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Orthod Fr 2016;87:321–328 Disponible en ligne sur : Article original

c EDP Sciences, SFODF, 2016


⃝ www.orthodfr.org
DOI: 10.1051/orthodfr/2016029

Croissance et implants dentaires : évaluation


et prévention du risque esthétique
Philippe BOUSQUET1 , 3 *, Hélène ANSERMINO1 , Pierre CANAL2 , Matthieu RENAUD3 ,
Christèle ARTZ2
1
Département de Parodontologie, Université Montpellier 1, 545 avenue du Professeur Jean-Louis Viala, 34193 Montpellier Cedex 5,
France
2
Département d’Orthodontie, Université Montpellier 1, 545 avenue du Professeur Jean-Louis Viala, 34193 Montpellier Cedex 5, France
3
Laboratoire Biologie Santé et Nanoscience EA42503, Université Montpellier 1, 545 avenue du Professeur Jean-Louis Viala,
34193 Montpellier Cedex 5, France

(Reçu le 1er novembre 2015, accepté le 8 mars 2016)

MOTS CLÉS : RÉSUMÉ – L’utilisation d’implant en remplacement d’une dent est une technique
Implants dentaires / bien connue à ce jour. Cependant, le praticien doit garder à l’esprit que les implants
Infraclusion / ostéointégrés se comportent comme des dents ankylosées, et que leur évolution
Esthétique / ne suit pas les procès alvéolaires des dents adjacentes au cours de la croissance.
Croissance faciale Cette croissance diminue après 20 ans, mais reste présente. Ceci peut conduire
à une infraposition des implants préjudiciable fonctionnellement et esthétiquement.
Les facteurs de risque, tels que l’âge du patient, le type facial et le sexe, doivent
être évalués. Le positionnement plus palatin de l’implant et l’utilisation de prothèses
trans-vissées peuvent permettre une compensation de cette infraclusion au cours
des années de vieillissement.

Clinique et varia
KEYWORDS: ABSTRACT – Growth and dental implants: assessment and prevention of the
Dental implants / long-term aesthetic risk. Using implant to replace a tooth is a well known treatment.
Infraposition / However, the practitioner must keep in mind that osteointegrated implants behave
Aesthetics / like ankylosed teeth, and their evolution does not follow the alveolar processes of
Maxillary growth the adjacent teeth during growth. This growth decreases after 20 years, but remains
present. This can lead to infraposition functionally and aesthetically failure for the
implant therapy. Risk factors, like patient’s age, sex and shape of the face must be
evaluated. Most palatal implant positioning and use of screwed prosthetic tooth can
permit the infraposition treatment during years of aging.

1. Introduction Le positionnement de l’implant par rapport aux


dents adjacentes a également des conséquences ; il
Dans les secteurs antérieurs, particulièrement au
va conditionner l’alignement des collets, la taille et la
maxillaire, le positionnement des implants est un
forme de la prothèse et la présence de la papille [11].
facteur déterminant pour un résultat esthétique sa-
Au cours du vieillissement, un changement de posi-
tisfaisant [8]. Le positionnement dans l’enveloppe
tion des dents adjacentes peut dégrader le résultat
osseuse devra ménager une épaisseur osseuse vesti-
esthétique. Cette migration peut être pathologique,
bulaire de 2 mm au minimum et au mieux de 3 mm
suite à une maladie parodontale, une parafonction
pour une qualité de profil d’émergence optimale
ou une dysfonction linguale. Mais ces mouvements
et une stabilité dans le temps [9]. Cette épais-
peuvent également faire suite à un phénomène phy-
seur osseuse va conditionner la qualité et la stabi-
siologique, la croissance.
lité des tissus mous évitant une récession gingivale.
Dans les années 60, Björk et al. [6, 7] étudient la
* Auteur pour correspondance : dr.philippebousquet@free.fr croissance faciale, chez l’enfant et l’adolescent avec

