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le ne fay rien

sans
Gayeté
(Montaigne, Des livres)

,5«

Ex Libris
José Mindlin

if-
MM

-A . jS^
P .A . R I
F e b v r e , a u d e r n ie r p ilU c r d e îa
Cfrancl SaÜe.Vss-a-Vts Us Kcg^uèâes dit F a ta is ,
^ __ __ S^^^/p'■ Bouiiaéj-
fínû! ^^ y^et-f
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C&SiiV W Wtj>« . ?

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MONSI EUR. » . t i V^

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ONSI E'VK:

II femhle q^uon ne doive pas Jon"*


ger à vo'us offnr aucun Ouvrage^
parce que vous ejles toujours occupe ^
I f que vous n a ve\p a s un moment
^3 À
1
E P I S T R E.
^ perdrei Cependant , iVi 0 JST-
S I E ^ R. , c*eft pour cela mefme
que je vom ojfre cette Hiftoire , qui
contient des chofes egalement neceffai­
res à fçavoir , (^ agréables À lire.
2

Comme elle contient des chofes necef


jaires à fa v o ir ^, vous ne d e v e \ pa$
craindre de perdre voftre temps À
une lefiure vaine ^ fterile. Comme
elle ejl remplie d'une infinité d’au­
tres auffi agréables à lire > vous ne
wanquere%^^as non plus d y rencon*
irer dequoy vous délajfer de vos gran­
des occupations,
l^ vérité il y a beaucoup
d'Hijloires qui inftruifent , mais il
y en a peu comme celles-cy , qui di-
vertijjént ilyr" qui infiruifent en m ef
me temps,. Har exemple vous y ap-
prendre\plufieurs parîicularite\cu-
ïieufes, j y jujques icy inconnues ^
qui regardent le Roy d'Efpagne,
Voi/s y verre^/^ de quelle maniéré il
gouverne dans les Indes ^ les T)igni-^
T »
E P I s T R E.
, foit Temporelles , (oit Eccle^
Jîajliques ou il pourvoit , les revenus
q u ile n tire ; en forte que ces Royau^
mes de la liouveUe Efpa^ne luy v a ­
lent plus que torn ceux de l''\^ n ^
cienne.
VoT4S verrez encore ce que les fiscs
grands Trinces de l'Europe fo/Je-
dent dans ces pats ; Principalement
noftre tsAugufle Monarque , qui y a
établi ^ y maintient les fameufes
Colonies qsdony void aujourd'huy ^
p lu t 0fl pour la gloire du nom F ran-
çoü fÿ* pour l'utilité de ces mefmes
Colonies , que pour la fienne propre.
Votes obfervere^ que lâ , comme ail^
leurs , il fe fa it craindre >il fe fa it
aimer \ qu'il régné, q u il trio??iphe ; en
un mot quil efi par tout LO TJ I S
LE GRAND.
Sur tout votes fere\touchéde l'em- .
preffement quont fes Sujets à luy
p la ire , le jervir , é* à ‘luy obe'ir
dans ces climats üoigne\y comme s'il
^ 4
E P T R E.
efloit pyefent. Je d û que vous en
ïe\touche^ fu ifq u o n nefçauYoitejlre
p im animé que vous de cette belle
émulation.
Vom le faites bien connoiflre ,
M O N S I E U R J dans éemploy
que vom exerce^^ ou vom fe r v e ^
ce Pnnce le public avec autant
de %ele que de fucce\. Succe^ oà
jMefieurs vos Conférés ont beaucoup
depart ; car c eft un fentim ent gene^
rai y que les Conjignations n^ont
mais efiéen de f i bonnes mains.
Elles font ^pour ainfi dire , un Ca->
fiai aufiifeur que fidele , dans lequel
les pim precieufes eaux viennent fe .
rendre de toutes p a rts , ou on les trou*,
ve toujours aufiipures quelles y ont
esii receués , ^ dou elles coulent
fans s arrejler ypour Jeiépandre tn*
fuite par tout ou il efi befoin^
c"eft vous y M O N S I E 'i y R y qui
'leur donne^le mouvement,
L on f a i t encore y que vo m vous
acquits
E " P :r s t :k e.

acquitte^ de cette fonction pentbte


avec autant de facilite ^ q u e f elle ne
l'efioit pas^que vous tiavaiU e\aufli
volontiers pour l homme du commun^
que pour l’homme qui fe dijlingue ,
pour Vinconnu que'pour 'l*ami. Ceft
pourquoy tout le monde ajme À avoir
affaire à vous yparce que vous aim e^
â contenter tout le monde* E t ce qui
eft difficile ^ plus, glorieux.pour
vous ; c^e[l que vous ne le p o u ve^
contenter fans une prompte expedi-^
tion^precedee d'un grand tr a v a il, oà
vous ejles toujours afidu ^ toü^
jours infatigable.
Ce n efl donc pas fans fujet ,
JM .0 N S I E 'iy K. qu"on s"attend, -/J
qtion fe confie qu*on fe raporte
de tout à vous \ ip" fans doute il '. I
faut avoir beaucoup ^experience
de probité, pour merïter une confiance
^ une dprbbationf ùniverfeUe.
" Après c e l l M 0 N S l E ^ K ,
ne votts éîonne\pas f vous vous
a 5 faites
E P .E S T R E.
faites des a m is , lofs mefme que vo m
y pen[e\ le moins , f i chacun ïem ^
f refie à fa onaniere -a vom témoig­
ner fa reconnoijfance de l'ardeur ^
de ^application que vo m ave%^ à
rendre firvice , f i moy qui connois
iüne IpT l^autreffay de l’impatience
de vom donner ces marques publia
ques de mon eftinie, de la pafi
fion fîncere avec laquelle je fu is >

tMON SIE ZJK

— «k

Voftre tres-humble & trcs*


• obeiflant ferviteur , '
D e F r o 'n t ï g n i e r e s *
PREFACE
^ L y a long-temps qu'on fe plaint,
& fans doute avec juftice,qu*on
__a mis au jour des Relations de
plufieurs pais étrangers, qui font la plui-
p a rt, ou fi peu vray-femblables qu*elles '
déplaifent, ou fi mal écrites qu*elles pro-
duifent le mefme eiFet.On ne prétend pas
qu’il ne s'en trouve quelques-unes ex­
emptes de ces defFauts^mais certainement
elles font bien rares, & fi rares que j’ay
veu beaucoup de gens paifionnez pour
ces fortes de Relations,jufqu’à lire indif­
féremment tout ce qui fe prefentoitde ce
caraâ:ere,s’en dégoûter peu à pcu:Et j’a-
voiie que je fuis’de ce nombre. C ’eftpouf-
quoy lors que l’on m’aporta celle dont il
s’agit manufcrite,j’en fis laifler feulement
deux ou trois cahiers pour les parcourir ,
de pour voir ce que c’eftoit;ils me plurent
aiTez pour en redemander d’autres , 8c
d’autres en autres, infenfiblement j’ay leu
tout l’Ouvrage.
En e ffet, vous fentez je ne fçay quoy
qui vous intereiïe,lors que vous lifez cet­
te Relation : à caufe qu’elle eft toute bi-
’ftorique, contenant l’origine , la vie , les
mœurs 8c les adtions des À vanturiers,qui
a 6 depuis
P R E F A C E .
depuis vingt années fc font fignalez danS
l 'Amérique. C*eft pour cette raifon que
?Autheur a efté indiipenfablement obligé
de nous donner une connoiiTance parfaite
des pais de ce continent, où comme je le
viens de dire,les Avanturiers fe font fig-
. nalez ; parce qu’il eftoit comme impoffi-
ble de bien connoître la grandeur de leurs
entreprifes,qu’en mefme temps on nefuft
inftruit de bérat des lieux où elles ont e-
fté executées.Ce qui donne d’autant plus
de fatisfadion , que le récit des plus iur-
. prenantes avantures étant joint k ces de-
feriptions, il ne faut pas craindre qu’elles
ennuyent ; au contraire on eft dans une
avidité de les lire qui tient toujours en
haleine,pour içavoir ce qui s*y eft paflé.
Cependant ce manuferit étoit difficile à
entendre , 8c encore plus à faire entendre
aux autres,parce qu’il fe ren'controit prei-
que par tout des endroits obicurs. Outre
cela , fl la matière de cette Hiftoire eftoit
avantageufe , les exprelîîons ne répon-*
düient nullement à la matière. Ainft il a
T‘
cfté neceiTaire de changer les mauvaiies
expreifions,de déterminer les fensiufpen-
dus,6c d’éclaircir les endroits obfcurs, car
enfin , nous iommcs dans un ficelé ; où
- . l’on

m
P R E F A C E ,
Pòn veut que toutes choies frapent
bord dans un Ouvrage, fautent aux yeux,
& s’ûiFrent d*elles-mefmes : où l'on ne
void que trop de gens qui ne veulent pas
fe donner la moindre peine de chercher®
Auilî n’a t’on rien oublié pour leur épar­
gner cette peine , & pour tâcher qu’ils ne
trouvent rien dans cette Hiftoire qui ne
fe prefente à leur ciprit,dés la premiere at­
tention , ainfi que cela doit eftre en ces
fortes d’Ouvrages, qui font faits pour di­
vertir , & non pas pour apliquer.
Comme on ne diilîmule point qu’il a
falu beaucoup de travail, & d’application
pour mettre cet Ouvrage en l’état où on
le void aujourd’huy, on convient en mef-
me temps , qu’il meritoit & ce travail 8c
cette application.il reffembloit à une belle
maifon que l’on voyoit de loin, ôc qu’on
vouloir voir de plus présîmais dont on ne
pouvoir aborder,à caufe que tous les che­
mins qui y menoient, étoicnt remplis de
ronces & de pierres. Maintenant qu’on â
ofté les unes ôc arraché les autres, on y
peut aller avec facilité. Si pourtant il en
refte encore quelques-unes, comme cela
pourroitbien eftre,veu la grande quantité
qu’il y en avoir,on prendra la peine,ou de
P R E F A C E ,
s’eh Jétourncr,ou de paiTer par deiTus: Ec
afin de ne point iortîr de ma comparaifon,
on peut juger qu’il a efté facile de toucher
aux avenues qui conduifent'à cette mai-
fon ; c’cfl: à dire de les rendre libres & ai-
ÎeeSjians toucher à la maifon meime, que '
l*on a trouvée trop bien difpofée pour y
rien changer. Pour parler fans figure, a-
prés avoir trouvé cette Hiftoire veritable,'
on a taché qu’elle fuft paiTablement bien
écrite.
Si je n’avoîs regardé que le nom & la
naîlTance de cet Autheur , l’un & l’autre
n ’eftant pas fortconfiderables en luy , je
n’aurois jamais penfé à lire ces mémoires,
encore moins à les revoir,parce qu’on eft
perfuadé dans le monde,qu’on ne fçauroic
rien faire de fort exaâ: fans naiiTance &
fans éducation, & l’on n ’en peut difeon-
venir. Toutefois il femblé que cet Au­
theur a un peu de toutes deux, fi l’on
prend garde au bon fcns,& aune certaine
liberté d’honnefte homme, qui régné pat
tout dans ce qu’il écrit.
D ’ailleurs, ce ne font point tous ces
motifs qui m’ont porté à travailler fur ces
mémoires. Une perfonne de confidera-
lion >& à qui l’on ne doit rien refufer
m’a
P R E F A CE.
cn’a engagé à le faire , parce qu’elle les a
trouvez fort curieux , principalement le
Traité que l’on voit à la fin. Je ne dis pas
que dans la fuite, je ne l’euiTe fait de mon
propre mouvement, non pas à la vérité ,
avec tout l’emprciTement que deman^
dotent des ordres a qui je devois une
prompte déference-mais du moins dans le
temps que mes occupations auroient pa*
me Je permettre ; puis qu’enfin j’ay tou­
jours efté touché des chofesque dit cet
Autheur,de la maniéré qu’il les d it, 8c de
la vérité qui les accompagne.
Pour ce qui regarde les chofesjCommc
les Avanturiers en font la principale ma­
tière , on peut dire qu’elles font prefque
toutes furprpnantes, agréables 8c fingu*!
lieres. iJi>
* Pour ce qui concerne la maniéré, il ra­
conte ces chofes fi naïvement, qu’il les
fait croire par la feule maniéré donc il les
raconte.
A l’égard de la-vérité,bien qu’il déclaré
en beaucoup de lieux de fon Hiftoire qu’il
la dit : quand il ne le declareroît pas ^ on
s’en apercevroit facilement j puifque la
vérité a cela de propre, qu’elle fe fait fen^
tir par tout ou elle ie rencontre. - ■
II
P R E 'F A C E.
A
s
île fta ifé û e connoiftre que cet Au->
theur en écrivant, a eu en veué ceux qui
veulent voyager,& ceux qui n’ont point
cette envie,pour les inftruirs également ^
6c qu’il a mefme trouvé le iiioyen de les
divertir en les inftruifant.
Il s’exprime fi vivement fur tout ce
qui fe preiente, que ceux qui n’ont point
envie de quitter leur païs,croyeni voyager
avec luy en terre ferme , toutes les fois
qu’il y voyage.S’il va fur mer,on s’imagi­
ne eftre*embarqué avec luy , voir toutes
les Ifles dont il parle,tous les écueils qu’il
évite , échouer contre ceux qu’il n’évite
pas. On penfe eftee fpéétâteur des com­
bats qui s’y donnent,des prifes qui fe font.
On tremble avec l’équipage s’il furvient
quelque tempefte , parce qu’on ne,fçau-
roit ‘mieux marquer,qu’il fait,tous les pe­
rils qui l’accompagnent. S’il arrive quel-
qu’autre incident , on .craint, on eiperef
dans l’attente du fuccez;tant il içait repre-
fenter au naturel jufqu’au'x moindres cir«
:1 confiances 8c faire entrer dans tout ce
qu’il dit. .V b .
Cc n’eft pourtant pas qu’il fonge à
fuivrel’éloquence dans les chofes,qu’il
veut décrij;e;raai5 l’on s’aperçoit que l’é>
loquencc

il
\\
P R E F A C E .
loquence fuit naturellement les chofe^
qu’il décrit.Pour mieux dirCjCe n’eft po’nC
l’éclat des paroles qui rejallit fur les cho-
fes, mais c’eft l’éclat des choies mefmes
qui rejallit fur les paroles.'
Ceux qui ont envie de voyager, Sc qui
prendront la peine de lire cet Auteur,n’en
feront pas moins iàtisfaits, à caufe qu’ils
connoîtront par avance tous les pais où
ils ont deiTein d*aller,& que ce qu’ils ver-<
ront fur les lieux fe trouvera entièrement
conforme à ce qu’il leur rapporte.Ce n’eft
pas tout,car fans rien aflfeàer , 8c fuivant
que le fujet qu*il traite luy en donne l’oc-?
cafion , îl nVn laiiTc échaper aucune dc
leur aprendre ce qui fe rencontre en voya­
geant,qui leur peut eftre utile ou prejudi­
ciable ^ afin qu’ils puiiTent chercher l’un
& éviter l’autre^ôc ainfi s’attendre à tout j
3c n’eftre furpris de rien,
î Certainement on peut faire fond fur ce
que dit cet Autheur : d’autant plus qu’oa
içait qu’il y a beaucoup de perfonnes d’ex-
perience qui ont voyagé dans les pais dont
il parle. J’ay eu mefme la curioiité d’ea
confulter plufieurs,à mefure que j’ay trou­
vé des chofes un peu extraordinaires dans
fa Relation , 8c dont luy-^raefrae ne vou-
\oït
P R E F A
loît pa^ eftre crû fur fa parole
rendre ce témoignage au public,que
leur en ay jamais propoie aucune qu*ils
ne m’ayent toujours aiTuré qu’elle eftoit
veritable , 8c je puis dire que ce font des
gens à qui Ton ne fçauroit en faire accroi­
re, parce qu’ils connoilTent le pais à fond
pour y avoir efté long-temps, Sc qu’ils
ont des correfpondances certaines pour
bien fçavoir tout ce qui s’y paiTe mainte­
nant qu’ils n’y font plus. î
Parmy ceux à qui je communiquay ces
mémoires, il s’en trouva quelques- uns quî
furent ravis , lors qu’ils tombèrent fur !a
dcfcriptioii de quelques pa*K mi Ms avoient
efté. Cette defeription fembloit fi jufte ,
qu’ils s’imaginoient y eftre encore, 3c
qu ’on les y conduifoit comme parla main«
D ’autres eftoient furpris que cet Autheur
n’ait rien dit qui ne foit confiderable, dc
qu’il n’ait rien dit que ce qu’il a veu , ou
que des perionnes dignes de foy luy ont
recité.Encore eft-il aifé de remarquer que
c’eft avec ds grandes circonfpedions qu’il
raporte ce qu’il a içû de ces perfonnes,
toutes croyables qu’elles puiiTent eftre,6c
qu’il écrit bien plus volontiers les choies
qu’il a veuè's, que celles qu’il a aprifes :
ayanîj
P R E F A C E;
àyant grand (oin par toute ion .Hiftoîre
de bien diftinguer les unes d*avec les au­
tres,afin que le Ledeur en puiiTe faire tel
jugement qu’il luy plaira. Ces precautions
agréoient fort à ces Meilîeurs,& tous gc--
heralcment demeuroient d’accord qu’ils
n’avoient jamais lû d’Hiftoire plus di-
verfifiéc par la quantité d’évenemens qui
S’y rencontrent, ôc plus remplie de choies
nouvelles juiques icy ignorées, ou du
moins incertainement connues.
Sur tout ils ont admiré les Cartes que
l’Autheur a dreffées luy*mefme iur les
lieux, à cauie de leur beauté 8c de leur
exadîtudé »& l’on verra que l’Autheuc
même ne s^elt pas épargné aies louer en
plufieurs endroits de ion Hiftoîre,& cer­
tes on ne le doit pas trouver étrange y ,
puiique les connoiiTeurs 8c les plus
grands connoiiTeurs les eftiment tant.
Après avoir remarqué le jugement
qu’on a faît & le foin qu’on a pris de cet­
3

te Hiftoire , avoir montré les motifs qui


ont porté T Autheur à l’écrire , il ne refte
plus qu’à dire un mot de l’ordre qu’il a
îuivi en Técrivant.
D ’abord il parle de quelques încidens
qui luy font arrivez fur mer,puis de la ce-
Icore
P R E F A C F.
lebre conqueftede la Tortue faîte panleà
A vanturiers,& auifi comment luy-mêmc,
s’efi; rencontré parmi euxjcâr on peut di­
re en paiTant, qu’il n’avance rien dont U
ne rende raifon.Bien éloigné de la manié­
ré de cerrainsAutheurs,qui reduifent ceux
qui les lifent à deviner, ou du moins à le§
croire iur leur parole.
En fuite il vient au récit des exploits dâ
pluiieurs AvanturierSjil fait voir le traite­
ment qu’ils font aux Efpagnols quand ils
les prennent, & celuy qu’ils reçoivent des
mêmes Efpagnols quand ils en font prisé
Il nous convainc encore par beaucoup
d’exemples,de la valeur & de l’iiitrepidite
de ces mêmes Avanturiers, qui feulement
avec des fufils ^des iabres,8c d’autres armes
ordinaires,prennent des Navires,desForts
8c des Villes, qu’on ne pourroit prendre
qu’avec des Armées 8c des Sieges, qu’a­
vec du Canon , des Mines , 8c d’autres
moyens femblables qui font d’un grand
fecours à la guerre,En un mot,il nous ra-
porte leurs plus belles entreprifes,qui tour­
tes extraordinaires qu’elles font par-^la fin-
gularité de leurs évcneméns, n’en paroif-
ient pas moins véritables par la nature de
leurs circonftances , en forte qu’on les lit
- toûjouîs'
P R E F A C E ;
toujours avec autant deplaiiîr que 3e luf-*
prife. Il n’oublie pas, non plus, de remar­
quer de quelle iorte les François fe font
étendus dans TAmerique ,de la maniéré
qu’ils y vivent,& de tout ce qu’ils y font
en qualité de Chaffeurs, de Boucaniers,
d’Habicans & d’Engagez.
Enfin if paiTe à l’Hifloire d^un Avan-
turier crû Efpagnofà celle d’Alexandre ,
dit Bras de Fer,à celle deMombars,appel-
lé l’Exterminateur,lefquels je nomme ici,
parce qu’ils font tous tres-fingulicrs dans
leur eipece.Par exemple,!’A vanturler crû
Efpagnol eft remarquable par la proipe-
rité de fes affaires. Alexandre par la con­
duite de ies deffeinSjSc Mombarspar ion
antipatie pour les Efpagnols. Ces deux
derniers par une témérité qui étonné , 8c
qu’on a peine à condamner parce qu’elle
eft heureufe : D ’ailleurs on voit iouvent
que ces deux Avanturiers içavent join­
dre,quand il le faut, l’adreffe à la témérité,
puis qu’ils accompagnent leurs entrepri-
ies de ftratagêmes de guerre fi peu com-
m u t ^ qu’on ne penie pas que les plus
granosCapîtaines de l’Antiquité en ayent
jamais rais de meilleurs en ufagej Encore
même ont-ils cela de particulier , qu’ils
con-*:'
P R E F A C E .
contribuent à la deffaire des vaincus, fsnS
rien dérober à la gloire des vainqueurs ,
q u e j’on void dans Toccaiion pouiîér la
bravoure auiii loin qu’elle peut aller.C’eft
pourquoy l’on connoiftra facilement que
ces i^raragômes font plûtoft employez
pour fe dcffendre contre le grand nombre
des ennemis, que pour cmpeicher l’effet
de leur valeur-mais on ne veut points’ex-»
pliquer davantage , afin de ne pas öfter le ;-!l
plaifir de la iurprife , qui fans doute ffeft: if
pas le moindre que l’on trouve dans les
choies de ce caradere.
D éplus, l’Autheur raconte plufieurs
autres évenemens qui-ne font pas moins' i!■
il
agréables qu’extraordinaires. Enfin,il re- k
cire-ce que firent les Avanturiers au re-« S
Ps

tour de ces expeditions militaires , Sc ce


qui leur arriva le long de la cofte de terre
ferme juiqu’au Cap dç Gracia à Dios^ Il
parle auili des moeurs & d'autres choies
remarquables des Indiens rencontrez fur
la même route , tant de ceux qui font re«
duits,quc de ceux qui (ont à réduire,
L ’Autheur ajoute a ce que l’o n ^ien t
de dire,un Traitéqu’ii a tiré d’un manuf-
crit Eipignol, &■ traduit en noftre Lan­
gue,qui reufeime des choies auilî curieu-
ies

à
P R E F A C E
fes que difficiles à içavoir, corame on lé
verra dans ce manuiciic qui mérité bien
d*efire lu, & dont on ne dit rien davanta­
ge,parce que l’AvertiiTement qu’on a mis
en tefte fera connoiftre ce que c’eft.
Apres tout cela l’Autheur conclud,
qu’il ne doute point que ion Ouvrage ne
ioit bien reçu ; d ’autant plus qu*il con­
tient des choies auiîi neceiTaires queveri-
tables & l’on reconnoiftra par fa îe<51:ure,
3

qu’il a raiion de conclure ainiî. EfFed:ive-


ment il contient des choies véritables,puis
qu’elles iont confirmées par toutes per-
ionnes qui ont efté , & qui reviennent de
r Amérique. Il contient des choies necefi»
iaires,parce qu’il eft d’un grand iecours à
I I ceux qui veulent voyager en ce pais,leur
aprenant beaucoup de particularitez qui
leur en facilitent les moyens,Il eft meme
utile à ceux qui n’iront jamais , à cauie
qu’il les informe de quantité d’évenemens
extraordinaires , Sc qu’il n’y a perionne
qui ne ioit bien aiie de içavoir ce qui ie
paiTe en ces fameufes contrées.
L e ^ o y m êm e qui ne ie contente pas
d’eftre connu dans toutes les parties du
monde,mais qui les veut auifi connoiftre,
a iouyent eniioyé dans ces païs des Efca-
dres
/ • p r e f a c e . y

ires commandées par M. le Comte d’E-


itrées Vice-Amiral & Mareichal de
r France,qui iert ce grand Prince aulfi dig­
nement qu’iJ merite d’eftre fervi. C’efi:
beaucoup dire & ne rien dire toutefois,
que M. d’Eftrées ne faiTe depuis plulieurs
années.
]’oubliois une choie particulière , Sc
trop avantageuie à l’Autheur pour l'ou­
blier , c’eft qu’il a eu l’honneur d'cftre
mandé par M. d*Eftrées,& de luy rendre
compte des particularitez de ies voyages-
lequel en futfi content, qu’il voulut bien
le luy témoigner en ces termes. Si tous
aux ({lit ont voyagé y fAïloient cotnrtie vous
des fats & deschofes quails ont veues dans
leurs voyages , on n^auroit que faire d*allot
fur les lieux four les conmifire.

F
m-

H I S.

' iagi I
^
^*^**Jfc^^*Jfe^Jfc^*^*^a:**^*^****it:
^* 'rt* ^S* î^ 'A* 'TT ^ tÇ* ^f* 3^ 3^
<i^ v^ '-#> •^ » v ^ <^> v ^

H I ST O I R E
DES
AVANTURIERS
Q.UI SE S ONT S I G N A L E Z
D A N S LES I N D ES
• I

Conrenant ce qu’ils ont fait de plus remar­


quable depuis vingt années. '

C H A P I T R E I.
pè^art de V Autheur, •Incident qui. luy font
arrivez fur Mer,
Es Voyageurs aiment naturellement
à parler de ce qui leur eft arrivé ,
fur tout lors qu’ils font hors de dan-
^ ger J & qu’ils croyent que ce qui
leur eft arrivévinei ite d’eftre fceu. C’eft pour-
quoy je ne veux point diflimuler que jeprens
quelque plaifir à raconter ce qui s’eft paiTé
dans mon voyage:peut-eftre meliné-ne fera»
t*on pas fâché de rapprendre ; & fans doute
tout iroit bien » il la'relation que j*en fais
pouvoir eftre aufti agréable qu'elle eil vraye.
Tomel, A AprC’S
» H r s T O I 11 E
Apres nous eftre embarquez le i . MaV
& le mefme jour avoir levifTanchre
6e la rade du Havre de Gjace , noi^ fûmes
mouiller fous le Cap de Berfleur , â un lieu
appelle la Ho^ue. Nous eBions dans le vaii-
ieau nommé S. Jean, qui appartcnoit à Mef-
iieurs de la Compasçnie Occidentale , com­
mandé par le Capitaine yincent Tillaye*
Nous allâmes joindre Monfienr le Chevalier
de Sourdis , qui commandoit pour le Roy le
navire dit l’Hermine, monté de trente-fix
pieces de canon , avec ordre d*efcorrer plu-
lieiirs vaiiTeaux de la Compagnie dont j’ay
parlé, qui alloient en divers endroits,les uns
en Senegal en Afrique, aux Ifles des An­
tilles de l’Ameriquej les autres vers la Terre
neuve.
Tous ces vaiiTeaux s’cRoient joints aux
nôtres, de peur d*eftre attaquez par quatre
Frégates Angloifcs qu’on avoit veu croifer
peu de jours auparavant. Quelques navires
Hollandois qui craignoient la mefme choie,
parce q if ils eftoient en guerre aufli bien que
nous avec cette Nation , en firent autant ,
nprés que Monficur de Sourdis leur en eut
accordé la permiifion,6c ia proteiilion qu’ils
luy avoient demandée. Enfuite Monfieur de
Sourdis fit fçavoir fes ordres , & donna à
noilre Capitaine la Charge de Vice-Com­
mandeur de la Flote, & au Capitaine du^na-
vire nommé l’Efperance, appartenant a la
même Compagnie , celle de Contre-Com­
mandeur. Cela finit 5 nous fifines voiles avec
noftre Flote, qui elhoit compoféc environ de
quarante vaiiTeaux, le long de la cofte de
France,
DES A V A N T U R IE R s: J
Erimcc J qaoy qu'avec alïez de peine, pour
h s perils que l’on y c o u rt, à cauiè de quan­
tité de rochers qui s*y rencontrent,& del'al-
Larme que nous donnions aux François qui
demeurentle lonsçde ces coftes:ilscroyoienc
que nous fuiîions An^lois , & que nous a-
Vions deÎTein de faire quelque defeente.
Peu de jours apres nous pafsames le Raz
de Fontenean , qui eft à la ibrtie de la Man­
che. Ce paifcige eft fort périlleux,parce que
plufîeurs CoLirans traverfent bien de rochers
qui ne iè montrent qu’à fleur d’eau. Les Fran­
çois nomment ce pafla^e R^;?s,mot Flamant,
qui fi^niiîe une chofe d’une grande vîrefTe.
Fort ibuvent des navires ie perdent en ce lieu
la ; c'eft pourquoy les Mariniers de'toutes
ibrtes de Nations font une ceremonie parti­
culière lors qu'ils y paflent. Voicy celle des
François.
Le Concre-maiftre du vaiiTeau s'habille
groteiquemenc avec une longue robe , un iiiequeles
bonnet fur fa telle , Sc une fraize à ion c o l, François
obl'erv^nt
compoféc de poulies & de certaines boules en divers
de bois appellees en termes maritimes Po;^^ endroits
mes de Rhaques, Il paroift le vifa^e noirci, de la M er,
tenant d’une main un grand livre, & de l’au­
tre un morceau de bois repreientant un la­
bre. Tout ceux qui iVont jamais pafle parla,
viennent s'agenouiller devant ce Contre-
Maiftre ; aufli-toft il leur donne de ibnfabre
furie c o l, & apres on leur jette de l’eau en
abondance, s’ils n’aiment mieux , pour s’é­
pargner cette peine , donner quelques bou­
teilles de vin » ou d'eau de vie. Il n’y a per-
fonrre exempte de cette ceremonie, le Capi-
Ai taine
l»f1

■ 4, - h i s t o i r e
raine mefmene I’eft pas; & (1 le n a v ire ju ’i!
monte n’y a jamais paffe , il eft oblige de
payer quelque chofe , finon les Matelots fie-
roient le devant, qu'on appelle le Gallion ,
ou la Poulaine. Apres cette ceremonie on
voit la quantité *• / 1 \
Ton a amaiTée , on la diftnbue egalement a
chacun des Matelots. Les François oblervenC
lu rnel'me chofe non feulement en ce lieu la ,
mais encore fous les deux Tropics du Cancer
6c du Capricorne, 6c fous la ligne Equi­
noxiale. n > 1r
i.n d en n e Les Hollandois font aufli exacts a obler-
COÛtll’TiC ver cette ceremonie > mais ils la font autre-
des Hol- ment. L^Ecrivain du vaiiTeau apporte le rolle
kndois. où eft contenu tout l’équipage. Cela fa it, il
les appelle tous par nom 6c fui nom , Sc les
interroge, s’ils ontpaffé par là, ou noir.ij on
doute que quelqu’un ne dife pas la vérité ,
on luy uiit manger du pain ôc du le l, ce qui
eft une eipece de ferment,pour juftifier qif il
y a paifé. Ceux qui font convaincus du con­
traire, ont le choix de payer quinze fols, ou
d’eftre attachez à une corde, 6c guindez au
bout de la grande Vergue • ou d^eftre calez
trois fois, c’eft à dire plongez trois fois dans
la mer. On oblige un Officier de VaiiTeau ,
tel qu’il fo it, à payer trente folsj iî c’eft un
paflager, ils en tirent le plus qu'ils peuvent.
Il y a des Marchands^dont ils exigent quel-
"'"quefois plus de cent écusj6c quand il fetrou-
ve de (impies Soldats, leur Capitaine eft
obligé de fatisfaire pour eux. A Tégard des
garçons au dciîous de quinze ans, il les met­
tent fous des enanes d’ozier, 6c leur jettent
pluûeurs
DES A V A N T U R I E R S. y
pliifieurs féaux d’eau ilir le corps. JI en font
de mefine à tous les animaux qui font dans le
navire , à moins que le Capitaine ne paye
pour eux, & pour le navire meiine, s’il n*y a
jamais paiTé. L’argent gui provient de cette
ceremonie eft mis entre les mains du Contre-
Maiftre , qui doit en acheter du vin aupre^
mier Port, & apres on le partage à tout Té-
quipa^e. Les Hollandois ne font cette cere*-
monie qu’au paiTage des Raz & des Barlin^
gots ou rochers qui font devant la riviere de
•Lisbonne en Portu^al»5c à l’entrée delà mer
Baldque,qu*ils nomment le Zund. Quand on
demande à ces Nations pourquoy ils en ufenc
ainiî,ils répondent que c’eft une vieille cou­
tume de leurs anceftres.
Peut-eilre que cette obfervation paroiftra Reflexion
peu coniîdcrable à ceux qui ne fortent point de l’A u-
de leur païs : mais les s;ens qui en veulent theur fur
les cere­
Ibrtir, ns la regarderont pas de mefme. AulTi m onies
ne la fais-je que pour erix» comme beaucoup des Fran-
d’autres plus importantes,qu’ils pourront lire gois Sc des
dans la fuite car je ju^e par moy-mefme , Hollan-
dois,
que ceux qui voyaient, ou qui ont deiTein
de voyager, font bien aifes d’eftre informez
des chofes par avance,aiîn de fçavoir â quoy
s*en tenir quand elles arrivent, & de n*en
eftre furpris.
Après que nous cufiTiespairé le Rnz deVon^
teneau^ une partie de la Flote nous quitta, 5c
nous ne demeurâmes que fept vaiiTcaux qui
faiioient la mefme route. En peu de jours
nous fûmes conduits par un vent favorable
jufqu’au Cap Vinis urr&^ où eft la pointe Sep-
tetYtrionale qui fepare le Portugal d’avec la
Corogne. A3 Là
1

H I s T O I RÊ
refcrip- Là nous fûmes furpris d*une furieuiè ter«--
fio n d 'u n e Ej, un moment la mer parut route
icmTefte, blanche d^écume , le ckl tout rou^e de feu*
Nos navires furent enlevez en haut fur des
montasçnes de flots, & en mefme temps pré­
cipité/, en bas par des tourbillons fr impétu­
eux * qu*ils brifoient nos mats comme du
verre , & rompoicnt nos cables comme des
filets. Outre cela une affreufe obicurité oftok
rufage des yeux aux Officiers qui comman-
doient;8c le bruit des vents,l*ufage des oreil­
les à ceux qui obeifToient. Nos vaiiTeaux le-
coüez fans ceÎTe par Tagitation de la mer ,
cftoient en danger de s’ouvrir & defe brifer
en s’entrechoquant les uns contre les autres.
Dans cette extrémité mortelle je vis un effet
ieniible de ces paroles de S. P a u l, pour
apprendre à prier il fau t aller fur la nteric^r alors
chacun avoit recours aux prieres,& je ne fus
•ras des derniers. La plufpart eftoient ii foi*
lies & il abatus . que les vagues les empor-
toient d*un bord du vaiffeau à I*aurre » faris
qu’ils fiiTent aucune refilf ance. Tous prefque
renverfez çà & là langniifoient entièrement
rendus & demy morts. life paiTa bien d’au­
tres choies que je ne feaurois dire : en effet
chacun eftoit fî occupé de ion propre mal ,
qu’il ncfongeoitgueres à celuy des autres.
Cette tempefte dura deux jo u rs, apres
quoy Îa mer fe calma, le vent devint bon»Sc
nous pourfuivifines nôtre route à toutes voi­
les. Les navires qui eftoient avec nous s’é­
cartèrent tellement que nous reftcimcs feuls.
Qiiand nous fumes à deux cent lieues des
Antilles» nous rencontrâmes un navire An-
glois i
d es AVANTURtERS. i
{^lois*contre lequel nous nous battiHnes qua­
tre heures de temps, fans nous rien faire l*un
à l’autre .-les Boucaniers qui eiloient dans
noftre bord le vouloienc accrocher,mais no*
ilre Capitaine le défendit. ^
Nous eilions pour lors en neceifite d*çau ,
& nous fûmes réduits à demifeptier par jour.
Peu de temps après nous arrivâmes â la veuc
des Antilles, & la premiere lile que nous
vîmes fut celle de Santa Lucia. Nous voulû­
mes aller à la Martinique, mais comme nous
eftions trop bas , le vent & le Courant ne
nous permirent pas d*y aborder. De la nous
fîiines route par la Guadeloupe , mais nous
n ’y pûmes non plus aborderqu a la Martini­
que- ce qui nous obliiiea de ne point perdre
de temps , 8c de poiiriuivre noftre route , a
caufe de la diiette d’eau ou nous eftions,
Quatre jours apres nous arrivâmes a l lilc
Efpa^nole , que les François nomment vul- _
€çairement Saint Domin^ue, Cela nous don» de l’An­
na une 2;rande joye , car il n’y avoir per- theutàs.
fonne qui ne fuft incommodé de la foif 8c
des fati«;ues de la mer. Le premier jour que ^
nous vîmes l*lile,nous allâmes mouiller à un
lieu nommé le port Marcjot, où Monfieuc
Os;eron,Gouverneur de la Tortué,avoir une
belle habitation. AuiTi-toft que nous eufmes
mouillé,un Canot vint à nous,dans lequel il
y avoir iîx hommes, qui cauferent aiTez d’é­
tonnement à la plufpart de nous qui n‘e-
ftions jamais fortis de France. Ils n’avoienc
pour tous habillemens qu’une petite cafaque
de toile, Sc un caleçon qui ne venoit qu*à la
moitié de la cuiiTe. il faloit les regarder de
A4 ,
f HI STOIRE
préSjpour voir fi ce vêtement eftoît de toifo
ou non, parce qu*il eftoit imbu du fan«; qui
degoute de la chair des animaux qu’ils onc
accoutumé de porter. Outre cela ils eftoienc
bazannezjquelques uns avoient les cheveux
heriiTez, d’autres noüez^ tous avoient la bar­
be grande, & porroient à leur ceinture un
Deicrîp- étuy de peau de Crocodile , dans lequel
tion des eiloient quatre couteaux avec une bayon-
JBoucan« nette. Nous Iceûmes de ceux qui avoient
nieis^ déjà efté dansl’Ifle, quec'étoienc de Bouca­
niers. J'en feray dans la fuite une particulière
defeription, parce que je l’ay efté auiTi.
Ces Boucaniers nous apportèrent trois
Sangliers , qui fufiîrent à tout ce que nous
citions fur le v aiifeau,quoy que nouseufiions
grand appetit,n’ayant de long-temps mangé
de viande fraifehe : en recompenfe nous les
régalâmes d’eau de vie. Les habitans vinrent
auiTi à noilre bord , 6c nous apportèrent de
toutes fortes de fruits pour nous rafraifehifo
Noilre Chaloupe fut à terre quérir de Teau
douce .*tout cela nous remit tellement, que
dés ce foir mefne nouscefsâmes de faire des
reflexions fur les incommoditez que nous
avions ibufFertes pendant le voyage.
Le lendemain marin â la pointe du jour
nous fifmes voile pour l’Iile de la Tortue ,
Arrivée
de l’Au- d'où nous n’eilions qu'à fepe lieues, Nous y
tlieur à la •moiiillâmes l’anchre fur le midy feptiéme jour
Toituë. de Juillet 16 6^. Aprés.qne nous eufmes fa-
lüé le Fort avec fept coups de canon, 6c que
noilre navire fut en parage , nous defeendî-
mes tous à terre, 6c allâmes falüer Moniieur
le Gouverneur > qui nousattendok au bord
dQ
DB S A V A N T U B I B R S . 9
â e la mer avec les principaux habitans de
fon lile. Il nous recent fort bien , & je fus
aflfez heureux dés ce premier jour de recevoir
des marques toutes particulières de la gran­
de bonté qu’il à continuée dans toutes les
occafions où il a pu me faire du bien,comme
je le feray voir dans la fuite. Tous ceux qui
eftoient engagez dans la Compagnie, dont
f eftois du nom bre, furent conduits au ma-
gazin du Commis general , à qui le Capitai­
ne du vaiiTeaii apporta les paquets qui con-
tcnoient les ordres de Meilleurs de la Com­
pagnie. On nous donna à tous deux jours
)our nous refraifchir,5c nous promener dans
Î Tile , en attendant qu'on euft refolu ce à
Giioy on nous vouloir employer. Les paquets
dirent ouverts, & on trouva que MeiTieurs
de la Compagnie dépoloient le fleur le Gris
leur Commis general, & qu’ils donnoient fa
commiiTion au fleur delà Vie , qui pour lors
eftoit Lieutenant General dans H ile , avec
ordre de vendre tout ce que MeiTieurs de la
Compagnie pourroicnt avoir dans ce Jlieu ,
de faire payer tout ce qui leur eftoit dû . 5c
de renvoyer le fleur le Gris en France pour
rendre fes comptes. ^ ^
Le temps qu’on nous avoir donné eftanc
expiré, on nous fit venir» 5c on nous expofi
en vente aux habitans. Nous fufmes mis
chacun à trente ecus, que l'on donnoitpour
nous à i a Compagnie , qui nous obligeoit à
les fervir trois ans pour cette fomme,où pen­
dant ce temps ils pouvoient difpofer de nous
à leur gré,8c nous employer à ce qu’ils vou-
loienc. Je ne dis rien de ce qui a donné lieu
A î à
to HISTOIRE
à mon embarquement, fuivi d*un ft facbeiix
cfclavage, parce que cela feroit hors de pro­
pos, & nepourroit d ire qu*ennuyeux. Mon-
lieur le Gouverneur avoir ieiTein de m’a­
cheter pour me renvoyer en France , voyant
bien à mon vifage que fi je rencontrois uw
mauvais Maiftre,je ne refiilerois jamais aux
fatigues du paisj mais le fieiir de la Vie m*a-
voit déjà retenu,ils eurent quelque différend
lâ dcfius. Enfin je demeuray à ce méchant
Maiilre • je puis bien luy donner ce nom
apres ce qu*il m’a fait fouffrir. Je rapporte-
ray la maniéré dont il en a agy avec m oy,
quand je parlcray du traitement que les ha-
bitans ont accoutumé de faire à leurs fervi-
teurs& à leurs efclaves : cependant je don-
neray au chapitre luivant la defcription de
Elile de la Tortue , & je diray comme les
François y ont établi leur Colonie.

C h a p i t r e II.
Defcripthn de PJjle de la, Tortue',^ é * de ce
y a de pieu remarquable»
’ifie de la Tortue eft fituée fous le l o ,
L degré ^o. à 40. minutes au Nord delà
ligue Equinoxiale^elle eft au bord de la gran­
de Ifle Éfpagnole que les François nomment
S. Domingue , à caufe de la Ville Capitale
qui porte ce nom. Elle eft nommée Tortue,
parce qu/elle en a la figure : elle peut avoir
Îcizc licuës de tour, 6c n’eftacceffible que du
cofte du Midy, par le canal qui la fepare d’a-
vec riilc Efpagnole >ou elle a un afl'ez beau
port»
DES ÀV A N T U R I E R S. ii
port. Le fonds eft un fable fort menu, 8c on
y eii à l’abry de tous vents , qui ne font ja«
mais violents dans ces quartiers. Elle n’a
aucun port que celuy-là , qui puiiTe fervii;
d*abry auxnaviresjelle eft toute entourée de
•grands rochers , que les habitans nomment
Coftes de fer telle a quelques ances de fable
aux quartiers habitables des riva^es,mais on
n’y peut aborder qu’avec des Chaloupesiibn
havre eft commandé par un Fort tres-bon ^
avantageux. Au bord de la mer on voit'une
batterie de canon qui donne aufli dans le
Havre. Il n’y a qu’un petit Bourg qu’on
nomme la Baifeterre , où font les magazins
des habitans 8c des Gargotiers qui demeu-i
rent devant le port.
Moniîeur Blondel, Ingénieur du Roy »
cftant en l’an 166^, aux Antilles , defeendit
a la Tortue, où il traça un plan pour y faire
un nouveau Fort ; mais il paroift qu’on n’a
pas bien execute fon deifein , car on n’en a
bâti que la Tour , qui reiTcmble mieux à un
Coulombier qu’l la Tour d’une Fortereife«
11 y a dans cette lile fix quartiers habitez ,
fçavoir la Baifeterre, Cayone, la Montagne,
le Milplantage , le R ingot , 8c la Pointe au
Maçon. On en pourroit encore habiter une
ieptiéme,qu’on nomme le Capfterreja terre
y eftant aifez bonne : mais on n’y trouve
point d’eau, 8c il y en à peu dans 1*Ifie. On y
voit quelques iburces , où tons les habitans
vont piiifer, 8c cela les oblige à ramalfer les
eaux de la pluye-,dc quoy le P. du Tertre pa­
roift mal informédoiTque décrivant l'IÎle de
la Tortue dans la premiere Pâm e de fon
A6 Hi-
Il h i s t o i r e
Hiftoîre des Antilles, il dit que cette lile eft
arrolee de quantité des rivieres.
Le terroir en eft tres-bon & fertile aux
endroits oh elle eft habitée.Il s»y trouve qua­
tre fortes de terre , mélangée de fable , de
terre rouge & grife, dequoy on feroit d’auiîi
beaux vafes que ceux qui viennent de Ge­
nes. Toutes les montagnes font purement
de roche » qui eft auiïî dure que le marbre ,
6 c neanmoins elles produifènt des arbres
auifi gros 8c auffi grands que les plus beaux
de nos Forefts en turope. Les racines de ces
arbres font toutes découvertes, 8c courent
fur ces rochers, & ne tiennent que dans des
^trous qui font dans Tinégalité des rochers.
Ces fortes d’arbres qui croiiTent ainfi , font
-extrêmement fees de leur naturel; car fi-toft:
qu*ilsfbnt coupez ils fe fendent au Soleil en
plufieurs éclats > de forte que ce'bois n’eft:
bon qu’à brûler.
Cette lile eft très-fertile en toutes fortes
de fruits que Ton trouve dans les Antilles •
quant aux marchandiiès , on y fait d’excel­
lent Tabac qui fnrpaife en bonté celny de
toutes les autres liles. Les Cannes de fucre
y viennent d’une groffeiir extraordinaire-
y font plus fuci ées qu’ailleurs , c’eftà dire »
qu’elles y font moins aqueufes. Il y croift:
plufieurs arbres 8c plantes médicinales,il y a
peu de cbaiTe : quant aux belles à quatre
pieds, on n’y void que des Sangliers » qu’on
y a apportez de la grande lile, ils y ont aifeïS
bien peuplé ; tellement que les habitans y
vont a la chaiTc, Monfieur d’Ogeron qui en
eft oit GüÀiyerueur de mon^temps, deffendic
de
DE S A V A N T U K Ï E ÎIS.
chaiTer avec des chiens , afin de ne pas
faire une fi grande deftrudrion de ces ani­
maux , & que dans la neceflîre les habicans
s’en pulfcnt nourrir. 11 permit feulement que
Ton allait à l’afFuft.
On ne trouve que des Ramiers, des Tour­
terelles , 6c quelques autres petits oyieaux
pour tout gibier , qui ne valent pas la peine
qu’on les tire. Les Ramiers y viennent fi a-
bondamment pendant une faifon de l’année ,
que les habitans en pourroient vivre fans
manger d’autre viande. J ’en ay meiine tué
en trois ou quatre heures quatre-vingt quin­
ze, fans avoir fait cinquante pas de chemin
â la ronde. Ils viennent par bandes s’abbat-
tre fur les arbres, dont ils mangent la graine,
6c quand elle m anque, ils vont iiir d’autres
arbres qui portent aufii de cette graine,mais
ils deviennent fi amers qu’on n’en peut
manger.
Un jour un Gentilhomme GaÎcon nouvel- Redtplaî-
Jement arrivé de France en ce Pais, à qui on Tant au fu-
avoit faitprefcnt de ces Ramiers fur la fin ietdesRa-
-de la faifon , fe plaignit dans le repas qu’ils
e'ftoient amers. Un de ceux du Pais qui efioir
à table» hiv dit en riant qu’on avoit oublié à
leur öfter le fiel , Cap de bis bons abez raifon^ßc,
commença à prendre un bafton, à deiTein de
battre fes valets, difant que de long* temps il
n ’avoit mangé un morceau qui valuft , 6c
qu’ils avoient gafté ce qu’on luy avoit pre-
fènté de bon. Celuy qui avoit caufé cette
émotion Tappaifa bien-toft , en luy deman­
dant , fi les Ramiers de fon Pais avoient dii
fiel, 6c luy expliqua au melme temps, la
caufe
HI STOI RE
cauic pourquoy ccs Ramiers eftoient ainfî
amers. .
Le PoiiTon eH: en abondance le lon^ de U
cofte de cette lile , dans le canal , car au
Nord il n*y en a pas tant. J*cn nommeray les
diiFcrentes efpeces , lors que je feray la def­
er iption de l*Iile Efpa^nole. Entre autres
fortes de poiiTon , Ton y void beaucoup de
Hommais ouEcreviÎTes de mer,qui font fem-
blables aux noftres excepté qu’ils n’ont point
de pinces. Il n’y a pas de temps plus propre
pour prendre ce poiiTon que la nuit â la clarté
du feu : Les habitans fe muniiTent de bois de
£antal jaune, qu’ils fendent par éclat, & en
font des flambeaux. Ce bois rend une flam-
M am ere claire , quoy qu’il foit verd; c’eft
^°"*poy^.pourquoy ils le nomment bois de chandelle,
prendre Cette clarté leur fert de pier»;es pour attraper
les Tücre- ces EcreviiTes, fans avoir beibin d’autres in-
v ifles.
ftrumens que de leurs mains. Il y a diveries
fortes de poiiTon coquillage,comme Moules»
Huîtres , Bourp;aux , ou Efear^jots de mer ,
Lambics, Cafques, Porcelaines, & plufieurs
autres efpeces que je n’ay jamais entendu
nommer.
Quant aux Reptiles il y en a de plufieurs
fortes j les Tortues que Ton y void le nom­
ment Cmccs ; il y a aufli quelques Lézards j
qui ne font pas en fi Q;rande quantité que les
Crûihes ou Cancres. On en voiddedeux fortes
fort communs , que les habitans nomment
Crabes Blanches, 5c les Efpa'>nols Cangreios^
Et la deuxiefme forte ils l’appellent Crabes
rouges, ou Tourlourous. Ces deux Ibrtes de
Cancres font fort nuiüblcs aux hab itan s,
parce
DHS AV A N T U R I E R S .
parce qu’ils font des trous en terre , & cou­
pent les racines de ce que Ton plante , foie
tabac , cannes de fucre ou autres. Il n’y a
point de ferpens venimeux , mais feulemenc
quelques couleuvres qui ne font point d’au­
tre mal, que de mander les poules & les pi­
geons. J ’en ay veu une qui paroiiToit longue
de cinq quarts d’aune , qui venoit d’avalec
fept pigeons & une groiTe poule-, nous man-
geafmes ces pigeons fricaiTez,apres les avoir
tirez de Ton corps, où ils n’avoient pas efté
trois heures, j’ay auiïi mangé de ces couleu­
vres ; dans le beibin on s’acommode de tour.
L’on voit certains petits Reptiles qui ont
une coquille comme un vignot ou Efeargot,
ayant le devant demefme qu’une EcreviiTe »
& le refte du corps femblable à l’Efcargoc.
Ces Reptiles nommez Soldats font bons à
m anger, & rres-nourriiTans ; Ils ont encore
une vertu médicinale que j’ay éprouvée j
mais il faut ufer d’induitrie pour les avoir ,
car leurs coquilles font fi dures , que Îî on
veut les caifer, on gafte cet animal : Il faut
feulement les approcher du feu, & ilsfortenc
d*eux-mefmes,puis les mettre en telle quan­
tité que l’on veut dans un fac expofé au So- vertumei
leilj il en dégoûte une huile rouge qui e(t ex- dicinale
tremément bonne pour toutes les douleurs
froides , & racourciiTemens de nerfs. On certains
trouve encore dans ce pais des Caméléons, Reptiles^
6c un grand nombre de petits Lézards qu’on
nomme Anolis & Gohemouchesiccs differentes
efpe:cs d’animaux ne font aucun dommage,
ils vivent feulement d’inlédtes , que l’on
trouve encore dans cette iile , comme four­
mis
"H I S T O I R E
inis Sc narres cle differentes efpeces » dotiC
nous'nvons à parler. Ils y font niiez impor-
tuns'^i^r û on laiffe une heure de temps qiieN
quemorcenii de viande Tur une tablemen n y
void plus qu’une fourmilière toute formée.
•11 y a desguefpes,frelons;mouches de diver-
les façon^, & des feorpions, des ara^nées ,
des chenilles Sc des verds. De toutes ces for­
tes d*animaux on n"en voit aucun qui foie
venimeux , ny importun comtne ces deux
derniers que f on appelle Moufijuites 6c Marin^
gotiins, dont je traiteray dans la fuite.
A la vérité, fi les Scorpions^ & les Scolo­
pendres» qu'on nomme beftes à mille pieds ,
n*y font aucunement venimeux, les arbres 8c
'I ' îes plantes n’en font pas de mefmes. J ’en
décriray icy trois feulement, fçavoir un Ar­
bre , un Arbriffeau & une Plante , dont j\ay
veu des experiences. Arbre venimeux dont
je veux parler croift haut comme un Poirier,
Deferip- il â fes feiiilles femblables à celles du Laurier
tion de fauvage, 6c porte un fruit de mefme que des
l ’arbrequi pomrnes de reynettes qui en ont le gouft 8c
k Mail fodeur,c’eft pourquoy les Efpagnols le nom-
çanilia. ment Arbos de M^infanillas , qui fignifie arbre
portant petites pommes. Ce fruit renferme
un venin fi contagieux , que quand il tombe
dans la mer , il le communique aux poiffons
qui en mangent : Le Tazar Sc la Bequne font
deux poiffons fort friands de ces pommes.
On connoiil quand ils en ont mangé à leurs
dents , qui deviennent de couleur livide ou
noiraftre. Cet indice n’empef:ha pourtant
pas qu’en l’an la plus grande partie du
Bourg de la Baffe-terre de cette lûe penfo
“ eftre
DES A V A N T U R I E R S . 1 7

èÎlre empoifonné.e , pour avoir mangé du


Ta7:ar3 qu^’un Pefchenr Indien eftoic venu
vendre. On prend ordinairement pour con-
trepoifon Pairefte (ie ce poiiTon roilie , 8c
tnife dans du vin; mais dans cette occaiion ,
ie ne trouvay point de remede plus ièùr, que
de boire de Phuile d^’olive. Plufieurs en furent
malades plus de trois mois. Les Indiens a-
droits connoiiTent quand ce poiiTon a mangé
de la Mançanilla, en gouftant du coeur» s’ils
le trouvent picquant fur la langue , ils n’eu
mangent, point 5 mais au contraire s’il eil
doux, ils uient.de ce poiÎTon avec toute aiTu-
rance. Les nouveaux venus de l’Europe
s ’empoifonnent fort fouvent , car ce fruit eil:
fl agréable â la veue & l’o d o rat, qu’on ne
peut ie difpenfer d’en goufter 5 & lors que
quelqu’un en a mangé,tout le remede qu’on
luy fait, eft de le lier, & de l’empefcher de contreîe
boire Pefpace de deux ou trois jours : mais venin de
c’eft un grand tourment,car il crie fans cefTe
qu’il brulle. Tout ion corps devient rouge ^
comme du feu,& ia langue noire comme du
charbon. Si par malheur il en a trop mangé,
il n’y a guere moyen de le rechaper.
L’arbre qui porte la Mançanilla n’eft pas
moins venimeux dans fa verdure que fon
fruit & fes feuilles : Il jette un fuc laidreux
comme le figuier, qui eft tout à fait caiifti- meuxque
que. Si quelqu’un s’endort fous cet arbre, & jetre î’a.:<î
qu’il en tomoe quelque goûte d’eau fur fa
chair , i> y vient auiTi toft de groifes loupes
rouges. J ’y ay moy-mefme efté attrapé, car
•en ayant pris une branche pour chaiTer des
moucherons qui m’incommodoient au vifa-
gejt
X
H I s T O I R fi
iî m’y furvint une Erefipelle» dont je fus
trois jours incommode 5c fans voir.
Pourl’ArbriiÎeuu vcnimeitx» il eftlembla-
ble au Piment, qu’on appelle en Europe Poi­
vre d»Inde : & à la venté il luy reiTemble
fort, iinon quil croift plus haut .• il porte un
fruit gros comme un pois , que les habitans
appellent Piment à l*œil, à caufe que les In­
diens le pilent & s*en frottent les yeux , afin
de voir, difent-ils,plus clair au fond de l’eau,
quand ils vont tirer du poiiTon avec des
flèches ou des harpons. Un Eipa^nol m’a dit
que la racine de cet ArbriiTeau eftqit un
o-rand poifon,dont il avoir veu Pexpcrience»
& qu’il n*y avoir point d’autre conire-poi-*
fon que fa graine pilée Sc bue dans du vin.
tîlftolre 11 n’eft pas icy hors de çropos de reciter
acrivéeau une petite Hiftoire arrivée au fujet de la
iuietde plante venimeufe qui croift dans ce lieu.
Une Dame de Tlile de la Tortue avoir une
' jeune Efclave noire aifez jolie, elle fut long­
temps pour-fuivie par un garçon du mefTie
païs auili Efclavcî mais n’ayant point d’ami­
tié pour luy, elle le mal-traita de paroles, 5c
luy dit qu’elle s’en plaindroit : il la quitta en
la m enaçant, & auiTi-toft elle en avertit fa
MaiftreiTe. Trois jours après ce garçon fur-
prit la jeune Efclave qui repofoic fur fon lit
pendant la chaleur du jo u r, car comme il
n ’y a rien de fermé , il eftoit entré où elle
donnoit, & s’approchant luy avoir mis des
feuilles d’une herbe entre les deux gros or­
teils des pieds. Qiielque temps après la Mai-
ftreiTc l’appella , & voyant que cette fille ne
Venoit p as, elle fut obligée de la chercher ^

DES A V A N T U Î U E R S ; ï#
& I*Ayant trouvée endormie , elle la pouÎÎa
fortement pour l’éveiller» mais cette pauvr«?
Efclave dormoit d*un (bmmeil dont on ne
réveille jamais. Sa Maiftrefle voyant un acci­
dent fl funefte m*^envoya querirj& me conrA
îa chofe ainfi que je la viens de reciter , 6c
cju’un petit enfant qui avoit veu ce Noir
mettre l’herbe , luy avoir rapportée ; je fis
l'ouverture du corps pour voir s’il n'étoit
point empoifonné , je n’en trouvay aucune
marque , je pris les feuilles qu’on luy avoit
trouvées entre les orteils pour en faire l’ex-
perience fur un chien qui dormoit,il en mou­
rut de meiîîie ; j*en fis autant fur un chien
éveillé, ce qui ne luy caula aucun mal. A la
vérité les aiïîftans & moy furent étonnez de
voir la force du poifon de cette plante.
. Après avoir fait la defcription de la Tor­
tue 8c de ce qu’elle produit, il faut parler de
ce qui s’eft paÎTé dans l’établiiTement de la
Colonie dont elle eft aujourd’huy peuplée. Il
cft furprenant combien de fois cette lile a
efté reprife 8c reperdue, tantoft occupée par
les Efpa^nols , tantoft par les François , qui
enfin en font demeurez les maiftres. Les
Avanturiersont trop de part dans toutes ces
differentes conqueftes , pour n*en pas faire
THiftoirc; 8c comme elle eft de mon fujet,il
eft neceiTâire de la reprendre dés Ton com­
mencement. Je croy mefme,que le récit n’en
fera pas defagreable, aiuii que nous le ver­
rons dans ce qui fuie.

CHA4
h i s t o i r e

C h a p i t r e III.
‘EtahUJfement à'une Colonie Vretnpife fur Vljle de
la Tortue. Les TranfoU chaffez pur les Efpa»
gnolsy reviennent plufieurs f o i s a p r e s divers
ehungemens ils en demeurent les Muiflres j le
Gouverneur e/l ajfajfiné pur les Franfois mef»
me.
E s François ayant i^tably une Colonie
L fur de Saint Chriftophe, commen-
çoient à fleurir, lors que les Efpa^nols in­
terrompirent leurs pro^rez par plufieurs def*
Genres qu’ils firen t, en paflant avec leurs
Flores, pour aller à la nouvelle Efpagne.Cela
obligea la plus grande partie de cette Nation
Les Fran­ â fuivre les Zelandois, qui faiibient de cour-
çois joints
aux HoU fesfurles Efpagnols,5c qui en remportoient
landois de riches prifes. Ils y réuflirent fi bien que le
font de bruit en vint en France , Sc cela fit que plu­
cichcs pri- fieurs Avanturiers de Diepe équipèrent à
i,-
deflein de venir y faire aufli des couries.
Voyant qu’ils eftoient heureux dans toutes
leurs entrepriiès > & que les Ifles de Saine
Chriftophe où ils amenoient leur butin e-
ftoient trop éloignées,caril leur falloir deux
ou trois mois pour y remonter , à cauiè des
vents & des courants qui font toujours con­
traires, ils reiblurent de chercher un lien plus
commode , fans avoir autre but que de s'y
Onelques retirer. Dans cette veue quelques uns d’eux
Avantu- allèrent en l’Ifle Efpagnole,voirs'ils ne trou-
ricrsFran- veroient pas aux environs quelque petite
çüis vont le^où ils pulfenc fe réfugier en feureté.Lors
qu'ils

‘TTTTj
DES A V A N T ü R I E R S . ir
qu’ils y furent arrivez,ils la trouvèrent telle- à l’ifleElt
ment peuplée de bêtes à cornes Sc d^antres
animaux , qu’ils furent aiTeurezde venir à
bout de leur deiTein,parce qu’ils y trouvoient
encore la facilité de ravitailler leurs bafti-
menSj iî bien qu’il ne leur manquoit plus
qu’un azile pour fe retirer, de crainte d’eftre
chaiTez par les Efpai^nols.
Les Efpaonols ayant confideré que cette
lÎle pourroit un jour iervir de retraite à de
telles gens, s’en étoient déjà emparez , & y
avoient mis un Alferez avec vingt cinq
hommes qui en avoient pris pofTciTion« Ces
Avanturiers François n’eurent pas grande
peine à les faire fortir de là , parce^ qu’ils
eftoient ennuyez de fe voir éloignez du paf-
fage des Efpagnols, qui n’avoient gueres de
ibïn de leur apporter leurs neceifitez. Les
François s’eftant rendus les maîtres de cette
lile d é lib é rè re n t entr’eux de la maniéré
qu’ils s’y établiroient. Comme les hommes Divers
ont diverfes penfées , auflî ont-ils^diveries ,
applications. Dans l’incertitude où ces A-
vanturiers eftoient , quelques-uns d’eux enfin leur

Ifle , d’où ils pourroient avoir uc la vicujuc laxoïtu^'


quand ils voudroient, ce qui leur manquoit
à Saint Chriftophe,fit qu’ils refolurent de de­
meurer à riile de la Tortue , & promirent à
leurs Compagnons qu’ils ne les abandenne-
roient pas. La moitié de ceux-cy allèrent iur
lagrandeTile tuer des Bœufs & des Porcs ,
pour en faler la viande , afin de nourrir les
autres qui cravailloient à rendre l’Iile habi­
table <
ii H I ST O TU E
J;; table. On aiTeura ceux qui alloient eti m e r ,
que toutes les fois qu’ils reviendroient de
courfejon leur fonrniroit de la viande.
LesA van- Voilà comme le petit nombre de ces Avan-
turiers ie turiers fut divife en tiois bandes , dont les
divilent uns s’appliquèrent à la chatfe , ôC prirent le
-en trois
bandes,& nom âcBoucaniers,les autres à faire des cour-
ie diltm- fes, eSc prirent le nom de Vlibufliers , du mot
ouentcha- Ans^lois BUbufter, qui iignifie Corfaire j les
cutie par
des nonw derniers s'adonna ent au travail de la terre ,
convena­ & on les nomma Habitans,
bles à les habitans qui eftoient en fort petit
leurs
fonil.ons nom bre, ne laiflTerent pas de demeurer pot*
feiTcurs de cette lüe , fans qu'on pût les en
Q uelques •empefcheri Plufieurs Anglois qui vinrent lè
Angloisiè retirer avec eux y furent tres-bien reçus.
joignent Quelque temps apres il vint des Navires de
avec les France for cette Ifle traiter avec eux j les
iîiançois.
Avanturiers y apportoient un Butin fort
confidetable , les Boucaniers des cuirs de
B œ uf: fl bien que les Navires qui venoient
y négocier trouvoient leur compte , & rem-
portoient non feulement en cuirs la valeur
de leur Cargailbn» ou charge de Marchait-«
dife ; mais encore en Tabac , en pièces de
huit, & en Argenterie.
Les Efpagnols voyant que l’accroiiTement
■li. de ces gcns-là ne pouvoir eftreque très mau­
vais pour eux » refblurent de les détruire , 5c
de fe remettre en poiTciTion de Mile de la
T ortue: cela ne fut pas difficile, car ces
Avanturiers n^ayant efté tourmentez d’au­
cune Nation , croyoïent eftre les fouverains
Maiftres de to u t, & ne s'eftoient point pre-
cautiounez pourfe défendre. Les Efpagnols
^ làns
DES AVANT UT I I E RS . 2 ?
f?.ns perdre de temps, prirent l’occafion que Les EfpaS
nols re­
les Boucaniers étoient â la chaiTe fur la gran­ prennent
de Ille, & les Avanturiers en mersSc comme la T ü itu ë ,
il ne reiloit que très peu d'Habitans qui n’é- pendant
toient pas capables de grande reiiftance , le queles-A -
General de la Flotte des Indes d’Hfpagne vanturieis
font ea
vint avec quelques vaiÎTeaux , dans lefquels m et,
il avoir fait embarquer bon nombre de Sol­
dats. Ayant fait defcente il paiTa au fil de
répe'e tous ceux qu"il pût attraper;il fit me^
me pendre les autres qui vinrent à luy,apre's
qu’il fut en poiTeffion de Tlile ; ce qui fut
caufe qu*une bonne partie fe fauva pendant
la nuit dans des Canots. Ce General Efpa-
gnol laiiTa l’Iile de retourna à Saint Domin-
gue, fans mettre de garnifon dans la Tortue.
Et comme il fçavoic qu’il y avoir quantité' de
Boucaniers dans Tlile Efpagnole qui dérrui-
foient tout le beftail, il ordonna qu’on levait
quelques Compagnies de gens de guerre
pour les détruire*: Ces Compagnies furent
appellées cinquantaines ; & depuis les Es­
pagnols les ont entretenues jufqu’aujour-
d’huy.
La Flotte d’Efpagne eftant partie , les fu­ Les
gitifs de cette lile fe raifemblerent, & fc re­ çois re­
viennent
mirent en poifeiTion de l’Iile fous la conduite à la T or-
d ’un Capitaine Anglois nommé Villis. Peu t'ië fous
de temps après un Àvanturier François y ar- dlaiii'ed
'ou-
’uti
rivaj le changement qu’il trouva ne luy plût Caoicain«
pas fbrtjdc il*voyoit à regret que les Anglois Anglois,
eftoient maiftres de cette lile. Il piévoyoïc
bien qifils feroient là comme à Saint Chri-
ftophe , d’où ils voulurent chaifer les Fran-
<çois,quand ilsfe fentirenc les plus fort^.Céc
24 h i s t o i r e
Avanturier partit de la Tortue fans rien dire,
Monfieur 5c vint à Saint Chriftophe trouver Monfieur
de Poincy
eft averti le Chevalier de Poincy qui y commandoit e n .
qualité de General au nom de l’Ordre de
par- un
Avantu- Malthe:Il Iny donna avis de ce qui fepaiToic
tier de ce à la Tortue, & luy fit connoiftrè les avanta­
qui fepaf
le a la
ges qu’il tireroit de cette Ille, s’il en chaÎToic -
Toiiuëy Jes Anglois, De plus, il l’aiPura que leur Chef
eftoit ?ans aveu , 6c que les François laifez
d’efire lous la domination Angloife,ne man-
queroient pas de prendre les armes en fa fa­
veur , en cas que cette Nation vouluft faire
refiftance.
Monfieur de Poincy recent cet avis corn-’
ine il devoir» 5c en fit Pouverture à Monfieur
le VaiTcur nouvellement arrivé de F rance,
n’en ayant point dans ion lile de plus capa­
ble que luy d’une telle entreprife» parce qu*il.
eftoit non fénlcment bon Capitaine 5c bon
Ingénieur,mais il avoir encore une connoil-
iance toute particulière des îiles de PAmeri-
que. Monfieur le VaiTcur dont l’cfprit eftoit
penetrant, reconnut que cette occafion luy
feroit avantageufe , c’eft pourquoy il ie d it
pofa promptement à partir pour executer la
propofition de Monfieur de Poincy. Ils con-‘
Conven.
vinrent donc enfemble, que Monfieur le
tion de Vaffeur iroic prendre poiTefiîon de l’Ifle de la
Monlieur Tortue, 5c en lèroit Gouverneur au nom de
de Poincy Monfieur de Poincy , 5c que pour cela ils
avec Mon.
iieur le pay croient chacun par moitié les dépeniès'
yaiTeur. neceiThires. Monfieur de Poincy luy promit
d*cn faire les avances , 5c de ne le lailfer
I.l, manquer de rien : IPaccord étant fait» Mon-
fieui le VaiTcur amaiTa quarance hommes de
la
î
D E S A V A N T U R I E R S . . 2f
k Relii^ion prôteftante comme Iny, les fie
embarquer ; Ayant pris des vivres autant
qu*il en avoit befoin , il partit de S. Chrifto-
phe pour H ile Efpagnole,où en peu de jours
il vint mouiller l’ancre au port Margot, donc
j*ay défia parle , an cofté du Nord de ladite
lile , environ à fept lieües de la Tortue. Aufi-
fi-toft qu’il fut arrivé , il s'informa en quel
eftat eftoitla Tortue , 5c amaiTaenviron 40.
Boucaniers François , â qui il découvrit fon
deiTcin , leur demandant fi ils vouloient eftre
de la partie , ce qu’ils ne refuferentpoint;
au contraire , ils luy promirent de le bien fé­
conder. Après avoir pris ies mefureSjSc s’e-
ftre aiTuré de fes Boucaniers , il deicendit à
ITile de la Tortue,vers la fin du mois d’Aoufi:
1^40.
. Dés qu’il fut à terre, il fit dire au Goùver- MonGeur
neut Anp;lois q u ’il eftoit^venu pour venger le vaiTeut
l’afFront que fa Nation avoit fait aux Fràn-
çois,& que fi dans vingt-quatre heures il ne îaxortu^/
ibrtoit avec tout fon monde, il mettroit tout '
à feu 5c à fang. Les Anglois ne turent pas
long-temps à reibudre ce qu'ils avoient à
faire , car voyant que la*partie n’eftoit pas
tenable pour eux , ils jugèrent qu'il valoit
mieux quitter. A l'heure mefme ilss’embar^
querent avec precipitation » Sc mefine aflez
confLifément dans un vaiffeau qui eftoit à la
Rade, ôc ils partirent de lâ fans ofer rien en­
treprendre pour la dçfenfe de l'ifle. Ada vé­
rité quand ils l’auroient voulu,ils n'auroienc
pas pu, car dés le moment que les François
qui eftoient avec eux virent arriver Mon-
fieur le Valfeur, ils prirent les armes contre
T om el, B les
iè . H I s T O I n E
les AnMois, & mirent d’abord tout au pilla­
ge, ce qui les obligea de partir fans avoir le
temps de capituler. ^ ^ •
Voilà comme Monfieur le Vaileur fe vit
en peu de temps vainqueur des Anglois, 6c
maiftre de Hile de la Tortue , fans répandre
une goûte de fang. 11 fit auifi toft voir fa
Commiffion aux habitans , qui la receurent
tres-bien. Il vifita l’Iile afin d'obferyer les
lieux qui avoient beibin de fortification,car
il avoir envie de fe mieux garantir des atta*
ques des Elpagnols , que ceux qui avoient
efté devant luy poÎTefleurs de cette lile. Il
remarqua qu*elle eftoit inacceflible de tous
MoTifiCor codez, excepté de celiiy du Zud,où il trouva
le Vaileur bon d*y badif un F o rt , en un lieu le plus
vifiteriile commode du monde, parce qu’il n’ayoit pas
Î beibin de grande dépenfe,edant fortifié na-
tnkbaiiir turellemcnt. Ce lieu edoit fur une montagne’
le Fort de éloignée environ de fix cens pas de la Rade
la^oche. g|jg pojvoit edre commandée. Sur cet­
te montagne il y avoir une Roche qui con-
tenoit environ 25* ou 30.^pas de grandeur
en quatre , 6c environ 4. à 5» toifes de hau­
teur, fort platte par deÎTus. Monfieur le y af-
leur , fit badir fur cette Roche une maifqn
. i-' pour y faire fa demeure,on y montoit par dix
ou douze marches qu’il avoir fait tailler dans
Vf' le mefme Roc, 6c Ton achevoit d’y monter
avec une échelle de fer que l’on tiroir en
haut quand on y edoit montée il la munit de
deux pieces de canon de fonte 6c deux de
fer. Auprès de cette Roche , environ 10. à
1 2 . pas, il fortoit une Iburce d’eau douce
gros comme le bras«Tl fit outre cela entourer
*• ce
DES ÀVANTURIERS. ^7
ce Roc de murailles , & fe trouva par ce
moyen en état de reiifter â toutes les forces
<]ue lesennemispourroient luy oppoiè'r»parce
que ce lieu eftoit entouré de halliers , de
grands bois, & de precipices qui le rendoienc
hiacceiTible, n’ayant rien qu’une avenue, où
ifî ne pouvoir paiTer plus de trois hommes de
front. On nomma ce Fort felon fa fituation ,
le Fort de la Roche, dont il porte encore au-
p u rd ’huy le nom.
Les peuples qui étoient dans les liles voi- LcsAvan.
fines, voyant que Monfieur le VaiTeur avoir
mis Mfle de la Tortue en eftat de fe défendre irionuk
contre toute forte d’ennemis, y vinrent avec
plus de courap;e que jamais. Ce fut alors
que l’on vit cette lile abonder en Avantu-
licrs, en Boucaniers , 5 c en habitans qui ve-
noient féliciter ce nouveau G ouverneur, &
demander ia protedrion , & la faveur d’ellre
du nombre des fiens* ce qu’il leur accordoit
.volontiers , 8c les recevoit tous avec beau­
coup de joye , leur promettant de les bien
maintenir.
Les Efpagnols ayant efté avertis de cette
fécondé entreprife que les Etrangers faifoient
pour établir une Colonie for cette Tile , qui
ne leur pouvoir eftre que pernicieufe>reiblu-
rent de les en chaiTer une fécondé fois, 8c
dans ce deifein équipperent à Saint Domin-
gue fix , tant Navires que Barques , furlef-
quelles ils mirent cinq à iix cent Soldats,
fous la conduite de Don B. D. M. pour ve­
nir reprendre poiTeiîîon de Tlile de la Tor­
tue.
Les Elpagnols vinrent avec cet équipage
B2 moüil-
î8 h i s t o i r e
les Kfpa- mouiller l’ancre devant k Fort de la Tortuëj
gnois ne Içachant pas toute-fois qu’il y en enlt ,
viennent ils ne tardèrent gueres fans en eftre
r^i/eiois avertis par des coups de canon. qui les obli-
poùtVe- gerent de lever auffi-toftl’ancre. Neanmoins
prendre jj§ ne perdirent pas courage , car ils retour*
laTortue, „ercnt moiiiller à deux lieues plus bas, à un
lieu nommé Cayonne^ où ils mirent leurs gens
à terre , qui allèrent à deiTein de prendre ce
Fort,mais on les reçut de telle forte , qu’ils
furent contraints de fe retirer fans aucun fuc-
cez de leur entreprife, outre qu’ils perdirent
plus de deux cens hommes j car tons les ha-
bitans qui eftoient retirez dans ce Fort firent
une forcie fur eux & les repouiTerent pilques
à leurs vaiifcaux. Monfieur le VaiTeur eftant
refté vieftorieux eut de grands applaudiiTe-
V mens de tous fes habitans , qui s’eftimoient
heureux d*eftre fous la conduite d*un hom­
me comme luy , qui les avoir mis à couvert
des inihltes de leurs ennemis,
Monfieur Le bruit de cette vidloire fut jufques aux
de Poincy oreilles de Monfieur de Poincy c^ui eftoit a
apprendj $^int Chriftophe, il en fut réjoui,neanmoiris
mefiRoit de Monfieur le VaiTeur, & crai-
vafieut a gnoit c]ue quand il feroit parveiiu à tel point
défait les q^’on ne pourroit luy rien faire dans fon
Eipagnols. rendift le maiftre abfblu , 8c
qu’il n*executaft pas le contrat paffé entr*-
II luy en- cux.Il fe précautionna en envoyant deux de
voyedeiix fes parens pour l’obièrver, fous prétexté de
de les pa- réjoüir avec luy de fa vid:oire,& d’y vou-
pou
lens P
Tobfer-
OU faire une habitation. Moniteur le Vaf-
v et. feur qui eftoit fin & fubtil, fe douta d’abord
oil cela tendoic : il reçut fort bien ces deux
Mef*
DES A V A N T U E I E R S .
MeiTieurs5&: apres beaucoup d’offres de fer-
vices, leur fit mille amitiez, ôc fceuc fi bien
les ména2;er qu’il les oblii?;ea adroitement de
quitter rifle , 8c de retourner à Saint Chri-
ftophe.
Monfleur le Vaifeur fe voyant bien dans
TeCprit defes habitans, qui croient tout à fait
à luy,crut que fa fortune eftoit parfaitement
établie , & qu'il en falloir profiter fans per­
dre de temps. Ces reflexions chaussèrent ion
humeur » de doux qu’il avoir paru au com­
mencement, il devint fevere, 8c maltraita ies
habitans , tirant plus de tribut d’eux qu’ils
n’en pouvoient payer^il les faiibit punir pour
la moindre faute* il alla mefme juiques a
leur empefeher l’exercice de la Religion C a­
tholique,fit brûler leurs Eglifes»ôc chafler un
Preftre qu’ils avoienc.
Monfleur de Poincy efl:ant averty du mau-
VBis ptocedé de Monfleur le Vaifeur, tacha
de le retirer de là par de belles promeiTes, 8c
luy fit faire des propofitions avantageufes ;
mais il etoit trop habile pour ne pas voir ces
pièges, 8c feeut toujours les éviter,i’ans don­
ner fujet à Monfleur de Poincy de fe plain­
dre de luy. Pendent que le fleur le Vaifïuc
gouvernoit en Souverain, 8c qu’il ie plailqic
dans fa nouvelle grandeur,deux defes meil­
leurs amis confpiroient fa mort^ c’étoic deux
Capitaines qu’on dilbic eilre fes Compa- neu?c Cai
gnons de fortune,quelques-uns ont dit qu’ils pitaines
croient ibs neveux : Enfin il les aimoit telle-
ment, que n’étant point marié , il les fit fes
heritiers. On croit que le fujet de cette con- Monfieue
fpiration fut une maiftrefle que Monfienr le levaileui:,
^ B3 Vaf-
' 3 0 HI STOI RE
VaÎTenr leur avoit ravie# Enfin ils en vinrent
:â rexecution , s’imaginant que les habicans
leur lcroicnr bien obligez de les avoir déli-
•vrez d^in Tyran , & qu*apres cet aiTaiTinac,
ils poiTederoient lès biens, & gouverneroient
.paifiblement dans riile. Un jourlefieur le
VaiTeur dcfcendant de la Roche pour ven^
nu bord de la mer vifiter un Magazin qu’il
«avoir, un de ces aiTaiTins luy tira un coup de
fufil penfant le m e r, mais il n"en fut que le-
gerement bleffe : L’autre s’en appercevant
entra & l’acheva â coups de poignard. J*ay
iceu qu’il demanda un Preftre , "difant qu’il
vouloir mourir Catholique.

C h a p i t r e I V.

Le chevalier de Tontenay vient prendre pojfejfîon


du Gouvernement de la Tortue au nom du Ge»
neral des Antilles : il en efi chajfé par les Efpa*
gnols. Les Boucaniers la reprennent y à* établi
fent Monfieur du Rdjfey leur Gouverneur, $fê
mort. Son neveu luy fuccede.
<}
endant que cette fangîante Tragé­
P die fe joüoit dans Mlle, Monfieur le Ge­
neral de Poincy InÎTé defe voir ainfi tromp-
par le fieur le VaiTeur, qui sVtoic iervi deiès .. I
A

biens & de Ibn autorité pour fe mettre en


rendu conte de rien ►ny mefine témoigné
qu’il dépendit de luy , ne fongeoit plus
qu’aux moyens de Pen dépoÎTeder& defe
tirer de là. 11 n’en trouva pas de meilleur
DES A V A N T U R T E R S . n
pour y reuíílr, que de fe fervir du Chevalier
de Fontenay,nouvellement arrive de France
dans une petite Freo;ate , pour aller faire des
coiiriesfur les Efpagnols. Le General luy dé­ Le C h e - -
clara Îon deiTein avec tout le fecret poiTible , valier de
Fontenay
I luy promettant qu*il ne manqueroic , ny va pour
d ’hommes, ny de miinicions neceiTaires pour depoil'e-
l*execiition de cette entreprife. Le Chevalier der M on­
qui ne venoit que dans l’intention de faire fa iteur le
fortune par les arm es, n’euc pas de peine à Vaiieuf,
fuivre les fentimens du General de Poincy ,
quoy que le fuccez de cette entrepriiè fuft
aiTez douteux;car file iîeur le VaiTeur eftaat
encore vivant euft le moindre foupcon de
cette affaire» toutes les forces du General de
Poincy ne Feuffent pas tiré de la Roche.
Pendant que Monfieurle General de Poincy
faifoit preparer en fecret les choies neceffai-
res pour la priie de cette Ifle » 8c afin que
per&nne ne foupçonnaft ce deffein» le Che*»
valier des Fontenay partit avec fon vaiffeau
pour aller croiièr devant Carcagene, ville EÎ^
pagnole» afin d*y faire quelque prife. Cepen­
dant il avoit donné rendez-vous au fieur de
Treval neveu du General, qui devoir com­
mander un Bâtiment chargé de munitions 8c
de gens de guerre.
Ces deux Gentils-hommes s*effant trou.-
vez au rendez-vous qui eftoit dans le Port
de Paix de l’Iile Efpagnole, à douze lieues
du Port de la Tortue , eurent nouvelle de la
mort du fieur le V affciir, 8c de la manière
dont il avoit effé affaffmé ; ils ne iaifferenc
pas de conclure entr’eux qu’il falloir vaincre
ou m ourir, plûcoft que de recouraer à Saint
B 4 Chri-
HI ST O I R E
Chriftophe. Ils nllcrenc donc mouiller î*im*
cre à la Rade de la Tortue , où on les reçut
comme les Efpa2;nols l’avoient eftépeu au­
t t C he­ paravant ; il bien qu’ils furent contraints de
valier de lever l’ancre d*aller mouiller à Cayonne à
Fontenay deux lieues de là ; y eftant arrivez ils mirent
va inoüil- bien ^oo. hommes à terre, ibus la faveur du
ler àCay«
onne,& iè canon, en cas que les habitans euiTent voulu
rend mai* faire refîftance» ce qu’ils ne firent en aucune
Itre de la maniéré.
*' 1 Tortue.
Îî’5
ti‘§ Les deux AiTaiTins étoient.refôlus de refi»
lier, fi les habitans avoient voulu tenir leur
party,mais ne les ayant pû-diipofer à cela, ils
II capitulèrent avec ces deux Meflieursde Fon­
tenay ôc T reval, de leur rendre iTile entre les
mains, à condition qu’on ne les inqüieteroit
point de la mort du fieur le VaiTeur , qu"on
les laiiTeroit en poiTeifion des biens qif il leur
avoir donnez par un teftament qu’on trouva
apres fa mort. Tout ce qu’ils demandèrent
leur fur accordé; par ce moyen le Chevalier
de Fontenay demeura maiftre de Hile & de
I■ la ForteteiTe. La CommiiTion que le General
de Poincy luy avoir donnée fut lue publi-
c^uementavec o;rande fatisfàdlion des habi­
tans qui receurent le Chevalier avec bien de
la joye.
Si-toil que le Chevalier fut en poiTeifion
de cette Iile,il la remit en iométat fioriiTant; ÿi
La Religion Catholique & le négoce y fu­
rent rétablis, comme a Uifi le F o rt, qui par
negligence eiloit tombé en ruine; il y ajouta
deux bons bailions,fit faire une plate-forme*
mettre fix pieces de canon en baterie qui
défendoient Tabord des ennemis à la rade.
^ le s

w
DES A V A N T U R I E R S . 5^
Les Avanturiers revinrent à la Tortue plus
que jamais, car le Chevalier eftanc luy-mef-
me Avanrurier les traita bien. Il équipoitdes
baftimens qu’il envoyoit en courfe,les Bou­
caniers y venoient auflîj tellement que la
Tortue fe vit plus peuplée qu’elle ne l'avoit
encore efté. LesEipagnols s’en reÎTentirent
bien, car ces Avanturiers leur devinrent iîgnois in-
importuns,qu’il ne pouvoir plus ibrtir ny en- coimno-
trer de baftimens dans leurs Ports fans eftre
pris. Un Marchand Efpa^nol de Carta^enêtmiers.
m’a dit qu’il a perdu en ce temps-là dansai ne
année trois cens mille écus , tant en bafti­
mens qu*en marchandifes. ^ ^ ^
Le Chevalier fe voyant ainfi bien étably
dans fon Ifte, crût que toutes les forces Ef-
pagnoles ne feroient pas capables de l*cn
faire fortir : il ne fit point de difficulté de
iaiiTer dépeupler T Ifte , permettant à tous
d’aller en courfe. Il y fut neanmoins trompé:
caries Efpai>nols, s’eftant fervis de l’occa-
fion , refolurent d*y revenir avec un arme­
ment confiderable; 8c de fait, ils y revinrent,
& fe précautionnerent mieux qu’ils n’avoient
fait autrefois, car ils ne mouillèrent point à
la Rade, mais ils mirent leur monde à terre ,
voyant que perfonne ne leur reiiftoit. Le
Chevalier n’ayant que tres-peu d’habitans
fe retira avec eux dans le Fort de la Roche :
les Efpa^nols y furent l’attaquer, mais ils n’y
purent rien 2;aççner. Ayant la liberté de faire
ce qu’ils vouloient dans l’Ifte, ils tenoient les
François aifiegez dans le Fort. Ils cherchè­
rent les moyens de trouver une place d’où
i’on pût battre ce Fort, 6c trouvèrent une
Bs mon-
t/\

54 H I S T O I R E
montagne plus haute que la Roche ou cRoiê
fcitué le Fort desFrançoisj mais on n*y pou­
voir monter â cauie des précipices. Comme
les Efpagnols ont beaucoup de flegme , ils y
tracèrent peu a peu un chemin , & rencon­
trèrent un petit pafTage pour aller fur cette
montagne. Ce paflage eftoit entre deux ro­
Î. ) chers, & on y montoit par un trou , comme
I ii on paflbit par une trape ; il n*y avoir plus
’ que la difficulté d*y monter du canon , car
c’eftoitune choie impoffible avec des che-
Tes Efpa- vaux. Voicy l’invention dont ils ie fèrvirent :
gncîs *jg ^ttjucherent deux pieces de bois eniemble»
une troi- & mirent deiTiis une piece de canon qu ils
f]éme foi«! firent porter par un nombre d’Efdaves fur
&TÎâ épaules ; & par ce moyen ils en mon-
repren. ^ terent quatre pieces qu’ils mirent en batterie
rciit, vis-à-vis le Fort des François. Monfieur le
»' Chevalier avoit fait abattre les bois qui
i! i cftoient au tour de ion Fort, afin de n’eilre
point furpris par les ennemis ; ce fut ce qui
caiiia fa perte, parce que ces arbres eitanc
d*uoc grandeur & d’une groifenr prodigieuie
couvroient le Fort, & auroient empeiché
} >
î’efFet de la batterie des Efpagnols, qui n’au-
roient jamais pu le découvrir. Auifi-tofl: que
i t-: les habitans virent la batterie des ennemis
jouer fur leur Fort qui les incommodoit ex­
i',
trêmement , ils propoferent au Chevalier de
fc rendre à compoiition,luy reprefentant que
les Eipagnols cftoient cruels, & que fi on at-
tendoit qu’on fût réduit à l*extremiré, pent-
eilre on ne pourroit rien obtenir d*eux. Le
Chevalier n’y voulut point entendre; mais à
i' la fin ibu party citant le plus fbible , il y fut
con­

' 1:
Uy
DES A V A N T ü R I E R S .
contraint; Îî bien qu’on convînt avec les Ef-
pa2;nols que tous les François fortiroienc
tambour b a tta n t, mèche allumée , avec ar­
mes 6c bagage , 6c qu’ils rendroient le Fort
avec le canon 6c toutes les munitions de
guerre. Les Efpagnols donnèrent aux Fran­
çois quarante-huit heures pour ie retirer. II
y avoic à la rade deux baftimens coulez à
fonds qu’ils tâchèrent de remettre à flot. Les
.François ayant mis ces deux baftimens en
eftat, 6c eftant prefts à s’embarquer ; le Ge­
neral des Efpagnols fit reflexion , que les
François munis encore de toutes leurs armes
fe pourroient joindre à quelques-uns de leurs
Avanturiers 6c l’attendre quand il s’en re-
tourneroit. C*eft pourquoy il leur dernanda
des oftages jufques à ce qu’il fuft arrivé à
S, Domingue,ville capitale de Tlile Efpagno-
le; il contraignit M. le Chevalier à luy don­
ner un frere qu’il avoir avec luy j nommé le
fleur de Hotman. Le Chevalier s’embarqua
dans un des baftimens, 6c les deux auteurs de
la mort du fieur le VaiTeur dans l’autre. Ces
deux hommes adonnez à faire des cruautez,
ne fe purent empêcher d’en commetrre en­
core icy une aiTez grande : ils fe détachèrent
de la compagnie du Chevalier 6c mirent tou­
tes les femmes 6c les enfans fur une petite
Ifte defevte , & s’en allèrent courir le bon
bord , 6c depuis on n*en a jamais entendu
parler.
On a feeu qu’un vaiffeait Hoîandois jetté
par la tempefte contre cette lile deferte,avoir
fauvéquelques-unes de ces femmes. J ’ay veu Vemmes
mclinc une Relation qui couroit alors de ce que les^
B6 qui deux af«
H I $ T O IR E
faíTíns de qui leur eftoit arrivé'dans Ce deferc, ccrîfii
Tune d^’elles, Efpagnole de nation,& qui
laiiTerent^ dans la maniéré de s’exprimer marquoic
dans une avoir beaucoup d*efprit. Une perfonne qui i.
liledefer-fj»en a pas moins , a bien voulu la traduire
* en noftre Langue, & comme cette Relation»
toute courte qtPelle eft,fair connoiftre à peu
prés la mifere de-cés infortunées , 6c qu’elle
contient un événement iîngulier , j’ay crû
il’!; qu*on feroit bien aife de la voir; c’elt pour-
quoy je Tay'mile icy telle qu’elle m’eft ve­
nue dans les mains. Voicy donc comme s’ex­
plique cette femme.
Âpués qu’on nous eut débarquées, 6c en­
fin mal-heureufement abandonnées dans cet­
te lile deferte , nous troiiyâmès d’abord
quantité de beftes fauvagcs, dequoy nous
'aurions pu nous nourrir, mais nous crai­
gnions plûtoft d’en eftre dévorées 6c de deve­
nir leur pâture ; 6c fans doute elles voyoient
bien à qui elles avoient afFaire , c’eft à
dire à des femmes foibles 6c defarmées, a
qui meiine les plus timides de ces beftes fe
faiiôient craindre.' Il n’en eftoit pas ainii ,
lors que des habitans du pais circonvoiiins ,
gens cruels 6c grands voleurs deicendoient
dans cette Ifté pour les chaiîer : car ils en
faifoientun fi prodigieux carnage que nous
pouvions vivre de celles- qui fe trouvoient
mortes, que ces Chafteurs oublioient ou ne-
glig^oient peut-eftre apres les avoir tuées.
Nous avions grand foin de nous cacher pour
éviter également 6c ces hommes 6c ces be­
ftes. Cependant la faim qui nous preftbit,
nous obligcoic ibuvenc à ibrtir de nos retrai­
tes.
DES A V A N T U R ï E R S. ^7

tes, & nous donnoitmerme la hardieiTe d’a­


vancer dans le pais : en forte que nous dé-
couvriiîîies un petit canton cultive feulement
par la nature , & remply des plus beaux ar­
bres du monde , foit pour le feuillage qui les
couvroit, ibir pour les fruits dont ils eftoienc
chargez : joint que des oyfeaux auiTi beaux
que tout cela y voloient de toutes parts , 3c
rëdoubloient les charmes de ce lieu , à cauie
que les feiiillcs , les fruits & les oyfeaux dif-
putoient comme à l’envy , en beauté 3c en
aiveriîté de couleurs.
Toutes ces choies à la vérité contentoient
la veuë & non pas le gouft, puis que ces oy­
feaux mangeoient les fruits,dont nous aurions
pu nous nourrir; c’cil ce qui nous obligea de
chercher un autre lieu qui puil: avoir le inef«
me agrémentTans avoir la mefmeincommo-
‘dité : car, difions-nous, il eif à croire que ce
lieu n'eft pas l'unique qui fe trouve icy. Ani­
mées de cette efperance nous marchâmes
long-temps par des endroits tres-dangereux,
tant pour des rochers qui fe prefentoient à
chaque pas fans apparence de chemin , que
pour des fommets de montagne anfli hauts
■que les nues, 3c des valées auiTi profondes
que des abîmes qu’on y rencontrok à tonte
heure. Pour éviter tous ces obfiacles, nous
cherchions au loin despaiTages plus bas, des
montagnes 3c des valées plus douces ^ mais
par malheur nous nous éloignions infenfi-
blement de la mer , 3c ainfi après avoir fait
cent tours 3c cent détours, nous nous éga­
rions de plus en plus , ne faifant autre choie
'que de paiTer 'de precipice en precipice.
Alors
h i s t o i r e -
Alors une infinité de chemins s'offroîent i
! nous de toutes parts , hormis celuy qui nous
auroit conduites à Tap^reable lieu que nous
avions quitté, lans en trouver un femblable,
ê c qui nous auroit menées au bord de la
mer , que nous avions depuis Ion«;-temps
perdu de vcuë,8c d’où enfin nous aurions pu
découvrir quelque vaiÎTeau qui nous auroit
tirées d’un lieu fi dangereux. Un jour que
nous errions à nofire ordinaire, une troupe
des ChaÎTeurSj donc j’ay parlé, armez de per­
ches pointues, vinrent tout d*iin coup fondre
fur nous , & nous dépouillèrent facilement.
Une feule d’entre nous fit une vigoureufe
refiftance , de maniéré qu’elle fe défendit
long-temps des pieds,des mains,8c des autres
.armes que la nature luy ai?oit données,Ôc fe
défendit plûtoftpour exciter ces Barbares à
luy öfter la vie,que pour conferver fes habits
qu’ils luy arrachèrent à la fin auifi bien qu’à
nous, nous ayant enfuite quittées fans nous
avoir fait d’autre mal.
Cette femme confufe au dernierpoineft de
fe voir ainfinuë , bien qu’elle ne tuft alors
qu’avec des perfonnes de fon fexe, & trou­
vant en cet état la lumière du jour auifi af*
freuÎequela plus terrible mort,s’alla enterrer
toute vive dans le fable , & couvrit le refte
qui paroiÎToit de fon corps de fes cheveux
épars. Toutes fes compagnes furent furpri-
fes, & couchées en meiine-temps de ia refo-
lutionj mais comme elles vouloientl’en dé­
tourner de tâchoient delà fecourir, du moins
autant qu’il leur eftoit poifible dans l’extre-
mité où elles la voyoienc y de dans celle où
elles
DES A V A N T U R I E R S . ÿï
elles eiloicnt elles-mermes : laiiTez-moy, dit-
elle aux plus empreiTees j Dans ce dernier
moment,je n’ay plus befoin que de vos priè­
res qui me ferviront beaucoup,8c delà mort
qui finira toutes mes miferes. Âpres ces pa^
roles elle garda un trifte filence , & ne par­
lant plus que par iès larm es, elle expira aa
milieu de toutes les femmes qui l’entou-
roient.
ÎSI*en déplaife â ceux qui font tant de cas
de cette petite Relation; il me femble , fans
toutefois la mépriÎer, qu’elle paroift un peu
romanefquc dans la deicription du petit can­
ton remply des plus beaux fruits & des plus
beaux oyieaux du monde, dont elle ne mar­
que ny refpece ny le nom. Déplus, fî elle pa­
roift vray-ièmblable dans les faits qu*ellc
rapporte, elle n’eft gueres jufte à l’égard des
il lieux qu’elle fpecifie .*car je ne meibuviens
point d'en avoir veu de pareils,pendant que
}*ay demeuré dans ce pais. On me répondra
que je n’ay pas tout veu, & qu’ainfî , il y en
î! peut avoir de femblables qui ne font pas ve­
nus â ma connoiiTancc , cela peut-eftre .* &
quoy qu'il en foie, il eft temps de revenir à
l’IÎle de la Tortue.
Le General Efpagnoî en fît reparer le Fort» Le G ene­
& y mit une garnifon de foixante hommes ral E fp ^
nol iait
commandez par un Capitaine & un Alferez, repaier Je
»I à qui il laiiTa aiTez de vivres & de munitions Fort dela
de guerre, pour attendre qu’on leur en en­ Tovtue, y
m et gar-
voyait d’autres. Si-toft qu’il fut arrivé à S. niibn 6c
Domingne il renvoya le fieur Hotman qui s’en r.e-
n’eut aucun fujet de fe plaindre deluy.car il touine^
Î’avoic fort bien traité , ôc meime l'aimoic
ju t
h i s t o i r e
iufques à lity offrir de l’employ. quoy que
cela fiiH: diredeinent contre les ordres du
Roy d*Erpaa;ne qui défendent tres-exprciTé-
ment d’empToyer aucun Etranger à Ton fec-
vice dans les Indes Occidentales.
Apres que le fieur Hotinan fut en liberté ,
6c"eut felon la bien-iéance remercié le G e­
neral Efpa2;nol du bon traitement qu'il avoir
receu de luy , il alla chercher fon frere^ qu’il
ne trouva , dit-on , que fix mois après. Le
fieur Hotmon fc achant bien en quel état
eftoit demeurée i*Ifle de la Tortue , propofa
à fon frere de tenter la reprife : le Chevalier
y confentitjiis raiTemblerent quelques Fran­
çois Boucaniers & habitans à qui ils firent
fçavoir leur deiTeinj cela fait,ils defcendiient
à la Tortue pour la reprendre , mais les Ef-
pasçnolss’y eftoient tellement mis en défen-
fej'quhls ne purent venir à bout de leur en-
treprife, 5c furent obligez defe rembarquer
avec perte. On dit que Monfieur le Cheva­
lier de Fontenay demeura toujours avec fon
frere , 5c que leur bafiriment venant à tirer
beaucoup d'eau ils relâchèrent auxifles des
Efores, d*où ils repaÎTerent en France.
Pendant que les Efpagnols eftoient de­
meurez les maiftres de l'ifle de la Tortue ,
M ort de Monfieur le General de Poincy mourut ; ce
M r. de qui caufa du defordre 5c du trouble, dans les
Poincy. Ifles de faim Chriftophe , 5c en d’autres en­
core que les François occupoient. Un certain
Gentilhomme de Périgord , nommé du Ko^
iey qui avoir efté autrefois Boucanier, apres
la mort de Monfieur le General,voulut faire
Ion premier exercice. Il revint à faint Do-
mingiiCj
DESAVANTURIERS. 4I
min^ue,les Boucaniers le receurent fore bien»
car lis l*aimoient paiTionnemenr, Sc ne Tap-
pelloient que leur pere ; ils luy propoferenc
<3*aller reprendre la Tortue , & que s’il vou­
loir eifre leur ch ef, ils le feroient leur Gou­
verneur 5 Sc lüy obeiroient volontiers» Du Les Avan«
turiets Sc
RoÎTeyqui connoiiToit la fidelité de ces ^ens- les Bou­
là, ne refuia point leur offre ; ils s*affemble- caniers
rent jufques au nombre de quatre à cinq s’aff'em-
blent à
cens hommes , tant Boucaniers qu’Avantu- deflein de
riers & habitans , qui avoient autrefois de- reprendre
rneurés à la Tortue. Ayant prisenfemble une laToilue,
ferme refolution d*y retourner, ils jurèrent
les uns aux autres de ne fe point abandonner
dans une conquefte de cette importance. Ils
n’avoient point d*autres baffimens que des
canots, qui leur fervirenc pour aller fur ITile
Efpaiinole devant la Tortue ils y tinrent
confeil pour voir de quelle maniéré ils atta-
queroientles Efpa^nols: Apres quoy ils con­
vinrent que cent hommes iroient deicendre
à la bande du Nord de l’iile , & qu’ils vien-
droient furprendre leurs ennemis par derrière
furie Fort de la montagne, qui commandoit
celuv de la Roche , pendant que les autres
iroient pour le prendre. Enfin eftant conve­ Leur
nus tous enfemble de ce qifils dévoient dreile
pour en
faire , ils attendirent la nuit pour executer chaiTer?e$
leur deffein. Ceux qui dévoient defeendre à Elpagnols
la bande du Nord , partirent devant, & dé-
burquerent dés le poinefi: du jour les Efpa-
gnols, poffez fur la grande montagne, où ils
n’effoient guère retranchez,ne fe défians pas
qu’on pût jamais venir les attaquer de ce
c o ffé 'li Les autres qui eftoient dans le Fort
de
4i h i s t o i r e
de la Roche furent bien eftonnez d'entendre
batre la Diane de fi ççrand matin â coups de J 'I
canon , qui les ravageoit d’une bonne ma­
niéré. Ils fortirent pour voir ce que c'eftoit,
l e n’apperceurent aucun veftige des enne­
mis ; mais leur eftonnement augmenta bien
davantage , lors quhls fe virent environnez
du gros de cette troupe de Boucaniers , qui
les empeicherent de rentrer dans leur Fort, .l'i
taillèrent laplufparc en pieces, & prirent les
autres priÎbnnicrs. Voila comme ce combat
fut bien-toft terminé.
Les François fe voyant encore une fois
pofleiTeurs de Tlfle de la Tortue avec un
liiccez fi heureux, ne fongeoient plus deibr- i .
mais qu’à la bien garder. Ils mirent tous les
Efpagnols qui eftoienc reftez en vie dans
une barque , 8c les envoyèrent â de
r Cuba qui eft éloignée environ de quatorze
à quinze lieues de la Tortue. Ils firent du
' IRi' L es Fran­
çois font RoiTey leur Gouverneur, 8c luy jurèrent tous
Monfleur le ferment de fidelité 8c d’obeiiÎance. Mon-
de RoiTey fieur du RoÎTey iè voyant en poÎTéflion de
leur G ou­
verneur, Tlile , 8c en état de la bien défendre contre
& com ­ les Efpagnols, écrivit à fes amis en France ,
m ent Ton qui luy envoyèrent une CommiiTion, qui fut
neveu luy
iiiccede.
lue 8c bien receuë de tous les habitans. Bou­
caniers 8c Avanturiers, qui fe fournirent à
luy payer le dixiéme de leurs prifes lëlon Tor­
dre de T Amirauté de France. Après y avoir
gouverné plufieurs années avec bon fuccés
8c dans la bienveillance de tousles habitans*
il retourna en France , SclaiiTa Monfieurde
la Place fon neveu pour gouverner en ion
abfcncc. Les habitans avec qui il avoit tqu-
I jdur§
■ DES A V A N TU ÎU ER S.
[qJouts bien v écu , ne luy refufcrenc rien de
i toiit ce qu*il leur demanda , au contraire ils
creceurent fort agréablement Moniîeur de la*
[place, & promirent de luy obéir, comme ils
avoient fait à luy-mefme.
Monfieur du RofTey ayant efté quelque
temps en France , y m ourut, 8c Monfieur de
la Place fon heritier prefomptif demeura
Gouverneur, à la facisfadlion de tous les hai
bitans, qui nuroient eu de la peine â en re-
cevoir un autre. Il y gouverna paifiblemenc
jufques en l*année 1664, que la Compagnie
des Indes Occidentales fut rétablie.
> Mefiieurs de la Compagnie Occidentale
is’eftant remis en poiTefiîon des liles Antilles
appartenantes aux François,fe rendirent auiH
les maiftres de la Tortue» & y envoyèrent un
mavire en Pannée 1^64. avec un Lieutenant
i& ibixante Soldats de garnifon, un Commis
General,avec trois Sous-commis 8c plufieurs
cngagez,pour travailler à une habitation. Ils
apportèrent en meÎme temps une commifi-
fion à Monfieur d*Ogerqn Gentilhomme An­
gevin, de bonne conduite» fort expérimenté
dans ces lieux-là,8c qui eftoit bien datis l*ei^
prit des habitans. A l'arrivée de ce VaiiTeau,
Monfieur de la Place eut ordre du Roy de fc
retirer en France* Monfieur d'Ogeron luy
iücceda en qualité de Gouverneur pour le
Roy, 8c pour Meifieurs de la Compagnie. Oa
baftit un magazin,dans lequel on déchargea
toutes fortes de marchandiies necefiaires
pour les habitans, que ce Vaifieau avoit ap­
portées.
C H A-
44 H I S T O I R E

C h a p i t r e V.
l a Compagnie Occidentale^qui avait pris pojfejfîon
,
de cette Ijle, l*abandonne & donne permijfton
aux Marchands d*y négocier. Etat du Couver»
;I nement de Monjteur d'Ogeron fur cette Ijle juf»
queskpreJenU
Onfieur d’Ogeron eftant en poiTeiTion
de ce Gouvernemenr J fon^ea plus à
l’accroiiTemenc de la Colonie , que tousles
autres n*avoient fait. 11 avoit un navire a
luy, dans lequel il eftoit venu» par Ton ordre»
Maniéré beaucoup de monde de France; il faifoit va.-«
degoii- loir les marchandilès des habitans, qu’il leur
wrner de donnoit à Crédit, afin de les obliger à refter,
geron^" & à oublier les commoditez de la France »
trouvant là tout ce qu'ils fouhaitoient. Il ne
laiiTa pas de maintenir les CoiTaires , les A*»
vanturiers 8c les Boucanier^, 8c tâchoit de les
attirer. En ce temps-là il y avoit guerre entre
les Efpagnols 8c les Portuguaisije leur faiibic
donner des CommiiTiore Portuguaifes, pour
piller furies Efpagnols,8c ils amenoientleurs
prifes à la Tortue. Il a fait habiter prefque
toute la bande du Nord del’lile Efpagnole ,
dequisle port Margot, oîi il y avoit une ha­
bitation, jufques aux trois Rivieres»qui font
vis-à-vis la pointe du Ponant de la Tortue*
Les habitations du cul de fac de cette lile
ont efté preique toutes faites pendant qu’il
a gouverné; ce q u ia attiré beaucoup de
monde des Ifles AntiIles»Sc de France, Tous
ies Qj.iarciers eftoienc fournis d*OiÎiciers,que
Mon-
DE S A V A N T U R I E R S .
IMonfieur O^eron prenoic parmy les habitans
i|:mefmes,aiin de garder une bonne difcipline,
de faire mieux executer fes ordres. Par ce
»moyen il empefchoit les troubles , il accom-
im odoit les différends , iî bien que chacun
il vivoit content. Et afin d'engager de plus en
il plus les habitans d’y demeurer, il fit venir de
fl France grand nombre de femmes, maria la
fi plurparf de ces habitans , qiTi donnèrent en-
^ vie aux Boucaniers 6c aux Avanturiers de
i: faire de mefme.
1 - MeiTieurs de la Compagnie ne voyant en
I deux anne'es qu’ils avoient efté poiTeffeurs
i de la Tortue,que fort peu ou point de retour
6 des marchandifes qu'ils y avoient envoyées,
1 reiblurent d’y faire payer ce qu’on leur de-
voit,8c d’y laiiTer aller les Marchands traiter
y avec liberté. Ils envoyèrent, comme j’ay dé-
{ ia dit, cet ordre dans le navire nommé le S,
r Jean, en l’année i6 6 6 . Monfieur d’Ogeron
1 fe fervit de cette occafion pour y faire venir
: des navires Marchands, où il éfioit intereiTé,
] qui apportoienc aiTez de marchandifes, & en
t remportoient d’autres qui fe faifoientlâ ,
h comme le Tabac 6c les Cuirs. L’année fui-
' vante il fut luy mefme en France , laiiTanc
Monfieur de Poincy fon neveu pour gouver-
V ner en fa place.
Eftant arrive en France , il fit connoiifre poarquoy
[| ré ta t de cette Colonie à quelques particu- m . d*o-
il liers , 6c les pria de luy faire renouveller fa
k Commiflîon , 6c de s’aiTocier avec luy , 6c enfunce,
qu’il les feroit participer aux grands profits
que l’on pouvoir tirer de ce pais. Ces parti­
culiers s’aiTocierenc avec. Monfieur d’Oge­
ron ,
4^ H 1 S T O I H Ë
ron, à condition qu'ils envoyeroicnt tons les
iins douze navires qu’il feroit charger là ,
qu'il fourniront les habitans d’efclaves, &
qu’îî dérmiroic les Chiens fauva^ics quiibnC
iiir l’Ifle Efpagnole , afin qu'elle puft iè re­
peupler des belles que ces animaux détrui*
îènt.
L’année d*aprés, Moniieur d'Oi^eron re­
tourna à la Tortue,où il fie %nifîer ÎaCom-
miiTion aux habitans, qui le receurent fore
bien. Il leur promit qu’ils ne manqueroient
de rien,qu'ils pourroient envoyer leurs mar-
chandifes pour leur compte , fans eilreobli-
5^ez de prendre celles de la nouvelle Coin­
ce qinar- î-cs Marchands étrangers & François
riva aure. n ’oibient venir auparavant négocier à la
M Tortue, ny à la cofte de S. Domingue : Il n’y
roi) à la des Bâtimens de cette Compa-
Toituc. qui eiloient fipetits, que les habitans
ne pouvoient y embarquer leurs marchandi-
iès que par faveur; Sc on préferoit les prin-
cipaux,a qui on donnoit des billets adreflans
aux Capitaines des vailTeaux j fi bien que la
tnarchandife des autres fe pourriiToit avant
qu’ils la puifent embarquer. On leur défen-
doic expreiTément de traiter avec les Etran­
gers,tel s qu’ils fuiTent. Peu de temps après
que Moniieur d’Ogeron eut fait ces défen-
fes, deux vaiffeaux Zclandois arrivèrent à la
cofte de S. Domingue. Aiiiïi-toft que les lia-
bitans eurent veu leurs pavillons,ils s’embar­
quèrent dans leurs Canots , & furent à bord
de ces Flamans, qui les receurent fort bien ,
& leur donnèrent du vin & de l’eau de v ie ,
& tout ce qu’ils voulurent. Ceux qui furent
des
DES A V A N T ü R I E R S . 47
âe premiers à b o rd , les prièrent de vouloir
refter à la cofte , & leur dirent que les habi-
lans feroient bien aifes de traiter avec eux ,
Sc qu^il y avoit aiTcz de Tabac fait pour
' s charger. Ces gens qui ne cherchoient
point d’autre occafion , & voyant qu il n*y
avoit aucun F o rt, &; que ce pais ne dépen­
dant point du Roy de France , ils ne pour-
roient courir aucun rifque, fe determinerent
à le faire.
Monfieur d’Ogeron en eftant averty , re-
nouvellala défenfeaux habitans de négocier
' avec les Etrangers • mais voyant leur avan­
tage,ris mépriferent iès dcTenfeSjdifant qu'ils
' ciioient fur une terre neutre, qu’ils n’appar-
tenoient à aucuns intcreÎTez du Roy deFraii-
ce , & que par confequcnt on ne pourroit
)as les aiiujetririfi bien qu’ils traitèrent avec Les zç.
Î es Zelandois , qui leur donnèrent les^mar- ^a^^ois
chandifes un tiers à meilleur marché que négocier.
viennent

Monfieur d’Ogeron. Ils embarquèrent auiïi


n des marchandiiès pour leur compte,6c firent
promettre aux Zelandois qu’ils reviendroient
Tannée fuivante.
Peu de temps après que les Zelandois fu­
rent partis, Monfieur d'Ogeron arriva en ce
lieu avec deux Baftimens qui eftoient venus
de France chargez de marchandiiès pour ces
gens. Ils fc liguèrent tous enfemble, 6c refo-
îurent de ne point recevoir Monfieur d’Oge­
ron , 6c tirèrent quelques coups de Fufil fur
fes Chaloupes qui vouloientdelcendre à ter- tcîFrani
re; fi bien qu'il fut contraint de fe réfugiera çoisieroj
la Tormë , craignant un plus grand mal. Si bellem*
toft qu’il y fut amvé^il dépefcha un vaiiTeau
pour

1...
rrrr

48 H I S T O I R E
pour la France, & un autre pour les Ifles des
Antilles,afin d’avoir dufecours pour réduire
ces rebelles , lefquels fe voyant preiTez, al­
lèrent par toute la cofte où il y avoit des
François, leur faire prendre les arm es, 8c
menacer ceux qui refufoient de le faire , de
les inairacrer,ou de brûler leurs habitations.
Ils furent mefme dans le deiTein de iè faifir
de la Tortue , & d*en chaiTer Monfieur d*0 -
geron, difant que quand ils feroient les maî­
tres, ils auroient aiTez de fecours des Hollan-
dois, qui ne demandoient pas mieux que de
traiter avec eux. Quelques mois s’ccoulerent,
après lefquels Monfieur d*Ogeron reçut du
fecours de la part de Monfieur le Chevalier
de Sourdis, qui pour lors eftoit dans les Ifles
avec quelques navires de guerre, qui mi­
rent du monde à terre. D*at>ord ils firent ar-
refter deux ou trois de ces m utins, dont on
en pendit un .* Ton traita avec les autres, 5c
Soâ mif. Monfieur d’Ogeron leur promit qufilneles
iion des laiiTeroit plus manquer de navires ny de mar-
Rebdles. chandifes.
Les Zelandois qui eftoient fur le point dq
revenir,furent avertis de ce qui s'eftoit paiTè >
& craignant qu’on ne leur joiiaft un mau­
vais tour,n’oferent y aborder. Quelque temps
après Monfieur d’Ogeron voyant que fesdel-
feins ne reiifiiiToient pas , permis à tous les
Marchands'François d’y trafiquer en payant
cinq pour cent de foi tie & d’entrée. Il y en
, va aujourd’huy un fi grand nombre qu’ils
iè nuifenc les uns aux autres, en force qu’il
€’en trouve peu qui ne retournent avec per­
te. Je ne dis pas qu’il P’y ait du profit a faire,
^ ‘ mais
DESAVANTURIHRS. 4 ^
mais celii eft difficile fans la communication
des Etrangers.
Cette diigrace n*a pas empefche que Mon- Plufieurs
fieur d*02;eron n’aic beaucoup augmente
Cette Colonie 5 il y a fait venir quantité de g„g &
familles de Bretagne 6c d’Anjou,qui prefen- d’Anjou
tement y font bien établies, ÔC y vivent
iiblement. Les Avanturiers 6c les Bouca-
niers n*y font plus en iî grand nombre»parce '
qu'il n’y a plus de chafîe, toutes les beftes à
corne eftant détruites par les deux Nations :
caries Efpagnols voyant qu’ils ne pouvoient
cmpefcher les François,qui détruifoient pres­
que toutes ces beftes, en firent de mefme ,
croyant que quand il n'y auroit plus rien, les
François feroient contraints de ie retirer*
■Mais au contraire ne trouvant plus le moyen
de chaiTer,ils ont fait des habitations, 6c fe
font rendus auifi puiiTans que les Efpagnols ,
excepté qu’ils n’ont pas des Villes ny des
FortcreiTes,
Depuis ce petit trouble, Moniieur d’Oge-
ron a gouverné ces gens-là aiTez tranquiile-
mcnt,6c eftant venu en France il y eft mort.
Monfieurde Poincy Ibn neveu,dont j*ay déjà
parlé, luy a fuccedé. Tous les habkansfont
très fatisfaits de luy , 6c vivent aujourd’huy
fort contens fous fon gouvernemenu

Tome J,
h i s t o i r e

C h a p i t r e VI .
Xfefcriptîon generale de Hfle Efpagnole appellee S,
Domingîie : le nombre des Villes , des Fort, des
Rivieres é* des Ijles qui font autour^
*Ifle Efpagnole eft iituee en fa lons^uenr
L du Levant au Ponant depuis le dix-fcp-
ticme degré trente minutes de latitude Sep­
tentrionale. Elle peut avoir trois cens lieues
!i de circuit, cent cinquante de long , 6c cin­
quante â ibixante de large. Chacun feait
aiTez qu^en l'année 14^2. Dom Fernando
D ’cou­ Roy d’Efpagne envoya Chriftophe Colomb
verte de aux Indes de l*Amérique , lequel découvrit
C . C o- cette Ifle, 6c la nomma Hifpagnuola, dont elle
la.nb.
a depuis retenu le nom.
Le terroir en eft admirable , ce qui fe voit
par la quantité des grandes Forefts de toutes
fortes de beaux arbres, tant fruitiers qu*au-
tre s, qui y font fi prés l’un de Pautre , qu'à
peine on y peucpaiTer ; outre qu’eftant cul­
tivé , il produit en abondance toutes lortes
de fruits pour la fubfiftance des habitans.
Cette nie eft remplie de tres-belles prai­
ries , que les Efpagnols nomment Savanas ,
arroufées d^un grand nombre de tres-belles
6c grandes rivieres,dont quelques unes font
capables de porter batteau. On y trouve plu-
Mines qui fieurs mines d’or , d’argent 6c de fer. 11 y a
ie trou­ fort peu de temps qu’un Efpagnol foüiiTant
vent dans enterre , rencontra quantité de v if argent.
MileEf-
pagnole. Ne fçaehant ce que c’eftoit,ille voulut pren­
Stirpriie dre pour le faire voir; mais n’ayant pas de
d ’nn El. vaiifeau propre à mettre ce furet fubtil, qui
pagno) palfe
D E S A V A N T U R I E R S . <t
pnfiTe par les pores les pins petits , il en mit/îuidé-
qnelqne peu dans fa poche, Sc quand il fut à
la Ville il ne put rien m ontrer, ayant perdu
ion metal. Ce mefme F,fpa^nol me l’a dit, ^
Pour de l’or qui croift là , jYn ay vu- 5c il y
aune monta2;ne proche une Ville nommée
S. Jaç^o Cavallero , vers l’Orient de cette
Ifle, où quand il a bien plu,les eaux deicen-
dent en abondance dans les Rivieres , & y
apportent de petits morceaux d’or , que les
Efclavesvont chercher quelque temps après.'
Gn en trouve qui pezenc juiqües à un demy-
ecu d’or. ' •’
Les Eipao^nols , comme j’ay déjà d it, ont
efté les premiers Chreiliens qui ont décou­
vert & habité cette lile , après avoir exter­
miné plufieurs Nations d’îndiens qui y de-
m'eiiroient^ ce qui fe voit dans l’hiftoire de
i’iifurpation des Eipagnols', éaite par un Ef-
pagnol même. On y trouve encore aujour-
d’huy des cavernes voûtées ibus des rochers,
qui font toutes remplies des oiremens de ces
Indiens maiTacr'e?. Cela fait connoiftre
qu*ils ont exercé de grandes cruaurez dans
CCS pais , & qu’ils n’en font pas demeurez
inaiftres fans beaucoup de peinès.
En effet, quelques Autheurs dignes de foy
rapportent que les anciens habitant de ces
lieux eftoient des hommes auiîi fouvagesque
barbares, qu’ils vivoient brutalement, allant
tour nuds,fe nourriifant de racines,dormant
par les montagnes, bu vderricre les btiiiTons.
Les femmes me fines luivoient leurs 'maris à
la chaiTe, & laiiToient leurs enfans fuipendus
aux branches d*un arbre dans un petit panier
“ Ci de .
h i s t o i r e
de ionc,lefquds fe paiToient d*eftre nllaîdez.
iiirqu’au retour de leur mere. Ces peuples ne
connoiifoicnt ni Dieu, ni Supérieur, ni Loy,
ni Coiitnmcî ainfi il eftoit difficile de les ré­
duire par adreiTe , encore plus par la force ?
combattre avec eux,eiloit proprement chaf- 1
ièr aux belles fauvages , qui fe cachent aux
lieux les plus inaccèifibles. Ces c;ens ayant
une fois perdu la crainte des chevaux & des
fuzils , qui d'abord les avoient fort étonnez
en les renverfant ^ & s'apercevant que les
Eipagnols tomboient auffi-bien que les au­
■i;i'i1ij tres hommes d’un coup de pierre ou de flè­ .
che, ils fe hazardoient, & penetroient dans
leurs armes : jufques là que l'un des Indiens
dont je parle , ie trouvant un jour preiTé
dans un lieu étro it, voyant un de fes com­
pagnons tué à fon collé,6c la pique d*un Ef-
pagnol prcile à luy donner dans le ventre ,
Îrtri^pîdî- fansheflter il s'enferra luy-mefme, 6c à tra-
tf dis in- cette pique qu’il avoir dans le corps »
courut furieux à fon ennemy ^ qu’il fendit
d’un coup de fabre , qu*il luy arracha lors
qu’il y penfoit le moinsj en forte qu'ils tom­
bèrent tous deux baignez dans leur fang en
rncfltie temps 6c en mefmc place.
Par là on peut juger du .relie, 6c de la dif*
ficnlté qu’il y a eu à les vaincre , 6c fur tout
â les conveitii à la Foy ; parce qu’il leur fa-
loic apprendre à eilre hommes avant que de
leur apprendre à eilre Chrelliens , 6c fans
doute que l’un eiloit aufii difficile que rnu--
' tre. c \ i l pourquoy les Eipagnols les ont
dctriiics autant qu’ils ont pu *. 6c après cette
dcftruâion ils ie font établis dans l'ifle , 6c,
Font
DES A V A N T U R I E R S . Vî
Tone auiîl peuplée de beaucoup de fortes
d*animaiix à quatre pieds, qui n*y eidoient
point auparavant,comme Boeufs, Chevaux,
San?;liers ; 5c pais ils y ont bâti des Villes ,
des Boutins , & de tres-belles habitations ,
dont on ne voit plus aujourd'huy que les
veidiges ; parce que les Hollandois en ont
détruit la plus q;raude partie : Et comme les
Efpaççnols faifoient tous les jours de nou­
velles découvertes dans cette partie des In­
des, plufîeurs ont quitté cette lile pour aller
en terre ferm e, où ils ont bâti des Villes
auiTi belles 5c auiTi grandes qu’il y en ait en
Efpagne.
Les François y cidant venus, s*y font telle­
ment accrus, qu’aujourd'huy ils font plus en
état d’en chaffer les Efpagnols,que les Efpa-
gnols d’en chaffer les François. Ils ont plus
de la moitié de cette lile , qui contient un
fonds de terre le meilleur du monde , mais
elle n’eid défendue d’aucune Fortereffe.
La Ville Capitale de cette lile fê nomme
S. Domingue. Colomb y eldant defeendu un PoiM-qnoy
jour de Dimanche,8c trouvant la place corn- l’ifle Ff-
mode , y fit bâtir cette Ville , qu’il nomma
Santo Domingo y qui veut dire Dimanche. Elle lée sfoo^
eft toute entourée de murailles , 5c il y a un mingue^ ’
Fort qui deffend l’embouchure de la riviere,
fur le bord de laquelle elle eit bâtie. Elle efi:
ornée tout au tour de beaux jardinages 5c
de riches habitations. A l’égard de la police,
elle eft gouvernée par un homme qui eft Ca­
pitaine General de toute l’Iile.
Pour ce qui dépend des Efpagnols-, il y a
Prefidial, grande Audience, 6c Chancellerie
C3 Royalci
y4 h i s t o i r e
Ffat Fc- Royale; 8c quant à IT.tar Ecdefiaftiqne , il y
cleHafti- a un Archevefque quipoiTedepluGeursEyel-
que de chez 8c Abbayes SuiFra^ans , comme )e le
rifle Ef.
^agnole. feray voir plus particulièrement au Traite
des Etats du Roy d*Efpa^ne dans les Indes
de l’Amerique. Il y a auiTi une üniverfité ,
plufieurs Convents de Religieux de divers
Ordres, comme Cordeliers, Jacobins 8c Au-
guftins.
Le port de cette Ville eft fort beau , 8C
peut contenir des Flotes confiderables, fans
eftre endommagées que du vent du Zud^.
C ’eft icy le fcul portde toute cette lile , ou
les Efpagnols négocient : il y en a beaucoup
d*autres\ mais ils n'en font pas les maiftres ,
8c ils n*oferoicnt y encrer,à caufe des Avan-
turiers. Cette Ville fournit les places que les
Espagnols ont dans cette lfle,de routes for­
tes de marchandiies , 8c des chofes neceffai-
res â la vie; 8c les habitans des autres Villes
y apportent leurs marchandiies , afin de les
vendre fur le lieu,ou deles embarquer pour
eftre tranfportées en Eipagne ou ailleurs.
A vingt lieues de cette Ville de Santo Do­
mingo,vers rOrient de ITfle , il y a encore
une petite Ville nommée S, lago Cavallera,
Cette Ville eft champeftre, 8c n*eft aucune­
ment fortifiée. Ses habitans font quelques
Commer
Marchands» 8c le refte tous Chaifeurs. Ils ne
ce des font autre commerce que de cuirs de Bœuf,
3‘üiica- 8c de Suif, qu’ils portent vendre à S. Do-
lucis. mingue. On voit plufieurs prairies autour de
cette Ville,oîi il y a quantité debeftail. Vers
fon Midy , au bord de la mer , on trouve un
gros Bourg nommé le C otui, qui eft rempli
de

:I
DESAVANTURÎERS. u
de maifbns, &d*habitans qui ne font autre
chofe que de planter du Tabac & du Cacao,
de quoy on fait le Chocolat. Ces habitans
navi^ent de là à une petite lile nommée
Sarna , qui n*en eii: éloignée que de cinq à
fix lieues. Cette lile eft couverte d’arbres ,
& toute deferte. Le terrain en eft p la t, ia-
blonneux , & ne produit point d’autre bois
que du Gayac. Il n’y a point d’eauj& quand
les Efpagnols y vont, ils font obligez de faire
des puits pour en avoir. Ils Tavoient autre­
fois peuplée de beftes à cornes : mais les A-
vantnriers y eftant venus , les ont entière- DeHmc«
inent détruites. C*eft ce qui fait que les Ef-
pagnols fo n t abandonnée , ôc n'y viennent lès Avan!
qu*en paiîant pour y pefcher. timers.
Du cofté du Ponant de £. Domingo , au
Midy de ITfle,s'ouvre une grande baye nom­
mée la baye d'Ocoa, qui peut contenir quan­
tité de vaiiTeaux. Sur cette baye eft iitué un
gros Bourg qu’on nomme le Bourg d'AJfo»
Ceux qui y demeurent ne font point d'autre
trafic que de Cuirs & de Tabac. L’on y voit
plufieurs Hattos, qui fignifie en Efpagnol une Hattos
maifon de campagne, où fe retirent les ChaT ce que
feurs , & où l’on nourrie quantité de beftes '}
privées. Ces Hattos appartiennent à des Sei­
gneurs, qui y laiifent leurs Efclaves pour les
garder. Proche ce Bourg d’AiTo il y en a un
autre nommé S, lean de Goave^ lequel eft bâti
au bord d’une grande prairie , que les Efpa-
gnols nomment La Savana grande de S, luan ,
& les François, le Grand Fonds. Ces deux Na­
tions fe font fouvent efcarmouchées dans
cette grande prairie, comme je le feray voir
C an
H 1ST O I KE
au Chapitre cle la vie des Boucaniers. I s
Bourse de S, Jean de Goave n’ett habite que
de Mulatos,qui fignifient gens delang melle.
Il faut expliquer ce que c^eft que Mulatos, CC
de combien il y en a de ibrtes.
Lors qu*un homme blanc le mele avec une
femme noire, les enfans qui en proviennent
font dcmy noirs,& font nomtx)CZ Mulatos par
les Efpagnols, & par les François Mulâtres.
Quand un homme blanc fe mele avec une ;
Ce que fi- femme Mulâtre , les enfans qui en provien- ,
pniiîe
Mulâtres nent font nommez J^ arterom es par k s t î -
ic Quar- pagnols,8c par les François Mutâtes, us ont !
tcrones. le fond des yeux jaune , font hideux a voir >
de mauvaife humeur ,traiftres, & capables
des plus grands crimes. L*on void aujour-
d*huy plufieurs endroits dans 1*Amérique,oui
ne font peuplez que de ces gens-la , que les
Efpagnols 6c les Portugais ont produits, par­
ce qu’ils font fort adonnez aux femmes noi­
res Indiennes. Ce n’eft pas que les François
6c les autres peuples n'y ioient auni adon­
nez; mais on n*en voit pas tant de leur efpe-
ce , â cauie qu*iîs n’y font pas en u grand
nombre. , _ , . ,
Le Bourg de S. Jean de Goave n eftdonc
peuplé que de ces gens qui ibntla plufparc
efeiaves des Marchands de S. Domingue.
Voilà tout ce qui appartient aux Efpagiiols
dans cette !fle. Il ne refte plus qu a décrire
ce que les François y poifedent.
Les François tiennent fous leur domina­
tion depuis'le Cap de Lohos, ou le Cap de la
Païspoi^e-
dc par les Beatta, qui eft aufli au Midy de cette lile y^ts
François, le Ponant, jufqu*au Cap de Samuna , qui cfr
au
DES AVANTURIERS, fr
au Nord de ladite lile, vers le Levant. Il ell
vray que ces lieux ne font pas peuplez par
toutjparce que le pais dont je viens de par­
ler, pourroit contenir dans fon étendue au­
tant de monde que les deux principales Pro­
vinces de France.
Les endroits que les François habitent le
plus,font ceuX'Cy, depuis le Cap de Lobos, Endroits
quieft au Midy de T lû e , jufqu’au Cap de habitez
Tibron,qui eftla pointe du Ponant de cette fj^ncois
lile. On n’y voit que des ChaiTeurs. Il y a '
eu autrefois quelques habitansjmais comme
aucuns navires Marchands ne vouloient fe
donner la peine d’aller charger chez eux , à
caufe que ce lieu eftoit trop éloigné , ils ont
quitté leurs habitations,quoy qu’elles fulTenc
aifez belles.
Depuis le Chap de Lohos jufqu’au Cap de
Tibron, il y a de fort beaux havres, dont le
tonds cft de bonne tenue, & où l’on met fa­
cilement des Flores à l’abri de tous les vents,
où enfin Ton ne peut rien fouhairer pour la ,r
ieurcté desvaiÎTeaux,queIa nature n’ait fait-
outre que tous ces ports font embellis de
grandes Rivieres poiííbnneníès. Les noms de
ces ports (ont laquemel, où les Efpagnols ont
eu autre-fois un Fort ; laquîn ^ Abbaye S,
Georges^ l'Abbaye aux Haments, le Port Congon^
qui eft entouré deplufieurs Ifles, entre lef-
quelles il y en aune nommée par les Efpa-
^ndis'ïbaca^ 8c parles François, IJleà Vache,
Cette Ifle eft fituée le long de la grande lile»
elle peut avoir trois à quatre lieues de long ,
& huit de circuit. Le terroir en eft fort bon,
confifte en beaucoup de prairies. Les Ef-
C % gnols
8 H I S T O I R E;
paffnols y ont mis des Bœufs & des Vaclies,
que les Boucaniers ont détruites. La terre
eft baiTeen divers endroits, 8c il s*y trouve .
quelques marécages pleins de Crocodiles
qu’on noîTime en ce pais Cayamiim , qui ont
auiii détruit une partie de ces animaux, je i
paileray de la fubtilité -de ces Crocodiles
danslechapitredes Reptiles.
On ne peut pas bien demeurermir cette 1
P'l-I liÎe, à cauie de la quantité de certains petits 4K
Moucherons qui font fort incommod^^com^
inc on le verra au chapitre des infectes. La
2;rande Ifle contient de fort belles plaines
vis à-vis , qui ibnt arroufeesde grandes ri­
vieres : fi bien qu’on y pourroit faire de tres-
belles Sucreries à fort peu defrais.veu qu’on
a déjà Texperience que le Sucre que
pagnols ont autrefois fait au rnefme colte^de'
í! cette lile, eftoittresbon. De là julqifau Cap yi
de Tibron, il n’y a point de ports,mais une
cofte agréable 8c fort unie, d’ou fortent plu-
iieiirs Rivieres. i j '
Le Cap Tibron contient une grande Rade,
dont le fonds eft bon, 8c qui ne manque pas
de Rivieres tres-belles , 8c fort abondantes . 1
^ ' en ix)iiion. Les Ayanturiers , tant Anglois
les AvTn- que François,viennent là fouvent pourpren-
riers a- dre
iuriers are de
ue l’eau
i eau 8c
ex du
uu bois. Vers ce Cap il s ele^
v vio w
bordent, yg haute montagne , de deÎTus laquelle
on découvre celle de Santa Martha , qui eft
en terré ferme, éloignée de cent vingt lieues
de cellc-cy : 8c l’on void encore les liles de
Caha,d>C Jam aica. De. l’autre cofté de ce
Cap, qui eft le Septentrion delTfte,oiimontc
vcrsfOrienc environ vingt lieues ;l’on trou­
ve
DES A V A N T U R I E R S .
ve le Cap ’Dona Maria , enrichi d’un beau
port,de s^randes Rivieres, ôc de vaftes Plai­
nes que l'on peut cultiver. De la iiiivant la
meiiïie route,l'on trouve \^igrande A m e , qui
eft un lieu fort agréable habité par les Pran-
çois, dont les maifons font fituées fur le bord
d'une tres-belle Riviere. Fort prés delà,vers
l'Orient , paroiiTent plufieurs petites liles
nommées Cayemettes : les Efpagnols les one
ainiî appellées, pa^jj^e qu’elles reifemblent à
un fruit qui porte ce nom. Les habitans vont
à ces liles.poury pefeher des Tortues , qui
fervent â leur nourriture. De ces liles allant
le long *de la c o ile , on trouve encore deux
quartiers où les François habitent , qu’on Deierîp.'
nomme la Riviere de Nipes , & /tf Rochelois t à tionGeo-
caulè qu'un Rochelois en a efté le premier i'j
habitant. Delà on va aux trois plus célébrés
Contrées que les François ayent fur cette
I(le; qui font le petit Goave , 1e grand Goave^
6c Lean ganne. Ce mot eft dérivé du nom
Efpagnol Ligum a , qui iîgniiîc en François
Lezart,parce que cette Contrée a une pointe
de tei re fort baiTe, qui reiTemble fbrt bien à
un bec de Lezart. Ce furent les habitans de
ces lieux qui le révoltèrent contre M. d'O-
geron.
Au fortir de cet endroit on va au fond
d’une grande Baye , dont l’embouchure a
bien cinquante lieues de large. Devant cette
Baye il y une lile qui a plus de fept à huit
lieues de tour , qn'on nomme Gonave , qui
n’eft nullement habitée,8c qui ne mérité pas
de l’eftre. Du fonds de cette Baye , que les
François nomment Cul de Sac ^ on vient le
C6 long
60 h i s t o i r e
Ions; (îe lacofte , au Septentrion , jufqu'ati
Cap S. Nicoîas , formant une pointe qui a-
vance au Nord; où il y a un tres-beaii port,
qui pourroit contenir un p^rand nombre de
Viîiifeaux. En fuite on monte le long de la
cofte vers l*Orient, on y trouve le port de
Mouftîques, que les François occupent en­
core , avec les deux Ports de Paix y grand 3C
petit,baignez de trois R ivieres, qui fortenc
par trois"divers canauX ||^es Rivieres font
quelquefois Îî groifes , qiielles donnent de
Teau douce à deux lieues de leur embou­
chure en pleine mer. Delà , le long de la
i l ’]!; meirne cofte , on rencontre encore plufteiirs
lieux où les François iè font étendus , & ces
lieux iè nomment Porterie^ le Majfacre , ainiî
appelle, à caiife que les Efpagnols , par fur-
prife 5 y ont autrefois maiTacré quelques
François qui venoient de la T o rtu e, pour y
tuer des Sangliers. Du Meifacre on paiTe la
petite Riviere qui eftau port M argot, dont
j*ay déjà parlé.
Il y a encore pluiîeiirs autres endroits que
les François habirent,mais ils n’y font point
de commerce que celuy du Tabac; c’eft
pour cela que toutes leurs demeures font ii-
tuées fur le bord de la mer , ou du moins le
plus prés qu*ils en peuvent eftre , afin de
n*avoir pas tant de peine à porter leur tabac
pour Rembarquer, Ôc aufli a caufe qu'ils ont
befoin d’eau de la mer pour le tordre.
Salines de U V^ cette lile de tres-belles Salines,
l‘Àmet. qui fans eftre cultivées, donnent du fel aufli
T-i«* blanc que la neige, & eftant cultivées en
poûrroienc fournir davantage que toutes les
Salines
D E S A V A N T U R I E R S. é i
Salines de France,de Portugal & d*£fpagne.
Il fe rencontre de ces Salines an Midy , dans
la Baye d*Ocoa , dans le cul de lac à un lieu
nommé Coridon^ au Seprention de Pille vers
l’Orient J à Caracol, à Lim onadeM ontecrifio,
Il y en a encore en plnfieurs autres lieux , 8c
ce ne font icy que les principales. Outre ces
Salines marines,Pon trouve des mines de iel
dans les montagnes , qu*on appelle icy fel
Gemmé, qui eii aulTi beau & auiîi bon, que
le Tel marin. Je l’ay moy rnefme éprouvé, ôc
l’ay trouvé beaucoup naeillcur que le pre­
mier.
Voila ce me fembîe ce qui fe peut dire en
general de cette Ifle-il ne refteplus qu'à par­
ler de ce que la nature y fait croiftre fans
cultiver, pour lafubfiftance deshabitans du
pais.

