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sans
Gayeté
(Montaigne, Des livres)
,5«
Ex Libris
José Mindlin
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MM
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P .A . R I
F e b v r e , a u d e r n ie r p ilU c r d e îa
Cfrancl SaÜe.Vss-a-Vts Us Kcg^uèâes dit F a ta is ,
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P R E F A C E ,
Pòn veut que toutes choies frapent
bord dans un Ouvrage, fautent aux yeux,
& s’ûiFrent d*elles-mefmes : où l'on ne
void que trop de gens qui ne veulent pas
fe donner la moindre peine de chercher®
Auilî n’a t’on rien oublié pour leur épar
gner cette peine , & pour tâcher qu’ils ne
trouvent rien dans cette Hiftoire qui ne
fe prefente à leur ciprit,dés la premiere at
tention , ainfi que cela doit eftre en ces
fortes d’Ouvrages, qui font faits pour di
vertir , & non pas pour apliquer.
Comme on ne diilîmule point qu’il a
falu beaucoup de travail, & d’application
pour mettre cet Ouvrage en l’état où on
le void aujourd’huy, on convient en mef-
me temps , qu’il meritoit & ce travail 8c
cette application.il reffembloit à une belle
maifon que l’on voyoit de loin, ôc qu’on
vouloir voir de plus présîmais dont on ne
pouvoir aborder,à caufe que tous les che
mins qui y menoient, étoicnt remplis de
ronces & de pierres. Maintenant qu’on â
ofté les unes ôc arraché les autres, on y
peut aller avec facilité. Si pourtant il en
refte encore quelques-unes, comme cela
pourroitbien eftre,veu la grande quantité
qu’il y en avoir,on prendra la peine,ou de
P R E F A C E ,
s’eh Jétourncr,ou de paiTer par deiTus: Ec
afin de ne point iortîr de ma comparaifon,
on peut juger qu’il a efté facile de toucher
aux avenues qui conduifent'à cette mai-
fon ; c’cfl: à dire de les rendre libres & ai-
ÎeeSjians toucher à la maifon meime, que '
l*on a trouvée trop bien difpofée pour y
rien changer. Pour parler fans figure, a-
prés avoir trouvé cette Hiftoire veritable,'
on a taché qu’elle fuft paiTablement bien
écrite.
Si je n’avoîs regardé que le nom & la
naîlTance de cet Autheur , l’un & l’autre
n ’eftant pas fortconfiderables en luy , je
n’aurois jamais penfé à lire ces mémoires,
encore moins à les revoir,parce qu’on eft
perfuadé dans le monde,qu’on ne fçauroic
rien faire de fort exaâ: fans naiiTance &
fans éducation, & l’on n ’en peut difeon-
venir. Toutefois il femblé que cet Au
theur a un peu de toutes deux, fi l’on
prend garde au bon fcns,& aune certaine
liberté d’honnefte homme, qui régné pat
tout dans ce qu’il écrit.
D ’ailleurs, ce ne font point tous ces
motifs qui m’ont porté à travailler fur ces
mémoires. Une perfonne de confidera-
lion >& à qui l’on ne doit rien refufer
m’a
P R E F A CE.
cn’a engagé à le faire , parce qu’elle les a
trouvez fort curieux , principalement le
Traité que l’on voit à la fin. Je ne dis pas
que dans la fuite, je ne l’euiTe fait de mon
propre mouvement, non pas à la vérité ,
avec tout l’emprciTement que deman^
dotent des ordres a qui je devois une
prompte déference-mais du moins dans le
temps que mes occupations auroient pa*
me Je permettre ; puis qu’enfin j’ay tou
jours efté touché des chofesque dit cet
Autheur,de la maniéré qu’il les d it, 8c de
la vérité qui les accompagne.
Pour ce qui regarde les chofesjCommc
les Avanturiers en font la principale ma
tière , on peut dire qu’elles font prefque
toutes furprpnantes, agréables 8c fingu*!
lieres. iJi>
* Pour ce qui concerne la maniéré, il ra
conte ces chofes fi naïvement, qu’il les
fait croire par la feule maniéré donc il les
raconte.
A l’égard de la-vérité,bien qu’il déclaré
en beaucoup de lieux de fon Hiftoire qu’il
la dit : quand il ne le declareroît pas ^ on
s’en apercevroit facilement j puifque la
vérité a cela de propre, qu’elle fe fait fen^
tir par tout ou elle ie rencontre. - ■
II
P R E 'F A C E.
A
s
île fta ifé û e connoiftre que cet Au->
theur en écrivant, a eu en veué ceux qui
veulent voyager,& ceux qui n’ont point
cette envie,pour les inftruirs également ^
6c qu’il a mefme trouvé le iiioyen de les
divertir en les inftruifant.
Il s’exprime fi vivement fur tout ce
qui fe preiente, que ceux qui n’ont point
envie de quitter leur païs,croyeni voyager
avec luy en terre ferme , toutes les fois
qu’il y voyage.S’il va fur mer,on s’imagi
ne eftre*embarqué avec luy , voir toutes
les Ifles dont il parle,tous les écueils qu’il
évite , échouer contre ceux qu’il n’évite
pas. On penfe eftee fpéétâteur des com
bats qui s’y donnent,des prifes qui fe font.
On tremble avec l’équipage s’il furvient
quelque tempefte , parce qu’on ne,fçau-
roit ‘mieux marquer,qu’il fait,tous les pe
rils qui l’accompagnent. S’il arrive quel-
qu’autre incident , on .craint, on eiperef
dans l’attente du fuccez;tant il içait repre-
fenter au naturel jufqu’au'x moindres cir«
:1 confiances 8c faire entrer dans tout ce
qu’il dit. .V b .
Cc n’eft pourtant pas qu’il fonge à
fuivrel’éloquence dans les chofes,qu’il
veut décrij;e;raai5 l’on s’aperçoit que l’é>
loquencc
il
\\
P R E F A C E .
loquence fuit naturellement les chofe^
qu’il décrit.Pour mieux dirCjCe n’eft po’nC
l’éclat des paroles qui rejallit fur les cho-
fes, mais c’eft l’éclat des choies mefmes
qui rejallit fur les paroles.'
Ceux qui ont envie de voyager, Sc qui
prendront la peine de lire cet Auteur,n’en
feront pas moins iàtisfaits, à caufe qu’ils
connoîtront par avance tous les pais où
ils ont deiTein d*aller,& que ce qu’ils ver-<
ront fur les lieux fe trouvera entièrement
conforme à ce qu’il leur rapporte.Ce n’eft
pas tout,car fans rien aflfeàer , 8c fuivant
que le fujet qu*il traite luy en donne l’oc-?
cafion , îl nVn laiiTc échaper aucune dc
leur aprendre ce qui fe rencontre en voya
geant,qui leur peut eftre utile ou prejudi
ciable ^ afin qu’ils puiiTent chercher l’un
& éviter l’autre^ôc ainfi s’attendre à tout j
3c n’eftre furpris de rien,
î Certainement on peut faire fond fur ce
que dit cet Autheur : d’autant plus qu’oa
içait qu’il y a beaucoup de perfonnes d’ex-
perience qui ont voyagé dans les pais dont
il parle. J’ay eu mefme la curioiité d’ea
confulter plufieurs,à mefure que j’ay trou
vé des chofes un peu extraordinaires dans
fa Relation , 8c dont luy-^raefrae ne vou-
\oït
P R E F A
loît pa^ eftre crû fur fa parole
rendre ce témoignage au public,que
leur en ay jamais propoie aucune qu*ils
ne m’ayent toujours aiTuré qu’elle eftoit
veritable , 8c je puis dire que ce font des
gens à qui Ton ne fçauroit en faire accroi
re, parce qu’ils connoilTent le pais à fond
pour y avoir efté long-temps, Sc qu’ils
ont des correfpondances certaines pour
bien fçavoir tout ce qui s’y paiTe mainte
nant qu’ils n’y font plus. î
Parmy ceux à qui je communiquay ces
mémoires, il s’en trouva quelques- uns quî
furent ravis , lors qu’ils tombèrent fur !a
dcfcriptioii de quelques pa*K mi Ms avoient
efté. Cette defeription fembloit fi jufte ,
qu’ils s’imaginoient y eftre encore, 3c
qu ’on les y conduifoit comme parla main«
D ’autres eftoient furpris que cet Autheur
n’ait rien dit qui ne foit confiderable, dc
qu’il n’ait rien dit que ce qu’il a veu , ou
que des perionnes dignes de foy luy ont
recité.Encore eft-il aifé de remarquer que
c’eft avec ds grandes circonfpedions qu’il
raporte ce qu’il a içû de ces perfonnes,
toutes croyables qu’elles puiiTent eftre,6c
qu’il écrit bien plus volontiers les choies
qu’il a veuè's, que celles qu’il a aprifes :
ayanîj
P R E F A C E;
àyant grand (oin par toute ion .Hiftoîre
de bien diftinguer les unes d*avec les au
tres,afin que le Ledeur en puiiTe faire tel
jugement qu’il luy plaira. Ces precautions
agréoient fort à ces Meilîeurs,& tous gc--
heralcment demeuroient d’accord qu’ils
n’avoient jamais lû d’Hiftoire plus di-
verfifiéc par la quantité d’évenemens qui
S’y rencontrent, ôc plus remplie de choies
nouvelles juiques icy ignorées, ou du
moins incertainement connues.
Sur tout ils ont admiré les Cartes que
l’Autheur a dreffées luy*mefme iur les
lieux, à cauie de leur beauté 8c de leur
exadîtudé »& l’on verra que l’Autheuc
même ne s^elt pas épargné aies louer en
plufieurs endroits de ion Hiftoîre,& cer
tes on ne le doit pas trouver étrange y ,
puiique les connoiiTeurs 8c les plus
grands connoiiTeurs les eftiment tant.
Après avoir remarqué le jugement
qu’on a faît & le foin qu’on a pris de cet
3
à
P R E F A C E
fes que difficiles à içavoir, corame on lé
verra dans ce manuiciic qui mérité bien
d*efire lu, & dont on ne dit rien davanta
ge,parce que l’AvertiiTement qu’on a mis
en tefte fera connoiftre ce que c’eft.
Apres tout cela l’Autheur conclud,
qu’il ne doute point que ion Ouvrage ne
ioit bien reçu ; d ’autant plus qu*il con
tient des choies auiîi neceiTaires queveri-
tables & l’on reconnoiftra par fa îe<51:ure,
3
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H I S.
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H I ST O I R E
DES
AVANTURIERS
Q.UI SE S ONT S I G N A L E Z
D A N S LES I N D ES
• I
C H A P I T R E I.
pè^art de V Autheur, •Incident qui. luy font
arrivez fur Mer,
Es Voyageurs aiment naturellement
à parler de ce qui leur eft arrivé ,
fur tout lors qu’ils font hors de dan-
^ ger J & qu’ils croyent que ce qui
leur eft arrivévinei ite d’eftre fceu. C’eft pour-
quoy je ne veux point diflimuler que jeprens
quelque plaifir à raconter ce qui s’eft paiTé
dans mon voyage:peut-eftre meliné-ne fera»
t*on pas fâché de rapprendre ; & fans doute
tout iroit bien » il la'relation que j*en fais
pouvoir eftre aufti agréable qu'elle eil vraye.
Tomel, A AprC’S
» H r s T O I 11 E
Apres nous eftre embarquez le i . MaV
& le mefme jour avoir levifTanchre
6e la rade du Havre de Gjace , noi^ fûmes
mouiller fous le Cap de Berfleur , â un lieu
appelle la Ho^ue. Nous eBions dans le vaii-
ieau nommé S. Jean, qui appartcnoit à Mef-
iieurs de la Compasçnie Occidentale , com
mandé par le Capitaine yincent Tillaye*
Nous allâmes joindre Monfienr le Chevalier
de Sourdis , qui commandoit pour le Roy le
navire dit l’Hermine, monté de trente-fix
pieces de canon , avec ordre d*efcorrer plu-
lieiirs vaiiTeaux de la Compagnie dont j’ay
parlé, qui alloient en divers endroits,les uns
en Senegal en Afrique, aux Ifles des An
tilles de l’Ameriquej les autres vers la Terre
neuve.
Tous ces vaiiTeaux s’cRoient joints aux
nôtres, de peur d*eftre attaquez par quatre
Frégates Angloifcs qu’on avoit veu croifer
peu de jours auparavant. Quelques navires
Hollandois qui craignoient la mefme choie,
parce q if ils eftoient en guerre aufli bien que
nous avec cette Nation , en firent autant ,
nprés que Monficur de Sourdis leur en eut
accordé la permiifion,6c ia proteiilion qu’ils
luy avoient demandée. Enfuite Monfieur de
Sourdis fit fçavoir fes ordres , & donna à
noilre Capitaine la Charge de Vice-Com
mandeur de la Flote, & au Capitaine du^na-
vire nommé l’Efperance, appartenant a la
même Compagnie , celle de Contre-Com
mandeur. Cela finit 5 nous fifines voiles avec
noftre Flote, qui elhoit compoféc environ de
quarante vaiiTeaux, le long de la cofte de
France,
DES A V A N T U R IE R s: J
Erimcc J qaoy qu'avec alïez de peine, pour
h s perils que l’on y c o u rt, à cauiè de quan
tité de rochers qui s*y rencontrent,& del'al-
Larme que nous donnions aux François qui
demeurentle lonsçde ces coftes:ilscroyoienc
que nous fuiîions An^lois , & que nous a-
Vions deÎTein de faire quelque defeente.
Peu de jours apres nous pafsames le Raz
de Fontenean , qui eft à la ibrtie de la Man
che. Ce paifcige eft fort périlleux,parce que
plufîeurs CoLirans traverfent bien de rochers
qui ne iè montrent qu’à fleur d’eau. Les Fran
çois nomment ce pafla^e R^;?s,mot Flamant,
qui fi^niiîe une chofe d’une grande vîrefTe.
Fort ibuvent des navires ie perdent en ce lieu
la ; c'eft pourquoy les Mariniers de'toutes
ibrtes de Nations font une ceremonie parti
culière lors qu'ils y paflent. Voicy celle des
François.
Le Concre-maiftre du vaiiTeau s'habille
groteiquemenc avec une longue robe , un iiiequeles
bonnet fur fa telle , Sc une fraize à ion c o l, François
obl'erv^nt
compoféc de poulies & de certaines boules en divers
de bois appellees en termes maritimes Po;^^ endroits
mes de Rhaques, Il paroift le vifa^e noirci, de la M er,
tenant d’une main un grand livre, & de l’au
tre un morceau de bois repreientant un la
bre. Tout ceux qui iVont jamais pafle parla,
viennent s'agenouiller devant ce Contre-
Maiftre ; aufli-toft il leur donne de ibnfabre
furie c o l, & apres on leur jette de l’eau en
abondance, s’ils n’aiment mieux , pour s’é
pargner cette peine , donner quelques bou
teilles de vin » ou d'eau de vie. Il n’y a per-
fonrre exempte de cette ceremonie, le Capi-
Ai taine
l»f1
■ 4, - h i s t o i r e
raine mefmene I’eft pas; & (1 le n a v ire ju ’i!
monte n’y a jamais paffe , il eft oblige de
payer quelque chofe , finon les Matelots fie-
roient le devant, qu'on appelle le Gallion ,
ou la Poulaine. Apres cette ceremonie on
voit la quantité *• / 1 \
Ton a amaiTée , on la diftnbue egalement a
chacun des Matelots. Les François oblervenC
lu rnel'me chofe non feulement en ce lieu la ,
mais encore fous les deux Tropics du Cancer
6c du Capricorne, 6c fous la ligne Equi
noxiale. n > 1r
i.n d en n e Les Hollandois font aufli exacts a obler-
COÛtll’TiC ver cette ceremonie > mais ils la font autre-
des Hol- ment. L^Ecrivain du vaiiTeau apporte le rolle
kndois. où eft contenu tout l’équipage. Cela fa it, il
les appelle tous par nom 6c fui nom , Sc les
interroge, s’ils ontpaffé par là, ou noir.ij on
doute que quelqu’un ne dife pas la vérité ,
on luy uiit manger du pain ôc du le l, ce qui
eft une eipece de ferment,pour juftifier qif il
y a paifé. Ceux qui font convaincus du con
traire, ont le choix de payer quinze fols, ou
d’eftre attachez à une corde, 6c guindez au
bout de la grande Vergue • ou d^eftre calez
trois fois, c’eft à dire plongez trois fois dans
la mer. On oblige un Officier de VaiiTeau ,
tel qu’il fo it, à payer trente folsj iî c’eft un
paflager, ils en tirent le plus qu'ils peuvent.
Il y a des Marchands^dont ils exigent quel-
"'"quefois plus de cent écusj6c quand il fetrou-
ve de (impies Soldats, leur Capitaine eft
obligé de fatisfaire pour eux. A Tégard des
garçons au dciîous de quinze ans, il les met
tent fous des enanes d’ozier, 6c leur jettent
pluûeurs
DES A V A N T U R I E R S. y
pliifieurs féaux d’eau ilir le corps. JI en font
de mefine à tous les animaux qui font dans le
navire , à moins que le Capitaine ne paye
pour eux, & pour le navire meiine, s’il n*y a
jamais paiTé. L’argent gui provient de cette
ceremonie eft mis entre les mains du Contre-
Maiftre , qui doit en acheter du vin aupre^
mier Port, & apres on le partage à tout Té-
quipa^e. Les Hollandois ne font cette cere*-
monie qu’au paiTage des Raz & des Barlin^
gots ou rochers qui font devant la riviere de
•Lisbonne en Portu^al»5c à l’entrée delà mer
Baldque,qu*ils nomment le Zund. Quand on
demande à ces Nations pourquoy ils en ufenc
ainiî,ils répondent que c’eft une vieille cou
tume de leurs anceftres.
Peut-eilre que cette obfervation paroiftra Reflexion
peu coniîdcrable à ceux qui ne fortent point de l’A u-
de leur païs : mais les s;ens qui en veulent theur fur
les cere
Ibrtir, ns la regarderont pas de mefme. AulTi m onies
ne la fais-je que pour erix» comme beaucoup des Fran-
d’autres plus importantes,qu’ils pourront lire gois Sc des
dans la fuite car je ju^e par moy-mefme , Hollan-
dois,
que ceux qui voyaient, ou qui ont deiTein
de voyager, font bien aifes d’eftre informez
des chofes par avance,aiîn de fçavoir â quoy
s*en tenir quand elles arrivent, & de n*en
eftre furpris.
Après que nous cufiTiespairé le Rnz deVon^
teneau^ une partie de la Flote nous quitta, 5c
nous ne demeurâmes que fept vaiiTcaux qui
faiioient la mefme route. En peu de jours
nous fûmes conduits par un vent favorable
jufqu’au Cap Vinis urr&^ où eft la pointe Sep-
tetYtrionale qui fepare le Portugal d’avec la
Corogne. A3 Là
1
H I s T O I RÊ
refcrip- Là nous fûmes furpris d*une furieuiè ter«--
fio n d 'u n e Ej, un moment la mer parut route
icmTefte, blanche d^écume , le ckl tout rou^e de feu*
Nos navires furent enlevez en haut fur des
montasçnes de flots, & en mefme temps pré
cipité/, en bas par des tourbillons fr impétu
eux * qu*ils brifoient nos mats comme du
verre , & rompoicnt nos cables comme des
filets. Outre cela une affreufe obicurité oftok
rufage des yeux aux Officiers qui comman-
doient;8c le bruit des vents,l*ufage des oreil
les à ceux qui obeifToient. Nos vaiiTeaux le-
coüez fans ceÎTe par Tagitation de la mer ,
cftoient en danger de s’ouvrir & defe brifer
en s’entrechoquant les uns contre les autres.
Dans cette extrémité mortelle je vis un effet
ieniible de ces paroles de S. P a u l, pour
apprendre à prier il fau t aller fur la nteric^r alors
chacun avoit recours aux prieres,& je ne fus
•ras des derniers. La plufpart eftoient ii foi*
lies & il abatus . que les vagues les empor-
toient d*un bord du vaiffeau à I*aurre » faris
qu’ils fiiTent aucune refilf ance. Tous prefque
renverfez çà & là langniifoient entièrement
rendus & demy morts. life paiTa bien d’au
tres choies que je ne feaurois dire : en effet
chacun eftoit fî occupé de ion propre mal ,
qu’il ncfongeoitgueres à celuy des autres.
Cette tempefte dura deux jo u rs, apres
quoy Îa mer fe calma, le vent devint bon»Sc
nous pourfuivifines nôtre route à toutes voi
les. Les navires qui eftoient avec nous s’é
cartèrent tellement que nous reftcimcs feuls.
Qiiand nous fumes à deux cent lieues des
Antilles» nous rencontrâmes un navire An-
glois i
d es AVANTURtERS. i
{^lois*contre lequel nous nous battiHnes qua
tre heures de temps, fans nous rien faire l*un
à l’autre .-les Boucaniers qui eiloient dans
noftre bord le vouloienc accrocher,mais no*
ilre Capitaine le défendit. ^
Nous eilions pour lors en neceifite d*çau ,
& nous fûmes réduits à demifeptier par jour.
Peu de temps après nous arrivâmes â la veuc
des Antilles, & la premiere lile que nous
vîmes fut celle de Santa Lucia. Nous voulû
mes aller à la Martinique, mais comme nous
eftions trop bas , le vent & le Courant ne
nous permirent pas d*y aborder. De la nous
fîiines route par la Guadeloupe , mais nous
n ’y pûmes non plus aborderqu a la Martini
que- ce qui nous obliiiea de ne point perdre
de temps , 8c de poiiriuivre noftre route , a
caufe de la diiette d’eau ou nous eftions,
Quatre jours apres nous arrivâmes a l lilc
Efpa^nole , que les François nomment vul- _
€çairement Saint Domin^ue, Cela nous don» de l’An
na une 2;rande joye , car il n’y avoir per- theutàs.
fonne qui ne fuft incommodé de la foif 8c
des fati«;ues de la mer. Le premier jour que ^
nous vîmes l*lile,nous allâmes mouiller à un
lieu nommé le port Marcjot, où Monfieuc
Os;eron,Gouverneur de la Tortué,avoir une
belle habitation. AuiTi-toft que nous eufmes
mouillé,un Canot vint à nous,dans lequel il
y avoir iîx hommes, qui cauferent aiTez d’é
tonnement à la plufpart de nous qui n‘e-
ftions jamais fortis de France. Ils n’avoienc
pour tous habillemens qu’une petite cafaque
de toile, Sc un caleçon qui ne venoit qu*à la
moitié de la cuiiTe. il faloit les regarder de
A4 ,
f HI STOIRE
préSjpour voir fi ce vêtement eftoît de toifo
ou non, parce qu*il eftoit imbu du fan«; qui
degoute de la chair des animaux qu’ils onc
accoutumé de porter. Outre cela ils eftoienc
bazannezjquelques uns avoient les cheveux
heriiTez, d’autres noüez^ tous avoient la bar
be grande, & porroient à leur ceinture un
Deicrîp- étuy de peau de Crocodile , dans lequel
tion des eiloient quatre couteaux avec une bayon-
JBoucan« nette. Nous Iceûmes de ceux qui avoient
nieis^ déjà efté dansl’Ifle, quec'étoienc de Bouca
niers. J'en feray dans la fuite une particulière
defeription, parce que je l’ay efté auiTi.
Ces Boucaniers nous apportèrent trois
Sangliers , qui fufiîrent à tout ce que nous
citions fur le v aiifeau,quoy que nouseufiions
grand appetit,n’ayant de long-temps mangé
de viande fraifehe : en recompenfe nous les
régalâmes d’eau de vie. Les habitans vinrent
auiTi à noilre bord , 6c nous apportèrent de
toutes fortes de fruits pour nous rafraifehifo
Noilre Chaloupe fut à terre quérir de Teau
douce .*tout cela nous remit tellement, que
dés ce foir mefne nouscefsâmes de faire des
reflexions fur les incommoditez que nous
avions ibufFertes pendant le voyage.