Article publié par EDP Sciences


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des implants de repérage fixes qui ne suivent pas massif facial. Sa croissance sera sous l’influence de
l’éruption spontanée des dents naturelles. Plus tard, son environnement osseux adjacent et des différentes
Thilander, et al. [25] montrent, chez le jeune ado- fonctions (respiratoire, masticatoire...).
lescent présentant des réhabilitations implantaires, Sa croissance a plusieurs origines : une crois-
que des complications fonctionnelles et esthétiques sance au niveau des sutures et une croissance mo-
sont fréquentes si la croissance est présente. Des dé- delante d’origine périostée (apposition et résorption
fauts osseux péri-implantaires adjacents aux dents osseuse).
en éruption peuvent apparaître, ou encore une in- Elles s’effectuent simultanément dans les diffé-
fraclusion des restaurations prothétiques implanto- rents plans de l’espace
portées. De nombreuses études animales ont égale-
ment confirmé que les implants dentaires ne suivent 2.1.1. Croissance sagittale
pas la croissance [20, 22, 24]. Elle présente une composante marquée
La conclusion d’une conférence de consensus de antéro-inférieure, permise par le système sutu-
2007 indique que le positionnement de l’implant de- ral péri-maxillaire. Le septum nasal entraîne un
vra être fait une fois la croissance cranio-faciale ache- déplacement maxillaire vers le bas et l’avant. Ce
vée [16]. La manière de fixer la fin de croissance développement antéro-inférieur peut atteindre 3 cm
a été associée à une évaluation de l’âge osseux, qui entre l’âge de trois ans et la fin de la croissance. Pour
peut être faite grâce à différentes mesures, particu- Björk [6], cette croissance n’est pas linéaire mais
lièrement par la radiographie de la main ou des ver- courbe, plus sagittale pendant la période juvénile et
tèbres [14, 17]. Or, de nombreuses études montrent plus verticale pendant l’adolescence. La croissance
que la croissance des maxillaires, après la période antéro-postérieure du maxillaire dépend aussi de sa
pubertaire, n’est pas achevée et continue sous la croissance transversale.
forme de phénomènes de remodelage durant toute
la vie, se différenciant entre l’homme et la femme. 2.1.2. Croissance transversale
Face aux exigences esthétiques, ne pas tenir L’élargissement du maxillaire dépend du système
compte de ces phénomènes risque de conduire à de sutures sagittales et maxillo-malaires. La crois-
des complications esthétiques et fonctionnelles ma- sance transversale de l’arcade alvéolo-dentaire et de
Clinique et varia

jeures. sa base maxillaire s’effectue au niveau de la suture


palatine transverse.
2. La croissance faciale
2.1.3. Croissance verticale
Le crâne embryonnaire est formé de deux grandes
La croissance verticale du maxillaire est due au
parties : le neurocrâne et le viscérocrâne. Ce der-
déplacement sutural passif et à la croissance mode-
nier nous intéresse plus particulièrement, il formera,
lante de la crête alvéolaire.
entre autres, le squelette facial avec le massif facial
supérieur, la mandibule et les procès alvéolaires. De 2.2. Croissance de la mandibule
plus, il existe une différence fondamentale entre la
La mandibule est la seule pièce osseuse mobile
croissance du maxillaire et celle de la mandibule, dif-
de tout le crâne. Sa croissance dépend essentielle-
férence liée à leur constitution biologique ; ce n’est
ment des fibro-cartilages condyliens et de la crois-
pas le même type d’os. Cette différence est surtout
sance modelante d’origine périostée (apposition et
liée à la dynamique de leur fonction.
résorption osseuse), et se réalise dans les trois plans
Il y a des variations individuelles considérables
de l’espace.
dans le calendrier, la durée et l’intensité de la crois-
sance qui se produit dans le complexe cranio-facial
2.2.1. Croissance sagittale
pendant l’enfance et l’adolescence.
En longueur, elle dépend essentiellement de la ré-
sorption du bord antérieur et de l’apposition osseuse
2.1. Croissance du maxillaire
du bord postérieur de la branche montante. Le corps
Le maxillaire est la pièce squelettique autour de s’allonge au fur et à mesure que la branche montante
laquelle s’articulent les autres pièces osseuses du se résorbe.
Bousquet P., Ansermino H., Canal P., Renaud M., Artz Ch. Croissance et implants dentaires 323

