celui qui parvient à s'élever au-delà de l'humanité (d'où la notion
"d'acquiescement supérieur")= du surhumain (Übermensch), du post-humain, de ce qui
vient après l'humain.

4. Le surhumain chez Nietzsche. L'humain n'est pas capable de tout vouloir= il


sélectionne entre le bon (qu'il désire) et le mauvais (qu'il rejette) entre ce qu'il appelle "le
bien" (qu'il accepte) et tout cette partie de l'existence qu'il appelle "le mal" (qu'il refuse). Cette
manière de refuser de tout vouloir, de dire oui à tout, Nietzsche l'appelle "ressentiment"=
réaction de rejet devant la vie telle qu'elle est= dans toutes ses dimensions. De cette réaction
contre la vie sont nés (1) le platonisme qui oppose un monde intelligible "vrai" au monde
sensible qu'il juge faux (= rempli d'apparences) sur la base d'un rejet du monde sensible=
de la vie ici-bas (2) la morale judéo-chrétienne qui condamne tout un secteur de l'existence
sous la catégorie du "mal", au lieu de vouloir tout ce qui est indépendamment des catégories
du bien et du mal, car juger comme étant mal telle action (un crime) ou tel événement (un
tremblement de terre) c'est vouloir que la vie soit autre que ce qu'elle est= ce n'est donc pas
dire OUI à la vie (Ja sagen - dire oui). Le surhumain devra donc dépasser l'humain car
l'humain n'arrive pas à dire oui à la vie, ce qui explique la formation de ces deux formes de
réaction contre la vie que sont le platonisme et la religion chrétienne et sa morale. La
métaphysique issue de Platon et le christianisme résultent de la négation de la vie et la
perpétuent, contre eux, Nietzsche affirme: "je ne veux plus jamais être un esprit négateur" (Le
Gai savoir). Toutefois, Nietzsche assume que l'homme qui ne sera plus négateur de la vie est
devant nous, il doit venir après l'humain, Nietzsche ne fait que l'annoncer et le nomme le
"surhumain". Le personnage de Zarathoustra dans l'oeuvre de Nietzsche est le prophète du
"surhumain".
Le surhumain est à venir, il faut se préparer à le devenir, il sera capable de tout vouloir au
même titre en ne rejetant rien de ce qui existe, le surhumain vivra selon de nouvelles valeurs
qu'il aura posées, par-delà les valeurs du bien et du mal, de la vérité et de l'erreur
(=valeur et son anti-valeur correspondante) qui définissent jusqu'à présent l'homme
occidental. Le Bien est posé comme une valeur indépendante du point de vue humain=
comme une valeur absolue, indépendante de toute évaluation humaine, de tout point de vue,
de toute perspective, or le Bien s'oppose au Mal, et le mal n'est que le produit du jugement
des faibles qui se protègent des forts en les condamnant. Nos idées et nos valeurs dit