C h a p i t r e VI I .
Des Arhres fruitiers les plus rares,

T 'A Y déjà remarqué que le fonds de terre


J de Pille de S. Domingue eftoit tres-bon ,
5c qu’il produilbit plus luy ièul, que tous les
autres de PAmerique eniemble : car les ar­
bres y croilTent avec plus de force & de vi­
gueur qu’en pas aucun autre lieu,Ôc les fruits
en font beaucoup meilleurs.
Parmy le grand nombre d’arbres Sc de
fruits qui viennent dans PAmerique , je ne
Veux parler que de quelques-uns des plus ra­
res : car fl jeparlois de tous,je pourrois eftre
ennuyeux. On
$% h i s t o i r e
On trouve dans cette Tile quantité d’O-
ramrers & de Citronniers que la nature y
produit d’elle-mefme. Les fruits n*en font pas
aiireables, comme ceux que l’on cultive en
Europe-, au contraire ils font fort aii^res, pe­
i< tits , & toutefois pleins de fuc , n’ayant pas
l’ccorce e'paiiTe. Ces citrons & ces orangers
font femblables â ceux que l’on void ordi­
nairement. Les Efpagnols & les Portugais
ont eu ibin venant dans cette lile d"v planter
des arbres fruitiers, 5c de la peupler d'ani­
maux qu’on n’y voyoit point.
Soins rfes Quand un Efpagnol fe trouve dans une
F.rpagno’s foreft: , 8c qif il y rencontre quelque arbre
& des Por­ fruitier , il a foin de planter la femence du
tugais ,
pour m ul­ fruit qu'il mange. C’eft pour ce fujet que les
tiplier les terres qu’ils ont habitées font plus remplies
aibies. de toutes fortes d’arbres fruitiers , que celles
que les autres Nations habitent. Auiîi voit-
on dansl'Iile Efpagnole de grandes plaines,
qui ne font couvertes que d’orangers , pro-
duiiant des oranges auffi douces que celles
qui viennent de Portugal, dont les l^ortugais
ont apporté l’efpece de la Chine en Europe.
î'^mar- Un vieil Efpagnol qui avoit une parfaite
9 tie d'un connoiiTance des proprietez del*Amérique >

: I
tlpagnol. m’a dit qn‘e dans une orange aigre , il avoit
remarqué un certain grain parmy les autres,
qui planté en terre produifoit un arbre por­
tant des oranges douces,ce qu’il avoit éprou­
vé plu fi eur s fois.
Les Bannaniers font certains arbriiTeaux,
qu’on pourroit plûtoft nommer plante,parce
quMls n'ont aucun bois folide,maisièulemenc
un tronc mol, plein de fuc, 5c que l’on peut
cou-

ü ;.ï :
IP

DES A V A N T U R I E R S . 63
Couper avec un couteau. Il croift jufqu’à
douze à quinze pieds de hauteur. Du milieu
de fa ti{>e fort une fleur de couleur de pour­
pre,de la groiTeurd’un artichaut. Le fruit qui
en provient peut nourrir l’homme en diveries
maniérés, tamoft il luy fert de pain ,-prepare
d*une certaine façon, tan toil: de vin, préparé
d'une autre,parce que l*on en tire un fuc qui
eft a U(Il fort que cette liqueur. On le fait
iècher comme les figues. Lors qu'il eft bien
meur en l’cxpofant au Soleil, apre's en avoir
ofté récorce;ilfe candit comme fi onl'avoic
parfemé de fucre. J*en ay gardé comme cela
qui fe font trouvez fort bons.
Les feüilles de cet arbre font douces eftant
ièchées, de forte que les habitans de ces lieux
en font des lits auiïi bons que nos lits de plu­
me. Quelques Auteurs ont dit que c’eftoitSurouoy
fur ces feüilles , que la Sainte Vierge mit re-
pofer le Sauveur du m onde, apres qu’il fut ^
né. Cela pourroit bien eftre, car j*ay veu de quand il
ces arbres dans la Paleftine, fut né.
Il n'y a pas long-temps que j’en ay veu un
dans le jardin de Medecine de TUniverfité de
Leyden en Hollande , mais il eftoit encore
fort jeune; & à ce fujec , je croy qu'il eft ne-
ceiTaire d’avertir le public que cet arbre eft
fo rt utile à la medecine : car fi on prend un
certain noyau qui fort de ce fruit avant qu’il
foit m eur, il eft admirable pour manger la
chair corrompue des ulcérés , 6c les guérit
inefme entièrement.
L*abricotier eft un arbre plus haut que les
plus grands chaînes de l'Europe,il a les feüil­
les iemblables au laurier fauvage, l’écorce
comme
^4 H I S TO IK E
comme celle du poirier, la chair de Ton fruit
reiTemble à celle de nos abricots , quoy que
la figure en foie fort differente, en ce que ils
font foit gros, couverts d’une peau dure 5c
‘i aifez épaiife , ils ont le gouft meilleur ^ l*o-
deur plus agréable que nos abricotsde noyau
n’eft point dur : les Efpagnols cultivent ces
arbres & font des confitures de leur fruit. Il
n’y a qu’un lieu dans ces Iflcs où ils*en ren­
contre, les Sangliers s’en nourriifentdans la
faifon i c’eft ce qui fait que leur viande eft
bien plus excellente que dans un autre.
Cet abricot eft parfaitement bon lorsqu'il
cft cuit avec de la chair du même Sanglier ,
& eftant mangé crû,11 efltres-dur à digérer;
8c il y a autant à manger â un feul de ces
fruits qu’aux plus gros de nos melons.
Le Papayer eft un arbre qui croifV de hau­
teur environ vingt â vingt-cinq pieds , qui
n’a qu’un tronc fans branches,8c au fommec
duquel il y a quinze ou vingt feuilles extra­
ordinairement larg^ , 8c dont la queiië eft
longue comme la moitié du bras ; deifus ces
feiiilles, font les fruits que l'on voit attachez
au tronc de l’arbre; il porte fruit continuelle­
ment, il y en a toujours en fleur,d'autres qui
ne font que nouer, d’autres â denw meurs,
8c d’autres meurs : Il y a de ces fruits qui
font gros comme des grenades , 8c environ
de cette figure, 8c d'autres beaucoup plus
gros.
Le Cacaoyer eft l’arbre qui produit la fe-
naence que les Eipagnols nomment C acao,
dequoy l'on fait le Chocolat ; cet arbre ref-
femble aifez au cerifier, 8c mefme ne vient
pas
d e s AVANTUKIERS. gf
Arbre qui
pas plus haut : ion fruit eft une certaine produit 1q
gouiTe qui croift en Ton tronc de la groÎTeur femence
d’un concombre, 5c t'^uc de meiÎTie , excepte du C ho­
qu’il commence & finit en pointe, le dedans colat,
de cette gouiTe eft épaiiTe d’un demy doi^c<,
forme un tiiTu de fibres blancs & fort iuccu«
lents, un peu acide , fort bon a etancher la
foif. Les fibres contiennent dans leur milieu
dix àdouze,8c jufqucs à quatorze grains de
couleur violette, qui (ont gros comme le
pouce , & fees comme un gland de^chefne.
Ce grain eft couvert d*une petite écorce t
eftant ouvert,il ne fe fepare pas feulement en
deux comme les amendes ou les noix , rnais
en cinq ou fix petites pieces qui font inéga­
lement jointes enfemblej au milieu defquelles
eft un petit pignon qui a le germe fort ten­
dre & difficile a conferver , c’eft de cette fe-
mence que les Eipagnols font la celebre
boiÎTon du Chocolat. Lors qu’ils eurent con­ Dequor
quis ce pais , les Indiens leur firent boire de les Eiba-
cette liqueur qu’ils trouvèrent fi bonne 8c fi tes^nols font
Chocos
utile pour la fanté qu’ils l’ont mife en ufage lat,
entr’eux , non lèulemcnt dans 1*Amérique ,
maisauflî en Europe , où elle eft aflez com­
mune,5c mefme aux autres Nations qui l’ha­
11 bitent, quoy que les Efpagnols fe foient toû-
jours refervezle fecret de la preparer,parce
qu’en quelque part que ce lbif,on ne içau-
roit boire de bon Chocolat,s’il ne vient d’Ef-
pagne,qui furpalTe en bonté le Thé des Chi-
noTs , le Caphé des Perfes ôc des Turcs. En
forte que cette boiÎTon nourrit tellement le
corps 8c le tient dans un fi grand embon­
point , que l’on en pourroit vivre fans avoir
peioin de prendre autre chofe. Si
€6 H I S T O I R E
Si les Efpagnols ont le fecret de preparer
cette boiiTon , ils ont pareillement celuy de
cultiver les arbres qui produifent la femence
dequoy elle fe fait : car de toutes les Nations
qui habitent dans rAmerique^il n*y a qu'eux
qui içavent cultiver cet arbre , & qui raiTent
commerce de fa femence \ par lequel quel­
ques-uns d*entr*eux fe Ibnt tellement enri­
chis,qu’ils tirent ordinairement plus de vingjc
mille ecus de rente par an,tous frais faits,d’un
feul jardin planté de ces arbres.
M*eftant trouvé parmy les Efpajçnols j'ay
eu la curiofité de fcavoir la maniéré de cul­
tiver ces arbres, & comment ils préparent la
femence pour en faire la boiiTon dont on a
parlé. J’en vais donner la defeription, que le
public a jufqu’à prelènt ignorée.

C h a p i t r e VIII.

Mitnîere de faire le Chocolat^ de cultiver labre


qui prodruit la graine dont on le fait,

Ors qu’ils veulent avoir de la iemence


L pour produire ces arbres. Ils laiiTent
parfaitement meurirSt fecherles gouifes qui
la contiennent ; après ils oilent la femence
de ces gouÎTes , qu’ils font foigneuièment fe-
cher à l’ombre , cela fait ils préparent un
quarreau de terre , qu’ils entourent & cou­
vrent de feliilles de Palmiftes, & y plantent
les grains de Cacao à quelque diftance Tun
de rautrCjils couvrent cesquarreaux de terre
durant le jour â caufe de l’ardeur du Soleil

•(
i'i »
D E S A V A N T UK 1 ER S. €7

Sc les de'coLivrent p e n k n t la n u it, afin que


la rofée humeAe la terre ; & en iifent ainiî
jufqu*à ce que cette femence ait produit de
petits arbres de la hauteur de deux pieds.
Pendant que cette pépinière croift , on pre­
pare un autre lieu pour y tranfplanter les ar­
bres J 8c ce lieu doit eftre au bord d’une ri­
viere dans un pais plat 8c aiTez humide. Il
5 faut fur tout que la terre en foit bonne 8c un
peu mellee de fable. Cette place ainfi pré­
parée 5 on y plante des rangées ^de Banna-
niers, dont nous avons déjà parlé,auifi p^fts
l’un de l’autre que Ton veut que les arbres
de Cacao le foient. Lors que ces Bannauiers
ont pris racine on plante au pied de chacun
d*euxun Cacaoyer, 8c cela afin que l’ardeur
du Soleil ne nuiTe point à ces-petits arbres ,
qui font trop délicats pour en pouvoir fouf-
frirT ardeur, 8c qui en font prefervez par
l’ombre que forme lesbannaniers.On les en­
tretient de cette forte,jufqu*à ce qu*ils ibienc
gros comme le bras, ce qui arrive en un an
&dem i ou deux ans de tem ps, apres on ar­
rache tous les bannaniers,8c on laiiTe les ca­
caoyers leul s lefquels rapportent du fruit or­
dinairement deux fois l'année , la premiere
au mois de Mars,1a ieconde au mois de Sep­
tembre. ^.
Il ne faut pas oublier qu’on eit toujours
r I obligé de les tenir humides , 8c empêcher
qu’il ne croiiTe des herbes à Tentour- 8c tou-
tetbis cela n’occupe point tant que deux ou
trois Efclaves ne foient capables d’entrete­
nir un jardin planté de cinq a fix mille pieds
de ces arbres.
La
H I S T O I R E
La récolté cin fruit qui vient cîe ces arbres
fe fait ainfi. Lors”que les gouiïes qui font
verres en croiiTant deviennent jaûnes en
tneuriÎTant,on les coupe 6c on les ouvre. On
en tire les grains qu*il faut prendre foin de
nettoyer des fibres fucculenres qui lesenve-
lopentjOn les met enfiiite fccher au Soleil fiir
de grandes tables , pour en tirer cette fe-
mence dont les Efpa^nols font un très grand
commerce,tant chez eux que chez les étran­
gers, mais particulièrement chez eux; je puis.
aiTurer comme une chofe vraye qu’ils'en né­
gocié tous les ans pour plus de dix millions .•
6c elle eft fi precieufe qu'il y a beaucoup
Chocolat d'endroits dans 1*Amérique où Ton s'en feit
m onnoye au lieu de monnoye, on en donne douze à
ordinaire
4 € s Indes.
quatorze grains pour une reale d'Efpagne.
Le Pais où l'on en fait plus de commerce^
ibnt lesliles de la Trirûté, du P érou, 6c au­
tres lieux. De là les Juifs la tranlportenc
dans tous les Royaumes, comme en France ,
en Angleterre, en Hollande , en Suede ,en
Dannemark 6c en Italie, où il s*en confom- J'i
me beaucoup. Cependant il arrive que
plus grande partie des Nations de l'Europe
l'achètent plu toil pour fa grande réputation,
que pour I'utilitc qu’ils en tircnt,parce qu’ils
y font ordinairement trompez.
Trom pe­ En effet, l’avarice 5c l’avidité de ceux qui
rie de vendent cette liqueur, eil telle , que pour
ceux qui
vendent
gagner beaucoup, ils donnent du laid: à
le Choco- boire, dans lequel ils meilent des chofes qui
ne font rien moins que le Chocolat ; 6c l’on
peut dire avec vérité , comme je l’ay déjà
remarqué cy-deiTus, qu*il n*y a q u c le sE ii.
pa-
DES AV AN T UR 1ER s.' if
çfpagnols qui le fcavent bien préparer. Or
} Ivoicy comme je I*ay veu faire par eux-mei^
( mes aux Indes de l’Amérique.

•1
C H A P I T R E IX .
I Maniéré de preparer le Chocolat^ é* d'en ufer,

I T Es Eipagnols prennent les grains du


I JL> Cacao , les font roftir dans une poêle
Ü percée , comme on fait les marrons en En-
'à rope; apres ils en oftent la petite peau qui eft
« deiTus , les mettent fur une pierre & les
broyent, jufques à ce qu*ils ibient réduits en
0 pail:e,à laquelle ils ajoutent deux fois autant
b de fucre, avec du poivre & de la Banille , du
nil Mufc^de EAmbre-gris. Après qif ils ont bien Compofî.^
fl méfié toutes ceschofes avec cette pafte, ils tien du
3 en font des Rouleaux,ou de petits painsqif ils Chocolat4
^ gardent; & quand ils s’en veulent fervir, ils
n râpent de ces rouleaux comme on fait de la ■r' ■
ij mufcadc; en fuite ils mettent de l’eau chauf- i I
fl fer dedans ces pots de cuivre ou d’argent
qu’ils ont exprès. Cela fait ils la veriènt dans
b des taiTes de Fayance, de Porcelaine , ou de
% Coco, qui ne fervent qu’a cet ufage. lis ont M aniéré
1 un petit morceau de bifcuit tout preft qu’ils d*en m er.
t trempent dedans. Voila de la maniéré qu'ils
i le préparent, & qu'ils en ufent.
Mais afin que le Ledteur n'ignore,& n’ait Proprîe»
t rien à defirer pour la parfaite preparation de tez d e là
ï\ cette liqueur : je diray encore ce que c’eft. Banilla,
> que la BanillajOui entre dans la compofition
t\ du Chocolat, & qui cit la principale chofe
qui
70 H I S T O I R E

lif' ! qui fert à luy donner du gouft & de k forced


^ La Baniîla eft une pente goufte qui croift
d’une plante aifez haute , qui a de petites
feiiilles. Ces gouffes font longues , étroites ,
êc remplies d’un (uc mielleux & de tres-bon^
11^. ne odeur, elles iont pleines d’une petite fe-
inence prefque imperceptible , & qui ne ferc
qu’au Chocolat. Sa propriété naturelle eft
d’échauffer & de fortifier l’eftomach, ce qui
augmente la vertu du Chocolat, qui eft plus
froid que chaud.
R em ede
A proprement dire , il eft anodin , parce
qui te ir- qu’il tempere toutes les grandes douleurs
j)ere les d’entrailles. Je me fuis une fois guery dTine
douleurs diifenterie affez vehemente avec les feuls
'd'eiiiiail-
ks. grains de Cacao mangez cruds : ce fut un
indien qui m’enfeigna ce remede. On entire
encore une huile qui eft auiTi douce, & qui
fe compofe tout de mefme que celle d’amen­
de. Cette huile eft merveilleufc pour la brû­
lure, Les Efpagnols s’en fervent pour cela,
8c fort efficacement.
L’Orme de cepais*là n’eftdiifemblable des
noftres, qu*en ce qu’il eft plus petit, qu’il a
w*
Effets de les feuilles beaucoup plus grandes , 8c cju’iL
îa lemen- raporre une femence bien differente ; elle
cc(ieror<' tombe de l’arbre quand elle eft feche , 8c eft>
int. faite coinme un petit morceau de liege aron-
dy. Lftant mafehée ,ellelai(fe un admirable
gouft dans la bouche. Qiiantité d*oyes lau-
':K vages viennent dans cette lile ; lors que la
graine tombe de l’Orme elles la mangent,. 8c ■
çn deviennent il groifes, qu’elles font obli­
gées de demeurer plus d’un mois après que
. cette graine Itur a manqué • à caufe qu’elles.
I -, I ne
DESAVANTURIERS. jx
ne peuvent voiler , tant elles font i^raÎTes &
pefantes* J*en ay plufieurs fois aÎTommé à
coups de bailon qui ne pouvoient marcher ^
encore moins s’élever de terre.
Le Palmifte franc eft un arbre d'e 150.
l’pieds de hauts ou environ , les queues de iès
feuilles font d’une fubftance maniable , cou­
verte d^une peau blanche comme neige ,
mince comme du papier & douce comme de
la ibye , fur laquelle on peut auiTi bien &
mieux écrire que fur l’écorce du Tillier^donc
les Anciens lè fervoicnt avant Tinvention
du papier & du parchemin* Les Boucaniers invention
autrefois n ’ayant ny papier , ny ancre, ny d«an-
(plume , faifoient des plumes de certains pe-
tirs rofeaux , comme font les Turcs encore
aiijourd’huy 6c fe fervoient du fuc^de Geni-
pas au lieu d’ancre,écrivoient fur cette petite
peau qui leur iervoit de papier , 6c par ce
moyen s*envoyoient des lettres les uns aux
i| autres, 6c entretenoient corefpondance.
il Le Palmifte épiné eft ainfî nommé,à cauie
(| que depuis le pied jufqifauibmmet il eftgar-
ny d’épines , qui font longues de quatre
S doigts, de figure platte , extrêmement fubti-
k les, dures 6c pénétrantes. On les voit autour
I de cet arbre par cordons, à quelque diftance
fie s uns des autres. Il y a de certains Indiens jji poimî-'
I de la terre ferme de f Amérique Méridionale île epiné,
nommez Aruargues, qui fc fervent de ces l*
épines pour tourmenter leurs ennemis quand
iis les ont faits prifonnier de guerre. Voicyla
maniéré ; Ils attachent le prifonnier à un ar­
bre,6c le lardent de ces épines fi prés à prés,
qu ’on ne peut mettre un pouce entre deux.
Ces
7» h i s t o i r e
Ces epines ont un grand bout dehors , eri*<
vironné de cotton trempé d’huile de Palme,
étant ainfi accommodées ils y mettent le
feu,6c malgré ce tourment ,lc miferable qui
le ibuffre ne laiiTe pas de chanter encore.'
Un Eipagnol m’a raconté cette petite hiftoi-
r e , que j*ay bien voulu mettre icy à Tocca-
Con des Palmiftes : 8c iur ce que je luy de-
mandois pourquoi ceux qui ibuifroienc ce
tourment chantoient , il ne m’en pût rendre
d’autre raiion que ^experience ^ peut-eftre
auiTi, ajoûtoit-il, que ces Barbares croyenc
que ces mal-heureux chantent, lors qu’ils ie
plaignent fortement; mais il le trompoit,car
j ’ay fceu depuis, 8c c'eft une vérité conftan-
te, que la coutume de ces fortes dTndiens ,
lors qu’ils ont fait quelques prifonniers de
guerre, qu’ils les font mourir par les plus
cruels tourmens , eft de les contraindre de
chanter,8c voila fans doute pourquoy le mi­
ferable dont je parle chantoit. J ’ay nommé
ces arbres Palmiftes, à caufe que les habi-
tans les nomment ainii,quoy que l’on doive
dire Palmiers.
L’Acajou eft un arbre qui croift extre-
mément haut 8c gros , les François l’appel­
lent ainfi, du nom que les Sauvages luy don­
nent , 8c les Efpagnols Cedro. j ’en ay veu
Tables de deux tables chez les RR. PP. Chartreux de
Cedre Xcres eu Andaloufie Province d’Efpagne.
qui eftoient chacune tout d’une piece , 8c
f«raor?U i'^oient quatre-vingt dix pouces de long, 8c
«aire. foixante Sc dix de large. Ces deux tables leur
ayoient efté apportées de Saint Domingue ,
qui eft la ville capitale de l’iûe donc nous
par-

Sïi,
DESAVANTÜRIERS. 7^
parlons. Ce bois eil beaucoup en iifage dans
l'Ameriquecon en fait de fort belles Iculpru-
res,c’eft â quoy il eft le plus propre;car outre
qu*il eft tres-beau de couleur, & de cres-
agreable odeur, il n’eft nullement caiTanr, dC
c*eft ce qui le fait eftimer le plus de ceux qui
le travaillent.
Le Mangle eft de trois eipeces differentes,
mais je ne parle que d’une feule, qui eft celle
qui croift dans les lieux que la mer inonde.
Ces arbres onc leur racine hors de terre, fort Effet des
élevée 8c quelquefois plus que de branches; racines du
fl bien que le tronc de farbre eft entre les
branches Sc les racines, ils font tellement
entrelaffez par leurs racines les uns dans les
autres , que l’on pourroit faire quelquefois
plus de dix lieues fur ces arbres , fins mettre
pied à terre. Il y a des Indiens dans certains
endroits de l’Ameriqne qui batiffenc des
maifons deiTus.On voit fouvent des branches
de ces arbres iî avancées dans la mer , qu’il
s’y amaiTe des rochers d’huitres 5 tellement
que cela donneroit lieu aux Voyageurs de
dire qu’ils ontveu croiftre , auill bien des
huitresaux arbres,que de certains ontaiTuré
avoirveudes Oyes provenir de quelques ar­
bres dans l’EcoiTe 8c dans l’Irlande.
Il y a une forte d’arbre que les Boucaniers Gomme
François nomment Gommier, 8c la gomme, ‘^ont 1«
qu’il jette, gomme de cochon , â caulè que
les Sangliers s’étant mordus les uns les au- S s b k u
tres, vont avec leurs crocs donner des chocs fnres,
à cet arbre, 8c le dépoüillent entièrement de
fon écorce : auifi-toft il jette une gomme
tout de mefmc que la vigne au printemps
Tome J . D rend
74 H I S T O I K E
rend del*eau, lors qu’on h coupe. Les'San­
gliers ie frottent contre cet arbre, aux en.-
droits où il jette fa gomme , afin d'en faire
entrer dans leurs playes, & fe gueriiTcnt par­
faitement. Elle eft auiTi admirable pour gué­
rir toute forte de playes; 6c les Sauvages s’en
fervent communément dans leurs plus gran­
des bleÎTufes.
Qualitez Le boisa enyvrer,eft ainfi nommé,à caulè
du 1ois à l’efFet qu’il produit, lors qu’eftant pris »
cnyvrer. fon-écorce bartue dans un fac , 6c mifo
dans de Teau dormante,enyvre tous les poif.
fons qui font en la place,où on l’a jettée, 6c
les fait v en ir, en forte qu’on les prend à la
main. Cet arbre croift environ haut comme i
I
le poirier , 6c a les feuilles prefque fembla-
bles à un treffe.
D’ouvient -Le Qilinquina qu*on nous apporte de LA-
le Quin.. merique » qui fait changer 6c mefme ceiTer
guina. pour quelque temps les fièvres , n'efi: antre
chofe que l’écorce de cet arbre. Les Efpa-
\'-i\ gnols l'apportent de S. Francifco de Quinto,
Province du Pérou,6c difent qu'elle ne croift
que lâ.
Le Copal eft un grand arbre , femblabic
au gommier, dont nous avons parlé. Quel­
ques Indiens idolâtres fe fervent de cette
gomme,pour brûler fur leurs Autels,comme
nous nous fervons de l’encens.
Le Manioc croift de la hauteur d’un hom­
me , fes feuilles font partagées en cinq bran­
ches fur une meime queue , comme les cinq
doigts de la main , 6c pas plus larges. Ces
branches s’écartent dés le pied de l'arbre. Il
deux ou trois racines groiTes comme
DES A V A N T ü î l I E R S ;
^ cuiiTe , & pezent bien ibuvent juibues à
loixance ou ibixante dix livres. C*eft de ces
racines que les Chreftiens & les Indiens font
du pain de cette maniéré.
Apres qu*ils o n t arrache' ces racines , ils
Adreflc
les grattent avec des râpes de cuivre ou de des In­
fer blanc, femblables à celles donc on fe ferc diens à
pour le fucre, mais grandes de deux pieds de prépaies
long^ & d’un pied dé large; quand il eft ainfi le Ma­
râpe,ils le mettent dans des facs de toile for­ nioc,
te & claire, de enfuite fôus une preiTe , afin
d'en tirer lefuc , qui eft un dangereux poi- '1
fon .• car fi un animal en boit, ou mano-e de
ces racines v ertes, il meurt aufii-coft. <fe fuc
eft fort corroiif, je l’ay reconnu, en lavant
de certains ulcérés, qui font devenus fort
beaux , & de facile gucriion. Le plus f^rand
remede contre ce venin,c’eft de faire a^valer Remede
de 1 huile ^aux perionnes , ou aux animaux contre le
lue veni­
qui en ont pris. Bien que ce foie un grand meux du
poifon,!] ne laiiTe pas d eftre utile, car quand M anioc,
on 1 expofe au Soleil dans des vaifleaux avec
du piment, il aigrit, & eft auifi bon aux fan-
ces que le vinaigre. Je n’en ay veu que chez
les Hfpagnols. Ce fuc ainfi preiTé , il refte'
dans le fac une matière qui reffemble à de la
farine, & on la laiife fecherau Soleil, on la
garde pour s’en fervir quand on v e u t, 8c
pour la tranfporter fans qu’elle fe g â t e l e s
autres la mettent d’abordVur de grandes'pla­
tines de fer,qui viennent de Suède , dont les
Chapeliers lè fervent â faire leurs chapeaux.
On y rkitun feu aiTez modère', -8c cela fe
cuit comme une tourtes^ dont les habitans
vivent. 1 ' ■ - -.-l'O j
Di Les
H I S T O I R È
Itjvcniion Les Snuvages le font de la iriCme manière,
dcsSau* avec c e tte difference qn*au lieu de rape , US
fe fervent d’une piece dc bois, dans laquelle
ils enchâffent de petites pierres dures &
pointues. A u lieu de facs de toile, ilsufcnt
d'écorce d’arbre , dont ils font un nliu rorc
propre • & pour des platines de fer, il en ont I
de terre qu'ils font eux-mefmes.
prrîiTon Cette racine*eft aulfi utile en Amérique ,
des Ame. que le bled en Europe. On en faitune boif-
lujuaiiis. fon , qui vaut bien noftre biere* Cet arbril-
{eau ne vient point de ftmence comme les
autres .*on coupe de ces branches t^ r pie­
ces , environ d'un pied de long .*on fait des
trous environ de demi pied avant dans la
terre , où on enfoiiit ces branches conpees,
ayant foin de mettre certains noeuds en
hautj car autrement,ils ne produiroientrien.
f La Nanna eft une plante qui produit un
des meilleurs fru its, & des plus délicats qui
'I.'-
croiiTenc dans toute retendue de l’Ameri^-
'1? que. Ce fruit eff fcmblable a un artichaut,fa
ii:, fubilance relfemble à celle d’une poire toit fl
cubtilité fucculente , fon fuc eft extrêmement agrea-
dcIaNan- ble , & fubtil en un point, que quand on en
CUL mange un peu trop,il ouvre.toutes les petites
veines & arteres qui font dans la bouche : de ■i
maniéré que l’on faigne beaucoup , fans
pourtant en reiTentir aucune incommodité.
11 n*eft pas befoin que je donne icy la def-
cnption du Tabac : car il eft ii connu par
toute l'Europe,qu’il n’y a aucune nation qui
I; ne s’en ferve, n'en connoilfe les proprietez,
éc nel’ayme avec paifionijufques-là que les
Turcs, à qui r Alcoran deffeud exprciTement
d*ea
D E s A V A M T U K T Ë R s. 77
d*en lifer J iiir peine d*un »ran J péché , ne
laiiTent pas d’en prendre ahondaiTvnent; car
dans le tevnps de leur Carême appelle K^ma-
ndn ^ pendant lequel ils ne mandent point
de tout le jour,ils ne cfeiTent point de prendre
du tabac en fumée , avec cette précaution
qu’ils ont grand foin d’avaller cette fumée ,
de peur que l’on ne s’en appcrçoive â l’o­
deur, ou autrement. Voicy la maniéré que
fe cultive cette fameufe plante dans l’Ame-
rique.
On prepare un qnarré de terre , comme Manière'
j’ay dit qu’on faifoit pour le Cacao oui on
plante de la femence. On arrofe tous les ^
jours ce quarré,& on le couvre pendant l’ar- î’ap’reüer^
deur du Soleil. • Quand il ne fait point foleil
6c cju’il ne pleut pas, il faut l’arrofer tout de
tneime. Cette femence eftant levée hors de
terre , elle forme une pente tige comme la
laittuë, on la change de place,de mefme que
cette plante , 5c on la met à trois pieds de
diilance l’une de l’autre ; on ny doit point
fouiFrir d’herbes étrangères. Lors que les
feuilles font devenues grandes, 8c qu’elles iè
caÎTent qu^nd.on y touche, c’eff.une marque
que le tabac eftnmeur : alors il faut le cou­
per, Sc le laiiTer deux bu trois heures au So-
. leil , puis amaiTer toutes les plantes dçux à
deux, pour les pendre "à des perches, jafqués
à cinq étages les unes fur les autres,dans des
loges qiiiÎont feulement couvertes, de peur
que le tabac ne foit mouillé ; mais ouvertes
de toutes parts, afin que l’air y puifle mieux
entrer,8c de crainte que le tabac ne s’échauf­
fe 8c ne pourriife.
D3 Avant
78 H IS T O IR E
Avant le levé du Soleil on dépend ces per-
' ches, afin de tenir les feuilles du tabac Îbu-*
■' tî pies, de peur qu’elles ne ie caifent & ne de­
viennent en poudre, 6c on en tire toutes les
jambes. ' *
Quand il eft fec, on met toutes les feuilles
enfemble en paquet,6c avant que de les tor­
dre 5 on les laiiîe tremper dans l*eau de la
mer» 8c on les tord après qu’elles y ont trem-
Ouaîitédu pé. Il faut remarquer que letabac de Verine
Tabac de eft le meilleur de to u s, que les femmes le
Vciine. fuQient aufli-bien que les hom m es, ôc que
c’eft une choie aufli furprenante en ce paisj
de voir des femmes qui ne fument point p
que d’en voir en France qui fumeroient.
Quoy que le tabac foit fi célébré par toute
lii itl. la terre, 6c dans un fi p;rand ufage,je n*en ay
fi.'» ' jamais bien compris la raiibn : 6c toutefois
je puis dire que la medecine que j’exerce
depuis fi long-temps , m*a donné quelque
connoiiTance de ce qui peut eftre utile 00
contraire â la fanté.

C H A P I T R E

X.
t
' * t
' f
4 \

Des Animaux A quatre pieds,


4■ •

Nourritu-T O rs queles Efpagnols découvrirent


redes an- rifle dont je parle » ils n’y trouvèrent
tiens In­ aucuns animaux à quatre pieds ; les Indiens
diens.
quil’habitoient ne vivant que de volaille 6c
de poiiTon-, de fruits 6c de legumes, que la
terre leur produiibit - mais fi-toft qu’ils s*eri
furent rendus les maiftres, ilsipeuplèrent cet­
te
DES A V A N T U R I E R S . 79
te îfle de Taureaux, de Vaches, de Chevaux»
& des Porcs : lefquels en cent ans fe ibnt!
fort mulriphez , en force que les François y'
v en an t, en trouvèrent une fî grande quan­
tité qu’ils ne fe donnoient pas la peine de
les aller chercher dans les bois , mais les at-
tendoienc au bord de la mer pour les tu er, 6c
encore en mer autant qu’ils vouloient.
Les Taureaux y font fort puiiTans , ont les
jambes courtes 5c menues , 6c courent fort
viile. La nuit ils paiiTent dans les prairies, 6C
le jour ils fe retirent dans les bois à caufe de
l’ardeur du Soleil. Lors qu’ils font bleiTez
fans eilre eftropiez , le ChaiTenr eil obligé
de fe fauver au plûtoil fur un arbre ; car le
Taureau le vient chercher , 6c le tient quel­
quefois trois ou quatre heures aillegé. Ces
animaux bleiTent ibuventles ChaiTeurs , 6c
les tuent auiTi-bien que leurs chiens.
Il y a encore un grand nombre de Che­
vaux-, on en voit quelquefois des troupes de
plus de cinq cens eniemble, qui courent : Et
lorsqu’ils voyent un homme ils s’arreftenc
tous. Un d’eux iè détache , approche la per-
fonne, 6c lors qu’il en eft à une portée de pi-
' ftolec , il le mec à foufiler des nazeaux 6c â
courir, 5c à l’inftant tous les autres lefuivent.
Je ne fçay fi ces Chevaux ont dégénéré ,
eft an t devenus iauvages : car ils ne font pas
fl beaux que ceux d’Éfpagne , qiioy qu’ils
viennent de cette race : ils ont la tefte fore
groiTe , auiTi bien que les jambes , qui font
même raboteufes, les oreilles 6c le col long.
Ils font très-bons pour rravailler 6c faciles à
aprivoifer. Les Habirans 6c les ChaiTeurs en
D 4 pren-
îfM
ÎÎ-!'
■itWJ 9o HISTOIIIE
i chevaux prennent pour porter leurs cuirs. Voîcy coen^
fauvages me ils les prennent .• ils tendent des facs de
Lis à quoy corde aiTez forte, fur de certaines routes par
utiles.
Ma niere
ou ces animaux ont accoutumé de paÎTer >
i: |ii|
l ; j ||i ï
tie les
|>rendre, luei
ils ne manquent point de s’y prendre , 6c
elquefois auift de s’étrangler, lors qu’ils
& deies le prennent par le col. Eftant pris, on les at­
I
ajîrivoifer tache à un arbre , on les y laiffe deux jours I
iâns manger ny boire, eniuite on leur donne
â boire & à manger, & ils deviennent anift
t(.,;^!-i ■-'i doux que s’ils n’avoient jamais efté fauva­
'J: ges. Il y a eu mefme des Boucaniers qui s’en
r -■ eftant long-temps fervis, & n*avantpas la
commodité de les garder ny de Itîs nourrir ,
les ont laiffé aller ; 6c deux mois après les
rencontrant, ils les venoient flatter 6c fe laiP
foient reprendre. On en tuëfonvent pour en
avoir la graifle, qu*on levé de la crinière 6c
du ventre. On la fait fondre,pour s ’en fervir
au lieu d’huile à brûler.
Les Sangliers y font aufii en grand nom-
bre, 6c iè défendent tres-bien contre iesChaf-
Indufîrîc feurs 6c leurs chiens. Ils ne vont que par
des S»n- bandes au nombre de vingt-cinq ou trente ,
f liers a fe 6c lors qu'une meute vient les attaquer, tous
défendre
ren’re les les maftes fe mettent devant 6c toutes les
Ciiailvurs femelles a\ecleurs petits derrière: 6 c comme
il y a des arbres qui contiennent quelques
vingt-cinq a trente pas de circuit, ils fe met^
tent contre un arbre pour les garantir. Qiiand
ils font dans quelque lieu où il n’y a point
d’arbre , les mâles fe mettent tout autour 6c
les femelles avec leurs petits au milieu ; lors
[u’ils voyent approcher les chiens , ils font
Î onner leurs dents l’une contre l’autre,com­
me
DES AV A NT UR I ERS. 8i
nie pour dormer de la terreur à leurs enne­
mis. En eiFet leurs crocs font fi tranchans ,
qu*ils ont bien toil déchiré.ün chien quand
ils l*attrapcnt. Il femble aufiî que les chiens
connoiiTent les mafles, & qu*ils ne s’atta­
quent qu’aux femelles qui n’ont point de dé-
fenfes. Il y a des Sangliers qui vont feuls 6c
qui toutefois ne laiiTent pas de fe défendre
contre une meute de vingt-cinq à trente
chiens, quand ils peuvent attraper un arbre
& garantir leurs tefticules : car quand un
chien les prend parla , ils font à bas & leurs
forces perdues,& s’il y a quelque chien aÎTez
hardy pour les prendre à la gorge,il eft bien-
toft en pieces.
< On y voit des chiens faiivages qui ont
beaucoup multiplié dans H ile, par la negli­
gence des ChaiTeurS Eipagnols & François ,
qui les ont laiiTez en chafiant dans les bois.
Leur multitude eft incroyable , 8c ils reiTem-
blent à nos lévriers. Ils font fort carnafilers,
& ils n’ont pas I’aflfurance ny la force d’at­
taquer les chevaux,mais ils mangent les pou­
lains 8c les veaux. Les fangliers ne leur font
pas peur, car quelquefois ils fe trouvent en-
lbmble,plus de quatre ou cinq cens.
Un Boucanier François me fit voir un jour comSat
une chofe fort remarquable. Une troupe fingniiet
d’environ vingt-cinq ou trente chiens pour- San-
iùivoient un gros fmglier,enfin ils l’atteigni-
re n t, 8c le mirent bas dans une petite place^ fauvages.
en forme de pré, où il n’y a voit aucun bois:‘
cependant nous, cftions fur un arbre d’où
nous vîmes ce combat , qui dura prés de ^
deux heures. Ces chiens déchirèrent la gorge
D $ au
*I
S i H I s T a rK E
au fiingîiei^iquand mort,ils le'retîrerenç
tous à quartier, 6c l’un d^eux le détacha qui
fut iTian2:er feul , 6c'apré;s q ifil eut mangé
quelque temps, les aütres'aÎlerent pour faire
la ifiéime chofe , mais nous tirâmes chacun
tin coup de fuiil iiar eux, qui les fit tous fuir,
excepté deux qui demeurèrent fur la place ,
& nous euimes le Sangfer^, qnf n’avoit que
la gorge & les tèilicules mangées.
Le Boucanier m'expliqua* ponrquoy c e
Ordreqiie Chien avoit ainfi mangé feulÿ C*'eft que dans
Jeschiens foutcs Ics troupcs de Gliieus il y a un Brac
trouve le Sanglier , 8c quand il eft pris,
en chsl> les autres Chiens ont-accoutumé de le lai^er
lânr. manger le premier. 11 p e jura qu^il avoir
toôjourspbfervéla meilue çhoÎè,que depuis
j*ay remarquée auiTi plus de vingt fois. ■ !
Il eft vray que dans lès mentes que les'
Bouçaniers*ônt’, il y a tin Braç qui va’tou-
jours devant, 6c fi-toft qu’il a'trouvé le San­
glier , il ne donne que deux- ou trois coups
! lM
' I.f i»I|f,
î d*aboy^ à Tinftant les autres chiens partent,
pôuriuivent le Sanglier, 6c luy les^règardef
Iifii ■(■' faire. Si-coft que le Sanglier eft mort,le Chaf*^
feur luy'donne un riiôiceaujqu’il mange feuî*
fans qu*on donriefien aux autres^qùe quand
ils font revenus dé la chaife.
Il y a de Tapparence que comme les Chiens
fauvages font venus de meutes entières ou­
bliées dans les bois par les Chaffeurs , ils ont
pu retenir le meime ordre de çhalfer. *
• Une chofe aiTèz particulière’, C*eft\qu*dh
peut apprivoifer des Sanglieis-,‘^6c les drefïef
â la chaife com’me des Chiens./Je Pay m oyf
meime èxperimenré. Un jour nous trouvâ-
^ ' mes

«I
V,:
DES A V A N T U R I E R S .
mes une femelle qui avoit des petits qui e-
ftoient encore fort jeunes; nous les prîmes Sanglîerf
les apportâmes à noftre demeure ; nous leur apprivoi-
fcz &
hachions de la viande bien menuë qu’ils comment!
mangeoient: il en mourut quelques uns>mais
nous en échapâmes quatre, qui nous fui-
v o ie n t, & joüoient avec nous comme des
Chiens; 5c quand ils trouvoient une bande de
Sangliers , ils fe méloient avec eux , 5c les
amenoienc vers nous. L’un d’eux un jour
s’écarta , 5c nous croyions qu*il eftoit allé
avec les autres, 5c qu*il ne reviendroit plus ;
mais trois jours apres il revint avec une bande
de Sangliers, nous en tuâmes quatre.
Il re trouve auiTi dans cette lile beaucoup
d*oyfeaux; mais comme prefque tous reiTem-
blent à ceux que nous avons en Europe , je
ne parleray que de quelques-uns qui ne leur
reÎTemblent pas.
Les Perroquets y font en grande quantité.
Qiioy que ces oyféaux portent le mefme
nom , ils different neanmoins beaucoup en-
tr’eux. On ne rencontre jainais ces oy féaux
feuls.ils volent toujours par bandes,5c vivent
de femencc comme les Ramiers. Ils font leurs
nids dans de certains trous d'arbres , où fan-
née precedente Loyfeau nommé Charpentier
a fait fon nid , 5c il femble que la nature ait
commis ces petits oy féaux pour rendre ce
fcrvice aux Perroquets. Leurs petits dans ces L’oyfèan
Charpen­
trous ne font jamais mouillez, ils les font en tier à quoy
nombre impair , fçavoir trois , cinq 5c fept. utile au
Le premier nombre eff plus ordinaire, 5c le Perroquet
dernier plus rare. Quand on vent les élever
& les appiivoifer , il faut les dénicher pen-
D6 danc *1
84 h i s t o i r e
dnnt qu’ils font jeunes ; car quand ils i^nt
Ouandles grands. Sc qifon les prend avec des apas, ils
?erro- demeurent toujours hurvages , 8c ne parleur
q nets font
propres à jamais. Pour avoir les jeunes il faut couper
pasler. par le pied Tarbre où ils ont fait leur nid, car
on n’y içauroit monter ; 8c il arrive fou vent
que l’arbre en tombant les m"é , iî bien que
de deux ou trois nichées oïï ne iàiive que
deux ou trois oyièaux.
Charpen- Le Charpentier eft un oyfeau qui n*eil pas^
tier,pour- plus gros qu’une Aloüette» il‘ a le bec long
q a o y ainfi

h i. M noiume. environ d*tm bon pouce,pointu 8c ir dur,que


dans un jour de temps il perce un Palmiile
U jufqu’au cœ ur, qui eft plein de moelle* Il eftr
à remarquer que le bois de cet arbre eft fi
d u r , que les meilîvUrs inftrumens de fer re*
broulfent deifusv
Les Foux font certains oyfeaax ainfl appel­
iez , à caufe qu’ils fe lailfent prendre à la
main. Le jour ils font fur des rochers,d*où ils
Singuiari- ne forcent que pour aller pefeher. Le foir ils
te descy- viennent fe retirer for des arbres : lors qu’ils
leaux ap> y font une fois perchez, quand on y mettroir
peliez
ioiix. le feu , je croy quails ne s*en iroient po int, à
moins qu’ils ne le fentiftent ; c^eft pourquoi
on les peut prendre jufqti’au dernier, fans
qu’ils branl’enr. Ils fc défendent pourtant le
mieux qu’ils peuvent avec leur bec, mais ils
i:.
ne fçauToient faire de mal. Pour moy j’ay
J r^ toujours conjedturé qu’ils ne voyenr point
la n u it, autrement un oyfeau faiivage ne fc
li laifteroit jamais prendre',, joint qu’ils ne fe
iaiiTent point approcher durant le jour. Ces
oyfeaux font comme les Canards , pour ce
qui regarde la groiTeur, les pieds 8c le plu­
mage i
D E s A V A N T TJ R I É R s. U '

mao;e- leur bec eR different, & comme ce-


Juy d’une Grue, eil rres-piquant par le b o u t,
fait en feie par les codez , afin que ie poif-
fon ne leur échape point quand ils font pris.
II y a une autre forte d*oyfeaux qn^on
nomme Frelates, à caufe de leur vol qui eft
extrêmement fubtil. Ils volent en l’air lans / f
qu’on leur voye remuer aucune choie, & ne'
laiiTent pas d’avancer plus vifte qu’aucun
oyfeau. C eft d'eux que les Fre2;ates ont pris D’où l e s
leur nom,à caufe qu’ils vont mieux à la voile Frégates
qu’aucun antre navire, qu’elles ont l’avanta­ ont pris II
ge, auflî bien que de certains vaiiTeaux, de leur norn^
pouvoir egalement attaquer, fe retirer,com-
battre,& fe dégager fans rien rifquer.
Ces oyfèaux nommez Frégates donnent la
chaife aux oyfeaux appeliez Foux. Les Fré­ Combat
gates les font lever de deffus ks rochers, où divertif-
iànt de
lis font perchez,& lors qu'ils font en vol,ces deux for­
mefmes Frégates les battent en volant avec tes d’oy-
le bout de leurs aifles;les Foux,qui ne le font féaux. I' !
pas trop dans ce rencontre , pour mieux s’é-
chaper de leurs ennemis, & comme s'ils les
vouloient amufer , vomiiTent rout le poiiTon
qu’ils ont pefehé. Les Frégates qui ne cher­
chent autre chofe, le reçoivent à mefure que
les autres le je tte n t, avant qu'il tombe dans
l’eau. C'eft à la vérité la chofe la plus diver-
tiiTante qu’on puiffe voir , & que j'aye veu
dans 1*Amérique,
Voilà approchant ce que je puis écrire des
oyfeaux qui fe rencontrent fur cette IÜe;mais
quand jeparleray des autres lilesdela terre
ferme , je traiteray de quelques oyfeaux, dC
d'autres animaux à quatre pieds, dont on
n'a

J
t6 H I S T O I R E
point encore oiii parler : car depuis que
les Eipa^nois habitent dans l’Amérique,nous
n’avons que des mémoires fort imparfaits >
pour ne rien dire de plus *. c’eft pourqnoy je
puis aiTurer que jamais perionne n’en aura
écrit avec plus de fidelité Sc d’exaélitude
que moy , parce que j*ay tout vû ôc tout
éprouvé moy-mefme.

C h a p i t r e XI .

Des Reptiles de l'lße Efpagmle»

I L fe rencontre dans l’Ocean des Indes


une 11 grande multitude de Reptiles & de
poiifons,"qu’il n’y a que celuy qui les a créez
qui en puilTe connoiiire le nombre >l’efpece,
& les proprietez; 8c comme pluiieurs en ont
écrit,il fuiRra de parler de ce qu’il y a de plus
particulier â cet égard , 8c de moins connu.
Anato­ Le premier c’eii la Tortue. Elle n’a point
mie exac­ de langue,ny aucun organe pour oüir ; mais
te de la elle a la venë tres-fubtiie. On neluy trouve
T o rtu e .
point de cervelle , ion foye eft comme celuy
: 1
d’un V eau, 8c de fubftance comme celuy
d*un homme. Hile eft prodigieulement plei­
ne d’œufs de toute forte de groffeur- les plus
gros font comme nos œufs de Poule , fans
coquille , femblables à ceux que les Poules
font trop toft. Elles ont le fang toujours li­
quide,fans qu*on y puiife remarquer ni froi­
' ■r.
d e u r, ni chaleur, puifqu’il ne fige jamais.
Qtiand on le c u it, il ne laiife pas de fe con­ !T
geler comme celuy de Porc. Je n’ay jamais 10
pÛL
DES AV A N T U RI ERS. tf
pû remarquer de circulation de iang dans
ces animaux , 8c tous leurs vaiiTeaux ibnt
iemblables; on ne peut pas dire s*ils font vei­ ill
nes ou arceres : neanmoins quand on les a
tuées le cœur palpite fort lon{>-temps; j'en ay
gardé qui ont palpité jufqu*à dix-huit heures
de temps , toute la chair en fait de mefme ,
mais pas ii long-temps que le cœur. La chair
eft compofée de gros fibres qui contiennent'
beaucoup de fuc. Les muicles font fort longs
& plats J la graiiTc eft verte comme de fher-
be , où l’on remarque un tiiTu de quantité de
fibres. Elles ont leur graiiTe aux coftez , iùr
le ventre, & proche des ailles. La graiife de
leur boyau eil jaune comme iaffran , & leur
fert de nourriture : car j'ay remarqué qu*on
peut laiiTer une Tortue trois femaines fans
manger,avant qu'elle meure, & en l'ouvrant
on trouve les lieux vuides où cette graifie a
accoutumé d'eftre , & il n'y refte que des
membranes, & des fibres gluants,où elle eft
ordinairement attachée : je dis cetre graifie,
à caufe que quand elle eft fondue elle de­
meure comme de l‘huile;& eftant en fon en­
tier , elle eft auiTi ferme que la graifie de ; I',-
Porc. Elles ont quatre pattes en forme d’aifi Suite de
lerons, avec des ongles. Les os y font dans
le mefme ordre qu’aux animaux parfaits, xôrtui ^
Celles de devant font compofées de VOmo- '
plate 8c de Humerus ^ qui font renfermées
Ibus l’écaille, qu'on nommé Carapace-^ 8c en
dehors font le Radius 8c le Cubitus^8c les ofie-
lets du Carpe 8c Métacarpe^ 8c doigts des ani­
maux parfaits. A celles de derrière on y re­
marque lesi/«. Vos femur ^ qui font auiîî fous
88 h i s t o i r e
la Carapace, 8c les deux fibres, 8c lesofTelets
dnT arfe ÔC Metatarfe , 6c les orteils lont en
dehors,qui compofent les pattes de dernere.
,j La queue finit par vertebres, comme le co l,
mais ils ne vont pas tout du long ; i s font at­
tachez à la Carapace , à certaines demi-ver-
tebres qui fuivent le long delà Carap.^e de-
puis le col jufc|u*a lâ (jueuc. Le deiuis de
leur écAille ie noixime p^r les FrAnçoiSj
me i’uy déjà d it, Carapace , 5c le deffous
■IL TUflron, Le deiTus eft fait comme le dome
d*nne maiÎbn , 8c le deiTotis eft plat j les Li-
pao-nols les nomment Carapache 8c PUJlron,
Cette Carapace 8c Plaftron font compofées
d'une fubftance oÎTeufe 8c cartilagineufe.
Qiiand on les ouvre , on les met fur le dos, ,
8 c on coupe le plaftron tout autour, 8c on le
leveainfi. ^ ^ , j
Une de ces Tortues peut fournir plus de
deux cens livres de viande , fans compter la
fi;raiirc,queron fond , donc les habitans Ef-
W n o ls 8c François fe fervent pour m ander
des legumes. On trouve de ces Tortues,lors
cju'elles font graiTes, qui fourniiTent plus de
trente pintes d'huile. J ’oubliois à dire que les
Tortues franches n’ont fur leur Carapace
qu'une petite écaille fort tendre, qui ne peut
fervir à rien qu’à mettre à des Lanternes.
La chair de ces Torruës eft de fort bon gouft^
Effet fur. nourriiTante ; 8c la^raiiTe qu’on
prenant manse avec la viande , eft ii pénétrante ^
d e la qu’on
v/ii la
An. fu'é comme on — la mange
-----: r> : car le un-,»
grai ff® de gc qu’on porte Cf^ fe r\rm rrir , T
pourrit, fil nn
on Ir*
le O-ardc
garde trOt>
trop
T ortue.
long-temps. On peut direaufii qu’elle purifie
lamaifc dufang ;c a r fi quelqu’un eft mal
faiu ,

'“hi
DESAVANTURIERS. S9
fain , apres qu*il a mangé de cette viande
deux ou trois mois de tem ps, iàns manger
autre chofe , il devient fort fain j & s'il a
quelque impureté du mal Venerien, en man­
geant de cette viande,le corps luy vient tout
plein de galle & de falleté,& après il devient
plus iain qu’avec les meilleurs remedes de
l’Europe. Les Avanturiers font quelquefois tesAvat»^
deux ou trois mois fur l*Iile à manger de tu ri ers fe
régalent
I cette viande pour fe regaler. de la chair
La Tortue fe nourrir d’herbe, qu'elle paift, dcToriuifj
comme les Vaches , fur certains fonds qui
font le long des Ifles de l’Amérique, fembla-
bles â de grandes prairies. II y a fept â huit
braiTes d’eau ; & comme elle eft fort claire
quand la mer eft calm e, on void le fonds
verdÔc beaujfi bien que cela réjouit la veuë.
L’herbe qui y croift eil longue d*un pied , la
feuille eiV unie & platte tout de meÎiTie d’un
codé que de l’autre. Ce font là les prairies
où les Tortues vont paiftre. Apres qu’elles
ont bien mangé , elles vont à l’embouchure
des Rivieres , pour boire de l’eau douce. El­
les ne feauroient demeurer plus d’un quart
d’heure à ce fonds fans prendre l’air j elles
viennent fouffler,& puis retournent au fond;
8c quand elles ne mangent point , elles ont
toujours la tefte hors de l’eau j dés la moin­
dre chofe qu’elles voyenc, elles s’enfoncent
auifi-toft dedans. Elles vont tous les ans à Corn*
terre pour pondre leurs œufs , & font des m ent les
trous dans le fable avec leurs pattes de de­ Tortuës
font 2c
vant puis fe mettent là-dedans pour pondre 5 couvent
enfuice elles les recouvrent & s’en retour­ leurs
nent. Elles y reviennent quinze jours après, œufs.
>0 H I S T O I R E
& font la meime chofe jufqifà trois Fois. El»)
les pondent à chaque fois quatre-vin»t ,,
quatre vingt dix jufqu’à cent œufs.des œufi-
demeurent dans le fable pendant vingt-qua-.
tre ou vinat-cinq jours , dans lequel temps,
fon voit ces petites Tortues fortir du fable ,
qui courent à la mer, & ont bien de la peine.
' à y pouvoir entrer : car la lame qui bat au
rivage les rejette toujours â terre. D’autre,
cofte les oyieaux en mangent la plus grande ,
partie avant au’elles foient échapées : car
elles font neuf jours fans pouvoir coulera,
fond ; ft bien que pendant ce temps les oy-‘
féaux dont j^ay parlé,qui vivent de poifTon ,
les mangent preique toutes,& Ton peuts’ai^
iiirer que de cent à peine en rechape t’il une.
Il eft vray que s'il n’en periiToit point , les
navires ne pourroient pas voguer (ans tou-
oeuftde cher aux Tortues , tant il y en auroit. Les
Tortues œufs de CCS Tortuës font tres-bons à man­
bons à ger , ôc tres-nourriiTans : ils ne fe gâtent ja­
manger,
mais , car quand les petits commencent à fc
former, on qu’ils font tout à fait formez , ils
fe trouvent toûjours bonS; je ne l’aurois ja­
mais crû, ft je n'en avois fait l’experience ;iî
eft vray que l’on dit que la faim fait trouver
tout bon. Quand les gens de ce p a is , foie
EfpagnolSjOu François,rencontrent des œufs
de Tortue, ils les font fecher au Soleil, & le
jaune le durcit,& eft tres-bon,feconfervant
long-temps : mais quand ils font vieux , ils
deviennent un peu acres à la gorge, à caufe.
qu’ils font tres-huilenx.
Les habitans de l’Amcrique, tant naturels
du pais, que lesChreftiens qui y font venus,
pren-
-^i H I S T O I R E.
Differen- prennent ces Tortues de trois minières. La
tes ma- premiere avec de certains rets qu’ils nom-
rieres de polbes.qu'ils vont tendre fur ces fonds
ksToT- d’herbes, où les Tortues paiiTeiit ordinaire- l I
xuës. ment. Ils tendent ces rets comme on fait un
tram ail, & les Tortues venant à paffer , fe
mettent les pattes dedans, & y demeurent
accrochées.
La fécondé maniéré efl: quand elles vien­
nent â terre pour pondre .*les habitans qui
gardent ces lieux où elles doivent venir , les
i! renverient fur le dos,8c ainfi les empefehent
liii de retourner à l’eau. Ces Tortues ont un
certain inilindt de trouver les heux commo­
des pour venir pondre,ôc elles ne manquent
jamais d*y venir tous les ans. L’invention
que ces ^ens ont pour retourner ces ani­
maux , efl: aiTez bonne • car tels les pren-
droient par le corps avec les mains , & n*en
X'iendroient jamais â bout,elles échaperoienc»
quoy qu’ils fiiTent. Or donc pour les tourner
ils fe mettent deux qui tiennent un bâton
chacun par un bout, & lepofent fur le fable
par où la Tortue doit paÎTer; & quand elle a
les deux pattes de devant paifées par deÎTus
ce bâton, ils la lèvent & luy font faire le faut
â la renverfe , ou iiir le cofté. Il arrive
qu’un feul peut faire cela, mais avec plus de
peine.
La troiiîéme maniéré de prendre les Tor­
tues, eft avec les Harpons , qui ne font pas
faits de meflue les Harpons avec quoy on
prend le poiiTon *. ce ne font que des clous
H; gros comme des clous de charettes, fans
telle,à quatre quartes égales, fort'pointus
DESAVANTURIERS.
Sc trempez. Ce clou eft attaché nu bout d'u­
ne Ligne de cinquante â foixante braiTes de
long,de la groiTeiir du petit doigt:on met le
bout du clou, qui eft tout rond , dans un ba­
ton , au bout duquel eft une virolle de fer ,
dans quoy ce clou s'enchaiTe. Ce bâton eft
ordinairement long de deux braiTes & de­
mie, & eft attaché â la ligne avec une petite
ficelle coulante,afin qu*on la puiiTe toujours
reprendre. Quand ils veulent faire cette pel^
che,ils vont cinq ou fix dans un Canot, plus
ou moins, felon qu’il eft grand. Un d’eux eft
fur le devant tout debout, & tient à la main
un bâton,qu’on nomme Vara^ du nom Efpa- il»
I g n o l, qui veut dire gaule- & fur ion bras
gauche il a la Ligne roulée >à quoy eft atta­
ché ce clou ; lorfqu’il voit une Tortue au
fond, illuy lance ce clou fur le dos , dans la
Carapace, La Tortue prend un fi grand erre ,
qu'elle traifne le Canot plus vifte que s’il al-
loit à la voile; mais comme j’ay déjà dit que
ces animaux ne peuvent demeurer long­
temps fous l'eau fans refpirer »le Harponeur
îi le prepare à luy lancer l’autre clou qui eft à
Tautre bout de fa Ligne , & quand elle a ces
h deux clous, on la tire dans le Canot,& on la
met fur le dos ; eftant ainii , elle ne peut fe
debattie. Le temps que ces gens-là prennent
pour pefeher la Tortue de cette maniéré, eft
le ibir, le matin, 6c la nuit,quieft le meilleur
temps : car elles ne mangent gueres que la
nuit. Le jour ils vont remarquer les lieux oft
il y a beaucoup de ces bancs d’herbes , donc
j’ay déjà parlé : ils obfervent .auffi lors qu’ils
yoyent bien del'heibe fur l’e a u , c’eft mar­
que
^4 H I S T O I R E
que qu*il y vient de la Tortue paiftre.
Cela femblera peut«eftre étrange , de ce
que j*ay d’t que la nuit eftoit le meilleur
temps pour prendre les Tortues à la varre, à
îI caufe que de nuit on ne peut pas voir. On
fçaura que la n u it, lors mefme qu’elle eit
I -I plus obicure, c’eft le mieux : car les Tortues
en nageant remuent l*eau, quieft fort claire,
6 c qui paroift comme quatre feux allumez
qui font un grand jour , au mouvement des
quatre nègeoires, ou pattes de la Tortue .*ii
bien qu’en jettanr la varre au milieu de ces
quatre lumières,on ne manque jamais à l’at­
traper : quand il fait clair de Lune , encore
auifi bien qu’alors qu’on ne voit point de
lumieres.'carla Tortue paroift blanche com­
me de l’argent fur le-fond de l’herbe qui
femble noir. Les Indiens ont efté les pre­
miers comme naturels du pais,; à prendre la
Tortue de cette maniéré; mais les Espagnols
ont inventé cette varre, avec le clou , Ôc les
Indiens iè fervent de harponsiEnfin l’on peut
dire que les Efpagnols font les plus habiles à
cette pefche de toutes les Nations qui habi­
tent dans l*Amérique.
La fécondé forte de Tortue ne diffère
point de lapremiere,iinon quelle eft plus pe­
tite* elle a la tefte un peu plus longue que
cette premiere , ion efcaille quieft fur le ca­
rapace eft époiffe. C’eft celle dont on fe ferc
en Europe pour faire les ouvrages d’Hicaille
Tortue .* Les Efpagnols nomment,(^es Tor-
tiiës, Carey ; 6c les François Caret-, Ces gens
les néchent
pèchent Iciilement nour en avoir
Iculement pour nvnir ftécail-
:ji ^ vendent bien:Car pour la .chair elle
ne
1 i'
fi ,1 V'
\ ,
DES AVANTURIERS. 9^
)i‘n c vaut rien,à moins que d*avoir bien faim.
‘'J*en ay quelquefois mangé faute d’autre
iichofe, mais je l'ay trouvée fort mauvaiie.
( Elles paiiTcnt comme les Tortuës franches ,
['mais dans des^ lieux pierreux & pleins de
mouiTe marine ; elles font à l’é2:ard des ani-
i maux terreftres, comme, les vaches & les
( moutons, les unes veulent eftre â bon fond,
:•& les autres ie plaifent mieux aux monta-
1gnes.
Les Efpagnoîs ont une maniéré fort iîib-
1. tile pour avoir l’écailîe de ces T ortues, fans
tuer. Lors qu’ils les ont prifes,ils les met-
3tent routes vives fur le feu^ôc 1*écaille fe le-
)1've. Un Ffpagnoi m*a dit qu'il en avoir un
DIjour marqué une , d’une maniéré à pouvoir
B-ila reconnoiftre, qu’il avoir ainfi dépouillée
il de ion écaille Sc l’avoit remife à Teau , 8c
£ que trois ans après il la reprit avec une auiïx
•c belle écaille que jamais. Ces Tortues peu-
[■plent tout de meime que les premieres : mais
:1 elles ne font pas tant d’œ u fs, 8c ne font pas
I fi communes. Leur graiiTe n’eft pas fi verte
rp que celle des premieres*, elle eft admirable
'd pour toutes douleurs froides, eftant fort pe-
•rj netranre; elles font fi fortes par le bec , que
ce qu’elles pincent , elles le tiennent telle-
Tl ment,qu’il eft impofiîble de le leur arracher. »'..
0 II y a une fubtilité à tuer les Tortuës de queU
fl ques fortes qu’elles foient- car fi on lesrrap-
>d pe fur la tefte, on ne peut pas les aiTommer
avec un levier ; 8c en les frappant fur le nez
P qui ejt au deifiis du bec, en forme de deux
1 petits trous, par où elles prennent Pair, avec senties
le manche d’un coufteau, elles feignent en Tortues,
abon-
'• 1 'I
^6 H I S T O I R E
abondance Sc meurent bien* toft apres.'
La troiiiéine forte de Tortue eft plus !ar-
ge,pluslon;j!;ue en circuit, Sc plus platte que
Tes deux aiitres , & a uné fort groÎTe teiVe .•
c’eil: pour cette raifon que les An^lois les
nomment Loger^het,qui veut dire groiîe tefte*
les Efpagnols Caivana , 8c les François Caho-
arma. Cette forte de Tortue n'elb jamais graf-
fcjSc a beaucoup plus mauvais gouft que le
C a re t, elle pond comme les autres , & les C
œufs en font aufli bons .* L*écaille de cette
derniere cil comme celle de la Tortuëfran-
che , Sc ne fei t à rien. On n*en mange que
comme du Caret au befoin,
La quatriefme ibrtede Tortue ne différé
point de la Cohanna,iinon qu'elle cil encore
plus groiTe Sc fort gralfe , Sc ne fert à rien
qu'à faire de l'huillepour brûler. Toute ia
carapace ell cartilaginenfe , Sc on la peut
choferc- Comme l*on veut. C*eil une choie
marquL* remarquable, que toutes ces fortes de
bie lurles Tortues ne fe mêlent point les unes avec les
diiFeren. autres ; mais toutes chacune avec leur fem-
dc blable^ la Tortuë franche,avec la franche; le
tues. Caret avec le Caret - ainii des autres. Je me
fuis informé de cela à un vieux Varreur Es­
pagnol,quifaifoit ce meilier depuis quarante
ans;il m’a dit n’avoir jamais veu uneefpece
fe méfier avec une autre differente de la
iienne.
Ces quatre fortes de Tortnës fe tiennent
ordinairement dans la mer, Sc ne viennent à
terre que pour y pondre leurs œufs : les deux
autres fortes font bien autrement, car l’une
ne va point à l’e a u , Sc l'autre s’y tient tou­
jours »
DES A-V, A N T U R I,E R S.
jours, 5c ne va jAmais a terre que pour pon­
dre Tes œufs. La premiere de ces deux que
nous nommerons Tortue de terre,eil longue
environ de deux pieds , 5 c Targe d\in. Ce
font-lâ les plus groiTes, elles font enovalle, 5c
ont le dos ou le carapace en arcade , 5c fort
dur. On ne le peut caiTer avec les plus forts
inftrumens, la Tortue eftanten vie. Cette
Tortue eft toute comme celle derner, ex­
cepté les pattes où elle a cinq griffes qui luy
fervent à faire des trous dans la terre où elle
fe retire >elle n*a point d’écaille fur fa cara-
pace;inais elle eft figurée de jaune 5c de noir.
Les Éfpagnolsont beaucoup de ces Tortues
dans leurs Magazins,8c les mangent,
La féconde qui demeure toujours dans
l’eau douce , n*eft differente de la Tortue de ■
mer qu*en ce qu*elle eft plus petite, 5c a des .
griffes tout 'de meiîne que les Tortues de
l’Europe que Ton voit dans les Eftangs.
Il y en a encore une forte de fort petites ,
qui ne font pas plus grandes que la main*,
qui Te retirent 5c ié nourriiTent dans les^ ri-
^vierès. Un jour étant en Natolie , j*en trou-
■vay 5c j’en apportay à une maifbn. On corn- Puantei’t
'mença.à fe plaindre qite Ton fentoit manvaiS3 d*une ei.
' 5c celâ^dura long-temps fans qu’on fceût Ce
que c’étoit : je protefte que jamais je n'ay
fenti une fi vilaine odeur, c'eft pourquoy je
les nommeray Tortues puantes. Cette puan­
teur vient d’un limon falineux 5 c fulphuré
'd o n t cës animaux fe nourriiTent.
^ Le Lamentin eft le‘meilleur de tous les
' anîmiau^ pour la riôiirrkure de l’homme ; il a
Te corps^ ffit comme une Baleine jüfqu’à la
Tome i* queue.
GiiciVé , cjui eft plcitte & ronde au contraire
des autres poiiibns; car ils ont tous la queue
Anato­ felon les coftes,& le Lamentinl’a toute unie
mie du
Lamen- au ventre & au dostfatefte eft comme celle
tin. -d’une taupe- ion mufeau ne diifere nulle­
ment de celuy d’une Vache ; lès lonc
femblables à ceux d'un porc , fes'machoires
â celles d’un chevalj il n’a point de dents de-
vantjmais feulement une calofue dure com­
me un os avec quoy il pince l’herbe : il a
trente-deux dents molaires aux cotez des >
deux mâchoires, tout de mefæe qu^un che­
val. On remarque que cet animal ne pept
pas bien voir a caufe de la petireiie de les
yeux ,où il y a fort peu d’humeur & n a point
d’ins, & fes nerfs .optiques fon tres-petitsj il
n’a que cres-peu de çcrvelle:On trouve dans
fa tefte quelques oifelets ,que les François oC
rV Efpa^nols .difent eftre bons,pour plufieurs
maladies de tefte.-comln:^ Epilepfie, ou Mal­
caduc & vertiges : imais nj l*a^
veu, quoique je l’aye diverfes fois éprouvé,
& n’ay jamais auiTipû appercevQÎr ^.que la
DES AVANTURI ERS.
fubftance de cesoiTelcts fût vomitive, com­
me on a crû. On y remarque auifi tous les
organes necelTaires â l’oiiye ; & l’on peut
dire que c'eft l’animal qui entend le mieux
de tous, car on croit qu*il entend du fond de
l’eau ; Il y a des gens-lâ , qui par de longues
experiences ont reconnu , que lors qu’un
vaiiTeau arrive dans un Port ou Baye , ou il
fe trouve du Lamentin, & qu’ils tirent quel»
ques coups de canon , tous ces animaux
fuyent; & on eft long-temps fans en rencon­
trer.
' Ceux qui vont à la pèche de ce Reptile ,
font obligez de ie fervir d’autres Rames qu’à
l’ordinaire , afin de ne point faire ne bruit :
Ils s’abftiennentmeline de parler. Lorsque Precau.
les Avanturiers vont en quelque lieu pour ra­ tion de*
A vanru.
vitailler leurs Bâtimens de ce Reptile : ils ne neis pour
vont pas droit avec le VaiiTeau aux lieux où prendre le
ils font ; mais à deux ou trois lieues de là , ils Lamen­
prennent de petits bâtimens, afin de de point tin.
faire de bruit. Ils falent le chair de cet ani­
mal, la font fumer, & gardent auiTi la graifi
i fe, dans laquelle ils font cuir des legumes.
‘ Cet animal n’a point de langue , fa tra-
k cheartere & ion olophage,ibnt comme celles
d’une Vache; le poulmon, le cœur, le foye ,
a la pance, les boyaux,la ratte, le diaphragme,
Il
le Mediaftin,Ie Péricarde, le Meièntere,& le
fang, ibnt comme dans la-Tortue • il n'efl: ny
chaud ny froid , & ne iè fige jamais. Quant Partiesge-
aux parties genitales; je diray que les ayant niralcs'du
examinées , je les ay trouvées tant internes L am entin
qu’externes , & tant du mâle que de la fè- mâle &
melle,plus femblables à Thomme & à la fem- fem elle,
iem bla-
:i E 1 me •
100 - H I sT O I K E
b l « à cel­æe, qu'à aucuns autres animaux .-Les femeî-
les de les ont deux mammelles^qui ne different nul­
rh o in m e
£< de la
lement enfcituation,en {grandeur, groffeur,
fcmirie. fii^ure &fubftance de celles deà femmes noi-
res. J*ay efté curieux de fuccer du laict de
quelques-unes de ces femelles , qui nourrit
foient, je fay trouvé auffi bon que le laict
Les fe­ des animaux parfaits par la copulation. Les
melles al­ femelles n*en ont qu’un à la fois,apres l’avoir
laitent, Ce
poitent
produit elles le portent toujours avec elles ,
leurs pe­ juiques à ce qu’il ait la force de paiftre y qui
tits com ­ peut eftre dans un an : Elles n’ont que deux
m e les aillerons, ou pattes qui font au lieu de pieds
femmes.
de devant des animaux , 8c des bras des
hommes ; c’eft avec quoi les femelles tien­
nent toujours leurs petits , 8c j’ay remarqué
que ces animaux ont un fi ^rand inftind: d’a­
mour 3les uns pour les autres, que quand on
trouve une femelle qui porte un petit, fî on
la tue » fou petit ne la quitte po in t, 8c ii on
tuë le petit, la mere en fait tout de mefiiie y
fi bien qu*on peut les prendre tous deux.^
Le Lamentin a depuis fon col jufqu’à la
queue une épine dorfalle , comçofée de 5
Vertebres , qui font femblables à celles d’un
cheval, 8c jointes enfemble à celle d*un Bal-
nau venant à diminution par les deux bouts.
Sa chair cft comme celle de veau ou de porc,
là p-.raiffe a du rapport à celle du dernier , &
a auffi bon ^ouft. life nourrit comme la
Tortue , va boire dans la riviere , ne va ja-»
mais â terre, 8c ne peut marcher ny ramper,
eftant hors de Tcau ; il cft gros comme un
Bœuf. On prend cet animal de mefme ma-
miere que la Tortue , excepté que les doux
foui:
DES AVAN T U R I E R S . l oi
font dentelez , afin qu*ils puiÎTent tenir dans
la peau. On voit un grand nombre de ces
animaux dans la riviere des Amazones, qui
eil à la partie Méridionale de 1*Amérique.
Je ne diray que quelques particuîaritez du
Crocodile , parce que Pline en a parlé am­
plement , & qu*on void par tout fa figure. Il
arin ftin d t de remarquer les rivieres, où les
Bœufs viennent boire,il fe tient tout proche
iàns fe remuer aucunement. Lors que cctAdrere&
animal , ou d’antres viennent boire ,
prend par le m uzeaii, les tire au fonds de
Peau,les tue 6c les laiife pourrir , jufqu’â ce
qu’il puiiTe les déchirer avec Tes dents. Il va
auiTi à terre dans des lieux marécageux , fe
cache dans les buiifons ; & lors qu*iin San­
glier paÎTe, il le prend par derrière 6c le dé­
chire , pourveu qu’il ne foit pas trop fort.
J’ay vu un jour un pareil comÎ3at dans Divers in-
riile de Cuba. Il a encore Tadreife d’aller
prendre les cuirs des Boucaniers , lors qu*ils^^^ '
les mettent fecher ; il les entraifne auiïi dans
l’eau, les laiife au fonds couverts de pierre ,
jufqu'à ce qu’ils ibient pelez 6c prcfque
pourris, afin qu’il les puiife avaler.
Un Boucanier m*a dit qu’un jour en le­
vant fa tente prés d*une Kivicre , il vint un
Crocodile qui la prit, 6c la droit doucement
d’entre Îès mains, l’eau étant fort claire,6c la
foiTe peu profonde j le Boucannier mit ion
couteau à fa bouche, 6c laiifa faire le Cro­
codile, qui entraifna le pavillon 6c luy aufll.
Quand le Boucanier fut au fonds de l’eau, il
commança à fouler aux pieds le Crocodile ,
pour le faire noyer ; mais ne pouvant de-
É3 meu-
lo i , H I S T O I R E
liji
meurer long-temps ibus l*eau , il luy ouvrît
le ventre avec fon couteau ôc fe retira. Il
il r dit que ce n’étoit qu’un animal de à qua­
1R' : ï' tre pieds de long , 6c qui neanmoins avoic
cette force.
II
J,
Difcerne- C’eft une chofe remarquable , que les
B ^ rtient du Crocodiles n’attaquent jamais les hommes
\s i Crocodi­
le. blancs , pourveu quil y en ait de noirs avec
' î; eux. S’il y a vingt hommes blancs qui fe
baignent, 8c qu*il n’y en ait que deux noirs
dans toute la bande , ils feront les premiers
^ (’ pris.
I ■.1 Quelques-uns tiennent que c’eft à cauiè
^1 d'aune certaine exhalaifon tres-forte qui fort
des Noirs ; c’eft pourquoy ces animaux les
ièntent plûtoft que les autres hommes. Je
me fuis trouvé beaucoup de fois avec des
Moyen de quiprenoient des Crocodiles : ils fe fer­
les ptcn. voient pour cela d’un poulmon de cochon
ou de vache, qu*ils attachoient à un croc de
bois avec une corde, on la jettoit dans l’eau
où ces animaux eftoient,6c ils venoiencaulfi-
toft prendre ce poumon , quand ils avoient
tout avalé, on les droit à terre , puis on les
ûiTommoit à coups de levier.
Nous en avons quelquefois trouvé qui
:I avoient dans le ventre plus de cinquante li­
vres de cailloux pezant. Je croy qu*ils fai-
ibient cela afin de mieux couler à fonds.
Leurs œufs font fort bons à manger 6c fort
nourriffans , 6c n’en font que quarante ou
Indnftrie cinquante une fois l’année. Ils font fi indu-
des C ro­ ftrieux qu’ils les retournent d’un cofté 6c
codiles.
d’autre jufqu’à ce que leurs petits foient
éclos ; 6c quand ils le fo n t, ils les viennent
tous

1fi
DES A V A N T ü R I E R S . io$
tons prendre & les avalent pour les garantir
desoyfeaux , parce.que quand ils forcent de
J*écaille,ils ne peuvent couler à fonds.
‘ Un Capitaine Avanturier me fit remar­
quer un jour ce que je vais dire. Nous nous
promenions le long du bord de la m er, nous
vîmes fur le fable quinze pu vingt de ces pe­
tits Crocodiles quife premenoienc au Soleil,
& Îi-toft que leur mere qui eûoit tout pro­ Com­
che, fe chauffant comme eux au Soleil nous ment le
eut apperceus, elle ouvrit la gueule , ^ tous Crocodile
ces petits s’enfuirent dedans, Ôc auffi-toft -auve les
petits.
elle fauta dans la mer.
Les Lézards reffemblent au Crocodile.
Quand les Avanturiers fe rencontrent dans De quelle
les
les lieux où il y a de ces animaux,ils en pren­ Ibrte
A vantu-
nent beaucoup,& voicy la maniéré. Ils met­ tiers pren­
tent au bout d’un bafton long de deux toifes nent les
une petite corde en nœud coulant, apres ils Lézards.
fe couchent par terre , & lorS qu’il vient un
Lézard , ils Uiy chatouillent la gorge avec le
bout du bafton, & cependant, ils luy paffent
le nœud coulant,& le tirent tout d*un coup.
Les Lézards fe laiffent prendre de cette for­
te , parce qu’ils croyent que c’eft quelque
mouche ou quelqu’autre infeéte qui les cha­
touillent , & qu’ils ont accoutumé de vivre
de ces animaux. On les prend anift à la cour-
fe , quand le pais le permet; mais iî faut fe
donner de garde en les prenant j car ils mor­
dent bien fort : c’eft: pourquoy , il les faut
tenir par le gros de la queue,& par ce moyen
ils ne peuvent remuer , & n ’ont point de
force.
Les Couleuvres ne font point vemmeules.
E 4* Un
Î 04 h i s t o i r e
Incident Un jouf il en vint une dans la maifon ou fe--
au lujec ftois,qui entra dans ta ca^e d*nn Perroquet,
des C ou- [g ^ |y y fucca tout ie fanp;, & puis ie
il
♦ k'
A Ji' .
leuvres. rnoitié dans ta cage entre deux bar­
reaux,& Tavala tout entier^ mais eîte ne put
fe retirer apres , & fît tomber ta cage en ie
débattant; nous accourûmes au bruit & l'a
tuâmes.
Co’iieu- Les Coureuvres font meilleures dans les
vresm eil- tnaifons que les Chats , car en peu de temps
lüunsq^ue ^^l^s feroicnt pleines de rats & dé
les chats, fouris, elles les détruiroient, parce que ce^
animaux paflent par to u t, oû les rats fe re­
tirent^ tellement que pas un ne peut écha-
per.
Ce qu’on Les Cameîeons ont une crefte qui change
doiteroire de trois OU quatre couleurs, comme de noir
de? Ca en blanc , & de rouge en couleur de fer j
m eleons.
mais ils ne fe changent pas en toutes Ibrtes
de couleurs, comme plufîeurs font écrit, 6c
comme on le croit ordinairement.
Chien de I-^ Rcquiem ou Chien de m er, eft fort
mer, d a n - dangereux J car fi un homme tombe dans
geteux. Peau oû il y ait de ces animaux >il eft ieur
qu’on ne le revoit jamais qu’en pieces. 11 le
tient toujours à l’embouchure des rivieres
l’on voit à là fuite un petit poifibn qui ne
le quitte jamais, & que l’on nomme Pilote, à
caufe qu’il va par tout devant luy ; 8c lors
PoiiTon mauvais temps, ce petit poifibn s’at-
quife fuit tache au chien de mer , pour refifterà Tagi-
loûjouis. ration des flots. Quelques-uns croyent que
cepoiÎTon eft le veritable Remora.
h •• '
Le Negre eft un poiiTon qu’on nomme
a in ii, à caûic de fa couleur qui eft toute
noire.

ldi n
D E S A V A N T U R I E R S . lo f
noire. 11 a la figure d'une tanche , fe nourrit
dans les rochers, a tres-bon gouil,& eft fort
nourriiTant. Il paroift que ce poiiTbn vit fort
long-temps,car j’en ay veu un prodigieux.
Un jour que je pefchois avec une petite Ce qui ai.
ligne & un hameçon , je fentis mordre à rna riva à
ligne qui n’eftoit qu’un fimple fil d’archal; je l’Auteur
en pef-
retiray,& ne (ends aucune refiil:ance,&: peu chanc.
apres je ne pûs retirer ma ligne hors de
I*eau. Je la croyois accrochée à quelque ro­
cher, comme cela arrive fortfouvent; je re-
gaiday 6c je vis un monftreux poiiTon à fleur
d*eau , qui ne remuoit nullement ; car s’il a-
voit fait le moindre effort, il anroit bien-toft
cafle la ligne. J ’en avertis ceux qui m’ac-
compagnoient, SC il nous donna le temps de
luy attacher une corde 8c de le guinder en
haut. Il avoit quatre pieds de long , deux de
large , 8c pezoit cent vingt-deux livres. Be­
aucoup de gens qui avoienc efté dans ce
pais plus de vingt cinq ans, nous aiTurerent
que de leur vie ils n’en avoienc veu un pa­
reil.
On trouve fur cette Ifle toute forte d’in-
fedles, mais je n*en diray qu’un m o t, 8c je
toucheray en paiTant quelques particulari-
tez qui les regardent Parmy tous ces infec­
tes , il y a quantité de moucherons fort in­
commodes , principalement de certains qui
font ronds. Les Chafleurs en font les plus
incommodez , ils neles tourmentent que la
nuit. Dés le matin que le Soleil efl: levé , on
n*en voit pas un, 8c dés qu’il cil couché , ils L*Auteur
rempliiTent tous les bois. J ’ay une fois ellé réduit
coucher
à
contraint de coucher huit jours dans l*ehu huit fours
E 5 au dansl’eauk
lo ^ HI STOI RE
au milieu de la riviere. Je n’avois point de
tenteje me dépoüillois tout nud & me cou­
ch ois fur un banc de fable, où il n*y avoir de
l*eau que pour couvrir mon corps. J'avois 4
mis une groiTe pierre fous ma refte pour la
tenir élevée hors de l*eaii • je la couvrois de
feüillages, & par la je trouvois le moyen de
me garantir de ces infecites > ôc de dormir en
repos.
On trouve encore dans cette Ifle une cer­
taine forte de mouches qui ont deux taches
aux deux coftez de la tefl:e,qui font luifantes
comme ces petits vermiiTeaux que l’on voit
Mouches la nuit en Europe. Quand ces'mouches vo-
qo\ eciai- lent pendant Tobicuriréj on diroitque quel-
rent dans porte du feu dans les bois. Ces mou-
ches jettent une telle lueur, que deux eftanc
renfermées dans un certain efpace , peuvent
fournir aÎTez de lumière , pour lire dans un
livre , elles ont la figure 6c la couleur d*un
hanneton.
4 iA Arrîfiee H y a auili plufieurs fortes de Fourmis :
des four- c’eft une des plus grandes curiofitez du pais,
nus. que de voir Tinduiftrie de ces petits animaux
à conftruire leurs logemens. Ils fontcompo-
iez de plufieurs chambres , où fon ne void
que deux ouvertures, l’une pourfortir, 8c
l’autre pour entrer. Ces logemens font affez
hauts, ils les font de terre qu’ils maiTonnent,
avec une eau qui diftile de leur corps, Sc
cela tient extraordinairement. Ce qui eft
encore plus remarquable, dés le pied de I*ar-
bre, ils font un chemin couvert en forme dç
can al, pour aller & venir , comme s’ils a-
voientpeur d’eftre veus; 6c je croy qu’ils le
font
D E S A V A N T ü R I E R S . 107
font à caufe de la pluye : car ils haïiTcnt tel­
lement l’eau , qu’auiTi-toft que leurs loge-
mens en font pénétrez, ils les abandonnent.
Je penfe avoir dit ce qu*»l y a de plus re­
marquable & déplus utile à fçavoir , fur ce
qui concerne lesovfeaux 6c les poiiTonSjC’eft
pourquoy je n*en parleray pas davantage, de
peur de laflTcr le Ledteur. Je me laiTe moy-
méme d’écrire fi lonç»;-temps d’une mefine
choièj 6c pour diverfifier yje palTe aux Bou­
caniers 6c aux Avanturiers , qui font le prin­
cipal l'ujet de cette Relation, je commence*
par les Boucaniers.

C h a p I T R E XII.

Des Boucaniers Efpagnoïs Bran p is y àe


leur origine,
• r

ertains Indiens naturels des An- Origine


C tilles, nommez Caraïbes, ont accoûtu-
me lors qu’ils font des prifonniers de 8;uerre,^Ji"nolô.
de les couper en pieces, 6c de les mettre fur gie de
des maniérés de clayes,fouslefquelles ils font^^^^°®i
du feuj ils nomment ces çlayes B'àrbacoa,^ le
lieu ou elles font, 6c l’adlion, botica»
ner, pour dire, rôtir 6c fumer tout enicmble.
C’eft de là que nos Boucaniers ont pris leur
nom , avec cette difference que les uns font
aux animaux,ce que lesautres font aux hom­
mes. Les premiers; qui ont commencé à ie
faire Boucaniers étoient habitans desces Ifi-
les, 6c avoient'cbnverfé avec ces Sâuva^es> 'j- -
Ainfi par habitude, lors qu’ils fefonc établis
E6 pour
D B S AV A N T U R I E R S .
5; pour chatfer , & qu*ils ont fait fumer delà
r yiande , Us ont dit boucaner de la viande , &
y ont nommé le lieu boucan» Et les Adteurs
! Boucaniers , dont ils ont aujourd’huy le nom.
I Les Bfpa2;nols appellent les leurs,
^ de Tores^ & le lieu, Materia , cela veut d ire,
î tueurs de Taureaux Sc tuerie. Ils les appel­
le lent auifi , Monteros qui veut dire Coureurs
) de bois. Les Anglois nomment les leurs Cou^
îierdiers^ qui veut dire tueurs de Vaches. Je
t, ne repeteray point icy de quelle maniéré, ny
•: quand les François font venus fur cette Ille ,
r puis que je l*ay déjà dit dans la defcription '' (I
que j*ay donnée de ITfle de la Tortue , au
commencement de cette premiere Partie. ^
Les Boucaniers ne font point d^autre me- Emptoy
tier que de chaiTer. Il y en a'de deux fortes .• des bo«.:
les uns ne chalfent qu^anx boeufs pour en
avoir les cuirs : les autres aux Sangliers pour
en avoir la viande, qu’ils Talent 6c vendent
aux habitans. Tous deux ont environ le mei»
me équipage,6c la mefme maniéré de vivre.
Cependant, afin que les curieux foient entiè­
rement informez de toutes les particularitez
qui les regardent, j’en feray la defcription
de chacun à part, 6c de leur équipage,6c vie
5 c àd:ions.
Les Boucaniers qui chaiTent aux boeufs, Differeft^
font ceux qu’on nomme véritablement Bou-
caniers, car ils fe veulent diftinguer des au-
très qu'ils nomment ChaiTeurs. Leur équipa­
ge eft une Meute de vingt-cinq à trente
chiens, dans laquelle ils ont un ou deux ven-
teurs qui découvrent l’animal. Le prix des
chiens cit réglé entr'eux , ils fe les vendent
les
Î io H I s T O I R E
les uns aux autres iîx pieces de huit ou iîx,
ecus. J*ay oui dire à ces p;ens qu*un jour,un
Maiftre de navire de la Rochelle , ayant veu
faire marchandife de chiens entre-eux , pout
cette ibmme,crut,qu*il feroit un i^rand ^airi,
s’il en apportoit. En effet,quand il rev in t, il
en apporta grand nombre dans Îbn navire ,
croyant les vendre aux Boucaniers, mais ils
ie mocquerenc de luy : ainfi, il fut contraint
de laiiTer aller ces chiens, & perdit l’argent
.qu’ils luy avoient co û té, & la nourriture
qu*il leur avoir donnée. Cela, fit qu*on le
nomma marchand de chiens. Il en eut un iî
grand d ép it, que depuis il n’eft pas revenu
A rm es de traiter avec les Boucaniers .* ils ont avec
Boiica- cette Meute de bons fufils , qu’ils font' faire
ûiers. exprès en France. Un nommé Brachie à
Dieppe & Gelin à N antes, ont efté les meil­
leurs ouvriers pour ces armes ; & ces fufils
font de quatre pieds ôc demi de long , c’eft
â dire le canon. La monture eft autrement
faite que celle des fufils ordinaires de chafTe ,
dont on fe fert en France. C’eft pourqnoy
on nomme ces armes fufils de Boucanier. Ils
font tous d’un calibre , tirant une balle de
feize à la livre. Ces gens portent ordinaire­
ment quinze ou vingt livres de poudre j Sc
la meilleure vient de Cherbourg en baffe
Normandie, qu’on appelle poudre de Bouca­
nier. Ils la mettent dans des calebaffes ,bien
bouchées avec de la cire, de crainte qu’elle
ne foit moüilléeiCar ils n’ont aucun lieu pour
la tenir fechement.
Leurs ha- Tous leurs habillemens, font deux chemî«
biilcmens fes, un haut de chauffe, une cafaque, le tout ■L
de
D E S A V A N T U R l ERS . n i
de ^roiTe toille , & un bonnet d*un cul de
chapeau ou de drap, où il y a un bord feule­
ment devant le viia^e , comme celuy d*un
Carapoux. Pour des fouliers , ils en font de
peau de porc & de bœuf, ou de vache. Ils Leur é-
ont avec cela une petite tente de toile fine
afin qu’ils la puilTent tordre facilement
la porter avec eux en bandoliere : car quand
ils font dans les bois, ils couchent où ils ie
trouvent. Cette tente leur fert pour repofer
deÎTous, 8c empeicher les moucherons donc
i’ay parlé , lefquelsfont fi incommodes , que
fans cela il leur feroit impofiible de dormir.
Lors quils font ainfi équipe?, ils fe joignent Leur iô;
toujours deux enfemble, ôc fe nomment Tun
& l’autre Matelot, Ils mettent fout ce qu’ils
poiTedent en communauté, 8c ont des valets
qu’ils font venir de France, dont ils payent
le paiTage, ôc les obligent de les fervir trois
ans.
Quand ils partent de la Tortue , où ordi­
nairement ils viennent apporter leurs Cuirs ,
6c quérir ce qu’ils ont befoin , ils s’afibcient
dix ou douze enfemble , avec chacun leurs 1%
valets,pour aller chaiTer en un quartier , où
eftant arrivez, ils fe diiènt les uns aux autres
où ils vont, 8c en cas qu’il y ait du péril, ils ,i-‘
le mettent tous enfemble .*il y en a qui chaf- Lcyrs'*
fent i'euls avec leurs valets , qu’ils nomment
Engagez. Quand ils arrivent dans un lieu
pour y demeurer quelque temps, ils bâtiiTent
de petites loges,qu’ils nomment Ajoupas, qui
eft un mot Indien , qui fignifie Loge : ils les
couvrent de ces queues de Palmiites, nom­
mées Taches, dont j*ay parlé : ils tendent
leurs IH
k ÏIÎ h i s t o i r e
'►
. IfUil ‘i: leurs pavillons fous ces Loges. Le matin ils
fe lèvent <\és que le jour commence à paroi-
ftre, & font détendre les pavillons parleurs
i '' A
valets,s’ils n*eiperent pas revenir coucher lâj
s’ils y reviennentjils laiiTenc un homme pour
111 » les garder.
11 L’ordre ^e Maiftre va devant, & les valets & tous
i>i
qu’ils fui- les chiens le fuivent fans iè détourner d’un
vent en pas, excepté le Venteur ou Brac qui va â la
chaiTant. iecherche du Taureau. Quand il en trouve
un,il donne trois ou quatre coups d’aboy^iî-
toft que les autres chiens l’entendentjils cou­
rent de leur mieux , le Maiftre & les valets
en font de mefme jufqu’à ce qu’ils foient
venus à l’animal : alors ils s’approchent tous
chacun d’un arbre, pour fe garantir de fa fu­
rie,en cas que le Maiftre manquaft de le tuer
du premier coup .• car ces animaux font ex­
trêmement furieux , lors qu’ils ie fentent
blcifez. Si-toft que le Taureau eft bas,le plus
proche luy va promptement couper le jaret,
de peur qu’il ne fe releve. Après le Maiftre
en tire les quatre gros os , qu’il cafte » 8c en
fucce la moelle toute chaude, cela luyfert de
déjeunerj 8c il donne un morceau de viande
â fon Venteur,8c laifte là un de fes gens pour
achever d’écorcher la befte , 8c en porter le
cuir au lieu oîi il luy marque, ou quelquefois
â l’endroit d’où ils ibnt partis le matin , 8c
après il pouriuit la chafte avec ies compag­
il . nons. Il empêche les autres chiens de man­
ger,à caufe qu’ils n’auroientplus découragé
pour la chafte , s’ils avoient mangé • c’eft
pourquoy il ne leur donne de la viande qu’à
la derniere befte. Quand la première qu’il
tue
D E S AV A N T U RÎ ERS . n i
tue eft une vache, il donne ordre à celuy qui
demeure pour l*écorcher,de s’en aller le pre­
mier, éc de prendre de la viande pour faire . .1
cuire, afin que les autres la trouvent prefte à
leur retour. Ils ne prennent ordinairement
que les tetines des Vaches,5c laiÎTent la chair
de B œ uf Sc de Taureau , parce qu*elle eft
trop dure.
Le Maiilre ponrfuit donc la chaiTe de mef-Leur
me jufqu^à ce qu*il ait chargé tous ies valets
"de chacun un cuir, 6c que luy-meiîne en ait'^^'^'^^'
^aufli. S*il arrive qu’eftanc tous chargez 5t
s"en revenant, leurs chiens rencontrent en­
core quelques beftes, ils jettent là tous leur
charge, 5c s'ils la tu e n t, ils 1*écorchent, 5c
étendent le cuir , ou le mettent à un arbre ,
de peur que les chiens fauvages ne le pren­
nent >Sc le lendemain ils le viennent quérir.
Eftanc arrivez le foir au lieu d*où ils font par­
tis le matin , qui eft celuy qu'ils appellent ,
comme j’ay dit, Bouca» , chacun va brqche-
ter fur un cuir , c’eft à dire l’étendre fur la
terre , Sc l'attacher avec foixante Sc quatre
chevilles qu’ils chaiTenc en terre tout autour
'de ce cuir, qui le tiennent étendu , le dedans
de la peau en haut. Ils nomment cela en ter­
mes propres brocheter un cuir. Après que le
cuir eft ainfi étendu , ils le frottent de cen­
dres Sc de fel battus enfèmble , afin qu*il
feche plûtoft,ce qui arrive dans peu de jours.
Dés que cela eft fin i, ils vont manger de la
viande que le premier venu a fait cuire.
L'apreft de cette viande n’eft pas grand , ils
la font feulement cuire dans une chaudière
qu’ils portent toujours avec eu x , y mettant
' • de
1!

J ,4 h i s t o i r e

de I'ean & du Tel. Eftant cuite , un d’eux la


tire du pot au bout d*un morceau de bois
I pointu, & la pofe fur une Tache,qui luy fert
de platj & apres avec une cuilliere de bois il
ramaiTe la ^raiiTe « qu’il met dans une cale-
baiTe ; 6c enfuite il preiTe le jus de c^uelques
Limons que Tun d’eux aura apporté, y joig­
nant un peu de P im ent, qui donne le goût
& le nom à cette fauiTe, qu»ils appellent
mentaàu
Cela eilant f a it, on met la Tache fur la­
quelle eft la viande, à une belle place , 8c la
calebaiîe où elt la Pimentade , au milieu ••
chacun s’arme de ion couteau 6c d’une bro­ I
chette de bois, au lieu de fourchette, 6c s*ai^
iied tout autour de cette Tache , 6c tous
mangent de bon appétit. Ce qui refte on le
donne aux chiens* ^ ^
Apres que ces gens ont ainfi foupé , s’il y
a encore du jour, les Maiftres fe vont prome­
ner en fumant leurs pipes de tabac:car c*eft
leur ordinaire , fi toil qu’ils ont mangé , de
fumer, 6c de voir s’ils ne trouveroient point
quelques avenues : c’eil à dire des chemins
tracez , que les Taureaux font dans le bois.
Divertir*
Ils fe divertiiTent encore â tirer au blanc ,
iem ent pendant que leurs ferviteurs hachent du Ta-
des Bou- bac,ou étendent certaines peaux des jambes
caniers. Taureaux , dont ils fe fervent pour faire
des fouliers. Ils fe mettent fouvent dans des
places,où il y a des Orangersj6c s’il s*en trou­
ve quelqu’un qui ioit proche de leur bou­
can, ils tirent à balle feule à qui abbattra des
Oranges fans les toucher, en coupant feule­
ment la queue avec la balle feule. Ces gens
lll^ cirent
r P
DES A V A M T U R T E R S . iî ^
tirent parfaitement bien ; ils font auiTi exer­
cer leurs valets, lors qu’ils leur plaifent, 5c
qu'ils les aim ent, car il y en a d’entr*eux qui
les maltraitent.
Ce meftier eft à la vérité un des plus rudes Emoîoy
qui fe faiTent dans la vie. Lorfqne le matin des bou-
on donne un cuir , qui peze pour le moins earners
cent ou fix-vins;t livres, à un homme, à por- ^
ter quelquefois trois ou quatre lieues de che­
min dans des bois 5c des haliers pleins d’épi­
nes 8c de ronces , que Ton eft ibuvent plus
de deux heures â faire un quart de lieue de
chemin, cela ne peut eftre que fafeheux à un
homme qui n’a jamais fait ce métier là. On
voit de ces Boucaniers qui font ii barbares ,•
qu'ils aiTomment de coups un garçon lors
qu'il ne fait pas à leur gré. Il s’en trouve à la
vérité quelques-uns d’aiTezraiiTonables ,qui
ne chaiTent point le Dimanche,5c qui laiÎTent
repofer leurs valets ; mais ils les envoyent le
matin tuer un Sanglier, pour fe regaler.toure
la journée, lisle font rôtir tout entier , 5c le
fendent auparavant,pour en öfter les entrail­
les, & le mettent à une broche foûtenuë fur ,
deux petites fourches,puis ils font du feu des
deux coftez.
Un de ces Boucaniers avoit coutume le
Dimanche de faire porter fes cuirs au bord
de la mer par iès ferviteurs, de peur que les
Efpagnols ne les priiTent 8c ne les brûlaÎTent;
car lors qu’ils trouvent leurs boucans , ils
coupent les cuirs en pieces, ou les brûlent.
Un de ces valets dit un jour à ion Maiftre , Hirtoirc
qu’il n’avoit pas raifon de le faire travailler aufujct
le Dimanche, 8c que Dieu 1*avoit étably ladu-
ll6 h i s t o i r e

B o u ca * pour fe repoier, difant : r« travaiHerOf Jtx


»lets. jours^á* lefeptiéme tu te repoferoi:V.t moy reprit
le Boucanier , je dis que fix jours tu tueras
des Taureaux,pour en avoir les cuirs , 5c le
feptiéme tu les porteras au bord de la mer •
5c en luy faifanr ce commandement,il le luy
imprima furie dos à grands coups de bâton.
Il feut endurer, car il n*y a point là où fe
fauver; ce ne font que des bois 5c des mon­
tagnes, 5c fi quelqu’un s’échape Sc qu’il ren^ S3
contre les Espagnols , il n’eft pas four de fa ce
vie, car n’entendant point leur langue , ils le
tuent avant qu’il fe puiife expliquer, 5c leur
dire qu’il eft efclave 5c fugitif.
Qiiand ils portent leurs cuirs au bord de
la mer, ils font des charges réglées qui font ïf,
i.i ‘ !( d’un BœufSe de deux Vaches , j’entens le fi"
't

cuir foulement, mais ce font leurs termes; ou


", r : bien trois cuirs de demi Taureaux , c’eft à
dire qui font encore jeunes : ils les nomment
Bouvarts, ils mettent trois Bouvarts pour
deux Boeufs,5c deux Vaches pour un Bœuf,
Ils plient ces cuirs en banette, afin que cela
ne les incommode point lors qu’ils marchent ■U-

dans les bois parmy les arbres. Ils nommenr,


comme je Tay déjà dit , ces charges banet-
tes, 5c les vendent aux Marchands fix pieces
de huit. On ne compte là que par la mon-
noye qui y court, qui font les pieces de huit
Eipagnoles ; car il n’y a point de monnoye
Françoifo. On voit des Boucaniers fi ale­
gres , 8c qui courent avec tant de vîteife ,
qu’ils laÎTent fouvent les Bœufs , les attra­ k
pent à la courfe , Sc leur coupent le jaret,
UnMulaftre nommé Vincent des Rofiers a ou
cilc
D E S AV a n t u r i e r s . H r
Vîteffe
cfté le {premier de Ton temps pour cela .• car des Bou*
on a remarqué que de cent cuirs de B œ uf carnets à
qu*il envoyoic en France, il n*y en avoir pas U Cûurlê,
dix qui fuiTent percez de balles,ce qui faiibic
voir qu*il les avoir attrapez à la courfe.
Les Boucaniers dont j*ay parlé qui ne Bouca­
niers qui
chaiTenc qu'aux Sangliers, ont leur équipage chaiTcnt
comme ceux-cy, leurs chiens, armes,hardes, aux San-
valets .* llschaflentde la mefme maniéré les glifiis,
Sangliers, que les autres font les B œ ufs, ex­
cepté qu'ils accommodent la viande autre­
ment qu'on ne fait les cuirs. Lors qu’ils font
venus le foir de la chaiTe, chacun écorche le
Sanglier qu’il a apporté , 8c en ofte tous les
os ./il ne laiiTe que la viande , qu’il couppe
par éguillettes longues d’une braire,ou plus,
lelon qu’elle fe trouve, ou de mefme que les
femmes font la pance des Cochons en Fran­
ce, pour faire des Andoüilles. Quand cette Leur m a­
viande eft ainfi coupée, ils la mettent fur des niéré d’en
apreücr la
Taches , 8c la ibupoudrent de fel battu fort chair,
menu,ils la lailfent comme cela jiifqu’au len­
demain , quelquefois moins , felon qu’elle a
toft pris fel,8c qu'elle jette fa faumure, après
ils la prennent 8c la mettent au boucan.
Or ce boucan eft une loge couverte de
Taches , qui la ferment tout autour. Il y a
vingt ou trente bâtons gros comme le poig­
net, Sc longs de fept à huit pieds, rangez fur
des travers environ à demy pied l’un de l’au­
tre r on y met la viande, 8c ou fait force fu­
mée derfous , où pour cela ils brûlent toutes
les peaux des Sangliers qu’ils tuent, avec
leurs olfemens tirez de la chair, afin de faire
une fumée plus épaiife. A la vérité cela vaut
mieux
IiS h i s t o i r e
mieux que du boisfeul : carie Tel volatil qu' ■
eft contenu dans la peau & dans les os de
cette viande, s*y vient attacher , ayant bien
plus de iîmpatie que non pas le fel volatil du '
bois, qui monte avec la rumée. AuiTi cette
viande a un goût ii excellent, qu’on la peut '
manger en fortant de ce boucan,fans la faire-
cuire : 8c quand mefme on n'en auroit ja­
mais vu , 8c qu’on ne fçauroit pas ce que
c’eft , Tenvie prendroit d’en manger en la ^
voy an t, tant elle a bonne mine j car elle eft
vermeille comme la Rozc , 8c a une odeur
admirablermais le plus grand mal c*eft qu'elle
ne dure que tres-peu de temps dans cet état.
Lorfque cette viande a demeuré comme cela
fix mois après avoir efté boucanée ou fu­
mée,elle n*a plus de goût que de fel.
Quand ces gens ont amaiTé de cette ma­
niéré certain nombre de viande , ils la met­ ■4
tent en paquet,on en balot, dans ces taches
qui fervent à l’emballer : Ils font les pacquets
ordinairement de foixante livres de viande
nette ; outre cela ils amaiTent le feing doux
du Porc-Tanglier , qu’ils fondent 8c mettent
dans des pots , pour les débiter enluite aux
Habitans. Ils vendent chaque pacquet de
viande iix pieces de h u it, 8c chaque Potiche
de Mantegue : car c'eft ^nfi qn*iÎs nomment
cette graiiTe,iix pieces de huit encore.
• Le plus mal-habile de la troupe demeure au
lieu qu'on nomme Boucan, pour apprefter à
manger aux autres , 8c pour faire fumer la
viande.'' H y a des habitans qui envoyent
quelquefois en ces lieux de leurs Engagez,
lors qu'ils font malades,afin qu*en mangeant
quan-
I I!)

D E S A V A N T U R I E R S . 119
quantité de viande fraîche,qui eft unetres-
l3onne nourriture, ils fe puiÎTent remettre en
fanté.
Apres que ces çens ont fait leur travail ,
ils vont fe divertir tout de meime que les
autres BoucanierstCette vie n’eft pas la moi­
tié il rude que celle des premiers : auiTi n’eft-
elle pas fi profitable .* Ces Boucaniers font
une grande deftrucftion de Sangliers : car ils
ne fervent pas de tous ceux qu*ils tirent ;
mais ils les choifiiTentic'eft à dire,que quand
ils ont tué un Sanglier qui eft un peu mai­
gre; ils n"en veulent p o in t, le laiiTent'là » en
vont chercher un autre, & font toujours de
mefme, jufqu’à ce qu’ils ayent fait leur char­
ge, félon qu*ils le fouhaittent .* fi bien qu’ils
tuent quelquefois cent Sangliers pour un
.four , fans en rapporter plus de dix ou douze
jd’un fl grand nombre.
* Ces Boucaniers ne ibnt pas plus indulgens vn Botû
envers leurs ferviteurs que les autres. L’un canierfra- .1
d*entr*eux voyant un jour que fon Valet qui
.eftoit nouveau venu de France , ne le pou^ laiffepour
voit Suivre , tranfporté de colere luy donna mort dans
.un coup de la croiTe de fon fufil parla tefte »
qui fit tomber ce pauvre garçon en fincopej ariivâ.
le Boucanier crût l’avoir tué & le laiiia là ,
&c étant revenu, il dit aux autres que ce gar­
çon eftoit Maron , & que peut-eftre il vou-
doit s’aller rendre aux Efpagnols. Maron eft
'un mot que ces gens ont encr’eux, pour dire
que leurs ferviteurs ou leurs chiens fe fau-
■h vent : Ce mot eft Efpagnol, qui fignifie befte
fauve ou fanvage. ..
Ce Maiftre èoucanier n’eftoit péuteftrc
pas
tio H I s T O .I R E
pas encore loin que Ton Valet fe releva » 8c
tâcha à le fnivre j mais comme il n’étoic paà
bien accouftumé dans ces bois,il ne pût ja­
mais trouver la trace de Ton Maillre ; 8c y
demeura quelques jours fans fe pouvoir re-
connoiftre , ny mefme trouver le bord de la
mer. La faim commença à le preifer, qui Tq-
"bligea de manger de la viande qu*il portoic
toute cruë’.car il ifavôit rien pour battre du
feu, ny mefme de couteau, que fon Maiftre
îuy avoit ofté, croyant qu’il rut m ort, parce
qu’il ne vouloir pas perdre une guaine qu’il
luy avoit donnée, dans laquelle étoientdeux
couteaux , 8c une Bayonnette que ces gens
portent ordinairement à leur ceinture, pour
écorcher les beftes qu’ils tuent. Tellement
que ce pauvre garçon eftoit au dcfefpoir ^
n’ayant pas l’induftrie qu’un autre accoutu­
mé à ce pais auroit pu avoir. Il avoit pour
compagnie un des chiens de fon Maiftre qui
eftoit refté avec luy,8c qui ne l’abandonnoic
point.
Ce Garçon ne faifoittous les jours qu’aller
Sc venir dans le bois,fans fçavoir où il alloic:
Bien ibuvent il montoit fur quelque Mon­
tagne quand il en rencontroit, d’où il voyoic
la mer : Mais quand il eftoit deicendu Sc
qu’il pcnfoit la trouver, le naoindre chemin
des beftes qui s’offroit à lu y , eftoit caufe
qu’il perdoit fa route. En marchant par les
b o is, ion chien que la faim preifoit au (Il
bien que luy , queftoic fans ceiie. Quclqiié-
*fois il rencontroit dés ’fruyes qui ayoieiit
"des petitsî il iè jettoit fur ces petits 8c en
étrangloit quelqu’un. Ce Garçon íecòndoíc
fon
DES A V A N T U R I E R S . iir
Ton chien , il couroic auili deiTiis, Sc quand
ils avoienc pris quelque chofe, le Chien 5c le
Maiftre inangeoienc enfemble du mefme
mets : Ayant ainiî paiTé quelque temps , Sc
s’eilant fait à manp;er de la viande crue qui
ne luy manquoit plus : Accoûtumé à cette
chaiTe , il fçavoit les lieux où il devoir aller
pour attraper bien-toft quelque choie : Il
trouva un jour de petits Chiens fauvagjes
qu*il éleva : il les apprit à chaiTer , iniiruific
meiine des Sani^liers qu’il avoit pris en vie
-p ar diyertiiTeménr. Apres avoir mené cette
iVie prés d’une année , il fe trouva inopiné-
im e n t au bord de la mer; mais il n*y rcncon-
|t r a pointfon Maiftre,5c â toutes les apparen­
té e s , il y av oit déjà quelque temps qu’il écoit
ih o rsd elà.
Ce Boucanier étant accoutumé à la vie
qu’il m enoit, ne fe donna plus de chaj^rin ,
jugeant que tôt ou tard il rencontreroic des
I gens, foie Efpagnols,ou François : En effet »
au bout de quatorze mois il fe trouva parmi
une troupe de Boucaniers, avec Iciquels il le
ÿ m it, 8c leur conta ion hiftoire, comme je la
viens de reciter. 11 leurcaufa quelque frayeur,
r parce que fon Maître leur avoit dit qu’il s’é-
toit rendu Sauvage j ils crurent par là qu’il 5 -H.
eftoit peut-eftre avec lesErpagnols,quoy que
l’état où il? le voyoient, dnft bien leur faire
connoiftre qu’il n’en eftoit rien , puis qu’il
n’avoit qu’un méchant haillon , refté d’un
/ caiçon 8c d’une chemife,'de quoy il cachoit
fa nudité , avec un morceau de chair crue
0 pendue à lôn cofté, étant iuivi de deux San-
! gliers 5c de trois chiens , tellement accoûtu-
Tome I, F ma,
121 h i s t o i r e
niez avec luy, & les uns avec les autres,qu ils '
ne voulurent jamais le quitter. Il alla avec
ces Boucaniers,qui le mirent en libertejC elt
à dire , hors du fervice de ion Maiftie,oC iuy
donnèrent des armes , de la poudre >^
! i plomb pour chaiTer comme ciiXîen forte qu’il
cft devenu un des plus fameux Boucaniers
i'
qu’il y ait eu en cette cofte. ^
1■■
On a remarqué que ce garçon étant re­
venu avec les Boucaniers, eut bien de la pei­
ne à s'accoutumer à la viande cuite • Lors
i
qu’il en mangeoit, outre qu’elle ne luy fem-
bloit pas bonne, elle luy faifoit mal, en lorte
qu'il fe plaignoit de Teftomac ; ii bien que
quand il écorcheoit un Sanglier, il ne pou­
voir s’empefcher d^en manger quelquerois
un morceau tout crû.
C om m e î La recompenfe que les Boucaniers don­
les Bou-r nent à leiii s Valets, lors qifils ont fervi trois
caniersre-■ans5 c’eftun fufil, deux livres de poudre , fix
■coinpen-
lent leurs
livres de plomb, deux chemifes,deux calçons
Valets. & un bonnet : Et apres qu*ils ont efté leurs
Valecs,ils deviennent leurs Camarades, vont
auiTi chaiTer avec cux,& deviennent Bouca­
niers. Qiiand ils ont certaine quantité de
Cuirs, ils les envoyent en France .*Quelque­
fois ils y vonteux-mefiTies,& ramènent delà
des Valets,qir’ils n*épargnent non plus qu on
les a épargnez. *
Ces gens vivent fort librement les uns
avec les autres , & fe gardent une grande fi­
delité. Quand quelqu’un trouve le coffre
d’un autre, où eft fa poudre, ion plomb,6c ia
toille , il ne fait point de diiÉcuké d*en pren­
dre s’il en a beibin *. Et lois qu'il rencontre
celui
DES A V A N T U R I E R S .
celui à qui c’eft, il luy dit ce qu’il a pris , &
luy rend quand il en a la commodité. Ils ie
font cela les uns aux autres fans façon.
• Autrefois quand deux avoienc différend c o m m e
enfcmble , les autres les accommodoient, & üsaccotTi-
iî cela ne
/iT*
fe pouvoir, & que•1les parties
' • /I z'' *jy •
de-
tneuraifent trop opiniaftres , ils fe faifoienc ferine^' '
raiion eux-mefTJes,en vuidant leur différend à ’
coups de fufil. Ils premeditoiept une certaine
diftance, pour fe mettre l*un contre l’autre ,
& le ibrt decidoit qui tireroit le premier. Si
le premier manquoit ion coup ; Taurre tiroic
s’il vouloir. C^uand il y en avoir un de mort,
on ju^eoit s’il avoir elle bien ou mal tué ,
s’il ne s’y eftoit point commis de lafehecé ,
fi fon arme eftoit en ordre pour tirer , fi le
coup eftoit donné par devant. Le Chirurs^ien
en faifoit la vifite pour voir l’entrée de la
balle; fi on trouvoit que la balle entrât par
derrière,ou trop de cofté , l’on imputoic cela
à une perfidie. AuiTi-toft l’on attachoit celui
qui avoir fait le coup à un arbre , où il avoir
la tefte caffée d’un coup de fufil. C’eft ainiî
qu’ils fe faifoient juftice les uns aux autres :
Mais depuis qu’ils ont eu des Gouverneurs,
ils n’en ont plus ufé de cetre maniéré , Sc
quand ils ont quelque différend, ils viennent
devant eux, & auiTi-toft ce différend eft ter­
miné.
Les Boucaniers Efpagnols qui fe nom- Bouca-
ment entr'eux , Matadores^ ou Monteras^ chaf- niers Ef-
fent d'une autre maniéré que les François, lis P-'»gnols.
ne fe fervent point d'armes à feu , mais de
Lances, & de CroiiTans : Ils ont des meutes
de chiens comme les François quand ils
Fi chaflenr.
H I S T O I K E
chaflTent, il y ^ deux ou trois Valets qui fuî-
vent 5c animent les chiens : 5c quand ils ont
trouve un T aureau, ils le pouiTcnt dans une
prairie,où le Boucanier, ou Matadore^ic trou­
ve, monté à cheval, qui court luy couper le
jaret, Ôc apres le tue avec la lance •• Cette
chafTe eft tres-plaifante à voir, car outre que
ces p;ens y (ont adroits >ils font autant de ce-^
remonivS , & de detours » que s*ils vouloi-
ent courir le Taureau devant le Koy d’Efpa-
^ne: mais ces animaux eftant en fougue crè­
vent des chevaux » bleiTent 5c mciiue tuent
des hommes. Je les ay veu chaiTer avecplai-
iir»rur cette îile 6c fur celle de > au
deuxiefme voyage que j*ay fait à l’A m ^i-
qne en 1672. où j*aperceus a Cuba un El-
pagnol, à qui un Taureau creva trois che­
vaux avant qu*il l’eut pu tuer .• auifi fit-il uri
voeu à Noftre-Dame de la Gadeloupe, qui
Tavoit délivré de ce peril.
pelicateHi Les ChaiTeurs Efpagnols fontfeicher leurs
k des cuirs commeles François .*mais ils n’ont pas
Ikiuca-
liu rs Ef- tant de peine ; car ils ont des Chevaux pour
I annuls« les porter,6c les lieux dont ils le fervent a cet
effet,font beaucoup plus commodes. Us pré­
parent leur manger avec plus de circonftan-
ce , 6c ne mangent point leur viande fans
pain, ou Cafave, outre qu’ils ont avec eux
plufieurs petits régals, de vin , eau de v ie ,
confitures. Us font auffi dans leurs habus in­
finiment plus propres 6c tort curieux d'avoir
i^1 toujours du linge blanc.
AniiTiOÎi- Ces deux Nations fe font continuellement
tc des la guerre .*lesEfpagnols ont fait leur pofiibie
lîüuca- pour chaffer les François, 6c dans ce deffein »
tueis ^ ils

r)’‘
DES A V ANTURIEES. iif
ils ont formé cinq Compa(Z;nies de Soldats , François
qu*ils nomment Lm ceros, à cnufe que leurs gnoîs. & î'ipa-
armes , ne font que des lances, èes cinq
Compa^>nies,font chacune de cent hommes.
Il en doit toujours aller la moitié en cam­
pagne , pendant que Tautre fe repofe : 8c
quand il y a quelque grande entreprife, tout
le Corps eft obligé de marcher. Ils font à
cheval & n*ont qjiie quelques Mulâtres à
picdjpour épier où font les François 3 qui les
fçavent toujours éviter. Cependant ils n*onc Suroriles,
pas laiiTé d*en maiTacrer beaucoup par fur- que font
prife : car lors qu*ils font fur leur garde , ils les Etpa-
fçavent bien s*en deÎFendre; outre qu’ils n’o* fnols aux
François.
fent pas les attaquer quand ils font à décou­
vert; parce qu’ayant de bonnes armes à feu ,
è c eilant fort adroits â tire r, jamais les Ef-
pagnols ne peuvent rien faire.
Je donneray icy quelques exemples de la
fubdlité des Boucaniers François , lors qu’ils
fe rencontrent avec ces Soldats ÉÎpagnols,
qu’ils nomment la Cinquantaine. Quand ils
fçavent que cette Cinquantaine eft en cam-
pagne,ilss’avertiirent tous, avec ordre , que
le premier qui la découvrira , le fera feavoir
aux autres,afin que s’il y a moyen de les atta­
quer,on n*en perde point l’occafion, LesEf-
pagnols de leur cofté ne manquent pas de
faire épier, où les François ont leur boucan ,
afin s’il eftpofiible, deles y fiirprendre de
nuit 6c en temps pluvieux , pour les maiTa-
crer, fiins qu’ils fe puiiTent fervir de leur ar­
mes.
Un jour un Boucanier François eftant par­
ty le matin avec Ton valet, pour aller chaÎTer
FS felon
Ii6 h i s t o i r e
félon qu’il uvoit accoutumé, fe rencontra au
milieu d*une troupe d’Efpa^nols qui eftoient
à cheval avec leurs lances. Ils avoient fi bien
entouré ce Boucanier & fon v a le t, quMl ne
pouvoir en échaper ; mais une genereuie re-
folution le tira d’affaire : fon valet qui luy
cftoitfidele , n’en eut pas moins que luy. Ils
fe mirent tous deux dos à dos,6c répandirent
chacun leur poudre 8c leurs balles dans leur H
bonnet. Ils attendoient les Efpagnols dans i :
cette pofture. Les Efpagnols qui n’avoient
que des lances, les tenoient feulement enfer­
mez dans un rond qu*ils avoient formé, fans
approcher 5 leur criant feulement de loin , r N
qu’ils fe rendiiTent,5c qu’ils leur donneroient
bon quartier , puis qu*ils ne vouloient point
leur faire de m al, mais feulement exccuter .s:
l’ordre de leur General. Ces deux François i!
leur répondirent, qu’ils ne fc rendroient ja­
mais, 8c ne leur demandoient point de quar­
tier : mais que s’ils approchoient, il leur en
couteroit bien cher. Aucun des Efpagnols
n e voulut hazarder ; en effet le premier qui
auroit avancé , auroit payé pour les autres
8 c pas un ne voulut être le premier. Ainfi
ils furent contraints de laiifer les deux Bou­
caniers 8c de s’enfuir promptement, de peur
qu’ils ne leur joüaifent mauvais party. ^
Un autre Boucanier eftant un jour feul à
chaifer, fe trouva en pareille occafion , lors
qu’il traverfoit une prairie qn’on nomme la
Savana. Il fut fui pris par une troupe d’Efpa-
gnolsà cheval, le Boucanier voyant qu’il
avoit beaucoup de chemin à faire,avant que
de pouvoir gagner le bois 3 ^ q^^c les Fipa-
gnoîs
Ï ) E S A V A N T U R I E R S . 127
gnols pouvoient eftrc à lay auparavant qn’if
y f û t , s^avifa de cette raie. Il mit fon arme
en état,commença â courir fur eux,& à crier
à moy, à moyjComme s^il avoir eu beaucoup
de monde avec luy , & qu*il eût cherché les
Efpagnols , ce qu'ils crurent & prirent la
fuite à toute bride. Si-toft qu’il les vis partis,
il coupa dans les bois pour s’échaperluy*mê-
me. Je pourrois faire un volume entier de
Semblables rencontres entre ces deux Nati­
o n s , depuis que les François font fur cette
Ifle : mais ces deux exemples & tout ce que
j’en ay d it, fufhront au Le<5tcur pour pou­
voir juger du reile.
Les Efpagnols voyant qu’ils ne pouvoient Refola-
par le moyen de leur Cinquantaine détruire tion Efpa-
des

les François, ny leur faire abandonner Tlile, gnols,afîi3


on du moins la chafTejrefolurent de détruire d ’empeil
cher la
le bétail,afin d’obliger par ce moyen les Bou- chaiTcaux
.»caniers François à tout quitter, lors qu’ils ne François^
trouveroient plus rien. Ils mirent leur deiTein
en execution , Ôc détruifirent tout le bétail,
que les François avoient accoûtumé dechai^
fer. Ces lieux, ib n t, Lamanct, Monte Chrtjîo ,
lîabeîla, Ltmonada^ lacjfi , Caracol, le
trou Charles Morin^]uÇqi\cs de LoUife^
aux Gonaittes , dans le Cul defac^\ la bande
du Zud. Là ils ont toûjours efté libres .*car
les François n’y font jamais venus, pendant
que les Efpagnols détruifoient le bétail, foû-
tenus de leur Cinquantaine , qui empefchoic
les François de rien faire, & les contraignoic
de ceder à la force.
Cette deifrueftion faite tant par les Efpa-
gnols que par les François , à comme fay
F4 déjà
J i8 HI S TOI RE
dcja d it, par ks chiens fauvages , eft cauft
que preientcment il y a bien peu de beftes ,
■1 I ■ & auiTi n’y a-til que très peu de Boucaniers.
Des le temps que j’en partisse nombre.com-
mençoit bien â diminuer. Les Efpagnols ce­
pendant n*y ont rien gagné .*car lors qu’il n^’y
n plus en de chaiTe j ils ont fait des habita­
tions,où ils plantent du tabac : Et le nombre
deshabitansFrançois,eft aujourd’huy figrand
fur cette Iile,que le Roy de France, fans em­
ployer d’autres forccs,que celle de fes Sujets,
peut défaire tous les gens d*armes qui y font»
& tous ceux que TEipagae y voudroic y en­
voyer.

C h a p i t r e XI I I .
Des hahîtam , îertr maniéré de haflir ^ de •vivre
avec leurs ferviteurs • ^ ce qui efl arrivé k
' î*Auteur furVîJle de laTortu'é,
«

Eux qui ont commencé d*habiter les


C premiers les I(les Eipagnoles 8c de la
Tortue,font venus des Antilles- 8c comme le
nombre s’eft toujours accru , 8 c que la Tor-
tuë leur fembloit trop petite>joint à cela qu’ils
craignoient que le terrain ne leur donnait
pas aiîez de profit; quelques-uns eftant las de
IachaiTe,8c ayant déjà éprouvé dans les liles
que la vie d*habitant eftoit plus douce que
celle de ChaiTeur, refolurent de faire des ha­
bitations fur l’Iile .* 8c pour cela ils cherchè­
rent un lieu éloigné des Efpagnols, afin qu’ils
ne les troublalfent point. Ils furent donc fe
' pla«>
D E S A V A N T U R I E R S . 119
pliicer à lii gfAride Ance qui eft à rOccident
de cette lile , 6c éloigné de plus de cent cin­
quante heuës des Eipagnols , comme on le
peut voir dans la Carte.
Le nombre croifTant tous les jours,tant de
ceux qui deicendoient des Ifles â deiTein
d»habiter , que des ChaiTeurs qui quittoienc
la chaiietils font enfin montez )uil]u’â A ugm en­
gAne , diftante de cette premiere place de tation des
vingt à vingt-cinq lieues. Ils ont efté envi- CFrançoU olonies

, ron quinze à vingt ans fans entreprendre ies.


d’habiter ailleurs , mais xM. Ogeron eftanc
Gouverneur de la Tortue,comme je l*ay fait
voir, a tellement écably ôc augmenté la Co­
lonie , qu’il a fait peupler les lieux les plus
voifins de la T ortue, ce qifon nomme an-
joLird’huy lagrm de Terre ^ depuis le port de
Faix julqu’au port M argot , où il commença
luy-mefme d’y faire une habitation. Depuis
ce temps là , ces peuples fe font tellement
multipliez, qu’ils s’étendent juiques à l^Ancor»
de L o ü i f e p o r t François , au trou Charles M(h-
i’
rin^ & jufqu’à Limonada ^où ils ne craignent
nullement les Efpagnols.
Qiiand ils veulent commencer une habita­ Société
tion 5 ils s’afiocient deux eniemble, comme des Fran­
j ’ay dit des Boucaniers,6c ie nomment. Mat- çois pour
telots^Ws font un Contradf cnti’eux,par lequel com mxMi-
cer une
ils mettent en commun, tout ce qu’ils ont, 6c habit^i-
en peuvent tous deux également diij^ofer. Si tion.
'pendant la focieté un des deux venoic à
mourir, l’autre demeure poiTeiTeur de tout le Condi­
bien,au prejudice des heritiers qui pourroient tions de
leur fo-
venir de l’Europe recLimer fes biens, ou par cieicL ,
procuration les faire réclamer. Ils rompent
\ Vs cette
H I S T O I R E
cecte ibciete quan-J bon leur feinble, 8c pren­
nent auiTi un troifiérae aux meimes condi­
tions.
Eftant ainiî aiTociez, ils demandent de la
terre au Gouverneur » dans quel quartier il
luy plaira , ce qui ne leur eft jamais refiile.
Le Gouverneur envoyé un Ofliiçief du quar­
tier, qui leur mefurc une habitation, felon la
ç^randeur qu’ils demandent ; s’ils font deux ,
l’ordinaire eft de quatre cens pas Géométri­
ques de larççe & ibixante de long , s^ils font
trois, â proportion, afin que quand ils vien­
nent à partager leur habitation,ce qui arrive
quelquefois, ils en puiiTent avoir chacun une
de deux cens pas de large , & de longueur
comme on a dit. L’habitation eftant ainfi
bornée,ils choififlentdans citte étendue Tcn-
droit qu’ils trouvent le plus commode pour
habiter : ce qui fe fait ordinairement , en
commençant au bord de la mer.
Quand toutes les habitations d’un quartier
qui font au bord de la mer font priiès , ceux
qui en veulent plus haut en peuventprendre,
tout de mefme que les autres. On nomme
ces habitations du premier étage ^ & quand
ces quartiers font bons,il s'en trouve jufqu’à
quatre ; & ceux qui font au bord de la mer
doivent donner paiTage par deÎTus leurs fond^
aux autres qui en font plus éloignez, ôc de
mefme l’un à l’autre jnfqu’à la derniere. JLes
premieres habitations, c’eft à dire les plus
proches de la m er, font les meilleurs, eftant
plus commodes , tant pour le tranfport des
t. rnarchandiies que pour l’eau de la mer, donc
le« habitans ont befoin pour tordre leur ta­
I ■ bac» La

! 1
D E S A V A N T U R TE R S.
La premiere choie qu’ils fo n t, quand ils
veulent découvrir unlieUjC’eft d’en chercher
un qui foie commode pour bâtir une loge ,
qu’ils nomment dans ce commencement >
uijoupa-^ apres ils abattent tout le menu bois Difpoiî-
quhls laiiTenr fanner , ou fecher à demy, en- tion du
lieu,que
iuite celuy de haute-futaye , c*eft à dire les les Fran-
grands arbres. A mefnre qu’ils les abattent , <;o!S choi*
iis en coupent les branches jufqu’au tronc j fiifent
ces branches font brûlé es avec le menu bois, pour y
dont ils ont déjà bâti,ils choifiiTent ordinaire­ bâtit leur
habita­
ment des places, pour y porter tout ce bois tion«
en monceau, 8c y mettent le feu, le tronc 8c
les fbuches demeurent fur la terre ; car les
ri troncs font trop gros 8c couteioient trop de
temps a débiter, 8c les fouches de mefmes; ils
abattent les arbres , en les coupant avec des I>
haches à deux ou trois pieds de terre, 8c lors ■
que ces troncs 8c ces fouches font fees, ce
qui arrive dans deux ou trois ans ^ ils y rnet-
tent le feu,qui les confume , fans qu’on ait la
peine de les tranfporcer.
Les Sauvages font leurs habitations de
mefmeiils abattent tout d’un coup les arbres,
f les laiiTant tomber pèle mêle. Ces arbres
a i n i i abattis demeurent cinq ou iix mois fur
IJ la terre , 8c lors qu’ils font fees, on y met le :1
feu, Sc tout fe confume en un inftant.
Après que les habitans ont coupé environ
trente ou quarante pas de bois en quarré, ils M é
découvrent la terre , c*eft â dire,ils amaffenc
toutes les feïulles , & commencent à planter
des vivres, qui iont des legumes , dequoy ils
fe nourriiTent : ce qifils font d’abord , c’eft
de iemer des pois^ après despacattes» du ma-
F 6 n io c
132 H I S T O I R E
xiioc dequoy ils font d e k cafave ,des bana»
niers 6c des figuiers, qui leur fervent dans ces
commencemens de nourriture. Ils plantent
CCS derniers dans les lieux les plus bas 8c les
plus humides, comme le long des Rivieres 6c
autour des fourccs : car il n'y a gueres d*ha-
bitans qui n*ait fa demeure proche d’une ri­
viere,ou d*une fource.
Apres qu'ils ont plante leurs vivres,ils ba-
tiiTent une plus grande loge , qu’ils nomment
à l’imitation des Efpagnols , Cafe,\\s en font
les Charpentiers 6c les Entrepreneurs eux-
mefnes , ou leurs voifins, chacun y donne
Congrue- fon avis TLa conftriuflion de ce bâtiment ,
îion de eft des arbres coupez par le tronc , en four­
îf'jr.s bâ< ches, qu'ils plantent en terrcjils y en confon-
suuens. cent trois ou quatre (je quinze à feize pieds
de h a u t, fur les fourchons defquels ils met­
tent une piece de bois » qui efi le fake , ils
en placent à fix pieds delà , de chaque cofté
il huit de mefme qui n’ont que fix à fept pieds
de hauteur, fur les fourchons defquels ik
poiènt des pieces de bois , de mefme qu’ils
ont pofe fur les premieres, qu’ils nommen-t
Filières,5c en mettent encore fiir chaque pe­
tite fourche ,u n e , qu’ils nomment des Tra­
vers, Apres de deux en deux pieds , ils met­
i' ^ tent de plus petites pieces de bois , qui s’ac­
crochent parle moyen d'une cheville fur le
faite,6c viennent tomber par l’autre bout en
defeendant fur ces Fitieres.
Qiiand cela eft à ce point , ils amafienc
quantité des feuilles de Palmiers, ou de Ro-
feaux ou Cannes de Sucre pour les couvrir ,
& les voifins s'aydent les uns aux autres; iî
ii< bien
D B S A V A N T U R 1 E R S.
bien qu*en un jour ils couvrent cette Loo;e •
apres ils la ferment tout autour, avec des ro-
feaux ou des plancbes,quifont de^palmiers ,
qubls nomment palliiTades. Ce batimeiK en
cet état,ils plantent quantité de petites four-
» ches tout autour , à la hauteur de deux on
trois pieds de terre, fur leiquelles ils mettent
• des batons rangez comme une maniéré de
ïiClaye ; ils en font autant qu*ils lont d'hom­
mes à coucher dans cette Café : Ils mettent
.là-defTus une paillaiTe remplie des feuilles de rLl
(Bananier , &deiTus une tente de toille blan­
che qu’ils nomment Pavillon, 8c appellent le
tout une C abane, c’eft là-deiTus qu'ils cou­
chent.
La Cafe ainii conftruite,le Maiftre de rha- R ecom -
bitation donne pour recompenfe à ceux qui penie de
ceux qui
luy ont aydé quelques flacons d'eau de vie , aydent à
, s'il y en a dans le pàïs. Ils font obligez, par faire l'ha­

I focÎeté,de s’ayder les uns aux autres de cette bitation,
maniéré , 6c cela ne fe refufe jamais. Outre
cette Café, ils en font encore quelque petite
qui fert de Cuifine.
Lors que l'Habitant eft ainiî accommodé, Soins &
occupa­
il eft au deÎTus de fes aiBaires : il fonge feule­ tion des
ment que les vivres qu'il a plantez croiiTent, H abitansf
ôc 2 abattre du bois pour découvrir une pla­
ce, afin de planter du Tabac. Ils en abattent
fuivant ce qu’ils font de monde, c'eft à dire >
pour mettre autant de deux mille plantes de
Tabac,qu'ils font d’hommes,veu que le lieu
où fe plante le Tabac, veut eftre net de tou­
tes fortes d’ordures, ou d’herbes étrangères :
8c pour cela , ils font obligez defercher cous
les huit jours. Si’toft qu’i l , ont une place H ," I
nette il I ♦
H I S T O I R E
nette pour planter Autant de Tabac qu’ils le
jugent à propos : ils en ufcnt de la maniéré
que ]’ay montrée. Pendant qu’il croift , ils
bâtiTcnr desCaies pour le mettre , une ou
deux, lèlon qu*ils auront de Tabac. Cela le
fait de mefne que la Caie dont je viens de
parler. De plus, ils en bâtiiTent encore une
mediocre , où travaille ordinairement ccluy
qui tord le Tabac , & <^ù on le ferre , en at­
tendant la commodité de l’embarquer.
Dés qu’ils ont une certaine quantité de
Commer- Tabac , ils l’envoyent en France , où ilsl’é-
P«* changent pour de la Marchandife, qui confi-
fte dans les chofes necciTaires â cultiver leur
habitation, comme, haches, houes,grattoirs,
couteaux, toille propre à faire des iacs à ma­
nioc, & à les habiller. Il ne faut pas oublier
la boiiToiijle vin 8c l’eau de vicjcar lors qu’il
vient un bâtiment de France, c’eft la premie­
tri' re choie que ces p;ensdà ionisent à acheter ;
ils fe revalent pendant que cela dure, 3c font
des débauches extraordinaires.
Il y en a qui pafTent en France , lors qu’ils
ont stagné quelque chofe -, ils achètent eux-
ii! mefmes des Marchandifes , 8c engagent des
hommes qu’ils amènent en ce pais pour les
lérvir, ainfi que j*ay dit des Boucaniers.
Comme ils font ordinairement deux AiTo-
ciez, l’un demeure fur l’habitation , pendant
que l’autre voyage. Quand ils retournent de
Il
France, ils amènent avec eux cinq ou fix,ou
lit*Ri
'■>' f
plus d’hommes,félon qu’ils ont de moyens de
payer leurs paifages, qui efl: de cinquante fix
livres pour chacun homme.
Ils û’ont pas plûtoft mis pied à terre,qu’ils
con^
"r ?