2.2.2. Croissance transversale La croissance chez l’enfant et l’adolescent est bien


documentée mais le remodelage (ou croissance) qui
La croissance en largeur dépend de la croissance
intervient à l’âge adulte a fait l’objet de beaucoup
en longueur à cause de la forme divergente posté-
moins d’études.
rieure de l’arc mandibulaire. La croissance modelante
participe aussi à cet élargissement. Tallgren et Solow [23] comparent les valeurs
La dimension verticale est principalement déter- de hauteur dento-alvéolaire sur une population de
minée par l’activité des cartilages condyliens. Au 191 femmes séparées en trois groupes d’âge (A :
cours de la croissance, la mandibule se déplace vers 20−29 ans ; B : 30−49 ans et C : 50−81 ans). Les
le bas et l’avant par l’action conjuguée de la crois- résultats montrent qu’il y a une augmentation de
sance condylienne et alvéolaire. Björk, et al. [7] ont hauteur osseuse dans les groupes les plus âgés (B et
classiquement décrit deux typologies opposées qu’ils C) par rapport au groupe A. La différence entre les
appellent : « la rotation antérieure » et « la rotation pos- groupes B et C est négligeable. Bischara, et al. [4, 5]
térieure », expliquées par un différentiel de croissance montrent, par des analyses céphalométriques sur
condylienne et alvéolaire. une population évoluant de 25 à 45 ans, des chan-
gements du complexe cranio-facial. Les mesures ini-
tiales sont réalisées sur 175 patients. Pour les résul-
2.3. Croissance alvéolaire
tats après 20 ans d’évolution, seulement 30 patients
La croissance alvéolaire est dépendante de la den- seront inclus dans l’étude. Les résultats montrent
tition : les procès alvéolaires vont se développer avec que la croissance ne cesse pas à l’âge adulte, mais
l’éruption et la mise en fonction des dents et du qu’elle continue de façon plus lente et difficilement
desmodonte. perceptible, mais statistiquement significative. Dans
Pour la plupart des auteurs, la croissance alvéo- tous les cas, il est constaté que, malgré une lon-
laire a un rôle de rattrapage entre la croissance maxil- gueur d’arcade dentaire augmentée en circonférence,
laire et mandibulaire. Cette compensation se fait l’encombrement antérieur est plus marqué. Pour les
aussi bien dans la dimension antéro-postérieure que hommes, le profil général convexe squelettique aug-
dans la dimension verticale, jouant aussi un rôle im- mente par une proéminence du maxillaire, bien qu’il
portant dans la hauteur de la face. Les procès alvéo- soit une évolution vers le retrait des lèvres supérieure