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Nietzsche ne sont que le produit de nos intérêts vitaux (ici pour la morale judéo-
chrétienne: les intérêts des FAIBLES). De plus, la vérité est également posée comme un
absolu, il s'agit de réduire la vie à une seule interprétation possible d'elle, à une seule vision
valable et valant absolument. Or là contre Nietzsche affirme "il n'y a pas de faits, il n'y a que
des interprétations" (à apprendre par coeur), tout système de représentation qui prétend dire
comment sont les faits en eux-mêmes cherche toujours à masquer le fait qu'il n'est qu'une
interprétation parmi d'autres possibles, il veut se poser en absolu et réduire à l'erreur
les autres interprétations, qui sont toutes des manifestations de la vie en tant que vivre c'est
toujours évaluer, interpréter, donner du sens en fonction de nos intérêts vitaux. Les valeurs de
vérité et de bien sont posées comme des absolus soit comme ce qui ne dépend pas du point de
vue humain. Or ces valeurs ne sont pas éternelles: la morale judéo-chrétienne a perdu son
fondement (= Dieu) avec la "mort de Dieu": preuve de son caractère historique. Ce qui
signifie aussi que la valeur de vérité peut et devra être dépassée. Les valeurs du bien et de la
vérité, posées comme éternelles et absolues ne sont pas éternelles, à la fin du XIXeme siècle
on assiste en Europe à l'effondrement des valeurs morales provoqué par la mort de Dieu.
Nietzsche dénonce deux choses: la morale judéo-chrétienne d'un côté et le nihilisme de
l'autre= constat que fait Nietzsche: "Dieu est mort" (pour Nietzsche les hommes ont tué Dieu
en cessant d'y croire)= à la fin du XIXeme siècle il voit dans les sociétés occidentales un
phénomène d'épuisement moral= l'extinction progressive de la croyance en Dieu et des
valeurs qui vont avec, il craint le nihilisme, la perte de valeurs, le à quoi bon vivre, le tout se
vaut car rien de vaut vraiment, la vie elle-même donc ne vaut rien de sorte que l'absence de
valeur et l'absence de sens à la vie nous la rendraient insupportable. Il s'agit non de renoncer
seulement aux valeurs judéo-chrétiennes = nihilisme= mais de surmonter le nihilisme en
posant de nouvelles valeurs par-delà les valeurs de bien et de mal, de la vérité et de
l'erreur. Il s'agit de préparer une humanité par-delà l'humanité occidentale définie par
son mouvement de réaction contre la vie. C'est cette sur-humanité vers laquelle il s'agit
de tendre et qu'il s'agit de préparer, car "Je vous enseigne le surhumain. L'homme est
quelque chose qui doit être surmonté" (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra), "l'homme est
une corde tendue entre l'animal et le surhumain" (Ibid), "ce qui est grand dans l'homme c'est
qu'il est un pont et non un but: ce que l'on peut aimer dans l'homme c'est qu'il est une
transition et qu'il est un déclin" (Ibid).

"Si cette pensée s’emparait de toi, elle te métamorphoserait, toi, tel que tu es, et, peut- être,
t’écraserait ; la question, posée à propos de tout et de chaque chose, « veux-tu ceci encore une
fois et encore d’innombrables fois ? » ferait peser sur ton agir le poids le plus lourd ! Oui,
combien te faudrait-il aimer et toi-même et la vie pour ne plus aspirer à rien d’autre qu’à
donner cette approbation et apposer ce sceau ultime et éternel ? –

Pensée la plus lourde= la plus difficile, elle peut m'écraser= je n'arrive pas à la soutenir= à la
penser en continu= car il arrive tant de choses que je refuse! elle m'écrase elle m'impose ce
que je ne peux pas supporter, en ce sens elle fait peser sur moi "le poids le plus lourd", il est
trop dur pour moi de me déterminer constamment par rapport à elle, i.e. de tout accepter de
telle sorte que je puisse l'aimer i.e. vouloir son retour un nombre de fois illimité. Je n'en
suis pas capable, c'est trop dur pour moi. La question est celle de savoir si j'ai assez de force

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en moi pour soutenir cette pensée. Cette pensée m'écrase. Le oui est donc à conquérir sur un
non qui s'impose d'abord massivement. Cela ne pourra pas se faire du premier coup: cela doit
faire l'objet d'une incorporation progressive. Or Nietzsche rappelle qu'il faut une
constitution morale et physique vigoureuse pour réussir petit à petit à supporter cette pensée,
les faibles n'y arriveront pas et seront écrasés et détruits par elle. Il faut être fort, cette pensée
s'adresse à tous mais ne peut être vraiment incorporée que par les plus forts, ceux qui peuvent
la soutenir malgré son poids.
Ce que dit Nietzsche: c'est que je dois apprendre à me déterminer non par rapport à ce
moment tel qu'il existe maintenant mais à me déterminer par rapport à ce moment pour
l'éternité= l'aimer vraiment lui dire oui veut dire s'engager à vouloir qu'il revienne
indéfiniment tel qu'il est, identique à lui-même. C'est cela qu'il faut vouloir: il ne s'agit pas
seulement de vouloir donner ce cours maintenant mais être capable de vouloir que ce
moment où je parle de l'éternel retour revienne éternellement à l'identique. C'est en ce sens
que cette pensée est "lourde", car il s'agit en me mettant à agir (donner cours) de vouloir
produire un moment (le cours) qui ne disparaîtra jamais et que je m'impose de revivre pour
toujours. Mais c'est cela aimer: aimer c'est vouloir que cela ne disparaisse jamais. Si j'aime
un proche je ne veux pas qu'il disparaisse. C'est pareil avec la vie l'aimer c'est vouloir qu'elle
ne disparaisse jamais: c'est donc vouloir que ne disparaissent jamais mais que se répètent
indéfiniment les mêmes choses (y compris justement la mort des proches). La vie est
tragique= elle n'est pas faite pour notre bon plaisir= donc nous la détestons, nous la rejetons.
Adopter la pensée de l'éternel retour c'est dépasser ce mouvement de rejet à l'égard de la vie
qui nous caractérise: c'est dire oui au tragique.