Le lendemain marin â la pointe du jour
nous fifmes voile pour l’Iile de la Tortue ,
Arrivée
de l’Au- d'où nous n’eilions qu'à fepe lieues, Nous y
tlieur à la •moiiillâmes l’anchre fur le midy feptiéme jour
Toituë. de Juillet 16 6^. Aprés.qne nous eufmes fa-
lüé le Fort avec fept coups de canon, 6c que
noilre navire fut en parage , nous defeendî-
mes tous à terre, 6c allâmes falüer Moniieur
le Gouverneur > qui nousattendok au bord
dQ
DB S A V A N T U B I B R S . 9
â e la mer avec les principaux habitans de
fon lile. Il nous recent fort bien , & je fus
aflfez heureux dés ce premier jour de recevoir
des marques toutes particulières de la gran
de bonté qu’il à continuée dans toutes les
occafions où il a pu me faire du bien,comme
je le feray voir dans la fuite. Tous ceux qui
eftoient engagez dans la Compagnie, dont
f eftois du nom bre, furent conduits au ma-
gazin du Commis general , à qui le Capitai
ne du vaiiTeaii apporta les paquets qui con-
tcnoient les ordres de Meilleurs de la Com
pagnie. On nous donna à tous deux jours
)our nous refraifchir,5c nous promener dans
Î Tile , en attendant qu'on euft refolu ce à
Giioy on nous vouloir employer. Les paquets
dirent ouverts, & on trouva que MeiTieurs
de la Compagnie dépoloient le fleur le Gris
leur Commis general, & qu’ils donnoient fa
commiiTion au fleur delà Vie , qui pour lors
eftoit Lieutenant General dans H ile , avec
ordre de vendre tout ce que MeiTieurs de la
Compagnie pourroicnt avoir dans ce Jlieu ,
de faire payer tout ce qui leur eftoit dû . 5c
de renvoyer le fleur le Gris en France pour
rendre fes comptes. ^ ^
Le temps qu’on nous avoir donné eftanc
expiré, on nous fit venir» 5c on nous expofi
en vente aux habitans. Nous fufmes mis
chacun à trente ecus, que l'on donnoitpour
nous à i a Compagnie , qui nous obligeoit à
les fervir trois ans pour cette fomme,où pen
dant ce temps ils pouvoient difpofer de nous
à leur gré,8c nous employer à ce qu’ils vou-
loienc. Je ne dis rien de ce qui a donné lieu
A î à
to HISTOIRE
à mon embarquement, fuivi d*un ft facbeiix
cfclavage, parce que cela feroit hors de pro
pos, & nepourroit d ire qu*ennuyeux. Mon-
lieur le Gouverneur avoir ieiTein de m’a
cheter pour me renvoyer en France , voyant
bien à mon vifage que fi je rencontrois uw
mauvais Maiftre,je ne refiilerois jamais aux
fatigues du paisj mais le fieiir de la Vie m*a-
voit déjà retenu,ils eurent quelque différend
lâ dcfius. Enfin je demeuray à ce méchant
Maiilre • je puis bien luy donner ce nom
apres ce qu*il m’a fait fouffrir. Je rapporte-
ray la maniéré dont il en a agy avec m oy,
quand je parlcray du traitement que les ha-
bitans ont accoutumé de faire à leurs fervi-
teurs& à leurs efclaves : cependant je don-
neray au chapitre luivant la defcription de
Elile de la Tortue , & je diray comme les
François y ont établi leur Colonie.
C h a p i t r e II.
Defcripthn de PJjle de la, Tortue',^ é * de ce
y a de pieu remarquable»
’ifie de la Tortue eft fituée fous le l o ,
L degré ^o. à 40. minutes au Nord delà
ligue Equinoxiale^elle eft au bord de la gran
de Ifle Éfpagnole que les François nomment
S. Domingue , à caufe de la Ville Capitale
qui porte ce nom. Elle eft nommée Tortue,
parce qu/elle en a la figure : elle peut avoir
Îcizc licuës de tour, 6c n’eftacceffible que du
cofte du Midy, par le canal qui la fepare d’a-
vec riilc Efpagnole >ou elle a un afl'ez beau
port»
DES ÀV A N T U R I E R S. ii
port. Le fonds eft un fable fort menu, 8c on
y eii à l’abry de tous vents , qui ne font ja«
mais violents dans ces quartiers. Elle n’a
aucun port que celuy-là , qui puiiTe fervii;
d*abry auxnaviresjelle eft toute entourée de
•grands rochers , que les habitans nomment
Coftes de fer telle a quelques ances de fable
aux quartiers habitables des riva^es,mais on
n’y peut aborder qu’avec des Chaloupesiibn
havre eft commandé par un Fort tres-bon ^
avantageux. Au bord de la mer on voit'une
batterie de canon qui donne aufli dans le
Havre. Il n’y a qu’un petit Bourg qu’on
nomme la Baifeterre , où font les magazins
des habitans 8c des Gargotiers qui demeu-i
rent devant le port.
Moniîeur Blondel, Ingénieur du Roy »
cftant en l’an 166^, aux Antilles , defeendit
a la Tortue, où il traça un plan pour y faire
un nouveau Fort ; mais il paroift qu’on n’a
pas bien execute fon deifein , car on n’en a
bâti que la Tour , qui reiTcmble mieux à un
Coulombier qu’l la Tour d’une Fortereife«
11 y a dans cette lile fix quartiers habitez ,
fçavoir la Baifeterre, Cayone, la Montagne,
le Milplantage , le R ingot , 8c la Pointe au
Maçon. On en pourroit encore habiter une
ieptiéme,qu’on nomme le Capfterreja terre
y eftant aifez bonne : mais on n’y trouve
point d’eau, 8c il y en à peu dans 1*Ifie. On y
voit quelques iburces , où tons les habitans
vont piiifer, 8c cela les oblige à ramalfer les
eaux de la pluye-,dc quoy le P. du Tertre pa
roift mal informédoiTque décrivant l'IÎle de
la Tortue dans la premiere Pâm e de fon
A6 Hi-
Il h i s t o i r e
Hiftoîre des Antilles, il dit que cette lile eft
arrolee de quantité des rivieres.
Le terroir en eft tres-bon & fertile aux
endroits oh elle eft habitée.Il s»y trouve qua
tre fortes de terre , mélangée de fable , de
terre rouge & grife, dequoy on feroit d’auiîi
beaux vafes que ceux qui viennent de Ge
nes. Toutes les montagnes font purement
de roche » qui eft auiïî dure que le marbre ,
6 c neanmoins elles produifènt des arbres
auifi gros 8c auffi grands que les plus beaux
de nos Forefts en turope. Les racines de ces
arbres font toutes découvertes, 8c courent
fur ces rochers, & ne tiennent que dans des
^trous qui font dans Tinégalité des rochers.
Ces fortes d’arbres qui croiiTent ainfi , font
-extrêmement fees de leur naturel; car fi-toft:
qu*ilsfbnt coupez ils fe fendent au Soleil en
plufieurs éclats > de forte que ce'bois n’eft:
bon qu’à brûler.
Cette lile eft très-fertile en toutes fortes
de fruits que Ton trouve dans les Antilles •
quant aux marchandiiès , on y fait d’excel
lent Tabac qui fnrpaife en bonté celny de
toutes les autres liles. Les Cannes de fucre
y viennent d’une groffeiir extraordinaire-
y font plus fuci ées qu’ailleurs , c’eftà dire »
qu’elles y font moins aqueufes. Il y croift:
plufieurs arbres 8c plantes médicinales,il y a
peu de cbaiTe : quant aux belles à quatre
pieds, on n’y void que des Sangliers » qu’on
y a apportez de la grande lile, ils y ont aifeïS
bien peuplé ; tellement que les habitans y
vont a la chaiTc, Monfieur d’Ogeron qui en
eft oit GüÀiyerueur de mon^temps, deffendic
de
DE S A V A N T U K Ï E ÎIS.
chaiTer avec des chiens , afin de ne pas
faire une fi grande deftrudrion de ces ani
maux , & que dans la neceflîre les habicans
s’en pulfcnt nourrir. 11 permit feulement que
Ton allait à l’afFuft.
On ne trouve que des Ramiers, des Tour
terelles , 6c quelques autres petits oyieaux
pour tout gibier , qui ne valent pas la peine
qu’on les tire. Les Ramiers y viennent fi a-
bondamment pendant une faifon de l’année ,
que les habitans en pourroient vivre fans
manger d’autre viande. J ’en ay meiine tué
en trois ou quatre heures quatre-vingt quin
ze, fans avoir fait cinquante pas de chemin
â la ronde. Ils viennent par bandes s’abbat-
tre fur les arbres, dont ils mangent la graine,
6c quand elle m anque, ils vont iiir d’autres
arbres qui portent aufii de cette graine,mais
ils deviennent fi amers qu’on n’en peut
manger.
Un jour un Gentilhomme GaÎcon nouvel- Redtplaî-
Jement arrivé de France en ce Pais, à qui on Tant au fu-
avoit faitprefcnt de ces Ramiers fur la fin ietdesRa-
-de la faifon , fe plaignit dans le repas qu’ils
e'ftoient amers. Un de ceux du Pais qui efioir
à table» hiv dit en riant qu’on avoit oublié à
leur öfter le fiel , Cap de bis bons abez raifon^ßc,
commença à prendre un bafton, à deiTein de
battre fes valets, difant que de long* temps il
n ’avoit mangé un morceau qui valuft , 6c
qu’ils avoient gafté ce qu’on luy avoit pre-
fènté de bon. Celuy qui avoit caufé cette
émotion Tappaifa bien-toft , en luy deman
dant , fi les Ramiers de fon Pais avoient dii
fiel, 6c luy expliqua au melme temps, la
caufe
HI STOI RE
cauic pourquoy ccs Ramiers eftoient ainfî
amers. .
Le PoiiTon eH: en abondance le lon^ de U
cofte de cette lile , dans le canal , car au
Nord il n*y en a pas tant. J*cn nommeray les
diiFcrentes efpeces , lors que je feray la def
er iption de l*Iile Efpa^nole. Entre autres
fortes de poiiTon , Ton y void beaucoup de
Hommais ouEcreviÎTes de mer,qui font fem-
blables aux noftres excepté qu’ils n’ont point
de pinces. Il n’y a pas de temps plus propre
pour prendre ce poiiTon que la nuit â la clarté
du feu : Les habitans fe muniiTent de bois de
£antal jaune, qu’ils fendent par éclat, & en
font des flambeaux. Ce bois rend une flam-
M am ere claire , quoy qu’il foit verd; c’eft
^°"*poy^.pourquoy ils le nomment bois de chandelle,
prendre Cette clarté leur fert de pier»;es pour attraper
les Tücre- ces EcreviiTes, fans avoir beibin d’autres in-
v ifles.
ftrumens que de leurs mains. Il y a diveries
fortes de poiiTon coquillage,comme Moules»
Huîtres , Bourp;aux , ou Efear^jots de mer ,
Lambics, Cafques, Porcelaines, & plufieurs
autres efpeces que je n’ay jamais entendu
nommer.
Quant aux Reptiles il y en a de plufieurs
fortes j les Tortues que Ton y void le nom
ment Cmccs ; il y a aufli quelques Lézards j
qui ne font pas en fi Q;rande quantité que les
Crûihes ou Cancres. On en voiddedeux fortes
fort communs , que les habitans nomment
Crabes Blanches, 5c les Efpa'>nols Cangreios^
Et la deuxiefme forte ils l’appellent Crabes
rouges, ou Tourlourous. Ces deux Ibrtes de
Cancres font fort nuiüblcs aux hab itan s,
parce
DHS AV A N T U R I E R S .
parce qu’ils font des trous en terre , & cou
pent les racines de ce que Ton plante , foie
tabac , cannes de fucre ou autres. Il n’y a
point de ferpens venimeux , mais feulemenc
quelques couleuvres qui ne font point d’au
tre mal, que de mander les poules & les pi
geons. J ’en ay veu une qui paroiiToit longue
de cinq quarts d’aune , qui venoit d’avalec
fept pigeons & une groiTe poule-, nous man-
geafmes ces pigeons fricaiTez,apres les avoir
tirez de Ton corps, où ils n’avoient pas efté
trois heures, j’ay auiïi mangé de ces couleu
vres ; dans le beibin on s’acommode de tour.
L’on voit certains petits Reptiles qui ont
une coquille comme un vignot ou Efeargot,
ayant le devant demefme qu’une EcreviiTe »
& le refte du corps femblable à l’Efcargoc.
Ces Reptiles nommez Soldats font bons à
m anger, & rres-nourriiTans ; Ils ont encore
une vertu médicinale que j’ay éprouvée j
mais il faut ufer d’induitrie pour les avoir ,
car leurs coquilles font fi dures , que Îî on
veut les caifer, on gafte cet animal : Il faut
feulement les approcher du feu, & ilsfortenc
d*eux-mefmes,puis les mettre en telle quan
tité que l’on veut dans un fac expofé au So- vertumei
leilj il en dégoûte une huile rouge qui e(t ex- dicinale
tremément bonne pour toutes les douleurs
froides , & racourciiTemens de nerfs. On certains
trouve encore dans ce pais des Caméléons, Reptiles^
6c un grand nombre de petits Lézards qu’on
nomme Anolis & Gohemouchesiccs differentes
efpe:cs d’animaux ne font aucun dommage,
ils vivent feulement d’inlédtes , que l’on
trouve encore dans cette iile , comme four
mis
"H I S T O I R E
inis Sc narres cle differentes efpeces » dotiC
nous'nvons à parler. Ils y font niiez impor-
tuns'^i^r û on laiffe une heure de temps qiieN
quemorcenii de viande Tur une tablemen n y
void plus qu’une fourmilière toute formée.
•11 y a desguefpes,frelons;mouches de diver-
les façon^, & des feorpions, des ara^nées ,
des chenilles Sc des verds. De toutes ces for
tes d*animaux on n"en voit aucun qui foie
venimeux , ny importun comtne ces deux
derniers que f on appelle Moufijuites 6c Marin^
gotiins, dont je traiteray dans la fuite.
A la vérité, fi les Scorpions^ & les Scolo
pendres» qu'on nomme beftes à mille pieds ,
n*y font aucunement venimeux, les arbres 8c
'I ' îes plantes n’en font pas de mefmes. J ’en
décriray icy trois feulement, fçavoir un Ar
bre , un Arbriffeau & une Plante , dont j\ay
veu des experiences. Arbre venimeux dont
je veux parler croift haut comme un Poirier,
Deferip- il â fes feiiilles femblables à celles du Laurier
tion de fauvage, 6c porte un fruit de mefme que des
l ’arbrequi pomrnes de reynettes qui en ont le gouft 8c
k Mail fodeur,c’eft pourquoy les Efpagnols le nom-
çanilia. ment Arbos de M^infanillas , qui fignifie arbre
portant petites pommes. Ce fruit renferme
un venin fi contagieux , que quand il tombe
dans la mer , il le communique aux poiffons
qui en mangent : Le Tazar Sc la Bequne font
deux poiffons fort friands de ces pommes.
On connoiil quand ils en ont mangé à leurs
dents , qui deviennent de couleur livide ou
noiraftre. Cet indice n’empef:ha pourtant
pas qu’en l’an la plus grande partie du
Bourg de la Baffe-terre de cette lûe penfo
“ eftre
DES A V A N T U R I E R S . 1 7
CHA4
h i s t o i r e
C h a p i t r e III.
‘EtahUJfement à'une Colonie Vretnpife fur Vljle de
la Tortue. Les TranfoU chaffez pur les Efpa»
gnolsy reviennent plufieurs f o i s a p r e s divers
ehungemens ils en demeurent les Muiflres j le
Gouverneur e/l ajfajfiné pur les Franfois mef»
me.
E s François ayant i^tably une Colonie
L fur de Saint Chriftophe, commen-
çoient à fleurir, lors que les Efpa^nols in
terrompirent leurs pro^rez par plufieurs def*
Genres qu’ils firen t, en paflant avec leurs
Flores, pour aller à la nouvelle Efpagne.Cela
obligea la plus grande partie de cette Nation
Les Fran â fuivre les Zelandois, qui faiibient de cour-
çois joints
aux HoU fesfurles Efpagnols,5c qui en remportoient
landois de riches prifes. Ils y réuflirent fi bien que le
font de bruit en vint en France , Sc cela fit que plu
cichcs pri- fieurs Avanturiers de Diepe équipèrent à
i,-
deflein de venir y faire aufli des couries.
Voyant qu’ils eftoient heureux dans toutes
leurs entrepriiès > & que les Ifles de Saine
Chriftophe où ils amenoient leur butin e-
ftoient trop éloignées,caril leur falloir deux
ou trois mois pour y remonter , à cauiè des
vents & des courants qui font toujours con
traires, ils reiblurent de chercher un lien plus
commode , fans avoir autre but que de s'y
Onelques retirer. Dans cette veue quelques uns d’eux
Avantu- allèrent en l’Ifle Efpagnole,voirs'ils ne trou-
ricrsFran- veroient pas aux environs quelque petite
çüis vont le^où ils pulfenc fe réfugier en feureté.Lors
qu'ils
‘TTTTj
DES A V A N T ü R I E R S . ir
qu’ils y furent arrivez,ils la trouvèrent telle- à l’ifleElt
ment peuplée de bêtes à cornes Sc d^antres
animaux , qu’ils furent aiTeurezde venir à
bout de leur deiTein,parce qu’ils y trouvoient
encore la facilité de ravitailler leurs bafti-
menSj iî bien qu’il ne leur manquoit plus
qu’un azile pour fe retirer, de crainte d’eftre
chaiTez par les Efpai^nols.
Les Efpaonols ayant confideré que cette
lÎle pourroit un jour iervir de retraite à de
telles gens, s’en étoient déjà emparez , & y
avoient mis un Alferez avec vingt cinq
hommes qui en avoient pris pofTciTion« Ces
Avanturiers François n’eurent pas grande
peine à les faire fortir de là , parce^ qu’ils
eftoient ennuyez de fe voir éloignez du paf-
fage des Efpagnols, qui n’avoient gueres de
ibïn de leur apporter leurs neceifitez. Les
François s’eftant rendus les maîtres de cette
lile d é lib é rè re n t entr’eux de la maniéré
qu’ils s’y établiroient. Comme les hommes Divers
ont diverfes penfées , auflî ont-ils^diveries ,
applications. Dans l’incertitude où ces A-
vanturiers eftoient , quelques-uns d’eux enfin leur
C h a p i t r e I V.
w
DES A V A N T U R I E R S . 5^
Les Avanturiers revinrent à la Tortue plus
que jamais, car le Chevalier eftanc luy-mef-
me Avanrurier les traita bien. Il équipoitdes
baftimens qu’il envoyoit en courfe,les Bou
caniers y venoient auflîj tellement que la
Tortue fe vit plus peuplée qu’elle ne l'avoit
encore efté. LesEipagnols s’en reÎTentirent
bien, car ces Avanturiers leur devinrent iîgnois in-
importuns,qu’il ne pouvoir plus ibrtir ny en- coimno-
trer de baftimens dans leurs Ports fans eftre
pris. Un Marchand Efpa^nol de Carta^enêtmiers.
m’a dit qu’il a perdu en ce temps-là dansai ne
année trois cens mille écus , tant en bafti
mens qu*en marchandifes. ^ ^ ^
Le Chevalier fe voyant ainfi bien étably
dans fon Ifte, crût que toutes les forces Ef-
pagnoles ne feroient pas capables de l*cn
faire fortir : il ne fit point de difficulté de
iaiiTer dépeupler T Ifte , permettant à tous
d’aller en courfe. Il y fut neanmoins trompé:
caries Efpai>nols, s’eftant fervis de l’occa-
fion , refolurent d*y revenir avec un arme
ment confiderable; 8c de fait, ils y revinrent,
& fe précautionnerent mieux qu’ils n’avoient
fait autrefois, car ils ne mouillèrent point à
la Rade, mais ils mirent leur monde à terre ,
voyant que perfonne ne leur reiiftoit. Le
Chevalier n’ayant que tres-peu d’habitans
fe retira avec eux dans le Fort de la Roche :
les Efpa^nols y furent l’attaquer, mais ils n’y
purent rien 2;aççner. Ayant la liberté de faire
ce qu’ils vouloient dans l’Ifte, ils tenoient les
François aifiegez dans le Fort. Ils cherchè
rent les moyens de trouver une place d’où
i’on pût battre ce Fort, 6c trouvèrent une
Bs mon-
t/\
54 H I S T O I R E
montagne plus haute que la Roche ou cRoiê
fcitué le Fort desFrançoisj mais on n*y pou
voir monter â cauie des précipices. Comme
les Efpagnols ont beaucoup de flegme , ils y
tracèrent peu a peu un chemin , & rencon
trèrent un petit pafTage pour aller fur cette
montagne. Ce paflage eftoit entre deux ro
Î. ) chers, & on y montoit par un trou , comme
I ii on paflbit par une trape ; il n*y avoir plus
’ que la difficulté d*y monter du canon , car
c’eftoitune choie impoffible avec des che-
Tes Efpa- vaux. Voicy l’invention dont ils ie fèrvirent :
gncîs *jg ^ttjucherent deux pieces de bois eniemble»
une troi- & mirent deiTiis une piece de canon qu ils
f]éme foi«! firent porter par un nombre d’Efdaves fur
&TÎâ épaules ; & par ce moyen ils en mon-
repren. ^ terent quatre pieces qu’ils mirent en batterie
rciit, vis-à-vis le Fort des François. Monfieur le
»' Chevalier avoit fait abattre les bois qui
i! i cftoient au tour de ion Fort, afin de n’eilre
point furpris par les ennemis ; ce fut ce qui
caiiia fa perte, parce que ces arbres eitanc
d*uoc grandeur & d’une groifenr prodigieuie
couvroient le Fort, & auroient empeiché
} >
î’efFet de la batterie des Efpagnols, qui n’au-
roient jamais pu le découvrir. Auifi-tofl: que
i t-: les habitans virent la batterie des ennemis
jouer fur leur Fort qui les incommodoit ex
i',
trêmement , ils propoferent au Chevalier de
fc rendre à compoiition,luy reprefentant que
les Eipagnols cftoient cruels, & que fi on at-
tendoit qu’on fût réduit à l*extremiré, pent-
eilre on ne pourroit rien obtenir d*eux. Le
Chevalier n’y voulut point entendre; mais à
i' la fin ibu party citant le plus fbible , il y fut
con
' 1:
Uy
DES A V A N T ü R I E R S .
contraint; Îî bien qu’on convînt avec les Ef-
pa2;nols que tous les François fortiroienc
tambour b a tta n t, mèche allumée , avec ar
mes 6c bagage , 6c qu’ils rendroient le Fort
avec le canon 6c toutes les munitions de
guerre. Les Efpagnols donnèrent aux Fran
çois quarante-huit heures pour ie retirer. II
y avoic à la rade deux baftimens coulez à
fonds qu’ils tâchèrent de remettre à flot. Les
.François ayant mis ces deux baftimens en
eftat, 6c eftant prefts à s’embarquer ; le Ge
neral des Efpagnols fit reflexion , que les
François munis encore de toutes leurs armes
fe pourroient joindre à quelques-uns de leurs
Avanturiers 6c l’attendre quand il s’en re-
tourneroit. C*eft pourquoy il leur dernanda
des oftages jufques à ce qu’il fuft arrivé à
S, Domingue,ville capitale de Tlile Efpagno-
le; il contraignit M. le Chevalier à luy don
ner un frere qu’il avoir avec luy j nommé le
fleur de Hotman. Le Chevalier s’embarqua
dans un des baftimens, 6c les deux auteurs de
la mort du fieur le VaiTeur dans l’autre. Ces
deux hommes adonnez à faire des cruautez,
ne fe purent empêcher d’en commetrre en
core icy une aiTez grande : ils fe détachèrent
de la compagnie du Chevalier 6c mirent tou
tes les femmes 6c les enfans fur une petite
Ifte defevte , & s’en allèrent courir le bon
bord , 6c depuis on n*en a jamais entendu
parler.