!!■!
s'lj. 'j '' ":;-^-'v.A,?->^-i'.

D E S A V A N T U R T E R S . "ii?
I Conduifencceb hommes â rhahitationj & les ce qu e
C o m m er­
font travailler. Ils commercent de ces hom­ l^on fait
ines les uns avec les autres,& ie les vendent des £nga-;
pour trois ans , pour la fomme dont ils con­ gez.
viennent > & les nomment Eno:a2:ez. Si un
Habitant a pluiieurs En^ai^ez, il ne travaille
p o in t, il a un Commandant qui fait travail­
ler fes <2;ens,à qui on donne deux mille livres
de Tabac par an , ou une part de ce qui fé
fait iur l’habitation.
Or voicv de la maniare que ces miferabîes C o m ­
En5;agez font traitez .* Le matin fitoft que le m ent on
jour "commence à paroiftre , Monfieur le les ttairct
Commandant fifîe , afin que tous fes {^ens
viennent au travail, il permet à ceux qui fu­
ment d’allumer leur pipe de Tabac,8c les me­
né au travail, qui confifte à abattre du bois »
ou à cultiver le Tabac. Il eft là avec un cer­
tain bafton , qu’on nomme une Tienne , fi
quelqu’un reç^arde derrière luy , ou qu’il foit
un moment fans ag,ir, il frappe deiTas,ny plus
ny moins qn*un Maiilve de Galere fur des
Forçats; & malades ou non,il faut qu’ils tra­
vaillent • j’en ay vu battre à un point , quails
n*en font jamais relevez. On les met dans
un trou que l’on fait à un coin de l’habitation^
^ on n’en parle point davantage.
J’ay connu un Habitant qui avoit un Exem pîe
Fnga2;é malade à mourir , il le fit lever afin du m au­
vais trai­
de tourner une meule,pourrepaiTerou aigriii- tem ent
fer fa hache; ce pauvre miferable ne tour­ q u ’on
nant point à ion gré, car il n’en avoit pas la leur fait.
force; il luy donna un coup de hache encre
les deux épaules, & le fit tomber fur le nez.
Ce malheureux commença à jetter quantité
de
15^ H I S T O I R E
dc fang: p^t la bouche , & mourut deux heu­
res apres ; 3t cependant ces inhumains ne
lailfent pas de paiTcr pour fort indulg;ens , en
comparaifon de ceux des Ifles Antilles .*car
ces Barbares ont tué une quantité prodigieu-
ie d’Engagez, depuis que les Colonies Fran-
^''üf çoifes y font établies.
Un certain Habitant de Saint Chriftophe
nommé Belle-tefte,qui eftoit de Dieppe, fai-
ibit gloire d*aiTommer un Engagé qui ne tra-
vailloit pas à Ton gré. J^ay entendu dire à un
de Tes parens mefmes , que ce Belle-ceile a
aÎTommé plus de trois cens Engagez , & di-
foit après qu’ils étoient morts de pareife. Il
leur faifoit frotter la bouche de jaune d’œ u f ,
pour faire croire qu*il les avoir fait folliciter
jufqu’â la fin.
Un jour un Saint Religieux luy fut remon­
trer, & luy reprocher ia cruauté^ lans avoir
égard à la rem ontrance , il répondit bruf-
quem ent, qu’il avoir efté auiTi bien engagé
que ces g en s, 6c qu*on ne l’avoit pas mieux
p i» :" :
traité, qu’il eftoit venu aux Indes pour gag­
ner du bien;quepourveu qu’il en gagnaft, 6c
1 ! 1 Etrange que fes enfans allaiTent en carroiTe , il ne ie
reponfe naectoit pas en peine que le Diable l’empor-
d ’un a-
1 'i '-^"1 l;'l| '
yaie.
tât.
1 PP r : . Il y avoir un autre Habitant de la Guade-
loupe,fort riche,dont le pere eftoit fi pauvre,
f ï „ iïi
qu’il Alt obligé de s’engager pour aller aux
Indes, 6c par je ne fçay quel deftin, s’adreiia
111 v' I I I â un Marchand qui avoir rcceu de l’argent
I l i lf.
de l’Habitant dont j’ay parlé, qui eftoit fils de
ce bon homme , pour luy acheter des gens.
Ce bon homme engagé partit,6c étan: arrivé
*i(' S li.i-tr crut

'■*■1
!.ii \, i fV-'I
D E S A V A N T U R I E R S . 137
[crut eilrc bien, que d’eRre dans les mains de
Ton propre fils ; mais il fur bien trompe dans
ion attente, puifque ce fils dénaturé l’envoya
travailler avec les autres ; & comme il n en procédé
faiibit pas autant qu’il vouloit,il n*ofa peas le
battre, mais il le vendit â un autre Habitant,
qui le connoiÎTant pour ce qu’il étoit,en ufa
mieux, carilluy donna de quoy vivre , apres
iiluy avoir rendu la liberté.
Il njeft pas befoin que je cite icy d’autre
Uvanture que celle qui m*eft arrivée à moy-
imefme, pour faire voir le peu de charité que
ces g;ens ont pour leurs femblables. J*ay déjà
dit que lors que Meifieurs de la Compaiînie
Occidentale abandonnèrentl’Ifle delà T or­
tue, je fus expofé en vente par leur Commis
General qui m’acheta pour luy-mefme. Dans
la fuite , au lieu de m’employer à ce qui re-
fijardoit ma profeiïîon , comme j en cftois
convenu avec Meifieurs de la Compagnie , il
ne m’occupoic qu’aux chofes les plus fervi-
les , 6c ne me donnoic qu’à moitié ce que
i’avois befoin , foit pour ma nourriture, ou
pour mon veftement. J ’offris de luy payer
tousles jours deux ecus , pourveu qu’il me
permift de travailler de ma profeifion : Loin .
d’y confentir, il me difoit feulement que c*é-
toit Monfieur le Gouverneur qui me donnoic
de tels confeils, quoy qu*il n’y eût jamais

Un an après mon arrivee,le mauvais trai­


tement que je recevois me fit tomber mala­
de. J’étois couché fous une méchante loge ,
fans rien prendre qu’un œ u f par jour,qu’une
pauvre Efclave-noire m’apporcoir. Bien c^.e
je
Î38 H I S T O I R E
je fuife tres-foible, la grande alteration oft
j’étois,cnuré par 1*ardeur de ma fièvre , m*o-
blii^eoit fouvent de me lever, 8c de me traif-
lier le mieux qu’il m*étoit poiTible, pour aller
boire à une Souce à dix ou douze pas de lâ.
C e qui ar« Enfin après avoir beaucoup fonfPert, lors
rive à que je croyois mourir , une fueur univerfelle
l'A u th eu r
clbnt^’e n -^ abondante me tira tout d*un coup d’afFai-
gagé, re; mais â peine fus-je délivré de ce mal,que
j*en reiTentis un autre pour le moins •uiTi fâ­
cheux. O ètoit une faimpreiTante,8c par mal­
heur je n*avois pas dequoy manger , ny la
permiiTion d’en aller chercher : En forte que
j'ètois contraint de vivre d’oran2;es fort
ameres,8c qui ne commençoienc qu*â nouer.
En un mot,la faim me reduifit â des extremi-
tez que j’aurois honte de dire , 8c pour com­
L; Il I
ble de maux^on retenoit toutes les lettres que
mes parens m'^envoyoient.
II) Une fois je defcendis du Fort de la Roche
oîi demeuroit mon Maiftre , à la Bajfe terre ,
8c j'y rencontray un Secretaire de M. le Gou­
verneur , qui me mena â fim aifon, 8c me
donna à déjeuner avec deux ou trois verres
de vin, Sc une bouteille pleine , qu’il m’obli­
gea d’emporter. Mon Maiftre qui avoir vu
coût ce qui s’eftoit paifé , avec une Lunette
ii il'i
^ . . l1' d’approche , me fit ofter le vin que j’a v o is,
8 c mettre dans une baiTe-foiTe, fi-toft que je
■‘-\i ■ 'i: i fus arrivé. Cette bafte-foiTe eftoit Ions la
roche , remplie d’ordures, 8c fans lum ière,
"% i difant qu’il me feroit périr dans ce lieu , en
dépit de Mi, le Gouverneur , qu’il ne pou-
voie fouiFrir, à caufe qu’il m’avoit témoigné
•! ? l •'de l’amitié à mon arrivée, qu’il croyoic que
je
3 f il
des A V A N T U R Ï E R S . ï ^p
je fuiTe de fa cabale, Sc que ie luy reporraiTe
toutes fes avions, a quoy M.^le Gouverneur
ny moy n’avions jamais pcnié.
Je fus enfermé trois jours dans ce cachoti
les fers aux pieds, Sc Ton ne me donnoit par
jour qu’un petit morceau de pain , & un peu
d’eau, qu’on me paiToit par un trou fans ou­
vrir la porte. Je couchois nud fur la terre ^je
me ibuviens qu’une Couleuvre m’entoura
diverfes fois, 5c meprciTa mefme le corps i
ce qui me fit de la peine. Le quatrième jour
on m’ouvrit la porte , & on me voulut faire
dire que M le Gonverneur m’avoit deman­
dé ce que faifoit M. de la Vie. Je dis que
quand je devrois rentier & périr enfin dans
le lieu d’où l’on me riroit, je ne conviendrois
jamais d’une telle chofe puis quelle n’eftoic
pas vraye.
On melaiiTa toutefois aller , & pour ma
peine on me commanda de défricher une
terre qui eftoit autour du Fort de la Roche«
J’y fus, 8c comme je me vis feul, 8c que je
n’eftois point obfervé , je quittay tout là , re-
folu d’aller me plaindre à M. le Gouverneur-
mais avant que de le faire , je fus confulter
un bon Religieux Capucin nommé le R. P.
Marc d*Angèrs,qui me dit que jeferois bien,
8c qu’il n’y avoir aucun péril. Il fut touché
de me voir, car j’eftois maigre, pàle,Sc pres­
que nnd.
L’état déplorable où j’eftois, marquoitaÎ^
fez les mauvais traitemens que j*av(^s re-
ceuSjfans que j’euifebefoin de les dire. lime
mena fur le champ chez M. le Gouverneur ,
qui eut auili compaifion de moy • ce qu’il me
té-
Ï 40 H I S T O I R E
Bonté de témoiç^na par des effets fenfibles , car il or-
^roneii- l’hcure à celle qui nvoitfoin delà
vmrAu*- maiibn, de m’accommoder comaie fi je luy
iiitui. avois àppartenn. On me mit aufli-toft dans
^iiii bon l i t , où Ton ne me laiifa manquer de
rien : fi bien qu’en peu de jours je fus rem is,
&c il ne me reftoit plus d’autre mal que la
crainte de retourner chez mon Maifire j ce.,
qui n*arriva pas ; car apres m*eftre entière­
ment rétabli^M. le Gouverneur me mit avec ^
un Chirurgien célébré dans le païs , â cauiè
d’une infinité de belles cures qu’il y avoit
faites.
Monfieur le Gouverneur ne trouva pas à
propos de.me retenir auprès de luy , de peur '
qu’on ne l’accufaft d*ofter injuftement les
ferviteiirs des autres^ pour ie les approprier 5
& fit rendre par les mains du Chirurgien à M.
de la Vie tout l’argent qu’il avoir donné
pour m^acheter : fi bien que je demeuray a-
vec le Chirurgien , qui me fie autant de bien
que M. de la Vie m’avoit fait de mal.
C eft a.infi que je me fuis échapé des mainîil
de ce méchant Maiftre , qui depuis eft venu
en France , & a ozé aller chez mes parens
leur dire qu’il m’avoir fait tous les biens ima- ,
ginables , dont ils l’ont remercié avec beau­ 1
coup d’honnêteté & d e p re fe n s, qu’il a re- ''
ceus comme s’il les avoit merirez. Le Leéfeur
me pardonnera cette petite digrefilon , qu*il J
î- I
'i'IÎ 7'S' ne trouvera pas hors de propos, puiique je ^
myM l’ay faite au fujet des Engagez ; & je pour- '
. ■ ïiiiM I ' '’iJii' lîv' I rois faire un gros volume , fi je rapportois ■■
toutes les cmautez que ces gens exercent
';à| envers leurs ferviteurs ; mais il eit temps de
rC'
.[. :JA
If; : *'' !-V'/'*-Ii ' <!'
Ir'i í^
m É iM
li-j- '|;ÎÎIî ,'‘!
\i\ iii
D E S AV A N T U R I E R S . t 4 i
retourner à noftre Coinmcindiint (]ui fuit trii-
vailler fes Ens;a)^ez.
Lors donc qu’ils vont le matin au travail ^ Travail lu \
un d*eux a le foin d'aller donnera rnano;er
aux Porcsjcar les habitans nonriiTent là toute fi
forte de beftiaux. Ils leur portent des feuilles
de Patates >8c en mefme temps en attachent
pour donner à déjeuner à ceux qui font au
travail. Quand ils les ont arrachées, ils^ les
font cuire de la maniéré que j’ay montré, 8c
y font la fmiTe de meiine. Cela eftant fait *
lU appellent leurs camarades qui ibnt au tra­
vail,pour déjeuner; quand ils ont man^é ces m
Patates avec lapimentade , ils allument tous
chacun leur pippe,& retournent au travail.
Celuy qui a la charge de la cuiiine, éplu­ ri
che des pois, qu’il met cuire avec delà vian­
de , dans lefquels on nc:et auiTi des Patates
hachées en guife de Navets. Après que fon
pot eft au feu,il va travailler avec les autresj
8c quand il eft temps de difner , il revient
p o u r l'aprêter. Si-toft qu’on a difné , on re­
tourne travailler jufqu’au foir , où on man­
ge de mefme qu’à difner : eniuite on les em­
ploye jufqu’à minuit à éjamber du Tabac.
Dans le temps qu'on n’éjambe point de Ta­
bac , on fend du Mahot , qui eft une écorce
d’arbrefervant à lier le*Tabac , ou bien on
fait des petits liens pour pendre le Tabac ^
cela fait, on donne la permiftion de s*aller
coucher.
Les Feftes 8c les Dimanches ils peuvent
aller fe promener ou ils veulent. 11 y en a be­
aucoup qui meurent de chagrin de fe voir
ainfi maltraittez , outre que la iruiladie du
pais
141 H I S T O I R E
paï<; y contribue benucoup'.car fi on n*a bîeni^
de la rerolution , & qu’on ne fiiÎTe qu-^lque -;
exercice, on demeure comme inlenié ,il fur- ; '
vient une certaine infoinnie 8c un tel aiTou-*,
piiTemenr, qu’on piqueroit un homme en cet '
tta t , qu’il ne fe ienciroit pas. Plufieurs de­
viennent hydropiques,8c ont la courte halei-;' ;
ne, qu’on nomme le mal d’eftomac, qui eft
proprement ce qu’on appelle en France le
fcorbutjdont une infinité meurent.
Les Anglois traittent leurs En<?a2;cz en­
core plus mal que les François; ils le«^ retien­
nent pour fept ans, au bout defquels ils leur
preièntent de l’argent pour boire, 8c puis les
revendent encore pour fept ans : j’en ay vu
qui avoient fervi jufqu’à vingt huit ans.
Crom w el Cromwel a vendu plus de dix mille EfcoiTois
vend plus 5c Irlnndois , pour envoyer à la Barbadej il
dedixm il-
ie h om ­ s’en lauva un jour plein un navire , que le
m es pout courant apporta à S. Domingue , & les vi­
la JBarba- vres leur m anquant, ne fçaehant pas où ils
de : cc eftoient; ils périrent tous par la faim ^ leurs
cju'ils de-
vicnaent. os fe voyent encore proche du Cap Tibron,
en un lieu qu’on nomme l'Anfe aux ibernois.
Si j’ay fait une ample delcription de di­
vers endroits de l ’ Amérique , de l’efpece de
il® plufieurs fruits , des proprietez de quelques
animaux , on ie lèra lans doute aperçu que
üi; c’eftoit pour mieux faire connoifirc où les
Avanturiers s’exercent,où ils vont en courie,
8 c de quoy ils fe nourriffent ; en forte que
tout ce qui a efté dit jufqu’icy , n’a efté dit
que pour difpofer le Ledleur à mieux enten­
dre ce qui concerne les Avanturiers.
Par exemple^ fi j’ay parlé des Boucaniers
ç’a
D E S AV AN TU R IE R S. 141
ç’à etté pour montrer que les plus célébrés
Avaiituri rs Te tonnent & lont pris chez
eux ; de maniéré qivon peut dire qu*ils fone
leur apprentiiTage à la campagne , dans les
bois& Tur les bêtes, pour faire enfuite des
coups dem aiibeiur les mers, dans les Villes,
6c contre les hommes.
Si pourtant quelqu’un s’étonne de ce que
tant d’Autheurs ont écrit de T Amérique^ &:
que j’en écrive encore 5 il ceifera bien toit
de s’étonner, s’il vient a lire cette Relation
après avoir les autres, a caufe de la diffe­
rence qu’il y trouvera.
Ayant donc rapporté ce que j*ay connu
de plus Îingulier dans l*Amerique,& comme
h a b ita n t, & comme Boucanier , je ne m’é-
tendray pas davantage iur ce iujec, eilanc
perfuadë que dans un voyage il ne s’agit pas
d’en dire beaucoup, mais de dire vray.

irr\

HI S-
I*i4
i^ . 1^. <^. <^. i1
*‘,*»***‘*****************************
* , * * * * • * * * * * * » * * * * * * * » * * * * * * * * * * * » * *
V5^- W5^ WS^. V5^. v5^ V^- V/5^
i■
• i

HISTOIRE
D E S

AVANTURIERS
d U I SE S O N T SIG-N A L E Z

D A N S LES INDES
Conrcnant ce qu'ils ont fait de plus remar­
quable depuis vingt années.
SECONDE V AKTIE.

C H A P I T R E I.
VAutheur s'embarque avec les Avanturters, Ce
qui a donné lieu à leurs entreprifes.
P r è s avoir eilé quelque temps
_^;avec le Chirurgien donc )'ay parlé ,
^ j e luy demanday pcrmifilon de me
mettre Eiriin vaiiTeaii Avanturicr
qui eftoit preil: d'aller en conrfej ce qu'il
II m'accorda volontiers. CviV rm je i"n
C'eft ainfi que me^
fins trouvé parmy les Avanturiers, & je vais
maintenant décrire les plus mémorables ac­
tio n que je leur ay yeu Elire ^ tant que la
DES A V A N T U R I E R S . u r
BecciTité m"a réduit à demeurer parmy eux.
Les François & les Anglois ne furent pas
long-temps à s'apercevoir combien eftoic
avantageux aux Efpagnols FetabliiTeinent de
|lla piiiiTiinte colonie qu’ils ont dans 1*Améri­
que. C eft pourquoy les François ie gliiTerent
l’parmy eux,entreprirent divers voyages dans
ces liles déjà habitées, mais comme ils ne le
contentoient pas des profits qu'ils faiibient ,
unis avec cette nation , ilsreiblurent de s'en
leparer, dans le deflein d'en chercher de plus l'if M?
grands par leur propre induftrie, 6c d'eilre
iculs à les partager.
Ainfî chacun d'eux eÎlant retourné chez
iby, ne manqua pas de propoferibn deÎTein
(.aux Marchands,& de leur donner des lumie-
3Tes pour s’enrichir dans ces pais. A cette fin
; ;les François,auifi bien que les Anglois,équi-
jperent quelques vaiiTeaux, pour faire le mei^
me commerce que les Efpagnols .‘mais ceux-
cy y eftant les plus forts , les chaiTerent, 8c
ifprirent leurs vaifTeaux ; c’eit pourquoy ils
furent obligez dés ce temps là de leur décla­
rer la guerre, qui depuis y a toûjours duré ,
6 c y dure encore ; ce qui fait que les Efpa­
gnols défendent généralement à tous les E-
trangers rentrée de leur ports , havres ou
bayes.
Ces Nations s’eftant donc déclarées en-Les ?ran-
Jîinemies des Efpagnols, voulurent colon i f e r ço« &les
Hquelques Ifles, & comuaencerenc par celle
^ide S. Chriftophe dans les Antilksimais quoy tioTdcs
jjique les François 6c les Angiois fe fuirencEipa-
Qi joints enfembie,ils ne le trouvèrent pas nean-
X moins aiTez forts pour refifter aux Efpagnols»
Tom e J , G qui Indes.
14 ^ H I S T O I R E
qui les chaiTerent encore deux ou trois fois
de leurs colonies. Monfieur le Cardinal de
Soins du Richelieu , qui pour lors eftoit tout puiiTant
Cardinal en France , & qui ne tendoit qu’à l’agrandif-
de Riche­ iement de cette Couronne , créa une Com-
lieu pour
î’Tmai- pagnie , avec ordre de peupler ces lilcs. Les
gue. Anglois de leur côté en firent autant j fi bien
que les particuliers qui avoient commencé
à s’établir dans ce pais à deiTein d’y com­
m ercer, quittèrent tout , voyant qu'il n’y
avoir plus rien à faire pour eux de coniide- V

rable, 6c furent, ce qu*on appelle , courir le


bon bord, cherchant par tout les Efpagnols
pour les piller.
Pierre le Le plus célébré des Avanturiers de ce
G rand , temps-là, fut un nommé Pierre le Grand, natif
prem ier de Dieppe ^ lequel ayant efté quelques mois
A vanru-
£ier. en mer fans pouvoir rien prendre , fe trouva
à la pointe Occidentale de l*Ifle Elpagnole ,
nommée le Cap Tibron , toutefois en fort
mauvais équipage ; car fon vaiiTeau, qui
eftoit monte de quatre petites pieces de ca­
non, 5c de vingt-huit hommes, faifoit eau de
tous coftez , manquoitde vivres, 6 c ne fça-
voic où en prendre. 11 avoir découvert quel­
ques Bâtimens Efpagnols , mais les voyant
trop forts, fon Equipage n’avoit pu confen-
tir à les attaquer.
Courfede En cet état, lors qu’il tenoit confeil,l’hom-
me qui eftoit tout au haut du mats , pour dé-
couviir co met , cria qu*il voyoit un navire,
mais qu*il paroiuoit tort grand • Tant mieux,
répondit l’Equipage,il y en aura plus à pren­
dre. AuiTî-toft le ConfeiJ ceiTa , 6c l’on ne
ibngea plus qu’à faire voile à toutes forces ,
pour
D E s A V A N T ü R r E R s. I47
pour donner la chaiTe â ce Batiment , duquel
ils s'approchèrent en fort peu de temps. En
effet il leur parut fi grand , qu*ils commencè­
rent cous à murmurer , oublians ce qu*ils ve-
noient de refoudre. Mais le Capitaine les
remit en leur difant, qu’il fçavoit la maniéré
de prendre ce Bâtiment, pourveu qu*on le
vouluft feconderjce qu'il fe fît promettra par
ferm ent, & leur en dit la maniéré, quieftoic
telle , qu’il faloic tous fauter à bord , & que
ce Bâtiment ne fe doutant pas qu’un fi petit
le vouluft attaquer, ne fe feroit aucunement
prëcautionné; & par ce moyen on fefaiiîroit
de la chambre du Capitaine , & des foutes Refo?u-
aux poudres, où il faloic mettre le feu , fi on
voyoit qu’on ne puft s'en rendre maiftre au-
tremenc.
Tous luy promirent qu*ilsle fuivroient, 8c
ne manqueroienc nullement à obierver fes
ordres avec exacftitude. Cependant il ne s*y
fia pas trop ^ car il concerta avec le Chirur­
gien qui eftoit fon confident, ce qui fuit,iça- Expedient
v o ir, que luy Chirurgien refteroic le dernier d e ^ p ie irc
à montera bord, 8 c avant d*y m onter, cre- G ra n d ,
veroic la barque d’un coup de pince de fer ,
afin d’obliger par là fes gens de vaincre pour ïnaift^edu
fe fauver. vice-A d-
Lors qu’ils commencèrent d’approcher ce
bâtim ent, ils s'armèrent tous de deux bons
piftolets, 8c d’un bon coutelas, 8C peu de^ne, '
temps apres ils abordèrent ce navire. Les Ef-
pagnols, au lieu de leur défendre l'abordage, fim
S i:ï,
les regardoient entrer indifféremment. !-r 'i
. Auffi-toft Pierre le Grand fuivi de dix
des liens , entra dans la chambre du Capicai-
G 2. ne.
rn 148 H I S T O I K E
n e , iiiy mit le piftolct Tous la goro;e , & Iny
commanda de ic rendre. Cependant le refte
fe faifit de In Sainte Barbe, Sc de toutes les
i l munitions • ils firent defcendre les Eipagnols
dans ie fonds de calle^dont plus de la moitié,
■(iÎ : qui ne f^avoient ce que c’etoit , & qui
voyant ces gens dans leur navire , lans aper­
cevoir d’autre navire qui les euft amenez ,
parce que le leur eftoic déjà coulé à fonds,
les crurent tombez des nues , & dans leur
furprife/ailbient des fignes de croix ,fe difant
les uns aux autres : fon démontes ejios :
Ftorme- ceux-cy font des diables.
m cnt des
tipagnols Ce n*eft pas que pour prévenir ce malheur,
quelques Matelots qui ranarquoient que ce
Bâtiment avan<joit toujours, n’euiTent averti
le Capitaine de ce qui pouvoir arriver : mais
voyant un iî petit Bâtim ent, il n*en tint au­
cun compte, ne croyant pas qu’il euft la har-
dieffe de l’attaquer. Il retourna dans ia
chambre jouer aux cartes , comme il de rien
n’euft efté. On luy fut dire une fécondé fois
que ce Bâtiment approchoit, qu’il avoir l’ap­
parence d’eilre à des Corfairesj3 c on luy de­
manda s’il ne vouloir pas du moins qu’on
Kegii- preparaft deux pieces de canon : Non, non,
j tncc 5c dit-il, qu’on prepare ieulcmentle paient, &
jrodo-
n io n n d e
nous les guinderons. Ce paient cft une forte
duCapU de poulie*, de quoy on iè fert dans les navires
ia ire F.f- pour guinder les marchandilès à bord.
j;)a£oo1. Aiiifi ce Capitaine ne reconnut fa faute
que quand il fe vit le pHloletfoiis la gorge ,
Sc qu’il falut rendre iôn navire à ce mifera-
ble qu’rl pretendoit guinder dans fon bord.
il L e iîeur le Grand & tous fes compagnons de
mer

J i.
D E S A V A N T U K I E R S . 149
>'mer virent en peu de temps leur fortune bien
chan^éeicar au lieu d*une méchante Barque
qui coüloit prefque à fonds, & manquoit do
tout J ils fe trouvèrent en poifeiTion d’un na­
vire de cinquante-quatre pieces de canon ,
dont la plufpart eiloient de bronze , avec
quantité de vivres , de rafraifchiiTemens , 8c
un nombre immenfe de richelTes. C*eftoit le
Vice-Admiral des Gallions d’Efpagne , é^,a*
ré de la Flotte.
Auiïi-toft: que nos Avanturiers fe furent
rendus maiftres abiblus de ce vaifTeau , ils /
mirent ceux qui le m ontoient, fur l’iiîe EC>
pasçrrole , d*ou ils eftoient fort proches , dc
gardèrent ièulement quelque nombre de Ma­
telots, qui leur eftoient neceiTaires pour con­
duire ce Bâtiment en Europe , où ils arrive-
rent peu de temps après, & où le fieur le
Grand eft demeuré,fans fe foucier de retour- le Grand
ner davantage â TAmerique.
Cette belie Sc riche prife fit grand bruit
par to u t, 8c donna occafion à plufieurs par­
ticuliers d’équiper des vaiiTeaux pour faire
des courfes en ce pais là. D’autre cofté les
Efpagnols eurent plus de foin de fe tenir fur
leurs gardes ; ce qui fut cauie que peu de ces
Avanturiers y gagnèrent, plufieurs y perdi­
rent, 8c furent obligez , comme je l’ay'déja
dit, de fe réduire à la colonie,parce que leurs
Bâtimens devenans vieux , eftoient de trop
grand entretien , 8c ils n’en pouvoicnc faire
venir de France qu'avec une dépeniè ex-
ceiTive,à quoy il leur eftoit impoifible defub-
venir. D’autres qui ne pouvoientie paifer de
cette v ie , cherchèrent moyen d’avoir des
G s Bâ-
i<ro H I S T O I R E
Bâtimens qui ne leur coutaiTent rien.
Cela leur a iî bien rcüflî , leur nombre 8c
leur valeur ont tellement augmenté , qu’ils
font tous les jours des exploits inoüis contre
les Efpa»nols;en forte que les Roys de France
6 c d*Anp;leterre peuvent , quand ils le vou­
dront , conquérir les Indes du Roy d’Efpag-
Forces des ne, fans avoir befoin d*autres forces que de
R ois de celles qu’ils trouveroient fur les lieux : car je
France & mets en fait, pour Ravoir vû plus d’une fois >
d ’Angle»
ferre dans qu’un feul de ces hommes vaut mieux qiie
r Am éri­ dix des plus vaillans deREurope. Comme ils
que, font braves,determinez 6c intrepides,il n*y a
ny fatigues,ny dangers qui les arreftent dans
leurs couries : 6c dans les combats ils ne lon­
gent qu'aux ennemis 6c à la vidroire • tout
Ëi cela pourtant dans l’efpoir du gain, 6c jamais
C arailere en veuë de la gloire. Ils n’ont point de pais
des Avan- certain , leur patrie eft par tout où ils trou­
Turiers en
general. vent dequoy s’enrichir ; leur valeur eft leur
heritage. Ils font tout à fait finguliers dans
leur pieté; car ils prient Dieu avec autant de
devotion , lors qu’ils vont ravir le bien d’au-
truy, que s’ils le prioient de conferver le leur.
Ce qu’il y a de plus précieux dans le monde
ne leur coûte qu’à prendre,6c quand ils l’ont
p ris, ils penfent qiRil leur appartient légiti­
m em ent, 6c Remployent enfuite auiTi mal
qu’ils l’ont acquis; puis qu’ils prennent avec
violence 6c répandent avec profufion.
Le fuccés de leurs entreprifes femble jufti-
fier leur témérité , mais rien ne peut excuier
leur barbarie j 6c il feroit à fbuhaiter qu’ils
fuiTentauffi exaefts à garderies Loix qui rè­
glent les autres hommes, qu’ils font fideles à
;I ob-
DES A V A N T U R I E R S . i ^ï
pbferver celles qu’ils font entr’eux. Cepen­
dant ils ne fe peuvent fouifrir quand ils ibnc
miferables, & s’accommodent tres-bien lors
J qu’ils font heureux. Ils s’abandonnent auflî
volontiers au travail qu’aux plaifirs , ég;ale-
if ment endurcis à l’un & feniibles à l’autre,
f paiTent en un moment dans les conditions les
fl plus oppofées ; car on les voit tantoft riches,
n tantoR pauvres, tantoft maiftre%, tantoft ef-
ij claves,farïs qu’ils felailfent abattre par leurs
pf malheurs, ny qu’ils fçachent profiter de leur
i'profperité.
Voilà en general ce que l’on peut dite des
Avanruriers; en particulier, voicy comme ils
.. fe gouvernent, 8c la maniéré dont ils fe font
j fervis, 6c fe fervent encore aujqurd’huy pour
d avoir des bâtimens j ils s’aiTocient quinze on
Rvingt enfemble , tous bien armey d’un fufil,
i de quatre pieds de canon, tirant une balle de
1 feize à la livre, 6c ordinairement d’un pifto-
let ou deux à la ceinture , tirant une balle de
vingt à vingt-quatre àla livre , avec cela ils
ont un bon labre ou coutelas. Eftant ainiî
aiTociez,ils en choifiiTent un d’cntr’eux pour
chef, 6c s’embarquent fur un can ot , qui eft M oyens
une petite naflelle tout d*une piece , faite du
tronc d’un arbre , qu’ils achètent enfemble, trouvent
ou celuy qui eft le chefl’achete luy feul , à pour avert
condition que le premier bâtiment qu’ils pren- ^es vau­
dront , fera à luy en propre. Ils amaiTent
quelques vivres pour fubfifter de l’endroit
d’où ils partent, jufqu’au lieu où ils fçavenc
en trouver, 8c ne portent pour toutes hardes
qu’une chemile 8c un calcon,ou au plus deux
chemifes. Ils partent donc dans cet équipa-
G4
’! ‘I
7 fZ H I S T O I R E
g e , & vont devant quelque riviere ou port
Îfpagnol, d’où ils içavent qu’il doit ibrtir
I. des barques ; & ii-tô-t qu'ils en découvrent
quelques-unes , ils fautent â bord , & s*en
rendent les maiftres. Ils n’en prennent gue-
res iàns y trouver des vivres & des marchan*
dilès que les Efpagnols négocient les uns en­
tre les autres. Avec cecy^ils s’accommodent,
& ilsfe vét^r*
Si la barque n'eft pas bien en état de na-
viger, ils la vont caréner iùr quelque petite
lÎle, qu'ils nomment Caye ; & cependant ils
■gardent les Efpagnols de la barque,pour leur
ayder à ce faire : car ils ne travaillent que le
moins qifils peuvent. Pendant que les Ef­
pagnols font occupez à racommoder la bar­
que , ils fe réjoüifTenc de ce qu'ils ont trou­
vé dedans, & en partagent les marchandiiès
également. Si-tôt que la barque eft en bon
état,ils laiiienc aller les Efpagnols, & retien­
nent les Efclaves, s'il y en a^ & s’il n*y en a
point, ils retiennent un Efpagnol pour faire
la cuiiine ; après ils aiTembîcnt leurs camara­
des , afin de fournir leur équipage & d’aller
en courfe. Qiiand ils fc trouvent au nombre
qu’ils ont concerté de trente â quarante félon
la grandeur de leur barque , il faut l’avitaiî-
1er,& ib en viennent encore à bout, fans dé-
bqiircer d’argent. Pour cela ils vont en cer­ '■34‘i
tains lieux , où il y a des Efpagnols, qui ont
des parcs pleins de porcs , qu’ils nomment
Coraux : ils les épient, les furprennent, & les if
forcent â leur apporter deux ou trois cens
porcs gras, plus ou moins felon qu’ils en ont
aifaire , 6c s'ils le refufent ils les pendent ^
après
D E S ' A V A N T Ü R I E RS. tss
iaprésleur avoir fait fouffrir mille cmautez.
Êendanc que les uns ialent & accommo­
dent ces porcs , les autres amaiTent tout le
bois & l’eau , qui leur eft neceiEiire pendant
le voyage. Tout cela eftant fait, on convient Accord
d’une commune voix , devant quel Port on
doit allerpour faire quelque entreprise;apres ^
qu*on eit convenu, on fait un accord, qu’ils condi-
nomment Chaffe-partie , où l’on regie ce
qu’on doit donner au Capitaine , au Chirur­
gien & aux eftropiez, chacun felon la gran­
deur de ion mal. L’équipage depute quatre
ou cinq des principaux avec le Chefou Capi­
taine pour faire cet accord , qui contient les
articles fuivans. ^
En cas que le bâtiment ibit commun â tout
l’équipage , on ftipuleii on le trouve bon ,
qu’ils donneront au Capitaine le premier bâ­
timent qui fera p ris, & fon lot comme aux
aurresj mais fî ce bâtiment appartient au Ca­
pitaine , on fpecifie qu’il aura le prernier qui
fera pris avec deux lots , 5c fera obligé d’en
brûler un des deux, içavoir celuy qu’il mon-
te,s*il ne {prouve pas ii bon cjue cekiy qu’on
aura pris *!^ en cas que le batiment qui ap­
partient à leur Chefioit perdu , l’Equipage
lèra obligé de demeurer auifi long-temps
avec le Capitaine qu’il faudra pour en avoir
un autre. Voicy les conventions de cet accord.
Le Chirurgien a deux cens écus pour fon
coffre demedicamens , foie qu’on faffe priie
ou non; 5c outre cela, en cas qu’on faife pri-
fe, un lot comme les autres. Si on ne le fatis-
fait pas en argent , on luy donne deux Efcla-
ves.
G y Pour
ur
H I S T O I R E
Pour les autres Officiers, ils font tous éga­
lement partagez , â moins que quelqu’un ne
fe foitfignalé : en ce cas on luy donne d’un
commun confentement une recompence.
Celuy qui découvre la priiè, qu’on fait, a
cent ecus.
Pour la perte d*un œ il, cent ecus ou un
Efclave,
Pour la perte des deux, fix cens ecus ou fix
'I i. E ici aVes*
Pour la perte de la main droite ou du bras
droit, deux cens ecus ou deux Efclaves.
11 Pour la perte des deux,fix cens ecus ou fix
Efclaves.
Pour la perte d*un doigt ou d’un orteil,cent
ecus ou un Efclave.
Pour la perte d’un pied ou d’une jambe
deux cens ecus ou deux Efclaves.
Pour la perte des deux, fix cens ecus ou fix
Efclaves.
Lors que quelqu’un a une playe dans le
corps, qui l’oblige de porter une canulle , on
îuy donne deux cens ecus ou deux Efclaves.
Si quelqu’un n’a pas perdu ent^rement un
membre , & qu’il foit fimplemem privé de
l ’adtion , il nelaiiTe pas d’eftre recompenfé,
comme s’il l’avoitperdu tout à fa it, ajoutez
â cela , que c’eft au choix des eftropiez de
prendre de l’argent ou des Efclaves, pourveu
qu’il y en air.
Cette^ChaiTe-partie eftant ainfi faite , elle
eft fignee des Capitaines & des Députez qui
en font convenus au nom de l’Equipage -•
•'I Après tous ceux de l’Equipage s’aiTocienc
deux â deux, afin de fe folliciter fun l’autre,
en
>i

II
^ D ES A V A N T U R I E R S . iff
cn cas qu’ils fuiTent bleiTez ou tombaiTent
malades. Pour cec effet,ils fe paiTent un écrit Learma-
I fous feing privé, en forme de teftament, ou ®
s’il arrive que l*un des deux meure, il laiiTe a
l’autre pouvoir de s’emparer de tout ce^ qu il
a. Quelque-fois ces accords durent toujours
entr’eux , & quelquefois auiïi ce n eft que
pour le voyaf^e.
Tout eftant ainfi difpofé, nos Avanturiers
partent : les Coftes qu’ils fréquentent ordi- Cô;es
nairement font celles de Cdraco, de Cm'igene ,
de Ntcarague, &c. lefquelles ont pluueurs
Ports où il vient iouvent des navires Efpa-
i^nols« A Caraco , les Ports où ils attendent
i’occaiîon font Comana^ Comanagote , Coro SC
Macaraïbo, A Cartagene , la Rancheria ; fainte
Marthe 5c Portobello j & à la Côte de Nicara-»
^«^5 l’entrée di\ Lagon dumefme nom. A celle
de Campefche la ville du mefrne nom. Po^ur
les Honduras, d n’y a qu’une iaiiondel’annee,
où l’on vient attendre la patache î mais com­
me cela eft peu ieur,on n’y va que rarement*
A l’ifle de Cuba , la ville de faint^ lago & celle
de faint Chrijlophe de Havana , ou il entre fort
fouvent des bâtimens. Les plus riches prifes
qui fe falTent en ces endroits , font les bâti­
mens qui viennent de la neuve Efpagne par
Maracaibo où ils vont achepter du C acao,
qui eft la femence de quoy fe fait le Choco­
'(iti
lat. Si on les prend en allant, ils ont de l’ar­
gent 5 il en revenant ils font chargez de Ca- i.
cao. On les épie à la fortie du Cap de faint
A n to in e^ deceluvde Catoche , ou au Cap de
CorienteSyqvL*ï\s font toujours obligez de venir
reconnoiftre.
G6 Pour
H I S T O I R E
Pour les prifes qu*on fait à la câre die Ca^
^aco, ce font des barimcns qui viennent d'Ei^
pagine, chargez de tonres fortes .de dentelles
■J- 3c d'autres manufadburcs.
Ceux qu*on prend au ibrtir de Hazana font
des bârimens char<>cz d’ar2;cnt 6c de inar-
chandifes pour l'Efpagne, comme cuirs, bois
de Campeiche, Cacao 6c Tabac. Ceux qui
partent de Carrap;cne font ordinairement des
yaiiTeaux qui vont nes^ocicr en plufieurs pe­
tites pIaces,où ceux de la Floced'Efpagne ne
touchent point.
M aniéré Quand les Avanruriers font en mer, ils vr-
drsnt i!s '
Vivent f Vent dans une grande amitié les uns avec les
c.-îa'eux. autres. Tant qu*ils ont dequoy boire 6c man­
ger, ils ne s’appellent que freres, chacun fart
ion devoir ians murmurer , 6c fans dire j'en
fais plus que celuy*là. l e marin fur les dix
heures , le Cuiiînier mer la chaudière fur le
feu pour cuire de la viande falée, dans l’eau
douce , 5c fl on en eft c o u rt, dans Teau de
mer : En meime temps il fait bouillir du gros
inil battu qui devient épais , comme du ris
c u it, il levela graiffe dedelfus la chaudière à
la viande pour mettre dans ce mil ^ 6c après
que cela eil- fait, il ferr le tout dans des plats ,
xni rEquipages’aÎTemble, au nombre de fepe
à chaque plat. Le Capitaine 8c le Cuiiinier
font icy fujets au mcfme inconvenient, qui
eft^que s'il arrivoit quele Cuifinier euft fait
fon plat meilleur que les autres, le premier
venu le prend, 6c met le fien qui eft moindre
à la pi ace. Il en eff de inefme du Cuifînier ;
malgré cela , un Capitaine Avanturier fera'
ipieux olxi qu*aucun Cripitaine de guerre , i(
fur

il
D E S A V A N T U R Ï E R S - mV
fur un navire du Roy. On fait ordinaîrerrrenc
deux repas par jour fur ces vaiffeaux, quand
on a aiTez de vivres,8c quand on n*en â pas
fuiEfammenc, on n*en fait qu*un. On y prie
Dieu lors qu’on eft prefl: à faire le repas .*les
François comme Catholiques chantent le
Cantique de Zacharie^ le Magnificat Sc le Mf-
ferere. Les An^lois comme Prétendus Refor­
mez lifent un Chapitre de la Bible ou du
nouveau T eilam cnt, 8c chantent des- Picaii-
mes.
Lors qu'on découvre quelque vaifiTenu j Ce
on luy donne aufli tôt la chalfe , pour le re- font à la
décou­
connoiftreron difpoie le canon, chacun pré­ verte d*aG
paré iès armes 8c ih poudre : car chacun , vaiiléâU^
comme j’ay delà dit,a fes armes 8c fa poudre,
dont il eft le inaiftre 8c le o;ardien. Quant à
la poudre qui fert pour le canon ,lors qu'on
eft obligé d*en acheter, cela eft pris fur le
commun, quelquefois le Capitaine l’avance,
6 c il on l’a prife dans quelque vaiifeau enne-
[Tl!my , l’Equipage eft exempt d’en rien payer»
Lors donc qu’on découvre quelque vaiifeau,
s’il eft Efpagnol, auiTi-toft on fait la priere
comme dans la plus jufte guerre du monde , I*%■U
6c on demande à Dieu avec ardeur d’avoir itiï
la vieftoire , ôc qu’il fc puifTe trouver de l’ar­
gent dans ce vaiifean ; après cela chacun ie
couche le ventre fur le tillac , 8c il n’y a que
l’homme qui conduit le vaiifeau qui foie de­
bout, 8c qui agiife avec deux ou trois autres
pour gouverner les voiles ; 8c de cette ma­
nière on fe met à bord, du pauvre Efpagnol,
ians fe mettre en peine , s’il tire ou non , de
forte qu’en moins d’une heure , on voit un
vaiifeau changer de maiftre. Apres
H I S T O I R E
Après que le navire eft rendu , on fonge i
folliciter les blelfez qui font tanc d*un cofté
que d*autre , à mettre les ennemis à terre-;
& il le navire eft riche & qui vaille la peine»
on vient Ce rendre dans le lieu ordinaire de
retraite, qui eft aux Anglois Tlfte de la Ja*
maïque & aux François celle de la Tortue.
On met fur le vaiÎTeau pris un tiers de l'Equi­
page , & perfonne n*a le privilège de com­
mander à qui que ce (bit d*y aller. On le peut
encore moins faire de fon propre chef, mais
on tire au fo rt, & celny fur lequel il tom be,
quand il repugneroit d'y aller , il ne pourroit
pas s'en difpenfer à moins que d’incommo­
dité , auquel cas fon Matelot ou fon camara­
de aiTocié eft obligé de prendre fa place. 4
Cîomme Qiiand on eft arrivé au lieu de retraite, on
ils difpo paye les droits de la commiiTion au Gouver­
fern de
leur bu. neur, & puis on ièpare le refte,premièrement
Hn. on paye le Chirurgien,les eftropiez & le Ca­ î
pitaine , s'il a debourcé quelque chofe pour
l’Equipage. Tout cela eftant fa it, avant de
rien partager , on oblige tout le monde de
l'équipage d'apporter ce qu’ils auroient pu
ferrer jufqu'à la valeur de cinq fols , & pour
cela , on leur fait tous mettre la main fur le
nouveau Teftament, & jurer de n*avoir rien
détourné. Si quelqu'un eftoit furpiis en fai-
fant un faux fermi. nt, il perdroit fon voyage,
qui iroit au profit des autres , ou à faire un
don à quelque Chapelle. Déplus on donne à
chacun fa part de l’argent monnoyé; & pour
II celuy qui eft fabriqué & les pierreries, on les
vend à l'encan au plus offrant , & l’argent
qui en provient eft encore partagé. On en
fa it
li

D E s A V A N T U R IE R s.
fait autant à Pé«;ard des hardes & des mar'*
|chandifes î puis on divife l’équipage'de dix
^ en dix *ou de iîx en fix , felon qu’il eft plus
ou moins grand. Apres on fait autant de lots
comme il y a de fix ou de dix hommes, 8c
chaque fix ou dix donnent leurs marques à
une peribnnc qui ne les connoift point » qui
les jette fur chaque lot ; enfuite chaque lot
eft repartagé en autant de lots> comme il y
a d’hommes.
Le butin eftant ainfi feparé , le Capitaine
garde fon navire >s’il veut. Perfonne ne re­
I tourne que cela ne foit confumé ,ce qui ne
dure que tres-peu de temps : car parmy ces
gens là , le jeu , la bonne chere , & toutes
Iles autres débauches ne manquent point. J*ai
veu de mon temps un miferable Anglois qui
donna cinq cens écus contant à une femme
publique pour montrer ce que la pudeur o-
blige de cacher. Les François ne ibnt pas
Splus fages , car quelquefois ils en font bien
î; autant. Et ce qui eft extraordinaire , cet
n hornme poifedoit pour lors quinze cens écus^
È ê c trois mois après , il fut vendu pour trois
ans , pour quarante chelins qu’il devoir dans *
iï un cabaret.
Il y a parmy eux de grands joueurs. J*en Avantrii
È' rapportcray icy une Hiftoire remarquable.
Un nommé Vent-en-panne François de Na- Hiftoire s
don J affez heureux s’il avoir eu de la con- ce fuiet,
dnite , eftoit tellement adonné au jeu , qu’il
avoir plufieurs fois joiié jufqu’à fa chemife :
fi-toft qu’il fe voyoit trois ou quatre mille
I ccuSjil n’en étoit pins le maîtrCjil joüoit fans If'PîJ
I regie ny raifon .*un jour il perdit tout fon
I voyage. fAl '.i
111 '■
ill
* I ■.*' \So H I S T O I R E
voyage , qui valoir environ cinq cens écu f^
èc plus de crois cens qu’il devoir à fes Ca-
I ..
inirades, qui neluy en vouloienr plus prêter.
Il fongea au moyen d’avoir de l’argent pour
jouer, il le mie à fervir les Joiieurs , à leur al­
lumer des pipes, à leur donner à boire, & en
^eux jours de temps il gagna plus de cinquan­
te e'cLis : £n fuite il recommença â jouer a-
vec cet arg en t, gaigna environ douze
mil ecus. Ayant pay é les dettes il refolut de
ne plus jouer , & s’embarqua fur un Navire
Anglois qui alloit à la Barbade, ôc delà pai^
foit en Angletterrc. Eftantarrivé à la Barba-
de il fe trouva avec un riche J u if , & ne pût
s’abftenir de jouer , hiy gagna treize cens é-
ciis en argent monnoyé,cent mil livres de fu-
cre qui étoienc déjà embarquées dans un
Navire preil à faire voile pour l’Angletterre.
Outre cela il luy gagna un Moulin à fucre , a-
vec foixante Eicîaves. Après que le Juif eut
f^it cette perte >il le pria Je luy vouloir per­
mettre d’aller quérir encore quelque arg en t,
qu’il avoir chez un amy * ce qu’il luy accor­
da , plus par envie de jouer» quepargenero-
iité. t-e Ju if revint aufifi - toft avec quinze
cens Jacobus d’or , qui le tentèrent, & luy
firent reperdre tout ce qu’il avoit gagné , qui
valoit bien cent mil écus ; 8c de plus, il per­
dit encore tout ce qu’il avoir» jufqu’à ion
habit, que le |u if luy rendit, & de quoy le
reconduire à l’IÎle delà Tortue : car il perdit
avec Ton argent l’envie d’aller eu Angleterre.
Etant de retour à la Tortue , il retourna en
courfe , ou il gagna 6 . ou 7000. écus. Mon-
Ceur d*Ogeron,qui pour lors y étoit Gou-
ver-
DES A V A N T U R î E R S . r ^f 1

7crneur ,luy prit fon arp^enc, & Tenvoyn en


France avec une Lettre de Change pour le
recouvrer-là. Cet homme l*emploia en Mar-
chandifes & repaiTa aux Ifies , où il fut rué'
dans le voyage » ^ u r vaiflTeaii ayant efté at­
taqué pardc|jx ffegattesOftendoiiès de 34.
à 30. pieces de Canon.* Maisla valeur de
foixante , tant Avanturiers que Boucaniers
qui étoient deÎTus >les empecha de s’en ren­
dre maiftre, ■
'§ '
■ Voila de la maniéré que les Avanturiers Èï
pafTent leu^i^ie jlors qu*ils n*onc plus d’ar­
gent ils retc^rnent en couriè , quelquefois à
peineleur reft^-t*il pour achepter de la pou­ {1
dre & du plomb , il y en a beaucoup qui de­
meurent redevables aux Cabaretiers. Quand
il vient un Navire de France,6c qu’ils y trou­ ^.î ’
vent le Vaiiieau d*un Avanturier»fon voiage
cil profitiible» à caufe de la dépenieexceiïive
de l’avanturier, à qui rien ne coûte» jufqifat
ce qu’il n’ait plus d’argent, ny de crédit ; 8C
pour lors il fe rembarque fans en avoir aucun
fouq',6c délibéré d’un lieu pour aller donnef
Caréné au batiment.
I es lieux qu’lis ont pour cela font à la ban­ '1
de du Zud de l’iile de Cuba , dans de petites
Ides que l’on nomme les C^iyes de Sud, Ils met*»
tent là le Batiment à la coile,fe divertiiîenr,
fe remettent de toutes leurs débauches , 6c
ne mangent que la chair de Tortue , qui eft
, très-lionne , & qui leur fait fortir toutes les
I impuretez qu’ils pourroient avoir dans le
cor'ps : S’ils n’arreftentpas là , ils vont dans
les Honduras, où ils trouvent tout à ibuhait ;
car ils ont des femmes Indiennes tant qu’ils
en !•
î^a HI ST 0 I R E
en veulent;ou bien ils vont encore dnns Boca
deî Tauro , à la Cofte de Cajitlla del Oro , ou
dans l’ifle d'Or , à celle de Cartagene , de S,
Domingo , à ccnt autres lieux trop long;s à i
nommer , qu’on verra dan^ Carte que fay
faite, fur laquelle on pouri^Freujement
:iWre navi-
; \«

Apres s^eftre dotic bien divertis , & avoir


à loiiîr rétably leur baftiment 6c leur fanté, >Î
ils iè propofent un voia^e delà maniéré que ai
je Tay déjà exprimé. Voilà ce quife peut di­
re touchant les mœurs 6c la cqipuice des A-
vantLiriers. Il ne relie plus qu*à ^ le r de leurs
allions en particulier , ce que^e feray dans
ïa fuite le plus amplement qu*il me fera pof*
ilble.

C h a p i t r e II.

Jdifioire des deux Aventuriers^


I^ P i e r r e F ranc

Deuxième Aventurier,
M
^Et A v anturier natif de Dunkerque, ay-
ant monté un petit Brig;antin avec vingt
isi y ' /rl iîx de fes Camarades , fut croiier devant h
Cep de U Vella ,afin d’attendre quelques Na­
I' ‘ ifa jtlv
II. :iS vires Marchands qui dévoient paiTer par là ,
venant de Marocaïbo , 6c allant à Campeche \
Il y fut plus long-temps qu’il ne s*étoit pro-
pofé , ïàns pouvoir rien prendre • iî bien que
Je peu de vivres qu’il avoir, étoïc prefque
con-*
i/

EI
1/ W
D E S A V A N T ü RI ERS .
Confommé , & fon baftiment ruiné & inca­
pable de tenir la mer.
Se voyant dans cet état il fit une propofi- Deifein
don aÎTez refoluë à fon Equipage^, qui étoit (ie pierre
d’aller à la Riviere de U Hache ,"où ily aune
pêcherie de perleSjnommée des Elpagnols la
Rancheria , où tous les ans ils viennent de
Cartagene avec dix ou douze Barques pour
pêcher des perles •• Ces Barques font accom­
pagnées d*un Navire de guerre Efpagnol,
nommé Jrm adilla > qui porte ordinairement;
24. pieces de canon, & deux cens hommes.
Cette pêcherie de perles a accoûtunfié de fe
faire depuis le mois d’OdtobreJufqu’au mois
de Mars, à cauie que pendant ce temps , les ! (
vents du Nord qui caufent de grands cou­
rants »ne font pas fi forts. Chaque Barque de , ^
pêcheurs de perles a deux ou trois Efclaves
qui plongent, pour pêcher les huitres où fe
trouvent les perles : ces Efclaves noirs ne du­
rent que tres-peu, pour le grand effort qu’ils
font en plongeant, 8c demeurant quelque­
fois plus d*un quart-d’heure au fond de l’eau."
ce qui fait que la plus grande partie font
rompus,quoy qu’ils ayentdes bandages pour
les en garantir. Entre tontes les Barques ,il Barqu<i
y en a une qu*on nomme la Capitana , qui eit
fuperieure à toutes les autres ,qui font obli­
gées de porter tous les loirs ce qu’elles ont
pêché de perles ce mefme jour , afin qu*il ne
ie fnife point de tromperie. Le Navire de
guerre n’a autre foin que de les garder des
invaüonsdes Avanturiers : C’étoirces Bar­
ques que Pierre Franc avoir deifein d’atta­
quer» 8c de fc rendre m'aiftre de la Capitana,
mefniQ
tneirnc (îe l’enlever à la veue des antres ;
qui liiy renflit aiTez bien , qiioy que la fortu­
ne changeât bien-toft apres.
Le matin il approcha de cette petite Flotte,
qui le voyant fe mit fur fes s;ardes , jugeant
bien que c’eftoitun Efcumeur de Mer: Mais
comme il fe tenoit toûjours au large, ils cru­
rent qu*il n*ofoit approcher. Cependant on
ne laiiTa pas'd’envoyer de chaque Barque
trois hommes de renfort fur la C apitana, ce
que noftre Avanturier remarqua:!! bien que
quand la nuit fut venue , il l’alla attaquer ,
é c dans une demie-heure s’en rendit le Mai-

le Navire de guerre fut à la Capitane luy

Nchftre Avanturier le voioit bien mailtre


rend Mai- -
tre delà etoient deilus , dont une partie ecoi«ac
C apitane. morts OU bleiTcz J ion bâtiment qui ne valoit
guere étoit déjà coulé bas , parce qu’ils ne le
tenoient deiTus l’eau qu’à force de pompes -
Mais il ne voyoic gueres de moyen de pou­
voir difputer ion bord encore une fois a ce
Navire de guerre qui venoit fur luy. Il ne Iny
reftoit que 12 • hommes dont il étoit du nom-.
bre. lîs ’aviia d^une feinte pour tâcher d’é-
chaper; la nuiteiloit aiTez obfcure,8c le vent
très-fort : Lors qu*il vit que le Navire de
guerre approchoit,il fit mettre tous les Efpa-
gnols à bas, & leur défenditde rien direfur
peine de la vie , commença à crier en Efpa-
gnol au Navire de guerre; vi(ftoire,vid:oire,
éc quM avoir pris le Ladron qui l’avoit voulu
prendre ; car c’eit ainii qu*ils nomment les
DE S AVANTURIERS. 16Î
_ ^vrtnturiers. Le Navire de cucrre enten* «i*«" Vaif.
- w — — --

dant cette
------------- • voix
I qui
» parloic fort bon Efpa- guerre,^ Sc
i^noi, accompap^nee d’un hurlement,que no- eft pris
ftre Avanturier .fit faire à fes gens , qui à la fin.
crioient en Efpagnol, Vicioria, ViBoria ,cru t
véritablement que la Barque perliere avoit
pris le Corfaire, Te contenta de dire , que des
qu'il feroit jour il envoyroit quérir ces Vo-
■leurs , & qu’il les falloit'bien garder tonte la
nuit. Noftre Avanturier répondit qu’il n^’a-
voit rien à craindre, & que ces gensavoient
ellé É braves,qu’ils avoient prefque tout tué.
* Le Navire de guerre fnt fatisfait de cela,
i Cependant noftre Avanturier travailla toute
\la nuit â s*échaper, & mit auiTi-toft à la voi-
ale , le^lus fubtilement qu’il luy fut poiTible,
1de peur d’eftre apperceu : Mais il ne fut pas
i à demie lieue de la Flotte que le vent ceila ,
HSc qu’il fut pris du calme , qui le tint là juC-
i qu’au lendemain, qu’eftant apperceu des
ij autres , ils mirent à la voile pour aller après
;i|!uy ; mais comme le calme cftoit grand , ils
I ne pouvoient pas avancer non plus que luy ;
i &: il étoit déjà beaucoup éloignéd’eux. Sur
II le foir le vent devint plus fort j nôtre Avan- ^i
dturier commença à faire de Ton mieux , 8c
li poiiiTa à toutes voiles pour échaper : le Na-
'i vire de guerre le pourfuivit long-temps fans
beaucoup gagner fur luy ; mais le vent re­
doublant . Îe Navire de guerre commença à
, rnectre des voiles autant qu’il en pouvoir
[porter. Noftre AvanturierlaiiTa toutes celles
I qu’il av o it, mais il n’en pouvoir pas foûte-
j nir tant que l’autre^car fon grand mats tom-
i Iba & cafta par la trop grande charge de fon
bu-
hunier. Tout cela ne luy fît pas perdre coü«
ra^e : Il avoir enfermé les Efpa(j;nols dans le f
fonds de calle , & cloué les Efcoutilles : El-
coutilleeft une trape qu.i ferme les ouvertu­
res des ponts d*un Navire. Il fit mettre fes
gens en défence, croyant échaper â la faveur
de la nuit j mais le grand Navire l’approcha
de fi p rés, qu’il fut contraint de compofer ^
ce qu’il fit 5 6c ne le rendit qu’à condition
qu’on luy donneroit qnartier^à luy & à tous
les gens,8c qu’on ne leur feroit pas porter de
pierre, ny de chaux: car c’eft la maniéré des .
Efpagnols , lors qu*ils prennent de ces gens,
de les tenir deux ou trois ans dans des Forte-
IA
reiTes qu*on b â tir, où ils les font porter de la
pierre ou de la chaux. Tout ce que Pierre
Franc demanda luy fut accordé. t
Si toit que les Efpagnols furent maiftres de
nos Avanturiers, ils oublièrent ce qu’ils leur
avoi'ent promis, 5c les vouloient tous paiTer
au fil de l’épéej mais il s*en trouva de railbn-
^I nables » qui dirent que c*étoit déroger pour !e
un Efpagnol, 8c faire affront à Ton Roy , de
ne pas tenir ià parole : fi bien qu’on fe con- .
tenta de les lier , 8c de les mettre au fond de ' f?
calle, comme ils avoient mis les Efpagnols ïii
'Quatre dans la Barque perliere. Lors qu’ils furent ar- v
Avantu-
riers m e­ rivez à Cartagene , on mena les Avanturiers
n e z de­ devant le Gouverneur,à qui quelques Efpa­
;l M j I ■ c a n t le gnols paiTionnez reprefenterent qu’ils faloic
Gouver»
n eu r de pendre ces gens-Ià, 8c qu’à la fin ils fe ren-
C artage- droient les Maiftres des Indes du Roy d’E f
tie , fer­ pagne , 8c qu’ils avoient tué un Al ferez qui
vent deux
ans les Fi^
valoir mieux que toute la France: Cependant
pagnols, le Gouverneur fe contenta de les faire tra« ^
vailler
DE S A V A N T U R I E R S . 167
7ailler au Baftion de S. Trmcifco de la Ville ionten.’
ieCarta^ene aux lilcs d'Occident. EPagnel^
Apres que nos Avanturiers eurent fervi sc trou-’
leux ans aux Efpagnolsde Manœuvres_,fans vent IM
en recevoir pour tout payenaent qu*un peu
le nourritiirC'ils obtinrent enfin du Gouver- e^atance^
leur , qu'on les envoyeroit en Efpagne , où
1 toil qu’ils furent arrivez , ils cherchèrent
*occafion de repaiTer en France,& delà dans
'Amérique, pour ie faire payer par les Efpa-
^nols de leurfalaire : ce qu’ils ont fa it, font
encore, & feront toujours.
i

Bmheîemi 111, Avanturier,

L’hiftoire que je vais rapporter n’efi pas


noins tragique,ny moins digne de remarque
que les precedentes. Bartheltmy , Portugais,
de nation, arma une petite Barque à l'Ifie de
a Jamaïque , qu’il monta luy-meiîne. Il a-
7oir trente hommes, & quatre petites pieces 1
de canon, tirant chacune trois livres de bal­ m
les. Eftant forti du port de la Jamaïque avec Ml)-*
un bon v e n t, 5c à deÎTein d’aller croifer de­
vant le Cap de Corientes , qui eft une pointe
au Soroefi: de l’Ifie de Cuba, que les navires
qui viennent de Caraco ou de Cartagene, 6c
qui veulent aller à Campefche , où Neuve
Efpagne,oa Havana,viennent ordinairement
reconnoiftre. Il n*eut pas efiié là long-temps ,
qu’il découvrit un Navire qui avoit aiTez bel­ ïf i
le apparence» 5c mefme d’elhetrop fort pour
iuy. Il confulta fon Equipage , pour fçavoir ^ , ilfi.
ce qu’il y avoit à faire. Tous luy dirent qu’ils mi decoû.
écoient reiolus de faire ce qu'il voudroit , vre un ÎWI
puis VaiiTeava. km
3 1
h i s t o i r e

& luy puis qu’il ne falloir point perdre d*oCcaiîon ^
(donno la & qu'il écoit impoflTible d’avoir quelque cho­ 1
tiiaiie. ie fans beaucoup rifquer:Là deÎTus^ ils ie pré­
parèrent to u s, & donnèrent la chaffe à ce
N avire, qui n’en fut pas fort allarmé , car ii
les attencÎoir,
Ordinairement quand les Navires Efpa-
gnols viennent l à , ils font toujours fur leur
garde, aufli bien que les navires de l'Euro­
pe, lors qu’ils paÎTent le Cap S. Vincent, à
caulc des Turesqui font la à croiier.
Noftre Avantuner ne fut pas plûtofl: à lav
portée du canon de ce navire Efpagnol ,
qu’il eÎTuya toute fa volée, qui ne fit pas
grand mal. Il n'y répondit rien , mais fut
tout d’un coup à bord. LesEipagnols qui'
eftoient forts , fe défendirent fi bien , qu’il
fallut fe battre quelque temps. Mais comme
les Avanturiers font extrêmement adroits â
tire r, ils quittèrent les coftez du vailTeau , le
mirent derriere^Sc commencèrent à faire feu:
ils ne tiroient jamais qu’ils ne viifent 8c
qifils ne tuaiTent du monde; fi bien que dans ]fli
quatre ou cinqhcuresils rendirent l'Efpagnol
incapable de refifter. ^;
Quand ils virent les Efpngnols ainfi affoi-*
bliSjils tentèrent une fécondé fois de monter!
à bord ; ce qui leur reüifit, Si fe rendirent'
maiftres du navire avec perte de dix hom-j
mes, & de quatre blciTez feulement ; fi bien i
qu’ils ne reÎVoient plus que quinze hommes^
& le Chjrürgien , pour gouverner ce navire
qu’ils trouvèrent monté de vingt pièces dc '
canon, & de idixantc dix hommes , dont il ^
D*cn reftoit plus que quarante en vie, la plus ^
graa-
ti :
D E S A V A N T U R I E R S . 169
2;rande partie eilanc bleffez & hors de com­
bat. Ils jetterenc auiTi-toft les morts dans la
mer,& mirent les Ei'pagnols fains 8c bleiTez
dans leur Barque, qifils leur donnèrent pour
aller chez eux;8c apres le mirent à raccom­
moder les cordages 8c les voiles,8c à voir le
butin qu'ils avoient fait. Ils trouvèrent la
valeur de foixante 8c quinze mille ecus , 8c
de cent vingt mille livres de Cacao, qui pou-
voient encore valoir cinquante mille ecus.
Apres qu'ils eurent mis le navire en état
de naviger , iis firent route pour l*Iile de la
Jamaiqucj mais un vent contraire, qui ren­
dit le Courant de même , les obligea à relâ­
cher au Cap de S. Antoine, qui eft la pointe
Occidentale de ladite lile de Cuba , où ils
prirent de Teau , dont ils avoient beioin. Le
mauvais temps paiTé, ils fe remirent à la
voile pour faire route.
Eftant un peu écartez de la terre, ils aper» B arthde-
ceurcnt trois navires qui leur donnoient la
chafiè • mais le leur extrêmement chargé ne trois vair.
put pas les porter hors du danger. Il fe trouva Teaux,
que ces navires eiloient Efpagnols , moitié
armez en guerre, 8c moitié en marchandife ,
à qui il fallut que noftre Avanturier fe ren-
difl: : 8c fut fait prifonnier luy 8c tous fes
gens.
Comme il parloit naturellement Efpagnol, t>iis &
il s'adreifa au Capitaine du vaiifeau fur le- m eneà
quel il efto it, dont il fut fort bien traité, 8c
mené avec tout fon Equipage 8c fon butin , mis’en
en la ville de S. Franciico de Campefche,qui garde fur
eft une Ville maritime de la Peninfule de i«-
Tome /. H Les
170 h i s t o i r e U-,
Les BfpaOinoîsy eftant arrivez,furent bien
receus & vifitez des principaux de la Ville ,
Marchands Sc autres. Chacun felicita le Ca­
pitaine qui avoit fait cette belle prife. Entre
tous ceux quivenoient vifiter ce Capitaine,
il y eut un Marchand qui reconnut Barthé­
lemy , Sc qui le demanda au Capitaine dont
il ettoit le prilbnnier. Ce Capitaine répondit
qiihlnele rendroitpas; l’autre luy répliqua
que ce priibnnier eftoit le plus grand icelerat
du monde , ayant fait luy-feul plus de mal
aux Efpagnols , que tous les autres Avantu-
riers enfemble ; car il eftoit li cruel , quhl
avoit fait mourir martyrs plufieurs Efpa-
gnols.
Lorfque le Marchand Efpagnol vit que
l’autre ne luy vouloir point donner ce pri-
fonnier, il fut vers le Gouverneur , Scluy dit
que l’Avanturier qui avoit tant fait de mal
aux Efpagnols, eftoit pris, mais que le Capi­
taine qui l’avoit entre les mains ne le vou­
loir pas donner. Le Gouverneur le demanda
au nom du Roy, Sc le Capitaine fut obligé de
livrer noftre Avanturier, qui fut mené de­
vaneie Gouverneur,où ce Capitaine qui l’a­
voit pris, voulut prier pour luy : mais cela
n*çmpefcha pas qu*on ne le mît prifonnier j
Sc ne le croyant pas en feureté dans la Ville,
à cauiè qu’il eftoit fubtil, on l’envoya fur un
navire,les fers aux pieds Sc aux mains. 11 fut
là quelque temps fans fçavoir ce qu’on vou -,j
loit faire de luy *. mais à la fin quelques Ei^.
pagnols luy dirent que le Gouverneur avoit
refolu de le faire pendre. Ce qui l’effraya tel-

üies pour eenaper, -u


I
DESAVANTÜRIERS. T71
Il trouva le fecret de rompre fes fers, & Il trouve
le fecret
prit deux «ferres, qu'on nomme potiches, les de roin-
Doucha bien,& les attncha avec deux cordes pre
à Tes collez : de cette forte il iè laiïïadouce- chaînes,
ôc de le
rnent coulera l'eau , apres avoir tué la Sen­ fa Uver.
tinelle qui le gardoit:& comme la nuit eftoic
fort oblcure, il eut le temps de nager jufques
à terre, où eflant arrivé,il s’alla cacher dans
le bois. Il eut aifez de prudence pour ne pas
marcher dés qu’il fut à terre, de peur d'eftre
découvert-* air contraire il monta une Ri­
viere qui eftoit bordée.de haliers fort obf-
c u rs , 5c fe cacha dans Teau trois jours 5c
trois nuits durant, de peur que fl on venoic
â le chaffer avec des chiens, felon la coutu­
me des Efpagnolsjils n’euffent point de frais.
Cornme il crût qu’il n’y avoit plus de dan­
ger , il alla un foir vers le bord de la Mer ,
marcha toute la nuit pour arriver à un lieu , IrTcidens
dont il n’étoit qu’à trente lieues , nomme le de là lui-
Golphe de Trtfte^où toute l’année il iè rencon­ te.
tre des Avanturiers.* cependant il ne pouvoic
faire ce chemin par terre fans un grand pc-
. ril, à^caufe qu'il faloit paifer plufièurs revie-
1 res à la nage , pleines de Crocodiles 5c de
5 Requiems, llefloit auili endanger d’eftre
attaqué des bêtes fauvages. Quand il venoic
pour paifer une r iv ie r e comme je viens de
^ le dire,qui eftoit perilleufe, il jettoit aupara-
•j vant quantité de pierres, afin d'épouvanter
j CCS animaux , 5c après il paifoir. II en paifa
:( plufieurs de cette maniéré fans eftre attaqué
de ces monftres. Dans le milieu de ion che­
min il fut obligé de faire cinq ou fix lieues
fur des arbres, fans mettre pied à terre.
H1 déjà
.r"-

171 h i s t o i r e
déjà parlé de ces arbres^ qùi fe nomment
Mangles, Enfin il parvint en douze jours au
IÉ111 Ton arrt- Golfe de Trifte , pendant lequel temps il ne
\eea Tii- mangea que des coquillages tout crus , qu’il
iie,& h i-encontroit au bord de la mer. Il fut encore
i< ncontre
q u ’i! y
aiTcz heureux, qu'arrivant â Trifte il trou­
lûir. va des Avanturiers de ia connoiftance,Fran­ t.
çois & An^lois , à qui il conta tout ce qui
Îuy eftoit arrivé , & leur propofa que s’ils
vouloient ils pourroient avoir un navire pour
fe monter & aller en couvfe : car alors ils
n ’avoient point d'autres bâtimens que des
Canots.
■<i;' 71 tente Il les exhorta donc de Taider , 8c leur die
de n o u ­ que pour celai! faloit aller dix à douze hom­
veau la mes dans un de leurs C an o ts, 6c de nuit le
fo a u n e .
long de la cofte , fe faire découvrir ,
quoy qu'il n*y euft pas grand danger , parce
que quand on verroit un C an o t, on ne s’en
Àonneroitpas , veu qu’il y en avoir aftez le
long de la cofte , qui pefehoient • mais qu’il
faloit bien prendre fon temps pour ne pas
manquer le. coup, fur tout à prefent qif il n’y
avoit pas grand monde. Ce qui fut exaefte-
ment obfervé de ceux à qui il fit cette pro-
pofition, Iciquels pour c tt effet fe loûmirent
6c s'abandonnèrent volontiers â fa conduite.
Ils eftoient treize en tour , en comptant
noilre A vanturier, pour executer cette en-
treprife.
Ils vinrent environ an milieu de la nuit
aborder ce vaiiTeau , d'où la Sentinelle de­
m anda, qui va là>'Ho{)iYQ. Avanturier qui
parloir fort bon Efpagnol, répondit qu’ils
eftoient des leurs, venans de terre avec quel­
ques
DE S A V E N T U R I E R S . 17^
qnes marchandifes qu’on leur avoir données
â porter à bord,pour ne point payer de doua­
ne. La Sentinelle,dans l’efperance d’avoir fa
part du butin , ne iît point de bruit , & en jj
lailTa entrer trois ou quatre , qui la tiierenc un vaii-
auiTi-toft , & coururent à Tinftant aux au- feau qui
très en faire a u ta n t, coupèrent le cable , 8c
s’enfuirent avec le navire , où avant qu’ii
fuft jour,ils eftoienthors de la veiie de Cam­
peche. Ils furent quérir le reile de leurs ca-
marades,qui eftoient demeurez à Trifte; Sc
iïpres ie mirent en devoir de gagner la Ja ­
maïque, afin d’armer ce vaiiTeau.
J Mais il femble que plus la fortune nous efb
contraire,plus elle fe plaifi: à Teftre ; car ces
pauvres gensfe rencontrèrent à la bande du
Zud 4 el*Iile de Cuba, où ils furent pris d’un
I mauvais temps qui les jetta fur des Récifs ,
' qu’on nomme les Jardins de 1*1fle de Pin où
' leur Bâtiment fut perdu fans pouvoir rien
I fauver. Cela leur caufa une grande perce,
car il eftoic plus d’à moitié chargé de Cacao.
Ce qu’ils purent faire fut de fe fauver avec
leurs Canots, & de gagner l’Ifle de la Jamaï-
' que , où après chacun chercha fortune. On
envoya en Efpagneceux qui furent pris avec
! Barthélémy , accompagnez des mêmes gens
; qui les avoient arreftez, d’où on les vit bien-
{ toil: de retour à la Jamaïque.
Voilà quelle fut l’avanture de Barthélémy
dans ce voyage. 11 en eut depuis beaucoup
d’autres , qui pourroient paifer pour un Ro­
man,fi je les racontois. Enfin je I*ay vu mou­
rir miferable avant de paifer en Europe ,
comme je le feray voir dans la fuite.
H 5 C H A- \
Ï 74 H I S T O I R E

C h a p i t r e III.

vie les aBtons du Capitaine Roc qUa»


triéme Avanîurier,

O c y fiirnommé le Breiîlîinn , eft né à


R • Groningiie ville tres-celebrc de la Frize
Orientale , & faiianr partie des Etats Gene­
raux des Provinces Unies des Pays-Bas : Tes
parens eftoient Marchands de profeflîon. Les
Hollandois ayant pris le Brefil far les Portu­
gais 3 6c s’en eRant rendus paifibies poiTef-
feurs, les parens de Roc vendirent ce qu'ils
a voient à leur pais, pour s’établir au Brefil,
6c y mener toute leur famille^dont Roc eftoit
du nombre , qui ne fut pas plûtoft dans ce
pais J qu’il s’appliqua a en apprendre les
lí mœurs , & particulièrement les langues,
tant Indiennes que Portugaifes , qu’il parle
comme fi elles luy eftoient naturelles.
Lorfque les Portugais ont repris le Brefil
fur les Hollandois,p’uiieurs familles craignant
P'» que le gouvernement des Portugais ne fuit
plus rude à fupporter que celuy de leur Na­
tion,refolurent de tout quitter i & Roc qui
cftoitdéjaun homme fa it, fes parens eÎtant
morts 5 fut de ceux qui abandonnèrent le
Brefil, 6c vinrent fe retirer parmy les Fran­
çois dans les Ifles Antilles , qui leur appar­
tiennent , où les Hollandois trafiquoient be­
i
aucoup alors.
r 11 n’y fut pas long-temps qu’il parla la lan­
gue Franjoiie comme la fienne propi e-mais
ne
it
D E S A V A N T U R I E R S . 17^
ne s’accommodant pas fi bien avec les Fran­
çois qu’il ie l’eftoit imaginé , il refolut de
chercher ailleurs un lieu & une Nation qui
luy fuiTent plus agréables.
Il paiTa de là à la Jamaïque avec les An-
gloiSjdont la langue ne luy fut pas plus diffi­
cile à apprendre que Pavoient efté les au- • 'ir 1
très. Il voulut éprouver la vie d’Avanturier,
6 c s’embarqua à cette fin fur un vaiiTeau de
ces gens-là , dont il fut fort bien receu. Les p Çç
Anglois vivoient en fort bonne intelligence fait a -
avec luy,6c luy avec eux ; il bien qu’il n*eut vanruner,
pas fait trois voyages comme fimple corn-
pagnon defortune^ qu’un Equipage s’cfirantEipagnol, il '
révolté contre Ton Capitaine , le prit pour
chef, 6cluy donna une Barque ou Brigantia
qu’il avoit.
^ Roc eut le bonheur dans peu de jours de
prendre un navire Efpagnol aiTez riche,qu’il
amena à la Jamaïque,oii il fut receu & traité
comme Capitaine : depuis il a toujours de­
meuré dans ce lieu là, 6c y demeure encore.
Il eft fl terrible , que les Efpagnols ne le
peuvent entendre nommer fans trembler. Il Portrait ■l'j
a l*air mâle, 6c le corps vigoureux , la taille Roc^ i ■
mediocre , mais ferme 6c droite, le vifage r; t
plus large que long 5 les fourcils 6c les yeux 1:^
aÎTez grands,le regard fier,6c toutefois riant.
11 cil adroit à manier toutes les armes donc «' J
fe fervent les Indiens 6c les Catholiques^aufll
habile à la chaife qu’à la pefche • auiTi bon
Pilote que brave Soldat , 6c terriblement
emporté dans la débauche. Il marche tou­
jours avec un fabre nudfur le brasj 6 c fi par
malheur quelqu’un luy conteile la moindre IH:’
n I
H4 chofe.
’li i ij6 HISTOIRE
chofe, il ne fait point de difficulté de la cou­
per à moitié, ou de luy abattre la tefte; c*eft
pourquoy il eit redoutable à toute la Jamaï­
que : & cependant l’on peut dire qu’on l’ai­
me autant quand il eft à jeun,qu’on le craint
quand il a bû.
"Kocre- Il a une fort grande averiîon pour les Ef-
doutaH e pagnols; auifi leur eft-il iî cruel, que quand
aiirEr a prend , & qu’ils ne veulent pas dire où
gnois. ' cft leur argent, ou ce qu’il leur demande , il
les tourmente de telle forte , qu’ils en meu­
rent. Beaucoup d’eux croyent qu’il cil Efpa-
gnol > à caufè qu’il parle fort bien leur lan­
gue. Ils difent que c’eil un icelerat, qui s’eft
fauvé d’Efpagne , & qui veut mal à la Na­
tion. Lors qu’il équipe un vaiiTean pour aller
en courfcjil va ordinairement dans les parcs
où font les Sangliers que les Efpagnols y en-
tretiennentj &c quand il prend des Efpagnols
qui ne veulent pas dire où ils font, il les fait
mourir martyrs. Il a eu mefme la barbarie
d’en attacher à un bâton , de les mettre fur
deux fourches, & de les faire tourner de­
vant le feu,comme la viande que l’on mange
rôtie.
Un jour qu’il efloit au rivage de Campef-
naufrage, che pour faire quelque prife fur les Efpa­
gnols, il fut agité d’une tempeile qui )etta
fon Bâtiment à la coÎle,& le mit en pièces. Il
eut le temps neanmoins de fe fauver avec
tout fbn monde, les armes,les munirions, &
de fe réfugier à terre, deiolé d’eilic en pais
ennemy , fans avoir aucun lieu d’en fortir.
\ I I ^1:- 4 Cependant comme il n’cfloic pas homme à
le laiiTer abattre aux revers delà fortune, qui
font

'■■/r .'i'
il i' :■
riM"'l'i-:
. *■
DES A V A N T U R I E R S . 177
font aiTez ordinaires aux Avanturiers, il en­
couragea fes gens, leur promit de les retirer
de là 5 8 c leur cominanda de mettre toutes
leurs armes en é ta t, 8c de marcher vers le
golfe de Triite , où il efperoit de trouver
quelques-uns de Tes camarades. Enfuite Roc
marchant à leur telle , ils ne fireht point de
difficulté de prendre le grand chemin , com­
me s’ils avoient eilé des gens à ne rien
craindre-, 8c quhls eniTent réduit tout le pais.
iGependant quelques Indiens les ayant ap-
^iperceus en avertirent les Efpagnols, qui vin­
re n t après eux au nombre de cent, tous bien
montez 8c bien armez.
Qiiand Roc les vit, au lieu d’aprehender» c o m b a t
^ il commença à fe ré jo u ir, 8c dit à ceux qui & m tre-
i'l’accompagnoient, courage mes freres, nous
avons faim : mais nous ferons bien-toft un '
S bon repas;VOus n’avez qu’à me fuivre. Bien
^'loin d’attendre les EfpagnohjOu de les fuir,
fil alla au devant d*eux 8c les défit entiere-
1 ment, fans avoir perdu que deux de fes gens »' t
Ji tuez 8c deux de bleiTez.
Nos Avantuiiers prirent aiTez de chevaux
q pour fe monter , 8c achever le chemin qu’ils
ii avoient à faire-jls trouvèrent mefmedes vi-
Mv res, du vin 8c de l’eau de vie que les Efpa-
7 gnols avoient apporté avec eux , ce qui les
il remit tout à frit, 8c leur donna aifez de cou-
d rage, pour ie batre tout de nouveau , contre
Bdeux fois autant de m onde, s’ils y avoient
eilé contraints.
Après donc s’eÎlre bien rafraîchis,ils mon­
Î tèrent à cheval 8c continuèrent leur route.
Ayant ainfi marché deux jours , ils apperceu-
H5 rent
Î\:.:
178 H I S T O I R E
rent d*^ifrez loin une barque, proche du bord
de la mer , elle appartenoic aux Efpaçnols
qui eftoient vcnub là couper du bois de
Campefche, qui iert à la œinture. Noftre
Avantiirier fit cacher fon monde , & fut luy
fixieine à pied, proche de la barque, pour la
prendre ; à cette fin il fe cacha dans un hai^
lie r, où il paiTa la n u it, Scie lendemain à la
pointe du jour , lors que les Efpagnols dep.
cendoient à terre dahs leur canot pour aller •ii'f *ï
couper du bois, noilre Avanturierlcs receur
21 fort bien : mais non pas à leur lôuhaic. U
p.ned’ime s’empara incontinent delà barque, 8c fit ve-
gens. Il trouva dans celte barque fore
peu de vivres ; mais un paquet deiel d’en­
viron deux cens livres pezant , dont il fitfa-
îer une partie des meilleurs chevaux apres
qu’on les eut tuez , en attendant qu*on trou­
vai!: d’autres vivres. Il donna encore aux
Efpagnols de la barque les chevaux qui luy M !
reftoient, leur difant. A llez, je ne vous fais
point de tort, car ces chevaux valent mieux
que voftre barque , outre que vous ne cou-
jez point rifque d’eftre noyez.
Noftre Avanturier eftant remonté de ba­
timent ne ibngea plus qu’à faire capture. Il
avoit encore vingt-fix hommes fains, il alla
devant la ville de Campefehe , voir s'il n*y
pourroit rien prendre. QjUxand il y fut , il
iaifta Ton bâtiment au large 8c defeendit a-*-
vec huit hommes dans fon canot , pour tâ­
cher d’enlever quelque bâtiment ; mais cela
ne luy reuifit pas .• car il fut pris des Eipa-
gnols, 8c mené auiTi-toft au Gouverneur
avec fes camarades,qui les voulut tous fiire
pendre. Roc
Cy A R T R 'dc ÍR m houchcurX ^
L a c dc McL^'CLcc^’cyJusquè\
^ilhvciLtíxr' soitudCL Iíl hízú
dcpvds'dix^ dcpt^CT^ ^usqu
b^cntc mirtutcs dc m
S cptcn h ^ ion n alú .

. <.

a 5.
;I

, 1

■Ü

.i>'
DE S A V A N T U R I E R S . i 7P
Roc qui eftoit auiTi intrépide que fubtil, Roc pris,
s*aviia d’une feinte pour intimider le Gou­ tjon ôc l’inven*
q u ’il
verneur , 8c empefeher qu’il ne luy joüaft trouva
quelque mauvais tour,. Il y avoir fait con- pour évi­
noiÎTance avec un Efclave, qu’il pria de luy ter la
rendre ièrvice , luy promettant de le retirer m ort.
d*efclavaG;e. Cet Elclave entendant parler
d’eftre mis en liberté , luy promit tout ce
qu’il voulut. Le Gouverneur ne te connoift
point, luy dit Roc : dis luy que tu as eilé pris
des Avanturiers avec ton Maiftre , qu’ils
t’ont mis â terre avec cette lettre pour luy
apporter , & que pour cela on t’a donn é la
liberté •& apres retourne t’en fans parler à
perfonne.
Il avoir écrit cette lettre , comme fi elle
venoit de quelque fameux Avanturier ; qui
fceulf que Roc eftoit pris & menacoit le
Gouverneur, ques’il arrivoitmal à telle per­
fonne de leurs camarades qui eftoit entre ies
mains, il pouvoir s’aiTurer qu*autant d'Efpa-
gnols, qu’il prendroit , il ne leur donneroic
point de quartier. A la vérité cela intimida
ce Gouverneur,qui fit reflexion fur ce que la
ville de Campefehe avoir déjà efté prife par
une troupe de ces gens lâ 5 & manqué une
fécondé fois à l’eiire. G’ell pourquoy il ne
parla plus de pendre Roc , au contraire il le
fit mieux traiter, & par la premiere occafion
il l’envoya en Elpagne , (ans ie douter que
noftre Avanturier feeût la râifon qui l’obli-
geoit â luy faire tant de graces. On îe m e ­
Roc fut donc ainfi embarqué fur la flotte ne en f f -
des Galions du Roy d’Efpagne, où il fe fit pagne Hjc
les Ga­
aimer de tous les Efpagnols. Les Capitaines lions du
H6 luy Roy.
ï8o H I S T O I R E
îuy reprefentcrent, que s*il vouloit fervir U
R o y d’Efpa^ne , ils Iuy feroicnt donner tel
employ qu*il fouhaiteroit. Il diffimuloit fa
penfee tant qif il pouvoir, afin d’eftre bien ,
traice.*& m'a dit luy-rnefme qifil ^agnapen­
dant le voyage à cinq cens ecus à pefcher .*
car il eft fort'adroir a harponner du poiiTon, •
ou à le tirer dans l’eau avec des fléchés , 8c
comme les Efpagnols qui négocient aux Iri- .
des ont beaucoup d’argent,& qu’ils font dé­
licats • ils ne font pas difficulté de donner
vingt écus pour, un poilfon frais dans des
lieux comme cela, •
îî trouve' Dés que le Capitaine Roc fut arrivé en
ledemoyen
repal- Efpagne,il chercha d*abord l’occaflon d’aller
en Angleterre , où delà il repaiTa bien roft à
la Jamaïque , & y revint en meilleur éqni-
^ ‘ page, qu’il n’en eiVoit party,hormis qu’il n’a-
voit point de bâtiment. Ceux qui avoient
eilé pris avec luy , furent auffi envoyez en
Efpagne, 8c bien traitez pendant le voyage
à fa conflderation , car il ne les abandonna
Kit
point. Si-rôr qu’il de retour à la Jamai-
que,il n’afpira qu’à aller piller lesEfpagnols ,
fur lefqucls il a fait diverfes captures, qui luy
ont for:bien reiiffi , quoy que la derniere ait
eilé aifez malheureufe, mais non pas pour
luy.
Nouvelle Eilant forti de la Jamaïque avec un Cor-
courfe de faire,il fe icncontra encore avec deux Fran-
çois, dont le principal fe nommoit Tributpr 3
vieux Avanturier, 8c fort experimente' dans
les couries. Ces deux Avanturiers s'aifocie-
rent enfcmble pour aller faire une defeente
fur la Pcniniule de luratum. Et pour prendre
une
DES A V A N T U R I E R S .
atle ville, nommée Merida^ Roc y ayiînt déjiî
efté , fervoic de ü;uide , bien qu’ils euiTenc
quelques prifonniers Efpiignols qui les y
:onduifoienc aufîl. Cependant ils ne purent Entreprife
fî bien prendre leurs precautions qu'ils ne
miTent découverts avant de fe mettre en
:hemin,par des Indiens qui en avertirent les
Efpa^nols,8c leur donnèrent le temps de faire
eenir du monde de pluiîeurs endroits, afin
le défendre la place. De forte que quand
nos Avanturiers y arrivèrent, on les receut
i’une autre maniéré qu'ils n’avoient prévu :
Sc lors qu'ils fe virent découverts , ils furent
battus en queue par les Efpagnols , qui les
raillèrent prefque tous en pieces, 6c en firent
beaucoup de prifonniers^
Le Capitaine Roc évita de l’efire , quoy
qu*il ne fufV pas celuy qui s’expofaft le moins:
:ar il tiendroit à la plus grande lâcheté du
nonde , fi un autre avoir tiré ou donné un
coup avant luy : oii s’il n’avoic pas efté le
dernier dans un combat où mefne il fe ver-
roit le plus foible 5 eftant toujours plûtoft
preft à fe faire tuer qu*à ceder. J ’en puis par­
ier certainement pour m*eilre trouvé avec
iuy dansl’occafion : Enfin malgré tout cela,
il s*eft tiré de ce méchant pas.*8c ion cama­
rade Tributor qui eftoit François , y eft de­
meuré, avec prefque tous ces gens. Voila ce
qui s*cit paifé de plus memorable jufqu’à
arefent dans la vie du Capitaine Roc.
Les Efpagnols voyant d*une part qu’il leur
eftoit impoiTible de refifter aux Avanturiers,
dont ils recevoient tousles jours de nouvel­
les infultes, ifoferenc prefque plus naviger,
6c
it

iSi h i s t o i r e
Sc ail lieu qu’aupcaravant ils avcient accou-'
tnmé de mettre quatre navires en mer , ils
n*cn mettoient plus qu*un. D’autre part, les
Avanturiers accoutumez à ne vivre que de ,1
butin : voyant qu’ils ne prcnoient plus tant Ii
Avantu- n ^ y ir e s , commencèrent à s’ennuyer , a
rôdent ^ s’aiTocier plufieurs enfemble, a faire des def-
piufieius centeSjSc enfin à prendre Sc piller des petites
enfemble, yi||es & bourgadcs. U
Le premierqui entreprit cela, fut nomme
^ loiiisScot, Anglois de nation, lequel avec les
alTociez prit la ville de faint Franciico de
Campeiche,la pilla; la mit à rançon,& apres J
l’avoir abandonnée , s’en rerourna a la Ja­
maïque. Luy party , Manfweld y vint, & fit :fi
plufieurs defeentes qui luy reüifirent.Un jour b,
il équipa une ilote avec laquelle il tenta de
paiTer par le Royaume de la nouvelle Grena­
de, 6c delà à la mer du Zud, 8c en paiTant de
piller la ville de Cartage dansle mefme Roy­
aume; mais il n’en pût venir à bout à caule U'
de la diiTention qui fe mit entre fes gens,An- li
glois 6c François de nation. Ils eftoient tou­
jours en conteftation pour les vivres : quand
les uns en avoient , ils n’en vouloient point
donner aux autres.
Je ne parle point icy de ces fameux Avati-
turiers qui ont efté autrefois dans l’Améri­
que , 6c qui y ont fait des progrès ii furpre-
nans , comme ce célébré Holandois , lequel
prit une riche ilote fur les Efpagnols. L*op
voit tout cela dans les Hiftoires qu’ont écrit
divers Auteurs de l’Amérique. Je ne diray
rien icy que ce que j’ay veu moy-melme , 8c
ce qui s’y eft paiTé depuis vingt ans, 8c en
quel
■ir

DES A V A N T U R î E K S .
quel état fctrouvent prefentemenc ces con­
trées.

D avid V, Avanturier,

Jean David Holandois de nation , s*efî:anc


réfugié à la Jamaïque, a fait de riches prifes
fur les Efpaqnols, 5c des adfions aÎTez har­
dies-, les places ordinaires où il alloit croifer,
efloienc la cote Se Caraco , & celles de Car^
tagenejOU Boca del Tauro, â deiTein d’attendre
les navires qui paiToient pour aller à Nicara^

Un jour ayant manqué ion coup,& Ioni>- Couphar:î


temps battu la mer , fans avoir rien pris; il cljcie oa-
refolut d’entreprendre unochofe aflTez peril-
lenfe avec Ton Equipage , qui eftoit en tout fuccés,
de quatre-vingt-dix hommes: c’eftoit dialler
le Lagon de Nicarague, & de piller la ville de
Grenada qui eft furie bord de ce Lagon. Il
avoir un Indien de ce pais qui luy promettoic
de l’y mener, fans eftre découvert} fon équi­
page fut toujours preft à le fuivre, & d’exe-
cuter tout ce qu’il pourroit entreprendre.
Les choies en cet état, il entra dans la ri­
viere avec ion navire , où il monta jufqu’à
l’entrée du Lagon , qui peut eftre à trente
lieues du bord de la mer , là il cacha ion na­
vire à l*abry de grands arbres qui ibnt fur le
bord de l’eau , & mit quatre-vingt de fes
gens, dont il eftoit du nombre , dans trois
canots , & laiiTa dix hommes pour garder le
vaifTeau. Il partit avec ces canots,pour arri­
ver à la ville ; & furie milieu delà n u it, il
cfpcroitde leur donner TaiTaut, ce qui luy
reüflïu
n i H I S T O I R E
rcüfllr. Ciïr en approchant,une fenrineiie
manda qui c’eftoicfil répondit qu*ils eftoientfe
amis , 6c qu'ils venoient â la pefche. Deux %
des Tiens faucerent aufli toil à terre , 6c cou- " ce;
perent la gorg;e à cette fentinelle;^ 6c comme
le i^uide qu’ils avoient, fcavoic fort bien ce ^ :tâ
pais, il ne manqua pas de les mener par imf,
petit chemin cou vert,droit à la ville,pendant
qiTun autre Indien mena les canots a un lieu
f
! éi^
où ils dévoient Te raiTcmbler ^ 6c y porter le , cer
butin qu’ils feroient. 'iei
Lors qu'ils arrivèrent dans la ville, ils Te JÇÏI
feparerent, l’Indien fut fraper à la porte de
quelques bourgeois , aufquels on fit ouvrir ; i1:■
6 c les ÎaifiiTant d'abord â la gorge,on leur fit ,
donner »‘out ce qu’ils avoient pour conierver
leur vie t Eniuite , on fut éveiller aniTi les Sa- •
criÎlains des principales Egliiés , aui'quels on 1^'
iÙ'
prit les clefs', 6c on pilla toute l’argenterie .. l.
■qui eiloit la plus portative. ,
Ce pillage lourd avoit déjà bien duré |
deux heures, lors que quelques domeiliques \
échappez des mains des Avantnriers , com­
mencèrent à Tonner les cloches , à dire que 'V
l’ennemy eiloit dans la ville 6c à crier aux *.
armes. Les Avantnriers voyant cela portè­ k
rent vîtement le butin qu’ils avoient déjà
fait, dans leurs canots, s’aiTemblerent 6c fu­ .1
rent contraints de Te retirer , fans pouvoir
piller davantage ; car les ETpagnols les preT- '
i '. ___ _ J » __ r _______ ____«A
Eerent de^ p---------------
---------------- rés, Tans toutefois leur^avoir pû^ |
------------------------------
faire aucun mal,an concraire,ils emmenerent
encore quelques prifonniers avec eux » s'en-
retournèrent de cette maniéré à leur navire,
6c forcèrent les prifonniers qw’ils avoient à, ,
leur
D ES A V A N T U R I E R S . i 8?
leur apporter cinq cens vaches pour les ravi­
tailler, afin de s"en retourner chez eux : ce
que ces prifonniers firent,pour eftre de'Iivrez
de ces gens. Les Efpagnols les- voulurent at­
taquer dans leur navire j mais ils les con­
traignirent de fe retirer à grands coups de ca-
non.
Nos Avanturiers ne furent que huit jours
dans ce voyage, dans lequel temps ils parta­
gèrent leur butin , qu*ils trouvèrent fe mon­
ter, tant en argent m onnoyé, que rompu 5c
quelques pierreries, à quarante mille écus ,
outre quelques meubles qu’ils avoient jettez
dans leurs canots : car ils n*avoient pas le
temps de choifir, mais prenoient tout ce qui
Îè troLivoit fous leurs mains.
C’eftoit à la vérité une acftionbien hardie,,'
d’aller fi peu de monde quarante lieues fur
terre attaquer une ville,où il y avoit pour le
moins huit cens hommes tous armez 6c ca­
pables de fe défendre. Cet Avanturier ne
tarda gueres à eftre à la Jamaïque, où le bu­
tin fut bien-tôt confuiné tant parle jeu que
par les femmes 6: la bonne chere. t
Un peu après ce mefme Avanturier, s'^afl
iocia encore de deux ou trois autres , qui a-
voient tous leur équipage, pour aller croifer
devant la ville de faint Chrifiophe de laHava^
na, fur l’J/7<?de Cuba, afin d'y attendre la ilote
de neuve Efpagne & en prendre quelque
bon navire, mais elle entra fans qu’ils l'ap-
perceuiTent, 6c fe déroba à leur pourfuire.
Se voyant trompez dans leur attente ils pri­
rent une petite ville norr;mée Saint Auguflin
de U Florida : cçtte ville eftant gardée par un
Chafteau
î 85 H I S T O I R E
ChaReau qui ne pût reftfter à leurs force?.
Ils n’y firent pas ^rand butinjcar leshabitans
de ce lieu font fort pauvres.

C h a p i t r e I V.

Îiîftoire de Î^Olonois ^ fixiefme Avanturier,

f o ’onols I *OIonois François de Nation, eft de


habile A- A-V de Poitou, d*un lieu nomme les Sables
vanturier, d’Oione, dont il a retenu le nom. fous lequel
heureul’ on le connoift dans toute TAmerique. Il
quitta la France dés fa jeuneile, & s’embar­
qua à la Rochelle,où il s’engagea â un Habi­
tant des Ifles de TAmérique , quifyemme-' Ir
na J & le fit fervir trois ans en qualité d*Eu- .
gage. fr;
ÎEftant dans la fervitude , il entendoit par-^
1er fouvent des Boucaniers de la Cofte de lis
Saint Domingue. Cela le toucha tellement,
que dés qufil fut maiftre de luy ^il ne perdit
pas la premiere occafion qu"il pût trouver
pdlir y paÎTerj où étant arrivé, il fe mit à fer­
vir un Boucanier. Après le devint luy-mef
me, ôc des plus fameux.
Ayant mené cette vie quelque temps , il;
s'en ennuya, & voulut aller faire quelque
courfe avec les Avanturiers François, qui fe .
retiroientà la Tortue. Il femble qu’il eiloit
deftiné pour ce meftier , parce que dés fon
premier voyage il s'y monftra fi adroit, qu’il
furpafibit tous les autres en agilité,& en tout
ce qui concernoit fon occupation.
11 fit fort peu de voyages en qualité de
Com-
DE S AVANTüRIERS. 1Î7
Compa2;non • car fes Camarades le prirent
bien-toft pour Maiftre , & lay donnèrent un
Bâtiment, avec lequel il fit quelques prifes.
Cependant il perdit tout j & Monfieur de la
Place, pour lors Gouverneur de la Tortue »
luy donna un Batiment, avec lequel il ne fut
pas plus heureux .* car apres en avoir fait^ dé.
quelques prifes de peu de valeur, il le perdit
encore; & outre cela eut le malheur d’ellrc gnols :
pris des Efpagnols, qui tuèrent prefque tout ftratagê-
ibn m onde, 5c îebleiTercnt luy mefme. n^fe feTt^
Pour fauver fa vie, il fe barbouilla dans ICpoujé-
fano; 5c fe mit parmy les morts ; il y en eût chaper,ôs
quelques-uns d’épargnez que Ton menapri-
ibnniers àCampefche. Apres que les ElP^'un^vaT,
gnols furent partis, l’Olonois fc retira d’avec feau.^
les m orts, 5c fut fe laver à une Riviere, prit
Bhabit d’un Efpagnolqui eftoit mort , car ils
s’étoient battus, 5c alla proche la Ville , où il
trouva moyen de parler à quelques Efcla-
ves , qu*il débaucha , ôc leur promit de les
mettre en liberté,en cas qif ils vouluiTent luy
obéir; ce qu’ils acceptèrent.
Ils prirent donc le Canot de leur Maiftre
qu’ils amenèrent en un lieu, où TOIonois les
attendoit, afin de s’embarquer 6c de fe fau­
ver. Cela leur réuiTit fi bien , qu’en peu de
jours ils furent â la Tortue. Cependant les
Efpagnols croyoient l’avoir tué : car ils de-
maniderent à fes Camarades, où il eftoit ? qui
répondirent qu’il eftoit mort , le croyant
ainii : Les Efpagnols en firent un feu de joie,
tant ils étoient ailes de s’eftre deffaits d’un
homme qui les tourmentoit fins ceife.
L'Olonois cependant avoir pourfuivi fon
3'
che-
r:
îS8 h i s t o i r e
k\
Ml chemin, 8c e'toit arrive à Tlfle de la Tortue
où il tint la promeiTe qu’il avoit fake aux Ef- ^
claves de les mettre en liberté , quoy qu*il
euil pu les vendre, s’il euft efté de mauvaife
r» foy. Etant donc arrived la Tortue,il ne ion- ^
gea qu’à fe venger de la cruauté qu’il pre- 4
tendoit que les Éfpagndls luy avoient faite,
Refolu- en maiTacrant des gens qui ie fauvoienc
i' tion de
d*un naufrage routre que le deiir de faire
i ! ro lo n o is
pour fe fortune Texcitoit encore à fonger de quelle •
yanger. maniéré il pourroic avoir un antre bâtiment.
Il refolut d'aller à la cofte du Nord de ITfle :
de Cuba avec Ton C an o t, devant un certain •
Port nommé la Boca de Caravelat ^où il vient I
quantité de Barques de la Havana^ ville Ca- |
pitale de ladite inc,pour y charger des cuirs, I h
fucre,viande & tabac , & les porter à ladite t
Ville , afin d’avitailler les ilotes qui y font »
pour aller en Efpagne.
Pour cela il chercha du monde qui voulût
cftre de fon party, il trouva au nombre de
vingt un hommes:& luy ,c ’étoit vingt-deux
avec un Chirurgien. Ces gens ayant appre-
llé leurs armes, Sc pris des munitions autant
qu’lis croyoient en avoir befoin ; ou que la
commodité le permettoit,s*embarquerent,8c
fe rendirent en peu de jours à l’ille de Cuba,
quoy que ce ne fût pas avec tout le fuccez
quhlsen efperoient; car ils furent bien-toit
découverts par quelquesCanots de pêcheurs,
dont ils en prirent un qui leur fervit à l’élar­ b
gir, dautant qifils étoient trop prciTez dans
îe premier. Si bien qu’ils fe mirent onze
' ’■.1 dans chaque, fe retirèrent avec ces deux Ca­
: 1 ' - nots dans des petites liles qui fonde long de
cet-

:i
;I
DESAVANTURÎERS. i 8^
cette Cofte, qu*on nomme Bayes du Nord,
Ils s’écartèrent à quelque diftance l’un
deTautre, afin de faire plûtoft: capture : car
chacun d'eux étoit aiTez fort pour lé rendre
maiftre d’une de ces Barques , qui ne porte
ordinairement que quinze ou feize hommes
fans armes. Ils furent là quelques mois , &
ne purent rien prendre,quoy que ce fût dans
le fort de la làifon que ces Barques navi-
gcnt.
Ayant donc efl:c ainii quelque temps , ils
prirent un Canot de pêcheurs , qui leur dit
qu'ils fe mettoient bien en peril de demeurer
à cette Cofte,& que Ton avoitconnoiiTance
d’eux , ce qui eftoit cauiè que pas une Bar­
que n'ofoitfortirj ny entrer, & que les inte-
reiTez dans le commerce avoient efté fe
plaindre au Gouverneur de la Havana^ Sc le
prier de donner remede à cela, en détruifanc
los Ladrones^^ Car c’eft ainii que les Efpagnols
les nomment.
Le Gouverneur à ces plaintes avoit faitEeOou^
équiper une Armadilla , qui veut dire Fre-
gatte legere, armée de dix pieces de canon , va^na^n^"
& de quatre-vingts hommes de la plus belle voyc une
jeuneiTe 6c des plus vigoureux qui fuiTent à Frégate .
la Havana^q\i\ jurèrent en partant de ne faire f>oionois '
aucun quartier. L’Olonois apprenant ces *
nouvelles commença à fc réjouir;& dit à Tes
Camarades , bon mes freres , nous ferons
bien-toft montez , & dans peu nous ferons
capture. Ils furent bien-aifes , fe tinrent fur
leurs gardes,& peu de jours s’étoienc paiTez
qu’ils apperceurent le bâtiment.
A fa veuë ils fe cachèrent, ne laiÎTant pas
de
h i s t o i r e
de l’obferver. Il vint mouiller dans une Rît '
vicre d’eau falée,que les Efpaffnols nomment
‘Efferra & les ¥vi\nçCiis Tferre, La nuit meiine
nos Avanturiers reiblurent de l’attaquer .*8c
à cet effet ils ramerent Port doucement le
long de la terre à Labry des arbres qui bor-
doient cette Riviere,8c qui les cachoient. Le
lendemain à la pointe du jour ils commence-
. rent â charger les Espagnols des deux coftez,
a m S a à coups dé fufil. Eux qui faifoient bonne
Ftegate ; garde,leur rendirent auiri-toft,quoy quhlsne
evene- jes viffent pas ; car ils avoient range leurs
ment du c^pots à terre fous les arbres qui les cou-
com at. ^ ^ s’étoient retirez derrière leurs
Canots qui leur fervoient de Gabions. Les
Efpagnols tiroient à cartouches des deux co-
iVez , 8c outre cela faifoient de grandes de-
charges de moufqueterie, ûns toutefoistuec
U ny bleffer aucun des Avanturiers.
Ce combat dura environ jufqu’à midy ,
fans que les Avanturiers receuiîent aucun
tort, Sc avoient au contraire,prefque tué 8c
u \F- 1 bleiÎe tous les Efpagnols qui faifoient déjà
K: mine de fe retirer de là , n’en pouvant plus.
Qiiand les Avanturiers virent que leurs en­
nemis vouloient fe retirer, ils jugèrent qu’ils
croient bien affoiblis^car ils voyoient couler
le fang par les étancheres,qui font les égouts
des Vaiffeaux. Ils mirent donc aupliisvifte
les Canots à l’eau , 8c furent tout d’un coup
à bord, où les Eipagnols ne firent pas beau­
coup de renftance,Sc fe rendirent.
On les fît aiiffi-toft delcendre à b a s , Scl’on
tua-tous ceux qui étoient bleffezlur letillac.
Pendant ce carnage,un Efclaye vint fe jetter |
aux^
DESAVANTURIERS.
mix pieds de I’OIonois , & s*e'cria en Efpa-
^ n o l, Senor Capitan , no me Mat eis y o os dire la
•verdad:YO\ono\s qui entendoit parfaicemenc
bien I’Efpagnol , cmtqu*â ce morde verdad
il y avoir quelque miilere : il Einrerrogea ,
mais cet Eiclave tout tremblant ne luy pût
jamais repondre, qu’il ne luy eût abiolumenc
promis quartier,ce qu*il fit,& PEfclave com­
mença à parler,& à dire, Senor CapitanyMon^
iieur le Gouverneur de la Havana ne dou­
tant pas que cette Frégate armée comme elle
l’étoit, ne fût capable de vaincre le plus fort
de vos VaiiTeaux, m*a mis deiTus pourfervir
de Bourreau, & pour pendre tous les prilôn-
niers que le Capitaine de ce VaiÎTeau pren-
d ro it, afin d'intimider de telle forte voftrc
Nation, qu’elle n'ofe approcher de cette co­
de que de loin.
L’Olonois à ces mots de Boureau Sc de
pendre, devint comme furieuxj & ce fut un
bon-heur pour l'Efclave ; de ce qu'il fe don­
na le temps de luy dire .* le te donne quartier :
car je te l*ay promis y éf* mefme la liberté ; 6c il fit
ouvrir l’Ecoutille, par laquelle il commanda
aux Efpagnols démonter un à un à me-
fure qu'ils montoient, il leur coupoit la tefte
avec ion* fabre. II fit cela fe u l^ jufques au Terrf^^.
dernier,qu'il garda en vie, & luy donna une éxecution^
lettre pour rendre au Gouverneur de la Ha­
vana »dans laquelle il luy mandoit , qu’il a-
voit fait de fes gens ce qu’il avoir ordonné
qu'on fift de luy & des iiens • qu'il eftoic
fort aife que cet ordre vint de fa part,& qu’il
pou voit s’aÎTurer qu'autant d’Eipagnols qu’il
prendroit» il leur feroit le mefme traitement »
8C
1^2 h i s t o i r e
8c que peur-eftie il Teprouveroit luy-mefîne*
que pour lay il eftoit relblu de Ce tuer plùtoft
dans le befoin , que de tomber entre leurs ,
mains. n i
Hconne- Le Gouverneur furpris a cette nouvelle >le
ment du fut encore davantage *quand il entendit dire
G ou vet-
Iseut. que vingt-deux hommes avec deux Canots
11it avoient fait ce coup. Cefa l’irrita tellement»
qu’il envoia ordre dans ce moment par tous,
les Porcs des Indes, de prendre tous les prw
ibnniers François ou Anglois >au lieu de les
\ :
embarquer pour l’Efpagne. Tout le peuple ■
ayant appris cette nouvelle,députa quelqu’un ^
pour repreiencer au Gouverneur >que pour
un Anglois,ou un François que les Efpagnols
prenoient, ces Nations en prenoienc tous les
jours cent des leurs, & qu’ils étqientobligez
de naviger pour gagneiTeur vie * qui leur
eftoit plus chere que tout leur bien >a quoy
ces 2;ens en vouloient ieulemcnt, puifqu ils
leur donnoient quartier dans toutes les oc-
> i.
cafions i que pour cette railbn ils lupplioienc
Moniteur le Gouverneur de ne pas executer
en cela fon deiTein. On a iceu depuis cecy
par des Efpagnols que les Avanturiers one
tîlli
L’Olonois fe voyant remonte d^un nou-j
veau Batiment, ne fongea plus qu’a faire un-,
bon équipage,éc pour cet effet fe rendit avec^^
là prife à la^Tortuë , où il trouva un de les
Camarades, nommé Michel le Bafque , q^in y
avoir auifi fait une capture cqnfiderable fur
t■ les Efpagnols , entre lefquels il y avoir deux' ^
François, qui ayant long-temps demeure a-^
'Î 1 vec les Efpagnols, ôc mefme eftanc mariez
^ ° chez /
1i
>
D E S A V A N T U R I E R S . ïpB
chez eux aux Indes , fcavoient fort bien les
routes de ces Côtes* Comme ils fe voyoienc
deftituez de tous leurs biens par la priie du
VaiiTeau que le Bafque avoir fait,ils reiblu-
rent de donner des avis aux Avancuriers,pour
faire une defcente en terre ferme , & fur-
prendrepar ce moyen quelques Villes Efpa-
gnoles : Ils s’adreiTerenc pour cela à fOlo-^
nois, qui les écouta , & reiblut l’entrepriÎc
avec le Bafque fon ami qui y conièmic,
Auifi-tôt ils conclurent eniemble que l*un ,
i^avoir roionois , feroit General de l’armée
de mer, & que le Bafque le feroit de celle de
!terre.