« La question posée à propos de tout et de chaque chose, « veux-tu ceci encore une fois et
encore d’innombrables fois ? » ferait peser sur ton agir le poids le plus lourd ! » (Nietzsche,
Fragments posthumes, 11 [143])

Il s'agit de devenir capable d'aimer ce moment de cours que je passe avec vous, de l'aimer i.e
de vouloir son retour éternel. Seul moyen de savoir si je veux vraiment ce moment présent, si
je l'aime et surtout si je suis vraiment capable de l'aimer. Il s'agit de vouloir donner mon
cours non pas seulement pour maintenant pour cette fois-ci seulement, ce qui serait
facile, mais de se déterminer à le vouloir pour un nombre infini de fois à l'identique.
Vouloir vraiment donner mon cours= c'est m'engager à vouloir ce que je veux maintenant, pas
uniquement pour maintenant, mais pour une éternité de fois = Vouloir vraiment une
action c'est s'engager à vouloir revivre l'éternel retour de mon action à l'identique. La
pensée de l'éternel retour nous apprend ainsi à vraiment vouloir ce que nous voulons. Il ne
s'agit pas seulement de vouloir comme ça à la légère comme on dit= l'éternel retour est la
pensée la plus lourde car elle demande de nous engager éternellement par rapport à nos actes.
Agir en pensant à l'éternel retour ce n'est donc jamais vouloir faire ceci maintenant (bavarder)
mais s'engager à le vouloir pour l'éternité= s'engager à vouloir que mon acte revienne à
l'identique pour toujours. C'est vouloir inscrire dans le marbre de l'éternité le moindre de
mes actes même les plus anodins. La vie devient lourde de responsabilité, car nous devons
penser que nous sommes responsables de la reproduction infinie de nos actes au moment
d'agir.

