Vous êtes sur la page 1sur 52

Préservation de la biodiversité

et politiques communautaires :
de la confrontation
à l’intégration ?

par Robert Lifran


Directeur de recherche à l’INRA
(lifran@ensam.inra.fr)

et Jean-Michel Salles
Chargé de recherche au CNRS
(sallesjm@ensam.inra.fr)
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

Sommaire

INDEX DES SIGLES..................................................................................................4

INTRODUCTION ....................................................................................................4 21

1. LA BIODIVERSITÉ : HISTOIRE, ENJEUX ET POLITIQUES ..................................8


1.1. De la perception à l’interprétation de la diversité ..............................8
1.2. Une notion complexe ..........................................................................11
1.2.1. Définition ....................................................................................12
1.2.2. Quelques spécificités de la biodiversité ....................................14
1.3. La biodiversité comme enjeu ..............................................................15
1.3.1. La biodiversité est menacée ......................................................15
1.3.2. Les principales causes de dégradation ......................................16
1.3.3. Les justifications économiques des politiques de
protection de la biodiversité......................................................17
1.4. Les premières initiatives politiques ....................................................21
1.4.1. La conservation de la nature en France : une histoire déjà
longue ........................................................................................22
1.4.2. La dynamique scientifique et les politiques de
conservation................................................................................24
1.4.3. Les ONG et la dynamique des politiques de conservation ......25
1.4.4. Les conventions internationales ................................................26
DEMETER 2005

2. LA BIODIVERSITÉ ET LES POLITIQUES COMMUNAUTAIRES ..........................28


2.1. Problématique générale ......................................................................29
2.2. La politique communautaire de protection de la biodiversité..........30
2.2.1. Cadre général..............................................................................30
2.2.2. La dynamique de la politique européenne de la
biodiversité..................................................................................32
2.3. Conception et élaboration des politiques européennes de la
biodiversité ..........................................................................................33
2.3.1. De Rome à Maastricht : du Marché commun au
développement durable ............................................................33
2.3.2. Les sources de la politique européenne en matière de
biodiversité..................................................................................34
a) Les conventions internationales ............................................34
b) Les organisations non-gouvernementales............................35
2.4. La politique européenne de la biodiversité : Natura 2000 ................36
2.5. La dynamique d’intégration des préoccupations
environnementales dans la PAC ..........................................................39
2.5.1. Les mesures agri-environnementales ........................................39
2.5.2. De la compétition à l’intégration ..............................................40
a) Le choix de l’approche contractuelle ....................................41
22 b) L’introduction de la conditionnalité des aides ....................42
2.5.3. Nécessité et difficultés de l’évaluation des politiques
publiques ....................................................................................43

3. AGRICULTURE ET BIODIVERSITÉ : CONFLITS OU COMPLÉMENTARITÉS ? ....44


3.1. Références scientifiques, représentations et pratiques......................46
3.1.1. Aux origines de la modernisation agricole :
penser la ferme comme une usine ............................................46
3.1.2. L’approche « écosystème » de la FAO........................................48
3.2. Changements et convergences ............................................................49
3.2.1. La lutte biologique et la lutte intégrée ....................................50
3.2.2. La désintensification dans les agrosystèmes ............................50
3.2.3. L’agriculture intégrée et l’agriculture raisonnée ......................51
3.2.4. L’agriculture biologique ............................................................52
3.3. Quelle agriculture dans les prochaines décennies ? ..........................53

CONCLUSION........................................................................................................53

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ......................................................................56


PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

Index des sigles


BRG : Bureau des ressources génétiques (groupement d’intérêt
scientifique)
CAD : Contrat d’agriculture durable
CBI : Convention baleinière internationale
CDB : Convention des Nations unies sur la diversité biologique
CJE : Cour de justice européenne
CTE : Contrat territorial d’exploitation
CTE-CN : Centre technique européen pour la conservation de la nature
Directive HFF : Directive Habitat, Faune, Flore du 21 mai 1992 (92/43/CEE)
ECNC : Centre européen pour la conservation de la nature
EEA : European agency for environnement (ou Agence européenne
pour l’environnement)
EON2000 : Earth observation on Natura 2000
FEOGA : Fonds européen d’orientation et de garantie agricole
ICSU : Conseil international des associations scientifiques
IDDRI : Institut du développement durable et des relations
internationales
IFB : Institut français de la biodiversité (groupement d’intérêt
scientifique)
INRA : Institut national de recherche agronomique
LPO : Ligue de protection des oiseaux 23
MAE : Mesures agri-environnementales
OCDE : Organisation de coopération et de développement
économiques
OILB : Organisation internationale de lutte biologique
OMC : Organisation mondiale du commerce
ONG : Organisations non-gouvernementales
OTA : Office of technology assessment (US Congress)
PAC : Politique agricole commune de l’Union européenne
PDRN : Plan de développement rural national
PNUD : Programme des Nations unies pour le développement
PNUE : Programme des Nations unies pour l’environnement
SIC : Sites d’importance communautaire dans le cadre de Natura
2000
SNPN : Société nationale de protection de la nature
UE : Union européenne
UICN : Union internationale pour la conservation de la nature
USDA : United States Department of Agriculture (ministère américain
de l’Agriculture)
WWF : World wide fund for nature
ZNIEFF: Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique
ZPS : Zones spéciales de conservation, incluant les Zones spéciales de
protection des oiseaux, dans le cadre de Natura 2000
DEMETER 2005

24
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

INTRODUCTION
La biodiversité a fait son entrée sur la scène devenir beaucoup plus délicat lorsqu’il s’agit de
planétaire au Sommet de la Terre réuni en 1992 concrétiser des politiques de protection. La
à Rio de Janeiro. Depuis, elle est devenue une conservation de la biodiversité semble souvent
forme de symbole et se classe parmi les toutes perçue, notamment dans les milieux agricoles,
premières menaces que le développement des comme un enjeu trop abstrait pour justifier de
activités humaines fait peser sur les milieux réelles contraintes sur la production ou les autres
naturels qui les accueillent. formes d’utilisation des territoires.
Comme le changement climatique ou la Ce type de problème est, il est vrai, souvent
dégradation de la couche d’ozone et plus encore rencontré dans l’élaboration et la mise en
que les pluies acides, la biodiversité est à la œuvre des politiques de l’environnement. Il ne
fois invisible puisqu’il s’agit d’une idée, voire constitue donc pas une spécificité des politiques 25
d’un concept et surmédiatisée puisque les publiques visant à protéger la biodiversité. Les
publications ou les émissions télévisées qui lui « biens d’environnement » sont en effet souvent
sont consacrées se multiplient. Dans ce contexte, des biens publics, locaux ou globaux, dont la
cet article vise un triple objectif : production engage des catégories particulières
• mieux comprendre d’où vient cette préoccu- d’entreprises ou d’acteurs, productrices d’exter-
pation et de quels enjeux elle est porteuse nalités négatives. En l’absence d’incitations ad
• mesurer en quoi elle est déjà intégrée dans le hoc, celles-ci n’acceptent pas les contraintes sur
cadre institutionnel et technique de nos leurs comportements, leurs revenus ou leurs
actions et de nos choix modes de production. De plus, la réglementa-
• préciser quelles sont les perspectives qui se tion environnementale est fréquemment
dessinent actuellement. utilisée comme argument de stratégie
Aujourd’hui, la biodiversité constitue une concurrentielle par les firmes agro- alimentaires,
composante à part entière de la politique les groupes de distribution ou même les États :
environnementale de l’Union européenne et témoins les pays défendant le concept de
celle-ci s’inscrit dans une dynamique internatio- multifonctionnalité agricole pour justifier leurs
nale difficile à contourner ou à considérer aides directes auprès de l’Organisation
comme non légitime. Pourtant, tout semble mondiale du commerce 1. Autrement dit, au sein

1 Parmi les différentes définitions de la multifonctionnalité agricole, nous nous réfèrerons ici à celle de l’OCDE : « Deux éléments
caractérisent la multifonctionalité de l’agriculture : l’existence de production de biens et services multiples qui sont conjointement
produits par l’agriculture et le fait que certaines productions de services présentent les caractéristiques d’externalités ou de biens
publics, le résultat étant que les marchés de ces biens n’existent actuellement pas ou fonctionnent mal ».
DEMETER 2005

d’un même secteur économique, ce que certains scientifiques et sociaux différents, il était
vont considérer comme une contrainte peut inévitable que des conflits surgissent dès que
constituer une opportunité pour d’autres. la pression pour la mise en œuvre s’est faite
Dans son analyse du contexte international plus pressante. Coordonner a posteriori les
et communautaire dans lequel s’inscrivent les politiques publiques est donc devenu indis-
débats sur l’intégration des objectifs et pensable. Mais un temps d’adaptation et de
des indicateurs environnementaux dans la négociations est nécessaire car la légitimité de
politique agricole, D. Dron souligne cette la politique environnementale renvoie à des
dimension stratégique dans les négociations considérations de développement durable 3,
environnementales comme dans la dyna- alors que celle des autres politiques repose sur
mique des rapports entre agriculture et la recherche de modernisation et d’efficacité.
société 2. Les récentes réformes de la Politique Cependant, cette adaptation se trouve
agricole commune traduisent d’ailleurs accélérée par le développement de nouveaux
cette reconnaissance. Ainsi, les oppositions modes de production (agriculture biologique,
farouches à la politique communautaire de lutte intégrée...) basés sur des modèles de
protection de la biodiversité exprimées en pensées et d’actions plus proches de ceux
France au début des années quatre-vingt-dix, fondant la politique de la biodiversité.
sont-elles aujourd’hui largement émoussées. Dans ce contexte, notre article est bâti en
Les débats ne portent plus vraiment sur la légi- trois parties :
timité de cette politique, mais plutôt sur la • La première décrit l’émergence du concept
meilleure façon d’en tirer parti. L’histoire est de biodiversité dans les milieux scienti-
cependant instructive car elle met en lumière fiques, puis les enjeux scientifiques et de
26 les caractéristiques originales des processus développement en découlant, ainsi que les
d’élaboration des politiques publiques dans premières politiques publiques élaborées
l’Union européenne, ainsi que l’importance pour répondre à ces enjeux
de l’évolution des modes de représentation • La seconde étudie la dynamique d’intégra-
des rapports entre agriculture et nature. tion de ces préoccupations dans les
Notre hypothèse est que les difficultés politiques communautaires, en particulier la
rencontrées dans la mise en œuvre de la politique agricole
politique européenne de la biodiversité ne • La troisième analyse les bases du conflit
renvoient pas seulement à des conflits initial entre Politique agricole commune et
d’intérêts ou de choix de priorités. Elles politique européenne de protection de la
résultent aussi de la contradiction fondamen- biodiversité, en précisant le rôle des modèles
tale entre, d’une part, les modèles et les intellectuels et scientifiques. Puis elle évalue
représentations de la nature sous-tendant la les possibilités d’une convergence des
politique de protection de la biodiversité modes de pensée et d’actions qui faciliterait
et, d’autre part, le rapport homme - nature une meilleure coordination des politiques
sous-tendant les politiques sectorielles, européennes. Enfin, elle décrypte les enjeux
comme la politique agricole ou forestière. Ces de société sous-jacents, notamment en ce
représentations ayant été élaborées en qu’ils fondent ou se réfèrent à de nouveaux
décalage temporel et dans des contextes modèles de production agricole.

2 Dron, 2003
3 Traité de Maastricht, 1993
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

1. LA BIODIVERSITÉ : 1.1. De la perception à


HISTOIRE, ENJEUX ET POLITIQUES l’interprétation de la diversité

« Depuis son apparition sur la planète Terre « Dieu bénit Noé et ses fils et leur dit :
il y a plus de 3,5 milliards d’année, l’histoire fructifiez et multipliez-vous, et remplissez la
de la vie se caractérise d’abord par la création terre. Vous serez un objet de crainte et
d’une multitude de formes, de millions et d’effroi pour toutes les bêtes sauvages, pour
millions d’espèces. C’est la première chose qui tous les oiseaux du ciel, pour tout ce qui rampe
frappe le naturaliste, que celui-ci s’intéresse sur le sol et pour tous les poissons de la mer :
aux flores et faunes disparues ou aux espèces entre vos mains, ils sont livrés. Tout ce qui se
actuelles : la biosphère est composée d’êtres meut et qui vit vous servira de nourriture : de
prodigieusement nombreux, étonnamment même que la verdure des plantes, je vous
variés, par la forme, la taille, les perfor- donne tout » 5.
mances » 4. Avant de pousser les naturalistes Comme le prouve cette citation de la
à se lancer dans des descriptions, inventaires Genèse, le constat de la diversité du vivant est
et autres mises en ordre, la profusion des ancien. De plus, le récit biblique du déluge et
formes du vivant a fasciné les hommes et, plus de l’arche de Noé semble déjà montrer que
récemment, suscité une activité militante en cette diversité peut être menacée et il
faveur de leur protection. Ainsi, dans cette introduit l’idée d’une responsabilité de
première partie, nous analysons trois grands l’homme envers la nature 6. Plusieurs cadres
points : de pensée, de la théologie à la science, ont
• Le passage du constat de la diversité du d’ailleurs tenté d’établir une relation entre
vivant à de multiples interprétations diversité du vivant et équilibres naturels.
• Les éléments déterminant si ces interpré- « La biodiversité a été remarquée dès 27
tations sont ou non susceptibles de justifier l’Antiquité. Lorsqu’on observe le monde
des politiques et des actions de conserva- vivant, on constate que les êtres sont
tion efficaces : notamment ceux fondant différents les uns des autres. On a commencé
la complexité de la notion de biodiversité par interpréter cette diversité dans une
et la dynamique des débats scientifiques vision « harmonieuse » du monde. Cette idée
ayant présidé à son élaboration et abouti que le monde était fait d’harmonie a été for-
à son statut actuel de bien public global, malisée dans notre société (...) en un Créateur
objet de politiques publiques tout puissant et bienveillant qui aurait
• Les premières initiatives de protection de inventé la Nature pour le plus grand bien-être
la nature, antérieures au mouvement des organismes, et bien sûr de l’organisme
intellectuel et militant ayant abouti à suprême qu’est l’humain. Nous ne partageons
faire de la conservation de la biodiversité plus totalement cette vision, mais il reste une
un enjeu global, puis les principales forte impression que la Nature est bien faite.
mesures nationales ayant précédé les Les racines de cette pensée, qu’on les cherche
conventions internationales qui donnent dans l’Antiquité ou dans une vision « créa-
aujourd’hui le cadre de ces politiques tionniste » de la nature, sont encore présentes
nationales, ainsi que de la politique dans notre société et il ne faut pas négliger
européenne. cette composante de notre pensée » 7. Ce pre-

4 Barbault, 1994
5 Genèse 9, 1-3
6 Il existe d’autres références très anciennes à cette idée (cf. Roger et Guéry, 1991)
7 Sur ce vaste sujet, nous nous appuyons dans cette partie de l’article sur ce texte de P.-H. Gouyon intitulé La biodiversité dans sa
perspective historique. Il a été publié en novembre 1994 dans le numéro 23 de la revue Le Courrier de l’Environnement.
DEMETER 2005

mier point est assez simple : depuis l’origine, sélection naturelle : c’est-à-dire l’idée que le
l’homme a constaté la diversité du vivant et tri des individus les plus capables de vivre et
cherché à lui donner une explication qui a de se reproduire dans leur milieu est à la
abouti à l’idée de la création harmonieuse de base de l’adaptation et qu’il existe donc une
la nature par un grand horloger. variabilité transmissible à l’intérieur des
La filiation avec la pensée scientifique est espèces. Cette variabilité intra-spécifique
assez directe, du moins dans un premier devient un phénomène important puisque la
temps. « La première classification formelle et variabilité entre espèces n’est que le fruit
régulière du monde vivant est due aux grands d’une accumulation de variations au sein
systématiciens du 18ème siècle, en particulier à d’une même espèce.
Linné : il a classé les espèces, les a rassemblées Ainsi, la diversité biologique apparaît
en genres, en familles, etc., chaque espèce comme le fruit de ce processus d’essais et
étant produite par ordre du Tout-puissant ». d’erreurs, où les êtres vivants existants
Le naturaliste suédois voyait bien qu’existait seraient le produit de l’adaptation millénaire
une certaine variabilité au sein des espèces des formes aux contraintes de la compétition
ou que les horticulteurs fabriquaient par pour la conquête des milieux. Cette vision
sélection des formes différentes des formes harmonieuse de la nature a été longtemps
sauvages. Néanmoins, il réfutait tout intérêt relayée par les biologistes qui ont répandu
à ces variations. Selon lui, les espèces consti- l’idée, reprise par les mouvements écolo-
tuaient les formes issues de la Création et gistes, que « la nature sait mieux ». Les
devaient être respectées du fait qu’elles biologistes, les évolutionnistes et les éco-
reflétaient la volonté du Créateur. Au logues ont réagi contre ce raisonnement
18ème siècle, une fois la nature à peu près tautologique selon lequel dire que c’est bon
classée, cette vision « typologique » a conduit suffit à expliquer une situation 8. En 1976,
28 à penser que la vraie diversité du vivant R. Dawkins a publié un ouvrage, intitulé Le
était celle existant entre espèces et que la gène égoïste, dont l’idée de base est que ni la
diversité à l’intérieur même des espèces nature, ni les individus ne sont optimisés.
restait secondaire. Depuis, nos idées ont Selon cette théorie néo-darwinienne, la
évolué, mais cette approche reste néanmoins sélection naturelle est la seule force existant
une manière répandue de considérer la pour expliquer l’évolution, l’adaptation et
diversité du vivant. l’origine des espèces. Celle-ci favorise les
À la fin du 18ème siècle, l’introduction du gènes qui se reproduisent le plus, même si
temps permet de franchir une nouvelle c’est au détriment du bon fonctionnement
étape. Le naturaliste français Georges des autres. Dans la nature, certaines construc-
Buffon lance l’idée que le monde est tions apparaissent sous forme de contraintes
beaucoup plus ancien et son collègue, le et le biologiste a tort de s’extasier devant la
zoologiste Georges Cuvier, celle d’extinction beauté de ces caractères car ils sont apparus
et de « re-création » de nouvelles espèces. en suivant les lois du hasard et de la nécessité.
La diversité reste l’œuvre du Créateur, mais Ainsi, la communauté des évolutionnistes et
avec des créations successives. Puis, le natura- des écologistes est-elle de moins en moins
liste Jean-Baptiste Lamarck a, le premier, convaincue que la nature soit bonne, alors
l’intuition que les espèces se transforment les que la société, elle, attend de plus en plus des
unes dans les autres. Néanmoins, la vision scientifiques une vision d’harmonie.
actuelle de la biodiversité reste issue de celle L’autre fonctionnement peu harmonieux
de Darwin qui, en 1859, avance la notion de de la nature, récemment découvert,

8 Thomas Huxley, le physiologiste anglais ami de Darwin, avait déjà dit que la nature n’était ni morale, ni immorale, mais amorale
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

concerne les extinctions de masse. Les cher- en Forêt-Noire... Elle perd confiance en la
cheurs se sont longtemps demandé pourquoi capacité de l’humain à gérer son propre
les dinosaures avaient disparu, avant de environnement, en même temps que les
constater qu’ils n’avaient pas disparu tout scientifiques perdent confiance en la faculté
seuls, mais avec probablement 70% des de la Nature à s’optimiser elle-même ». La
espèces vivantes de l’époque. Pourquoi question de l’interprétation de la diversité
autant d’espèces se sont-elles éteintes reste donc ouverte. La théorie dite
en même temps ? L’hypothèse majeure est « neutraliste », qui considère que la plupart
aujourd’hui celle d’une météorite, suivie des mutations ne changent rien au
d’un scénario « post-nucléaire » d’obscurcis- fonctionnement de l’organisme, a fourni de
sement de l’atmosphère. Ce type d’événe- multiples modèles décrivant comment peut
ment a dû se produire à plusieurs reprises être générée et maintenue une variabilité
dans l’histoire de la vie car les paléonto- neutre. Mais les biologistes rencontrent
logues ont identifié d’autres pics similaires beaucoup de difficultés lorsqu’il s’agit
d’extinction massive, à des périodes d’expliquer comment se conserve la
différentes. Ceux-ci semblent liés à des variabilité adaptative. Même la relation
phénomènes « externes » à la dynamique de entre le nombre d’espèces et la stabilité des
la vie : chutes de météorites, catastrophes écosystèmes ou leur « résilience » 11 n’a rien
volcaniques, etc. L’action de l’homme d’évident. S’il semble à peu près clair que la
apparaît aujourd’hui comme responsable de stabilité favorise la diversité 12, la réciproque
la sixième extinction 9. ne semble pas complètement vérifiée.
Cependant, des extinctions se produisent Ainsi, il ne suffit pas de protéger un
aussi à d’autres moments. D’où, dans les écosystème pour favoriser la diversité. Les
années soixante-dix, l’hypothèse de Van parcs naturels français connaissent de
Valen selon laquelle les espèces s’éteignent multiples extinctions. Aux États-Unis, dans 29
du fait d’un mouvement interne à la les années quatre-vingts, les gestionnaires
biologie et non pas pour des raisons externes du parc du Yellowstone ont volontairement
: c’est l’hypothèse dite de « la reine rouge » laissé se propager des incendies afin de
10
. Sa vision de l’évolution repose sur le fait favoriser les régulations en dépendant. Et,
toutes les espèces disputent une course dans l’arrière-pays languedocien, la ferme-
permanente, aussi rapide que possible ture des paysages résultant du déclin des
et celles n’arrivant pas à tenir le rythme pratiques pastorales, se traduit par une forte
s’éteignent. Ceci expliquerait le taux diminution du nombre d’espèces d’oiseaux.
d’extinction plus constant que celui basé sur En résumé, trois points fondamentaux
des effets climatiques ou d’autres raisons apparaissent :
externes. • La diversité constitue une caractéristique du
En tout cas, comme le constate P.-H. vivant
Gouyon, « la société observe la déforestation • La vision idéalisée de la nature, toujours
de la forêt amazonienne, les phénomènes capable de s’optimiser elle-même, a été plus
d’eutrophisation des eaux, les pluies acides ou moins abandonnée par les scientifiques