Clinique et varia
laires ne cesseront d’être remodelés tout au long de et inférieure par rapport au nez et au menton. Pour
la vie, de façon à compenser l’usure occlusale ainsi la femme, le profil squelettique devient plus convexe
que la dérive mésiale physiologique. Ils seront sou- par une rotation postérieure de la mandibule même
mis aux forces musculaires et aux fonctions environ- si les tissus mous ont une tendance à être en retrait
nantes de toutes sortes, contribuant à la forme des par rapport au nez et au menton.
arcades alvéolaires. Leur direction de croissance est En 2007, Fudalej, et al. déterminent et quanti-
oblique en bas et en dehors au maxillaire, et en haut fient le pourcentage de croissance verticale du sque-
et en dedans à la mandibule, expliquant ainsi que la lette facial et le pourcentage d’éruption des incisives
mandibule soit circonscrite par le maxillaire. centrales et des premières molaires après la puberté,
ceci dans le but de fixer l’arrêt de la croissance pour
3. Changements squelettiques un traitement implantaire plus stable [15]. L’étude
cranio-faciaux au fil du temps est réalisée sur le résultat de mesures céphalomé-
triques chez 301 sujets (645 au début de la sélec-
Les composants cranio-faciaux ont une compo- tion), 142 hommes et 159 femmes. Les résultats
sante unique. Cette hétérogénéité entre les individus montrent une croissance faciale antérieure (distance
doit être prise en compte dans l’ensemble des trai- N-Me) importante dans les deux premières décades,
tements dentaires, qu’ils soient orthodontiques, im- puis l’augmentation verticale de la face est nettement
plantaires ou bien prothétiques [7, 19]. Même s’il est diminuée mais présente entre 20 et 50 ans. Il est ce-
commun de dire que la croissance s’arrête après la pendant à noter que dans 60 à 70 % des cas, pour
puberté, certaines études montrent pourtant que des les deux sexes, l’augmentation verticale de la face a
changements importants peuvent se produire beau- aussi été présente pour l’étage inférieur. Cette étude
coup plus tard. met en évidence que même la croissance staturale
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terminée, la croissance verticale de la face et l’érup-


tion des dents continue après la puberté. Les résul-
tats indiquent que la croissance verticale de la face
est un procédé continu, même si la quantité de crois-
sance diminue avec le temps surtout après 20 ans.
Il est à noter qu’une différence de croissance entre
les deux sexes est présente. Le taux d’éruption des
incisives et la croissance des procès alvéolaires sont
plus importants chez les femmes. Les auteurs in-
diquent certaines limites dans cette étude, à savoir
qu’ils n’ont pas distingué les sujets avec un visage
court de ceux avec un visage long. La dynamique Figure 1
de croissance est différente en fonction du morpho- Infraclusion de la réhabilitation prothétique implanto-portée
type du patient. Ils mettent en garde quant à la pose de 46 chez une patiente de 54 ans. La pose de l’implant a
d’implant chez les sujets avec une croissance trop été effectuée 14 ans auparavant.
verticale.

4. Conséquence de la croissance
sur l’évolution de la position
des implants
En l’absence de ligament, l’ostéointégration des
implants conduit à une immobilité totale. Le paral-
lèle peut être fait avec les dents ankylosées [1, 18]. Figure 2
La croissance alvéolaire se fait sur une surface libre Patiente de 27 ans, six ans après la pose d’un implant suite à
par apposition osseuse. Un implant, ou une dent an- une agénésie de 22. Présence de décalages par rapport aux
kylosée, n’ont pas de surface libre. Il n’existe donc dents adjacentes, léger au niveau du bord incisif, plus mar-
Clinique et varia