C h a p i t r e V.
f
Defcente de l*Olonois en terre ferme,
'O l o n o is 8c le Bafque eftant ainfi l’oIo-'
L convenus de ce qu*ils dévoient faire J
ne fondèrent plus qu’à aiTemblcr du monde-
nois for-
& pour cela, firent fçavoir à tous les Avan-
turiers , qu’ils a voient un deiTein confidera-
ble avec lurete d*un grand gain , & que
uneTou-
ceux qui voudroienteitre de la partie euiTent
à iè rendre au plûtoft à l’Iile de la Tortue, ou
à Baya-ha , à la bande du Nord de 1*Ifle Ef-
pagnole.
L’Olonois ayqitchoifi ce lieu pour donner
caréné à fes barimens , & les fournir de vi­
vres, a cauiè de la commodité de la chafïe ,
tant aux Sangliers, qu’aux Taureaux. Dans
peu il le vit fortifié de quatre cens hommes, ^
Tomel. I
aveclefquels il s*en alla à Baya-ha , attendre
encore quelques A vanturiers, éc ceux qui
pourioienc venir de la Tortue dans l’inten­
tion de fe joindre à ia dote. Ainfi le^rendez-
vous eitoit à B aya-ha , au Sud de l lile EC*
pagnole. ^
Cette dote compofée de cinq a fix petits
bdtimens, dont le plus grand ed:qit celuy de
l’Olonois Admirai qui portoit dix pieces de
canon, mit à la voile 5 ôc fans perdre de
temps , fit route pour doubler la pointe de
l'Efpada , autrement dite el Cabo del Engana ,
qui eft la pointe Orientale de ITde Efpa-
gnole. Il femble que la fortune qui pouiToic
1Îdeuxprendbi-
i’Olonois àcette entreprife luy voulût donner
limens
tipagnols
dt^s ce moment des marques de ies faveurs ,
par deux bâtimens Efpagnols qu’il prit, dont
l*un eftoit richement chargé , & tous deux
Il envoyé
un navire plus grands que pas un des fiens,. Le plus
plein de grand qui eftoit chargé de Cacao , fut en­
Cacao à voyé par fOlonois à Vide de la Tortue,pour
la T ortue, y eftre déchargé , & revenir fe joindre au
qui re­
vient plutôt à l’Ide de Saône, où iirattendoit,& ou
clrargé il avoit pris Tautre bâtiment chargé de mu-*
ü ’Avan- nitions de guerre pour la ville de faint Do-
tuiieis.
cninguc.
Monfieur d’Ogeron qui gouvernoit pour
lorslTdede la Tortue voyant arriver cette
riche prife qui valoir plus de cent quatre-
vingt mille livres, fur fort joyeux , offrit
'(‘i d’abord fes magazins aux Avanturiers, pour
; 'J' mettre cette marchandife*.& le navire qffon
nomma depuis la Cacaoyere fut bien-tôt preft
..':i't i' 3 aller retrouver l’Olonois. Plufieurs per-
'1 1 ' fonnes qui venoienc de France dans le na­
vire
D E S AV A N T ü R I E R S . î^r
Vire de M. d’Ogeron , voyant cela eurent
envie de faire auiTi bien-roft leur fortune, 5c
s’embarquèrent fur ce vaiiïeau.
Monfieur d’Ogeron meiine avoit deux ne­
veux jeunes, braves,& quipromettoient be­
aucoup,ayant fait leurs exercices en France,
comme des gens de famille font ordinaire­
ment, 1*1111 defquels eft aujourd’huy Gouver­
neur de la Tortue. Ces deux jeunes hommes
voulurent auifi y aller , irbien que ce bâti­
ment ainiî chargé de monde, fut bien-tôt de
retour auprès de fOlonois , quiie réjouit de
voir Taugmentation que recevoir fa flotte ,
au lieu de quelques bleiTez qu’il avoit ren­
voyez à la Tortue ^ car ces batimens Efpa-
gnols ne s*eftoient pas rendus fans bien dif-
puterleur vie, avec les Avanturiers.
L’OIonois avant que de partir fît reveuë L’oionois
de fa flote, & refolutde declarer ion deifcin fait revue
aies gens. Il monta la fregate qu*ils avoient Îf
priie , portant ieize pieces de canon oc lix elle (e
vingts hommes , 8c donna la iîenne à fon trouve.
Vice-amiral nommé Motfe Vaudin^ montée de
dix pieces de canon 8c de quatre-vingt-dix
hommes. Son Matelot monta l’autre, qu'ils
nommèrent la P oudrière , à caufe de iâ char­
ge, qui n’eiloit que de poudre, de munitions
de guerre , 8c de quelque argent pour payer
îa garniibn. Ce bâtiment portoit aufli dix
pieces de canon 5c quatre-vingt-dix hom­
mes , monté par A. du Puits qui eftoit ce
Matelot. Pierre le Picard avoit un brigantin
avec quarante hommes. Moife en montoic
auiîî un autre qui en avoit au tan t, 8c deux
petites barques qui portoienc chacun trente
I Z hom-
îp(f H I S T O I R E
Jiomtnes * fi bien que toute cette flöte coniî-
ftoit en fept vaifleaux & quatre cens qua­
rante hommes,tous bien armez chacun d*uâ
bon fufll, de deux piftolets & d*un bon la­
bre. Ajoutez à cela que le cœur ny radreflc
ne leur manquoit pas : ce qui paroiftra dans
; I : l ’entrepriie que nos Avanturiers vont faire.
La Recruë de cette flotte ainfi faite, & les
vaifleaux en état de naviger, TOlonois dé­
- / couvrit fon dcflein qui étbit d*aller à la ville
de Maracaibo, dans la Province de Venezuela
feife furie bord du Lacdumefme nom, & de
piller tous les bourgs qui font fur le bord de
ce Lac -, 8c fit voir , qu’il eftoit bien fondé
pour cette entreprilë, en montrant les deux
guides François qifil avoir pour y reüflir ,
‘d ont l’un eftoit Pilote de la Barre qui eft à
l’entrée du Lac de I^aracaibo. Il n’y eut per-
ionnequi n’acceptât cette propofition, 8c ne
confentît d'abord de le fuivre , ils prêtèrent
mefmetous fernfent d’obéir ponâueliemenc
à les ordres, ou d’eftre privez,après le voya­
ge,de leur part du butin.
Aufli tôt on fît un accord, qu*on nomrne,
comme j’ay déjà dit , parmy ces gens lâ ,

nes,^ les bleflez 8c les guides, dévoient avoir


comme les autres, outre leur part ordinaire.
Mais afin que le Ledteur puiiTe mieux fuivre
nos Avanturiers dans cette enirepiilë, je
donnerav la defeription de la Baye de Mara^
caibû, 8c de /toutes les places où elle a eitê
execute.
DES A V A N T ü R I E R S . 197

'D e fc r ip tîo n de la B a y e é * de la v i l l e de
M a r a c a ib o ,

Cette Baye commence depuis le Defcrip-


f a i n t R o m a i n , <^uï cft entre le neuf Si ledixic- tion de-*
me degré de Latitude Septentrionale,8c finit
au Cap de Cocjuibacoa qui eft au neuvième
degré de la mefme Latitude. On le nomme
ordinairement B a ya de V e n e z u e la , à caufe de
toute la Province qui eft ainfi nom m ée, pe^
t i t e V e n tz e , parce qu’elle eft fort baÎTe > SC
n’eft garantie de l’inondation , que par des
dunes, Sc par d’autres inventions de P Art.
Cette Baye eft ordinairement nommée des
Avanturiers , l^-> B a y e de M a r a c a ih e : car ils
corrompent auiTile nom propre de M a ra c a i*
h o , en celuy de M a re c a y e . A dix ou douze
lieues an large vis à vis de cette baye,font les
Ifles A ^O ru b a d ’ M o n g es : cette lile d * O ru b a
cft peuplée d’indiens , qui parlent fort bien
EfpagnoljSc en eftoient autrefois dépendans.
Mais depuis que les Etats Generaux des Pro­
vinces unies,Îè font emparez des liles de C a«
r a c a o , B o u d ere ^ O ru b a , ils fe font rendus
inaiftres de ces Indiens, 6c ont mis des Gou­
verneurs fur chacune de ces lîles , leur laii^
fant neanmoins la liberté de faire venir des
Ecclefiaftiques de C o r o , ville voifine , pour
leur adminiftrer les Sacremens,deux ou trois
fois l’année.
Ces liles ne font point fertiles 8c ne rap­
portent que quelque méchans pâturages, qui
fervent à nourir des chevres 8c des chevaux,
que ces Indiens ont en grand nombre , donc
1 5 ils
i" i P

t9^ H I S T O I R E
ils vendent les peaux pour s’entretenir. Les'
Holandois conierventccs Ifles, ièuleinent à
caufe qu’elles leur font utiles pour le com­
-. i » merce clés Efclaves,qu’ils font avec les Efpa-
, i i ll : . ; gnols; Sc de peur que quelques-uns ne s*en
emparent, ils y entretiennent garniibn.
iti' ' La baye de V e n e z u e la , peut cîonc avoir de­
). .. I 'I ! t ii''H'I
r ■ . ;■ 1 I ■■ L • i

puis ion embouchure jufqu’à fon fonds ,


douze à quatorze lieues. Dans ce fonds, on
y rencontre deux petites Illes,chacune d’une
lieue d eto u r, entre lefquelles paife le grand
Lac ^e M a ra ca ib o ^ pour iè décharger dans la
'i'i \\!*' mer *le courant duquel fait un canal entre
ces Ifles, de la profondeur d’environ vingt-
quatre à vingt-cinq palmes j & s’afFoiblif-
lant peu a peu , il entre dans la mer , où il
forme un banc de fable , que les EÎpagnoIs
nomment U B a m , Il y a toujours des Pilo­
tes pour faire encrer les vaiifeaux par deiîiis
cette Barre.
m
Sur une de ces petites Ifles on voit une vi­
gie éleve'e, dont elle retient le nom , & fur
1^ Tautre il y a un Fort ; on nomme cela l'IJte
hi; '] des Ramieres‘^ ce Fort eil iùr le bord du Canal
Jiln par où les navires entrent, fans ofer en ap­
procher que de la portée d’un piftolet. L’en­ •f
trée de ce Lac eft comme une gorge qui s’é­
largit beaucoup; car il a plus de trente lieues
de largeur, & plus de foixante de longueur.
Il cfl: compofé de plus de foixante & dix ri­
vieres J dont quelques-unes peuvent porter
vaiiTeau. Toutle coilé du Levant de ce Lac,
eft terre baffe, & prefque toujours noyée ,
& qui cependant eft fort fertile , mais mal­
faine, à caufe de l’humidité.
De
D E S A V A N T U R I E R S . 193^
De cemefmecofté , fort prés de fan em­
bouchure , il y a un lieu nomme Pomte de U
S v ite , où fou voit c|uantite de^Ramiers 5 Sc
plufieurs habitations. Environ à vinp;c lieues
delà 5 eft un Heu nommé Barhacon , où l’on
trouve des Indiens qui pêchent,qui onr leurs
niaiions fur des arbres , a^caufe que le pais
cft prefque toujours inonde, & que les mou­
cherons nommez Mofquitos incommodent
trop. ^ ,
A quelques lienés delà , il y a un beau
boursç nommé G ilhratarhàù fur lebord^du
Lac rproche de ce bourg , font quantité de
belles habitations où Ton fait le tabac tant
! eftiméen Efpagne , qu’on nomme tabac de
Maracaibo. L’on y fait auÎÎi qnantité de Ca-
" cao,c*eft le meilleur 8c le plus excellent, qui
croiife aux Indes du Roy, d’Efpagne. Il s y
fait auifi aifez de fucre pour entretenir le
pais,où il s’en confume une grande quantité.
Ce bourg a communication avec plufieurs ,
villes, qui font au delà de tres-grandes mon­
tagnes toùjours couvertes de neiges , qu’on
nomme Montes de GilbrfttfiY* La ville qui a le
plus de commerce avec ce bourg,eft Merida,
dont Le Gouverneur commande auifi à ce
bourg. On y met un Lieutenant. ■i
Tout le pais d’autour eft plat 8c arroufé
de tres-belles rivieres. Ce terroir produit les
plus beaux arbres du monde. J’y ay veu des
Cedres , que les Sauvages des Indes nom-
ment Acajoux , du tronc deiquels on a fait peut faite
des vaiiTeaux tout d’une piece,qui pourroient des vaif-
porter en mer vingt-cinq à trente tonneaux :
£ t ce qui cft de plus beau 8cde plus commo-
I4 de.
«00 HI STOI RE
de ^ c’eft que ces arbres ne font pas rares eh
ce païs-Ià. II y a de toutes les efpcces d’ar« .î
brcs qu’on trouve dans les Indes ; & les Ef-
pa,^nols ayant foin de les cultiver, ils four-
nifTcnt toute Fannee de divcrles fortes de
fruits, 8c autant qu*ils en ont befoin. Le poii^
Ion & la viande n*y manquent non plus que
toutes les autres chofos que la terre produit,
6 c qui font neceflaires â la vie des hommes.
Tout ce qui eft de plus incommode dans ce
pais, c^eil, qu’au temps des pluyes, Fair efl:
inal-fain & fiévreux : aufli n'y refte-t’il que
Jes gens de travail propres à cultiver la terre.
Tous les Marchands fe retirent ou à MerUa
©U à Maracaibo,
A fix lieues de ce bourg , il y a une fort '
belle riviere , nommee lal^iviere desT.fpines ^
peut porter des vaiiTeaux de cinquante ^
tonneaux , plus de fix lieues avant dans les ^
terres. Le pais d autour n*eil point different
de celuy de Gilbratar\ovï y fait grande quan­
\ L.
tité de tabac • les lieux plus éloignez font
noyez & pleins de très grandes forefts. Te '
n’y ay jamais eflé ; mais un vieil Efpagnol
naturel du pais m'a raconté qu’il y avoir veu
de certaines gens,dont on n’avoir jamais en­
cens qui fendu parler,qui montoient aux arbres com-
grim pent me des chars, n’ayant aucun poil , mais une
atix a r ­
bres com ­ peau d’un brun jaunailrej 6c que lors qu’on
m e des leurriioit un coup de lance , ils içavoient fe
chats. ramaifer de telle forte , qu’on neles pouvoir
percer. Dcplns , cet Efpagnol difoit qu’ils
citoicnt de forme numaine , 6c fort aipres à
violer les femmes, quand ils poiivoicnt en at­
traper , 6c que-quand ils tiennent des hom^
met

¥%'
D E S AV A N T U R I E R S . 201

tmes, foit blancs ou noirs , ils les portent fut


les arbres , & puis ils les jettent de haut en
bas pour les tuer. Il me rapporta beaucoup
d’autres particularitez qui me parurent il
peu de chofes, que je ne veux pas les reciter.
Je me fii^ure que ce font de gros finges, 8c
tout ce qui s’eft dit cy-deiTus me confirme
dans cette penfee : 8c de plus, c’eft que j*en
ay beaucoup veu dans ce pais, mais aucuns
de cette façon ny de fi gros.
En faiiant le tour de‘ce Lac, on trouve en
fa partie plus que Méridionale, conpme qui
diroîc au SudelL, dudit Lac, une nation d'in­
diens qui ne font point encore réduits , 8c
que pour cet etfec les Efpagnols nomment
Inàids bravos : ce qui fait que les Efpagnols
n’ont aucun accez en ce pais , & ne le peu­
vent pas il bien découvrir. En venant vers
l’Occident, on trouve une contrée fortfeche
& aride,qui ne produit que de petits urb^s ,
leiquels à faute de nourriture ne croÜTent
pas plus de dix à douze pieds de haut. ^Ce
pais rapporte auiïî quantité de figuiersd’In-
de,qu’on nomme des Raquettes & Torches qui
font tres-dangereux à travcrfer, parce qu*ils
ont des épines fi fubtiles, qu’elles percent au
travers des habits qui ne font en ce pais que ^
de toile ou de foye. Cependant les Efpagnols*
nelaiiTcnt pas de s'accommoder à ce pais ^
qui eil un pâturage propre pour des cabrits ,
moutons, boeufs & vaches, dont ils ont un.
très-grand nombre. On y voit des hatos ou
maifons de campagne , où üs nourriÎTent
mille belles à cornes, deux ou rrois fois au­
tant de cabrits 6c de moutons. Ils ne profi-
I i t€nt
202 H I S T O I R E
tent qne des cuirs Sc du fuif de ces anîinnttit:
V. car de la viande^on n*en tient aucun conte,
â cauiè qu’il n’y a pas aiTez de monde pour
^ 1 la conrumer,quoy qu’elle ne s’y perdre pas :
car il y a une forte d^’oyfeaux qui la man-
Oyfeaux gent, qu*on nomme Marchands, Ces oyfeaux
^peliez fleure d’une de nos poulies d’In d e, 6c
chands. «e font pas fl gros.
Me rencontrant dans cepaïs,je fus le plus
trornpé du monde , j’en tuay fix que j’appor-
tay à nos g en s, Sc croyois avoir fait grande
capture, Sc quec’étoit des poullets dTndes -
mais je fus mocqué, parce qu’on me fit re­
marquer qu’ils ne valoient rien Sc qu’ils fen-
toient la charogne , ne vivant d’autre choie
que des beftes que les Efpagnols tuent,dont
ils laiiTent la viande. Ils font fi carnaciers
qu’ils mangeroient un b œ u f aifez puiiTant
en un jour à quatre ou cinq ; à mefure qu’ils
mangent ils rejettent par derrière, ce qui fait
connoiftre qu’ils ont l’eilomac fort chaud*
S’ils fçavent bien m anger, auiTi fcavent-ils
bien jeûner : car ils demeureront huit jours
perchez fur un arbre fans en bouger , 8c fans
rien prendre. Ils ibnt fi craintifs,que le moin­
dre oyfeau gros comme un moineau les fait
fuir Sc changer de place .• c’eft pourquoy les
Efpagnols les ont nommez Gallinacés , don­
nant le nom^ de poulie à tout ce qui eft crain­
tif. Ces oyfeaux fe rencontrent dans toutes
les villes de la terre ferme de l’Amerique 8c
qui y font grand bien, nettoyans les fumiers
de toute charogne 8c immondices capables
de corrompre l’air.
Du mefme c o ité , à fix lieues de l’embou­
chure
B E S A V A N T U R I E K S . 203
cliûre de ce Lac , on trouve la petite ville de Ville de
Uitrfic(tibo, aui eft tres-bien bâtie à la moder­ Maracai­
bo bâtie
ne , fur le bord de l’eau,oii il y a quantité' de à la mo­
belles maifons fort régulières, 6c ornées de derne.
tres-beaux balcons qui regardent fur ce Lac,
qui paroît une mer, à caufe de fa vafte éten­
due. Cette ville peut avoir quatre mille ha-
bitansj 8c huit cens hommes capables de por­
ter les armes. Il y a un Gouverneur dépen­
dant de Caraco. On y voit une grande Eglife
Paroiifiale,un Hofpital, 6c quatre Convents
tant d*hommes que de femmes, dont;Je plus
beau eft celuy des Cordeliers. Il y a là quan­
tité de Barques de vingt-cinq à trente ton­
neaux , qui vont ramalEer toutes les mar-
chandifes qui fe font aux environs de ce Lac,
6c les apportent en cette Ville, afin de les
charger Êir les navires qui viennent d’EÎpa-
gne pour les acheter.
Cette Ville eft remplie de fameux Mar­
chands 6c de Bourgeois tres-riches, qui ont
leurs terres à GiÎbracar, 6c n e fe retirent la
qu’à caufe que ce lieu eft plus fain que Tau-
tre. Les Eipagnols y bâtiftenc auiTi des navi­
res, qu*ils font négocier par toutes les Indes ,
6 c meiine en Efpàgne,la commodité du porc
y eftant la meilleure du monde.
Voilà la defeription de Marecaye, où ten­
dent nos Avanturiers,voyons maintenant ce
qu*ils y vont faire.
L’Olonois d*accord avec fes gens,mit à la L’Oionoii
voile , 6c fut luivi de fa Flotte. Peu de jours arrive à
après il arriva à l’Ifle Aruba , où ildefcen- l’ifle
Cuba.
de
d't à terre,6c prit quelques refraifchiifemens.
Il en ufa ainfi, à caufe qu’il ne vouloir pas
1 6 a r-
F

ao 4 H I S T O I R E
i iC arriver devant la barre du lac qu'à la pointé ibi ^
du jour 5 afin que n*eftant point oblige à
reftcr là long-temps, les Efpagnols n'euiTenc
pas le loifir de fe preparer. Le foir il leva
Tancre de Llfle &Arubn , fit voile toute la
nuir, ôc approcha à fonde jnfques devant U
£arra , où il Put aperceu de la V igie, qui fit
auifi-coft un lignai au Fort, d*où l’on tira du
canon pour avertir ceux de la Ville , que les
ennemis eftoient proche.
L’OIonois ne perdit point de temps , fît au
plus viffe defeendre ion monde à terre , Sc
f ;f i i:'::
Michel le Bafque fe mit à la telle pour les
i i ■'

i:î.ili?: if; f
I
commander. L’OIonois qui ne manquoie
I'1.Iv'•’1r;]^
<i :I•'l^';►
, '• point de courage, & qui vouloir partager le '■I
h ^ i ?-r •;• peril 5y alla auiii, St fans prendre d'autres
Attaque meriires,iîs attaquèrent ce Fort , qui n’cftoic
r, U i' du l’oit, que de bons gabions Pries de pieux & de ter­
re , derrière lefquelsles Efpagnols avoienc
;0Û Îi ■ quatorze pieces de canon , Sc eiloiehr deux
cens cinquante hommes. Le combat fut ru­
:ii de,les deux partis eilant fort opiniâtrez:mais
comme les Avanturiers tiroient plus julle
que les Eipagnols , ils les avoicnc tellement
r l-
I iifFoiblis , qu’ils ne les purent empefeher de
gagner les embrafures,d*entrer dans le Fort, n
d’en maiTacrer une parcie,Sc de faire l’autre
prifonnier.
AiiiTi toil que ces gabions furent gagnez,
I’01 ()nors les fit abattre,Sc encloder le canon,
Sc fut a Maracaibo ians perdre de temps;
I" mais auparavant qu'il y arrivafl, quoy qu’i!
n ’y euil que fix lieues,les Eipagnols icachant
que leur Fort n'eiloit pas capable de refiiler, y
iivoicnt , au premier coup de canon qu’ils 9:- i ,
üiiircntj

'll);
DE S AVANTURIERS. ï o?
cü iren t, embarqué le meilleur de leurs har­
des, leur or 8c leur argent, 8c s*eftoienc fau-
vez à ne croyant pas que les Avan- Efpagnoîs
turiersles pourfuivroienc jufqueslâjous’ima- (e fauvent
ginant du moins qu’ils s’arreileroient à pii-
1er ce qui reftoit dans la Ville.*ce qui arriva ,
car l’Olonois eilant venu à Uajecaye, 8c n*y
trouvant que des magazins pleins de mar-
chandifes, 8c des caves remplies de toutes
fortes de bons vins , il s^’amufa à faire bonne
chere Iny 8c tous Tes gens, 8c à aller en party
autour delà Ville : mais il ne fît pas grand
butin,il ne prit que quantité de pauvres gens
qui n’avoient pas eu moyen deiè fauverfur
l’eau, 8c qui leur dirent que les riches eftoienc
a Giîhratar,
L’OIonois demeura quinze jours à Mare^ L’Oiono«
caye^ 8c voyant qu’il ne faiicMt pas grand bu-
tin, il refolut d’aller à Gilbratar • il avoir des
priibnniers qui fçavoient bien la route , 8c
qui luy promettoient de l’y mener : mais ils
l’avertirent que les Efpagnols iè feroientfbr-
tiiieziN’importe, dir-il,il y aura plus à pren-
drc^ Trois jours après ion départ de Mare-
caye il arriva devant Gilbratar , où il y a un
petit Fort en façon de terraffe, fur lequel on
peut mettre iîx pieces en batterie de front :
mais les Efpagnols avoient fait des gabions
le long du rivage , 8c s'elloient retranchez
derrière j fi bien quhls ie moquoient des
Avantnricrs, montroient feulement leurs pa­
villons de ibye,8c tiroient du canon.
Nonobftant tout cela , l’Olonois mit ion
monde â terre, 8c chercha le moyen d’aller
dansics bois, pouri'urprendreles Efpagnols
par
ÎJ
lo S H I S T O I R E
par derrière : mais ils y avoient remédié I
ayant prévu tour ce qui leiir pouvoir eftre
dangereux,& abattu quantité de très grands
arbres qui bouchoient toutes les avenues ;
.1 P
outre que tous les pays elloient prefque
noyez,en forte qu’on n’y pouvoir marcher, à
moins que d’avoir de la boue jufqifaux ge­
noux.
Quand l’Olonois vit qu*il n’y avoir pas
!■ I
d’autre moyen de paÎTer que par un chemin
foUnÎon^* que les Efpagnols leur avolent laiÎTé >où ils
de L’olo- pouvoient aller environ iix de^ front : Coura­
I' ‘
des i ens.
nois & ge, mes freres, dit-il , il faut avoir ces gens-
lâ,ou perii’j fuivez-moy , 8c fi j’y fuccombe ,
ne vous ralentiiTez pas pour cela. A ces
mots il fondit teile baiiTée fur les Efpagnols,
fuivi de tous fes g en s, qui étoient aufll bra­
ves que luy. Quand ils furent environ à la
portée du piftolet du retranchement des Ef-
pagnols , ils enfoncèrent jufqu’au genoüiî
dans la vafe, 8c les Efpagnols commencèrent
à tirer fur eux une batterie de vingt pièces
de canon charuées à cartouches. A la vérité
il en tomba beaucoup, mais les dernieres pa­
roles de ceux qui tomboientjC’eftoitjOwr^^^^
7ie vota épouvantez^ vous aurez, la viBoire,
Ils pourfuivirent toujours avec la même
vigueur, 8c franchirent enfin le retranche­
ment des Efpagnols. J’publiois à dire que
pour le franchir plus facilem ent, ils avoienc
coupé des branches d’arbres , dont ils com­
blèrent le chemin j ôc de cette maniéré ap-
planiflTantla voye , ils fe firent un paifage.
t' M * Ayant forcé les Efpagnols dans leur premier
retranchement ^ ils les pouiTcrenc encore juf-
t' ques

Pt |i;
r •

DE
0
S - AV A
^
NTURI ERS. to r
qiies dans un autre,où ils les reduiiirent à de­
mander quartier. De iix cens qu’ils eftoient, Débite
il en demeura quatre cens de tuez fur la pla­ des Efpa*
gnols,
ce, & cent de bleffez. Les Avanturicrs per­
dirent de leur cofté cent hommes , tant tuez
que bleffez. Les Officiers Efpa2:nols périrent
prefqne tous dans cette occafion ; mais le
plus iiÇ!;nalé d’entr’eux fut le Gouverneur de
Merida^ grand Capitaine,qui avoir bien fervi
le Roy Catholique dans la Flandre. L*01 o-
nois 8c le Bafque eurent le bonheur de n*e-
Ifre point bleiTez , mais ils eurent le chagrin
de perdre plufieurs braves compagnons : ce
qui fut caufe que pour venger leur m o r t, ils
firent un plus grand carnage des Elpagnols
qu’ils n’auroient fait.
Apres que l'Olonois fe vit ainfi vidlo-
lieux, 8c eut donné ordre à tout,il nefongea
plus qu*à faire amaifer ce qui provenoit du
pillage. Il fe faifoit des partis qui’alloient aux
environs de Gilbratar chercher l’or 8c l’ar­
gent que les Efpagnols avoient caché dans
envoya
L’OîonoîS
fesen parti,
gens
les bois. Quand on prenoit des prifonniers ,
on leur donnoit la gehenne pour leur faire met Gtî-&
bratar
confeiTer où eftoient leurs treibrs. L’Olonois
n ’eftant pas encore content de cet avanta-
lesTonnipri-ers
Çe,eut deiTein d’aller Merida , qui eft rançonj ii
a quarante lieues de là par terre j mais com­
me il vit que fes gens n’eftoient pas de fon
avis,il n’infifta point davantage.
1 Les Avanturiers ayant demeuré là envi­
ron fix femaines, 8c voyant qu’ils ne trou-
voie nt plus rien à piller,refolurent de fe reti­
rer ; ce qu’ils auroient efté obligez de faire
toil ou tard , parce que la maladie commen-
soit
îo8^ H I S T O I H E
çoit à fe meiler parmi eux , à caufe du mau- ,
vais air qu’exhaloient le fançç répandu , &
tous les corps morts,qui n’eftqienc qu'à demi
enterrez- encore n"*avoient*ils pris ce foin
que pour ceux qui eftoient trop prés d’eux ,
ayant laiiTé les autres en proye aux oyfeaux
& aux mouches.
III Les ioldats qui n’eiloient pas bien guéris
commencèrent à avoir des fièvres , leurs
playes fer*ouvrirent,6c mouroient ainfi fubi-
tement. Cela détermina TOlonois à s'cn al­
ler plûtofij mais auparavant il fit fçavoir aux
! ; principaux prifonniers qu’il avoit,qu'ils eufi*
(I fI
fent à luy payer rançon pour ce Bourg , ou
autrement qu’il alloit le réduire en cendres.
,i ,,r Les Efpagnols confulterent là-deiTiis , quel­
(■ ques-uns opinèrent qu’il ne faloit rien payer,
parce que cela accoûtumeroit ces gens à leur
faire tous les jours de nouvelles hoftilitez -
les autres eftoient d'un fentiment contraire.
Pendant qu’ils conteftoicnt ainfi entr’eux ,
l’Olonois, fit embarquer fes gens & tout le
butin, 8c après demanda la rançon du Bourg?
2 ftîtbm- mais voyant que les Efpagnols n’avoient en-
Jer Gil- core rien refolu,il fit mettre le feu aux quatre
tiatar. coins du Bourg, 6c en moins de fix heures il
fiitconfumé. Enfuite il dit aux prifonniers,
que s’ils ne faiioient venir au plûtaft leur
.I rançon où il les alloit mener, qu’ils dévoient
:) ■ s’attendre à recevoir un pareil traitement.
Alors ils le prièrent de laiifer aller l’un d’eux
pour traiter de cette affaire , & que cepen­
dant les autres derneureroient en otage au­
i:' ' i près de luvî ce qu’il leur accorda facilement.
Peu de jours après l’Olonois rentra daus

ï.

ii
DES A V A N T ü R I E R S . ïo i
Marecaye , où il fît coin/nandement à Îes pri-
ionniers de luy faire apporter cinq cens Va­
ches graiTes.afin de ravitailler îes vaiiTeaux s
ce que les Efpagnols firent promptement , 'ii»
croyant en eftre quittes pour cela : mais ce
fut bien autre choie , quand il leur demanda
encore la rançon de la Ville , & qu’il ne leur
donna que huit jours pour la luy payer, à
faute de quoy faire il jura de la réduire en
cendres, comme il avoir fait Gilbratar.
Pendant que les Efpagnols tâchoient d’a-
■maiTer la rançon que TOlonois demandoic
pour leur Ville,les Avanturiers démoliiToient Fait dé­
les Egliiès, & en embarquoient les orne- m olir les
m en s, les tableaux , les im ages, toutes les Egliies
M are­
de

fculpturesj les cloches , jufqu’aux croix qui caye ,&


eftoientfur les Clochers, pour porter fur Tille em porter
ce q u ’il y i! x
de la Tortue, afin d’y bâtir une Chapelle. Le avoir de
temps que TOlonois avoir donné aux Eipa- plus b eau
gnols pour la rançon , n’eftoit pas expiré , a la T o ï-
qu’ils l’apportèrent,tant ils eftoient ennuyez tue.
de voir ces gens-là chez eux.
La rançon de la Ville eftantreceue, & les
Avanturiers ne fçaehant plus que prendre , l'-'f
que piller & que rompre,refolurent enfin de
fortir & de s’en retourner : ce qu’ils firent, 6c
dans peu de jours ils fe rendirent à Tlüe de
la Vache, où ils parlèrent de feparer leur bu­
tin : mais comme tous n’en eftoient pas
d’accord, ils determinerent de le venir ièpa-
rer aux fur Tlile Efpagnole. *■!
Alors chacun s’aiTembla , TOlonois & les Les A-
Capitaines firent ferment, félon la coutume , vanturiers
qiTilsn’avoientrien détourné , mais au con­ partagent
traire qu’ils apportoienc tout fans refer y e , leurbutiHt
'jio H I S T O I R E
afin d’eftrc partagé aux AvanturîerS qui
avoient également rifquéjleur vie pour cela.
Le refte de la Flotte , )ufqu'aux garçons de
quinze anSj furent obligez d'en faire de mef-
me.
Tout ayant efté ainii ramaiTé , on trouva
qu’en comptant les joyaux, l’argent rompu ,
prifé à dix écus la livre , il y avoit deux cens
foixante mille écus, fans le pillage,qui en va­
loir bien encore cent mille, outre le degaft ,
qui montoit à plus d'un million d'écus, tant
en Eglifes ruinées, que meubles rompus, na^
vires brûlez, & un autre chargé de Tabac ,
hU qu’ils avoient pris & emmené avec eux, que
!n î roionois montoit,8cqui valoir pour le moins
cent mille livres.
Tout ce butin fut donc ainiî partage ,
- ayant pris auparavant fur le total les recom-
penfès promifes aux bleiTez , aux eftropiez ,
6 c aux Chirurgiens. Les efclaves qui avoient
eilé pris, furent vendus à rencan, 8c Targent
qui en provint fut encore partagé entre cha­
que équipage.
Après que TOlonois eut donné ordre â
tout, 8c qu*il vit qu'on eftoit content, il fit
Moüîf. voile 8c arriva à la Tortue. Tant que cet ar-
k■ fai.ce des gent dura , nos Avanturiers firent bonne
A vantu- cherc; on ne voyoitparmy eux que danfes ,
que feilins , que réjoüiifances, que protefta-
tions mutuelles d’amitié. Quelques-uns heu­
reux au jeu , gagnèrent encore de l’argent
outre celuy qu’ils avoient, 8c furent en Fran­
ce, dans le deiléin d’acheter quelques mar-
chandifes, afin de revenir négocier en ce
pays, comme plufieurs qu*ils avoient vû be­
aucoup
1* ■ t

m
DBS AV A N T U RIB^RS. 213

iucoup profiter fur leurs camarades , en leur


vendant du vin & de feau de vie , que ces
gens aiment paflionnément, 8c pour quoy
ils .jdonneroient ce qu’ils ont de plus cher •*iî
bien que les Cabaretiers & les femmes , par
le travail de leurs mains , en eurent la meil­
leure part» Monfîeur le Gouverneur en eut
auifi la fienne , parce qu’il acheta la charge
de Cacao , & le vaiiTeau melme que
cois avoir pris, & le fit rechaigerde la mel­
me marchandife » qu’il envoya en France ,
fur quoy il gagna cent vingt mille livres ^
tous frais faits ; & fans doute ce gain luy e-
iloit mieux dû qu*à pas-un autre , a caufe
qu*il avoir r.ifqué tout fon bien pour main­
tenir cette Colonie; 8c fait des pertes conii-
derables. D’ailleurs il aimoit les honneftes
genSjles obligeoit fans ceiTeî5c ne les laiifoit
jamais manquer de rien. in I

C h A P I T RE V I. i > .

l^ouveau dejfein de Volonois ; fon voyage au:t


iiondura^»^ & fa mort,

’Olonois avoir fait un fi grand butin ]


L qu’il devoir eftre fatisfait, & enfin fe re­
tirer * cependant comme il eiloit obligé de
faire fans ceife une forte dépenfe, qu’il ne
poifedoit aucun fonds, 8c que depuis long­
temps il n’avoit point fait de prife, il fe trou­
va redevable de plufieurs fommes fi confîde-
rables , que tout l’argent mefme qu’il avoir
apporté de Marecaye-n’avoit pas fuifi pour
les
tii h i s t o i r e

les payer. Afin de remédier à ce malheur > il


refolnt une nouvelle entreprife,où il feflatoit:
i r1 de faire quelque chofe de plus avantageux
: Ü !t 1
qu*il n’avoit encore fait* «
Il fe déclara à plufieurs de Tes camarades ,
I
;w[ 1 1 H N ouveau
projet de à qui il tardoic déjà qu'il ne fe prefentafl: une
l ’OloDOif. occafion pour retourner > leur argent eftanc
INl manqué , & fe voyant réduits à l’ordinaire
d’un habitant, qui eft peu de chofe y ce qui
i ?
!
1,
|i n’accommodoit pas ces fortes de gens-là
■i'il‘ ' accoutumez à l’argent & à la bonne chere.
lis louèrent fort l’Ôlonois &fon deifein,& ne
manquèrent pas de le publier partout. Cet
i.
argent qui eftoit venu de Marecaye , avoic
fait ouvrir les yeux à plufieurs,de forte qu'un
grand nombre d’habitans, qui n'avoient ja­
mais planté que du Tabac, jetterentlà le pi*«
quet pour aller en coiirfe.
Ainfi roionois trouva beaucoup plus de
monde qu’il n'avoit de Bâtimens. Il fit ac­
commoder une grande Flûte qu'il avoit ame­
née de Marecaye, Îur laquelle il monta avec
trois cens hommes, & encore trois cens qu'il
mit dans cinq petits vaiifeaux. Avec ceré-
quipage il fit voile à Bayha h a , lien commo­
de pour donner caiene aux Bâtimens, & les
ravitailler. L'Olonois ne fut-là que tres-pea
de temps , & Ton vit auiTi-toft fa Flotte en
état d'executer Îbn deiTein.
Il le communiqua à tous fes gens, & leur
11 com ­
m unique montra un Indien né dans le lac âGNicaragaa,
Ibn def. oii il vouloit aller & piller les Villes des en­
fein à ià virons. Il aiTura encore qu'on y tronveroit
Flotte. des richeifes immenfes,à caufe que les Avan-
turiers n’y avoienc jamais fait de grandes
def-

l II
DESAVANTURIERS. 213
d(efcentes;8c ajoûca qu’ayant un bon guide,
il ne matiqueroit jamais à furprendre les Ei-
pagnols,& à trouver toutes leurs ricbeiTes,
parce qu*il ne leur donneroit pas le temps de
les emporter.
Tout le monde fut content de ce que l’O-*'
lonois avoir propofésSc on luy promit de lu y !■
obéir & de le féconder dans toutes les occa-
fions. Apres on fit à l’ordinaire la ChaiTe^
partie, dont tout le monde demeura d’ac­
cord. Enfuite roionois mit à la voile avec
toute fa Flotte, â qui il avoit donné rendez­
vous,en cas que quelqu’un s’écarraiF, à
\ia-mano, qui eft à la bande du Zud de Tlile :•t!Î
de Cuba, L’Olonois avoit donné ce rendez­ !î ;

vous , à cauiè qu’en ce lieu il y a quantité /


id’Efpagnols qui pefehent de la Tortue. On
[nomme ces gens-li Vareurs chez les François,
chez les Efpagnols Variad&res, L’Olonois I „1
f alloitdonclà pourprendre des Canots,à deJÎ-
kfeind’y mettre Ton monde quand il feroit à
î^rembouchûre de la Riviere qui conduit ajn
|| Lac de Nacaragua , afin de monter où les Bâ-
3 timens ne peuvent aller faute d’eau. Eftant
%^rvivé â Maîa-ma?jo y il vint fort aiiément à
01bout de Ton deiTcin, il prit tous les Canots de
S'ces pauvres Pefcheurs,qu*il mit dans fesvaif-
5:; féaux , & delà fit route pour le Cap Gracia*
&■dios en terre ferme. Le Leétenr peut voir ce
i trajet dans la Carte que j’en ay faite, qui efi: i
tî fort exadte. En faifant cours pour le Cap, ils
:ij furent pris du calme,8c le Courant qui cou-
îl letoûjoursà l’Oùeft» les fit dériverdans le
?l Golfe de Honduras ,où eftant cfne fois , ils ne
fj s’.en purent retirer ,quoy quhls fiiTent leur
*;■ poftiblc

Ht
' *'T , ^
poflible. Les petites Bâtimens eftant mania-
oies, bons
h\ ■ voiliers,
’* &
" pouvant mieux tenir
lèv en t que ceîuy de TOlonois , fe feroienc
pli retirer : mais comme le Batii^cntde 1*0 -
îonois eftoit le principal , ils furent obli2;ez
de fattcndre , parce qu’ils ne pouvoient rien
faire fans luy. . ^
Ils furent ainiî prés d\in mois a vouloir
rem onter, mais ce fut inutilement .• car ce
qif ils p;agnoient en deux jo u rs, ils le reper-
doient en une heure • 6c comme leurs Bati-
cnens n'eftqicntpas des mieux ravitaillez, ils
flirent contraints de relâcher dans le premier
Ii ' port, afin de chercher des vivres. Ils envoyè­
rent leurs Canots avec quelques perfonnes
qui avoient autrefois eiVé a cette cofte. Ils
montèrent dans une Riviere , fur le Bord de
laquelle demeurent quelques Indiens , que
les Avanturiers nomment Grandes oreilles^ à
caufe qif ils les ont extraordinaires.
indiens à
Ces Indiens font réduits parles Efpa^noiS,
t ; .
grandes â qui ils obeïifent comme tributaires, quoy
oreilles, qifilsibient éloignez les uns des autres : ce­
com m ent pendant ceux-cy viennent tous les ans pour
o n traite
avec eux. tirer le tribut de ces Indiens, 6 c amènent un
Preilre qui leur vient adminiftrer les Sacre-
mens. Ils payent en Cacao , Poules, Pite, ou
Mais , enfin en ce qu’ils ont qui accommode
les EfpagnolSjCar ils ne poiTedent point d’ar-
p;ent. Il y a quelquefois des F.ipagnols qui
viennent traiter avec eux. Ils leur apportent
des Bracelets de RaiTade,des Couteaux , des
Miroirs, des Eguilles,des Epingles, 6c chan­
gent toutes ces chofes contre du Cacao.
Nos Avanturiers ne cherchoienc qu’â man­
ger j
DES A VA NT URI E RS . 21^
^er, 8c à cet effet pillèrent tontes les habita­
tions des Indiens , 8c prirent leur M aïs, qui
eftce gros Millet qu'on nomme Blé de Tur­
quie, toutes leurs Volailles; non contens de
cela 5 ils firent ravage , 8c chargèrent leurs
Canots de tout ce qu'ils purent prendre , 8C
en fuite joignirent leurs Bâtimens , où leurs
Camarades les attendoient avec impatience.
Cecy ne fuihibit pas pour tant de monde ,
cependant on le partagea â tous les Vaiffeaux
félon la quantité des perfonnes qui étoienc
dedans. Ils tinrent confeil enfèmble ,fcavoir A- ., I '
s’ils dévoient encore fiiivre leur chemin avec
ce peu de vivre qu ils ayoïent. Les plus ex- conieii de
perimentez trouvèrent à propos qifon la il- guerre, &:
I
feroit paffer cette faifon,qui ne dure ordinal-
rement que trois ou quatre mois » 8c que ce- "
pendant il falloit piller tous les Villages 8c
petites Villes qui étoient dans le Golfe des
'Ho»i/«r/ri,appartenant aux Efpagnolsjchacun
fut de cet avis,on quitta la Riviere
8c on fit voile le long de la Cofte jufqu'à
Tuerio C avallo , où cette Flotte arriva en peu
de jours .*ils trouverent-là un Navire E.fpa-
gnolqui avoit 24. pieces de canon,8c douze
Berges qu’ils prirent ; mais les marchandifes
en étoient la plufpart déchargées, 8c enlevées
dans les terres-, fi bien qu’ils n’en trouverenc
dedans que quelques-unes qui devoient re-
fter au bord de la mer, pour traiter avec les
Indiens de ce païs.
Le VucYto C avallo , eil: un lieu où les Navi­
res Efpagnols qui négocient dans les Hondu-
y/fi viennent ordinairement moiiiller ; 8c il y
a des Magazins dans iefquels on met les
mar-^
:j2

lî^ H I S T O I R E
marchandifes qui defcendent de la Provîncè;'
de Guatimah : comme de la Cechenille dc7^
l’In d ig o t, des Cuirs, delà Salfcpareille , du
Jalape & Mecoachan, L'Olonois avec foUi
. monde defcendit à terre ; mais il n*y trouva
aucune reiiftance * & les Ma2;azins elloicnc
Magazins faus marchandifes , il les brûla , prit quel-
Eipagnols ques Efpa2;noîs à qui il fît donner la ?;êne »
pour les faire confeiTer oùétoit leur ari^ent*
i ou celuy des autres » ou bien pour luy enfei-
gnerle chemin , & où il y avoir du monde.
Lors qu'ils ne répondoient rien à ce qu’il
vouloir» il les tuoit miferablement, les fen­
dant avec Ton fabre. Il fît fouifrir à un Mu­
lâtre les plus cruels tourmcns qui fe puiÎTent
jmap;iner, & apres le fît jetter pieds & mains
liées, tout en vie dans la mer,nfîn de donner
^ d e la terreur à deux de Tes Camarades qui
étoient prefens,aufquelsil jura qu*il en feroic
autant & davanta2;e, s’ils ne luy montroicnC
le chemin a. San Pedro, petite Ville que l*Olô-
tiois vouloir prendre. Ces deux miferables
voyantjeurs Camarades ainiî traitez , dirent
I qu’ils l*y mencroienr. Il fît choix de monde
pour venir avec luy , & envoya cependant
quelques-uns de Tes Batimens croifer, afin
de voir s’ils ne prendroient rien. Il emmena
environ 500. hommes avec luy ,à qui il dit
refolument qu’en quelque occafîon que ce
f û t , il marcheroit â leur tefte , mais que le
premier qui reculeroit, il le tueroic luy-mef-
me-
Il s’achemina donc avec Tes gens & Tes
deux guides-.mais il n’eut pas fait trois lieues
de chemin qu’il rencontra une cmbufcadc
d’Ef-
DES AVANTURI ERS. 117
d’Efpagnols retranchez derrière quelques lUencon-
p;abions qn*ils avoienc fait dans fembouchû- tre une
re du chemin,qu*il eftoic impoiïible d*éviter, ^mbulca-
â caufe qu'on nepouvoitpaiTer dans les bois ^ '
pour l’épaiiTeur des arbres, halliers 6c des
épines : cependant TOlonois ne s'épouventa
pas, il rua premièrementfes deux guides, 6c
apres donna lui 6c fes gens fur les Efpagnols
avec tant d’impetuoficé 6c de fo rce, qu’il les
contraignit de prendre la fuite, non pas ians
laiiTcr la plus grande partie de leurs gens fur
la place.
• L’OIonois en fit beaucoup de prifonniers
fans les bleifcz qu'il fit achever de tuer : Les
prifonniers eurent la mefme deilinée apres
avoir efté interrogez, 6c qu’ils eurent dit que
îes Efpagnols ayant iceu par quelques Efcla-
ves qui s'écoient fauvez , la defeente des A-
vancuries , avoient auifi-toft juge qu’on les
viendroit attaquer à. Saint Pierre '6c ^que
pourcefujet ils s’étoientmis en défenfe , 5c
ajoutèrent qu'outre cette embufcade.il y en
avoit encore deux autres plus fortes.à paiTer,
avant d’arriver à la Ville: II les interrogea
tous feparément, 6c trouva qu'ils diibient la
meiîne chofe; ce qui l’obligea à s'en deffaire
6 c aies maiTacrer, n’en gardant que deux ou
trois , à qui il demanda s’il n’y avoit point.
moien d’éviter ce chemin 6c d’en prendre un
autre ? Ils répondirent que non. Il en fit atta- cmanté
cher un à un arbre, à qui il ouvrit le ventre, de l’oio-
6 c dit aux autres qu’il leur en feroit a u ta n t,
s'ils ne lui enfeignoient un autre chemin:Mais
quand il vit qu'il n’y en avoit point, il reib-
lut avec fa troupe de le fuivre, 6c de ic don-
Tomel» K ner
418 h i s t o i r e
ner de garde de ces embufcades,autant qu’if(
feroit poiTible. ^ ^r
Ces miferables prifonnicrs cherchant a
ver leur vie , voulurent neantrnoins luy en-î
feigner un autre chernin-^mais il éroit fi m^^u-
vaFs, qu’à peine y pouvoit-on paiTer, fi bien
qu*il refolut plûtoft de prendre le grand che­
min,où fur le foir il rencontra une antre em-'
bufcade >qui ne put non plus tenir que l’au- *
tre , 8c qui fut auiTi bien traitée. Et les Ef-
pagnols voyant qu’ils ne pouvoient rien
gagner,jugèrent qu’il valoit bien mieux join­
dre le gros , que de fe faire tuer par des gens ;
Fuite Sc
rctran- déterminez , comme ces Avanturiers j C’eft
cheiiient
rctran-

des pourquoy ils lâchèrent pied , 8c furent fe re- .


Efpa- trancher dans la derniere embufcade , envi-'
gnols^ ron à deux lieues de la Ville.
L’Olonois 8c tout fon monde , fatiguez du
chemin , de là faim 8c de la ibif qu*ils ibuf-
fro ie n t, ne pouvoient pas bien marcher &
furent obligez de coucher dans le bois, où ils
firent bonne garde toute la nuit. Le lende-
■main ils pourfuiyirent leur chemin, 8c mar­
chèrent jufques à dix heures fans rencontrer
la derniere embufcade, qui leur donna plus
de peine â paiTcr que les autres • Mais néant-.
moins ilss’en rendirentm aiftres, 8c tuèrent
la plus grande partie des Efpagnols qui y e^
toientj ce qui donna courage à TOlonois, qui ‘
dit à fes gens j point de quartier >point de
quartier,plus nous en tuerons ici,moins nous
en trouverons â la Ville.
Peu de temps après ils commencèrent à en
approcher, ierepoferent un peu,mirent leurs
armes bien en état, 8c préparèrent leurs mu­
nitions :
■^1

DES AVANT UR I E R S . 119


nîtions .*(i bien quMls marchèrent genereii-
feincnt dans le deiTein de remporter 3 ou d*y
périr. Quand ils en furent proches, ils cher­
chèrent les moyens de paffer par un autre
lieu,que par le chemin où les Eipagnols bien
retranchez les attendoient, mais il n*y en a-
voit aucun : car toute la ville eftoit entourée
de Raquettes 5c de Torches épineufes»en ibr-
te qifil eitoit impoifible d’y paiTer, particu­
lièrement pour des gens qui étoient nuds
pieds, 8c qui n’avoient qu’une chemiiè 8c un
calçon. Ces épines font plus dangereufes â
paiTer , que les plus petites pointes dont on v 'I ,iiü
le iertà l’armée pour gâter les pieds des che­
vaux, ou pour empefcherles Soldats de mon­
ter à l’aiTaut.
L’Olonois iè vit donc réduit avec Tes gens L'olonois
à forcer les Efpagnols , s’il vouloir eftre &
ftre de la Ville , ou bien â s’en retourner fans deflfiir les
rien entreprendre ; ce qu’il n’avoit garde de Eipagno's
faire.Il anima fes gens,8c fe mit à leur tefte,
dans le deiTein de vaincre ou de périr. Si-toft
que les Efpagnols bien retranchez derrière chinens.
des gabions remplis de terre,où ils avoient du
canon , virent ces gens , ils commencèrent â
le tirer fur eux,chargé à cartouches;8c après-
les avoir ainfi faluez» ils rechargèrent à la fa­
veur de leurs moufquets qu’ils tirèrent auÜi.
L’Olonois 8c fes gens â cet abord fe couchè­ *lu
rent tons fur le ventre, ii bien qu’ils virent
faire cette décharge fur eux fans qu’ils en
receuiTent aucune incommodité : Et dans le
moment qu’elle fut faite , ils commencèrent
la leur fur les Efpagnols qu’on ne pouvoic
prefque découvrir : Mais aufll les Avantu-
K a . riers
ilo H I S T O I R E
riers c|ui n*âvoicnt pi\s beanconp de poudre,
ne tiroienc point qu'ils ne viiTent quelqu'un.
Ce Combat dura environ quatre heures,8c
fut fort opiniaftre , tant d’un cofté que d’au­
tre , â la fin les Avanturies fe laiTerent, 5c fe
rcrolurent à rifquer 8c à donner fur les Efpa-
^nols , qui voyant cette grande refolunon ,
furent épouvantez 5c lâchèrent pied^, ou une
grande quantité d’eux furent tuez.L*Olonois
I y perdit environ trente hommes , 8c en eut
bien vingt de bleflez.Cependant victorieux,
il ne s’étonna point, au contraire fi entreprit
encore davantage • car ayant eilé environ
quinze jours dans cette petite Ville , il pro-
I poia â fes gens d’aller quérir du renfort au
bord de la mer,‘8c d’attaquer la ville de Gua^
timale : mais tous regardèrent cela comme
une témérité , vû qu’ils n’étoient en tout que
500. hommes j 8c que cette Ville avoitplus f
de quatre mille com battans, outre la lon­
gueur du chemin qu’il y avoit à faire.
l ’OloncbS L'Olonois voyant donc que perfonne n ’é-
prend àc toit de Ibn avis, fe contenta de piller cette H
pille une petite Ville de S. Pedro , mais il n’y fit pas
\ille .
ÜI''
grand butin , car les Habitansne font que de
pauvres gens qui font de l’in d ig o t, qui eft
tout le commerce de ce pais. Si l’Olonois
avoit voulu faire apporter cet Indi^ot,iI y en
avoit pour plus de quarante mille écus, mais
C e que il ne cherchoit que de l’argent. Ces gens ne
les Avan- voulant autre chofe,ou des hardes â leur ufa-
turiers re­ ge : car je les ay veulaiiTer quantité de Mar-
cherchent
dans le chandifes dont ils ne tendent aucun compte,
pillage. 8c qui leur auroient valu beaucoup. Cela
vient de leur pareiTe, 8c de la repugnance
qu’ils
D E S AV A N T U R I E R S . zxt
•^ivils ont à rien faire les uns pour les autres^
D ’ailleurs , quand ils ont apporté de la Mar-
chandife dans leur païs, on ne leur en veut
pas donner ce qu’elle vaut ; ce qui fait qu’ils
r}eglio;ent d’en apporter,& qu’il arrive, corn- .
me je Tay veu plufieurs fo is, que quand ils
prennent un Batiment où il y en a , & donc
ils ne fe peuvent pas fervir , ils la jettent Sc
laojâtenc, plûtofl: que de la porter où ils la
poLirroient vendre. Voila pourquoy ils ne
profitent pas tant qu’il pourroient faire.
L*Olonois refta long-temps dans cette Vil- Principal
l e , où il ne fit pas grande chofe, car les Ef- „ois
pagnols ont toujours la prévoyance de ca- qnan<i on
cher ce qu'ils poiTedent de plus précieux , a- les atta-
vant que de fonger à Te défendre,comme s’ils
cftoient aiTurcz d’efire vaincus & de perdre.
Quand l'Oîonois fut preft à partir, il deman­
da aux priformiers qui eftoient entre ies
mains, s’ils vouloient payer rançon pour leur •
V ille, qu’autrement il la brùleroit : Ils ré­
pondirent refolument qu'on leur avoir tout
ofté,qu*ainfi ils n’avoient plus rien à donner,
qu’il pouvoir faire tout ce qu’il lui plairoit,
mais que pour eux ils n’étoient capables de
rien. L’Olonois à cette réponfe fit mettre le
feu à la Ville, la laiiTa brûler,& fe retira avec 'I!I 1
fes gens au bord de la mer ; où étant de re­
tour, ceux qu’il avoit lai fiez ayant pris quel­
ques Indiens, feenrent d'eux qu’on attendoic
dans la grande Riviere de Guatimale une
Hourque ; c’eft un Navire de 7. à 800. ton­
neaux , qui vient ordinairement tous les ans i'
d’Efpagne aux Honduras ^^our apporter touc
ce que la Province de Guatimale a beibin ;
K 3 cette
lii h i s t o i r e
cette Province n*ayant que tres-peu de comi f
inunicarion avec les Gallions du Roy Catho­
lique: Et pour cela quelques Marchands par-,
ticuliers d’Efpap;ne5ont obtenu du Roy & de''
la Maifon des Indes, d'y pouvoir envoyer
tous les ans un Bâtiment. Les Marchandifes
qui fe portenc-là , font »du Fer , de l'Acier »
du Papier pour Imprimer ou Ecrire >du Vin»
des Toiles »Draps fins , Soyries , du SafFran» '
ê c de l'Huile. Le retour eft ordinairement,
des Cuirs , de la Salfepareille, de Tlndi^ot»
de la Cochenille, du Jalap e, ôc du Mecoa-
chan.
L'Olonois ayant appris cette nouvelle» alla
fe retirer iur de petites liles qui font au fond
du Golfe J & laiiTa deux Canots à l’embou-
chûre de la Riviere de GuatimMe , pour épîer^
quand ce Bâtiment viendroit »& chaque E-
quipage devoit y venir à ibn<our.
Deiïeîn Flotte de FOlonois fut arrivée
de roioi à ces petites liles, chaque Equipage fe pofta
rois fur fur Tienne , à qui chacun donna un nom
qu*onîuy qu’il voulutjComme ils ont accoutumé de
donne. ^ faire en pareille occafion;cn fuite ayant deia-
grée» c’eft â dire>ollé tout l’appareil de leurs
VaiiTeaux pour les racommoder >une partie
s’occupa à faire des filets pour pêcher. Il y a
en ce lieu une grande quantité de Tortues »
que ces gens fçavent prendre avec des filets»
qu’ils nomment folles.Ils les font avec l'écor­
ce d'un arbre qu’on appelle Mahor. Cette é-
corcc eft aufli maniable que le chanvre » SC
on en feroit des cordages auiTi bons que
ceux de chanvre# s'ils étoient travaillez de
mefme*
L’Olonois
DES A V A N T U R l - È R S :
. X^Olonois Ôcles Tiens s’étant ainfi retirez Occupa--
tior^des
fur ces liles, y palToient le temps aiTez dou­ A vantu­
cement» en attendant qu’^ils euiTent 1 qcca- riers en
iîon de remonter »c*eft a dire» de ibrtir du atten dant
fottune^
Golfe , où le courant eftoit pour lors fi fort,
qu*ils étoient obli2;ez d*y demeurer : Cepen­
dant tout leur employ eftoit de pecher de la
Tortue , qui leur fervoit de nourriture. J ’ay
affez expliqué ce que c’eft que Tortue; fen-
tens ici la franche>parce qu’on ne^maii2;e d ^
autres que par grande neceiïite » a caule
qu’elles font de mauvais gouft» que les fran­
ches font excellentes , fort faines » penetrant
tout le corps & n*y fouifrant aucune impu­
reté. De force que ii quelqu’un eftoit infecfté Souve­
rain re ­
du mal venetien»cela le purifieroit mieux que m ede au
le Mercure.On en void quantité dans ces pe­ plus
tites Ifles »parce qu’il y a de grands fonds grand
^d*herbes, dont ces animaux vivent» & auiü m al, .
.à caufe que le courant les y tranfporte» cona-
me beaucoup d’autres chofes qui n’ont point
de vie. On trouve quelquefois fur le rivage
de ces Ifles. des chofes que la mer y apporte
de plus de quatre ou cinq cens lieues, com­
me des Canots de la façon des Sauvages,
nommez Aroagues, qui font fort éloignes
de là.
Nos Avanturiers n’eftant pas toujours oc­ Tnduftrîe
de quel­
cupez , s’alloient quelquefois promener dans ques In­
leurs Canots vers les petites Ifles de Sambaîes, diens à
qui tiennent prefque à la peninfule de luca- pêcher ÔC
%um , fur lefquelles on trouve de l’ambre gris àl'amtrouver
b ie, If
auflî bon que celui qiVon nous apporte d’O-
rient. Quelques Indiens tributaires des Ef-
pagnols Ty viennent pêcher pour leur reven«
K4 dre
»44 h i s t o i r e
dre • Sc la manière dont ils le pêchent ^ cft
telle .*quand la mer a efté agitee d*une tem-
pelle, c'eft alors que Pambrê gris eil jette fur
le rivage par Tagitation des vagues. Ces In­
diens y viennent auiTi-tot que la tourmente
commence , afin de prevenir les oyleaux,qui
dés que lèvent eil appaifé, ne manquent pas
de chercher aufiî Tambre & de le manger.
Ces gens vont contre'le v e n t, jufqu'â ce
s;i quhls ayent Todeurde Pambre, lequel eilant
encore recent en exhale beaucoup- quand ils
ont Todeur ils ne courent plus fi fort, mais ils
vont doucement jufqu’à ce qu’ils Tayent per­
'■Min! due , Sc après retournent fur leurs pas. Ayant
marqué Tendroic, ils cherchent par tout dans
' í■• !?i ;:(!J' f' le iable } quelquefois mefine les oyieaux leur ÿ
' ^níH.Kí I
■i' !n' enfeignent en picquant où il cil;aprés qu’ils
III [;:.r
l’ont trouvé, ils l’amaiTent , l’emportent jr.;'
II..
■ P fe retirent fur la peniniùle de Jucatum , qui
eil leur pais naturel, où ils ont leurs habita-
tions. ^ f te-
, ' 'Mïïfi I Le Ledleur ferapeut-eilre bien-aife de voir J'
la defeription de cette Peninfule , d’autancP ■
^ ' ' ^IPPÎ *’' plus que j’en ay une entière connoiiTance , 1C
I . Î P’tU ;: r parce que j’y ay féjourné allez de temps pour
IM J n i f ' r ' y remarquer ce qu’il y a de plus curieux,
BcÎciip- La Peninfule de lucatum eil feituée depuis
rion d'u. le leiziéme degré de latitude Septentrionale
ue pciiin- jufqu’au vingt-deux , depuis le golfe de Ga^
arïdknt jufqu’au golfe de T rifle , ayant fa fitua-
tion Nordeil & Sudoiieil, duquel collé elle
eil attachée au Continent,& fou autre poin­
te qui eil au Nordeil nommée le cap Catoche^
où autrefois les Indiens ont eu de beaux édi­
fices , comme il paroiil encore par les ruines
qu’oq
D i s A V A N T U R I E R S . 225 [^
qu*on voit far une petite lile , <iui eft proch^
noiTimëe de Muieyes, Du Cote de l Oueft
ou Ponant , les Efpa^nols y ont une belle
ville noiniTiée Saint Vrancifco de Campefch^e y 6C
au milieu une autre nomme'e Merida , où il ie
fait un "rand commerce avec les Indiens : &
Campefche citant un Port de mer en a bien
plus. Il y a eu beaucoup d*autres villes 6c
Dourgs fur cette Peninfule j mais depuis que
les Etrangers ont fait la guerre aux-Efpag-
nols dans ce pais , ils ont efté dépeuplez 8c
font venus â rien. Les Efpagnols occupent la
partie Occidentale , & les Indiens TOrienta-
lequi eft du codé des Honduras,
J*oubliois à dire l’étimologie de lucatum ,
qui mérité bien d’eitre feeu'é. La premiere
fois que les Efpagnols abordèrent en cette
Peninfule , .ils demandèrent aux Indiens le
nom du pais ; les Indiens qui ne les enten-
doient pas , leur répondirent, lucatum qui
fignifie en leur langue , -=1^^ dites^vouc ? ce
qui fit que les Efpagnols Lappellerent luca^
turn , foit que ne fçaehant pas le langage de
cette contrée j ils creuifent que c eitoit ion
veritable nom , ou qifen effet ils lily ayent
laiÎTé ce mcfme nom en mémoire de ce qui
s*eftoit paifé.
Cette Peninfule eit tres-fertile en tout ce Couver:
que l’Amérique produit, & autrefois elle nement
efté1 fort peuplée d’indiens : maisjes Efpa-gnoiJ
^ i l . c a ^ r 1 cr*!? . r v i l i c “

gnols les ont tellement détruits , qu*il n’y en dans cette


a aujourd’huy que tres-peu qui font l e u r s t r b p c n i n i u l c ,
butaires, ou pour mieux dire leurs efclaves :
je dis leurs efclaves , parce qu’ils n’ont au­
cune liberté. Ceux qui font voifins des Ef-
K 5 pagnols
Il è H I S T O I R E
pagnols les fervent prefque pour rien. C ent
defautre bord font obligez de recevoir cer­
tains temps de Tannée un Ecclefiaftique Ef.
i 11 1' f' pagnol qui eft envoyé pour les convertir. Si-
toft qu’il y arrivé , le Caficq,c*eft ainfî qu’ils
nomment leurs Chefs qui font comme leurs
Gouverneurs, eft obligé de donner azile â ce
Preftre,ou de luy en chercher parmy fes gens
qui doivent apporter de tout ce qu’ils ont
Habîtans tribut. Tant que le Preftre eft
id o lâ tre s , en ce lieu , ils n’oferoient exercer leur Reli-
genre de gion , Car CCSpeuples (ont idolâtres ; mais fi-
iauie^° toft qu’il eft party,ils recommencent comme
auparavant .* j*en diray icy quelque chofe ,
! I
felon ce que j*en ay appris de ceux de la na­
tion qui parloient Eipagnol. Chacun d’eux a
ion Dieu particulier : ils ont pourtant des
lieux où ils s’aifemblent pour adorer leurs
Dieux , & qui leur fervent d’Eglile , quand
C erem o- les Prefttes Efpagnols y font. Lors qu’un cn-
îe u rB a d’être né, ils vont dans cette Egliie
Têmes^& & parfément une petite place de cendres paf-
de leurs fée dans un tamis fait d’écorce d’arbre , &
inariages. après pofent Tenfant au milieu tout nud ôc
le laiiTcnt là paiferla nuit. Le lendemain ils y
vont voir , 8c ils remarquent les veftiges de
l’anjinal quia efté ou qui a approché de Ten­
fant , s’il y en a eu deux , ils les prennent
I ( tous deux pour patrons ; s’il n’y en a qu’un
ils ne prennent que celuy-là .* enfuite ils éle-
vent cet enfant jufques à ce qu’il aye con-
I . noiifance de leur religion ; 8c quand il la
connolft 8c qu’il eft grand , les pafens luy
nomment fon patron ,8 c foit fourmis, r a t,
fouris, chien, chat ouferpent, il Je doit ado­
rer

r
DES A^V A N TU RI E R S.
•Ter comme Ton Dieu. Il ne le réclament tous
que dans raverficé , c’eft â dire ^lors quails
ont perdu quelque chofe^ ou qu*on leur a faic
quelque déplaifir.
Pour cela , ils vont dans une maifon deÎH-
née à cet ufao;e,& offrent une certaine gom­
me nommé co^al ^ comme nous faifons de
Tencens, 5c apres la moindre chimère qui
leur vient dans la tefte , ibit de fe vanger de
quelque affront prétendu , ou quelqu’autre
penfée , ils croyent que c’eft leur Patron qui,
leur inlpire, 5c ils ne manquent point de
l*execnter. î quelques Efpagnols m’ont dit ,
que-quand c’eftoient des femmes qui avoient
de grands animaux pour patrons, que le dia­
ble venoit fous cette figure ie«joindre avec
cllesjmais je n’ay jamais pu croire ces baga­
telles , car cela eft auifi chimérique que les
vifions des Indiens à l’égard de leurs patrons
,ou de leurs Dieux.
Dans leurs mariages il obfervent de cer­
taines ceremonies, 5c ne prennent qifune
;femme. Quand quelqu’un fe veut marier , il
convient avec le pere 5c la mere de la fil- ih
le 3 enfuite on s*affemble , on fe réjouit,
5 c le lendemain des noces la fille vient fe
prefenter devant fa mere , fe jette par k
terre 5c rompt un petit chapeau de verdure ,
que Ich vierges portent ordinairement,5c fair
pluiîeurs gemiffemens, pour faire voir le re­
gret qif elle a d*avoir perdu fa virginité. ... .
Ces Indiens font fort laborieux Sc éloignez
de la pareffe des autres. Leur genie paroift gem à
à faire mille petits ouvrages jolis , mais peu
Utiles. Il fc trouve dans leur pais quantité de
K 6 bois viages. U!


218 H I s T O
bois qui leur fournit de tres-belles teintures'?'
celuy dont nous nous fervons pour le noir 3c
le violet vient delà , c’eflr ponrquoy on l*ap-^
pelle bois de Campefehe. Leurs habit?itions '
font tres-belles , 6c ils n*y plantent que des
choies neceiTaires â la vie. Les femmes filent
du coton , dont ils font des hamacs qui font
une maniéré de lits ties-beaux.On ne les voie S
jamais en guerre avec les autres Indiens^par- •t
ce qu*ils en font fort éloignez, les Efpagnols
eftant feulement leurs voifins. Leur plus
grand voyage eft fur les liles qui font au
Golfe des Honduras, où ils demeurent quel­
quefois, mais pour Tordinnire, ils retournent
toujours en terre ferme.
Apres cette petite difgreffion, je reviens a
nos Avanruriers que nous avons laiifez fur
les petites Ifles. Quand ils y eurent féjourné
environ trois mois , LOlonois eut nouvclîe
J*Oîonoîs que la Hourque dont nous avons parlé , qui
aprend la devoir venir, approchoic. Aufll-toft il donna
>cv.'uc du ordre qu*on eût â appareiller les vaiiTeaux ■?
vjiiTcau
qtj'il ac- en diligence , de peur qu’elle n'eût le temps
!j' tcn d cit, de fe décharger. D’autres opinèrent au con­
i5c tait traire , 6c dirent qu’il valoirmieux attendre
préparer
ics gens. fon reto u r, parce qu’elle auroit de l’argent,
que de la prendre ainfi, lors qu'elle n'avoit ■
que des marchandifes. Ce dernier avis fut
bien receu de touS; ils ne laiiTerent pas d’en­
voyer des Canots pourobièrver ce vaiffeau:
mais ceux' qui le m ontoient, ayant apris que
les Avanturierseftoientà cette côte ,ie con­
tentèrent de débarquer les marchandifes , 6c
ne précipitèrent point leur retour,
L’Olonois 6c fes gens ennuyez d’attendre,
eurent
D E s A V A^N T U R I E R s. 22^
eurent quelque foupçon que ce vaiiTeau leur
.'pOLirroit échapper,c*eft pourquoy ils reiblu-
rent de l’aller attaquer, nefcachant pas fi à
luefure qu’on en'décharo;eoit les marchandi-
iès , on en euibarquoit de nouvelles.
Dans cette incertitude , ils ne perdirent
point de temps , 6c furent à fon bord ; mais fe a u , rue;
les Efpa^nols qui avoient efté avertis , s*é- cez d«
toient déjà précautionnée , ayant préparé combaîi
leur canon ôc débâclé leur navire,c’eft â dire
ofté tout ce qui leur pourroit nuire pour le i1
com bat, leur canon eftoit en batterie au ^
' nombre de cinquante-iîx pieces, outre beau­
coup de feux d'artifices qu’ils avoient, com­
me i^renades, pots â feu, torches, fauciiTons,
coffres à feu , le tout fur lesChaileaux d’A-
vaut & d’Ariere.
Quand nos Avanturiers approchèrent >ils
s’apperceurent bien qu’ils eiloient décou­
verts & attendus : cependant ils nelaiiTerenC
pas de l’attaquer- Les Efpagn6ls fe mirent en
deifenfe , ôc embaraiTerent Jes Avanturiers,
quoy qu'ils fuifent en plus grand nombre.
Mais après avoir combatu prefque un jour
entier , les Efpagnols qui n*eftoient gueres
plus de foixante hommes iè laiTerentj & les
Avanturiers voyant que leur feu diminuoit,
les abordèrent & fe rendirent maiftres du bâ­
timent. ii ^
Auill-toil l’Olonois envoya de ces petits
bâtimens dans la riviere , afin de pouvoir
prendre la Patach^, que les Efpagnols di-
foient venir , chargée de cochenille, d’indi-
got 8c d'argenr. Mais ayant feeu la priie de la
Hourque, ils ne firent pas defcendrela para-
che.
'iii
,I
1 :Î! : 1^6 H TST O I R Ë
che,8c fe retranchement iî bien fur la rîvîeré
que les Avanturiers n’oferent rien entrepren­
dre.
Faute & L’Olonois n’avoit pas fait iî grand butin
im pru­
dence des en prenant ce bâtim ent, comme il s’eftoit
:ili A vantu- imaginé , parce qu’il avoir efté découvert;
Jiers, mais shl feuft pris d’abord qu’il arriva, il au-
roit eu toute fa charge , qui valoir plus d*un
million ; ce qu’il devoir faire , pouvant bien
juger, que découvert comme il feftoit ayant
demeuré prés de iîx mois à cette code., cc
bâtiment nechargeroit jamais à fa vue.
On ne trouva dans cette Hourque qu’en-
viron vingt mille rames de papier, & cent
tonneaux de fer en barre qui fervoit de latte
au VaiiTeau. On y trouva auiTi quelques bal­
lots de Marchandiiès, mais de peu de valeur,
ce n’eftoientque des Toiles , Sarges , Draps
8c Ruban de Fil en grande quantité. Tout ce­
la ne laiiToitpas de valoir de l’argent; 6c ce­
pendant ces gens n’en profitèrent prefjjue
çoint; car ayant^partagé ce qui pouvoir edre
a leur ufage , ils perdirent le re d e , comme le
papier dont ils fe iervoient en maniéré de
Serviettes, 6c à faire mille autres bagatelles ?
Quelques huiles d’Olives 6c d’Amandes fu­
l a pluf.
rent confumées inutilement.
part des Beaucoup de ces Avanturiers nouveaux
A vantu- venus de France, qui n^entreprirent ce voya­
riers a- ge avec l’Olonois, qu*à caufe qu’ils Tavoient
bandon
n c n t I'O - veu revenir de Marecaye comblé de biens,
lonois, cc ennuyez de cette miferable vie , commencè­
qui leur rent à murmurer , 6c à dire qu’ils vouloienc
âuivc. retourner â l’Ide de la Tortue. Les vieux A-
vantuiiers accoutumez à cela, fe mocque-
renr
DES AV AN T U R I E 11 S. 23 Ï
rent d'eux , difiint qu*ils aimoient mieux pé­
rir, que de retourner à la Tortue fans argent.
Enfin ils le lignèrent les uns contre les autres f
Les plus expérimentez de ces Avanturiers,
voyant que le voyage de Nicarague ne reufi*
fiÎToic point s'embarquèrent la plufpart en fe-
cret fur le Bâtiment que montoit Moyfe Van­
d in , qu^on avoit pris au Port de Cavallo , 6c
qui alloit fort bien à la voile.
Tous ces gens étant de concert, reiblurent
de quitter Î'Olonois, & de s'en aller â la
Tortue racommoder leur Bâtiment, & en
fuite retourner en côuiTe, ce qu'ils firent 5
mais lors qu’ils voulurent ibrtir ils échoüerenc :(
fur un Reflif 5 & parla leur deiTcin fut arre-
ilé. Si ce Bâtiment n'avoit pas péri de cette
*- forte,il auroit bien fait du mal aux Efpagnols,
car c'étoit le meilleur Voilier qu'on cuft vu
depuis cinquante ans dans rAmerique»
Cependant Moyie Vauclin iè voyant fans
VaiÎTeau , chercha l'occafion d*en r ’avoir un
autre , & la deiTus il trouva le Chevalier du
Pleflîs fort à propos qui venoit de France,ex-
p /é s pour croiièr fur les Efpagnols: Et comme
Vauclin connoiiToit tres-bien le pais, 8c les
lieux où les Efpagnols ie rencontrent, il fut
bien reçu du Chevalier , qui luy promit la
premiere prife qu’il feroit, en cas qu'il fe re­
tirait en France ; mais il ne pût accomplir ia
promeiTe , car en combattant contre un Na­ i f
vire Elpagnol de rrente-fix pieces de Canon,
il tut tué , 8c Movfe déclaré Capitaine de ion
Vaiffeau , avec lequel il fit une priiè devant
la Havana chargée de Cacao , quiyaloit plus
de cent cinquante mille livres.
L'Olo-
(
h i s t o i r e
L’Oionois qui eftoit dans les Tlonduras eue,
tant de dépic contre Moyie qui Tavoic ainß^
quitté, qu'il jura de s’en venger , fi jamais il
le rencontroit. Un nommé le Picard l*aban-
rolonojs donna aufil ^ mais au lieu de retourner à la
abandon» Torcuë, il fut le louG; de la cofte de Coßarica^
né nelaii- où il croifa devant la Riviere de Chagre^ afin
d%mre- Reprendre le premier Bâtiment qui viendroit,
prendre. Ennuyé d’être là fans rien faire, il refolut
aveefon Equipage d’environ quatre-vingts
hommes , de defeendre dans la Riviere de
Veragua, & de piller le Bour^ de meiiTie nom,
qui efi: fur cette Riviere.Il exécuta Ton entre-
prife , car il le pilla aiTez facilement, 8c fans
trouver grande refiftance , ny beaucoup de
chofes / à caufe qu’il ne demeure dans ce
Bourg que des Efclaves qui vont foüdlerja
terre ilir de certaines montagnes prés de là. l.
Ils mettent cette terre dans des facs , & la
vont laver,après ils y trouvent de petits mor­
^'t ■ } rii,f p-
‘"'Il ceaux d’or très pur & tres-fin. Ces Efclaves
i; appartiennent à des Bourgeois & à des Mar­
chands de la Ville de N ata , fituée fur la mer
du Sud à vingt lieues de ce Bourg , qui n*eil
bafiry fur cette Riviere que pour y occuper
! in||^u m des Efclaves, & quelques Bandits Efpagnols
n M qui s’y font venus réfugier.
. Le Picard n*eut pas là demeuré longtemps,
que les Efpagnols , qui s’étoient amaifez , dc
qui venus de Nata , & de Venonome , le con­
traignirent de décamper au plus virejce qu’il
ne pût faire fans fe battre » mais ce fut en re­
traite du mieux qu’il pût,& non pas lans laif-
fer quelques-uns des fiens , tant morts que
bleifez, de des prifonniers qui eitoient de­
meurez

ï'.A ?!
D E S AV A N T U K Î E Î I S ; ïf^
ineurez derrière dans nn petit Canot. Ils
n-eiirent pas meirne le loifir de prendre tout
leur butin,& n’emporterent qu’environ trois
ou quatre livres d'or qu'ils trouvèrent dans
des flacons ; fi bien que le Picard fut courir
le bon bord pour trouver une naeilleure for­
tune.
L’Oîonois fe voyant avec fi peu de mon-
de, eftoit fort en peine,ayant un grand Vaif- g^naufta-
feau équipé de 300. hommes, 8c fans vi'gedei’O-
‘vres >fi bien qu*il eftoit contraint d’aller tous lonois,
i, les jours à terre pour en avoir. Ils tuoienc
tout ce qu'ils rencontroient, 8c le plus fou-
vent des oyièaux 8c des finges: Voilà ce
qu’ils faiibient de jour; & de nuit avec le
vent de terre,ils tafchoiént à fortir 6c à avan­
cer chemin autant qu'ils pouvoient. Après
beaucoup de peine ils gagnèrent le Cap Gra*
c ia à d îo s , 8c furent jufques aux liles de Las
p e r la s , 6c de C a rn e la n d ,
L’Olonois avoir encore quelque efperance
de faire defcente à N i c a r a g u a , à deiïein d’y
laiiTer fon Navire, 8c de gagner la Riviere de
^S a i n t le a n 2 i\ cch s Canots qu’il avoir. C’e-
ftoit par cette Riviere qu'il devoir entree
dans le Lac de N ic a r a g u a : En effet , il y laif«
fa fon N avire, mais non pas comme il le
croyoit ; car ce Vaiifeau tirant beaucoup
d’eau , il le voulut approcher de la cofte j 6c
le mit fur un ReiTif, d’où il ne le pût jamais !Í
retirer 1 quoy qu’il mit d’abord tous fes Ca­
nots à terre > 8c déchargeait le canon , tout
cela neluy fervit de rien:Comme il n*y avoic
aucun remede , tous ces gens furent à terre ^
OÙ ils firent des ajou tas , qui font de pentes
Logea
i34 HISTOIRE
'Lo^es femblables à une Baraque , en atten­
' ..iè ^ dant qu’il paiTaft quelque Bâtiment pour les
retirer de là.
Cependant l’Olonois accoûtumé aux tra-
veriès » ne fe donna point de chagrin de tout
cecy , au moins ne le fît-il point paroiftre^Sc
conjura fes gens de ne point perdre courage,
leur difant qu*il avoir trouve le moyen de for-
tir de ce lieu,& de faire encore fortune avant
. Expedient de retourner à Tlfle de la Tortue. Il oc-
de l’oio- cupa une partie de fes gens à planter des vi-
vres fur cette lile , c’eft à dire des pois, qui
üage. iëmaines viennent bons à manger j
les uns à ajler à*la chaiTe 6 c à la pefche, 6c
les autres à dépecer le Bâtiment, & en tirer
autant de bois & de clou qu’ils pourroient >
afin d’en faire une Barque longue, 6c avec
1 leurs Canots ils efperoient encore entrer dans
le Lac de Nicaragua, Pendant que nos Avan-
tnriers feront leur Barque , je donneray icy
une petite defcription des liles de Carnela7td»
C es lAes font proche de quantité d’autres
fjtuées ibus le deuziéme degré > cinquante
minutes de latitude Septentrionale, environ à
quarante lieues du Cap de Gracia à dm . Elles
font habitées par une forte d*Indiens de terre
ferme» qui y viennent quelquefois paiTerune
partie debannée. L*une de ces liles eft plus
grande que Eautre , 5c la plus grande peut
avoir quatre à cinq lieues de tour ; 6c l’autre
trois. Le terroir en eft rres*bon 6c fort ferti­
le ; il rapporte de grands bois » fi bien qu*on
y pourroit demeurer : le plus grand mal eft
qu’il n’y a d*eaii que par le moyen des puits
qu’on y fait,qui donnent de feau moitié dou-
vCe 6c moitié faléc, Les
d es AV A N T U R I E R S . :
Les Avanturiers viennent fouventà ces i^^iens^
les » à cauie qu*ils n’oferoient aller en terre de terse
ferme, parce que les Indiens font méchants, ferm e,
6c ne veulent foufFrir aucune Nation ,eftanc
fans demeure, 8c toujours errants dans les
bois. Jamais les Avanturiers n*avoientpu
découvrir ces Indiens qui viennent fur les If»
le s, que lors que l*Olonois y fut : car ceux
qui furent deftinez pour la chaÎTe, en trou­
vèrent trois , qui n^eurent point le temps de
fe réfugier fans eftre pris ; on les pourfuivit Q
vivem ent, qu*on les vit entrer dans une ta- Les Avani
niere fous terre 5 où fans rien craindre on les
fu iv it, on les p rit, & on les amena au quar- à la
tierdeP O lonois, fansleur faire aucun mal. chaiTe,
Ils eftoient tro is, fç avoir deuz femmes 5c un
homme. . ,
Nos Avanturiers croyoient avoir trouve la
pierre Philoiophale , d*avoir ces gensi il pen-
ibient faire amitié avec eux» afin de pouvoir
entrer dans leur pais .* mais ils furent trom-
pez,cat après leur avoir fait toutes les carei-
fes du monde , ils donnèrent aux femmes
quantité de miroirs>5c d’autres chofes de cet­
te nature, qu’on prefente ordinairement aux
femmes, 8c aux hommes des haches,des cou­
teaux, 5c des inllrumens pour pefeher : mais
au lieu que les autres Indiens eftiment toutes
ces chofes ,ceux-cyles mépriferent, en forte Prerej»
qu’ils ne daignèrent pas les regarder. Pen-
dant qu’ils furent avec les Avanturiers ils ne mepri-i
fc parlèrent jamais : on leur prefenta à man-fem,
ger des fruits , 8c des chofes qu’ils connoif-
foient bien , iU en mangèrent. Après on les
m it en liberté, 5c on leur fit ligne de s*en al­
lés
■4(!'
H I S T O I R E
1er avec leurs cam arades, & de leur porter
ces chofes que les Avanturiers leur avoienc
données , mais ils n'en voulurent rien faire,
feulement Thommeprit quelques couteaux ,
& apres ils fe fauverent , fans que depuis on
les ait pu revoir ; & dés* le lendemain un des
î)eilinée Avanturierss’eilant émancipé d’aller feula
d*un A- la chaife , il fut pris par eux , rôti & mangé ,
vanturier
pris par à ce qu’on a pu conjedrurer^à caufe que trois
Jcs In­ jours apres on trouva un pied & une main
diens, de ce miièrable , qui eftoient brûlez.
Un jour un Avanturier de la Jamaïque
vint mouiller à ces Ifles la n u it , ils vinrent
fous feau ^ & luy emportèrent fon ancre oui;
pouvoir pefer fix cens livres, 6c attachèrent
je cable à un rocher.Il y ale long de cette co­
ite de tres-méchans Indiens que les Efpagnols
n'ont jamais pu dompter. Quand je paiferay
â ma troifiéme Partie, je raconteray encore.
quelques hiftoires aiTez curieuies de ces In**
diens.
L’OIonois vint enfin à bout de ion deiTein,
6 c dans l'elpace de dix mois'qu’il fut fur ces
Ifles avec fon monde , il bâtit une Barque
longuejCapable de porter la plus grande par- 1.'
1v^iuuuis
VOlonois qu’il mit defliis , 6c le reite
découvert Canots, 6c fut en cet équipage dans
par lesin- la Riviere de S. Jean , nommée parles Efpa-
diens, gnols autrefois Defaguadera, Ayant entré ai-;?
iez avant dans cette Riviere , il fut décou-^
vert par des Indiens qui apartenoient aux^
Efpagnols, qui les en avertirent prompte-J"
ment ; fl bien que les Efpagnols envoyèrent.
auifl-tofl: une troupe d'indiens nu devant de
rO ionois, qui l'empefcherenc de monter la i
Riviez •5‘?

Bli;
D E S A V A N T U R I E R S . 2^7
Riviere, & l’oblis^erent à iè retirer avec per­
ce de beaucoup de fes gens. .. ,
Aufortir de laRiviere nos Avantuners e-
[toienc bien defolez de ne pouvoir rien faire» Avanîu-
ai retournera blile delà Torruë , a caufe rieis,
qu’ils n’avoient point de vaiiTeaiiX; ce qui
les obligea à fe feparer, de peur de s’afFamer If
es uns ôc les autres , 6c chacun fut de Iqn
bord; une partie vint au Cap de Gracia a dios^
où elle demeura avec une Nation d’indiens
qui fouffrent les Avanturiers chez eux , 6c
mefme les aiment. L’autre partie ^vint dans
Lin lieu nommé Boca dsl Tauro, ou il arrive
fbuvent des Avanturiers» pour chercher de la
Tortue pour ravitailler leurs vaiiTeaux.Ceux-
cy avoient en veuë que quand il en viendroic
quelques unSjils s’embarqueroient avec eux.
Eilant arrivez ils il* mirent à terre eu un
lieu nommé la Vointe à dtegue , à cauie qu il 3^
avoit là de l’eau bonne à boire. Ayant tiré
leurs Canots à terre , ils firent un F o rt, c’eft
à dire un retranchement de pieux , afin de fe
garantir des Indiens, qui y font fort à crain­
dre. L’Olonois avec fa Barque fut pour croi-
fer devant Cartagene , &'en paifantksB^ 7 « !ü
Barou, qui font proche du Golfe del Darten^ 'û
fut obligé d’aller à terre , afin de chercher a cartage-
piller quelque Bourgade, fuifentdes Indiens-, ne, eft o-
ou des Efpagnqls,pour avoir deis vivres.'mais
cela ne luy réüiTit non plus que les autres mau'*
fois 3au contraire bien moins ; car il fut pris heur,
par les Indiens iauvages que les Efpagnols
appellent Indios bravos, qui le hachèrent par
quartiers ,le firent rôtir 6c le mangèrent.
Voilà quelle fut la vie , 6c la fin d e i’Olo-
nois§
23s H I S T O I R E
nois ;fes camarades qui en échaperent, v î n ^
rent a la Tortue avec leur Barque , n*ayant®.
jamais fait courfe plus funefte que celle-là. :
J'oubliois à dire qu’une partie du monde de;1i
l’Olonois , qui s*eftoit retirée fur une lile
long de la cofte de Cartagene, nommée
forte 3 trouvèrent des Anglois Avaniuriers , l
qqi avoienc deÎTein de faire auiTi quelque,
defcente en terre ferme» ces gens furent bien
aifes d’avoir cette occafion , afin de fe déli­
vrer , dans l’efperance de faire encore quel-
que butin. Ils dirent à ces Avanturiers An-i|i,
glois 5 qu'ils avoient encore de leurs camara- t
des en Deaucoup de lieux le long de la cofte. b
Les Anglois réjouis d'apprendre cette n o u - 5;
velle,leschercherent,6cles prirent dans leurs
vaiiTeaux. Le deiTein des Anglois eftoit de^
monter fur la Riviere de Mouflique^ qui eft au
tt Cap de Gracia à Mos^Sc là de trouver quelque 1|
‘■I ‘i ; Ville Eipagnole , pour la piller» à caufe que ^
peribnne n’y avoir jamais efté ^ 8c de plus, f-
un des leurs les avoit aiTurez qu’il y avoic '4
communication de cette Riviere dans le Lac ^
de Nicaragua -, fi bien que fous cette efpei ance v
les Avanturiers s’embarquèrent au nombre ‘
de cinq cens dans des Canots pour monter
cette Riviere : mais après l’avoir tenté quin- -
■w> » 1 ze jours durant j fans rien trouver que des ;
petits lieux où les Indiens ic retiroient, tout
dénuez de vivres,à caaie qu'ils avoient brûlé .
ce qu’ils n'avoient pu emporter ; cherchèrent
divers moyens pour fe tirer de cet embarras, .
[ Enfin ces Avanturiers voyant qu'ils ne g a -‘
gnoient rien , furent au travers des bois voir ‘
s'ils ne trouvcroient point de chemin r & a-
prés
n
DES A V( A N T U R I E R S . i ;?
iprés avoir efté quelques joursâ courir d*un
cofté & d’autre, ils ne purent découvrir au­
cune route , ni prendre de prifonnier qui leur
fervift de guide. Hs s’en retournèrent doncEKtremi-
fans avoir rien fait. Lafaim quiles preiroit|.^^oii
extrêmement »precipitoit encore leur retour3
6 c f<iute de vivres ils devenoient iî foibles ,gens de
qu’ils ne pouvoient plus avancer, 6c refolu-roionois,
rent de tuer des Indiens pour manger, s'ils en
trouvoient : cependant ils eftoient contraints
de manger de fherbe 6 c .des feuilles d’ar­
bres. Ils ne laiiTerent pourtant pas de rega­
gner peu à peu le bord de la mer, où ils trou­
vèrent les Indiens du Cap à c Gracia à dîos ,
qui leur donnèrent des vivres ; 6c ils demeu­
rèrent quelque temps dans ce lieu avant de
fe rembarquer : ils auroient mefme entrepris
encore quelque chofe »mais la neceffitc fut
caufe que la diifention fe mit entr’eux .*tou­
tefois ils fe feparerent fans autre difgrace que
là faim qu’ils avoient endurée.
Lorfque je fais reflexion à ce que j'^ay déjà Réflexion
dit des Avanturiers, 6c à ce qui me refte à di-^.^
re, je ne doute point que parmi ceux qui ver- quelques
ront leur hiftoire, il ne s'en trouve quelques-évene-
uns de creance foupçonneufe, 6c qui lifant de
quelque chofe un peu hors du commun , ne le
prennent auifi-toft pour un Roman. Je ne
conieille pas à ces Meifieurs de lire la vie de
ces gens-là , où tout eft extraordinaire.
En effet > comme ils font prefque toujours
fur mer, 5Cque cet élément eft fans ceffe agi­
té des fnrieufes tempeftes , ils font fouvenc
naufrage , 6c ces naufrages les jettent en des
perils aufli furprenans que fâcheux. Comme
ils
256 H I S T O I R E
ils forment des entreprifes hardies & diflficilci|
Texecution de ces entreprifes les expofe

t
I tout moment à des avantures é^^alement é- !
tonnantes 8c incroyables.. ,
Ainfi que peut-on penfer quand on voit,
1'. 5; pierre le Grand avec un petit vaiiTeau mon*^
té de quatre petites pieces de canon , 8c de
vingt hommes , iè rendre maiftre prefque en
un inftanc du Vice-Amiral des Galions du
Roy d’Efpagne , & s'en retourner en Europe
riche à jamais ?
Qiie peut-on s’imaginer lors qu*on ap-^
prend que Roc , apres fon naufrage, marche
en vicftorieux dans un pays ennemi; qu’il dé­
fait , en chemin faiian t, les Efpagnols, s'em­
pare de leurs chcvauXjfe faifit d'une Barque,.
6c fe tire enfin d’un grand peril, fans avoir
eu que deux de Tes gens bleÎTez , 6c deux de
tuez ? ^
Q}.ie peut-on croire enfin en lifant que TO-,
lonois découvert par les ennemis , accom-|
pagné de peu des Tiens , ait attaqué 5c pris'
une Fregàte armée de dix pieces de canon 8C\
de quatre-vingts hommes de la plus belle 8c
de la plus vigoureufe jeuneiTe de Havana ; 8c.
qu'il ait fait eniuite tout ce que nous avons ,
veu ?
Certainement ces chofes font extraordî-,
naires; mais aufli pour peu qu’on foit de bon-
fens 8c fans prévention , il çil aifé de voir
qu'elles font accompagnées de circonftances
U originales 6c fi naturelles, qu’il eft mal-aifé
d’en douter, puis qu'enfin elles refpirent par
tout la vérité. D'ailleurs, toutes extraordi­
naires qu'elles fo n t, je puis bien affurer que ;
ci
h'
DES A V A N T U R IE R S .
je les ay veues moy-mefirie 5 & fi inon té-
molî^na^e ne fufliic pas pour les faire croire , pour h
je puis le confirmer par ccluy de quantité de vente de
gens de confideration,qui font encore pleins
d é v ié , que je nommerois volontiers, n*e- *
ftoit qu’ils font maintenant dans des poftes
avantageux »6c qu’ils feroient peut-eftre fâ­
chez qii’on fçeuft qu’ils ayent efté Avantu-
riers ; bien qu’en cette qualité ils ayent fait
mille’belles adtions,qui meriteroient d’eftre
rapportées. Je penfe toutefois qu’ils ne ie
foucient gueres qu’on les rapporte, puifqu’ils
en ont fait depuis d’aufli belles » mais plus
glorieufes pour eux , 8c plus utiles pour leur
patriejes ayant faites pour le fervice de leur
Prince.
Pour revenir â ceux qui prennent pour Ro­
man tout ce qu’ils lifent avec iurpriiè, que
diroient-ils , fion leurrapportoic les expedi­
tions d’Alexandre furnommé le Bras defer,à Alexan.
caufe de la force de iôn poignet. On peut di-
re que ce nouvel Alexandre a autant fignalé Brasde iec
fon nom entre les Avanturiers, que l’ancien
Alexandre a diftingué le fien entre les Con-
querans. On ne doit pas trouver la compa- A lexan-
raifon étrange, car enfin Alexandre, tout A- Grand a .
kxandre qu’il eftoit, eftoit-il autre chofe vamurier,
qu’un Avanturier >mais un Avanturier de
condition , comme eftoit aufli le noftre ?
Il eftoit beau de vifage,vigoureux de corps;
J’en puis parler pour l’avoir vu de prcs,parce
que je l’ay penie 6c guéri d’une bleflure con-
fiderable. Ma fortune eftoit fait après cette
cure,s’il avoiteftéaufiî liberal qu’Alexandre,
mais par malheur il ne 1*eftoit pas, llavoic
T m c 1^ L beau-
241 H I S T O I R E
beaucoup (3e tefte quand il s’agiifoit d'entre­
prendre , & bien du courage quand il faloit
execiiter. Il montoit un vaiiTeau, nommé le
l' if Phénix, ainfi appellé,à caufe qu*il cftoit uni-
Î ■' : i que dans ia ftiud:ure,commel’oyfeau dont il
portoit le nomj Tuppofé qu’il foit au monde,
eil unique dans Ibn efpece.
Bien different des autres Avanturiers, qui
vont en courfe avec des Flottes entiereSjil n’y
alloit jamais qu’avec ce fenl vaiiTeau tout
rempli de gens d’élire & derefolurion comme
luy. Je ne diray qu’un feul incident de fa vie,
qu’il m’a recité luy-mefme en Efpagnol, ôc
que je rapporte icy en François.
Une fois qu’il eftoit en mer pour l’execu­
tion d’un deiTein de confequence, qu'il elt
inutile de dire, puifqu'il ne reüflit pas, apres
un long calme il fut tout a coup fui pris d’un
grand orage accompagné de vents & de ton-
Naufiage nerres furieux. Les vents luy briferent tous
d'Aiexan- fes mats , 8c le tonnerre mit le feu à la foute
aux poudres, qui firent fauter toute la partie
Comme du vaiifeau qu’elles occupoient,& tous ceux
il le fauve qui eftoient deiTus,qui furent tuez avant que
avec fes d'cftre dans l’eau. Ceux de l’autre partie du
vaiiléau fe trouvèrent tout à coup dans la
mer ^ comme ils eftoient fort prés de terre^il
s’en fauva pour le moins trente ou quarante
à la nage,6c noftre Alexandre qui eitok très*
vigoureux, ne fut pas des derniers.Ils abor­
dèrent à quelques lÜes aux environs de Boc»
d d Drago, habitées par des Indiens qu’on n’a
pu encore réduire, dont je ne dis rien icy>
parce que j'en parleray ailleurs.
Ils parcoururent quelque temps les bords

' : : ■■■1
D E s A V A N T U R I E R s.
de la mer, pour recueillir ce qu’ils pourroieuc
du débris de leur naufrage.Ils:.I1; trouvèrent aiP-
fez de fuzils pour s^'armer, & d*autres muni­
tions de guerre que le Rot avoir apportées.
Ilsfongerent aie garantir des infultes des In­
diens,qui font terribles dans ces contrées , à
reconnoiftre les lieux, de peur de iurprife^ 5c
enfin à obferver quand il viendroit quelque
Bâtiment, pour les tirer de cet endroit ; c’eft
pourquoy ils ne quittoient gueres le bord de «
la mer.
Un jour qu’ils regardoient à leur ordinaire, ii décos,
ils apperceurent d’alTez loin un vailfeau en ^re un
mer,qui tiroir droit où ils eftoient : ils fe ca-
cherent,fe doutant bien que le yaiÎTeau n’ap- '
procheroitpas,s’ilsfe montroient.Les unse- i'I- !.
iloient d’avis qu’on priait les Chefs de ce
vaiiTeau de les prendre dans leur bord : les .I
autres au contraire opinoient à fe défendre,
craignant qu’on ne leur ofta{t la liberté , &
qu*on ne leur fift peut-eftre pis. Alexandre
qui eftoit v if à délibérer, ôc encore plus
prompt à fe refoudre , décida que bien loin
de fe défendre,il falloir attaquer. Les Avar^
[H {
turiers defererent tous à ion fentiment, parce
qn*il avoir beaucoup d’aicendant iiir eux,6c
qu’ils fe confioient entièrement à fa Condui­
te & à fa valeur » qu’ils avoient déjà éprou­
vée en mille occaiions.
Là-deÎfiis le vaiiTeau abordaiattiré,comme
on a feeu depuis, par l’odeur des fruits qui
font treé-éxcellens fur cc's cofteSîSc pâr la di-
fette d’eau ou ils éftoient» qu’on y trouve
aniîi tres-bonne. 'C ’eftoit un vaifleau Mar­
chand fort bien équipé eu guerre. Les Capi-
L Z caincs
HIST OI RE
jtaines firent defcendre d'abord leurs meil*
leurs Soldats à terre,& fe mirent à leur tefte,
. parce qu’ils fçavoient les périls que l’on cou-
roic dans ce lieu»à cauiè des Indiens dont j’ay
parlé : car ils ne fongeoient gueres â nos
gens qui ie tenoient toujours cachez , 8c
prefts à exécuter les chofes que nous allons
voir.
Il eftbon de remarquer que nos Avantu-
riers avoient demeuré aiTez long-temps dans
G rande ces lieux pour en fçavoirtous les détours.lls
' ,) entrepri- glifferent donc fort doucement le long des
fucces. bois,qui eftoient toufFus alors» défilèrent en-
fuite par des routes fecretes qu*ils connoif
foient, en forte qu’en peu de temps ils envi­
ronnèrent le grand chemin qui coupoit ce
bois,8c que leurs ennemis tenoient, de peur
de furprife.Ils marchoient tous en bon ordre»
Nos Avanturiers cependant fe tenoient der­
rière les arbres» parce que s’ils avoient corn-
batu à découvert,les ennemis,qui eftoient en
plus grand nombre , n’auroientpas manqué
de les défaire. Nos Avanturiers,dis-je.qui ne
les perdoient point de veuë,firent tout à coup
^ r eux une décharge aufli.meurtrière qu’im-
prpvuë. AuiTi-toftks ennemis firent face, 8c
.pourtant ians tirer, parce qu'ils ne voyoient
.peribnne ? mais comme ils voyoient tomber
fans ceiTc quelques-uns des leurs , 8c qu’ils
fl*apercevoient point defléches»ils connurent
aufli-toft qu'ils avoient affaire à d’autres
qu*â des Indiens j 8 c pour rendre inutile le
feu des ennemis qui continuoient toujours ,
s’aviferent de fe mettre ventre à terrc»8c re-
iblureut de ne iè point relever^ou que ce feu
n'eût

fe,
D E S A V A N T U R I E E S . ‘2 4 ^ -
n’eût ceÎTé» ou qu’ils ne viiTent quelques-uns
paroiftre.
Les Avanturiers qui regardoient toûjours
par les ouvertures qu’ils avoienc faites dans
TepaiiTeur du feuillage , pour eux & pour le
paÎTage de leurs fufils, furent bien furpris de
ne plus rien voir tout d’un coup. En eiFet Expédient
leurs ennemis fe couchant à terre , ^voient
comme difparu à leurs yeux;ilss’imaginèrent
d*abord qu*ils pourroients’eftre retirez,mais liers.
n’ayant point entendu de bruit qui euit mar­
qué leur Vetraitej ils ne içavoient ce qu*ils c-*
ftoient devenus, encore moins ce qu’ils de*i
voient faire.
Alexandre fe trouvoit dans la meime pei-
ne^mais impatient de vaincre,il fe détermina
bien vifte,8c fortit accompagné de ceux qui
croient alors auprès de luy pour aller cher­
cher les ennemis^qui ne l’aperçurent pas plû-
toft,que crieniè relever» 6c eftre à luy, ne fue
qu’une mefme chofe. Alexandre les voyant
venir avec tant d’impetuoiité,fe mit à quar­
tier avec les fiens, 6c laiiTa paiTer le torrent ; •I
en fuite , il s’attacha à celuy qui marchoit à
leur tefte » 6c luy porta d’abord un coup de
Sabre, qui coula (ans aucun effet, au long .i
d’un grand bonnet dont la tefte eftoit cou­
verte. Il alloit redoubler, lors qu’une racine
d’arbre qui fortoir. de terre »6c qu’il rencon­
tra malheureufèment ibus fes pieds»le fit tom­
ber. A l’inftant il fe releva à demy»ne pouvant
mieux faire , parce qu’il eftoit étrangement
preffé par fon adverfaire : Ilfe leva »dis-je »
à demy de terrc»ioiicenu fur une main,6c du
teyers de l’autre,car il avoit le poignet rude^
L3 fit
.Il

*4# HISTOIRE
fit fauter le Sabre de fon ennemi ; ce qui lu,
donna le loifir de iè relever tout â fait, & de
crier,à moy Camarades»à moy,â deiTein d’a­
vertir ceux qui écoient encore dans le bois,
lefquels fortant auiïî toft,qui d*un cofté. qui
d\in autre,ôc prenant les ennemis, tancoft à
dos»tantoft en flanc,puis en queue , en fiiTnc
un grand carnage,& enfin iè reüniiTanr tous
à un fignal que leur fir Alexandre >ils fondi­
rent fur eux le Sabre à la main,& les trouvè­
rent tellement afFoiblis»qu’il tuerent fans pei­
ne juiqu*au dernier , ayant grand ibin qu’il
n*en pût échaper un feul.
D’une part ceux qui eitoicnt demeurez
dans le Vaiffeaii entendans le bruit de la
moufquererie»crurentque leurs gens avoient
rencontré quelque embuicade , ou quelque
parti d’indiens • mais comme la troupe de
Soldats qui eftoit fortie du Vaifleau , eflroit
brave & nombreufe , ils crurent facilement
qu^clle avoit taillé en pieces ces Indiens » &
que ceux qui auroient pu fe l'auver , iè fe»
roientfauyez tout tremblâns dans leurs Ca­
vernes. C’êft pourquoy ils fe contentèrent de
tirer tout le canon de leur bord pour les ef*
frayer encore davantage.
D'autre part nos Avanturiers ne perdirent
point de temps : ils dépouillèrent les m orts,
ie veftirent de leurs habits>s'accommoderent
de leurs armes , & furent chercher quantité
de flèches dont ils fe chargèrent ; ils les a-
Toient battus en plufieurs rencontres. En cet
ctat» 5c ayant le vifage preiquetout caché
fous de grands bonnets qu'jls avoient oftez
à leurs cünetnis,pouiranc de grands c ris,
pouî

) I. )
DES A V A N T U R I E R S . 14?
pour marque de leur victoire» ils marchèrent
vers le Vailfeau : Ceux qui eiloienc dedans
les voyant venir en cet équipaç!:ej8c chargez
des dépouilles de leurs ennemis* le jugeant
ainfi à caufe des flèches qu’ils portoient» fu ­
rent aiiément perfuadez que c*eitoit leurs
Camarades qui revenoient vainqueurs,& les
reçurent dans leur bord. Auflî-toit nos A-
vanturiers firent main bafle fur tous^ccux
qu*ils rencontrent, qui ne s'attendant à rien
moins , rcfiflrerent peu >parce qu’il n’eflroit
refté dans le VaiiTeau que des Marchands -,
des Matelots & fort peu de Milice. De ma­
niéré que les Avânturiers s’en rendirent
bien-toft Maiftres * & le trouvèrent chargé
de toutes fortes de Marchandiies 8c de ri-
cheÎTeSjdont je n’ay point fçû le détail.
J ’ayfçû d’Alexandre mefme plufieurs au­
tres entréprifes que je n’écris point. Car j’ay
remarqué qu’en les récitant* il paiToit fort
Icgerement fur ce qui le regardoit » 8c ap-
pûyoit beaucoup fur ce qui' concernoit les
aatres>leur en donnant prefque toute la gloi­
re : En forte que fi j’ay rapporté plufieurs
circonflrances, ou pour mieux dire plufieurs
beaux exploits qu’il a faits dans l’occafion
que je viens de dire, je ne les ay pas foeu de
lu y , mais de ces Camarades, qui n'ont pas
cité fi généreux pour luy,qne Iny pour eux ;
puifque par envie ou par honte » ils ont ca­
ché beaucoup de belles actions qu’il a faites
ailleurs. Au refte , fi je Tay comparay au
Grand Alexandre, je ne prétends pas que la
comparaifon (bit tout à fait jufte 5 car s’il y
A quelque rapport, il y a encore plus de dif-
L 4 ference*

! 1
44S HISTOIRE DES AVANTURTER&
ference. En effet Alexandre c/loit auffi bra«-^ ,.j
VCque temerairejSc Itiy eftoit auffi brave que
prudent, Alexandre aymoit le vin , & luy
I’eau de vie : Enfin Alexandre fuyoit les fem­
mes par grandeur d'amci & luy les cherchoic
par rendreffe de cœur j & pour preuve de ce
que je dis, il s*en trouva une affez belle dans
le vaiffeau dont j’ay parlé , qu’il préféra à
tout l’avantage du Butin.
Je ne garantis pas cette expedition d’A­
lexandre 5parce que je n’y ay pas eilé pre-
fe n t, & que je ne veux affurer aucune choie
dont je n*aye efté témoin. Aufli n'ay-je ra««
porté celle-cy,que pour détromper ceux qui
I ne peuvent rien lire quifoit un peu fingulier
dans une Relation >fans s’imaginer q,u*oa
leur en impoiè , & cela faute d’experiencc;
car pour moy , j’avoüeray fans façon que
l’événement dont il s’agit me paroift fort
croyable 5 & j’ajoûteray mefme, fans toute­
: 11 fois faire l’efprit fort»qu*ilne m’étonne point
du tout,en ayant veu de plus fuiprenans que
je raconteray dans ce qui liiit.

Fin de U fécondé Partie^

T A .
************************************
************************************

T AB L E ’rfi/î

DES M A T I E R E S
» iJ
contenues en ce premier Tome.
( • »
. A . m
»

Mbre~grh aufli bon que celuy d’Onent. In»


ni'
3
Alepefeher,
duitrie des Indiens pour le trouver, 8c pour
213.214.
..h. AbricotiQr, en quov il difiere de ceux de PEurope.
J .Groiïèur de fon fruit, Sccomment il le faut pre-
^ parer pour en ufer, _ 63.64. 'ii'’’;i^
I
- t f . 'j jtdcaioUr, arbre que lea Efpagndîs appellent Cedro* i ■!' ^'i J
Endroit où il y en a deux tables de grandeur pro«
< digieufe, 72
'^joupas ce que*c’eft, 2càquoy propres, 111 M
^Alexandre Avanturier. Pourquoy furnomme le l i ?if
. ^roi de Fer , 24.1. en quoy il diiffere des.au^res NÉ:
Avanturiers, 242. incidensdefa vie, 243., ^ 1# ^
^ . /«iv.jufquesà 248. • • ^
^w/*/o?wie exacte de laTortüë, " , ,861.87 U; . / . r - 4 ,

commenttraittent leurs Engagez. Com­


bien Cromwel en a vendu,6c ce qu*ils devin­ llil
rent, 142 m
^rbresidu tronc deiquels onfait desVaiiTeauxtout
|! É
. ^d'unepiece, i99 p lf
jirèresfruitiers j ibins des Efpagnols 2cdes Pq^tu- la i
Vi n:
. ^guais pourles multiplier, ^ 6i lùa'Wi
,i4 f4^/?iïi^4 ç,NVleVaireur,
L y
,, ,.^.30 III
t a b l é
AvitnturUrs, comment ils ont commencé. Diver-
les applications qu’ils avoient, & ce qu’ils ont
faitàl’lfledelaToitue, lo . i i . 12.23.24,
5 *IP *< '
2f.26.27.28.
■' f i ^vanturiers iè divifent en trois bandes, & com­
ment chacune fe diltingue par des nomsconve-
11 ■ 'M. nables à leurs fon6tions, 21
du Chevalier de Fontenay pour fe ren­
dre Maiftre de la Tortue, motifs qui l’engagent
à cette entreprife, fa conduite pour y reuiTir, ce
»i qu’il fait s’en eftant rendu Maiftre, & comment
les Efpagnols attaquèrent l’Ifle pour la troiiief.
mefois,8c l’enchafterent, 30. 31 . 32.33
Les Aventuriers & les Boucaniers s’aflèmblent, 8c
en chaflentlesElpagnols, 41
Aventuriers, leur , moyens qu’ils trou-
‘ vent pour avoir des VaiiTeaux & des vivres, i yo.
1 f I .endroits qu’ils choiiiflènt pour carener leurs
Bâtimens, l y i . Accord qu’ils font entr’euxfic
les conditions, 1y 3. i y4. Leur maniéré de tefter*
Côtes qu’ils fréquentent, i y y . & les differentes
prifesqu’ils y font. iy6. Maniéré dont ils vivent
entr’eux, i y 7 .Ce qu’ils font à la découverte d’un
Vaifleau, Ibid. Et apres qu’ils l’ont .pris, iy8.
Comme ils diipolènt leur Butin, Endroits
où ilsieremcttcnt de leurs débauches, 161.162
'Aventuriers%grands Joüeurs. Hiftoire à ceiujet,
iy p .i6 o .
Avantui’iers s*aflbcient, leurs noms, leurs pro*
grez> i 8x
Avanturiersdans lajoye, 210
Ce qu’ils recherchent dans le pillage, pourquoy
ils negligent d’emporter quantité de Marchau-
^Îès, 220.221
Leur occupation en attendant fortùn e, 223
Avanturierdefoici, 230. Extrcmitezoùilsibnt
IC -
DES M A T I E R E S .
réduits, ^ 2,39
A vftre , étrange reponfe qu’il fait, i g <5
Départ de VAutheur» Route qu’il tient depuis le
Havre de Grace jufques à Saint Domingue. Inci»
dens qui luy font arrivez fur mer, 2. 3.4.5". 6.7
Son arrivée à l’IÎle de la T ortue, 8.’9
Avantures qu’il court pendant qu’il eft engagé,
X3S. 1)9.
Et comment il s’embarque avec les Avanturiers,
144
B
Ananter , quel arbre c’eft, le different uiage de
B fon fruit. Bonté des lits que l’on fait de les
feuilles, 8c comme quoy le. Sauveur du monde y
repoiâ quand il fut ne* Sentimens de quelques
A utheursàcefujet, 6 2.65
, petite goulfe qui croift d’une Plante, 8c
qui eft neceifaire dans la compofition du rChoco-
l a t , effets qu’elle y produit. Les Efpagnols s’en
fervent de remede contre la douleur des entrail­
les , 8c en tirent une huile merveilleufe pour la
brûlure, ^9 *7®
dans quel temps elles font em­
ployées, 8c à quoy, ^ ^^3
Barthelemi Avanturier, fa naiifance, où il s’arm a,
où il alla croifer, ^^7
' Découverte qu’il fait d’un Vaiflèau, comment il
luy donne la chaiïe, i6S* 8c comment il s en
rendMaiftre,/^i<i, Valeur de ce qui s’y trouva,
169.
Barthelemi rencontré par trois Vaifîèaux , ne
peut leur échaper, eft mené à Francifeo de Cam-
pefehe, 8c mis en garde dans un Vaiiïeaii au Port,
169. Ce qui luy arriva, 170. Comment il trouve
le iecret de rompre Îès chaifnes ^ de fe fiuver,
L6 1 7 »'
T A B L E
17 1. Incidens de ià fuite, Ibid. Son arrivée à Tri^'
lie, 8c la rencontre qu’il y fait, i yx
Barthelemi tente de nouveau la fortune.il prend
un Vaiflèau, fuite de ce qui luy arrive , Ibfid.
boucaniers, comment vêtus , 7. 8. Leur origine.
Etimologie de leurnom> 107. Leur employ, 108
Pourquoy pénible, 11
Diflerentes fortes de Boucaniers: Leurs armes,
110. Leurs habillcmens, Ibid. Leur Equipage.
Leur Société. Leurs Coutumes, 111 .Ordrequ’ils
iuiventenchaflant, 112. 1 15. Leur maniéré de
vivre >Ibid. Leurs divertilîemens ordinaires,
114. Leur dureté envers leurs Engagez. Hiiloire
à ce fujet, 11 y. Leur vkefle à la courfe, 116
boucaniers qui chaiîèntaux Sangliers. Leur manié­
ré d’en apreiler la chair. Defcription de leurs
Boucans, i i7.DelicateiTcdecette chair aprellée.
Comment on l’embale pour la confer ver. Com­
bien le vendent chaque pacquet de cette chair, 8c
chaque potiche de Mantegue, ce que c’c û , 118
boucaniers Ejpagnols, leur nom rieur maniéré de
chaiTer, leur delicateiîè, 113. 124, Animofité
des Boucaniers François 8c Efpagnols, 12y. Cin-
‘ quantaines Efpagnoles furpri£s qu’elles font*
A vantmes à cet égard, 116.127^

Acaoyer : Arbre qui produit la lemence du


C Chocolat, appellee Cacao. Defcription de
cet arbre 8c du fruit qu’il produit, . 64. 6f
Maniéré de b cultiver juiques icy inconnuëen
Europe, ^6.67
Graine de Cacao, monnoye ordinaire des Indes,
68
Ca?neleons, ce qu’on en doit croire, 104
Carac^
D E s ' M A T I E R E s.
CitraBere des A vanturiers en general, i / o . i f i
Cardinal de Richelieu. Ses ibins pour l’Amerique>
146
jllilesde Carneland. Leur Defcription, 254
Cavernes remplies d’oilemens des Indiens mafla-
^ crez par les Efpagnols, fi
ym i / f e / , petites Ifles où l’on va pefcher de la 1
fi Tortue. Pourquoyainfiapellées? f9
y Ceremonie que les Frantjois obfervent en divers en-'
b droits de la m e r, .. 5 »4
I Charpentier, oyfeau dé la groiTcur d’une alouette,
^ pourquoy ainli nom m é,àquoy utile au Perro­
quet. ^ S 3 .8 4
Chevaux fauvages ,2 quoy rbons, moyen de les
prendre 6c de les aprivoifer. Leur graiiTeà quoy
■ propre, ^ So
Chien de mer dangereux^ Endroits où l’on en tro u ­
ve. PoiiTon qui le fuit toujours, 104.
Chiens fauvages. Comment fe font multipliez
dans les Bois. 8 1. Combat fingulier d’une trou­
pe de ces animaux contre un Sanglier. Ordre
qu’ils gardent en chaifant, 82
Liqueur des Indes. Comment Pufageen
eft pafle en Europe ? Maniéré de prepai-er laYe-
mence de Cacao, pour faire cette célébré boif-
fon, ^ 6 f .6 9
Cinquantaines JEfpagnoles, pourquoy établies y 8c
comment nommées, f
Combat divertilPint de deux' iortes d’oyfeaux ,
.

Coraux, ce que c’eft, à quoy bons aux Avanturiers,

Couleuvres, meilleures aux fouris que les chats Jn -


cidentàcefujet, 10 J. 104.
CoKy?«we des Hollandois fur la mer j ; ' 4 *f
nombreux dans l’iile de Cuba.« Divers
incidens
TABLE
încidensàcefujet.Difcernement8c induftrie dtfa
Crocodiles.Moyen de les prendre , l o i . Coin-
ment iis iàuvent leurs petits, lo j

Avid Avranturier. Place où il alloit croifer otl


D dinairement. Son projet fur une entrepriie,
coup hardi, i8^. Quel en fut le fuccez, 184.
. Commeilfurprendla ville de Grenade,8c la pille
avant que les Bourgeois foient en defenfe, 18y.
A quoy iè monte le Butin qu’il y fait, I6id. Se­
conde entrepriie fur l’Iile de; Cuba, ce qui s’en­
fuit. Prife de Saint AuguiUn de la Floride,
Uid.
l^efcriptionàQCQ<\\x\£t rencontre aux environs de
la Baye d'Ocoa^àn Bourg de AJfo,dc S. luan
deGoave,^ du-Grands Fonds,où les François
& les Eipagnplsfe font fouvent efcarmouchez,
P . .

• Deicnptiondes lieux où vaVOlonois, 197. cJ*


/«/V. juiquesaufol. 203
Defeription Géographique, yS . yç. 60.61
d'Ogeron Gouverneur de la Tortue. Sa maniéré
de gouverner, 44.45*. Pourquoy il va négocier
en France, Ibid.,
Ce qui arri vaapres ion retour à Pille de la Tor­
tue, 45
i 11 va contre des Rebelles 8cles foùm et, 47,
48
M, d’Ogeron offre fes Magazins aux Avantu-
tiers. Charge de Cacao de grande valeur. Com­
ment elle anime quantité de jeuneilè Françoi-
fc. Vaiffeau déchargé de Cacao. Quel ufage
M. d’Ogeron en fait. Réjoüiifance des Avantu-
fiersau retour de ce Vaiifeau, 194. ipy
Fait
ii»u i ipu d fm y.^FHPi y

I ' D E S M A T I E R E S .
I Fait venir plufieurs familles de Bretagne 8c d’A £
I jouàlaT ortuëpours*yétablir, 49
i Saint Domingue, ville Capitale de l’Iile Efpagnole,
. pourquoy ainfi appellee ?
t e chevalier du Flejjis croife fur les Efpagnols, fa­
veur que les Avanturiers en reçoivent. Pourquoy
ils fe joignent avec lu y , 8c comment il fut tué en
combattant avec eux * ~ 13 1.15 2 V'Il
du Rojfey Gouverneur de la T ortue, comment m
^^ fon neveu luy fuccede * 42 >• 4 1

t'
i 'm
.E

ÎJg a g ez , commerce que Ton en fait. Com ­


E ment on les traite. Hiftoirc a cet egard ,
i i j y . 136. Travail qu’on leur impofe , 141. ) k^■
142
t f claves du Bourg de Veragua, à qui ils appartien­ i îj
n en t, leur adreife a trouver de l’or. 232.235 i
t/pagnols envoyent une Fregate contre l’Olonois, ■tr'i-
il l’attaque , événement iingulier du com bat,
t,-.
* 189.190
Efpagnol épouvanté fe jette aux pieds de l ’Olo*
nois, ce qu’il luy d it, 191. Grande Fureur. T er-
' rible execution. Etonnement du Gouverneur de
' la Havana, ^ lèid*
Efpagnols appréhendent pour l’avenir, 191,

^ jiute 8c imprudence des Avanturiers, 130


B i Frégates, d’où elles ont pris leur n o m ,
i Force des Rois de France 8c d’Angleterre dans l’A-
Sf

m erique, *f 9
|i Fourmis de plufîeurs fortes. Artifice de ces ani­
m aux, /t 06.107
I F ou x ,
TABLE
l^oux, font certains oyfeaux, pourquoy ainfi api
peliez, à qtioy ils reilcmblent, lingularitez rc-
maquablesdecesoyreaux, 84.
Yrmfoÿs 8c Anglois ie gliflent parmi les Efpagnols,
. 8c pourquoy, 14j*. Comment ils colonifent dans
les Indes,

'Ens qui grimpent aux arbres comme des


G chats, 200.201
pris par les Avanturiers, 207. 8c brûlé,
208
Comme de Copaliemblable à de l’encens, ,74
, dont les Sangliers ie fervent pour guérir
leurs bleiTures. Et comment, 73

H .
Abltans de l’Iile Efpagnole ScdelaTortuë,
H d’où ils font venus, endroits où ils fe font
> étendus, ’ 128.129
Habitans, leurs premiers foins, leur occupation,
Scieur commerce, ^ 134. i j y
Habitansidolatres. Genre de leur Idolatrie. Ce-
. remoniesde leursBaptefmes 8c de leurs maria-
: ges, Ü 7 . Leur habileté à faire pluiieurs for­
tes d’Ouvrages. Occupation de ‘leurs femmes.
228
fiabitations. Société des François pour les com­
mencer. Conditions de leur focieté 5 ce qu’ils
font pour avoir un quartier propre pour y bâtir,
129.130. Difpolitiondu lieu qu'ils choiiiilent,
il 3 I.Conilruâionde leursBltimens, 132.133.
Recompenfe de ceux^qui aident à faire i'habita-

JifltîOSi
\ DES MATIERES.’
4 ;.Hdittos. Ce que c‘eft, ff
)^Hifloire d’un Engagé laifle pour mort dans un
ï ■ Bois. Conduite de fon Maître apres l’avoir frapé,
Scce qui s’eft pafle de plus remarquable pendant
un anque cet Engagé arefté dans les Bois. 119#
1 2 0 .I l l
Jfiommars, ou Ecreviftês de mer :Maniérédont on
i • le icrt pour les prendre r *4»
I
i. ' ' lii
uirdittsdel’ijli dû Tin» ou ils font, 8c ce que
J - c’eft, ,
Indiens à grandes oreilles, pourquoi ainii nom-
175
: inez. Comment tributaires des Efpagnols ,
214
Indiens de terre'ferme, furnommez
I . Avanturiers àlaChaiTe, en prennent trois, trai-
. tement qu’ilsleur firent, 8ccomment ils rcceu-
f rent ce qu’on leur prefenta,235'. Deftinée d’un
' Avanturier que cés Indiens prirent, 13^
rj/le Ejpagnole, comment découverte. Deferip-
tion de cette Ijle, 8c pourquoy appellee
noie,
Dénombrement de l’Etat Eccleftaftique, f 4
Vljle de la Tortuë, pourquoy ainii nommée. Def- T'
cription de ce qu’il y a de plus remarquable,
& de quartiers habitez dans toute fon étendue, n'.}
10. 1 1 . 1 2
Jucatum , Peninfule où les Avanturiers lejour-
nent. Etimologie de ce nom.Defeription decet­
te Peninfule, 8cde ce que l’on y void de plus cu­
rieux.* Comment les Efpagnols y gouvernent,
224.225'

;f^amen*
Antentin i^oiiTon proprepour h nourriture
L de rhomme. Anatluimie exadte de ce poif-
ibn. Precautiondes Avanturiers pour le prendre,
98.99.100. Femelles, comment elles allaitent
£c portent leurs petits, J6ij,
Lézards àcjuoy femblables, Avanturiers adroits à
les prendre, &comment, 103
Lieux où les Boucaniers François vont chaiîèr ,
r. i 117
VOlonois habile Avanturier. Pourquoy ainfi nom­
mé. Son embarquement pour PAmerique. Ce.
qu’il fe propol'e eftant engagé, 186. Comment
il devient Boucanier. Sejoint aux Avanturiers Sc
ièmble eftre deiliné pour cela. Malheur qu’il
lit
eut. Expedient qui luy iauve la vie, 187. Efpag-
f nols crédules font unfeudejoye à ion occalion.
Effet dece qu’il avoit promis, Uid- Suite de la
'I’^i ! : ; l : refolution qu’il prend, 188,189
1,t L’Olonoispaiîe àla Tortue, y trouve M. leBaf.,
que Avanturier. 191.193
*H r
,ii Ce qu’ils y font, lé/W. Route d’une Flotte con-
'
iiderable, 194. Priie de deux Bâtimens. Valeur
t) de leur chaige, 195*. Officiers créez. DeiTeinfor-^^
H■»fï
p mé ^ Uid,
!■,1i i L’Olonois arrive àl’Ifle de Cuba. Endroit où il
fait defeente. Attaque d’un Fort. Sonfuccez. Ef-
l,î: -i,r .
pagnolsfeiàuventàGilbratar, Z04. loy. Brave
reiblution des Avanturiers. Leur courage , 8c
leurs dernieres paroles en mourant, 106. Dé­
faite des Efpagnols. Partis eiivoyez. Prîibnniers
arançon, 207. 208. Partage du Butin. Lava-
Icur, 209.210
Nouveau projet de l’Olonois, 212. 213. Am-
bufeade
D E S MfA T I E R E S.’
bufcade qu’il rencontre ,217. Grande cruauté,
îbU^ Prife à&S.VUro, 120. Avis qu’on luy don-
ne,i2i. Attaque d’unVaiiTeau.Succez du
•combat, , ^ 229
L’Olonois abandonné, ce qui arrive, 230. 231.
Entreprife nouvelle, 232. Son inquietude, 233.
Expedient qu’il trouve, 234. Sa mort, 238

M
uinçanilla, fruit venimeux j deÎcrîption de
M l’arbre qui le produit i poilïbns friands de
ce fruit, moyen de connoiihe quand ils en ont
ro ange ; Remede contre ce venin, 17.18
Mouches luifantes, leur effet, i
Mangle yarbre fur lequel les Indiens bâtiflèntdes
maifons, 8c corn ment, 75
Manioc, fa racine à quoy utile, adrelTe des Indiens
à la preparer. Remede contre le fuc venimeux
quienfort, maniéré d’en faire une boiiTon aufli
bonne que de la Biere, 7 f •7 ^
^ Marchands d’Efpagne privilégiez , quel eft leur
commerce, 112
MMarchands yCer\a\nsojÇeaxr% ainfinommez, leur
figure, à quoy propres, 201
Maracaibo, defeription de cette ville, de la Baye
demefmenom,8cdetout ce qui s’y rencontre
de plus remarquable, . 197.198.
Entrée des Avanturiers'dans cette Ville , 204.'
■ a oy. Démolition des Eglifes. Pieux delTeindes
Avanturiers en emportant ce qu’il y avoit de plus
beau, 209
^ M a ro n , terme particulier aux Boucaniers, que fig-
nifie,
fi Mines qui fe trouvent dans l’iile Efpagnole ,
yo
TABLE
Mi^urs^C’i anciens Indiens, leur intrépidité,/ tI

Moucherons incommodes pendant la nuit. Com­


ment l’Autheur fe trouve réduit à coucher dans
l’eau, 106
^iiilatos , ce que c*eil, 6c combien il y en a de for-
tes,

N
plante qui produit un fruit de la for^
N me d’un Artichaut, 8c dont la fubftancc
reiîèmble a celle d’une Poire. Subtilitéfurpre-
nantedeibnfuc, 75
îiegre femblable à une tanche , pourquoy ainii
nommé. A quoy il eil propre. Ce qui arrivas
I’Autheur en pefchant de ce PoiiTon, 104.1 o5*
¥ I
l^ourriture des anciens Indiens, ygr
. t
t

*•

2^ȕe,efifetsdeiagraine, 70.71'
0 Morceaux à.*Or, Riviere où l’on en trouve,
dedans quels endroits des Indes il s’en rencon-
tre,
. ■ i iJ
y

P AÎmîJiefranc iUrhrt haut de 150^ pieds. In­


vention des anciens Boucaniers à ce fujet,
J^almijie epine , pourquoy ainii nommé ? Uiàge
que l’on en fait dans l’Amerique Méridionale.
Hiftoire des Indiens de ce pais nommez Aruar-
g«eS, yi
D E s ;M A T I E R E S. .
Tapayer , comment il porte continuellement Ju
U
h’uit, ' , 64.
P;?//poiTedez par les François. Endroits qu*ils ha-
; bitcnt le plus. Defcription des Ports qui s’y ren­ ■
.i
contrent , depuis le Cap de Lobos, julqu’au Cap 1 1
deTibron, S^-S7
perroquets de differentes fortes, endroit où ils font
leurs nids. Quand il faut les dénicher, 6c dans ilsil
. . quel temps ils font propres à parler, 84. C
pierre Vrtnc Avanturier, où il croife, 16 i. 165 .Se
rend Maiftre de la Capitaine des Barques Perlie-
' res, 164. Eilpourfüivid’un ViiiTeau de guerre,
i6y. Eneftpris, 166. Et mené devant le Gou­ : : J

verneur de Cartagcne, Ibid. Ce qui luy arriva,

Pierrele Grand Avanturier, expedient qu’il trouve


t pour fe rendre Maiftre du Vice-Amiral des Gal-
tMionsd’Efpagne, 146.147. Etonnement des Ef-
.pagnols. 148. Negligence 8c Rodomontade de
leur Capitaine, Retour de Pierre le Grand
en Europe »effet qu’il produit, 149 :a
piment à l*oeil ,p\'opnttQzàQ ce Fruit. Ufage que
les Indiens en’font. Venin de l’Arbriiîèauquile
. 1r produit, 8c de quelques autres Plantes. Hiftoire
, ;àcefujet, ' 18.19
barbare d’un fils envers fou pere, 137
Puerto Çavallô i lieu rempli de Magazins, quels
. VMarchands y abordent, quelles fortes de Mar-
chandifes ils y apportent, 8c comment les Avan-
turiers ont brûl é ces Magazins, 21 y . 216

Q u alité du Tabac de V e r in e ,

J^a rtero n es, ce que c’cft,


Quinquina, ce que c’eft, 8c d’où il vient ;
■<F.

TABLE

R
u íw /erí, dans quelle faifon ils abondent à Ia
1 ' R Tortuë. Récit à ce íuj e t,
Rancheria fCequcc’eÎiy 165
15
i! Recompenfe que les Boucaniers donnent à leurs
Valets, 122. Comment tout eft commun en-
I ■I r t r ’eux ,8c comment ils accommodoient autre­
Vli
fois leurs différends, 125
i Ui Reflexion de l’Autheur fur les ceremonies des Fran­
I K 1-' :
çois 8c des HolTandois, f
‘I ' i K
Reflexion de l’Autheur fur quelques évenemens de
Ibn H iftoire, 2-? 9 * ^4 ®
Relation de ce qui arriva à des femmes expofées
dans unellledeferte, 3Ó. 37* 38. Reflexion de
rA utheuràcefujet, 39
Remarque d’un Eipagnol, 62
iiew^i/^fouverain au plus grand m al, • 125
Reptiles de la Tortuë j de combien de fortes. Vertu
médicinale de l’huile que Fon en tire , i f - 16
îRoc Avanturier,pourquoy l'urnomméle Brefillian,
comment il abandonne le Brefil 8c fe retire par -
m iles François. 174. 17y. Puis parmi les An*
glois j ce qui luy arriva, lèid. Son portrait.Poiir-
quoy redoutable aux Efpagnols.Sentimens qu’ils
ont de lui, 176. Endroit ovi il fait naufrage, 8c
com m ent eft réduit à traverfer un pais ennemy,
I I 177. Son intrépidité. Suite d’un combat où il
s’eil: e n g a g é , S ’em pare d’une Barque. Bon
m ot qu’il dit pour confoler ceux qui la per-
doicnt, 178. Il va croifer 8c eft pris. Moyen dont
il s’avife pour éviter la mort ,1 7 9 . On le meine
■» en Efpagne, lùid.So. conduite pendant le voyage^
XI repaflë à la Jam aïque, 180. Nouvelle courfe
qu’ü entreprend, ce qui arrive, ‘
'■ I

fl,l'if,
î»
. DES MATIERES.

Alines de l’Amerique, Mines de Sel, qu’on ap-


S pelle^e/w;wi?,resproprietez, & la difference
qu’il y a du Sel marin, 6o. 6i
Sangliers apprivoilez, ôc comment, 83
leiirinduilrie à fe deifendre contre les
Chalïèiirs, 8c contre les meutes de chiens. 80.81
5*«» principal des Elpagnols quand on vient les at­
taquer, ^ iii
S. Idgo Cavallero. Defcrîption de cette ville 8c de
ce qui en dépend,
S. Pedro, petite ville ^ employ des Habitans, 220

Ahitc , adreffe des Turcs pour en prendre,ma-


T niere de le cultiver & de l’apreller, 76.77
authentiques, qui prouvent la vérité 1. ;
de cette Hiftoire, 241
Tempefle furieufe, defcription de divers incidens à
ce lüjet, 5. J
Anatomie de la Ti?rr«é-‘, 86. 87. Effet furprenantde
fagraiffe. Queluiàge les Avanturiers font de la
chaii, 88.8c deiesœufs, po. Son adreiîepour les
faire, 8cpour les faire couver, 89. Differentes
manieresde la prendre, 91.92. Differentes for­
tes que l’on en void. Adreiïc des Efpagnols pour'
en avoir l’e'caille, py. 96. Remarques à ce fujet,
97

t 1

V a rU n
I s T O IRE
AVANTÜRIERS
QUI SE SONT SIGNALEZ DANS LES INDES ,
C O N T E N A N T
i CE QU’ILS ONT FAIT DE PLUS REMARQUABLE
DEPUIS VINGT ANNE’ES.
^A V E C
La Vie, les Mœurs, les Coutumes des Habitans de Saint Do-
mingue 8c de la Tortue, Sc une Defeription exacte de ces
il lieux j
I O u i 'on v o it
^ etabliiTement d’une Chambre des Comptes dans les Indes,
& un Etat, tiré de cette Chambre, des Offices tant Eccle- ■îS fl

iîaftiques que Séculiers, où le Roy d’Eipagne pourvoit, les


j Revenus qu’il tire de l’Amerique, &; ce que les plusgrands
Princes de l’Europe y poiîèdent.
E t to u t onvichi do C uytos Goo^vAphic^H^s do Fi^UYjts
on Tuille~doHCO,
, Par A l e x a n d r e O l i v i e r Oe x m eh n . ^
T O M E S E C O ^ V - ï>

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’? Grand’Salle, vis-à-vis les Requeues du Palais.
à
M. D C . L X X X V 111 .
AVEC E RI V1 L E GE DU ROT.

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A V I S t

IMPORTANT
P O U R

LE TOME SECOND.
O M M E les expeditions de
C Morgan ont fait grand bruit
dans le monde, on ne doute
point qu'on ne fe foit empreiîe
d'en publier beaucoup de Rela^.
tions ; fur tout dans les païs Etran­
gers , qui reçoivent & qui impri­
ment indifféremment toutes for­
tes de copies ;. Qu'elles foient de-
feffiteufeSf m a i êctites ,fatyriq^ues
A2 tnef-
A v i s Au L e c t e u r !

w ef/fie in 'ju ïieu fes i n ’itfip o rte , to u t


pourveu que ce foil des
leu r eft bon,
Avantures d’éclat 8c de reputa­
tion , qui le plus fouvent n’ont
point de fuite , encore moins de
vray femblance.
Voilà juftement ce que l’on a
fait pour ce qui regarde Morgan,
On n’a pas manqué^d’amalTer dans .KÜ
un Recüeii pluiieuis faits dou­
teux , 8c encore plus mal digérez,
d ’y mettre le nom de Morgan, & f l!1
de nous donner cela pour ion H i-
ftoire veritable. ,v
if:
C ’eft poutquoy l’on declare
ic y , non pas pour faire connoi—
tre cette erreur, elleeil trop grof- I iCJ

1, ftete pour ne la pas connoiftre ;


mais pour rendre témoignage à la I
vérité. On declare donc , que
non feulement l’Hiftoire dont il
s’agit J mais encore toutes les
autres! qui font renferniées dans
cet Ouvrage , font compofées
fut
MS
A y IS A U L k c t e u r î

fur des mémoires auifi indubita­


bles , qu’autentiques. Celuy qui î
en eft l’Autheur n’ayant jamais
abandonné Morgan dans toutes
fes entreprifes , dont il fait un
récit fidele , & raporte chaque
événement dans l’ordre , dans le
temps & dans les circonftances
qu’il eft arrivé ; où l’on voit en­
fin qu’il parle des chofes en hom­
! me qui s’eft trouvé dans l’occa-
fion , 5c qui a tout veu luy-mef-
me : En forte qu’il nous donne
>I
une bonne Hiftoire de la vie de
çe fameux Avanturier, dont juf-
qu’à ce jour l’on peut dire , qu*oa Iî
n*a veu que le Roman , & encore
un mauvais Roman.
Cela fuppofé , le public cil trop
bon juge pour avoir befoin de
l’inftruire davantage , & l*on eil 'i
)erfuade' qu*U luy fuffira de lire
f
es Relations dont on parle > &
celles que l’Oii donne rraintenanr,
A3 pour

.a
^VIS AU L e c t e u b .

pour en apercevoir la diiîeren-l


ce , & pour eftre convaincu de ce ;
que l’on vient de dite. I


^ Il

il m
r il’-
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V^
I
J
% ISt o I RE
DES

i! AVANTURIERS
J Q .U I S E S O N T S I G N A L E D
1 -, ' ■
D A N S L E S I N D E S.
CiContenant ce qu*ils ont fait de plus remarquable
depuis vingt années.

T R O I S I E' M E F A R T I é :

C h a p i t r e I.

ta vie àe Morgan infigm Avanturietk- ,


O r G AN eft né de la Province de NaiiTan-
Wailes en Angleterre, Son pere e-
ftoit un Laboureur aifé : toutefois heur & *
le fils ne fe pouvant réduire aux oc- genie de
cupations que le pere luy prefcrivoit,fe fauva Morgan,
de fa inaiÎbn , & paÎTa â la Barbade dans les
liles des Caraïbes , qui appartiennent aux
Anglois. Ayant demeuré là quelque temps,
il entendic parler de la Jam aïque, oii il eut
A 4 çnvic
i h i s t o i r e
envie d’aller. Y eftant arrivé, il s’embarqn'à
d’abord fur un Corfaire, où il ne iùt pas long­
temps fans faire «ne prife qui luy valut beau­
coup ; ce quj l’anima, &luy donna courage
de retourner en .courfe. ^
11 fit tfois-ou quatre vovagei,- o ail fe iîg-
naladans les occafions, 6c fut eilimé entre
les camarades pour un tres-bon foldat. Il
s’everçoit à tirer , 6c y réiliTjiToit fort bien. II '
eftoit intrépide 8c cTeterminé^; rien nel’éton-
n o i t , parce qu^il s^attendoit à tout ; 6c il en-
jcrcprejnoit les choies avec une alfurance qui'
iay répondoit toujours du fuccés.
Au bout de quelque temps il fe trouva fort
accommodé du gain qu'il avoir fait tant en
courfe qu’au jeu, où il eftoit fort heureux. Il
employa fon argent à acheter un Bâtiment
11^ avec quelques-uns de fes camarades qu’il af*
Tocia avec luy. Il devint leur chef^ eut de
grands avantages dans fes entreprifes & fit
çluiîeurs captures à la cofte de Cam péche^ù
1 1- il alloit pour l’ordinaire , parce.qif il connôil-
Ibit parfaitement le pays. ♦
La premiere occaiîon où il parut, fut celle
que liïy donna Manfwelt vieux Corfaire » qui
le prit en amitié , 8c le fît ion Vice-Amiral.
Üt Ce Corfaire avoir refolu d’aller faire^ uric
deicente en terre ferme , ayant formé une
petite Flotte de fix cens hommes 6c de quin­
ze Bâtimens r il fut en cct équipage attaquer
(• H ile Sainte Catherine , iîcuéc le long de la co­
ite de Cojia Rica , environ à trente lieues de
la Riviere de Chagre , 6c à douze degrez 6c
trente minutes de latitude Septentrionale. La
Garnifoa Efpagnole qui eftoit fur cette lile,
bien
DESAV ANTURIERS: 3
î>îctî retranchée,8c en des Forts bâtis à chaux
6 c à cim ent, fit une vif^oiireufe refiftance*
C*eft en ce rencontre que Morgan ie di-
ftingua, 8c fut eftimédes iiens, & des enne­
mis mefmes , pour fa valeur. Si bien que Prifede
Manfwelt gagna l*Ille avec peu de perte,veu l’ifledc
la confequence de la place. Croiroit-on qu'il .
ne prenoit cette Ifle qu’à deiTein d’avoir 110 ^5 ^
guide qui le conduifift ièurement à la Ville ' I

de Nata, qu’il vouloir piller. Cette Ville eft à


la mer du Sud , de Tautre cofté de Tlilume
de Panama, Apres que Manfvvelc eut cherché
entre tous les Soldats qu’il avoir p ris, il trou­
va un Mulâtre natif de la* meiîne Ville , qui
luy promit de l’y mener. Manfwelt alloit à
Sainte Catherine plutôt qu’ailleurs, chercher
un G uide, parce que cette lile ièrt aux Es­
pagnols comme de Galere , où ils condam­
nent tous les criminels à travailler aux Forte-
reiTes , 8c à porter les armes pour le Roy 5 6c
qu ’ainii on y trouve des gens de toutes for­
tes de nations.
Manfwelt voyant cette Ifle Îî bien fortin
fié e , 8c fi importante pour les Avanturiers ,
à caufe qu’elle eft proche des Efpagnols, 8c
que ion Havre eft beau » 8c peut contenir
beaucoup de naviers â l’abri de tous vents •
refolut de la garder, 8c fit connoiftre ion
deiTein â Morgan,8c au fieur de Saint Simon,
quieftoit François , 8c à qui Manfwelt pro-
pofa d’y demeurer comme Gouverneur avec
cent hommes moitié Anglois , moitié Fran­
çois. Il TaiTura de luy amener du fecours de
la Jamaïque 8c de la Tortue j luy dit qus
Tlile demeureroic toujours aux deux Na-
A $ tions a
^A

4 HISTOIÎIE
tionSjOii les Avanturiers fe ponrroient
réfugier qu'à la Jamaïque ou à la Tortue,
qu’à la vérité la diiHculté n’eftoic que d’ob­
tenir une CommiiTion pour la poiTeder , mais
qu’il feroit bien en ibrte d’en avoir une.
!1 Saint Simon accepta le Gouvernement,
promit à Manfwelt de s’acquitter de fon de­
voir , & ajouta qu'il fe faifoit fort avec le
monde & les munitions qu*il luy laiiToit, de
garder l'Iile contre toutes les forces que les
! 1‘, - Eipagnols pourroient employer à la repren­
dre ; ce qui ne luy eiloitpas mal-aifé , atten­
du que cette lile eft non feulement défendué
de quatre grands Forts , & de plufieurs bat­
teries; mais encore d’elle-mefine , n’ayant
Torce & que trois endroits acceiTibles. U iè trouve
petite Idc proche la grande, qui a com-
r/ileSain. tîitrnication avec elle par le moyen d’un pont;
te cathe. il bien que cette petite lile forme comme une
elpece de Citadelle : d’ailleurs on y peut af*
fez planter des vivres pour nourrir 6c pour
entretenir une Garnifon ; & on y trouve de
Teau douce , qui eft la principale chofe & la
plus neceiTaire à la vie. C’eft pour cette rai-
ibn que les Efpagnols l’ont toujours gardée
comme une place importante & avantageu-
fe à leur deflein.
Manfwelt ayant laiiTé Saint Simon comme
Gouverneur de cette Ifle , avec les François
6 c les Anglois, car fa Flotte eftoit compofée
de ces deux Nations , ilfe prépara à achever
fon entreprife, qui êtoit d’aller prendre la
Ville de AW/ï. Pour cela il fit embarquer la
Garnifon Efpagnole furfes vaiiTeaux , pour
îa portera Puerto Bello , qui eft à la cofte de
terre
D E S AV A N T ü R I E R S. y
ferre ferm e, 5c fort proche du lieu où il vou-
îloit aller. Peu de- jours apres eftant; arrivé â
cette cofte , il mit de nuit les priibnniers à
■terre à deux lieues de là Ville de. Belloy
& de là fut le lon^î de la cofte , entra dans
1a grande Riviere de CoeU^ où il furpric la Vi-
gie Efpagnole , qui eft toujours à Tembou-
chure de cette Riviere , afin de donner avis
)Ü détour ce qui paroift en mer. :
Il crut, ayant pris cette Vigie, n’eftre point ^nt«ptîie
découvert î mais un Indien eftant proche de
:là, 5c ayant oui le b ru it, fut prooiptement
avertir le Prefident de Panama ^lequel m it
.aufli-toft du monde fur pied , 5c vint s’oppo-
ièr au deiTein des Avanturiers , qui ne iefcn- I
;tantpas aÎTez forts pour refifter, nes*opiniâ*
-trerent points, 5c fe, rembarquèrent.
: Manfvvelt voyant que fou entreprife n*a-
voit pas reufli »tint confeil avecfes gens. A-
lors undes prifonniers Efpagnols qiVil avoir <
gardez , dit que s’il vouloit il le m enetoità
Cartage » Ville proche de la mer du Zud, fore
riche , 5c fans défenfe î fi bien qu'mon la pou­
rvoit facilement furprendre, pa^ce que les Ef-
1;?^ /
^pagnols ne ;fe défioieiit pas qu’on les allaft
cherdier jufques là. Cecy fut propoféà tout
;le monde j <î^i en fut content; . ^ :07
: . On entreprit donc ce voyage > 5c on navi- Nouveau
gea le long de la cofte jufqu*à la Riviere de p^op^ôfé
Zuere , qui eft environ à trente lieues d*où ils & agréé*
eftoient. Ils envoyèrent un Canot avec vingt
hommes ,'afin de prendre une Vigie qui eft
.aufti à l’embouchure de* cette Riviere , avec
douze Soldats. LesÆfpaghols ont là quelques
habitations'," où ils plantent du Cacao .*mais
A 6 comme
^ H IST O IR E
comme les Corfaires y font fouvent des deff
centes , ils commencent à rabandonner.rL'e
Canot reüiTit bien , & prit la Vigie fans eftre
»découvert j de forte que toute la flotte entra
dans la Riviere , hormis quelques vaifleaux
qui demeurèrent â un petit port aflez prés de P
Û.
Les Avanturiers eftant à terre»marcherent
au plus vifte à Cartage.Les premiers jours ils
J .
trouvoient des habitations flir le chemin ; 6c
de quoy vivre,ce qui leur donna du courage;
mais cela ne dura gueres , car à mefure qu’ifs
avançoienr, ils ne trouvèrent plus rien qu’un
chemin fort rude dans des bo is, des halliers
ê z des montagnes ; ce qui les rebuta. Quel-
, quefoisils rencontroient des Indiens portans
quelques iàcs de farine , les premiers fe jec-
'toient defllis, 8c n’en vouloient point faire
-part aux autres. Cela mit de la difcorde entre
ci.Ten- les Anglois 6cles François. Les Comman-
n o n par- '^ans Manfwelt8c Morgan » de la Nation des
vantu. premiers, traittoient tort bien les François ,
Tiers, parce qu*ils eftoient les meilleurs Soldats de
leur trouppe 5 tous gens expérimentez, 6c
dont un feul eiboit plus brave que trois An-
-gloiSieftant mieux armez 8c plus adroits : ce­
pendant quelque bon ordre que ces deux
-Chefs y apportaflent, ils ne purent empefcher
cette divifïon » qui ne v en o k , comme je l’ay
d i t , que des vivres, que les uns fetenoient
fans en vouloir donner aux autres.
Cette diiTention fut cauiè qu’^il fallut re-
'broufler chemin, 8c abandonner rencrepriiè.
Eftant revenus au bord de la mer , Manfwelt
fe rembarqua , 8c fut à Sainte Catherine \olv
comme
DES A V A N TU R IER S.
tom m e Saine Simon fe comporcoir dans ibn
Gouvernemenc.il trouva qu’il avoir déjà tra­
vaillé à faire mettre les FortereÎTes en é ta t,
■& à planter quantité de vivres : ce qui a^réa
beaucoup à Manlvvelt, qui fut à la Jam aïque
pour avoir du iècours : mais le Gouverneur
voyant que cela luy eftoic préjudiciable , luy
refufa le fecours & la CommiiTion qu’il de-
mandoit,diÎant pour raiibn,que le Roy d’An­
gleterre n’avoit pás de guerre avec les EA
pagnols. Maniwelcfutà la Tortue ; mais le
Gouverneur , qui eftoir François > luv fit le
meirne refus & la mciiTie réponie. II tenta
encore toutes fortes de moyens pour obtenir
ce qu’il fouhaitoit ; Sc pour en venir à bout ^
il avoit médité d’aller à la nouvelle Angle­
terre prendre une CommiÎTion Sc do monde
pour peupler cette lile , mais la mort le pré­
vint 5 3c arreila tous Tes projets.
^ Les Efpagnols , à qui l’Iile de Sainte Cathe*
rtne , occupée par les Avanturiers ^ eftoit de
la derniere importance , jugèrent qu’ils s’y
pourroient tellement fortifier , que rien dans
la fuite ne feroit capable de les en chaiTen &
q if ainiî ils eftoient en danger de perdre tou­
tes les Indes .*c*eft pourquoy ils refolurent
d*y donner remede avant que le ‘mal aug-
rnentaft j & pour cela ils équipèrent une pe­
tite Flotte de quatre navires,montez de cinq
â fix cens hommes, fous le commandement
de Dom Joieph Sanche Ximenes , Major Ge­
neral de la^Garniibn de PHertobello.OviiïQ cela
le Prefident de Panama, Dom Juan Perez de
Gufinan ,qni gouvernoit pour lo rs, trouva
moyen de traiter avec Saint Simon» lequel
voyant
8 H I S T O I R E . . f

T.es Ff- voynnt qu’il ne luy venoic point dé Îècoufi*, •


tepreï n’en fît aucune diiiiculté^5c de cette maniéré
lient Saint îes Êfpaf^nols Cil arrivant eftoient feurs de
Catheti- leur fa it, 8c n’eurent pas beaucoup de peine
ne« à le rendre les maiftrcs de cette lile, où bien- ‘
toil apres ils firent des feux de joye de l’avoir r
reprife.
- J*ay eu entre les mains une Relation E t
pa^nolede cette expedition,qu’un Ingénieur
du Roy avoit faite pour luy preiènter. J ’au«
rois pu la traduire, & en groiTirce volume ;
mais comme elle n’eft remplie que de baga­
telles & de rodomontades Efpagnols , je ne
m’en fuis pas donné la peine, ne voulant rien
raconter icy que de veritable,rien qui ne foie
agréable aux curieux qui ibuhaitent d’eÎlre
’li informez de ce pays,& utile à ceux qui y veu­
- il! lent aller.
V.
Quelque temps apres le Gouverneur de la
Jamaïque fit reflexion à ce que Manfwcit luy
avoit ptopofé,& crut que cette Ifle luy pour-
roit eiire d*un grand fecours: c*eft pourquoy
M
\W
' il y envoya un petit Bâtiment avec des mu­
nitions , quelques femmes, & une Com m it I.
t. 1 (ion pour Saint Simon .• mais il eftoit trop
R ufe des tard y car les Efpagnols , comme on l’a dit,
. tii. i Efpag. l’avoiénc déjà reprife ; lefqujels à la veùë de
fwls, ce Bâtiment, mirent le pavillon Anglois, 8c
le prirent par cette ruie.
Aprés.la mort de Manfwelt,Morgan devint
le premier de tous les Avanturiers de la Ja­
' l i!'tk■' r>■ maïque • & comme il eiloit eftimé parmy
eux» ils luy propoferent une entrepriie, luy
n dirent qu’ils le feroient leur Capitaine» & Iny .
ir obeiroienc volontiers, H fongea à cela, &;
enfuice
JF
DES AV ANTüRIERS: ^
enEiice il iîc icavoir à tous les Corfaires qui
Ivondroient aller avec luy, qu’il avoir un dei^
fein de confequence ; il en avertir auiïi les
François & les Anglois, 6c leur donna ren­
dez-vous à riile de Cuba, Mais afin que le
il- Ledleur puiiTe mieux connoiilre cette entre-
i prife , je vais décrire icy Tétât où fe trouve
%cette Ifle prefentement.