9 Leakey et al., 1995


10 L’expression est empruntée à Alice dans le roman de Lewis Carroll intitulé De l’autre côté du miroir. La Reine rouge prend Alice
par la main et la fait courir très vite. Au bout d’un certain temps, elles s’arrêtent, exténuées, et Alice s’étonne de voir qu’autour
d’elle, le paysage n’a pas bougé. La Reine lui explique que c’est normal : « dans mon pays, il faut courir vite et longtemps pour
rester à la même place, sinon, c’est la catastrophe ».
11 Selon Holling, la résilience d’un écosystème correspond à sa capacité à conserver le même état d’équilibre face à un choc d’une
grandeur donnée
12 Ceci explique, par exemple, le fait que les forêts tropicales soient beaucoup plus diverses que les forêts tempérées ou boréales
qui ont été largement détruites par les glaciations
DEMETER 2005

• Il existe des éléments scientifiques de pratique, ce lien évident avec les politiques de
réponse, mais pas de modèle général conservation a conduit à distinguer
pour expliquer le maintien du polymor- • une biodiversité « remarquable », consti-
phisme génétique dans une espèce ou la tuée par les écosystèmes et les espèces
multiplicité des espèces dans un même remarquables et menacées
environnement. • une biodiversité plus « ordinaire », présente
dans tous les écosystèmes.
1.2. Une notion complexe De plus, parallèlement à la biodiversité
« sauvage » existe une biodiversité « domes-
tique », construite en partie par l’homme,
Ainsi, la biodiversité apparaît comme une notamment en agriculture (sélection de
notion difficile à enfermer dans un cadre variétés cultivées et de races animales), mais
simple car ses enjeux ne s’expriment que dans aussi en foresterie ou en aquaculture 13.
une perspective temporelle. Néanmoins, En transformant les écosystèmes et, a priori,
l’objectif de cette partie de l’article est d’en en les simplifiant, l’agriculture apparaît
présenter la définition « officielle », en comme une cause majeure de réduction
soulignant sa double dimension, sauvage de la biodiversité naturelle. Mais depuis 7 à
et cultivée, puis de préciser les spécificités 10 000 ans, elle est aussi à l’origine de
conditionnant les difficultés à élaborer des l’activité de sélection des semences jugées les
stratégies cohérentes de conservation. plus appropriées aux besoins exprimés.
Même si les espèces cultivées ou élevées ne
1.2.1. Définition constituent qu’une infime minorité des
espèces naturelles, elles sont à l’origine d’une
La définition la plus courante est issue de prodigieuse diversité de variétés, les cultivars.
30 celle proposée en 1987 par l’Office of Comme le soulignait en 1990 P. Guy, « un bon
technology assessment qui dépend du cultivar est adapté à l’usage que l’homme veut
Congrès américain. Elle a été reprise dans en faire. Il est donc contingent à une certaine
l’article 2 de la Convention sur la diversité technologie, à une certaine économie. Il
biologique signée en 1992 à Rio. La biodiver- rassemble les meilleures combinaisons allé-
sité peut être définie comme « la variabilité liques dans l’état le plus hétérozygote
des organismes vivants de toute origine, possible. Cela explique le succès des variétés
y compris, entre autres, les écosystèmes hybrides. La contrepartie de son légitime
terrestres, marins et autres écosystèmes succès est l’élimination des autres formes, des
aquatiques et les complexes écologiques dont variétés plus anciennes ».
ils font partie. Cela comprend la diversité au Il serait cependant erroné de ne voir dans la
sein des espèces et entre les espèces, ainsi que sélection qu’un processus de réduction car il
celle des écosystèmes ». s’agit d’un processus de création de variétés
La biodiversité est constituée de la diversité nouvelles. De plus, la bonne sélection doit
des espèces vivantes, de leurs caractères aussi se préoccuper la diversité naturelle
génétiques et de la diversité des interactions de l’espèce. En effet, « de génération en
à tous les niveaux d’organisation du vivant. En génération, le sélectionneur trie, façonne,

13 La cinquième Conférence des parties de la Convention de la diversité biologique a donné la définition suivante : « L’expression
diversité biologique agricole désigne de façon générale tous les éléments constitutifs de la diversité biologique qui relèvent de l’ali-
mentation et de l’agriculture, ainsi que tous les composants de la diversité biologique qui constituent l’agro-écosystème : la variété
et la variabilité des animaux, des plantes, des micro-organismes, aux niveaux génétique, spécifique, et écosystémique, nécessaires
au maintien des fonctions clés de l’agro-écosystème, de ses structures et de ses processus, conformément à l’annexe I de la déci-
sion III / 11 de la Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité biologique » (in Programme de travail sur la diversité bio-
logique agricole, Décision V / 5 de la Cinquième COP, Nairobi, Kenya, mai 2000).
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

crée des types hautement improbables. Il ras- de la variabilité est un cul-de-sac évolutif » 14.
semble des gènes de la domestication qui ren- Ce travail de préservation est revendiqué par
dent les cultivars souvent mal adaptés à la vie les professionnels, même s’ils tendent à limi-
spontanée, sauvage (indéhiscence, nanisme, ter la question de la diversité biologique au
gros grains...). La sélection sans préservation champ de leurs préoccupations. Encadré

Encadré
Brève histoire du concept d’écosystème

L’écosystème n’est pas un objet du monde biophysique, mais un objet de pensée qui, en
tant que tel, appartient au monde des représentations. Ce concept holiste est issu de l’in-
fluence des concepts de la cybernétique et de l’automatique, apparus durant la seconde
Guerre Mondiale et popularisés dans les années soixante par Von Bertalanffy.
Cette idée d’interdépendance généralisée était très familière aux philosophes grecs. Mais
elle a été largement éclipsée par le cartésianisme. Son renouveau résulte du développement
de l’automatique et de l’analyse des mécanismes de rétro-action en biologie (modèles proie-
prédateur de Lotka-Volterra, régulation de la glycémie...). En écologie, ce sont Tansley en
1935, puis Lindeman en 1942 et Odum en 1953 qui ont, les premiers, reconnu le niveau du «
système entier », intégrant comme unités de base de la nature de la Terre, les espèces, les
populations et les habitats, ainsi que leurs interactions.
Selon la formule d’Odum en 1953, « l’écosystème est la plus grande unité fonctionnelle en
écologie, puisqu’il inclut à la fois les organismes (communautés biotiques) et l’environnement
abiotique, chacun influençant les propriétés de l’autre, et les deux sont nécessaires au main-
tien de la vie telle qu’elle existe sur la Terre. Le lac est un exemple d’écosystème ».
Au départ, l’approche était centrée sur les flux d’énergie et de matière, Odum souhaitant 31
donner à l’écologie des bases scientifiques solides, analogues à celles de la physique. À par-
tir des années quatre-vingts, on admet que les écosystèmes sont ouverts, contingents et carac-
térisés par des processus fonctionnels, avec des flux d’énergie et de matière, mais aussi d’or-
ganismes. On découvre que les écosystèmes sont dynamiques et ont de multiples états
d’équilibre.
Jusqu’à la création du programme MAB à l’UNESCO en 1971, l’homme était curieusement
exclu de l’approche. Cette lacune n’a réellement été comblée que dans les années quatre-
vingt-dix en combinant les approches de la résilience des écosystèmes avec celles des proces-
sus d’interactions humaines à propos de leur gestion. C’est la métaphore de la gestion adap-
tative des écosystèmes (cf. Holling et Gunderson, 2001).

1.2.2. Quelques spécificités téristiques la distinguant d’autres biens envi-


de la biodiversité ronnementaux :
• Elle recouvre une réalité extrêmement vaste
Au-delà de l’action des professionnels des puisqu’elle concerne tous les types d’éco-
ressources génétiques, la biodiversité se systèmes terrestres, marins ou d’eau douce.
trouve aujourd’hui au cœur de différentes Au sein d’un même écosystème dont les
politiques environnementales au sein des- frontières sont parfois difficiles à préciser,
quelles elle présente un ensemble de carac- peuvent cohabiter des milliers d’espèces ou

14 Guy, 1990
DEMETER 2005

seulement quelques-unes. Et, au sein de qui s’appelle la complexité, cela fait partie de
chaque population, la variabilité peut être la diversité du vivant. Un même organisme peut
très importante ou très limitée. produire plusieurs formes en fonction de
• Sa complexité reflète la complexité du l’environnement, c’est la plasticité et c’est aussi
vivant et peut donc être appréhendée à une composante de la biodiversité. Ensuite, la
différents niveaux. Ainsi, elle a la particula- composante génétique, c’est-à-dire l’existence
rité d’être à la fois un tout (la diversité des de génotypes différents, puis la richesse
écosystèmes) et une partie de ce tout (les spécifique qu’on étudie en écologie. Voilà
espèces au sein des écosystèmes, la diversité quatre niveaux de diversité dont l’ensemble
génétique au sein de chaque espèce). De peut être appelé la biodiversité ».
plus, son hétérogénéité fait qu’elle ne peut À la complexité du concept de biodiversité
être mesurée à l’aide d’un indicateur simple dans sa définition scientifique s’ajoute le fait
et unique 15 : d’où des problèmes de mesure qu’il a été forgé et utilisé dans les débats
et d’agrégation. internationaux à partir de quatre logiques qui
• Les connaissances scientifiques à son ne sont pas forcément cohérentes les unes avec
sujet restent fragmentaires, qu’il s’agisse les autres. L’Institut du développement durable
du nombre d’espèces non encore invento- et des relations internationales (IDDRI) les
riées 16, de la connaissance généralement caractérise comme suit :
limitée de la diversité intra-spécifique, de la • Une logique environnementaliste qui affiche
dynamique et du fonctionnement des la conservation comme objectif
écosystèmes, etc. • Une logique agronomique qui cherche à
• Il est très difficile, voire impossible de recréer limiter l’érosion de la diversité génétique dans
gènes, espèces et écosystèmes disparus. le but d’améliorer les plantes
Ce caractère souvent irréversible de la • Une logique commerciale exprimée par
32 dégradation fait que l’action de protection l’adoption du principe de propriété intellec-
doit souvent précéder la compréhension de tuelle du vivant lors des négociations de
ce qui est protégé : c’est le principe de l’Uruguay round
précaution. • Une logique culturaliste ou indigéniste, venue
Cette complexité se retrouve dans la se greffer aux débats à la fin des années
difficulté de définir la biodiversité de façon quatre-vingts.
opérationnelle. C’est d’ailleurs sur ce constat À l’évidence, cette multiplicité des raisons à
que concluait P.-H. Gouyon en 1994 en la source des débats conduit à deux conceptions
dessinant quatre dimensions à prendre en parfois antinomiques de la biodiversité : l’une
compte : « la biodiversité est effectivement un se fonde sur la compréhension de ses fonctions
ensemble de phénomènes qui évoque la écologiques alors que l’autre y voit avant tout
complexité. On ne doit pas compter à égalité une notion patrimoniale.
dans la biodiversité de la biosphère un
éléphant et une bactérie. Un éléphant à lui tout 1.3. La biodiversité comme enjeu
seul « ça fait plus de biodiversité » qu’une
bactérie car ce sont de nombreuses lignées À l’issue de ces deux premières parties de
cellulaires... Il y a un concept en développement l’article, il faut se souvenir que l’intérêt du

15 Certes, il existe de multiples tentatives de construction d’indicateurs synthétiques de la biodiversité, mais ils sont contingents à
un questionnement scientifique ou à un objectif de politique
16 Dans la littérature scientifique, le spectre des évaluations est large puisqu’il varie de 3 à 100 millions d’espèces (Heywood, 1995).
Les plus probables se situent entre 10 et 30 millions, 12,5 millions étant souvent considéré comme une estimation raisonnable. À
ce jour, les systématiciens en ont décrit 1,7 million. Les vertébrés et les végétaux supérieurs sont les mieux connus. Les insectes
sont les plus nombreux, mais beaucoup d’invertébrés, de champignons et de micro-organismes restent à inventorier.
17 Pour plus d’informations sur cette liste, consulter le site Internet www.redlist.org
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

débat sur la biodiversité se fonde sur le recensées. Au début des années quatre-
fait que celle-ci est aujourd’hui menacée de vingt-dix, 35,5% des amphibiens, 21,2% des
façon extrêmement préoccupante. Il est mammifères, 16,2% des reptiles, 14,7% des
évidemment difficile d’espérer un consensus oiseaux et 6,3% des poissons étaient menacés
quantifié sur un rythme de disparition. Et ce : c’est-à-dire « en danger » ou « vulnérables
d’autant que nul ne sait comment le mesurer, ». Par ailleurs, la liste rouge de l’UICN établie
même si le nombre d’espèces disparues ou les en 1996 précisait que 117 espèces de végé-
surfaces de zones humides ou de forêts taux, 61 d’invertébrés, 13 de mammifères,
détruites, notamment sous les Tropiques, 7 d’oiseaux, 2 d’amphibiens et 3 de reptiles et
permet de donner des chiffres facilement de poissons, menacées à l’échelle mondiale,
médiatisables. De toute façon, la conclusion étaient localisées sur le territoire français
est sans équivoque : nous sommes actuelle- métropolitain.
ment au cœur d’une crise d’extinction de Ainsi, tant au niveau mondial que français,
grande ampleur. le diagnostic est sans ambiguïté : la dégrada-
tion de la biodiversité constitue une réalité et
1.3.1. La biodiversité est menacée il s’effectue à un rythme traduisant une
évolution massive de notre environnement
Les études sur le rythme de disparition de la naturel. Mais quelles sont les causes de ce
biodiversité restent très imprécises, voire phénomène et que pouvons nous y faire ?
contradictoires. Selon des travaux antérieurs
à la Convention sur la diversité biologique 1.3.2. Les principales causes de
recensés en 1992 par le World Conservation dégradation
Monitoring Centre, le rythme de perte
globale sur les vingt-cinq dernières années du Sans surprise, la destruction de la biodiver-
20ème siècle est estimé entre 2 et 10% du sité est majoritairement due aux activités de 33
nombre total d’espèces vivantes par décennie. l’homme. En 1996, l’OCDE distinguait deux
L’Union internationale pour la conservation types de causes :
de la nature (UICN), institution internationale • Les causes immédiates, telles la modifica-
de référence en matière de conservation de tion, voire la destruction des habitats, la
la biodiversité, établit régulièrement une liste pollution, l’exploitation d’espèces sauvages,
rouge des espèces menacées 17. En 2000, elle l’introduction d’espèces exogènes, l’homo-
a recensé 11 046 espèces de plantes et généisation et/ou la modification de
d’animaux confrontées à un risque sérieux l’environnement mondial
d’extinction dans un avenir proche du fait, • Les causes sous-jacentes, tels les modes de
dans la quasi-totalité des cas, des activités production et de consommation, la crois-
humaines. Parmi ces espèces menacées se sance démographique et la répartition
trouvent 24% des espèces de mammifères et de la population et/ou les défaillances
12% des espèces d’oiseaux. Concernant les économiques.
plantes, 5 611 espèces sont considérées Hiérarchiser sans ambiguïté ces sources de
comme menacées, mais à peine 4% des pertes de diversité biologique impliquerait de
espèces connues ayant été évaluées, le répondre à la question controversée de la
nombre réel d’espèces menacées est assuré- quantification. On peut cependant trouver un
ment beaucoup plus élevé. large consensus sur trois menaces
En 1996, le rapport de l’OCDE sur l’inven- principales :
taire des espèces faunistiques et floristiques • La première est la conversion des terres,
menacées a prouvé que la France n’était pas notamment d’espaces plus ou moins
épargnée et que les espèces en danger y naturels, au profit d’usages anthropisés,
occupaient une part significative des espèces comme l’agriculture, l’élevage, les voies de
DEMETER 2005

communication ou l’extension des espaces « accidents » ne sont pas récents 20, mais ils
urbanisés. Cette évolution a connu une ont connu une accélération avec le proces-
accélération considérable depuis le 19ème sus de mondialisation. De plus, ces invasions
siècle et elle a été accentuée depuis le milieu peuvent résulter d’introductions volon-
du 20ème par le boom démographique qui taires par des secteurs d’activité les utilisant
commence à peine à ralentir 18. Ainsi, depuis à leur profit (agriculture, exploitation
les années soixante-dix, les forêts tropicales, forestière, aquaculture...).
qui contiendraient environ la moitié des Derrière ces sources majeures de pertes de
espèces vivantes, sont détruites pour des diversité biologique, les causes correspondent
usages généralement agricoles au rythme à des tendances lourdes de l’évolution de nos
accéléré de 10 à 15 millions d’hectares par sociétés : tout le processus de croissance
an. démographique et de développement
• Le réchauffement climatique constitue économique dans sa forme actuelle explique
probablement une cause majeure de perte l’accroissement des pressions exercées sur les
de diversité et, si ce n’est pas encore le écosystèmes et les espèces sauvages ou
cas, il le deviendra 19. La modification des domestiques. Et il faut souligner que ces
paramètres climatiques condamne les pressions sont le plus souvent diffuses et ceci
espèces à s’adapter ou à migrer à un rythme rend leur perception et leur identification
peu compatible avec ce qu’on sait de ces difficile : d’où la définition et la mise en
processus. De même que les mammouths œuvre aléatoires d’actions de prévention.
n’ont pas survécu à la fin de la dernière
période glaciaire, de multiples biocénoses 1.3.3. Les justifications économiques
végétales devraient souffrir du changement des politiques de protection
trop rapide des conditions climatiques, de la biodiversité
34 notamment du fait que les équilibres entre
certaines espèces et leurs concurrents ou Si le constat du changement et de la
leurs symbiotes seront modifiés. profondeur de ses causes est indéniable, il ne
• Le développement des échanges internatio- suffit pas à fonder l’intervention des pouvoirs
naux constitue sans doute la troisième publics pour protéger la biodiversité. En fait,
source majeure de menace, du simple fait cette action se justifie par deux constats :
que ces échanges s’accompagnent de la mise • La biodiversité représente un ensemble de
en contact, volontaire ou involontaire, valeurs importantes
d’espèces dans des écosystèmes auxquels • Comme d’autres biens environnementaux,
elles n’avaient pas accès. Les exemples, elle n’est pas gérée de façon adéquate
parfois médiatisés, sont nombreux : par les régulations socio-économiques exis-
introduction de l’algue Caulerpa Taxifolia tantes : notamment les droits de propriété
en Méditerranée, invasion d’espèces et les marchés.
nord-américaines en Europe aux dépens
d’espèces autochtones, comme par exemple a) La valeur sociale de la biodiversité
les écrevisses, ou explosion des populations Les valeurs sociales de la biodiversité
de lapins dans l’écosystème australien du s’inscrivent dans la plupart des systèmes de
fait de la quasi-absence de prédateurs. Ces justification sous-tendant nos sociétés 21. Les