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Vouloir bavarder ce n'est donc jamais seulement vouloir bavarder, ce doit être vouloir
bavarder pour toujours, vouloir que mon action revienne à l'identique pour l'éternité.
S'engager dans l'action c'est donc s'y engager pour l'éternité, il faut donc bien se
demander si on veut réellement faire ce qu'on fait: le poids de l'éternité m'interroge quant à
la réalité de mon désir, me demande de bien peser ma décision avant d'agir car cela reviendra
éternellement à l'identique (du moins je dois le penser).
La "pensée la plus lourde"= réfléchis bien à ce que tu veux faire car tu t'engages pour
l'éternité= si tu blesses quelqu'un il s'agit non de savoir si c'est bien ou mal mais de savoir si
tu es en capacité de pouvoir assumer le retour de cette même action éternellement. Si tu
l'es alors agis mais si tu ne l'es pas alors n'agis pas.
En ce sens, Nietzsche n'est pas un penseur du bonheur si on entend par bonheur un état qui
aurait exclu la souffrance: tout vouloir à l'identique c'est être capable de vouloir l'éternel
retour à l'identique de telle ou telle souffrance terrible que j'ai vécue, c'est vouloir l'éternel
retour à l'identique de mon accident en montagne, de mon séjour à l'hôpital, le retour à
l'identique de ma blessure, de son opération, de ma convalescence: c'est vouloir l'éternel
retour à l'identique de la mort d'une personne que j'aime: le critère de l'éternel retour ne peut
donc pas être le bonheur, puisqu'il y va d'un amour pour la vie qui est tel que cet amour doit
accepter d'en revivre dans la souffrance extrême les aspects les plus horribles. Le critère de
l'éternel retour n'est pas le bonheur, ce n'est pas de faire revenir à l'identique seulement les
bons moments de ma vie, il faut vouloir avec la même intensité et le même amour les pires
moments de son existence. Il s'agit de s'élever à un amour capable d'embrasser et de vouloir
le retour à l'identique de mes moments de malheur. Or comme nous l'avons vu tout homme
cherche le bonheur et à être heureux, comment pourrait-il vouloir le retour du malheur?
Pour Nietzsche, l'aspiration au bonheur est encore un frein à l'amor fati, celui qui se décide à
aimer la vie comme elle est doit s'en débarrasser. En fait Nietzsche fait l'éloge des âmes
fortes= seul celui qui est en grande santé peut vouloir endurer les plus fortes douleurs un
nombre infini de fois. L'aspiration au bonheur c'est pour celui que Nietzsche appelle le
"dernier homme": celui qui ne croit plus en rien, qui ne désire pas se dépasser, inventer de
nouvelles valeurs après la "mort de Dieu", mais préfère son bien-être et sa sécurité, il n'a plus
d'ambition, il est l'homme qui résulte de l'extinction du christianisme, qui n'a plus de grande
cause à défendre qui puisse le dépasser. C'est l'homme qui refuse de surmonter le nihilisme=
la perte d'autorité des valeurs provoquée par l'extinction de la religion et la mort de Dieu.
Mais attention l'homme qui dit oui au retour de la souffrance n'est pas malheureux. Mais son
bonheur ne dépend pas du plaisir et ne consiste pas dans la recherche du plaisir et le rejet de la
souffrance. Nietzsche ne rejette donc pas le bonheur mais le bonheur comme hédonisme (=
recherche du plaisir refus de la douleur).
L'homme capable de dire oui à la vie est celui qui accepte de revivre des épisodes de
souffrance à nouveau une infinité de fois parce qu'il tire une satisfaction de la vie sous
toutes ses formes: ce qu'il aime c'est la vie quelle que soit la forme qu'elle prenne (joie ou
souffrance): en ce sens ce qui le rend heureux c'est la vie comme telle, quelle que soit les
épreuves qu'elle impose. Ce qu'il cherche c'est à étendre la vie= à vivre plus= à vivre plus
intensément. Or cette intensité il la trouve dans les épisodes de grande joie comme de
grande tristesse ou de détresse. C'est pour cela qu'il ne rejette pas la souffrance mais la
désire car elle est une forme que prend la vie.

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Il aime éprouver la vie que cette épreuve de la vie en lui prenne la forme d'une joie ou d'une
souffrance: il dit oui au retour des deux, autrement dit à la vie en totalité. Il y a donc bien
une joie qui accompagne son amour de la vie, car c'est la vie sous toutes ses formes qui le
réjouit. Le surhomme= l'homme qui doit venir après le type humain façonné par le
christianisme, valorise toutes les formes que peut prendre la vie: un immense chagrin lié à
la perte d'un être aimé par l'intensité de la souffrance qu'elle implique, consiste aussi en un
accroissement de la vie en nous. Et celui qui aime la vie accepte son mouvement propre de
s'accroître et de s'intensifier= il veut ces immenses douleurs au même titre que les immenses
joies. Il dit oui à tout. Il veut la vie= il veut donc la volonté de puissance en lui (=
l'accroissement de la vie) et hors de lui.
En tant qu'elle consiste en une manifestation de la vie et que c'est la vie dans son ensemble
qu'aime le surhomme, la souffrance est acceptée et voulue par lui en tant qu'il est l'homme
qui dit oui à l'épreuve de l'éternel retour de la vie en totalité.