On a feeu qu’un vaiffeait Hoîandois jetté
par la tempefte contre cette lile deferte,avoir
fauvéquelques-unes de ces femmes. J ’ay veu Vemmes
mclinc une Relation qui couroit alors de ce que les^
B6 qui deux af«
H I $ T O IR E
faíTíns de qui leur eftoit arrivé'dans Ce deferc, ccrîfii
Tune d^’elles, Efpagnole de nation,& qui
laiiTerent^ dans la maniéré de s’exprimer marquoic
dans une avoir beaucoup d*efprit. Une perfonne qui i.
liledefer-fj»en a pas moins , a bien voulu la traduire
* en noftre Langue, & comme cette Relation»
toute courte qtPelle eft,fair connoiftre à peu
prés la mifere de-cés infortunées , 6c qu’elle
contient un événement iîngulier , j’ay crû
il’!; qu*on feroit bien aife de la voir; c’elt pour-
quoy je Tay'mile icy telle qu’elle m’eft ve
nue dans les mains. Voicy donc comme s’ex
plique cette femme.
Âpués qu’on nous eut débarquées, 6c en
fin mal-heureufement abandonnées dans cet
te lile deferte , nous troiiyâmès d’abord
quantité de beftes fauvagcs, dequoy nous
'aurions pu nous nourrir, mais nous crai
gnions plûtoft d’en eftre dévorées 6c de deve
nir leur pâture ; 6c fans doute elles voyoient
bien à qui elles avoient afFaire , c’eft à
dire à des femmes foibles 6c defarmées, a
qui meiine les plus timides de ces beftes fe
faiiôient craindre.' Il n’en eftoit pas ainii ,
lors que des habitans du pais circonvoiiins ,
gens cruels 6c grands voleurs deicendoient
dans cette Ifté pour les chaiîer : car ils en
faifoientun fi prodigieux carnage que nous
pouvions vivre de celles- qui fe trouvoient
mortes, que ces Chafteurs oublioient ou ne-
glig^oient peut-eftre apres les avoir tuées.
Nous avions grand foin de nous cacher pour
éviter également 6c ces hommes 6c ces be
ftes. Cependant la faim qui nous preftbit,
nous obligcoic ibuvenc à ibrtir de nos retrai
tes.
DES A V A N T U R ï E R S. ^7
C h a p i t r e V.
l a Compagnie Occidentale^qui avait pris pojfejfîon
,
de cette Ijle, l*abandonne & donne permijfton
aux Marchands d*y négocier. Etat du Couver»
;I nement de Monjteur d'Ogeron fur cette Ijle juf»
queskpreJenU
Onfieur d’Ogeron eftant en poiTeiTion
de ce Gouvernemenr J fon^ea plus à
l’accroiiTemenc de la Colonie , que tousles
autres n*avoient fait. 11 avoit un navire a
luy, dans lequel il eftoit venu» par Ton ordre»
Maniéré beaucoup de monde de France; il faifoit va.-«
degoii- loir les marchandilès des habitans, qu’il leur
wrner de donnoit à Crédit, afin de les obliger à refter,
geron^" & à oublier les commoditez de la France »
trouvant là tout ce qu'ils fouhaitoient. Il ne
laiiTa pas de maintenir les CoiTaires , les A*»
vanturiers 8c les Boucanier^, 8c tâchoit de les
attirer. En ce temps-là il y avoit guerre entre
les Efpagnols 8c les Portuguaisije leur faiibic
donner des CommiiTiore Portuguaifes, pour
piller furies Efpagnols,8c ils amenoientleurs
prifes à la Tortue. Il a fait habiter prefque
toute la bande du Nord del’lile Efpagnole ,
dequisle port Margot, oîi il y avoit une ha
bitation, jufques aux trois Rivieres»qui font
vis-à-vis la pointe du Ponant de la Tortue*
Les habitations du cul de fac de cette lile
ont efté preique toutes faites pendant qu’il
a gouverné; ce q u ia attiré beaucoup de
monde des Ifles AntiIles»Sc de France, Tous
ies Qj.iarciers eftoienc fournis d*OiÎiciers,que
Mon-
DE S A V A N T U R I E R S .
IMonfieur O^eron prenoic parmy les habitans
i|:mefmes,aiin de garder une bonne difcipline,
de faire mieux executer fes ordres. Par ce
»moyen il empefchoit les troubles , il accom-
im odoit les différends , iî bien que chacun
il vivoit content. Et afin d'engager de plus en
il plus les habitans d’y demeurer, il fit venir de
fl France grand nombre de femmes, maria la
fi plurparf de ces habitans , qiTi donnèrent en-
^ vie aux Boucaniers 6c aux Avanturiers de
i: faire de mefme.
1 - MeiTieurs de la Compagnie ne voyant en
I deux anne'es qu’ils avoient efté poiTeffeurs
i de la Tortue,que fort peu ou point de retour
6 des marchandifes qu'ils y avoient envoyées,
1 reiblurent d’y faire payer ce qu’on leur de-
voit,8c d’y laiiTer aller les Marchands traiter
y avec liberté. Ils envoyèrent, comme j’ay dé-
{ ia dit, cet ordre dans le navire nommé le S,
r Jean, en l’année i6 6 6 . Monfieur d’Ogeron
1 fe fervit de cette occafion pour y faire venir
: des navires Marchands, où il éfioit intereiTé,
] qui apportoienc aiTez de marchandifes, & en
t remportoient d’autres qui fe faifoientlâ ,
h comme le Tabac 6c les Cuirs. L’année fui-
' vante il fut luy mefme en France , laiiTanc
Monfieur de Poincy fon neveu pour gouver-
V ner en fa place.
Eftant arrive en France , il fit connoiifre poarquoy
[| ré ta t de cette Colonie à quelques particu- m . d*o-
il liers , 6c les pria de luy faire renouveller fa
k Commiflîon , 6c de s’aiTocier avec luy , 6c enfunce,
qu’il les feroit participer aux grands profits
que l’on pouvoir tirer de ce pais. Ces parti
culiers s’aiTocierenc avec. Monfieur d’Oge
ron ,
4^ H 1 S T O I H Ë
ron, à condition qu'ils envoyeroicnt tons les
iins douze navires qu’il feroit charger là ,
qu'il fourniront les habitans d’efclaves, &
qu’îî dérmiroic les Chiens fauva^ics quiibnC
iiir l’Ifle Efpagnole , afin qu'elle puft iè re
peupler des belles que ces animaux détrui*
îènt.
L’année d*aprés, Moniieur d'Oi^eron re
tourna à la Tortue,où il fie %nifîer ÎaCom-
miiTion aux habitans, qui le receurent fore
bien. Il leur promit qu’ils ne manqueroient
de rien,qu'ils pourroient envoyer leurs mar-
chandifes pour leur compte , fans eilreobli-
5^ez de prendre celles de la nouvelle Coin
ce qinar- î-cs Marchands étrangers & François
riva aure. n ’oibient venir auparavant négocier à la
M Tortue, ny à la cofte de S. Domingue : Il n’y
roi) à la des Bâtimens de cette Compa-
Toituc. qui eiloient fipetits, que les habitans
ne pouvoient y embarquer leurs marchandi-
iès que par faveur; Sc on préferoit les prin-
cipaux,a qui on donnoit des billets adreflans
aux Capitaines des vailTeaux j fi bien que la
tnarchandife des autres fe pourriiToit avant
qu’ils la puifent embarquer. On leur défen-
doic expreiTément de traiter avec les Etran
gers,tel s qu’ils fuiTent. Peu de temps après
que Moniieur d’Ogeron eut fait ces défen-
fes, deux vaiffeaux Zclandois arrivèrent à la
cofte de S. Domingue. Aiiiïi-toft que les lia-
bitans eurent veu leurs pavillons,ils s’embar
quèrent dans leurs Canots , & furent à bord
de ces Flamans, qui les receurent fort bien ,
& leur donnèrent du vin & de l’eau de v ie ,
& tout ce qu’ils voulurent. Ceux qui furent
des
DES A V A N T ü R I E R S . 47
âe premiers à b o rd , les prièrent de vouloir
refter à la cofte , & leur dirent que les habi-
lans feroient bien aifes de traiter avec eux ,
Sc qu^il y avoit aiTcz de Tabac fait pour
' s charger. Ces gens qui ne cherchoient
point d’autre occafion , & voyant qu il n*y
avoit aucun F o rt, &; que ce pais ne dépen
dant point du Roy de France , ils ne pour-
roient courir aucun rifque, fe determinerent
à le faire.
Monfieur d’Ogeron en eftant averty , re-
nouvellala défenfeaux habitans de négocier
' avec les Etrangers • mais voyant leur avan
tage,ris mépriferent iès dcTenfeSjdifant qu'ils
' ciioient fur une terre neutre, qu’ils n’appar-
tenoient à aucuns intcreÎTez du Roy deFraii-
ce , & que par confequcnt on ne pourroit
)as les aiiujetririfi bien qu’ils traitèrent avec Les zç.
Î es Zelandois , qui leur donnèrent les^mar- ^a^^ois
chandifes un tiers à meilleur marché que négocier.
viennent
1...
rrrr
48 H I S T O I R E
pour la France, & un autre pour les Ifles des
Antilles,afin d’avoir dufecours pour réduire
ces rebelles , lefquels fe voyant preiTez, al
lèrent par toute la cofte où il y avoit des
François, leur faire prendre les arm es, 8c
menacer ceux qui refufoient de le faire , de
les inairacrer,ou de brûler leurs habitations.
Ils furent mefme dans le deiTein de iè faifir
de la Tortue , & d*en chaiTer Monfieur d*0 -
geron, difant que quand ils feroient les maî
tres, ils auroient aiTez de fecours des Hollan-
dois, qui ne demandoient pas mieux que de
traiter avec eux. Quelques mois s’ccoulerent,
après lefquels Monfieur d*Ogeron reçut du
fecours de la part de Monfieur le Chevalier
de Sourdis, qui pour lors eftoit dans les Ifles
avec quelques navires de guerre, qui mi
rent du monde à terre. D*at>ord ils firent ar-
refter deux ou trois de ces m utins, dont on
en pendit un .* Ton traita avec les autres, 5c
Soâ mif. Monfieur d’Ogeron leur promit qufilneles
iion des laiiTeroit plus manquer de navires ny de mar-
Rebdles. chandifes.
Les Zelandois qui eftoient fur le point dq
revenir,furent avertis de ce qui s'eftoit paiTè >
& craignant qu’on ne leur joiiaft un mau
vais tour,n’oferent y aborder. Quelque temps
après Monfieur d’Ogeron voyant que fesdel-
feins ne reiifiiiToient pas , permis à tous les
Marchands'François d’y trafiquer en payant
cinq pour cent de foi tie & d’entrée. Il y en
, va aujourd’huy un fi grand nombre qu’ils
iè nuifenc les uns aux autres, en force qu’il
€’en trouve peu qui ne retournent avec per
te. Je ne dis pas qu’il P’y ait du profit a faire,
^ ‘ mais
DESAVANTURIHRS. 4 ^
mais celii eft difficile fans la communication
des Etrangers.
Cette diigrace n*a pas empefche que Mon- Plufieurs
fieur d*02;eron n’aic beaucoup augmente
Cette Colonie 5 il y a fait venir quantité de g„g &
familles de Bretagne 6c d’Anjou,qui prefen- d’Anjou
tement y font bien établies, ÔC y vivent
iiblement. Les Avanturiers 6c les Bouca-
niers n*y font plus en iî grand nombre»parce '
qu'il n’y a plus de chafîe, toutes les beftes à
corne eftant détruites par les deux Nations :
caries Efpagnols voyant qu’ils ne pouvoient
cmpefcher les François,qui détruifoient pres
que toutes ces beftes, en firent de mefme ,
croyant que quand il n'y auroit plus rien, les
François feroient contraints de ie retirer*
■Mais au contraire ne trouvant plus le moyen
de chaiTer,ils ont fait des habitations, 6c fe
font rendus auifi puiiTans que les Efpagnols ,
excepté qu’ils n’ont pas des Villes ny des
FortcreiTes,
Depuis ce petit trouble, Moniieur d’Oge-
ron a gouverné ces gens-là aiTez tranquiile-
mcnt,6c eftant venu en France il y eft mort.
Monfieurde Poincy Ibn neveu,dont j*ay déjà
parlé, luy a fuccedé. Tous les habkansfont
très fatisfaits de luy , 6c vivent aujourd’huy
fort contens fous fon gouvernemenu
Tome J,
h i s t o i r e
C h a p i t r e VI .
Xfefcriptîon generale de Hfle Efpagnole appellee S,
Domingîie : le nombre des Villes , des Fort, des
Rivieres é* des Ijles qui font autour^
*Ifle Efpagnole eft iituee en fa lons^uenr
L du Levant au Ponant depuis le dix-fcp-
ticme degré trente minutes de latitude Sep
tentrionale. Elle peut avoir trois cens lieues
!i de circuit, cent cinquante de long , 6c cin
quante â ibixante de large. Chacun feait
aiTez qu^en l'année 14^2. Dom Fernando
D ’cou Roy d’Efpagne envoya Chriftophe Colomb
verte de aux Indes de l*Amérique , lequel découvrit
C . C o- cette Ifle, 6c la nomma Hifpagnuola, dont elle
la.nb.
a depuis retenu le nom.
Le terroir en eft admirable , ce qui fe voit
par la quantité des grandes Forefts de toutes
fortes de beaux arbres, tant fruitiers qu*au-
tre s, qui y font fi prés l’un de Pautre , qu'à
peine on y peucpaiTer ; outre qu’eftant cul
tivé , il produit en abondance toutes lortes
de fruits pour la fubfiftance des habitans.
Cette nie eft remplie de tres-belles prai
ries , que les Efpagnols nomment Savanas ,
arroufées d^un grand nombre de tres-belles
6c grandes rivieres,dont quelques unes font
capables de porter batteau. On y trouve plu-
Mines qui fieurs mines d’or , d’argent 6c de fer. 11 y a
ie trou fort peu de temps qu’un Efpagnol foüiiTant
vent dans enterre , rencontra quantité de v if argent.
MileEf-
pagnole. Ne fçaehant ce que c’eftoit,ille voulut pren
Stirpriie dre pour le faire voir; mais n’ayant pas de
d ’nn El. vaiifeau propre à mettre ce furet fubtil, qui
pagno) palfe
D E S A V A N T U R I E R S . <t
pnfiTe par les pores les pins petits , il en mit/îuidé-
qnelqne peu dans fa poche, Sc quand il fut à
la Ville il ne put rien m ontrer, ayant perdu
ion metal. Ce mefme F,fpa^nol me l’a dit, ^
Pour de l’or qui croift là , jYn ay vu- 5c il y
aune monta2;ne proche une Ville nommée
S. Jaç^o Cavallero , vers l’Orient de cette
Ifle, où quand il a bien plu,les eaux deicen-
dent en abondance dans les Rivieres , & y
apportent de petits morceaux d’or , que les
Efclavesvont chercher quelque temps après.'
Gn en trouve qui pezenc juiqües à un demy-
ecu d’or. ' •’
Les Eipao^nols , comme j’ay déjà d it, ont
efté les premiers Chreiliens qui ont décou
vert & habité cette lile , après avoir exter
miné plufieurs Nations d’îndiens qui y de-
m'eiiroient^ ce qui fe voit dans l’hiftoire de
i’iifurpation des Eipagnols', éaite par un Ef-
pagnol même. On y trouve encore aujour-
d’huy des cavernes voûtées ibus des rochers,
qui font toutes remplies des oiremens de ces
Indiens maiTacr'e?. Cela fait connoiftre
qu*ils ont exercé de grandes cruaurez dans
CCS pais , & qu’ils n’en font pas demeurez
inaiftres fans beaucoup de peinès.
En effet, quelques Autheurs dignes de foy
rapportent que les anciens habitant de ces
lieux eftoient des hommes auiîi fouvagesque
barbares, qu’ils vivoient brutalement, allant
tour nuds,fe nourriifant de racines,dormant
par les montagnes, bu vderricre les btiiiTons.
Les femmes me fines luivoient leurs 'maris à
la chaiTe, & laiiToient leurs enfans fuipendus
aux branches d*un arbre dans un petit panier
“ Ci de .
h i s t o i r e
de ionc,lefquds fe paiToient d*eftre nllaîdez.
iiirqu’au retour de leur mere. Ces peuples ne
connoiifoicnt ni Dieu, ni Supérieur, ni Loy,
ni Coiitnmcî ainfi il eftoit difficile de les ré
duire par adreiTe , encore plus par la force ?
combattre avec eux,eiloit proprement chaf- 1
ièr aux belles fauvages , qui fe cachent aux
lieux les plus inaccèifibles. Ces c;ens ayant
une fois perdu la crainte des chevaux & des
fuzils , qui d'abord les avoient fort étonnez
en les renverfant ^ & s'apercevant que les
Eipagnols tomboient auffi-bien que les au
■i;i'i1ij tres hommes d’un coup de pierre ou de flè .
che, ils fe hazardoient, & penetroient dans
leurs armes : jufques là que l'un des Indiens
dont je parle , ie trouvant un jour preiTé
dans un lieu étro it, voyant un de fes com
pagnons tué à fon collé,6c la pique d*un Ef-
pagnol prcile à luy donner dans le ventre ,
Îrtri^pîdî- fansheflter il s'enferra luy-mefme, 6c à tra-
tf dis in- cette pique qu’il avoir dans le corps »
courut furieux à fon ennemy ^ qu’il fendit
d’un coup de fabre , qu*il luy arracha lors
qu’il y penfoit le moinsj en forte qu'ils tom
bèrent tous deux baignez dans leur fang en
rncfltie temps 6c en mefmc place.
Par là on peut juger du .relie, 6c de la dif*
ficnlté qu’il y a eu à les vaincre , 6c fur tout
â les conveitii à la Foy ; parce qu’il leur fa-
loic apprendre à eilre hommes avant que de
leur apprendre à eilre Chrelliens , 6c fans
doute que l’un eiloit aufii difficile que rnu--
' tre. c \ i l pourquoy les Eipagnols les ont
dctriiics autant qu’ils ont pu *. 6c après cette
dcftruâion ils ie font établis dans l'ifle , 6c,
Font
DES A V A N T U R I E R S . Vî
Tone auiîl peuplée de beaucoup de fortes
d*animaiix à quatre pieds, qui n*y eidoient
point auparavant,comme Boeufs, Chevaux,
San?;liers ; 5c pais ils y ont bâti des Villes ,
des Boutins , & de tres-belles habitations ,
dont on ne voit plus aujourd'huy que les
veidiges ; parce que les Hollandois en ont
détruit la plus q;raude partie : Et comme les
Efpaççnols faifoient tous les jours de nou
velles découvertes dans cette partie des In
des, plufîeurs ont quitté cette lile pour aller
en terre ferm e, où ils ont bâti des Villes
auiTi belles 5c auiTi grandes qu’il y en ait en
Efpagne.
Les François y cidant venus, s*y font telle
ment accrus, qu’aujourd'huy ils font plus en
état d’en chaffer les Efpagnols,que les Efpa-
gnols d’en chaffer les François. Ils ont plus
de la moitié de cette lile , qui contient un
fonds de terre le meilleur du monde , mais
elle n’eid défendue d’aucune Fortereffe.
La Ville Capitale de cette lile fê nomme
S. Domingue. Colomb y eldant defeendu un PoiM-qnoy
jour de Dimanche,8c trouvant la place corn- l’ifle Ff-
mode , y fit bâtir cette Ville , qu’il nomma
Santo Domingo y qui veut dire Dimanche. Elle lée sfoo^
eft toute entourée de murailles , 5c il y a un mingue^ ’
Fort qui deffend l’embouchure de la riviere,
fur le bord de laquelle elle eit bâtie. Elle efi:
ornée tout au tour de beaux jardinages 5c
de riches habitations. A l’égard de la police,
elle eft gouvernée par un homme qui eft Ca
pitaine General de toute l’Iile.
Pour ce qui dépend des Efpagnols-, il y a
Prefidial, grande Audience, 6c Chancellerie
C3 Royalci
y4 h i s t o i r e
Ffat Fc- Royale; 8c quant à IT.tar Ecdefiaftiqne , il y
cleHafti- a un Archevefque quipoiTedepluGeursEyel-
que de chez 8c Abbayes SuiFra^ans , comme )e le
rifle Ef.
^agnole. feray voir plus particulièrement au Traite
des Etats du Roy d*Efpa^ne dans les Indes
de l’Amerique. Il y a auiTi une üniverfité ,
plufieurs Convents de Religieux de divers
Ordres, comme Cordeliers, Jacobins 8c Au-
guftins.
Le port de cette Ville eft fort beau , 8C
peut contenir des Flotes confiderables, fans
eftre endommagées que du vent du Zud^.
C ’eft icy le fcul portde toute cette lile , ou
les Efpagnols négocient : il y en a beaucoup
d*autres\ mais ils n'en font pas les maiftres ,
8c ils n*oferoicnt y encrer,à caufe des Avan-
turiers. Cette Ville fournit les places que les
Espagnols ont dans cette lfle,de routes for
tes de marchandiies , 8c des chofes neceffai-
res â la vie; 8c les habitans des autres Villes
y apportent leurs marchandiies , afin de les
vendre fur le lieu,ou deles embarquer pour
eftre tranfportées en Eipagne ou ailleurs.
A vingt lieues de cette Ville de Santo Do
mingo,vers rOrient de ITfle , il y a encore
une petite Ville nommée S, lago Cavallera,
Cette Ville eft champeftre, 8c n*eft aucune
ment fortifiée. Ses habitans font quelques
Commer
Marchands» 8c le refte tous Chaifeurs. Ils ne
ce des font autre commerce que de cuirs de Bœuf,
3‘üiica- 8c de Suif, qu’ils portent vendre à S. Do-
lucis. mingue. On voit plufieurs prairies autour de
cette Ville,oîi il y a quantité debeftail. Vers
fon Midy , au bord de la mer , on trouve un
gros Bourg nommé le C otui, qui eft rempli
de
:I
DESAVANTURÎERS. u
de maifbns, &d*habitans qui ne font autre
chofe que de planter du Tabac & du Cacao,
de quoy on fait le Chocolat. Ces habitans
navi^ent de là à une petite lile nommée
Sarna , qui n*en eii: éloignée que de cinq à
fix lieues. Cette lile eft couverte d’arbres ,
& toute deferte. Le terrain en eft p la t, ia-
blonneux , & ne produit point d’autre bois
que du Gayac. Il n’y a point d’eauj& quand
les Efpagnols y vont, ils font obligez de faire
des puits pour en avoir. Ils Tavoient autre
fois peuplée de beftes à cornes : mais les A-
vantnriers y eftant venus , les ont entière- DeHmc«
inent détruites. C*eft ce qui fait que les Ef-
pagnols fo n t abandonnée , ôc n'y viennent lès Avan!
qu*en paiîant pour y pefcher. timers.
Du cofté du Ponant de £. Domingo , au
Midy de ITfle,s'ouvre une grande baye nom
mée la baye d'Ocoa, qui peut contenir quan
tité de vaiiTeaux. Sur cette baye eft iitué un
gros Bourg qu’on nomme le Bourg d'AJfo»
Ceux qui y demeurent ne font point d'autre
trafic que de Cuirs & de Tabac. L’on y voit
plufieurs Hattos, qui fignifie en Efpagnol une Hattos
maifon de campagne, où fe retirent les ChaT ce que
feurs , & où l’on nourrie quantité de beftes '}
privées. Ces Hattos appartiennent à des Sei
gneurs, qui y laiifent leurs Efclaves pour les
garder. Proche ce Bourg d’AiTo il y en a un
autre nommé S, lean de Goave^ lequel eft bâti
au bord d’une grande prairie , que les Efpa-
gnols nomment La Savana grande de S, luan ,
& les François, le Grand Fonds. Ces deux Na
tions fe font fouvent efcarmouchées dans
cette grande prairie, comme je le feray voir
C an
H 1ST O I KE
au Chapitre cle la vie des Boucaniers. I s
Bourse de S, Jean de Goave n’ett habite que
de Mulatos,qui fignifient gens delang melle.