18 Trois milliards d’habitants sur la planète en 1960, six avant 2000 et une dizaine vers le milieu du XXIe siècle
19 Les changements dans les paramètres climatiques ont constitué la cause principale des précédentes grandes crises d’extinction
20 Aux États-Unis, un programme de dépistage a ainsi permis d’identifier près de 4 000 espèces de parasites présents dans le bois
des emballages
21 Vivien, 2002
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

tentatives d’intégrer ces sources dans des est que nous n’avons pas réellement le droit
évaluations économiques ont suscité de de détruire ce qui ne nous appartient pas.
multiples travaux dont on peut retenir quatre La diversité de la vie est une réalité trans-
points : cendant les usages humains et sa préserva-
• La diversité biologique peut présenter une tion apparaît, à bien des égards, comme un
utilité directe pour différentes activités impératif éthique. Ces valeurs éthiques
productives ou récréatives : par exemple, un peuvent être traduites dans le paradigme
ensemble de produits de cueillette qui reste utilitariste en termes de préférences
une activité importante et qui, pour partie, altruistes : envers ceux de nos contempo-
fait l’objet d’une valorisation marchande. rains pour lesquels la conservation préserve
De même, le plaisir qu’éprouvent les millions des valeurs d’usage réelles ou potentielles,
d’observateurs de la nature, au premier rang envers les générations futures, envers les
desquels les ornithologues, constitue une espèces menacées auxquelles certains
motivation forte dans de nombreux peuvent reconnaître des droits à l’existence
endroits du monde, notamment en Europe. et plus largement envers la nature.
* La biodiversité peut aussi contribuer à des Ce faisant, on atteint les limites de
services que les économistes qualifient de l’évaluation économique. Mais cet exercice
secondaires ou d’indirects car les bénéfi- n’est pas purement académique : il vise à
ciaires ne sont pas en relation avec les permettre un traitement équitable de la
éléments dont ils tirent avantages, voire en biodiversité dans les évaluations de projets ou
ignorent l’existence. Les herbiers à posido- de politique. Il peut également constituer un
nies, qui permettent à de nombreuses cadre de pensée pour les négociations visant
espèces marines de frayer, sont ainsi mena- à déterminer jusqu’où protéger, en permet-
cés par l’invasion de l’algue Taxifolia. Cet tant de comparer les coûts et les avantages de
exemple illustre la valeur fonctionnelle la conservation dans un même numéraire. 35
parfois difficile à visualiser de la diversité. Enfin, il peut aider les décideurs publics à
• Les valeurs d’usage potentiel de la diversité hiérarchiser différents projets de conserva-
sont fréquemment évoquées : notamment tion dont les contraintes budgétaires font
en relation avec l’activité de prospection des des options alternatives. La conservation
laboratoires pharmaceutiques ou des intéresse, en positif et en négatif, de
groupes semenciers. L’intérêt de la diversité nombreuses parties entre lesquelles il s’agit
réside ici dans la possibilité qu’au sein des de créer un consensus dont l’obtention pourra
millions d’espèces restant à découvrir et à impliquer la mise en place de compensations
analyser, on trouve le gène ou la molécule financières.
susceptible de résoudre un problème actuel Dans les études recensées par la Global
ou futur. La préservation de la diversité biodiversity assessment 22, les valeurs des
apparaît comme une forme d’assurance écosystèmes forestiers tropicaux pour leurs
pour des risques actuels ou potentiels. Elle seules utilisations directes et non-destruc-
est également liée au caractère irréversible trices varient de 1 à 150 dollars par hectare et
de la destruction qui rétrécit les possibilités par an. Au-delà de leur variabilité, ces
futures de choix : une fois les espèces ou les résultats signifient que la valorisation de ces
gènes détruits, il ne sera vraisemblablement usages reste le plus souvent sensiblement
plus possible de les recréer. inférieure aux bénéfices attendus de leur
• Une justification très présente dans les exploitation forestière ou de leur conversion
argumentaires en faveur de la conservation à des usages agricoles... du moins, à court

22 Heywood, 1995
DEMETER 2005

terme. Tel n’est pas le cas pour les travaux de créer des mécanismes de coordination.
ntégrant les valeurs liées aux usages indirects, Pour la production des biens économiques,
potentiels et passifs. Ceux-ci semblent c’est a priori de mécanismes marchands,
aboutir à la conclusion que l’option de la éventuellement corrigés, qu’on attend cette
conservation est souvent préférable. La coordination des comportements. Mais, la
portée pratique de ces évaluations reste plupart des motifs fondant la valeur sociale
cependant controversée car la part des valeurs de la biodiversité ne sont pas, on l’a vu, des
de non-usage y est souvent prépondérante. usages marchands. La biodiversité est un
Or, il s’agit de la partie la plus fragile des « bien public mixte » au sens où seule une
évaluations du fait de l’existence de biais partie limitée de sa valeur est appropriable
dans l’appréhension du problème par les par des personnes privées ou des groupes
personnes interrogées : celles-ci tendent en localisés. De plus, sa valeur se fondant sur
effet à surestimer leur possible engagement l’intérêt de tiers absents (les générations
en faveur de cette cause 23. futures, les autres espèces...), on parle géné-
Concrètement, même en restant dans le ralement à son sujet de bien public global.
cadre de préférences individuelles 24, la valeur La gestion des questions de conservation
sociale de la biodiversité repose donc rencontre donc des problèmes de biens
largement sur des intérêts que les individus communs en libre accès : chacun souhaite en
ne peuvent pas facilement exprimer car ils bénéficier, mais nul n’a intérêt à en supporter
concernent immédiatement des enjeux les coûts. De ce fait, il faut créer des méca-
collectifs. Ainsi, la possibilité de découvrir des nismes de gestion collective dans le cadre de
molécules d’intérêt pharmaceutique concerne politiques publiques. Cette obligation a été
potentiellement chacun d’entre nous, mais elle mise en œuvre de différentes façons. La
est sans doute mal traduite par l’addition de création de zones protégées et de réglemen-
36 consentements individuels à payer. En fait, elle tation des pratiques (chasse, pêche,
s’exprime par l’action de groupes industriels cueillette...) a permis une première vague
jugeant y avoir intérêt. D’autres valeurs, de protection sur la base de motivations
indirectes ou altruistes, s’expriment à travers largement antérieures à la focalisation sur la
des organisations non-gouvernementales. diversité biologique. Puis, le caractère insuffi-
Plus largement, la plupart des décisions de sant de ces mesures a conduit à chercher dans
conservation découlent d’un processus fondé les instruments incitatifs les moyens d’étendre
sur les jugements d’experts : expertise scienti- la protection de la diversité sur des espaces
fique sur l’intérêt de telle ou telle protection, privés, sans y interdire toute pratique.
expertise technico-économique sur sa faisabi- Aujourd’hui dans le monde, de multiples
lité pratique ou jugement politique sur initiatives d’origines publiques, nationales,
l’acceptabilité par les populations concernées. internationales ou privées, notamment par le
biais d’ONG comme Conservation
b) La nécessité d’une intervention publique International ou le World wide fund for
La conservation de la biodiversité concerne nature (WWF), mettent en place des méca-
une pluralité d’acteurs entre lesquels il s’agit nismes de contrats ou de compensation pour

23 Seules les méthodes basées sur des choix hypothétiques (évaluations ou classements contingents, choice modeling, etc.)
permettent d’appréhender les valeurs non liées à des comportements observables (idée de « non-usage »). Or, le fait qu’elle
reposent sur des déclarations et non des comportements réels entraîne une série de difficultés : en particulier, un biais dit
d’inclusion qui traduit le fait que les personnes interrogées déclarent des consentements à payer pour la conservation de certains
actifs qui sont en fait relatifs à des catégories beaucoup plus larges. Ainsi, à la question « quel serait votre consentement à payer
pour protéger telle espèce ou tel écosystème ? », certaines personnes déclarent le prix qu’elles accordent, par exemple, à la
protection de la nature en général.
24 Il est clair que les personnes et les institutions militant en faveur de la protection de la biodiversité tendent à en faire un
« impératif moral » pour lequel les jugements d’experts sont la seule base acceptable de décision
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

les personnes ou les communautés acceptant vis-à-vis du maintien des pratiques ayant
de modifier leurs pratiques d’exploitation des façonné ces milieux. Le recul des activités
milieux naturels afin de protéger la diversité « traditionnelles » peut se traduire par des
biologique. pertes de diversité liées à la disparition des
De plus, les politiques de la biodiversité espèces inféodées aux milieux anthropisés 26.
constituent aussi des enjeux de développe- Les nouvelles approches essaient donc de se
ment, notamment dans les zones encore peu focaliser sur la notion de soutenabilité des
anthropisées des pays en développement. usages 27 en considérant la biodiversité comme
Leur mise en défens pure et simple peut un ensemble de ressources naturelles renou-
constituer une remise en cause inutile de velables, mais épuisables au-delà d’un seuil
pratiques anciennes, régulées et importantes critique.
pour la survie de communautés et se révéler Finalement, c’est la question du niveau
inefficace car les administrations en charge d’intervention adéquat qui est posée, avec un
de cette politique n’auront pas les moyens ensemble de considérations sur la gestion au
d’empêcher les populations locales d’entrer niveau global, national, local, ainsi que la
dans les aires protégées. De même, la mise en nécessité d’une approche intégrée et l’élabo-
place de règles rigides ou mal expliquées a ration d’une stratégie cohérente. Cette ambi-
parfois aussi été mal accueillie en Europe, guïté de la biodiversité, qui constitue à la fois
dans des zones fortement et anciennement un bien public global et un bien public local,
transformées par des groupes, comme les a évidemment marqué la définition des poli-
agriculteurs ou les chasseurs car ceux-ci y tiques publiques depuis leurs débuts.
voyaient la négation de leurs pratiques. Pour
éviter cela, les stratégies de conservation sont, 1.4. Les premières initiatives
depuis une dizaine d’années, de plus en plus politiques 37
conçues dans une perspective de « dévelop-
pement durable » 25 : c’est-à-dire une Aux niveaux local et national, la mise en
approche qui, peut-être pour tenir compte de place des premières politiques de préserva-
la perte de légitimité des actions de l’État, tion de la nature répondait à diverses
s’efforce de mieux intégrer les activités et les motivations parmi lesquelles la conservation
intérêts des populations ou des groupes de la diversité biologique est une préoccupa-
concernés. tion récente 28. De ce fait, les responsables
Cette analyse permet de mieux appréhen- nationaux, régionaux ou locaux disposent,
der les relations ambiguës qu’entretiennent depuis les années soixante, d’un arsenal
biodiversité et anthropisation. Dans les d’instruments pour protéger la nature.
milieux anciennement transformés par Au niveau international, les premières
l’action de l’homme, le constat a été fait de la actions concertées de conservation ont été
dépendance de la conservation de la diversité conduites durant la première moitié du 20ème

25 Ce slogan politique apportant de fait une nouvelle légitimité à des réflexions amorcées depuis longtemps pour protéger la
nature dans les écosystèmes fortement anthropisés, comme le Parc des Cévennes (cf. Chassany et al., 2004)
26 Ainsi, le recul des pratiques de pâturage se traduit-il par la fermeture des paysages, liée au boisement progressif par quelques
espèces qui entraînent sa banalisation. On peut aussi considérer qu’il ne s’agit que d’une phase transitoire de re-colonisation à
l’issue de laquelle réapparaîtra une nouvelle diversité.
27 Il faut distinguer l’exploitation durable d’une ressource (qui se pose surtout en termes de droits de propriété, de régulation de
l’accès et d’horizon temporel) de la protection de l’écosystème environnant qui n’est que partiellement son corollaire et pose des
problèmes de nature différente (valeurs de bien public). On peut, par exemple, gérer de façon soutenable une forêt pour la pro-
duction de bois sans protéger beaucoup la biodiversité environnante, alors que d’autres composantes de l’écosystème peuvent
intéresser d’autres usagers ou avoir des valeurs de non-usage.
28 Le premier Parc national crée dans le monde l’a été en 1872. C’est celui de Yellowstone dans le Wyoming aux États-Unis. Il
visait à préserver un espace naturel singulier « for the benefit and enjoyment of the people ».
DEMETER 2005

siècle. Elles sont ciblées sur certaines espèces, des parcs nationaux, instituant des mesures de
notamment des oiseaux ou des mammifères protection contraignantes et de plus en plus
emblématiques, mais aussi sur la gestion des souvent incitatives, pouvaient et devaient être
ressources dites « utiles à l’homme ». L’idée de créés dans des zones fortement anthropisées a
biodiversité n’est clairement pas présente fait son chemin. Parallèlement, le constat a été
dans les motivations de ces accords : là encore, fait que la création d’espaces protégés
il faut attendre la fin du 20ème siècle. (essentielle pour protéger la « nature excep-
Dans cette partie de l’article, nous allons tionnelle », notamment les zones très riches en
successivement présenter les premières termes de diversité biologique) ne pouvait
mesures nationales, puis les premières seule assurer la préservation à long terme
conventions internationales spécifiques, d’une nature plus ordinaire, dont le fonction-
avant de conclure sur les conventions inter- nement constitue un facteur de stabilité
nationales à vocation générale, comme la essentiel à l’ensemble des équilibres observés.
Convention de Ramsar ou celle de Rio. La conservation de la nature s’est donc enga-
gée dans une politique à deux vitesses 30 entre
1.4.1. La conservation de la nature en • la préservation des zones jugées les plus
France : une histoire déjà longue importantes au sein d’un réseau d’espaces
protégés : réserves naturelles, parcs natio-
Depuis le 19ème siècle, plusieurs conceptions naux, parcs régionaux, zones naturelles
de la préservation de la nature se sont affron- d’intérêt écologique, faunistique et floris-
tées : d’abord au sein de la communauté tique (ZNIEFF), etc.
cientifique, puis depuis une quarantaine d’an- • un ensemble de mesures visant à éviter les
nées dans un débat public. dégradations les plus graves et les plus
Il est impossible d’entrer ici dans les détails évitables sur l’ensemble du territoire.
38 et les multiples étapes de ces débats 29, mais il Il est pourtant clair que la conservation de la
faut au moins en préciser l’une des lignes diversité de la nature est l’un des objectifs
d’affrontement : celle opposant la protection justifiant l’existence de parcs. Dans les travaux
de la nature et des ressources naturelles avec de l’Union Internationale pour la Conservation
et pour l’homme (« conservationisme ») à la de la nature, celle-ci a toujours été en bonne
protection de la nature sans et contre l’homme place 31. Dès leur création, les parcs nationaux
(« preservationism »). français se sont lancés dans des inventaires
Cette opposition se traduit en termes de d’espèces végétales et animales et le nombre
conception des aires protégées. En France, d’espèces, notamment endémiques ou mena-
comme dans la plupart des pays, ce sont avant cées, a clairement constitué un argument
tout dans des zones marginales, faiblement d’importance. Comme le remarque G. Barnaud
anthropisées, voire hors du territoire métro- en 1998, « il est difficile de savoir si l’intérêt
politain, qu’ont prioritairement été créées les pour les « sanctuaires de nature vierge »,
réserves de nature. Mais cette approche s’est vestiges de paysages spectaculaires équivalents
rapidement heurtée à la difficulté de protéger d’objets d’art, a réellement précédé la
des aires importantes et elle a renforcé les préoccupation envers le maintien et l’amélio-
oppositions lors de la création de chaque parc. ration de la qualité des habitats intéressants
Dès 1970, le Parc national des Cévennes a dû pour des espèces et populations menacées. Les
voir le jour avec plus de 500 résidents perma- deux objectifs semblent intimement liés, même
nents dans sa zone centrale. Depuis, l’idée que si les arguments mis en avant peuvent varier

29 Lire Larrère et Larrère, 1997


30 Comme nous le verrons plus loin, cette dualité se retrouve encore aujourd’hui dans les politiques européennes
31 UICN, PNUE et WWF, 1980, 1991
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

selon les périodes et les contextes locaux ». • Dans un premier temps, la protection de
La conservation de nature trouve sa source « sanctuaires de nature inviolables », c’est-
dans les réserves de chasse issues de l’Ancien à-dire d’espaces de grande valeur paysagère,
régime et celles-ci sont identifiées dès 726. Mais faunistique et floristique
les réserves modernes ont été motivées à la fin • Puis la prise en compte de l’environnement
du 19ème siècle par des considérations plutôt général des sites et l’intégration des activités
« artistiques » de protection des « monuments humaines dans les objectifs de conservation
naturels » et de sites pittoresques 32 auxquels • Enfin, la tendance récente correspond au
étaient attachées des valeurs spirituelles 33. développement du « génie écologique »
L’histoire moderne de la conservation de la visant à gérer et restaurer les espaces et
nature peut ainsi être schématisée en trois espèces à l’aide de techniques biologiques et
phases 34 : physiques.

Encadré
Les origines de la création de zones protégées en France

L’apparition des premiers espaces délimités et réglementés, c’est-à-dire des premières


réserves naturelles européennes, est liée à la féodalité : ce sont des réserves de chasse. Elles
font partie des moyens utilisés par les seigneurs pour préserver leurs réserves de gibier et
gérer leurs ressources en eau et en bois. Ce sont donc des objectifs cynégétiques ou straté-
giques qui ont conduit à protéger la nature.
Au 19ème siècle sont mises en places les premières structures juridiques et réglementaires
nationales sur « l’usage de la nature ». Ainsi sont définies des « séries forestières artistiques
» désignant des arbres dont les qualités sont telles qu’ils sont préservés de l’exploitation clas-
sique. Vers la fin du 19ème et au 20ème siècle, sont créées des réserves forestières biologiques. 39
Les grandes réserves nationales de chasse sont alors déjà constituées, notamment celle du
Mercantour. La loi sur la protection des monuments naturels et des sites de caractère artis-
tique, historique ou pittoresque, date du 2 mai 1930. Ainsi, en France, la protection de la
nature répond, surtout à ses débuts, à un souci d’ordre esthétique.
L’idée de création des Parcs nationaux résulte de la conjonction de plusieurs politiques : cul-
turelle, esthétique, scientifique et technique. Elle est aussi étroitement liée à l’action conti-
nue d’une administration bien implantée sur le terrain : celle des Eaux et Forêts. Avant même
la réglementation instituant les Parcs nationaux, cette administration a de fait contribué à la
protection de certains sites.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, la France est l’un des rares pays développés à ne
pas disposer d’une législation concernant des Parcs nationaux. Seules existent des réserves
naturelles créées et gérées pas les Eaux et Forêts ou des organismes comme la Ligue de pro-
tection des oiseaux (LPO) ou la Société nationale de protection de la nature (SNPN).
Finalement, le 27 novembre 1946, un décret institue le Conseil national de protection de
la nature, avec mission de définir les statuts des Parcs nationaux français. Mais la loi-cadre
instituant les Parcs nationaux et élaborée par le ministère de l’Agriculture n’est adoptée que
le 22 Juillet 1960. Sept Parcs nationaux sont successivement créés par décret.