pas de processus de croissance autour des implants. qué au niveau des collets. Notez l’ouverture d’un diastème
mésial.
Les implants comme les dents ankylosées ne par-
viennent pas à entrer en éruption pendant la crois- sifs avec les dents adjacentes (Fig. 2) ou plus marqué
sance du visage, et ne suivent pas les changements par un décalage important des bords incisifs et une
continus des procès alvéolaires, comme le font les infraclusion (Figs. 3a−3c). Dans les cas complexes,
dents adjacentes. Ceci conduit à une infraposition un décalage vestibulaire de l’implant peut entraîner
qui peut être rapide et importante chez l’enfant et une perte osseuse associée à une récession gingivale
l’adolescent ou plus lente chez l’adulte. L’implant (Figs. 4a−4c).
dans les secteurs molaire et prémolaire n’évolue pas Il existe peu d’études sur le sujet, et la littéra-
comme les dents adjacentes. Après cinq ans, 60 % ture présente beaucoup de rapports de cas. Dans une
des couronnes implanto-portées postérieures n’ont étude rétrospective, Bernard, et al. [3] comparent
plus de point de contact avec les dents adjacentes, l’évolution de la position des implants dans deux
ce qui entraîne dans 40 % des cas des tassements ali- groupes, un concernant des adultes jeunes (15,5 à
mentaires avec des conséquences parodontales im- 21 ans au moment de la chirurgie, n = 14) et un
portantes [27]. Une infraposition peut également autre des adultes matures (40 à 50 ans au moment
apparaître (Fig. 1). de la chirurgie, n = 14). Les mesures de comparai-
L’infraposition peut avoir des conséquences re- son sont effectuées après un temps moyen de 4,2 ans
marquables dans le cas de pose d’implant dans le (de 13 mois à 9 ans).
secteur antérieur maxillaire. L’impact esthétique peut Dans le groupe jeune, tous les patients ont mon-
être discret par une ouverture du point de contact, tré une infraclusion de 0,1 à 1,65 mm et certains un
un changement dans le volume et l’aspect des tissus changement de l’alignement des collets de 1 à 3 mm.
périimplantaire et un léger décalage des bords inci- Dans le groupe mature, tous les patients avaient une
Bousquet P., Ansermino H., Canal P., Renaud M., Artz Ch. Croissance et implants dentaires 325

a b c
Figure 3
Patiente de 64 ans présentant un implant en position de 11. Après 22 ans, les décalages des bords libres et des collets sont
importants. Le décalage est associé à une infraclusion et une position plus palatine de la couronne implanto-portée.

a b c
Figure 4
Patiente de 26 ans présentant un implant posé il y a huit ans en position de 11. Présence d’un décalage important des bords libres
et des collets. La position de la couronne a été déplacée vers le vestibule, et une récession gingivale est visible. La superposition
photographique en symétrie met en évidence un décalage important sur l’implant de 11, mais également sur 12.

différence entre le bord libre de l’implant et les dents Pour le groupe des patients de plus de 30 ans, l’in-
adjacentes de 0,12 à 1,86 mm. fraclusion était de 0,27 ± 0,24 % par an.

Clinique et varia
Récemment, Chang et Wennstrom [10] ont ob- Andersson, et al. [2] suivent 34 patients pour une
servé dans la région incisive un décalage de 0,1 mm période de 17 à 19 ans. L’étude est faite en comparai-
à un an, 0,4 mm à cinq ans et 0,5 mm à huit ans. son de radiographies (distance col de l’implant-collet
Sur les 31 implants observés, 60 % montraient des des dents adjacentes), de photographies et de mou-
décalages verticaux par rapport aux dents adjacentes lages. Un total de 70 % des patients présente une
avec un maximum de 1,2 mm. infraposition dont 35 % sont supérieures à 1 mm.
Dierens, et al [13] examinent 21 patients (24 im- Les scores d’infraposition les plus élevés sont chez
plants) avec un recul de 16 à 22 ans après la chirur- les sujets de moins de 30 ans, les femmes et les pa-
gie. La majorité des cas montrent une infraclusion tients dolichofaciaux, sans que cela soit statistique-
(17 implants sur 24, ce qui représente 71 %). ment significatif.
Schwartz-Arad, et al. évaluent, dans une étude Thilander, et al. [26] évaluent les effets à long
rétrospective, le potentiel d’éruption des dents terme sur l’occlusion et l’os marginal des implants
adjacentes à des restaurations implantaires chez placés chez 18 adolescents. Ils constatent une perte
35 patients en deux groupes, 30 ans ou moins (n = osseuse marginale au maxillaire supérieur dans le
22), plus de 30 ans (n = 13) [21]. L’échantillon cas de remplacement des incisives latérales par rap-
était composé de 14 femmes et 21 hommes. Les cri- port aux canines et incisives centrales. Il existe aussi
tères d’inclusion contenaient la présence d’un im- un changement longitudinal avec une infraclusion
plant unitaire en position d’incisive centrale, avec de 0,13 mm la première année, et jusqu’à 0,98 mm
des dents adjacentes naturelles. La période de suivi au bout de 10 ans pour 10 des implants dans la ré-
était de 7,5 ± 4,15 ans. Les résultats montrent une gion incisive maxillaire. Pour les 8 autres, également
plus forte complication chez les sujets de moins de dans la région incisive maxillaire, une infraposition
30 ans avec une infraclusion de 1,02±0,46 % par an. de 0,6 a 1,6 mm était déjà présente après 3 ans. Ils
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Adolescence