Il faut expliquer ce que c^eft que Mulatos, CC
de combien il y en a de ibrtes.
Lors qu*un homme blanc le mele avec une
femme noire, les enfans qui en proviennent
font dcmy noirs,& font nomtx)CZ Mulatos par
les Efpagnols, & par les François Mulâtres.
Quand un homme blanc fe mele avec une ;
Ce que fi- femme Mulâtre , les enfans qui en provien- ,
pniiîe
Mulâtres nent font nommez J^ arterom es par k s t î -
ic Quar- pagnols,8c par les François Mutâtes, us ont !
tcrones. le fond des yeux jaune , font hideux a voir >
de mauvaife humeur ,traiftres, & capables
des plus grands crimes. L*on void aujour-
d*huy plufieurs endroits dans 1*Amérique,oui
ne font peuplez que de ces gens-la , que les
Efpagnols 6c les Portugais ont produits, par
ce qu’ils font fort adonnez aux femmes noi
res Indiennes. Ce n’eft pas que les François
6c les autres peuples n'y ioient auni adon
nez; mais on n*en voit pas tant de leur efpe-
ce , â cauie qu*iîs n’y font pas en u grand
nombre. , _ , . ,
Le Bourg de S. Jean de Goave n eftdonc
peuplé que de ces gens qui ibntla plufparc
efeiaves des Marchands de S. Domingue.
Voilà tout ce qui appartient aux Efpagiiols
dans cette !fle. Il ne refte plus qu a décrire
ce que les François y poifedent.
Les François tiennent fous leur domina
tion depuis'le Cap de Lohos, ou le Cap de la
Païspoi^e-
dc par les Beatta, qui eft aufli au Midy de cette lile y^ts
François, le Ponant, jufqu*au Cap de Samuna , qui cfr
au
DES AVANTURIERS, fr
au Nord de ladite lile, vers le Levant. Il ell
vray que ces lieux ne font pas peuplez par
toutjparce que le pais dont je viens de par
ler, pourroit contenir dans fon étendue au
tant de monde que les deux principales Pro
vinces de France.
Les endroits que les François habitent le
plus,font ceuX'Cy, depuis le Cap de Lobos, Endroits
quieft au Midy de T lû e , jufqu’au Cap de habitez
Tibron,qui eftla pointe du Ponant de cette fj^ncois
lile. On n’y voit que des ChaiTeurs. Il y a '
eu autrefois quelques habitansjmais comme
aucuns navires Marchands ne vouloient fe
donner la peine d’aller charger chez eux , à
caufe que ce lieu eftoit trop éloigné , ils ont
quitté leurs habitations,quoy qu’elles fulTenc
aifez belles.
Depuis le Chap de Lohos jufqu’au Cap de
Tibron, il y a de fort beaux havres, dont le
tonds cft de bonne tenue, & où l’on met fa
cilement des Flores à l’abri de tous les vents,
où enfin Ton ne peut rien fouhairer pour la ,r
ieurcté desvaiÎTeaux,queIa nature n’ait fait-
outre que tous ces ports font embellis de
grandes Rivieres poiííbnneníès. Les noms de
ces ports (ont laquemel, où les Efpagnols ont
eu autre-fois un Fort ; laquîn ^ Abbaye S,
Georges^ l'Abbaye aux Haments, le Port Congon^
qui eft entouré deplufieurs Ifles, entre lef-
quelles il y en aune nommée par les Efpa-
^ndis'ïbaca^ 8c parles François, IJleà Vache,
Cette Ifle eft fituée le long de la grande lile»
elle peut avoir trois à quatre lieues de long ,
& huit de circuit. Le terroir en eft fort bon,
confifte en beaucoup de prairies. Les Ef-
C % gnols
8 H I S T O I R E;
paffnols y ont mis des Bœufs & des Vaclies,
que les Boucaniers ont détruites. La terre
eft baiTeen divers endroits, 8c il s*y trouve .
quelques marécages pleins de Crocodiles
qu’on noîTime en ce pais Cayamiim , qui ont
auiii détruit une partie de ces animaux, je i
paileray de la fubtilité -de ces Crocodiles
danslechapitredes Reptiles.
On ne peut pas bien demeurermir cette 1
P'l-I liÎe, à cauie de la quantité de certains petits 4K
Moucherons qui font fort incommod^^com^
inc on le verra au chapitre des infectes. La
2;rande Ifle contient de fort belles plaines
vis à-vis , qui ibnt arroufeesde grandes ri
vieres : fi bien qu’on y pourroit faire de tres-
belles Sucreries à fort peu defrais.veu qu’on
a déjà Texperience que le Sucre que
pagnols ont autrefois fait au rnefme colte^de'
í! cette lile, eftoittresbon. De là julqifau Cap yi
de Tibron, il n’y a point de ports,mais une
cofte agréable 8c fort unie, d’ou fortent plu-
iieiirs Rivieres. i j '
Le Cap Tibron contient une grande Rade,
dont le fonds eft bon, 8c qui ne manque pas
de Rivieres tres-belles , 8c fort abondantes . 1
^ ' en ix)iiion. Les Ayanturiers , tant Anglois
les AvTn- que François,viennent là fouvent pourpren-
riers a- dre
iuriers are de
ue l’eau
i eau 8c
ex du
uu bois. Vers ce Cap il s ele^
v vio w
bordent, yg haute montagne , de deÎTus laquelle
on découvre celle de Santa Martha , qui eft
en terré ferme, éloignée de cent vingt lieues
de cellc-cy : 8c l’on void encore les liles de
Caha,d>C Jam aica. De. l’autre cofté de ce
Cap, qui eft le Septentrion delTfte,oiimontc
vcrsfOrienc environ vingt lieues ;l’on trou
ve
DES A V A N T U R I E R S .
ve le Cap ’Dona Maria , enrichi d’un beau
port,de s^randes Rivieres, ôc de vaftes Plai
nes que l'on peut cultiver. De la iiiivant la
meiiïie route,l'on trouve \^igrande A m e , qui
eft un lieu fort agréable habité par les Pran-
çois, dont les maifons font fituées fur le bord
d'une tres-belle Riviere. Fort prés delà,vers
l'Orient , paroiiTent plufieurs petites liles
nommées Cayemettes : les Efpagnols les one
ainiî appellées, pa^jj^e qu’elles reifemblent à
un fruit qui porte ce nom. Les habitans vont
à ces liles.poury pefeher des Tortues , qui
fervent â leur nourriture. De ces liles allant
le long *de la c o ile , on trouve encore deux
quartiers où les François habitent , qu’on Deierîp.'
nomme la Riviere de Nipes , & /tf Rochelois t à tionGeo-
caulè qu'un Rochelois en a efté le premier i'j
habitant. Delà on va aux trois plus célébrés
Contrées que les François ayent fur cette
I(le; qui font le petit Goave , 1e grand Goave^
6c Lean ganne. Ce mot eft dérivé du nom
Efpagnol Ligum a , qui iîgniiîc en François
Lezart,parce que cette Contrée a une pointe
de tei re fort baiTe, qui reiTemble fbrt bien à
un bec de Lezart. Ce furent les habitans de
ces lieux qui le révoltèrent contre M. d'O-
geron.
Au fortir de cet endroit on va au fond
d’une grande Baye , dont l’embouchure a
bien cinquante lieues de large. Devant cette
Baye il y une lile qui a plus de fept à huit
lieues de tour , qn'on nomme Gonave , qui
n’eft nullement habitée,8c qui ne mérité pas
de l’eftre. Du fonds de cette Baye , que les
François nomment Cul de Sac ^ on vient le
C6 long
60 h i s t o i r e
Ions; (îe lacofte , au Septentrion , jufqu'ati
Cap S. Nicoîas , formant une pointe qui a-
vance au Nord; où il y a un tres-beaii port,
qui pourroit contenir un p^rand nombre de
Viîiifeaux. En fuite on monte le long de la
cofte vers l*Orient, on y trouve le port de
Mouftîques, que les François occupent en
core , avec les deux Ports de Paix y grand 3C
petit,baignez de trois R ivieres, qui fortenc
par trois"divers canauX ||^es Rivieres font
quelquefois Îî groifes , qiielles donnent de
Teau douce à deux lieues de leur embou
chure en pleine mer. Delà , le long de la
i l ’]!; meirne cofte , on rencontre encore plufteiirs
lieux où les François iè font étendus , & ces
lieux iè nomment Porterie^ le Majfacre , ainiî
appelle, à caiife que les Efpagnols , par fur-
prife 5 y ont autrefois maiTacré quelques
François qui venoient de la T o rtu e, pour y
tuer des Sangliers. Du Meifacre on paiTe la
petite Riviere qui eftau port M argot, dont
j*ay déjà parlé.
Il y a encore pluiîeiirs autres endroits que
les François habirent,mais ils n’y font point
de commerce que celuy du Tabac; c’eft
pour cela que toutes leurs demeures font ii-
tuées fur le bord de la mer , ou du moins le
plus prés qu*ils en peuvent eftre , afin de
n*avoir pas tant de peine à porter leur tabac
pour Rembarquer, Ôc aufli a caufe qu'ils ont
befoin d’eau de la mer pour le tordre.
Salines de U V^ cette lile de tres-belles Salines,
l‘Àmet. qui fans eftre cultivées, donnent du fel aufli
T-i«* blanc que la neige, & eftant cultivées en
poûrroienc fournir davantage que toutes les
Salines
D E S A V A N T U R I E R S. é i
Salines de France,de Portugal & d*£fpagne.
Il fe rencontre de ces Salines an Midy , dans
la Baye d*Ocoa , dans le cul de lac à un lieu
nommé Coridon^ au Seprention de Pille vers
l’Orient J à Caracol, à Lim onadeM ontecrifio,
Il y en a encore en plnfieurs autres lieux , 8c
ce ne font icy que les principales. Outre ces
Salines marines,Pon trouve des mines de iel
dans les montagnes , qu*on appelle icy fel
Gemmé, qui eii aulTi beau & auiîi bon, que
le Tel marin. Je l’ay moy rnefme éprouvé, ôc
l’ay trouvé beaucoup naeillcur que le pre
mier.
Voila ce me fembîe ce qui fe peut dire en
general de cette Ifle-il ne refteplus qu'à par
ler de ce que la nature y fait croiftre fans
cultiver, pour lafubfiftance deshabitans du
pais.
C h a p i t r e VI I .
Des Arhres fruitiers les plus rares,
: I
tlpagnol. m’a dit qn‘e dans une orange aigre , il avoit
remarqué un certain grain parmy les autres,
qui planté en terre produifoit un arbre por
tant des oranges douces,ce qu’il avoit éprou
vé plu fi eur s fois.
Les Bannaniers font certains arbriiTeaux,
qu’on pourroit plûtoft nommer plante,parce
quMls n'ont aucun bois folide,maisièulemenc
un tronc mol, plein de fuc, 5c que l’on peut
cou-
ü ;.ï :
IP
DES A V A N T U R I E R S . 63
Couper avec un couteau. Il croift jufqu’à
douze à quinze pieds de hauteur. Du milieu
de fa ti{>e fort une fleur de couleur de pour
pre,de la groiTeurd’un artichaut. Le fruit qui
en provient peut nourrir l’homme en diveries
maniérés, tamoft il luy fert de pain ,-prepare
d*une certaine façon, tan toil: de vin, préparé
d'une autre,parce que l*on en tire un fuc qui
eft a U(Il fort que cette liqueur. On le fait
iècher comme les figues. Lors qu'il eft bien
meur en l’cxpofant au Soleil, apre's en avoir
ofté récorce;ilfe candit comme fi onl'avoic
parfemé de fucre. J*en ay gardé comme cela
qui fe font trouvez fort bons.
Les feüilles de cet arbre font douces eftant
ièchées, de forte que les habitans de ces lieux
en font des lits auiïi bons que nos lits de plu
me. Quelques Auteurs ont dit que c’eftoitSurouoy
fur ces feüilles , que la Sainte Vierge mit re-
pofer le Sauveur du m onde, apres qu’il fut ^
né. Cela pourroit bien eftre, car j*ay veu de quand il
ces arbres dans la Paleftine, fut né.
Il n'y a pas long-temps que j’en ay veu un
dans le jardin de Medecine de TUniverfité de
Leyden en Hollande , mais il eftoit encore
fort jeune; & à ce fujec , je croy qu'il eft ne-
ceiTaire d’avertir le public que cet arbre eft
fo rt utile à la medecine : car fi on prend un
certain noyau qui fort de ce fruit avant qu’il
foit m eur, il eft admirable pour manger la
chair corrompue des ulcérés , 6c les guérit
inefme entièrement.
L*abricotier eft un arbre plus haut que les
plus grands chaînes de l'Europe,il a les feüil
les iemblables au laurier fauvage, l’écorce
comme
^4 H I S TO IK E
comme celle du poirier, la chair de Ton fruit
reiTemble à celle de nos abricots , quoy que
la figure en foie fort differente, en ce que ils
font foit gros, couverts d’une peau dure 5c
‘i aifez épaiife , ils ont le gouft meilleur ^ l*o-
deur plus agréable que nos abricotsde noyau
n’eft point dur : les Efpagnols cultivent ces
arbres & font des confitures de leur fruit. Il
n’y a qu’un lieu dans ces Iflcs où ils*en ren
contre, les Sangliers s’en nourriifentdans la
faifon i c’eft ce qui fait que leur viande eft
bien plus excellente que dans un autre.
Cet abricot eft parfaitement bon lorsqu'il
cft cuit avec de la chair du même Sanglier ,
& eftant mangé crû,11 efltres-dur à digérer;
8c il y a autant à manger â un feul de ces
fruits qu’aux plus gros de nos melons.
Le Papayer eft un arbre qui croifV de hau
teur environ vingt â vingt-cinq pieds , qui
n’a qu’un tronc fans branches,8c au fommec
duquel il y a quinze ou vingt feuilles extra
ordinairement larg^ , 8c dont la queiië eft
longue comme la moitié du bras ; deifus ces
feiiilles, font les fruits que l'on voit attachez
au tronc de l’arbre; il porte fruit continuelle
ment, il y en a toujours en fleur,d'autres qui
ne font que nouer, d’autres â denw meurs,
8c d’autres meurs : Il y a de ces fruits qui
font gros comme des grenades , 8c environ
de cette figure, 8c d'autres beaucoup plus
gros.
Le Cacaoyer eft l’arbre qui produit la fe-
naence que les Eipagnols nomment C acao,
dequoy l'on fait le Chocolat ; cet arbre ref-
femble aifez au cerifier, 8c mefme ne vient
pas
d e s AVANTUKIERS. gf
Arbre qui
pas plus haut : ion fruit eft une certaine produit 1q
gouiTe qui croift en Ton tronc de la groÎTeur femence
d’un concombre, 5c t'^uc de meiÎTie , excepte du C ho
qu’il commence & finit en pointe, le dedans colat,
de cette gouiTe eft épaiiTe d’un demy doi^c<,
forme un tiiTu de fibres blancs & fort iuccu«
lents, un peu acide , fort bon a etancher la
foif. Les fibres contiennent dans leur milieu
dix àdouze,8c jufqucs à quatorze grains de
couleur violette, qui (ont gros comme le
pouce , & fees comme un gland de^chefne.
Ce grain eft couvert d*une petite écorce t
eftant ouvert,il ne fe fepare pas feulement en
deux comme les amendes ou les noix , rnais
en cinq ou fix petites pieces qui font inéga
lement jointes enfemblej au milieu defquelles
eft un petit pignon qui a le germe fort ten
dre & difficile a conferver , c’eft de cette fe-
mence que les Eipagnols font la celebre
boiÎTon du Chocolat. Lors qu’ils eurent con Dequor
quis ce pais , les Indiens leur firent boire de les Eiba-
cette liqueur qu’ils trouvèrent fi bonne 8c fi tes^nols font
Chocos
utile pour la fanté qu’ils l’ont mife en ufage lat,
entr’eux , non lèulemcnt dans 1*Amérique ,
maisauflî en Europe , où elle eft aflez com
mune,5c mefme aux autres Nations qui l’ha
11 bitent, quoy que les Efpagnols fe foient toû-
jours refervezle fecret de la preparer,parce
qu’en quelque part que ce lbif,on ne içau-
roit boire de bon Chocolat,s’il ne vient d’Ef-
pagne,qui furpalTe en bonté le Thé des Chi-
noTs , le Caphé des Perfes ôc des Turcs. En
forte que cette boiÎTon nourrit tellement le
corps 8c le tient dans un fi grand embon
point , que l’on en pourroit vivre fans avoir
peioin de prendre autre chofe. Si
€6 H I S T O I R E
Si les Efpagnols ont le fecret de preparer
cette boiiTon , ils ont pareillement celuy de
cultiver les arbres qui produifent la femence
dequoy elle fe fait : car de toutes les Nations
qui habitent dans rAmerique^il n*y a qu'eux
qui içavent cultiver cet arbre , & qui raiTent
commerce de fa femence \ par lequel quel
ques-uns d*entr*eux fe Ibnt tellement enri
chis,qu’ils tirent ordinairement plus de vingjc
mille ecus de rente par an,tous frais faits,d’un
feul jardin planté de ces arbres.
M*eftant trouvé parmy les Efpajçnols j'ay
eu la curiofité de fcavoir la maniéré de cul
tiver ces arbres, & comment ils préparent la
femence pour en faire la boiiTon dont on a
parlé. J’en vais donner la defeription, que le
public a jufqu’à prelènt ignorée.
C h a p i t r e VIII.
•(
i'i »
D E S A V A N T UK 1 ER S. €7
•1
C H A P I T R E IX .
I Maniéré de preparer le Chocolat^ é* d'en ufer,
Sïi,
DESAVANTÜRIERS. 7^
parlons. Ce bois eil beaucoup en iifage dans
l'Ameriquecon en fait de fort belles Iculpru-
res,c’eft â quoy il eft le plus propre;car outre
qu*il eft tres-beau de couleur, & de cres-
agreable odeur, il n’eft nullement caiTanr, dC
c*eft ce qui le fait eftimer le plus de ceux qui
le travaillent.
Le Mangle eft de trois eipeces differentes,
mais je ne parle que d’une feule, qui eft celle
qui croift dans les lieux que la mer inonde.
Ces arbres onc leur racine hors de terre, fort Effet des
élevée 8c quelquefois plus que de branches; racines du
fl bien que le tronc de farbre eft entre les
branches Sc les racines, ils font tellement
entrelaffez par leurs racines les uns dans les
autres , que l’on pourroit faire quelquefois
plus de dix lieues fur ces arbres , fins mettre
pied à terre. Il y a des Indiens dans certains
endroits de l’Ameriqne qui batiffenc des
maifons deiTus.On voit fouvent des branches
de ces arbres iî avancées dans la mer , qu’il
s’y amaiTe des rochers d’huitres 5 tellement
que cela donneroit lieu aux Voyageurs de
dire qu’ils ontveu croiftre , auill bien des
huitresaux arbres,que de certains ontaiTuré
avoirveudes Oyes provenir de quelques ar
bres dans l’EcoiTe 8c dans l’Irlande.
Il y a une forte d’arbre que les Boucaniers Gomme
François nomment Gommier, 8c la gomme, ‘^ont 1«
qu’il jette, gomme de cochon , â caulè que
les Sangliers s’étant mordus les uns les au- S s b k u
tres, vont avec leurs crocs donner des chocs fnres,
à cet arbre, 8c le dépoüillent entièrement de
fon écorce : auifi-toft il jette une gomme
tout de mefmc que la vigne au printemps
Tome J . D rend
74 H I S T O I K E
rend del*eau, lors qu’on h coupe. Les'San
gliers ie frottent contre cet arbre, aux en.-
droits où il jette fa gomme , afin d'en faire
entrer dans leurs playes, & fe gueriiTcnt par
faitement. Elle eft auiTi admirable pour gué
rir toute forte de playes; 6c les Sauvages s’en
fervent communément dans leurs plus gran
des bleÎTufes.
Qualitez Le boisa enyvrer,eft ainfi nommé,à caulè
du 1ois à l’efFet qu’il produit, lors qu’eftant pris »
cnyvrer. fon-écorce bartue dans un fac , 6c mifo
dans de Teau dormante,enyvre tous les poif.
fons qui font en la place,où on l’a jettée, 6c
les fait v en ir, en forte qu’on les prend à la
main. Cet arbre croift environ haut comme i
I
le poirier , 6c a les feuilles prefque fembla-
bles à un treffe.
D’ouvient -Le Qilinquina qu*on nous apporte de LA-
le Quin.. merique » qui fait changer 6c mefme ceiTer
guina. pour quelque temps les fièvres , n'efi: antre
chofe que l’écorce de cet arbre. Les Efpa-
\'-i\ gnols l'apportent de S. Francifco de Quinto,
Province du Pérou,6c difent qu'elle ne croift
que lâ.
Le Copal eft un grand arbre , femblabic
au gommier, dont nous avons parlé. Quel
ques Indiens idolâtres fe fervent de cette
gomme,pour brûler fur leurs Autels,comme
nous nous fervons de l’encens.
Le Manioc croift de la hauteur d’un hom
me , fes feuilles font partagées en cinq bran
ches fur une meime queue , comme les cinq
doigts de la main , 6c pas plus larges. Ces
branches s’écartent dés le pied de l'arbre. Il
deux ou trois racines groiTes comme
DES A V A N T ü î l I E R S ;
^ cuiiTe , & pezent bien ibuvent juibues à
loixance ou ibixante dix livres. C*eft de ces
racines que les Chreftiens & les Indiens font
du pain de cette maniéré.
Apres qu*ils o n t arrache' ces racines , ils
Adreflc
les grattent avec des râpes de cuivre ou de des In
fer blanc, femblables à celles donc on fe ferc diens à
pour le fucre, mais grandes de deux pieds de prépaies
long^ & d’un pied dé large; quand il eft ainfi le Ma
râpe,ils le mettent dans des facs de toile for nioc,
te & claire, de enfuite fôus une preiTe , afin
d'en tirer lefuc , qui eft un dangereux poi- '1
fon .• car fi un animal en boit, ou mano-e de
ces racines v ertes, il meurt aufii-coft. <fe fuc
eft fort corroiif, je l’ay reconnu, en lavant
de certains ulcérés, qui font devenus fort
beaux , & de facile gucriion. Le plus f^rand
remede contre ce venin,c’eft de faire a^valer Remede
de 1 huile ^aux perionnes , ou aux animaux contre le
lue veni
qui en ont pris. Bien que ce foie un grand meux du
poifon,!] ne laiiTe pas d eftre utile, car quand M anioc,
on 1 expofe au Soleil dans des vaifleaux avec
du piment, il aigrit, & eft auifi bon aux fan-
ces que le vinaigre. Je n’en ay veu que chez
les Hfpagnols. Ce fuc ainfi preiTé , il refte'
dans le fac une matière qui reffemble à de la
farine, & on la laiife fecherau Soleil, on la
garde pour s’en fervir quand on v e u t, 8c
pour la tranfporter fans qu’elle fe g â t e l e s
autres la mettent d’abordVur de grandes'pla
tines de fer,qui viennent de Suède , dont les
Chapeliers lè fervent â faire leurs chapeaux.