32 G. Barnaud (1998) rappelle qu’en 1947, A. Wolff, représentant du ministère de l’Éducation nationale, notait dans son discours
d’ouverture de la première séance du Conseil national de la protection de la nature que « la notion de réserve est née en France
sous l’influence des peintres de l’École de Barbizon »
33 Larrère et Larrère (1997) ont souligné le caractère moral attaché à la nature naturelle, opposée à la nature artificialisée
34 Barnaud, 1998
DEMETER 2005

1.4.2. La dynamique scientifique et opposés de la préservation de la nature


les politiques de conservation (position transcendantale), la gestion des
ressources (position utilitaire) et la conservation
À la fin du 19ème siècle, les premières politiques de la nature (position rationnelle), la biologie
modernes de conservation sont initiées par une de la conservation est ainsi définie comme une
série de précurseurs aux références très variées, « science de mission » qui ne peut donc
qu’il s’agisse de démarches individuelles 35 ou s’abstraire d’une forte dimension éthique.
associatives comme celles du Touring Club en En 1985, parallèlement 39, le naturaliste
France, du Sierra Club aux États-Unis ou de la américain Edward O. Wilson propose une brève
Ligue de protection des oiseaux en Angleterre. synthèse sur la crise de la diversité biologique
Cependant, si « dès l’origine, la communauté au niveau planétaire. Il est considéré comme le
scientifique a été un élément essentiel du mou- père du mot « biodiversity ». Le terme est
vement associatif de protection de la nature ; définitivement intronisé par l’ouvrage de
elle s’en est peu à peu écartée et restera, à synthèse éponyme qu’il publie en 1988, dans un
quelques brillantes exceptions près, loin du contexte où, avec la constitution de la commu-
bouillonnement des années soixante-dix » 36. nauté scientifique sur le Global Change,
Au-delà de l’opposition entre les exigences de l’analyse des phénomènes écologiques à
cohérence et de « pureté » des scientifiques et grande échelle semble échapper à la commu-
la diversité des motivations des militants nauté des biologistes et devenir le domaine
associatifs, Barnaud et Lefeuvre ont montré en d’application des physiciens. Le vocable « bio-
1992 que la déconnexion des biologistes par diversité » devient une forme de bannière
rapport au monde de la conservation avait de affirmant que l’écologie ne peut se limiter à des
profondes racines dans l’histoire des idées en analyses quantitatives de flux de matière
écologie et l’évolution des institutions concer- et d’énergie : elle doit aussi s’intéresser à la
40 question du qualitatif et donc de la diversité à
nées. « Si la protection de la nature est un
concept accepté depuis un siècle par la l’échelon local comme global.
communauté des naturalistes intéressés par la
1.4.3. Les organisations
pérennisation de la diversité des formes du
non-gouvernementales et
vivant (...). Les biologistes et écologues
la dynamique des politiques
d’origine purement académique ont été plus de conservation
réticents à s’investir. (... et) l’intérêt significatif
de la communauté date plutôt des années Le mouvement associatif est resté le plus
quatre-vingt avec l’émergence de la biologie de actif en matière de promotion de la conser-
la conservation » 37. vation. En pratique, « le regain d’intérêt pour
La naissance de ce nouveau courant interdis- le concept de conservation de la nature
ciplinaire, « visant à fournir des principes résulte en grande partie de la politique menée
scientifiques et à les développer du point de par l’UICN, en particulier de la publication
vue technologique dans le but de maintenir la en 1980 de la Stratégie mondiale de la
diversité biologique » 38 n’a cependant pas conservation : la conservation des ressources
apaisé le malaise. Visant à opérer une synthèse vivantes au service du développement
entre les objectifs affichés par les courants durable » 40. Ce document apparaît à la source

35 Notamment des gens comme MM. Emerson, Marsh, Muir, ou Thoreau aux États-Unis
36 Raffin et Ricou (1985)
37 G. Barnaud (1998)
38 Soulé, 1985
39 E.O. Wilson publie son article en 1985, dans le même numéro de la revue BioScience que celui où écrit Soulé
40 G. Barnaud
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

même du renouveau des politiques de conser- accords. Cependant, ceux-ci ont contribué à
vation intégrant de façon plus « compréhen- son élaboration, comme par exemple :
sive » le constat de la présence et de l’action • La Convention Européenne pour la protec-
des hommes. Il est également le premier où tion des oiseaux utiles à l’agriculture datant
apparaît la notion de « développement du 10 mars 1902
durable ». • Le Congrès international sur la protection
Cette fausse coïncidence se traduit jusqu’à de la nature réuni à Paris en 1909
aujourd’hui dans la coexistence parfois • La Convention sur le phoque à fourrure du
conflictuelle de deux courants au sein Pacifique nord signée par les États-Unis et le
es organisations non-gouvernementales Canada le 7 juillet 1911 à Washington
impliquées dans la conservation 41 : l’un, • La Convention relative à la conservation de
arfois qualifié de « conservationiste », privi- la faune et de la flore à l’état naturel du
légie la préservation de la diversité naturelle 8 novembre 1933 tenue à Londres
de l’action des hommes alors que l’autre, dit • La Convention internationale du 2 décembre
« développementiste », souligne la fréquente 1946 pour la réglementation de la chasse à
dépendance de la biodiversité envers les la baleine, dite Convention baleinière inter-
actions des hommes sur les milieux. Les nationale (CBI) et tenue à Washington 43.
positions respectives des deux courants attei- De plus, au fil des années, ont successive-
gnent parfois un certain radicalisme. Les ment été mises en place l’Organisation
organisations conservationistes se voient ainsi des Nations unies (ONU) en 1945, l’Union
accuser de négliger le sort des populations qui internationale pour la conservation de la
vivent des écosystèmes dont elles seront nature (UICN) en 1948 ou le WWF en 1961.
exclues par les mesures de protection, alors En septembre 1968, l’UNESCO 44 a organisé
que d’autres voient systématiquement l’effet la Conférence sur la biosphère en association
des modes d’usage des milieux dans la biodi- avec l’UICN, la FAO 45 et l’OMS, l’Organisation 41
versité observée 42. mondiale de la santé.
Il faut souligner que les ONG ont largement Puis, en 1972, durant la conférence de
su occuper la place laissée vacante par la Stockholm, les États reconnaissent que
communauté « académique » en matière certaines activités sociales peuvent porter
d’expertises scientifiques auprès des organi- préjudice à l’environnement humain, alors
sations internationales : notamment la qu’à l’opposé, l’homme peut utiliser ration-
Convention des Nations unies sur la diversité nellement les ressources environnementales
biologique (CDB). dans son propre intérêt et dans celui des
générations à venir. De plus, la protection et
1.4.4. Les conventions internationales l’amélioration de l’environnement humain ne
doivent pas être l’apanage des seuls pays
L’idée de biodiversité dans sa forme actuelle industrialisés. Elle doit également concerner
est absente des motivations de nombreux les pays en développement. La déclaration

41 Cette opposition se retrouve évidemment à d’autres niveaux : par exemple, l’opposition Nord - Sud dans les négociations inter-
nationales ou l’opposition entre ministères de l’Agriculture et de l’Environnement lors de certains conflits français
42 Sans entrer plus avant dans ce débat, il faut cependant citer l’action de Conservation International : notamment l’établisse-
ment par N. Myers de la liste des « hot spots », c’est-à-dire des zones du monde hébergeant la plus riche diversité. Il a été repro-
ché à cette organisation de donner la prééminence à la conservation sur les populations, mais les « hot spots » correspondent à
des zones anthropisées.
43 Dans le cadre de la Convention baleinière internationale, la France a participé à l’adoption d’un moratoire interdisant la chasse
pour toutes les espèces de baleines, tant que de nouvelles règles d’évaluation des stocks, puis de gestion des populations ne
seraient pas définies
44 L’UNESCO est l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture
45 La FAO est l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
DEMETER 2005

finale de la conférence de Stockholm aborde américain Edward O. Wilson qui a largement


donc clairement la protection de l’environne- contribué à la recherche sur la biodiversité et
ment du point de vue de l’intérêt des hommes à la popularisation de ce concept 48. Au cours
46
. Et elle donnera naissance au Programme des années quatre-vingt-dix, la question de la
des Nations unies pour l’environnement biodiversité devient un thème scientifique
(PNUE), basé à Nairobi au Kenya. majeur mais aussi le sujet d’une prise de
Durant cette période marquée par la conscience plus large. Les parties prenantes
création d’administrations en charge de au Forum élaborent des conventions ayant
l’environnement dans de nombreux pays 47, les pour objectifs la mise en œuvre des voies et
politiques de protection de la nature des moyens nécessaires à la conservation de
commencent à mettre l’accent sur la diversité la diversité biologique. Deux conventions
biologique. Toutefois, elles privilégient la internationales sont essentielles en la
plupart du temps une espèce particulière. Il matière :
s’agit souvent de protéger des espèces emblé- • La Convention Ramsar relative aux zones
matiques ou menacées d’extinction et/ou humides d’importance internationale,
vulnérables. S’en suit un ensemble de conven- signée le 2 février 1971. Les zones humides
tions internationales, de traités et de systèmes sont reconnues comme réservoirs de gènes,
de transferts bilatéraux ou multilatéraux en d’espèces et d’écosystèmes à l’échelle de la
faveur de la diversité biologique, mais aussi planète. Leur importance porte sur la
de politiques nationales de conservation : conservation de la diversité biologique, mais
• La Convention de Washington du 3 mars aussi sur des fonctions hydrologiques et
1973 sur le commerce international des écologiques, particulièrement en tant
espèces de faune et de flore sauvages qu’habitats des oiseaux d’eau. Elles paient
42 menacées d’extinction, ratifiée par la France pourtant un lourd tribut aux progrès
par la loi n° 77-1423 du 27 décembre 1977 techniques qui accélèrent leur destruction :
et entrée en vigueur le 10 mai 1978 pollutions, artificialisation, assèchement,
• À l’échelon européen, la Convention de remblaiement, intensification, industrialisa-
Bonn sur les espèces migratrices du 23 juin tion, urbanisation sont autant de causes de
1979, ratifiée par la France en 1989 et entrée la dégradation des zones humides et les
en vigueur le 1er juillet 1990 dégâts se révèlent souvent irréversibles.
• La Convention de Berne pour la conserva- a Convention Ramsar a permis d’établir
tion de la vie sauvage et du milieu naturel une liste d’environ 1 235 zones humides
en Europe du 19 septembre 1979, ratifiée d’importance internationale. Elles sont
par la France en 1989. réparties dans les 135 parties contractantes
En 1986, se tient aux États-Unis le premier et couvrent plus de 106,6 millions d’hec-
Forum scientifique sur la diversité biologique. tares. La France l’a ratifiée le 1er octobre 1986
Il est organisé par le National Research Council et elle a déjà inscrit sept sites, dont trois dans
sur la base des travaux du naturaliste les Départements d’outre-mer.

46 Quelques principes, parmi les vingt-six que comporte la déclaration, montrent clairement ce rôle épicentrique de l’homme qui
a « le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures » (principe 1) et « doit
être le garant de la sauvegarde du patrimoine naturel de l’humanité... » (principe 4). De plus, « les ressources naturelles du globe
comme l’air, l’eau, la terre, faune et flore... doivent être préservées pour le bénéfice des générations présentes et futures » (prin-
cipe 2). Enfin, « les capacités de la terre à produire les ressources vitales et renouvelables doivent être préservées et/ou restaurées
là où c’est encore possible » (principe 3).
47 Aux États-Unis, la création de l’Environmental Protection Agency date de 1970 et la France s’est dotée en 1971 d’un ministère
de l’Environnement
48 En 1985, il avait publié l’article « The crisis of biological diversity : issues in science and technology » qui connut un large reten-
tissement. Puis il a édité en 1988 le premier ouvrage de synthèse sur le sujet intitulé Biodiversity.
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

• La Convention sur la diversité biologique l’humanité » prévalant antérieurement. Elle


(CDB) constitue un accord-clé adopté lors reconnaît en effet dans son article 15 que
du sommet de Rio de Janeiro en 1992. Les « le pouvoir de déterminer l’accès aux
187 pays signataires s’engagent à maintenir ressources génétiques appartient aux
l’équilibre écologique planétaire tout en gouvernements et est régi par la législation
allant vers le développement économique. nationale ». Dans la plupart des cas, les
Dans son article premier, la CDB fixe trois pays concernés ont privilégié des mesures
objectifs principaux : la conservation de la réglementaires, plus faciles à mettre en
diversité biologique, l’utilisation durable de œuvre. En effet, si l’article 11 de la CDB
ses éléments et le partage juste et équitable prescrit aux parties prenantes de mettre en
des avantages découlant de l’exploitation place des mesures économiquement et
des ressources génétiques 49. La biodiversité socialement rationnelles, incitant à conser-
cesse d’être assimilée à la conservation de la ver et à utiliser durablement les éléments
nature et devient un enjeu en tant que tel. constitutifs de cette biodiversité, la plupart
Dans le préambule de la CDB, la commu- des pays, dont la France, commencent à
nauté internationale reconnaît « qu’un peine à développer de telles politiques.
grand nombre de populations autochtones
dépend étroitement et traditionnellement
des ressources biologiques sur lesquelles 2. LA BIODIVERSITÉ ET LES POLITIQUES
sont fondées leurs traditions et qu’il est
COMMUNAUTAIRES
souhaitable d’assurer le partage équitable
des avantages découlant de l’utilisation des
connaissances, innovations et pratiques À l’échelon européen, au-delà de la mise en
traditionnelles intéressant la conservation œuvre des engagements découlant des
accords internationaux, les politiques de 43
de la diversité biologique et l’utilisation de
ses éléments ». Ainsi, il devient primordial conservation ont pris une place croissante
d’anticiper et de prévenir les causes de la dans le dispositif décisionnel et leur position-
réduction ou de la perte de diversité nement au sein de celui-ci par rapport aux
biologique à la source et de s’y attaquer politiques sectorielles est rapidement devenu
par des mesures appropriées incluant la source de tensions.
coopération et la solidarité internationales. La biodiversité et sa préservation sont abor-
En conséquence, chaque pays devra élabo- dées dans des textes de natures différentes
rer des stratégies tendant à assurer la qui reflètent la complexité du processus de
conservation et l’utilisation durable de la conception et de mise en œuvre des politiques
diversité biologique sur son territoire. La publiques dans un système de type confédé-
CDB affirme que « conformément à la charte ral aux multiples institutions, mais aussi le
des Nations unies et aux principes du droit caractère multi-facettes de la définition
international, les États ont le droit souverain de la biodiversité et de ses rapports avec le
d’exploiter leurs propres ressources selon développement économique et les politiques
leur politique d’environnement » 50. La CDB publiques.
met un accent particulier sur l’accès aux Comme souvent dans l’évaluation des
ressources génétiques, rompant ainsi avec politiques publiques, ce ne sont pas forcément
le concept de « patrimoine commun de les politiques explicitement dédiées à un objet

49 Notamment grâce à un meilleur accès aux ressources génétiques, un financement adéquat et un transfert approprié des tech-
niques pertinentes, en tenant compte des droits sur ces ressources et ces techniques
50 CDB, article 3, Principe
DEMETER 2005

ou un domaine qui ont le plus d’impact sur L’intégration des objectifs de la politique
sa dynamique. Ainsi, la préservation de la environnementale, en particulier celle de la
diversité biologique ou sa restauration ne biodiversité, dans les politiques agricole et
peuvent se concevoir sans une solide coordi- forestière en donne un exemple éclairant.
nation avec les politiques mises en œuvre dans Les sources de la légitimité des politiques
les secteurs à fort impact sur l’espace ou sur environnementales sont différentes de celles
les ressources biologiques : c’est-à-dire les fondant les politiques sectorielles, mais elles
politiques agricole, forestière, de la pêche, des n’en ont pas moins de force. Certes, elles
transports et de l’aménagement du territoire. s’appuient au départ sur l’élaboration et la
Dans cette partie de l’article, nous allons perception du problème par les scientifiques,
d’abord analyser l’origine, la conception et la mais ceux-ci sont très vite relayés par les
mise en œuvre de la politique européenne de nombreuses parties de l’opinion publique
conservation de la biodiversité, puis examiner s’exprimant via les organisations non-
les difficultés de sa mise en œuvre, ainsi que gouvernementales. Les politiques sectorielles,
les moyens utilisés par l’UE pour surmonter elles, sont souvent plus anciennes et élaborées
celles-ci. Ensuite, nous étudierons le processus via un lien quasi-organique avec des groupes
d’intégration des objectifs de protection de la professionnels plus ou moins larges, mais dont
biodiversité dans les différentes politiques le poids économique et politique peut être très
sectorielles, avec un éclairage particulier sur fort dans certains États-membres. Aussi, les
la politique agricole. conflits sont-ils nombreux au stade de la mise
en œuvre et ceci conduit la Commission à
préférer l’usage de la directive à celui du
2.1. Problématique générale
règlement 52. Il en résulte des besoins impor-
tants de coordination et d’intégration, qui
44 Le fil conducteur de notre analyse est le doivent être surmontés à tous les niveaux, y
suivant : étant donné que les problèmes de compris à l’intérieur même des institutions
conception et de mise en œuvre des politiques européennes 53. En effet, si la nature même du
publiques sont souvent difficiles à séparer et problème appelle logiquement à une coordi-
que les politiques publiques ont des effets nation et à une intégration des objectifs de la
collatéraux non inclus dans leurs objectifs politique de biodiversité dans les politiques
explicites, la coordination des politiques sectorielles, ce n’est pas pour autant que sa
publiques devrait être envisagée tout au long légitimité politique est assurée. Encore faut-il
du processus : c’est-à-dire de la conception à que cette intégration soit légitime de haut
l’évaluation. Mais cela est rarement le cas car la en bas : c’est-à-dire au regard des objectifs
plupart des politiques européennes sont issues européens fondamentaux comme des intérêts
de l’objectif global de réalisation du Marché politiques nationaux. À cet égard, il est
commun et répondent donc prioritairement à intéressant de noter que les exigences de pro-
des objectifs et à des besoins sectoriels. tection de l’environnement sont incluses dans
Pourtant, plus la phase de conception d’une l’article 6 du traité de l’Union : sa légitimité
politique néglige les questions de coordination politique est donc la plus élevée qui soit. Un
et d’intégration, plus ces dernières deviennent défaut de mise en œuvre de la politique envi-
contraignantes au stade de la mise en œuvre 51, ronnementale pourrait même être considéré
notamment si celle-ci est décentralisée. comme unerupture des obligations du traité 54.

51 Matland, 1995
52 Jeppesen, 2002
53 Jones et Clark, 2001
54 Ferguson et al. (2001)
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

C’est d’ailleurs la raison qui a motivé le proces- 2.2. La politique communautaire de


sus de Cardiff 55 et conduit la Commission à
protection de la biodiversité
proposer une batterie d’indicateurs d’intégra-
tion 56. Au final, le processus d’intégration défini
2.2.1. Cadre général
à Cardiff s’est révélé faiblement efficace par
lui-même, en particulier dans des secteurs
La biodiversité peut être abordée en tant
comme l’agriculture. En revanche, des progrès
plus lents d’intégration dans des politiques que telle dans des textes généraux (stratégie
sectorielles à forts enjeux politiques nationaux de développement durable et stratégie de biodi-
peuvent refléter un processus d’intégration plus versité), dans les plans d’action ou dans des textes
robuste à moyen terme qu’une intégration plus plus spécifiques comme les règlements ou
rapide, mais seulement formelle 57. Enfin, la directives. Ainsi, elle est abordée sous l’angle de
coordination au niveau local assure une plus la préservation des espèces et des habitats dans
grande solidité et garantit une meilleure inté- la directive dite « Habitats, Faune, Flore » (HFF) et
gration que ne pourrait le faire l’UE avec les seuls dans la directive sur la bio-sécurité et les OGM
instruments à sa disposition (budgets, instru- et la conservation des ressources génétiques
ments juridiques, doctrine des effets directs). d’intérêt agronomique. La préservation des

Encadré
Diversité des textes et procédures de la décision européenne :
de l’analyse à la décision *

Il existe tout d’abord les déclarations, les communications, les plans d’actions et les straté-
gies qui ont vocation à sensibiliser, unifier et coordonner les analyses et éventuellement à
45
préparer les propositions soumises aux différentes instances de l’Union européenne : Conseil,
Commission, Parlement et les instances internes de la commission, comme les Directions
Générales.
La décision politique proprement dite relève de deux grands types de processus. En vertu
de l’Article 211 du traité, c’est la Commission qui a l’exclusivité du pouvoir de proposition de
nouveaux textes. Selon les cas, le Parlement est associé de plein droit (procédure de co-déci-
sion) ou simplement consulté. La mise en œuvre des décisions passe soit par le règlement,
immédiatement applicable dans tous les États-membres, soit par la directive qui, en vertu du
principe de subsidiarité, va demander une phase de transposition dans chaque droit natio-
nal.
Pour des raisons à la fois pratiques et de principe, la politique environnementale de l’UE a
utilisé la co-décision plus que la consultation et la directive davantage que le règlement. Par
contre, la politique agricole et son processus de réforme relève de la procédure de consulta-
tion et utilise le règlement.