Figure 5
Représentation schématique de la croissance, en fonction de la typologie, et ses conséquences sur la position d’un implant
antérieur.

en concluent à l’intérêt de positionner des implants lages implant-dents adjacentes. Ce phénomène a été
en secteurs prémolaires chez l’adolescent mais pré- décrit pour les dents ankylosées où les répercussions
viennent du risque et des conséquences importantes de la croissance sont les mêmes [18]. Par contre, au-
d’implanter en zone esthétique. cune étude ne donne de différence entre les typolo-
gies mésofaciale et brachyfaciale, mais cet élément a
5. Discussion sur les déficits esthétiques été peu étudié.
implantaires liés à la croissance Le problème de cette infraposition peut égale-
Il est difficile de tirer des conclusions sur l’in- ment être soulevé pour la pose d’implants dans les
fluence de la croissance sur le devenir des im- secteurs postérieurs. Dans ces zones, les implants
plants. Les études présentées sont peu nombreuses et peuvent être posés en remplacement de dents, et
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portent sur des échantillons dont le nombre de sujets dans un but d’ancrage orthodontique. Si le patient
est peu important. Les études de vieillissement à long est jeune, les conséquences esthétiques devront être
terme sont intrinsèquement difficiles à mener, car il y évaluées car une infraclusion va apparaître au fil des
a beaucoup de limitations. Pour des études cliniques années. Le traitement prothétique à l’âge adulte de-
prospectives, le suivi sur de longues périodes n’a pas vra être repris et sera plus complexe.
été réalisé.
Néanmoins, les études rétrospectives existantes 6. Gestion des déficits esthétiques
montrent que le différentiel de croissance entre im- et fonctionnels implantaires liés
plants et dents adjacentes est constant, avec une va- à la croissance
leur variable en fonction de certains facteurs. Une
valeur moyenne de 0,13 mm par an pour Thilan- 6.1. Prévention des déficits
der [26] masque certains cas de son échantillon où La prévention passera d’abord par l’évaluation
l’infraclusion après sept ans était de 2,2 mm, bien des facteurs de risque. Le morphotype en fait par-
que le patient n’ait pas augmenté en taille. tie. Chez les dolichofaciaux, l’infraposition est plus
Chez certains patients, le phénomène est négli- rapide car associée à une croissance verticale en hau-
geable, chez d’autres il est rapide et important. Dans teur des procès alvéolaires, qui vient compenser le
tous les cas, il touche 70 à 80 % des patients dans décalage de bases osseuses maxillaires et mandibu-
les secteurs antérieurs quels que soient l’âge et le laires. A l’opposé, chez le brachyfacial, il y a peu
sexe. Bien que cela soit peu significatif, il semble- de croissance alvéolaire au niveau antérieur, le bloc
rait que la tendance montre que les femmes soient incisivo-canin bouge peu, entraînant un décalage
plus touchées que les hommes et que le type doli- moins rapide de l’implant (Fig. 5). Il sera donc préfé-
chofacial présente plus d’amplitude dans les déca- rable de retarder la pose de l’implant en fonction de
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l’âge et du type facial bien que ceci soit une tendance, (<1 mm), une réfection de la prothèse et une re-
sans résultats d’études statistiquement significatifs en touche des dents adjacentes peuvent être suffisantes
raison du faible échantillon de patients inclus dans pour rétablir un bon résultat esthétique. Dans les
les études. cas plus complexes, associant décalages importants
Cette croissance étant constante, la prévention in- et récessions gingivales, la dépose de l’implant est
téressera également les phases chirurgicale et prothé- souvent préférable. Dans les secteurs molaires et pré-
tique. Un positionnement plus palatin de l’implant molaires, une réfection de la prothèse permettra de
va permettre, en modifiant le profil d’émergence de rétablir l’occlusion et les points de contact.
la couronne, de réaligner les collets. Dans le cas
d’une dent naturelle, le niveau gingival est influencé 7. Conclusion
par la position de la dent. Un changement de posi- Actuellement, il est commun de dire que la pose
tion dans l’enveloppe osseuse peut permettre d’aug- d’implants dentaires pourra se faire pour les filles en
menter ou de diminuer le niveau gingival [12]. Dans fin de croissance (entre 18 et 20 ans) et légèrement
le cas d’implant, le changement d’axe peut être réa- plus tard pour les garçons. Il se dégage pourtant des
lisé uniquement sur la couronne. L’utilisation d’une études et des constatations cliniques une tendance
prothèse trans-vissée peut permettre le rattrapage du avec une différence de résultat avant et après 30 ans.
décalage au cours des années, d’une manière simple Dans l’absolu, il serait préférable, dans le secteur an-
par un remodelage du cosmétique au niveau du pro- térieur maxillaire, de réaliser la pose des implants
fil d’émergence et du rebord incisif. après 30 ans chez les patients à risques. Les facteurs
de risques sont l’âge, le sexe et le type facial. Il est cer-
6.2. Traitement des déficits tainement très difficile d’annoncer à un jeune patient
L’évaluation de la position de la couronne im- qui présente, par exemple, des agénésies ou l’absence
plantaire devra être faite par rapport aux dents ad- d’une dent antérieure (suite à un traumatisme par
jacentes, sachant que l’absence de croissance de la exemple) et qui attend avec impatience une réhabili-
zone implantaire va affecter leur position. Ces dents tation, que 30 ans serait préférable à 18 ans.
présentent souvent des modifications d’axe, qui Une évaluation du risque et une application des