On y rkitun feu aiTez modère', -8c cela fe
cuit comme une tourtes^ dont les habitans
vivent. 1 ' ■ - -.-l'O j
Di Les
H I S T O I R È
Itjvcniion Les Snuvages le font de la iriCme manière,
dcsSau* avec c e tte difference qn*au lieu de rape , US
fe fervent d’une piece dc bois, dans laquelle
ils enchâffent de petites pierres dures &
pointues. A u lieu de facs de toile, ilsufcnt
d'écorce d’arbre , dont ils font un nliu rorc
propre • & pour des platines de fer, il en ont I
de terre qu'ils font eux-mefmes.
prrîiTon Cette racine*eft aulfi utile en Amérique ,
des Ame. que le bled en Europe. On en faitune boif-
lujuaiiis. fon , qui vaut bien noftre biere* Cet arbril-
{eau ne vient point de ftmence comme les
autres .*on coupe de ces branches t^ r pie
ces , environ d'un pied de long .*on fait des
trous environ de demi pied avant dans la
terre , où on enfoiiit ces branches conpees,
ayant foin de mettre certains noeuds en
hautj car autrement,ils ne produiroientrien.
f La Nanna eft une plante qui produit un
des meilleurs fru its, & des plus délicats qui
'I.'-
croiiTenc dans toute retendue de l’Ameri^-
'1? que. Ce fruit eff fcmblable a un artichaut,fa
ii:, fubilance relfemble à celle d’une poire toit fl
cubtilité fucculente , fon fuc eft extrêmement agrea-
dcIaNan- ble , & fubtil en un point, que quand on en
CUL mange un peu trop,il ouvre.toutes les petites
veines & arteres qui font dans la bouche : de ■i
maniéré que l’on faigne beaucoup , fans
pourtant en reiTentir aucune incommodité.
11 n*eft pas befoin que je donne icy la def-
cnption du Tabac : car il eft ii connu par
toute l'Europe,qu’il n’y a aucune nation qui
I; ne s’en ferve, n'en connoilfe les proprietez,
éc nel’ayme avec paifionijufques-là que les
Turcs, à qui r Alcoran deffeud exprciTement
d*ea
D E s A V A M T U K T Ë R s. 77
d*en lifer J iiir peine d*un »ran J péché , ne
laiiTent pas d’en prendre ahondaiTvnent; car
dans le tevnps de leur Carême appelle K^ma-
ndn ^ pendant lequel ils ne mandent point
de tout le jour,ils ne cfeiTent point de prendre
du tabac en fumée , avec cette précaution
qu’ils ont grand foin d’avaller cette fumée ,
de peur que l’on ne s’en appcrçoive â l’o
deur, ou autrement. Voicy la maniéré que
fe cultive cette fameufe plante dans l’Ame-
rique.
On prepare un qnarré de terre , comme Manière'
j’ay dit qu’on faifoit pour le Cacao oui on
plante de la femence. On arrofe tous les ^
jours ce quarré,& on le couvre pendant l’ar- î’ap’reüer^
deur du Soleil. • Quand il ne fait point foleil
6c cju’il ne pleut pas, il faut l’arrofer tout de
tneime. Cette femence eftant levée hors de
terre , elle forme une pente tige comme la
laittuë, on la change de place,de mefme que
cette plante , 5c on la met à trois pieds de
diilance l’une de l’autre ; on ny doit point
fouiFrir d’herbes étrangères. Lors que les
feuilles font devenues grandes, 8c qu’elles iè
caÎTent qu^nd.on y touche, c’eff.une marque
que le tabac eftnmeur : alors il faut le cou
per, Sc le laiiTer deux bu trois heures au So-
. leil , puis amaiTer toutes les plantes dçux à
deux, pour les pendre "à des perches, jafqués
à cinq étages les unes fur les autres,dans des
loges qiiiÎont feulement couvertes, de peur
que le tabac ne foit mouillé ; mais ouvertes
de toutes parts, afin que l’air y puifle mieux
entrer,8c de crainte que le tabac ne s’échauf
fe 8c ne pourriife.
D3 Avant
78 H IS T O IR E
Avant le levé du Soleil on dépend ces per-
' ches, afin de tenir les feuilles du tabac Îbu-*
■' tî pies, de peur qu’elles ne ie caifent & ne de
viennent en poudre, 6c on en tire toutes les
jambes. ' *
Quand il eft fec, on met toutes les feuilles
enfemble en paquet,6c avant que de les tor
dre 5 on les laiiîe tremper dans l*eau de la
mer» 8c on les tord après qu’elles y ont trem-
Ouaîitédu pé. Il faut remarquer que letabac de Verine
Tabac de eft le meilleur de to u s, que les femmes le
Vciine. fuQient aufli-bien que les hom m es, ôc que
c’eft une choie aufli furprenante en ce paisj
de voir des femmes qui ne fument point p
que d’en voir en France qui fumeroient.
Quoy que le tabac foit fi célébré par toute
lii itl. la terre, 6c dans un fi p;rand ufage,je n*en ay
fi.'» ' jamais bien compris la raiibn : 6c toutefois
je puis dire que la medecine que j’exerce
depuis fi long-temps , m*a donné quelque
connoiiTance de ce qui peut eftre utile 00
contraire â la fanté.
C H A P I T R E
•
X.
t
' * t
' f
4 \
«I
V,:
DES A V A N T U R I E R S .
mes une femelle qui avoit des petits qui e-
ftoient encore fort jeunes; nous les prîmes Sanglîerf
les apportâmes à noftre demeure ; nous leur apprivoi-
fcz &
hachions de la viande bien menuë qu’ils comment!
mangeoient: il en mourut quelques uns>mais
nous en échapâmes quatre, qui nous fui-
v o ie n t, & joüoient avec nous comme des
Chiens; 5c quand ils trouvoient une bande de
Sangliers , ils fe méloient avec eux , 5c les
amenoienc vers nous. L’un d’eux un jour
s’écarta , 5c nous croyions qu*il eftoit allé
avec les autres, 5c qu*il ne reviendroit plus ;
mais trois jours apres il revint avec une bande
de Sangliers, nous en tuâmes quatre.
Il re trouve auiTi dans cette lile beaucoup
d*oyfeaux; mais comme prefque tous reiTem-
blent à ceux que nous avons en Europe , je
ne parleray que de quelques-uns qui ne leur
reÎTemblent pas.
Les Perroquets y font en grande quantité.
Qiioy que ces oyféaux portent le mefme
nom , ils different neanmoins beaucoup en-
tr’eux. On ne rencontre jainais ces oy féaux
feuls.ils volent toujours par bandes,5c vivent
de femencc comme les Ramiers. Ils font leurs
nids dans de certains trous d'arbres , où fan-
née precedente Loyfeau nommé Charpentier
a fait fon nid , 5c il femble que la nature ait
commis ces petits oy féaux pour rendre ce
fcrvice aux Perroquets. Leurs petits dans ces L’oyfèan
Charpen
trous ne font jamais mouillez, ils les font en tier à quoy
nombre impair , fçavoir trois , cinq 5c fept. utile au
Le premier nombre eff plus ordinaire, 5c le Perroquet
dernier plus rare. Quand on vent les élever
& les appiivoifer , il faut les dénicher pen-
D6 danc *1
84 h i s t o i r e
dnnt qu’ils font jeunes ; car quand ils i^nt
Ouandles grands. Sc qifon les prend avec des apas, ils
?erro- demeurent toujours hurvages , 8c ne parleur
q nets font
propres à jamais. Pour avoir les jeunes il faut couper
pasler. par le pied Tarbre où ils ont fait leur nid, car
on n’y içauroit monter ; 8c il arrive fou vent
que l’arbre en tombant les m"é , iî bien que
de deux ou trois nichées oïï ne iàiive que
deux ou trois oyièaux.
Charpen- Le Charpentier eft un oyfeau qui n*eil pas^
tier,pour- plus gros qu’une Aloüette» il‘ a le bec long
q a o y ainfi
J
t6 H I S T O I R E
point encore oiii parler : car depuis que
les Eipa^nois habitent dans l’Amérique,nous
n’avons que des mémoires fort imparfaits >
pour ne rien dire de plus *. c’eft pourqnoy je
puis aiTurer que jamais perionne n’en aura
écrit avec plus de fidelité Sc d’exaélitude
que moy , parce que j*ay tout vû ôc tout
éprouvé moy-mefme.
C h a p i t r e XI .
'“hi
DESAVANTURIERS. S9
fain , apres qu*il a mangé de cette viande
deux ou trois mois de tem ps, iàns manger
autre chofe , il devient fort fain j & s'il a
quelque impureté du mal Venerien, en man
geant de cette viande,le corps luy vient tout
plein de galle & de falleté,& après il devient
plus iain qu’avec les meilleurs remedes de
l’Europe. Les Avanturiers font quelquefois tesAvat»^
deux ou trois mois fur l*Iile à manger de tu ri ers fe
régalent
I cette viande pour fe regaler. de la chair
La Tortue fe nourrir d’herbe, qu'elle paift, dcToriuifj
comme les Vaches , fur certains fonds qui
font le long des Ifles de l’Amérique, fembla-
bles â de grandes prairies. II y a fept â huit
braiTes d’eau ; & comme elle eft fort claire
quand la mer eft calm e, on void le fonds
verdÔc beaujfi bien que cela réjouit la veuë.
L’herbe qui y croift eil longue d*un pied , la
feuille eiV unie & platte tout de meÎiTie d’un
codé que de l’autre. Ce font là les prairies
où les Tortues vont paiftre. Apres qu’elles
ont bien mangé , elles vont à l’embouchure
des Rivieres , pour boire de l’eau douce. El
les ne feauroient demeurer plus d’un quart
d’heure à ce fonds fans prendre l’air j elles
viennent fouffler,& puis retournent au fond;
8c quand elles ne mangent point , elles ont
toujours la tefte hors de l’eau j dés la moin
dre chofe qu’elles voyenc, elles s’enfoncent
auifi-toft dedans. Elles vont tous les ans à Corn*
terre pour pondre leurs œufs , & font des m ent les
trous dans le fable avec leurs pattes de de Tortuës
font 2c
vant puis fe mettent là-dedans pour pondre 5 couvent
enfuice elles les recouvrent & s’en retour leurs
nent. Elles y reviennent quinze jours après, œufs.
>0 H I S T O I R E
& font la meime chofe jufqifà trois Fois. El»)
les pondent à chaque fois quatre-vin»t ,,
quatre vingt dix jufqu’à cent œufs.des œufi-
demeurent dans le fable pendant vingt-qua-.
tre ou vinat-cinq jours , dans lequel temps,
fon voit ces petites Tortues fortir du fable ,
qui courent à la mer, & ont bien de la peine.
' à y pouvoir entrer : car la lame qui bat au
rivage les rejette toujours â terre. D’autre,
cofte les oyieaux en mangent la plus grande ,
partie avant au’elles foient échapées : car
elles font neuf jours fans pouvoir coulera,
fond ; ft bien que pendant ce temps les oy-‘
féaux dont j^ay parlé,qui vivent de poifTon ,
les mangent preique toutes,& Ton peuts’ai^
iiirer que de cent à peine en rechape t’il une.
Il eft vray que s'il n’en periiToit point , les
navires ne pourroient pas voguer (ans tou-
oeuftde cher aux Tortues , tant il y en auroit. Les
Tortues œufs de CCS Tortuës font tres-bons à man
bons à ger , ôc tres-nourriiTans : ils ne fe gâtent ja
manger,
mais , car quand les petits commencent à fc
former, on qu’ils font tout à fait formez , ils
fe trouvent toûjours bonS; je ne l’aurois ja
mais crû, ft je n'en avois fait l’experience ;iî
eft vray que l’on dit que la faim fait trouver
tout bon. Quand les gens de ce p a is , foie
EfpagnolSjOu François,rencontrent des œufs
de Tortue, ils les font fecher au Soleil, & le
jaune le durcit,& eft tres-bon,feconfervant
long-temps : mais quand ils font vieux , ils
deviennent un peu acres à la gorge, à caufe.
qu’ils font tres-huilenx.
Les habitans de l’Amcrique, tant naturels
du pais, que lesChreftiens qui y font venus,
pren-
-^i H I S T O I R E.
Differen- prennent ces Tortues de trois minières. La
tes ma- premiere avec de certains rets qu’ils nom-
rieres de polbes.qu'ils vont tendre fur ces fonds
ksToT- d’herbes, où les Tortues paiiTeiit ordinaire- l I
xuës. ment. Ils tendent ces rets comme on fait un
tram ail, & les Tortues venant à paffer , fe
mettent les pattes dedans, & y demeurent
accrochées.
La fécondé maniéré efl: quand elles vien
nent â terre pour pondre .*les habitans qui
gardent ces lieux où elles doivent venir , les
i! renverient fur le dos,8c ainfi les empefehent
liii de retourner à l’eau. Ces Tortues ont un
certain inilindt de trouver les heux commo
des pour venir pondre,ôc elles ne manquent
jamais d*y venir tous les ans. L’invention
que ces ^ens ont pour retourner ces ani
maux , efl: aiTez bonne • car tels les pren-
droient par le corps avec les mains , & n*en
X'iendroient jamais â bout,elles échaperoienc»
quoy qu’ils fiiTent. Or donc pour les tourner
ils fe mettent deux qui tiennent un bâton
chacun par un bout, & lepofent fur le fable
par où la Tortue doit paÎTer; & quand elle a
les deux pattes de devant paifées par deÎTus
ce bâton, ils la lèvent & luy font faire le faut
â la renverfe , ou iiir le cofté. Il arrive
qu’un feul peut faire cela, mais avec plus de
peine.
La troiiîéme maniéré de prendre les Tor
tues, eft avec les Harpons , qui ne font pas
faits de meflue les Harpons avec quoy on
prend le poiiTon *. ce ne font que des clous
H; gros comme des clous de charettes, fans
telle,à quatre quartes égales, fort'pointus
DESAVANTURIERS.
Sc trempez. Ce clou eft attaché nu bout d'u
ne Ligne de cinquante â foixante braiTes de
long,de la groiTeiir du petit doigt:on met le
bout du clou, qui eft tout rond , dans un ba
ton , au bout duquel eft une virolle de fer ,
dans quoy ce clou s'enchaiTe. Ce bâton eft
ordinairement long de deux braiTes & de
mie, & eft attaché â la ligne avec une petite
ficelle coulante,afin qu*on la puiiTe toujours
reprendre. Quand ils veulent faire cette pel^
che,ils vont cinq ou fix dans un Canot, plus
ou moins, felon qu’il eft grand. Un d’eux eft
fur le devant tout debout, & tient à la main
un bâton,qu’on nomme Vara^ du nom Efpa- il»
I g n o l, qui veut dire gaule- & fur ion bras
gauche il a la Ligne roulée >à quoy eft atta
ché ce clou ; lorfqu’il voit une Tortue au
fond, illuy lance ce clou fur le dos , dans la
Carapace, La Tortue prend un fi grand erre ,
qu'elle traifne le Canot plus vifte que s’il al-
loit à la voile; mais comme j’ay déjà dit que
ces animaux ne peuvent demeurer long
temps fous l'eau fans refpirer »le Harponeur
îi le prepare à luy lancer l’autre clou qui eft à
Tautre bout de fa Ligne , & quand elle a ces
h deux clous, on la tire dans le Canot,& on la
met fur le dos ; eftant ainii , elle ne peut fe
debattie. Le temps que ces gens-là prennent
pour pefeher la Tortue de cette maniéré, eft
le ibir, le matin, 6c la nuit,quieft le meilleur
temps : car elles ne mangent gueres que la
nuit. Le jour ils vont remarquer les lieux oft
il y a beaucoup de ces bancs d’herbes , donc
j’ay déjà parlé : ils obfervent .auffi lors qu’ils
yoyent bien del'heibe fur l’e a u , c’eft mar
que
^4 H I S T O I R E
que qu*il y vient de la Tortue paiftre.
Cela femblera peut«eftre étrange , de ce
que j*ay d’t que la nuit eftoit le meilleur
temps pour prendre les Tortues à la varre, à
îI caufe que de nuit on ne peut pas voir. On
fçaura que la n u it, lors mefme qu’elle eit
I -I plus obicure, c’eft le mieux : car les Tortues
en nageant remuent l*eau, quieft fort claire,
6 c qui paroift comme quatre feux allumez
qui font un grand jour , au mouvement des
quatre nègeoires, ou pattes de la Tortue .*ii
bien qu’en jettanr la varre au milieu de ces
quatre lumières,on ne manque jamais à l’at
traper : quand il fait clair de Lune , encore
auifi bien qu’alors qu’on ne voit point de
lumieres.'carla Tortue paroift blanche com
me de l’argent fur le-fond de l’herbe qui
femble noir. Les Indiens ont efté les pre
miers comme naturels du pais,; à prendre la
Tortue de cette maniéré; mais les Espagnols
ont inventé cette varre, avec le clou , Ôc les
Indiens iè fervent de harponsiEnfin l’on peut
dire que les Efpagnols font les plus habiles à
cette pefche de toutes les Nations qui habi
tent dans l*Amérique.
La fécondé forte de Tortue ne diffère
point de lapremiere,iinon quelle eft plus pe
tite* elle a la tefte un peu plus longue que
cette premiere , ion efcaille quieft fur le ca
rapace eft époiffe. C’eft celle dont on fe ferc
en Europe pour faire les ouvrages d’Hicaille
Tortue .* Les Efpagnols nomment,(^es Tor-
tiiës, Carey ; 6c les François Caret-, Ces gens
les néchent
pèchent Iciilement nour en avoir
Iculement pour nvnir ftécail-
:ji ^ vendent bien:Car pour la .chair elle
ne
1 i'
fi ,1 V'
\ ,
DES AVANTURIERS. 9^
)i‘n c vaut rien,à moins que d*avoir bien faim.
‘'J*en ay quelquefois mangé faute d’autre
iichofe, mais je l'ay trouvée fort mauvaiie.
( Elles paiiTcnt comme les Tortuës franches ,
['mais dans des^ lieux pierreux & pleins de
mouiTe marine ; elles font à l’é2:ard des ani-
i maux terreftres, comme, les vaches & les
( moutons, les unes veulent eftre â bon fond,
:•& les autres ie plaifent mieux aux monta-
1gnes.
Les Efpagnoîs ont une maniéré fort iîib-
1. tile pour avoir l’écailîe de ces T ortues, fans
tuer. Lors qu’ils les ont prifes,ils les met-
3tent routes vives fur le feu^ôc 1*écaille fe le-
)1've. Un Ffpagnoi m*a dit qu'il en avoir un
DIjour marqué une , d’une maniéré à pouvoir
B-ila reconnoiftre, qu’il avoir ainfi dépouillée
il de ion écaille Sc l’avoit remife à Teau , 8c
£ que trois ans après il la reprit avec une auiïx
•c belle écaille que jamais. Ces Tortues peu-
[■plent tout de meime que les premieres : mais
:1 elles ne font pas tant d’œ u fs, 8c ne font pas
I fi communes. Leur graiiTe n’eft pas fi verte
rp que celle des premieres*, elle eft admirable
'd pour toutes douleurs froides, eftant fort pe-
•rj netranre; elles font fi fortes par le bec , que
ce qu’elles pincent , elles le tiennent telle-
Tl ment,qu’il eft impofiîble de le leur arracher. »'..
0 II y a une fubtilité à tuer les Tortuës de queU
fl ques fortes qu’elles foient- car fi on lesrrap-
>d pe fur la tefte, on ne peut pas les aiTommer
avec un levier ; 8c en les frappant fur le nez
P qui ejt au deifiis du bec, en forme de deux
1 petits trous, par où elles prennent Pair, avec senties
le manche d’un coufteau, elles feignent en Tortues,
abon-
'• 1 'I
^6 H I S T O I R E
abondance Sc meurent bien* toft apres.'
La troiiiéine forte de Tortue eft plus !ar-
ge,pluslon;j!;ue en circuit, Sc plus platte que
Tes deux aiitres , & a uné fort groÎTe teiVe .•
c’eil: pour cette raifon que les An^lois les
nomment Loger^het,qui veut dire groiîe tefte*
les Efpagnols Caivana , 8c les François Caho-
arma. Cette forte de Tortue n'elb jamais graf-
fcjSc a beaucoup plus mauvais gouft que le
C a re t, elle pond comme les autres , & les C
œufs en font aufli bons .* L*écaille de cette
derniere cil comme celle de la Tortuëfran-
che , Sc ne fei t à rien. On n*en mange que
comme du Caret au befoin,
La quatriefme ibrtede Tortue ne différé
point de la Cohanna,iinon qu'elle cil encore
plus groiTe Sc fort gralfe , Sc ne fert à rien
qu'à faire de l'huillepour brûler. Toute ia
carapace ell cartilaginenfe , Sc on la peut
choferc- Comme l*on veut. C*eil une choie
marquL* remarquable, que toutes ces fortes de
bie lurles Tortues ne fe mêlent point les unes avec les
diiFeren. autres ; mais toutes chacune avec leur fem-
dc blable^ la Tortuë franche,avec la franche; le
tues. Caret avec le Caret - ainii des autres. Je me
fuis informé de cela à un vieux Varreur Es
pagnol,quifaifoit ce meilier depuis quarante
ans;il m’a dit n’avoir jamais veu uneefpece
fe méfier avec une autre differente de la
iienne.
Ces quatre fortes de Tortnës fe tiennent
ordinairement dans la mer, Sc ne viennent à
terre que pour y pondre leurs œufs : les deux
autres fortes font bien autrement, car l’une
ne va point à l’e a u , Sc l'autre s’y tient tou
jours »
DES A-V, A N T U R I,E R S.
jours, 5c ne va jAmais a terre que pour pon
dre Tes œufs. La premiere de ces deux que
nous nommerons Tortue de terre,eil longue
environ de deux pieds , 5 c Targe d\in. Ce
font-lâ les plus groiTes, elles font enovalle, 5c
ont le dos ou le carapace en arcade , 5c fort
dur. On ne le peut caiTer avec les plus forts
inftrumens, la Tortue eftanten vie. Cette
Tortue eft toute comme celle derner, ex
cepté les pattes où elle a cinq griffes qui luy
fervent à faire des trous dans la terre où elle
fe retire >elle n*a point d’écaille fur fa cara-
pace;inais elle eft figurée de jaune 5c de noir.
Les Éfpagnolsont beaucoup de ces Tortues
dans leurs Magazins,8c les mangent,
La féconde qui demeure toujours dans
l’eau douce , n*eft differente de la Tortue de ■
mer qu*en ce qu*elle eft plus petite, 5c a des .
griffes tout 'de meiîne que les Tortues de
l’Europe que Ton voit dans les Eftangs.
Il y en a encore une forte de fort petites ,
qui ne font pas plus grandes que la main*,
qui Te retirent 5c ié nourriiTent dans les^ ri-
^vierès. Un jour étant en Natolie , j*en trou-
■vay 5c j’en apportay à une maifbn. On corn- Puantei’t
'mença.à fe plaindre qite Ton fentoit manvaiS3 d*une ei.
' 5c celâ^dura long-temps fans qu’on fceût Ce
que c’étoit : je protefte que jamais je n'ay
fenti une fi vilaine odeur, c'eft pourquoy je
les nommeray Tortues puantes. Cette puan
teur vient d’un limon falineux 5 c fulphuré
'd o n t cës animaux fe nourriiTent.
^ Le Lamentin eft le‘meilleur de tous les
' anîmiau^ pour la riôiirrkure de l’homme ; il a
Te corps^ ffit comme une Baleine jüfqu’à la
Tome i* queue.