* Pour une analyse détaillée des procédures de fonctionnement de la Communauté européenne, lire l’article de
Daniel Gueguen et Félix Lutz intitulé « Réforme de la Politique agricole commune : qui décide et comment ? », publié
dans le DEMETER 2004

55 Le processus de Cardiff a été approuvé par le Conseil des ministres réuni en juin 1998 dans cette ville, en même temps que
naissait le mouvement sur la multi-fonctionnalité de l’agriculture, issu lui de la conférence de Cork en Irlande
56 Commission européenne, Indicateurs d’intégration des préoccupations environnementales dans la Politique agricole commune,
communication au Conseil et au Parlement européen du 26 Janvier 2000, COM(2000)20 final
57 Nous avons de bonnes raisons de penser que les difficultés et la lenteur de la mise en œuvre de Natura 2000 en France et en
Grande-Bretagne relèvent d’une telle analyse
DEMETER 2005

écosystèmes et de la biodiversité est aussi traitée sité par la conservation des habitats naturels,
indirectement via, par exemple, la loi-cadre sur ainsi que de la faune et de la flore sauvages
l’eau ou la directive sur les nitrates. Mais tous ces sur le territoire européen des États-membres
textes relèvent de la politique environnementale où le traité s’applique ». Ceci en tenant
de l’Europe. compte « des exigences économiques, sociales
Ce constat d’une grande diversité de sources et culturelles, ainsi que des particularités
est lié au développement rapide de la politique régionales et locales ». Elle complète et
environnementale communautaire depuis intègre la directive 79/409/CEE, dite « direc-
trente ans, ainsi qu’aux multiples facettes de la tive Oiseaux » 61 et s’appuie sur un instrument
biodiversité elle-même 58. Cependant, plusieurs financier, LIFE-nature 62.
raisons conduisent à focaliser l’analyse sur À partir du début des années quatre-
l’agriculture, la sylviculture et la pêche, ainsi que vingt-dix, la dynamique de mise en œuvre de
sur les politiques correspondantes. Il y a d’abord la politique européenne de biodiversité est
la nature des relations entre ces activités inévitablement marquée par son rapport aux
consommatrices d’espace et les habitats, la politiques sectorielles. Certes, la légitimité de
nature des technologies utilisées et enfin, la politique environnementale, notamment
la forte sensibilité et même la dépendance en matière de biodiversité, n’est pas remise
de ces activités par rapport aux politiques en cause, mais la question des modalités de sa
européennes. Le risque d’incitations perverses mise en œuvre est posée : comment en effet
est donc grand. C’est pourquoi nous examine- mettre en œuvre une politique dépendant
rons aussi les textes qui, tout en faisant partie majoritairement d’agents économiques dont
de la politique agricole, peuvent avoir une les comportements et les choix sont, de
incidence, positive ou négative, sur la dyna- longue date, influencés et confortés par l’une
mique de la biodiversité. des politiques communautaires les plus
46 anciennes et les mieux dotées en moyens
2.2.2. La dynamique de la politique financiers et humains ? La voie de l’intégra-
européenne de la biodiversité tion semble alors la seule réaliste, mais son
issue et son rythme paraissent au départ bien
L’élaboration de la politique européenne de incertains. Une spécification autonome peut
protection de la biodiversité se dessine dès la constituer un passage indispensable. C’est
fin des années soixante-dix avec la directive dans ce cadre qu’il faut, nous semble-t-il,
Oiseaux qui date de 1979. Puis elle se précise comprendre la dynamique de la politique
au plan international avec, en 1982, la ratifi- européenne de la biodiversité et porter
cation de la Convention de Berne 59. Enfin, elle attention à la fois au processus de son
se confirme en 1992, au plan international, élaboration et de sa mise en œuvre en tant
avec la signature de la Convention de Rio sur que politique (directive HFF de 1992) et
la diversité biologique, mais aussi au plan au processus de réforme de la Politique
européen avec la promulgation de la directive agricole commune, exprimé au même
Habitat, Faune, Flore 60. Cette directive a pour moment dans le Règlement sur les mesures
objectif de « contribuer à assurer la biodiver- agri-environnementales. À partir de 1992, en

58 Jordan (2000)
59 Décision 82/72/CEE du Conseil du 3 Décembre 1981 concernant la conclusion de la convention relative à la conservation de la
vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (J.O.C.E. L 38 du 10.121982)
60 Directive D. 92/43/ du 21 mai 1992 qui reçoit un accueil mitigé et déclenche même de franches oppositions, comme on le verra
plus loin. En France, il faut attendre avril 2001 pour que le gouvernement transpose, par ordonnance, la directive en droit fran-
çais (Ordonnance 2001-321).
61 J.O.C.E L 103 du 25/4/1979
62 Règlement 1973/92 du 21 mai 1992, JO L206, 22.07.1992
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

effet, l’agenda de la politique européenne en réforme de la PAC votée en juin 2003 à


matière de biodiversité et celui sur la réforme Luxembourg 67. En un peu plus de dix années,
de la PAC vont se déployer parallèlement, alors l’UE est ainsi passée d’une optique d’incita-
même que leurs rythmes de mise en œuvre et tions ciblées à une optique de conditionnalité
leurs taux de succès sont très différents. des aides à des critères environnementaux et
En 1998, la Commission publie une commu- ceci constitue, politiquement parlant, une
nication intitulée « Stratégie communautaire évolution très significative vers l’intégration.
en faveur de la diversité biologique » 63.
Elle est complétée en 1999 par une 2.3. Conception et élaboration des
communication sur l’agriculture durable 64, politiques européennes de la
puis en 2001 par une communication
biodiversité
précisant un « Plan d’action pour la biodiver-
sité en agriculture »65. Dans ces documents, la
Commission préconise deux approches pour 2.3.1. De Rome à Maastricht :
du Marché commun
préserver la biodiversité :
au développement durable
• La première est une approche de conserva-
tion des ressources génétiques et des Dans cette partie de l’article, nous analyse-
espèces, in situ et ex situ rons la dynamique de conception et d’élabora-
• La seconde consiste à promouvoir une exploi- tion de la politique de biodiversité, puis celle de
tation durable de ces ressources. En agricul- l’intégration des objectifs environnementaux
ture, cela devrait se traduire par une évolu- dans la PAC et enfin les modalités de coordina-
tion des pratiques, ainsi que par le maintien tion et d’évaluation à l’échelon national.
d’une activité viable dans les zones de déprise. Selon son article 3, les objectifs initiaux du
Pour ce faire, le Plan d’action présenté en 2001 traité de Rome signé en 1957 sont exclusive- 47
préconise l’usage des outils existants : c’est- ment économiques, centrés sur la réalisation
à-dire l’éco-conditionnalité des aides et la du marché commun : c’est-à-dire un espace de
politique de développement rural. libre-échange. Les politiques européennes
Enfin, en 2002, la Commission publie une visent alors à concrétiser ces objectifs. De ce
décision présentant un programme d’action fait, les préoccupations environnementales ne
à moyen terme, sur la période 2002-2010, sont introduites qu’au fil des années, dans la
afin de « protéger, conserver, restaurer et mesure où l’harmonisation des politiques
développer le fonctionnement des systèmes nationales environnementales apparaissait
naturels, des habitats naturels, de la faune et comme une contribution aux objectifs géné-
la flore sauvages dans le but de mettre un raux du traité, respectant ainsi son article 6 68.
terme à la désertification et à l’appauvrisse- Cependant, la montée des préoccupations
ment de la diversité biologique, y compris la liées au mode de croissance et à la dégradation
diversité des ressources génétiques » 66. Cette des ressources naturelles et de l’environnement
préconisation devient effective dans la qu’il provoque a conduit à placer les objectifs

63 Communication au Conseil et au Parlement européen du 4 février 1998, COM (1998) 42 Final


64 Pistes pour une agriculture durable, communication au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au
Comité des régions du 27 janvier 1999, COM (1999) 22 Final
65 Commission Européenne, Communication du 27 mars 2001 au Conseil et au Parlement européen, COM (2001), 162 final, vol.
III
66 Art. 2.2. de la décision 1600/2002 du Parlement européen et du Conseil , J.O.C.E., L242, 10.9.2002
67 Règlement (CE) n° 1782/2003 du 29 septembre 2003
68 « Les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques
et actions de la Communauté visées à l’article 3, en particulier afin de promouvoir le développement durable » Traité de la
Communauté européenne, version consolidée, JOCE C325/42 du 24.12.2002
DEMETER 2005

de développement durable en tête des conventions dans la mesure où celles-ci


objectifs de l’Union, comme le prouve l’article se révèlent souvent contradictoires ou mal
2 du traité de Maastricht signé en 1992. Ainsi, coordonnés avec d’autres politiques secto-
la légitimité politique de l’intégration des rielles « domestiques », comme la politique
objectifs de préservation de la biodiversité agricole. L’ambiguïté et le conflit étant
dans les politiques sectorielles est-elle inséparables au stade de la mise en œuvre
devenue très forte, même si elle reste difficile des politiques publiques 71, il faut trouver, à
en pratique. l’intérieur même des États signataires, des
groupes de « clients » en mesure d’agir et de
2.3.2. Les sources de la politique légitimer politiquement ces signatures.
européenne en matière de Nous allons donc chercher à identifier
biodiversité
les organisations non-gouvernementales
jouant, en termes d’élaboration de la
Les sources de la politique européenne en
politique environnementale, le même rôle
matière de biodiversité résident à la fois dans
que les organisations professionnelles
les engagements internationaux de l’Union
agricoles en termes d’élaboration de la
et dans l’action des scientifiques et des ONG
PAC 72.
environnementalistes, en interaction avec la
Commission.
b) Les organisations non-gouvernementales

a) Les conventions internationales


Pour la plupart, les organisations environ-
L’Union européenne et/ou ses États- nementales sont présentes à Bruxelles
membres ont ratifié des conventions depuis la fin des années quatre-vingts et
internationales qui les ont engagés 69. elles constituent un réseau efficace de
Ces conventions donnent un cadre général lobbying appelé le Groupe des huit 73.
48
aux conférences des Parties qui abordent La légitimité de ce groupe auprès des
les points spécifiques comme l’agro- institutions européennes repose sur le
biodiversité : c’est-à-dire la diversité biolo- nombre de ses membres (20 millions de
gique agricole 70. Parallèlement, les forums personnes, soit 5 % de la population euro-
internationaux, tels les Programmes des péenne), mais aussi sur ses ressources
Nations unies pour le développement ou scientifiques et le réseau qu’il mobilise.
l’environnement, permettent de diffuser (Voir tableau ci-contre).
des idées sur les relations entre développe-
ment économique et protection de
l’environnement et donc de davantage L’expérience acquise par les ONG environ-
concrétiser la formule « développement nementalistes concernant les rouages de la
durable ». prise de décision communautaire a rendu
Il est difficile de déterminer les motivations celles-ci précieuses en termes d’application et
des États-membres et de l’UE à signer ces de contrôle de la politique environnementale.

69 Conventions de Ramsar en 1971 sur la protection des zones humides, de Washington en 1973 sur les espèces menacées, de
Bonn en 1979 sur les oiseaux migrateurs, de Berne en 1979 sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe,
du Benelux en 1982 sur la conservation de la nature et la protection des paysages, de Rio en 1992 sur la protection de la diver-
sité biologique (la convention sur la diversité biologique a été ratifiée par l’UE le 25 octobre 1993 : JOCE, L 309, 13.12.1993)
70 Dans ce domaine, l’engagement international sur les ressources phyto-génétiques d’intérêt agronomique s’est mis en place dès
1983 sous l’égide de la FAO et son harmonisation avec la convention de Rio n’a pas été facile (Aulong, 2001)
71 Matland, 1995
72 Guéguen, 2003
73 À côté des ONG basées à Bruxelles, d’autres organisations ont davantage le caractère de « think tank » : par exemple, l’Institute
for European Environmental Policy (IEEP) ou le Land Use Policy Group (LUPG)
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

Tableau
Les organisations non gouvernementales membres du Groupe des huit

Le Conseil et le Parlement européen ont 2.4. La politique européenne de la


récemment approuvé un plan de support biodiversité : Natura 2000
financier aux ONG environnementalistes. 49
Cette décision politique reconnaît leur rôle
L’Union européenne a choisi de promouvoir
irremplaçable pour surmonter l’asymétrie
sa politique de protection de la biodiversité
d’information fondamentale entre les
en utilisant la directive plutôt que le règle-
institutions européennes, les citoyens et le
ment. Celle-ci est en effet l’instrument juri-
terrain : « les ONG sont essentielles pour dique qui s’impose quand la nature du pro-
coordonner et transmettre à la Commission blème justifie l’application du principe de
les informations et les vues sur les nouvelles subsidiarité. C’est un outil de droit européen
perspectives émergentes, telles la protec- dont l’intérêt est double : elle permet d’éta-
tion de la nature et les problèmes environ- blir une coordination entre États-membres
nementaux transfrontaliers... Les ONG ont quant aux objectifs à atteindre, tout en leur
une bonne compréhension des préoccupa- déléguant le choix des moyens à mettre en
tions du public relatives à l’environnement œuvre, selon le principe de subsidiarité. Son
et peuvent donc promouvoir leurs vues et principal inconvénient est le risque d’hétéro-
les exprimer à la Commission... Elles four- généité dans les niveaux d’application, celui-
nissent un contrepoids... aux intérêts des ci pouvant aller jusqu’à la non-application.
autres acteurs dans l’environnement, y Malgré ses inconvénients pour la produc-
compris les industries et les affaires, les tion d’un bien public comme la protection de
syndicats et les associations de consomma- la diversité biologique, l’usage de la directive
teurs » 74. est justifié dans une large mesure par le fait

74 JOCE, C110, E/27, 7 mai 2002.


DEMETER 2005

qu’en Europe, l’essentiel de la biodiversité Sur le terrain, cette directive a suscité une
européenne dépend de décisions de proprié- grande variété de stratégies nationales 77, qu’il
taires ou d’exploitants privés 75. Ceci explique s’agisse du nombre et de la nature des sites
également pourquoi l’UE a assorti d’une désignés (notamment le statut juridique de
obligation de co-financement son choix propriété) ou du choix des instruments de
d’utiliser le règlement pour mettre en œuvre gestion de ceux-ci (plans de gestion, système
les mesures agri-environnementales. réglementaire administratif ou contractuel).
La directive Habitat, Faune, Flore du 21 mai Concrètement, les stratégies nationales
1992 vise à préserver la biodiversité euro- semblent se disperser sous l’effet d’arbitrages
péenne, essentiellement grâce à la constitu- faits par les États entre risques de sanctions
tion d’un réseau écologique abritant les administratives ou économiques par l’Union
habitats naturels et les espèces de faune et risques de sanctions politiques par les
et de flore d’intérêt communautaire. Pour la électeurs. Pour éviter les conflits avec leurs
mettre en œuvre, l’UE crée parallèlement un électeurs, certains pays choisissent de trans-
instrument financier : le fonds LIFE. En 2000, mettre tardivement un petit nombre de sites
celui-ci est divisé en plusieurs fonds distincts, ou des listes constituées de terres domaniales,
dont l’un, le LIFE-nature réservé à la mise en alors que d’autres, soucieux d’éviter les
place du réseau Natura 2000. L’objectif est problèmes avec la Commission, privilégient
d’achever la construction du réseau en juin des stratégies conformistes. Les stratégies
2004. nationales maximalistes répondent soit à un
La Commission européenne demande besoin de compenser un déficit antérieur
d’abord aux États de transposer la directive d’accès aux financements européens, notam-
dans leur droit national, puis d’établir et de ment aux mesures agri-environnementales,
communiquer une liste de « sites d’impor- soit de répondre à une demande environne-
50 tance communautaire » à préserver. Enfin mentale des citoyens plus pressante et plus
sont organisés des séminaires par zones coûteuse du fait de la densité démogra-
bio-géographiques afin d’harmoniser les phique.
points de vue et aboutir à une liste définitive Cette variabilité stratégique des États en
de « Zones spéciales de conservation », termes de mise en œuvre de la directive
incluant les « Zones spéciales de protection entraîne un risque d’enlisement, voire de
des oiseaux ». Un document d’objectifs doit non-application de la politique communau-
être rédigé pour chaque site, ainsi qu’un plan taire. L’UE ne peut donc se passer ni d’un
de gestion assorti des mesures réglemen- dispositif de suivi, ni d’instruments permet-
taires, administratives ou contractuelles tant de rendre effective l’application de la
appropriées 76. La constitution de ce réseau directive. Ainsi, la variabilité nationale est
peut être co-financée par les États et le fonds encadrée dans un « espace de liberté » défini
Life-Nature. à l’échelle européenne. Ce dispositif assure

75 Au niveau national, les producteurs du bien public (agriculteurs, propriétaires fonciers et forestiers...) disposent d’un certain
pouvoir sur les gouvernements nationaux dont ils peuvent mettre en cause la politique de conservation de la biodiversité. Ainsi,
en France en 1996, le « Groupe des neuf », formant une coalition anti-Natura 2000, a réussi à obtenir la suspension de la mise en
œuvre de la directive et même à fragiliser le pouvoir en place avant les élections législatives de 1997. Les négociations décentrali-
sées avec les producteurs du bien public (les agents) et les parties intéressées constituent alors le seul moyen disponible pour défi-
nir précisément la nature et le niveau de la contribution des agents locaux au bien public global et pour créer un compromis garant
de robustesse.
76 « Pour les ZSC, les États-membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de
gestion appropriés, spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, adminis-
tratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des
espèces de l’annexe II présents sur le site » (directive 92/43 CEE)
77 Aulong, 2002 et 2003
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

une double coordination : verticale entre les Par ailleurs, la Commission dispose d’un
États et la Commission et horizontale au niveau levier scientifique en termes d’expertises
de l’UE. Il permet à la fois le suivi de la mise en indépendantes, venant des ONG environne-
œuvre de la directive et une cohérence écolo- mentalistes ou des agences européennes
gique relative du réseau écologique européen elles-mêmes. Le Centre technique européen
Natura 2000 et de son fonctionnement. pour la conservation de la nature (CTE-CN)
Les instruments de cette coordination sont gère les séminaires bio-géographiques et il est
variés et utilisés de façon complémentaire : aussi chargé de l’évaluation et de la validation
agendas, évaluations scientifiques, instru- des listes nationales de sites. L’Agence euro-
ments juridiques, instruments financiers péenne pour l’environnement (EEA), le Centre
(incitations et menaces de sanctions finan- européen pour la conservation de la nature
cières). (ECNC) et l’Earth Observation on Natura 2000
La mise en place d’un agenda pour la (EON2000) contribuent également à cet effet.
réalisation du réseau Natura 2000 constitue un Enfin, l’appel aux citoyens concernés et
important dispositif de coordination. A motivés, s’appuyant sur la doctrine dite des «
contrario, la directive Oiseaux souffre de effets directs », peut permettre de contourner
l’absence d’un tel instrument et les écarts de les blocages politiques nationaux liés à l’action
mise en place sont grands entre États- de certains groupes d’intérêts. Les ONG
membres. De plus, la présence d’un agenda environnementalistes jouent un double rôle
fonde les avertissements de la Commission aux dans ce dispositif de coordination : notam-
États ne respectant pas le calendrier. Cette ment le World Wide Fund for Nature. Le WWF
procédure des « lettres motivées » n’a pas de regroupe des personnes physiques et morales
valeur contraignante, mais après trois lettres, et reflète une demande de « nature » de la
la Commission peut présenter l’affaire devant part de la société. D’où des informations
la Cour de justice européenne. Celle-ci peut importantes pour la Commission et une source 51
également être saisie par toute partie justi- de légitimité auprès d’elle. De plus, la dimen-
fiant d’un préjudice du fait du comportement sion internationale du WWF et son activité en
des États. Elle rend donc crédibles les menaces Europe lui donnent un poids politique vis-à-vis
de sanctions et homogénéise l’interprétation des États et il n’hésite pas à utiliser celui-ci pour
des textes de la directive. Ceci n’est pas une peser sur leurs choix de sites ou la localisation
mince affaire car ses ambiguïtés sont grandes de leurs espèces et de leurs habitats d’intérêt
en termes de désignation « scientifique » des communautaire.
sites, de leur gestion, etc... 78
Le panel d’instruments financiers suscep- 2.5 La dynamique d’intégration
tibles de soutenir la mise en œuvre de la
des préoccupations
directive constitue un facteur indirect, mais
important de coordination des politiques environnementales dans la
nationales de conservation 79. Les fonds Politique agricole commune
utilisables pour Natura 2000 ont chacun leur
cadre d’utilisation et chaque État doit le L’introduction des mesures agri-environne-
respecter. Sinon, il s’expose à de réelles mentales (MAE) dans la Politique agricole
sanctions financières communautaires. commune (PAC) s’inscrit dans un processus