5. Le danger du nihilisme. Pour Nietzsche, la "mort de Dieu" entraine le nihilisme= plus


rien n'a de valeur, les valeurs ont perdu leur fondement, tout se vaut car les valeurs du
christianisme se révèlent sans valeur à partir du moment où la croyance en Dieu n'existe
plus. Les valeurs du bien et du mal se révèlent n'être que des constructions humaines et non
des phénomènes objectifs provenant de Dieu. Sans Dieu: les valeurs ont perdu leur valeur=
nihilisme= tout se vaut et ne vaut rien= rien ne vaut la peine parce que rien n'a de
valeur. Le nihilisme c'est quand il n'y a plus de réponse à la question "à quoi bon?"= à quoi
bon agir ainsi plutôt qu'autrement (perte des valeurs morales)? A quoi bon vivre plutôt que
non (perte du sens de l'existence)? On entre dans le désespoir que résume le syllogisme du
personnage de Smerdiakov dans Les Frères Karamazov (à retenir dans le carnet des
exemples): Si Dieu n'existe pas alors il n'y a plus ni bien ni mal alors le mal n'existe pas donc
le meurtre est permis. DANGER: LE NIHILISME MENE L HUMANITE A SA PERTE, IL
FAUT LE SURMONTER ET LE BUT DE LA PHILOSOPHIE DE NIETZSCHE EST DE
PREPARER LE DEPASSEMENT DU NIHILISME.
Pour Nietzsche, afin de surmonter le nihilisme, il faut de nouvelles valeurs cette fois-ci,
contrairement aux valeurs chrétiennes, favorables à la vie. Les valeurs du christianisme sont
des valeurs mortifères= des valeurs hostiles à la vie qui étaient donc forcément condamnées
à disparaître pour laisser place au nihilisme. Il faut donc bien retenir que le nihilisme est la
conséquence inéluctable du christianisme= en érigeant des valeurs défavorables à
l'épanouissement de la vie le christianisme a promu un système de valeurs qui ne pouvait pas
tenir éternellement= ses valeurs étaient condamnées à terme à se dévaloriser= cette
dévalorisation des valeurs chrétiennes, ce mouvement de déchristianisation de l'Europe
qui débute au XIXeme siècle débouche sur le nihilisme. Le nihilisme c'est la découverte de
l'absence de valeur des valeurs auxquelles on croyait jusqu'à présent. Il faut, pour le
surmonter, la création de nouvelles valeurs.
Une de ces nouvelles valeurs qui doivent s'imposer aux hommes dans le futur c'est l'éternel
retour qui doit devenir une valeur, une nouvelle norme de vie. Pour le moment, l'éternel
retour n'est qu'une pensée que Nietzsche propose à son lecteur, Nietzsche dit qu'elle doit
devenir une valeur, une norme de vie. Au lieu des valeurs chrétiennes qui ont pour but de
défendre le faible contre le fort - et qui, parce que trop contraires à l'épanouissement de la

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vie, aboutissent au nihilisme, l'éternel retour permet d'éliminer les faibles qui sont
incapables de supporter l'idée que tout reviendra une infinité de fois. L'éternel retour servira
de critère de sélection, il poussera les hommes faibles au désespoir et les fera disparaître. Il
permettra aux hommes forts de s'imposer et d'imposer de nouvelles valeurs, et ainsi de
dépasser le nihilisme qui a saisi le monde occidental. L'éternel retour va permettre d'établir
une sélection parmi les hommes et de ne conserver que ceux qui sont capables de vivre avec
cette pensée. L'éternel retour constitue ainsi un "principe sélectif, au service de la force": "je
propose la grande épreuve: qui supporte cette pensée de l'éternel retour? Celui qu'on peut
anéantir avec les mots "tout reviendra à l'identique", qu'il disparaisse. Je veux des guerres,
avec lesquelles ceux qui ont le courage de vivre chassent les autres: cette question doit
dénouer tous les liens et éliminer ceux qui sont lassés du monde - vous devez les expulser, les
pousser au désespoir" (Nietzsche, Fragments posthumes).
L'éternel retour a pour fonction de surmonter le nihilisme, de nous débarrasser des faibles et
de permettre aux forts d'agir et de créer des valeurs nouvelles plus en accord avec les
exigences de la vie, plus favorables à son épanouissement et à son accroissement. Il y a
donc un bienfait de la pensée de l'éternel retour: celui de surmonter la terrible crise qui frappe
l'Europe: le nihilisme.