C H A P I T R E I I.
Vefcrtptîon de l'ijle de Cuba , comme elle
eft aujourd*huy,

1 ^ ^ Ette Ifle eft fituée Eft 8c Oueft » où dé


" V-* l’Orient à TOccident elle peut avoir de
fil hauteur depuis vin^t devrez jufques à vingt
d Crois de latitude Septentrionale,6c trois cens
b de longitude. Elle,a quatre cens lieues Fran-
î çoifes detour , deux cens de longueur, 6c
: cinquante de largeur tout au plus. On y voit Mines
h de grandes montagnes qui contiennent des^’°^^
P mines de cuivre, d'argent 6c d'or, mais
i\ unen'eft ouverte. Elle a quantité de prairies, point en-
p que lesEfpagnols nomment i^v^^^/ïijrempliescore efté
b de beaucoup de bétail, tant privé que fauva-
^ ge:ellé eft peuplée de beftes,fçavoir de San-
3! gliers, de Taureaux 6c de Chevaux »Comme
*' l'Iile Éfpagnole, 6c en eft aufil remplie.
On y trouve les melmes arbres >plantes ,
fl arbriÎTeaux»reptiles. oyfeaux, infeeftes, que
1 fur Tille déjà nommée. Quant aux oyfeaux,
[j il y a quantité de Marchands qu’on ne trou-
i ve point fur Tlile Efpagnole, 6c font de deux
fortes :
Tt6 H IST O IR E
fortes.’la premiere eft comme ceux dont Y af
parlé; & la fécondé delà mefme ?,roiTeur 5c
couleur de I’Efpervier, avec un gros bec o-
rangé.
Ces oyfeaux font une grande deftrucftion,
8 c ne font pas comme les Marchands^qui ne
mangent que des belles nx>rtes • car ils s’at­
taquent aux veaux & aux Poulains , qui
n*ont pas encore la force de fe fauver : mais
ils ne peuvent rien faire aux Sangliers , qui
X courent dés qu% font nez. Les Eijjagnols
ont fait inutilement tout ce qu’ils ont pu
pour les détruire, 5c ne fçavent d*où ils pro­
viennent , à caufe qu’on ne trouve jamais
leurs nids.
On ne voit point fur cette îile de Corbe­
aux,comme fur rifle Efpagnole ; cela eft af*
fez furprenant, 8c d’autant plus que ces IfleS
font proche les unes des autres. On a remar­
qué que for Pifle delà Tortue, qui n’eft qu*à
deux lieues de l’ifle Efpagnole >on n’y a ja­
mais pû élever ny nourrir de Corbeaux,quoy
que par plaiiîr plufleurs en ayent apportés à
illlte I on n*a pu fçavoir ce qu’ils font devenus,s’ils
font en allez , ou morts.
ifoprie- Les Indiens fauvages de l’ifle Saint I>o-
'' W I minique ont voulu peupler celles de Saint
i ' ii '
'.iiillfi I,
vantages Vincent, de la Tortue , 8c de Cuba , de Ser-
: 's
ÏÎ ''i! pens qu’ils ont apportez des Ifles de Sainte
Lucie , 8c de la Martinique ; 8c cependant on
jŸy a point rencontré de ces animaux , quoy
.k f • , . que plufleurs Chaifeurs François y ayent pris
it! VI garde. Ils rapportent tous qu’ils n’y en ont
.jamais vu» 8c tiennent qu’ils n’y peuvent vi­
vre : c’elt ce qui eft caule qu’il ne fe rencon­
tre
\'

i: 'Ï
(ill '> V • 7 i-l.-* 'V -..? ^ ,^ '_ i t . - l . 'i’L j' , -

DE$ A VA N'TÜ ftlîRS. lî


ilre point fur cette Ifle de Cwio aucun animal
veneneux. f;
Cette lile efl: entourée d’une quantité pro*^ ii
digieufe de très petites liles que les Eipa-
. gnols & les François nomment Cayes.ÆWc. A
I miiTi detreS'beaux Ports,Rivieres & Havres,
I oîi il ie rencontre des Villes fort Marchandes
I du codé du Midy vers ^Orient • & trois fa-
- meufes Bayes, qui poiirroient contenir gran­
de quantité de navires ; fçavoir Puerto Efcoiu
, dido , qui veut dire Port caché ^ parce qu’on
n’en voit point l’entrée qui eft fort étroite :
îe Port de Palme de S, lago^qm c d tres-beau, lî
I & où il y a une Ville de mefme nom , fort
I marchande, & où il aborde tous les ans plu-
I iieurs navires qui viennent des liles Canaries^
I chargez de v in d’Efpagne, avec toutes fortes
I de marchandifès à l’ufage du pais. Ils échan-
I gent ces marchandiies contre des Cuirs , du
^ Sucre 8c du Tabac.
Le Gouverneur de cette Ville dépend du -*A im
S Roy directem ent, 8c a fous fa domination la
i moitié de l’Ifle, avec le Bourg de Payame^\Q%
1 Villes du Port au Princey de îos CayoSy 8c Para*
^ toa. Quant à la Juftice politique & civile ,
î'elle dépend de ^Audience Prefidiale de S.
I ■Domingue. Il y a un Evefque, qui a la Jurif*
diction Eccleiiaftique dansEécenduë du Gou­
vernement. Tout le commerce que font ces
Villes 8c ces Bourgs,ne confifte qu’en Cuirs,
en Sucre, en Tabac, 8c en Confitures feches,
qui fe tranfportent en plulieurs endroits des
Indes del* Amérique, 8ç mefme en Efpagne :
Cette Ville a efté autrefois pillée par les A-
vanturiers de la Jamaïque, quoy qu’elle foie
w garder
Ïi H I S T O I R E
gardée d*un bon Fort qui defend Fentrée dé
ion Port.
Sortant du Port de Saint lago , & allant le
ïon^ de la Coile , on rencontre une o;rande
,pointequi sjavance en Mer, nommée" le Cap
de Crux , où il eft tres-dan^ereiix d’aborder,
â caufe de la quantité de ReiTifs qui font aux
envîrons:En doublant ce Cap, on entre dans
une grande Baye appellée le Golfe de Saint Iti-
lien , remplie de quantité de petites Ifles ,où
les Avanturiers viennent fouvent racommo-
der leurs Navires.
: Ilf Dans le fond de ce Sol eft le Boiftg de
^ ay ai^ que j’ay déjà nommé , & de Tautre
cofté en fuivant la cofte eft le Port de Sainte
MarieiO^uitÇi celuydela ville nommée le Fort
au Prince, Ville champeftre au milieu de prai­
ries, où les Efpagnols ont quantité de Hatos,
qui font des lieux,comme j’ay dit ailleurs, où
ils nourriiTent des beftes à cornes , pour en
D*oi
viennent iuif & les cuirs. lls en ont encore
les cuirs ii ^’autres nommées M aterias,qm font des lieux
eûiinez OU leurs Boucaniers ou Chafteurs ie retirent
çn Europe pour tuer des beftes fauvages , Sc y faire fe-
cher les cuirs ; c’eft de là que viennent tous
les cuirs qif on eftîme tant en Europe , qu*on
nomme de H avan a , parce que de cette Ville
du Port au Prince on les porte à la Havana» qui
eft la Ville Capitale de cette Ifle, afin d*eftre
embarquées pour FEfpagne, où de la ils paf-
t1 fent dans tous les autres Royaumes de FEu-
rope.
,•U Le long de cettemeiine cofte on trouve le
•\ Bourg du Saint & la petite ville de la
%rinhe, q u i a un aifez beau P o rt, fort accel^
fibje
D E S A V A N T U K I E R S. 15
fibîe 8c commode pour beaucoup de Mavi-
res : elle a auiTi une Riviere tres-bellc & fort
poiÎTonneuiè j tout le trafic du Bourg 8c de
cette Ville ne confifte qu*en Tabac , qui eft
tres-bon^ 8c fe tranfporte prefque en tous les
cndroitsdes Indes,8c mefme en Efpagnc , où
on en fait du Tabac en poudre , qui eft ce
Tabac qu*on a par toute l*Euurope,8c qu'on
nomme Tabac.de Seville.
Dans r Amérique on en ufe fort peu en
poudre, mais tout en fumée. On fait de ces
feuilles de Tabac qui ne font point filées
comme celuy qu’on nous apporte des lilcs
Françoiies 8c Angloiiès , des petits boulets ! Ml
roulez que les Efpagnols nomment Cigarros ,
qui ie fument fans pipe. Plufieurs Navires
chargent de ce Tabac tous les ans , ce qui
accommode aiTez les Habitans de ces deux
places.
A dix ou douze lieues de la Trinité il y a
un Port nommé le Golphe deXagua par les E s­
pagnols , 8c par les François le Grand Port^
J'avoue que jamais je n*en ay vu un fi beau
ny ii commode : Son encrée eft comme un
Canal de la portée d'un canon de trois livres
déballés, fa largeur 'd’une portée de piftolec,
bordée des deux cotez de rochers , qui font
auiTi égaux eiicr*eux,quedes murailles faites
exprès ; ce qui fait une efpece de Quay des
deux coftez. Il y a aftez de profondeur pour
y faire entrer les plus grands Navires, qui ic
voyenr. Au dedans de ce Canal on trouve
une grande Baye environnée de terre haute;
cette Baye contient plus de-fix lieues de cir­
cuit^ 8c au milieu il y a une petite lüe.oti les
Ma-
il
r I t-
H I S T O I R E
Navires peuvent donner Caréné, & y prciô
dre dereau,qui eft la meilleure du inonde.
Aux environs de ce Port les Efpa^nols y
ont des Parcs>où ils noiirriiTent o;randé quan­
tité de porcs • ils nomment ces lieux Coral^ih
ont ordinairement un Païfan avec ia famille
pour 2;ouverrier ce C o ral, qui confifte en
filM trois ou quatre grands Parcs»faits de certains
pieux de l’Arbre nommé , lefquels
I eftant plantez en terre prennent anfll-toit ra­
cine , comme les Saulx en Europe,& de cet­
te maniéré ils font des pàlIiiTades, qui par
fucceiEon de temps deviennent des arbres*
Ils tiennent là dedans leurs porcs qui ne leur
coûtent rien à nourrirj car ils ne font ces Co-
xTaux qu’en des lieux où il y a quantité de
toutes fortes d’arbres qui rapportent de la
femence toute l’année , iî bien que quand
l’un finit l’autre commence î ces arbres fbnt
Palmiftes , Lataniers» Brignoliers, Cormiers,
Monbains , Mamainniers , Abricottiers, Ge-
nipayers, Acom as, 6c plufieurs autres donc
ces porcs v iv e n t, fi bien que celuy qui gou­
verne le C oral, n’a befoin le matin que de
laiiTer aller ces porcs , 6c le foir de les appel-
jetjils ne manquent jamais de revenir: Quand
il n’y a guere de graine , 6c que tous les ar­
bres n’en fourniiTent pas égalem ent, il leur
donne un peu de Miller.
II y a des Efpagnols a qui ces Coraux val­
ient plus de cinq â fix mille écus par an ,*iàns
ill faire grande dépence , mais auiTi ils courent
rifquè d’être pillez parlesCorfaires^qui vien­
nent en enlever les beiVes pour ravitailler les
VaiiTcaux^ 6c quoy que cachez au milieu des
b ois,
DES a v a n t u r i e k s : ij
30ÎS , ils ne laiiicnt pas de les trouver ; car
iors qu*ils prennent quelque Efpagnol >ils luy
lonnent la gêne pour luy faire dire où ils font
5c les y mener. 11
Depuis ce Port de Xagua jufqu’â Matamano
il y a beaucoup de Coraux. Vis â vis de
^amano il y a l*Iile de , ainiî nominee â
caufe des Pins qui font deÎTus. Cette lile n’eft
point habite'e , on y voit leulemenr quelques
Efpagnols qui viennent pêcher de la Tortue ;
on y trouve aufll des endroits où les Avantu-
riers viennent ibuvent racoinmoder leurs
VaiiTeaux.
Cette lile eil pleine de Crocodiles ; qui ne «rocod-^ ■i
vont que rarement à l*eau , & font bien dif-
ferents de ceux qu*on appelle dans fAmeri- ■aptes les
que Cayamansy car ils ne (entent aucunement hommes^
le Mufe comme eux j & au lieu de fuir les
hommes , ils courent apres , ce qui ne fe re­
marque dans toute l*Am erit^e, que fur cette
lû e feulement. On a veu beaucoup de gens
qui en ont efté mangez, comme j'en rappor-
teray dans la fuite un exemple que j'ay veu
iiir cette lile. Il y a déjà long-temps que les
Efpagnols Pont voulu peupler de boeufs 8c
de vaches, mais ces animaux les détruifent-
C bien qu’on y en trouve tres-peu.
Le terroir de cette lile eft fabloneux: c*eft
pourquoy elle ne produit que des pins , de
fort petits arbres,& quantité de grandes her­
bes , que la chaleur du Soleil fait bien-toit
fecher. Depuis cette lile jufqu’au Cap de Co*
rientes il y a encore pluiieurs Coraux , parce
que le pais y eft bon ôc tres-beau. Ce Cap
eft une pointe à la bande du Sudoüeft de cet­
te
H I S T O I R E
te Tile, oil tous les Navires qui y viennent de
la Cofte du continent de Caraco ou de Cma-.
gene s’arreftent quelqueFois^pour aller en fui­
te d la Havana , de là on va au Cap de Saint
jintoine , qui eft à la pointe de POccident de
cette lile , depuis laquelle jurqu’âlaH^v^/î^
il y a pluHeurs beaux Ports.
La Havana Ville Capitale de ITile
de Cuba , & une des plus belles & des plus
f I P^randes de toute 1*Amérique. On tient qu’il
y a plus de vingt-mille HabitanSjC’eft là que
tous les Navires qui navigent d’Efpagne à
l’Amerique viennentmoüillerendernierlieii,
afin d’y prendre ce qif ils ont befoin pour re-
Sanila tourner en Efpagne. Cette Ville gouverne la
C ru x , moitié delTile/éc a fous elfe, le Saint Efprit^
pourquoy la Trinité^ SanHa Crux^ & plufieurs autres pe­
ainiinom-
m éc : Hi-
tits Bourgs 8c Villages. II y a beaucoup de
ûoire à ’ petits VaiiTéâux qui navigent à Campefihe ^
ççt égard., Neuve Efpagne 8 c à la Eloride , où cette Ville
fait commerce ; elle a un Gouverneur qui
dépend direébement du Roy , 8c une forte
Garniibn, avec trois Chafteaux, deux duco-
ilé du P o r t, 8c un du cofté de la terre , fur
une éminence qui commande au Porc 8c à la
Ville.
lü cu ou Depuis cette Ville jufqu’à la pointe de-
î ’on abat­
.t : tu & pris Mayefy^ qui eil TOrientale de cette Iile,on ify
la Flotte rencontre de confiderable que la fameuiè
des Gal- Bayede , où le célébré Pieters Steyn
Sions du
t l 1
R oy d ’Ef-
Amiral de Hollande, battit la Flotte des Gal­
bons du Roy d*Elpagne, 8c la pritprefque k
' i '■ ' pagne,
t )
:. ! chargez toute en Tan 1(^17. ce qui remit les Provin­
d e richei^ ces Unies en état dcluy faire la guerre,par
■ ; r 1' ics ini'
cauenlest les richefles immenfes donc cette Flotte eftoit
chargée.
' '
■ ■U \ \ \ v . :

H '

1 ^

il ^
DBS A V A N T U R I E R S . if
„^cirgee. C e il en ce lieu que toutes les Flot-
es des Gallions vont prendre de Teau , pour
;ti fuite paÎTer par le Canal de Bahama ,,aiîn
le retourner en Efpagne : Depuis là jufqu’à
a pointe de Mayefy, on trouve Sanâa Crux.
7 oicy pourquoy on luy adonné ce nom-
Un Soldat de mauvaifevie de la Province
le CharcM craignant la Juftice qui le recher-
:]ioit pour feS crimes, entra bien avant dans
:è pais 3 6c fut bien reçu de ceux qui y de-
Tieuroient* Le Soldat voyant que ces Habi-
cans foufFroient beaucoup à cauie d’une
grande diiètte d’e a u , 6c que pour en faire
tomber ils faifoient quantité de ceremonies
rüperftitieüfes , leur dit que s’ils vouloienc
.aire ce qu"*!! diroit, qu’auiTi-toft ifs aiiroient H'!
le Peau» Ils y confentirent, à Pinftant le Sol­
dat fit une grande Croix , qu’il planta en un
lieu éminenti leur difant qu'ils fiffent là leur
adoration » 6c qu’ils dcmandaiTent de l’eau ,
ce qu’ils firent. Chofe merveilleufe, aulTi-tofi:
il tomba de l’eau du Ciel en abondance , 6c
depuis ces peuples eurent tant de devotion à
ià Sainte C roix, qu’ils a voient recours à elle
dans tous leurs befoins, 6c obtenoient ce
qu’ils fouhaitoient .*tellement qu’ils rompi­
rent leurs Idoles, demandèrent des Prédica­
teurs 6c le Bapceime; C’eft pourquoy,comme
je l’ay déjà dit, cette Province a efté appel-
lée jniqu'à aujourd’huy Sainte Croix : Ce qui
fait voir que Dieu fe fert des plus petites cho-
: iès pour operer les plus grandes, 6c dés mé­
dians mefmes pour faire le bien , 6c qu’il ne
I
laifie jamais ces médians impunisjcar il n'eft
pas hors de propos d’ajouter, que-ce Soldat
dont

I.
iS H I S T O I R E
dont il s’étoic fervi pour faire ce miracle ,
n ’eftant pas devenu meilleur,ibrtit de la Pro­
vince de Charcas , & continuant iès crimes ,
fut pendu publiquement au Fctofi,
Apres San6ta Crux on trouve la ville des
Cayes de Baracoa, Il y a le long de cette coile
quantité de petites liles , nommées les Cayes
du Nord y ouïes Avanturiers viennent auflî
ibuvent pour chercher fortune. Ils y pren­
1I nent des Barques chargées de Cuirs & de
Tabac pour la Havana, & quand ces Barques '
1: . viennent, elles ont de l’argent pour acheprer :
ces Marchandifes ; ce qui accommode fore
0; i; <
l!f1 I les Avanturiers, qui s’en iaifiiTento Cela fuffic :
pour faire comprendre au Leéleur ce que
c ’eft que Mlle de Cuba^
»
C h a p i t r e III.
tA prife de la ville du Port au Prince par \
Morgan, ^ {

O rgan, comme j*ay déjà dit, voyant!


Maniwelt m o rt, refoliit aveclbp con-
fcil de faire une defeente iiir les terres d e s,
Efpagnols; & pour cet effet, apiés avoir é-
quipé un Vaiffeau, il donna rendez-vous aux
Avanturiers dans les Cayes del’Ifle de Cuba-^
Dans le peu de temps qifil fut là,il forma une
Flotte de quatre VaiiTeaux & de fept cens
tioii^de qtn fe montrèrent tous fort c o n -;
Morgan à ^ens de l uy, refolus de le fuivre & de luy o - ,
!; Ton £qm- beir.
Alors on fît une chalTe-parde generale,qui
con-
. D E S AV A M T U R I E R S . xy
contenoic ce ^u*on donneroit au Comman­
dant , & apres â chaque particulier Equipa­
ge : On en fit une à l*égard du Capitaine du
VaiiTeau, On mit dans la chaiTe-partie gene­
rale,que quiconque feroit quelque maùvaiie
action feroit puny, comme de Îetuer , ou du
fe bleiTerhun l^aucre^ ce qui fut fait pour évi­
ter les querelles qui pouvoient naiftre, com­
me autrefois encre les deux Nations, fçavoir
TAngloife & la Françoiiè; ce qui avoir em-
peiché l’execution du deiTein qu’on avoic
pris:& comme cette Flotte eftoit également
remplie de ces deux Nations , chacun en
tomba (i’accprd, & tous les Officiers Fran­
çois prom irent, que ii quelqu’un des leurs
commettqit quelque choie qui fût contre
l’équité , ils autoriferoienc Morgan â le pu­
nir, & mefme luy préteroient main-force.
Tout eftant ainfi conclu on tint confeil ,
'çavoir quelle place on devoir attaquer ; on
propoia celle de la Panama ^ parce qu’elle
Ijicftoïc facile â furprendre de nuit, & qu’on
-^pourroit enlever le Clergé 6c tous les Moy-
;>l;nes, auparavant que les Forts fuiTent en état
4de iè défendre , qu’on auroit le temps de fe
fjliàuver , & que la rançon qu’on tireroit de
iices gens lâ ieroitfuffifante,& vaiidroit mieux
f|;que le pillage que l’on pourroic faire dans
liune petite Ville. Cependant perlbnne n’ap-
ipnya cette encreprifc; on propofa en fuite le
^I^ort au Prince^ Ville champeftre de fifle de
\lCuba , où fon dit qu'il y avoic bien de l’ar-
Vgenr,à caufe qu’il s’y faiibit <>rand commerce
J de cuirs, Sc qu’étant éloignée du bord de la J
^Mer., les Bfpagnols ne ie dcflSrjicnt point,
TQmi i /# * B qu’on
1Ö H I S. T 0 1 R E ^
qu’on les vint jamais attaquer, ce qui en fa-
tiliteroit beaucoup laprife ; ce deÎTein fut
approuvé de tous les Avanturiers qui fe pré­
parèrent pour rexecuter.
Morp;an fît lever i*ancre à tous Tes Eâci-
inens, & la Flotte fut mouiller au Port de
Sainte Marie , qui eft le Port de la Ville dont
! I't Trecau- nous parlons. Ils ne furent pas tout contre
lion de la terre, de peur d’eftre découverts de quel­
Morgan
pour n’e- ques ChaÎTeurs Efpagnols qui étoient au
ttre point bord de la Mer ; mais ils furent mouiller dans
décou­ de petites Ifles qui font là tout vis à vis.
vert.
La nuit, un Eipagnol qui avoit efté quel­
Trahifon que temps prifonnier avec les Avanturiers
d ’uu El-
pagnol. Anglois, fc jetta à Tcau & nagea à une de ces
petites liles, & de là à la grande,où il fut vî-
tement donner avis au '^ort au Prince de ce
qui fe paiToitjcar depuis lei:emps qu’il eftoit
avec ces gens, il ayoic un peu appris d*An-
glois.
Le Gouverneur fe mit promptement en
défenfcjil ordonna auifi'toft à chaque Bour­
geois de prendre les armes ; il demanda du
iecours aux lieux voifins : fi bien qu’en peu
de temps il mit huifcens hommes fur pied ,
fît couper tous les arbres qui eftoientfur le
grand chemin, & faire des embufeades, afin
de repouifer l’ennemi s*il elloit poflîble. Il
marchoit à la teile de tous ces gens dans une
grande prairie, & attendoit les Avanturiers,
croyant qu’il les empefeheroit d’aller jufques
à la Ville.
Les Avanturiers venant ag grand chemin >
Li. ( & trouvant qu’il eftoit couvert d’arbres
^ u ’on avoir jectez par terre , virent bien
‘ qu’ils
DE S A V A N T Ü R I E R S . it
i^u’iîs étoient découverts • ils ne perdirent
pourtant pas courage,ils prirent leur chemin(
nu travers des bois, & en peu de temps arri^
verent à la H avana,ou prairie, où le Gouver*
neur eftoit avec tout fon monde.
En meime temps le Gouverneur Efpagnol Avantu-
les fit entourer de loin par quelque Cavalerie riers en-
tourez de
qu*il avoit,mais cela ne les épouvanta point, la C ava.
au contraire ils commencèrent à battre la la ie £ i-
quaiiTe, â déployer leurs drapeaux, & à don-* pagnoie.
Défaite &
lier à tort 6c à travers fur les Efpagnols, qui fuite ces
tinrent ferme 6c fe défendirent bien au corn* £ipagiiuls
menccment; mais voyant que les Avantu-
fiers ne pbrtoicnt prefque pas un coup à
faux,ils prirent la fuite 6c ferefugierentdans
leur Ville , où renfermez dans les maifons ils
tiroient par les feneftres. )
Les Avanturiers voyant cela firent mine
de vouloir brûler la ville ; 6c ils rauroienc
fait, fi alors les Efpagnols ne ie fuÎTent ren^
dus. On les chaiTa dans la grande Eglife, où
0 on les tint priibnniers. Cependant les Avan­
turiers pilloient tant qu'lis pouvoient, trou-
voient aiTez dequoy dans les maifons,mais il
n'y avoit point d’arg en t, car les Efpagnols
Tavoient ferré j 6c rnalgré l’embarras où les
jette le foin de ie defFendre, ils ne manquent
jamais de prévoyance â cet égard. Les A*-
vanturiers donnèrent la gêne â plufieurs Ef­
pagnols , pour leur faite confciter où étoit
leur argent : Les Moynes s’étoient fauvez, fi
bien qu'on n’en pouvoitprendre,quoy qu'on
allail tous les jours en party , d'où l’on em-
menoiü des prifonnierS.
Morgan 6c les fiens ayant demeuré en cet-
B Z te
H I s T O I R H
te petite Ville quinze jours,fît demiïncîcr îiu<
principaux prilbnniers qu’il avoir la rançon
de Ville, ou iînon qu’il la biûltroitjils dépu­
tèrent quelques-uns des leurs qui apportè­
rent la rançon,& outre la foirune qu*ils don-
!I nerent,ils anaenerent encore au Porc de 5^/w-
te Marie , où eftoient les VaiiTeaiix de Mor-
gan,cinq cens Vaches qu’il avoir demandées
pour les ravitailler ; car ion deiTein eftoit de
faire encore quelque defcence ailleurs , n’e-
ftant pas fatisfait de ce qu’il avoir pris ati
fort au qui ne pouvoir pas montera
grand*, choie.
Les Avanturiers demeurèrent encore quel-,
que temps au bord de la Mer au Port de Sain»
U Marie , pour tuer ces Vaches & les faler.
Cependant ils fe divertilToienc & joüoicnt,
car ces gens font de fort bonne humeur '
quand ils ont fait capture. Il y avoit pour­
tant toujours quelques François 6c quelques
Anglois qui querelloient enfemble;mais l*ac-
cord fait entre les deux Nations les tenoic en
bride l’un & rautre , quoy que cela n*em-
pefehaft pas que deux ayant eu quelque dif­
férend ne fe fiiTenc un appel, 6c l’Anglois ne
fe jugeant pas ii fort que le François , qui
eiloic très*adroit à tirer, en allant au lieu
qu*ils avoienc choifi pour fe battre,!* Anglois
donna un coup de fufil au François par der-
Aç'pel riere, qui le renverfa mort. Les François s^cn
eilanc apperçus furent s’en plaindre à Mor-
gan , qui condamna l'Anglois,6c luy fit cai^
punmon ferla teile en prcience de cous ceux de fa
exe n- N ation,donc quelqpes-uns n*tltoicnt pas
! ^
contens. Cependant cela ie paiTa fans plus
Mi:
J î
*•:!
DES A V A N T U R I E R S
â t b ru it, & chacun Fut fatisfait d*un cofte SC-
d'autre, ou Ju moins fie femblanc de l'eftre.
Les Efpagnols n’ayant pas achevé de payer
la rançon de la Ville , faiibient attendre
Morctan , dilant que le monde écoit diiperfé,
j|[l& qu’»Is ne pouvoient pas ii-toft apporter Ii
cette ibmme • mais quelques-uns des gens de
Morgan ayant efté en party amenèrent un
Efclave noir prifonnier » lequel avoir des 1er-' Lettre»
très pour ceux du Por^ au Prince , que le Gou- 'i!
verneur de leur écrivoir, parlef-
quelles il leur donnoit avis de prolonger le
plus qu* ils pourroient le payement delà ran­
çon , & que dans peu il viendroit les lecou-
rir luy-meime en peribnne , avec àÏÏez de
monde pour deffaire entièrement leurs enne-
mis. ‘^ ^
Morgan ayant vû 8c examiné cette lettre,
preiTâ les Efpagnols qu'il avoit^ en otage
pour la rançon : cependant il fît embarquer
je butin qu’il avoir déjà fa it, de peur d*in-
convenient : & voyant que les Efpagnols le
. payoient toujours de bonnes paroles »fans
en pouvoir tirer autr * choie >il fe hafta de
faler & faire embarquer la viande, afin de
le tirer de l à ; car il n'aimoit pas à fe battre ,
|ià moins qu’il n*y euft de quoy gagner.
Morgan & fes gens s’embarquèrent donc
ainfi , fans attendre le Gouverneur de Saint
Jag 9 , qui euft voulu peut eftre partager le
butin avec eux ,ou leur ofter : Delà ils fu­
rent fur une petite Ifle , pourvoir à quoy
montoit leur prife , 8c ils trouvèrent qu’ils ^
^ a voient bien cinquante à foixance mille écus* monte le
; tant en argent monnoyé que rompu, fans le Butin.
B5 pil-
'^4 * H I S T O I R E
pill.nge d*étoffe 8c foye , de toiles & autres
marchandifes qui montoient encore à beau­
coup plus que cela. Ils partagèrent ces cho-
fesj8c n*curent chacun que foixante ou qua­
tre-vingts ecus; ce qui eftok bien peu, & ne
iiiffifoicpas pour payer leurs dettes.
Morgan, qui non .plus que bien d'antres ,
n'avoit pas envie de retourner à la Jamaïque
avec fl peu de chofe , propofa un nouveau
deifein, afin de faire une autre defeente , 6c
uneprife plusconfiderable. Tousles Anglois
en étoientd'accord,mais beaucoup de Fran»
Anglois
Ce Fran mécontens de cette Nation ne voulu-
çois^(è"fe- P^S; & comme ils avoient leurs propres,
parent. Equipages §c leurs Bâtimens , ils fc fepare-
rent, & aimèrent mieux aller en courfe croi-
fer, que de fuivre Morgan, quoy que perfon-
ne ne fe plaignit jamais de luy , parce qu'il
femoncroit toûjours affed:ionne pour eux ,
Sc les protegeoit en des chofes mefmes , où
ils n’avoientpas trop de raifon; ce qui don-
noit auifi de la jaloufie aux Anglois. De for­
te que Morgan voulant contenter tout le
monde, ne contenta perfonne.

C h a p i t r e I V.

Za prlfe de Fuerîo’Bello dans î'ifiume de Panama^!


par Morgan,

Uoy que les François euiTcnt quitté


Q Morgan , il ne laiiTa pas de pourfiiivre
le deiïein qu’il avoir de frire encore une an­
} I tre defeente. Il-propofa à fes gens d'aller at­
taquer
DES A V A N T U R IE R S . %i
C^(]ucrlii ville de Vuerto-Belîo , Scieur repre-
fenca que quoy que la place fût forte,il y au-
roic moyen de la furprendre , & qu’en cas
que cela manquait on çjourroic fe retirer*
Tout le monde confentit â fapropoiition, ils
ne demandoienc que de Tarifent , 5c ils ju-
s^eoienc bien qu*en prenant cette Place , ils
ne pourroient manquer d’en avoir , parce
qu’elle eft une des plus riches des Indes, mais !■'!
auiTi une des plus fortes.
Eftanc donc tous dans cette reiblution, SC
1 Morgan plus que pas un de fe fignaler, &
, d’acquérir du bien , car il en avoit befoin
iipour entretenir ladépenfe qu’il faifoit quand
Jiil eftoit à la Jamaïque. Il fit lever l’ancre à
S'toute Îà Flotte, qui eftoit de huit petits Vaif-
ieaux. Eftanc en Mer il rencontra encore un vnva’r.'
Avanturier de la Jamaïque qui revenoit de
Campefehe^ Il luy demanda s’il vouloir eftre Çç 4
de la partie , 8c luy découvrit fon deÎTein , Morgan,
l’autre y confentit volontiers;fi bien qu’avec
ce Vaiifcau , qui fut un des plus grands de fa
Flotte, il s’en trouva n e u f, 8c le nombre de
quatre cens foixante 5c dix hommes,dont il y
avoit encore beaucoup ^ e François mêlez
dans les Equipages Anglpi", Les chofes en
cet é ta t, Morgan fit voile vers Vorto^belh,
O eft une petite Ville baftie fur le bord de la
MerOceane ducofté du Nord de l’Iftume de
"Panama , à la hauteur de dix degrez de latitu­
de Septentrionale, Elle eft feituée fur une
Baye, à l’embouchure de laquelle il y a deux
Châteaux qui font tres-forts*fi bien qu’il n’y
peut rien entrer lans paifer devant ces Cha-
fteaux. 11 y a encore un Fort fur une petite
B4 éminence
HI S T O I R E
eminence qni commande à la Ville. Les Ga­
lions du Roy d’Efpa^ne viennent tous les
ans Jà 5 pour charger Targcnc que l’on mene
I K
des mines du Pérou à Panamti^ & qui eft ap*
:!
porté par terre à cette Ville fur des mulets ,
i! afin d*y eftre chargé pour EEipagne.
Toutes les Marchandifes qui en viennent
pour le Pérou,y font auffi déchargées & por­
tées parla meiiue voyedes muletsâ Panama^
I I pour eftre chargées fur des Gallions de la
Mer du Sud » & reportées au P érouC hiîy 5c
autres lieux apparrenans au Roy d'Efpagne,
dans cette grande Mer , où il eft le féal Roy
de toute la Chreftienté qui y aye des Colo­
nies , il n*y a proprement en ce lieu que les
Magazîns Magazins pour mettre les Marchandifes • car
du Roy ceux^â qui elles appartiennent demeurent
tous à Panama, ne pouvant pas fejourner là
â caufe que le lieu eft déplaifant'& mal fain,
cftant entouré de montagnes qui cachant le
Soleil 5c l’empefchent de purifier l’air.
Il ne laifle pas d*y avoir toujours quatre
cens hommes capables de porter les armes,
outre la garnifon qui eft toujours de trois à
quatre cens Soldaos pour garder les Forts 5c
la Ville. 11 y a un Gouverneur qui dépend
du Prefident de Pm etm a , 5c outre cela deux
Caftillans, c*eft â dire Gouverneurs deC ha-
fteaux, qui dépendent diredrement du Roy
d’Efpagne.
Quand fes gallions arrivent là , ce lieu eft
comme une Foire, ouïes Marchands abor­
dent de tous coftez. Ceux qui viennent
d*Efpagne , y defeendent, & y loiient des
chambres 5 c des boutiques 5 5c ceux qui
vicu*
^)
DES^ A \ T A N T U R I E R S . 17
viennent du codé de la mer en font de mei^
me. Ceux qui ont des maifons en ce lieu,
font plus grand profit que pas-un Marchand?
car il n*y a fi petite chambre ou boutique qui
ne donne quatre ou cinq cens ecus tout au
moins de^loüagc, pour fix femaines ou deux
mois au plus que les Gallions fejournent en
ce lieu, où l*on n’oferoit demeurer davanta­
ge, à caufe des maladies qui y furvicnnent en
telles occafions.
Voila ce que je puis dire de plus certain de
la Ville de Puertobelh , il ne refte qu’à faire
voir de quelle maniéré Morgan y eft entré ,
\3c s’en eft rendu maiftre,avec fi peu de for-
ces.
Par bonheur Morgan avoit un Angîols
avec luy, qui peu de temps auparavant pri-
ibnnierà PuertobellojS'en eftoit échapé par je Condmte
ne fcay quel moyen, 8c fçavoit parfaitement Mor-
bien les detours de cette cofte.Ce n eir pas p^ife
que Morgan les ignoraft , mais il fe laiiTbit Portobcl-
[3^1toujours conduire par celuy-cy, à caufe quM
y avoir efté plus long-temps que luy.
Cet homme fit en forte que la Flotte de
Morgan arriva fur le ibir au port de Naos, où
il n*y a perfonne,& qui n*eft éloigné de Puer-
tobello que de douze lieues. De là ils nav-ig©-
rent le long de la cofte, à la faveur d’un petit
vent de terre, qui s’élève la n u it, jufqu’à un
port qui n’eft qu'à quatre lieues de ce der-
nier,qu*on nomme elpuerto del Ponton.
Dés qu’ils y furent arrivez , ils fe débar­
quèrent vifte toùsjie jetterent dans leurs ca­
nots , & ranâerent avec le moins de briiiç
qu’ils purent jufqu’à un lieu nommé d Efiera
Bs dt
1« H I ST O I Kr
de Lengalemo, où ils mirent pied à terre. Envi­
ron fur le milieu de la nuit chacun prépara
fes arm es, & en cet état ils s^avancerent
vers la Ville , conduits par cet Ançclois, qui
içavoit parfaitement bien les chemins.
Sertîneiie Ayant marché un peu de temps f il les fit
nienie à arreftcr,& futluy quatrième à une Sentinelle
Morgan. avancée,qu’il enleva fans faire aucun bruit,
& (ans cftré découvert. Il amena cette Sen­
tinelle à Mori^an,qui luy dit que la Garniibn
de la Ville eftqit en bon é ta t, mais qu’il y
avoit peu de Bourgeois, & qu’aÎTurément iî
k pourroit piller malgré les Fortereifes. Mor­
gan fît lier ce prifonnier, & iervir de guide ,
le m enaçant, s’il les conduiibit m al, que fa
vie en fépondroitî & qu^au contraire, s’il les
■ : !(■ mcnôit bien, ils luy donneroient recompen-
fe, & hemmeneroient avec eux, afin que les
Efpagnols ne luy fiiTent aucun mal.
Ce prifonnier marcha devant, & tâcha de
faire le mieux qu*il put ; mais il luy fut im-
» f- pofiîble d’éviter une Redoute remplie de
■J Soldats, dont il avoit efté du nombre ^ qui
i’eftant venus relever, & ne le trouvant pas ,
jugèrent bien qu’il y avoit quelque chofe qui
n’alloitpas bien ; de forte que cette redoute
ntlarmée eut connoiiTance des Avanturiers«
M Morgan y envoya le prifonnier , pour leur
dire (iefe rendre fans faire de bruit , ou qu’il
neleurdonneroit point de quartier : mais ils
ne voulurent rien entendre, & commencè­
rent à tirer avec quelques pieces de canon ,
ôc avec leurs moufquets, pour avertir an
moins la Ville , 8c obliger les Bourgeois 8c
ia Garnifon à les venir fecourir avant que les
is Avarv
Ml
DES A V A N T Ü R I E R S . if
Aventuriers les euiTent pris. Mais cela ne
dura pas fi lon^-temps , car une partie des
Aventuriers paiTa la Redoute pendant que A vantu­
l’autre la fit fauter avec tous les Elpagnols riers fo n t
fîu tc r la
qui eftoientdeÎTus. R ed o u te.
Ils arrivèrent de cette maniéré à la Ville ,
comme Taurore commençoit à paroiftre, 6c
trouvèrent la plufpart des Bourgeois encore
endormis, & qui ne içavoient ce que cela
vouloir dire. La Garnifon s’eiloit retirée
dans les Forts, & commençoit déjà à cano-
n erfu rla Ville. Nos Avanturiers ne s*amu-
ferent point à piller; mais ils furent vîtemens
aux Couvents, où ils prirent les Religieux , M organ
enleve les
6 c les femmes qui s’eftoient réfugiées avec Moines ôc
eux, pendant qu’une partie d’eux faiibit des les fem .
échelles pour efcalader les Forts. Ils tentè­ m es refu ­
rent d’en prendre un en voulant en brûleries gees dans
les C ou­
portes,* mais eflant de fer , cela ne reüflit vents. A t­
point .*de plus, quand ils approchoient con­ taque des
tre leurs murailles, les Efpagnols jetcoient des F o rts , re-
fifftarice
pots pleins de poudre;aufquels ils avoient at­ des aflie*
taché des mèches ardentes. Cela brûla beau­ gez.
coup des Avanturiers, qui n’avoient aucun
avantage que lors qu’un Efpagnol paroiiToic
à une emorazure, c’eftoit un homme de
moins.
Pendant que les uns eftoient ainfi occu­
pez , les autres travaiRoient à grande force
pour faire les échelles , qui furent bien-toft
preftes. Morgan leur fit dire que s’ils ne vou-
loient pas ie rendre, il alloit faire mettre des
échelles portées par les Religieux & par les
femmes, 6c qu’il ne leur donneroitpoint de
quartier. Ils répondirent qu’ils n’en vou-
B6 loient
30 H I S T O I R E
^tor«»an loient pas auiTi. Alors Morgan exécuta Cé
contraint qu’il avoit dit, pendant qu’une partie de ion
les Moi­
nes les monde prenoit garde aux embraiures, pour
femmes empefeher les Efpagnols de charger leur ca­
avoit non , n’en chargeant aucune piece qu’il ne
I. i piis, de
leur, en coûtaft fept ou huit hommes pour le
porter des
échelles moins. Il eft vray que les Avanruriers, qui
pour n*eftoient nullement couverts,perdoient auiTi
m onter à bien du monde.
relcoJade.
Ce combat avoir déjà duré depuis la poin­
te du jour jufqu’à Midy que les échelles fu­
rent preflres : on les fit porter auiïltoft par les
femmes , par les M oines, & par les Preftres,
croyant que quand ceux qui eftoient dans
les Forts verroienr cela, ils fe rendroient, de
peur de bleiTer des gens coniacrez â Dieu ;
mais au contraire ils ne laiÎTerentpas de tirer
comme auparavant. Les Religieux leur
crioient de fc rendre , leur remontrant que
c ’eftoit leurs frétés qu’ils maÎTacroient; mais
tout cela ne les toucha point.
Quand on pofa les échelles , ils jetterent
une fi grande quantité de pots à feu , qu’il y
eut beaucoup de monde brûlé tant des Efpa-
gnols mefmes de la Ville , que des Avantu-
riers. Les échelles eftant pofées,quelques Es­
pagnols voulurent paroifire pour empefeher
l’eicalade, & précipiter du haut en bas ceux
quiferoient montez : mais les Avanturiers-
qui foûtenoienr les aiTaillanSjtuerent tons les
ailicgez qui parurent fur les murailles. Ainii
les aiîaillans montèrent genereufement, mu­
nis de grenades, de piilolets, & chacun d’un
bon fabre,ôc d’un courage plusièur que tout
cela.
Ils
i r
prennent
les Forts
dedans mal2;réles Efpa^nols, qui les repouf- d'aflaut,
foient avec des piques , & en jettoient à la
Î1 vérité quelques-uns de haut en bas. Dés que
les Efpa^nols virent que leur canon leur e-
ftoic inutils 5ils auroienc dû fc rendre , mais
ils ne voulurent pas,particulièrement les O f
ficiers, qui contraignirent lei Soldats de fe
battre jufqu*â la fin.
Les Avanturiers fe voyoient maîtres da
premier F ort, qui paroiiToit le plus avanta­
geux , parce qu’il eftoit fur une petite émi­
nence , & commandoit â l'autre bâti feule­
ment pour défendre l’entrée du port .• cepen­
dant il falloit encore le gagner pour faire en­
trer leurs vaiÎTeaux ; car ils eftoient obligez
de fejourner là , à caiife de la quantité des
bleiTez qu’ils avoient. Ils furent donc à l’au­
tre Fort, qui droit toujours, mais fans beau­
coup d’effet} & ibmmerent le Gouverneur
de fe rendre,& qu'on luy donnefoic quartier;
mais il n’en voulut rien faire non plus que
les autres ; iî bien qu'ils furent obligez de
prendre ce Fort de la mefme maniéré que le
premier , & pourtant avec plus de facilité ;
car le canon de celuy-cy leurfervic fi bien ,
qu’il ne put pas reiifter long-temps,quoy que
les Officiers de ce fécond Fortfe défendiiTent
auffi vigourenfement que ceux du premier, Les Efpa»
& fe fiÎTent tous tuer,difant qu'il valoit
ifoii mou­ gnols
rir dans cette occafion que fur un échafauc, tenr combat*
& ce fut ce que le Major Caftillan répondit q u ’à |uf-
l'e.v®
3 fa femme & à fa fille,qui le iollicitoient de trem ité,
fe rendre. L es
H I ST OI R E
Les Avantiiricrs eftant m^aiftres Je ces
deux Forts , le refte ne tint gueresî fi bien
qu’environ trois heures apres midy le com­
bat fe termina par la vicftoire qui demeura
aux Avanruriers. Ils renfermèrent tous les
priibnniers dans un des Chafteaiix , mettant
les hommes & les femmes chacun à part, &
leurs bleiTez dans un lieo tout proche , 8c
commirent des femmes efclaves pour les
garder, ièrvir & folliciter. En fuite ceux qui
n’avoient point eftë bleflez commencèrent à
'; fe donner carrière , & â faire débauché de
vin 8c des femmes tant que la nuit dura . en
I I
I
forte ques*il eftoit venu cinquante Efpagnols
aufli braves que ceux qui avoient défendu
les Forts, ils auroienc maffacré facilement
tous les Avanturiers.
M organ f ^ lendemain matin Morgan fit entrer Tes
viiflo* vaiifeaux dans le port, pendant que fes gens
rienx eftoient occupez â piller la Ville , 8c à amaf-
vaiiTenix^ fer l’argent qu’ils trouvoient dans les mai-
dans le fons, 8c Tapportoient dans le Fort. 11 donna
port. encore ordre de reparer les débris des Forts,
8c. de remettre le canon en é t a t , afin que
s’il venoit quelque fseours , il*puft iè défen­
dre.
Après qu’ils eurent amaffé tout ce qu’ils
I ' I avoient trpuvé , ils preiTerent les principaux
Bourgeois d*avoüer où leur argent eftoit ca­
ché. Ceux qui ne vouloient rien dire , 8c
peut-eftre n’avoient rien , furent mis à la
gênne fi (Truellement, que plufieurs en mou­
rurent , 8c d’autres en furent eftropiez. Les
Avanturiers ménagèrent fi peu , 8c firent
dans l’abord un tel degaft des vivres qu’ils
trou-
I{
«il- I
DESAVANTURIERS. 51
trouvèrent dans ce petit lieu, à qui la cam­ Avantiii
pagne fournit abondamment les chofes ne- riers ré ­
s duits à de
ceiTaires à la vie , qu’ils n’y eurent pas efté grands bc-
quinze jours fans mourir de faim» 6c manger lü in s , p at
les Mules & les Chevaux. leurs dc-
Quelques-uns d‘eux alloient à la chafTe , gafts.
pour tuer des Bœufs ou des Vaches qui font
aux environs de cette Ville ; & quand ils en
apportoient, ils les gardoient pour eux, &
donnoient aux priibnniers de la chair de Mu­
le , qui leur fembloit bonne» caria faim les
preiToit tellement, qu’ils euiTent mangé des
choies beaucoup plus mauvaifes.
Cependant la méchante nourriture» &
l’impiireté de fair » caufée par la quantité
des corps morts jettez à quartier, & qui
n’eftoient couverts que d*un peu de terre »
cauferent bien desmaladiesparmy les Avan-
turiers , qui d’abord s’eftoient remplis de
vin > 8c plongez dans la débauche des fem­
mes , il bien qu’ils mouroient tour à coup »
& les bleiTcz ne réchapoient gueres.
D’antre cofté les Eipagnols incommodez, Different
& à l’é tro it, s’empeftoient les uns les autres, te rDort
des vain­
8 c mouroient bien différemment que les A- queurs &5
vancuriers : car ceux-cy eftoient tuez par des vaiia-
l’abondance , 8c ceux-là par la difette , eux eus.
qui avoient coutume de fe nourrir délicate­
ment , 8c d’avoir du Chocolat bien préparé
deux ou trois fois par jour »le voyoiênt ré­
duits non ieulement à manger un morceau
de Mule »(ans pain »mais encore à boire de
méchante eau , n’ayant pas le temps ny le
moyen de la rendre bonne , en la purifiant à
leur ordinaire» 8c la faifantpaiTer au travers
de
?4 H I S T O I R E
dc certaines pierres qu*ils ont à cet effet. '
Les Avancuriers ne fe précautionnoienc
pas mieux qn*enx à cet é^ard , beirvant cette
eau telle qu'ils la trouvoient ; fi bien que ces
deux fortes de ixens prcifcz de tant de maux#
n’afpiroient qu’à l’éloignement des uns 8c
des autres : les Avanturicrs ne pouvant plus
fouffrir les incommoditez du pays, ôc les
Eipa^nols les Avanturicrs.
Efforts du Le Preiîdent de Fanama^ qui avoir eu nou­
Irefident velle de la prife de Fortobeîlo, tâcha d*amaiTer
de Pana­ quelques trouppes pour en venir chalfer les
m a ,p o u r
délivrer Avnntnriers. En effet, il s’achemina,diron^
Portobcl- avec plus de quinze cens hommes » pour fe-
It). courir cette Ville. Morgan fçachant cela , fit
tenir Tes navires prefts à mettre à la voile ^
en cas qu’il euft du deffous , pour fe fauver
avec le pillage, qui eftoit déjà embarqué par 'L-!
ion ordre. Il eut avis par un efclave que fes
gens avoient pris â la chaife, que le Preiî­ If
dent de Fanama venoit.
Morgan Morgan tint confeil, où il futarrefté de C(
fient con- ne pas quitter Fortobello ^ qu’on n’cùftfait
fcU, iF
payer la rançon des Forts & de la Ville , qui iM
pouvoit monter autant que tout ce qu’ils
avoient déjà. De plus, afin qu’on nefuft
point furpriSjOn refol ut d’envoyer cent hom­
mes bien armez au devant du Prefident, 3C
qu’on l’attendroit à un défilé où il ne pou­
voir paifer plus de trois hommes de front.
Cela fut exécuté ; le Prefident vint , mais il
n ’avoit pas tant de monde comme on avoir
dit.
Les Avanturicrs qui l’attendoient, Tem-
pefeherent d’avancer. Il ne s’obilina pas be-
au- :f)r
D E S AV A N T ü R T E R S . ir
’a acoup , & différa jnfqu'a ce qu’une partie M organ
de ion monde,qui eftoic demeuré derrière, |e s’oppo^
Ton
^
joignift. Cependant il envoya un homme
liVers Morganj avec ordre de luydire que s’il
ne fortoit au plûtoR de la Ville & des Forts Il fait
îqu*il marchoit avec deux mille hommes de fommer
renfort J & qu'il ne luy donneroit point de Morgan.
quartier. Morgan répondit, qu'il ne fortiroit Sareponfe
qu’à l’extremité , & qu*on ne luy euft donné
deux'^cens mille écus pour la rançon de la
Ville & des Forts, qu’autrcment il les démo-
liroit à la barbe du Prelîdent.
A cet effet Morgan envoya deux Bour­
geois de Vortoheîlo vers le Prcfident, afin de
^ traiter avec luy de la rançon qu’il pretendoit
)”i|pour les Forts & pour la Ville. Le Preiîdent
wavoit envoyé à Cartagene pour avoir une
P'FIotte , à deifein de venir par mer aiTieget
PijIMorgan , pendant qu*il efperoit l’amuier en
s'faifant compoièr les Bourgeois de Vortohello
rravec luy, fans toutefois rien executer. Mais
r comme ordinairement les Efpagnols ne font
^ipas grande diligence , ils ne purent arrefter
Morgan plus long-temps, qui lespreflTadc
ir prés:il bien que les Bourgeois furent obligez Remonî
ïl|de reprefenter au Preiidentde Panama^ qu'il trance des
v valoic mieux cempofer avec ces gens , luy Efpagnols
éi fiiifant voir que c’eftoient des diables , & au Preii«
n avec combien d'ardeur ils avoient pris leurs denu
Forts malgré toute la refiftance qu’on y a-
lUvoit pu faire i puiique cous les Officiers s'e-
il ftoient fait tuer par defeipoir , voyant que fi
g peu de gens lesconrraignoient à rendre des
Forts qu’en toute autre occafion ils auroienc
y pu diipucer à dix fois plus de inonde & do
)j forces. Tout

.i

[V
H I S T O I R E
Tout cecy confideré,Ie Prefident leur don^
na la liberté de f^^ire ce qu'ils jugeroient à
C onvcn- propos, llscompoferent donc avec Mogan ,
tioi'is des & accordèrent que dans quatre jours ils luy
Efp.ipnols donneroiênt cent mille ecus pour la rançon
avec M or­
gan. des Forts, des prifonniers, & de la Ville î ce
qu'il accepta, pourveu qu’ils ne manquaiTent
point à leur parole. Lç Prefident ^Je Panama»
nommé Dom luan Perez, de Gafman , homme
de grand efprit» & fort expérimenté dans les
armes , & qui avoir commandé en Flandre
en qualité de Meilre de camp * eftoit furpris
d'entendre parler des exploits-de ces gens-lâ,
qui fans autres armes que leurs fuûls,avoicnc
1 pris une Ville ,où il auroit fallu employer du
canon >& faire un fiege dans les formes.
ÙC Freii- Il envoya à Morgan quelques rafraîchiiTe»
dent en­ mens , & luy fit demander de quelles armes
voyé des
M prefens & fes gens fe fervoienc pour ex ecuter des en-
des ra­ trepriies de cette nature » y reüflîr comme
‘1 fraîchi iTc- ils faifoient. Auilî toit Morgan prit un fuiU
m ens à
^lorgan. d’un des François qui eftoit dans fa troupe ,
& l’envoya au Prefident. J ’ay déjà dit que
■i- ces fufils font faits en France ,b n t quatre
pieds & demy de canon, & tirent uns balle
1if des icize à la livre : la poudre donc on les
, charge , eft faite exprès , & ces armes fout
fortjuftes.
Le Prefident fut réjoui de les voir , & fa-
tisfiit de la civilité de Morgan , qu'il n’avoic
pas crû s'étendre jufqu*à ce point. Il le fit
remercier & loiier de fa v aleu r, difanc que
c’eftoit dommage que des gens comme eux
ne fuiTenc employez à une jufte guerre au
icrvice d’un grand Prince ; ôc dans le même
tempi
DËS AVANTURIERS. |r
temps on luy prefenta de fa paît une bao;ne
d^or enrichie d*unea*nn/=» fort
fnrr hellp.
belle Kmeraudc.
Emeraude.
Morgan ordonna à celuy de qui il la rece-
V o it, de remercier le P reiidcnt, & de luy
dire , que pour lefatisfaire , il luy avoir en­
voyé une de fes arm es, 6c que dans peu ,
pour le réjoiiir encore , il luy reroit voir dans
ia Ville me fine de Panama l’adreÎTe avec la­
que.le il s’ en fervoit.
Cependant les Bourgeois de Vortoheîlo lai- Efpagnc^
fez de ces gens, apportèrent devant le temps
p reicrit, la rançon de la Ville , de^s Forts &
des prifonniers,qu'ils payèrent en belles bar- baues
res d’argent. Les Avanturiers ayant receu-d’argeni;
cette rançon , ne tardèrent gueres a décam­
per, s’embarquèrent au plûtoft, fans faire
aucun mal que d’ encloüer les canons des
Forts, de peur que les Efpagnols ne tiraiTenC
apres eux ; 8c ainii ils quittèrent Portobeïlo •
8c firent route pour l’ Ifle de Cuba, ou ils ar­
rivèrent huit jours apres, & partagèrent le
butin felon la maniéré accoutumée.
Ils trouvèrent qu’ ils avoient en or 8c en
arg en t, tant monnoyé que travaillé , Sc en
joyaux , qui n'eftoient pas efiimez au quart
de ce qu’ils v a lo ie n t, deux cens loixante
mille ecus, fans compter les to ile s, foyes, 8c Avanm-
autres marchandifes qu’ils avoient prifes dansrieis,
la Ville, dont ils faifoientpeu de cas : car ils
n’ eftiment querargent\8c lors qu’ ils ont fait
une prife , quand elle feroit la plus riche du
monde, à moins qu’il n’y ait de l’ argent, ils
ne l’eiliment pas. Ayant ainfi partage ce bu- Leurre-
tin, ils vinrent à la Jamaïque , où ils furent touràîi
magnifiquement receus , 8c fur tout
Ca-
■38 H I s T o I R E
Cabaretiers, qui profitèrent le plus avec ;
eux.
Í*'

C h a p i t r e V,

y^ouveatt dejfeln de Morgant F rife de Marée

•Eft TordinAire des Avanturiers depaP


fer bien-toft de I*abondance â la difette,.
Ceiix-cy qui eftoieuc de la même humeur /
apre's avoir diiTipé roue leur argent dans la
débauche, ne penièrent plus qu’à retoiirnet
en couriè, pour en r'avoir d’autre, Morgan/
à qui il avoir auill manqué , parce qu’il n’e-
ftoitpas meilfeur ménager qu’eux , & qu"il
avoit befoin de faire une plus grande dépen- V
I V iè,ibngea â quelque nouvelle entreprifepoue
S’enrichir • 8c dans ce deflfein il donna ren­
dez-vous a tous les Avanturiers qui avoient
des vaiiTeaux à la cofte de S. Dom ingue, â
un lieu nommé Vljle à la Vache,
to
N ouvelle Il donna ce rendez-vous , dans la veué
expedi«
tion de
d*avoir des François dans fa Flotte, ôc d’en '
i'iorgan, faire une coniîderable, afin d’attaquer quel­
que forte place , où il puft avoir aiTez d’ar­
gent pour fe retirer , ÔC vivre plus tranquil­ l?
le, ôc plus â fon aiiè quM n’avoit fait ju f
qii’alors. Il donna ordre mefine à quelques
Anglois d’avertir les Avanturiers de la Tor­
tue , que s’ils vouloient le joindre , il les re-
cevroit bien, ôc les traiteroit de mefme em-
pcichant les mauvaiiès intelligences qui
pourroienc naiftre entre l’une ôc l’autre Na­
tion.
Les
D E S A V A N T U R I E R S.
Les François voyant que Mor[2;an reüiTii^
foie fl bien dans fes encrepnfes, Ôc qu’il ne ^
irevenoie jamais fans butin,eurent del’eftime
pour luy,quoy qu^intereiiec- fi bien que plu-
iieurs fe rendirent au lieu que Morgan leur
avoit marqué. Chacun donc ie preparoir â
venir , & travailloit au plus vifte à raccom­
moder Ton Bâtiment, pendant qu’une partie
de l'Equipa^^e eftoit occupée 'â la chaife,afin
de faler de la viande pour ravitailler les vail-
feaux jufques à ce que l’on vift en quelque
lieu EfpagnoljOÙ l’on en trouvait avecmoins
de peine.
Peu de temps après Morgan vint au ren- forrre
dez vous , 6c trouva déjà deux vaiiTeaux
François quil attendoienr, a qui i! témoigna ‘
beaucoup d’afFedlion , 6c leur promit de les
protéger , 6c de bien vivre avec eux. Il ar-
jriva dans ce temps un Bâtiment de Saine
Malo, nommé le Cerf volant eftoit ve­
nu dans l*Amérique à deftein de traiter avec
les Efpagnols; 6c n’ayant pu y reiiiTir, il s’é-
toit armé en courfe, 6c avoit mis fur ion na­
vire plufteurs Avanruriers delà Tortue.
Ce Bâtiment eftoit monté de vingt-deux
pieces de canon, 6c de huit berges de fonte ,
avec une Barque longue quiraccompagnoir.
Il avoit déjà fiit quelques cour fes vers la
cofte de terre ferme^ 6c rencontré un navire
Génois appartenant aux Grilles ; c*eft une
Compagnie de Génois qui ont feuls le trafic
des Negres dans les Indes du Roy d’Efpagne.
11 avoir attaqué ce navire lequel eftanc
mieux monté que le rien,6ç ayant quarantc-
bujt pieces de capon ^ avec des‘munitions à
• fave-
40^ H I S T O I R E
l*avenant, s*eftoic défendu, ôc avoît obligé
le Maîoüin á fl retirer ; lequel arriva à cette
cofte 5 pour reparer le dommage que l’autre
luy avoit fait.
D cííein Morgan voyant ce navire qui eftoit capa-
de M or-
gan lur un quelque chofe , fit ce qu*il put pour
vailTeau perfuader le Capitaine Maloûin à venir avec
Malouin. juy.maisComme ce Capitainene feavoitpas
bien la méthode de traiter avec ces gens de
1*Amérique, qui eft autre que celle des peu­
ples de l’Europe , il vouloir faire des condi­
tions differentes, & qu’on n’obfèrve point
dans ce pais-là : c’eft poarquoy il n*y reüiTiC
point, & vjDuloit revenir à la Tortue prendre
quelques marchaniifes qu’il y avoit laiiTées,
éc delàpaiTer en France, ■
Les Avanturiers François qiii eftoient fur
fon bord, fçaehant Ton defiein, fe débarquè­
rent , 6c fe mirent avec les Anglois. Qiiel-
ques-uns qu*il avoit irritez , les traitant im-
perieufement, 8c comme des Matelots, refo-
inrent de s’en venger pendant que l’occafion
Plaintes prefentoit:6c pour cela dirent à Morgan
contre le qtic cc Capitaine avoit pillé un Anglois, en"
M alouin. mcr,6c que de plus il avoit une Commiflion
Efpagnole pour prendre fur les Anglois. î
Il eftoit vray que s'eftant trouvé en mer iî
en neceiTité de vivres , il avoit rencontré un-
Biîfimeiit Anglois qui en avoit, 6c s’en eftoit
accommodé après avoir donné un billet
pour s’en faire payer à la Jam aïque, ou à la
Tortue.
Pour la Commilfion Efpagnole, ayant efte
mouiller dans le port de Baracoa, à la bandél
da Nordeft de ITiie de Cui^a y il fit femblanf
de

_ 1
D E S A V A N T U R I E R S. 4i '
de traiter avec*les Efpagnols» & pour mieux
couvrir fon jeu >il dit qu’il venoic demander
un paiTe-port au Gouverneur» afin de pren­
dre furies Avanturiers Anglois de la Jamaï­ K
que » qui faifoient une guerre injufte aux
Éipagnols i ce qu*il obtint facilement.
Morgan avoir écouté tout cecy fort vo­
lontiers» & eftoit dans le deiTein de jouer un ! I
tour au Maloiiin, & de iè mettre en poiTei^
iion de fon Bâtiment j mais il diiiimula juf^ DiiTinu-'
ques à ce que l’occafion iè prefentaft , car il dation de
n’ofoitrien entreprendre y craignant que les
François ne Ten cmpefchaiTent. Il tâcha ce­
pendant de f^avoir finement leur penfée» 6c
lesprefiêntit, pour connoiftre s^üs ne pren-
droientpoint le parti du Maloiiin.
Pendant cela le Gouverneur de la Jamaï­
que envoya un Bâtiment qui venoit de la
nouvelle Angletterre, vers Morgan» monté
de trente-fix pieces de canon»5c de trois cens
hommes. Ce navire ic nommoit Biîkts W^ort^
apartenant au Roy d’Angletterre. qui fa voit Kl
donné pour un temps au Capitaine qui le
commandoir. Ce Capitaine venoit dans le
deiTeindefe joindre à Morgan. & de faire
le voyage avec luv. Morgan à l’arrivée de ce Morgan
vaiiTeau , ne garda plus de mefurcs pouf at-
taquer le Maloüin : il s*cn faifit, & mit le mefur«
Capitaine 6c tous les Officiers prifonniers, avec le
le prenant comme un voleur qui avoit pillé Maloüin,
un Bâtiment Anglois, & comme un ennemy
chargé d’une commiffion pour prendre fur
les Ânglois. Dans ce temps le Bâtiment An­
glois que le Maloüin avoit pillé , félon que
ûifüient les AngloiSj arriva là, & fe plaignit
HISTOIRE
3 Morgan. Le M.iloüin fe defen ^oît iurcè
qu’ii Iny avoir donne un biJIec.* malo;ré roue
cela M organ le retin t to û jo u rs prifonnier.
Quelques jouis s’eftant paiT z,Morgan fie
venir tous les Capitaines des va.iiTcaux A-
iri vanturiers, pour tenir confeil, Içavoir quelle
place on actaqueroit, voir quelles forcesqn
a v o ir, de quoy on eftoit capable, 3c pour
"î: combien de temps on avoir de vivres. Pen­
dant qu*on tenoit confeil , on beuvoit à la
iànté du Roy d’Angleterre , 5c.â celle du
Gouverneur de la Jamaïque. Si les Capitai­
nes iè réjoüiiToient dans la chambre , les au­
tres faiibient de melme iur le Tjllac, ii bien
que jurques aux Canoniers , tour eftoit pris

mm
Etrange de vin. 11 arriva par je ne fçay quel malheur,
que le feu fe mit aux poudres, & le navire H
fauta avec tout le monde qui eftoit deiTus. l(
Comme tous les navires Angloisont leurs
foutes à pondre fur le devant,au lieu que les II
autres Nations les ont fur le derrière , ceux
I qui eftoient dans la chambre n’eurent aucun
5 !i k■
mal que de fe trouver à Peau fansfçavoic
10
b
comme cela eftoit arrivé; mais tout le com­
mun peuple fut perdu , en forte qu’il y eut
plus de trois cens cinquante hommes de
noyez. Le Capitaine Maloüin & iès OiHciers
fe fauverent auifi .• car ils eftoient avec les
Anglois dans la chambre. Quelques An-
glois dirent que c*étoit les François de l’Equi­
page du Maloüin qui avoient caufé ce de-
ibrdre;c'eil pourquoy ils s’alTeurerent de fon
navire mieux qu’âuparavant,5c ne tardèrent
p.ueres à l’envoyer à la Jamaïque , pour le
faire adjuger de bonne piife,lc menaçantou-
if
tre cela de le faire pendre. Les
DES AVANTÜRIERS. 4^ •
Les An2;lois furent quelque temps occu­
pez â pefcher les corps de leurs compaé;-
nons , non pas pour lès enterrer, mais d caû-
fe que la plufpart avoieiit des bagues d*or
aux doigts,comme c’eft la mode parmy cette
Nation.
Morgan , malgré cette facheuie difgrace,
ne laiiTa pas de periiffcer dans ion entrepriie :
il fîtreveuedefa Flotte , où il trouva qu’il
avoir encore quinze vàiiTeaux, & neufcens
cinquante à ibixante hommes, tant François
qu’Anglois, tous vieux Avanturiers , c’eft à
dire (]ui avoientdéja fait cemeftierplufieurs
années. On tint encore confeil, pour voir
quelle place on attaqueroit. Il fut conclu
qu*on monteroitle long de la code jufqu’à I'
Mile de Saône J qui eft la pointe de l’Orienc
de l’Iile Efpagnole. Ce fut là où fe donna le
rendez-vous, en cas que quelque vaiiteau
s*écartaft de la Flotte, afin de la pouvoir re­
joindre en ce lieu avant qu’elle fuit partie , I
on en cas qu’elle le fuft, on devoit laiiTer un
billet en fermé dans un flacon enfoncé dans
terre , marqué d’une certaine figure qui ap-
prendroit le rendez-vous general.
Toutes ces mefutes eftant prifes , Morgati
mit à la voile avec fa Flotte, & navige'a le
long de la cofle de Mile Efpagnole jufqu’au
Cap de Beata, ou autrement lé Cap de Lohs^ , ;^
où il trouva les vents fi contraire,& les cou- Morgan :
rants de mefme, qif il ne put jamais doubler rendez-
ce Cap , quelque effort qu’il fift à cette fin.
Cependont ayant efté là quelque temps , les -
vivres commençoient déjà à manquer. Mor­
gan tint confeil, dit à fes gens qu’il eftoie
Tome i i , Q necei-
44 h i s t o i r e
neceiTaire de faire tout ce qu*on pourroît
pour doubler ce Cap , ôc que ceux qui ne le
pourroient pas doubler, attendiiTent bocca-
fion , & que ceux qui le pourroient, les at-
tendroient dans la Baye d*Ocoay qui n*eft pas
beaucoup éloignée de ce Cap.
Il
Morgan donna ce rendez-vons , afin que
les vaiiTeaux qui n’avoient point de vivres
en pufient prendre , parce qu*il s"y rencontre
Une grande quantité de beftes. 11 avertit les
premiers qui feroient arrivez d’en faire une
bonne provifion» pour en donner aux autres
: qui n'auroient pu doubler le Cap. Après tou­
tes ces précautions, Morgan 5c fa Flotte ten­
tèrent encore une fois à doubler ce Capi ce
t i t' . qui leur reüffit, car le temps fe modéra un
peu lors qu’ils furent fous voile,fi bien qu*ils
doublèrent tous.
yoTHrrutt- Sur le foir on vit un navire, à qui qn don-
te d’im na chaife pour le reconnoiftre ; mais il fem-
voiiieiiu. bloit fçavoir que c’eftoit de fes am is, car il
approchoit à mefure qu’on alloit à lu y , 5c
mit le pavillon Anglois. Il venoit d’Angle­
terre » & alloit à ïa Jamaïque. Sixou ièpt
vaiiTeaux de la Flotte demeurèrent auprès de
ce navire pour acheter de Teau de vie , que
ces gens aiment fort. Le temps eftant tou-»
■( I jours beau , ils refterent avec ce Bâtiment ;
mais le lendemain je croy qu’ils furent bien
furpris lors qu’ils fe virent feparez de leur
General,qui le fut aufii quand il vit qu’il luy
manquoit fept vaiiTeaux. Il entra dans la
Baye d'Ocoa , afin de les attendre.^ Le temps
devint fi mauvais , qu’il fut obligé de fejour-
ner dans cette Baye plus qu’il n'auroit voulu.
•l»
D E S AV A N T U R I E ' R S . 4<
(l ' î l donna ordre aux Equipages des vail-
êI féaux qui eftoient demeurez avec luy de ne
point toucher â leurs vivres » & d’envoyer
JC tous les matins huit hommes de chaque E-
torquipage , qui feroientun corps de foixante
quatre hommes , afin d’aller chaiTcr » 5c
d’apporter de la viande pour nourrir la Floc-
. te. 11 forma encore une Compagnie, qui de*
ifc voit defeendre tous les jours â terre , où un
îfï Capitaine de chaque vaiiTeau eftoit obligé à
n ;ibn tour d’aller â la tefte, pour la feureté des
ChaiTeurs • parce qu’il y avoir du danger,5c
an que ce lieu n’eftoitgueres éloigné de la Ville
^|jide S. Domingue , outre que l’on rencontroic
i^i'quantité de Boucaniers ou ChaiTeurs Eipag-
0^ nols, qui ibnt tres-bons Soldats, ôc que ces
7/ Avanturiers appréhendent fort.
Les Efpagnols n’étant pas en grand nom-LesEfpag-
uibre pour lors en cet endroit, n’oierent rien
entreprendre contre ces gens , & i'e conten-
terent de chaiTer devant eux leurs beftes dans turiers,2c
les bois , de peur que ces Avanturiers ne les deman-
'tuaiTentî cependant comme ils avoient
' foin de vivres , ils mettoient bas tout ce qui •
fe prefentoit à eux,fuiTent afnes ou chevaux ;
i car ces gens ne font pas fort difficiles, man*
: géant tout ce au*ils trouvent, lis ne laiiToienc
' pourtant pas d'avancer tous les jours dans
le p a ïs , & parvinrent à la fin juiqu’où les
Efpagnols avoient chaiTé leurs beftes , le f
quels voyant que les Avanturiers décrui-
îÎoienttout, allèrent trouver le Prefident de
Saint Domingue, à qui ils demanderont du
iècours qu’il leur accorda , en tirant deux
Compagnies de Soldats de fa garnilbn, qui lè
C Z mirent
4^ H î S T O I R IE
mirent en cinbiifcadc nu lieu oii les Aventu­
riers dévoient paiicr pour aller à la chaiTe.
» ufe des Cermins Mulaftres etoient venus vers le
^uiaihes bord de la Mer où ces gens defcendoient or-
l,our iaiie dinairement à rerre»conduifant un petit nom-
Av^n- de beftes qu'ils firent feinte de chaiTer a-
tuHers vec empteiTeinent à la vciië des Anglois,qiii
iians une manquèrent pas de courir apres ; mais
1'
embuica- ^^.5 étoient plus avancez qii’eux,iî
1 f
bien qu*ils ne les purent attraper que fort
proche de leurs embufeades ; d’où il fortic
deux Efpagnoîs avec une petite banderolle
blanche , pour marquer qu’ils vouloient par­
ler. Les Avanturiers leur promirent d’avan­
cer > Sc firent aüiÎi avancer deux hommes.
Les Efpagnols les prièrent de ne pas tuer leurs
Vaches,parce qu’ils en dépeuploient le pais,
leur offrant de leur donner des beltes s’ils en
avoient befoin; les Avanturiers leur répondi­
rent de bonne foy,que s’ils vouloient en don­
ner,on les leur payeroit,qu’on leur donneroic
un efca&: demi pour la viande de chaque
anim al, & qu’ils pouaoient profiter du cuir
i$c du fuif Après avoir aidfi traité ks Efpag-
nols fe rctirerenfi ;• 'jff. .• ,
Ils étoient venus parler aux Avanturiers
pour les amufer feulement, jufqu’à ce qu’ils
euffenr fait avancer leurs Soldats, parce que
le lieu où étoient les Avanturiers étoit fort
‘1 avantageux pour les défaire • & afin de les
mieux perfuader ils firent parorffre quelques
beftes, & lors que les Avanturiers ne fe dé-
fîoient dé rien * ils fe. virent tout d*un coup
encourez des Efpagnols , qui fondirent fur
eux Ôc croyoieûc amfi les tailler en pièces •
mais

è ll
DES AV A N TU R I‘E R s;
mais en un inftant les Avanturiers firent fa­ Les A-
van t lui ers
c e , & fe mirent en une telle pofture qu’ils le battent
pouvoient tirer de tous coftez fur les Efpag- en retrai­
nols qui n’ofoient approcher. Cependant les te,
Avanturiers iè battoient en retraite, & ta-
choient de gagner le bois , craignant que les
Efpagnols n*euÎTenc beaucoup de monde, 6c
ne leur fiiTent de la peine.
^ Alors les Efpagnols remarquant quelque
timidité dans leurs ennemis , voulurent pro­ 1,
fiter de f occafion- & commencèrent à avan­
cer fur eux 5 mais ils furent tres-mal reçus ,
car en un moment on leur tua beaucoup de
monde. Les Avanturiers au contraire voyant
qu*ils ne perdoient pcrfonne , prirent coura­
ge 6c crièrent aux Efpagnols qu*ils ne met-
toient point de baies dans leurs moufquets ,
ou bien qu’ils tiroient en l*air. Cette bravade Bravade
qui coûte
leur coufta cher, car les Efpagnols qui au cher^
commencement, pour ne les pas faire lan­
guir vifoient à leur telle > ne viferent pins
qu’à leurs jambes ; fi bien qu*ils furent obîi-i
gez de fe retirer dans une petite touffe de bois
qui efloit là proche , où les Efpagnols ne les
oferent aller attaquer.
Les Avanturiers enlevèrent le plus promp­
tement qu’ils purent les morts 8c les blefiez
qui étoient demeurez fur la place où s*étoic
donne le combat. Cependant une petite
troupe d'Efpagnols vint au lieu où avoienc
elle les Anglois, 8c ils y en rencontrèrent
deux de morts,ils fe mirent à percer ces deux
cadavres avec leurs épées, lors que les A^- Décharge
vanturiers qu'ils croyoient eÎlre bien loin i mpre*
leur firent encore une décharge, dont ils en veuë.
C 3 tuerenc
h i s t o i r e
tuerent ou bleiTerent h plus grande partiel ^
Les Efpagnoîs s*étant retirez les Avantii-
riers en firent de mefme , & en chemin fai-
• faut ils ne laiiTerent pas de tuer encore quel­
ques beftes pour porter à bord.Le foir ils ar-.
rivèrent â leurs Vaiiïeaux 5 & rendirent
compte au General Morgan de leur avantu-
re, qui à bheure mefme tintconfeil,& le len-
t I demain â la pointe du jour mit zoo. hom-
' mes à terre bien armez , & tirez de chaque
Rcficîcion Equipage pour aller chercher les Efpagnols^,
des Efpa- ^ puis marcha à leur tête où le combat s’e-
gnolCf donné le jour precedent ; mais les Er
pagnols qui s’étoient bien deffiez de TafFai-
re , avoientdéja décampé, & emmené avec
eux toutes les beftes : car ils avoient connu
par expérience , que de chaÎTer des Boeufs
comme ils avoient fait vers les Avanturiers
pour les attirer à leurs embufeades, eftoit
unechofe fort utile àcesmcfmes Avantu­
riers ,& tres-prejudiciable à euxmefmes,
puis qu’aprés avoir perdu tout à la fois , ÔC
leurs hommes & leurs beftes, ils avoient en­
corda douleur de donner de quoi vivre a
leurs ennemis, & d’en recevoir la mort,
i Morgan & fes gens furent encore bien
plus a^Tant, mais ils ne trouvèrent que des
maifoDS abandonnées qu*ils brûlèrent, & re­
vinrent à leurs VaifTeaux. Le lendemain il
tint encore confeil pour içavoir fi l’on iroit
piller le Bourg de jjfo ^mais comme on jugea
que cela n*ctoit point d’importance , & que
. i l’on y ponrroit perdre beaucoup de monde ,
on trouva qu’il valoit mieux fe referver pour
quelque bonne occalion. Morgan ennuye
d’etjcc

*! J
^1
DES A V A N T U R I E R S . 49 1"t
d’être en ce lieu fans rien faire, & de ce que
le refte de fa Flotte ne venoit p o in t, ju^ea
qu'ils fe feroieilt rendus à rifle de la Sao?je ,
où , comme j*ai déjà dit, iljeur avoit donné ; -:i

rendez-vous. Il mit donc à là voile & navi-


gea le long de cette cofte, donnant Fallarme
aux Efpagnols , qui croyoient qu*il alloit
tâqueï S, Domiftgue ^ Ville capitale de cette
lile.
Apres quelques jours de navigation il ar­
riva au rendez-vous, où il ne trouva peifon-
ne » non plus que dans la Baye d*Ocoa ; il re-
Iblut de les attendre encore hu.it jours » &
pendant ce temps il envoya cent cinquante
hommes pour faire defcente dans la Riviere
d*Jlta Gracia 9 âûn d’avoir quelques vivres
pour fa Flotte qui en avoit befoin, ce lieu
n*étant que tres-peu éloigné de cette îile :
Tout le monde s’embarqua dans une Bellan-
dre & dans des C anots, ôc furentlà de nuit
afin de defcendre l terre au point du jour ,
pour furprendre les Efpagnols & faire quel­
que prifonnier de conîequence pour le met­
tre à rançon. L’alarme étant par toute la co-
ftc , 5c les Efpagnols fur leurs gardes >cette pagnoû.
cntreprife fut inutile.
Les Avanturiers voyant les chofcs en cet inquitudc
état ,fe retirèrent tout doucement fans rien de Moi-,
vouloir rifqner.Morgan cependant écoit fort
en peine de fçavoir ce que le refte de fa Flot­
te étoit devenu, 5c ne pouvant plus attendre
faute de vivres dans tous les VaiiTeaux qui
étoient avec luy, il tint confeil fur ce qu’on
devoir faire dans une telle occafion >chacun
fut d’avis d’aller attaquer quelque place
C 4 avec
i J
Vo H I S T O I R E
avec ce qu*on étoit de monde, qui confiiloit
â cinq cens hommes.
Propofi. Un Capitaine François fameux Avantu-
tion d’un j-jer , nommé Pierje le Picard, fît la propo-
A^anm- d*atcaquer » où il avoir déjà
' é t é avec POlonois, Sc dit qu’il ferviroit de
Pilote pour faire entrer tous les V aiiTeaux fur
la Barre , 6c de guide pour conduire par ter­
re, 6c fît voir dans le moment la facilité qu’il
I i: y avoir à prendre cette place, où Ton trou-
veroit aiTez de bien pour enrichir toute la
Flotte. Il parloir fort bon Anglois , 6c Mor­
gan Teftimoir beaucoup,ce qui fit qu*il n-euc
pas de peine à accepterÎa propoiîrion, dont
tout le commun fut content, fi bien que la
refolution priie on fît la chaiTe-partie^â l’or­
dinaire , où on inféra qu’en cas que le refte
delà Flotte vint à fe joindre devant qu’on
euft pris (quelque Fortereffe , elle ièroic
ceuë à partager comme les autres.
Tout étant aini] concerté on laiiTa un bil­
let dans un p ot, enfoui dans terre , comme
j’ai déjà dit,afin que fi les derniers venoienc
ils fceufient où étoient les premiers. Morgan
avec fa Flotte leva l’ancre» 6c prit la route de
terre ferme ,c ’eft à dire du continent. Après
quelques jours de navigation il arriva à l’Ifie
d'OrahAy où il mouilla pour prendre de Peau»
6 c quelques rafraichiiiemcns.
J*ay déjà parlé de cette Ifle,il fufîîra donc
de dire que Morgan-y fejourna vingt-quatre
heures pour y prendre de l’eau 6c de la vian­
de de chèvre qu’on a des Indiens à bon mar­
ché î car pour un efcheveau de fil ils donnent
une chèvre bien grafie , que vingt hommes
aifamca
i'" (

A
fil i
D E S A V A N TU R l ERS.
âiRimez ne ponrroienc pas manger.
Apre's ce iejour la Flotte leva l’anchre 6c
prit la route de Maracaibo. Le lendemain ma­
tin elle arriva à la veuë des petites liles qui
font à renrlbouchure du Lac de Maracaibo^ ou
elle fut découverte de la V igie, qui eft fur
une de ces petites liles de melme nom. Cette
Vigie ne manqua pas d'avertir les Efpagnols
qui eurent le temps de fe preparer ^ car il fic
calme , Sc la Flotte ne put arriver a la Barre
qlii eft l’entrée du Lac , que fur les quatre
heures apres midy. Auili-toft toüt le monde
s’embarqua dans des Canots pour iliuter à.
terre , afin d’aller prendre ce Fort de la Barre^ (Jeicen.
où les Efpagnols faiibienc voir ôc entendre dent à
qu’ils avoient du canon , car ils ne ceiToient
de tirer, quoy que les Avanturiers fuifent clnon des
encore éloignez de plus de deux lieues. ' ennemis»
Il étoit neceifaire de prendre ce Fort, à
caufe qu’il falloir que les VaiiTeaux fe ran-
geaiTent pour entrer dans le Lac. Tout le
monde étant à terre, Morgan les exhorta d'e-
ftre toujours courageux , & de ne point lâ­
cher pied , car on croyoit que les Efpagnols
fe défendroient bien , vu qu’ils faifoient-des
préparatifs, ayant brûlé pluiieurs loges au-*
tour de ce F o rt, 6c qu’ils tiroient inceifam-
ment du canon.
Sur les fix heures du foir Morgan & les us appro-
iiens approchèrent du Fort, qui avoir déjà client d’un
ceiTé de tirer,ce qui faifoit croire aux Avan- ^^[5, ’
turiers qu’ils alloient recevoir une belle fal*^“ *''^
trouvent.
vc; mais ils furent furpris,6c toutefois bien-
aifes , lors qu’en approchant ils n’y virent
peribnne , ôc entrèrent fans trouver de reii-
C 5 ftance*
51 H I S T O I R E
fiance. Ils crurent que peut-eilre les Eipag-
nols avoienc mis des mèches dans les poudres
pour les furprendre , & faire jouer quelque
ininejfi bien que pour fe garantir de cela on
I détacha quelque peu de monde afin d’éviter
ce malheur. On trouva qu’il n’y avoit au­
cune chofe qui pût faire dommage aloiS;
mais il y avoit quantité de mèche allumée>&
de poudre répandue qui alloit jufqu^au Ma-
gazin , fi bien que fi on n*y fût arrivé fur
rheure , ce Magazin auroit faute , & cauié
bien du mal. De forte que quand on n*y vic
point de danger on y entra.
Ce Fort n’étoit proprement qu’une redou­
te de cinq xoifes de h a u t, de fix de long , ÔC
de trois de large î le parapet e^ pouvoit a-
voir une : au deflTus il paroifïbit un pavillori
formant une efpece de corps de garde , qui
jn’étoit pas encore achevé, & au defibus une
cave ou Magazin à poudre,où l’on en trouva
bien deux mille livres â canon , & mille à,
moufquets , avec quatorze pieces de canon
en batterie , tirant 8. 12. & 24. livres de
b alle, avec des grenades, & des pots à feu,
quatre-vingts moufquets , trente piques ôc
autant de ban dollieres. On ne montoit fur
cette redoute que parle moyen d’une efchelle
de fe r, qu’on droit après foy lors qu'on y
croit monté.
Qtiand on eut tout vifité , on fit aufii-roil
abattre le parapet de la redoute? on cncloüa
le canon qu’on jetta du haut en bas, & on
en brûla les affûts. Cela fe fit toute la nuit »
afin de ne pas perdre de temps , & de n’en
point donner aux tlpagnols, qu’on erpyoie
. _. vouloir
DES A V E N T U R I E R S , n
vouloir iè fan ver de Maréeaye, à caufe qu’ils
n*avoientpas tenu bon dans la redoute ; A
la pointe du jour on fit entrer les Bâtimens
dans le Lac , & tout le monde fe rembarqua
pour aller à Marecaye , où avec'toute la dili­ Onfc
reinbar*
gence qu’on put faire > on n’arriva que le que pour
lendemain. M aiecaye
La Flotte étant devant la Ville, on vit pa-
roiftre quelques Cavaliers > qui firent juger
qu*on ie deflPendroit » 6c que les Efpagnols
s’écoient fortifiez. C’eft pourquoy on reibluc
d’aller moüiller proche d’un lieu un peu dé­
couvert , 8c d’y mettre le monde à terre. La
Flotte en mouillant faifoit des décharges de
canon dans un petit bocage qui étoit là , en
cas qu’il y eût quelques embufeades i après
On mit le monde à terre à la faveur du ca­
non» qui droit toujours » quoy qu’on ne vît
perfonne.
^ Cela étant f a it, on partagea tous les Sol­
dats en deux troupes, afin d’attaquer les en­
nemis par deux difFerens endroits, 6c deles
cmbaraiTerpar ce moyen ; mais cela ne fut
aucunement ncceiTaire »car on entra dans la II entre
ville fans trouver aucune refiftance , ny per- flans la ^
fonne que quelques pauvres Efclaves qui ne tSioivri-
pouvoient marcher , avec des malades dans bandon-*
l’Hofpital. On ne trouva mefme rien dans les
maiibns , car en trois jours de temps ils a-
voient tout emporté leurs Marchandifes 6c
leurs meubles ^ fi bien qu’à peine y tfouvoit-
on dequoy vivre. 11 n’y avoir aucun Vaifieaii
ny Barque dans le Port , tout s’étoit fauve
dans ce Lac , qui eft fort vafte 6c profond.
On y fie entrer les VaiiTeaux vis à vis d’un
C 6 petit
^4 H I S T Q|^ R E
petit Fort en forme de demy-lune , oîi Ton
peut mettre fix pièces de canon^ il y en avoit
t ! déjà quatre de fer.
Dés ce meiîne jour on détacha cent hom­
mes pour aller en party, qui revinrent le foir
avec pluiieurs prifonniers, & quantité de
chevaux charç^ez de bagage. Il y avoit des
hommes & des femmes parmy ces prifon-
niers ,q u i n’avoient pas ^apparence d*eilre
riches. A hinftant mefme on leur donna la
gêne 5 afin qu*ilsindiquaÎTent quelqu’un qui
eût caché fon argent. Il y en eut qui promi­
rent de faire prendre du m onde, difant qu'ils
fça voient un homme qui en avoit de caché ,
6c l’endroit où il étoit. Mais comme ils mar­
quèrent pluiieurs endroits » on fut obligé de
faire deux partis, qui allèrent dés la mefme
nuit à cette recherche*
îi envoyé Un d*eux revint le lendemain au ibir avec
pluiieurs beaucoup de bagage , & l’autre fut deux
jours dehors par la faute du prifonnier qui
higitiis. les conduifoir, ayant dit qu’il içavoit quelque
chofcjdans l’efpcrance de le iauverlors qu'il
feroit à la campagne ; de forte qu’il menoic
ce party dans des païs inhabitez » 6c mefme
inconnus, d’où il eut mille peines à fe retirer.
Quand ils virent que cet homme fe moc-
quoit d’eux , ils le pendirent à un arbre ians
en tenir aucun conte,6c en revenant ils trou­
vèrent un , où ils iurprirent du monde
venant de quérir de la viande la nuit» afin
de vivre le jour cachez dans les bois, c'é»
toient des Efclaves à qui on donna la gêne
pour fçavoir où étoient leurs Maiftres : Un
d’eux ibuffritcous ks tourmens imaginables
fans

i!
i: ! i ; i
iîl! h t
V fil s i.
DESAVANTURîEHS.
inns vouloir rien dire , jufques là qu*il fefîc
hacher en pieces rout vif , lans rien confef-
Îèr 5 Tniure fonfTrir beaucoup auiTi, qnoy l'^
qu’auparavanc deluy-donner lagêneon luy
eût promis laliberté : mais il n*en iir point
de cas. A la fin on reroliic de Iiiy en foire au­
tant qu’à ion camarade 5 dont il voyoit les
morceaux devant luy qui palpitoient enco­
re : Alors il avoua , & dit qu*il meneroit oîî
étoit ion MaiÎlre , ce qu’il fit , & on le prit
avec bien trente mille ecus en vaiiTelle d’ar­
gent .* On ram ena à la Ville.
Voilà comme ces partis continuèrent p é ­
dant huit jours de temps, durant lefquels on
fît un aficz bon nombre de priibnnicrs , à
qui on donnoit tous les jours la gêne , & qui
difoient tous d’une commune voix qu’ils ?-
toient p auvres, & que les riches s'^étoient
fauvez à Gilbratar J ce qui ne foifoir point
douter aux Avanturiers , qu'ils ne trouvai^
fent-là autant de refiftance qu^’en avoir trou­
vé ro io n o is 5 trois ans auparavant.
Le Capitaine Picard qui étoir le guide des
Avanturiers, preiTa Morgan d’aller à Gilbra^
m titr avant qu’ils euifent fait venir du fecours
de Merida, Morgan y confentit, & huit jours
après qu’on eut pris poiTeiTion de Marecaye ,
on fit embarquer tout le pillage , les prifou-
ni ers, 6c tout le monde pour aller à Gilhratar,
On croyoit bien y trouver à qui parler ,
chacun en étoit fort prévenu ^ 6c avoir déjà ,r
faitfon Teilamentj car ayant appris de quel­
le maniéré ces gens s’éroient défendus la
premiere fois, on croyoit qu'^ils n’en feroienc
pas moins celle-cy , 6c encore davantage ,
\ puis
;jj
h i s t o i r e
'5 ^
puis qu'ils avoient abandonné le ^ort de h
Bsirre & la Ville de Marecaye ; mais auiTi leur
confolation écoir, que ceux qui en efchape-
roient 5auroient dequoy faire bonne chere
à leur retour à la Jamaïque.
La mort ne fe meile jamais à leurs reflexi­
o n s, fur tout quand ils efpercnc faire un
grand W in j carpourveu qu’il y ait dequoy
piller, ils fe battent comme des lions , fans
tefoucier d'aucun peril, comme nous le fe­
rons voir dans la fuite. Us arrivèrent en peu
de jours à Gilbratar,où Morgan fit deux pri-
foQ^niers, dans le dcifein de les envoyer dire
au Gouverneur, que s’il ne rendoic pas ce
Bourg de bonne volonté , il ne luy feroic au­
cune grace.
Le Capitaine Picard qui avoit déjà été là,
8c qui fçavoit les endroits périlleux , fit def-
cendre le monde environ à un demy-quarc
de lieue du Bourg > & marcher à travers les
bois, afin de venir prendre les Efpagnols par
derrière, en cas qu’ils fe fuifent retranchez
dans le Bourg, comme ils avoient fait quand
l'Olonois les prit. Cependant les Efpagnols ti-
roient beaucoup de canon , ce qui faifoit
d ’autant plus croire qu’ils écoient fur la dé-
fenfive.
Enfin quand on eut gagné le derrière, on
trouva auiTi peu de difficulté à entrer dans le
Bourg , qu’on avoit fait dans M^m^^^,quoy
qu’à la vérité ils euflent eu le dcifein de fe re­
trancher ; mais ils n’eurent pas aifez de
tem ps, Ou ne fe crurent pas aflez forts pour
pouvoir refifter , ayant tout abandonné , 6c
fait quelques barricades fur les chemins où
ils
DES AVANTURIERS.
ils âvoienr porté du Cânon,en cas qu'ils eul-
iènt efté fuivis de trop prés en faifant re­
traite.
Morgan & fes |>ens entrèrent de cette ma­
niéré dansle Bourg, auili paiiiblement qu’ils
avoient fait dans les autres places. Auffi-toft
on fongea à fe p o iler, & à former un party
pour tafeher de prendre quelques prifon-
niers. On en envoya un de cent hommes dés
ce meÎîne jour avec le Capitaine Picard, qui
fçavoit ce chemin,6c qui valoir autant qu*un
guide.
Cependant les Anglois trouvèrent dans ce Avantma
Bourg un Efpagnol aÎTez bien couvert» qui ^omme
les fie juger quec*étoit un homme riche & pris par
de condition. On Pinterrogea en mefme les A n-
temps , & on lui demanda oh eftoit allé le
inonde de ce Bourg . il dit qu’il y avoir un
jour qu’ils écoient tous p artis, mais qu*il ne
leur avoir point demandé où ils alloient » 6c
que cela ne luy importoit point. On le preiTa
de dire s’il ne fçavoi t pas où étoient les mou­
lins à iiicre , il répondit qu’il en avoit veu
plus de vingt en fa vie^on s’enquit encore de
luy où l’argent des Eglifes étoit caché , il ré­
pondit qu’il eftoit dans la Sacriftie de la
grande Eglilè >ôcles y mena, leur fit voir un
grand coffre où il pretendoit l’avoir vu ; &
comme on n’y trouva rien ,il leur dit qu’il ne
Içavoit pas où on Tavoit mis depuis.
Toutes ces choies faiibient affez voir que
cet homme eftoit fou ou innocent : cepen­
dant pluiîeurs crurent qu’il faifoit cela pour
s’^échaper ^ car les Efpagnols font fins & a-
droics. On luy donna Teftrapade, pour le
faire
H I S T O I R E
füire confeiTcr qui il eftoic, & où edoit Ton
nrgent : on lelnifTa bien deux heures fufpen-
dir^vecdes pierres à fes pieds ^ qui pefoienC
bien nutant que toutfon corps • de forte que
fes bras eftoient entièrement tors. A ces de­
mandes tant de fois réitérées il réj:5ondit qu*il
s’appelloit Dom Sebaftien Sanches , que le
Gou verneur de eftoit ion frerejqui
avoir plus de cinquante mille écusà luy ^
que fi on vouloir un billet de fi main , il le
donneroic 5 afin qu’on les p'iift fur cet hom­
me, 8c qu’on le laifTaft aller finis le tourmen­
'r■ ter davantage. Apres il dit qu’on le mifl: hors
■'\ V
■:' t de cette gêne , 8c qu’il enfeigneroit utie Su­
crerie qu’il avoit. Us le laiiTerent libre , 8c le
'f
menèrent avec eux.
Quand il fut à une portée demoufquet du
Bourg, il fe tourna vers ceux qui le tenoient
lié , & le menoient comme un crimineliQue
me voulez-vous, dit-il, Meilleurs, jefuis un
pauvre homme qui ne vis que de ce qu’on
me donne , 8c je couche à l’Hoipital. Cela
mit tellement ces gens en colere, qu’tls vou-
îoient encore le pendre 8c le battre cruelle­
ment- Ils prirent mefine des feuilles de Pal-
mifte , qu’ils allumèrent »pour le flamber, 8c.
brûler tous fies habits fur fon corps j fi bien
qu’ils l’auroient faiofi quelques-uns plus pi­
toyables n’cuiTent délivré cet homme de leurs
mains.
Le lendemain matin le Capitaine Picard
revint avec un pauvre Païfan qu’il avoic
pris» 8c deux filles qui ciloient à luy. On
!
donna la gêne à ce bon vieillard , qui dit
'i qu’il msiaeroic. aux habitations) mais qu’il
ne
ïifl
DES A V A N T U R I E R S .
ne fçavoit pas où eftoit le monde. M orgaa ,
iè prépara liiy-meflîie pour aller en party
avec trois cens hommes, dans Tintention de
ne point revenir qu"il n’euft aiTez de pillage*
pour s’en retourner à la Jamaïque. Il prit
pour guide ce bon vieillard qui avoir efté
mené le jour precedent. Le pauvre homme
efloit tellement interdit,qu''il ne fçavoit où il
alloit 5 & prenait fouvent un chemin pour
l'autre. Morgan croyant qu’il le faiibit ex­
piés, le fit terriblement battre,& fur le midy
il prit quelques efclaves,dont il fe fervit pour
I le conduire , & fit pendre ce vieillard à un
I arbre, à caufc qu*un eiclave avoit dit que ce
8in ’cftoit pas là le bon chemin.
^ Ce mefn# Eiclave fe voulant vanger de
I quelques mauvais traitemens que les Efpa- Vengeâd;
àgnols luy avoient fait, pria Morgan deluy d’ur.
^•vouloir donner la liberté , & de l'emmener
»avec luy , qu*il luy feroit prendre beaucoup
lîde monde; ce qu'il fit, car avant le foir il
?Î découvrit à Morgan plus de dix à douze fa«
milles, avec tous les biens qu’elles poife«
^doient.
‘i _ Morgan voyant cet Efclave bien inten-
âtionné,lem it en liberté, luy ordonna de tuer
ipluiieurs Efpagnols ; & à ce deiïein l’arma '
*ld*un fabre , & luy promit qu’il ne lèroit ja-
a mai:> plus efclave : ce qui l’anima tellement, »
Jf qu’il fit fon poiTible pour faire prendre tous
aies Efpagnols, qnoy que cela fuft malaifé ,
parce qu’il eftoient errans dans les bois, n’o-
iifoient demeurer dans les habitations, ni cou-
h cher plus de deux nuits en un mefme endroit,
îj de peur que quelqu’un des leurs eftant pris ,
a ne les décoliYiift. Ep
is H I S T O I R E
En fuite Morgan fit quelques prifonnîerS 'j
qui luy dirent que vers une grande R iviere,
à fix lieués de Gilbratar, il y àvoit un navire
de cent tonneaux , avec trois Barques char­
gées de marchandifes & d’ argent aparte-
nant aux habitans de Maracaibo, Aufli-tofi: il
détacha cent hom m es, & leur donna ordre
d’amener le pillage au bord de la mer avec
les prifonnierSjOÙ eiloient les Bâtimens qifou
devoir aller prendre.
Cependant Morgan demeura avec deux
cens hommes à courir dans les b o is, afin de
It chercher des Efpagnols, ou plûtoil leur ar-
Décou- mefme jour il arriva à une fort
verte que belle habitation, où il trouva tout proche du
fait Mor- monde caché dans des bois , oîi entr*autres
eftoit un vieux Portugais avec un i^utre hom-
fajty, lï’e plus jeune. Ce vieil homme, âgé de plus
de foixante ans , fut aceufé par un Efclavè
d’eftre riche • 8c là-deiTus mis à la torture ,
pour luy faire avoiier oîi eftoit ion argent j
mais il ne dit rien,finon qu’il avoit cent écusi
mais qu*un jeune homme qui demeuroit a-
vec luy les avoit emportez, 8c qu’il ne fça-
1 . 1i. I voit point où il eftoit : cependant iur l’ac-
,t ;
cuiation de TEfclave on ne le crut point ,
mais on le tourmenta plus fort qif aupara­
vant.
Cruauté Après luy avoir donné l’eftrapade avec
inoiiie. une cruauté inouïe,onle prit 8c on l’attacha
par les deux mains 8c par les deux pieds aux
quatre coins d’une maiionfils appellent cela
nager à fee jon luy mit une pierre qui pefoic
bien cinq cens livres iur les reins , 8c quatre
hommes touchoienc avec des bâtons fur les
ÇOi-s
;0

t
DE S A V A N T U R I E R s.
p^cordes qui Ictenoient attaché ; fi bien que
ilto u t fon corps travailloit. Nonobftant tout
(Mcela il ne confeiTa rien.
M On liiy mit. encore du feu fous luy , qui
âlu y brûla tout le vifagej & on le laiiTa là
S'pendant qu’on commença à tourmenter Ion
É camarade , qui apres avoir eRé eftrapadé ,
Jî fut fufpendu par les parties que la pudeur
il défend de nommer,lefquelles luy furent prêt-
üi que arrachées, & on le jetta dans un foifé .•
ai on le perça de pluiieurs coups d’ép ée, en
ic ibrte qu’on le laiÎTa pour morc,quoy qu'il ne
le fuit pas ; car quinze jours après on eut
nouvelle par quelques pi ifonniers,qifon l’a-
voit trouvé , qu’on l’avoit fait confeiTer, 5c
en ibite penfer,& qu’on efperoic qu'il revien-
droit de toutes fes play es , quoy que les
coups d’épée perçaiTent au travers du corps.
Pour le Portugais, ils le chargèrent fur un
cheval, l’emmenerent à GiWratar , & le mi­
rent dans la grande Bglife , qui fervoit de
prifon, feparé des autres prilbnniers, lié à un
pillier de l’Eglife, fans luy donner à manger
ny à boire que ce qu’il luy falloir pour l’ena-
pefeher de mourir. Après avoir fouffert huit
jours ce martyre , il avoua qu’il avoir mille
écus dans un gevre qu'il avoit enfoüys dans
terre; & dit qu’il les donneroie, & qu'on le
lailfaft aller.
Un autre Efclave acenfa auiE fon Maiftre
d’avoir bien de l’argent ; parce qu'il Tavoit
maltraité , il trouva ce moyen de s’en ven­
ger. On donna une gene cruelle à cet hom-
1 m e; fl bien que tous les priionniers Efpa-
i gnols,gcns de bonne foyjdirent que cec hom-
i , me
I5 l H I S T O I R E
n
tne n’nvoit pas de grands biens. Sc qu’appa«
r! reininent fon Efclave avoit dit cela par quel­
que reiTentimcnt. C eft pourqnoy Mor^ati>
luy voulut faire juÎHce,& luy permit de faire
Infticc de fon Efclave ce qu’il voudroic .* mais par
ti que fait civilité dit qii*il ièroit fatisfait de la puni-
Morgan plairoit d’ordonner. Morgan le
clave qui “ t nacher tout vit par morceaux en la pre-
avoit tra- fence j ce quifatisfitl’Efpagnol , quoy qifiÎ
hi Ton fuf^ fort mal traité , & en dan2;er d’eilre
cftropié.
Morgan ayant paifé quinze jours hors de
Gilbratar â courir les bois,& à piller par tour,
il revint à cette Ville avec beaucoup de pii-'
t■ îage & de prifonniers , qu’il contraignit de
payer leur rançon. Pour les belles femmes ,
il ne leur demanda rien , parce qu’elles a-
voient dequoy payer fins diminuer leurs ri-^
cheTes. Pendant qu*il fut abfent, ceux qu'il
avqit envoyez à la Riviere dont j’ay parlé ,
t; revinrent apres avoir pris le navire Sc les
trois Barques chargées d'Efpagnols fugitifs,
-'ll avec leur argeat & leurs hardes. Morgan
avoit fejourné cinq femaines en ce pais en
le rava_geant plus de quinze lieues aux envi­
rons,, fans avoir perdu un feul homme ; Sc
Lâcheté’ fans doute c’eftoit bien la faute des Efpa-
gnolsj car s'ils avoient eile refoins, ils pou-
^ voient avec cent hommes défaire tous les
partis que Morgan envoyoit dehors • parce
que les Avanturiers voyant les Efpagnols
ainiî épouvantez, ne craignoient rien, Sc ne
I / fe tenoient non plus fur leurs gardes, que
s'ils avoient eilé chez eux. D’ailleurs ils paf-
foient quelquefois par des défilez où dix
hom-!
t ■

P^
D ES A V ANTtJRIERS.
EHÎîommes retranchez en aurpienc pû défaire
di deiix cens fans en perdre un ièul iàns
iqu’il puft échaper aucun des ennemis •• ce­
Î pendant ils furent aiTez lâches pour ne le
O point faire.
Morgan eiVoit preit à partir , quand un
n prifonnier de nouveau confeÎTa dans les
K tourmens, qu*il fcavoic bien où eiloit le Gou- b
verneiir retranché avec du monde, & avec :h
3 beaucoup d'argent. Morgan y envoya au
jf. mefme temps un party de deux cens hom-
if m e s , lequel fut huit jours dehors , & revint
JÍ fans avoir rien fait,aprés avoir eilé fort mal
il traité par une pluye qui fit débordertelle-
c ment les Rivieres,que les Avanturicrs eftant
iJ: dans un pais marécageux 3c inondé, pen-
é ferenteftre noyez, 3c perdirent leurs armes :
rr quelques-uns mefme furent entraifnez par
»les eaux; fi bien qu'ils revinrent en mauvais rPiÎjl
»itécat, 3c mal fatistaits de leur voyage:deforte
ijque files Efpagnols fuiTenc furvenus avec
iîeu rs lances feulement ils lesauroient tous
► I défaits avec facilité.
[ , Après cinq femaines de fejonr en ce lieu ,
a le pillage commença à diminuer , 3c auiTi les
ïij vivres, car ce pais n*en a pas beaucoup j la
Qviande vient de Marecaye , qui reçoit de ce
q pays toutes fortes de fruits. C'eft pour cette
?" raiion que nos Avanturicrs refolurent de re-
); tourner à Marecayej afin de forcir du Lac , 3C ■f
de repaifer à la Jamaïque. Cependant Mor­
gan fit embarquer tout fon pillage,3c dit aux
habicans de Gilbratar qu*ils euffent à payer
rançon pour le Bourg, autrement qu’il al-
)| Joicle brûler^ comme l'Olonois avoic fait.
Tout
'll
^4 h i s t o i r e
Tout ce Bour" eftoit rebâti de neuf; c*eft
pourquoy les Eipac;nols ne voulant pas le
.i ; l-iiiTer brûler une fécondé fois , offrirent à
Morgan d*aller chercher la rançon qu*il de-
maiidoit» pourvu qu’il leur vouluft donner
du temps. Il leur accorda huit jours, après
lefquels ils dévoient le venir trouver à Mare^
ca y t , où il alloit, & à cette fin il prit les prin­
cipaux en oftage , & fit voile pour cette lile»
où il arriva trois jours après.
V

C hap I T R E VI.

tietour de Morgan à Marecaye . la vicdotrt


qtdil remporta fur Dom Alonfe del Campo
d*Efpitîofa ,quil*efioit venu enfermer dans u
Lac,

Mauvaîfe 1k Organ â fon retour apprit bien-toft unc


nouvelle I V j nouvelle qui ne luy plut pas trop , non
plus qu’aux fiens : car ces gens n/aiment
■ ® gueres à difputcr le butin quand ils l’ont
pris. Cette nouvelle portoit que trois Fréga­
tes du Roy' d’Eipagne eftoient arrivées à
remboLichure du Lac,commandées par Dom
Alonfe del Campo d’Efpinoia Contre-Ami­
ral d*une Flotte *que ia Majefté Catholique
avoit envoyée dans les IndeSjfur les plaintes
que le Gouverneur avoit faites â la Cour des
hoftilitez des Avanturiers dans TAmerique,
fur les terres dépendantes de fa Majeftcîque
ce Contre-Amiral s’efioit emparé de la Re­
doute de la Barre , fur laquelle il avoit mis du
1 i canon , 6c eiloit tout-à-fait dans le deiTem
d’ar-

■ i
DES A V A N T U R I E R S 'ê^
*arrefter les Avanturiers , & de les paiTer
| tous au fil de l*épee.
^ Morgan 8c fes gens crurent qu’on leur fai*
I foie le mal plus grand qu’il n’etoit • mais
» pour en avoir la certitude , il envoya un pe-
3 titvaiiTeau de fa Flotte à l’embouchure du .
K Lac , afin de découvrir ce que c’eftoit; 8c on
fï luy rapporta que cette nouvelle n’eftoit que
) trop vraye , car il vit les trois Frégates en 'TroisFrc.
fi parage avec tous leurs pavillons, pavoys , |o?cFEli
> 8 c le canon aux labots,le grand pavillon ar- pagne *
boré fur la Redoute , fur laquelle > aufli bien viennent
quefurles trois vaiiTeaux , paroiiToit beau-
xoup de monde.
Cela mit Morgan & tousles iiens fort en
peine , car ils n'ignoroient pas que quand
les Efpagnols font les maîtres, ils ne pardon­
nent gueres,8c d’autant moins qu’ils ne pou­
rvoient oublier les cruautez qu'on avoit ex­
ercées envers leurs compatriotes.
On tint confeil, Sc on refblut de demander
toujours la rançon de la Ville de Uarecaye »
8 c quand ce viendroit à paiTer à la Barre , on
pourroit capituler. A cet effet on envoya
deux Efpagnols , à qui on dit qu’il falloic
vingt mille écus pour la rançon de la Ville ,
ou qu'on la brûleroit, fans que les navires
qui eftoient à la Barre en puffent empefeher;
parce que s’ils vouloient l’entreprendre ,
Morgan feroit paffer au fil de l’épée tous
ceux qu’il avoit entre fes mains.
Cela effraya de telle forte ceux qu’on avoit
retenus , qui eftoient tous confideiables ,
qu’ils donnèrent ordre aux Envoyez pour la
rançon, de prier ceux qui eftoient â la Baroe
de
é€ H I S T O I R E
de lailTer pafTcr Morgan & tous les fiens $
qa'autrcinent ils eftoient en danger de per­
dre la vie aufli bien que la liberté. Deux
jours apres ces Envoyez retournèrent, 6c
- rapportèrent une Lettre de Dom Alonfe pour
i,
Morgan, qui eftoïc conccue en ces termes.
L ettre 5c Alliez. é>‘*nos Voifins m'aya.nt donné avis
! 'I étrange que vom aviez, eu la hardiejfe, nonohfiant la paix
prefent
q u ’on en.
^ la forte amitié qui efi entre le Roy d*Angle­
voye à terre (3 ^ fa Majeflé Catholique le Roy d’Efpagne
•f. M organ. mon Maiflre^ d'entrer dans le Lac de Marecaye ,
pour y faire des hoftilitez. ^piller fes Sujets ,^en fih
les rançonner ; j'ay cru qu^il efioit de mon devoir
de venir au plâtofi poury remedier. C'eft pourquoy
je me fuis emparé d'aune Redoute a Montrée du
Lac , que vou4 aviez, prife fur des gens laches ^
^jfeminez j ^ Vayant remife en état de défenfe ,
je pretensy avec les navires que j*ay icy ^votis faire
rentrer en vous mefme ^ ^ v o u s punir de vojtre
témérité. Cependant fi vous voulez rendre tout ce
que votes avez pris, l*or, Vargent , les joyaux , les
prifonnisrs éa les efclaves , toutes les marchan-
difes, je vom laifferay pajfer pour retourner dans
vofire pays : mais fl voiis refufez la vie que ja
•vous donne,^ que je ne devrais pas vous donner ,
je monteray jufqu'ohvous efies, ^ vous feray
tous pajfer au fil de l'épée. Voilà ma derniere re-
folution, voyez ce que vous avez à faire, n'irritez
pas ma patience , abufant de ma bonté , carj'ay de
vaiîlans Soldats , qui ne refpirent qu'à Je venger
des cruautez que voui faites tous les jours injufie-
tnentrefientir à la Nation Efpagnole,
Du Navire nom m é >a Madelaine, moüiMé à l’em ­
bouchure du Lac de Marecaye,le 2 4 . Avril i66c,
D. A l o n s b D £L C a m p o d’Espinosa.
Ou-
^ft';l

D E S A V A N T U R IE R s, ey
Outre rela ,D om Alonfe avok donné or­
dre au porteur de fa L ettre, de prefenter de
fa part à Morgan un grand baffin plein de
boulets de canon, Sc de Iny dire que c’eilroic i I»
la lamonnoye donc on payeroit la rançon
qu il pretendoit » Sc que clans peu Iiiy-inefintî
viendroit en periortne la payer de cette mon*
noyé.
AufTi toil Morgan aiTembla tout lem ona­
de , fit lire publiquement là Lettre en An-
glqis » Sc apres en François, Sc en demanda
avis. Tous repondirent qu’il ne falloir pas
s etonner de ^ s menaces EfpagnoIeSjSc queRcfolu-
pour eux ils eftoient refblus de ie battre jui-cion des
qu’a l’extremité , plûtoil: que de rendre c e Avamu-
qu’ils avoient pris.
Un Anglois de la troupe dit à Morgan,que
luy douzième le faifoitfort de faire périr le
plus grand navire, qu’on croyoit au moins
de quarante-huit pieces de canon, â l’appa­
rence qu’il avoir j & toutefois le plus o^rand
Batiment de nos Avanturiers n’eftoit monté
que de quatorze pieces. Neanmoins Mor­
gan voulut voir s’il ne pourroit point com-
pofer avec les Eipagnols ; Sc pour ce ilijet il
envoya un Efpagnol a Dom Alonie avec les
propofitions fiiivantcs.
Qii il quitteroit Marecaye fans y faire aii-
cun t o r t , Sc fans demander rançon; qu’il
rendroit tous les prilbnniers avec la moitié
des eiclaves , (ans en rien prétendre.
Qiie la rançon de Gilhratar n^eiliant pas
encore payee,il rendroit les oftages fans ran-»
çon ny pour le Boiug , ny pour eux.
Dom Alonfe^bien loin d’accorder ces pro-'
Tome l î . D pofitions. C

ï
’^ 9 H I s T O I E
i\
pofitions 5ne voulut pas feulement les voîrJ
Valors Morgan i5c fes gens s’obftinerent, ÔC
Hecerminerent de le tien défendre, afin de
conferver leur pillage »quoy qifü n*y euft
f ^ guercs d*apparence, parce que les forces Ef-
pagnoles eiVoient fans comparaifon plus
grandes que les leurs,& qu’ils ne pouvoient
àucuncmenr échaper» le paiTage eftant étroit
. , 6 c bien gardé.
I: Cet homme qui avoir fait la propofition à
M organ,dont nous avons parlé, la mit en
Stratagê- pratique. J*ay dit qu’on avoir pris un navire
niv; (l'un dans la riviere des Efpines: on en fit un Brû-
Avantu- Jqç ^ Qi^ emplit le fond de feuillages trempez
dans du godron , qu*on trouve en aiTez
grande quantité dans la Ville. Tout le mon­
de y travailla d*une telle force, que dans huit
jours il fut p reft, & en état de faire effet,
n’y manquant rien de ce qu*un Brûlot doit
avoir.
Mais afin de tromper les Efpagnols, & de
déguifer ce navire , on y avoir fait des fa-
bors , aufquels on avoir poié plufieurs pie­
ces de bois creufes, qui paroiifoient comme
du canon. De plus, on avoir mis fur des bâ­
tons des bonnets, pour y faire beaucoup pa-
roiftre de monde. Morgan mefmc fit arborer
fon pavillon d’Amiral fur ce vaiiTeau,afin de
le déguifer davantage. Tous les autres e-
iVoient bien difpofez à fe battre.
Cet Equipage ne dura que huit jours â e-
ftre prepare, au bout dei'quels Morgan def-
çcnJic de Maracaibo à l’entrée du Lagon , 5C
fut moiiiller à la portée du canon des vaif*
fpaux Eipagnols, (jui failbient fanfare, pn-
loiiTanc

[\l\
""■S"

D E S À V A N T Ü RI E H S. ep
roiiTant des Chateaux aiipre's de ceux des A-
vanturiers ,qui ne fembloicnt que de Bar­
ques de Pefcheurs. Ils demeurèrent là juf*
ques au lendemain matin. i'
Le plus grand navire Efpagnol eiloîc
moüillé droit au milieu du c a n a l, qui n*elt
pas fort large , ôc les deux autres eftoienc au
deiTous de luy. Ce navire que les Avantu-
riers avoient fart en Brûlot, fut ranger TA- i i
nniral des Efpagnols fans tirer un coup > car "î.
il n*avoit point de canon, L*autre croyant
que c’eftoit unmavire plein de monde qui le lll
venoit aborder , ne voulut pas tirer non plus
qu'il ne fuit prés : cependant le Brûlot l’ac­ ir"
crocha. , ' ^3 4
i Dom Alonfe s’en apercevant, voulut le
raire detacher > envoya du monde dedans lot.
I
pour couper les m a ts, car les Anglois n’y
mirent le feu que lors qu’il fut bien accroché
& rempli d’Efpagnols. En un moment on vit
ces deux vailfeaux en feu , 3c Dom Alonfe
n*éut que le temps de fe jettera corps perdu
dans fa Chaloupe , de fe fauver à terre.
D’abord que ce vaiiTeau fut cnflamé, ou
courut auxautres,& on en aborda un qu’on
fît bien-toft rendre î & l’autre, qui eftoit le
dernier , coupa virement les cables, 5c fut
emporté par le Courant fous le F o rt, où il
fut confumé ayant qu’on puft eftre à luy ; iî
bien qu’en moins de deux heures il y eut bien
du changement.
Les Àvanturicrs voyant que les Efpag ' Avanm^c
nols avoient du pis , voulurent pouifer leur
fortune , 6c mirent promptement du monde
-à terre pour aller prendre le Fort;mais n’ayant >Jl
D Z point
70 HISTOIRE
point d’ecM les pour refcaladcr, ils trouvè­
rent tant de. reiiftance , qu’ils furent con-
I► '■ i
. craints de fe rembarquer , ayant perdu dans
cette occafion plus de trente homrr.es, fans
compter les bleiTez : car ils avoienc pris les
navires làns perdre un feul homme.
On en iauva quelques-uns du grand navi­
re, qui eiloient à l’eau, par qui on fceut tou­
tes les forces de Dom Alonie. Ils dirent qu’il
eftoic dans le dcffein de tout paÎTer au fil de
Vepée, que pour cela il avoir fait faire fer­
ment à les gens, confirme par la Confeifion
. I' & Communion»de né point donner de quar­
tier à qui que ce fulh. Ils ajoutèrent que ion
grand navire eiloit monté de trente-huit pie­
ces de canon , de douze berges de fonte > 8c
de trois cent cinquante hommes; que le deu­
xième navire , nommé le Saint Loiiis, e.fioic
monté de vinge-fix pieces de canon » de huit
berges de fonce , 5c de deux cens hommes :
le troifiéme ,*qui fe nommoit la Marquife ,
avoir quatorze pieces de canon, huit berges
de fonte , 5c cent cinquante hommes.Ce na­
vire fe nommoit laMarquiic , à caufe que le
Vai/Teau Marquis de Coaquin l’avoit fait bâtir pour
foarquoy courfe , fes armes citoient derrie«
Coa^quiu. Efpagnols f avoient acheté des Ma«
louins à Cadis*Ce fut celuy-là que les Avan-
turiers prirent. Le Saint Louis fut brûlé par
les Efpagnols mefines, qui avoientpeur que
les Avanturiers ne le priilcut aufiî.
Outre tout cela, ils firent entendre qu*il
ionn£ y avoit quatre-vingts hommes dans le Fort,
tioni’.entà avec quacorzc pieces de canon • que Dom
Aionic citoic Contre-Amiral d'une Efcadre
DES A V A N T U R I E K S . 7ï
que le Roy d*Efpa?;ne avoic envoyée dans
les Indes» dont AuguiVin de Gofto eftoit
C hef J lequel ayant ordonné à ce premier de
venir croiier le lon^ de la cofte , avoir ren­
contré un petit Batiment Hollandois venant
de Curaçao , qui luy avoir appris que Mor­
gan eftoit entré dans la Baye de Marecaiho, Sc
qu’auiïi toft il avoic mandé du fecours .• 6c
enfin ces mefmes prifonniers dirent qiril y
avoir trente*iîx mille écus dans le grand na­
vire.
Morgan iè voyant ainiî vic5torieuxj retour­ Morgarj
na avec toute Îa Flotte à M arecaye , & laiifa
nn petit VaiÎTeau à l’embouchure du Lagon» rienx CVî
obfervi r
pourobferver ce que feroicDom Alonfe, 5 c l’e n n e tri,
pour garder le fond du grand Navire qui é- g a rd ti
toit échoué , où on efperoit faire pefcher cet un Vaif-
feau c-
argent que les prifonniers avoieut dit eftre choüé 5c
dedans , & en effet on y plongea , & on tira plein
bien deux mille livres d^’a rg e n t, tant en vaif- d ’argent,
felle qu'en piafties,qui écoit à demie fondue,
6 c demeurée en gros morceaux.
Morgan étant arrivé à Marecaye envoya
iour la rançon de la Ville, 6c dit que ü on ne
Î a luy apportoit dans huit jours , il la bruile-
roic- outre cela il demanda cinq cent Vaches
pour fa Flotte , que les Efpagnols amenèrent
dans deux jours , 8c payèrent la rançon delà
Ville , dans le temps que Morgan leur avoit
preferit.
On tua ces Vaches 6c on en fala la viande,
qui tut embarquée pour la provifion des
Vaiffeaux , qu'on racommoda , ce qui dura
encore quinze jours, que les Efpagnols trou-*
Verenc bien ennuyeux. Après Morgan def»
D 3 cendic
7i H I S T Q I KE
Morgan pour fortir du Lac-quand il fut proche
il-nroiderde Dom Alonfe, il envoya un Eipagnol luy^
f afifage. demander paÎTage, offrant de rendre les pri-
ibnniers fans’leur faire aucun mal^finon qu’il
paÎTeroit malgré luy , mais qu’aufli il atta-
cberoit tous les prifonniers aux cordages de
fes Vaiifeaux» les expoferoic à leurs coups,&
qu'écanr paifé , ceux qui n’auroient pas efté
tuez aillesferoittons jettera Leau.
Nonobftant cela, Dom Aloniè refufa pal^
' I
fage, difant qu’il ne fc foucioir point des pri-
I •
fbnniers. Morgan de Ton cofté ne voulut
point rifquer cîe monde pour prendre cc
F o rt, & refolut plûtoft de paifer par quel­
I
que ftratagême.
Cependant il falut partager le butin » o a
r, trouva que le contant^tant en argent rompu»
qu’autres joyauximontoit â 2 ^o.piaftres,fans
y comprendre les Marchandifes de toiles §C
les étoffes de ioye. On fit, avant de partager j
les ceremonies ordinaires , c*eft à dire le fer­
ment de fidelité qu’on n’avoit rien retenu^
Morgan commença le premier , & fut fuivi
de tous les autres.Huit jours fe paiTerent dans
ce partage, que Dom Alonfe voyoit de fort
Fort avec bien du dépit.
}A^roan Aprés tout cda il fut queftion de fortir,&
Il :■ rour%f pour en venir à bout on fe ièrvit de cette ru­
ler. fe.On fit de grands préparatifs pour l’attaque
I •' I
du Fort,comme fi on Teuft voulu prendre>6c
Ton mit un bon nombre d’Avanturiers choi-
I ! '■ . fis avec leurs armes & leurs drapeaux dans
I nr.i des Canots, qui defcendirenc à terre ; AiiiTi-
toft qu’ils furent à couvert des arbres, fans
que ceux du Fort piuTcnclesappercevoir, ils
ie

hI
DES A V A N T U R I E R S . yi
fe couchèrent à bas, 8c revinrent prefque en
rampant à leur bord.
Dom Alonfe voyant cela, ju<>ea que les
'Avanturiers vouloienc tenter encore une fois
la priiè du Fort ; 8c pour Tempefeher il fit
mettre la plus grande partie de Ton canon
iiir la redoute du coilré de terre. ^ Cependant
les Avanturiers avoient préparé leurs Vaif-
ieaux pour paiTer la nuit au clau* de la Lune»
Ils eftoient tous couchez fur le tillac>8c quel*
ques-uns eftoient deftinez en bas pour bou­
cher les ouvertures qui pourroient eftre fai«
tes par les boulets de canon. De cette manié­
ré les Avanturiers paiïerent malgré Dom A-
lonie,qui en fut au defeipoir .• car il croyoit
en prendre quelqu’un à qui il aurait fait
payer bien cher la perte qu’il avoit faite.
Les Avanturiers eftant ainiî paÎTez,mirent Prifoit.
tous les prifonniers dans une Barque qu*i!sen-
voyerent à Dom Alonfe fans leur faire aucun
m a l, 8c eux prirent la route pour foj’tir de la'
Baye de Venezuela » ou Marecaye , où ils l*a-
voient échapé belle. Le mefme jour les A-
vanturiers furent furpris d*un mauvais temps,
6 c avoient le vent contraire ; leurs vaiÎTeaux
ne valoient pas grand chofe. en forte qu’on
avoit peine à les tenir fur Teau, 8c qu’ils fu­
rent tous en danger de périr. Malheureufc-
ment pour moy je me rencontray dans uiv
des pires.
Jeiùisfcurqu’ily en a beaucoup qui font-
des vœux au Ciel,qui nefe font janrnis trou­
vez dans une peine égalé à la noftre , nous
avions perdu nos ancres 8c nos voiles, 8c le
vent eftoit fi furieux, qu*il ne nous permet-
D 4 toit
•74 H IS T O IR E
Fxtrême toit pas d’en mettre d'autres. II faloit fané
desiv*^an. vuider Tean avec des pompes , & fe fer-
tuiiers, vir encore de fceaux pour la jetcer hors du
Navire qui feièroit ouvert,fi nous nel*avions
fortement lié avec des cordes. Cependant le*
tonnerre & les values nous incominodoient
egalement Le tonnerre nous aiTourdiifbit par
lés éclats redoublez , les vagues nous rom-
poienc par leur extrême violence. II nous e*
toit impoiTible de dormir durant la n u it, à
caufe de l’incertitude de noftre deitinée,en­
core moins durant le jour.
• En effet, bien que nous fuiTions accablez
de travail 6c d'affonpiffement, 6c nous ne
pouvions nous reibudre â fermer les yeux à
la clarté,que nous étions liir le point de per­
dre pour jamais ; car enfin il ne nous reiloic
aucune eipcrance de iàlut. Cette tempefte
duroit depuis quatre jours,6c il n'y avoir au­
cune apparence qu»elle duft finir. D*un cofté
nous ne voyons que des rochers, où nos
Vaiffeaux eiloienc prefts de périr â toute
heure; de l’autre nous avions les Indiensjef-
quels ne nous auroientpas plus épargné que
lesEfpagnols qui effoient derrière nous ; 6ç
par malheur le vent nous pouffoic fans ceA
fe, 6c contre ces rochers, 6c vers les Indiens,
6 c venoit de l’endroit où nous voulions aller.'
Pour comble de diigraces , nous apperç li­
mes fix grands Navires au ibrtir de la
de Ve7iez.ueU que nous avions quittée . fi-toifc
que le mauvais temps eut ceffé. Ces Navires
nous allarmerenc terriblcment»fans toutefois
nous faire perdre l'envie de nous bien det-
fendre , remarquant que Monfieur d’Eitre?,
Î : il: qui

I■

f if
~xi
DES AVAîiTURIERS. 7^
qui les commandoit nous faifoic donner la
chaiTe. Mais lors que nous redoutions ia va- Monfîeuc
leur , nous éprouvâmes fa bonté j car s’étant d ’Efteez,
informé de nos beibins , il nous iecourut^e-
hereufement. Après cela chacun tira de ibii
cofté ; Morgan avec pluiîeurs des iiens à la
Jam aïque ^ 6c nous à la coite de Saint Do-
mi ngue.

l A PRISE DE LA FAMEUSE VILLE DE


Panama » & de toute fon lithum e, par
Morgan, avec une defeription de ce Pais,
jufques au Cap Gracia à Dios , & les
moeurs de divers Indiens qui y habitent.

