L'Information Grammaticale

L'enseignement du français au Maroc : Démarches pédagogiques -

Essai d'évaluation
Farida Chami, Naïma Elbekraoui

Citer ce document / Cite this document :

Chami Farida, Elbekraoui Naïma. L'enseignement du français au Maroc : Démarches pédagogiques - Essai d'évaluation. In:
L'Information Grammaticale, N. 51, 1991. pp. 44-47.

doi : 10.3406/igram.1991.3239

http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1991_num_51_1_3239

Document généré le 27/09/2015

 FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE
L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS AU MAROC
Démarches pédagogiques - Essai d'évaluation
La situation linguistique au Maroc est composite.
Différentes langues - arabe dialectal, berbère, français - se
parlent et se côtoient. La langue maternelle des
Marocains est soit l'arabe dialectal, soit le berbère. C'est à
l'école que l'enfant commence l'apprentissage de l'arabe
classique, qui est comme une langue étrangère. Après
trois années de scolarisation débute l'apprentissage du
français.
CURSUS ÉDUCATIF
1. Enseignement élémentaire
Avant d'entrer à l'école primaire, l'enfant a - en principe
- fréquenté une école coranique ou l'école maternelle,
entre l'âge de cinq ans et l'âge (sept ans) de la
scolarisation officielle. Le cycle primaire couvre six années,
l'enseignement du français commençant au CE2.
2. Enseignement secondaire
Au terme d'un premier cycle de quatre années, l'élève est
orienté vers une filière littéraire, scientifique ou technique.
Le baccalauréat s'échelonne sur les trois années du cycle
secondaire, son obtention dépendant de la moyenne
générale, à coefficient croissant, obtenue par l'élève au
long de ce cycle. Rappelons au passage que la
désignation des classes secondaires est établie par ordre
numérique croissant (de la 1re à la 7e).
3. Enseignement supérieur
Chacune des Facultés (Lettres et Sciences humaines,
Droit, Sciences) comporte deux cycles, dont chacun se
subdivise en deux niveaux. L'obtention du DEUG se fait
au terme de la deuxième année, celle de la Licence au
terme de la quatrième.
De ce rappel sommaire des structures éducatives, on
passera maintenant à une présentation de la pédagogie
du français dans le second cycle secondaire ainsi que
dans les départements de français des Facultés de
Lettres. Par le biais d'une analyse des erreurs chez les
apprenants, on cherchera à mesurer la compétence
44
Farida CHAMI - Naïma ELBEKRAOUI
linguistique des élèves et étudiants, et à déterminer dans
quelle mesure les objectifs assignés par les formateurs
sont atteints.
INSTRUCTIONS OFFICIELLES
1. Changements de doctrine
Trois facteurs sont à l'origine de plusieurs remaniements
des instructions officielles : évolution des notions de base
dans les sciences du langage ; augmentation des horaires
dévolus au français ; arabisation des matières
scientifiques. L'enseignement du français tente de s'adapter
aux contraintes et aux besoins actuels.
2. Teneur des enseignements
Un rappel de la répartition horaire des enseignements de
français dans le cycle primaire est utile pour comprendre
la pédagogie de cette matière au niveau secondaire, ce
que résume le tableau ci-après, extrait des Instructions
officielles sur l'Enseignement du français dans les collèges
et les lycées (Rabat, 1988).
Dans l'enseignement secondaire, les exercices sont
globalement concordants dans les deux cycles. Leurs
objectifs dominants sont : l'acquisition des structures
grammaticales (morphologie verbale et nominale,
syntaxe) ; la formation à la correction phonétique et
orthographique ; l'élargissement du vocabulaire ; l'ouverture à
la civilisation française.
La classe de langue, dans le premier cycle secondaire au
moins, recourt avec divers ajustements à des exercices
structuraux. Qu'il s'agisse de conjugaison, d'orthographe,
de vocabulaire ou de phraséologie, chaque forme est
présentée en situation, expliquée, puis réemployée.
L'entraînement à l'expression orale a pour point de départ
un dialogue. Il est conseillé aux maîtres de proposer des
thèmes motivants, d'introduire les éléments nouveaux à
faire acquérir dans des situations impliquant une activité
communicative. De même, c'est par le truchement de
diverses activités du langage en action que les élèves
sont censés consolider leur maîtrise des structures
 Enseignement secondaire
1r* et 2* année
1a. Elocution
1re heure 1b. Expression parlée