GiiciVé , cjui eft plcitte & ronde au contraire
des autres poiiibns; car ils ont tous la queue
Anato felon les coftes,& le Lamentinl’a toute unie
mie du
Lamen- au ventre & au dostfatefte eft comme celle
tin. -d’une taupe- ion mufeau ne diifere nulle
ment de celuy d’une Vache ; lès lonc
femblables à ceux d'un porc , fes'machoires
â celles d’un chevalj il n’a point de dents de-
vantjmais feulement une calofue dure com
me un os avec quoy il pince l’herbe : il a
trente-deux dents molaires aux cotez des >
deux mâchoires, tout de mefæe qu^un che
val. On remarque que cet animal ne pept
pas bien voir a caufe de la petireiie de les
yeux ,où il y a fort peu d’humeur & n a point
d’ins, & fes nerfs .optiques fon tres-petitsj il
n’a que cres-peu de çcrvelle:On trouve dans
fa tefte quelques oifelets ,que les François oC
rV Efpa^nols .difent eftre bons,pour plufieurs
maladies de tefte.-comln:^ Epilepfie, ou Mal
caduc & vertiges : imais nj l*a^
veu, quoique je l’aye diverfes fois éprouvé,
& n’ay jamais auiTipû appercevQÎr ^.que la
DES AVANTURI ERS.
fubftance de cesoiTelcts fût vomitive, com
me on a crû. On y remarque auifi tous les
organes necelTaires â l’oiiye ; & l’on peut
dire que c'eft l’animal qui entend le mieux
de tous, car on croit qu*il entend du fond de
l’eau ; Il y a des gens-lâ , qui par de longues
experiences ont reconnu , que lors qu’un
vaiiTeau arrive dans un Port ou Baye , ou il
fe trouve du Lamentin, & qu’ils tirent quel»
ques coups de canon , tous ces animaux
fuyent; & on eft long-temps fans en rencon
trer.
' Ceux qui vont à la pèche de ce Reptile ,
font obligez de ie fervir d’autres Rames qu’à
l’ordinaire , afin de ne point faire ne bruit :
Ils s’abftiennentmeline de parler. Lorsque Precau.
les Avanturiers vont en quelque lieu pour ra tion de*
A vanru.
vitailler leurs Bâtimens de ce Reptile : ils ne neis pour
vont pas droit avec le VaiiTeau aux lieux où prendre le
ils font ; mais à deux ou trois lieues de là , ils Lamen
prennent de petits bâtimens, afin de de point tin.
faire de bruit. Ils falent le chair de cet ani
mal, la font fumer, & gardent auiTi la graifi
i fe, dans laquelle ils font cuir des legumes.
‘ Cet animal n’a point de langue , fa tra-
k cheartere & ion olophage,ibnt comme celles
d’une Vache; le poulmon, le cœur, le foye ,
a la pance, les boyaux,la ratte, le diaphragme,
Il
le Mediaftin,Ie Péricarde, le Meièntere,& le
fang, ibnt comme dans la-Tortue • il n'efl: ny
chaud ny froid , & ne iè fige jamais. Quant Partiesge-
aux parties genitales; je diray que les ayant niralcs'du
examinées , je les ay trouvées tant internes L am entin
qu’externes , & tant du mâle que de la fè- mâle &
melle,plus femblables à Thomme & à la fem- fem elle,
iem bla-
:i E 1 me •
100 - H I sT O I K E
b l « à celæe, qu'à aucuns autres animaux .-Les femeî-
les de les ont deux mammelles^qui ne different nul
rh o in m e
£< de la
lement enfcituation,en {grandeur, groffeur,
fcmirie. fii^ure &fubftance de celles deà femmes noi-
res. J*ay efté curieux de fuccer du laict de
quelques-unes de ces femelles , qui nourrit
foient, je fay trouvé auffi bon que le laict
Les fe des animaux parfaits par la copulation. Les
melles al femelles n*en ont qu’un à la fois,apres l’avoir
laitent, Ce
poitent
produit elles le portent toujours avec elles ,
leurs pe juiques à ce qu’il ait la force de paiftre y qui
tits com peut eftre dans un an : Elles n’ont que deux
m e les aillerons, ou pattes qui font au lieu de pieds
femmes.
de devant des animaux , 8c des bras des
hommes ; c’eft avec quoi les femelles tien
nent toujours leurs petits , 8c j’ay remarqué
que ces animaux ont un fi ^rand inftind: d’a
mour 3les uns pour les autres, que quand on
trouve une femelle qui porte un petit, fî on
la tue » fou petit ne la quitte po in t, 8c ii on
tuë le petit, la mere en fait tout de mefiiie y
fi bien qu*on peut les prendre tous deux.^
Le Lamentin a depuis fon col jufqu’à la
queue une épine dorfalle , comçofée de 5
Vertebres , qui font femblables à celles d’un
cheval, 8c jointes enfemble à celle d*un Bal-
nau venant à diminution par les deux bouts.
Sa chair cft comme celle de veau ou de porc,
là p-.raiffe a du rapport à celle du dernier , &
a auffi bon ^ouft. life nourrit comme la
Tortue , va boire dans la riviere , ne va ja-»
mais â terre, 8c ne peut marcher ny ramper,
eftant hors de Tcau ; il cft gros comme un
Bœuf. On prend cet animal de mefme ma-
miere que la Tortue , excepté que les doux
foui:
DES AVAN T U R I E R S . l oi
font dentelez , afin qu*ils puiÎTent tenir dans
la peau. On voit un grand nombre de ces
animaux dans la riviere des Amazones, qui
eil à la partie Méridionale de 1*Amérique.
Je ne diray que quelques particuîaritez du
Crocodile , parce que Pline en a parlé am
plement , & qu*on void par tout fa figure. Il
arin ftin d t de remarquer les rivieres, où les
Bœufs viennent boire,il fe tient tout proche
iàns fe remuer aucunement. Lors que cctAdrere&
animal , ou d’antres viennent boire ,
prend par le m uzeaii, les tire au fonds de
Peau,les tue 6c les laiife pourrir , jufqu’â ce
qu’il puiiTe les déchirer avec Tes dents. Il va
auiTi à terre dans des lieux marécageux , fe
cache dans les buiifons ; & lors qu*iin San
glier paÎTe, il le prend par derrière 6c le dé
chire , pourveu qu’il ne foit pas trop fort.
J’ay vu un jour un pareil comÎ3at dans Divers in-
riile de Cuba. Il a encore Tadreife d’aller
prendre les cuirs des Boucaniers , lors qu*ils^^^ '
les mettent fecher ; il les entraifne auiïi dans
l’eau, les laiife au fonds couverts de pierre ,
jufqu'à ce qu’ils ibient pelez 6c prcfque
pourris, afin qu’il les puiife avaler.
Un Boucanier m*a dit qu’un jour en le
vant fa tente prés d*une Kivicre , il vint un
Crocodile qui la prit, 6c la droit doucement
d’entre Îès mains, l’eau étant fort claire,6c la
foiTe peu profonde j le Boucannier mit ion
couteau à fa bouche, 6c laiifa faire le Cro
codile, qui entraifna le pavillon 6c luy aufll.
Quand le Boucanier fut au fonds de l’eau, il
commança à fouler aux pieds le Crocodile ,
pour le faire noyer ; mais ne pouvant de-
É3 meu-
lo i , H I S T O I R E
liji
meurer long-temps ibus l*eau , il luy ouvrît
le ventre avec fon couteau ôc fe retira. Il
il r dit que ce n’étoit qu’un animal de à qua
1R' : ï' tre pieds de long , 6c qui neanmoins avoic
cette force.
II
J,
Difcerne- C’eft une chofe remarquable , que les
B ^ rtient du Crocodiles n’attaquent jamais les hommes
\s i Crocodi
le. blancs , pourveu quil y en ait de noirs avec
' î; eux. S’il y a vingt hommes blancs qui fe
baignent, 8c qu*il n’y en ait que deux noirs
dans toute la bande , ils feront les premiers
^ (’ pris.
I ■.1 Quelques-uns tiennent que c’eft à cauiè
^1 d'aune certaine exhalaifon tres-forte qui fort
des Noirs ; c’eft pourquoy ces animaux les
ièntent plûtoft que les autres hommes. Je
me fuis trouvé beaucoup de fois avec des
Moyen de quiprenoient des Crocodiles : ils fe fer
les ptcn. voient pour cela d’un poulmon de cochon
ou de vache, qu*ils attachoient à un croc de
bois avec une corde, on la jettoit dans l’eau
où ces animaux eftoient,6c ils venoiencaulfi-
toft prendre ce poumon , quand ils avoient
tout avalé, on les droit à terre , puis on les
ûiTommoit à coups de levier.
Nous en avons quelquefois trouvé qui
:I avoient dans le ventre plus de cinquante li
vres de cailloux pezant. Je croy qu*ils fai-
ibient cela afin de mieux couler à fonds.
Leurs œufs font fort bons à manger 6c fort
nourriffans , 6c n’en font que quarante ou
Indnftrie cinquante une fois l’année. Ils font fi indu-
des C ro ftrieux qu’ils les retournent d’un cofté 6c
codiles.
d’autre jufqu’à ce que leurs petits foient
éclos ; 6c quand ils le fo n t, ils les viennent
tous
1fi
DES A V A N T ü R I E R S . io$
tons prendre & les avalent pour les garantir
desoyfeaux , parce.que quand ils forcent de
J*écaille,ils ne peuvent couler à fonds.
‘ Un Capitaine Avanturier me fit remar
quer un jour ce que je vais dire. Nous nous
promenions le long du bord de la m er, nous
vîmes fur le fable quinze pu vingt de ces pe
tits Crocodiles quife premenoienc au Soleil,
& Îi-toft que leur mere qui eûoit tout pro Com
che, fe chauffant comme eux au Soleil nous ment le
eut apperceus, elle ouvrit la gueule , ^ tous Crocodile
ces petits s’enfuirent dedans, Ôc auffi-toft -auve les
petits.
elle fauta dans la mer.
Les Lézards reffemblent au Crocodile.
Quand les Avanturiers fe rencontrent dans De quelle
les
les lieux où il y a de ces animaux,ils en pren Ibrte
A vantu-
nent beaucoup,& voicy la maniéré. Ils met tiers pren
tent au bout d’un bafton long de deux toifes nent les
une petite corde en nœud coulant, apres ils Lézards.
fe couchent par terre , & lorS qu’il vient un
Lézard , ils Uiy chatouillent la gorge avec le
bout du bafton, & cependant, ils luy paffent
le nœud coulant,& le tirent tout d*un coup.
Les Lézards fe laiffent prendre de cette for
te , parce qu’ils croyent que c’eft quelque
mouche ou quelqu’autre infeéte qui les cha
touillent , & qu’ils ont accoutumé de vivre
de ces animaux. On les prend anift à la cour-
fe , quand le pais le permet; mais iî faut fe
donner de garde en les prenant j car ils mor
dent bien fort : c’eft: pourquoy , il les faut
tenir par le gros de la queue,& par ce moyen
ils ne peuvent remuer , & n ’ont point de
force.
Les Couleuvres ne font point vemmeules.
E 4* Un
Î 04 h i s t o i r e
Incident Un jouf il en vint une dans la maifon ou fe--
au lujec ftois,qui entra dans ta ca^e d*nn Perroquet,
des C ou- [g ^ |y y fucca tout ie fanp;, & puis ie
il
♦ k'
A Ji' .
leuvres. rnoitié dans ta cage entre deux bar
reaux,& Tavala tout entier^ mais eîte ne put
fe retirer apres , & fît tomber ta cage en ie
débattant; nous accourûmes au bruit & l'a
tuâmes.
Co’iieu- Les Coureuvres font meilleures dans les
vresm eil- tnaifons que les Chats , car en peu de temps
lüunsq^ue ^^l^s feroicnt pleines de rats & dé
les chats, fouris, elles les détruiroient, parce que ce^
animaux paflent par to u t, oû les rats fe re
tirent^ tellement que pas un ne peut écha-
per.
Ce qu’on Les Cameîeons ont une crefte qui change
doiteroire de trois OU quatre couleurs, comme de noir
de? Ca en blanc , & de rouge en couleur de fer j
m eleons.
mais ils ne fe changent pas en toutes Ibrtes
de couleurs, comme plufîeurs font écrit, 6c
comme on le croit ordinairement.
Chien de I-^ Rcquiem ou Chien de m er, eft fort
mer, d a n - dangereux J car fi un homme tombe dans
geteux. Peau oû il y ait de ces animaux >il eft ieur
qu’on ne le revoit jamais qu’en pieces. 11 le
tient toujours à l’embouchure des rivieres
l’on voit à là fuite un petit poifibn qui ne
le quitte jamais, & que l’on nomme Pilote, à
caufe qu’il va par tout devant luy ; 8c lors
PoiiTon mauvais temps, ce petit poifibn s’at-
quife fuit tache au chien de mer , pour refifterà Tagi-
loûjouis. ration des flots. Quelques-uns croyent que
cepoiÎTon eft le veritable Remora.
h •• '
Le Negre eft un poiiTon qu’on nomme
a in ii, à caûic de fa couleur qui eft toute
noire.
ldi n
D E S A V A N T U R I E R S . lo f
noire. 11 a la figure d'une tanche , fe nourrit
dans les rochers, a tres-bon gouil,& eft fort
nourriiTant. Il paroift que ce poiiTbn vit fort
long-temps,car j’en ay veu un prodigieux.
Un jour que je pefchois avec une petite Ce qui ai.
ligne & un hameçon , je fentis mordre à rna riva à
ligne qui n’eftoit qu’un fimple fil d’archal; je l’Auteur
en pef-
retiray,& ne (ends aucune refiil:ance,&: peu chanc.
apres je ne pûs retirer ma ligne hors de
I*eau. Je la croyois accrochée à quelque ro
cher, comme cela arrive fortfouvent; je re-
gaiday 6c je vis un monftreux poiiTon à fleur
d*eau , qui ne remuoit nullement ; car s’il a-
voit fait le moindre effort, il anroit bien-toft
cafle la ligne. J ’en avertis ceux qui m’ac-
compagnoient, SC il nous donna le temps de
luy attacher une corde 8c de le guinder en
haut. Il avoit quatre pieds de long , deux de
large , 8c pezoit cent vingt-deux livres. Be
aucoup de gens qui avoienc efté dans ce
pais plus de vingt cinq ans, nous aiTurerent
que de leur vie ils n’en avoienc veu un pa
reil.
On trouve fur cette Ifle toute forte d’in-
fedles, mais je n*en diray qu’un m o t, 8c je
toucheray en paiTant quelques particulari-
tez qui les regardent Parmy tous ces infec
tes , il y a quantité de moucherons fort in
commodes , principalement de certains qui
font ronds. Les Chafleurs en font les plus
incommodez , ils neles tourmentent que la
nuit. Dés le matin que le Soleil efl: levé , on
n*en voit pas un, 8c dés qu’il cil couché , ils L*Auteur
rempliiTent tous les bois. J ’ay une fois ellé réduit
coucher
à
contraint de coucher huit jours dans l*ehu huit fours
E 5 au dansl’eauk
lo ^ HI STOI RE
au milieu de la riviere. Je n’avois point de
tenteje me dépoüillois tout nud & me cou
ch ois fur un banc de fable, où il n*y avoir de
l*eau que pour couvrir mon corps. J'avois 4
mis une groiTe pierre fous ma refte pour la
tenir élevée hors de l*eaii • je la couvrois de
feüillages, & par la je trouvois le moyen de
me garantir de ces infecites > ôc de dormir en
repos.
On trouve encore dans cette Ifle une cer
taine forte de mouches qui ont deux taches
aux deux coftez de la tefl:e,qui font luifantes
comme ces petits vermiiTeaux que l’on voit
Mouches la nuit en Europe. Quand ces'mouches vo-
qo\ eciai- lent pendant Tobicuriréj on diroitque quel-
rent dans porte du feu dans les bois. Ces mou-
ches jettent une telle lueur, que deux eftanc
renfermées dans un certain efpace , peuvent
fournir aÎTez de lumière , pour lire dans un
livre , elles ont la figure 6c la couleur d*un
hanneton.
4 iA Arrîfiee H y a auili plufieurs fortes de Fourmis :
des four- c’eft une des plus grandes curiofitez du pais,
nus. que de voir Tinduiftrie de ces petits animaux
à conftruire leurs logemens. Ils fontcompo-
iez de plufieurs chambres , où fon ne void
que deux ouvertures, l’une pourfortir, 8c
l’autre pour entrer. Ces logemens font affez
hauts, ils les font de terre qu’ils maiTonnent,
avec une eau qui diftile de leur corps, Sc
cela tient extraordinairement. Ce qui eft
encore plus remarquable, dés le pied de I*ar-
bre, ils font un chemin couvert en forme dç
can al, pour aller & venir , comme s’ils a-
voientpeur d’eftre veus; 6c je croy qu’ils le
font
D E S A V A N T ü R I E R S . 107
font à caufe de la pluye : car ils haïiTcnt tel
lement l’eau , qu’auiTi-toft que leurs loge-
mens en font pénétrez, ils les abandonnent.
Je penfe avoir dit ce qu*»l y a de plus re
marquable & déplus utile à fçavoir , fur ce
qui concerne lesovfeaux 6c les poiiTonSjC’eft
pourquoy je n*en parleray pas davantage, de
peur de laflTcr le Ledteur. Je me laiTe moy-
méme d’écrire fi lonç»;-temps d’une mefine
choièj 6c pour diverfifier yje palTe aux Bou
caniers 6c aux Avanturiers , qui font le prin
cipal l'ujet de cette Relation, je commence*
par les Boucaniers.
C h a p I T R E XII.
J ,4 h i s t o i r e
D E S A V A N T U R I E R S . 119
quantité de viande fraîche,qui eft unetres-
l3onne nourriture, ils fe puiÎTent remettre en
fanté.
Apres que ces çens ont fait leur travail ,
ils vont fe divertir tout de meime que les
autres BoucanierstCette vie n’eft pas la moi
tié il rude que celle des premiers : auiTi n’eft-
elle pas fi profitable .* Ces Boucaniers font
une grande deftrucftion de Sangliers : car ils
ne fervent pas de tous ceux qu*ils tirent ;
mais ils les choifiiTentic'eft à dire,que quand
ils ont tué un Sanglier qui eft un peu mai
gre; ils n"en veulent p o in t, le laiiTent'là » en
vont chercher un autre, & font toujours de
mefme, jufqu’à ce qu’ils ayent fait leur char
ge, félon qu*ils le fouhaittent .* fi bien qu’ils
tuent quelquefois cent Sangliers pour un
.four , fans en rapporter plus de dix ou douze
jd’un fl grand nombre.
* Ces Boucaniers ne ibnt pas plus indulgens vn Botû
envers leurs ferviteurs que les autres. L’un canierfra- .1
d*entr*eux voyant un jour que fon Valet qui
.eftoit nouveau venu de France , ne le pou^ laiffepour
voit Suivre , tranfporté de colere luy donna mort dans
.un coup de la croiTe de fon fufil parla tefte »
qui fit tomber ce pauvre garçon en fincopej ariivâ.
le Boucanier crût l’avoir tué & le laiiia là ,
&c étant revenu, il dit aux autres que ce gar
çon eftoit Maron , & que peut-eftre il vou-
doit s’aller rendre aux Efpagnols. Maron eft
'un mot que ces gens ont encr’eux, pour dire
que leurs ferviteurs ou leurs chiens fe fau-
■h vent : Ce mot eft Efpagnol, qui fignifie befte
fauve ou fanvage. ..
Ce Maiftre èoucanier n’eftoit péuteftrc
pas
tio H I s T O .I R E
pas encore loin que Ton Valet fe releva » 8c
tâcha à le fnivre j mais comme il n’étoic paà
bien accouftumé dans ces bois,il ne pût ja
mais trouver la trace de Ton Maillre ; 8c y
demeura quelques jours fans fe pouvoir re-
connoiftre , ny mefme trouver le bord de la
mer. La faim commença à le preifer, qui Tq-
"bligea de manger de la viande qu*il portoic
toute cruë’.car il ifavôit rien pour battre du
feu, ny mefme de couteau, que fon Maiftre
îuy avoit ofté, croyant qu’il rut m ort, parce
qu’il ne vouloir pas perdre une guaine qu’il
luy avoit donnée, dans laquelle étoientdeux
couteaux , 8c une Bayonnette que ces gens
portent ordinairement à leur ceinture, pour
écorcher les beftes qu’ils tuent. Tellement
que ce pauvre garçon eftoit au dcfefpoir ^
n’ayant pas l’induftrie qu’un autre accoutu
mé à ce pais auroit pu avoir. Il avoit pour
compagnie un des chiens de fon Maiftre qui
eftoit refté avec luy,8c qui ne l’abandonnoic
point.
Ce Garçon ne faifoittous les jours qu’aller
Sc venir dans le bois,fans fçavoir où il alloic:
Bien ibuvent il montoit fur quelque Mon
tagne quand il en rencontroit, d’où il voyoic
la mer : Mais quand il eftoit deicendu Sc
qu’il pcnfoit la trouver, le naoindre chemin
des beftes qui s’offroit à lu y , eftoit caufe
qu’il perdoit fa route. En marchant par les
b o is, ion chien que la faim preifoit au (Il
bien que luy , queftoic fans ceiie. Quclqiié-
*fois il rencontroit dés ’fruyes qui ayoieiit
"des petitsî il iè jettoit fur ces petits 8c en
étrangloit quelqu’un. Ce Garçon íecòndoíc
fon
DES A V A N T U R I E R S . iir
Ton chien , il couroic auili deiTiis, Sc quand
ils avoienc pris quelque chofe, le Chien 5c le
Maiftre inangeoienc enfemble du mefme
mets : Ayant ainiî paiTé quelque temps , Sc
s’eilant fait à manp;er de la viande crue qui
ne luy manquoit plus : Accoûtumé à cette
chaiTe , il fçavoit les lieux où il devoir aller
pour attraper bien-toft quelque choie : Il
trouva un jour de petits Chiens fauvagjes
qu*il éleva : il les apprit à chaiTer , iniiruific
meiine des Sani^liers qu’il avoit pris en vie
-p ar diyertiiTeménr. Apres avoir mené cette
iVie prés d’une année , il fe trouva inopiné-
im e n t au bord de la mer; mais il n*y rcncon-
|t r a pointfon Maiftre,5c â toutes les apparen
té e s , il y av oit déjà quelque temps qu’il écoit
ih o rsd elà.
Ce Boucanier étant accoutumé à la vie
qu’il m enoit, ne fe donna plus de chaj^rin ,
jugeant que tôt ou tard il rencontreroic des
I gens, foie Efpagnols,ou François : En effet »
au bout de quatorze mois il fe trouva parmi
une troupe de Boucaniers, avec Iciquels il le
ÿ m it, 8c leur conta ion hiftoire, comme je la
viens de reciter. 11 leurcaufa quelque frayeur,
r parce que fon Maître leur avoit dit qu’il s’é-
toit rendu Sauvage j ils crurent par là qu’il 5 -H.
eftoit peut-eftre avec lesErpagnols,quoy que
l’état où il? le voyoient, dnft bien leur faire
connoiftre qu’il n’en eftoit rien , puis qu’il
n’avoit qu’un méchant haillon , refté d’un
/ caiçon 8c d’une chemife,'de quoy il cachoit
fa nudité , avec un morceau de chair crue
0 pendue à lôn cofté, étant iuivi de deux San-
! gliers 5c de trois chiens , tellement accoûtu-
Tome I, F ma,
121 h i s t o i r e
niez avec luy, & les uns avec les autres,qu ils '
ne voulurent jamais le quitter. Il alla avec
ces Boucaniers,qui le mirent en libertejC elt
à dire , hors du fervice de ion Maiftie,oC iuy
donnèrent des armes , de la poudre >^
! i plomb pour chaiTer comme ciiXîen forte qu’il
cft devenu un des plus fameux Boucaniers
i'
qu’il y ait eu en cette cofte. ^
1■■
On a remarqué que ce garçon étant re
venu avec les Boucaniers, eut bien de la pei
ne à s'accoutumer à la viande cuite • Lors
i
qu’il en mangeoit, outre qu’elle ne luy fem-
bloit pas bonne, elle luy faifoit mal, en lorte
qu'il fe plaignoit de Teftomac ; ii bien que
quand il écorcheoit un Sanglier, il ne pou
voir s’empefcher d^en manger quelquerois
un morceau tout crû.