C h a p i t r e V II.
Arrivée de Morgan à Efpagnoîe ^ avec fa
Vîotte, Defcente en terre ferme,

A profperité a coutume de rendre les


__ hommes hardis à entreprendre, en forte
que pour avoir efté quelquefois heureux en
des chofes difficiles & inefperées, ils prefu-
ment qu*ils le feront toûjours 5 & mefiTiepar
je ne Içai quel bonheur il arrive qu’ils le font
Ibuvent , ainfi qu’ils l’ont prefumé. Ce fut .1- t
dans cette efperance que Morgan forma de
nouveaux deiTeins , qui tendoient à des en-
treprifes plus grandes que les premiers , fui-
vies d’unfuccés fi avantageux » qu’elles luy
avoient donné autant de gloire,que de crain­
te aux Eijiagnols , qui croyoient que rien ne
pouvoir eitre impoifible à fa valeur.
D 5^ Cepcn-i
'jé H I s T O I R Ê
cîrande Cependant il ne voulut point perdre clô
d?Mor?" , & penfa à profiter de Poccafion ,
i;an,em- lors qu’il eftoit en fortune : c ell pourquoy il
prcfl'e- fît avertir tous les Avanturieis » tant Fran-
Av^aÎitu-* qu*Anglois de la Jamaïque , delà Tor-
liers àle Saint Domingue , â deiTein de for­
iuivtc. * mer une armée coniîderable , & d’attaquer
une place d'importance , aiTurant que s’il
remportoit la vid:oire,ce qu’il ciperoit,cha­
cun auroic aiTez de bien pour fe retirer ; 6c
eue pour luy , il fe il a toit que ce ièroit Ton
dernier voyage.
A cette propofition il n^y eut peribnne qui
»’ouvrît les yeux , & ne voulût fuivre Mor­
\\\\ gan , il ne manquoit que de VaiiTeaux pour
embarquer tout le monde qui s’emprefToit de
le joindre , & c'eftoit mefine une faveur de
trouver une place dans Tes Navires.
, Morgan donna rendez-vous à la bande du
2 nd de l’Iflc Ffpagnole , au Port Congon.
Tous les Avamuriers François ne man­
quèrent pas de s’y trouver , & toil apres ils
flirent fiiivis de Morgan qui inontoit le Na­
vire Maloüindont j’ay parle,nommé le Cerf
volant, fur lequel il avoit mis vingt-quatre
pieces de canon Sc huit berges de fonte. Ce
Navire avoir efté confifqud par le Gouver­
neur de la Jamaïque,fur le Capitaine à qu’il
nppartenoit, qui rut bien-heureux d’en eilre
quitte pour cela , & de conferver fa vie.
La plus grande partie des Avanturiers e-
Rant aliemblcz , 6 c fe trouvant au nombre
defeizecens hommes 6c de vingt-quatre
Vailfeaiix, Morgan tint confeil avec eux, 6c'
leur dit qu'il avoir deiTein de les enrichir en
atta-
D^ES A V A N T U R I E R S . 77
attaquant une place abondante en toutes
fortes de biens , 8c qui fe mift en defence ,
parce que , difoit-il » où les Efpagnols fe dé­
fendent , il y a à prendre, & là deÎTus propq-
fa qu’il faîlo it, pendant que Voa donneroic
caréné aux VaiiTeaux, que quatre Baftimens
fe détachaÎTent 6c allaiTent en terre ferme, a-
fin d’y faire une defcente , 8c de prendre une
petite place pour avoir des vivres, comme
mil ou bled de Turquie.
Mors;an propofoic cecy , connoiiTant par
experience que fouvent les Avanturiers a-
voientmal reuiTi dans leurs entreprifes,faute
de vivres» 6c qu'au lieu d’attaquer lesEfpag-
nols dans des lieux fo rts, on ne les atcaquoic
que dans des foibles , n’ayant pour but que
de prendre dé*s nourritures pour la Flotte, ce
qui faifoit toujours découvrir leurs deiTeins,
& cnempefchoitrexecution.
Chacun fut de Tavis de Morgan , 6c tous M oyen
approuvèrent fa prévoyance-, lî bien qu’on '^ontfe
refolut que quatre VaiiTeaux avec ^juatrc
cens hommes iroient en terre ferme prendre rierT pour
la Riviere de la Hache, fur le bord de laquel- avoir cics
le il y a une petite Place nommée la Ranches vivres,
ri^jOÙ il fe fait beaucoup de Mais pour la vil­
le de Caftagene,^ qui n’eilpas loin de là. On
eut auiïi en vene en attaquant cette place,de
s’emparer des Barques qui viennent de Gar-
tagene pour pefcher les perles.
Cette rcfolution prife , on prépara les qua­
tre Navires,deftinç^ pour ce »voyage, 6c on
forma les Equipages du General jide.toute la
Flotteî c’eft à dire que de chaque Equipage
de Vaiifeau on priç certain nombre d'hom-
D 6 mes»
7* HIST OIR E
mes, Jufques à ce qne le tout raiïeinble' fofi.
mât un corps de quatre cent hommes. Ce­
pendant Mor2;an donna ordre à tons les Ca­
pitaines de faire racommoder leurs Vaif-
féaux , 8c d*envoyer une partie des leurs à la
chaire,afîn que tout le monde fuft occupe' à
travailler au bien general de la Flotte.
Prccau- La commodité de ce lieu étoit grande pour
! tioii
M
de
an vivres, car il y a beaucoup de San-
\if\ ^iifT euf. fauvages ; fî bien que chaque Equipa-
ùt dans pouvoir fe léparer par le pais qui eft aiTez
>I ion en- étendu, 8c là ialer autant de viande qifils
irepiiie, voudroient.Ceux qui nepouvoient pas chaf­
fer eux-meiiues , comme les Anglois qui ne
! font pas fort experts à ce métier , pouvoienC
il! s r1
ill ! prendre un Chaifeur » à qui on donne ordi­
nairement cent cinquante., du deux cent
piailres.il y a là des François qui ne font au­
tre chofe, ayant des meutes de chiens dreiTées
à cette chaiTe » fi bien qu*un feul Chaifeur
peut charger tous les jours vingt ou trente
hommes. Ainii chaque Equipage des Anglois
prit un Chaifeur François aux conditions
que j*ay marquées. -

" C H A P t T R E Y I I I.
trife de la Riviere de la Hache par les gens
fî . ■de Morgan,
I‘i
E s quatre Navires que Morgan avoîii
- détachez arrivèrent à 1^ veue de la Ri­
viere de la Hache jours après leur départ
fiff] de Mile Efpagnole, où ils furent pris de cal­
m e;

fi')' 1»:
I * '1«
I
DES AVANTURIEHS.
me î ce qui les fît découvrir par les Efpag"
nols 5qui ie mirent auiTi'toft en défence ,
voyant bien que ces quatre Navires avoient
quelque deiTein^qui ne leur pouvoir eftre que
tres-prejudiciableîii bien qu’une partie d’eux
travaillèrent d’une grande force à faire des
retranchemens, afin d’empefcher les Avan-<
turiers de fc mettre à terre j pendant qu’une
autre eftoit occupée à cacher leurs biens
pour ne rien laiiTer dans le Bourg.-
Ce calme dura jufqu’au foir,qui empefcha
les Avanturiers d’approcher. Dans ce temps
il vint un petit vent de terre,dontun Navire
qui eftoit là mouillé prit l’occafion d’écha-
per, mais comme il n’eftoit pas fi bon voilier
qu’eux , il le devancèrent, 6c l’obligerentà
fe rendre. Ce Navire leur vint fort à propos^
car il eftoit chargé.de Mais pour Cartagene,
& fut reconnu par quelques François r.c^e-
ftoit celuy que l’Olonois avoir pris chargé
de Cacao , 8c que Monfieur Ogeron avoie
envoyé en France avec fa charge, 6c après
Ibn retour l’avoit donné à un Avanturier
nommé le Capitaine Cham pa^e^qui fut pris
parles Efpagnols, qui depuis l’avoientvendu
à ce mefme Capitaine Marchand qui lemo’ti-
toit alors. Il dit que c’eftoit le ciouziefme pertecon^
Navire que les Avanturiers, tant François, c^erabie ^
qiVAnglois luy avoient pris dans l’efpace de
cinq années , 6c quenonobftant toutes ces '
pertes il avoit encore gagné cinq cens mille
écus. On peut juger par la s’il y a des gens
riches dans r Amérique. ‘
■ Après que nos Avanturiers fe furent faifis
de ce N avire, ils vinrent mouiller devant la
Rivière
HISTOIRE
tifri^rs^”* Kiviere de la HAche, vis à vis da Bourp^ de la
defcen- ^^»cheria, OUils efperoientle lendemain ma-
dent à tin defcendre à terre , ce qu*ils firent dés la
terre & pointe du jOLir. Les Eipa^nols n*oublierenc
tem les' empefcher , s’eftant retranchez
Eipagnols ^ti bord de la mer / mais malgré tons leurs
:
efforts,les Avanturiers â la faveur de leur ca­
non mirent leur monde à terre,& obligèrent
■ IP les Efpagnols â fe retirer au Bourg, où ils é-
toient auifi bien fortifiez , & dans la refolu-
tion de leur en deifendre l’entrée.
Les deux parties s’opiniâtrèrent tellement,’
que le combat dura depuis dix heures du ma­
tin jurques au foir, où à la fin les Efpagnols
ayant perdu beaucoup de m onde, furent o-
bligezde fe retirer, & de prendre la fuite.
Les Avanturiers eifant entrez dans le Bourg,
è c n’y trouvant que les maifonsr vuides , fans
perdre de temps pourfuivirent les Efpagnols,
où ils en firent une partie de pi ifonniers , à
qui dés le lendemain ils donnèrent la gêne
cruellem ent, pour leur faire dire où eiloit
leur bien^aprés ils furent en party,où ils pre-
noient tous les jours de nouveaux prifonniers,
plufieurs Efclaves & quantité de pillage.Les
Lfpagnols pour fe garantir de ces violences;
firent des barricades par les chemins , où ils
le mirent en embufeade pour fe défendre, Sc
faire autant de mal aux Avanturiers qu’ils en
îccevoient, & enfin les obliger â fe retirer.
Apres qu’ils eurent demeuré dans ce Bourg
un mois, Ôc ne trouvant plus rien â prendreT
le Capitaine Bradclet Anglois leur Comman­
dant refolut d ép artir, & fît avertir les Es­
pagnols de fonger a payer rançon pour leuç
I' Bourg,
‘7r-
, D E S A V A H T TTR IE ^ S. ^ "
ÎSourj^ 3 iinon qu’il le brûleroit ; ils reeurenC
cette propoiition fort froidem ent, & lar re-
jetterent meiiue avec mépris : mais lors
qu*i!s le virent preft à l’executer, ils deman-
ûerent à compofer * les Avanturiers qui ve-
noient là plûtoft pour avoir des vivres que
du butin » leur prefcrivirent de donner une
certaine quantité de M ais, qui avec celuy
qu*ils avoient déjà pris pouvoir iuffîre pour
toute la Flotte.
On s*eft npperceu, fans doute »que je fuis
tombé dans quelques redites au iùjet des A-
vanturiers 3 & cela parce qu*ils font ibuvent ^ *
les mefmes chofes, ce qui peut-eftre ne ferâ
pas a^reabîe ^ mais bon doit faire reflexion
qu’il ne faut pas qu’un Hiilorien craigne tant
d’eilre ennuyeux, qu’il ne ionge encore da­
vantage Z eilre fideîe .■C’efl: à quoy je me
fuis appliqué dans cette Relation , qu ejere-
t prends pour dire » que Morgan étonne que
ces quatre Vaifleaux tardoient Along temps
â venir , nefçavoit queibupçonner.TantoÎt
il s’imaginoic qu’ayant fait un grand butin,
ils s*en feroient retournez à la Jam aïque,
tantofl: il craignoit qu’ils n’euiTent efté bat­
tus 3 à caufe que le lieu où ils eftoient allezV^erplcxiff
pouvoir facilement eftre fecouru de Cartage^.
ne & de Sainte Marthe, ® i i

Enfin nefçachant que juger d’un fi long


retardement, il balançoit à prendre des me-
furcs pour un nouveau deÎTein » dont il a\oic
déjà fait quelques ouvertures â Tes meilleurs
amis 3 & en eftoit venu jufqu’à le vouloir
communiquer à tous, & pour cela avoir fait
aflcmbler le cocfeil , lors qu’on apperçuc,
cinq
H I S T O I R E
R e to u r cinq Vaîlfcaux & une Barque. On envoya î
des Vaif-
feaiu;. l’in (tant lesreconnoiftrc; mais comme ils a-
voient le vent favorable,ils ne tardèrent pas
â tirer Morjian de peine en arrivant auprès
de luy. AuiTi-toft le Capitaine Bradclet luy
^uité de rendit conte de ce qui s’eiloit paiTc';En m e t
j^jrie temps Morgan donna ordre que le Maïs
fût partagé à toute la Flotte felon la quanti­
té de monde que chaque VaiiTeau contenoit:
quant au pillage on le donna à ceux qui a-
voicnr rifqué leur vie pour avoir ces vivres.
Le Navire que Ton avoir pris vint fort d
propos, car un Capitaine François nommé le
Gafeon avoir perdu le fîen ,& Morgan luy
donna celuy-cy du confentemenr de tout le
monde : Enfin cette Flotte citant ainil prefte
â faire voile,Morgan marqua le rendez-vous
nu Cap Tihron , afin que fi quelqu’un eftoit é-
carté de la Flotte par quelque tempefte , il la
pût joindre en ce lieu. ’
Le Cap Tihron eft la pointe de l’Occident
de Hile Efpagnole, lieu tres-commode pour
toutes fortes de VaifTeaux , qui y peuvent
prendre du bois 8c de l’eau, chofes neceÎTai-
.. ^ res, 8c fans lefquelles on ne peut naviger.
Morgan fut le premier au rendez-vous , où
J’ il artendit fa Flotte qui y fut auifi en peu de
jours.ll y vint encore quelques VaiÎTeaux de
la nouvelle Angleterre , qui avoient armé à
la Jamaïque, dans le deÎTeiu de joindre Mor­
gan*, lequel après avoir fèjourné un peu de
temps au Cap Tihron , fe vit Chef d’une Flotte
de trente fept Vaiifeaux » tant petits que
grands. Celuy qu’il avoit eftoit le plus confi-
derable, 8c monti >comme je Tay déjà dit
de
D E S A V A N T U R I E RS*
3 e 24. pieces de canon, & de huit Ber<çesde
fonre. Tous les autres écoienc montez de 16,
14.12.10. juiques à quatre pieces de canon,
qui eftoient les moindres.
On fît reveu’é, 8c on trouva au nombre de
deux mille deux cens hommes tous armez à
davantage, Ôc relblus de fe bien battre pour
avoir bon pillage.
Après cette reveuë Morgan tint confeil de
guerre avec tous les Capitaines, 6c les au­
tres principaux Officiers,pour reibudre quel­
le place on attaqueroit.-~On en propofa trois *
içavoir 5PanamayC^rta^ene , 5c la Vera Crtix > LesAvafÿ^
dans le Golfe de neüv^ Efpagne. On ne fit longentturicrs ne
point de reflexion iür les forces que ces pla­ point au
ces pouvoient avoir , on ne fongea qu'à ex­ peril,m ais
aminer s*il y avoir bien des richeiTes , 6c au au bating
moyen de les avoir.
Dans cette conteflration on trouva que
Panama eftoit celle dont la prife feroit la phis
avantageufe, parce qiVelle eftoit la plus riche
des trois, fuppofe que les Gallions du Perotü
fuÎTent arrivez,où l'on pourroit prendre Pur­
gent du Roy 6c des Génois, outre celuy des
particuliers ; ce qui pourroit monter a une
fomme confiderable,& oui en valoir la peine.
Il ne faut que de femblaples motifs pour fai^
re entreprendre à ces gens-là des choies en<
core plus difficiles. ■ .
Enfin on arrefta 1*attaque de Panama , SC
les moyens dont on lé ferviroit pour y reuffir,
6c on conclut de prendre iTflc de Sainte Ca^ Ifle de S*
therine , pour avoir des guides qui condui- Catheri­
ne,Galere
roient l'armée à parce que cette Ifle deslnde^
citant coa^me la Galere des Indes du Roy
. '
§4 H I S T O I R E
d’Erpai^ne , on y trouveroit des Bandits rele^
guGz qui feroient bien-aifes de ièrvir de gui*
de J & de fortir ainiî de l’efclavage.
Il faut avouer que la fortune aplus de parc
dans les entreprifes des Avantoriers,que leur
bonne conduite ; car d’aller attaquer cette
lile , n’ayant d'autre but que d’avoir un gui­
de »c’edoic une grande témérité , puifque fi,
elle euft voulu combattre/defFendiië comme
'1 »1 elle eftoit par une bonne garnifon , & par
'J' l’avantage de iès Forts,elle auroit pu défaire
trois armées comme celle des Avanturiers,cc
que l*on connoiftra aiiez par la fuite.
Après cela on fit la chafle-partiejôc on af»
fembla tous les Capitaines pour convenir
tnfemble de ce qu’on donneroit â Morgan
il i • '''*■
SI t;e Amirauté. On propofa de luy ac*
-♦ donna à corder fur chaque cent hommes le lot J*un
Morgan homme. Cela fut publié par toute la Flotte ,
A°rnirau” demeura content. Après tous les Of-
^ " ficiers convinrent en leur particulier de ce
I ' qu*on donneroit à chaque Capitaine pour
fon VaiiTeau , qui fu re n t, h u it, dix » douze
Iih lots , ou parts d’hommes , felon que le Vaif*
1. j! ' I ièau eftoit grand, outre ion lot encore avec
' 'I ! ' les autres.
On fit auilî un compromis pour recompen-
fer ceux qui fc fignaleroient ; Sc comme il ie
trouve des curieux qui ne veulent rien ignor
rer , c'eft pour les fatisfaire que j’infere" icy
cette cha{Te-partie»contenant quelque chofc
de plus particulier que celles qu’on a déjà
veuës,ainiiqu’o n lc v a CQimoiftre par les,
articles fuiv ans.
Çh^jpB»
OES avantijrieks ;
Ui"
' Chajfe^partie remarquable,

Celiiy quiofteroitle pavilion ennemy d*ii-


ne Fortereife pour y arborer le Pavillon An^
glois,auroic outre fa part cinquante piaftres.
Celuy qui prendroit un priibnnier lors^
qu’on voudroit avoir des nouvelles de l’en-
nemy » au ro it, outre ion lot f cent piaftres.
Les Grenadiers auroient pour chaque gre­
nade qu’ils jetteroient dans un Fort^cinq pia­
ftres outre leur part.
Quiconque prendroit un Officier de con-
(îderation dans un combat,y rifquant fa vie,,
feroit recoinpeafé félon le mérité d el’ac-
tion.
Dans ces mefmes articles on n*y avoit pas
oublié les eftropiez.
Celuy qui auroit perdu les deux jambes,re-^
cevroit quinze cens ecus, ou quinze Efcla-*
ves,au choix de l’eftropié, en cas qu’il y euit
afTez d’Efclaves»
Celuy qui auroit perdu les deux bras , au^
!1 roit dix-huitcent piaftres, ou dix-huit Eicla-
v e s, au choix de Teftropié, comme on
dit.
Celuy qui auroit perdu une jam be, fans
diftincftion de la droite ou de Fa gauche, au- ^
roit cinq cent piaftres, ou fix Efclaves*
Celuy qui auroit perdu une main ou un
bras,ians diftincftion du droit ou du gauche,
auroit cinq cens ecus »ou fixEfdaves.
Pour la perte d’un œ il, cent piaftres , ou
un Efclave , au choix de l’eftropié'.
Pour la perte des deux yeux ►deuxmilta
piaftreSj,
tg H I S T O I R E
piaftres, ou vingt Efclaves , au choix de I*e-
itropié.
Pour la perte d*un d o ig t, cent piaftres,ou
un Efclave »le tout au choix de Teitropié.
En cas qu’une partie ou membre fuil*
eftropie » tellement que la perfonne ne s’en
(: puft aider, il auroit la mefme recompenic
que il ce membre avoit efté emporté ou
coupé.
En cas que quelqu*un fuit bîeÎTé au corps,
obligé de porter la canule , il auroit cinq
cent piaitrcs, ou cinq Efclaves, à ion choix.
On devoir recevoir routes ces recompen-
fes outre la part ordinaire de Teitropié , 8c
ces recompenfes dévoient eftre prifes iiir le
total du butin avant que de le partager. On
inféra auflî dans ce compromis ; qu’en cas
qu’on prit quelque vaiffeau, fulfe en mer,oir
dans un havre, on devoit le partager à toute
la Flotte,hormis que s’il eftoit eftimé plus de
dix mille écus, il y en auroit mille pour le
premier vaiiTeau de la Flotte qui l’auroit a-
bordé , & de chaque dix mille écus que le
vaiffeau pourroit valoir, celny qui l’auroic
pris en auroit mille écus d*avance a partager
entre fon Equipage feuî.
Chaque Equipage promit au Chirurgien
5 c au Charpentier une recompenfe ; â î’un
) pour fes remeJes >& â l’autre pour ion tra-
;vail; fçavoir au premier deux cent piaiVres
outre fon lot 56c au dernier cent outre fon
lot.
Le tout eftant ainfî réglé, 6c chacun fatis-
fait,M organ délivra des Commifïîons aux
Capitaines q u ia ’en avoieac point : elles e-
ftoienc
DES A V A N T U R I E R S . 87
il (Voient données en vertu de celle q ue Je jGe-
3, nernl de la Jannaïque avoir accordée à Mor- cordées*
»:gan pour prcndrefnries Efpagnols par droit par Mor*
5 de reprefailîes, parce qu’ils s’emparoient deSf” aux
/ tous les navires Anu;lois 5 qui eftoient oblî- „ èT d e'fa
t gcz d’entrer dans leurs ports de PAmérique. Flotte,
I; Apres il fe fit reconnoiftre de tous comme
j Amiral &c G eneral, fît prêter le ferment de
l fidelité, & partagea fa Flotte en deux efcra-
dres fous deux difirerens pavillons : une fous
le pavillon Royal d’Angleterre , qu'il portoit
L,au grand mats ; 5c l’autre fous le pavillon Avanm-
d blanc , quoy qu’Anglois. ricrs.
Ceux qui eftoient de ion Efcadre,portoient
derrière un pavillon rouge avec une croix
fi blanche , qui eft le pavillon du Parlement;5c
alfur le Beaupré , le pavillon Royal méfié de
itro is couleurs, fçavoir bleu,blanc 5c rouge,
IJiCeux qui eftoient de TEfcadre blanche, por-
>ltoient derrière un pavillon blanc avec qua­
il tre petits carreaux rouges à un des coins 5 8c
if u r le Beaupré , le pavillon R oyal, comme
i’ay dit.Morgan créa aufli des hauts Officiers,
§ qui commandoient ces Efcadres; comme un
^ Amiral du pavillon blanc , deux Vice-Ami-
î:; raux , 5c deux Contre-Amiraux. Quoy que
d ces Dignitez nefuiTent qu’honoraires, ceux
P qui les avoient, ne laiflbient pas d’cftre obli-
gcz 6c fournis à Morgan. Outre tout cela il y
ij avoir des ordres pour chaque vaiifeau partie
id culier»en cas de combat,ou de nuit, ou dans
d un mauvais temps* Il y avoir encore un fig- signai en
q nal particulier» auquel chaque vaiifeau fe^^^^de
Ë devoir mettre 8c ranger à ion devoir,comme
Q on fait ordinairetnenc en Europe dans les
Hot-

i
is H I ST O I R Ë
flottes de conièquence.Tout eftant ainiî or­
donné , Morgan commanda qu*on fe tinft
preft àlever l’ancre , & au premier fignaLde
mettre à la voile*

C h a p i t r e I X.

Départ de Morgan, Vrife de VIJle de S a in ti


Catherine,
O r g a n ayant mis ià Flotte en bon’
ordre,n’oublia rien de ce qui eftoit ne-
ceiTairepour executer fon entrcprife. 11 par­
tit le 16, Décembre de l’année 1^70. & prie
la route de Sainte Catherine. Cemefme jour
fa Flotte eut connoiiTance que deux grands
Coup navires alloient à Flilc de Cuba. AiiiTi-toft il
manqué, détacha quelques vaiiTeaux pour leur don­
ner la chaÎTc • mais ils ne les purent prendre,
â caufe que les vents eftoient contraires , 6c
ces navires en meilleur équipage que ceux
des Avanturiers , qui reconnurent à leur pa­
villon que c’eftoit des Hollandois.
Ce fut un bonheur pour ces vaiÎTeanx d"e-
ftre échapez de Morgan, quilesauroit pris 6c
gardez jufqu’à ce que fon voyage euil efté a-
M organ à chevé,s*il ne leur avoir fait pis.Quatre jours
h veuë après il arriva fur le foir à la veu’é de l’Iile de I,
deiifle Sainte Catherine } 6c Morgan envoya deux
C atheri. petits vaiiteaux devant le p o rt, pour taire
AC, garde toute la nuit, afin qu’il nMchapafl per-
Ibnne qui puft aller avertir en terre ferme.
Le lendemain fur le midy toute la Flotte ar­
riva â cette lile, 6c fut mouiller à une Rade
Dom'
h
DES AVANTURIERS; ï?
^ nommée I*J^ uaJa grande ^ où les Efpagnols
iif avoicnt une batterie de quatre pieces de ca­
ll non , qui eftoic abandonnée. La Flotte n'y
i. fut pas plûtoft, que Mor2;an fit mettre mille
cl; hommes à terre» & marcha luy-mefine à leur
tcfteau travers des bois, n*ayantpour guide
que ceux qui avoient efté à la prife de cette
I lile, lorfque Manfwelt s*en rendit maiftre ac­
compagné de Morgan.
i; Le foirils arrivèrent en un lieu ou les Ge-
iff neraux Efpagnols faifoient autrefois leur le-
iifîdence : mais depuis qu*ils ont repris cette
Ifle ils ont quitté la grande, & iè font retirez
é iu r la petite, qui en eft fi proche, qu'on paiTc
I de Tiinea l’autre fur un ponr. Ils avoient tel-
llem ent fortifié cette petite Ifle, qu’ils la pou-
Dijivoient difputer à une armée de dix mille
ihommes : car en tousles lieux acceflîbles il
i y avoit de bonnes batteries, 6c des Forts a-
vantageux.
I Morgan 6c les fiens eftant venus en ce lieu»
[J: furent obligez d*y camper pour y pafler la
li nuit » car ils ne pouvoient marcher pendant
>!,l*obfcurité parmy les bois, ayant encore plus
'il d’une grande lieue â faire , 6 c n’eftant pas
dans le deflein d’attaquer des Forts de cette
nature qu’en plein jour, où Ton peut voir ce
que l’on fait. Alors il commença â tomber Pluyefii^
i une pluye aufli froide que furieufe j fi bien “cufe,
|q u e ces gens abattirent trois ou quatre mai­
llions pour fe chauffer.
Ce qui fut une grande imprudence • car
ces maifons auroient bien fervi à les mettre â
; couvert, 6c à empeicher que leurs armes 5c
deurs munitions ne fe moüillaifent ; mais
croyant
IJi.

H I S T O I R E
croyant que cette pluye ne dureroit point j
comme il arrive quelquefois en ce pais, ils ne
: - f l l iî ibn2;erent pas plus loin. Cependant elle dura
plus quele feu, car elle ne ceiTa qu’au Jende-
;Í iTiain midy; ce qui incommoda beaucoup nos
Avantiiriers,qui n’avoient qu’un caneçonSc
une chemife pour tous vêtemens, & les nuits
font là pour le moins de douze heures ; de
forte qu’elle leur parut fort longue à paÎTer.
Ajoutez à cela le perii oîi ils eftoient,puiÎI
que fl cent Efpai^nols fuiTent venus fondre ; 1
fur eux le labre à la main,ils les auroient tous
de'fairs, ne pouvant s’aider de leurs armes,
qui eftoient toutes mouillées , & eux touf
tranfis de froid.Ils fe tenoient debout les uns
contre les autres pour s’échauffer , car pour
fe coucher, il leur eiloit impofl'ible où ils e* ^ f-
fto ie n t, ayant de l’eau jufqu’à myjambe. t j
Ainfi ils fe voyoient prciTez de la fiim, in- ÎJ*
ondez de la pluye , accablez de laiTitude,
parmy tous ces maux fans aucun foulage- r
ment. En cet état ils fe croyoient plus mifera- î
blés que s’ils avoient eilé environnez de
leurs ennemis , avec lefquelsils auroient p u '
com battre, vaincre, ou mourir glorieufe-
ment.
A la pointe du Jour les Efpagnols com­
mencèrent à battre la Diane , & à faire une
^décharge de canon de de moufquets.Nos A- In
vanturiers n’en purent faire autant» car leurs
Tambours eftoient mouillez auiïi bien que
îeurs arm es, qu’ils nepouvoient recharger,
a caufe de la pluye qui comboit d’une telle
force , qu’on voyoit destorrens fe précipiter
des montagnes ; en forte qu’ils ne fcavoi^nc

à
Drs AVANTURIERS: 9^
èù Fuïr, & que Teau inondant de toutes
parts >leur fermait le paiTage pour retourner
aleurs vaiiTeaux.
Sur le Midy le Soleil commença à paroi-
'i ftre» & la pluye à cefTer* Alors Morgan en­
voya quatre hommes avec un pavillon blanc
dans un Canot au Fort des Efpagnols , pour
les Îbrnmer'de rendre fifle , & leur dire que
îj s*ils faiibient reiîftance,il mectroic tout â feu
I & à iàng. Auiïi-toft le Gouverneur envoya le
I Major de rifle,& un Alferez»pour capituler a- meViT**
^ vec Morgan » & voir de quelle maniéré ils Ma/or de
4 pourroient'rendre le Fort fans que le Roi d'Ef- i’ifle.Ce
pagne, 6c les Gouverneurs Generaux,dont ils
dependoient, les puiTent acculer de lâcheté*
^ ' Ce Major 6c l’Alferez repreiènterent à
Morgan qu*ils cftoient bien dans Tintention'
de rendre r i f l e , mais que comme il y ailoit
H' de la tefte» il luy pluft voir de quelle rule on
1ftï
1
ît iè fetviroit,afin que peribnnc ne fufl: en dan-
!îi ger de perdre ny la vie, hy fhonneur. Mor-
^ gan les écouta volontiers, 6c leur demanda
ii quel expedient ils avoient pour cela. Ils ré-
^ pondirent» qu^’il falloit que iès gens vinflènt
ii iniulter le Fort S. Jerome , qui eftoit au bouc
du pont, 6c qui feparé la petite Îfle d'avec la
T'grande» 6c que cependant il envoyait du
,! ’m onde dans un Canot pour les venir atta-
>quer par derrière ; que dans ce moment le
1 Gouverneur en fortiroit pour aller au grand
Fort »5c qu'ainiî on le prendroit prifonnier ,
ce qui faciliteitoic la priie des autrés Forrsj 8c
qüe dans ce temps o'n ne cefferoit point de
tirer de part 6c d*autre » fans toutefois tuer
perlonne« - . ,
iTçme I I , ,E Morgan
H I S T O I R E
Morgan confentic à to u t, & on attendît
quelefoir fuft venu pour execiuer ce que ^
l’on avoir concerté, afin de mieux couvrir
l’affaire.
La nuit eftant venue, on commença a
marcher au lieu & en la^maniere dont on e-
Incidens ftoit convenu. Neanmoins Morgan qui ne fe
dc la prife fioit pas tout à fait â la parole des Efpa^nols,
d c H f le commanda à tous fes gens de charger a bal­
de Sainte
Cached* les , & en cas qu’aucun d’eux fuft bleffé , de ;
ne. ne point tirer en l’air,mais tout de bon. Tou- •
tefois ils ne furent pas en cette peine, car les
Efpagnols montrèrent fi bien leur adreffe a
tirer fans bleffer perfonne , que Morgan ny ■
(es gens n’eurent aucun fujet de s’en plain- -ç
dre : il fembloit que c’eftoit une Comedie,de­
voir tirer de toutes parts >8c des Fortereffesj.
fe rendre fans aucuns morts ny bleffez.
Auffi-toft que les Avanturiers furent lesK
maiftres de cette Ifle 8c de toutes fes Forte->
reiTes, 8 c qu’ils eurent enfermé tous les habi-f
tans dans le grand Fort de Sainte Therefe , la ^.
Comedie fcéne changea , 8c la comedie devint trage-?i
changée die pour les pauvres animaux , comme Pou­
en trage*
die. les , Veaux 8c Vaches .• chacun tuoit tout ce à
qui s’offroit à luy : on ne voyoit que feux du.^
Hi rant la nuit dans l’étendue de Tlile ; il n’j^
voit perlbnne parmy eux qui ne fift rôtir
quelque chofe, les uns des Poules,les autres
des Moutons,enfin tous faifoient bonne che-
re , 8c avec grand appétit, car ils avoienC
cfté vingt-quatre heures fans m anger, 8c
s’ils euffent eu du vin , rien n’auroit manque
à leur fatisfadtion- mais ils furent contraint
de boire de l’eau ; 8c comme ils n’avoieot
.point
'1

DES AVANTÜRIERS.
point de bois, & qu'ils n’en pouvoient trou­
v er, à caufe de robfcuriré de la n u it, ils a-
barroient les maifons, pour faire du feu de la
charpente.
Le lendemain au matin on élargit tous les Denom.
prifonniers , quefon compta, qui fe trouvè­ breineiit
des pti-
rent au nombre de quatre cens cinquante; fonniets
icavoir cent quatre-vingts-dix hommes dè & des
garnifon , dont quarante eitoient mariez, & FortereC
avoient quarante-trois en fans j trente-un Ef- le LsdeTli.
claves du Roy , avec huitenfans,& huit Ban- te CdeSaiu-
ath e­
dis releguez ; trente-neuf Efclaves apparte- rine»
îians aux particuliers, avec vingt-deux en-
fans ; vingt-iept Noirs libres , avec douze
en fans. On laiiTa tous les hommes & les en-
fans libres fur l’Iile , afin qu*ils cherchaiTenc
leur vie ; & on enferma les femmes dansl'E-
glife, de peur de defordre , où Ton eut foin
de les nourrir & de les garder. Pour cela les
Avanturiers montoient tous les jours la gar­
de , comme on fait â I*armée.
Apres on vifita toutes les FortereÎTes,& on
en trouva dix iur cette lile , qui peut avoir
une lienë & demie de tour. La premiere,qui
eftoit au bout du Port qui fait la feparation
des deux liles, & qui s’appelloit le Fort Saint
Bierôme^ eftoit proprement une batterie en­
tourée de murailles, dont le parapet avoic
cinq pieds,le glacis une demie toife de large.
Tout ce Fort pouvoir eftre de fix toifes de
long , & de quatre de large. II y avoit huit
pièces de canon de fer tirant douze . huit &
fix livres de balle, avec un corps de garde
pour loger cinquante hommes.
La ièconde eftoit une batterie couverte de
£ * ga-
>4 HISTOIRE
■ ' :ti'
. i;: • U
t». \ 7

gabions, nommee la plata forma de S.Mathed^


où Ton voyoit trois pieces de canon , qui tu
roient huit livres de balle.
La troifiémc eftoitle Fort principal, nom­
mé de Sainte Therefe , fur lequel oii trouva
vinsse pieces de canon. Ce Fort eftoit à qua­
tre baftions (impies , avec un foiTé fans eau,
& un pont-levis. Scs murailles pouvoient a-
voir cinq toifes de hauteur, le parapet cinq
pieds, le.glacis trois 8c demi. On y trouva
outre le canon ,dix jeux d'orgues , chacun
de douze canons de moufquet, avec quatre-
vingts dix fufils, 8c deux cent grenades^,avec
de la poudre,du plomb 8c delà mèche a pro*
portion. Ce Fort eftoit tres-confiderable ,
pour eftre inacceiiible , 8c bâti fur un rocher
efearpé de tous coftez ^ tellement qu*il n'y
avoit qu*une avenue par le pont levis, ou il
ne pouvoit marcher que quatre hommes de
front tout au plus. Au milieu on rencontroit
uneterraÎTe élevée d*une toife au deiTus du
parapet »fur laquelle il y avoit quatre pieces
de canon qui commandoient à la rade 5 iî
bien qu’à moins d’avoir réduit ces Forts , il
eftoit impoiTible d’approcher de cette Ifle a-
vec aucun vaiÎTeau. Du cofté de la mer ce
Fort avoit plus de vingt'cinq toifes de hau­
teur, à caufe du rocher fur lefommet duquel
il eftoit bâti. ■
La quatrième place fortifiée , nommée /4
Plate-forme de Saint Auguftint eftoit une batte­
rie couverte de gabions remplis de terre,avec
trois pieces de canon tirant fix 8c huit livres
déballé.
La cinquième J nommée la Plate-forme Jâ
la

' r; *:i *»
nUyi
DES A V A N T U R I E R S ;
' U Conception , eftoit une’batterie comme dei^
tx s, qui avoit deux pieces de canon tirant
! huit livres de balle.
La iixiéme >nommée h Plate-forme de Ni?-
' ftre-Damer de la Guade Loupe^ eftoit une batte-
i rie montée de deux pieces de canon tirant
1 douze livres de balle.
Lafeptiém e, nommée lu Plate-forme de S,
V Sauveury eftoit montée de deux pieces de ca^
i non tirant huit livres de balle.
La huiriémemommée la Plate-forme des
)i noniers , eftoit montée de deux pieces de ca-
•i non tirant huit livres de balle.
La neuvième , nommée la Plate-forme dt
t Sainte Croixy eftoit montée de trois pieces de
Q canon , tirant fix livres de balle.
La dixiéme , nommée le Port de S, lofeph ,
? eftoit une Redoute où il y avoit fix pieces de
- canon tirant huit 8c douze livres de balle*
> Outre cela il y avoit deux Orgues chacun de
b dix canons de moufquet. Il faut remarquer
P que tout le canon qifon trouva fur ces liles
é eftoit de fe r, hormis trois ou quatre pieces
l de fonte,quieftoient fur le Fort de Sainte
I Therefe,
^On trouva encore outre cela un magazin
3 où il y avoit trente mille livres de poudre à
canon 8c à mou(quet»avec beaucoup de mè­
ches & degrenades.On embarqua toutes ces
munitions de guerre fur les vaiiTeaux , 8c on
démolit toutes les batteries, jettant le canon . i,
par terre , qu’on encloüa, 8c rompant tons
les affûts que Ton brûla. Les Forts de S.Hie-
rome Sc de Sainte Therefe furent refervez «
8 c Ton y faiibit garde.
El Les
H I S T O I R E
Les choies en cct état» Morgan fit deman*
der s*il n"y avoir pas encre les releguez qui e-
Îloientfar cette Ille,quelques Forçats de ter­
Morgan re ferme.ll s’en preiènta trois de Panama^c^ui
choiut
trois For­ eftoit juftement ce que Morgan cherchoit.
çats de De ces trois il y en avoir deux Indiens & un
l'Iflc.pour Mulaftre » que je puis appeller barbare>apres
lefèrvir les cruantez que je Iny ay vu exercer contre
dans une
grande les Eipagnoisjbien qu*il en euft pris naiÎTarr-
«Dtrepri. ce. Morgan interrogea Iny-mefme ces trois
peribnnes •• caril parloit très*bien la Langue
Efpagnole, & leur dit qii« s’ils vouloienr
: I; mener fon armée à Panama , en recompenfe
I 'll il leur donneroit la liberté» & leur part de
l'argent qu’on prendroit, comme aux Cens»
b o u rre cela tout le pillage qu’ils pourroient
amaiTer.
Les Indiens tachèrent â s’exeufer, difant
qu’ils ne fçavoient pas bien le chemin , 8c
que s ’ils le fçavoient, ilsferoient volontiers
ce que Morgan demandoit d’eux. Le Mula­
i 1.1 ftre au contraire ibûtint que ces gens eftoient
des menteurs , qu’ils avoient fait plufieurs
i -r. fois ce chemin en leur vie^mais qu’ils ne vou-
loient pas l’enieigner, (bus l’efperance d’e-
ftre recompenfez, s’ils ne l’enfeignoient pas.
' ' I ■‘i Il dit que pour luy n’attendant rien des Ef-
I , •1: 1':^ pagnols que la m o rt, il eftoit preft de iervir
Morgan en toute occaiîon où il en ièroit ca­
pable.
I1 On donna la gêne aux deux Indiens, dont
l’un mourut, & l’autre confeÎTa qu’il fçavoit
le chemin,& qu’il meneroit l’armée de Mor­
f, gan,lequel aufli-coft commanda quatre vaii^
lèaux ôc une Barque^avec quatre cens hom-
mesji
' ■■[.
I ^
D E S AV A N T UR 1ER s.
mes» pour aller prendre le Fort de Saint Lau-»
rent de Chagre , qui eftoit fur la Riviere de
mefine nom , dans laquelle il falloir que les
Avanturiers entraiTent pour aller à Panama,
Morgan y envoyoit ce petit nombre d e
gens , afin que les Efpagnols nefe défiaÎTenc
pas du grand deÎTein qu’il avoir > & ne fon-
geaÎTent point â fe fortifier,comme ils en ont
la commodité en ce lieu-làj mais qu’ils cruf-
iènt que ces quatre vaiiTeaux s’eftant ren­
contrez à cette cofte , vouloient prendre ce
Fort ièulement pour le piller , parce qu’on y
apporte beaucoup de marchandifes de Porpo^
hello, afin de les embarquer pour Panama^vïQ
les pouvant porter par terre.
Huit jours après , Morgan devoir fuivre
ces quatre vaiiTeaux , ayant pour'guide un
Jndien qui avoir efté Soldat dans ce Fort,6c
e n fçavoit toutes les avenues. Pendant cc
temps les Avanturiers arrachoient toutes les
racines de Manioc , dont ils faiibient de la
CaiTave pour leurs vaiiTaux. Ils arrachèrent
auifi les Patates 6c Ignianes j 6c lors qu’ils
eurent tout pris 6c embarqué, Morgan domina
ordre de mettre à la voile, pour aller en terre
ferme. '

C h a p i t r e X.
La prife du Port de S, LaurenU

Organ avoir détaché , comme j*ay dît,’


M quatre vaiiTeaux defa Flottc.pour aller
prendre Cbagre.Ces vaiiTeaux eftoient com-
^ £ 4 mandez
HISTOIRÉ '
mandez par le Capitaine Bradelet, qui avoS! 'iii
beaucoup d*experience pour de femblables)
entrepriies. Trois jours apres ion depart de
Tifle de S a in te C a th e r in e 3 il arriva â ia veue
du Fort de 5. L a u r e n u
Fort de S. Ce Fort eft â l'embouchiire de la Riviere
lament, de C h a g r e , & bâti fur une montagne haute ,
& lar^e environ de trente toiles,tout autour
I ! cicarpéedérochés, & acceiTible feulemenc
du cofté de la terre ,où elle eft coupée par un
foiTé fans eaii de fix toifes de profbndeur.Ce
Fort a un Parapet d'une roife de haut. On y
entre par le moyen d*un pont-levisjil y a des
11 cafemates qui empêchent l*accés du foiTé &
des paliiTades.
Il y a en haut pluiieurs batteries de canon
qui donnent de tous coftez,accompagnés de
plufieurs corps de garde. On trouve un de­
gré entaillé dans le ro c , par lequel on dei-
cend fur le bord de l’eau , ob l*on voit deux
autres batteries couvertes & flanquées à
fleur d’eau. Sur Je bord de la mer , au bout
de la montagne qui compofele Fort ,eft une
Tourprefque auffi haute que la m ontagne,
fur laquelle il y a huit pieces de canon qui
défendent l'entrée de la Riviere.
De cette Tour on paÎTe au Fort par un de­
gré fecret fait en Vignoc. Les maifons qui
ibnt en haut dans le Fort, ne font faites que
de paliifades,&: couvertes de feuilles de Pal-
|1 miftes. Les magaiîns aux poudres, & autres '
'i I munitions de guerre >font dans des voûtes
Ibus terre,qu’on a faites exprès dans la mon-
tagne.Jc ne diray rien davantage de ce Fort,
parce que l'on en peut voir la ûcuacion dans
H
D E S AV A N T U R I E R S . 99
îa Carte que je donne de riilu m e de Fantu

Les Efpagnols ayant aperceu ces vaiiTeauxi


commencèrent à mettre le pavillon Royal,
S & à canoner d^une terrible maniéré. Les A-
î vanturiers furent moiiiller à un quart de lieue
: de cette Riviere» au port de N aranjus, où ils
: demeurèrent jufques au lendemain m atin ,
f qu’ils mirent quatre cens hommes à terre,
I pour eftre conduits par l’Indien que j'ay dit,
> qui eftoit leur guide.
Il les mena par Pendroît le moins périlleux
> 8c le plus acceiïible. Ils ne pouvoient pas
î m anquer, n*y ayant queceluy par où ils al-
î loient^cependant ils eurent beaucoup de pei-
r ne le long du chemin 5 car il y avoir en ce
llieu
l P I l noù
n iis defeendirent»
lie H # » i r * i ^ n r l i r p n f * iune
i n r » Vigie nqu’ils
n ’ i l c nne
. » Route

purent prendre,6c ne laiiTerent pas de fc fai­ que fe


font fes
re une route avec leurs fabres, 8c furent juf­ Avantii-
ques à deux heures apres midy pour arriver riers à
au Fort>qiioy qu’il n’y eiiiV pas plus de demie coups de
licuëî8c ils ne l’auroient pas facilement trou­ labre ils
trouvent
vé jiî le bruit du canon ne les avoit fait juger un Fort
que le Fort eltoit fitué à l’endroit d’où venoit au biuit
ce b ru it. du canon.
A la fin ils fe trouvèrent fur une petite
montagne élevée au deiTus du Fort d’où iis a-
Voient entendu tirer du canon. Ils auroienc
pû facilement le battre 8c s’en rendre mai-
ftres fans perdre un ièul honf^mc^ car de cette
éminence ils découvroient tout ce quife pal-
ibit dans le Fort; mais en eftant éloignez plus
que de la portée du fuûl ^ ils ne pouvoient
rien faire, encore moins y apporter du ca­
non.
E 4 Lc$
ï od HISTOIRE
Les Efpagnols qui les apercevoîent ] n è
branlèrent pas pour cela , & les voulurent
M' laiiTer approcher , afin de faire plus d’expe-
i» dition : fi bien que nos Avanturiers fort fa­
tiguez deicendirenc dans une petite Plaine
découverte, & iè trouvèrent ainfi fous le ca­
non des Efpa^nols, qui leur en envoyèrent
une volée , & firent enluite une décharge de
toute leur mouiqueterie ; ce qui caufa biea
I I
du fracas parmi les Avanturiers, qui ne pou-
voient rendre le change aux F.fpagnols,parce
que le foiTé leur empéchoit de gagner la pa-
Tout ce qu*ils pouvoient dans cette
tuer les Efpagnols qui
aÆegez. viendraient charger le canon : mais lorfque
malgré leurs efforts ils le faiibient jouer,tout
le recours des Avanturiers elloit de fe jetter
par terre pour s'en garantir.
Cela dura de cette forte jufqu'au foir 5 les
Avanturiers avoient déjà beaucoup de bief-
ièz & demorts,& commençoient a fè ralen­
tir,Ôc à vouloir fe retirer »lorfque les Eipag-
nqls» qui les voyoient dans ce defordre, leur
crièrent , jih , chiens â^Hereti(\ues » Anglais en»
diablez, , votes nuirez, pas à Panama comme vota
te croyez • ^ cfuand vos camarades Jeront icy^notis
leur enferons autans qu*à vous. Ces paroles fi­
rent connoiftre aux Avanturiers qu’ils e-
ftoient découverts ; 6c cependant les Eipag-
nols les chargeoient à coups de canon , de
moufquets 6c de flèches, car ils avoient aufli
rxtremitédes Indiens avec eux , qui bleflbient plus de
floches, que les Efpagnols
avec leurs rqonfqnets.
} ill:
Enfin la nuit vf.noit ^ 6c les Avanturiers
com-

li * ‘ iil i
DES A V A N T U R I E R S . îoi
commençoient à lâcher pied, & à fe deman­
der les uns aux autres ce qu’ils dévoient fai­
re ; une partie même s’eftoic déjà retirée » le
Commandant avoit les deux jambes caiTées
d’un coup de canon. Mais lorfque les Fran­
çois parloient enfemble du mauvais fuccés de
cette entreprife ; une flèche vint tout à coup
percer l’oreille & l’épaule à l’un d*eux , qui
l’arracha fur le champ de fa playe avec une
fermeté admirable,dijfànt à ceux qui eftoient
prés de luy , Attendez ^mes freres , j e m'en vais Accident
fa ire périr toui Us Efpagnols avec cette jUche, A qui fait
rin ftan til tira de (à poche plein fa main de changer
les choies
coton » qu'il noua au bout de cette flèche» de face.
y mit le feu » 6c après en avoir rompu le fer»
enfonça la cane dans fon fuiil, ÔC la tira fur
une maiibn du F ort, qui , comme j’ay déjà
dit,ne font couvertes que de feuilles de Pal- Ejfpediem
miftes. Cela commença à fumer ; les autres qui ceui«
s'en apercevant, ramalTerent des flèches» ôc fit.
firent la meime chofe j ce qui produifit un fi
bon effet, que plufieurs maifonsdu Fort fu­
rent enflammées.
Prefque en meirne temps je fus frapé de
l’objet le plus digne de compaflîon qu'on
verra peut-eftre jamais.* un camarade que
j'aim ois, fe prefenta à moy dans un état dé­
plorable 5 il avoit une flèche enfoncée bien
avant dans l'œil î ce malheureux répandant Obfef pl»
une prodigieuiè quantité de fang de fon œ il toyable.
bleifé »6c autant de larmes de celuy qui ne
l’eftoit p a s, me prioit avec inflrance de luy
arracher cette flèche qui lui caufoit beau­
coup de douleur ; 8c comme il vit que la pi­
tié m'empefehoit de le iècourir aÎTez promp-
£ 6 tementÜ
102 HI STOI RE
tement.f il fe Tarracha luy-mefme. Apres Îd
bon fnccés dont j*ay parlé »nos gens fentanc
brûler leur cœ nrd'un feu plus ardent que ce^
luy qifils venoient d’allumer. firent revenir
ceux qui s'eiloient retirez, les animèrent, &
fe rallièrent avec eux ; 8c eftant cachez â la
fiîveur de la n u it, les Efpagnols ne tiroient
plus fi feuremenf que de jour , outre que la
lumière des maiibns qui biûloient, les em-
pefehoit, Sc fervoit aux Avanturiers , qui â
la lueur de cet embrafement,voyoient agir les
Tfpagnols, 8c en tuoient autant qu^il en pa-
roiiToit .*le feu prit auiîi à leurpoudre>ce qui
leur nuifit beaucoup, 8c iervit â leurs enne-
niisjmais ils ne trouvoit point encore moyea
d'entrer dans ce Fort.
r. i)i Quelques-uns d*eux s’aviièrent de faire u<*
i '' C o u rag e ne breche de cette mnniere.Pluiîeurs fe cou*
1I iK effort lerent dans le foiTc» 8c montant l’un fur l’au-
lüUcir”* iulqu’â ce qu’ils puÎTent atteindre la pa-
’ liifade: ils y mirent le feu qui reüiTit bien ?
car anflVtoft que les pieux furent enflam­
mez, ils brûloientaufli vifte que les matières
i; les plus combuftiblcs.
Les Epagnols s’en eftant aperceus , jette-
rent dans le fofle quantité de pots a feu qui
I confumoient beaucoup d*Avanturiers avaqt
qu’ils fe puÎTent retirer. D ’autre cofté les EA
pagnols eiloient occupez â éteindre le feu
qui avoit pris au Fort,8c qui augmentoit tou­ 10
I Mn: :^ I jours , quelques efforts qu'ils fiiTent pour en
empefeher les progrez;8c par malheur il fai-
> I ^ ioic un furieux vent qui le portoit par tout*
'M Xn paliiTade brûloitaniïî d’une grande force*
Cependant les Avanturiers ne perdoient
rieq
^(

wl
D E s AV A N T ü RI £ R
r rien de ce qui fe paÎToir* & fi-toft que quel­
le que Eipagnol paroiÎToit à la lueur du feu, ils
r ne manquoient pas de l*abacrre. Cela leur
t. donna courage,& une aifurance certaine de
f prendre le Forc.Le jour eilant venu,les pieux
[ de la paliiTade, qui fervoient de »abion & de I
c parapet, fe trouvèrent confuinez,8c la terre
[ ,qu*ils foûtenoient tomba tout d*un coup »
l dans le foiTé. Neanmoins les Efpagnols ne Vîgoui
s laiÎTerent pas de tenir toujours bon
P quitter la brèche qifilsdéfendoient vaillam- EW n^t
r ment : leur Commandant les faiibic battre ^ '
J! jufques dans le feu qui les ga^noit 5 & n*é-
r: tant plus couverts , autant qu"il en venoit à
cette brèche, ils eftoienttnez & tomboient
t dans le fbiTè ; iî bien qif ils furent enfin con-*
traints de l’abandonner.
Ce que voyant les Avanturiers, ils y mon-Ees Avan^
tarent auiîi-toft , & furent chercher les EÎ^ moment
pagnols,qui s’elÎoient retranchez dans quel-àJ^bSl
ques Corps de ^arde , où ils avoient du ca- che, 5c
non,& fe battoient encore. On offrit de leur
donner quartier , mais ils n’en voulurent ennemis*
point î le Commandant même fe fit tuer fans retran-
jamais vouloir fe rendre. Quelgues-uns de- ch«,
iefperez , & craignant de tomber dans les
mains de leurs ennemis » fe précipitèrent 5c
moururent.
De cette maniéré les Avanturiers fe virent Prife
inopinément maiftres de ce Fort , par le
moyen du feu , fans lequel ils n’auroient pû
l’efperer , quand mefme ils y feroienc venus
avec toute leur Flotte. Ils ne trouvèrent que
quatorze hommes en vie dans ce Chafteau ,
neuf ou dix bleifez ^ cachez dans des trous
parmi
H I S T O I R E
piirmi les morts. Ces gens dirent qn’ÎIs e-
ftoient le refte de trois cens quatorze hom­
mes qui défendoient ce Fort,& que le'Com-
mandant fe voyant ruiné par le feu , avoic
dépefché quelques-uns pour donner avis au
Preiîdent de Vanama de ce malheur,afin qu^il
iè tinft fur fes gardes* & qu’il s’en garantiit.
' J ;» Jlvis f}ue Ces priibnniers ajoutèrent que depuis iîx
donnent
cjuelqucs
femaines on avoir receu nouvelle de Cartam
{>riron* gene, qu’un Irlandois ayant efté pris parmy
Ijiers. une troupe de voleurs Anglois venus pour
piller la Riviere de la Hache, avoir dit qu’il ie
formoit une Flotte coniîderable pour aller à
llil' "Panama , 8c que ceux-cy n*eftoient venus â
la Riviere de la Hache qu'à deiTein d’avoir des
vivres pour leurs vaiiTeaux,
Il eftoit vray qu’un Irlandois avoir eu la
lâcheté d’abandonner les Avanturiers , 6c
d'aller avertir les Efpagnols de leur venue ;
mais ils ne içavoitpas leur principal deiTein,
quieftoit d’attaquer P^«^w;^.Les prifonniers
firent encore entendre que le Preiident de
Panama s’eiloit fortifié iiir la Riviere de Cha^
gre »en cas que le Fortfuft pris; qu’il y avoic
plulîeurs embufcades d’Eipagnols que les
vanturiers ne pouvoient jamais éviter; que
luy-meihae eftoit dans une campagne proche
de >avec deux mille hommes d’in­
fanterie, quatre cent hommes de Cavalerie,
& fix cent Indiens,avec deux cent Mulâtres,
11
,
qui chaflbient deux mille Taureaux dellinez
pour rompre les troupes des Avanturiers,
Soins des
enfin les tailler en pieces.
A vantu- Aufii-tofl: que les Avanturiers ie furent
ciets aptes emparca du Foi t,ils fongeient à mettre leurs
bleiTcz
il
d e s a v a n t u r i e h s : to t
t)lefTez dans un lien oîi ils puÎTent repoièr à
leuraiiè , 6c y eltre penfez par les Chirur-^®^^^'
giens,qui n’ayoient fait qu’appliquer un iîm-
ple appareil à leurs bleiTures , pour étancher
le fan^,encore ne l’avoienc ils fait qu’à ceux
qui en avoient de grandes. On ne trouva
point de lieu plus commode que la Chapelle
pour les mettre. Il y en avoit ibixante qui ne
pouvoient fe lever, fans ceux qui marchoient
portant le bras en écharpe , ou ayant la tefte
bandée, lis jetterent tons les Efpagnols qui
eftoient morts, du haut en bas du Fort, & les
cadavres des Anglois ôc François furent mis
dans de grands trous qu*on fit faire par des
Êfclaves & par des Efpagnols qui eftoienc
reftez. Quelques femmes auiTi Efclaves fu­
rent employées à folliciter les bleiTez.
Les Avanturiers firent reveuë entr’enXg
pour fçavoir combien d’hommes ils pour-
roient avoir perdus. Ils trouvèrent que le
nombre des morts femontoit à cent dix, 8 c
celuy des bleiTez à quatre-vingt. On rétablit vîiîte &
le Fort & la Brèche le mieux qu’il fut poifi- rétabiifîê»^
ble , afin de fe mettre en défeniè,en cas que
les Efpagnols viniTent pour le reprendre a-
vant la venue de Morgan.
On y trouva quantité de munitions, tant
de guerre que de bouche , que l’on mit en
ordre , & on tacha de les bien conierver à
cauiè qu’il n’y en avoit pas beaucoup fur la
Flotte , & en fuite on fit entrer les Vailfeaux
dans la Riviere. occupa"
Morgan qui eftoit refté fur Mile de Sainte tion Sc
Catherine , quatre jours après le départ des
VaiiTcaux donc je viens de parler, fit faire di- o!
ligenceihctinc, *
IS
io(^ H I S T O I R E
liççence aux autres qui eiloient reftez a v e à
luy , & leur ordonna de s’embarquer avec
leurs vivres, & tous les prifonniers qu’il par­
W
tagea fur les Bâtimens de la Flotte, chacua
felon fa grandeur.
Dom Jofeph Ramirez Je Leiba, qui eiVoic
Gouverneur de cette lile au nom du Roy
!i d’Eipagne >& qui commandoit la garnifon,
fut rnis fiir le Navire de Morgan avec iès
principaux Officiers > leurs femmes & leurs
enfans ; Morgan fît auffi encloüer le canon
des Forts & le jetter à l’eaujtoutefois en des
lieux où l’on pût le repefcher, parce qu’il
vouloir revenir prendre poÎTeifion de cette
Ille ; en cas que ion deiTein ne réiiiTit pas,il
eut foin de faire auffi brûler tous les affûts ,
les maifons de l’Iile , excepté l’Eglife 6c les
Forts , où l*on ne toucha point.
Après cette deftrudiion toute la Flotte le­
va l’ancre, & fit voile vers la terre ferme.
Le lendemain il furvint un mauvais temps
quila difperfa ; mais comme tout le monde
içavoit le rendez-vous » chacun s’y trouva ,
quoy qu’en des temps differens ; car les der*
^niers arrivèrent quatre jours apres les pre­
miers,8c tous eniemble dix jours après la pri-
fe du Fort.
Départ & Morgan avec ion VaifTeau eftant â la
Morgan 5 & Y appercevant le.pavillon
* ■ du Roy d’Angleterre,eut une telle joye» qu’il
voulut entrer dans la Riviere avant que de
reconnoiftre s’il n’y avoit point de péril» 8c
fans mcfme attendre du Canot qui venoit
au devant de luy,pour l’avertir qu’à l’entrée
Ii) ' r de cette Riviere il y avoit un rocher caché
1 ^ ;j!:
' fous

: ('
D E S A V A N T U R î E R S . i 6f
ïbus Teau, Il ne manqua pas d’y toucher I
luy & un autre VaiiTeau : 6c dans le temps
qu’il vouloitfe retirer, il furvint un vent du chaerlh
Nord qui éleva la mer , 8c fit crever Ton Na- qui fe ^
vire qui échoua,fans toutefois perdre un feul/^J^ ^
homme. , . .
Morgan eftant entré dans la Riviere de
Chagre avec toute fa Flotte, employa les pri-
Îbnniers de l’iile Sainte Catherine à travail­
ler au rétabliiTement du F o rt, faifant repa­
rer tout ce que le feu avoitconfommé,hori^
mis les maifons ; au contraire,il en fit abatre
qui eftoient reftées,de peur que ce qui eftoit
arrivé aux Efpagnols, n’arrivafi: à luy-mei^
m e; c’eft à dire, qu*on ne fe fervift pour les
brûler , du mefme moyen qu’avoient fait les
iîens. Après il vifita les vivres , les munitions Son arrtJ
tie guerre , fit la reveuë de fon m onde, or-
donna ceux qui dévoientrefter pour garder p*e.
le Fort,6c ceux qui dévoient aller à Panama* cautions^'
. On avoit trouvé deux petits Bâtimens à
plat-fond faits exprès pour naviger fur cette
Riviere ; cinq ou fix hommes montent de^
fus 6c pouiTent de fond , ils peuvent avoir
foixante pieds de long, 6c vingt-cinq de lar­
ge: Morgan commanda d*y mettre quelques Ordrequé
pieces de canon,6c quelques berges de fon-^°^”^
te,avec autant de monde qu’ils en pouvoient ^
contenir. Il en fit mettre auifi fur deux petits
Frégates legeres, dont une avoit quatorze
pieces de canon , 8c Tautre h u it, 6c le refte i r
dans des Canots. Tout eftant ainfi ordonné,
jl laiiTa cinq cent hommes dans le Fort de
Saint Laurent , dont il donna le commande-» -
ment au Capitaine Maurice, Uiifa i jo.hom-

/LU
JOÔ H I S T O I R E
rnes iur les VaiflTeaux pour les garder, 8c
prit avec luy treize cent des mieux armez,8c i
des plus robuftes à ibuffrir la fatigue.
Cependant les priibnniers Efpagnols a-*
voient donné répouvanre aux Avanturiers,
difant que le Preiîdent de VmamA avoir eflé
averti prés de deux mois auparavant, 6c s*e*
ftoit tellement precantionné, qu’il n’y auroic
point d'apparence de romprefes forces & de
Çiverfité le deffaire. D’ailleurs,comme il y a desfuper-
I ftitieux par to u t, il fe trouvoit des gens par­
mi les Avanturiers meiîne, qui tiroient mau­
vais augure de ce que Morgan avoit perd»
fon Navire en entrant dans la Riviere de
Ch agre , Sc qu’il y avoit pery tant de mon­
de à l’attaque du Fort. Ils eftoient encore in­
timidez à caufe des embufeades quife poiir-
roient rencontrer fur la Riviere,8c qu’il fau-
11. droit eÎTuyer.Les plus courageux au contrai­
Ii re fe conibloient de cela,difant que û les ERi
pagnols tenoient b o n , c’eiloit le meilleur»
6 c une marque certaine qu’il y auroit bon
butin. Voilà ce qui fe paiToit alors,& comme
<. I les fentimens eftoient partagez encr’eux.

C h a p i t r e X L

Départ de Morgan pour Vanama ta prife dê


cette Ville,
X 4 Organ ayant fait une exaefte revenë de
l y J ceux qu’il avoit choifis pour fon entre-
p r if e , 8c vifité iufqu’à leurs armes & leurs
jpiunitionSjles exhorta de faire voir leur cou­
rage
'T*'

D E S A V A N T U E I E R S ; l ô^
rage dans cette occaiîon, afin de retourner
ï à la Jamaïque riches & glorieux. Alors tout Morgan’
le monde cria, viv”e le Roy d’Angleterre 8c encoura-
Morgan,& ainfi commencèrent leur voyage
le i8 . de Janvier de l’an 1 6 7 0 . Je décriray
leur marche de jour à jour, 8c les lieux où ils pourPa-
relieront, qu’on pourra voir dans la Carte nama,
que j’en donne^qui cft fort exadre. Lors qu’ils
partirent ils ne prirent point de vivres, de
peur d’incommoder ceux du Fort, qui n*en
avoient pas trop pour nourrir prés de mille
perfonnes qu’ils eftoient, en contant les pri-
fbnniers 8c les Eiclaves^que Morgan n’avoit
pas voulu laiiTer aller de Sainte Catherine , de
crainte que les Efpagnols ne les employaiTene
contre luy.
î1 lournal de la marche des Avanturiers, commandée
par Morgan pour Panama,

Le mefmc jour ils avancèrent, tant à


voile qu*a la rame» environ fix lieu’és Eipag-
noles, 8c furent coucher à un lieu nommé
Rio de dos Brafos, Ils tardèrent lâ quelque
temps »parce que de nuit ils ne pouvoient
pas aller plus loin , 8c qu’il y avoit des habi­
tations , où ils croyoient trouver dequoy vi­
vre: mais ils furent bien trompez dans leur
£9 attente , car les Efpagnols avoient tout rui->
né ,8c arraché jufqu’aux racines, 8c mefmc
coupé les fruits qui n’eftoient pas encore
meurs , fans laiiTer aucuns beiliaux •, fi bien
que les Avanturiers ne trouvèrent que les
maifons vuides» qui ne laiiTerent pas de leur
fovir pour y coucher ^car ils étoienc fi prel-
îïô H I ST O 1Rt
fe z dans leurs VaiiTeaux , qu’ils ne pou2
voient pas mefme fe feoir. Ils furent obligez
de fe contenter ce foir-là d*une pipe de Ta­
bac,quoy que cela ne les inquietaii pas pour
cette première fois, mais au contraire les a-
nimaft à ie battre de meilleur courasçe quand
ilsrencontreroient les Eipagnols, afin d*a-
voir dequoy fe nourrir.

Le dix-neuviémedu moîs,& le deuxieiîne


de la marche, les Avanturiers fe préparèrent
d és la pointe du jour à avancer chemin , 8c
fur le midy ils fe trouvèrent à un lieu nommé
/a Crux de luan G(dliego,Y.xï cet endroit ils fu­
rent obligez de laiffer leurs Frégates legeres,
tant parce que la Riviere , faute de pliiye, e-
ftoit baife, qu’à caufe que des arbres qui e-
i^oient tombez dedans,fembarralToient dc
auroient trop donné de peine, & fait perdre r
du temps à les öfter.
Les Guides dirent qu’à trois lieues de là,on
pouvoir marcher une partie le long de la Ri­
vière , & l’autre partie dans les Canots . ce­
pendant il fallut paiTer le trajet à deux fois ,
cari es Canots qui eftoient pleins de monde,
furent fe décharger au lieu dont je viens de
parler, afin de revenir quérir ceux qui e-
ftoient dans les Frégates, à qui on donna or­
dre de demeurer là deux ou trois jours,à défi-
fein que fi on trouvoit les Elpagnols trop
forts , & qu’on fût obligé de ie retirer» on
pût fe réfugier en cec endroit, & par le
moyen du canon, les repouiTer ôc les def*
faire.
On fit auifi défenfes à ceux qu*on avoir
laiiTez
i’
ï ( Mli ‘
■h '
' DES A V A N T U R I E K S . îïï
îaiÎTez fur ces Baftimens de n’aller point à ter-»
re , de peur d*eftre furpris dans les bois, 3C
d’eftre faits prifonnierS;Ce qui auroic décou­
vert aux Eipagnols le peu de forces qifa-*
voient les Avanturiers. Ce n'eiloit pas que Jr^ch; p&:
les Efpagnols n’euiTent aÎTez d'efpions Efp^a'fnoS
obfervoient ces Avanturiers ; mais comme ^ ^
ces fortes de gens n’aiment gueres à fe bat­
tre , & pour obliger leurs Commandans à ne
point les engager dans un com bat, ilsfai**
ibient les Avanturiers trois fois plus forts
. qu*ils n*eÎloient.

Le vîngtieime qui eiloit le troiiiefme de la


iniarche,désle matin Morgan envoya un des
Guides avec quelques Avanturiers > afin de
découvrir le chemin ; mais lors qu’ils entrè­
rent dans le bois , ils ne trouvèrent aucune
route , ny mefme aucun moyen d’en faire , à
cauiè que le pais eftoit inondé Scfortm a-
refcageux .‘ tellement que Morgan fut enco­
re contraint de paiier Ton monde à deux fois,
jufqu’à au lieu nommé Cedro Bueno* si
La faim qui preiToit les Avanturiers, leur II
fît ibuhaitter ardemment de rencontrer bien-
toft les Efpagnols, car ils commençoient à >
devenir foibles,n’ayant point mangé depuis
leur dép art, faute de rien tirer, ny meiÎTie de
gibier. Quelques uns mangeoient des feuil­
les d’arbres »mais toutes n’eftoient pas bon­
nes pour cela- Il eftoit nuit avant que tout le
monde fût paiTé ; ft bien qu’il falut coucher
fur le bord de la Riviereavec beaucoup d’in-
Commoditez, à caufe que les nuits font froi­
des, ôc qu’ils eftoient peu vécus.
H a
iîi
tii ïî I S T O I R E
Le 11. qui eftoit le quatriefme de la inar-
che , les Avanturiers crouverent le moyen
d'avancer,fi bien qu’une partie alloit par ter­
re >Sc l'autre dans des Canots par eau avec
> chacun un Guide, Ces Guides marchoient à
deux portées de mourquet avec vingt ou
; a trente hommes pour deicouvrir les embufea-
des Erpagnoles,fans faire beaucoup de bruit,
afin de furprendre quelques priibnniers pour
''i Subtilité
I I ■des ei- içavoir leurs forces ; mais les eipions Efpag-
pions Eil nols étoient plusfubtils que les Avanturiers»
çag n o ls. & comme ils fçavoient tres-bien les che­
mins , ils avertiiÎbient de ce qui iè paiToit,
une demie journée avant que les Avanturiers
duiTent arriver.
Environ fur le midy les deux Canots qui
ramoienc devant, rebrouiTerent chemin » 8c
firentiçavoir qu’ils avoient découvert une
embuicade,AuiIi-toft chacun prépara fes ar­
mes avec une joye inconcevable , croyant
trouver là bien dequoy manger , car les" Ef»
pagnols ontibin en quelque part qu’ils ail­
lent , d'eftre bien fournis de vivres, Qiiand
ils furent à la veue de cette embuicade , ils
!Ayantu- commencèrent à faire des cris épouvanta­
tiers bles , & à courir, c'eftoit à qui ièroit le pre­
trom pez
dans leur mier : mais ils demeurèrent plus morts que
attente. v ifs, trouvant cette place abandonnée.
Les Eipagnols à la vérité s'y eftoient re­
tranchez, mais içachant que les Avanturiers
venoient en grand nombre , comme les ei^
pions leur avoient marqué,ils crurent que la
place n’eiloit point tenable , ôc laiiTerent là
eursretranchemens, qui pouvoient contenir
quatre cent Uommes. Ils eftoient, munis d*u-
i,

P I
D E s A V A N T U R IE R s. iiji
y ne forte palliÎTade en forme de demie lune ,
pi dont les pieux eftoient des arbres entiers ÔC
Rfort ^ros.
Lors (ju’ils s’en eftoient allez, ils avoient
tiemporte leurs vivres, 8c brûlé ce qu’ils n’a-
ç voient pû emporter. On trouva quelques
i Canaftres , qui ibnt des coffres de cuir, qui
rfervirent beaucoup â ceux qui s*en faiiirenc
» les premiers »car ils les coupèrent en pieces
S; afin de les manger • mais ils n’eurent pas le
^ temps deles preparer,eftanc obligez de mar«
4 cher.
£ Morean voyant qu’il ne trouvoit point de
Vivres»avança tant qu’il put, afin d’en avoir
I pour luy 8c pour Tes gens. Ils marchèrent le
irefte du jour , 8c arrivèrent le foir à un lieu
ifinom m é Tor»a M uni , où ils rencontrèrent en-
) core une embufeade , mais abondonnée
r comme l’autre. Ces deux embuicades leur
avoient donné une fauiTe joye, au lieu de
faufle alarme , car ils n'aipiroient qu’à trou­
v er de la refiftance.
Ayant donc paifé outre, ils avancèrent
dans le'bois plus qu’ils n’avoient f a it, ayant
Ojitoûjours fuivi la Riviere, afin de trouver des
Nvivres ; maïs ce fut en vain, car où il y avoit
t Ha moindre chofe, les Efpagnols le détrui-
ifoienc,dé peur que les Avanturiers n’en pro-
P'fitaÎTent, croyant les obliger par là à retour-
i|ner à leurs Vaiifeaux, ce qui leur auroitefté
I inutile defaire,puis qu’il n’y avoit point auili
I de vivres.
: 11 falur neantmoins fonger à repofer , car
la nuit eftant venue, on ne voyoit plus à mar-
I cher dans le bois» Ceux qui avoient encore
quel
b'.' i .

Vi 4 HISTOIRE
quelques morceaux de Canaftre ibuperent^
mais ceux qui n*en avoient point» ne man-
'il Ce que gerent rien. Ces Ganaftres ne font pas de
c’eft que
cuir tané, ce font de ces peaux de Bœuf qui
font feches, & dont ils font ces Canaftres
o n e n p à nos manequins. Ceux qui ont
u t

vivre, toujours vécu de pain à leur aife , ne croi-


I roient peut-eftre pas qifon pût manger du
cuir J & feront curieux defçavoir comme on
I !' I i*accommode pour le manger.
Je diray donc que les Avanturiers le met-
toient tremper dans Beau, le battoienc entre
deux pierres J 6c apres en avoir gratté le poil
avecleurs couteaux , le mettoient rôtir furie
feu, 8cBavaloient haché en petits morceaux.
Je puis aiTurer qu*un homme pourroit vivre
de cela , mais j*ay peine à croire qu*il en puft
devenir bien gras.

Le 2.2. qui eftoîtie cinquîefme de la mar­


che. Dés le matin les Avanturiers continuè­
rent leur chemin » 8c arrivèrent fur le midy à
un lieu nommé Barbacoa , où ils trouvèrent
encore des barricades abandonnées , fans y
avoir laiiTé des vivres.Mais comme il y avoit
en ce lieu pluiieurs habitations » les Avantu­
riers cherchèrent par tout , & à force de
chercher ils trouvèrent deux faesde farine
enfouis dans terre avec quelques fruits,qu*on
Décou­ nomme Plantanos. A l’inftant ces deux facs
verte & de farine furent apportez à Morgan , qui les
diftubu- £ t diftribuer à ceux qui avoient le plus dè
/ ! facs de oetoin de nourriture,parce qu il n y e n avoïc
farijae^ pas aifez pour tout le monde.
IJ
Ceux qui eurent de cette farine, la délayé-^ à
fçaç

1. i T;,

111!
D E S AV A N T U R l E R S . t if
Tènt avec de l’eau, & en firent une pâte fans
îevain , dont ils en prenoient des morceaux 11
qu’ils envelopoientdans des fciiilles de Bana­
nier,8c les faifoient ainfi cuire ibus la braiie, ,M
îes autres dans Teau 5 ils apeloient ces mor­
ceaux de pâte ainfi cuire , des pouplains.
Apres ce repas ils reprirent leur marche »
ceux qui eftoient fort las 8c fatiguez de la
faim 8c du chemin,fe mirent dans les Canots
fur la Riviere, les autres marchèrent par ter­ U I
re juiques â un lieu nommé , où il
y avoir quelques habitations abandonnées
S c dégradées , comme les premières , ou ils
couchèrent.

•Le lendemain 25. qui eftoit le fixiéme de


î.t marche ; Ces gens n’eurent pas beibin de
réveil-matin , car leurs eftomachs vuides
n’envoyoient pas de vapeurs au cerveau pour
les aiToupir. Ils reprirent donc leur marche à
fordinaire , eftant obligez de fe repoferibu-
Tent f a cauie de leur foibleiTequi les empefi
choit d’avancer î 8c lors qu’ils le repofoient 5
chacun alloit dans le bois chercher quelques
graines d’arbres pour manger.
Ce mefme jour ils arrivèrent fur le midy à
une habitation un peu écartée du chemin,
iju’ils trouvèrent pleine de Maïs encore en
epi. Il fit beau voir chacun iè jetter deiTus,8c
le manger tel qu"il e fto it, parce que la préci­
pitation de leur marche ne leur donnoic pas
le temps de le faire cuire , 8c la faim encore
moins.
Un peu après qu’ils eurent trouvé ce Maïs,
âls apperçurent quelques Indiens qui m ar-Î";'"? ""
F choient 've'nt ic

/'>4
US H I S T O I R E
{wmfiii. fhoient devant eux . ils commencèrent à les
went des ^ ^
iiiiücns. pourmivre , croyatïc qu’HS recoiTCifioient
quelque embiïfcade d*£fpagnols ; ceux qui
avoient du Maïs le jetterent pour^Tr’cftie
point embarralTez à courir , ils tirèrent fur
! les Indiens, dont ils en tuerent quelques-uns
Sc pourruivirent les autres -jufqu’à Sanja
Crux »où les Indiens pniierent la Riviere ^
t i' clchapercrrt aux Avanturicrs.qui neantmoins
les fuivirent de bien prés, paffant aiifii ia Ri­
viere à la nage -• ces Indiens leur crioienc
de loin , uh Perros lnglex.es À la Savatta la
[' '*'^1• S-avana , ally nos veremos, qui veut dire > ah
%
fhiens d*Anglois , venez, à la Savana nous votiS
y attendons.
Les Avanturiers avoieutainfi paiTé la Ri­
vière» à cauie que leurs Canots n ’alloient pas
fi vifte qu'eux, parce que la Riviere Lej-pente
,en cet endroit, eft obligi à faire de grands
détours.
La nuit furprit IctS Avanturieis , qui fare ne
obligez de coucher là,afin de reprendre leurs
forces 6c de fc preparer â ic battre,parce que
les Indiens qu'ils avoient rencontrez leur fi­
rent juger» qu*i!s ne marcheroient plus guerg
(lins trouver de la refiftance..

Le lendemain 14. qui cfiroit le ièptieiîne


du départ : Ils firent une décharge generale
de leurs armes, les ncttoyereiit,5c les rechai-
g e re n t, croyant en avoir bien-toil befoiti.
Apres ils paiTerent ia Riviere, marchèrent
■juiques â midy , 6c arrivèrent à la veuë dii
I3oiirg nommé Crux , où ils virent une gran­
de fumée qui s^élcYoit^ Ils crurent que les
Elpag-
DES V A M T U R I Ë R S.
BfpA^noIs cftancretrancheZjbrtîloienc quel­
que maiibn qui leur pouvoienc nuire , cela
leur donnoic courage , chacun rio it, fautoit Réjoui f-
d’aife. Il y en avoir qui railloient, 8c difoient fance, ix:
que les Eipagnols taifoient rôtir la viande raillerie
pour les regaler. desAvan-
turiers»
Deux heures apres ils arrivèrent au Bourf>
de Crux f qu*ils trouvèrent en feu , (ans y
voir une feule perfonne. Ces Indiens quails i I
avoient pourfuivis , eftoient les autheurs de
cette incendie qui cônfuma tout, excepté les
Magazins du Koy & le-s Efeuries. On avoit
mefme chaffé toutes les beiles qui étoient
autour» dans l’eiperance que les Avanturiers
feroient obligez de retourner faute de vi­
vres.
Ce Bourg eft la derniere place où Von
peut monter fur la -Riviere • c*eil la qu’on
aporte la Marchandife de Chagre, afin d'eftre
tranfportee de la par terre fur des Mulets juf-
qu'à Panama , qui n’eft éloigné que de huit
Heués de ce Bourg. C*eft pourquoy il v a de
fort beaux Magazins &z de belles hicuries.
Les Avanturiers reiblurent de demeurer lâ
le î'cRc du jour , afin de le repofer un peu,§c
de chercher dequoy vivre. On fit défenie à
tous de s^carcer au Bourg, â moins qu*on
ne rormnlrun party de cent hommes,dans la
cramee que bon avoir que les Efpaguols ne
priifent qnelqu un. Cette défenie lî’emDef- :l
cha pourtant pas cinq ou fix Anglois de for-
tir pour chercher des truits dans‘une habita-
Avamu-
non. Il y en eut un de pris par des Indiens qui riers
tondirent fur eux. i ’e-
^ cartcnr,&
O u trouva dans un des magafins du Roy iont pris.
f ^ qud-
Iï8 H I S T O I R E
quelques gerres de vin du Pérou , Sc une
*ii Canaille de bifcuii. Morgan , de peur que
fan, pour
empêcher ièsgcns ne s*enyvraiTcnt, iic courir le bruit
què les Efpagnols avoient empoifonne ce
its gens quepcrfonne n*euil à en boire. Qiiel-
ri.
vm.^ ques-uns qui en avoient deja bû , ayant l’e-
ilomach vuidc 6 c alToibli par U faim »vomi­
i I rent; ce qui iîc croire i pluiieurs que ce vin
eiloit empoiibnne & n’en voulurent point
' boire. Il ne fut pourtant pas perdu , car il y
en avoit entr’eiix qui n'auroient pu s'^em-,
pefeher d'en boire , ouand ils auroient eilé
aiTurez qu'il aiiroiteilé empoifonne.
Pendant que les plus adUfs cherchoient de
qnoy vivre, ceux qui çtoient dans le Bourg
préleroientle repos au manger , tuant tous
les Chiens 6 c les Chats qu’ils purent prendre,
6 c les mangeoient avec un peu de.Maïs-
qu’ils avoient apporté. Les' Canots qui fe
trouvoient inutiles*parce qu’ils ne pouvoient
!i îYîonter plus avant, fiirent renvoyez avec
foixanre hommes > ayant ordre de demeurer
fur la Riviere où ciloient les navires. On ca­
cha feulement un Canot fous des brouiTail-
le s , en cas que dans un befoin on en euft
affaire pour avertir les autres.

Le lendemain huitième de la marche^


Dés que l'aurore parut » Morgan lit reveuë
de fon monde.» 6c trouva qu'il avoit on^e
|1 cent hommes touscapables de combattre, 6c
1'
! I bien rciblus de le fuivre. II leur fit dire que
ect homme qu’on avoit cru pris le jour pre­
t ;
cedent par les Indiens , eftoit revenu , s’é-
j^aoi feulement écarté dans le boiS» Il en nfa
ainfis
Î)E g A V A N T l T R ï E R S .
ûîniijde peur qu'ils ne cruÎTent que cec hom­
me iVeufi: découvert leur deiTeio,& que cela
'ne leur iîih perdre courage.
Dans ce mefme temps il choiiit deux cent co’Timir
hommes pour lervird^enflms perdus,& mnr- Morgajî
cher dev an t, afin d*inveftir les eunemis, & düpoi.; le^
que le gros ne fufb point fiirpris, particulie-
rement dans le chemin qu'ils avoient à faire furpriic^
de Crux â Panama , où Cil pluficiirs endroits cou>. ,
ildtoic il étroit,qu’il n’y avoit que pour pai-^‘^^“
fer deux hommes de front. Ces deux cent
hommes elfoient des mieux armez &c des
plus adroits tireurs de l’Europe , la pîurpait
tous Boucaniers François, eftauteertain que
deux cent de ces gens là valent mieux que
fjx cens autres.
Morgan fit du reilre un corps de bataille ^
une avant & arriere-garde , & en cas de
g combat, une aide droite 8c une gauche,avec
des gens de referve, qui marchoient toujours
au milieu en avançant. L'aide droite avoit
l'ayant-garde , 8c en retournant chemin ,
l’aide gauche. Voilà l'ordre que Morgan tint
dans fa marche depuis Crux jufques à, Pa.
nama»
Sur les dix heures il arriva avec Ton mon- •
de a un lieu nommé r^iehrada obfcura ^ quipôurqijoy
veut dire Crifque obfcure. Elle n'eftoit pas nommé
mal nommée , car le Soleil ne l’éclaire ja*
mais. Les ^Avanturiers furent aÎïailIis d'une
pluye de déches qui leur tua huit ou dix hom- ^ "y®
m es, 8c en bleiTa autant. Ils fe mirent auffi-
toll en défenfe • mais ils ne feavoient à qui perfonne,
ils avoient afFciire , ne voyant que des ro-
■chers >des arbres 8c des precipices • iis tire-
1 E 3 rent

■ü
•120 H I S T O IR E
rent a bouleveue, inns içavoir ou , ny yoîr
peribnne.
I/>s Avaiir ^ Cependant cette de'chnri>e ne laiiTa pas de
rinicTS
firent an faire effet ; car on vit tomber deux Indiens
h.'zard,§c dans le chemin , un defquels ie ff leva toiît
I'on voit enfang^, 6c vouiur pouffer une fle'che qffil
roinSer
ties hüin.- tenoit â ia main, dans le corps d’an An 2;Iois;
mais un autre para le coup »& acheva de le
tuer. Cet homme avoit la^ mine d'effre le
Commandant de cette embufeade , qui ap­
paremment n’efteie que dTndiens , car on
ne vit que des flèches. Il avoit iùr la telle un
bonnet de plumes de toutes fortes de coih*
leurs , tiffuës en forme de couronne.
.‘t Quand ces Indiens virent que cet homme
Icurmanqiioit» ils lâchèrent pied , 8c depuis
fa mort on ne tira pas une feule flèche. On
11 trouva encore deux ou trois Indiens dans le
H I; chemin * mais ils n’cftoientplus en vie» Il cil
vray que ce lieu ciloit fort commode pour
une einbuicade ,car cent hommes refolus
I! euffent pu empclcher le paffag^e aux Avan-
1■ turiers, 8c les défaire tous,s'ils euffent voulu
opiniâtrer; mais comme ces Indiens eiloienc
fans conduite , 6c peu aguerris, dès les pre­
miers qu'lis virent tomber des leurs» ils fc
ïndiens
I eriient
crurent perdus; outre qu'ils avoicnc tiré rou­
c o u ra g e tes leurs flèches fans regie ny mefure, 8c que
ryair yet. les arbres 6c les brouffailles au travers def.
Um leur quels ilslcslançoient, en avoient rompu la
Ciiei-:
force, 6c empeichè le coup. CVibpour cctce
I I
raifbn que les Avantuiicrs en furent peu in-
commode2,qui en cette occafion ne s’nmii-
ferent pas troj:> à regarder d’où les flèches
%•enoienr^mais tachèrent â fe tirer de ce mai>
vais
D E s A V A N T U R I E R s;
vais chemin , & à gagner le plat p^iïs » d'o&
ils pufiTent décoavrir leurs ennemis. II y a-
voic eu autrefois une montagne en cec en­
d r o it, qu’on avoir coupée pour abréger le
chemin , & pour faire paiTer plus facilement
les Mulets chargez.
Aufortir delà les Avanturiers entrèrent
dans une grande prairie, où ils fe repoferent
un peu » pour y penfer ceux qui avoienc efté
bleÎTez à rembufcade. Ces Indiens parurent
à une demie lieue de là fur une éminence où
il n*y avoir point d arbres >& qui eftoit pro­
che du grand chemin par où les Avanturiers
dévoient paiTer. Morgan détacha cinquante Morgm
hommes, qui furent par derrière , afin d*en
Surprendre quelqu’u n , 6c deiçavoir des nou- des'^pri.
velles des Elpagnob: mais ce fut vainement^ fonnier5^
car ces gensiçavoient tous les détours , 8c
marçhoient toujours à leur veue ; tantoft ils
cftoient d ev an t, 5c tantoft derrière.
Deux heures après on les vit encore â deux
portées de mouiquet iur la même éminence
où ils avoient déjà paru, pendant que les A
vanturiers eftoient iiir une autre vis-à-vis.
Entre ces deux éminences il y avoitun grand
fond plein de bois de haute futaye , où les
Avanturiers croyoient qu*ils euiTent uneem-
buicade, parce qu’ils y defeendoient; cepen­
dant il n’y en avoit p o in t, 8c ils n*y defeen
doient que pour fe cacher à la veue des A
vanturiers , 8c prendre un autre chemin , ne
faiiànt que voltiger autour d*eux i afin d’en
prendre quelqu’un. Bien ibuvent ils leur cri-*
oient ^ A laprairie , à la prairie , chiens d'An*

F 4 Ce
tir H I S T O I R E
Ce mefme foir les Avantiiriers furent obFiu
p^ez de camper de bonne heure , parce qu^if
commençoit a pleuvoir. Ils eurent bien de
la peine à trouver dequoy fe loger & ie
nourrir >car les Eipagnols avoient tout brû­
le » 6c chaiTé le ^bétail ; fi bien qufils furenS
contraints de s’écarter du chemini afin d’en
I II chercher. Ils trouvèrent environ â une lieue
du grand chemin une Hate , dont les mai-
ions n’eftoient point brûlées ; mais il n*y en
avoir pas aiTez pour loger tout le monde j fi
J I' bien que pour garantir du moins les muni­
I' I tions 6 c les armes de la pluye ^ on ordonna
qu’un certain nombre de chaque Compag­
nie entreroient dans les maiibns pour garder
^ s arm es, afin qu^en cas d'alarme ^ chacun
iceuft promptement les retrouver.
' >
) ,
Cependant ceux qui eftoient dehors tâche-
lent a faire des Baraques , qu’ils couvrirent
d’herbes comme ils purent ^pour dormir ui>
peu la nuit. On pofades Sentinelles avancées
pendant ce ceinps » 6c on fit bonne garde ;
car on craignoit les Indiens 5c les Efpagnols
avec leurs lances » qui pendant la pluye n e
laiiTent pas de faire un grand effet, lorfque
les armes à feu font tout à fait inutiles.

Le lendemain neuvième jour de la


m arche, Morgan commanda qifon déchar­
;i geait toutes les armes , à caufe de la pluye^
de peur qu’en venant à l’occafion elles ne
1i manquafll-nt. Ce qui fut fait ; 6c eftant re­
chargées,les Avanturiers reprirent leur m ar­
che. Ils avoient un très-mauvais chemin â
faire, car c*eitoic toutes prairies, 6c pays dé-

ï ^ couyeis^
DES A VANTURI ERS.
touvert,où il n’yavoic point de bois ; fi bien
qu*ils eiloient obligez d'eiTuyer l’ardeur du
Soleil. ^
' La troupe d'indiens du jour precedent' re-
•pariit encore , & ne ceiTa de les obferver :
tantoft , comme on l’a déjà d it, il eiloient
devant » 6c tantoil derrière. Morgan, a qui il indiens
importoit beaucoup d’avoir un pri fou nier, fit ?ent^&dlr
détacher cinquante hommes pour cela , & p^noi^enc
promit â celuy qui en prendroic un > trois en même
cents écus outre fii part ordinaire. ' temps.^
Sur le midy les Avanturiers montèrent une
)etite montagne, de laquelle ils découvrirent
Î a mer du Zud,6c un grand navire avec cinq
Barques qui partoicnt de Panama , pour aller
aux liles de Taroga ScTarogilla^ qui n'en ibnc
éloignées que de trois ou quatre lieues. Ils
fe réjouirent à cette veue , efperant que leur .I
fatigue feroit bien-toil terminée. Leur joye
augmenta encore , lorfquc defcendant de
cette montagne , ils fe trouvèrent dans une
Vallée où il y avoit une prairie pleine de tou­
te forte de bétail, que plufienrs Efpagnolsà
cheval chaiToient:mais apercevant les Avan-
turierSj ils abandonnèrent ces animaux pour
le iauver.
C*ciloit un plaifir de voir ces gens fondre
fur ces belles : l*un tuoit un Cheval, l’autre
une Vache,l autre une Mule , Lautre un Af.
ne , 5c enfin chacun abattoir tout ce qui fe
prefenroit. Pendant qu'une partie eiloit â la
chaife , l’antre nllumoit du feu pour faire lo ­
tir la viande. Dés qu’on en apporroic, cha­
cun en cqupoit virement un morceau qu’il
fiifoiC griller fur la fia me , 5c la mangeoir,
F 5 ' Mais
IÎ4 H I S T O I R E
Morgan
fait dan-
Mais à peine avoient-ils commence ce
r.er une pas j que Morgan fit donner une faiiiTc âU
f.iuiTe at- iarine-
îatm e. Tout le monde aufil-tofl fut ibus les ar-^
mes » & ppefi: a donner. Il falut donc mac^
cher ; neanmoins chacun demeura iaiiî de
quelque morceau de viande à demie roric,
ou toute crue, qu'ils portoient en banda-
Av.tmu- Mere. Il eft vray que ces gens en cet état c-
rcis ef-
11 liey iblc5. fioient capables, à leur ienl afpetfl, d'époii-
: vant^r les plus hardis ; car en guerre aiiiiî
bien qu*en amour,- l’on fçait que les yeux
^ i font toujours les premiers vaincus^ Ils allè­
rent ainfi jufqu’au ibir, qu'ils camper eut firr
une petite éminencc,d’où ils apcrceurent les
Tours de la Ville de
A cette vend ils- s'écrièrent de foye pa>r
trois foisj Sc deux cents hommes parurent à
la portée du mouiquet, qui commencèrent i
A p-proche. leur répondre. Quelques-uns des Avantu-
cc Pana-
lege- riers s’approchèrent pour les falüer de quel­
rf ei^ar- ques coups de fuiil ; mais ils s’enfuirent en
criant ; Mamna , manant , ferros a la Savana^x
qui veut dire >demain^ demain^chhm que vous
5 ^i-otis vou^ verrons a la Savane,
Morgan fit donc camper Tes gens fur una
petite éminence ,.d*rii il pouvoir découvrir
les Eipagnoîs tout autour de Iivy, Il y avoir
encore plus de deux heures de Soleil mars
Î! ne voulut point paiTer o u tre, afin d'avoir
un jour entier pour le combar , refelu de le
commencer le lendemain de grand matin.
I •'
Cependant il fit battre les Tambours , joiier
les Trompettes» §c déployer les Drapeaux,
Les Efpagnols en firent autant de leur coft e;
II
ï1
I
m

DES A V A N T U R I E RS. i î /
ïî parut anifi pliifteurs Compagnies d'Infan- Marche
terie »6c quantité d^Efcadrons de Cavalerie
tout / autour
J .
des Avanturiers , environ a îa monolc.
portée d*un canon.
Cela dura jufqu’à la nuit fermante , que
Morgan fit faire bonne garde, 6c mettre dou­
ble Sentinelle. Il faifoit donner de temps en
temps defauiles allarmes , afin de tenir tou­
jours fes gens en haleine , qui eftoient fore
réjouis, efperant le lendemain faire bonne
chere.
Cela n*empefcha pas que ceux gui avoient
encore de la viande ne fa mangeaiTenc telle
qifelle cllo it, car il ne fut permis d'allumer
du feu que pour fumer.Chacun avoir Ton or­
dre particulier,en cas que les Efpagnols vinf-
fent attaquer de nuit ; 6c .après cela , fc re­
po fa qui put. Cependant les Elpagnols tirè­
rent toute la nuit du canon.

Le lendamain 27. dixiéme 6c dernier jour Le? Ffpa^'


de la m arche, les Efpagnols firent battre la g n o lsto n î
Diane les premiers. Morgan leur répondit-, 6c battre 1%
Diane.
fi-toft qu’il fut jour Von vit paroiÎVre autour M organ
de ion armée plufieucs petits Efeadrons de leur ré­
Cavalerie, qui venoient Vobferver. Morgan pond , 6ç
m et les
commanda à fes gens de fe preparer au coin- gens en.
batj 6c dans ce moment un des Guides don­ b.i taille»
na avis a Morgan de ne pas firivre le ?rand
chemin j parce que les Efpagnofs y pou-
Voient eftre retranchez, 6c faire bien du car­
nage,
Ôii trouva cela à propos, 6c on laiiTa fe Défilé
grand chenain à la droite en défilant dans un pénible.
petit bois,où le chemin eftoic ii mauyais,qi3e
F 6 tous
1 H"I S T O T R S
tous autres ^ens que les Avantiiricrs atf-*
roient eu de la peine à y paiTer. Apres deux
heures de cette marche , les Avanturiers ar-
riverentfur une petite eminence, d’où ils dé­
couvrirent l’armée des Efpagnols , qui eiloic
Ordre '5c tres-belle, 6c qui marchoic err bon ordre. La
” -i*^e'de ^ ‘"^valerie eiloit auiTi leile que quand elle va
rarmée combat des T aureaux. L’Infanterie ne Iny
iiipagno!e ccdoit en rien ; on ne voyoit que des habits
de foye de toutes fortes de couleurs, qui pa-
roiiToient beaucoup par la refiedrion des
rayons du Soleil.
lij ' i l ' ^ Les Avanturiers à cette vene commencè­
^!! .'is
I I ' ! rent à faire trois cris qui aiiroient épouvanté
les plus hardis. Les Èfpaççnols en firent de
:■ ' t mefme , & les deux partys avançoient tou­
jours les uns contre les autres.
Quand on fut preft à donner , Morgan fie
ranger Ton armée en bataille feulement pour
la forme ^ car il eft impofiîble d*obIiger ces
gens de garder leur ra n g , comme on fait en
rétachc- Europe. Les deux cent Enfans perdus furent
ment des devant s’oppofêrâla Cavalerie, quicfperoit
I iiinns venir fondre fur les Avanturiers, avec deux
mille Taureaux animez , que les Efpagnoîs
chaiToient de l’autre codé : mais leur deiTein
fut rompu par deux moycns;le premier,qu*ils
rencontrèrent un lieu un peu marécageux ^
où les chevaux ne vouloient point paifer- Le
fécond fut que les Enfms perdus les prévins
!1 îfi'rfcu te n t, 6c mettant ungenoüil à terre , com-
cüniinuc.’. ruencerenc à faire une furieufe décharge : la
moitié riroit pendant que l’autre chargeoit,
bien que le feu ne difeontinuoit point >outre
que chaque coup ponoic, car ils ne nroient
poinî

.1(
DES A V A N T T J R I E R S ; * i î 7
■pftint qu’ils n’abattilfcnc ou rhom m e, ou le
cheval.
Ce combat dura environ deux heures >oîi Dériîfé
toute la Cavalerie fut défaite , fins qu’il en
cchapaft plus de cinquante qui prirent h paPnolê
fuite,Cependant T’InGanterie voulu avancer? ^
mais fi-toft qu’elle vitcette défaite ^ elle tira
ieulemenr, & après jetra les armes» Sc s’en-
ruic en défilant a coile d’une petite montaiç*^
ne hors de la veuë des Avantnriers^qui croy-
oient qu elle vouloir venir les furprendre par
derrière.
Quand la Cavalerie fut défaite , les Tau­
reaux ne iervirent plus de rien } car ceux qui
les conduifoient ne pouvoient pas en eltre
les maiflres. Les Avanturiers s’apercevant -
de cela , envoyèrent contre ces animaux
quelques Fuieliers qui firent voltii^er leurs
drapeaux devant eux avec des cris terribles*
deicrte que ces Taureaux prirent Tépouvan-
te , & coururent d’une telle force ^ que ceux
qui les conduifoient furent auffi contraints
& bien aifes de fe retirer.
Lorfque les Avanturiers virent que lesEf- LesAvajî:
'pAi^nols ne le ralioient p o in t, 8c qu’au con-
traire iis fuyoient çà 8c lâ par petites trou-
pes, ils commencèrent à donner deirus,6c en EfbaVnli.
prirent une i^rande partie qui fut ruée.Quel-
ques Cordeliers qui eftoient dans cette ar­
mée,furent pris 5c amenez à Morgan,qui les
ne mourir fur Mieurc.
On prit aurtl un Capitaine de Cavalerie
bleife , ^u’on trouva parmy les morts,qu’on
amena a Morgan , qui ne voulut pas davan- deiapfa-
tage de priionniers, dilant qu’ils ne feroienc
' qu’em-
h i s t o i r e
qu’eiïibarniTer jufqu’à ce qu’on fuß: m aîfhf r
de touc„ Il interroG;ea ce Capitaine des for­
ces qu*il y avoit dans la Ville ; lequel répon­
dit que tout le monde en cftoic forci au nom­
bre de deux mille hommes dTnfanterie , 5c
de quatre cent de Cavalerie , avec fix cent
Indiens, & deux mille Taureaux j qu'il y a-
voit quinze jours que ces 2;ens*là couchoient
dehors dans la Savana , où ils eiloient cam­
i .'«f pez J qu*on avoir abandonné la Ville, ayant
envoyé toutes les femmes & les richeifes aox
Ifies de ; qu’on avoir lailfé dans la
Ville cent hommes avec vinc;t-hiiit pieces de
canon braquées dans les avenues de la place
& des principales rues , en cas qu’on fuÆ
contraint de fe retirer dans la Ville , où il
croyoit que le Prefidenr,voyant que la cam-
pa[>ne luy eftoic defavanta2;eufe , fe ieroit re­
tiré-car il avoit encore bien du monde,pour-
Lieuxgi- veu qifil les puft ralier. Il ajouta que les
ft^beiix oùeftoitce canon eftoienc gabionez
.1 1 riiie, *avec des facs de farine de la hauteur d’mi
homme. Il donna anifi avis qu'on ne priiV
pas le chemin de Crux , parce que , difoit-il ?
on trouveroit à l’entrée de la Ville une Re­
doute avec huit pieces de bronze, qui pour-
roient bien faire du fracas.
Morgan ayant appris ces nouvelles ra f
fembla fes ^ens > & leur dit qu’il ne falloir
point perdre de temps » 8c que ii on donnoit
le loifir aux Efpa^nols de fe ralier dans la
M organ y - j i g ^ pourroit plus prendre 5 c’eft
cherTon pourquoy il faloïc marcher contre elle le plus
tr e ja Vil- piomtement qu’ilferoit poil!ble,afin d’y eftre
auifi toil qu'eux , 8c de leur en empefeber
rentrée.

'il ■!
II'

IV
DES A V A N T Ü R Î E R S . Ti^
l*ehtrce.En mefme temps il fît reveue,8c Ton
trouva iVy en avok que deux de morts,
de deux de bÎeiîez.
L'on croira peut-eftre cecy une fable, vea LesEfpag^
les differentes forces des deux partys , dont
l‘un eftoicplus confiderable que l’autre , & iJeLoup
tous deux et^^alcment animez: car il eft éton- de mon-
nant que les Avantnriers iè ibient retirez du
combat avec fi peu de perte,& les Efpao-nols
iivec un fi grand deilwantage, qu’il en de-flSion de
meura plus de fix centfur la place. Je ne puis l’Autheus
pourtant me difpenfer de Pecrire , en ayant
efté témoin moy-meme. A la vérité fi je
Pavois pas vû , je ne pourrois pas me per-
itiader que cela fuft - & peut-efrre que ceux
qui liront ce Voyage retrouveront duns la
meirne peine: cependant plufienrs pèrfonnes
peuvent rendre témoignage que je dis vray:
car iîpafie tous les jours des François de ces
Contrées en celles-cy >â qui je laiiTe la cerr-*
iu re de tout ce que j'ay écrit.
Morgan voyant qu'il avoit perdu fi peu de
mondée, s’avança vers la Ville, exhortant fes
gens a ne^fepas abandonner les uns les
très,ma is a combattre courageuiement com-
me ils^ a voient déjà fa it, fins leur déguiier
toutefois que ce fécond combat ne ferôit pas
n facile que le premier. Les Avanturiers con­
duits parle Capitaine delà Cavalerie Efpag-
nole,qu ils avoientfait prifonnier ♦marchè­
rent par le chemin qui vient de Tortohello à
Tiinamct, où il n'y avoit aucun peril.Entrant Avaotu.-
dans la Ville , & voyant qu'il n’y avoit per-
fonne , iis cqnroient l’un d'un codé , l’autre dence*
üc raucre^ ùns fonger â l’avis qu’on leur a- donnent
voit
H I S T O I R E
â ie« voit donné a éviter le canon qui eiloitdnni
t '1 non des *’ la 2;randc pKacc , une partie d»eux furent y
ennemis, donner en poiirfuivant quelqu’un qu’ils a-
voient vu mir.
Aufli-toft on tira le canon , qui en bleiTiT
i: ' vingt'Cinq ou trente , 6c en tua^bicn autant»
fans pouvoir faire que cette décharge : car
à l’inftant les Avanturiers fondirent fur les
I;
Canoniers, 6c p^aiTerent au fil de Tépée tous
ceux qu’ils trouvèrent dans la Ville. Des que
Morgan ie .vit maiiïte de VammA , il fit af»
fem bler tout fon monde , à qui il défendit de
boire de vin , difant que les pt-ifonniers Ef-
pagnols Tavoient averti quhl y en avoir
beaucoup d’einpoifonné^Cela n’eiloit pour­
tant pas 'y mais Morgan le difoic ainfi » ahii
d’empêcher Tes gens de s’cnyvrcr • ce qu’ils
auroicnefaie fans doute , s’ils n’avoient pas
craint d’eftre empoifonnez.

C hap I T k B XII.

Morgan envoyé fes gens en courfifait hrâler'Pana*


ma. , retourne a Chagre,

Cotrime Prés que Morgan eut donné fes ordres^


M organ 6c diftribué fes gens dans des quartiers
(■
s'em pare diiFerens, il fit équiper une Barque qiiieftcic it
de la Vil­ demeurée dans le Port,remplie de Marchan-
le , ôc la
fait gar­ difes, 6c de hardes que les Efpagnols von-
der. ioientfauver , mais ils n’en avoient pas eu le
temps,à caufe que la mer avoir baiiÎé avant
que leur Barque fur chargée : Et ne croyant
pas que les Avanciiricrs entraifent ii-toit
^ ^ dans
H I
D E S A V A N T U R I E R S . ï ^î
‘dans la Ville , ils artendoient à la premiere
'inarec poiiríbrtir ; mais ils furent prévenus,
car Morgan la fit au plûtoft décharger pour
y embarquer zç. hommes bien armeZjavec
un guide Efpagno]. lî donna fe commande­
ment de cette Barque â un Capitaine An-
glois y 8c demeura dans Panama,
Avant que cette Ville fnft brûle'e, elle e- Defcripi
ftoit fcituce furie rivage de la mer du Zud ,
dans j ’Iftume du meiioie nom, au neuvie/ine
degré de latitude Septentrionale^on la voyoic I .
alors ouverte de toutes parts,5c fans murail­
les , n'ayant pour route ForcerciTe que deux
redoutes , une fur le bord de la mer avec iîx
pieces de canon de fonte, & Tautre vers le i1
chemin qui vient de Crux à la Ville , fur la-
'‘ quelle il y avoir huit pieces de canon de bron­
ze s outre cela on y trouvoit encore 28. pie­
ces de bronze, tirant 24. 12, & 8. livres de
balle. Ellepouvoit contenir fix àieptm ilîe
maiibns toutes bafties de bois de C edreon
en voyoit quelques-unes de pierre.mais peu,
'“les ruës eftoient belles, larges,& les maifons
également bafties : Il y avoir huit Monafte-
re s , tant d’hommes que de femmes, une E-
glife Epifcopale , & une ParoiiTiale, un Hô­
pital adminiftré par des filles Religieufes.
C'eftoit en cette Ville que venoient toutes-
les Marchandiies du Pérou ^il ai rivoit tous les
ans une Flotte de ce pais chargée de barro
d or & d’argent pour le Roy,& pour les Mar­
chands. Quand elle s'en retournoir,ellechar-
geoit tontes les Marchandiies qui étoienr â
Panama , pour les Royaumes du Pérou 8c de
C hik » avec les Nègres que les Génois ap­
portent
h i s t o i r e
i
portent en ce lien , pour travaiHer aux mînci
de ces deux Royaumes. Il y avoir plus de
deux mille Mulets entretenus route Tannee,
6 c employez à porter l’or 5c l’arç^enc qui ve#
noit du Pérou à cette Ville,pour eftre embar­
que à Vuertûbello fur les Gallioiis du Roy d*EÎ-
agnc. Cette Ville eftoit entourée de tres-

I
E eaux jardinapjes 5c de msiibns de plaiiançe,
qui apparrenoient à plufieurs Marchands,
t qu’on peut dire les plus puifTans des Indes du
Roy d Efpai>ne. Elle eftoic gouvernée par un
Prefident ,‘qiiî eiloit auflî Capitaine general
du Royaume de terre ferme» 5c avoir les vil­
les de Pusrtohdlo , de , 8c les Bourgs de
Crux^ Venonome » Capira ^ tous peu«
plez par des Efpagnols.
Voilà ce qui regarde le Temporel ; Pour le
Spirituel J elle avoir un Eveique SufFragant
de l’Archevefcjue du Pérou : Get .EveC»
!’ I que eft Primat au Royaume de terre ferme',
Gc Royaume eft' un des meilleurs des Indes %
tant pour la bonté de fon climat > que pour
la fertilité de Tes contrées , qui font riches en
mines de toutes fortes de métaux,8c de bois
à baftir des N avires, dont on pourroit peu­
pler les deux m ers, fçavoir du Zud 5c du
N ord, outre ta fertilité du terroir » qui pro­
duit toutes les chofes neceifaires a la vie.Les
I !
Efpagnols y nourriifeut tres-grande quantité
de bétail, 5c ils tirent un profit confiderablc
des cuirs Îculcmenc,
Voila tout ce qui fe peut dire en general de
l’Iftame 8c de la ville de Panama , qui fut
biûléepar les Avanturiers en Lan l e - j o, 5C
îcbaftie parles Efpagnols à milieu pluscona-
^ mode
'i-y ' í-

-f' :
^ „• Vv
U/. ': ■'•^■•*;••' ' Ù > *1 !■

Ig 1 i4*j
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DES AVANTURÎERS: rj/
îiiode que celiiy où eftoit iMncienne, à caufc ' \
que le Port eft meilleur , & Peau douce en
plus s;rande abondance >eftant fur le bord
d'une Riviere quife de'charge dans la Mer du
2 nd , 8c qui peut donner entrée à plniieurs
beaux VaiiTeaux# Cette Riviere eft nommée
des Kfpagnols Rto-Grande^çWe cft d'une gran­
de étendue , comme on le peut voir diTns la
Carte que je donne.
La Barque que Morgan avoir envoyée fur vifite de
la mer du Zud ne fut pas plûtoft partie , que Panama,
Tes gens vifiterent la ville de Panama^8c foüil-
Icrent les maifons jes plus apparentes.
trouvèrent quantité de Magazins pleins de
Marchandiiès , que les Efpagnols avoienc
laiiTécs, n'ayant pas aiTez de Vaiifeaux pour
les em barquer, ny aiTez de temps pour les
emporter,quoy qu’ils euifent eu un mois en-
‘tier pour cela. Ceux qui n’avoient pas 1e cré­
dit de les mettre dans des VaiiTeaux pour les
fauver par m er, qui eftoit la voye .la plus
feure, les amenoient par terre avec des Mu«
lets.
Il y avoir encore beaucoup d’autres Ma-
Î igazins » les uns pleins de farines , les autres
^ d e toutes fortes d’inftrumens de fer , pour
ê porter nu Pérou» où il vaut 8 . piaftres la Ro-
.3 ne , qui eft un poids Efpagnol pefant 2,
- Ivres, Tous ces inftmmenT eftoient » houes,
1 haches , enclumes , iocs de charuë» ôc géné­
ralement tous ceux qui fervent aux mines
_ d^or & d'argent. Il y avoit aufll quantité dtr
. vin , d’huile d’olives 8c d’épiceries : En un
r mot» tout ce qu’on poiirroit rencontrer dans
£ 4inc des plus fameufes Villes de l'Europe^car
w celle-

-./•U'

:__
3 ^ 4* H I S T O' I ÏÏ E * ‘
ceile-cy'eftoit le Mn^azin de pliifienrs Pro^
vii7ces Sc Royaume de T Amérique»qui ioiU
it, fous I’obeiiiance du Roy d'Efpa^ne.
Morgan Mor2;an qui craignoir que les Efpagnols ne
i'iit brûler Jq vinirent furj-irendre îa nuit dans cette Vil-
cz pour- le > fit Illettré
, le feu fubtilcment
, , leOfoir à quel-
jQuoy, ques maiions un peu ecarcees , oc en melme
temps fît courir le biuic parmy les pidfonniers
qu’il avoir » & parmy Tes gens melme , que
les Efpagnols eiloicnc les aucheurs de cet in­
cendie , qui gagna tellement» qu’avant qu*il
fût nuit la Ville eftoità moitié brûlée : 11 y
' eut quantité d^Eiclaves de d’animaux qui
périrent dans eet embraiement. Le lende­
main matm cette Ville fe trouva conibm-
m ée,excepté la maifon du Prefident, qui
eftant un peu éloignée , n’eut aucun dom­
mage , comme aufli un petit coin , où il y re­
lia environ cinq ou fix cent maifons de Mu­
letiers , de deux C loîtres, içavoir celuy de:
Saint Jofeph , Scceluy des Religieux de la:
Redemption.
Tous les Avanturiers couchèrent cette
miic hors de la Ville, de peut que les Efpag-
Arpîîc.i- nols ne les vinÎTent attaquer : Le lendemain
tions di- j^0i*o;an fit détacher fix hommes de chaque
pLoigw, Compagnie pour taire un corps , afin d’en­
voyer à annoncer la vitfeoire qu’il a-
voit remportée » 5c pour voir fl les gens qu’il
avoir laiifez au Fort n’avoientbefoinderien*
Il fit encore deux décacbemens de la melme
force pour aller en parti-fi bien que ces trois
Corps failbienc chacun cent quatre-vingts
hommes. Si toil qu’ils furent en campagne
Morgan employa les autres à mener tout lejf
canon^

■ i:
M
'
5"V ¥ ;■I’

DES AVAN TURIERS:


Cíinon , Sc celuy qui eftoic demeuré en íb a
entier , c*eft à dire» dont les affûts n'eftoienc I!
point brûlez, il le fit placer autour de l’Egli- I !'
iê des Peres de la Trinité, Sc en fuite s*y re­
trancha en cas qu’il fût attaqué. On y luic
auiïi tous les bleifez avec les prifonniers,
qu’on tint en des lieux fcpaiez.
Le lendemain la Barque que Morgan a- Eelleprife
voit envoyée fur mer 5revint avec trois au-
très eharitées de pillage Sc de priibnniers j I. ‘
■naaisils avoient manqué la plus belle priie du
monde. Le m efm eibirqu’ils eftoient partis,
ils arrivèrent à une des petites liles qui l’o nt
devant P anam a , où ils prirent la Chaloupe
d*un Vaiileau du Roy d’Efpagne de quatre
I cent tonneaux .• Il y avoir dans cette Cha-
' loupe fept hommes. qui dirent aux Avantu-
' fiers que l’argent du Roy eftoic dans ce Vaif.
Peau, 6c que les Trefors des Eglifes de Píína^ 1;
- avec la plufpart des Religieux 6c Reli-
5gieufes y eftoient encore, comme aiiiTi tou-
i res les femmes des plus fameux Marchands
; de P marna , leurs pierreries & leurs richclTes;
î U bien que ce Baftimenr n’avoic aucun Laft,
: c’eft à dire » aucun caillou , ny aucune des
^autres chofesque l’on a accouifumc de met-
^rre au fond du VaiiTeau pour fervir d’équili-
r bre » mais c’eftoit tout l’or 6c l’argent de Pa»
y^^afna qui fervoic à cet ulage- ils ajoutèrent
ï que ce VaiiTeau n*eftoic monté que de fix
J pieces de can o n, avec peu d’hommes 6c ! rOi
tbeaucoup d’enfans» qui ne craignoient rien*
croyant pas que les Avançarieis eulTenc
-des Bâtimens pour venir lur cette mer.
Le Capitaine Chait qui commandoic ces Mefure
ii

.’iAt
îî î s T O I îl E
7 wnnturiers» crût que ce Navire ne luy pour^ '(
K^ic échaper , à cauie qu’il en avoir pris U
Chaloupe , & que le Navire meiîne n*avok
poinc d*cau 5 c’eil: pourquoy il ne fit aucune i,
II dili«;ence ceibirdâ, parce qu*il eftoic un peu (
ta ri 5 5c s’imagina qu*il pouvoir attendre fc
jufqu*au lendemain matin. Cependant luy jJ
5c les gens paiTerent là nuit à boire , 5c à fe
iI divertir avec des femmes Efpagnoles qu’ils
avoient prifcs fur les petites Ifles.
Le lendemain il alla à la recherche de cciS>
Navire »lequel voyant que ia Chaloupe ne é.
vevenoit point »le douta q tf elle eftoit prife j =
k v a h a n c re 5c ie iauva.LesAvanturiers s’eu;'
eflant apperçns,jugèrent qu*i) amaiTeroit des^^
r . forces, 5c qu*on ne le prendroit pas ficile-
ment ^ crurent qu’ils ne feroient pas aifez :‘j
forts 3 8c qu’il failoic aller quérir du monde à
Fanam it , où ils arrivèrent des le foirmefme n
avec les trois Barques qifiîs avoient prifes.
Aiifli-toiV que Morgan eut entendu ce qui i
s*eftoit paifénl les renvo^'a dans de plus gran-'i?'
des Barques chargées de gens j afin de pour-s.
fuivre ce VaiiTeau » 5c de le prendre en quel«. &
que part qu'il fût allé. Les prifonniers de
Chaloupe dirent qu’il ne pouvoir pas eitréV.' '
bien éloigné , n'eftant pas en état de fairep"
voile, faute d’eau ,de vivres,5c d’eitre funé,r
ou agréé, n*ayant que les baffes voileS3 maisJ:'
aiiifi qu’il poLirroit s’eftre retiré quelque part,- '
P
5 c mis en état de fe defFendre , après avoir
débarqué les femmes 5c les enfans qui e- - '
. ■’/ I ; ftoient deffus. Dés que la iner fut haute >les, ^
deux Barques partirent bien armées>pour al-j '
1er à la recherche de ,ce VaiiTeau.
Cela
DES A V A N T U R î E R S . iff
C d a me donne lieu de dire icy une choie
yui me vient en peniee j comme les Avantu-
riers jettent la terreur par tout où ils pafTenr»
on voit fouvent que les Efpa^nols ie croyenc
vaincus avant de combattre, & qiihl femble
■ncfme ne fe deiïcndre què pour avoir le
:emps de iauver leurs biens & leurs v ie s , en
, lorte que files Avanturiers dans leurs entre«
xifes 5 comme dans celle dont il s’a g it, pre- ■I :
x)ient foin de mener alTez de monde pour
m difperfer fur terre Sc fur m e r, tout ce que
’on voudroic iaiiver fur l*un & fur l’autre
flemeutjtomberoit infailliblement dans leurs
nains. Ainii rien ne leur echaperoit, leurs
gainsferoient prodigieux, & la perte que fe- t-i= ,(
• oient les Efnagnols
* n) ineftimable.
Dansce temps les deux partis one Morgan Retour
' ivoit envoyez à la campagne depuis deux
- ours , revinrent avec plus de cent mulets
: :hargez de pillage & d’argent, 6c plus de riches^
( ieux cent piiibnniers, que l’on mit dans l’E- pules,
i gJife , dont les Avanturiers avoient fait un
: 3 orps-de-garde. On ne manqua pas de leur
il ionner la gêne des qu’ils furent arrivez, au*«
' :un n^en fut exem pt, & beaucoup l’eurent
1 1 fort, qu’ils en moururent. Les Avantu-
-i'iers ne fe ibucroicnt pas de fc défaire des
i xifonniers qui n’eiloient pas de qualité, 8c ;■ .'t,
i qiii ne découvroient pas grand’choie , car
tils ne leur eftojent qu’à charge, puis qu’il
2iCS falloir nourrir.6c quails n’avoient déjà pas
o:iop de vivres pour eux-ir.crmcs , |n plus
rgrande partie ayant efte bruilée avec la
'i Ville* , t,
JLà deifus l’autre party que Morgan ay.ojc
envoyé
't5§ HI STOI RE ;
e n v o y é z Chagre r e t o u r n a i , & apporta noù-
v e l k que tout y eiloit en bon é ta t, que leZ
!£■
Commandant du Chafeeau avoir envoyé
deux petits Vaifluîaux pour croifer devant l a |
Riviere , afin de découvrir le fecours qui^i
pourroit venir par mer aux Efpas>nols , 5c
que ces deux Bâtimens avoient cbafTé un
Navire de la mefine Nation,lequel ie voyant,
preiTc» eiloic venu fe réfugier dans la Kivierej
de Chagre , que ceux du Fort le voyant venir
avec le pavillon Efpao:nol , n'avoient pas
■ \\ manqué d*arborer aufiile pavillon Efpao;noI, S
M. 6 c encore de faire paroiftre quelques Efpai^-'l
nols» Sc qu*ainfi ce Navire croyant éviter
Mf malheur >eftoit tombé dans un antre , car^ 3(/;
i'i; I I .en mefne temps on s'en eftoit emparé. If;:
Ce Bâtiment venoit de Carta.Knc » chargé
de Maïs, d*autres vivres» 6c de quelques e-
tneraudes,mais alors les Avanturiers reftém- 4
K erentau coq d’Efopejqui préféra un grain i|f<
de bled à un diamant : parce qu*ils aimoienc 3\t
mieux ce Vaiifeau 8c fa charge de M aïs, qui j|g
il r îeiir eftoit neceiTaire pour vivre , que for 8c ' Ct:
l ’argent dont ils ie pouvoient paÎTcr. Tout ce
que je viens deraporter, fut caufe que Mor- ■
gan demeura â P a n a m a plus long-temps qu’ilnjiï
n*auroitfut.
En fuite les Barques qui eftoient allées a- ’'ur
prés le grand N avire, retournèrent ians l’a-
voir pu trouver, quoy que les Avanturiers :|
euffent fait toute la diligence imagmable.Ils II
amenèrent encore quelques Barques clinr-
gées de pillage , d’argent 6c de pnfdnniers , f
-6 c un Navire qu'ils avoienc pris venant de
£Asta ville du Pérou , chargé de bifcuit, de
i'.
lucre.
DES A V A N T U R I E R S . r y
ÏÎscre , de iavon, & de drap du Pérou , avec
Vin<^c mille piaftres en ari^cnt monnoyd.
' Les ^ens de ce Navire rurenc fore furpris
de trouver là des Anglois , parce que Ton
n*y en avoir point veu depuis que Drac , ce
grand Avanr.urier François>y eftoit encré par
le Golfe dn, Darien, iifii
Siles gens que Morgan envoyoit en cour- A vant«,
le eltoienc ainii en adtion, ceux qu'il retc- to û .
noie avec luy ne demeuroienc pas non plus Xon!'*
oifîfs , car tous les jours il partoïc un parti de
deux cent hommes, qui n*eftoient pas plûcoft
revenus, qu’on en renvoyoit un autre. Ceux
qui reftoient à la V ille, alloient chercher
dans les mazures des maiibns brûlées, ou
fort fouvcnc ils trouvoient de l’argent que
les Efpagnols avoienc caché dans des puits.
Les autres s’employoienc à brûler des dentel- Riches é-
les & des étoffes d’or & d 'arg en t, afin d’en ^
Stirer l’or & l’argent, parce que tous ces ou-
svrages de m^anufadrures auroient efté trop ’
long-temps à embarquer, & trop difficiles à
ïitranfporter dans la mer du Nord , outre que
r Morgan craignoit toûjours que les Efpagnols
r ue le laiiTaiTent pas retirer en fon pais ‘ fans '
s:irairembler leurs forces & l’attaquer.
Cependant les Avanturiers firent encore
Miune courfe, mais Morgan fe plaignit que les
^çartls qu’il envoyoit ne faiibient pas aiTez
)»!bonne expedition,& pour y remédier il vou-
tlut y aller luy-meihne. Dans ce deiTein il for-
nma un parti de trois cent cinquante hommes»
1a la tefte defquels. il ié m it, où tout autant
‘d'Efpagnols^ qu’il attrapoic , il leur faifoic
Ddonner la gene d’une manière-extraordinai-
Tome lU G re»
I40 H I S T O I R E

re J quand il les foupçonnoic d^avoir quelque \.


choie.
f) '' bizarre J*en rappoTteray icy un exemple* furle-
i! avanturc
k »
\ d'uii Es­
pagnol.
' campagne appartenant â un Marchand de
panama , y trouva quelques hardes qu*on a-
Ï1. ^{ i.-
voit laiiTe tomber ça 8c là en fe fauvant :
‘'
Cet homme s'accommoda fur le champ » de
H '
1
lin^e 8c de quelques veftemens meilleurs que :: I

les iiens ; il les changea , prit une chemife


blanche 8 c un caleçon de deiTous de taffetas
rouge fort fin : il avoir auffi ramaffé une clef
d*argent, qui pou voit eftre de quelque caf»
fette, 8c n'ayant point de poche pour la met­
tre *l’avoit attachée àTéguillette de ce cale-«
ççn defoye.
Là deffus les Avanturiers entrèrent dans
cette mailbn » prirent cet homme : 8c le
voyant ainfi paré » crûrent qu’il en cftoit le
Maiftre. Il avoit beau s’en exculer * 8c leur
monftrerfes mefehans habits qu’il venoit de
q u itter, difant qu’il eftoit un pauvre hom­
me . vivant de charitez >8c que le hazard
l’avoit conduit en ce lieu. Sans s’arrefter à
ces diieours ils luy firent fouffrir des tour-
mens incroyables .* 8c comme il ne confef-
Ibit rien >ils les redoublèrent ; puis voyant t '

qu'il n*en pouvoir revenir »l’abandonnèrent


à des Negres qui 1*achevèrent à coups de
Lances,
Morgan avoir déjà paffé huit jours à exer­
cer par tout des cruaucezinoüies » en pillant
les Elpagnols ; 8c apres en avoir fait mourir
plufiçurs* Çc atnaifé un grand butin » il re­
liJ ’ tourna

T'!
D E S A V A N T U R Î E ^ s. 141
tourna à Panama, où il trouva les Barques
revenues de courfe* qui avoient encore a-
mené quantité de pillage & de priionnicres >
entre Iciquelles il y enavoitune qui fe.di-
1 ftinguoit des autres. Toutes Tes maniérés
marquoient une peribnne de qualité» ce n’e-
ftoit pourtant que la femme d"un Marchand ïli
Efpagnol,que quelques affaires importantes
avoient obligé de paiTer au Pérou. Il favoic
laifTée en partant dans les mains de iès pro­
ches J avec qui elle s’eiloic iauvée, & venoic
d'*cftre priie.
Elle eiloic alors fort négligée , mais une Portrait

« grande jeuneÎTe accompagnée de tous


charmes, la paroient naturellement ; car a- if ^r
^ vec des cheveux du plus beau noir du mon- paouole,
de , on luy vovoit une blancheur â éblouir , *
6c Tes yeux v ifs, 6c Ion teint de meiînejbril-
o^-loient encore parmi tout cela .• Elle avoic
auiïi de la taille , de la gorge, 8c de Tembon-
id poin t, ce qu’il Iny en falloit pour eilre bien
ni faite ; 6c la fierté Efpagnolc,qu’on a peine à
o iouffrir dans celles de fa Nation ,plaifoic en
Üitile ; de forte qu’elle n’y paroiifoic que pour
^ luy attirer du refpedf,8c pour relever fa beau-
ai té : En un m o t, je n’ay jamais vu , ny dans
^ les Indes, ny dansi’Efpagne , une femme
iWplus accomplie.
Elle toucha le cœur de Morgan, 5c de tous Morgan
ceux qui la virent comme lay, Ils envierenr
sic bonheur d’en eilre aymé , 5c l’auioient
difpurc a Morgan mefme , fans la deference reux.Ses
f qa*ils avoient poiir'iuy. On s’aperçut de poux
.i^aflion à Tes habits, qu'ii prit plus propres,5c *
iiiiüii humeur qu’il rendit plus fociable. En
2. fuite
H I S T O I R E
fuite il eut foin de. faire feparer cette prifon-
niere des antres , & qu*elle ne manquaft de
rien, mit des Eiclaves auprès d’elle pour la
fervir,& donna la liberté à fes amies de con-
vcrièr avec elle; ce qui l’obligea de dire, que
les Corfaireseftoient auiTi gaians que les Ëf-
pagnols:& plufieurs femmes de faiuite,con-
"" fiierant quelquefois les Avanturiers , s’ e-
crioient toutes furprifes , loé mon Dieu ! les Pi­
rates font hommes comme les Efpagnols, Ces fem­
mes diibicnt cela , parce que leurs maris,lenr
faiibient accroire que les Anglois eftoient
des monftres hideux, 8c pour les en convain-
Preven- ^’te, leur promettoient iouvent de leur en ap­
tiens des porter des teftes .* Biles eftoient meimes iî
!» feninies pre'venues de cela , que plufieurs m’ ont in-
r»ÎOT°re genuëmenc avoué , qu'elles ne pouvoient
1 lis Avati.s’ etnpefcher d’admirer que nous fuffions des
furiers. hommes comme les autres.
Cependant la Dame Efpagnole recevoit
les bienfaits 8c les vifites de Morgan de la
» ^ ^ ^ ~ ~ ^ a..f

maniéré du monde la plus obligeante, ne les


attribuant qu’à la bonté de Ion naturel qu*el-
le admiroic dans un homme de ce caractère;icfti
mais elle fut bien furprife , lors qu’une El-
clave qui la iè r v o it, 8c que Morgan avoic
gagnée , luy découvrit les fentimens de l’ A-
vanturier amoureux , qui luy faifoit deman­
der des choies qu’elle eftoit bien éloignée
d’ accorder. Elle refolut de luy parler elle-
meime ; 8c un jour qu’il la venoic v o ir , elle
le fit en ces termes.
liTez doucement.
DES A V A N T U R I E R S . 14^
cRoient fans humanité , 6c abandonnez à
toutes forces de vices ; je fuis déjà convain­
cue de voftre hum anité, par les bons offices
q u e vous m’avez rendus jufqnes icy, 8c il ne
tiendra qu*â vous, qu’en tenant une condui­
te differente de celle que vous tenez à mon
éu;ard , je ne fois es;alement perliiadée de
voftre vertu , afin que je n’ajoûce plus de foy
aux bruits deiavantageux qui courent de
vous , 5c que détrompée par ma propre ex­
perience , je puiffe auffi détromper les au-
tres.
Morgan eftoittrop préoccupédes^charmes
de la belle Efpagnole pour fonger â fes dii-
cours : Il crut mefîne dans ce moment que
fon refus n’eftoit pas fîneere, 5c voulut s‘é- ,
manciper î mais elle le repouiTa i^enereufc-
ment, 8c luy fit voir dans cette occafion tant "an rcjîj.'^
de fageiTe 8c de courage, qu’elle réprima fon mee,
infolence 8c confondit fa brutalité : En forte Sa ven-
qu’il fut obligé de fe retirer. Il conçut pour- geancc,
tant un fecrec dépit de fa fierté^ dont il refo-
lut de fe vanger.
Pour cela il luy fit faire fbus*main tous les
déplaifîrs dont il pût s’imaginer, donna mef-
me contre elle des ordres feveres, qu’il defa-' ^
voüoit adroitement en fa pvefence , pour luy
faire mieux fentir les iervices qu'il luy ren-
d o it, 8c l’aiTurer de fa bonne volonté.
On la follicita encore de fa parc avec beau­
coup de force ; mais à ces nouvelles inftan-
ces elle fît de nouveaux refus •• 8c une fois
que les femmes qui la fervoient, d'intelligen­
ce avec Morgan , Pavoicnc laiiTcc feule avec
Iiiy fous divers prétextés, ilia preiTa plus for-
G 3 ccnicnc
Ï44 H I S T 0 I ÎI E
tementque iamais, elle luy refifta de meiiirc?
& comme il la renoit embraiTee pour luV h?
faire vioIence5elîe s'arracha d'entre fes bras,
& s’eloii^nant de luy avec précipitation • ar-
re fte , luy cria-f elle . voyant qiril la voùloic
1 1- ÎLiivre , arrefte , & ne t’imagine pas , qu*a-
ptfs m^avqiroftéles biens'& la liberté , ru
Vrr,r.„f fflc rflvir ce qui m’eft
de lala oci-
tic bel. rh<
* t 5nr H
J #» 1l.iTt ■* c»
T touc
— 7 Cela.r Puis
i
s’appro»
11 ]* rfpag- de luy toute rurieuie , itir le point qu'il
n oie. avançoit vers elle • Apprens, pourfuivit-clle,
1 que je içay mourir >& que je me fens capa»
ble de porter les chofes â la dernière extré­
'I . Ii l’l; mité contre toy & contre moy meme. A ces
ci»* Mor-
tan. rnots » tirant un poignard qu’elle tenoit ca­
che , elle luy^auroit plonp;c dans le fein , s'il
n'avoit évité le coup ; car Moif^an furpris
d une adtion fi déterminée & fi impréviië ,
iivoit recidé quelques pas. 11 reconnut par là
que cette t'ejnme ieroit toujours inflexible,la
quitta outre de rage, & reiblut de ne la plus
revoir.
Jî ch.-^nge
- , Auffi-tofi- il commença à chanacr de ma»
i c proce. nicre àfon égard,à retirer d’auprès d’elle les
Elclaves qui la ferv^oient, & les femmes qui
Pentretenoient, & à ne luy faire donner que
ce qu*il falloir pour conferver fa vie. Enfin
il la fit avertir de payer trente mille piaftres
pour fa rançon . autrement qu'il Pemmene-
roita la Jamaïque. Pour mieux couvrir ion
jeu, 5cafin qu’on neibupçonnaft rien d'un
il prompt changement,il s’avifa de faire cou­
rir le bruit que cette femme s’entendoit avec •
fes ennemis ; qu'on avoir furpris des Lettres
qu’elle envoyok , 5 c qu'elle recevoir d’eux ;
qu'il
DES AV A N T t n U E R S . î 4>
f gu'il en feroit mefme voir une écrite deia
^ propre main. Cette accufation fut cau^
; qu’on ne trouva plus il étran|>e les mauvais
traicemens qu’elle recevoir tous les jours de
iuy.
J ’oubliois à dire que le Avanturiers qui lalouiîe
croyoient Mors;an favoriie de la belle Efpaç^- & m ur­
m ure des
; noie , jaloux de Ton bonheur, commençoient Avantii»
â murmurer contre luy, sim a^inant que re­ riers coiu
tenu par ion am our, il les arreftoit long­ tre M or­
temps dans ce pais , & qu’enân ce long re- gan,
' tardement donneroit lieu aux EÎpagnols de
' les y furprendre , & de les priver de tous les
avantages qu'ils avoient déjà eus fur eux, 8c
de tous ceux qu’ils pourroienc encore avoir.
Mais ils changèrent bien-toft de penféei lors
qu’ils virent que Morgan fe preparoit à re­
tourner à Chagre,
En effet, il avoir fejourne trois femaines â
Vamma (ans prefque rien faire ; & les partis
qu*il envoyoit ne trouvoiént plus rien à pil­
ler ; c’eftpourquoy il donna ordre à chaque
Compagnie d’amener un certain nombre de
Mulets , afin de charger le pillage , & de le
porter jufqu’à Crux^ pour l’embarquer fur la
JRivierc , & le tranfporrer à Chagre.
Comme il difpoibit ces chofes , cent des Coniura-
fiens complotterent enfemble de s'emparer tton dé­
couverte!
du Navire & des Barques qu'on avoit pris
fur la mer du Sud , d'aller en courfe » & a’a-
bandonner Morgan. Ils dévoient faii*e un
Fort fur une I(le,poiir y cacher tout ce qu’ils
prendroient ; & quand ils auroient aÎTez de
pillage, s’aiTeurer d'un grand Navire Efpag-
n o l, ÔC d'un bon Pilote, afin de forcir eti-
G4 fuite
iWè H I S T O I R E
fuite par le de'troit de Ma^^ellan. / ii
Cela eiloitiî bien arrefté entr*eux » qn’iîè',
avoient déjà cachd une partie des munitions;'
de guerre & de bouche, & vouloient fe fai-l
fir de quelques pieces de canon qui eftoienti
a Panama^
Ils eftoient fur le point d*execnter leur en-;
trepriiè ^ lors ^qu^un d*eux en vint avertir!
Morgan» qui a l*heure même envoya couper^
les mats du grand Navire , & defagrêer les'
Barques* Il ne coula pas le Navire à Fond , à
la priere du Capitaine , qui en eftoit le mai-
itre, auquel il le redonna.
Les Mulets que Morgan avoir comman­
dez furent preils dans peu de jours; on fît
des balots de tout le l^tin , & quoy qu*on
n ’emportaft prefque rien que de l’argent »
comme il y en avoir quanticé,foit en vaiiTelle
ou ornemens d*Egliiè , cela tenoit bien de la
place ; ainii on fut obligé de le caÎTcr, & de
lercduire au moins qu’il fut poflîble , afin
qu’il n’en occupai pas ta n t, & qu’on puft
rem porter plus aifément,
A près cela Morgan fit içavoir aux priibn-
Oiers qu’il eftoit dans ledeiTein de partir aux
premiers jours, & que chacun fbngeaft à
payer la rançon , ou autrement qu'il les em-
Confier
nation des meneroit
nattondes - - - - - - avec luy. A ces iiiciiuccs
menaces ijil n'y
n’y
prifon- ^^5 qti» tie trem blait, peribnne qui
niers que n’ecrivifi, Tun â fon pere, l’autre â fon rrere»
frere.
Morgan Sr ' i ___ • »ctuuc a ion
^
î e ° ? î œ . Vrcz*
^ e f tr e d e li-
mener.
On taxa les EÎclaves 5c les gens libres , en
^ r te qu il n’y avoir pas un priibnnier qui ne
Iceulc ce qu’il devoir donner. On envoya
dcu;Ç

»:I
D E S AV A N T ü R I E R S . 147
1 deux Religieux , tant pour apporter la ran-
çon de leuis Freres, que des autres qu'on re-
te noir.
En fuite Morgan receut nouvelle que le h y*
^ PreÎîdentde Panama , Dom Juan Perez de
c Gufman, raiTembloit ion m onde, qu*il avoic
pris le Bourg de Crux>oh il s’eftoit retranché,
& là qu’il vouloir* s'oppofer à fon paiTage*
On détacha un party de cent cinquante hom- '
mes , pour en içavoir la vérité , avec ordre
d*aller à Crux, & mefme juiqu*à Chagre, pour
faire venir les Canots & les Chattes, afin
d’embarquer le pillage. Ce party ne fut pas
long-temps à ce voyage 5 il rev in t, & rap­
porta qu’il n*avoit rien veu , 6c que des gens
qu'il avoir pris, 6c interrogez fur ce fujet,
n ’avoient rien dit non plus. Ils firent enten- '
dre feulement qu’il eftoit vray que le Preiî-
dent avoir voulu raffembler ion monde , 6c
mefme mandé du fecours de Cartagene^ mais
qu’il n’avoit jamais pu trouver perforine qui
le vouluft féconder dans fon entreprife. Ils
ajoutèrent que les Eipagnols^ayoient eu une
telle peur lors qu’ils virent défaire en iî peu Efpagnols
de temps leur Cavalerie à la Savane, qu’ils
fuyoient ians s’arrefter, ny qu’on les puft
joindre; 6c meiîne qu’ils ne fe fioient pas les
uns aux autres ; car lors qu’ils s’entrevoy-
oient de loin , croyant que ce fuffent des
Trançois 6c des Anglois ,ils fuyoient eccorc
de plus belle.
Morgan avoir déjà attendu quatre jours
après la rançon des prifonniers, lors qu’en­
nuyé d’attendre , il reiblut départir; 6c pour
çefujet» dés le matin il fit charger l’argent
G s ■ fur
"148 h i s t o i r e
fur des Mulets, encloiier tout le cnnon , S 5(
rompre Ics'ciihiTes de les tenons.fi bien qu^on
ne s’en pouvoir plus fervir. Apres il mitfon
^Twée en bon ordre ^en faiiant miirchcr une
partie devant, raurre derrière, & au inilieir
tous les priibnniers au nombre de cinq â fix
I cens perfonneSjtant hommes que femmes Sc
S^prifîacle
enfans ,& cela fait » il falut partir.
louchant. A la vérité c'eftoir un fpec^acle touchant^
ils fe regardoienttriftement les uns les au­
tres fans rien dire j on n*entendoit que des
cris & des gemiiTemens. Ceux la pleuroienc
un frere , ceux-cy une femme qu’ils quic-
toienri tous generalement leur patrie qu’ils'
abandonnoient 5 car ils croyoient que Mor­
gan les emmenoit à la Jamaïque , quoy que
ce ne fuit pas ion deiTein, mais feulement de
leur en faire la peur» afin que cette peura-
vançaft le payement de leur rançon. Le mefi-
me ibir Morgan fit camper ion armée au
rnilieu d’une grande Savane,fur le bord
d’une petite Riviere , dont Teau eftoit tres-
bonne; ce qui fut alors d’un grand iecours ,
car ces pauvres gens ayant marché au plus
fort de la chaleur,eftoientiî preffez de la ibif^
qu’on vit des femmes qui avoient de petits
enfans à la mamelle, demander inftammenc
& les larmes aux yeux , un peu d’eau, dans
îaquelle ils délayoient un peu de farine pour
donner â leurs enfans ; car ces malheurt nies
meres ayant beaucoup foufferc, n’avoienc
plus de laieft pour les nourrir.
r?-D*7ics
i'irTices.^ Le lendemain matin cette pitoyable mar­
che recommença avec les pleurs Scies ge-
nuifemens ; 6c fur le milieu du jo u r, que la
chaleur
D E S AV A N t ü R Ï E R S . ï4p
chaleur eftoic dans fa plus grande force^dcux
ou trois femmes tombèrent pâmées de la
violence de cette arJeur. On les lai (Ta ilir le
chemin ; elles paroiiToient mortes , iî elles ne
rétoient pas » elles le contrefaiibienc bien*
Il y en avoit qui eiloient jeunes & aimables,
â qui les Anglois faiÎbient aÎTez de bien*
mais c'eftoit par intereft. Celles qui avoienc
leurs maris cftoient encore bien fecourues ,
puifqu’ils les aidoient à porter leurs enfans,
Sc en tout ce qui leur eftoit poiTible.
Enfin Morgarj arriva à Crux : on déchar­ J '•
gea aufii-toft tous les Mulets dans le maga-
zin du Roy , & les Avanturiers avec les pri- ' I
ibnniers campèrent tout autour.
II fembîe que les Efpagnols avoient elle
un peu. lents â apporter la rançon ; mais
quand ils virent qu’efFedlivement on emme-
noit les prifonniers^ils fe hâtèrent » & fe trou­
vèrent à Crux un jour après Morgan. Les
deux Peres dont nous avons parlé , eiloient
aufii avec eux , qui apportoient dequoy reti­
rer leup Freres,& les autres Religieux qu*on
retenoir. La belle Eipagnole que"^Morgan a-
voit aimée & perfecutée, fut dans la derniè­
re confternation lors qu’elle vit revenir les
Peres fans apporter d’argent pour la retirer
bien qu’elle les euil priez d’en demander â j. .
fes parens, fans quoy Morgan l’avoit aiTen-^j/jftfe^jJ
rée qu’il l’emmeneroit à la Jamaïque. Par làEi'pagno.
on peut juger quel fut ion defefpoir.
Le lendemain de l’arrivée des P eres, il
vint un Efclave avec une Lettre pour cette ■r
Dame,' quieilqi:fa MaiilrelTe. Elle la lut,&
la montra enfuiceâ Morgan , qui apprifphr
^ G 6 cette
Ifo h i s t o i r e
cette Lettre» qu’on avoit mis entre îes mains
des Peres trente mille Piaftres pour la'rançotî
Tnfigne
de la Dame Efpagnole, dont ils avoient ra-
trompe- chete leurs Freies» au lieu d’elle. C’étoit bien
lie. mal fait a ces Peres, que je n'ay pas voulu
taire cqnnoiftre, à caufe de Pindignité de
leur action,Ôc delà veneration que j’ay pour
; leur Ordre. ^
luftlce de
M orgaa Morgan connoiflant cette tromperie , ne
I I put le difpenferd^en faire juftice , de laiiTer
âller paifiblement cette Dame avec lès pa»
rens, qui eftoierit auilî prifonniers,& de re­
tenir tous les Moines, qu*il reiblut d’emme-
^ Ils prièrent qu’on en
laiirait aller deux , afin de chercher de Par-
g e n t, 8c que cependant les autres demeure-
roient en oftage j ce qui leur fut accordé.
Les Canots 8c les deux Chattes que Mor­
gan avoit commandées, arrivèrent, 8c aufiî*
tqft on y embarqua le pillage avec tout le
Bis 8c le Maïs qu’on avoit âmaiTé autour de
jPanama 8c de Crux, On fit embarquer aulTi
quelques prifonniers qui n'avoienc pas payé
m Trifle fe.
p^ration, leur rançon , 8c cent cinquante Efdaves. Ils
& Jes dii- partirent en cet état de Cr«;c le 5. de Mars ^
fercns Ï6 7 0 . Cette iëpararion fit répandre quanti-,
cifecs, te de larmes , aux uns de douleur, aux au­
tres de joye.Ceux qui eitoient libres témoig-'
noient leur joye, en remerciant Dieu de les
avoir délivrez : ceux qui ne Peftoient pas ,
s’afîligeoient d’aller avec des gens qu’ils
n'entendoient ny ne connoiiToienc point j Ôc
d eilre réduits a paiTer leur vie avec eux. Ils
forent tous mis dans des Canots avec autant
4 Avanturiers qu’il en falloir pour les con-
1 ' . duire-i
1 : :
'i i >
il

; i 1
1,';1

1i
lli
J! Il
"T"
'fl

Ï>ZS A V A N T U R I E K S . ïff
3 nîre ; & comme ces Canots croient trop^
chargez, les Avantnriers qui reftoient mar-*
chcrcnt par terre.
' Deux jours apres ils arrivèrent â un liea
nommé Barbacoas ,où les Peres qui eftoient
allez pour la rançon des autres Religieux ,
revinrent, & la payant les délivrèrent • ce
qui donna beaucoup de joye à Morgan, qui
enfin auroic efté obligé de les laiifer aller, 8c
C’eftoit toûjours autant de pris.
Avant de paiTer outre , Morgan dit â ies
gens que c’eftoit la coutume de jurer qu^on
ne retenoit aucune chofe ; mais comme on
avoir vû fouvent plufieurs perfonnes fans
confcience jurera fiaux , qu’il eftoit d*avis,
pour empêcher ce deibrdre , qu’on ne prei^
fall plus perfonne de faire ferm ent, & que
chacun foufFrift plûtoft qu’on le foüillaft.
. Ceux qui eftoient d’intelligence avec Mor-
gan , & qui fçavoient fon fècret, ne purent
toutefois fouÀFrir cette propofition , mais ils de fa
îSi ne fetrouvèrent pas les plus forts, fi bien’flo««?*
IP que bon gré , malgré il faluc y confentir. ^
Morgan fe fit foiiiller lé premier 2 chacun > coiul
â fon exemple, le dépoüilloic,6c eftoit fouil­
lé partout ; & l’on déchargeoit leurs.armes
avec des tirebours >pourvoir s’il n’y auroic'
point quelques pierres preeieuiës cachées'
dedans.Les Li-eutenans de chaque Equipage
eftoient commis pour fouiller tout le monde,
6 c on leur avoir fait prefter ferment de s*en
acquirer avec exacflitude »fans en exempter
ou favorifer aucun , 8c de rapporter fidele-
jnent tout ce que Ton trouveroitfurqui-que
ç e full 9 làns pourtant nommer peribnne;
ti

’U I h i s t o i r e
A lavericé Morgan fît lâ un coup Je MaP I*
ítrc i mars ce ne fur pas fans beaucoup riP
quer : car pluneurs munnuroicnr furieufe-
m ent, & voiilojenc luy caiTer la teflrc avant

comme tous les Efprits ne font pas demeiine


trempe ceux qui eftoient les plusfages a r r l
Itèrent les plus emportez, leur faifant con-
noiilre que nonobftanc cequi eftoit arrivé
il y avoir heu d’efperer un bon pillao-e . fi
vie.
fór eux a Chagre Ceux du Chaiteau eurent
^ a n d e joye de le revoir, car ils s’ennuoy-

grandechere, ne mani>eanr qu*nne fois le


jour un peu de M aïs, fquoy il i^dloit fe paP
Eftima- 1er , ne trouvant rien à tirer dans les bois.
tion <iu Le )our diaprés farrivée de Mon>an , on
piJage. eftima le pillage qu’on avoir fair.&'on trou-
va qu il remontoir à quatre cens quarante-
trois mille deux cens livres , comptant l’ar­
gent rompu a dix Pia/tres la livre. Les pier­
reries furent venduës d*une maniéré aiTez
w egalej caries unes le furent trop., 8cles
autres pas aiTez.Morgan & ceux de fon par­
ti , achetèrent grand nombre, y firent
rort bien leur compte ; outre celles qu’ils a«
voien t retenues» qui ne leurcoûtoient rien. '
Railleurs quelques Avanturiers dirent
qu ils avoient apporte' bien des choies con-
lideraWes que l'on n'avoit pas mifes à l'en­
can. Des lors chacun commença à murmii-
rer hautement : on feeut bien les appaifer,
en leur fiiifant toujours efperer que le pilla­
g e croît bon. 11 ii'y avoir perionne qui n e.
6’atten*

i\
DES A V A N T Ü R I E R S . i
s^attendift d’avoir nn moins mille écus pour
Îa parc : mais ils Furent bien trompez dans
leur attente >lorfque le parrap^e fut Fait, &
qu’ils virent que tout eiloit d*un cofté >8c
prefque rien de l’autre , Morgan & ceux do
fa cabale ayant détourné la meilleure part#
Cela les anima furieufement,ôc il n^en falloir
pas tant pour porter ces gens à d'étranges
extremitez. Il y en avoir qui n’alloient pas
moins qu’à ie faifir de la peribnne de Mor­
gan & de iès effets : d’autres à luy fairefau-
ter la cervelle. Les moins emportez vou-
loient luy faire rendre compte de ce qu'on
luy avoit mis dans les mains.
Tandis qu’ils formoient toutes ces refolu-
tiens 5 fans en executer pas une , Morgan
qui avoit interell d'eftre iniVruit de tout,leur
détachoit des gens pour fçavoir leur penfée ,
6 c les adoucir autant qu’il eftoit poiTible :
mais quoy qu'on leur puft dire» ils en reve-
noient toujours à confiJererle grand butin
qu'on avoit fait, & le peu qu’ils en avoient
eu. Morgan de fon cofte n’oublioit rien pour
les éblouir : il ordonna de délivrer les vivres"
du Fort à tous les vaiiTeaux , & envoya tons
les priibnniers de l'Iile de Sainte Catherine à
Fortobello , avec ordre de demander la ran­
çon du Fort de Chagre, que l'on refuia de
payer} fi bien qu’apres en avoir ofté le ca­
non & les autres munitions de guerre , il le
fît démolir entièrement.
Malgré tout cela , Morgan ne s’aperceut
que trop que le nombre 8c l'animofité des
rnécontens angmentoient toujours fur fa
Flotte , 8c craignit enfin que leur reifenti-
nient
1^4 h i s t o i r e
inentn'allaft jufqu’à luy jouer un’ mauvais
tour : c’eft ponrquoy il fortictoiit d'un coup
delà Riviere de fans faire aiicim
ïuite de lignai. Il tut leulemeat accompagné de qua­
Morgan,
inûgne tre vaiiRîaux qui lefuivirent , dont les Capi-
vol qu’il tainesfes confidens avoienc participé au voi
flic a UK inligne faica leurs camarades, qui avoîènt
iVvantu-
ïiCT5, hazarde leurs vies auiTi bien qu’eux & Mor­
gan. — . .
! t
Qiielqucs Avanturiers François voulurent
!e pourfuivre , & l*attaquer • mais ils s'en a -
viierenttrop tard ; de forte qu’avec roufe la'
J 'I diligence poiTible Morgan fît route pour la ’ (
Jamaïque ,ou il-s’eft enfin retiré , & marié â ’
la fille d’un des principaux Officiers de ITfie
lans avoir eu envie depuis de ‘retourner en *
^ o rfe . II eft certain qu’ilyauroit efté ma|> IÇ'i
venu , après avoir trompé fi cruellement lès’
Avanturiers. A l’heure que je parle il eft élevé^
aux plus éminentes Dignirez de lajam aï-^
que - ce qui fait aiTez voir qu’un homme, tel
qu il loic y eft toujours eftimé y & bien recei|
p ar t o u t , pourveu qu’il ait de Targent.

i •

i /

y H T S-
il ' '
tff
K^ /Ti

HI S T O I R E îil

DES

AVANTURIERS
Q.UI S E S O N T S I G N A L E Z
DANS LES INDES.
Contenant ce qu’ils ont fait de plus remarquable
: il depuis vingt années.
1 A T R I E’ M E p a r t i e :
i t

C h a p i t r e I.
I

farticfsîaritez. hijloriques fur la perfidie


de Morgan,

I en qu*iî y euft d é ; a quelqueRefîexioô


temps que Morgan ejiit quitté
Avanturiers 5 ils reffentoient auiïîigcon.
vivement le déplaiiîr qn*ils en a- duite de
., voient receu , que s’ils venoient de le rece- Morgaa»
zi voir» jurqueslà qu’ils ne pouvoient penferà
;)! (a perfidie,non pas mefme nommer ion nom,
i\ iàus frémir d*horreur. üci jour encr’autres :
ÇQ
i ^
5?» H I S T O I R E
ce que je n*avois point encore vu de cetrè
rnaniere, ils ie plaiçtnirent à outrance , 8c ‘
s emportèrent furieufementcontre luy. II eit '
tk yray que l’eau de vie qu*on venoit de boire
}ouoit a ors foa jeu dans chaque tefte , don-
noit déjà force à leurs plaintes , & de la vi­
gueur a leurs emportemens. Les uns tranf-
portez de colere » riroient leur Labre , nvan« '
çant le bras comme pour fraper le traiflre-
Morgan, de mefine que s^il euft elle prefenr. -
D autres outrez de douleur montroient tri- '
itement leurs bleiTures , dont le perfide em-
portoirla recompenfe. Tous gencralemenc-
Tegrertoient leurs camarades i qui avoient"
expo Le Sc mefme perdu leur vie pour les en- •
richir ; ou pour mieux dire, ils regrettoiein '
t)ien plus les richeiTes dont Morgan les avoic
privez.
Pour moy je m*affligeois â ma maniéré, 8c
J examinois avec mes camarades lafcclera-
tericde Morgan, & les circonilances odieu*
ies dont elle eiloit accompagnee.Je leur fai- ,■
iOis remarquer qifil avoir cilé beaucoup plus i
inquiet apres avoir execute l’entrepriie » J
qu avant fon execution; qu’il avoir toujours i
quelques conferences particulières avec ,
trois ou quatre Avanturiers que nous appel-^
lions les confîdens, qu’il ne pouvoir m&ie j
s*empeLcher de leur parler â Poreille, lors
qu on eftoit obligé de *s*aiTembler , qifenfin .
luy qui en toutes rencontres avoir eilé fbrc
ouvert avec nous, eiloit devenu fort reièr-
Ve, principalement lors qu’on parloit de par­
tager le butin. ^ .
Toutes ces chofes bien pefées, leur diibis-* i
je >
DES A V A N T U R I E R S .
îe , nous dévoient faire entrer en de i^rands
ftu p ç o n s , & toutefois nous eftions fi per-
>fuadtz qu’il eftoit honnefte homme , que
c nous ne penÎîons à rien moins qu*â ce qui elt
f arrivé. Je me fouviens pourtant d’une chofe
1que je luy ay entendu dire , & d'une autre
! que je luy ay vu faire , qui devoir m’ouvrir
tf les yeux.
V oicyceque je luy ay entendu dire. Un
/jour qu*il clhoit auprès d'un de iès confidens,
r'tqne je penfois d'une playe qui s’eftoit l'ou-
:,7crte : Courage , luy dit-il en Anglois ,
iieroyant que je ne l’entendois pas , courage,
ligueriffez'vous promptement , vous m’avez
Maidé à vaincre, il faut que vous m’aidjez en-
:rcore à profiter de la vidloire. N'cfioit-ce pas
['dire en bon François, comme Tévenement
>ne l’a que trop confirmé , Vous m’avez aidé
à faire un grand butin,il faut que vous m’ai-
! diez auifi a remporter.
Voilà ce que je luy ay vu faire. Une antre
fois que j’eftoisallé chercher une herbe dont
j’a vois befoin pour un remede , j’aperceiis
IMorgan feul dans un Canot j il eftoit baiiTé,
!& naettoit quelque chofe dans un coin que
aje ne pus difcerner,à caufè de l’éloignement.
jC e qui me fit juger que c’eftoit quelque cho-
iitfe de confequence , c*eft qu’il tournoit fou-
n vent la cefte , pour voir s’il n’étoit point ob-
ifervé. Il m*apercent, & vint auffi-toft à
"2moy , aiTez interdit, à ce qu’il me fembloir,
2 Quelques temps après il me demanda, mais
I avec une indifférence fort étudiée» ce que je
^ fai fois en cet endroit,s'il y avoit long-temps
F yy tftois. Lors qu’il m’intcrrogeôit ainfi,
j’aper-
H I S T O I R E
t'i k j»nperceus I’herbe que je cherchois, 8c t o n t e «
ma réponfe fut de la cueillir à ies yeux , 8c
de luy en dire les proprietez. En fuite il Re­
commença à me faire de nouvelles queitions
me tincplufieurs difeours fans fuite, & me
fît anilî mal â propos pluiîeurs offres de icr-
vice. Je reconnus mefme que luy qui eifoit
le plus fier de tous les hommes, & qui
faifoit comparaiibn avec peribnne, prit lel ■f
chemin que je tenois, quoy que ce ne fuft l-
pas le Îîen. Par honnefteté je ne le voulus ■
pasibuffrir : ils’aperceut de fa beVeuë , ôç;
me quitta*
Examinant depuis toutes les particularitez ,.,
de cette avanture , voilà , continuay-je , ce^
qui m*eil venu en peniee , fondé for ce que J
j*on apportoic â Morgan toutes les pierres ? Hi
precieufes que l’on avoir trouvées dans le ^
pillage. J*ay toujours crû , comme je l’ay Ci
déjà remarque ailleurs , que Morgan avoic,
retenu les plus belles. En effet, on ie reffou-.;
venoic fort bien de luy en avoir mis entr« lesi
mains^de confiderablcs , qui ne parurent
point à la diftribution du butin. Il eft à pre-
fumer que luy qui avoic deffein, comme on
«I v u , de nous foire tous fouiller , craignoit h
que nf)us, qui n'eilions pas de fa cabale,ne
luy fiiTions la mefme choie. O eft pour cette ^nl
raifon qu’il n’avoic garde de porter fur luy
les pierres qu^il nous déroboit, encore moins
de les mettre dans les coffres qufon pouvoir
rouiller comme luy. Cela me fait croire qu’il
avoir pris le parti de les ferrer dans une ca­
chette pratiquée nu coin du Canot dont j’ny
parlé, de qifeifcdlivcment il y en forroic
quel-
a

DES AVANTURIERS. lï?