2. En alternance avec : entraînement à
l'expression écrite
1a. Lecture-diction
1b. Correction d'exercices écrits de langue
2e heure faits hors classe
2. En alternance avec : compte-rendu de
lecture hors classe
Langue :
3e heure a. Exercices syntaxiques
b. Conjugaison
Lecture explication (de texte ou autre
4e heure document)
Langue :
a. Orthographe
b. Exercices lexicaux
5e heure ou
exercices écrits globaux (une fois toutes
les 3 semaines)
Expression écrite :
1 . Compte-rendu de devoir
6e heure 2. En alternance avec : entraînement à
l'expression écrite
3. Devoir sur table
grammaticales, enrichir leur vocabulaire, puis, à mesure
que leur compétence s'affirme, qu'ils peuvent réfléchir
sur le système linguistique du français et les variations de
ses usages.
Mentionnons plus particulièrement trois activités par
lesquelles doit s'effectuer l'articulation entre pratique orale
et pratique écrite du français :
- Lecture : trois types de lectures sont proposés à
l'élève : lecture diction (correction phonétique du
déchiffrage, puis lecture expressive mettant en
oeuvre les composantes prosodiques :
accentuation, intonation, débit) ; lecture-explication (qui
sert de support à l'examen des composantes de
contenu et d'expression) ; lecture hors de classe.
L'objectif est de conférer à l'élève une certaine
autonomie en lui donnant le goût de la lecture comme
activité de perfectionnement personnel et de loisir.
Une place non négligeable est désormais accordée
à la lecture de poèmes.
3* et 4* année
Lecture explication
1 . Expression parlée
Expression écrite
2. En alternance avec : compte-rendu de
devoir
Langue :
a. Conjugaison orthographe (en alternance)
b. Exercices syntaxiques ou exercices
lexicaux.
1 . Reconstitution de texte
2. En alternance avec : poésie-diction (une
fois toutes les 3 semaines)
1 . Compte-rendu de lecture hors classe
2. En alternance avec :
Langue :
a. Exercices phraséologiques
b. Exercices écrits globaux ou correction
d'exercices écrits de langue faits hors
classe (en alternance).
Entraînement à l'expression écrite
ou
devoir sur table (une fois par mois)
- Orthographe : inculquée à partir de dictées de
révision, elle doit sensibiliser l'élève aux
concordances et discordances entre les codes oral et écrit.
L'erreur n'est plus à considérer comme objet de
pénalisation, mais comme éléments du processus
d'apprentissage.
- Expression écrite : elle met en oeuvre les acquis
obtenus par l'ensemble des exercices mentionnés
ci-dessus. Il est jugé souhaitable que des situations
de communication écrite simulées mais
vraisemblables sensibilisent l'élève à l'utilité de cette
compétence dans sa pratique quotidienne ultérieure.
Au total, et dans la mesure où les conditions effectives de
l'enseignement le permettent, une pédagogie de la
découverte et de l'implication active cherche à développer chez
les élèves non pas la seule mémorisation, mais une
attitude d'observation, de participation et le sens des
finalités à la fois culturelles et pratiques de l'apprentissage.
45
ESSAI D'EVALUATION
Les élèves, parvenus au terme du cycle secondaire, ont-
ils acquis cette compétence communicative qui est posée
comme l'objectif central de l'ensemble des activités
assignées à l'apprentissage du français ? Une réponse
précise exigerait que soient testés, dans un ensemble de
situations bien définies, un ou plusieurs groupes d'élèves
retenus comme représentatifs.
L'évaluation est moins malaisée si l'on s'en tient à la
compétence linguistique, au niveau des structures
grammaticales et de l'usage pertinent du vocabulaire. La
rédaction (en classe, sous surveillance) d'une composition
française dans une classe de terminale peut constituer
un corpus de base pour répertorier les erreurs
récurrentes.
1. Erreurs graphiques
Le passage de la chaîne sonore à la suite graphique
représente d'évidentes difficultés de transcodage. En
arabe, langue maternelle de la majorité des élèves,
chaque phonème est représenté par une seule et même
lettre dans tous les contextes. Les erreurs majoritaires
portent sur : les allographes (*dinamique/dynamique ;
*consient/conscient ; *éduquation/éducation) ; les lettres
doubles (*deffendu/défendu : *efficacitté/efficacité) ; les
lettres finales non articulées (*instruir/instruire :
*musulmant/musulman) ; la segmentation et les
paronymes (*s'avoir/savoir ; *par à port/par rapport). Un
problème orthographique - et phonétique - particulier est