C om m e î La recompenfe que les Boucaniers don
les Bou-r nent à leiii s Valets, lors qifils ont fervi trois
caniersre-■ans5 c’eftun fufil, deux livres de poudre , fix
■coinpen-
lent leurs
livres de plomb, deux chemifes,deux calçons
Valets. & un bonnet : Et apres qu*ils ont efté leurs
Valecs,ils deviennent leurs Camarades, vont
auiTi chaiTer avec cux,& deviennent Bouca
niers. Qiiand ils ont certaine quantité de
Cuirs, ils les envoyent en France .*Quelque
fois ils y vonteux-mefiTies,& ramènent delà
des Valets,qir’ils n*épargnent non plus qu on
les a épargnez. *
Ces gens vivent fort librement les uns
avec les autres , & fe gardent une grande fi
delité. Quand quelqu’un trouve le coffre
d’un autre, où eft fa poudre, ion plomb,6c ia
toille , il ne fait point de diiÉcuké d*en pren
dre s’il en a beibin *. Et lois qu'il rencontre
celui
DES A V A N T U R I E R S .
celui à qui c’eft, il luy dit ce qu’il a pris , &
luy rend quand il en a la commodité. Ils ie
font cela les uns aux autres fans façon.
• Autrefois quand deux avoienc différend c o m m e
enfcmble , les autres les accommodoient, & üsaccotTi-
iî cela ne
/iT*
fe pouvoir, & que•1les parties
' • /I z'' *jy •
de-
tneuraifent trop opiniaftres , ils fe faifoienc ferine^' '
raiion eux-mefTJes,en vuidant leur différend à ’
coups de fufil. Ils premeditoiept une certaine
diftance, pour fe mettre l*un contre l’autre ,
& le ibrt decidoit qui tireroit le premier. Si
le premier manquoit ion coup ; Taurre tiroic
s’il vouloir. C^uand il y en avoir un de mort,
on ju^eoit s’il avoir elle bien ou mal tué ,
s’il ne s’y eftoit point commis de lafehecé ,
fi fon arme eftoit en ordre pour tirer , fi le
coup eftoit donné par devant. Le Chirurs^ien
en faifoit la vifite pour voir l’entrée de la
balle; fi on trouvoit que la balle entrât par
derrière,ou trop de cofté , l’on imputoic cela
à une perfidie. AuiTi-toft l’on attachoit celui
qui avoir fait le coup à un arbre , où il avoir
la tefte caffée d’un coup de fufil. C’eft ainiî
qu’ils fe faifoient juftice les uns aux autres :
Mais depuis qu’ils ont eu des Gouverneurs,
ils n’en ont plus ufé de cetre maniéré , Sc
quand ils ont quelque différend, ils viennent
devant eux, & auiTi-toft ce différend eft ter
miné.
Les Boucaniers Efpagnols qui fe nom- Bouca-
ment entr'eux , Matadores^ ou Monteras^ chaf- niers Ef-
fent d'une autre maniéré que les François, lis P-'»gnols.
ne fe fervent point d'armes à feu , mais de
Lances, & de CroiiTans : Ils ont des meutes
de chiens comme les François quand ils
Fi chaflenr.
H I S T O I K E
chaflTent, il y ^ deux ou trois Valets qui fuî-
vent 5c animent les chiens : 5c quand ils ont
trouve un T aureau, ils le pouiTcnt dans une
prairie,où le Boucanier, ou Matadore^ic trou
ve, monté à cheval, qui court luy couper le
jaret, Ôc apres le tue avec la lance •• Cette
chafTe eft tres-plaifante à voir, car outre que
ces p;ens y (ont adroits >ils font autant de ce-^
remonivS , & de detours » que s*ils vouloi-
ent courir le Taureau devant le Koy d’Efpa-
^ne: mais ces animaux eftant en fougue crè
vent des chevaux » bleiTent 5c mciiue tuent
des hommes. Je les ay veu chaiTer avecplai-
iir»rur cette îile 6c fur celle de > au
deuxiefme voyage que j*ay fait à l’A m ^i-
qne en 1672. où j*aperceus a Cuba un El-
pagnol, à qui un Taureau creva trois che
vaux avant qu*il l’eut pu tuer .• auifi fit-il uri
voeu à Noftre-Dame de la Gadeloupe, qui
Tavoit délivré de ce peril.
pelicateHi Les ChaiTeurs Efpagnols fontfeicher leurs
k des cuirs commeles François .*mais ils n’ont pas
Ikiuca-
liu rs Ef- tant de peine ; car ils ont des Chevaux pour
I annuls« les porter,6c les lieux dont ils le fervent a cet
effet,font beaucoup plus commodes. Us pré
parent leur manger avec plus de circonftan-
ce , 6c ne mangent point leur viande fans
pain, ou Cafave, outre qu’ils ont avec eux
plufieurs petits régals, de vin , eau de v ie ,
confitures. Us font auffi dans leurs habus in
finiment plus propres 6c tort curieux d'avoir
i^1 toujours du linge blanc.
AniiTiOÎi- Ces deux Nations fe font continuellement
tc des la guerre .*lesEfpagnols ont fait leur pofiibie
lîüuca- pour chaffer les François, 6c dans ce deffein »
tueis ^ ils
r)’‘
DES A V ANTURIEES. iif
ils ont formé cinq Compa(Z;nies de Soldats , François
qu*ils nomment Lm ceros, à cnufe que leurs gnoîs. & î'ipa-
armes , ne font que des lances, èes cinq
Compa^>nies,font chacune de cent hommes.
Il en doit toujours aller la moitié en cam
pagne , pendant que Tautre fe repofe : 8c
quand il y a quelque grande entreprife, tout
le Corps eft obligé de marcher. Ils font à
cheval & n*ont qjiie quelques Mulâtres à
picdjpour épier où font les François 3 qui les
fçavent toujours éviter. Cependant ils n*onc Suroriles,
pas laiiTé d*en maiTacrer beaucoup par fur- que font
prife : car lors qu*ils font fur leur garde , ils les Etpa-
fçavent bien s*en deÎFendre; outre qu’ils n’o* fnols aux
François.
fent pas les attaquer quand ils font à décou
vert; parce qu’ayant de bonnes armes à feu ,
è c eilant fort adroits â tire r, jamais les Ef-
pagnols ne peuvent rien faire.
Je donneray icy quelques exemples de la
fubdlité des Boucaniers François , lors qu’ils
fe rencontrent avec ces Soldats ÉÎpagnols,
qu’ils nomment la Cinquantaine. Quand ils
fçavent que cette Cinquantaine eft en cam-
pagne,ilss’avertiirent tous, avec ordre , que
le premier qui la découvrira , le fera feavoir
aux autres,afin que s’il y a moyen de les atta
quer,on n*en perde point l’occafion, LesEf-
pagnols de leur cofté ne manquent pas de
faire épier, où les François ont leur boucan ,
afin s’il eftpofiible, deles y fiirprendre de
nuit 6c en temps pluvieux , pour les maiTa-
crer, fiins qu’ils fe puiiTent fervir de leur ar
mes.
Un jour un Boucanier François eftant par
ty le matin avec Ton valet, pour aller chaÎTer
FS felon
Ii6 h i s t o i r e
félon qu’il uvoit accoutumé, fe rencontra au
milieu d*une troupe d’Efpa^nols qui eftoient
à cheval avec leurs lances. Ils avoient fi bien
entouré ce Boucanier & fon v a le t, quMl ne
pouvoir en échaper ; mais une genereuie re-
folution le tira d’affaire : fon valet qui luy
cftoitfidele , n’en eut pas moins que luy. Ils
fe mirent tous deux dos à dos,6c répandirent
chacun leur poudre 8c leurs balles dans leur H
bonnet. Ils attendoient les Efpagnols dans i :
cette pofture. Les Efpagnols qui n’avoient
que des lances, les tenoient feulement enfer
mez dans un rond qu*ils avoient formé, fans
approcher 5 leur criant feulement de loin , r N
qu’ils fe rendiiTent,5c qu’ils leur donneroient
bon quartier , puis qu*ils ne vouloient point
leur faire de m al, mais feulement exccuter .s:
l’ordre de leur General. Ces deux François i!
leur répondirent, qu’ils ne fc rendroient ja
mais, 8c ne leur demandoient point de quar
tier : mais que s’ils approchoient, il leur en
couteroit bien cher. Aucun des Efpagnols
n e voulut hazarder ; en effet le premier qui
auroit avancé , auroit payé pour les autres
8 c pas un ne voulut être le premier. Ainfi
ils furent contraints de laiifer les deux Bou
caniers 8c de s’enfuir promptement, de peur
qu’ils ne leur joüaifent mauvais party. ^
Un autre Boucanier eftant un jour feul à
chaifer, fe trouva en pareille occafion , lors
qu’il traverfoit une prairie qn’on nomme la
Savana. Il fut fui pris par une troupe d’Efpa-
gnolsà cheval, le Boucanier voyant qu’il
avoit beaucoup de chemin à faire,avant que
de pouvoir gagner le bois 3 ^ q^^c les Fipa-
gnoîs
Ï ) E S A V A N T U R I E R S . 127
gnols pouvoient eftrc à lay auparavant qn’if
y f û t , s^avifa de cette raie. Il mit fon arme
en état,commença â courir fur eux,& à crier
à moy, à moyjComme s^il avoir eu beaucoup
de monde avec luy , & qu*il eût cherché les
Efpagnols , ce qu'ils crurent & prirent la
fuite à toute bride. Si-toft qu’il les vis partis,
il coupa dans les bois pour s’échaperluy*mê-
me. Je pourrois faire un volume entier de
Semblables rencontres entre ces deux Nati
o n s , depuis que les François font fur cette
Ifle : mais ces deux exemples & tout ce que
j’en ay d it, fufhront au Le<5tcur pour pou
voir juger du reile.
Les Efpagnols voyant qu’ils ne pouvoient Refola-
par le moyen de leur Cinquantaine détruire tion Efpa-
des
C h a p i t r e XI I I .
Des hahîtam , îertr maniéré de haflir ^ de •vivre
avec leurs ferviteurs • ^ ce qui efl arrivé k
' î*Auteur furVîJle de laTortu'é,
«
! 1
D E S A V A N T U R TE R S.
La premiere choie qu’ils fo n t, quand ils
veulent découvrir unlieUjC’eft d’en chercher
un qui foie commode pour bâtir une loge ,
qu’ils nomment dans ce commencement >
uijoupa-^ apres ils abattent tout le menu bois Difpoiî-
quhls laiiTenr fanner , ou fecher à demy, en- tion du
lieu,que
iuite celuy de haute-futaye , c*eft à dire les les Fran-
grands arbres. A mefnre qu’ils les abattent , <;o!S choi*
iis en coupent les branches jufqu’au tronc j fiifent
ces branches font brûlé es avec le menu bois, pour y
dont ils ont déjà bâti,ils choifiiTent ordinaire bâtit leur
habita
ment des places, pour y porter tout ce bois tion«
en monceau, 8c y mettent le feu, le tronc 8c
les fbuches demeurent fur la terre ; car les
ri troncs font trop gros 8c couteioient trop de
temps a débiter, 8c les fouches de mefmes; ils
abattent les arbres , en les coupant avec des I>
haches à deux ou trois pieds de terre, 8c lors ■
que ces troncs 8c ces fouches font fees, ce
qui arrive dans deux ou trois ans ^ ils y rnet-
tent le feu,qui les confume , fans qu’on ait la
peine de les tranfporcer.
Les Sauvages font leurs habitations de
mefmeiils abattent tout d’un coup les arbres,
f les laiiTant tomber pèle mêle. Ces arbres
a i n i i abattis demeurent cinq ou iix mois fur
IJ la terre , 8c lors qu’ils font fees, on y met le :1
feu, Sc tout fe confume en un inftant.
Après que les habitans ont coupé environ
trente ou quarante pas de bois en quarré, ils M é
découvrent la terre , c*eft â dire,ils amaffenc
toutes les feïulles , & commencent à planter
des vivres, qui iont des legumes , dequoy ils
fe nourriiTent : ce qifils font d’abord , c’eft
de iemer des pois^ après despacattes» du ma-
F 6 n io c
132 H I S T O I R E
xiioc dequoy ils font d e k cafave ,des bana»
niers 6c des figuiers, qui leur fervent dans ces
commencemens de nourriture. Ils plantent
CCS derniers dans les lieux les plus bas 8c les
plus humides, comme le long des Rivieres 6c
autour des fourccs : car il n'y a gueres d*ha-
bitans qui n*ait fa demeure proche d’une ri
viere,ou d*une fource.
Apres qu'ils ont plante leurs vivres,ils ba-
tiiTent une plus grande loge , qu’ils nomment
à l’imitation des Efpagnols , Cafe,\\s en font
les Charpentiers 6c les Entrepreneurs eux-
mefnes , ou leurs voifins, chacun y donne
Congrue- fon avis TLa conftriuflion de ce bâtiment ,
îion de eft des arbres coupez par le tronc , en four
îf'jr.s bâ< ches, qu'ils plantent en terrcjils y en confon-
suuens. cent trois ou quatre (je quinze à feize pieds
de h a u t, fur les fourchons defquels ils met
tent une piece de bois » qui efi le fake , ils
en placent à fix pieds delà , de chaque cofté
il huit de mefme qui n’ont que fix à fept pieds
de hauteur, fur les fourchons defquels ik
poiènt des pieces de bois , de mefme qu’ils
ont pofe fur les premieres, qu’ils nommen-t
Filières,5c en mettent encore fiir chaque pe
tite fourche ,u n e , qu’ils nomment des Tra
vers, Apres de deux en deux pieds , ils met
i' ^ tent de plus petites pieces de bois , qui s’ac
crochent parle moyen d'une cheville fur le
faite,6c viennent tomber par l’autre bout en
defeendant fur ces Fitieres.
Qiiand cela eft à ce point , ils amafienc
quantité des feuilles de Palmiers, ou de Ro-
feaux ou Cannes de Sucre pour les couvrir ,
& les voifins s'aydent les uns aux autres; iî
ii< bien
D B S A V A N T U R 1 E R S.
bien qu*en un jour ils couvrent cette Loo;e •
apres ils la ferment tout autour, avec des ro-
feaux ou des plancbes,quifont de^palmiers ,
qubls nomment palliiTades. Ce batimeiK en
cet état,ils plantent quantité de petites four-
» ches tout autour , à la hauteur de deux on
trois pieds de terre, fur leiquelles ils mettent
• des batons rangez comme une maniéré de
ïiClaye ; ils en font autant qu*ils lont d'hom
mes à coucher dans cette Café : Ils mettent
.là-defTus une paillaiTe remplie des feuilles de rLl
(Bananier , &deiTus une tente de toille blan
che qu’ils nomment Pavillon, 8c appellent le
tout une C abane, c’eft là-deiTus qu'ils cou
chent.
La Cafe ainii conftruite,le Maiftre de rha- R ecom -
bitation donne pour recompenfe à ceux qui penie de
ceux qui
luy ont aydé quelques flacons d'eau de vie , aydent à
, s'il y en a dans le pàïs. Ils font obligez, par faire l'ha
■
I focÎeté,de s’ayder les uns aux autres de cette bitation,
maniéré , 6c cela ne fe refufe jamais. Outre
cette Café, ils en font encore quelque petite
qui fert de Cuifine.
Lors que l'Habitant eft ainiî accommodé, Soins &
occupa
il eft au deÎTus de fes aiBaires : il fonge feule tion des
ment que les vivres qu'il a plantez croiiTent, H abitansf
ôc 2 abattre du bois pour découvrir une pla
ce, afin de planter du Tabac. Ils en abattent
fuivant ce qu’ils font de monde, c'eft à dire >
pour mettre autant de deux mille plantes de
Tabac,qu'ils font d’hommes,veu que le lieu
où fe plante le Tabac, veut eftre net de tou
tes fortes d’ordures, ou d’herbes étrangères :
8c pour cela , ils font obligez defercher cous
les huit jours. Si’toft qu’i l , ont une place H ," I
nette il I ♦
H I S T O I R E
nette pour planter Autant de Tabac qu’ils le
jugent à propos : ils en ufcnt de la maniéré
que ]’ay montrée. Pendant qu’il croift , ils
bâtiTcnr desCaies pour le mettre , une ou
deux, lèlon qu*ils auront de Tabac. Cela le
fait de mefne que la Caie dont je viens de
parler. De plus, ils en bâtiiTent encore une
mediocre , où travaille ordinairement ccluy
qui tord le Tabac , & <^ù on le ferre , en at
tendant la commodité de l’embarquer.
Dés qu’ils ont une certaine quantité de
Commer- Tabac , ils l’envoyent en France , où ilsl’é-
P«* changent pour de la Marchandife, qui confi-
fte dans les chofes necciTaires â cultiver leur
habitation, comme, haches, houes,grattoirs,
couteaux, toille propre à faire des iacs à ma
nioc, & à les habiller. Il ne faut pas oublier
la boiiToiijle vin 8c l’eau de vicjcar lors qu’il
vient un bâtiment de France, c’eft la premie
tri' re choie que ces p;ensdà ionisent à acheter ;
ils fe revalent pendant que cela dure, 3c font
des débauches extraordinaires.
Il y en a qui pafTent en France , lors qu’ils
ont stagné quelque chofe -, ils achètent eux-
ii! mefmes des Marchandifes , 8c engagent des
hommes qu’ils amènent en ce pais pour les
lérvir, ainfi que j*ay dit des Boucaniers.
Comme ils font ordinairement deux AiTo-
ciez, l’un demeure fur l’habitation , pendant
que l’autre voyage. Quand ils retournent de
Il
France, ils amènent avec eux cinq ou fix,ou
lit*Ri
'■>' f
plus d’hommes,félon qu’ils ont de moyens de
payer leurs paifages, qui efl: de cinquante fix
livres pour chacun homme.
Ils û’ont pas plûtoft mis pied à terre,qu’ils
con^
"r ?
!!■!
s'lj. 'j '' ":;-^-'v.A,?->^-i'.
D E S A V A N T U R T E R S . "ii?
I Conduifencceb hommes â rhahitationj & les ce qu e
C o m m er
font travailler. Ils commercent de ces hom l^on fait
ines les uns avec les autres,& ie les vendent des £nga-;
pour trois ans , pour la fomme dont ils con gez.
viennent > & les nomment Eno:a2:ez. Si un
Habitant a pluiieurs En^ai^ez, il ne travaille
p o in t, il a un Commandant qui fait travail
ler fes <2;ens,à qui on donne deux mille livres
de Tabac par an , ou une part de ce qui fé
fait iur l’habitation.
Or voicv de la maniare que ces miferabîes C o m
En5;agez font traitez .* Le matin fitoft que le m ent on
jour "commence à paroiftre , Monfieur le les ttairct
Commandant fifîe , afin que tous fes {^ens
viennent au travail, il permet à ceux qui fu
ment d’allumer leur pipe de Tabac,8c les me
né au travail, qui confifte à abattre du bois »
ou à cultiver le Tabac. Il eft là avec un cer
tain bafton , qu’on nomme une Tienne , fi
quelqu’un reç^arde derrière luy , ou qu’il foit
un moment fans ag,ir, il frappe deiTas,ny plus
ny moins qn*un Maiilve de Galere fur des
Forçats; & malades ou non,il faut qu’ils tra
vaillent • j’en ay vu battre à un point , quails
n*en font jamais relevez. On les met dans
un trou que l’on fait à un coin de l’habitation^
^ on n’en parle point davantage.
J’ay connu un Habitant qui avoit un Exem pîe
Fnga2;é malade à mourir , il le fit lever afin du m au
vais trai
de tourner une meule,pourrepaiTerou aigriii- tem ent
fer fa hache; ce pauvre miferable ne tour q u ’on
nant point à ion gré, car il n’en avoit pas la leur fait.
force; il luy donna un coup de hache encre
les deux épaules, & le fit tomber fur le nez.
Ce malheureux commença à jetter quantité
de
15^ H I S T O I R E
dc fang: p^t la bouche , & mourut deux heu
res apres ; 3t cependant ces inhumains ne
lailfent pas de paiTcr pour fort indulg;ens , en
comparaifon de ceux des Ifles Antilles .*car
ces Barbares ont tué une quantité prodigieu-
ie d’Engagez, depuis que les Colonies Fran-
^''üf çoifes y font établies.
Un certain Habitant de Saint Chriftophe
nommé Belle-tefte,qui eftoit de Dieppe, fai-
ibit gloire d*aiTommer un Engagé qui ne tra-
vailloit pas à Ton gré. J^ay entendu dire à un
de Tes parens mefmes , que ce Belle-ceile a
aÎTommé plus de trois cens Engagez , & di-
foit après qu’ils étoient morts de pareife. Il
leur faifoit frotter la bouche de jaune d’œ u f ,
pour faire croire qu*il les avoir fait folliciter
jufqu’â la fin.
Un jour un Saint Religieux luy fut remon
trer, & luy reprocher ia cruauté^ lans avoir
égard à la rem ontrance , il répondit bruf-
quem ent, qu’il avoir efté auiTi bien engagé
que ces g en s, 6c qu*on ne l’avoit pas mieux
p i» :" :
traité, qu’il eftoit venu aux Indes pour gag
ner du bien;quepourveu qu’il en gagnaft, 6c
1 ! 1 Etrange que fes enfans allaiTent en carroiTe , il ne ie
reponfe naectoit pas en peine que le Diable l’empor-
d ’un a-
1 'i '-^"1 l;'l| '
yaie.
tât.
1 PP r : . Il y avoir un autre Habitant de la Guade-
loupe,fort riche,dont le pere eftoit fi pauvre,
f ï „ iïi
qu’il Alt obligé de s’engager pour aller aux
Indes, 6c par je ne fçay quel deftin, s’adreiia
111 v' I I I â un Marchand qui avoir rcceu de l’argent
I l i lf.
de l’Habitant dont j’ay parlé, qui eftoit fils de
ce bon homme , pour luy acheter des gens.
Ce bon homme engagé partit,6c étan: arrivé
*i(' S li.i-tr crut
'■*■1
!.ii \, i fV-'I
D E S A V A N T U R I E R S . 137
[crut eilrc bien, que d’eRre dans les mains de
Ton propre fils ; mais il fur bien trompe dans
ion attente, puifque ce fils dénaturé l’envoya
travailler avec les autres ; & comme il n en procédé
faiibit pas autant qu’il vouloit,il n*ofa peas le
battre, mais il le vendit â un autre Habitant,
qui le connoiÎTant pour ce qu’il étoit,en ufa
mieux, carilluy donna de quoy vivre , apres
iiluy avoir rendu la liberté.
Il njeft pas befoin que je cite icy d’autre
Uvanture que celle qui m*eft arrivée à moy-
imefme, pour faire voir le peu de charité que
ces g;ens ont pour leurs femblables. J*ay déjà
dit que lors que Meifieurs de la Compaiînie
Occidentale abandonnèrentl’Ifle delà T or
tue, je fus expofé en vente par leur Commis
General qui m’acheta pour luy-mefme. Dans
la fuite , au lieu de m’employer à ce qui re-
fijardoit ma profeiïîon , comme j en cftois
convenu avec Meifieurs de la Compagnie , il
ne m’occupoic qu’aux chofes les plus fervi-
les , 6c ne me donnoic qu’à moitié ce que
i’avois befoin , foit pour ma nourriture, ou
pour mon veftement. J ’offris de luy payer
tousles jours deux ecus , pourveu qu’il me
permift de travailler de ma profeifion : Loin .
d’y confentir, il me difoit feulement que c*é-
toit Monfieur le Gouverneur qui me donnoic
de tels confeils, quoy qu*il n’y eût jamais
irr\
HI S-
I*i4
i^ . 1^. <^. <^. i1
*‘,*»***‘*****************************
* , * * * * • * * * * * * » * * * * * * * » * * * * * * * * * * * » * *
V5^- W5^ WS^. V5^. v5^ V^- V/5^
i■
• i
HISTOIRE
D E S
AVANTURIERS
d U I SE S O N T SIG-N A L E Z
D A N S LES INDES
Conrcnant ce qu'ils ont fait de plus remar
quable depuis vingt années.