Clinique et varia
semblent liées à une croissance asymétrique. Ceci mesures de prévention, comme un positionnement
entraîne une version et une infraposition masquée plus palatin de l’implant, semblent indispensables
d’une ou des dents adjacentes à l’implant (Fig. 4c). pour une stabilité du résultat esthétique.
Leur repositionnement sera nécessaire, mais va ag-
graver le décalage. L’évaluation de la position de l’im- Bibliographie
plant, comme dans le cas d’ankyloses, devra donc [1] Andersson L, Blomlof L, Lindskog S, Feiglin B,
être faite après traitement orthodontique des dents Hammarstrom L. Tooth ankylosis: clinical, radio-
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adjacentes si nécessaire.
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Il faut ensuite évaluer la position de l’implant [2] Andersson B, Bergenblock S, Fürst B, Jemt T. Long-term
dans le sens vertical et dans le sens vestibulo-palatin. function of single implant restorations: a 17 to 19-year
En effet, selon l’angulation implantaire, la croissance follow-up study on implant infraposition related to the
pourra créer un décalage vestibulaire ou palatin de la shape of the face and patient’s satisfaction. Clin Implant
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couronne implanto-portée (Figs. 3c et 4b). Le rattra- [3] Bernard JP, Schatz JP, Christou P, Belser U, Kiliaridis S.
page d’un décalage palatin est plus simple à réaliser, Long-term vertical changes of the anterior maxillary teeth
par une augmentation du contour de la couronne. adjacent to single implants in young and mature adults. J
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