constitué par les accents et autres signes diacritiques,
auxquels il est accordé peu d'attention dans
l'apprentissage.
Un nombre non négligeable d'erreurs graphiques est
directement tributaire d'interférences dans l'articulation
des sons vocaliques et consonantiques (mal différenciés,
et dès lors inadéquatement prononcés et transcrits).
L'arabe classique ne connaît que trois voyelles orales
(|a|, |i|, |u|) et ignore les voyelles nasales. D'où des
formes où le son étranger est spontanément remplacé
par un son présent en arabe, dont l'articulation lui est
voisine (*intellictuelle, *inconvinient, *oublige, *couran/
Coran, *chousou/chanson).
2. Erreurs grammaticales
Certaines « fautes d'accord » - parfois détectables à
l'écrit seulement - tiennent à l'ignorance du genre des
substantifs (*de bonnes résultats, *les coutumes
traditionnels). Plus significatives des interférences sont,
par exemple, les difficultés d'emploi des formes non
proclitiques des pronoms personnels. L'arabe connaît les
pronoms personnels isolés et les pronoms affixes,
lesquels (adjoints à la finale des verbes ou des noms)
varient suivant le genre et le nombre mais non selon leur
fonction, puisqu'ils ont toujours la désinence du cas
complément. La variabilité morphologique et positionnelle
des pronoms personnels français déroute l'apprenant
arabophone (*Cela leur a poussé à se révolter ; *Le père
46
l'exige à se marier). Une autre difficulté syntaxique tient
aux règles d'emploi des conjonctions de coordination.
Elles associent, en français, des éléments de même
nature et de même fonction grammaticale, alors que les
conjonctions correspondantes en arabe relient des
éléments non soumis à cette contrainte.
3. Erreurs lexicales
Leurs causes sont diverses : interférences internes au
français (paronymie, homonymie) ; interférences dans le
rapport signifiant/signifié entre la langue maternelle et la
langue-cible. Les difficultés sont particulièrement
sensibles dans les associations de mots à referents
abstraits, dont ne sont assimilés par l'élève ni le signifié
de puissance ni le signifié d'effet dans un contexte donné
(Les filles *apprennent une éducation/reçoivent).
4. Enfin, l'observation d'énoncés plus étendus met en
évidence, outre les erreurs recensées ci-dessus, les
faiblesses de construction et d'articulation du discours.
L'emploi pertinent des connecteurs, la cohérence des
enchaînements intra- et transphrastiques sont loin d'être
dominés par la moyenne des élèves en classe de
terminale. D'où les appréciations désabusées
(décourageantes ?) qui sanctionnent des prestations telles que :
*L'lslam n'est absolument pas contre le modernisme au
niveau surtout social, ceci dit qui pourra conduire l'enfant
à faire le possible pour donner un bon demain. Mais pour
en abuser il n'en est pas question ». « Discours
embrouillé », notera le professeur, « inintelligible », «
galimatias ». Ce qui laisse entière la tâche de faire acquérir
à la fois un système de pensée et la pratique discursive
dans lequel il s'informe.
Par delà les deux cycles de l'enseignement secondaire,
un bref aperçu sur les résultats de l'enseignement du
français, au niveau universitaire fait apparaître des
carences incomplètement réduites. La baisse de niveau
des bacheliers oblige désormais à consacrer à la
consolidation des acquis en langue française les deux premières
années en faculté. Ensuite seulement se trouve proposée
une option entre linguistique et littérature. La rédaction
d'un Mémoire stimule l'ouverture aux théories linguistiques
et aux courants critiques actuels, en constituant une
première expérience de recherche.
Néanmoins, le dépouillement de quelques Mémoires de
Licence (au terme de la quatrième année universitaire)
laisse apparaître des lacunes persistantes. Subsistent :
des fautes d'orthographe et d'accents ; des fautes
d'accord, de conjugaison, de syntaxe (*dans d'autres
mots/en ; il essaie d'*en échapper/d'y ; arracher le théâtre
occidental à la crise *dont il sombrait/dans laquelle, etc.).
L'incidence de telles incertitudes apparaît mieux si l'on
pense qu'une partie des étudiants chez qui elles sévissent
se destinent à l'enseignement du français.
CONCLUSION
Constater- et déplorer- une baisse progressive et quasi-
généralisée du niveau en français dans l'ensemble du
cursus scolaire marocain est certes sans originalité. Les
résultats tiennent pour une grande part au mode