Conclusion: Pour les Stoïciens et Nietzsche, l'amor fati cela veut dire l'aptitude à dire oui à
la vie dans son entier, à aimer la vie comme elle est et donc à tirer une joie du simple fait
d'être au contact de la vie (de la ressentir en nous et de la voir hors de nous) quelle que soit la
forme qu'elle prenne. Chez Nietzsche c'est ainsi tirer une joie devant le tragique et le
douloureux, y compris dans la tristesse et la souffrance EN TANT QU'ELLES SONT
DES EXPRESSIONS DE LA VIE. Or la vie est aimée en tant que telle et pour elle-
même: nous l'aimons et à son contact nous tirons une joie, une joie qui peut affleurer à
même la douleur, le deuil, la tristesse, en tant qu'elles sont toutes des manifestations de
la vie et que la vie est aimée et voulue par l'homme fort capable de lui dire oui.

6. Science, religion et vérité chez Nietzsche: On retrouve la problématique abordée avec


Freud: Freud à la fin de L'Avenir d'une religion croyait possible que la science puisse prendre
la place que la religion occupait dans la société. L'argument de Freud est que l'humanité n'est
pas encore adulte, qu'en se débarrassant de ses illusions religieuses, elle passera du stade
infantile au stade adulte et que la science consacre l'âge adulte de l'humanité. Or un adulte ça
n'a plus besoin de se raconter les histoires que l'on raconte aux enfants pour les rassurer, de
sorte que l'humanité devenue adulte sera comme l'enfant qui une fois devenu adulte sera
capable de renoncer aux illusions dont il a eu besoin jusqu'à présent pour affronter la réalité.
Nietzsche s'oppose à Platon sur la vérité. Il y a chez Platon une opposition entre un monde
vrai=monde intelligible où se trouvent les Idées (= les vraies choses)) et un monde faux=le
monde sensible, monde des apparences qui ne sont que des copies des vraies choses (= des
Idées). Pour Nietzsche, la vérité est toujours le produit d'une évaluation/interprétation
subjective qui se présente comme dotée d'une valeur objective= capable de porter sur les
faits objectifs de la réalité, alors que l'impression d'avoir à faire à des faits objectifs résulte de
l'évaluation subjective qui se qualifie elle-même de vraie, que Nietzsche condamne comme
une valeur réactive et mortifère dont il faudra se débarrasser car elle vise à disqualifier

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la vie sensible qui est la seule vie et le seul monde réellement existant au profit d'une
interprétation unique du monde (= la vérité) et la fiction d'un arrière-monde (= monde vrai par
opposition au monde des apparences sensibles). La science, pour Nietzsche, ne découvre pas
la vérité mais elle l'invente en évaluant le monde d'une certaine façon. Science et religion (+
annexe 10): thèse de Nietzsche: la science prolonge la religion: l'autorité que les hommes
confèrent à la science ne l'oppose pas à la religion mais l'inscrit dans la continuité de la
religion par le culte dont elle fait l'objet. Comme la religion la science procède par hypostase
de son évaluation/interprétation du monde (hypostase= considérer cette évaluation comme la
seule valable) et comme productrice d'arrières-mondes (= le monde de la vérité par-delà le
monde des apparences sensibles (le seul monde réellement existant pour Nietzsche)). En ce
sens, comme la religion, la science est réactive (son évaluation de la vie vise à disqualifier la
vie sensible qui est la seule vie existante).
La science comme la religion sont deux façons de falsifier le monde= de le simplifier: La
science prétend ainsi réduire les phénomènes sensibles aux cas particuliers d'un concept ou
d'un ensemble plus large. Au lieu que chaque phénomène sensible soit reconnu dans sa
différence avec ceux qui suivent, la science pose comme différentes manifestations d'un
même concept= simplification, alors pourtant que le concept ne se trouve que dans l'esprit
du scientifique qui projette sur le monde ce qui ne s'y trouve pas (= le monde est
uniquement fait de diversité, pas d'identité): à savoir ses concepts qui simplifient le monde
sensible donc le falsifient= humanisation de la nature alors que pour Nietzsche la nature n'est
pas le miroir des concepts présents dans l'esprit humain= la nature est inhumaine en ce sens,
elle n'est pas l'exemplification des concepts humains. La science c'est de recouvrir la richesse
du monde par la monotonie des identités: tout ce qui se manifeste est toujours censé
renvoyer à une grille conceptuelle à laquelle le scientifique réduit les apparences sensibles. Le
monde est un flux en devenir sans cesse changeant- "tout coule" "on ne se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve" disait Héraclite (à apprendre par coeur) dont Nietzsche se réclame=
tout change= tout est en devenir= rien ne revient jamais au même, rien n'est jamais
exactement la même chose dans la vie, or poser un concept comme moyen d'interpréter le
réel c'est poser que tout revient toujours au même (au même concept= à la même identité). Par
exemple: je me baigne aujourd'hui dans ce fleuve puis demain, du point de vue conceptuel
c'est le même fleuve, alors pourtant que tout a changé (ce n'est plus la même eau): ce
changement du monde (le fait que les apparences sensibles ne cessent de se renouveler sans
cesse) le concept scientifique est incapable de le saisir et d'en rendre compte (contrairement à
l'artiste par exemple): il pose comme identique ce qui ne l'est pas!
La science retire aux apparences sensibles leur ambiguïté, elle ramène les apparences
sensibles plurivoques (= capable de pouvoir être évaluées de façon multiple) à l'univocité des
concepts scientifiques qui les interprètent (la science pose qu'elle est la seule voie vers la
réalité telle qu'elle est) ce qui permet de poser un monde vrai par-delà les apparences
sensibles qui sont posées comme n'étant que des exemplifications, des manifestations, de cette
vérité que décrivent nos concepts. C'est une falsification par simplification de la réalité qui
est toujours susceptible d'interprétations différentes. La science n'est qu'une interprétation
parmi d'autres du monde mais une interprétation hégémonique faisant l'objet d'un culte, en ce
sens elle prolonge la religion.