78 En cas de litige, la jurisprudence de la Cour de justice européenne permet de trancher sur l’interprétation des textes et donc
d’homogénéiser et de coordonner les choix nationaux. Depuis 1992, seize affaires ont été portées devant la CJE concernant la
mise en œuvre de la directive HFF et du réseau Natura 2000. La France a été condamnée en 2001 pour non-transposition de la
directive. Celle-ci a été finalement transposée par décret en 2002.
79 Aulong, 2004
DEMETER 2005

progressif qui a démarré en 1975 et se Pourtant, à la même époque, certains


poursuit encore aujourd’hui. Les objectifs États-membres d’Europe du nord à forte
environnementaux ne faisaient pas partie des densité démographique, confrontés aux
trois objectifs initiaux de la PAC : c’est-à-dire conséquences environnementales de l’inten-
améliorer les structures agricoles, rationaliser sification, commençaient à mettre en place
les pratiques et assurer un juste niveau de vie des mécanismes volontaires dans les régions
pour la population agricole. à environnement sensible 80. Autrement dit,
Au départ, les mesures agri-environnemen- certaines régions du cœur agricole de l’Europe
tales n’ont pas répondu à des raisons internes. reconnaissaient que l’agriculture avait
Elles ont été négociées en même temps que d’importants effets négatifs sur l’environne-
les concessions faites au GATT par l’Union ment et que la réduction de ceux-ci impliquait
européenne. Mais désormais, elles sont un changement de pratiques. Ceci a introduit
intégrées dans le dispositif central de la PAC une vision nouvelle du rapport entre agricul-
puisqu’elles sont financées par le fonds ture et environnement. Mais il était aussi
« Garantie » du FEOGA et traduisent claire- admis que ce changement devait s’accompa-
ment le renforcement de la politique de gner de compensations 81. Dans ce contexte,
protection de la nature. De plus, elles sont trois grands principes ont fondé la conception
largement relayées par les pressions poli- des MAE :
tiques internes dont la légitimité a été • La subsidiarité, traduite par l’obligation
renforcée par les crises sanitaires successives. de co-financement de la part des États, qui
De ce fait, la dynamique d’intégration prend atténue l’effet centralisateur de l’usage du
in fine le pas sur la dynamique d’instrumen- règlement
talisation des arguments de protection de • Le choix de l’approche par incitation au
l’environnement dans les négociations détriment d’une approche réglementaire,
52 commerciales. comme le réclamaient les Pays-Bas
• Le service rendu par les agriculteurs à la
2.5.1. Les mesures agri-environnementales société 82.
Ces choix sont dictés par le souci d’égalité
À la fin des années soixante-dix, les de traitement entre États-membres et ils
préoccupations environnementales étaient s’inscrivent dans l’objectif du Marché unique.
généralement perçues comme porteuses de En 1999, l’intégration des MAE, au titre
contraintes injustifiées pour les agriculteurs. des mesures d’accompagnement, dans le
Ni les producteurs, ni même la Commission ne Règlement de développement rural a
percevaient clairement les effets négatifs du confirmé cette orientation 83.
modèle « productiviste ». Les instruments de
politique agricole ciblés sur l’environnement 2.5.2. De la compétition à l’intégration
restaient donc des « mesures marginales pour
des régions marginales » selon la formule Nous avons vu comment la politique euro-
de la directive créant, en 1975, l’indemnité péenne de la biodiversité et la PAC ont
compensatoire pour les handicaps naturels évolué parallèlement depuis 1992. Il en a
dans les zones défavorisées. résulté un défaut de coordination des

80 Whitby, 1994
81 Règlement CE 797/85
82 On en retrouve aujourd’hui la déclinaison dans le thème de la multi-fonctionnalité. A. Jones et J. Clark (2001) remarquent que
cette stratégie a eu pour résultat d’exempter les agriculteurs européens du principe pollueur-payeur appliqué aux autres secteurs.
83 L’objectif du nouveau règlement est notamment de garantir une meilleure cohérence entre développement rural et politique
des marchés (règlement CE 1257/1999)
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

politiques communautaires et celui-ci a développement durable 84. Cette analyse est


progressivement rendu évidente la légitimité confortée par les sondages réalisés avant la
d’une intégration plus forte. L’évolution réforme de la PAC de 2003, à l’échelle des
récente de la PAC s’est réalisée sous une quinze États-membres 85. Elle témoigne du
pression croissante en faveur de l’intégration renversement profond de perspectives,
des objectifs environnementaux et de protec- amorcé notamment après les graves crises
tion de la biodiversité dans la PAC. Cette sanitaires qu’a connues l’agriculture euro-
dynamique d’intégration a sa source à la fois péenne au cours des années quatre-vingt-dix.
dans la dynamique politique globale de Cette intégration a pris deux voies :
l’Union européenne, exprimée notamment • Une meilleure coordination dans le choix
dans le traité d’Amsterdam, et dans la prise des instruments : celle-ci se traduit par
de conscience par les responsables du déve- la préférence de plus en plus fréquente
loppement rural qu’un soutien financier accordée au contrat comme instrument de
important à l’agriculture ne serait légitime gestion des incitations
aux yeux des contribuables européens, qu’en • L’introduction de la conditionnalité des
acceptant de se conformer à des principes de aides.

Encadré
Documents relatifs à l’intégration des préoccupations environnementales dans la PAC

• Commission Européenne, Révision à mi-parcours de la politique agricole commune,


Communication au Conseil et au Parlement européen, 10 Juillet 2002, COM (2002) 394 final
• Reform of the common agricultural policy : a long-term perspective for sustainable agri-
culture - Impact analysis (http://europa.eu.int/comm/agriculture/publi/reports/reformim-
pact/rep_en.pdf) 53
• Page du site Europa sur la réforme de la PAC : http://europa.eu.int/comm/agriculture/capre-
form/index_fr.htm
• Page du site Europa sur agriculture et environnement : http://europa.eu.int/comm/agricul-
ture/envir/index_fr.htm
• ocument Réforme de la PAC et développement rural : http://europa.eu.int/comm/agricul-
ture/publi/fact/rurdev/fr.pdf

a) Le choix de l’approche contractuelle dans la phase de négociations des plans de


La mise en œuvre des politiques euro- gestion des sites. Le fait que la France et la
péennes via des incitations contractuelles per- Grande Bretagne aient choisi d’utiliser une
met potentiellement une meilleure coordina- approche contractuelle unifiée, utilisant le
tion au niveau local ou régional. Cette même instrument et la même procédure, pour
coordination est particulièrement importante la gestion des incitations agricoles et des sites

84 Extrait de la déclaration finale de la Conférence de Cork, en novembre 1996 : « s’attendant à ce que la justification des paie-
ments compensatoires issus de la réforme de la PAC de 1992 soit de plus en plus contestée ; persuadée que le principe d’un sou-
tien financier public pour le développement rural, harmonisé avec une gestion adéquate des ressources naturelles, avec le main-
tien et l’amélioration de la biodiversité et des paysages entretenus, est de plus en plus admis ; annonce le programme suivant pour
le développement rural dans l’Union européenne, en dix points. (...) Point 4. Durabilité : Les politiques devraient promouvoir un
développement rural de nature à assurer durablement la qualité et les aménités des paysages ruraux de l’Europe (ressources natu-
relles, biodiversité, identité culturelle) et de manière à ce que leur utilisation par la génération actuelle ne compromette pas les
options des générations de demain. Dans nos actions au niveau local, nous devons être conscients de nos responsabilités au niveau
global ».
85 Manigart, 2002 (Eurobaromètre 57.0 : http://europa.eu.int/comm/agriculture/survey/index_fr.htm)
DEMETER 2005

Natura 2000 s’explique par l’intérêt à la fois ment décentralisée afin de laisser aux acteurs
technique et politique d’un tel choix locaux les marges de manœuvre nécessaires
(cf. Schéma 1). L’expérience des mesures à la bonne adéquation aux objectifs, mais
agro-environnementales, puis des Contrats aussi aux besoins et aux contraintes de
territoriaux d’exploitation devenus aujour- l’agriculteur. Il en résulte un échange
d’hui les Contrats d’agriculture durable a d’information et un apprentissage mutuel
permis de rôder une procédure de négocia- entre maîtres d’œuvre et agriculteurs.
tion d’abord collective des cahiers des L’étude plus systématique des conditions de
charges, puis bilatérale entre administration réussite de cet apprentissage collectif, ainsi
et agriculteur afin d’aboutir à la signature du que la recherche sur les risques de collusion
contrat. La procédure est certes encadrée au inhérents à ces négociations décentralisées
niveau national, mais elle reste très large- restent à développer.

Schéma 1
Filiation entre instruments
utilisés par le Règlement de développement rural et par la directive HFF

54

(source : Rulleau et alii, 2003)


PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

b) L’introduction de la conditionnalité des aides sanction est avancé : « Si ces normes de base
L’approche compensatoire et incitative qui ne sont pas respectées, les États-membres
a présidé à l’élaboration des MAE en 1992, devraient suspendre l’aide directe en tout ou
puis reprise en 1999 dans le cadre du en partie, selon des critères proportionnés,
Règlement de développement rural, a été objectifs et progressifs ».
complétée en 2003 par une notion nouvelle : En fait, l’introduction de distinctions entre
celle de la subordination du paiement des différents cas de non-respect (négligence ou
aides agricoles au respect de normes dans les non-respect délibéré) laisse une importante
domaines « de l’environnement, de la santé marge d’appréciation et de négociation aux
publique et de la santé des animaux et des États. Reste à voir comment ceux-ci interpré-
végétaux, du bien-être des animaux, ainsi que teront et mettront en œuvre ces dispositions.
de la sécurité sur le lieu du travail » : c’est le Comme pour Natura 2000, il est possible de
principe de conditionnalité. voir autant de diversité dans la mise en œuvre
La perspective d’introduire des critères de la conditionnalité des aides que de confi-
d’évaluation plus stricts sur les effets des gurations de rapports entre agriculteurs, pou-
mesures agri-environnementales en termes voirs publics et citoyens. Alors que le principe
de biodiversité et de paysages était déjà de conditionnalité permet en principe de
contenue dans le rapport d’évaluation de ces rendre plus cohérentes des politiques
programmes publié en 1998 : « Les services de publiques émanant d’une même instance, son
la Commission sont tout à fait conscients de application décentralisée va vraisemblable-
la nécessité de mieux expliquer le rapport qui ment provoquer de nombreuses controverses
existe entre certains systèmes d’exploitation sur la légitimité des normes. Dès lors, se posent
et la protection de l’environnement, et deux types de questions :
notamment des valeurs que représentent la • La mesure des effets environnementaux des
biodiversité et le paysage. De plus, en ce qui pratiques agricoles 55
concerne les dégâts infligés par l’agriculture • La mesure des effets réels des politiques inci-
à l’environnement (pollution, pertes de res- tatives sur l’environnement, la biodiversité
sources...), il faut se pencher sur le rôle de la et les paysages.
politique agro-environnementale, laquelle
dépend du paiement aux agriculteurs de la 2.5.3. Nécessité et difficultés de
prestation de services environnementaux » 86. l’évaluation des politiques publiques
En fait, en 2003, la réforme du Règlement
de développement rural 87 accentue la pres- L’évaluation des politiques publiques est
sion « pour la mise en œuvre plus rapide de devenue une nécessité politique (les objectifs
normes contraignantes dans le secteur agri- annoncés sont-ils atteints ?) autant qu’une
cole ». Mais elle conserve l’approche par com- garantie de bonne gestion des fonds publics.
pensation. Par contre, le règlement réformant Mais, dans le domaine des politiques envi-
les régimes de soutien introduit la condition- ronnementales, celle-ci se révèle complexe et
nalité des aides comme élément principal : « délicate. Depuis un siècle en effet, l’érosion
il y a lieu de lier le paiement de l’aide directe de la diversité biologique résulte largement
au respect des règles en matière de terres, de des activités humaines : notamment du déve-
production et d’activités agricoles... ». Et le loppement économique qui a abondamment
caractère progressif et proportionné de la puisé dans le capital naturel européen. Tous

86 CE. Évaluation des programmes agri-environnementaux, document de travail de la Commission, DG VI, État d’application du
règlement CE 2078/92, VI/7655/98
87 Règlement du Conseil (CE) N°1782/2003 du 29 septembre 2003 et règlement (CE) du Conseil N°1783/2003 du 29 septembre
2003, Art. 3
DEMETER 2005

les secteurs économiques et toutes les proposé aux États pour les Plans nationaux de
politiques publiques ont donc, directement ou développement rural (PDRN).
indirectement, un effet potentiel sur cette En 2000, la communication de la
érosion. De ce fait, évaluer les politiques com- Commission au Conseil et au Parlement
munautaires et leurs effets externes implique à européen sur les indicateurs des préoccupa-
la fois de choisir un modèle global et des tions environnementales 89 souligne que
modèles bio-économiques partiels et localisés. la batterie d’indicateurs indispensables
Pour organiser l’évaluation globale, il faut pour évaluer l’impact réel des politiques
un modèle des relations entre développe- européennes est encore largement inache-
ment économique et dynamique du capital vée. Elle préconise l’utilisation du modèle
naturel (ressources naturelles et capital DPSRI pour élaborer un « cadre d’indicateurs
écologique). Le plus communément utilisé par pour la stratégie d’intégration dans l’éva-
l’OCDE et l’Union européenne est le modèle luation ». « Toutefois, il y a des domaines,
DPSIR (drivers, pressures, state, indicators, tels que la gestion de l’exploitation agricole,
responses) que nous présentons dans le les habitats, les paysages et la biodiversité,
schéma 2. Il fait référence à un modèle de pour lesquels la définition d’indicateurs
contrôle par les politiques publiques des opérationnels reste un grand défi ». Au-delà
pressions induites par les forces motrices de ces carences et pour diverses raisons liées
aux différences d’agenda, mais aussi aux
(drivers) sur l’état de l’environnement, appré-
caractéristiques spécifiques du réseau
hendé à travers une batterie d’indicateurs. Les
Natura 2000, la coordination des évalua-
politiques publiques fixent des objectifs et
tions de la politique de biodiversité et de
définissent des priorités et des moyens, puis
celle du développement rural reste donc
des instruments pour les réaliser. Ceci va alors
encore problématique.
modifier les forces motrices, ainsi que les
56
pressions exercées sur l’environnement. Un
tel modèle présente l’intérêt d’intégrer la
rétro-action des politiques publiques sur la 3. AGRICULTURE ET
dynamique de l’environnement. Il définit de BIODIVERSITÉ : CONFLITS
façon assez exhaustive les secteurs ayant OU COMPLÉMENTARITÉS ?
un fort impact environnemental et sur les
écosystèmes. Il insiste aussi sur l’importance À en juger par les fortes résistances qu’a
des interactions entre pressions : un élément suscitées en France la directive HFF, ainsi que
potentiellement porteur d’effets cumulatifs l’accent mis après la Conférence de Cork sur
et surtout d’effets externes, parfois qualifiés le rôle de l’agriculture dans la production
de « pervers », des politiques publiques 88. d’externalités positives, la relation entre
Au-delà des raisons de principe fondant la agriculture et biodiversité serait pour le moins
légitimité de l’intégration des objectifs de ambiguë, voire conflictuelle. Le problème a
protection de la biodiversité dans les poli- au moins deux dimensions :
tiques sectorielles, ce modèle procure donc • l’une porte sur l’impact réel de l’agriculture
des raisons fonctionnelles à l’intégration. Il sur la dynamique de la biodiversité
sert également de base à l’élaboration • l’autre sur la perception par les agriculteurs
d’indicateurs de performance des politiques des politiques de protection de la biodiver-
publiques et structure le schéma d’évaluation sité.

88 En cela, il rend obsolète le principe de Tinbergen qui préconisait l’usage d’un instrument par objectif de politique publique
89 Indicateurs d’intégration des préoccupations environnementales dans la Politique agricole commune, communication de la
Commission au Conseil et au Parlement européen, COM (2000) 20 Final du 26.01.2000
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

Schéma 1
DIagramme du modèle d’évaluation des politiques publiques
utilise par l’agence européenne de l’environnement

57

Dans les deux cas, la question des représen- pourrait y ajouter l’aménagement rural, avec
tations ou des modèles scientifiques fondant notamment le drainage et l’assèchement des
les modèles, d’une part, de développement zones humides, l’irrigation et la création des
agricole et, d’autre part, de protection de la périmètres irrigués, le remembrement ou
biodiversité est au cœur des débats. le désenclavement par la création des
Comme le souligne le rapport de 1998 de la infrastructures de communication...
Commission sur l’évaluation des mesures La biodiversité a été profondément affec-
agri-environnementales, le développement tée par ces caractéristiques du mode de
agricole de ces dernières décennies a lié développement agricole, tant par l’impact de
l’intensification de l’agriculture, la marginali- l’intensification sur les ressources génétiques
sation des zones défavorisées et la spécialisa- d’intérêt agronomique, que par celui sur la
tion et la concentration spatiale des produc- diversité biologique des bords de champs ou
tions et des pollutions correspondantes 90. On la destruction et la reconversion des habitats

90 CE. Évaluation des programmes agri-environnementaux, document de travail de la Commission, DG VI, État d’application du
règlement CE 2078/92, VI/7655/98, pp. 15 et 16
DEMETER 2005

naturels. Elle a été aussi touchée par les modi- moins, sur un mode de pensée emprunté à
fications des écosystèmes sous l’effet de la l’écologie que nous qualifierons d’approche
pollution issue de l’agriculture. Il est donc « écosystème » en reprenant les termes de la
logique de penser que, même si beaucoup de FAO de 2003.
ces conséquences sont irréversibles ou en tout Le problème est donc moins celui de la
cas très coûteuses à réparer, il est possible légitimité relative de la politique de protec-
d’attendre une amélioration de la situation tion de la biodiversité et du modèle produc-
sous l’effet d’un changement du mode de tiviste de production agricole, que celui du
développement agricole. En effet, confronté conflit entre les modèles de représentation de
aux crises et aux modifications de la demande la nature, de l’intégration de l’activité
(induites ou non par ces crises), le modèle de humaine dans la nature, et des modèles intel-
production fondé sur la logique productiviste lectuels fondant les pratiques agricoles elles-
s’est effrité et certains de ses concurrents mêmes. On peut penser que si les conflits de
revendiquent explicitement une filiation plus représentations s’atténuent, la diffusion des
écologique. Quels que soient les fondements pratiques en découlant sera plus rapide et les
de ces modèles alternatifs de production, conflits pour la mise en œuvre de la politique
ils ont dû s’organiser collectivement pour de biodiversité moins intenses.
obtenir la reconnaissance de leurs produits sur Notre but est de tenter de comprendre
le marché et garantir le respect des normes comment, partant de représentations de la
qualitatives et/ou techniques censées fonder nature et de modèles de pensée différents,
leur originalité. Résultat : aujourd’hui coexis- les courants à l’origine de la modernisation
tent une diversité de labels, correspondant à agricole et ceux à l’origine de la protection de
des modes de production plus ou moins la nature et de la biodiversité peuvent ou non
différents, mais revendiquant tous une réduc- se rejoindre, jusque et y compris dans la
58 tion de l’impact négatif sur l’environnement conception de futurs systèmes de production
et la biodiversité. Ainsi, ce qui était vécu il y a agricole, à impact positif sur l’environnement
peu comme une contrainte, voire une atteinte et la biodiversité.
intolérable de la puissance publique à la
liberté de l’agriculteur, est aujourd’hui assez 3.1. Références scientifiques,
largement revendiqué et reconnu comme une représentations et pratiques
caractéristique générale de la production.
Les arguments en faveur d’une révision des 3.1.1. Aux origines de la modernisation
modes de conception des systèmes de agricole : penser la ferme comme
production agricole sont doubles : il devient une usine
socialement inacceptable de soutenir une
agriculture exerçant une pression aussi forte Les fondements de la modernisation
sur l’environnement et la biodiversité, mais agricole de l’après-guerre trouvent leurs
surtout il peut être économiquement ren- racines dans un mode de pensée typiquement
table pour l’agriculteur de changer se « moderne » 92, en ce sens que la nature y est
pratiques car il peut directement profiter pensée comme extérieure à l’homme et
d’une amélioration de l’environnement dans maîtrisable par l’application de méthodes
sa ferme 91. Cette analyse fonde les différents cartésiennes. Le modèle scientifique sous-
modèles mis en compétition avec le modèle jacent est celui des facteurs limitants et le
« moderne ». Ils s’appuient tous, plus ou modèle économique dominant celui des éco-

91 Mollard et alii 2002, Dron 2003


92 Au sens philosophique de ce terme, cf. Larrère et Larrère, 1997
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

nomies d’échelle. Les interactions (et retro- tique), ni ses coûts externes (dont d’ailleurs le
actions, comme par exemple le développe- concept est balbutiant en analyse écono-
ment de ravageurs résistants aux pesticides) mique). Plus concrètement, au-delà d’une
entre éléments du système et son impact sur analyse micro-économique s’arrêtant au
l’environnement ne sont pas prises en compte. portail de la ferme, le « modèle producti-
Le modèle ultime de ce mode de pensée viste » consiste à décomposer le processus
est représenté par la culture ou l’élevage biologique en processus élémentaires et à
« hors-sol » dans lequel tous les intrants spécialiser les fermes en ateliers correspon-
nécessaires, y compris les animaux, sont gérés dants : c’est la fin de l’association élevage-
et maîtrisés par l’homme dans un objectif de céréales, la spécialisation entre naisseurs et
rendements maxima et réguliers. À un niveau engraisseurs, le développement massif d’une
intermédiaire d’intensification, le drainage, filière d’aliments concentrés, etc. À l’intérieur
l’irrigation, l’usage des fertilisants et de des ateliers spécialisés, il faut accélérer les
l’énergie fossile représentent de bons rotations sur les champs et dans l’étable ou le
exemples des conséquences pratiques de ce poulailler en raccourcissant tous les délais
modèle à la ferme et autour de la ferme. biologiques possibles. Il faut aussi concentrer
Il est socialement légitime et économique- l’usage de la terre sur les productions les plus
ment rentable de chercher à augmenter rentables en supprimant les rotations ou
toujours plus les rendements en réduisant les tous les délais d’entrée en production. Ce
facteurs limitants liés aux conditions de sols processus est à la fois basé sur et renforcé
et de climat. La fonction de production sous- par l’impératif de rentabiliser le capital
jacente, appelée « fonction de production emprunté, car l’entreprise agricole moderne
d’ingénieur », est alors analogue à celle est de plus en plus dépendante des capitaux
décrivant une manufacture industrielle. Les extérieurs. Enfin, comme l’usage de fertili-
modes d’évaluation et de calcul économique sants à doses élevées provoque le développe- 59
correspondant restent naturellement circons- ment de maladies et de parasites, il faut
crits aux éléments du système de production aussi augmenter l’usage des herbicides, des
appropriés par l’entrepreneur agricole. Ce pesticides et autres régulateurs de croissance.
sont les rapports de prix et de productivités Là aussi, un schéma de pensée à la fois
marginales des facteurs qui permettent de « mécaniciste » et « réductionniste » est à
gérer le système. Le modèle économique l’œuvre. Il conçoit la ferme et l’activité
utilisé pour analyser le processus est celui de agricole comme un système fermé et son
la fonction économique de production, qui fonctionnement gouverné par la loi « une
est différente de la fonction de production cause, un effet, un remède ». Économique-
d’ingénieur. Ce modèle permet de définir ment, il repose sur un comportement
rigoureusement les processus de transforma- d’assurance ou de maximisation des rentes.
tion du système de production, notamment Socialement et politiquement, il se fonde sur
les processus d’intensification et d’extensifi- la sélection des agriculteurs destinés à
cation, dans le cadre d’une hypothèse de fixité disparaître et ceux pouvant se maintenir en
à court et à moyen terme de la terre et du se coulant dans le moule. La force de cette
travail 93. politique réside dans son caractère sociale-
Par construction, l’évaluation économique ment endogène et ceci a permis de caractéri-
du système reste donc partielle et ne prend ser la modernisation agricole comme un
en considération ni l’efficacité globale de la processus de co-gestion de la politique
filière (son empreinte écologique ou énergé- agricole.