d'application des instructions officielles : niveau de formation
des maîtres, capacité à intégrer de nouvelles pédagogies,
aptitude à passer de la théorie à la pratique réelle des
classes. Les concepts, et les consignes, de compétence
communicative, énonciation, actes de parole, stratégies
individuelles ont succédé aux instructions de 1978,
davantage orientées vers le montage d'automatismes par des
exercices structuraux. Mais des difficultés subsistent et
s'aggravent, en particulier pour les élèves issus de milieu
EXPRIMER L'HYPOTHESE EN FRANÇAIS :
un changement de perspective linguistique pour les élèves marocains
Parce qu'elle coordonne une série de composantes
d'ordre linguistique et cognitif, l'expression de l'hypothèse
est source de grandes difficultés pour tous les apprenants
de F.L.E. Mais, pour des élèves arabophones ou berbéro-
phones, cet apprentissage suppose en outre un important
changement de perspective entre la langue mère et la
langue cible.
On n'ignore pas (1) les limites didactiques de la grammaire
comparée ni celle des explications interférentielles. Nous
aimerions toutefois montrer ici, à propos d'erreurs
couramment commises par des élèves marocains,
comment exprimer qu'une hypothèse est un fait de
raisonnement avant d'être un fait linguistique, c'est-à-dire
comment les difficultés du dire en langue étrangère sont
soumises à la difficulté du changement d'habitudes
mentales.
APERÇU COMPARATIF DES SYSTÈMES ARABE ET
BERBERE
Le système verbal de l'arabe diffère profondément du
système français (2). On distingue essentiellement deux
« temps » ou plus exactement deux aspects :
- l'inaccompli, que l'on traduit généralement par notre
présent ou notre futur ;
- l'accompli, que l'on traduit généralement par un
temps du passé.
1 . J.-P. Cuq, « Analyse contrastive et erreurs interférentielles : la juste
place de techniques (r)éprouvées », in : Bulletin de l'Association
Québécoise des Enseignants de Français Langue Seconde, vol. 10, n° 3-
4, 1989.
2. Pour une description du système français, voir J.-P. Cuq, « Eléments
d'interprétation pragmatique de l'hypothèse en français », in L'Information
Grammaticale n° 26, juin 1985.
socialement et culturellement défavorisés. Seule une forte
motivation dans l'apprentissage du français semblerait
capable d'inverser ce mouvement de déclin, par une
revalorisation de cette matière à la fois à l'intérieur du
système scolaire (par les coefficients et les notes
éliminatoires) et dans le réseau des échanges économiques et
culturels, si la langue française demeure un véhicule de
savoir et de développement.
Farida CHAMI - Naïma ELBEKRAOUI
Jean-Pierre CUQ
L'arabe n'a pas de « conditionnel ». Il n'y a donc pas
dans cette langue de jeu possible du type « imparfait/
conditionnel » ou « présent/futur ».
En revanche, il existe trois conjonctions hypothétiques en
arabe standard, et c'est le choix de l'une d'elles par le
locuteur qui détermine le sens « présent-futur » ou
« passé » de l'hypothèse. Contrairement au français, ce
n'est donc pas le « temps » qui commande le sens, c'est
la conjonction.
Le système verbal du berbère est plus complexe puisqu'il
comprend un présent, un futur, un aoriste et une forme
marquant l'habitude. Néanmoins, comme en arabe, c'est
du choix entre deux conjonctions que dépend la valeur de
l'hypothèse.
1 . En arabe standard (3)
D'après V. Monteil : « on peut, en théorie, classer les
particules conditionnelles en cinq groupes : le potentiel
(« hypothétiques réalisables ») s'exprime par [ ?in] suivi
de l'accompli (français : « si » avec le présent) ; l'irréel
relatif, (« hypothétique douteux »), par [law] et l'accompli
(français : « si » et l'imparfait) ; l'irréel absolu («
hypothétique irréalisable ») par [law] avec kâna et l'accompli
(français « si » et le plus-que-parfait) ; le temporel
3. Toutes nos lignes sur l'arabe ont été revues et largement amendées
par notre collègue Benoît Deslandes, professeur d'arabe à l'Université
Stendhal-Grenoble-lll. Qu'il veuille bien trouver ici l'expression de notre
sincère reconnaissance.
Nous nous référons ici à Ch. Pellat, « Introduction à l'arabe moderne,
Maisonneuve, 1956, à R. Blachère et M. Gaudeffroy-Demombynes,
Grammaire de l'arabe classique, Maisonneuve et Larose, 1966, à
V. Cantarino, « Syntax of modern arabic prose, vol. Ill, pp. 302-304, Indiana
University Press, Bloomington, 1975, et à V. Monteil, l' Arabe Moderne,
Paris, Klincksieck, 1960, pp. 243-246.
47