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Pour Nietzsche, contrairement à Nietzsche, les sciences sont insuffisantes à remplacer la
religion car les sciences ne donnent aucune raison de vivre, elles sont incapables de prendre
la place de la religion d'où le nihilisme. Le monde a perdu son sens, la "mort de Dieu"
entraîne la perte des valeurs qui soutenaient la civilisation occidentale car elles prenaient
toutes sens par rapport à Dieu et d'abord les valeurs morales. La dévalorisation des valeurs
entraîne l'émergence d'un type humain misérable incapable de se dépasser vers la création
de nouvelles valeurs= le dernier homme.
Deux solutions: tendre vers le surhumain pour inventer de nouvelles valeurs, ou sombrer
dans le nihilisme, ce qui aboutit au dernier homme.
Le dernier homme c'est l'homme sans volonté, qui refuse la souffrance et ne veut que le
bien-être: ""Nous avons inventé le bonheur" disent les derniers hommes et ils clignent des
yeux" (Ainsi parlait Zarathoustra). Nietzsche n'est pas un penseur du bonheur si on entend
par bonheur l'aspiration au bien-être et au confort qui caractérise l'homme sans volonté, le
dernier homme issu du nihilisme. En revanche, Nietzsche parle de "joie tragique" pour celui
qui se rend capable de dire oui à la vie.

Conclusion de l'ensemble: Pour les stoïciens: l'amor fati est l'amour du destin qu'éprouve
l'homme heureux: heureux pourquoi? Parce que plus aucun malheur ne l'accable, le
malheur résultant du fait de désirer un indifférent comme un bien: la mort d'un proche n'est un
malheur qui provoque l'extrême de la détresse et du chagrin en moi (= passions) que parce que
j'ai commencé par désirer comme un bien la vie de mes proches et par avoir en aversion leur
éventuelle disparition. Or la vie de mes proches appartient au destin qui ne dépend pas de
moi. La vie n'est pas tragique en elle-même comme le pense Nietzsche, elle n'est tragique
pour Epictète qu'à celui qui s'est mis à mal désirer.
Montaigne critique de l'ataraxie d'Epicure et des Stoïciens: Montaigne dira tout autant
contre Epicure que contre les stoïciens que l'impassibilité devant le destin est impossible: que
ce n'est pas une morale dont l'humain soit capable. Aucun humain n'en est capable car
l'absence de troubles en toutes circonstances est inaccessible aux humains dit Montaigne:
"c'est chose tendre que la vie et aisée à troubler" (Montaigne, à apprendre par coeur).

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