^quelques-unes lorfque je le furpris. 11 falloit
‘Irans doute que cette cachette full: pratiquée
îavec beaucoup d’adrelTe, puifqu’ayant vifité I .'■■l'îi ■'1
Île canot par tout , je ne pus découvrir la
?moindre apparence de ce que je loupçon- I i
;;nois. C e qui me confirma encore dans mes
-Toupçons , c*eft que Morgan eftant en vo ya -
^ge , avoir grand loin de ce C an o t, ôc ne le
perdoit jamais de veué.
C*eft ainii que chacun difoit librement fa
penfée furrintame conduite de Morgan qui
avoir tout emporté ! mais il nous auroit elle
bien plus avantageux de le faire dans le
temps qu’on pouvoir fen empeicher , que
maintenant qu^on ne le pouvoir plus •• par
malheur peribnne n’olbit alors s’expliquer
fur ce chapitre, ne feachant a qui fe confier,
& craignant d’eftre découvert a Morgan,qui
depuis fa vidroire , devenoit tous les jour^s
plus feverc , ôc ie rendoit redoutable par la
(everité. , « i r /• • j a
Ce qui redoubloit noftre deleipoir, c elv
que pendant que nous faifions toutes ces re-
üexions , aufii affligeantes q if inutiles ; pen­
dant que nous eiVions dans un méchant vail-
ièau » agitez fans ceife , miferables, denuez
de tou t', & avec quelques pauvres tlc la v cs
anffl vieilles que laides , car Morgan nous a-
voit ainfi partagez ; lemefme Morgan eitou
en repos à la Jairfaique , riche »heureux , oC
le plus content du monde entre les bras a u-
ne belle ôc jeune époufe.

c H A-
h i s t o i r e
iO
i?'
C H PITRE II,
mfioire d-Hn AvanturUr Tfpagnol. Comment let
eAviintHYters
«
IBran^ois Vont décotiveyt, ^

E p ^ d an t comme le mauvais état del


nofire vaiiTeau
l/^nC ____. ., 5 c l’incertitude du lieu^
^
©U nous irions pour le racominoder , nous'
onnoit beaucoup de peine : une de nos Ef- *
^liives qui connoiiToitle pais où nous eftions
«ous dit , qu’aux environs il y avoir un vieil
Avanrurier, qui bien qu’Efpacrnol, recevoic^
^ '^s^Avanriiriers François & An-fl
‘7 ^ qu’il commerçoit avec cuxi
€ des m archandas cju’ils appoitoienc, & leur
Avis , nnoit en échangé tout ce qu’ils avoienc^
q u ’un beioin; qu’a la vérité il y avoir dé^a l o n g ,
leur doi;
temps qu’elle eftoit foriie du pais , & qÎe
1 Avanturier dont elle parloit, eilanc déjà
elle partir, elle ne içavoir pas
s il ieroit encore en vie , & par conléquenc
fl ellerctrouvcroit les chofes en Tétât qu’elle i
les avoir laiiTees ; mais que ii nous voulions i
E'.J Itiy permettre de s’en aller informer , elle re- *
viendroir bien-toft nous en rendre compte.
Ea propoiîcion de TEiclave fut bien receuë ,
oc nous navigeâmes du cofté qu’elle nous
marqua. Comme nous connoiiTions fa fidéli­
té , nous la mimes à terre , fans aucune re- i
pui^nance, ou elle voulut î d’ajJleurs l’ayant
toujours veue fort zeîée à nous fervir » nous f
avions reiolu de luy donner ia liberté : en* ^
Out cas nous jugeâmes que ii clic ne reve- j
noie
DES A V A N T U R I E E S : Tn^ -•1
Xrtoit p o in t, elle ne feroit que prendre ce quô'
xnous avions dciFein de Iny donner.
Par bonheur nous ne fumes point trom»
spez dans noflre attente , & l*EfcIave revint
ri un jour apres fon depart,& nous apprit que
M’Avanturier Efpa^nol n’écoicpoint m o rt,
ti qu’elle Ta voit vu de noftre p a rt, & qu*il Itiy
avoir promi<; de traiter avec nous des chofes
I que nous avions , & de nous accommoder
;de celles quMl avoir. Nous fûmes facisfaits i i
t de la négociation de l’Efclave , & Einsper-
y dre de temps nous defcendîmes à terre , dc
ii,marchâmes en bon ordre vers l’habitation
i; de l’Avanturier , l’Efclave nous fervant de
c-guide. A peine avions-nous fait fix heures
3 de chemin , que nous aperceûmes cette ha-
ùbitation. Que dis-je,habitation? c^cftoitune
^FortereiTe. En effet elle eftoit défendue par
xd es foiTez d’une étrange profondeur » & par •
3;des murailles toutes couvertes de mouffe , 6c
'jd’une épaiiTeiir extraordinaire. Nous fifmes
île tou r, & vifmes aux quatre coins quatre
îibaftions aflcz bien faits , & munis chacun
(„d’une bonne batterie de canon. Nous dé-EfpcraNcfi
^ployâmes nos étendarts , 8c battîmes la Dia- trompée,
inc ; mais il ne parut peribnne pour nous ré-
mondre , encore moins pour nous recevoir »
finonqu’un quar.t d’heure après nous apper-
ceûmes un homme au travers des embrazu-
res d’un de ces baftions, qui mettoit le feu
au canon. Nous nous couchâmes tous à ter­
re , 8c fûmes faipris de la reception. Ee ca­
non tiré , 8c fans effet, à cauie de noftre \
précaution , nous nous relevâmes, 8c nous
QUmes hors de fa portée. AuiTi-toft chacun
de
■ffSî tî I S T O I R E
de nous cherchoic des yeux I’ElcIave, n è è
doutant point qu’elle ne nous euft trahist 8crl
iuy lançant des regards furieux, nous allions tî
Ja mettre en pieces , lors qu’elle partit de la
mam, Sc courut vers la ForterefTe. Auffi-toft
elle appella a haute voix la Sentinelle , qui j
pnrnt. Pourquoy , luy cria-t'elle , voitrc S
Maître rnanque-t*il de parole >n*avoit-iI pas il
promis de recevoir les Avanturiers? Ile ftl!
vray, répondit la Sentinelle , mais il a chan*|»
ge avis ; c*eil: pourquoy tu vas voir b e a iill
jeu , il tes ^ens ne fe retirent, & il tu ne te S
%^eÎÎe ^ y fera fauter la cer«f;t»
Ces parole nous firent connoifire Tinno- -
cence de l Eiclave, & la tromperie de TEA
pagnol. Nous cherchions les moyens de nous 11
en vanger, ioriqne nous vîmes quatre hom- i
^ e s qui venoient a nous. Ils nous crièrent
d aiTez loin , qu*ils venoient de la part de i
leur Maitrre 5 que fi nous voulions les écou-
cer , on pourroit accommoder les choies, lis i
apiocherent & nous les écoutâmes ; ils nous
dirent que leur Maiftre avoit coûcume de j
'I . , bien recevoir les Avanturiers, lors qu’ils dé- • I
pucoient quelques-uns vers luy, mais que 1'
nous voyant en fi grand nombre,il avoit crâ >
que nous venions l’attaquer, & qu’il s'eftoic
wis en defenie, que fi nous voulions envoyer
de noitrepart autant de perfonnes qu’il en
envoyoit de la fienne » qu’il traiteroit volon-
tiers , & qu’eux cependant demeureroient
en mrage pourfeurecé. Voilà, direm-ils en
-I ‘
nniHant, la maniéré donc on a coutume d*en ,i
mcL'o •
Nous
If '
V[

T)ES A V A N T Ï Ï R I E R S ;
Nous croiivafmes cette maniéré raifonna-
. fcle. C*eft pourquoy on choiiit auiTi-toft qua- [ôriuV
i tre hommes d’entre nous , dont je fus du ccz-
I nombre > â cauie que j e parlois bien Efpa^-
'■ nol. L’échan«;e fa it, nous partiiimes j eftanc
- arrivez, nous fûmes introduits auprès de
E'Avanturier Efpagnol. Il eftoic aiTis ayane
i deux vieillards à Tes cotez. Nous le iàluames,
il baiiTa la telle fans pouvoir le lever de fora
fiege , à caufe de fa vieillelTe* Cet homme
me parut venerable , & par Ton âg e, & par
fa bonne mine : Tout vieux qu’il eiloit , il
^ avoir encore les yeux bien ouverts, fort nets
6c fort riants. Les années ne le dcfiguroienc
point tant , qu’on ne rcmarquail en luy de
certains traits qui plaiibient encore , 3c fes
rides mefmes fembloient n’avoir fait que gra­
ver plus profondément je ne icay quoy de
majeilueux » qui regnoitpar tout fur lôn vi*
fage.
Je luy fis un compliment d’Avantnrier,
auquel il voulut repondre : je dis qu’il vou­
lut , car je ne luy vis que remuer les levres,
6 c une grande barbe blanche iàns articuler
une feule parole, tant il avoit la voix foible
& laifée; mais la joye qu’on voyoir dans fes
yeux , répondit aifez pour luy. I! fe couina
vers l’un des hommes qui l’accoinpagnoienr,
6 c luy fit figne de nous parler. Ccc'homme
nous aiTura que ion Maiilre eiloit bien niië
de nous voir > 6c qu’il avoit ordre de nous
donner toute forte de iatisfadlion. C’eiï
pourquoy > ajoûra-t’i l , fi vous defîrez paiTer
au Magazin,vous pourrez choifirrout ce qui
vous accommodera 6c l’on prendra en é-
Tp;?fe l î , H change
1^4 H I S T O I R E
chiingece que vous voudrez donner. Ilp ar-
Joic ainfi, i^achant qu’il y a beaucoup de
ebofes que les Avanturiers n’eftimenc p a s,
ciuine laiiTentpas d’eftre coniîderables, &
fur leiquelles il y a beaucoup de profit à
faire.
Après cela nous prîmes con^è du Vieillard.
Il M 6c nous fiiivifmes celuy qui nous avoir porté
parole de ia part, il nous mena au Magazin,
qui eftoit vafte & bien g a rn i, & nous re­
connûmes à beaucoup de cliofes > que les
Avanturiers venoientfouvcnt commercer ai»
veclH qftede cette maiion. Comme nous
parcourions tout des yeux > nous apperçO»
i i mes quelques tonneaux d’eau de vie. Apre's
cela mes camarades ne voulurent plus rien
Voir,& ne demandèrent que de Teau de vie*
c a rj’ay déjà dit plus d’une fois, que ces gens U
1 '
f aiment avec paillon. Nous convinfmes dç
ce que nous voulions donner en échange, 8c v
coftje conducfbeur ibrtit avec nous pour al- <
1er a noilre VaiiTeau voir ce qn*il prendroic,
I ( & amena des gens avec luy pour l’pnlevec
& porter noftrè eau de vie.
<i’un For-
fUftoire
failànt,Je luy demanday quelques^
t g L , al P"\rticularitez de fo;i Maiftre , & je fus fur-
ïî.i des pris d*appiendre qu’il n’é ro it, ny Eipagnol,
Avantu. ny Ayanturjer. On l’a crû Tun 8c l’autre, die.
Si€rs. cet homrne, dans tous les pais circonvoifîns,
parce qu*iJ a efte élevé chez les Efpagnols,
6c qu’il a paÎTe là vie avec les Avaniuriers,
Il eft Portugnais de Nation. Un Vaiiîeap
i’enleva fort jeune corrme il eftoit dans un
-Canot 9 le Maiftrc du V^aiiTcau qui eftoit Ei-
pagnol le mena dans une de Tes maiions, où
4
DES AVANT URI E RS . \e-i
il rftiloïc cultiver par des Efclaves quelques
Jardins plantez a arbres de Cacao. Il le mie
parmi ces Efclaves, & il le dreiTa iî bien à
travailler avec eux , que Ton Maiftre faima
& luy en donna la direcfbion, en forte qu’il
gouvernoit tout en fon abfence, Ôc qu'il fc
confîoit entièrement à luy«
Son Maiftre ne mvanquoit pas tous les ans
de venir charger un VaiiTeau de Cacao. Un ‘1
jour qu’il eftoic venu dans ce deiTein, Sc que 'iir
celuy dont je parle eftoic dans le VaiiTeau 1
pour prendre garde aux Efclaves qui le char-
geqieiK,un coup de vent enleva le VaiiTcau,
le jctta en pleine m er, & l’emporta bien
loin. Mon Maiftre qui avoitde'jafaicplufieurs
voyages dans ce mefme Vaiffeaii^ eftoit de­
■fs venu aiTez bon Pilote pour le ramener» 8c
c’eftoiefon intention >mais les Efclaves qui
eftoient avec Iuy,remonftrerent que TEfpag-
nol,qui eftoit méfiant au dernier point» pren-
droit pour une inûgnc trahifon ce qui n'e-
ftoit qu’un pur effet du hazard , & qu’il nc'
doutoic point qu’â leur retour, il ne les punk
cruellement.Mon Maître infiftoit au contrai­
r e , fe confiant, difoit-il, fur la vérité 6c fur
l’équité de TEipagnol /q u ’il pretendoit cor>
noiftre mieux qiie nous , 3c vers lequel il
fouhaicoic de retourner. Tous s’y oppolèrenc
forcement, craignant le fiipplice 3 c voulant
la liberté. Ne vous étonnez pas , pourfuivic
cet homme , en me regardant, de ce que je
fuis fi bien inftruic de toutes choies, j’eftois
l’un des Efclaves donc je parle» 3c des plus
animez contre celuy qui vouloir nous remet-
ire en fervitude» Il fut donc contraint de ce-
H i der
f !/

H I S T O I R E ..
I■ der iui nombre , & de s’abandonner à îa for­
tune , car il avoit beau demander où Ton
I ^'1 vonloit aller ^ on ne fe déuerminoic à rien 3
ne trouvant point de lieu où Pon crût dire
en feureté^ Là deifus il nous arriva ce qui
ne rr*anque i>ueres d'^arriver fur mer.
Un VaiiTeau que nous n’apperceuiines
qu’au moment qu’il fut aiTez prés de nous >
nous donna furieufemenc la chaÎTe. Noftre
MaiUre employa toute ion adreiTe pour luy
échaper>mais une tcmpeile furvint à propos,
qui fit en noftre faveur , ce qu’il n’avoic pu
faire , & nous éloigna bien loin du VaiiTeau
qui nous pourluivoit. La teinpefte cefTée ,
nous commencions à reipirer, lors que nous
revîmes ce mefme VaiiTeau , qui fembloic
plûtoft voler que naviger : de manière que
ceux qui eftoient dedans nous joignirent:
bien vifte, & paiTerent dans noftre bord.ou
l’on ne fie aucune refiftance . hé comment
en auroit'On pu faire ? on n’avoit, ny armes,
ny canon, ny Toldats, 5c les ennemis avoient
beaucoup de tout cela.
Peu de jours apres, leur Chef nous mena
au lieu que vous venez de quitter qui luy ap-
pavtenoic , où il nous a toujours fort bien
traitez , fur tout noftre Maiftre, pour lequel
il a eu tant d’atfeeftion »qu’en mourant il luy
a laiiTé tout Ton bien. Comme ce Corfaire ^
car c’en cftoii un , aimoit durant fa vie les
Avanturiers , vivoit 5c coirmcr^oit avec
eux 5apres fa mon noftre Maiftre a fait tout
de meime» 5c nous nous en fommes fort bien
trouvez.
Si toit qifil euft cefie déparier» je luy de­
mand ay

À
W
1
‘,rm
DÉS A V A N T U R I E R S , 1 ^ 7!
Eficinday pourquoy ils a voient là une Forte-
reiîe >c’eil à.cauie des Efpa!>nols, rcpliqua-
t*il »qui y ont déjà fait plufîeurs defcentes>5C
I*ont toujours attaquée inutilement, & mef-
me avec perte confiderable , fur tout la der­
nière fois; il bien qu’il y a long-temps qu*ils
n*y font revenus I & je ne penfc pas qu’ils
ayent envie d*y revenir davantage. Ils ne
peuvent pardonner à mon Maiftre» croyant
qu’il eft de leur Nation, ôç qu’il a renoncé i
fa patrie ; mais la pure vérité , c’eft qu*il af>
lifte les Avanturiers» qu'ils ne fçauroient
fouftrir > ny les gens qui ont commerce avec
eux.
Durant ces difcours 8c autres femblables, R etour
nous arrivâmes infenfiblementànoftre Vaif- «les AvauJ
feau. Nos Camarades furent ravis de nous
voir 3 & plus que tout l’eau de vie que nous fcau.
leur aportions. Nous itfines entrer dans no-
ftre Yaiftçau ceux qui eftoicn.t venus avec
nous ; ils choiÎirent ce qui leur eftoit propre
8c l'emportèrent en échange ; 6c ceux qui e-
ftôient reftc2 en oftage s’en retournèrent a-
vec eux»aprés les avoir tous regalez du mieux
qu’il nous fiit poilible , de telle forte que
pous nous feparâmes les meilleurs am isdq
naond<^
Au fécond voyage que j’ay fait dans l*A-
ineiique, j*ay eu occafion de repalTer au lieu
oùj’avois veu la FortereÎTe , mais je la trou-
vay entièrement ruinée. C’eft do mm age,elle
eftoit belle,8c pouvoir beaucoup fervir con­
tre les Efpagnols , 6c meÇne contre ces In-
diensappellez Indios Bravos , eftantfituée au
poilicu de ces deux Nations. J ’eus lacuriofité
H i ' de
h i s t o i r e
de fçavoîr des nouvelles du bon Vieillard à
^111 elle appartenoir. On me demanda iî cc
n eftoit pas de 1*Avanturier Efpaj>nol dont je
voulois parler >car il pafToit toujours pour
iI tel.^ ^ répondis qn’oüi ; ils me répliquèrent
qu eflant mort il avoirlaifle'deux filsdeEquels
le voyant puifTamment riches, avoient équi-
pé des Vaiifeaux pour aller en courfe, d’oiî
slsn eftoicnt point revenus, que félon routes
les apparences ils s’eftoient e'cablis ailleurs.
i■(
<
f Ils me dirent encore que du vivant de leur
pere ils vouloient aller contre les Indiens ap.
peliez Indios Bravos, afin de conquérir leur
pais , mais^que ce bon vieillard les en avoic
toujours détournez, tant â caufe des Efpac>-
nqls qui n’auroient pas manqué de fe préva.
loir de leur abiènee pour ratcaquer, que du
danger qu il y avoic d*aller contre ces In-
oiens.Auiri a-t*ii couru un bruit qu*ayant fait
nautraj>e »ils avoient efté pris, tuez & man­
gez par eux. :i

H A PI TRE III.
!■1’
^oute des Avamttrters vers la côte de Cafla Riccai
( * ju/qu'ati Cap Gracia à Dios,

Ors que Morgan fortit de la Kiviere de


Chagre^^ le Vaifieau où j’étois ne le put
manquoit de vivres, 5c
qu il railoïc eau de tous coftez; ce qui fitre-
loudre d’allerdans une grande Baye â trenrei
Jieues de Chagre , nommée Bocoadel Tauro ,\
ou 1 on trouveroit des vivres, & de qiroy r&J
pare; *
t)ES AVANTURIERS: ï ?^
^arerle VaiÎTeau. ^Deiix 'jours apres noftrc
Répart nous arrivâmes à b pointe de Saint
î l Antoine^ qui fait l‘eutrée de cette Baye , 8c
qui forme comme une peninfule habitée par Indiens;
les Indiens, que les Efpa2;nols nornment In- pourquoy m
diûs Bravos, parce qu*ils ne les ont jamais pû appeliez
réduire. L’opinion commune , & qui eftre- Indios II"'
Bravos î
ceu’é en ce paisdà, c’eft qu’il y a eu autre­ Leur o ri­
fois parmi eux des Indiens extrêmement a- gine, leur
, ? droits, robuftes & couraj^eux. 6c dont la courage,
S< leur
:: maniéré d’attaquer 6c de Te défendre cftoit dieiTc,
,

m
H fort finguliere.
Par exemple , ils difent qu’au moment
qu’on en venoit aux mains avec eux , 5c
qu’on croyoit les tenir , "^ils fe déroboient en
uni nft ant , 6c quand on les eiVimoit bien
éloÎ2;ncz, qu’ils paroiÎToicnt tout à coup de­
vant vous, 6c vous aiTailloient ; que d’une
égaleviteiTe ils fu y o ie n t, 6c pourfuivoient
leurs adverfaires ; 6c ce qui eftoit plus extra­
ordinaire , ÔC auiîî plus dangereux , c eft
qu’ayant le vifage tourné» ilstiroient des flé­
chés auiTi droit à l’ennemy, que s^ils avoienc ttîifi I
cité vis à vis de luy j que fl la neceiTicé les
contraignoit» ou fl roccaflon les invitoit a y.
combattre de prés , ils s’efcrimoienc d’eftoc
& détaillé» ayant attaché plufieurs petites
feuilles de mécail aux manches de quelques
inftrumensdefer, dont ils fe fervoient coin«
me d’épées, 6c que par le tintement nom­
breux de ces petites feuilles de métail» ils s*a-
nimoientau combat» 6c d’une impecuoflee
inconcevable chargeoient l’cnnemy,ou com­
me on le vient de àire» s’efehapo ient en un
inftant ; 6c lors qu’ils ne le pouvoient^ayant
H 4 f"'
X7 0 HIST OI R E
faicfoudainla tom iëf ils fe cachoient tout
entiers fous de grandes écailles de poiiTon
qu’lis portoienc en forme d’écu 5 en force
qu*ils ne laiiïbientparoiftre aucune partie de
leur corps par où on les puftbleiTer. ils ajoû-
tent encore » qu'au travers de toutes fortes
d arm es, & du feu meime , on les a vu fe
luer en defeiperez fiir ceux qui les preiToienC
de trop prés , & méprifant la v ie , l’ofter
bien-toli: a leurs ennemis; mais quoy que
les Indiens ûe cette contrée ayent beaucoup
degenere du courage de leurs anceftres, ils
ue lainent pas deie faire craindre encore des
tlpagnols , & d’eftre toujours à leur égard
Jnaios Bravos»
Je me fiuviens que Morgan avoir plu-
lieure fois jure de leur faire perdre la qualité
d Indios BravoSfSc d’aller chez eux avec tant
de monde» qu on pût battre tout le pais, les
relancer comme des beftes iàuvages jufques”
dans leurs tanières. Il ne pouvoir fouiFrir
que les Avanturiers trouvaiTenc ces gens-là
prefque toûjours en leur chemin » car ibit
qu'ils allaifent en courfe, ou qu*ilsen revini-
fe n t, ils ne manquoient jamais de traveriér
leurs entreprifes. Ce n’eft pas qu'il s’attendiil:
a faire grand butin dans cette expedition ,
mais c*cftoit beaucoup gagner» difoit-il, que
dexcerminer des peuples qui eiloietir fi con-
tmires aux Avanturiers. Aujourd’huy qu*il
eit accommode »je m’imagine qu’il neibnge
gueres a ce deifein » 8c qu’il le regarde com­
me réntreprife d’un Avantiirier qui peut
tout hazarder i parce qu'il n'a rien à per­
dre. :' '
Autre-
D E S «A V A - N T U R I E R S . 171
' . Autrefois leS Avanturiers traittoient ayeq Commeri
ces Indiens, qui les accomrapdo-ient de tout diens ce des In«
ôc
çe qu'ils avoient befoin* Et en échange, ces des A van.
meiiiies Avanturiers leür donnoient des har turiers.
ch cs, des ferpes , des couteaux , & d’autres Pourquoy
inilrumens de fer.Ce commerce à duré lorhgr rom pu ^
temps 5 Ôc les Indiens n'ont pas efté les pre­ Mi
miers à le rompre , êç yoicy comme cela efl;
arrivé. .. . .‘r
- Quelques A vantyriers s’eftgnt un jour ren-’
contrez â de Boca delT m ro ,dotiC je
viens de parler , perfuaderenc les Indiens
d*amener leurs femmes ; ils iè regalerent en-
femble^ & les Avanturiers eftant yvres,tue-
rent quelques Indiens, & en fuite enlevè­
rent ces femmes; ce qui a fait que de puis les
Indiens n*ont voulu, ny commerce , ny re­
conciliation avec eux. ,
Gette Baye a vingt-cinq outrente lieues de
>3? tour:, 6c beaucoup d<^ petites Ifles > l’une
defquelles peut eftre habitée,à cauiè de l’eau
V qui y eft tres-bonne. Dans ce lieu on trouve
pluÎieurs fortes d’indiens qui fe font la guer­
re, 8c ont mefme divers langages ; les Efpag-
m nols n’ont jamais pu les aifujettir à caufe de
leur courage» 6c défia fertilité de leur p a ïs,
t‘
Df dont *la terre, eft fi, excellente , qu*elle leur
fournit de quoy vivre, fans qu'ils (oient obli­
'-^k'
gez de la cultiver.
En fuite nous fûmes â la pointe à Diego,
•ft nommé à caufe d'un-" Avanturier Efpagnol
.»-■ qui venoit là/ort fouvent»;6c luy avoit don^
i né ce nom. Elle eft arrofée d’une petite Ri-
r viere d’eau douce >;dans laquelle nos gens
croyoient pefeberi^aucoup de tortue ^ mais
r • H 5
^ ils
irrî H î s T O I R E
i ’s furent trompezjcar il faluc fe pafler d'oeuR
de Crocodiles que nous trouvâmes dans le
fable. Ils eftorent fort excèllens, ôc d^auiû
bon ,^ouft que les œufs d’oye..
De là nous fûmes du cofté de PQfîenc de
cette^Baye, où nous rencontrâmes des Navi­
res d Avancuriers François, qui iè racommo-
cioient auiïi, & qui a voient aiTez de peine â
vivre ; ce qui nous oblij^ea à ne refter pas là
long-temps, & à nous retirer du cofté du
i '■h , Ponant de cette Baye ,où nous nous trouva*
mes mieux^Nous prenions tous les jours au­
tant de tortue qu*il nous en falloir pour vi^
vre , & inefme alTez pour en faler.
Apres quelque fejourl’eau nous manqua ,
nous rames pour en prendre dans une Ri­
viere qui n^eftoit qu'à deux lieues de nous •
mais comme nous içavions bien qu*il y avoiü
des Indiens, 1 on mit do monde â terre, afin
de voir s’iln*y avoit point de danger î mais
©n ne découvrit rien,& nos gens fiirenc pren­
dre de Reau.
îmiSi, J- i»pr^s quelques Indiens fon-
fui les A- cuif fans leur faire de mal, au con-
vontu- traire » les noftres en tuerent d eux, dont run
riers. portoir une barbe d'écaiîle rortuë Sc Tautre .
P^^toiiToit quelque homme de confideration,
(^hc^ P^ree qu il avoir une efebarpe qui couvroit
la nudité , & une barbe d'or qui Je<]iftin-
giioit.Cette barbe eftoitunc plaque d'or bat-
'» tue qui avoit trois doigts de large, & autant
de long , elle pefoit une once ê c demie.
1 I
Cela fufnc pour perfuader qu’on trouve de
'^ de ces Indiens, qui s’eftend
allez loin J ac qu'OD pourroic facilement ha-
bicer^j
OES A V A N T Ü R I H R S . 171
l)iter, malgré les Eípagnols 'cjui n*y ont au-»
cuii droit, eftaiK auiTi bien permis à une au^*
tre Nation qu*à la leur d’occuper ces terres.
Le terroir en eft humide >à caufe qu’il y pleuc
trois móis de l’année, Ôc ne laiÎTe pas d’eftre
merveilleufement bon; ce quifeconnoift a
la façon de la terre, qui eft noire ôc produit
de puiiTans arbres.
Peu aprçs nous eÎTayâmes de nous mettre
en mer pour faire route vers la Jamaïque»
mais le temps n’eftoit pas beaucoup meilleur
que quand nous fortîmes de la Riviere de
Chagre , nous ne laiftâmes pas^ de pourfui- Crainte
vre noftre chemin, oL nous fûmes chaiTez diifipéc,
d’un bâtiment que nous croyons ennemy ,
parce qu*il ne nous montroit point de pavilc
ion > & que la fabrique eftoit Efpagnoie.
Nous firmes du mieux que nous pûmes pour
luy échaper ; mais en vain , 8c nous nous
préparions déjà à nous battre jufqu’à l’extre-
mité , pîûtoft que de nous rendre ,quoy que
la partie fût inégalé , lors qu’en nous appro^
chant il mit £on pavillon qui nous tirade
peine. C’eftoic un des Baftimens qui avoient
cfté avec nous à Chagre 8 c ^ Vanama, Il nous
dit que les brifes, qui eft un vent de Nordeft
qui y Jure fix mois de l’année, l’avoient en>
peiché de doubler pour faire fa route ^ 8c de
gagner jufqu’à Cartagene.
Voyant que ce Vaiileau qui eftoit meiU
leur que le noftre n’avoit pu avancer , nous
refolûmes de relâcher vers la Jamaïque par
le Cap de Gracia à dios, 8c pour ce fujet nous
revinfmes dans Boca del Tauro , où nous de­
meurâmes encore quelque temps , afin de
H 6 COUS;
tM H I ST O I
’..1
‘'I tiens munir de ce qui nous eftoit plus
ceifaire, ^
Nous pafsâmes â Boca del Vrago , où nouî
Riperions faire mieux , parce qu^j y a beau-
coup de Lamendn. Ce lieu appelle Boca de!
^rago^ a communication avec Boca del Savo^
roy & n*eft clos que par une quantité de pe-
tites liles, dont il y en a qui font habitées &
çloignees de la grande terre de deux petites
lieues tout au plus.
Ifle que
J'on crn - On connoift qu'elles font habitées , parce
noift h a . quon y voit des Indiens , & que quand .
Hi I hit ces à on paiTe pardevant^on fent l*odeur des fruits
J’odeur
*i&> iruits. qui viennent fur les arbres que Ton y plante.
Jamais Chrétien n*a pii avoir communica­
tion avec ces Indiens, les Avanturiers meil
rn^es n oleroient y prendre d*eau » ny appro­
cher de la terre de trop prés avec leurs Ca­
nots. Un jour un Avanturier envoya ion Ca-i
Indiens not pour pefcher,& allant le long du rivage,
qui fom - ceux qui eiloient dedans furent iùrpris ^ de
henr des
a r’-'res, 6c vmrdes Indiens iè laiiTer tomber du haut des
erîiDor- arbres dans l’eau ^d*où fortant tout â coup,
Tentles lis charprent un des leurs & hemporterent,
iwinmesi lans qu on en ait jamais eu de nouvelles.
Le ^meux Avanturier Louys Scot An-
glois, fe trouvant dans cette Baye , fit deA
cenre fur cette petite Ifie, afin d’en chercher
les habitations ; mais quoy qu’il eût plus de
cinq cent hommes avec luy , il fut obligé de
le retirer, car a mefurequ’il avancoit dans
le pais J On luy tnoit fon monde, fans qu’il
püt découvrir perfonne. Ces Indiens font en-
bois^ à courir dans les
Un

t î

r
■t'i
D E S A V AN. TU R Î E R S . ir?
i i
Un jour que j*efl:ois dans cette Baye â la
peiche de la tortue , avec mes Camarades ^
nousvilmes deloin deuxde ces Indiens dans
un Canot qui pefchoient avec des Blets j nos ■i
't gens tafcherent de les furprendre, & pour
cela ne faifoient point de bruit de leurs ra­
mes » mais ciroient le Canot le long de la ter-*
re avec leurs mains»en prenant les branches
des arbres.Ces Indiens qui font toujours bon
guet les aperçurent,5c prirent auiTi-toft leurs
filets 5c leur C an o t, qu’ils portèrent plus de
vingt-cinq pas dans le bois, nos gens qui
n’eroiènt qu’à dix>huitpas d*eux ,fauterent fof-’
aufli-coft à terre avec leurs arm es, croyant ce^
les joindre j mais ils ne purent, car lors qu’ils
f e virent preiTez,ils abandonnèrent leur Ca­
not avec leurs filets, 5c leurs armes ; 5c fe
fauvant, commencèrent à faire deii hurle-
mens horribles. Les Avanturiers qui eftoient
onze très-forts 5c cres-vigoureux, eurent
beaucoup de peine à remettre ce Canot à
l’eaU) que ces deux Indiens'avoient portéiî
loin .* ce qui fait juger qu*ils ont une extrê­
me force.
Nous demeurâmes-là encore quelque
tem ps, afin d*en pouvoir furprendre , 5c de
-voir s’il n^y auroit point moyen de négocier
avec eux ; mais apres y avoir refté environ
un quart-d*heure, 5c mis noftre Canot à
Teau ,nous entendifmes redoubler leurshur-
kmens , Sc faire un bruit fi effroyable , que
nous n’ofafmes pas arrefter là davantage, 5C
que nous retournâmes à bord au plus vifte o
emmenant avec nous le Canot que nous leur
avions p ris, daus lequel eftoient leurs filets.
'tfg H I S T DIRE
1■
Oifejp- de la mcfme façon que les noftres , excepté
filet , & i‘Savoicnt environ deux pieds de hauteur,
d ’un Ca- & quatre OU cinq braiTes de longueur, des
^Hes'jn plomb , & du bois leger
çiiens! ”* deIiege*On y voyoic auiTi quatre Ca­
ftons de Palmifte de la groffeur du poulce,&
longs environ de iix pieds. Un des bouts
eftoit pointu 8c fort dur, l’autre Teftoic auiTi,
& avoit à chaque coilé trois crocs en forme
de flèche ; la pointe de ces baftons eftoit tel­
m lement endurcie au feu >qu’ils auroient per­
cé une,planche comme le meilleur inftru-
.'M m en td efer; on en peut voir la façon par
cette figure ; leur Canot eftoit de bois de Cc-
dre fauvage , fans forme, 8c eftant mal vui-
dé , plus épais d*uh cofté que de l’autre. Ce
qui nous fit prefumer que ces Indiens n*onC î
aucuns outils de fer propres â travailler. Ils I
Îbnt en fort petit nom bre, car les liles qu’ils I
■i habitent font de peu d’étendue , puiique la ;
plus grande n’a pas plus de trois ou quatre |
:1 lieues de tour. I■
Voarqyoy Un Indien que nous avions avec nous, die
le s ln .
! ; diens fe que ces Nations n’ont aucune habitude avec ^
font la ceux de la terre ferme, 8c que mefine ils ne |
yucrre, s’entendent p o in t, 8c fo font fans ceflela f
guerre. Il içavoit cela, parce qu’il eftoit ve- | !
â nu autrefois dans ce pais avec ceux de ia | |
Nation.Voicy la raifon qu’il nous en donna, «
qui eft , que les Elpfagnols voulant réduire
ces Indiens, ils en tourmentèrent une partie
d ’une manière étrange ; l’autre s'étant fau- â
vée,s’écoit accquftumée à vivre de la pefche,
8 c des fruits qui croiiTent naturellement dans
ce pais, ou ils font errants 8c yagabonds, f
n’olhnt

A
*i»

IDES A V A N T U R Ï E R S . \ i f
h'ofarit avoir de lieu fixe , ny de commerce
avec d’autres Indiens, dont plufieutss’eftanc
foûinis aux Efpagnols.aydent â détruire ceux
qui ne le (ont pas, c*eil pôurquoy ils fe font
encore aujourd’huy la guerre , & s’éparg­
nent auifi peu que s'ils n*eiloienc pas Je la
mefine Nation.
Sur quoy l’on peut dire que c’eft une cho- Antipatfd
fe eftrange S i déplorable en mefine temps > ^“5^*
de voir les iniinitiez réciproques de certains ions, de-
Jjeuples de l*E6 rope î inimitiez fondées furcrite &
mille rapports defavantageux » & fur autant i^éplorée
de faux préjugez. Par malheur , comme ils
ignorent les Langues differentes des uns 8c '
des autres » cette ignorance eft caufe qu’ils
ne s'entendent p o in t, qu'ainfi il leur eft im-
poiTible» ny de s'éclaircir, ny de fe détrom­
per» Sc ne font que fe haïr» fans fçavoir
pourquoy >& fe haïr auiTi fortement que s’ils
le fçavoient.
Les peres prévenus de ces haines implaca­
bles les infpirent â leurs enfans : de forte
qu'elles paiient de generations en gencra-
tions,qui n'afpirent qu'à en venir aux mains
qu ’à répandre leur fang, Sc à porter les cho- ^
lès à des extremitez fi cruelles , qu’elles les
reduifent au dernier affoibliffement.
S’ils ie fortifient dans la fuite , c’eft pour
s’affoiblirtout de nouveau, par des guerres
encore plus fanglantes, qui nefonc pas plu-
toft finies qu'elles recommencent. De ma­
niéré que ces Nations éternellement enne­
mies , ne fe connoiiTent que pour fe haïr &
ie craindre >que pour fe nuire & enfin s'ex­
terminer. 11 y auroit beaucoup de reflexions.
à fai«»
178 h i s t o i r e
àt-airefiirccfujec, mais je laiiTo cela â dç
plus habiles que moy, & ne me mélerav que
d^ecnre mon voyage , qui ne cend au’à faire
connoiltrea ceux de l*Europe,ce qui fe paiTe
dans certaines contrées de 1’Ameriquc,donc
Ils n ont point encore de relations.

C H A ,P I T R E I V.

Suite de l a oute des Aiianturiers jufqu'au Cap


Gracia a Dios, Singularhez, que VAutheur a
remarquées dans ce Voyage^

Avantu- T E peril que l’on couroit fans ceiTe dans


C icrs affa. J O ce lien, de tomber dans les mains de ces

«nt de?' iàuvages, ne nous empefcha pasd'y


iruits & quelque temps • & d^y chercher de
n’en ofent « , quand noqs en avions belbin fans
aoDm.
1 er,
toutefois ofer nous bazarder dans le pai's, ny
approcher des fruits , dont nous reiTentions
1 odeur , quoy que nous fniTions preifez dd
ta raim ^ ne trouvant pas de quoy manger
caria pefche n*eft pas toujours bonne en ce
pais,
lii: ^ Enfin voyant que nous ne pouvions y fub-
fiiter, nous refolûmés-de pafier outre ,
BOUS fortîmes de :Boca del Drago fifiies
route le long^ de la cofte,juiqu’â un lieu nom-
ejporteté, quieft une petite Baye , où on
ij cft afabry de tous vents, excepté de celuy
d'Oucft. £ / veut dire petit Port. Ce
Porc lert aupt Éfpagnojs quand ils viennent
avec dés VaiiTeaux chargez de .Marchandif
les a la Riviere de où iis Qnn de^ habi-j
tâtions 2
DES'AV ANTUKÎERS.
i ’Câtions 5 8c y plantent du Cacno qui efl du
m eilleur des Indes , 8c de là ees Marchandi-
îfes font apportées par terre â une ville noin-
m é e C m age, A l’embouchure de cette Rivie-
iiteles Efpa^nols entretiennent une garnifoa
);de vingt-cinq ou trente hommes, avec na
jl'Sergent : L^on y voit auiTiune Vigie qui dé-
r couvre à la mer.
Dés que nous fûmes arrivez dans ce Port,
r^nous allâmes pour piller les Eipagnols à 1î| 'P
“lûtyH
I Riviere de Suere , nommée par les Avantii-
»^riers U Pointe Blanche j Et pour cela nous pri--
i mes des précautions qui nous furent inutiles*
^icar nous trouvâmes toutes leurs habitations m
ivuidcs 8c ravagées • ce qui nous fît juger que
« iquelques*uns des noilres nous avoientpré-
^'Venus. Touç ce que nous pûmes faire alors 9
rifut de prendre quantité de fruits nommez
3 Bannanes , dont nous chargeâmes a moitié
n noÎlre vaiifeau , qui nous fervirent de nour-
i ricure le long de cette cofte. Nous les fai-
if fions cuire dans de l’eau , 8c les mangions
I avec de la Tortue que nous avionsfalée dans
e Boca del Drago,
Peu de jours après nous fortifmesde Suerez
f 8 c nous pafsâmes devant l’embouchure de
V la Rivière de 5 . , autrement nommée
. J>efaguadeT(t jOÙ nous prîmes quelques Re-
i quiems, que nous mangeâmes avec nos Ba-
nanes. Cependant nous cherchions toûjours
un lieu pour raccommoder-hoÎlre vaiiTeau»
i qui tiroit Peau , 8c couloit bas >faute d’a­
voir les matières propres à le tenir fain, é-
tanche , 8c fianc d’eau. C’eft pourquoy nos
Efclavcs eftoienc extrêmement fatiguez de
le

y'( f'\

w
liîl
ÍU H I S T O I R E
le pomper, & n*ofoienc quitter la pompe Uiî
quart d'heure, autrement l’eau nous auroiCi,a
gagnez j ce ^ui nous obligeoit de nous ran - 1
ger le plus présde la terre qu’il eftqit poiTible,
pour découvrir quelque lieu qui fuil propre
à le racommoder.
Enfuire nous entrâmes dans la grande
Baye de Bluksveli i ainfi nommée , à cauie
d'un vieux Avanturier Anglois, qui s*y re-
tiroit ordinairement. Son embouchure eft
fort étroite au dehors,8c a beaucoup d’éten­
due au dedans,quoy qu’elle ne puifTe conte­
nir que de petits vaiíTeaux,á caule qu’elle n'â
ml: que quatorze à quinze pieds d’eau. Le pais î
^1 1 1
'"'"l'iS'S ' Ii lI P n
:' des environs eft fort marécageux, parce que
plufieurs Rivières s’y viennent répandre. On
trouve là encore une petite lÛe pleine d'Hui- 'i'
ires tout autour»aaiTi bonnes que celles d'An­
gleterre , finon qu’elles font plus petites.
Nous fûmes mouiller vis-à*vis de cette
petite Pile , à terre ferm e, contre une pointe
qui fait comme une Peninfule » où auiTi-toft
nous cherchâmes le moyen de donner caréné
à noftre Bâtiment, mais nous ne trouvâmes
aucun lieu plus commode qucccluy où nous
cftions. Nous y cherchâmes de l’eau douce ,
fans en pouvoir trouver ; ce qui nous redui-
fîc à faire des puits qui nous donnèrent de
tres-bonne eau. Nous ibngeâmes à avoir des
vivresj de maniéré qu’une partie de nos gens
I’ alla à la pefehe , & l’autre à la chaiTe » pen­
dant que le refte déchargeoit le vaiiîcau,
f ; pour luy donner caréné i enfin chacun avoir
îbn occupation.
<>Í Le foir nos Pefeheurs revinrent fins avoir
rien
DES'AVANTURIERS; i Sï
çîcn pris,ni vu aucune apparence de Lnmen- I'
tin. Nos ChaiTeurs revinrent aiiiTi, mais ils
: apportèrent quelques FaifantSaSc une Biche.
^ On fit promptement cuire la moitié de la Bi*
che> avec les Faifants * dont nous foûpâmes
d*un grand appétit, n*ayant point mangé de
I viande depuis que nous eflions fortis de Pa*
: nama. Il y avoir un homme parmi nous, qui
) nous dit de nous donner de garde des In-
^diens j mais comme ceux du Canot, ny ceux
Lfiqui avoient cilé à la chaiTe » n’en avoienc
^:point apcrceu»nous crûmes qu*il n’y en avoir
point 5 & ne laifsâmes pourtant pas de faire
V bonne garde la nuit. Le lendemain au matin
chacuri de nous reprit fa fonction, les uns
'B de la chaiTc » les autres de la peichc; & pour
c cela tous fe firent mettre à terre de Fautre
c cofté de la Baye,où à caufe des bois,ils croy-
a oient trouver dequoy tirer.
Lefoir les ChaÎTeurs apportèrent des Sin-
g ges qu’ils avoient tuez » n*ayant pas trouvé
autre chofe;8c les Pefeheurs apportèrent feu-
I lement quelques poiiTons nommez Savates,
X On apreftale poifTon » 8c on le mangea en
î: attendant que les Singes cuifoient. On en fit
I rôtir une partie, 8c bouillir Fautre ; ce qui
i nous fembla fort bon.La chair en eft comme
) celle de Lièvre , mais elle n’a pas le mcfmc
} g o u ft, eftant un peu douçâtre j c’eft pour-
» quoy il y faut mettre bien du fel en la faifant
i cuire. La graiiTe en cft jaune comme celle du
Chapon,&plus meirne» 8c a fort bon gouft.
Nous ne vécûmes que de ces animaux pen­
dant tout le temps que nous fûmes lâ ; parce
n u e , comme je Fay déjà d it, nous ne pou-
• -

]
i8î h i s t o i r e
vionstrouver i^utre choie ; iî bien ejue tons
f? les jours les ChiiTeurs en apportoienc autant
Curieüfcs
que nous en pouvions manî>er.
particula- Je-fus curieux d’aller â cette chaiTe, &
ritc z d e s ta ra is de 1 inftind: qu’ont ces belles de con-
Singes, noiirre plus particulièrement que les autres
Leur in-
animaux ceux qui leur font la guerre , & de
chercher les moyens,quand ils font attaquez,
ïàf Com­ defe fccounr &de fe défendre.Lorfqne nous
ï ment ils les approchions, ils fe joignoient tous enlem-
fe défen le , le mertoient a c rie r, â faire un bruit é-
i l dent,
1 fl » Pouvantable , & à nous jetter des branches
lecnes qu ils rompqicnt des arbres ; il y en a-
voïc meime qui taifoicnc leur faleté dans
^Lirs pattes , qifils nous envoyoient à la te-

J ’ay remarqué auifi qu'ils ne s’abandon-


!I nent jamais, & qu’ils fautent d'arbres en ar­ Cï
bres fi fubtilement, que cela éblouit la veuë. '
Leur a- Je vis encore qu'ils ie jertoient â corps perdii’
drefle à
lauter de branche en branche fins jamais tomber à
d ’arbre terre : car avant qu’ils puiiTent eftre à b a s /
en arbre Ils s accrochent qu avec les pattes, ou avec-
quand on
les pour- la queue-ce qui fait que quand on les tire à
f u i t , & à coups de fufiba moins qu'on ne les tue tout-
ie guérir a-taic,on ne les fçauroic avoir ; car lors
quand ils qu ils font bleiTez , 6c mefine morcellement,
fc)nc blefc
fez. fis demeurent roûjours accrochez aux ar­
bres 3 ou ils meurent fouveiit, & ne tombent
que par pieces.
^ J ’en ay vu de morts depuis plus de quatre
jours, quipendoient encore aux arbres - fi
len que tort ibuvent on en droit quinze ou
ierzc pour en avoir trois ou quatre tout au
plus. Mais ce qui me parut plus fingalicr,
c’eit
«
D E s A V A N T U R I E R s. l'S*
/ C*eft qu’au moment que ?un d'eux cft bleÎTé,
:■on les voit s'aiTembler autour de luv » mettre
; leurs doi9;ts dans la playe , & faire de mefme
}que s’ils la vouloient fonder. Alors s’ils
) voyent couler beaucoup de fmg:;, ils la tien-
)inent fermée pendant que d’autres apportent
f. quelques feuilles', qu’ils m âchent, & pouÎ-
s lent adroitement dans l’ouverture de la playe,
33,Je puis dire avoir vu cela plufieurs fo is, dC
îii’avoir vu avec-admiration,
i Les femelles n’ont jamais Iqu’un petit y les C om m e
merci
ijl qu’elles portent delà mefme manière que portent ôc
les NegreiTes leurs en fans ; ce petit eftant fur nourriiC
si le dos de fa m ere, luy embraiTe le col par iènt lents
é deiTus les épaules avec les deux pattes de de- petits, J
vaut • 8c des ’deux de derrière il la tient par
îi le milieu du corps. Quand la mere luy veut
d donner à te te r, elle le prend dans fes patres,
1 8 c luy prefente la mamelle comme les fem-
;i mes.
Je ne dis point icy de quelle maniéré font
f faitsles Sinises, pareequ’ils font fortcom - 'i 1
r muns en Europe. On feait qu’il y en a avec
> des queuëSfd’autres qui n’en ont point: ceux
) dont nous venons de parler ont des queues r
' les autres qui n’en ont p o in t, font plus com-
i muns en Afrique qu’en ce pais.On n’a point Moyen
: d’autre moyen pour avoir des petits , que de de les
tuer la mere .*comme iis ne l’abandonnent prendre»
1 jamais, eilant morte ils tombent avec elle,8c
alors on les peut prendre. S’ils font en quel­
ques lieux où ils foient embaraifcz, ils s’en-
tr’aident pour paiTcr d’un arbre ou d’un ruii-
feau à un autre ,ou en quelque autre ren­
contre que €c puiife eitrc,
- r^ y
Tl
1*4 H I S T O I RË
duürie’i J’^ViMcfuie entendu dire à des gens dig3 ^
p.nfrér'lcs >que quand les Singes veulent cH
Rivieics. paiTerune Rivière , ils s\aiTeinblent un ccr- li^'
tain nombre, fe prennent tous par la tefte é c V
par la queue , & forment ain/i une elpcce
de chaîne , & par ce moyen fe donnant
beaucoup de mouvement 6c. de branle , ils
s’élancent 6c fe jettent en avant j le premier
féconde de la force des autres, atteint où il
v e u t, 6c s’attache fortement au tronc d’iia
arbre , puis il aide, il attire 6c i(:)ûtient tout I
le refte , jufqu’à ce qu’ils ibienc tous parve­
nus , attachez comme j*ay dit, au lieu où eil
déjà arrivé le premier. ,
^ A la vérité -je n*ay jamais vu cecy, 5c
r^y la peine â le croire .; cependant j*ay
obfervé qu’on voit un grand nombre de
Singes tantoft fur un rivage , 6c tantoil
liir un autre ; 6c pour preuve que ce font
les mefmes, c’eft que du cofté où on les a
vus cinq ou fix heures auparavant, on ne
les y voit ny on np les y entend plusj ce
qui femble confirmer cç que je viens de di­
r e , puis qu’on a co.ûrume de les entendre
Crier d’une grande lieue
On trouve encore dans ce p a is, 6c tout
îe long de cette coile ji^fques dans jes Hon­
duras , une certaine efpece de Singes que
les François nomment pareÎTeiix , a cay/è
qu ils le lonc en effet : car ils demeurent
fur un arbre tant qu’il y a une feuille à man­
ger ; ils font plus d’une heure â faire un
p a s , & en levant les pattes pour ÎTc remuer,
ils crient d’une telle fb.ive que cela perce
les oreilles* 11 Ibnc hideux 6c fort maigres .•
"hors

'i\'
DES A V A N T ü R I E R S :
fiors cela ils ne (ont point difFerens des au­
tres. Il faut fans doute que ces animaux Singes
foicnc fujets à certain mal des jointures
comme g o u tte , ou autre chofe : car quoy
qu*on en prenne , 6c qu’on les nourriile
bien , ils ne laiiTent pas de faire tout de mef-
me J?ils mangent peu , 6c demeurent toû-
jours fees 8c arides. Les jeunes font auiS
incommodez que les vieux , lors qu’on peut
; les atteindre on les prend facilement avec
[les mains, fans qu’ils faifenc autre choie que
|, de crier.
î Tous les Singes de ce païs vivent de fruits,
I de fleurs, 6c de quelques inieç^es qu’ils aN
i trapent d’un cofté 6c d’autre, comme Ciga-
! le s, 6c autres beftes fembîables^
j. Nous avions déjà demeuré huit jours
j dans cette Baye , 8c nous y aurions reilé da-
I vantage fans l’accident qui nous arriva. Un Accident
j matin à la pointe du jo u r, que nos^Chaf-^^^
I feurs 8c nos Pefeheurs eftoient prefts à pne-
i t i r , 8c chacun de nous à faire ce qu’il de-
j voit*, par exemple nos Efclaves brûloienc
I des coquillages pour faire de la chaux , au
^ lieu d’arcanion , qui eft une efpece de poix ,
afin de racommoder noftre Bâtiment 5 les
femmes eiloient occupées à remplir nos fu­
tailles d’eau , qu’elles alloient tirer tous les
jours aux puits avant que la mer full haute,
qui l’auroit làlée. Comme ces femmes s*e-
^oient levées plus matin qu’à l’ordinajre,
pour aller à l’eau, une d’entr’elles demeura
derrière, 8c s’amufi à cueillir 8c à manger
de certains petits fruits qui çroiiTect au bord
de la mer»
Cettç
H I S T O I R E
>c Cctre femme el\:nnt baiffee , vie ibrtir eti- n
viron â vitv>;r cinq pas d*clle,du mefme che-« )\
min par oii eftoient allées fes compagnes , ;
quelques Indiens qui venoient à elle. AiiiTi- 1
toil elle courut vers nous, & cria, Chreftiens^ ^
•voilhdes Indiens^ A l*inftant nous prîmes nos
armes , & courûmes du cofté où elle nous
'i u. dit les avoir veus ; & entrant dans le bois »
nous trouvâmes nos trois femmes efclaves
par terre , percées chacune de quatorze oa
quinze flèches qu^’elles avoient toutes dans
plufieurs parties de leur corps,en forte qu’el- i
les ne donnèrent pas le moindre (igné de vie»
quov qu’elles fiiflent encore toutes chaudes, n
& que le fang coulaft de leurs blciTures.
Au flî-toit nous courûmes dans le bois plus
d’un quart de lieue fans pouvoir rien décou­
vrir , non pas mefme qifil y euft paifé des
gens , quoy que nous tuiTions aifurez qu’ils
s’efloient iauvez par le chemin que nous
prenions pour lesi'pourfuivre. Nous fûmes
curieux de voir comme ces flèches eftoient
faites, & pour cela nous les tirâmes hors du
Fléclics
corps de ces femmes.
fjngulie- Nous trouvâmes que ces flèches n’avoient
ÇCS» aucune pointe de fe r, ny d’autre m érail, &
qu’elles eftoient mefme faites fans inftru-
ment. Elles avoient cinq ou fix de long , la
vérité eftoit de bois commun du pais , delà
groiTeiir du doigt,bien arondie, 8c ployante. ,
A l’un des bouts on voyoit une pierre à ten
fort coupante , qui eftoit enchaiTée dans le
bout avec un petit croc de bois en façon de
barpon. Cela eftoit lié avec un fil d’archal
d’üiic telle force, qu’on les pouveie jerrer
contre

ï;
in ?
H I S T O I R E
contre les corps les plus durs fans les poi?*^
voir rompre, de maniéré que la pierre auroit
plûroft caÎTé que de fe défaire. L'autre bout
ciloit pointu,
11 y en avoit quelques-unes de bois de
Palmifte , & fort curieuièment travaillées ,
Sc peintes en rou^e ; au bout doLqiiclles il y
a voit une pierre à feu , comme j'ay d it, & à
Tautre un petit morceau de bois creux de la
I longueur d'un pied,dans lequel eiVoient ren­
fermez de petits cailloux tout ronds, qui fai-
>t :I Loient du bruit enfcmble lors qu*on remuoit
la flèche. Ils avoient eu la fubtilité de mettre ^/
des feuilles d'arbre dans ce bois, afin d'em-
pefeher ces petits cailloux de faire du bruit j
& je penfe qu’ils mettoient ces cailloux afin
que leurs flèches eufient plus de coup.
L'on peut juger de la que les Indiens n'ont
aucun commerce avec qui que ce fo it, 8c
voir la façon de ces flèches par la figure qui
eft icy^
Après avoir vifitè 8c enterré les corps de
iios Efclaves, nous fûmes chercher 8c regar­
der par tout fi nous ne trouverions point les
Canots de ces Indiens » pendant qu'une par­
tie de noftre monde travailloità rembarquer
vîccment coutnoilre pillage ; car nous n*o-
iîons pas refler là davantage j 8c quoy que
noftre Bâtiment ne fuil pas encore en é ta t,
nous ne laiisimes pas de le remettre en mer,
cfperanr, avant qu’il nous manquaft,gagner
le Cap de Gracia a ^ios^ où nous eftions aiTa<^
I , irez de trouver des Indiens de nos am is, qui
flous donneroient tout ce qui nous feroit nei»
Ainfi des ce mefmc jour nous nous
erabaq»
DESAVANTÜRIERS.
èmbarquames , Sc le lendemain au matia
nous iortime« de la >Baye de BMveît^

C h a p i t r e V,
'Arrivée delAuîheurau Cxp Gracia a dw$ ? def*
€rtpîion de la vie é* mœurs des Indiens de ce
fays ; é* l/i maniéré dont les Avanturiers trai^
tem avec eux,

A U fortir de Bîukveh nous traversâmes


quantité de petites Ifles, qui forment
tineefpece de Dédale qui plaift beaucoup à
la veué. C*eil: une chofe agréable , Sc que
j^ay toujours admirée dans mes voyages, de
voir comme la mer & la terre , par le moyen
de toutes ces liîe s , tanroil s'éloignent tan-'
toH s'approchent, 6c fe font place Tune â >
l'autre , en forte que ces deux élemens ayant
une mefme fphere partag^'e entr*cux , s'em-
braiTent pour ainfi d ire, en mille façons
difFerentes. Toutefois en quelques endroits Remar-
I eau combat furieuiement la terre comme
ion ennemie, & en d’autres elle la vient cher-
cher comnrie fon amie. Il y a des lieux où la nuep'o.
mer entre bien avant dans la terre , comme
pour la vifîcer; d’autres où la terre jette les',""’='
caps & fes bras fort a v a n cez dans la m er, 1 '?," \
comme pour la repourer. tur la’ror.
Je diray en paflantaue cela efteaufe qu’on
n’a pu encore connoiftre certainement quel- '" 7
y ^, J ^ parfaite de la terre ‘
des Indes: neanmoins on peut conjcdftirer
-qu die a la forme d^un cœur. Le plus large
i ^ de
H I S T O I R E
à c ce coeur eft du Brjefil nu ‘.Pcrqu ; In pointé
cft nu décroît de ’Mno;ellnn, Icihaut où Je
cœ ur s’acheve , eft la terre ferme avec tqu-
fes iès lllcs. Celles qui ont donné lieu â cotrç*
petite digreiîlon »s’appellent les ifies desVer^
les. Nous y mouillâmes, & noftre Canot fut
irjs à l’eau pour prendre quelques Tortues^
Il y en a quelquefois beaucoup.Nqus en pri­
mes en fuite nous allâmes ^chercher
I d el’eau douce, parce que nous en aviojçs
befoin.
. Dés le melîne foir nous fifmes voile , & le
îendcmadn .nous nous trouvâmes devant les
Ifles de Carnela^à-^ mais comme le vent eftoie
favoraçble, nous continuâmes noftre route ,
& dans peu de jours nous arrivâmes au Cap
de , nccompaç^nez d'un Avari-
turicr François qui avoir .eft é avec nous , 5 c
qui nous av.oit donné,la peiu* devant la Ri­
viere de Chagre. Aufli-toft nous .allâmes .à
terre , où nous trouvâmes pluTieuii Indiens
qui nous vinrent recevoir,5c .nous ftrent mil­
le careiTes.
Jamais les Efp.a^nols n’ont pu réduire ces
Indiens , non plus que les autres, 5c ces In­
diens ont bien voulu traiter avec les Avan-
turiers tant Anglois que François fans diftincf
'îhdiens tiqn. L’origine de cqtte premiere alliance
com-
fnciccnt vient de ce qu’un Avantuner palTant par là,
a v ^ les fe bazarda d’aller à te rre ,^ d’oifrir quelques
A vanm - prefens à ces'Indiens , qui les receurent , 5 c
ïieis.Ori«
de luy apportèrent en échange des fruits, & ce
/re co:n- qu’ils avoient de meilleur.
.îacjcs. Quand l’Avanturicr fut preft à 'partir,il
.déroba deux de cçs Inciicns , qu’il iÿavolc
cftre

i<
D E S AV A N T I T R I E R S .
cftrc admirablement adroits à tirer du poif-
fon nu harpon y dont H avoir befoin pour
nourrir ion Equipage. Il ti^aita bien ces In­
diens , qui apprirent da Langue FrançoiÎè.
Les ayant gardez un ou deux an s, il leur de­
manda s’ils y-ouloicnc retourner en leur pais.
Ils'répondirent qu'oiiy. Il les y remena ; &
quand ils furent retournez chez eux , ils- di-’
rcrrf tant de bien des Avanturiers d leurs
gens , qiVilé'cpnceurenc d’abord* de l'amitié
)our eux ; ôc cè qui l’augmenta , c’eft qu*ils
Î eur firent entendre que les ’ Avancuriers
tuoient les Efpagnbls.
Cela réjoiiic beaucoup cette Nation', qui
commença dés-lors â careiTer les François ,
.quijieleur coft“ leur faifbient amitié , leur
donnant des haches, des ferpes, des d o u x ,
& d’autres ferremens pour faire des armes.
Par ce rtioyen ils Îe rendirent inienfiblemenc
ü familiers avec eux , qu’ils apprirent leur
Langue ,& prirent de leurs femmes qu’ils
leur accordoienc volontiers , de fbite qne
quand les François partoient, il fe trou voit
toujours- des Indiens qui vouloient les ac­
compagner ; ce que les Avanturiers ne refu-
. /oient jamais^.
Par la- fuite du temps les François donnè­
rent de ces Indiens aux Anglois , 6c leur di-
. rent la maniéré qu’il les faloit traiter, aver-
liiTant auiTi les Indiens que ces Anglois e-
ftoienc bonnes gens, qu’ils les traiceroienc
bien les remeneroient chez eux. Ils fc
font ainii accommodez avec les Anglois , §C
ne font aujomd’huy aucune difficulté de
s’embarquer fur les vaiÎTeaux de d’une & de
J’aucrc Nation. 1 3 Quand*
•jíi HISTOIRE'
n Quand ils ont fer.vt trcis ou quatre ans 1'
gii'ils ffavent bien parler la Lang^^ae Frangoi-
i; ie ou Angloife , ils rétoiirnent chez leux, fans
A rv f Æ-\. « » f ^ *1 A * n A— __ ' ^

[]
'1 demander d^autre* recompénfe que quelques
l e s Tn. iniliumens de Mr , m^priian'ti’argent, les
'1 die ns n:é-
1; > prifent ce
j * q'>e nous I n.v,xjticijciu civcu iiiui a empreiie*
1
A’ efti irions. ment, & font tout leur bonheur de poiTeder»
-R. ifon Ces Indiens au contraire fe contentent de ce
f;' q u ’ils en
xendeni.
s’ils ont peu ,dur:nioins qu'ilsiôut en reposa
^& qu'on ne leáí deqaande ritiiî; & ajoutent
qu’ils naiifent nuds » qu'ils V-iÿébt nuds, 5C
qu’ils veulent môutif nuds.
Ils fe gouvernent à peu près en Republi­
que , car ils ne reconnoiiîènt ny Roy,ny au­
cune perfbnnequi ait domination fur eux.
Quand ils vont en guerre^ils choifiiTcnt pour
les commander le plus apparent 5c le plus ex­
perimente ; comme par exemple celuy qui
aura efté avec les Avanturiers : 5c quand if$
Oucî cil reviennent du com bat, ce Commandant n*a
plus de pouvoir que les autres. Le pais
ment. quails habitent n'a que quarante ou cinquan­
te îieuës d’étendue. Ils font environ quinze
cens hommes en tout >ièparez en cfeux trou-
•"'peSj qui forment comme deux colonies. Les
uns'font au C ap, 5c les autres â
' Ce font Ceux de Monjiique qui vont oï dinai-
rement avec les Avanturiers , parce que les
autres ne font pas iî courageux , 5c meme
n ont pas tant d’inclination pour la mer. Ils
ne font point d'afiance ny de quere lles avec
leurs voifins j mais s'ils commencent à les at­
taquer , ils frayent fort bien fe défendre.
Ils

•t

Ir
‘Vil'

DES A VA NTURIERS. ïW
^ lis n’ont aucune Religion? cependant nous \Uti'ôrtî
liions que leurs anceftres avoient autrefois
leurs Dieux ô£ leurs Sacrifices. Je diray un cdiS dd
•mot de leurs Sacrifices, parce qu’ils avoient leurs an.
quelque chofe de fingulier. Ils donnoient
tous les ans un Efclave à leurs Prefires , qui
devait eftrc la reprefentation de l’Idole qu’ils é^ard,
adoroient. Inconnnentquc cet ^Efclave en-
'troit en office , apres avoir eilé_ bien lav é,
ils le revétoient de cous les habits 6c orne
mens de l’Idole, Tappellant du meilnc nom;
de maniéré qu’il eidoit toute l’annee honoré
6c révéré comme leur Dieu. Il avoir toujours
avec luy douze hommes de gnr le , autant
pour le lervir , que pour empêcher qu’il ne
s’enfuid*. Aveccerce garde on le laifToit aller
librement ou ilvouloit; 6c fi par malheur îî
Venfuyoic, celuy qui en e'fboit le chef', eiloïc
inisà la place pour repreiènter l’Idole,6c en-
luire eftre facrifîé.
Cet Efclave avoir le plus honorable logis
de tout le Temple , où il mnngeoit 6c beu-
voit, 6c où tous les principiiix de la Ciré le
venoient fervir régulièrement, 6C avec l’or,
dre 6c Tappareirque l’on a accoùiumé de
fervir les Grands. Qiiand U allolt par les
rnis, il eO:oir fort accompagné de Seigneurs,
6c portolt une petite flùce en la m ûn , qu’il
toiichoit de fois à autre , pour faire enten dre
qu’il paiToit. Auifi-toft les femmes foitoienc
avec leurs petits enfins dans les bras , les luy
prefentoient pour les béni r , 6c l’adoroienc
comme leur Dieu. Le relbe du peuple en fai-
ibic autant. Li nuit ils le metcoient dans une
• force prifon, de peur qu’il ne s’ea alla fi:, Sc
I 4 conci-*
1^
H I S T O I R E
continuoient aînii jufqu’au jour de b fcÆe -
qu*ils le bcrifioienc. ^
P qui fait voir cii paiTant que rancicnne
coûtume^des Indiens eftoit d^immoler des
t( Ffpngnols nommes à leurs feftes folemnelles. Il eil vray
en quoy
âüSi cou- que les Eipagnols ont aboli cette coutume
pjWes deteftable en exterminant ces Indiens ^ mais
que les 1 on peut dire qu*ils ne Ibnt pas moins cou-»
, '1 *r Indiens pables.En efFec iî ces peuples ont Eicriiîé des
IduJâtrcff
..1 hommes a leur iuperftition , les Eipasnols
n’ont-ils pas auiïî facrifîédes hommes a leur
intercft en maiïacrant ces malheureux ? ils
femblent meiînc plus inexcuiables,& ce que
ces Idolâtres croyoient honorer leur Dieu
par ce facrifice , & qu’eux n*ont penfé qu'à
latisfaire leur avarice par le maiTacrc de ces
Indiens,
Sentt- Pour revenir à ceux qui n’ont point de
mens
n'ils ont Religion , quand on leur parie de Dieu , &
3 c Dieu de les convertir, ils difent que fi Dieu efi:
& de ‘tcut-puiÎTant, il-n’a que faire d’eux ; que s’il
l'Ame.
C erem o­ nvoit voulu^ les appeller r il n'auroit pas at­
nies de tendu jufqu’a preiènt. Ils croyant pourtant
leurs .ua-. qu il y a une ame, mais ils ne fçaiiroicnt dire
liages. ce q^ue c’eft. Ils font melinc des ceremonies
apres la m o rt, Sc aux mariai^cs : par exem­
ple, fi un Indien recherche une fille qui ait
fo n pere , ij s’adreife a luy. Alors le pere loy
demande s il icait bien tuer du poifTon, faire
des harpons pour le prendre, é i s’il eilbon
ChniTcur ? Et quand il a bien répondu â tou­
tes ces chofes ,Ic pere prend une f>rande cal-
baiîc qui tient pour le moins deux pintes, ou
Il veriè une liqueur fiite de miel & de jus
d’Ananas, & boit cela tout d'une traite; 8c
' ^ j
1ayant
DES AVANTURIERS. 19S
ayant remplie > la prefente à fon (Rendre >
qui la boit de mefme , 6c reçoit la fille pour
fa femme , après que le pere a pris le Soleil d
témoin qu’iln ela tuera point* Voilà la ma­
niéré dont ils fe marienti il ne r ^ e plus qu*à
voit comme il vivent enfemble lors qu*ils »
font mariez,
Lliomme fait une habitation , & la fem­ .1 >1
me la plante de toutes fortes d’arbres frui­
tiers dont ils fe nourriifent.Cette habitation
cftant plantée , la femme a loin de Tentrece-
!i ! .
nir , 6c de preparer tout ce qui en provient
pour boire ou pour manger.lls vivent la pluf* î' i
part de Bananes qu’ils font roftin eftant mu­
res > 6c apres ils les écraiènt dans Teau juf*
qu’à ce qu’elles foient réduites en boiiillie, i
-Ils nomment cela MicheU , ce qui eft bon ÔC
fort nourriifant. Il y a une ibrte de Palmifte,
•qui produit un fruit qu’ils préparent de la
mefme maniéré, excepté qu’ils ne le font pas
cuire 5 5c qu’il eft de couleur roii^c.
La femme vient tous les matins peigner Com-
fon mary » 5c luy apporter à déjeufner : En '*
faite il va à la chaÎTe , ou à la pefche , 5c à quand ils
fon retour elle appreile ce qu’il a apporté,
Les femmes ordinairement s’occupent,outre
l e travail de leur habitation , à filer du co­
ton , de quoy les hommes font des Hamas ôc
des Ceintures »dont ils cachent leur nudité.
Ils ifont que cela pour veftemens , encore
tous iVontpas des Ceintures de coton , mais
•feulement de certaine écorce d’arbre >qui
battue entre deux pierres devient douce
comme de lafoye , 5c dure long-temps. Ils
font beaucoup de choies de ces écorces •
1 $ com-
P

H I S T O I R E ^
comme des lits & des langes pour fenn etfir
fnn<î.
Qiiand ris commencent leurs Loges , les
femmes amaiTent tout ce qui eil neceiTaire
pour les f a i r e l e s hommes les conftraiit nr.r
Ils (ont fî peu jaloux les uns des autres, que
les homrnes & les femmes parmy eux Îc
communiquent également.Ces deux Tribus
demefme Nation , fçavoir celles du Cap-,
& de Monftique,iè voyent réciproquement,
e? iîüî Te Ccîuy qui rend vilîte porte les plus bellesar-
paHc Icrs iiies, & fè noitcit autant qu’il peut.Sc quand
J 3 qui il va rendre ce
* devoir, car cette viiîte elb generale , il s’nr*
rtfle à la pn-emiere maifon ou on le meiné.
Dés le premier/Indien qu^'il apperçoir, il fe
jette tout de fon long la face contre terre.
L’autre qui le voit en cette poRure, qui fçait
que c^eft un Etranger, va avertir les In­
diens qu’il y a de leurs amis arrivez • car ils
ne vont jamais ieuls en vifire, mais il y en
a toûjours un qui precede les antres : alors
trois ou quatre Indiens des principaux fe
noirci/Tcnt promptement-, prennent leurs ar­
mes , Sc vont recevoir celny qui eft couché
le ventre à terre. Ils le relèvent, & après
vont aux antres , qui dés le moment qu'ils
les apperçoivent fe jettent par terre comme
a fait le premier 5 ils les relèvent encore, 8C
les mènent tous où les autres font aiTemblez*
Pendant que ces trois on quatre font oc*
ciTpcz à recevoir les nouveaux venus ,lere-
fte de leurs hommes ie noirciiTcnt & les fen>
'»t mes fe roudiTent avec du Rocou , afin de
Kcevüir aiuTi la viCte.Si-toib que ces Indiens
font
DES A V A N T U K t E R S . ip7
'font arrivez , on leur prepare da Michela» do
r Achioco , dc line boiiTon auiTi forte que le
vin pour le lendemain *, fi bien qu’ils s’eny-

mitiez aux fem mes, 6c neanmoins ils ne les


baifent jamais au vifage , au moins je nejM /
point remarqué ; mais comme ils font torts
lafcifs , ils ne laiiTent pas de taire beaucoup
d’acflions indecenres. Après toutes ces ré-
joüiiTances , je ne fçay s’ils vont reconduire
ceux qui les font venus voir } car je ne l’ay
jamais veu , ny demandé! des gens qui m’ea
ayent pu rendre raifon.
Nous autres François ibmmes étonnez de Comp?;
voir ces maniérés qui paroiiTent fi ditferen-
tes des nollres.Qiie dirons-nous donc de cel-
les des autres Nations qui le font encore bien nieresj.
davantage ? Par exemple , nous beuvons veccelle?
l’eau froide, & les Japonnois la boivent
chaude. Nous eftimons belles les dents blan- ^
ches , eux les noires j 5c fi elles font d’une
autre couleur , ils les teignent aiififi toft de
quelque chofe qui les noircit. Ils montent i
cheval du cofté de la main droite^ nous de
gauche. Pour faliier nous découvroris la te-
î l e , eux les pieds, avec un léger iecoüement
de leurs pantoufles. Quand noflrre ami arrive
vers nous, nous nous levons , & eux s’af»
ibient.
Parmi nous les pierres precieufes font fort
eÎlimécs , chez eux les communes. Nnu^
donnons aux malades des chofesfort douecS'
& bien cuites, ils leur en prefentent de falées
1 / ac-'
IIV
' H I ST O I R E
^: & de ernes. Nous les nourriÎTons de volailîe'j,
ilslesnourriiTentde poiiTon. Nous ufons de
médecines ameres & de mauvaife odeur, ils
, ‘ 'h en prennent de douces & qui fentent bon.
Nous fnignons terriblement le m alade, eux
jamais & ce qui eft confiderable » ils ren­
dent raiibn de tout cela. Par exemple,ils pre-
• tendent que s*abaiiTer quand un ami vient,
3 u lieu de fc releveneib une pins grande mar­
que de refpecft : que les vafes de quelque
ulage doivent eftre plus eftimables , que les
pierres precieufes qui ne font d‘aucune utili­
té .• queTeau que fon boit froide relèrre les
extremitez des inteftins, caufe la roux & les
antres maladies de l’eftomac j & la chaude
au contraire entretient la chaleur naturelle :
qu aux malades il faut donner des médecines
que la nature deiire,& non pas celles qu’eiie
abhorre. Ils difent enfin , qu*ilfaut ménager
le fang , qui eft la foui ce de la vie. Pour'les
dents noires, outre qu*ils les trouvent plus
belles de cette forte ; ils ibûticnncnt qu*il
faut leur donner cctre couleur, parce que fi
elles ne font noires,elles le deviendront bien-
toft , par quelque accident qui les rendra
telles. Ils raifonnentdu refte à peu prés de
la mefîne maniéré. Ainii les Indiens ont leurs
courûmes, qui ne doivent pas nous fembler
Ce O 'ils étranges.
osbrvent ^ Q^and fun d*cux cft preft a m ourir, tons
ii!arnoi-r fcs amis Viennent Ic vifitcr, & luy deman-
ces an, & dent s’il eft lâché conrr’eux de les vouloir
\ri. ? Eftant m o rt, fa Femme
va eile-mciine luy faire une foiîe de trois ou
•quatiw pieds de profondeur,6c autant de lar-
*
>

Itl'
DES AVANTÙRIERS,
jvc >felon qn*il eft riche j & s’il a des Eicla-
ves , on les tue pour les enterrer avec luy :
On jette auiTi dans la foÎTe fes habits, Tes ar­
m es, ôc tout ce qu*il a fw^fTedé , ia femme
luy porte pendant un an « qu’ils content
quinze Lunes, à boire & â mander deuxioi-s
par jour, p^rce q u e , felon la iiiperftition des
Indiens , elle s’imagine qu’il en a belbin ,
mefine après fa mort; & lors qu’ellene trou­
ve plus ce qu’elle a apporté , elle tient cela 4
bon augure, croyant que Ton mary en a prc>
fitéjbien que ce foit quelque animal qui l’ait
mangé. Si au contraire elle retrouve tout ,
comme il arrive aiTez Couvent, elle le va en­
terrer , car ils ne permettent pas que lesbe-
hes y touchent. J*ay quelquefois fait bonne
chere de ce que je trouvois fur ces tbiTes , à
caufe que ce font les meilleurs fruits qu’ils y
apportent.
Lors que les quinze Lunes font pauees, la
femme va ouvrir la foiTe , prend tous les os
de fon mary, les lave & les nettoyé le mieux
qu’il Iny cftpoiTible , aprésles enveloppe, &
les lie fl bien les uns avec les autres > qu’ils
ne peuvent fe deifairc , 6c les porte fur ion
dos autant de temps qu’ils ont ellé dans la
terre. Après cela elle les met au haut de fon
habitation, ii elle en a une , 6c fi elle n’en
a p o in t, chez les plus proches parens qui en
ont.
Les Veuves ne peuvent prendre d’autres
maris,qu’elles ne iè foient acquittées de tous
ces devoirs. On ne deterre point les os de
ceux qui meurent fans avoir efté m ariez,
mais on leur porte à manger. Les maris dont
les
W i H I S T O I R E
/ I l
les femmes meurenc, ne iant point abligcz i
1 f ï•
toutes ces ceremonies.
Quand les Avanturiers vont chez cetto
M :: Nation , ils y prennent des filles, & les é-
> 1 pouiènt delà meiîne maniéré que les Indiens
font entr*eux, 8c apres la mort du mary , la
femme Indienne fait la mefiiie chofe ques*iÎ
I I
eftoit Indien*
'
if! BCToit Autrefois quand un ^rand Seigneur mon-*
♦ que les roit parmi eux , ils l*expoibienc quelque-
.■ 1 ■ Indiens
>. rendoiem temps dans une chambre^ alors Tes parens
aux ics amis accouroient de toutes parts, appor-
moits. toiene des prefens au m o rt, 6c le fifiiioient
comme s*il eult efté envie. Outre les Efcla-
ves qu*il avoir» ils luy en offioient encore
de nouveaux pour efire mis à mort avec luy,
afin de l’aller ferriren l’autre monde. Ils fai-
foient auiTi mourir le Preftre , ou le Chape­
lain qu’il avoît ; car tous les Grands Seig<»
neurs avoient un Preftre chez eux pour faire
les ceremonies de leur Religion : Ils le
tuoient donc dans Ce moment pour aller fai­
re ion Office en l’autre monde ; 3c ce qui eÎE
ctrange,c’eft que tous ces Domeftiques s*of.
froient volontiers pour aller fervir leur def-
funt Maiftre , 3c mcEmc avec d’autant plus
d’empreifement, qu’il leur avoir efté boiî
durant fa vie. Ils tuoient aufii le Sommelier,
le Cuifinier, les Nains Sc les Boifus.
A ce propos on raconte qu’un Portugais
cftant Efclave parmy ces Barbares, avoir
perdu un œil d’un coup de fiéche qu’il avoir
reçu dans un combat. Comme un jour ils le
▼ouloient tuer pour accompagner un Grand
Seigneur qui venoit de mourir,il leur remon­
tra
D K S AV A N T U K Î e r S.
tra que les habirans de rautre monde ne
poiivoient foufiFrir cenx qui avoicntle moin-
d’-e deflTaur. Sc qu’alnfi ils feroient peu d’é­
ta t du deffnnt, fi on voyoic à fa faite un hom­
me qui n*eut qu’un œ il , & qu'il ièroit bierj
plus honorable pour le mefme JefFunt, d*'ei3
avoir un qui eut deux yeux. Les Indiens ap­
prouvèrent Ces raifons , & par cette adreife
le Portuguais feeut éviter la morT.
Ils ont maintenant beaucoup deNegres
pour Efclâves ; il y en a auiTi beaucoup de
libres, à qui leurs Maiftres en mourant ont
donné la liberté .• Ces Negres ne font pas^
naturels du pais» la race en eil venue de
Guinée ,& voicy comment.
- Un Navire Portuguais venant de traiter Cmorn- cnrfeà
pour des Negres e» ce pais, afin de les porter Efcîavcs
-au Brefil ; ces Nègres eiloient en fi grand N egres
^nombre fur ce VaiiTeau, qu’ils s*en rendirent font ve*
nus ch«a
les maiftres, & jetterent tous les Portuguais les lîï.
à l’eau. Alors ne feacbant de quel cofté tour­ dien% ,
ner , ils furent ou le vent les conduiiît, &
arrivèrent au Cap'de Gracia à D h f t fans iça-
•voir ou ils eftoient. Plus de la moitié mou­
rurent de faim & de fbif, & ceux qui écha-
perent Sc qui arrivèrent-là , furent faits Ef^
claves parles Indiens » & font encore plus
de deux cent de cette race. Ils parlent com­
me les Indiens » & vivent de meiîne ^ fans
avoir aucun ibuvenir de leur pais , ny pou­
voir dire comment • ny d’où ils font venus. m d ieîïj
Les Indiens font iujets à d e s maladies fort fn|et à d e
dangereufes , comme â la petite veröle, aux grandes
fièvres chaudes 6c nu ilax de fang,aufquelles mLeaîad'e».
rem e­
ils ne font aucun remede ^ finon que quand de fju’ife
ils y font,
H I S T O I R E
ils ont la fîevre chaude, ils fe mettent i l'eau
juiqu au e o l, & par ce moyen ie i^uériiîenc il
parfaitement • mais quand il furvient quel*
! •: que maladie d*une autre nature >ils n*y font
rien^c’eftce qui fait qu’il en meurt un grand
nombre » & qu*ilsn’augmentent gueres; car
' I.
au rapport des Avanturiers, ijui ont le'plus
irequente cette Nation» il y a plus de ibix-
ante ans qu’on les voit toujours dans le me£l
1 ' me erat^quoy que l’air de leur pais Ibit fore
bon , & que la terre en foit fertile. Voila ce
que f ay pu remarquer dans tout le temps
que j ay refte en cet endroit» paurois c>our*
:f’ tant encore beaucoup de choies a en dire,
H }*ecrivois tout ce qu’on m’en a dit ; mais
}e ne veux écrire que ce que j’ay vu , & ce
que )*ay feeu de perionnes dignes de foy.
i^endant noilre fejour nousamafsames au­
tant de ^^uirs que nous en avions beibin ,
pour gagner les codes de C u ^ o ù nous vou­
lions aller ^ & pour ces fruits nous donnâ­
mes aux Indiens ce qufon a accoutumé de
leur donner. Nous en emmenâmes deux,qui
s embarquèrent volontairement avec nous,
ayant envie de foire autant de progrez, que
deux de leurs Camarades , que nous avions
ramenez de Panama , qui en avoient raporté
beaucoup d’indrumens de fer qu’ils edimenc
de grands threibrs ; i3c je me ibuviens que
lors que les deux dont je parle edoient au
*» pillage de Panama • s’il arrivoic qu'ils trou-
vaïTent de l’argent >ils nous l’apportoienr
& ne voujoient pas ineime prendre aucuns
habits J dilant ^qu’jls n’en avoient que faire
en leur pais^ ou l’air n'edoie aucunement in»
commoJe.

i , ,1
i Ul<
’. r ' '
ii
DES A V A N T U R Î E R S . u>f
COtTitnode. Ils ne s'attachent precife'ment
qu’aux choies les plus necelTaires à la vienne
boivent ôc ne mangent pas beaucoup.

C H A P I T R E V I.
Hljîoire de l^AvanttfrUr Idomhars ^furmmmé'
l*Extermi)Mteur»

Q I toft que nous fûmes em barquez, nous


3 fevâmes l’ancre , 8c fîfmes voile vers
tljte de CubatcAx nous arrivâmes quinze joups
après noftre départ. En vérité il eftoit temps
que nous y arrivaifions; car nous ne pou^
vions plus tenir noftre Navire à l*eau , le
fonds en efta'nt tout pourry & mangé de
vers. A Wnftantlesdeux Indiens que nous
avions, & nos ChaiTeurs , furent dans un m>i' I
Canot à terre. Surlefoirles I ndiens revin-,
rent avec delà Tortue & du Lamenrin , 6c
lesChaiTeurs avec du Sanglier 5c de la Va»-
che ^ en forte qu’ils apportèrent à manger H•• ■iil
P
pouf plus de deux cens hommes..
A l’heure mefme noftre chagrrin fe diffipa,
nos fatigues furent obliées , 6c au lieu que
durant noftre mifere nous nous nuifions à
dix pas les uns des autres-alors nous pre­
nions plaifrr à nous approcher , 6c à nous
fhire mille amiiiez , ne nous appellant plus
que freres. En un mot nous eftions tous fa-
tisfaits . 6c refolus de demeurer long-temps
dans ce lieu , afin de nous bien remettre. P î^
bonheur nous n’avions-là aucuns ennemis
que les Efpagnols, mais nous ies cberchions
plûtoft.
H I S T O I R E
plûtoR qu’ils ne nous cherchoient; les
v a m m k r s n*ayant rien plus à cœur que de
pourfuivre fans rckfchc ceux de cette Na­
tion.
On diroit mefme que la Providence les a
fufeirez , pour punir les Efpagnols de toutes
' i' leurs injufticcs. En cifec » comme les Ffpa^-
nols ont e ilé , 5c font encore le fîeaii des I)i-
dienSjPon peut dire que les Avanrurierslbnt
ê c ^ ro n t toûjours le fîeau des Efpagnols
mais je n*en fçaehe point parmy eux ; qui
^uwuoy jeune 3 ii?;?>^/rr5,
5itl* x / h Exterminateur, parce qu’il en a
term ina- aiTommé ians reiniflion, tout autant qu’il eiî
a rencontré.
L’Olonois merme a ce qu’on prétend , n’a
jamais clic ii redoutable que luy aux Efpag^-
nols, bien qu’il ait dû Teilre beaucoup* Èn
effet, nous venons de voir que preique eu
on m om ent, il a coupé la telle à je ne içay
combien de gens de cette N ation.Ontrouve
tnefme iîjr ce ftijec une grande difference en­
tre ces deux Avanturiers ^ en ce que l’O Io
nois a (ouvent flic mourir pluiîeurs Eipag-
nols qui ne lui re^iloienc p a s, 5c que Mom-
bars n’en a jamais tué unfeul qui ne luy ait
refifté- ^
Cela me fait fouvenir d'un incident que
je raporte m aintenant, de crainte qu’il iw
m cçhape dans la laite ; car les choies qui
regardent l’Avanrnrier Mombars , font à
rbeure que je parle fi confufes dans mon cf-
p r it, que je les reciteray plûrofl félon l’ordre
qu elles fe prefenteront à ma mémoire , que
ieloa le temps qu’dles font arrivées : Et je
rap-
DE S AV A N T U R I E K S .
rapporte cet incident, non pas tant p o u rjs
rareté du fait » cjitepour la iîngulariré deTà-
vanture qui îuy a donné tien.
■ Un jours que Momba'rs eftoit en m er, i?
fut obligé de defeendre â terre pour les be-
foindeVaiiTeaujScfbrt fürpris de trouver
des Ei^agnols dans un lieu , ou Ton n"en de­
voir point rencontrer. Les Efpagnols mar-
choient dans une plaine aiTez éloignée de
l’endroit oîl eftoit alors Mombars. lis paroii^
t foienten bon ordre 8c bien armez. Mom­
bars craignant qu'ils ne priiTcnt la fuites
s'ils voyoîent tout fon monde , ne fit paroi-
Fi flre que quelques Indiens qui ne l’abandon-
noient point, parce qu'ils l’aymoient 5c qu’il
les aymoit auiTi. Les Efpagnols ne manque- ■;,ll
tentpas de fe jetterfurce petit nombre d’in­ iîil
diens , qui s'étoient avancez exprès pour
leur faire donner dans l'ambufcade. Mom­
bars qui obfervoit les ennenûs, fondit à ion
tour fijr eux, 5C avec tant d’impetuofité Sc Î '
de courage, qu’ils fe diipofoient a fe rendre^
pourveu qu'on leur laiiTafl: la vie ; lors que
Mombars leur cria en Efpagnol qu’ils n*a-
voient rien-àefperer, àmoins qu’ils ne le
tuniTent avec tous les fiens.
* Ces paroles terribles , fuivies de plus ter­
ribles effets »contraignirent les Efpagnols I
le battre jufqu'à Text remité , ou ils furent
bien-toft réduits par la valeur de Mombars ^
qui ne leur fît point de quartier.^ A l’heure
mefme on avança dans le pais » où l'on trou­
va de l’eau en abondance,des fruits 5c d’au­
tres chofe ncceiEûrcs à la v ie , dont on s’a ^
comiïKxla »-auCfi bien qiie des armes des Ef-
pagiiols^
V

h i s t o i r e
; I' , & de tout ce qui mericii d'eftrè
emporté. En fuite on fe rembarqua 8c Von üç
voile.
V dlà comme Mombars & les fiens one
; I, cornbattii 6c défait les Efpa^nolis en un lien
ou iis ne penibieut pas mcilne les trouver.
C'eft pourquoY, comme il a efte déjà- d it,
ils en furent fort iîirpris : & certainement
jl^s avoient raiibn dc feftre , puis qifils n-e-
ftoient venus en cet endroit que par une a*,
vanturc extraordinaire, com n^ on le peut
voir par ce qui fuit,
moiîtcMCDt- line Barque
remplie de pluiîeurs Ne^res, dont ilsalloient
^m m ercer a leur ordinaire. Ces Ne^rese«
1 a J cnièmble» 6c dam
le delTein de fe iàuver » trouvèrent l’inven­
tion de percer la Barque en pluileurs eu-
droics , |>ar Ic^uels ils faiioiént entrer l*eau
& I empeichoient auiïî d'entrer par le moyen 10!
de tampons faits-exprès , qu’ils-metcoient 6c
©itoienc quand ifs le vouloient, 5c cela Îî a-
droitemcnc qu on n’en pouvoic rien- apper-
ce voi r.
• fois que les Efpagnolg s'ientretenoient
allez tranquilement , ainfi qu*ils ont acco 4-
tume de faire a caiiie de leur humeur fieg-
n^atiquc ; l’eau furvenant tout â coup les
obligea d’interrompre leur entretien , 6c de
courir par tout retirer des hardes que l*eau
gacoit confiderablemcnr. Les Negres qui a-
Vûient ca-ufé le defordre , S’empreiTerent
c o m n e à l’envy pour i’arrcifcr ^ 6c y réuiTj-
rent U bien » que les Elpi^nols admiroient
leur promptitude 6c k u r adreffe à étancher
/a
DES A V A N T U R I E R S . lo f
b Bcirqné d-*eau. Ce fut là le premier eiTay
,de leur riïfe , qifils reiblurenc .de mettre en
jM-aiique'jufqif d ce qU'ils cufîenc trouvé un
temps ^favorable pour en profiter au de
leurs defirs. Ainfi donc ils prenoient occa-
iion du moindre vent & de la moindre teirv
pefte pour faire entrer Teau, & la faifoient
entrer autant defois qiVils le jugeoient à prq^
pos > pour faire croire -queda Barque cRok
méchante.
LesEfpagnols commençoient déjà à en e-
ftre fort perfuadez»parce que le plus iouvenc
au milieu de leur repas i & de leur fommcil
mefme >ils eftoient furpris par des inonda­
tions d’autant plus incommodes, qu’elles e-
ftoientto'üjoursimprcveuës. Un jour que la
Barque eftoit proche d’un Récif oii les N è­
gres l’avoient conduite à deiTein , à l’inftanc
ils débouchèrent toutes les ouvertures ; de
maniéré que les Efpaî^noîs fe voyant prefts
d’eftre fubmergez, abandonnèrent la Bar­
que & les Negres , 6 c fe jetterentfur le Ré­ "i
c if, d’où ils gagnèrent une langue de terre
voifinc» 6 c enfin l’endroit où Mombars les a*
voit trouvez 3c taillez eu pieces.
Un Negre cependant étonné que l’eau en-'
troit de toutes parts, 8c avec une abondan­
ce 8c une impetuofité qu’il n’avoic point en­
core veue, jugea qu’il faloic promptement:
boucher ies ouvertures ,-ou fe reibudre â pé­
rir. Mais iln'en pût trouver aucune, 8c crût
fes camarades dans Ja mefme peine, ne pou-
•vant pas s’imaginer qu*ils euiTenc laiiTé iii-»
onder la Barque de cette forte , s’ils ayoienc
pû rempeichcr. Alors effrayé d’un peril fi é- '
■^ vident^
H I S T O I R E
v id en t, il fut aÎTcz malheureux pour fe Cuî<
ver avec les Efpa^nols. Il regarda aufli>toft-
pour découvrir ce qu*cftoient devenus fes
Compagnons, Si les apperceut en pleine
mer qui avoient arrefté l’eau » & qui joîiif*
foienc de la Barque. A cette veue le Negre
parut au deièijx^ir, ce qu*il ne fit que trop
•connorftre en piétinant des pi-ds Si s'arra­
chant les cheveux. Les Efpagnols s^en éton­
nèrent 3 parce qu’ils croyoient ia deftinée
meilleure que celle de iès Camarades , qu*ils t'“
îegardoient comme des gens perdus , ou ,r.
preils à ic perdre j prévenus qu’ils eiloienc
du mauvais état de la Barque.
Mais comme de leur naturel ils ibntm e-
pans , ils foup^onnerent quelque choie de
I emportement du Negre» luy firent pluiieurs
'^■''îftii--------‘
queftions qui l’embaraiTerent, Sc - qui• redou­

'J I ‘ blèrent leurs ibupçons. Ils le menacèrent des
plus cruels tourmens ,s*il ne leur diibit la ve­
n te • Si comme il ne les contentoit p a s d e s
menaces ils en vinrent aux effets, le tour­
mentèrent cruellement , & le forcèrent d*a-
voiierla choie.. C*eil: de luy qu*on afçû tout
Ce que Eon vient de raconter.
Cependant Mombars concinuoitibn voya­ '^1
il

ge pour une grande expedition, donc on ne


dit rien a cette heure, puis qu’avant que de
paiTer outre , il eft neceffaire pour l'intelli­
gence de ce qui va fuivre , 6c pourla û tis-
raccion du Ledreur, de reprendre de plus
naut 1 hiiroire de ce brave Avanturier, qui
ians doute en vaut bien la peine.
L Olonois qui le connoiffoir particulière- •
^ ü3 a ailliié qu’il effoit d’une des bon- ;
Xi£i

V
B E S-A V A N T U R I E R S. U09
hes flimilles de Languedoc , & qu’il a elle
tres-bien élevé , fur tout qu*il s’eil appliqué
à tous les exercices d*un Gentil-homme , m:
comme à tirer des armes^difant quelquefois^
qu*il apprenoit â tuer des Efpagnols. Ce qui
fait voir qu*il a une grande antipatie pour
e u x : Voicy ce qui luy a donné lieu.
On pretend que dans fa jeunelTe il a lû Son antî-
plufieurs Relations qui parlent de la conque- {e^Erpag!
fie que les Efpagnols ont faite des Indes, & noii.Cau.
par confequent des cruautez inouïes quils re de cette
w ont exercées en lafaifant. Cette leeflure n’a anttpane,
pas manqué d’exciter fa haine pour les Vain­
queurs , ôc fa compaiTion pour les Vaincus t
En forte qu’il a toujours témoigné un grand
defirde lesvanger , & beaucoup de joye »
lors qu’il aprenoit que les Indiens avoienc
eu quelque avantage fur eux : car on fçait
que ces peuples ont ibuvent battu les Efpag­
nols. On dit encore, qu’il prenoit un fingu-
îier plaifir, lors qu’onliiy raportoit quelques
malheurs arrivez aux Efpagnols , que luy-
snefme fe plaifoit d’en raconter * & qu’un
^our , au fujet de leur tyrannie» il recita cette
petite Hiftoire,qu*il avoic trouvée, fans dou-
te,dans quelques-unes des Relations qu’il a-
voit lieues.

ü n Efpagnol, difoit-ii une fois aux gens de
ion â g e , avoir eilé établi Gouverneur dans ill
nne contrée d’indiens , qui n’ciloient pas
fort endurans, & par malheur cet homme e- MU
ftoic cruel dans fon Gouvernement, & in­
satiable dans (on avarice. Ces Indiens qui ne
pouvoienc plus fouffrir fa babarie » ny luiEro
^ fes e x a â io a s, le furent trouvçr, & luy fî-
iTo H I S T O I R E
rent entendre^en Kîy montritnc quantité d*of/v:
qu’ilsavoicnt trouvé le moyen de le conten-
ter; & fans perdre de temps,fe jetterenrluri|]
Iny , & le tenant ferme, luy firent avaler cec i:|t>
or fondu , luy difant de s’en ibûler , & ne il
î ,' ceiTerent point de luy en faire avaler , qu’il II i
i' n’expiraft dans leurs mains. C*eft aÎnfi qu’ilÆc
l'ilï'i témoio;noit Ton animofité contre les Eipag-p|n
mois. Une autrefois il en donna des preuves
■V beaucoup plus réelles dans une occafion af» M
•fez plaifante.
On avoir fait une Comedie qui devoit-c-
ftre jouée par les Ecoliers du CoIle<>e où il
ctudioit. ^Parmi les Aéleurs on introduifoit JC:
|î!'r; fur la Scène un François & un Efpa^nol. w
Mombars reprefentoit le François, & un de
Îès Camarades l’Efpa^nol.L’EipagnoI eilant V
lîir le Theatre dit plniieurs invedVives contre H;
le François, meilees d’une infinité de Rodo- |
montades offençantes. Mombars fentit auifi- ej-
toft émouvoir fa bile, & réveiller l’averfion ;Ji
qu^ilavoic contre les Efpa^nols ; Averiîon
qui eftoit née , 6c qui croiiToit tous les jours Vj' i
avec luy,Bc maniéré qu*impawent & furieux i j|
tout eniemble , il interrompit ion Camarade j
ail milieu de fon difeours ; des paroles on {
vient aux coups , 5c fi l’on n’eftoit venu luy
öfter des mains le prétendu Efpngnol, il ^
n’auroiepas manqué de le tuer. Ce "qui n’e-»
ftoic pas de la piece. j
Cependant Mombars ie formoic de jour ' i
en jour , 6c fon pere qui eftoit nifé , 6c qui
Paimoir beaucoup, fongeoiedéja à l’établir?
mais lors qu’on luy demandoit ce qu’il vou- '
iüit faire jifne répondoic autre choie, finon
qu-i]

hlÎil.
DES AVANTüRIERS. itt
qu’iî vouloir aller contre les Eijin^nols.
' Comme il vit que l’on s^oppofoit à ion
deifein , il fe déroba de la mailbn de ion pe-
re J & fut trouver un de Tes Oncles au Havre
de Grace , qu’il fçavoit eflrre riche , & com­
mander un vaiifeau pour le Roy, avec ordre
de croifer fur les Efpagnols, contre leiquels
nous eilions alors en guerre. Il dit fon in­
tention à ion Oncle , qui Raprouva , le
voyant bien fait& né pour les armes. Il loiia
mefme l’envie qu’il avoir de ie fignaler con­
tre les Efpagnols , en écrivit à fon pere > è c
peu de jours apres fit voile pour aller join­
dre la Flotte que Ton cquipoir.
Durant le voyage, dés que l’on découvroît
quelque vaiÎTeau,il demandoit à l’inilant s'il
' r I
eftoit Efpagnol. Enfin il en parut u n , on Ten Oi!.
»
*
I avertit, il fut tranfporté de jo y e, courut à
fes armes » & brûloir d’impatience de fe voir -
aux mains avec les Efpagnols. Son Oncle fie
donner la chaiTe â ce Vaiifeau, & en ap­
procha d’aiTez prés pour difeerner qu'on ic
diipoibità mettre le feu au canon. Comme {
il v i t , qiioy qu'il pût dire à fon neveu, qu’il
s’expofok inconfiderement en homme
fans experience,il le fit enfermer, puis eifuya
tout le canon des ennemis , & par bonheur
ce fut fans beaucoup d’effet. Apres cela ou
joignit le Vaiifeau Efpagnol, & l’on en vint
à l’abordage. Auifi toil: on lâcha le jeune

nemis» ie mêla impettieufement, & fe fîc


jour parmi eux,8c fuivi de quelques uns,que
fa valeur aniinoir,iI paffa deux fois d’un bout
à l’autre du vaiiieau> 6c renveifa autant de
Tmell, K fois
H i! n iS T O IR E
fois tout ce quife trouva fur fon piiiTn^^e,
Les Efpagnols alors avoient bean demand
der quartier , on ne leur en faifoic point; teî-
Icinent qifil ne put echaper que ceux qui fe
jctterent dans la mer^encore s’ils ne périrent
pas parle fer,il eft à preTunaer qu’ils périrent
çar rcau : car Mombars ne voulut jamais
IbufFrirquc l’on perdonnaft à un feul. En i ?
n fuite on viiîta le vaiiTeau >où l’on trouva de
grandes richeÎTcs ; par exemple trente mille
balles de toile de coton , des tapis velus» 8c
autres ouvrages des Indes de grande valeur;
deux mille balles de ibye reprile ; deux mille
petites bariques d*Encens , mille de doux de
Girofle;puis une caiTctte remplie de diamans
bruns >dont les plus gros paroiiToicnc de la
groiTeur d’un bouton commun. Elle eftoic
entourée deplufieurs barres de fer,5c fermée
à quatre ferrures. On y rencontra encore
beaucoup d’autres choies auifi riches que
precieuiës.
Lorfqiictoutle monde eÎloit ravi d’une iî
belle prife» Mombars fe rcjouilToit à la veuë
du grand nombre d’Efpagnols qu’il voyoit
tuez: car cet Avanturier n’eft pas com'me les
autres, qui ne combattent que pour le bu­
tin ; il ne combattoit feulement que pour la
gloire, & pour punir les Efpagnols de leur
crnaucé. On m’a alfuré qu’il avoir fait dans
cette rencontre des adlions fi extraordinai­ »1- Cl
res , qu’on auroit peine à les exprimer , Sc
peut-eftre plus à les croire. Cependant je
n’en voy pas la raifon» puifqii’il eft certain
que Mombars eft brave, hardi, determine ^
dilàntpcu, faifant beaucoup.

^ 'I
DES AVANTÜRIERS:
Je me foiiviens de l’avoir vu en paiTant Portraft
iaux Honduras, Il eft v if , alerte , & plein de
feu , comme font toiH les Gaicons« Il a la
taille haute , droite & ferm e, l’air £>rand >
noble de martial , Je ceint bazané. Pour fes
yeux , l’on n’en fçauroic dire ni la form e, ni
la couleur, citant cachez comme ibus une
voûte obfcure, à caufe que fes fourcils noirs
& épais fe joignent en arcade au deÎTus, de
les couvrent prefque entièrement. On voit
bien au’un homme fait de cette forte ne
peut eltre que terrible : auiTi dit-on que dans
le combat il commence à vaincre par la ter­
reur de fes regards , 5c qu’il achevé parla
force de ion bras.
Malgré la fureur du carnage > on avoir ém
pargné quelques Matelots, 5c d’autres OfH-
ciers , parce que l’on en avoit beioin, 5c
qu’ils n’eftoient pas Eipagnols.ils donnèrent
avis que le vaiffeau qu’on venoit de prendre
ciloitfuivi de deux autres encore plus riche­
ment chargez , que la tempefte avoir écar­
tez , qui ne manqueroient pas d’arriver dans
peu de jours »5c que le rendez-vous eftoic
donné au Pori Margot, J ’avois oublié de dire
que ce combat s’eitoit donné vers S, Domina
g u e , d’où ce porc n’eit pas éloigné ; mais je
n’ay point marque la route de ce vaiiTeau , à
caufe que je ne l’ay pas bien feeué, 5c que je
n’ay entrepris de décrire »que la route des
vr.iiTeaux où j’ay efté.
L’oncle de Mombars profita de l’avis
qu’on luy donnoit, 5c crut que les vaifïeaux
dont on parloit vaioienc bien la peine d’ac-
feiidre dans le porc que j’ay nommé , iepc
K l OU

I
-tu tî I $ T O I H E
ou huit jours^ 6c plus, s*il le faloit. Il ne
ta point mefme que la prife n’en fuft certai­
il ne 6c sfaos danger , en iè fermant d^une rule
aíTez ordinaire » qui eftoitde nelaiiTer paroi-
'I ilre au port que le fcul yaiiTeau Efpagnol
dont il s’eftoit rendu maiftre, eftant preique
leur que les vaiiTeaux de cette Kation le
voyant au rendez-vous j ne manqueroieni:
pas de le joindre, 6c d'^eftre pris.
Là-deÎTus Mombars aperceut plufieurs Ca­
nots qui tiroient vers le vaiffeau.ll demanda
' ' 1 1 “' ç c quec’eftok : onluy répondit que c’eftoit
1 1 ll ' .des Boucaniers qui venoient » attirez par le
bruit du combat ,ouplûtoÎl pour avoir de
Teau de vie. Us preicnterent â l’oncl-e de
: i Mombars quelques paquets de cette chair de
Sanglier , qu’ils fcavent fi bien aprefter , qui
GÎl, comme je Tay dit ailleurs , d*une odeur
admirable,vermeille comme la Rôle, 6c dont
on auroit envie de manger en la voyant ièu-
lement. On receut tres-bien leur prefent >6ç
jon leur donna de Beau de vie en abondance.
Ils s’excuferent fur ce qu’ils preièntoientiî
peu de cette viande , 6c dirent pour raiibn >
que depuis peu la Cinquantaine Elpagnole
avoit battu le p ais, ravagé leurs Boucans j
6 c tout emporté. Comment fouffrez vous
c e la , dit brufquement Mombars ? Nous ne
le fouffxonspas auiTi. repliquercnt-ils avec la
.même brufquerie, & les Efpagnols fçavenc
bien quelles gens nous fommes ; c’eft pour-
quoy lis ont pris le temps que nous eftions
.tous à la chaiTe ; mais nous allons joindre
plufieurs de nos Camarades qu’ils ont encore
"plus|nal traitez que nous / 6c leur oinquan-
cain^
D E S AV A N T U R Î E R S . lïf
hîîne, fût ellè devenue centaine , Sc meiine
üiilliéme i îioiis en viendrons bien à bout. Si
vous voulez Vdit Mombars, qui ne deman-
doit qu*où'e{Î-ce ? je marcheray à votre te-
i t e , non pas pour vous commander , mais
pour m*expofer tout le premier , & voitS
montrer ce que je feray contre les Efpag-
nols.
i Les Boucaniers qui voyoienc à fa mine
qu’il eitoit homme d’expedition , Eaccepte-
renç volontiers • 6c Mombars fe tourna vers
fon oncle , 5c luy en demanda la permiiTion
que Ton oncle ne put luy refufer » confide-
rant qu’il avoit encore long;-tempsà eilre la ,
8c que cependant il ne pourroit jamais rete­
nir ion neveu , emporté comme il eltoir, il
luy donh^,quelques gens ;de fon âge 6c de
ia valeur pour l’accompagner; & iî. luy en
donna peu, parce qu|il me vouloic pas dégar­
nir fon vaiiîeau , ayant peur d’eftre attaqué.
En fuite le neveu quitta l’onde »en luy pro­
mettant qu’il feroic bien-toft auprès de luy*.
Vous ferez bien , Juy dit-il» car je vous af-
fure queles yaiiTcaux que j’attens, pris ou
manquez , je partiray à l’heure même. Il luy
parloir de la forte, non pas quM euÎl deiTein
d’en ufer ainfi » il l’aimoit trop tendrement •
mais pour précipiter fon retour.
Aufii-toft Mombars fuivi des fie ns , paiTa
avec joye dans un des Canots des Bouca­
niers. Cependant un fecret chagrin fe mé-
loit à cette joye , 5c il fe trpuvoit comme
partagé : d*une part il apprehendoitque les
vaiiTeaux qn’on attendoic n’arrivaifent ,
qu’on ne fe baccill: en fon abfence > 6c qu’il
K i no
4, 5 H 1ST O IK E
jne pwft piirta2;cr le peril ni la gloire com*
bat : de Taiure les Boucaniers l’alfuroienc
qu*ilsne feroient pas long-temps fans ren­
contrer les Efpagnols j ce qui le détermina »
eftant perfuadé que s'il trouvoit dans peu
roccafion de battre les Efpagnols fur te rre ,
il feroit aÎTcî^ toft.revenu pour les battre en­
core fur mer.
11 ne croyoit pas ii bien dire ; car â peine
cut-il abordé dans -une prairie enroui ée de
bois & de colines »qu'ôn vit paroiftre quan­
tité de CavalèrièiE(|)iignbîe lefte & bien
m ontée, qui s'eftoit ainii afTemblée » Iça-
i, » I
chant que les Boucaniers S*alTembloient aui-
fi. Mombars qui fentoit redoubler la haine â
la veuë des Eipagnois^ alloit donner telle ï.
bailTée , fans confidérer leürmültirüdé, S c lé
petit nombre des fienS; lors qb*ün Bbücaniei
*qui elloit auprès de luy, homme de'Coeur 8C
d ’experience , luy dit : Attendez » il n’eftpas
temps ; 8c fi Bon veut faire ^ce que je feray ,
nous allons avoir ces gens-là fans qu*il en é-
chape un fenî. Ces mots * frns qu'il en échafè
■unfeul, arrefterent à l’inllant Mombars ; car
s*il elloit bien aife de triompher des Efpag-
•nols 3 il Belloit encore plus d*en triompher
•fans qu*il en échapall un feul. En mefme
temps celny qui avoir proféré ces paroles fit
faire alte à fes camarades» & tourner le dos
aux Efpagnols, comme s’ils ne les avoient
point vcLis. AuiTi-toll il déroula une tente de
toile,qu’il portoiten bandoliere î c’ell de cet­
te-forte que les Boucaniers ont accoutumé
de porter leurs= tentes lors qu’ils vont en
campagne » 8c fous laquelle ils repofent par
tout
DBS AVANTURÎERS. i i f
lout où ils fe rencontrent : l*on fe peut bien
reiTouvenir que je î’ay dit ainfi en parlant de
ce qui les regarde. Cet hoirmie donc dreflTa guerre
cette tente ; tous Tes camarades aidez de remnr-
leurs Engagez , qui les avoient joints dans
ia prairie , ‘firent la mefrne choie , fans trop
penerrer ion intention , ils fe confioient fur
fon adreffe , qui les avoic déjà plufieurs fois
tirez d*affaire.
Dans ce moment on fit paroiftre plufieurs
flacons d*eau de vie, & d*autres choies pr<>
près à iebien réjouir* A cette veu'é les El-
pagnols » qui obiervoient la contenance des
Boucaniers, crurent qufils les tenoientdéia,
s’imaginant qu’ils ne campoient de cette for^»
te que pour fe regaier. Ils jugèrent à propos
de leur en donner tout le loiiir > c’eft à dire
de leur donner tout le temps de s’accabler
d*eau de vie , ainfî que les Boucaniers ont
accoutumé de fliire quand ils en ont à ion-
hait, comme ils en avoient alorsj & cela à
deiTein de les fiirprendre dans cet accable­
ment 8c de les vaincre fans peine les vic­
J ,

toires aiiées 8c fans danger accommodant


toujours lesEipagnob'. C’eft pourqiioy poue
mieux tromper encore les Boucaniers, 8c
les délivrer de toute crainte »ils fe dérobè­
rent à leurs yeux , Sc quittèrent le haut de la
coline pour deicendre dans le bas.
D ’autre cofté celuy qui eftoic l’autheur dii
flratagém e, le fit feavoir de main en main à
fes camarades, iongea à tous les moyens
qui le pouvoienc faire redifir» envoya fecrec-
tement vers les autres Boucaniers des pais
CilcouYoifins f les avertir de l’état où ils e-
K 4. fioient f
H I S T O I R E
ftoient » & de les venir fecourir , maïs iu 5
tout de fe cacher dans les bois ; 5c cepen­
dant , de peur de furpriiè >il.iic obierver les
Efpagnols.
Sur la brune les Boucaniers s’écoulèrent
tout doucement de leurs tentes »5c pairercnt
dans les bois , où ils trouvèrent ceux qu’ils
avoient mandez , bien arm ez, & tout prefts
â combattre j comme auiTi leurs Engagez
qu’ils avoient amenez avec eux. Mombars
alors mouroit d’impatience de voir les Ef-
pagnols»5c s*imaginoit qu’ils ne viendroient
jamais. Eux cependant attendoient le plus
qu’il leur eftoit pollible, fe figurant que plus
ils attendroient , plus ils trouveroient lés
Boucaniers plongez dans la débauche* 5c
que les trouvant comme morts^ils n’auroient
plus qu’à les enfevelir fous leurs tentes.
A la pointe du.jour on apercent qu*ils fai-
ibient quelque mouvement. Peu de temps
après on les vit deicendre en bon ordre de
la mefme coline où ils avoient paru la pre­
mière fois» quelques Indiens marchant de­
vant eux en maniéré d’Enfans perdus. Les
Boucaniers les attendoient de pied ferme,5c
bienpoftez» en forte pourtant qu’ils ne pou-
voient eftrc v u s , 5c ne perdoient rien de ce
que leurs ennemis faifoient. Comme ils a-
voient eu l’induftric de dreiTer leurs tentes
fort éloignées les unes des autres »cela obli­
gea les Capitaines de diviier leur Cavalerie
par petits eicadrons , 5c de les envoyer fon­
dre inr chacune de ces tentes,où ils croyoienc
trouver les Boucaniers, qui les furprirent é-
trangement en for tant de toutes parts, 5c
char^
D E S ' A V A N T ü Rî ERS; ii/
chargeant â propos 5c fans relâche ces pelo­
tons de Cavalerie Efpagnole ainii difpeffee,’
ils abattoient tantoft les hommes, tanroft les
chevaux , 5c le plus fouvent tous les deux
enfemble,
' Mombars monté Par un cheval Efpagnol ,
dont il avoir tué le maiftre >couroit par tout Î;
où Ton faiibic refiftance , fans s^’arreiler où tre lesTiî
l*on n*en faiibic pas. Il alla prerquefeul char- pagnols,
ger inconiîderémenc un eicadron de Cavale­
rie , Sc plus inconiîderémenc encore s*ea
lailîa environner. Il auroit fans doute cédé
au nombre , s’il n’avoic efté promptement
fecouru 5c dégagé par les Boucaniers j 5c
voyant que les ennemis écartez fuyoient à
droite 5c à gauche, il les pourfuivoic â droite
5 c à gauche , les tuoit ou les renveribic, 5C
fe fit enfin remarquer 5c fendr aux Efpag-
nols par de« coups qui leur furent auili fune«*
ftes que nouveaux.
Là deiTus un Boucanier s’apercevant que
les flèches des Indiens les incommodoient
beaucoup : Quoy,leur cria-t*il en Efpagnol,
5 c en leur montrant Mombars, ne voyez-
vous pas que Dieu vous envoyé un Libéra­
teur , qui combat pour vous délivrer de la
tyrannie des Efpagnols, 5c cependant vous
combattez pour vos tyrans ? A ces mots les
Indiens s’arreflerent .crurent ce que le Bou­
canier leur difoit, en voyant ce que Mom­
bars faiibic ,fe, joignirent à fes collez , 5c Ii
tournèrent leurs flèches contre les Efpagnols.
Auili-toft les flèches ,-la moufquetcric Ôclcs
autres armes afTaillirenc les Efpagnols de
toutes parts ^ 5c les abattirent différemment.
' K s MOün-
ti® HÎSTOIRe
Mombars rc^ardoit ce jour comme Iepia$
beau jour de fa v ie , voyant les Indiens a Tes
coftez , qui le fecondoient > rapplaudiiToi«.
c n t, 8 c le rcgardoient comme leur protec­
teur. 11 prenoic plaiiîr alors à les vanger de
toutes les crnautez que les Efpagnols a voient
exercées contr’eux , nageoit dans la joye,dc
voir ceux qu'il haï{Toit nager dans leur fm gj
8 c on luy entendit prononcer ces formida­
bles paroles, en fendant un Efpagnol de iba
fabre , le 'voudrois que cefu fi là le dernier. Ja ­
mais peut-eftre » à ce que Pon m*a rapporté,
ri*a-t'on vu un carnage fi horriblejles vivans
marchoient par tout fur les morts , 8cles
morts faifoienc par tout tomber les vivans.
En un mot la déroute fut fi grande & fi ge­
nerale» que les chevaux ne parurent viftes ,
8 c les hommes adroits que pour fuir devant
levainqueur.
Les Boucaniers qui eftoîent en train de
vaincre, 8c les Indiens en gouft de la lil3erté,
prièrent Mombars de vouloir profiter de ia
vic5boire , de venir ravager les habitations
des Efpagnols, 8c d'exterminer ceux qui e-
iboient reilez deiTiis, qifon ne manqueroic
pas de trouver confternez de la défaite des
leurs, 8c d*en délivrer lé pas. Mombars y
confentic volontiers » 8c marchoic â leur te-
iVe , lors qu'il entendit un coup de canon qui
venoit du porc où ciloient les vaiiTeaux de
ibn oncle. Il partit en diligence,croyahrque
les vaiifeaux Efpagnols cfioiênt arrivez, 8C
1 qu*on en eftoit aux mains ; mais à fo n arri­
vée il trouva tout tianqiiile , le coup qu*il
i^voit oiii eftoit le coup de partance, que ibni
• onde

iI
DËS A V A N T U R I E R S .
bncle avoir fait tire r, pour l’avertir, jugeant
au bruit de la moufqueterie qif il entendoit >
que le lieu où fe donnoit le combat n’eftoic
pas éloigne. En efFet fon oncle alloit partir , fi
ne voulant pas attendre davantage les vaif- X \
féaux Efpagnols , 6 c eftant preÎTé d* aller où
le fervice du Roy de France ion Maiftre Tap-
pelloit. Il fut ravi de voir fon neveu de re­
tour 5vic5borieux , 8c fans bleiTures »8c d’en­
tendre les éloges qu’on donnoit à fa valeur
6 c à fes exploits.
Les Boucaniers qui ne pouvoient plus quit­
ter Mombars , 8c dont le païs eftpar tout où
ils trouvent bonne chaiTe , s’embarquerenc
avec luy. Les Indiens qui prévoyoient bien
le danger qu*il y avoir de retourner dans leur
pays après avoir abandonné les Efpagnols ,
firent la mefme chofe,en forte quelevaiÎTeau
qiVon avoir pris fur les Efpagnols fe trouva
tout rempli de gens braves 8c éprouvez. On
arma les Indiens de fuzils 8c de fabres,donc
ils eftoient auiTi adroits â fe fervir que de
l ’arc Sc des flèches. En fuite Tonde donna le
commandement de ce vaiiTean à fon neveu,
6 c pour Lieutenant un vieil Officier habile,
afin qu*il puft Taider dans le befoin de fon
confeil 8c de fon experience, 8c fit auiTi-toft
mettre à la voile.
J e n’ay point feeu ni quelle route il tînt,ni
où il avoir deffein d’aller ; mais je fçay bien
qiTaprés avoir vogué huit jours par iinaiTez
beau tem ps, il fut attaqué au fortir d’une
grande baye , par quatre vaiiTeaiix Efpag­
nols , qui furent fur luy avant qu’il puft les
(éviter 5 ce qu’il aiiroit fait fans doute,voyanc
K 6 qu*iin
2.11 H I S T O I R E
cjLi'un fciil dc ces vaiiTeaux eftoit pliis ^ran Î
I; è i mieux équipé que tou5 les Tiens. Ils al-
loient, die*on, au devant de la grande flocce
chargée de l’argent des Indes, qui venoic
alors» 8c qui eftoic attendue depuis long­
temps par le vray maiftre, par toute TEipag-
ne , la Hollande , les Marchands > 8c avec
I I beaucoup d’impatience par les pirates*
C om ba! L’oncle de Mombars le vit donc tout d’uiT
.:i tiûY&l, coup attaqué par ces quatre vaiiTcaux > 8c
t. voyant quhls venoient fondre tousenfcmble
iiiTr luy, il trouva le moyen de les divifer, 8C
peu de temps après il fut entrepris par deux
de ces grands navires.il Te défendit vaillamp-
m e n t, & fît reculer bien loin ceux qui pen-
ferentTaborder.Ayant déjà combatu plus de
trois heures, ne voyant aucun Tjcours,parce
que Ton neveu efloit fort occupé contre Ic^
deux autres navires» 8c terriblement preifé
par eux ; l’oncle Te rcToIut à un dernier ef­
fo rt, 8c le fit avec tant dc furie, que les deux
navires allèrent à fonds les premiers , 8c luy
apres , avec la Tadsfuflion d’avoir vu périr
ics ennemis.
Ainfi périr Tonde de Mombars , grand
homme de mer 8c de guerre, après s’eftre
défendu fort long-temps avec autant de bon­
heur que d’adrefte; en forte que Tes ennemis
ne Tauroienc pil Turiuontcr, tout gouteux
qu’il eiloit, pour peu qu’il eufi: efté iecouru î
car ni les douleurs de Ta goûte, qui Tempe-
ichoient de marcher ; ni la multitude des ET«
pagnols > qui Taifailloient de tontes parts,ne
purent TempeTchcr de Taire toutes les acflions
d’un grand Capitaine,
Mcm-

i' '
D˧ A V A N T U R ΠE R S .
Mombars Je fon coftéen d’extraori
dinaires, outré de la perte de fon onde» 6C
impatient de le vànger. Il iè voyoït auifi
preiTé par deux grands vaiiTeaux» & ibûte-
noit tous leurs efforts avec tant de valeur 5C
de fortune , qu*il en coula un à fonds, ëc a-
borda Tautre. Les Indiens qui le virent en-*
trer par un bouc de ce vailTeau, fe jetterenC
promptement à l’eau , 6c furent à la nage à
î*autre b o u t, où entrant à Timprovifte , êC
iurprcnant les Efpagnols par derrière , ils en
enlevèrent beaucoup à braiTe-corps ^ qu’ils
jetterent dans la mer, 6c en expedierent auifi
beaucoup d’autres à coups de fabre dans la
navire meime >tandis que Mombars de ion r I
coilé , fécondé des iiens »paiîoit au fil de
l’épée tous ceux qu’il trouvoit devant luy •
de maniéré qu’il fe vit maître en peu de
temps d'un navire plus grand 6c mieux équi­
pé que ceux qui avoient péri. Il fit plonger
aiifii'toil plufieurs Indiens à l’endroit où fon
oncle avoir enfoncé » afin de tirer fon corps;
mais leur recherche fut inutile» 6c Mombars
fe fentit également affligé d’avoir perdu fon
oncle, de ne pouvoir luy rendre les derniers
devoirs» 6c den'avok plus d’Efpagnolsà luy
facrifier.
Si Mombars avoir concen tant de haine
contre les Efpagnols , pour avoir maÎTacrd
les Indiens , l’on peut bien s’imaginer que
cette haine fut extrêmement redoublée de­
puis qu'ils eurent caufé la mort de fon oncle.
Il cherchoit donc tous les moyens de la van-
ger, 6c fe trouvoit mefmc aifez fort pour l'en­
treprendre J attendu qu’il fe voyoit monté de
deux
ij
H I S T O I R E
deux vaîiTeaux des plus beaux Se des mcîf-
leurs voiliers qui fuiTent peiit-cilre alors fur
fa m er, Sc que celuy de Ton oncle allant à
li ; fonds, il s*cn eftoit fauve les plus braves
gens , Sc qu’il avoir perdu peu des iiens. Là-
deÎTus les Boucaniers luy propoferent de fai­
re unedefeente dans un lieu qui ie rencon-
troit fur leur route , Sc tout propre à exer­
I; cer fa vengeance,à cauiè de la multitude des
Elpagnols qui Thabitoient.
II n*en falut pas davantage pour l*y faire
tefoudre , Sc tourner fes vaiiTeaux de ce co-
fté-Ià ; mais il ne put executer fon deÎTein
avec tant de promptitude , ni de fecret, que
lie^ente |e Gouverneur du pais n*en fuil av erti, qui
Î aS c donna bon ordre à tout : car il mit en em-
bufeade dans les bois Sc dans les crevaÎTeâ
des montagnes, quelques Negres qu*il avoir,
& d’autres Soldats de la milice du Roy d*EÎ^
pagne. Outre cela il prit avec luy huit cens
hommes de pied, difpofezen trois bataillons,
ÍC quelques cent à fix-vingts chevaux , tous
en bataille , Sc luy à leur telle » avec quatre
pieces de canon, lefquelles commencèrent à
tirer, pour incommoder la defeente de Mom-
bar s , qui leur fît rendre la pareille avec tout
le canon de fes vaiÎTeaux.
Tant s’en faut que les canonades des en­
nemis fiiTent peur aux affaillans, qu'au con­
I t
traire elles ne firent qu’allumer l’ardeur des
Boucaniers Sc des Indiens : car fuivant l'ex­
emple deM ombars, qui tout le premier s’e-
floit jette à terre, ils y furent auiTi-toil que
luy , en forte que cciuy qui fe trouva le der-
jîier a fe jeteer s’eilima le plus malheureux.
Ii lis
»• i".
•'ü
î> ts A V A N T U R I E U S . 2^7
îîs furent tous en un moment en bAtailÎe 8c
aux mains avec les ennemis^ qui croyant les
furpren ire à demi débarquez , a voient fiic
avancer un de leurs bataillons >fouteau de
deux autres , pour les charger avant qu’ils
fuÎTent en ordre ; mais les ennemis furent
eux-meiîues fi brufquement chargez par les
Boucaniers, qu’à peine lafalve des moufque-
tades fut achevée , qu’ils eurent à leur flanc
Mombars avec tous» les Indiens, qui les en­
fonça. Ainfî le premier bataillon des enne­ i.
mis eftant renverfé fur les deux autres, 6C
pouriuivi chaudement J ils regagnèrent la ca­
fte plus vifte qu’ils n’en eftoienc defeendns 5
Bc Mombars les ayant joints , en fît un pro­
digieux carnage, pénétra bien avant dans le
pays, le parcourant en victorieux , & eut la
îatisfaeftion de venger pleinement fur les Ei^
pagnols la mort de fon oncle, 6c le maÎTacrè
des Indiens,
Je ne finirois jamais , fi j’entreprenois de
rapporter tout ce qu’a fait l’Avanturier Ex­
terminateur • auiTi ne me fais-je arrefté » en ■ î

parlant de fes aeftions, qu’à celles qui m’ont


frapé davantage , 6c dont je me fuis mieux
reiTouvenué , car elles font en trop grand
nombre pour n’en pas oublier quelques-u-
nes,6c pour les pouvoir dire toutes : 6c d’ail­
leurs je ne veux point diflîmuler que je na
puis vaincre la repugnance que j’ay à parler
de ce dont je n’ay pas efté témoin. Ce n’eft
pas que je ne croye fes exploits véritables,
mais enfin je ne les ay pas v u s, Sc l’on fçaic
qu’on eft toujours bien plus aiTuré en rappor­
tant les chofes qu’on a veuës foy même, que
celles que Ton a apprifes des autres. C hai
H I s T O IR Ë

C h a p i t r e VII.