93 Gohin et alii, 2003


DEMETER 2005

Un tel processus a bien entendu des consé- que celles qui caractérisaient ces zones
quences sur l’environnement et, en premier auparavant. Le retrait humain de vastes
lieu, sur les paysages et la biodiversité. Même régions européennes n’est donc pas un
si, comme le souligne en 2003 Hoogeveen, facteur positif pour la biodiversité.
« juger les effets de l’agriculture sur la
biodiversité dépend de la référence choisie 3.1.2. L’approche « écosystème » de la FAO
dans le temps et dans l’espace », de nom-
breuses références précises, relatives à La conscience de l’importance de la
l’impact négatif de l’intensification agricole biodiversité et de la nécessité de comprendre
sur la biodiversité peuvent être trouvées 94. les interactions écologiques pour l’agriculture
Pour en donner une vision synthétique, il ne sont pas nouvelles. L’exemple le plus
suffit d’envisager les effets du mode de connu, notamment des arboriculteurs et des
développement sur les trois niveaux de la économistes, est celui des insectes pollinisa-
biodiversité : les gênes, les espèces et les teurs. Il y a en premier lieu l’intérêt de conser-
écosystèmes. Le modèle « moderne » s’est ver une diversité intra-spécifique in situ et
traduit par une concentration de la produc- ex situ des espèces d’intérêt agronomique.
tion agricole mondiale autour d’un petit Celle-ci constitue une information pouvant se
nombre de cultivars et d’espèces animales. Les révéler d’une grande utilité dans le contexte
cultivars sélectionnés depuis des siècles mais d’une agriculture confrontée à la course de
non-utilisés ont massivement disparu. Le vitesse avec les ravageurs et les mécanismes
processus de conservation ex situ ne peut se de résistance. À ce titre, la biodiversité à
substituer à l’usage in situ qui ne fige pas le une valeur d’option. Il existe également un
matériel génétique dans un état donné. Ceci intérêt à entretenir des systèmes diversifiés
est une conséquence logique de la concur- dans le temps et dans l’espace : avec des
60 rence économique, qui fait apparaître, a calendriers de fauche adaptés, les prairies
contrario, l’importance de la gestion humaine naturelles à composition floristique complexe
des ressources génétiques. présentent à la fois une teneur élevée en
L’impact sur les espèces passe par les deux protéines et une résistance accrue à la
voies que sont la reconversion des habitats sécheresse. De plus, elles fournissent des
naturels à l’agriculture (défrichages, assèche- habitats aux oiseaux et aux insectes. On a
ment des zones humides, remembrement également redécouvert les vertus agrono-
et destruction des haies ou reforestation miques de la rotation des cultures. Souvent,
mono-spécifique) et la modification impor- une pratique agronomique aussi simple
tante des conditions environnementales qu’une succession culturale bien conçue
(usages de pesticides, d’engrais minéraux à permet de contrôler les ravageurs. L’intérêt
hautes doses...). Les groupes les plus touchés d’une biodiversité « à côté du champ » appa-
sont les insectes et les oiseaux 95. raît aussi quand, au nom des gains de temps,
Il serait cependant incomplet de ne consi- le paysage est modifié de fond en comble. La
dérer que les effets de l’intensification de la destruction des haies ou des fossés de
production car ce processus s’accompagne drainage et l’assèchement des zones humides
aussi de mouvements d’extensification et correspondent à une perte importante en
d’abandon des terres dans d’autres régions. termes de résilience des agro-systèmes et elle
Ceci se traduit généralement par l’envahisse- se traduit souvent par une sensibilité accrue
ment d’une flore et d’une faune moins riches des rendements à des chocs climatiques ou

94 Baldock, 1990 ; Stanners, 1995 ; Pain, 1997 ; Vandermeer, 1998 ; FAO, 2000 ; Loreau, 2001 ; le Houérou, 2002
95 Donald et alii, 2001
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

biologiques. En 2003, D. Dron, effectuant la écosystème à tous les types de systèmes


synthèse d’une abondante littérature scienti- de production et de politiques, ainsi qu’à
fique, a relayé ces analyses dans une expertise l’intérieur des plans et programmes pour la
collective conduite à l’Institut national de biodiversité ». En 2002 à Paris, le Conseil de
recherche agronomique (INRA). La conver- l’Europe et le Programme des Nations unies
gence entre ces analyses de natures et de pour l’environnement (PNUE) ont organisé
niveaux différents prépare et contribue à un une conférence pan-européenne de haut
renouvellement des modes de pensée et niveau sur l’agriculture et la biodiversité, en
d’action en agriculture. De plus, leur crédibi- insistant sur la nécessité d’intégrer la diversité
lité est renforcée par le développement et le biologique et paysagère dans la perspective
succès commercial des filières de production d’une agriculture durable.
mettant en œuvre ces principes. L’étude a Ainsi, ce qui apparaissait comme archaïque
souligné l’intérêt des recherches sur les bases et peu efficace il y a cinquante ans, est
du fonctionnement écologique de systèmes, considéré aujourd’hui comme un moyen de
telle la Grande Prairie américaine, qui concilier des objectifs individuels et sociaux
identifient les raisons fonctionnelles de leur divers, dans une perspective de développe-
efficacité dans la production de biomasse et ment durable. Notons que les principes à la
de protéines. Elle qualifie cette démarche base des propriétés des écosystèmes (régula-
d’« éco-mimétisme ». tions proies-prédateurs, complémentarités
Ces résultats obtenus par les agronomes et inter-spécifiques, mutations et dynamiques
les écologues ont conduit à penser que de sélection in situ...) sont en complète oppo-
l’approche écologique présente un intérêt sition avec les principes de spécialisation et
certain pour la conception de systèmes d’organisation des systèmes de production
agricoles durables. Cet intérêt a été souligné qui se trouvaient au fondement de la moder-
dans différents documents récents de la FAO nisation agricole. Ils impliquent un mode 61
et de l’Union européenne qui ont intégré d’interaction dans la nature plutôt qu’une
les conceptions issues de ces travaux aux action sur la nature. Dans ce contexte, l’agri-
préoccupations sur le développement culteur et l’aménageur, conscients des impacts
durable, pour en faire ce qu’ils ont appelé de leurs décisions sur un système complexe,
« l’approche écosystème ». doivent adopter une attitude prudente et
Cette approche a été définie et adoptée en donner une grande place à l’observation, afin
2002 par la décision V/6 lors de la Convention d’apprendre et de mieux accompagner les
sur la diversité biologique réunie à dynamiques du système.
Johannesburg. Elle se définit comme « une
stratégie pour la gestion intégrée de la terre, 3.2. Changements et convergences
de l’eau et des ressources vivantes qui en
promeut la conservation et l’usage durable Les changements dans les références
dans une manière équitable » et se décline en scientifiques et les normes techniques de la
douze principes relatifs tant aux aspects production agricole moderne ont émergé de
écologiques proprement dits qu’aux aspects deux domaines différents de recherche : le
socio-économiques. Elle a été reprise par la premier est celui de la lutte biologique et
FAO, qui a publié en 2003 le rapport intégrée, le second celui des méthodes agro-
Biodiversity and the Ecosystem Approach nomiques orientées vers la désintensification.
in Agriculture, Forestry and Fisheries. L’agriculture biologique, elle, a une origine
L’objectif de ce rapport est, via une grande différente et empirique, même si ses
variété d’études de cas à travers le monde, méthodes peuvent se justifier par une
de « montrer l’intérêt économique et social approche analogue à l’approche « écosystème
de soutenir l’intégration de l’approche ». Ainsi, on distingue les méthodes orientées
DEMETER 2005

vers le respect des normes environnementales La lutte intégrée n’a pas pour but de
(agriculture raisonnée, production fruitière supprimer tout usage de pesticides, mais d’en
intégrée) de celles orientées vers la qualité et minimiser l’usage. Elle se présente comme une
la sécurité des produits (agriculture biolo- voie de compromis entre exigences de
gique). responsabilité environnementale et pratiques
Ces nouvelles méthodes sont fondées sur économiquement rentables. C’est pourquoi
une formation approfondie des agriculteurs elle s’est développée plus tardivement sur le
et elles nécessitent une surveillance accrue des terrain : dès 1979 aux Pays-Bas, mais seule-
cultures et de l’environnement. Leur mise ment en 1994 aux États-Unis où le réseau
en œuvre appelle au plan commercial une national pour la lutte intégrée a été créé sous
labellisation liée à une procédure de certifi- l’égide de l’USDA.
cation. La promotion et la diffusion de ces
modèles exigent l’implication de nombreux 3.2.2. La désintensification
partenaires, en dehors de la seule sphère dans les agro-systèmes
agricole : de la production et la diffusion des
connaissances jusqu’à la gestion du contrôle La désintensification est définie comme la
des pratiques et de la qualité. Il n’est donc pas recherche d’un nouvel équilibre économique,
étonnant de constater que ces méthodes basé sur la réduction du niveau d’intrants à
s’appuient sur des réseaux et ont largement niveau de travail constant et une acceptation
bénéficié du développement d’Internet. de rendements inférieurs. Ce modèle de
production, défendu aujourd’hui en France
3.2.1. La lutte biologique et la lutte par la Confédération paysanne, s’appuie en
intégrée fait sur de nombreuses recherches démarrées
dans les années quatre-vingts à l’INRA et à
62 Au plan scientifique, la lutte biologique et l’INA Paris-Grignon, dans le domaine de la
la lutte intégrée se présentent comme deux production céréalière 96. Il vise à obtenir un
réponses cohérentes à la faillite de beaucoup double bénéfice : privé pour l’agriculteur et
de produits de traitement à contrôler les social par la réduction de l’impact négatif
ravageurs sur le long terme. Cet échec découle de l’agriculture sur l’environnement et la
du développement plus ou moins rapide de biodiversité. Ce modèle est intéressant pour
résistances parmi les ravageurs. L’objectif est notre raisonnement : non parce qu’il prend
de rompre le cercle vicieux conduisant à largement le contre-pied du « modèle pro-
augmenter les doses en réponse à la virulence ductiviste », mais parce qu’il s’appuie sur un
accrue des ravageurs : ce qui accélère et schéma scientifique intégrant de nombreuses
renforce les résistances… Les réponses connaissances agronomiques, biologiques et
scientifiques et pratiques à ces phénomènes écologiques. Il repose sur une meilleure
ont été élaborées dans le réseau de compréhension et une meilleure maîtrise des
l’Organisation internationale de lutte interactions entre conduite de la culture et
biologique (OILB), établie en 1956 comme choix des variétés. Le choix de variétés
filiale du Conseil international des associa- résistantes à divers parasites, semées à faible
tions scientifiques (ICSU). En pratique, la lutte densité et associées avec une réduction et à
biologique est souvent associée aux moyens un calendrier d’apports différents de la
chimiques, voire à l’usage des plantes fumure azotée, permet de réduire les besoins
transgéniques dans le cadre de la lutte en autres traitements phytosanitaires. La
intégrée. contrepartie pour l’agriculteur est double : il

96 Meynard, 2003 ; Rolland, 2003 ; Vissac, 2003


PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

doit consacrer plus de temps à la surveillance les effets négatifs, sans remettre en cause la
des cultures et accepter une baisse des rentabilité économique des exploitations ».
rendements. Il doit donc à la fois être mieux L’agriculture raisonnée s’inscrit donc très
formé et investir plus de temps. Mais ses clairement dans la catégorie des démarches
marges ne sont pas réduites proportionnelle- volontaires pour réduire les impacts négatifs
ment au rendement. Les limites d’un tel de l’agriculture sur l’environnement.
système tiennent principalement à deux L’agriculture raisonnée a été promue par la
facteurs : Fédération nationale des syndicats d’exploi-
• Le premier est biologique et agronomique : tants agricoles (FNSEA), en liaison avec un
il porte sur la difficulté à maîtriser les méca- réseau d’organisations et d’entreprises. Elle
nismes de la multi-résistance s’appuie sur un tissu d’agriculteurs, le réseau
• Le second est d’ordre économique et FARRE. Au plan européen, les réseaux FARRE
politique : il renvoie aux conditions dans adhérent à l’Initiative européenne pour le
lesquelles les consommateurs et/ou les développement durable en agriculture.
citoyens peuvent accepter de payer ces Comme l’a souligné en 2000 Guy Paillotin,
produits plus chers 97. C’est pourquoi tous les conseiller auprès du directeur général de
systèmes de production fondés sur ces l’INRA, dans son rapport au ministre de
principes ne peuvent éviter de développer l’Agriculture, la démarche de l’agriculture
une certification de leurs méthodes de raisonnée ne peut reposer sur une simple
production et une stratégie de signalisation déclaration d’intention et doit être appuyée
des produits. sur un contrat de confiance fondé sur une
obligation de moyens par l’agriculteur qui la
3.2.3. L’agriculture intégrée et l’agriculture revendique. Guy Paillotin préconise même
raisonnée l’adoption de la norme ISO 14 001 pour
63
fonder ce contrat. Ces caractéristiques de
Au-delà des différences sémantiques, l’agri- l’agriculture raisonnée ont tout récemment
culture intégrée (integrated farming) et fait l’objet d’une codification réglementaire
l’agriculture raisonnée sont fondées sur les définissant strictement l’usage de la mention
mêmes principes et procèdent des mêmes et excluant d’en faire un argument de qualité
approches économiques. Ce n’est que pour des produits 98. Cette décision traduit bien
éviter la connotation négative liée à l’emploi les problèmes de concurrence commerciale
du qualificatif « intégrée » que les promoteurs entre agriculture raisonnée et agriculture
de ce mouvement ont choisi le terme biologique, ainsi que la nécessité d’une signa-
« raisonnée ». Pour le Conseil supérieur lisation claire pour le consommateur.
d’orientation et de coordination de l’écono-
mie agricole et alimentaire, l’agriculture 3.2.4. L’agriculture biologique
raisonnée « correspond à des démarches
globales de gestion d’exploitation qui visent, L’agriculture biologique est « un système
au-delà du respect de la réglementation, à agricole basé sur la mise en valeur des
renforcer les impacts positifs des pratiques ressources naturelles et une gestion fondée
agricoles sur l’environnement et à en réduire sur la reconstitution permanente de la

97 Maljean, 2001
98 Décret n° 2004-293 du 26 mars 2004 relatif aux conditions d’utilisation du qualificatif « agriculture raisonnée », JORF, 28 mars,
p. 6023, Art. 3. « La publicité, l’étiquetage et la présentation des produits portant l’une des mentions définies à l’article 2 du pré-
sent décret ne doivent pas faire état de propriétés organoleptiques ou nutritionnelles ou de qualités sanitaires particulières ou être
de nature à faire croire que les produits ont un effet bénéfique pour la santé du seul fait qu’ils sont issus d’exploitations qualifiées
au titre de l’agriculture raisonnée ».
DEMETER 2005

fraction vivante du sol permettant de de garantir la résilience de l’agro-système.


maintenir l’équilibre de la biosphère grâce à L’input productif principal est constitué par le
la permanence de l’humus, des façons maintien des fonctions écologiques intégrées
culturales appropriées, des assolements de l’écosystème 101. « Renforcer la biodiversité
pluri-annuels, l’apport d’engrais organiques fonctionnelle est la clef de la stratégie écolo-
et d’amendements peu solubles » 99. Dès sa gique pour garantir durablement la produc-
création, elle a été présentée comme une tion dans la ferme bio ». En ce sens, il se réfère
contestation radicale des pratiques et des à l’approche de la gestion des écosystèmes
schémas de pensée dominants dans les cercles définie dans la Convention de la diversité
scientifiques de l’époque où elle est née : biologique et à l’ingénierie écologique.
c’est-à-dire entre les deux guerres mondiales. De nombreuses recherches comparatives
Son créateur, l’autrichien Rudolf Steiner, permettent d’évaluer les coûts et les bénéfices
n’était pas un scientifique, mais un péda- en termes d’environnement et de biodiversité
gogue. C’est pourquoi elle a été longtemps de l’agriculture conventionnelle et de l’agri-
objet de dérision dans ces milieux. Comme le culture biologique. Au niveau européen,
souligne Bertrand Hervieu, alors président de l’agriculture biologique a trouvé dès 1991 une
l’INRA, dans la préface du document de définition et une organisation réglementaires
l’Institut consacré à la réhabilitation officielle 102
. Au plan commercial, les produits de l’agri-
de cette démarche au sein de l’INRA 100, « l’in- culture biologique trouvent désormais leur
compréhension réciproque qui a prévalu place dans les rayons de la grande distribution
durant tant d’années et qui prend symboli- et leur part de marché est non négligeable 103.
quement fin avec cette publication,
a coûté cher à notre pays en privant ce
3.3. Quelle agriculture dans les pro
secteur particulièrement innovant du progrès
64 technique dont l’INRA a su irriguer pratique- chaines décennies ?
ment tous les autres secteurs de notre
agriculture ». Contrairement à l’agriculture La question qui se pose au terme de cette
raisonnée, plus récente, l’agriculture biolo- revue des modèles de production offerts
gique a mené la logique d’intégration des comme des alternatives crédibles au modèle
préoccupations environnementales et de « productiviste » est celle de leur viabilité
santé humaine à son terme : ceci lui permet économique et donc de la physionomie du
de trouver un support à la fois chez les grands secteur dans les prochaines décennies. La
distributeurs et chez les consommateurs. réponse à la première question dépend de
Le modèle conceptuel de l’agriculture l’interaction entre le comportement des
biologique est totalement différent du consommateurs et celui des pouvoirs publics.
modèle « moderne » dans la mesure où, C’est donc un processus social de diffusion de
s’interdisant d’utiliser les substances de normes qui, une fois enclenché dans un sens,
synthèse, il fait de la nature et de ses peut devenir irréversible ou très difficilement
équilibres le moyen de production principal, réversible. Ainsi, les attributs de qualité et
par la suppression de tout intrant de synthèse. d’innocuité des aliments et ceux d’impact
La fonction principale de l’agriculteur est alors environnemental limité deviendront-ils sans