Combat d'un Avanturier Portugais dans


l*ljîe de Cuba,

I L eft bon de iè reiTouvcnir que lors que


j'ay commence cetce Hiiloire , nous
eftions â Tlile de Cuba. .Comme cette lile e--
iloit pleine de Crocodiles , nous nous diver-
tes a: diTions à les prendre & aies aiTommer. Une
Vantu- partie de nos gens continuoient toujours â
riers fe
divcrtif- chaiTer , 6c â peicher, pendant que l’autre
fent à la S’occupoit à racommoder noilre vaiiTeau; Cf
chaiTe des afin qu’il puft nous porter jnfqncs à la Ja­
Crocodù maïque, . .
Jes,
Nos ChaÎTeiirs alloient ordinaîrenient dix-
ou douze enfemble , afin de fe garantir des Ici
Crocodiles, car cette lile eft la feule de toute
Crocodi­ 1*Amérique, où il y en aye qui courent après
les dan­ les hommes > 6c voicy le moyen d’empefehet
gereux. qu’ils ne vous atteignent. Il faut aller, tantoifc
Moyen
de s’en à droit >tanroft à gauche 5car fi vous allez
garantir, tout d ro it, fuiTicz-vous montez fur les meil­
leurs chevaux du monde,iIs vous joignent en
un m om ent, ce qu’ils ne peuvent faire lors
que vous braiièz : caria nature de ces ani­
maux eft telle, que la grandeur de leur corps
ne les empefehe point de courir, mais bien
de tourner • 6c comme les Elephans ont de loi
peine à fe relever quand ils font.tombez , de
mefine ces monftres- qui font pefans 6c roi-*
des , ont de la peine à manier leurs, corpse
fe trouvent fort cmbaraifez,lors qu’il faut
faire
DB S A V A N T U R î B R S :
faire tant de détours ^Sc pendant qiVils font
dans cet em barras, on a le temps de g ain er
chemin , 6c de prendre avantage fur eux ,
jufqu*à ce qu*enfin on les fati<>UG fi fo rt,
qu’on les laiiTe bien loin derrière , autrement
on n’cfchaperoit jamais de leurs pourfuites ^
tant ils font afpres furies hommes.
Qiielques vieux Avanturiers rendent rai^
ion pourquoy ces Crocodiles font fi afpres
furies hommes. Ils difent qu*un Navire Por*
tua;ais eftant venu en cette lile chargé do
Negres , la plufpart devinrent malades , 6c
moururent en fi grand nom bre, que les Por­
tugais ne faifoient que les jetter à T eaii, 6C
ces corps eftant pouiTez parla vague le long
de la cofte, les Crocodiles les devoroient.Dc
maniéré que depuis ce temps ils font deve­
nus fort carnaifiers, & décruifent mefine tout
le beftail que les tfpagnols ont mis fur cette
Ifle , qui eft tres-propre pour le nourrir , à
caufe de l’abondance des pafturages. C es
Crocodiles furprennent ces animaux lors
qu’ils vont boire , 6c mangent les petits lors
que les meres les mettent bas.
Nos gens n’ alloient point de jours à la
chafie , qu’ ils n’ en rencontraiTent de prodi-
gieufement gros qu’ils tuoicnt;bien que Poti
couruft de grands dangers à cauiè de ces a-
nimaux.
Un des n oftres, Portugais de Nation y qui
dés fa plus tendre jeunefie avoit vécu avec
les P ran çois, s’étant fait Boucanier, & en
fin Avanturier , voulut aller à la chaife , ac­
compagné feulement d’un Efclave nouveau
venu de Guinéc>6c encore demi Sauvage. Il
avan<çii
H I S T O I R E
2v n n ç â ^ans le Bois jufques à un lieu iifTeÿ,
écm té^pour chercher dequoytirer; 8c en
paiTantun ruiiTeau,un CrocodilCjqui comme
il nous Ta d it, avoit plus de cinq pieds de
► long >le prit tout d*un coup par une jam be,
Portugais babbatit par terre 8c fe jetta fur luy. L" Avan-
attaqué
«i’un Cro- turier qui eftoic fort vigoureux , commença
(:oiUc, â fe defendre » 8c à appeller fon Efclave >le­
quel à la veuë de ce terrible animal >fuyoic,
çlus fon Maiftre l’appelloit, fans fe retourner
a fa voix »ny fonger à le feconrir.
Cependant le Crocodile avoit déjà preA
que emporté une jambe à l’Avanturier qui
perdoit beaucoup de fang , Sc qui ne laiiTa
pas malgré tout cela,de donner tant de coups
de coufteau à cette furieufe befte , qu*il la
mit hors d’eftat de luy faire plus de mal» 8C
iè relevant le mieux qu’il luy fut poiTible , a-
cheva de la tuer. Mais comme il eftoit dans
l’impniÎTance de pouvoir marcher » tout ce
qu’il parfaire , fut d*appeîlerencore fon Ei^
clave, qui caché dans un buiiTon n’oibit ap­
procher.
Ce pauvre garçon nous a avoué depuis ,
que dans fa frayeur, il n’avoic pas pris garde
où il s’eftoit jette, & que bien qiPil full alors
prefque nud dans ce buiiTon'; Sc percé de
mille pointes d’épines, il les foulfroit pîùrofl:
que defe refondre à fortir» parce qu’il craig-
noir encore davantage les morfures du Cro­
îîa lfâ n t codile. Ainfi fon Maiftre avoit beau luy crier •
aveu d*un que le Crocodile eftoitm ort, il nefe hnfloic
Elclave.
pas plus, C’eft pourquoy noftre Avanturier
fut obligé de fe traîner le mieux qu’il pût juf-
qu’au Leu ou cftoicl’Efclave, qui le chaigea
*fiu:
DES A V A N T U R I E K S .
mr fes épaules ^ & le porta deux grandes
lieues dans le pais le plus incommode du
monde , 6c par de fi mauvais chemins, qu’ils
cftoient tous deux extrêmement fatiguez} le
Maiftre delà douleur de fes bîe{Tures,6c TEf-
clave de la pefantcur de fon fardeau.
Le Soleil commençoit déjà â^baiÎTer? de ,
forte qu’ils fe voyoient réduits à demeurer
tous deux dans le bois, à la mercy de ces be- ^ '
ftes carnafiieres » 6c d’y paÎTer la nuit, 6Cen­
core incertains s’ils la paiTeroient en vie.L* A-
vanturier, qui avoir de la vigueur, 8c de la
prefence d’efprit, fe fit porter lur une petite
montagne , d*où il découvrit le bord de la
mer , qu'il montra à fon Efclave, 8c le che­
min qu’il devoir tenir pour y aller, afin de
nous avertir de le venir prendre .*8c avant
qu’illecjmttafi:, illuy fit bander fes play es’
avec fa chemife qu’il déchira, 6c mettre ion
fufil 8c fes couteaux auprès de luy pour fc
défendre , en cas qu’il fuft encore attaqué
par quelque Crocodile. L’Efclave en peu de
temps vint au bord delà mer , 8c nous aver­
tit de l’cftatoù eftoit ion Maiftre que nous
fûmes aufii-toft quérir, 8 c l’aportâmes dans
Je VaiiTeau , où je le vifitay , 8c trouvay que
d’une jam be,il ne luy eftoit refté que les
rnufcles » 8c les nerfs qui pendoient tous dé­
chirez : il avoit encore plufieurs bleftures à
la cuiiTe, 8c les parties» que la pudeur défend
‘de nommer, entièrement emportées.
Jelepenfay , 8c la fièvre qui depuis peu
Tavoit qüitté , le reprit« Deux jours aprés»Ia
cangréne fe mit à fa jambe , en forte que je
~ oblige• de la -luy couper^ depuis
fus • • fes
" »lav
playes
alicrens

à L
i H I S T O I R IS
iî^llerent fort bien , & nous parlions cîcja r
îiiy fiire une jambe de bois , lors qu*en une
r( nuit il luy vint un ereiîpele à la jambe iaine,
depuis la hanche jnfqu'au talon. Je le feiiçnay,
le puri>eay doucement, & tâchay d'appaiièc
rinflammation avec des remedes convena-.
blés 5cela n*empefcha pas fa jambe de tom­
ber en pourriture, & quoy que je pujfTe fldre,
il mourut. Je fus curieux d’ouvrir toute liv
jambe depuis la hanche,d’où il difoit que ion
mal provenoit ; ]c trouvay que le Période >
qui eft^une petite peau qui couvre l*os,eftoic
man^e par une matière fereufe de noire,d*u-
ne puanteur inconcevable,
. Je ne puis pourtant pas attribuerai m ort
su venin du Crocodile • car j*en ay vû plu- ■i
fleurs qui eii ont eilé mordus , 6c guéris de
leurs playes fans aucune mauvaiie fuite* Jq
croy feulement que cela eft venu de ce que
cet homme eftoit rrcs-mal fain , 5c outre ce­
la d’une humeur fort fombre 6c mélancoli­
que.
Voilà quelle fut la malheureuie deilinee
de ce pauvre Portugais , pour n'avoir pas
voulu croire ceux qui l’avertiiToient de n*al-
1er point feul dans ce bois : mais, comme jai
l*ay déjà ditjil droit d'une humeur chagrine,
6c fi opiniâtre , qu’il ne déferoit à rien.
î)cp a rt Sc En fuite noftre vaiiTcau fe trouva preit
boiiiii nous le rechargeâmes , 8i partnnes gros 6c
M difpoiî-
g ra s, en forte qu'il ne paroifToit pas que
Avantul cubions fait un voyage iî pénible. Nous
p ias, oe fongions plus qu’à retourner à la Jamai
:i' que, pour trouver un autre vailfeau . adri
d’aller ca courfe, car le nodre ne valoit
plus
î ‘ '1
D E S A V A N T U R 1ER s;
ÏJÎusrien. Nous prîmes noilre route le Ion{>
de la coiVe de C i^a , au travers de petites ifc
les , où nous fumes pris d*un calme fi grand»
qui dura prés de quinze jours, & n o # re-
duifit à une celle neceiTité d'eau , que nous
fûmes obligez de nous paiTer d'un demi fe-
tier par jour * parce que nous ne pouvions
aborder a aucun lieu pour en prendre. i
: Apres avoir efté quelques jours dans cette
difette 5 5c meiime fans boire »enfin nous ar­
rivâmes dans le golfe de daguet , que les A-
vaiuutiers nomment Grand Pm î , où nous
trouvâmes deux Navires Hollandois d*Am- pu
fterdam, qui eftoient ceux que noilre Flotte
avoir vus quand elle partit del’Ifie Eipagno-
le pour aller à Panama,
Ces Navires avoient cfié obbgez de rela-»' "■4 .ni
cher en ce lieu pour fe racommoder » car
f un d’eux avoir efté démafté de ion grand
caafts par un coup de tonnerre , qui avoir
mefine tnd beaucoup de fes gens. Je m*em- Occaiîoii
barquay fur ces vaiiTeaux pour repafier en
Europe , remerciant Dieu de m'avoir retiré theufdc
de cette miferable vie, eftant la premiere oc- quitrerics
cafion de la quitter que j'euiTe rencontré de- Avantu,
puis cinq années.
Outre cela j’ay fait encore trois autres
voyages dans 1*Amérique, tant avec les Hol-
landois qu’avec les Efpagnols, où j’ay eu I-e
temps de me confirmer dans toutes les cho­
ies que j*a^ remarquées la premiere fois
dans ces pais j fur quoy j*ay fait la carte
que l’on trouvera au commencement de ce
Livre , qui çft auili exaéfe qu'on en puiiTe
CepÇQg
H Ts T O I K s
Cepcndiinr les Avantnriers , qui avoîeni
toujours iur le cœ ur le tort que Morgan leur
avoit fa it, Sc qui ne perdoient point I*envie
de s%i vens^crjcrurcnt â la fin en avoir trou­
U ve un moyen infîiillible. Ils apprirent qus
;i Morgan fe preparoit à aller prendre poffeii
iion de rifle de Sainte Catherine , Ibit qu*il no
f e criifi: pas en aifurance à la Jamaïque,qu*il
fe méfiafi: du Gouverneur , & qu*il vouluft
s’a^urer de tout,parce qu*il crai^noit tout,a-
pres l’acflion qu*il avoir faite ; ioit qu’il re­
gardai: cette lile comme, un lieu és^alement
fortifié par l’art Sc par la nature, où il ponr-
roit vivre en repos, 8c efire à couvert contre
toutes les entreprifes de lès ennemis. C’elè
pourquoy comme il le difpofoit d’y aller au
p lû to i, les Avanturiers relolurent ne l’atten-
arefurle palTa^e, 8c de l’enlever luy,fa fem­
me , & tous les fiens» dele mettre en lieu de
feureté , & de l’y retenir jufqu’à ce qu’il eufi:
fait raifon de ce qu’il leur avoir emporté;
encore eftoit-ce là le moindre mal qu’ils pro-
jetroient de luy faire,lors qu’ils en furent em-
pefehez par un incident qu’ils n’avoient pas *
p rév u , 8c qui rompit toutes leurs mefures.
Tartlcula- C’eft qu’un Navire du Roy de la Grand’ Bre- i
legardeni arriva à la Jamaïque avec un non-'^
Itiorgan. veau Gouverneur,& un ordre exprès à Mor-
gan d’aller en Angleterre, pour répondre fur
les plaintes du Roi d’Efpagne 8c de Tes Sujets.
Si en meiîrie temps on avoir voulu écouter 4
celles des Avanturiers, on auroit pu voir par J
ce qui s’eftpaiTé,qu*ils auroient eu fujet d’en
faire de grandes contre luy. Morgan donc a 'i
efti obligé de faire ce voyage, 8c j ’ay fiic
tout
D E S AV A N T U R I E R S ;
tout mon poiTible pour fçavoir l’évenemenC
{; de cette affaire , mais je n*en ay pu rien ap-
i;ji.prendre , 6c par coniequenc je n'en fçaurois
3i parler*
Le nouveau Gouverneur eftant établi Nouveaw
dans la Jam aïque , Longea â mieux ménager „e°uî dTia
îcs Efpagnols, que n'avoit fait Ton predecef- lamaique
Leur : car il envoya le vaiffean quil’avoit a p - s ’oppoie
’ porté, 6c qui eftoit parfaitement bien équipé auxAvan-
en guerre, dans tous les principaux ports du c ” qu'lis
Roy d*Efpagne, fous pretexte de renonveller entre-
la paix avec euXj5c d’eÎlre en merde la part
du Roy fon Maiftre,pour détruire les Avan- ^
turierSjqui commettoient toutes leurs hofti-
iitezfans fon aveu.Cependantlorfquecc Na- ruriers^ "
vire eftoit en mer , 6c prefque à fa veiie , les difficulté
Avanturiers ne laifterent pas de piller une*^^,^’®?-
' Ville appartenante aux Efpagnols. ^ fe^u« ôi.:
Il fera mal aifé, pour ne pas dire impoiîî- treptiies^
ble,de mettre aucun obffacle aux deffeins de
) ces gens-là» qui animez par le feul efpoirdu
gain,ront capables des plus grandes entrepri-
ies > n*ayant rien à perdre , 5c tout à gagner.
Il eft vrai qu'ils demeurcroienc courts dans
ces entreprifes» s'ils n’avoient ni bâtimens»ni
vivres,ni munitions de guerre » ni Ports.
Pour des bâtimens , ils n*ont garde d’eti
manquer ; car on les voit ionvent s'embar­
quer fur la mer avec les moindres vaiffeaux,
6 c avec eux prendre les plus grands » qu’ils
rencontrent prefque toujours remplis de vi­
vres » 6c de munitions de guerre. Si par ha«<
zard ils n’en trouvent pas > ils en vont cher­
cher ailleurs, 6c en trouvent autant qu’ils en
ont befoin.
A
1^4 HISTOIRE
A regard des Ports,ilsn’ en rçauroientnôtî
plus inanqner: comme coût le monde fuir dc-
vanc eux , ils y encrent avec facilité, 6c s*en
rendent maiftres auiTi bien que des autres
lieux,qii*ils parcourent en vicftorieux, 6c ou
l*on voit qu’ils agilfent auiTi tranquilemenc
que s^’ils en eftoient lespoiTcÎTeurs légitimés:
de forte que Pon ne voit rien quipuifTe ar-
refter leurs courfes 6c leurs progrez, qu’une
vigoureufe refiftance.
Ce qui Par exemple , fi l’ on en croit les nouvelles
■U ! apportées depuis peu â la Jamaïque par des
p^u àkur vaiÎTeaux venus de Cartagene,on a feeu que
«|ard, les Avanturiers eilant entrez dans la mer du
I ' Sud,n’ont pu executerledeifein qu’ils a voient
'I ■/I ^ de fe faiiir de quelques portes avantageux ^
pour troubler la navigation de L im a à P a n a ^
! .
T n a ji caufeque les Indiens s'eftant mis en ar­
mes en pluiîeurs endroits de la cofte , les ont
empefehez de débarquer , 6c mefme de fc
pourvoir d*eau 6c de vivres : De plu s, que
Î’ efcadre du Vice-Koy du , qui croilbit
entre Lima Si Panama^ntwx donnoit la chaiTe,
ôc avoir ouvert parce moyen le commerce
entre ces deux Places : Enfin que quelques
Avanturiers qui avoient débarqué dans la
mer du Sud , avoient efté défaits, 6c con­
traints de fe retirer.
De pareils efforts, 6c fbuvent reïterez pa^
les EfpagnolS f pourroient peut eftreà l’ ave­
nir faire perdre aux Avanturiers la coutume
ôc l’envie deles attaquer. Je dis peut-eftre ,
car dans le fond les Avanturiers font de ter­
ribles gens.
^in de ruiftoire des Avamuriers,
ET A-
-I -----
'

„I -
J\
hI

ETABLISSEMENT
D ’ U N E

CHAMBRE DES COMPTES


D A N S L E S I N D E S

O ccidentales.

C o n t e n a n t

Un état des Offices, tant Ecciciiaftiqucs


que Séculières , où le Roy d’Efpagne J l
pourvoit , des revenus qu’il tire de ia
! i’Amerique;& de ce que les plus grands
Princes de l’iiurope y poffedenr.
Le tout tiré de cette Chambre^

Tütne lu L

i K it.
237
'/ T * '/ 7 \ '/ T \ 1^ \^7\ vy» V2*»

•********»*****»*******»***.***«»,**

AVI S AU l e c t e u r .
truîtî cjjui fu it ejl p r ü d*un
jE
L iy^'iaîtufcyit Efpiignol^ que j*ay
t Yinduit en noflre Langue, I l con­
tient des chûjej fort particulières , ^
îujques icy inconnues ; parce qu*il
ejî composé de pieces fecretes ^ au­ 1. I
thentiques 5 trouvées dans les Archi­
ves de la Chambre des Comptes des #J
Indes y dont pay vu isioy-mejme les
originaux y aufquels ce ^ ia n u jc ù t
ep entièrement conforme.
Ce Traité cositieat trois Far ties.
L a premiere parle de éE tat Politique
des Indes , é y de la maniéré -dont le
Koy d*Efpag*îe le gouverne. L a
deuxième y de F E tat EccUfiapique ,
(IT* des Benefices aufquels ce Roy
pourvoit, La troifiémefait covn ifire
tous les revenus qn li tire de l'Ameri'^
i iél* ce que les plus grands Frin-
L Z ces
238
fes de l’Europe fojfedent dans ce
pays.
On ne dît rien icy de beaucoup
d’autres particularité^ qu’il rappor­
te , puifqu’il ejl aiféde les apprendre
par ja lePîure.

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ETABLISSEMENT
;■ ’ D’U N E •

C H A M BR E DES COMPTES
DANS LES INDES.
%
P R E M I E R E P ARTIE, ,
' ■ Jf ■
■ ;i
D e 1*Etat Politique des Indes j 6c 4 .%
^manièredont le Roy d’Eipai^nc le
-r - ... gouverne. • '

C h a p i t r e I.
su: ^ i.
O rig in e l c e j p i t i o n ^ té ta h ll/fe m e n t ^ ’é * r e fo r m é
de la Chambre des Comptes des In d es^
r\ J- >*>

E*s- que les Efpagnols commence-


rent à peupler l’Amérique, les Rois
d'Efpagne trouvèrent bon de créer
des Chambres pour regler les diffé­
rends de ces peuples {d aufquelles ils donnè­
rent le titre de Chambre des Comptes , ou
Coniéil Royal des Indes. Ces Chambres fu­
ient obligées de ceffer pour quelque temps
à caufe delà medncelligencc des OiHciers,&
L 3 de
^40 E t a b i t s s embnt
In revoke des peuples. Elles furent réta^
blies pnr Charles V. enl*nn 15^4. & enfuite
reformées par le mefme, & 1ecommcncercnc
leurs fondrions dans le pai s , que l’on parta­
‘I gea depuis en deux Royaumes, fçavoir du
Terou , & de Mexico ^ leiquels par fucceiTion
fe font augmentez & étendus jufques à qua­
tre-vingt fept mille lieues^ qu’on a icparez
encore en plufieuis Provinces , ou ont efté
bâties quantité de Villes célébrés , & d’h-
glifes confiderablcs , 6c enfin érigées beau­
coup de Dignitez tant Ec<"lefiaftiques que
Seculieres .*d’Ecclefîailiques, comme d*Ar­
che vciqueSjd’EvefqueSjd’Abbez,de Prieurs,
cPjrDoyens, 6c de Chatioines : de Seculieres,.
cornue .de Prcîidens,, de Chanceliers., de,
Gbuièillers, 6c d’autres j lé tout pour l’uti­
lité , le gouvernement 5c le maintien des fa-
meufes Colonies qui y font prefentement.
,Et c’eft pour cette mefme raifon que le
Roy d’Efpagne a érigé trois Chambres de^s
Comptes la premiere eft à la nouvelle Ef*
^agne , la ieconde au nouveau Royaume de Gre*
nade^la tfoifiéine au Perçu, feu r Jurifditftion
eft fort étendue , puifque feule el΀;tient lieu
de toutes les Jurifdicftions que nous voyons
en France : car s’il y a des Officiers établis
pour juger des affaires tant civiles que cri­
minelles , ils font pris de ces trois célébrés
Compagnies, qui connoiiTent particulière­
ment des affaires du Roy.'
Ceux qui ont le maniement de fes deniers
'font obligez de compter devant elles daps les
Bureaux 6c les départemens qui ibnt defti-
nez à cecufage. C’eil auffi dans ces dépar-
‘ tcinens
\:
’»
I;'
b^uNE C h a m b . d b s C omptes « 24 1
temcns qa*on trouve des Mémoires tout a,
fuie curieux;qui font bien connoiftre le gou­
vernement Politique du Roy d'Efpagne dans
r Amérique , 6c toute I’HiiVoire du pays j 8c
c*eft de U qu’on a tiré les pieces qui compo-
ièntce manuferit.
Lors qu’il arrive quelque affaire de gran­
de importance, c’eft au Roy immédiatement:
que CCS Chambres envoyent le paquet fecrec
qui les contient, apres Pavoir fcellé j & c’eil
à CCS mêmes Chambres que le Roy renvoyé
auffi immédiatement la réponfe qu’il trouve
à propos de leur rendre. Il a compofé ces
Chambres des Offi:iers donc on va voirie
dénombrement*

H A P I T R E I I.

Charges des Chambres des Comptes, ati Confeil


Koyal des Indes,

Hacunc de ces Chambres coniiile en un prefidcR?,


C _ Prefidenc , un grand Chancelier %douze Maiftce .
Confeillers ou Maiftres des Comptes , un
Procureur du Roy, deux Avocats Generaux,
un Sous-Chaucelier, un Grand-PrevoR,qua­
tre Auditeurs des Comptes » vingt-quatre
Clercs des deux Greffes, cinq Reffaurateurs,
deux Subffituts du Procureur du Roy , un
Avocat 8c un Procureur des Pauvres, un
Hifforiographe » un Geometre , uu Arpen­
teur » un Greffier de la Chambre , un Con­
cierge , un Sous-Concierge, dix Hiiilfiers,un
Chapelain» un Sous-Chapelain*
X 4 Si
î 4i E T A£ L I s S 2 ME w T
M otifs du
Royo’EÙ SilesKois font indirpenÎablcmentoWi^eÿ
league ^ de s’appliquer aux aiFaires publiques , ils ne
jjüor l'é- font pas moins obligez de fonger à celles qui
lablide-
jueiu lie les regardent en particulier \ Sc d’autane
u\ J.i Chain- plus J que les affaires publiques qui concer­
bic tics nent les Sujets > dépendent abiblument deî
Comptes, affaires parciculicies, qui regardent les Rois,
C’effdans cette veuë que Philippe IV. Roy
d’Efpagne & des Indes, forma un Cotîiéiî
Prive, choiii d'entre les Offfeiers les plus an­
ciens & les plus expérimentez de la Cham­
bre dont il s’agir. Ce Confeil s’aifemble tous
les Lundis 8c les Vendredis » pour reibudre
des affaires les plus importances Sc les plus
icerettes. Apres avoir marqué le nombre des
hl Olliciers de ces Chambres , il faut parler de
l’érenduë de leur pouvoir.
1* í ) íi : Etendue Ces Chambres ont juriidieftion Souveraine
de la ju • fur tout ce qui concerne les Indes >tant par
ludictioii.
mer que par terre , tant pour la paix que
pour la guerre, pour le criminel que pour le
c iv il, établiffanc les Juges 6c les Gouver­
neurs , 6c tous les autres OhHciers , de quel­
que condition^qu'ils puiffenc eilre , ordon­
nant les Armées navales» les G allions,ks
Envois extraordinaires des Frégates d’avis ,
6c choix des Navires. De plus , elles ont le
V. ?i i: pOLivoir de donner des Patentes aux parti­
culiers pour le négoce des Indes, 6c pour te­
nir des Conieils extraordinaires , d’envoyer
des ordres aux Vicc-Rois , 6c aux Generaux
des Flottes. Elles ont droit encore de donner
les Archcvelehez 6c les Evelchez , 6 c d’en
diipoferibLiverainemcnr; 6c enfin de tout ce
qui dépend généralement de l’Amérique,ram*
Ecdefiaftique que Scciilicic, Ces
I
b*UNE C hamb . des C o m p t e s ,
• Ces Chambres fonc aiTemble'cs des le ma-
tin pendant trois heures de temps ; içavoir le elle doivj
Mardy , le Mercredy > le Jeudy , le Same- je au-
dy : car le Lundy & le Vendredy, comme je
le viens de dire , font deftinez pour le Con-
feil Privé. L'Aiîemblée 2;enerale re5;letoud
ce cjui reg;arde le Gouvernement ; 8c c^uand
il y a quelques différends entre des Parties ,
on tient deux autres AiTemblées pour donner
audience.
Outre cela il y a encore un Conleilde
guerre , qui coniifte en quatre des plus a ri«
ciens Confeillers , avec un Prefident* Il tieru:
le Mardy 8c le Jeudy de chaque femaine ^ où
l*on reibut toucce qui regarde la guerre tant
par mer que par terre , 8c où l’on donne tou-
tes les Charges militaires,:tant celles qui font
vaquantes ,que les nouvelles» 8c les autres
qui concernent le commerce.

C H A P T*T 'R E III.* .1

2 tat des Officiers qui gouvernent dans UAmérique^


fous l'authorité du Roy d'Efpafne-,'

C E n’eft pas d’aujourd'huy que les Rois


ont reconnu ce que vaut dans un pays
la Jufticé, ÎLir tout quand elle eft adminiifrée
par des OfEcièrs d*uhé intégrité connue, foie
pour établirla difcipline Sc la police partout,
Ibit pour les maintenir quand elles forit éta«
blies. G’eif pourquoy le Roy d’Eipagne, per-
fuadé de ces bons effets, a bien voulu créer
encore des OiEciers où il n’y en avoir pas •
- JL r com-
2,44 E t a b l i s s e m e n t
comme un Gouverneur, un Capitaine Ge­
neral , 6c un Preiîdenc dans les Villes de S’,
D om in g u e > de S. C hrijîophe , de S . îago , de
Jean de Puerto-Ricco , de S . A u g itflin , delM yi
fo m p tio n , 8c enfin dans la Ville de C um ana ,
Capitale de la Province de N u e v a A n d a h n *
z ia .
Il a encore établi les mefmes Officiers >
fçavoir comme je viens de dire, un Gouver­
neur , un Capitaine General & un Prefident
' I■ dans les Villes de M erida ^ de G u a d a la xa ra ^d o
V u ta n g o , de G ua tim a la ^ de L aconifco , de Car-*
tago , de M a n illa , Capitale des JJles P hilipines.
i Autrefois le Roy d’Eipa^ne établiflbic
suffi des Gouverneurs dansÎes liles de T e r-
•natci ; mais il a perdu ce droit depuis que les
ïlollandois en font devenus les Maiftres.

Officiers q u i g o u vern en t dans le R oyaum e


du Pérou,

Un Vice-Roy > un Capitaine General, 6c


un Prefident de l’Audience Royale 6c Chan­
cellerie du Pérou, refidantà L im a Capitale
de ce Royaume. De plus »il y a huit Con-
feillers , j*un defquels eil Surintendant des
biens qui vaquent par mort. Il y a encore
quatre Syndics, qui fervent de Prevofts ;
•deux Procureurs du Roy, uq pour le Civil»
' ! Pautre poqr le Criminel : un Protedleur des
Indiens,, quatre Prevc^s de TAudiance,
trois Concierges, deux pour le C ivil, 6c na
pour le Criminel un Chapelain de PAudian-
ce.

lurtf*
‘-it•

d’a u n e C h a m b. d e s C om pïes. 24 f'

Itirifdi^îons & Banlleu’és dépendantes de cetU


Aadiance, Baillages,

De ChîHco J de Cufco^ 8c de Tes dépendan­


ces : du Bour^ d*Ica, de Colhguas , de la Vil­
le de Guamanga , de S. l^go de Mirajlores de
\ de 5 , Marc du Port d'Arica , de la Ville
d*Arequipa , de Truxillo , de S. Michel du Tort
de F ait a» de Cafiel Vireina,

Charges Militaires,

Un Marefchâl de Camp commandant la


Garnifon de la Ville de C alho, Un Comman­
dant General de TEquipage naval du Pérou.

officiers de VAudiance Poyale de la Ville de la


Plata dam la Province de Char cas.

Un Gouverneur , un Capitaine , un Pre-


fident J ilx Confeillers > un Syndic , un Pro­
cureur du Roy , deux Prevofts >deux Con­
cierges , 8c un Juge avec le mefme pouvoir
de tous ceux de 1*Amérique.

lurifdiBion d* Banlieues de cette Audiance,

La Province de Tucuman , de Santa Cfttx


de la Cierra , du Pariguay , de Potojî, de Sainte
philipe d*Autriche. Un Gouverneur 8c un
Capitaine General delà Riviere de/^ Plata.
Un Grand*Prevoft des Mines de Potofi,

L
14^ ABLISS bmemï *

officiers ds VAudiance Koyale de S am e lagç d i


la Province de Chile,

ITn Gouvernenr & iin Capitaine General


de la inefme Province ; quaere Confeillers ?
un Procureur du R oy, un Prévoit» un Con­
cierge.
^ •

Officiers de VAudiance Royale de la Vilîe de San^


ta Fe de Bogota , Capitale du nouveau
Royaume de Grenade,

«• Un Gouverneur , un Capitaine G eneral,


un Preiidenc, fix Confeillers >un Procureur
! II
iifcal 3 deux Prevoils j deux Concieriîcs.
. îurifdiciion é> BavAieuh de cette Audiance,

La Ville 5c Province de Cartagene , les Vil­


les de ionja» de Toca JAalpague ^ pluileuiS
I I
autres Bourgs.

■ ■ Charges Militaires,

Un Capitaine & Major de In Milice; nri


Gouverneur du Chafteau de Saint Mathiae ^
trois Capitaines d*lnfanterie.
I I
ï . ltis Piovincede Santa Martha , dVAntioche ,
à c Fopayan ^ à t Muffis ^ de Merida ont aufii
leurs Gouverneurs,
1^

officiers
d’uî4E CrtAMB. DÈS C om ptes . 24 ^

Ojjîciers de Audiance de S, Vrancifco


de <^Huo,

Un Gouverneur , un Prefidenc , quatre


Confcillers, un Procureur du Roy , un Pre-*
v o il, deux Concierges» un Chapelain.
lurifdi^ion de cette Audiunce,

Zurmco ^8c Canale, S. luan de Barc^Mor&s^


Villes de Cuenca , de J^ iajaqueL

O rders de FAudiance de Banamà délit


Province de terre ferme^

Un Gouverneur, un Capitaine General ?•


8c un Preiîdent, quatre Confeillers, un Pro­
cureur du Rpv , un P revoil, un Concierge.
La fiiriidicftion de , avec le BaiU
liage de Camaraea la grande , comme auiïi ce-
luy de la Ville de lAata , dépendent de cette
Audiance,
Charge* Militaires^

Un Capitaine 6c Major de la Garnîfon de


Panama,\\w Capitaine d*Infanterie ,u n Goii^
verneur du Chafteau de S, lerofm e, un Ca­
pitaine 6c Gouverneur du Chafteau de 6’.
Xagû, un Gouverneur 6c Capitaine General
de la Ville de ^aima Maria de la Riviere de
la Hache^

officiers
E tablissement r.
o ffic ie rs de U C h a m b re des C o m p te s de L im a ',

Huit Miiiilresdes Comptes ; fcavoir trois


pour rAiidiance,trois pour les Deparceinens,
& deux pour les Ordonnances.
Trois Officiers pour les deniers Royaux
dans la mefme Ville , un C orredeur des
Com ptes, un Treibrier,un Auditeur.
^ i '
Officiers de V A u d ia n ce Royale de C hile,

AJn CommiiTaire & D iredeur General de


fa Milice, un Auditeur des Com ptes, & un
Treibrier General des deniers Royaux de
cette Province»

o ffic ie r s d u n o u v e a u R o y a u m e de G re n a d e ,

Trois Auditeurs des Comptes de cette Au-


diance , deux pour les Ordonnances, un
pour la Ville de B ogota^ un pour celle de C ar»
ta g e n e , un pour celle à .'A n tio c h e , un Trefo-
fier General de la Province de S a n ta M a r th a ,

Officiers de V A u d ia n ce de S , Rrancifio de

Un Auditeur des Comptes >un de Popay*


9 un de L o jo , un de S , la g o de J ^ a j a q u e l ,

IA
officiers de V A u d ia n ce de P a n a m a ,

Un Auditeur des Comptes Sc Treforier


General des deniers Royaux ; un Garde 5c
Commis General du Roy â P a n a m a ,
JP
d' i i k e C k am b . d e s C omptes.
Il faut remarquer que tous les Officiers
donc nous avons parlé jufques icy , demeu­
rent tant qu’ils vivent dans leurs Charges, à
moins que leur mauvaife conduite n’oblige
à les dépoiTeder. Mais pour les Vice-Rois, les
Gouverneurs 6c les Capitaines Generaux
que le Roy d'Efpagne envoyé dans î’Améri­
que , ils n’exercent cette Charge que pen­
dant trois années. Quelquefois pourtant le
Roy les continue lorfque leur temps eft ex-
pire. ^ "
Ce que j*ay dit jufques à cetre heure au-l’u-
>et des Charges Secuîieres» eft contenu dans
un manuferit Elpagnol, tiré des Archives les
plusfecrettes des Indes. Voila ce qu’il porte
encore touchant les Dignicez Eccleuafti*
ques.

lin de la premiere Part te*

anun

£TA . V
>S|(5 E r A B L l S S E ME Wr
v5^ K^, x^i
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************************************

ETABLISSEMENT >
T

D’ U N E

C H A M BR E DES CO M PTES

D A N S LES INDES,

S B C O NP B P Â R T l S,

D e TEtnt Écckiîiiilique , 8c des BeneEces


aufqucls le Roy d’Elpagne pourvoit.

C h a p i t r e I.

Vi4 Clergé Efpagnol de l*Amérique , é* des Benc^


fices 3fivec leurs Revenus en general,
DIgnitez N voit que la puiiTance "des Sou­
Ecclefia verains n*eil jamais mieux main­
ftiques ,
Archeve-
tenue qu’au moment qu’ils étab li­
fch é , Ab- rent dans le pays où ils re[^nent, Li
baye^Îic. Religion du vray Dieu qui les fait regner- 8c
qu’ils ont^ foin de Tes Miniilres^ C eil d^ans
cette vené que le' Roy’CathôIîque a fait bâ­
tir tant d’E^lifes dans l’Amérique , 5c erip;i
tant de Di^nitez , anrquelles il a attaché de
tres-i>rands revenus^ comnae on le peut voir
par ce qui fuit*
L'Ar^
Tv

d' u s b C t t A M B . DES C omptes ^


L* Archevefche cle Lima , dans leRoyau*»
file du Feroa , a huit Evefchez Suffrai2:ans ,
quarante Chanoines , neuf Archidiacres 9
huit Chantres , fept Maîtres d'Ecole, fepc
ThrcforierSj dix-fept Aumôniers,iix Agents •
dont le revenu en general eft de quatre cent
vingt-neuf mille deux cens Ducats , qui font
fix cens quarante trois mille huit cens livres
de noftre m onnoye.il eft à remarquer qu’un
Ducatne vaut que trente fols.
'L* Archeveiché de Sainte Foy de Bogota ,
dans le Royaume du Pérou,a, pour SufFiagans
trois Evefchez . huit Doyennez. Il a encore
quatre Archidiacres, quatre Chantres , trois
Maîtres d’Ecole » trois Treforiers, fept Cha-*
noincs , trois Doyens 3 dont le revenu gene­
ral eft de cinquaiite-neufmille huit cens qua­
tre vingt dix D ucats, qui font quatre-vingt
neuf mille huit cent trente-cinq livres de no-
ftre monnoye.
L'Archevefché de la Province de Plata
dans le meime Royaume , a pour Suffragans
cinq Evefchez , fix Doyennez , fix Archidia-
conats, avec quatre Chantres, un Maître
d’Ecole »trois Threforiers , dix-fept Chanoi­
nes , trois Aumôniers , dont IcTevenu eft en
general de deux cent quatre-vingt huit mille 1 i:
deux cent vingt'fix Ducats,3c de noftre mon­
noye trois cent quatre-vingt huit mille trois
cent trente-huit livres.
L*Archevefché de la tres-noble Ville de
Mexique , Capitale du Royaume de la nou­
velle Efpagne, a pour Suffragans neuf: Evef*
chez , dix Doyennez »cent vingt-neuf Dia­
conats , dix Archidiacres ^ huit Chantres 3
iept
E t a b l i s s e m e n t
fept Maiilres d'Ecole , fix Thveforiers , cent
quarante-trois Chanoines , vin2;t fix Aumô­
niers j dont le revenu en general fe monte à
un million cent cinquante iîx mille deux
cent quatre Ducats, qui font un million fept
cent trente quatre mille trois cent fix livres
de noftrc monnoye.
L*Archevefché d eV lJle "Efpagnoïe ^ Sc Pri­
mat des Indes de I*A:nerique,a pour Suffra­
gans quatre Evefehez , 6c deux Abbayes,
quarante un Chanoines, quatre Doyens «
quatre Archidiacres , quatre Chantres,deux
Maiftres d’Ecol?; Sc le revenu en general eit
de cent vingt-deux mille huit cent D ucats,
3c de noflre monnoye cent trente-quatre
'» .1 mille deux cent livres.
^L’Archcvcfché de la Ville de Manilla^ Ca­
pitale des Philippines . dépendante du Roy-
aume de Mexico , a pour Suffragans trois E-
vefehez avec un Doyen . un Chantre , un
Maiftre d’Ecole, un Threforier, trois Cha­
noines» quatre Aumôniers, deux Agents
dont le revenu en general eft de vingc-quaî
.I tre mille huit cens Ducats , qui font rrente-
fept mille deux cent livres de noilre mon^
noyé.
Si bjen que le nombre des O/Eciers du
Cierge de l’Amerique , dépendant du Roy
d’Efpagne, confide en fix Archcvefques,
trente huit Evcfques,deux Abbez,cent qua­
tre vingt neuf Doyens, trente-trois Archidia­
I .i cres 5vingt-neuf Chantres , trentc-un Mai-
ftres d Ecole , vingt-cinq Treibriers , deux
cent quatorze Chanoines,foixante-cinq Au-
moiuers, vingt Agents, qui font tout en-
<> fciable
C h a m B. d e s C o m p t e s , s-yjl
femble fix cenr Officiers du ClerQ;é , & qui ^
ont en tout de revenu deux millions huit
cent quatre vin^,t un mille trente Oucats^qui
font deux millions huit cent vingt un mille
cinq cent quarante-cinq livres de noftre
monnoye.
II y a encore outre cela quatre Ünivei iî- Vniveife
tez , où Ton enfeigne'toutes fortes d’arts 6c
de iciences ; içavoir à Mexico , a L im a, a S,
Domingo , 6c à Manilla,
De plus , il y a- trois Chambres generales
de f Inquifition , à Mexico , à Lima , 5c à Ca¥^
tagene. Outre les Arche vefehez , Evefehez ,
A bbayes, 6cc. dont nous avons parlé cy-
deifus ,il y a dans l’Amérique foixante 6c
dix mille'Eglifes tant Paroiffiales que Cio-*
{traies ; qui ont leurs rentes particulières. ^
Depuis que le Roy d*Éfpagne poiTedel'A-
tnerique^j jufqu*à l’année 1680. on compte
n e u f cent quatre vingt dix-fept Prélats, dont
il y en a eu deux cent vingt-quatre choifis
d’entre les Moines^Sc le relie d’entre les Pre-
itre s , qui ont fucceffivemenc rempli les pre<*^
tnieres Dignitezdu Clergé de PAmérique.

C h a p i t r e I I .

Dénombrement éf* revenus des Benefices aufqueU


le Roy d’Efpagne pourvoit dans l*Amérique,

’Eglife Cathédrale de la tres-noble Ville Etatdîs


L c\c Los Reyes, Capitale du Pérou, a eu
depuis ion iniÎitution huit Prélats, 6c eÎt de- le Roy
diéeà PApoitre Saint Jean. Elle a encore d'Efpagnc
huit couwoit,

it
2 54 E T A ÎÎ I I s$E ME K T

huit Evefchez Suffragans, trente deux Chfî-


poines »un Doyen qiii a quatre mille Ducats
de revenu • un Chantre , un Archidiacre, uri
Maiilre d’Ecole , un Treforier , qui ont cha­
cun trois mille Ducats de rente 5 & dix Cha­
noines , ayant chacun de revenu deux mille
cinq cent Ducats ; fix Partageurs > mille •
I
quatre Chapelains >cinq cent'. ,
Les EvefehezSuffragans font ceux qui fui-
Vent. Le premier clh celuy de la Ville dVr^-
, coniacré à la Vierge ibus le titre de
rAifomption.L’Evêque n ieize mille Piaftres
I I
de revenu ; le Doyen deux mille • l’Archi­
diacre , 1e Chantre » le Treforier, chacun
dix-huit c e n t, & quatre Chanoines, chacun
Iu quatorze cent Ducats; ■
Le deuxieime cil l’Evefché de la Vilfë
TrHxtUo , Îbus le titre delà Conception dé Iîî
V ierge* L'Evefque a quatorze mille Ducats
de revenu, deux Doyens, chacun deux milles
un Archidiacre, un Chantre un Maiftre d’E­
cole, un Treforier, chacun douze cent, <5C
deux Partageurs, mille. :
Le troiilefîne eil l’Evefché de Santo Frani
çifco de J ^ it o , dedie à Sainte Marie, L’.Eyei^
que a de revenu dix-huit mille Ducats , le
Doyen quinze ce^t^ l*Archidiacre , le Chan­
tre , le Maiftre d’Ecole & le Treforier, cha­
cun treize cen t, iîx Chanoines, quatre Au­
môniers , chacun cinq cent.
1’ Le quacriefne cft l’Evefche de la grande
Ville de G«/?o , fous le titre de l’Aifomption
de la Vierge. L’Evefque a de revenu vingt-
cinq mille Ducats , le Doyen dix-neufeent •
’<! PArchidiacie, le Chantre^le Maiftre d'Ecolc,
k

h:
b ’uK E C h a m b . d e s C o m p t e s . 25'^
le Treforier , chneun deux miile, fix Chanoi­
nes , chacun douze ccnr,& trois Partageurs/
chacun huit cent. — .
Le cinciiiicfiTie Evefehé efi: celny de la Vil­
le de S, îuan'de h ViBoria de .^ a m a n g a , dédié
à l’Apoitre S. Jean. L’Eveique a huit mille
X)ucats de revenu >le Doyen treize c e n t,
l’ArchidiacreJe Chantre. chacun onze cent,
deux Chanoines, chacun huit cent.
Le fixiefme efi: i’Evefché de Vanitma^dicàlé
à Noilre Dame del antigua, d eld*Arieu,\\ a efbé
îe premier etably en terre ferme. L’Evefquc
n fix miile Ducats de revenu, le Doyen onze
cent , 1*Archidiacre , le Chantre , 1e Maifire
d’Ecole , le Treforier , chacun huit cent. ^
trois Chanoines , chacun fix cent.
Le feptieifre eftl’EveÎché de Saint Jacques
de Chile , dédié à Sainte Marie. L’Eveique n
de revenu cinq mille D ucats, le Doyen neuf
c e n t, l’Archidiacre , le Chantre » le Maiftre
d*Ecole , le Treforier » chacun huit cent.
Lchuitieiiue eftl’Eveiché de la Ville Im­
périale de Chile , fous le titre de la Concep­
tion delà Vierge. L*Evefqne a quatre mille
piaftres de revenu , le Doyen fept cent ^
r Archidiacre cinq c e n t, deux Chanoines 3
ciiacun quatre cent.

C H A«*
1^6 E t a b l i s s e m e n t

C h a p i t r e III.

Déj>endarjres revenus de î'Archevefché dt


Sainte Foj de Bagota,

Reviuns Et Archevefché eft étably dans le nou­


Mi
des Bene-
û cçs.
C veau Royaume de Grenade, fous le titre
delà Conception delà Vieif^e. Ils a trois E-
vefche7 pour Suffragans, fçavoir. Cartage^
‘ I 'î ne , Popayan^ & Sainte Marthe. L’Arcbevelque
a de revenu qiiator7 Cmille Ducats, TArchi-
diacre ,!e Chantre , le Mniltre d'Ecole ,!e
Treforier^ chacun quatorze cent , quatre
Chanoines , chacun mille, deux Aumôniers,
chacun fcpt c e n t, 6c le Doyen deux mille.
Le premier Evefché SufFras^ant efl: celuy
de , dédié à la Vierge. L'Evefauc
a de revenu cinq mille Ducats . le Doyen
cinq cent , l'Archidiacre, le Chantre," le
Maiilrc d’Ecole & le Trel'orier, chacun fix
cent, & cinq Chanoines chacun cinq cent.
Le dtruxlcime til hEvefché de Cartagene ^
confiici é â Sainte Catherine. L'Evefque a
de revenu fix mille piailres , le Doyen iept
c e n t, le Chcantre, l’Archidiacre , le Maiftre
I I d'Ecole »chacun cinq cent cinquante, deux
Ch an oines, :hacun quatre cent.
Letroifieime eif l'Archevelché Sainte
K Marthe , deJie' à la mefine Sainte. L'Arche-
vdque a de revenu mille huit cent Ducats »
îe Doyen fix c e n t, l’ Archidiacre , le Chan­
tre, chacun quacic cent, un Chanoine, trois
eeiit.
Ijèpen*
D*UHE C h AMB. DES V.OMPTES, 2^'7
I ■;
Dépendances ^ revenus de I*Archevefché
de U rlata^
L'Archevefché de cette Ville n cinq EveA
chez pour SufFra^^ans ; Sçavoir,EEvdché de
la Ville de la Fax, de Cucuman t ac Santa
Crux , de Pariguay , de \3iTrmité , cet Arche-
vefehé eft dédié à Sainte Marie , & a foxi-
ante mille ecus de revenu tous les ans ; le
Doyen cinq mille piaftres, TArchidiacre, le
Chancre ,leMaifl:re d'Ecole le T rcloricr,
chacun qiiatie mille piaftres» lix Chanoines,
chacun trois mille , iix Parcageurs, chacun
dix huit cent.
Le premier Evefehé SufFragnnt cfl: celuy
de Nûfire Dame de Paix^ dans la Ihovincc de
Chinqujago. L’Eveique a tous les ans dix luiic
cent trente-huit piaffcres, le Doyen cinq cent»
r Archidiacre , le Chantre » le T- eforicr,cha­
cun quatre cent » deux Chanoines chacun
trois cent.
Le deuxieÎÎTie eft celuy de lago del Eftero^
da ns la Province de Cucuman , dédié aux A-
poftres Saint Pierre Sc Saint Paul. L'Evefquc
a tous les ans de revenu iix mille Ducats »le
Doyen » l’Archidiacre ,Ie Treforier, chacun
fepe cent cinquante.
Le rroificEne eit î’Evefché de Saint Lau­
rent de lot Bare7}çiu de Santa Cruz, de la Lier-»
r a , dédié au melinc S tint. L’Evefque a tous
les ans de revenu douze mille Ducats , le
Doyen dix huit centj* Archidiacre feize cent,
deux Chanoines, chacun treize cent.
Le quat iefine eft 1*Evefehé de Pariguay ,
ibus le titre de la. Viiication de la Vierge.
L’Evef^
a E t AB Î - I S S E ME NT
L’Evefqne a tous les ans feizc mille Dnenrs;
le Doyen deux mille , l’Archidiacre & le rj\
Chantre chacun dix-hiiic cent ; cinq Cha­
noines, chacun treize ccocdeux Parcageurs,
chacun deux mille,
Lecinquieime eit l’Ev^efché de la Trinité
de la Ville de Santa Maria del Vuerto de Bue­
nos Ayres , dédié à Saint Martin. L’Evefque
n cinq mille Ducats tous les ans, le Doyen
cinq cent , l’Archidiacre quatre cent cin<»
qliante , deux Chanoines , chacun quatre
cent.

Dépendances ^ revenus de l*Avchevefché


de Mexico»
I
L’Archevefché de la tres-puiiTante Ville
de Mexico , Capitale du Royaume de la nou­
I velle Efpa^ne', a efté premièrement inilituc
en Evefehé en l’année- i ^ i 8 . 5c après érigé
^I en Archevefché en .l’année. . . . » que je
îaiiTe en blanc pour l’avoir trouvé ainii dans
le manuferit Efpagnol. Cet Archeveiché eÎl
dédié à Noftre-Dame, 5c a dix Evefehez
i: pour Suffragans,5c de revenus annuels vingt
I: mille piaffres.
Le premier efl rEvefché del Baehlo de los
Angelos » diO. Valladolid ^ dio. Gnatimala » de la
vera Cruz , y compris celuy de Goaxaca^celuy
de Giriapa ^celuy de la nouvelle Galice , dé
lucatum , & de la Nouvelle Bifcaye,
Le Doyen de l*Aichevelché de Mexico c\ de
r! revenus annuels dixTneuf cent cinquante
piailres » 1’ Archidiacre j le Chann e , le Mai-
Îtrc d*£cole J le Treiorier, chacun ieize cent
quatre-
T)*UNE C ham B. d e s C o m p t e s .^ Î j' /
'quatre-vingt dix-huit piaftres ^ dix Chanoi­
nes, chacun treize cent,iîx AumoihierSjCha-
cun neuf cent quatorze, fix Mediaceurs,cha-
cun quatre cent cinquante fepc.
Le premier Evefché SufFragant efl ceîuy
de la ville de /a fuehla de Jo$ Angelos ^dedie à
Noftre Dame.L*Evefquea de revenu annuel
cinquante mille p ia ih e s, le Doyen quatre
mille , l’Archidiacre, le Chancre, le Maiftre
d'Ecole, un Treforier , chacun cinq mille ,
vingt-fept Chanoines, chacun crois mille,iix
Aumofniers chacun trois mille.
Le deuxieiîne eft l’Evefché de Valladolid ,
dans la Province de Mechacham, dédié à
Saint Sauveur. L’Evefqne a de revenu an­
nuel trente-quatre mille piaftres , le Doyen
dix-fept c e n t, 1*Archidiacre » le Chantre , 1e
Maiftre d’Ecole , le Treforier, chacun deux
mille iîxcent,huit Chanoines, chacun treize
cent,iix Aumofniers,chacun ieptcent.
Le troiûefme cft l'Evefché d'Amequera ^
dans la vallée de Gmxaca , dédié à Sainte
Marie. L'Evefquc a tous les ans fept mille
piaftres, neuf Diacres» chacun mille piaflres.
l’Archidiacre, le Chantre , le Maiftre d’Eco-
■le,le Treibrier, chacun huit centpiafires ,
cinq Chanoines, chacun iix cent.
La quatricfme eft l’Evefché de Guadalaxa-»
ra , dans la Province de la Nouvelle Galice ,
dédié a Sainte Marie. L’Eveique a tous les
ans ièpt mille piaftres^onze Doyens , chacun
mille-piaftres : l’Archidiacre, le Chantre» le
Maître d’Ecole,le Treibrienchacunhuiteent;
fept ChanoineSjChacun fix cent.
Le cinqiiiefmc eft i’Evefché de la ville de
T êta sll, M Pif,
'îé û ■ E T-A B t ; I s M E N T ,
Durangua^CiipnsXG de \û Nouvelle Bifcaye, de-::
die à Saint Mathieu. L*Evefque a de revenu
nnnuel quatre mille piaftreS; cinq Doyens,un
Archidiacre , un Chantre, chacun huit cent i
deux Chanoines , chacun fix cent ibixante.
Le fixiefme eft TEvefche de la ville de Me-
yida Capitale de la Province de lucutum dé­
dié à Santo îdelfonfo. L’Eveique a de revenu
annuel huit mille piaftres, neuf Diaconats de :
chacun mille piaitres- le Doyen en a mille ,
l’Archidiacre, le Chantre,le Maiftre d’Ecole,
le Treforier» chacun huit cent,deux Chanoi­
nes, chacun fix cent,deux Aumofniers, chà-
,cun quatre cent.
Le fcptiefme eft l’Eveiché de la ville de
^anto lago , Capitale delà Province de Gua- -ji.
timala , dédié à Saint Jacques Patron d’Ef*
pao;ne. L’Evefque a de revenu annuel huit
mille piaftres ; dix Diaconats ayant chacua
douze cent piaftres , un Archidiacre » un
Chantre, un Maiftre d’Ecole, un Treforier ,>' g:.',
' chacun cinq mille, cinq Chanoines, chacun
huit cent.
Le huitiefme eft TEvefehé de S, lago de
dans la Province d e : Il a efté
réuny à l*Archevefché de Lima en Tan 15^0.
' TEveique a de revenu annuel trois mille du-
^ cats , cinq Diaconats de fix cent piaftres de n
"revenu, un Archidiacre 6c un Maiftre d’Ecq-
le,avec chacun quatre cent,6c deux Chanoi­
nes chacun trois cent.
Le neuviefme eft l’Evelché de la Royale
TÜle de , dédié à faint Chriftophe ,
î’Evefquea de revenu annuel cinq mille pia-
. ftres.un Arckidiacre.un Chantre, un Maiftre
d’JEcoie»
b 'a N K Cî î AMs. DES C o m p t e s !^
d’Ecole, un Treforier,chacun huit cent,deux
Chanoines,chncun fixcenc, & enfin fixDia?
conacs de chacun huit cent.

Dépendances (3^ revenus de PArchevefché de


Saint Domingue,

L*Archevefché de la ville de Saint Domina


Capitale de Vlfle JEfpagnole , eft dédié au
melme Saint, l’Archevefque a de revenu fix
inille ducats,un Archidiacre,un Chantre uu
Aiaiftre d Ecole , un Treibrier > chacun trois
m ille, dix Chanoines, chacun deux cent
deux Aumofniers,chacun cent cinquante, 5c
enfin ieize Diaconats de chacun quarante
mille. Outre cela on y a encore annexé , par
tuite du 15. Février de Tannée 1^24. deux
C ures, 8c TEvefché de la ville de la Fega fur
l’Iile de la Jamaïque.
Cet Archevefché a pour Suffragans quatre
Evefchez 5c deux Abbayes.
Le premier eft l*Eveiche de Saint lean de
Puerto Ricco , dédié au mefme Saint. L’EveA
que a de revenu annuel cinquante mille Ma-
ravedis • un Archidiacre, un Chantre , one
chacun deux mille Reales, cinq Chanoines,
chacun cent cinquanteducats:deux Aumof-
niers , chacun cent : neuf Diaconats de cha­
cun deux cent.
Les deuxieime eft TEvefehéde Saint lago de
Cuba, fous le titre de l’Affomption de Noftre-
Dame.. L’Evefque a huit mille piaftres de re­
venu; il y aiept Diaconats de chacun milles
un Chantre a fix mille Reales, cinq Chanoi­
nes,chacun cinq mille,deux Auinoiüiers,cha- Ir ^
cun crois mille. Mz Le
ETABtISSEME>iT
Le troifierme eft TEvefche de Sainte Annc^
de.Corro, dans la Province de Veneamla , dé­
dié à la mefme Sainte, LEvefqiie a de reventi
annuel huit mille piaftres ; un Chantre , un
Archidiacre,un Treforier,chacun on2ecent;
quatre Canonicats» chacun de quinze cent.
Le quatriefme cft l’Evefché de la ville de
Valladohd , de la Province de Comayagua^ Ca­
pitale de la Province des Honduras^ LEveique
a de revenu annuel trois mille piaftresjde plus
il y a cinq Diacres,un Archidiacre,un Chan­
tre, un Maiftre d’Ecole, un Treforier à qui ia
Majefté Catholique a accordé dés Tannée
1^18. chacun deux cent piaftres de revenu f
annuel,qu’il fait tirer de Ton Epari^ne,âcon-
dition pourtant de les reprendre fur les dix-
mes qui leur peuvent revenir. r.
L’Abbaye de la ville de la Vega^iivok pen­
dant qu*elle eftoit ibus Tobeïifance du Roy %
d’Efpagne deux mille ducats de revenuimais 2
les choies ont changé depuis qu’elle eft fous
la domination du Roy d’Angleterre.
L’Abbaye de l'JJle de U Trinité en Guyana ^ l'i
a efté erigée en Tan i ^2^. à Theurc que je
parle on travaille a en eri^er encore une au-
tre à la Rloride^ qui doit dftendre de Tlfle de
Cuba,

X)ép€ndances ^ "Revenus de l'Archevefchê


de Manilla^
L’Archevefché de cette ville Capitale des
ijîes Philippines^ ibus le titre de TAiTomption ii
de la Vierge, tire tous les ans trois mille du-
cats dc TEpargne du Roy,felon le Concordat f
du ‘
C i t a M B .' d e s C o m p t e s * 2^^'

âu i ; . Juin de l’anne'e 15:^^ lia douzeCha-


noinies qui cirent leur revenu de la meiine
Epargne , félon le Concordat de fannée
i$P4. le Doyen a de revenu annuel fix cenc
piaftres ; le Chantre , le Maiftre d’Ecole, le
Treibrier, chacun cinq c e n t, crois Aumof.
nierSjChacLin troiscent;deux Agents,chacun
deux cent. Toutes les Chanoinies font ordi­
nairement accordées aux Inquifiteurs. Ccc
Archevefché à trois Evefehez pour Suffra«»
gans.
Le premier eftceluy du nomade Jefus iur
Vljle de Cuba,
Le fécond eft celuy de Nueva Sivillia fur i ' 1.1
fi
rifle de Luzon,
Le troifiefine efl: celuy de la ville àQCarce^
res liir l’Ifle de Carimenes,
Icy finit tout ce qui regarde Lctat Seculiei:
Sc Ecclefiaftique de f Amérique.

Tin de la fécondé Partie,

M5 ETA*

U
v^*V5^ v^iVci^

ETABLISSEMENT
D*U N E
C H A M B R E DES C O M PT E S

DANS tES INDES. \

T R O IS IE S M E PARTIE.

Des revenus que le Roy d’Efpagne tire d é 4


ir
TAinerique» & de ce que les plus grands
•' Princes de l'Europe y poiTedent.

R E I.
Sur quoy ^ comment fe lèvent les Droits dm
B oy d^Éfpagne,
i.
Jaîpofts, E païs eftanttnerveillcufement Fer­
tile en beaucoup de lieux, on fcaic
que les plus grands Monarques de
l’Europe ont envoyé des Colonies
dans les Contrées les plus abondantes, après
ii s’eneiVre rendus m aiftres, ce qui par la fuite
leur a efté fort avantageux,ainii que le mon­
tre le manuicrit dont eR qiïeiMoîî ,"qui décrie
alfez amplement les richeiTes qui leur en re-
vinnent. Comme ce manuicrit eit compofé
V par
^*UNE C h a m 'b; d e s C omp't e s .
par les’ Efpagnols, ils n*ont pas manqué de
mettre leur Roy le premier en te lle , & moy
qui veux eftre exadt en tout , je fuis oblipjé
de fuivre cet ordre» & de commencer, com­
me fait ce m anufcrit, par les revenus que le i ;1
Roy d*Efpaî>netire de 1*Amérique.
Tous ces revenus font coniiderables , 8C
proviennent des Impoils qui fuiventjfçavoir»
le droit de Se»oraje^ de Vacantes en Mojîr/nps ^
jllm ojarifalgos , Commijfos , Eftanca de naipes g
d* Averia^ d'Alcavalo^dc Trihutos vacos^àe luna*
conas ^de Tir cio s de Encommiendoi , de Hatunnu-*
ras yd'Aloxa^ de Vulperias , de Lana Vicuna , de
Media-Anata, On verra dans la fuite f explica­
tion de tous ces mots. Outre cela,il y a quan- ^
tiré de Marchandifes de grand prix qui payent
!'i

Impoil, comme,ambregris j perles , emeraui-


des, 8c pluiieurs autres chofes precieufes f
dont oh va voir auiTi le détail. "' H'
Le droit Royal de cinq pour cent eil le plus
beau, 8c le meilleur de tous ceux que le Roy
d’Efpagne tire de TAmerique, 8c celuy d^o'i
proviennent les fommcs immenfe-s qu’on por­
te tous ks ans en Efpa^ne dans les Galbons
du Roy. Ce droit fe leve fur l’or 5c Targent
fur toutes les mines , de cuivre, de fer, de
plomb, 8c des autres minéraux qui fe décou-
furies
vrent tous les jours.
Le Roy leve ce droit fans aucun rifqué
pour fon compte, c*ell à dire, franc 8c quitte
de toutes charges. C k il à ces conditions
qifil a cédé les mines aux particuliers.-L’ar­
gent en barre,ou en planche,Sc celuy qui eil
eînployé par les Ouvriers à diverfes fortes
d ’ouvrages,payé auiTi le cinquiefme. Le mel-
V M4 me
j fcV E t ab l i ss e me nt
m e fe prend fur les mines d*or & d*argcnt
iiir l’argent,& fur for meiine.
Outre ce Droit » le Roy en a encore un au­
tre tout à fait coniiderable, qui eft que de
toutes les mines qui fe découvrent dans Té-
rendue de ce païs, il a une certaine cfpace ,à
commencer du premier trou à la circonfé­
!Î rence , Içavoir des mines d*argent foixapte
perches, & de celles d’or cinquante , de cel­
les des autres métaux,comme du fer, du cui­
vre, de Teftain & du plomb» de mefme que
M; de celles de Tardent : Pour les mines de vif
a rg e n t, comme c’eft un métal neceiTaire
pour découvrir tous les autres, le Roy les re­
tient entièrement pour luy. Toutefois il en
donne la joüiiTance en propre trente ans du­
rant , â ceJuy qui les a le premier découver­
tes.
ïmpoils Le Roy tire aufti le cinquicfmc des perles,’
i*r les
pierres femences de perles, des meres de perles,
fredeufes comme auiïi de toutes les autres pierres pre-
çieufeSjfçavoir des Diamans» desTaupafes ,
des Rubisj des,Saphirs, des Turquoifes , des
Agathes , des Emeraudes » & autres pierres
qui put de Téclat, y comprenant le Bézoar,
le Corail rouge, TAymant, le Gueyet, TAr-
canfbn,Ie Vitriol.
S” r les De plus, le Roy d*Efpagne a la moitié de
Th r cl ors tous les Huvacfis ^ Ccik à dire, de tous les
caJiçz.
threfors cachez , qiTon trouve dans les lieux
où eftoient autrefois les anciens Indiens, qui
les enfoüiÎToient ainfi dans terre, croyanten
avoir beioin après leur mort. Tout ce qu’on
trouve dans les Temples de leurs faux Dieux»
■\
Î"i )I^ nommez comme o r , argent Ôc pien e-
lics^
b'uM E-C hamb . DES C o m p t e s , 2^7
ries, Sc enfin toutes les autres chofes quifer-
yoient à leur culte.
Senoraje , ou Droit de Seigneurie, confide
au Droit qui fetire fur toutes les monnoyes
qui Te frappent au Potofi^qui eft la troifiefme
réale.
L’argent & l’or en barre payent le cin-
qu:eiîne,& encore un & demy par çent pour
la fortie.
Efianca de Naypes * OU le droit des cartes à Sur les
jouer, eft un droit qui rapporte beaucoup. Il partesà
eft affermé au plus offrant, Sc l’argent qui
eh provient, mis dans les coffres du Roy.
Cela feul luy vaut plus de deux millions d’écus
dans les Indes feulement.
Vacantes en Moflrenfos , font les biens des
gens qui meurent fans heritiers,)uiqu'au qua-
trieiîne degré. Il va la moitié de ces biens au
R oy, & l’autre au iîfq, y compris les biens
confifquez,
Almojarifaîgos, Ce mot vient d’un mot Ara- Sur les
be Almajarife , qui fignifie homme de me-J^îfr^S«
ftier. Cecy eft un droit de cinq pour cent , fa^uresT
fur tous les Ouvrages de Manufatftures qui
viennent d’Efpagne , felon qu'ils font taxez
aux Indes.
Ces mefmes Ouvrages de Manufacftures
pavent autant de fois qu’ils changent de pla­
ce dans les Indes, deux & demy par cent de
fortie, 8c cinq d’entrée.
Le Droit d^Averia eft un droit de Marine.
On employe l’argent qui en provient â l’é­
quipage qu’on met en mer du Port de Callao
au Pérou , pour apporter l'argent du Roy. Surlcspri-'
Outre cela, le Roy a encore le cinquiefme fQ„^“Jj®
M 5 de mer,
r T AB t i S S E ME Wt
de toutes les prifes qui fe font fur men
Sur Por 6c Parlent qu’un Cafique ou Goú^
verneur des Indiens paye pour fa rançon,on
prend le cinquiefme , 6c encore le fixieime
qu’on donne au Roy , 6c en cas que le Cafl-
que meure ,ou en une Bataille , ou par les
mains de la Juftice, fa Majefte a la moitié
de la rançon , 6c l’antre moitié eft partagée
í après en avoir tiré le cinquiciîne.
Le Droit d^AlcavaU â beaucoup coûté â
établir. On a commencé par deux * 6c après
à force d’armes on l’a fait monter julques à
quatre» 8c de ce qui provient de ce droit, on
envoyé tous les ans en Efpagne jufqu’à trois
cent vingt-cinq mille ducats. Ce Droit coniî-
fte à certain impoft,qne l’on met fur tour ce
qui fe vend 6c s’achete dans le pais, mefme
fur tout ce que l’on y échange > 6c lur tous
Îes T'-ftamens , dons mutuels , parce qu’ils
font reputez comme vente ou échange;Com-
me auflîiur toutes les Charges qui reven­
dent.
Ces Charges autrefois revenoîent an Roy,
après la mort de ceux qui les exerçoient >
mais à prefent il leur permet de les refigner ,
pburveu que celuy qui refigne vive vingt
jours après la refignation , autrement la
Charge revient au Roy, en forte qu’il en
peut difpoièren faveur de qui il luy plaift. La
premiere fois que ces Charges fe re fg n e n t,
IV Celuy qui en doit eftrepourveu» eft obligé de
payer la moitié de la ibmme qu*a coûté la
Charge , 6c pour la fécondé fois la troiiiéme
partie. Le tout va au profit du Roy.
1111 Le Droit de CommJfo$ eft tout ce qui tom­
be
C h AWB.'Ef STS Co MPT ES.
î)é entré les mains de celuy qui gardeie fîfq ,
comme toutes les Marchandifes de contre­
bande : Par exemple,celles qui viennent des
Philippines & de la Chine'^ parce qu’il eft ex-
preiTémenc défendu de recevoir aucune de
ces Marchandifes dans IcPerou, furpeinede
confifcation du Navire & des Marchandifes
qui font dedans. Le tout afin de ne préjudi­
cier en rien au commerce d’Efpa^ne»
Ainiî toutes les Marchandifes qu’on em­
barque au Pérou pour ces quartiers font con-
fifquéeSjà moins qu’elles nefoient déclarées.
-Les amandes & confiications font mifes cha­
cunes dans diiFerens coffres., & on à établi
pluiieurs fortes d'Ofiîciers pour cela , & fur
tout un Receveur general pour les amandes
Sc confifcations qui font<diverfes, felon la
nature des biens des Adminiftrateurs de la
Couronne,qui ont l’Intendance des biens des
Indiens , & ourre cela la charge de les faire
inftruire en la Religion Catholique.
Il y a de deux fortes d*Adminiftrateurs
dont' les uns dépendent du Roy feulement,
les autres du public. Ceux qui dépendent du
Roy qui a les revenus en propre, ont les dé­
pendances du Pérou 8c de tout le Royaume.
Ceux qui dépendent du public, font commis
pour le payement de quelques dettes particu­
lières, ou pour accorder les graces qui pour-
roienteftre demandées par les Indiens, après
en avoir demandé lapermiffion au Garde du
Fife 8c'des Officiers Royaux.
D éplus, afin que les revenus du Roy ne
foient aucunement diminuez, 8c que les In-
&ens qui font écrits dans le dernier Regiftre
* M6 ne
XfO ' E T A B t't S:S ÎBME K t
ne ie puiiTcnt dire libres -, qne par de bons
t.i de iiiififans temoio;nages,on fait tous les trois
ans la reveuë de ces Regiftres , & par ce
nioyen le Roy eftant le premier Adminiftra-
teur^tousles Offices iuy reviennent.
Prcniieremenrj qui fe fait Moyne, ou Pre-
iVre 3 perd fa C barge j qui maltraite les In­
diens, ou leur fait violence ^ iè rend incapa­
ble d*en exercer aucune. Ceux qui herirenc
de ces Charges font obligez de comparoiftre
> ^■ dans iix mois, du jour qif ils en héritent, futf
peine d’eftre évincez de leur Charges. Celuy
f I■ qui contrevient an commandement du Roy^
ou du Viceroy,' eft interdit pour toujours»
Celuy qui a deux Offices d^^dminiftrateurs
en perd un. Si quelqu’un meurt avant que
fon Office Ibit donné à un autre,Sc qu’il y aie
vingt jours qu’il foit m o rt, l’Office d’Admi-
Jiiftrateur revient au Fife. La mefme choie
arrive iî l*Office eft vendu à un homme qui
demeure hors des Indes,ou qui n’eft pas Ca­
tholique.
r Tributes iiacos ^ on Tributs vacants , c’eft
lors que le Roy a les Offices en propre, les
revenus qui en proviennent avant qu*ils
ibient données s’appellent ainfi.
Tircios de EmomiendûSyC'eÎ^ lors q u el’OfficC
change de Maiftre. Celui qni le reçoit le der-
fîier,eft obligé d’en payer la troiiielmc partie
au Roy: cela ne fe fait que jufques'à la
deux ieime fois.
Sur les lAtiaconcvs, eft lors que les Indiens ibrtent
Indiens
<^ui ibr- de
de leurs Bourgs 6c Villages .• ils font obligez
tent de payer le Droit de fortie,
ieui pars, UdUmnHrfts, eft lors que les-indiens font
cliaiTea
t)\îNB C ham B. d e s C o mixtes, 17
chaiTez de leurs biens propres/ Alors ils font
obligez de venir fervir les Efpa^nols â
p:es,6c de travailler tour â tour aux mines du
Roy.
Le Roy ayant efté averty.qu’iî y avoit be­
aucoup de peuples Indiens réduits , qui e-
ftoient difperfez çà & là fans payer aucun
im poft, commanda aufli-toft qu’on en fift •
Une reveuë 2;enerale , & qu’on les enrege-
llraft tous, les reduifant en Paroiffes, & leur
donnant des Gouverneurs, & qu*ainfi cha­
cun fuft taxé felon fes biens j & pour cela
Commit des Officiers pour recevoir ces taxes.
Le Roy d’Efpagne s’eftant rendu Maiftre Le Roy
de ce pais, eft devenu le Souverain Seigneur d’Efpagn;?
è ç s jn g a s y ^ exerce leurs Droits dans l’eften- ^Joit
due de ces contrées. Ceft^pourquoy il y peut
difpoièr de toutes chofes à fa volonté. Corn,
me dans le commencement, les Viccrois a-
voient établi des Colonies dans les Indes, 5c *
donné en propre plufieurs terres aux parti­
culiers. Le Roy voyant que cela eiloit de
grande importance,& entièrement contraire
àfon autorité,ordonna de s'emparer, 6 c de
vendre mefme toutes les terres baffes 6c ha­
bitables , à moins que les proprietaires ne
fiffent voir quh’ls avoient quarante .années
de poifeifion.
A lo x a , cil une maniéré de boiifon , Faite
d*-eau fallée 5c de m iel, baillée à ferme au
plus offrant, 5c ce qui en provient eft mis
dans les coffres du Roy. On a voulu auffî
affermer les Salines, mais comme les Indiens
n’ont point d’argent pour acheter le f d , cela
iû’a pas reuiTi^ d’autant plus qu*il y a quantité
de

10
m-.E'S t
de mines de Sel dans les monta[>ncs, où cîia-*
cnn eft libre d*en prendre autant qn*il en a
; «J befoin. Pour ce qui regarde le Salpeftre , oa
n*y a mis aucun droit, & on 1*envoyé en E(^
pagne pour en faire de la poudre â canon.
/m poils Vulpericu^ font des Cabarets où Ton appred
fur les ftc fort bien tout ce qui eft neceiTaire dans
^Cabarets, bon repas. Ces lieux font établis dans
toutes les Villes, & dans tous les Bourgs, jui^
qu’â un certain nombre déterminé. Ceux
qui paiïent ce nombre , ibnt tenus de payer
au Roy chacun quarante piaftres tous les ans,
II & l*on peut dire que ce revenu eft fort con-
iîderable, à caufe de la quantité des Villes
6c des Bourgs qui font dans PAinerique.
L q Sublimé eft auiTi affermé , quoy que l’ii-
fage n*en foit pas grand dans l*Amérique 5
car les femmes ne s’y tardent point.
Les Droits d*entrée pour les Negres ibnt
fort grands,pour la quantité qu*on y appor­
te de la Guinée , ôc l’on paye pour chacun
deux piaftres.

C h a p i t r e VI I .

X>efcrtption du Vigogne, Droits qui fe lèvent , tanf


fur fa laine i que fur d*autres chofes»

L AnH Vecuna c’eft la laine du Vigogne^


,

qui eft une des meilleiires M:irchandi-<


fes qui viennent du Pérou , & je quitte un-
Il Ii : moment le m anufcrit, pour faire la deicrip-
tion de cet anim al, qu’on fera bien aife de
connoiftre â caufe de fa grande utilité.
Le
b ^ iN ï C h AMB. DES C o m p t e s ;
Le Vi^oc^ne eft de la grandeur d’une Chè­
vre , & a la figure d’une Brcbis; fa laine efi:
brune, & meitée fouvent d’efpace en efpace
de petites taches blanches:ily en a quelque­
fois qui Tone de couleur cendrée. Ces ani­
maux fe rencontrent par troupes dans les
montagnes du Pérou j mais outre que leur
laine eft très profitable, on trouve encore
dans leur eftomacb la pierre de Bezoar , au- Ce qué
trefois fi eftimèe chez les peuples de l’Euro-
pe , & qui l’eft encore beaucoup parmi les
Efpagnols : Cette Pierre s'engendre dans Ieoù& de<
corps de ces animaux, par l’ufage d'une cer- eil^
taine herbe qui croift fur les montagnes
Pérou, & qui leurfert de nourriture. ’
Le Roy d’Efpagne voyant que cette laine
eftoit fi neceffaire pour les beaux Ouvrages
de Manufacture, comme drap, chapeaux^ 5c
autre chofe, jugea à propos qu’on en permit
le tranfport dans les pais Etrangers,& qu’on
étab lit un droit deiTus : ce qui a efté exe­
cute ; mais les fraudes qui fe commettent
dans ce genre de commerce » font qu'il n'en
revient prefque rien au Roy : car on les fait
paiTer en mattelats , & en tant de maniérés
cachées, que bien qu'il s*en tranfporte tou­
jours beaucoup, il ne s’en declare pourtant
que très-peu.
Le Roy ordonna encore qu'on apportât vigognei
, de ces Viaognes en Efpagne, afin de les faire apportez
peupler fur les lieiixjmais ce climat le trouva n’ont
il peu propre à ces animaux qu'ils y mouru* Leu peu^
rent tous. le reprends le manuferit,
Comme le vin & l’huile qui fe conibm-
menc dans rAineriquc font tirez d'Eipagne,
ôc
\fi ^ T A EL I SSBMEMf '
qu’lis rapportent de grands revenus aa
Roy, à caufe des droits qu’on y a iinpoiez • .
I Si! on a trouvé bon de défendre abiolument dé
planter des Vignes 8c des Oliviers dans les
Indes- mais s’en eftant trouvez beaucoup de
plantez dans le Pérou -- avant cette défenfe,
en forte que ce Royaume ne prend ny vin ny
huile chez les Efpagnols. On a impofé deux
par cent for tout ce qui fe fait de vin 8c
d’huile dans le païs.
Tapier On a impoie auiïi un droit fur le papier
tim bré de
à'Am eri-
dans TAmerique, que l’on a fait timorer h
S«c, comme en Efpagne, afin d’éviter toutes les
fraudes qui pourroient fe commettre aux
If obligations,Sc autres atffces d’importance- Sc
Je Roy a ordonné, que perfonne ne pourroic
faire ny vendre de ce papier dans les Indes
qui ne fuft timbré , ny paiTcr publiquement
aucuns écrits, qu’ils ne fuiTent for ce papier;
failànt diftinâion des timbres felon la con«
fequence de la chofe ; comme,par exemple ,
le premier timbre d’une feuille vingt-quatre
reales, 8c le fécond d’une feuille , fix reaîes.
Le premier timbre d*une demie feuille , une
demie reale,8c le fécond â proportion.
Le poivre eft auffi affermé , 8c eft donné
au plus offrant ; mais le piment eft là en fi
grande quantité, qu*on y confome fort peu
de poivre.
Icfecmes Le Pape Alexandre V I. donna au Roy
Eccleiia-
itiques de d’Efpagne toutes les dixmes Ecclefîaftiques
î'A m eri- des Indes, à condition qu’il feroit baftirdes
qtxe ac­ Eglifes , inftruire les Sauvages dans la Reli­
cordées
par le Pa- gion Catholique , Apoftolique8c Romaine.
i

*!■ . 1
pe au Roy Ce qu’il a pondluellemeuc exécuté, laiffanc
1 i'
d*£ipagne pour
:

1. 1 'l!
1t 1
1

li i 1

i l ] i
|fi
D*uNE C h a m e . d e s C o m p t e s , ifi
pour cé iujet le dixieime iiccordé par ia Sain­
teté, & ne fe refervanr que le dix-huiticiîne,
répondant aux droits d*Efpa^ne; de forte que II
les revenus de tous les Evefchez ont efté par-
ta$>cz,& employez comme on a dit. L^’Evcf-
que tire la moitié du revenu , & le refte eil:
partagé en neufparties,dontle Roy en prend
deux, les Eglifes 6c les Hôpitaux trois,8c les
Curez les quatre reliantes, dont ils font obli­
gez de donner le huitiefmeau Sacriilain.
Le dixiefme de tous les Archevefehez 6c
Evefehez remis par fa Sainteté , venant â
vacquer retourne au R oy, comme proprie­
taire de ces biens :8c les derniers qui en pro­
viennent» aiTemblez 8c mis dans fon Epar­
gne,pour après eilre partagez par fon ordre
en trois parties .* la premiere defquelles va à
VEvefque qui entre en poiîeflion du Benefice»
la fécondé à Tentretien des Egîiies,8c la troi-
fiefme aux pauvres. Cette troifîefme partie
cil apportée en Eipagne fans eilre mife dans
les coffres du R oy, afin d’y eilre enfuite di-
ilribnéc à ceux que Ton trouve à mort»
Le droit de la Bulle de la Croifade eil un Le droit
des plus grands revenus que le Roy d’Efpa- de iaBuUe
gne tire de 1 Amérique , comme chacun clt fade.pour-
libre de le payer, chacun donne plus qu'on un
ne Iiiy demande afin de montrer le zele que des plus
quoy
Ton a de s’attirer la benedicflion de fa Sain- ’ij*
tete. Il y a encore une Bulle de compoiition ^oy d'Efi
accordée par le Pape , â tous ceux qui don- pagne,
neront douze reales, lefqucls auront l’abfo-
lution de trente ducats des biens qu’ils poiTe-
dent, qui ne ibnt pas à eux , Sc ne fçachanc
pas à quiils appartiennent.-Ces Bulles fc di-

fl
ÿ E r Aî t I s s E E N T
ftribuenc tous les deux nns. Il y en a de qtia^',
tre piaftres pour les ArcheVcrqueSjles Evef-
ques & les Abbez. Il y en a de deux piailres
pour les Inquiiîceurs & pour les Curez. Il y
en a d*une piaftre pour les Preftres & pour
les Laïques.
Le droit de N'e jada , ou droit de table » a
cfté établi fur tous les Bénéfices , & cft de--
ineuré jufqu'â ce que le droit de MedU-Anatit
cuit cfté mis , lequel eft léulement refté fur'
les Eclefiaftiques, depuis BArchevefque juf-
qu’au fimple Preftre. Ce droit fut accordé a
Philipe I I I . par Urbain V I I I . en i6 z 6 *
pour le temps de quinze années,lequel temps
expiré Innocent X. l’a continué & authorifés
â condition que ce revenu ièroit employé à
faire la guerre aux Infidèles. Tous ces droits
font payez & aiTemblez à un mois prés du
terme, & on le compte fur le pied qu’on leS
areçûs cinq ans auparavant.
Le droit de Media-Anata fe paye en deux
termes» & iè prend fur la moitié des revenus
du Bénéfice pendant une année , dont une
partie fe paye contant,& l’autre un an apres.
Il y a encore plufieurs Reglemens, & fortes
de faveurs 8c de grâces qui concernent ce
droit, fi bien que cela eft un revenu très-im­
portant à la Couronne» 8c rend meiîne plus
que ne fait toute l’Efpagne.
1JI Afin que tous ces droits 5c ces revenus
ibient reçus avec fid élités avec certitude ,
& mis dans l’Epargne du Roy, on à commis'
dans chaque Province des Officiers Royaux
tirez de la Chambre des Comptes, 5c ces Of­
ficiers ont leur Subftitiu dans les lieux où ils
«P.
b^UNE C ham B. de s C o m p t e s , i j ' f
ne peuvent aller en perfonne. Outre ces prin­
cipaux Officiers » il y a encore un Fadleur ,
pour avoir foin de voir & de remarquer ton­
tes les Marchandifes fur lefquelles on peut
profiter^un Procureur Fifcal pour avoir foin
des vivres & des munitions de guerre , tant
par mer que par terre,un Ecrivain du Roy ,
qui a foin d'écrire tous les ordres qu*on en­
voyé par toutes les Provinces, & de tenir
Regiftre des Mines & des Navires. Il y aau/îî.
d'autres Officiers qu’on nomme Teneurs de
Livres , qui pour le foulagement du public
tiennent Regillre de tout ce qui entre & ibrr^
afin d’en informer leurs Supérieurs. Tout h
cela pour faire une recepte exadfe de tous les
revenus du Roy>aprés quoy on aÎTemble tout
Ce qui doit chaque année eltre embarqué
pour TEfpagne dans les Gallions du Roy »
tant pour ion compte que pour celuy des
particuliers : ce qui fe monte â plus de cinq
cent cinquante millions de marcs d*or 6c
d’argent, qui fe trouvent enregiftrez dans la
Chambre des Comptes du Confeil Royal des
Indes 3 fans y comprendre ce qui vient qui
n’eft pas enregiftré ; car ileft certain que la
troifiefme partie de l*or, de Targent & des
autres richeiTes qui viennent des Indes, ne
Tefl pas. Cependant on compte d'enregifiré
de la montagne de Votofi feule, depuis 15:4
juiques en 16^7. trois cent millions de marcs
d’argent j tout ceci encore fans compter les
pierres precieufes, comme rubis , granats ^
émeraudes,agathesjbezoar & autres choies
de grande valeur,ians compter encore,!e co-
j:ailjla coccnille, l’indigot,leiucre, le tabac.
ÊTAB1ISSKMENT
I‘ambrep;ris,ie bois de campefche, les ciiirSÎ
la caife ftilulee^Ie cacao, de quoy on fait Iq
chocolat.
Aquoyfc Enfin , les revenus ordinaires que leKoy
montent d'Eipagne tire de l’Amérique fe montent à
nus^qurie deux cent cinquante mille li-
Roy d’Ei. vres de noftre monnoye ^ ce qui fe doit en-
pagnetire tendre franc & quitte de tous frais. Et bien
CCS revenus du Roy ibient fort confide-
’ rabies, l*on peut dire qu’ils le feroient infini­
ment davantage/i Tes Sujets ne le fraudoient
I. point.
I -i Apres le dénombrement de tout ce qui efl fous lis
domination du Roy d*Efpagne dans î*Amérique y
. on peut voir dans la fuite ce que les plus grands
»arques de l'Europe y pojfedent.
<t »

C h a p i t r e V I I J,
'B f a t des p a ïs q u i fo n t a u x plus p u iffa n s M on a r^
ques de 1*Europe dans l*Arneriqucm

eRoy de France poiTedè beaucoup de


L pais dans 1*Amérique Septentrionale ,
appellee nouvelle France, Il ne fera pas hors
de propos de dire icy un mot de fongine 6c
des progrez de l’établiifement des François
Í. dans cette grande partie de 1*Amérique Sep­
tentrionale, & d’en faire meiiueune courte,
mais exacfle deicription , afin que les Fran­
çois qui n*ont jamais efté fur les lieux , 6C
qui s*intereÎTent à la gloire de la Nation ,
puiiTent connoiilre par l’etcndue, & parla
beauté de^ce pais,davantage 6c Tiinpoitan-
ce de cet ccabliiTcmenc. Touç
^*UNE C h AMB. PTES.
Tout ce pais eft extrêmement étendu ,
principalement du cofté du Couchant, ou
Ton fait tous les jours des découvertes confi-
derables. Le »rand Fleuve de Saint Laurenc
le divife comme en deux parties ; l’une Sep­
tentrionale , l’autre Méridionale. Ces princi­
pales parties font, VAcadie^ le Canada , le Sa^
guenay^ le Pats des Murons , des Iroquois^ & au­
tres.
^Les Normands en découvrirent quelques
côtesen Pan 1508. puis Jean Verazznni y
fut envoyé en 1 5 2 4 . parle Roy François pre­
mier, ôc en prit poiTeiTion en ion nom, & fut
le premier quidefeenditen terre ferme de ce ir
côté-là, 5c en découvrit plus de trois cent
îieuës. Jacques Quartier y fut en fuite en
1^54. & entra aiTez avant dans le pais, que
Ton commença à nommer alors la Nouvelle
Prance,^ dans le ^rand Fleuve de Saint Lau-
rentjOÙ peu à peu on fit qnelques habitations
Françoifes; m aison y eftoit en fort petit
nombre jiifqu’en i6 o q , que le fieur Samuel
Champlain y f u t, 5c y établit quelques Co­
lonies vers l'Acadie qui en fait partie. Puis en
i(^o8. il commença à s’habituer à Quebec,Sc
à quelques autres endroits de .la grande Ri-
viere,en forte que l’on peut dire que c’eft luy
qui a fort contribué par fes foins , & par fes
divers voyages, à l’écabliÎTement des Fran­
çois en ce grand païs.
La ville de Quebec en eft la Capitale, fei-
tuée (ur la fameufe Riviere de Saint Laurent»
où il y a encore les habitations de Mont-Rcal^
les trois Rivieres, Port-Roy»!, Saurel,ou Richert
le Cap ClofOnbly^ 5c le Fort Frontenac , 5C
en-
'tSo E t a b i t s s e m e k t
entre les Lacs les plus remarquables , il y nîé
tac Supcrieitr , \c grand Lac des Hurons, le Lac
triéy le Lac des iVmois , avec d*autrcs qui ne
font pas d*une fi vafte étendue : La grande
Jjle de Terre Neuve fait auiTi partie de ce païs,
iiinfi que celles de VAjfomption^àç. Saint lean ,
6 c du Cap Breton ^ qui font dans le Goîphe de
Saint Laurent,
Louys X I I I . d'heureufe meinoirc,donnâ
ordre d’y envoyer du monde de temps en
temps 5& fît mefine rendre par la paix de
8 . quelques places donc les AnQ;lois s’é-
toient faifis en ce païs-là , 5c y établit une
Cqmpacinic de Marchands pour le trafic , ce
qui a eilé aiTcz avanta[^eux : mais comme
Fon n"en prenoic pas trop de foin , on peut
dire que la Nouvelle France n*a commencé à
fe bien peupler, que depuis l*an i6 6 o . qifon
y a bafty des habitations confiderables , au
lieu qu’autrefois c’étoit des maifons fort
éloi,^nées les unes des autres. De plus, on y a
établi un Eveique , des Maifons Relii^ieufes ,
des Officiers , des Gouverneurs , Sc on y a
envoyé â plu fleurs 5c divcifes fois des trou­
pes re.^lées qui ont battu les Iroquois. Mais
prefentement je puis aiTurer que j*ay laiiTé
les François fi forts dans ce pais, qu’on les
void plus en état d’en chaffer les Efpa^nols
6 c leurs autres ennemis , que d'eilre chalfez
par eux. En effet, s'ils attaquent c’eft avec
iuccez, s’ils font attaquez , c’eft toujours
vainement.
Outre cela , le Roy de France poiTcdc en­
core les plus belles, 8c les meilleures Ifles des
AiuUles^^nï foatjîâ moitié de Saint Chrifiopke^
comme

(« *<
.1 f
C h AMB. DES C o m p t e s . 2 Sf
Coirme auflî la Martinique^ Guadeloupe ^
Marie galante ^l^Grena de ^Sainte Croiz.^]-^ Tortue^
dont les Habicans qui ibnt François ont an­
ticipé la plus grande partie de ITJle de Saint
t>omingue^ ils ont auiTi Tlile de la Cayenne^ Sc
nu premier ordre de leur Souverain Louys le
G rand, ils ponrroient en avoir encore bien
d’autres, puisqu’il ièmble que le bruit de ies
Conqueftes les anime à en faire dans ce paisj
où ils s’étendent autant qu’ils veulent. Je dis
nncant qu’ils v eu len t, careftant Sujets d’un
fl grand Roy^ il iemble qu’ils foient nez pour
eiire maiftres par tout.
Au reile , ce pais eft aÎTez peuplé pour
former une armée dans le befoin , & aiTez
riche pour rentrerenir,puis qu’il fournit tout
ce qui eft neceÎTaire pour les Habitansj com*
me de toutes fortes de vivres pour leur nour-
.riture, &. de Marchandiiès pour leur profit ^
& cela prefque tout pour l’ufâge de ces
rnefmes Habitans ; car on peut dire que le
Roy de France ne maintient pas tant ces
Colonies pour l’avantage qu’il entire , que
pour l’utilité qu’elles en reçoivent elles-
mefmes, & pour la gloire du Nom Fran*
$ois.

Le Roy de Portugal poiTede une des plus


âgreables, 5c des plus fertiles pai ries del’A-
merique , qui eft prefque trente Méridionale
du cofté de FOcean, à commencer depuis la
fameufe Riviere des Amazones,]uÇques à l’Iile
de Saint Gabriel ^ proche de la Rivieie de U
Place, Dans cette longue étendue de pais qui
contient plus'de fepe cent quatre-vingt lieues
Yonc

"f
ExABtlSSEMENT
fcnt ces places, Para, Chirmos, Jijaverifamo i
1.1 le tout dans la Province d‘Omagua, Enfuitc
toute la coile de Maragnan , & du P reù l ,
dont partie a autrefois appartenu aux Hol--
landois,qui Pavoient pris des Portuîais, qui
depuis Pont repris fur eux. Ces pais fournif-
lent quantité de Sucre, de Tabac, de Rocou,
de C otton, de Cuir ôc de Bois qui fervent à
I ' la teinture.

Le Roy d’Angleterre ne poÎTede rien dans


î’Amerique, qui ne ioit fcitué dans la partie C:
Septentrionale. lia â lacoftedu continent
du cofté de POcean, depuis le CapArina jui^
qu’au C^p Berry,la Virginie, qui donne pour
Marchandife du Tabac. II a encore la
"'velle Hollande , qui a autrefois appartenu aux
Hollandois, qui l’ont cedée par le dernier
í' :I traité de paix au Roy d’Angleterre , &. ne
laiifent pas d’eitre encore anjourd’huy peu-
plée d’Hollandois » Sc s'appelle la Nouvelle
York : Ce pais donne beaucoup de fourrures,
comme au fil la Nouvelle Angleterre , & outre
cela ils fourniiTent encorequantité de vivres
qu’on porte aux liles des Caraïbes, nommées
les A ntilles , où le Roy d’Angleterre poiTcdc
les lilcs fiiivanies, qui font la Barbade, où cil:
le General de toutes les autres. Antigua,Mont^
farata , Nieves, la moicié de Saint Chrijlo^he ,
Languide, Saba, la Barboude, 6c enfin une pc«
tite partie de Pljle de Terra Nova,
Les Anglois ont autrefois tenté de Colo-
nifer Santa Lucia^ rnais inutilement. Les pais
dont je viens de parler fourniiTent quantité
, de Sucre , d’Indigot, de Giu-
geaabre
) '
I <

' I . 111
b ’a x E C h A MB. D E s C o m p t e s ."
i^Giiibrc 5c dc Cotton, L IJle de lit lam aïque
d t prefencemonc fous fobeïiTance de ce
lîiefmc Roy : E-lle fut prife par les Anglois
penJant que Cromwel gouv.crnoit fAn-
glererre en qualité de P rotecteur, & que
Pnilipe IV. regnoic en Efpagne.

^ Les HoIIandoisont aufll quelques contre'es


a cette niefne coite, fç a v o ir , Aprouwaca
Baurom ^ Suriname , i5c Berhice , où iis ont des
C olonies, mais fort pauvres. Outre cela ils
ont encore quelques liles, comme Taba^o
dans les A ntilles , que les François leur one
priles dans les dernieres guerres , 6cen fuite
abandonne. Ils poiTedent auiTi la moitié de
Smnt Mart m ài. Saint Euf l ache. Toutes ces
lües lont Itenles, 8c ne méritent pas d’eitre
peuplez, lis ont encore à la côte de Caraco,ou
ivOyaume de Val^ouvelle Grenade ^ vis à vis là
Province de Venek.uela , les liles de Curaçao
Bonatre, 8c Aruba ^ qui font les meilÎeures ^
non pas pourries fru its, ou pour les Mar-
chandifes qu elles rapportent, mais pour lê
profit qu lis en tirent a cauiè du commerce
des Noirs q if ils fonç, avec les Erpagnols.^
k i

3 ^^^bnerbark V une^perite Iflc


dans celles q u ’on nomme depen-
ie n t ^ c s Antilles. Il y e n c o r e ati;oufd*huy
un Gouverneur qui la’poiTede au nom du
Illefe nomme Saint fho?nas,
^Lç ‘ Curland''a éfté le premier qui a
Co\omzttT^^^ l’ayant apiesneglr.-
® g à r f i i r o n f M e lîi eurs
‘ilctzelandé ÿ en-voÿerent un Na-
Tome l u ^ ^
zS 4 ETABtiSSEMEKr
v i i e , & en prirent poÎTeflion , prenant Ici
^arnilbn â leur fervice , jqu'ils ont toujours
depuis payée 6c entretenuë.

J ’aurois pû ajouter encore la maniéré ,


dont les Princes que je viens de noinmet
— a • • %

ç>ouvernentccs Colonies» comme j*ay fait à


Pe2;ard du Roy d'Efpagne ; mais il y a des
il
Relations pleines de cela. C*eft pourquoy je
h"ay voulu rapporter icy que les choies qui ", ^ •

regardent particulièrement le Roy d*Efpag-*


ne , dont perfonne n*a encore jamais parlé 9
à caufe qu*il eft expreiTément défendu à
tous les Etrangers de commercer , ny meÎ^
me d*arreiler parmy ces Colonics>ibus quel­
que prétexté que ce fo it, à moins qu’on ne
VLieille s'expbierà perdre Tes biens 6c ia li­
berté , d’où L*on voit que les meiînes chofes
que les Eipagnols ont publié par vanité au
commencement de la découverte des Indes i
ils les cachent maintenant par politique*-.
On demandera, fans doute , par quel pr^;
vilege j*ay donc pu demeurer dans.ee païs^
aiTez long-temps , pour fç^avoir toutes les
particularitez que i’yiv E^pjçr^Çi, 6Cr pat-queî
moyen une piece auiïî fècrete,6c auiïi im­
portante que- ce .ManulçnCo rombec
di^DS ;rhcsmàinSf^ c*eft-c^ que,- je édois taire
pour bien des f aifons ;•&' d'ailleurs, je fuis
perfuadé que chacun )( pour fatisfaire fa cu-
ribiité., fé contentera.de.lire ce Manufcric i
^ansje mettre en peine comment j!auraypu
l avoir. ,
Cela fait, çonnqiRrc. que plus' les'Eipag­
nols aporcent. de foins .6ç’ de-prccautipiiï
pouî
CîTAMB. DES C oM P T E S;

J5our cacher les choies , plus les Etrangers


cherchent 6c trouvent de moyens pour les
découvrir : Je pre'tens mefme que ce font
toutes ces précautions qui animent davan­
tage à les vouloir découvrir. 11 cft vray que
les Efpagnols font naturellement myfterieux-
mais auiÎi peut-on dire , qu’il leur eft de la
derniere importance de Teftre dans cette
occafion , pour öfter la connoiiTance de ces
' chqfes 5 6c qu’ils font tout le contraire de ce
qu*il faudroit pour y téüilir.
Par exemple j*en fçay tel qui auroitpaiTé
outre , fans fonger à entrer dans ce pais ,
encore moins à s’informer de ce qui s*y paf­
fe, files Efpagnols ne deffendoient exprefl
fement Pun 6c l’autre ; car c’eft l’ordinaire
de négliger ce qui eft permis , 6c de recher­
cher ce qui eft deffendu. Cependant comme
cela eft caufe qifon a apris beaucoup de
particularitez fingulieres , qu’on n’auroic
jamais aprifes , les Voyageurs 5c les Curieux
ont grand intereft que les Efpagnols n’en
Uièntjamais autrement, 6c que je ne m'ex­
plique pas davantage. Peut-eftre mefme ne
me fuis-je que trop expliqué; car enfin fi
cet écrit tomboit entre les mains des Eipag-
nols, ils pourroient profiter des avis que je
leur donncj 6c ce n’eft pas mon intention*;^

f i n ;

N Z TA.
^ i;* ’?»***************'*******»******
************************************

T ABLE
D'ES M A T I E R E S
contenues en ce fécond Tome.
: . >
; A
CcuUn% qui fait changer les chofes de face^
» loi

I I
Zlàre^^e d’un Commandant pour empefcher Tes
gens de s’enyvier, ^^^
AdreiTe de quelques Soldats à tirer fansbleiTer
peribnne, 9^
'Amiral des Avanturiers. Ce qu’ils luy donnent 6c
a u x autres Officiers de la Flote , ^ 84
Anglais 6c François fe feparent, 24. puis s’aiTem-,
blent pour une grande entreprife, yy. leur nom-'
bre, 7^
;Ii A n g la is , état des pais qu’ils poiTedent aux In­
des, ’ 28a. 283
Antip^.thie de quelques Nations, décrite 6c dcplo-
^ _ réeparl’Autheur, ’ ^7fî
Apelà^an Anglois à uq François. Punition exem­
plaire,
Aprache de Panama, Legere efcarmouche, 124
A(^uada Gyanda» Rftde oules Avanturiers font dci-
cente, , ^9
Archevefehez, Pvefchez, 8c Abbayes de Lima,
de Santa Fe, de laPlata, de Mexicjue, de Viße
£j}agnole, de Manillii : LeursSuffragans, com-
: i’ me.
DES m a t i è r e s .'
ïhe , Doyennez , Archidiaconats. Le ilombré.
de leurs Chanoines , Aumofniers , Chantres,
Treforiers , Maîtres d’Ecole , avec leurs reve­
nus en general & en particulier,
'Armée Elpagnole deffaite, 12y ,
Audiences Royales des villes de la Rlata, de S.,
Tl ago, de Santa Fede Ragota, de S.Francifcù^
de ^ i t o ♦ de Fanama. Jurifdidlions , Ban­
lieues 6c Charges qui en dépendent, 8c leurs Of-
, liciers, -4y. 246. 247. 248. 249
Avis que donnent quelques prifonniers, 104
Avantître d’un homme pris par les Angîois,y7.
rs
autre Avant are bi zarre, 140 .14 1
Avanturiers cvitowïQzàQ la Cavalerie Elpagnole,
21. Font fauter une redoute , 29. Réduits à de
grands befoins,^^. Trompez dans leur atten­
te , ti2 . S’oppofent au Preiident de Panama:
Il les fait fommer, leur réponfe, 37. Ilsmon-
•tentàlabrefche, 8c vont attaquer leurs ennemis
retranchez» 103
'Avanturiers grands amateurs d’eau de vie. Di­
vers incidens que cette paihon leur cauiè, 44.
167. 214.217
/.’./Î/^i^e^rrepaife en Europe. Occaiion favorable
• qu’il trouve, 231

B
Aye de BÏukveît, Pourquoy ainiî nommée^
B 180
B^^^jî’c^jaufquelsleRoy d’Eipagne pourvoit dans
l’Amerique , leurs revenus > 25*3. 25*4. ayy.
Leurs dépendances» 276. 2/7. 278. 279.260.
261.262
*' ■ N 3 V Rrade^

'isÿ ^
m
>vi:XV

TABLE
Capitaine Avanturier rend compte de Ce
qui s’eft paiîe. Diilribution du Maïs. Pillage ad­
jugé. Navire qui vient fort à propos, Sz
qui coûte cher, 47
’Boucaniers abordent le Vailîeau de Mombars,leurs,
prefens,regal qu’on leur fit, 214.
Butin à^Borto-bello» Sa valeur. Gens qui en pro­
',"‘i
fitèrent 1e pi us, 57. Du Tort au Prince, 2j
De Panama à quoy Îe monte. Mécontentemens
desAvanturiers^
1

A n a f l r e c*eil,& comme on en peut


C vivre, 114*
Capitaine Efpagnol prifonnier. Avis qu’il donne,
1^7
ordinaires que les Avanturiers font au
partage du Butin, yx
le Cerf-volant. Bailiment de Saint Malo. Delïèin
de Morgan fur ce VaiiTeau, 59.40. Plaintes des
Avanturiers. Sa diflimulation, 41
chagrin qui fe meile à la joye des Avanturiers,
107
Charges des Chambres des Comptes, ou Confeiî
Royal des In des, 241
ChaJJepartie, remarquable avant la prife de Pana­
ma, 8y. 86

Çhajfeurs à gages, dont les Avanturiers fe fervent*
78. Ce qu’ils peuvent fornir par jour, îbid*
Combat naval, où l’Avanturier exterminateur a
remporté la viéloire, 222.225
Cornedie)Q\iQç. dans un College. Incident remar­
quable à ce fujct, 210
Comcdie changée en Tragédie, 9^
Cûsn*>
P' '<
D ES M A T I E R E S :
Commerce des Indiens & des Avanturiers. Pour*«
quoy rompu, 171.17X'
Commißions aux Officiers de la Flote, en vertu de
quoy elles ont efté accordées, 87
Comparaifon de nos maniérés avec celles des E-
trangers. 198
Condition d’une Ohaiïèpartie, ip
Conjuration découverte, 14^
Confiance d*un Efclavedans lestourmens,
Confiernation des prifonniers qu’on veut emme­
ner » 1^6
Coup de Maiftre fait par le Commandant des Avan­
turiers. Riique qu’il court, i y i .i y 2
Co«/> manqué, 88
Coral. Lieu où les Efpagnols nourriiïènt des Porcs*
Comment conftruit,
Courage 8c efforts des Avantuiîers, 10z
Crainte di ffipée, 175
Crocodiles qui c<;^prentaprès les hommes, ' i^
CrocodilesÔLQVliÜQàQQxùyx dangereux. Chaflè de
ces animaux , 226. Moyen de s’en garantir,
Ibid. Raiibn de leur aipreté fur les hommes.
227
Cuirs, il eiHmez en Europe. D ’où ils viennent,
12

Anger extrême des Avanturiers > 74'


D Danois. Ifles 6c Terres qu’ils occupent dans
les Indes, 285
Décharge impreveuë, 47
Z>^/é pénible, 125*
Départ des Avanturiers pour la Jamaïque. Leur
bonne difpoiition, 250
N 4 Def*
Illi-Al
,i
TABLÉ
Pefcente conjlderable à t I'Avantuner Extermi n£»
teur, vengeancequ’il tire de lamortdefon On-
224.22^
J>efcentes des Avjinturiers à terre , 80. Ce
i I; 1i cju’ils trouvèrent dans un fort, 5-2. Combat
, / h? prifed’unBourg, 80
T>efcription d’un Canot pris furles In-
diens, 1-^5
Deicription du Vort de Sa>int Lft-urent, p8. p’p
De l’ancienne ville de Fan(tm;i, Scde la moderne,
rebaftiefur laRiviere appelle Riogrande, 1^5
Defefpoir delabelleEfpagnole , ' 149
M- d Eftrees donne la chaiïe aux Avanturiers. Sa
gcnerofité, ^4
Hîjpofition des Avanturiers, de crainte de fur-
. 1 1 9
jyiverfité de penfees, j 08
X)îX/nes Ecclejmjîiques de l’Amerit^ue accordées
par le Pape auRoy d’Efpagne, 274
Dont ^lonfe vaincu a l’entree du Lagon ie fauve
àterre, 8cferetire dans import, 69. Il lefufe le
paÎTage auxAvanturiers, 72. Sespréparatifs pour
lesempefcherdepaiTer. Defefpoiroù ilfe trou.
^ ve. Prifonniers renvoyez,
X)om Ramirez de Leiba Gouverneur à t Sainte Ca~
t her ine ,'pi'iÇonmfi » jc(5
Pourquoy un des
Droit delà Bulle de la Croifade.
plusgrands revenus duRoy d’Eipagne ,27^. 276
DmYjduRoy d’Efpagne dans l’Amérique , 26p.
Sur quoy 8c comment fe lèvent, 266. fu iv ,
27 X

I
I
DES MATIERES.’

' iîngulier de la peur, 148


E t Zmb(irYa4 des Avanturiers. Efclave qui les en
tire , 160.8ccomment? 161.26z
J,nfans perdus » ordre qu’ils obfervent en tirant,
1 26
Bj^ugnols, combattent jufqu’à Textremité. Ré*
ponfe d’un Major Cailillan follicité de fe ren­
dre , 3^*3^
enquoy aufîi coupables que les Indiens
idolâtres, 194
“E tat Ecclefiaßique de l’Amerique , 8c Benefices
auiquels le Roy d’Eipagne pourvoit, zyo
J brûlées, à quelle fin, 139
Expedient^ qui l'euffit, lo i
Experience des Efpagnols , 48. Leur alkrme ,
49
Extrémité des aflie^eans > 10o. i o i

F AuiTe alarme , 142


Femmes efcUves ^eïcécsde flèches, 1S6. Sin­
gularité de ces flèches, 188
Femmes pâmées, 8c comme mortes, 149
qui fait voile pour 109
Forpats qui fervent dans une grande cntreprife,
96
de Dom Alonfe i fon deÎTein, 70
Fort» difficile à trouver, que l’on découvre au bruit
du canon, 99. Eflét terrible, 100
Fracas étrange, SLïiivé pendant qu’on tenoit con-
feil, 42
N Fran-^
TABLE
qui leur appartient dans PAmerîqu&j
com m eat ils s’y font établis, & dans quel temps,
ti:
278.27<^. 280. 281
t

AÎere des Indes , ce que c’eil, 84


G Gens effroyables, 124.
Gouverneur de la Jamaïque s’oppofe aux Avantu-
U1 riers. Ce qu’ils entreprennent à fa veuë, 235

H ArdieJfe des Avanturiers. Ce qui s’eft paiTe


depuis peu à leur égard, 233.234.
Hatos , ce que c’eil , & à quoy utiles aux Espag­
nols, IX
Hiftoire d’un Avanturier EjpagnoU Comment
il fut décou vert, 162. 163. Son portrait,J^/V.
Suite defonHiiloire, 164. lôy. 166.167. i 63
iiiftoire que recite l’Avanturier exterminateur,
210
liollmdois, liles Sc contrées où ils font dans les In«
des, 2S3

I
AÎoufie & murmure des Avanturiers contre leur
11 J Commandant, 141*
Impft fur la laine de Vigogne, le vin, l’huile, le
papier timbré, le poivre : comment établis, leur
Il I valeur, 272.273.274,
Imprudence de quelques Avanturiers, 130
Indiens , pourquoy appeliez Indios bravos ? leur
. origine,

!l
D ES M A T I E R E S ,
origine , leur courage ôc. leur adreiîè,

Indiens qui tombent des arbres 5c emportent des


hommes, 1 74. Leur agilité 5c leur force ,17 5 '.
Pourquoy il fe font la guerre, i y (J
Indiens réduits à dire la vérité,
Pourfuivis par les Avanturiers, 11
, Ce qu’ils leur crient de loin,
In citiifitio n y en quels endroits de l’Amerique elle eil
établie, 2y 3
J o u r n d de la marche des Avanturiers à Panama,
5c de ce qui leur arriva de plus remai*quable, 109.
- iio .^ ^ fd v a n te s ju fq u e s à n d
I jle d e C u b a , comme elle eil aujourd’huy. De*,
fcription de tout ce qui s’y rencontre, 9. lo. ^
fu iv .ju fq iie s a ig
I jle d e S a in te C a th e r in e . Dénombrement de fes
fortereiTesScdefesprifonniers, 95.^94.9^
Ijle s que l’on connoift habitées à l’odeur des fruits,
174

A c h e t é des Eipagnols, 63
Î L e t t r e s interceptées, 23
L e t t r e ^ é tr a n g e q > r e fe n t qu’on envoye aux
Avan­
turiers, 66
gabionezdefacsde farine, . 128
L o u y s S c o t Avanturier contraint de fe*retirer du
. pais des Indiens, J74

N 6 Maniera
Anhre nouvelle deprendre le?places,&:de
ménager les Gouverneurs, 9 1 • 94
Mftnfvclt Avantiif ier prend Tlfle de Sainte Cathe­
rine , 8c pourquoy >i ^ • Y met un Gouverneur,
r tâche d’obtenir une CommriTion pour la pof-
feder >4. ^ deiïein de prendre les Villes de
f Nata Cartage, y. PaiTe à la Tortue pour
, f, obtenir une commiffion. Sa mort. y
Mataça où l’on a battu 8c pris la Flotte des
galions du Roy d’Efpagne ? chargez de richeiîès
immeiifes, 16.17-
^Marche delà CavalerieEfpagnole, i ly
Manvaifenouvelle c^wqIqs Avanturiers reçoivent,
64.6f
^îaterias, ce que c’eil:,à quoy utiles aux Bouca­
niers, 12
Mines (l'or 8c d'argent qui n’ont point encore eilé
ouvertes, ^ 9
Moines enlevez,8c les femmes réfugiées dans leurs
Convents,29. Aquoyréduits,
Mcmbain, arbre femblâble au Saule. De quelle uti^
lité, 14
Mombars Avanturier, poiirquoy furnommé I’T a*-
terminateur Caufe de fonantipatie pour
les Eipagnols, 2oy. Moyen qu’il trouve d’aller
contr’eux, 207. Le carnage qu’il en fait, 208.
Son intrépidité; fon portrait , ïbid^ Comme il
va avec les Boucaniers contre les Efpagnols, 21y.
Paroles qui arreilent fon impetuofité, 216. Ses
exploits, 219.220. Combat naval, 222. Def-
I , cente confiderablc, maifacre des Indiens ven-
ge> 224.225*
■* Moygtit^

\I
DES MA'TIERES:
Moy^ân îniigrie A vrinturier. Sa naiiTance, Ton Bon-
Jieur 6c ion genie, i . i . 3. En quelle eilimc il eil
parmi les Av^anturicrs, 8. Comme il prend les
Villes de Port au Prince, iS. de Porto Bello, 2.9.
6c les Forts qui la déFendoient ,3 0 .3 1.3 1. La
Ville de Marecaye, y3. 6c fe rend mailtredela
i iùmeuie Ville de Panama, i^o
Sa fuite, 6c le vol qu’il fait, iy4» 6c enfin com­
me il eft à la Jamaïque, Ibid,
Mort differente des vainqueurs 6c des vaincus, 3 3
Motifs du Roy d’Efpagne pour I’etabliiTementde
la Chambre des Comptes, 242

Ageràfec, genre de cruauté que les Avantu-


N riers exercent,
î^egociation, 6c fon fuccés,
Ci
163
JSlejadtt, Medut’ AnatO' , droits qui fe prennent fur
îes Benefices, 6c comment? 175-. 176

Bjet pitoytihle, i of
O 6c Matelots que PAvanturîcr exfer-
minateurepargna. Raifon pourquoy, 213
Officiers qui gouvernent dans l’Amerique fous l’au­
torité du Roy d’Efpagne, 243
Officiers du Royaume du Pérou, 244. Jurifdic-
tions. Banlieues, 6c Charges dépendantes de cette
Audiance, 24^^
des A vanturiers pour pailèr, *72.
Ordre 6c magnificence de Parmée Eipagnole ,
126
Ordre
TABLE
Orâfe que la'Chambre des Comptes obferve aiî
fujet des Officiers qu’elle établit dans les Indes»
^77
Origine, ceiTation, rétabliiTement 8c reforme de h
Chambre des Comptes des Indes > 240. 241.
EtenduëdefaJurifdiétion,242. Temps auquel
elle donne audiance, 245
Origine du commerce des Avanturiers avec des cer-
tainslndiens, 19 0 .191, Leur mépris pour ce
que nous eiHmons ; raifons qu’ils en donnent :
leur gouvernement, 192. Sentimens qu’ils ont
de Dieu 8c de l’ame ; ceremonies de leurs maria­
ges , 194. 195'. Leur maniéré de vivre ; leurs
vilites, Î96.197. Ce qu’ils obfervent à la mort
des uns 8: des autres, 198. 199. Comment les
efclavesNegres font v^enus chez eux , 201. Re-
mede qu’ils font dans leurs maladies, 202. Leur
fübrieté, 203

Anama^ *71110 fameufeprife par les Avantu«*


P ri ers, 130. Ce qu’ils y trouvent, 133.
Comme ils la brûlent: bruit qu’ils font courir ,

Tarticuîfiritez. hiiloriques ilir la perfidie de Mor­


gan, 232. 233. Reflexions des Avanturiers fur
fa conduite, iy6- lyy. iy8. iy 9
fitrtys envoyez apres les fugitifs, 5-4.60. 61
jPavillons des Avanturiers differens, 87
T/tys des Indiens non réduits, bon à habiter, 173.
Marques aufquellcs on connoifl qu’il y a de l’or :
équipage de leurs Notables, 172
^ap(\uc les Roys de Prance, à*Angleterre , de
Portugal, de Dannemark , 8c les Hollandoi<i
poflè^
D ES M A T I E R E S ,
pofledcnt dans les Indes, 27 8. ^ fuiv.jufyues 3
‘ 284.
Terte confiderable d’un Marchand ,
Tierre de Bezoar, fa rareté, 6c de quoy elle s’cngerw
dre, 275
Pierre Picard Avanturier François, Propolîtiori
qu’il fait, 5*0. Il preile d’aller à Gilbratar, yy*
Endroit où il fait defcendre les Avanturiers, y5 j
Prifonniers qu’il ameine,
P//ir^jpropoféesdansle Conièil des Avanturiers j
Attaque de Panama refoluë, 83.84
Pluyè furieufe 8c longue, 89. Danger où elle met
les Avanturiers, po-pi
Pluye de flèches fans voir perfonne, Coups tirez au
hard font tomber des hommes : Indiens perdent
leur Chef, 119. 120. Ne font plus que voltiger
autour des A vanturiers, 12 1.12 2
Pointe a Diego, pourquoy ainii nommée ? 17
Politique d es Efpagnols, 111
, petite Ville dans Plilhme de Panama:
defcription de ce que l’on y void, 26.27
PortHguais , grande partie qu’ils poiTedent dans
l’Amerique Méridionale, 281.282
P orfuguais attaqué d’un Crocodile, ce qui fe pailè,
228. Sa deftinée : aveu de fon Eiclave ,229. Ses
bleÎTures 5ce que l’on trouva de remarquable en
le penfant, Ibid. Sa mort : quelle elloit fon hu­
meur , 23»
Pot enfoüi dans terre, à quel deiîèin, yo
des Avanturiers, pour n’eiire point dé­
couverts, 2,0.97^
Prélats de l’Amerique, d’où ils font tirez, le nom­
bre que l’on en compte jufques enl’année 1680.

prefens 8c rafrakhiiTemens que les Efpagnols en­


voient

i
T able
voÿent âiix Avanturiers. Remercimens quMÎs
3^
Le Vrefident de Timamat ce qu’il fait pour délivrer
Portobello, 34.
frife du Vort S. Lm rent, nombre des aÎTiegez qui
y refterent en vie, 105
^rifonnier échapé de Portobello j ce qu’il fait,
27,28
'^nfûnniere Efpagnole d’une beauté furprenante;
fon portrait j ion Hiftoire, 141. 142.143. 144
punition d’un Efclave qui avoit trahi ion Maiilre,
da

XJehrAdd ohfcHY^ , pourquoy ainiî nom­


mée, 119

R Ancherta place où les Avanturiers vont pour


,

avoir des vivres, 77


fon des Efpagnols, 37
Îiejlexion de l’Autheur fur la défaite des Efpagnols,
6c fur le peu de perte des Avanturiers, 129.Rou­
te du vaiiTeau où il eftoit jufquesau Cap Gracia h
Dios, 178. 179. fmv.jufques à 190
JReJIexions des Avanturiers, où la mort ne fe mêle
jamais,
JSiegifire de la Chambre des Comptes des Indes, où
l’on void à quoyfe montent tous les revenus du
Roy d’Efpagne par an, 6c depuisla conquefte de
cepaïs, 277.278
Religion des mciens Indiens* CiirioÎltez à ce fujet,
} 9h
DES MATIERES.’
'195.19^. Devoirs qu’ils rendoient a leurs mort^
200. Hidoireà cefujet, 201
R e m a r q u e importante, 81
R e m a r q u e s CurVei^Qt que produifentlesliles dans
la mer, 6c fur la forme de la terre des Indes, 189.
190
Remontrances des Efpagnols au Prefident : leurs
conventions avec Morgan,
R e fifia n c e vigoureufe des Eipagnoîs, i oj
R e fo lu tio n des A vanturiers ,67. Propoiitions qu’ils
font, 68
Reiowr des partis envoyez, igy
R ic h e jfe s du vaiiîeau Efpagnol où PA vanturier Ex­
terminateur fe iignala, 212'
R o u te que les Avanturiers fe font, 99
R t i f e des Mulâtres pour attirer les Avanturiers dans
une ambufcade, 46
RuJ'e de guerre remarquable, xi-j :x 18

-^cs defarine découverts Sctliilribuez, 1 14"


S Sentinelleealewéei traitement qu’on luy fait,
28
Separation triile, 8c fes diifirens effets, i yo. i y i
Simplicité des ÎGinmcs Elpagnoles prévenues con­
tre les Avanturiers, 142
Singes de differentes fortes : leur inilinit, 182.184,
i8y. Comment ils fe défendent ^ leur adreile
à fauter d’arbre en arbre quand on lespourfuit j
6c à fe guérir quand ils font bleifez, 18 2. Com­
me les femelles portent 8c nourriffent leurspe-
tits, ly^. Moyen de les prendre, leur induftrie
à paiTer les rivieres, î Sj
Soins des Avanturiers apres leur viéloire, i oy
SQumi}\

îi

i
T A B L E
Soumijfion remarquable des Avanturiers envers
leursOfficiers,
S p e c t a c l e touchant,
S^ Simon Gouverneur de l’Ifle de Sainte Catherine,
ForceSccommoditezde cette lile, 4. Occupa­
tion des Avanturiers pendant fon gouvernement,
7. Les Efpagnols la reprennent, 8. Rufe dont ils
s’avifent, jbiJ.
Santa Cruz ,^oux(\Vi(jy ainfî nommée > Hiiloire à
cefujet, ^ 17.18
Stratagème d’un Avanturier, SS
Sabtilïté des eipions Eipagnols, 1 1x
Succès qui anime les Avanturiers, i ot
Succès d’un Brûlot, avantage des Avanturiers,
6^

T A la e de Seville fes propriétés quel uiàgé


, ,

onenfaitdansl’Amerique,
Trahifon d'un Efpagnol, 1o
J'rm perie lignalée, juftice que l’on en fit, iyo

Ainquetirs jCommç ils ohCervent I’ennemf;


V gent,
& gardent un vaiiTeau échoüé, & plein d’ar-
^ yi
Vaijfeau pourquoy nommé Coaquin^ 70. Autre qui
ie j oint à Morgan, 2f
Vaijfeau charge d’o r, d’argent , de pierreries, &
de tous les treibrs de Panama , pourfuivi par
les Avanturiers , i j j . 136. Ce qui arriva,
138
Ven»

! 1!
D ES M A T I E R E S .
VengeAnce d’un Efclave,
Vigogne , animal de la figure d’une Brebis : def-
crjption de cet animal » 275. Comment l’on
en apporta en Elpagne , 6c pourquoy n’y ont
fceu peupler, ibidi
Univerfitex, qui font à l ’Amerique,

Un de la ToHe,

Epctraii!

il
ïxtrait du
Ar Lettres Patentes du Roy, fcellées du grand
P Sceau de cire jaune : données à Verfailles le
9-jour de Janvier , Tan 1687. Il eil: permis au
lieur C h r i s t o p h e J o u r n e l Imprimeur
:' 6c Marchand Libraire à Paris , d’imprimer ,ven-'
dre 6c débiter l'Hiftoire des Aventuriers qui fe
font fignelezj duns les Indes , evec un" Truité de
la chambre des Comptes , durant le temps
de iix années, à compter du jour qu’il fera ache­
vé d’imprimèr pour la premiere fois, 8c‘ deiïen-
fes font faites à tous Imprimeurs Libraires , 6c
autres perfonnes de quelque qualité 6c condition
qu’elles foient de le faire imprimer , vendi'C 6c
débiter fans fa permiifion, ou de ceux qui auront
droit de luy , fous les peines portées par ledit
Privilege.

Et ledit C. J o u r n e l a cédé fon^Privilege à


J. LE F e b v r e fuivant l’accord fait entr’eux.

Tegifiré fur le Livre de la Communauté des


Libraires Imprimeurs 'de Farts le 29. A^rÜ
Ï687.

Achevé d’imprimer le premier Juin idSy;


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