99 Réseau FORMABIO, Gestion et valorisation des ressources naturelles par la pratique de l’agro-biologie, MINAG DGER, 1996
100 Bellon et al, 2004
101 FAO, 2002
102 Règlement CEE n° 2092/91 du 24 juin 1991 concernant le mode de production biologique des produits agricoles, JOCE,
L198/22.7.91
103 Bonny, 1985 ; Conseil de l’Europe, 2002
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

doute des critères aussi essentiels que le prix. gique en la liant aux modes d’exploitation des
Comment ces tendances se traduiront-elles en ressources. La conception des politiques
termes d’aménagement du territoire ? Allons- publiques se centre alors de plus en plus sur
nous vers un zonage implicite correspondant la relation entre exploitation et conservation.
à ces différents modèles de production, avec Dans cette ligne d’action, les usages et les
des zones franches d’agriculture et des zones aménités jointes aux écosystèmes et aux
de production plus ou moins respectueuses agro-systèmes ne peuvent être ignorées. En
de l’environnement et de la biodiversité ? effet, la diversité biologique apparaît de plus
Les problèmes rencontrés dans les zones en plus comme un bien public ayant une
d’agriculture intensive et de fortes densités double caractéristique :
humaines laissent penser que non. Et cette * Elle est globale parce qu’elle est repro-
réponse est renforcée par le fait que les ductible et a une valeur d’existence
premières victimes des effets négatifs des * Elle est locale parce qu’elle est déclinée
pratiques intensives sur l’environnement et la dans la diversité des écosystèmes qui sont par
biodiversité sont d’abord les agriculteurs définition localisés et dotés de valeurs
eux-mêmes. Il est donc plus vraisemblable que d’usages.
l’évolution ira vers une amélioration générale Sa protection s’intègre alors dans une
des standards environnementaux. perspective de développement durable.
L’ensemble de ces innovations dans les C’est aussi à cause de cette caractérisation
normes de production et dans les circuits que la diversité biologique a fait depuis une
commerciaux n’est pas non plus neutre pour trentaine d’années son entrée sur la scène des
l’intégration des objectifs environnementaux politiques communautaires. Nous avons vu
dans la politique agricole. En effet, tout le que la politique européenne de la biodiver-
système d’incitations des mesures agri- sité a progressivement étendu sa légitimité
au-delà des cercles scientifiques et des orga- 65
environnementales repose sur la référence à
des pratiques standards. Or, dans la mesure où nisations non-gouvernementales environne-
le système de production « productiviste » est mentalistes. Les crises ayant affecté le secteur
contesté dans ses fondements et concurrencé agricole et le système agro-alimentaire ont
dans la pratique par des systèmes alternatifs, considérablement renforcé cette légitimité
la définition de ces bonnes pratiques devient dans le public. Aussi, les pressions pour une
de plus en plus problématique. C’est pourquoi intégration non formelle des objectifs de
les incitations sont destinées à diminuer protection de l’environnement, des paysages
progressivement, au profit de la conditionna- et de la biodiversité se sont-elles faites plus
fortes. Les systèmes d’incitations, tels les
lité des aides, seule compatible avec la diver-
mesures agro-environnementales ou les
sité des systèmes de production.
contrats spécifiques pour la conservation des
habitats, ont été complétés par des systèmes
subordonnant le paiement des aides agricoles
CONCLUSION au respect des normes environnementales et
des exigences de protection de la biodiversité.
La diversité constitue une caractéristique Mais une telle intégration, pour être complète
intrinsèque du vivant. Les pressions exercées et effective, devra s’appuyer sur un ensemble
par les activités humaines sur la nature sont de conditions globales et locales :
importantes et ont induit en retour un besoin • Au plan global, la question cruciale des
de politiques spécifiques pour la protéger. indicateurs, de leur élaboration et de leur
Mais, devant la pression des besoins, on ne utilisation commence seulement à être
peut pas tout figer et il est alors nécessaire de abordée depuis quelques années : de ce fait,
repenser la protection de la diversité biolo- l’évaluation de l’impact des pratiques et des
DEMETER 2005

modes de production agricoles, comme celle lation de zones rurales défavorisées, ne


des politiques sectorielles restent difficiles. semblent pas directement et exclusivement
L’un des exemples de cette complexité est liés à la PAC, il est néanmoins aujourd’hui
constitué par la difficulté de coordination fortement contesté. On peut alors se deman-
de l’évaluation des mesures de Natura 2000 der si nous sommes à la veille d’un renouvel-
et du Plan de développement rural national lement du paradigme de la modernité ayant
(PDRN). servi de base à ce mouvement. L’émergence
• Au plan local, l’application des principes dans la recherche et le succès sur le terrain de
d’éco-conditionnalité comme l’usage de la modèles alternatifs comme l’agriculture inté-
démarche contractuelle demanderont des grée ou l’agriculture biologique tendraient à
méthodes précises, compréhensibles et valider cette hypothèse. Mais, comme cela est
acceptables par les différents partenaires, largement souligné dans le règlement 2003
mais aussi des méthodes de négociation portant réforme de la PAC, ce renouvellement
locales. profond des pratiques et des modes de
Les objectifs assignés aujourd’hui à la production exigerait un effort de formation
Politique agricole commune, ainsi qu’à l’agri- considérable et, sans aucun doute, une
culture européenne ont radicalement changé révision des modes de gouvernance de l’agri-
depuis la création du Marché Commun. Les culture. En ce sens, il est possible de trouver
objectifs de qualité, de sécurité des aliments, dans la réforme de la Politique agricole
de respect de la qualité de l’environnement commune arrêtée en juin 2003 à Luxembourg,
et de protection de la diversité biologique, comme dans les innovations techniques et
notamment des écosystèmes, ont pris le pas institutionnelles tous les éléments précurseurs
sur les objectifs quantitatifs. Si le mouvement d’un nouveau contrat entre les agriculteurs et
d’intensification et son corollaire, la dépopu- les citoyens européens.
66
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Aulong S., 2001, La dynamique des négociations internationales environnementales: Cas de


l’engagement international sur les ressources phytogénètiques pour l’agriculture et l’alimenta-
tion. ENSAM-INRA. Montpellier, 81 p.
Aulong S., 2002, La directive 92/43/CEE dite „habitat, faune flore» : Analyse comparative de sa
mise en œuvre en Europe. Montpellier, LAMETA/SBTDV, rapport au CNASEA, 116 p.
Aulong, S., 2003, Natura 2000 : des stratégies nationales contrastées, Espaces Naturels 3, 39-40
Aulong, S., 2004, Natura 2000, après l’heure des bilans, celle des perspectives. Les enjeux de
cofinancements européens pour gérer le réseau écologique, Structures, mai 2004
Baldock D., 1990, Agriculture and Habitat Loss in Europe. Brussels, W.W.F.
Barbault R., 1994, Des baleines, des bactéries et des hommes, Éditions Odile Jacob («Sciences»),
Paris, 327 p.
Barnaud G. et J.-C. Lefeuvre, 1992, L’écologie, avec ou sans l’homme ?, in Jollivet M., éd., Sciences
de la nature, sciences de la société. Les passeurs de frontières, Éditions du CNRS, Paris, 69-112.
Barnaud G., 1998, Conservation des zones humides : concepts et méthodes appliqués à leur carac-
térisation, Thèse de doctorat, Université de Rennes 1, décembre 1997. Coll. Patrimoines Naturels
Volume 34, Service du Patrimoine Naturel / IEGB / MNHN, Paris, 451 p.
Bellon, S., Y. Gautronneau, G. Riba, I. Savini et B. Sylvander, 2004, L’agriculture biologique et
l’INRA, vers un programme de recherche, Paris, INRA, 25 p.
Bonny, S. et Y. Lepape, 1985, Socio-économie des exploitations en agriculture biologique : étude
de faisabilité. Paris, INRA Éditions 67
Born C. H., 2001, La conservation de la biodiversité dans la politique agricole commune. Louvain,
Centre d’Etude du Droit de l’Environnement: 341-401.
Cans R., 1992, Tous Verts ! La surenchère écologique, Calmann-Levy, Paris.
Chapin F. S., E. S. Zavaleta, et al., 2000, Consequences of changing biodiversity, Nature 405(6783):
234-242.
Chassany J.-P., Rulleau B. et J.-M. Salles, 2004, Evolution of Biodiversity Policies on the Territory
of the Cevennes National Park (France): some contractual approach issue. Proceeding of the
International Conference on Policy Instruments for Safeguarding Forest Biodiversity : Legal and
Economic Viewpoints, Helsinki, Finland, January 15-16 : 15-42.
Chauvet M. et L. Olivier, 1993, La biodiversité, enjeu planétaire. Préserver notre patrimoine géné-
tique, Sang de la Terre, Paris, 416 p.
Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, 1988, Notre Avenir à Tous,
Éditions du Fleuve, Montréal, 432 p. (Rapport Brundtland, Our Common Future, 1987).
Confédération Paysanne, 2000, Changeons de politique agricole. Paris, Les Petits Libres.
Conseil de l’Europe, (2002). Conférence Paneuropéenne à Haut Niveau sur l’Agriculture, et la
Biodiversité: vers une intégration de la diversité biologique et paysagère, pour une agriculture
durable en Europe, Paris (France), Conseil de l’Europe.
Cropp, R. and A. Gabric (2002). Ecosystem adaptation: Do ecosystems maximize resilience?,
Ecology 83(7): 2019-2026.
Donald, P.F., R.E. Green, & M.F. Heath, 2001, Agricultural intensification and the collapse of
Europe’s farmland bird populations, Proc. R. Soc. Lond., 268, pp. 25-29
Dron, D. (2003). ATEPE: Agriculture, territoire, environnement dans les politiques européennes.
Les dossiers de l’Environnement de l’INRA 23 (N° spécial ATEPE): 182.
DEMETER 2005

Dron, D., P. Ferron (2003). Diversité biologique et agriculture: fonctions et enjeux. Les dossiers
de l’Environnement de l’INRA 23 (n° Spécial ATEPE): 153-178.
Fabiani J.-L., 1997, Précaution et protection de la nature, in O. Godard, dir., Le principe de
précaution dans la conduite des affaires humaines», Éditions de la MSH et INRA, Paris, 297-309.
FAO (2000). Agriculture: Horizons 2015/30. Rome, FAO: 229.
FAO (2001). Organic agriculture and the Environment: the ecosystem approach in organic
agriculture, FAO. 2003.
FAO (2002). Biodiversity and the Ecosystem Approach in Agriculture, Forestry and Fisheries.
Satellite Event on the occasion of the Ninth Regular Session of the Commission on Genetic
Resources for Food and Agriculture, Rome, 12-13 October 2002.
Ferguson, M., C. Coffey, D. Wilkinson and D. Baldock (2001). The Effectivness of EU Council
Integration Strategies and Options for carrying Forward the «Cardiff» Process. London, Institute
for European Environmental Policy: 54, Annexes.
Folke, C., S. Carpenter, et al. (2002). Resilience and sustainable development: Building adaptive
capacity in a world of transformations. Ambio 31(5): 437-440.
Gohin, A. et H. Guyomard. (2003). Analyse économique du modèle de l’agriculture paysanne
de la Confédération paysanne. Dossiers de l’environnement de l’INRA 24: 157-168.
Gouyon P.-H., 1994, La biodiversité dans sa perspective historique, Le Courrier de l’Environnement
n°23, novembre.
Greenwood J., 2003, Interest Representation in the European Union, New York, Palgrave,
Macmillan.
Guéguen, D. et F. Lutz (2003). Réforme de la Politique Agricole Commune: qui décide et
comment?, in DEMETER 2004, Paris, Armand Colin, 227-250.
Gunderson, L. H. (2000). Ecological resilience in theory and application, Annual Review of Ecology
68 & Systematics 31: 425-439.
Guy P., 1990, De l’avenir de la diversité biologique chez les plantes cultivées, Le Courrier de la
Cellule Environnement (INRA) n°12, 15-24.
Heywood V., ed., 1995, Global Biodiversity Assessment, Cambridge University Press, Cambridge (UK).
Holling, C. S. (2001). Understanding the complexity of economic, ecological, and social systems,
Ecosystems 4(5): 390-405.
Holling, C. S. and L. H. Gunderson (2001). Resilience and adaptive cycles. Panarchy. Washington,
Island Press: 25-62.
Hoogeveen, Y., 2003, Status of biodiversity on farmland in Europe, in Actes de la Conférence
Paneuropéenne à haut niveau sur l’agriculture et la biodiversité : vers une intégration de la
diversité biologique et paysagère, pour une agriculture durable en Europe, Strasbourg, Conseil
de l’Europe, pp. 37-48
Jeffers, J. N. R. (1997). Ecological Consequences of Biodiversity Loss, International Journal of
Sustainable Development & World Ecology 4(2): 77-78.
Jeppesen, T. (2002). Environmental Regulation in a Federal System: Framing Environmental Policy
in the European Union. Cheltenham, UK, Edward Edgar.
Jones, A. and J. Clark (2001). The Modalities of European Union Gouvernance. Oxford, Oxford
University Press.
Jordan A., Brouwer R., Noble E., 1999, Innovative and responsive? A longitudinal analysis of the
speed of EU environmental policy making, 1967-97, Journal of European Public Policy 6(3): 376-398.
Jordan A., Jeppesen,T., 2000, EU Environmental Policy: Adapting to the Principle of Subsidiarity?,
European Environment 10(2): 64-74.
Jordan, A. (1999). The implementation of EU environmental policy: a policy problem without a
political solution? Environment and Planning C: Government and Policy 17: 69-90.
PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ ET POLITIQUES COMMUNAUTAIRES : DE LA CONFRONTATION À L’INTÉGRATION ?

Jordan, A. (2000). The politics of multilevel environmental governace: subsidiarity and environ-
mental policy in the European Union. Environment and Planning A 32(7): 1307-1324.
Landis, D. A., S.D. Wratten & G.M. Gurr (2000). Habitat Management to Conserve Natural Enemies
of Athropod Pests in Agriculture. Annual Review of Entomology 45: 175:201.
Larrère C., 1997, Les philosophies de l’environnement, PUF («Que sais-je»), Paris, 124 p.
Larrère C., Larrère R., 1997, Du bon usage de la Nature : pour une philosophie de l’environne-
ment, Alto-Aubier, Paris, 355 p.
Le Houerou, H. N. (2002). Man-made deserts: Desertification processes and threats, Arid Land
Research & Management 16(1): 1-36.
Loreau, M. A. (2001). Biodiversity and Ecosystem functioning: Current Knowledge and Futures
Challenges., Science 294: 804.
Maljean, J.-F. et A. Peters (2001). Agriculture intégrée et biodiversité: impacts et mesures
politiques. Stratégie Paneuropéenne de la diversité biologique et paysagère, Paris, UNESCO.
Maljean-Dubois S., 2000, Biodiversité, biotechnologies, bio-sécurité : le droit international
désarticulé», Journal du Droit International n°4, 949 et sv.
Manigart, P. (2002). Les Européens et la politique agricole commune 2001-2002, The European
Opinion Researcvh Group. 2004.
Mathieu N. et M. Jollivet, éds., 1989, Du rural à l’environnement : la question de la nature aujour-
d’hui, A.R.F. édition / L’Harmattan, Paris.
Matland, R. E. (1995). Synthesizing the Implementation Literature: The Ambiguity-Conflict Model
of Policy Implementation, Journal of Public Administration Research and Theory 5: 145:174.
McNeely J.A., Miller K.R., Reid W.V., Mittermeier R.A. et Werner T.B., 1990, Conserving the World’s
Biological Diversity, IUCN, Gland, Suisse.
Mermet, L. (1992). Stratégies pour la gestion de l’environnement. La nature comme jeu de société.
L’Harmattan, Paris. 69
Meynard, J. M., & I. Savini (2003). La désintensification: point de vue d’un agronome, Dossiers
de l’environnement de l’INRA(24): 23-33.
Mollard, A. & alii (2002). Vers une gestion intégrée agriculture-environnement? Diagnostic,
solutions, perspectives, Dossiers de l’environnement de l’INRA 23.
Noiville C., 1997, Ressources Génétiques et Droit, Pédone, Paris.
Noiville C., 2002, La mise en œuvre de la convention de Rio sur la conservation de la diversité
biologique et ses relations avec l’accord de l’OMC sur les ADPIC, in S. Maljean-Dubois, L’outil
économique en droit international et européen de l’environnement, 281-303.
Norton, B. G. (2003). Searching for Sustainability, Interdisciplinary Essays in the Philosophy of
Conservation Biology. Cambridge, Cambridge University Press.
Odum, E. P. (1969). The strategy of ecosystem development. Science 164: 262-270.
Okey, B. W. (1996). Systems Approaches and Properties, and Agroecosystem Health, Journal of
Environmental Management 48 (2): 187-199.
Paillotin G., 2000, L’agriculture raisonnée, Rapport au Ministre de l’Agriculture et de la Pêche
Pain, D J.P., M.W. Pienkowski, ed. (1997). Farming and Birds in Europe: the Common Agricultural
Policy and its implications for Bird Conservation. Boston, Academic Press.
Pearce, D. W. and G. D. Atkinson (1993). Capital theory and the measurement of sustainable
development: an indicator of «weak» sustainability, Ecological Economics 8 (2): 103-108.
Perrings, C. (1998). Resilience in the Dynamics of Economy-Environment Systems, Environmental
& Resource Economics 11 (3-4): 503-520.
Pfisterer, A. B. and B. Schmid (2002). Diversity-dependent production can decrease the stability
of ecosystem functioning, Nature 416 (6876): 84-86.
Portas P. 1988, Histoire d’un succès : l’UICN, UICN Bulletin 19 (n° spécial) : 8-12.
DEMETER 2005

Raffin J.-P. et G. Ricou (1985), Le lien entre les scientifiques et les associations de protection
de la nature : approche historique, in Cadoret A., éd., Protection de la nature : histoire et
idéologie. De la nature à l’environnement. L’Harmattan, Paris, 61-74.
Roger A. et F. Guéry, eds., 1991, Maîtres et protecteurs de la nature, Champ Vallon («Milieux»),
Paris.
Rolland, B., & alii (2003). des itinéraires techniques à bas niveaux d’intrants pour des variétés
rustiques de blé tendre: une alternative pour concilier économie et environnement, Courrier
de l’environnement de l’INRA 49: 47-62.
Rulleau B., J.-B. Rutagungira et J.-M. Salles, 2004, Les incitations économiques en faveur de la
biodiversité en France, Rapport au Ministère de l’Écologie et du Développement Durable,
Montpellier, 290 p.
Soulé M.E., 1985, What is conservation biology ?, BioScience 35 : 727-734.
Stanners, D. B., Ph. (1995). Europe Environment: the Dobris Assessment. Copenhague, EEA.
Stone, L., A. Gabric, et al. (1996), Ecosystem Resilience, Stability, and Productivity - Seeking a
Relationship, American Naturalist 148(5): 892-903.
UICN, PNUE et WWF, 1980, Stratégie Mondiale de la Conservation, Gland (CH), 48 p.
UICN, PNUE et WWF, 1991, Sauver la Planète. Stratégie pour l’Avenir de la Vie, Gland (CH), 250 p.
Vandermeer, J., M. Van Noordwijk, J. Anderson, C. Ong, & I. Perfecto, (1998), Global Change and
Multi-pecies agroecosystems: Concepts and Issues, Agric. Ecosystem. Environ. 67: 1:22.
Vissac, B. (2003). L’élevage des bovins et le développement durable, Courrier de l’environnement
de l’INRA(49): 69-75.
Vivien F.-D., 2002, Les droits de propriété intellectuelle et la convention de Rio sur la conserva-
tion de la diversité biologique, in S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international
et européen de l’environnement, 256-279.
70 Wilson E. O. Et Peter F. M., eds., 1988, Biodiversity, National Academy Press, Washington,
DC, March, 284 p.
Wilson E.O., 1985, The biological diversity crisis, BioScience 35 : 700-706.
World Conservation Monitoring Center (WCMC), 1992, Global Biodiversity: Status of the Earth’s
Living Resources, Chapman and Hall, London.
WRI, UICN et PNUE, 1992, Global Biodiversity Strategy. Guidelines for Action to Save, Study,
and Use Earth’s Biotic Wealth Sustainably and Equitably, Washington, DC, WRI, 185 p.
NOUVELLES TECHNOLOGIES, PEURS ALIMENTAIRES ET PRINCIPE DE PRÉCAUTION

71

Vous aimerez peut-être aussi