SECONDE V AKTIE.
C H A P I T R E I.
VAutheur s'embarque avec les Avanturters, Ce
qui a donné lieu à leurs entreprifes.
P r è s avoir eilé quelque temps
_^;avec le Chirurgien donc )'ay parlé ,
^ j e luy demanday pcrmifilon de me
mettre Eiriin vaiiTeaii Avanturicr
qui eftoit preil: d'aller en conrfej ce qu'il
II m'accorda volontiers. CviV rm je i"n
C'eft ainfi que me^
fins trouvé parmy les Avanturiers, & je vais
maintenant décrire les plus mémorables ac
tio n que je leur ay yeu Elire ^ tant que la
DES A V A N T U R I E R S . u r
BecciTité m"a réduit à demeurer parmy eux.
Les François & les Anglois ne furent pas
long-temps à s'apercevoir combien eftoic
avantageux aux Efpagnols FetabliiTeinent de
|lla piiiiTiinte colonie qu’ils ont dans 1*Améri
que. C eft pourquoy les François ie gliiTerent
l’parmy eux,entreprirent divers voyages dans
ces liles déjà habitées, mais comme ils ne le
contentoient pas des profits qu'ils faiibient ,
unis avec cette nation , ilsreiblurent de s'en
leparer, dans le deflein d'en chercher de plus l'if M?
grands par leur propre induftrie, 6c d'eilre
iculs à les partager.
Ainfî chacun d'eux eÎlant retourné chez
iby, ne manqua pas de propoferibn deÎTein
(.aux Marchands,& de leur donner des lumie-
3Tes pour s’enrichir dans ces pais. A cette fin
; ;les François,auifi bien que les Anglois,équi-
jperent quelques vaiiTeaux, pour faire le mei^
me commerce que les Efpagnols .‘mais ceux-
cy y eftant les plus forts , les chaiTerent, 8c
ifprirent leurs vaifTeaux ; c’eit pourquoy ils
furent obligez dés ce temps là de leur décla
rer la guerre, qui depuis y a toûjours duré ,
6 c y dure encore ; ce qui fait que les Efpa
gnols défendent généralement à tous les E-
trangers rentrée de leur ports , havres ou
bayes.
Ces Nations s’eftant donc déclarées en-Les ?ran-
Jîinemies des Efpagnols, voulurent colon i f e r ço« &les
Hquelques Ifles, & comuaencerenc par celle
^ide S. Chriftophe dans les Antilksimais quoy tioTdcs
jjique les François 6c les Angiois fe fuirencEipa-
Qi joints enfembie,ils ne le trouvèrent pas nean-
X moins aiTez forts pour refifter aux Efpagnols»
Tom e J , G qui Indes.
14 ^ H I S T O I R E
qui les chaiTerent encore deux ou trois fois
de leurs colonies. Monfieur le Cardinal de
Soins du Richelieu , qui pour lors eftoit tout puiiTant
Cardinal en France , & qui ne tendoit qu’à l’agrandif-
de Riche iement de cette Couronne , créa une Com-
lieu pour
î’Tmai- pagnie , avec ordre de peupler ces lilcs. Les
gue. Anglois de leur côté en firent autant j fi bien
que les particuliers qui avoient commencé
à s’établir dans ce pais à deiTein d’y com
m ercer, quittèrent tout , voyant qu'il n’y
avoir plus rien à faire pour eux de coniide- V
J i.
D E S A V A N T U K I E R S . 149
>'mer virent en peu de temps leur fortune bien
chan^éeicar au lieu d*une méchante Barque
qui coüloit prefque à fonds, & manquoit do
tout J ils fe trouvèrent en poifeiTion d’un na
vire de cinquante-quatre pieces de canon ,
dont la plufpart eiloient de bronze , avec
quantité de vivres , de rafraifchiiTemens , 8c
un nombre immenfe de richelTes. C*eftoit le
Vice-Admiral des Gallions d’Efpagne , é^,a*
ré de la Flotte.
Auiïi-toft: que nos Avanturiers fe furent
rendus maiftres abiblus de ce vaifTeau , ils /
mirent ceux qui le m ontoient, fur l’iiîe EC>
pasçrrole , d*ou ils eftoient fort proches , dc
gardèrent ièulement quelque nombre de Ma
telots, qui leur eftoient neceiTaires pour con
duire ce Bâtiment en Europe , où ils arrive-
rent peu de temps après, & où le fieur le
Grand eft demeuré,fans fe foucier de retour- le Grand
ner davantage â TAmerique.
Cette belie Sc riche prife fit grand bruit
par to u t, 8c donna occafion à plufieurs par
ticuliers d’équiper des vaiiTeaux pour faire
des courfes en ce pais là. D’autre cofté les
Efpagnols eurent plus de foin de fe tenir fur
leurs gardes ; ce qui fut cauie que peu de ces
Avanturiers y gagnèrent, plufieurs y perdi
rent, 8c furent obligez , comme je l’ay'déja
dit, de fe réduire à la colonie,parce que leurs
Bâtimens devenans vieux , eftoient de trop
grand entretien , 8c ils n’en pouvoicnc faire
venir de France qu'avec une dépeniè ex-
ceiTive,à quoy il leur eftoit impoifible defub-
venir. D’autres qui ne pouvoientie paifer de
cette v ie , cherchèrent moyen d’avoir des
G s Bâ-
i<ro H I S T O I R E
Bâtimens qui ne leur coutaiTent rien.
Cela leur a iî bien rcüflî , leur nombre 8c
leur valeur ont tellement augmenté , qu’ils
font tous les jours des exploits inoüis contre
les Efpa»nols;en forte que les Roys de France
6 c d*Anp;leterre peuvent , quand ils le vou
dront , conquérir les Indes du Roy d’Efpag-
Forces des ne, fans avoir befoin d*autres forces que de
R ois de celles qu’ils trouveroient fur les lieux : car je
France & mets en fait, pour Ravoir vû plus d’une fois >
d ’Angle»
ferre dans qu’un feul de ces hommes vaut mieux qiie
r Am éri dix des plus vaillans deREurope. Comme ils
que, font braves,determinez 6c intrepides,il n*y a
ny fatigues,ny dangers qui les arreftent dans
leurs couries : 6c dans les combats ils ne lon
gent qu'aux ennemis 6c à la vidroire • tout
Ëi cela pourtant dans l’efpoir du gain, 6c jamais
C arailere en veuë de la gloire. Ils n’ont point de pais
des Avan- certain , leur patrie eft par tout où ils trou
Turiers en
general. vent dequoy s’enrichir ; leur valeur eft leur
heritage. Ils font tout à fait finguliers dans
leur pieté; car ils prient Dieu avec autant de
devotion , lors qu’ils vont ravir le bien d’au-
truy, que s’ils le prioient de conferver le leur.
Ce qu’il y a de plus précieux dans le monde
ne leur coûte qu’à prendre,6c quand ils l’ont
p ris, ils penfent qiRil leur appartient légiti
m em ent, 6c Remployent enfuite auiTi mal
qu’ils l’ont acquis; puis qu’ils prennent avec
violence 6c répandent avec profufion.
Le fuccés de leurs entreprifes femble jufti-
fier leur témérité , mais rien ne peut excuier
leur barbarie j 6c il feroit à fbuhaiter qu’ils
fuiTentauffi exaefts à garderies Loix qui rè
glent les autres hommes, qu’ils font fideles à
;I ob-
DES A V A N T U R I E R S . i ^ï
pbferver celles qu’ils font entr’eux. Cepen
dant ils ne fe peuvent fouifrir quand ils ibnc
miferables, & s’accommodent tres-bien lors
J qu’ils font heureux. Ils s’abandonnent auflî
volontiers au travail qu’aux plaifirs , ég;ale-
if ment endurcis à l’un & feniibles à l’autre,
f paiTent en un moment dans les conditions les
fl plus oppofées ; car on les voit tantoft riches,
n tantoR pauvres, tantoft maiftre%, tantoft ef-
ij claves,farïs qu’ils felailfent abattre par leurs
pf malheurs, ny qu’ils fçachent profiter de leur
i'profperité.
Voilà en general ce que l’on peut dite des
Avanruriers; en particulier, voicy comme ils
.. fe gouvernent, 8c la maniéré dont ils fe font
j fervis, 6c fe fervent encore aujqurd’huy pour
d avoir des bâtimens j ils s’aiTocient quinze on
Rvingt enfemble , tous bien armey d’un fufil,
i de quatre pieds de canon, tirant une balle de
1 feize à la livre, 6c ordinairement d’un pifto-
let ou deux à la ceinture , tirant une balle de
vingt à vingt-quatre àla livre , avec cela ils
ont un bon labre ou coutelas. Eftant ainiî
aiTociez,ils en choifiiTent un d’cntr’eux pour
chef, 6c s’embarquent fur un can ot , qui eft M oyens
une petite naflelle tout d*une piece , faite du
tronc d’un arbre , qu’ils achètent enfemble, trouvent
ou celuy qui eft le chefl’achete luy feul , à pour avert
condition que le premier bâtiment qu’ils pren- ^es vau
dront , fera à luy en propre. Ils amaiTent
quelques vivres pour fubfifter de l’endroit
d’où ils partent, jufqu’au lieu où ils fçavenc
en trouver, 8c ne portent pour toutes hardes
qu’une chemile 8c un calcon,ou au plus deux
chemifes. Ils partent donc dans cet équipa-
G4
’! ‘I
7 fZ H I S T O I R E
g e , & vont devant quelque riviere ou port
Îfpagnol, d’où ils içavent qu’il doit ibrtir
I. des barques ; & ii-tô-t qu'ils en découvrent
quelques-unes , ils fautent â bord , & s*en
rendent les maiftres. Ils n’en prennent gue-
res iàns y trouver des vivres & des marchan*
dilès que les Efpagnols négocient les uns en
tre les autres. Avec cecy^ils s’accommodent,
& ilsfe vét^r*
Si la barque n'eft pas bien en état de na-
viger, ils la vont caréner iùr quelque petite
lÎle, qu'ils nomment Caye ; & cependant ils
■gardent les Efpagnols de la barque,pour leur
ayder à ce faire : car ils ne travaillent que le
moins qifils peuvent. Pendant que les Ef
pagnols font occupez à racommoder la bar
que , ils fe réjoüifTenc de ce qu'ils ont trou
vé dedans, & en partagent les marchandiiès
également. Si-tôt que la barque eft en bon
état,ils laiiienc aller les Efpagnols, & retien
nent les Efclaves, s'il y en a^ & s’il n*y en a
point, ils retiennent un Efpagnol pour faire
la cuiiine ; après ils aiTembîcnt leurs camara
des , afin de fournir leur équipage & d’aller
en courfe. Qiiand ils fc trouvent au nombre
qu’ils ont concerté de trente â quarante félon
la grandeur de leur barque , il faut l’avitaiî-
1er,& ib en viennent encore à bout, fans dé-
bqiircer d’argent. Pour cela ils vont en cer '■34‘i
tains lieux , où il y a des Efpagnols, qui ont
des parcs pleins de porcs , qu’ils nomment
Coraux : ils les épient, les furprennent, & les if
forcent â leur apporter deux ou trois cens
porcs gras, plus ou moins felon qu’ils en ont
aifaire , 6c s'ils le refufent ils les pendent ^
après
D E S ' A V A N T Ü R I E RS. tss
iaprésleur avoir fait fouffrir mille cmautez.
Êendanc que les uns ialent & accommo
dent ces porcs , les autres amaiTent tout le
bois & l’eau , qui leur eft neceiEiire pendant
le voyage. Tout cela eftant fait, on convient Accord
d’une commune voix , devant quel Port on
doit allerpour faire quelque entreprise;apres ^
qu*on eit convenu, on fait un accord, qu’ils condi-
nomment Chaffe-partie , où l’on regie ce
qu’on doit donner au Capitaine , au Chirur
gien & aux eftropiez, chacun felon la gran
deur de ion mal. L’équipage depute quatre
ou cinq des principaux avec le Chefou Capi
taine pour faire cet accord , qui contient les
articles fuivans. ^
En cas que le bâtiment ibit commun â tout
l’équipage , on ftipuleii on le trouve bon ,
qu’ils donneront au Capitaine le premier bâ
timent qui fera p ris, & fon lot comme aux
aurresj mais fî ce bâtiment appartient au Ca
pitaine , on fpecifie qu’il aura le prernier qui
fera pris avec deux lots , 5c fera obligé d’en
brûler un des deux, içavoir celuy qu’il mon-
te,s*il ne {prouve pas ii bon cjue cekiy qu’on
aura pris *!^ en cas que le batiment qui ap
partient à leur Chefioit perdu , l’Equipage
lèra obligé de demeurer auifi long-temps
avec le Capitaine qu’il faudra pour en avoir
un autre. Voicy les conventions de cet accord.
Le Chirurgien a deux cens écus pour fon
coffre demedicamens , foie qu’on faffe priie
ou non; 5c outre cela, en cas qu’on faife pri-
fe, un lot comme les autres. Si on ne le fatis-
fait pas en argent , on luy donne deux Efcla-
ves.
G y Pour
ur
H I S T O I R E
Pour les autres Officiers, ils font tous éga
lement partagez , â moins que quelqu’un ne
fe foitfignalé : en ce cas on luy donne d’un
commun confentement une recompence.
Celuy qui découvre la priiè, qu’on fait, a
cent ecus.
Pour la perte d*un œ il, cent ecus ou un
Efclave,
Pour la perte des deux, fix cens ecus ou fix
'I i. E ici aVes*
Pour la perte de la main droite ou du bras
droit, deux cens ecus ou deux Efclaves.
11 Pour la perte des deux,fix cens ecus ou fix
Efclaves.
Pour la perte d*un doigt ou d’un orteil,cent
ecus ou un Efclave.
Pour la perte d’un pied ou d’une jambe
deux cens ecus ou deux Efclaves.
Pour la perte des deux, fix cens ecus ou fix
Efclaves.
Lors que quelqu’un a une playe dans le
corps, qui l’oblige de porter une canulle , on
îuy donne deux cens ecus ou deux Efclaves.
Si quelqu’un n’a pas perdu ent^rement un
membre , & qu’il foit fimplemem privé de
l ’adtion , il nelaiiTe pas d’eftre recompenfé,
comme s’il l’avoitperdu tout à fa it, ajoutez
â cela , que c’eft au choix des eftropiez de
prendre de l’argent ou des Efclaves, pourveu
qu’il y en air.
Cette^ChaiTe-partie eftant ainfi faite , elle
eft fignee des Capitaines & des Députez qui
en font convenus au nom de l’Equipage -•
•'I Après tous ceux de l’Equipage s’aiTocienc
deux â deux, afin de fe folliciter fun l’autre,
en
>i
II
^ D ES A V A N T U R I E R S . iff
cn cas qu’ils fuiTent bleiTez ou tombaiTent
malades. Pour cec effet,ils fe paiTent un écrit Learma-
I fous feing privé, en forme de teftament, ou ®
s’il arrive que l*un des deux meure, il laiiTe a
l’autre pouvoir de s’emparer de tout ce^ qu il
a. Quelque-fois ces accords durent toujours
entr’eux , & quelquefois auiïi ce n eft que
pour le voyaf^e.
Tout eftant ainfi difpofé, nos Avanturiers
partent : les Coftes qu’ils fréquentent ordi- Cô;es
nairement font celles de Cdraco, de Cm'igene ,
de Ntcarague, &c. lefquelles ont pluueurs
Ports où il vient iouvent des navires Efpa-
i^nols« A Caraco , les Ports où ils attendent
i’occaiîon font Comana^ Comanagote , Coro SC
Macaraïbo, A Cartagene , la Rancheria ; fainte
Marthe 5c Portobello j & à la Côte de Nicara-»
^«^5 l’entrée di\ Lagon dumefme nom. A celle
de Campefche la ville du mefrne nom. Po^ur
les Honduras, d n’y a qu’une iaiiondel’annee,
où l’on vient attendre la patache î mais com
me cela eft peu ieur,on n’y va que rarement*
A l’ifle de Cuba , la ville de faint^ lago & celle
de faint Chrijlophe de Havana , ou il entre fort
fouvent des bâtimens. Les plus riches prifes
qui fe falTent en ces endroits , font les bâti
mens qui viennent de la neuve Efpagne par
Maracaibo où ils vont achepter du C acao,
qui eft la femence de quoy fe fait le Choco
'(iti
lat. Si on les prend en allant, ils ont de l’ar
gent 5 il en revenant ils font chargez de Ca- i.
cao. On les épie à la fortie du Cap de faint
A n to in e^ deceluvde Catoche , ou au Cap de
CorienteSyqvL*ï\s font toujours obligez de venir
reconnoiftre.
G6 Pour
H I S T O I R E
Pour les prifes qu*on fait à la câre die Ca^
^aco, ce font des barimcns qui viennent d'Ei^
pagine, chargez de tonres fortes .de dentelles
■J- 3c d'autres manufadburcs.
Ceux qu*on prend au ibrtir de Hazana font
des bârimens char<>cz d’ar2;cnt 6c de inar-
chandifes pour l'Efpagne, comme cuirs, bois
de Campeiche, Cacao 6c Tabac. Ceux qui
partent de Carrap;cne font ordinairement des
yaiiTeaux qui vont nes^ocicr en plufieurs pe
tites pIaces,où ceux de la Floced'Efpagne ne
touchent point.
M aniéré Quand les Avanruriers font en mer, ils vr-
drsnt i!s '
Vivent f Vent dans une grande amitié les uns avec les
c.-îa'eux. autres. Tant qu*ils ont dequoy boire 6c man
ger, ils ne s’appellent que freres, chacun fart
ion devoir ians murmurer , 6c fans dire j'en
fais plus que celuy*là. l e marin fur les dix
heures , le Cuiiînier mer la chaudière fur le
feu pour cuire de la viande falée, dans l’eau
douce , 5c fl on en eft c o u rt, dans Teau de
mer : En meime temps il fait bouillir du gros
inil battu qui devient épais , comme du ris
c u it, il levela graiffe dedelfus la chaudière à
la viande pour mettre dans ce mil ^ 6c après
que cela eil- fait, il ferr le tout dans des plats ,
xni rEquipages’aÎTemble, au nombre de fepe
à chaque plat. Le Capitaine 8c le Cuiiinier
font icy fujets au mcfme inconvenient, qui
eft^que s'il arrivoit quele Cuifinier euft fait
fon plat meilleur que les autres, le premier
venu le prend, 6c met le fien qui eft moindre
à la pi ace. Il en eff de inefme du Cuifînier ;
malgré cela , un Capitaine Avanturier fera'
ipieux olxi qu*aucun Cripitaine de guerre , i(
fur
il
D E S A V A N T U R Ï E R S - mV
fur un navire du Roy. On fait ordinaîrerrrenc
deux repas par jour fur ces vaiffeaux, quand
on a aiTez de vivres,8c quand on n*en â pas
fuiEfammenc, on n*en fait qu*un. On y prie
Dieu lors qu’on eft prefl: à faire le repas .*les
François comme Catholiques chantent le
Cantique de Zacharie^ le Magnificat Sc le Mf-
ferere. Les An^lois comme Prétendus Refor
mez lifent un Chapitre de la Bible ou du
nouveau T eilam cnt, 8c chantent des- Picaii-
mes.
Lors qu'on découvre quelque vaifiTenu j Ce
on luy donne aufli tôt la chalfe , pour le re- font à la
décou
connoiftreron difpoie le canon, chacun pré verte d*aG
paré iès armes 8c ih poudre : car chacun , vaiiléâU^
comme j’ay delà dit,a fes armes 8c fa poudre,
dont il eft le inaiftre 8c le o;ardien. Quant à
la poudre qui fert pour le canon ,lors qu'on
eft obligé d*en acheter, cela eft pris fur le
commun, quelquefois le Capitaine l’avance,
6 c il on l’a prife dans quelque vaiifeau enne-
[Tl!my , l’Equipage eft exempt d’en rien payer»
Lors donc qu’on découvre quelque vaiifeau,
s’il eft Efpagnol, auiTi-toft on fait la priere
comme dans la plus jufte guerre du monde , I*%■U
6c on demande à Dieu avec ardeur d’avoir itiï
la vieftoire , ôc qu’il fc puifTe trouver de l’ar
gent dans ce vaiifean ; après cela chacun ie
couche le ventre fur le tillac , 8c il n’y a que
l’homme qui conduit le vaiifeau qui foie de
bout, 8c qui agiife avec deux ou trois autres
pour gouverner les voiles ; 8c de cette ma
nière on fe met à bord, du pauvre Efpagnol,
ians fe mettre en peine , s’il tire ou non , de
forte qu’en moins d’une heure , on voit un
vaiifeau changer de maiftre. Apres
H I S T O I R E
Après que le navire eft rendu , on fonge i
folliciter les blelfez qui font tanc d*un cofté
que d*autre , à mettre les ennemis à terre-;
& il le navire eft riche & qui vaille la peine»
on vient Ce rendre dans le lieu ordinaire de
retraite, qui eft aux Anglois Tlfte de la Ja*
maïque & aux François celle de la Tortue.
On met fur le vaiÎTeau pris un tiers de l'Equi
page , & perfonne n*a le privilège de com
mander à qui que ce (bit d*y aller. On le peut
encore moins faire de fon propre chef, mais
on tire au fo rt, & celny fur lequel il tom be,
quand il repugneroit d'y aller , il ne pourroit
pas s'en difpenfer à moins que d’incommo
dité , auquel cas fon Matelot ou fon camara
de aiTocié eft obligé de prendre fa place. 4
Cîomme Qiiand on eft arrivé au lieu de retraite, on
ils difpo paye les droits de la commiiTion au Gouver
fern de
leur bu. neur, & puis on ièpare le refte,premièrement
Hn. on paye le Chirurgien,les eftropiez & le Ca î
pitaine , s'il a debourcé quelque chofe pour
l’Equipage. Tout cela eftant fa it, avant de
rien partager , on oblige tout le monde de
l'équipage d'apporter ce qu’ils auroient pu
ferrer jufqu'à la valeur de cinq fols , & pour
cela , on leur fait tous mettre la main fur le
nouveau Teftament, & jurer de n*avoir rien
détourné. Si quelqu'un eftoit furpiis en fai-
fant un faux fermi. nt, il perdroit fon voyage,
qui iroit au profit des autres , ou à faire un
don à quelque Chapelle. Déplus on donne à
chacun fa part de l’argent monnoyé; & pour
II celuy qui eft fabriqué & les pierreries, on les
vend à l'encan au plus offrant , & l’argent
qui en provient eft encore partagé. On en
fa it
li
D E s A V A N T U R IE R s.
fait autant à Pé«;ard des hardes & des mar'*
|chandifes î puis on divife l’équipage'de dix
^ en dix *ou de iîx en fix , felon qu’il eft plus
ou moins grand. Apres on fait autant de lots
comme il y a de fix ou de dix hommes, 8c
chaque fix ou dix donnent leurs marques à
une peribnnc qui ne les connoift point » qui
les jette fur chaque lot ; enfuite chaque lot
eft repartagé en autant de lots> comme il y
a d’hommes.
Le butin eftant ainfi feparé , le Capitaine
garde fon navire >s’il veut. Perfonne ne re
I tourne que cela ne foit confumé ,ce qui ne
dure que tres-peu de temps : car parmy ces
gens là , le jeu , la bonne chere , & toutes
Iles autres débauches ne manquent point. J*ai
veu de mon temps un miferable Anglois qui
donna cinq cens écus contant à une femme
publique pour montrer ce que la pudeur o-
blige de cacher. Les François ne ibnt pas
Splus fages , car quelquefois ils en font bien
î; autant. Et ce qui eft extraordinaire , cet
n hornme poifedoit pour lors quinze cens écus^
È ê c trois mois après , il fut vendu pour trois
ans , pour quarante chelins qu’il devoir dans *
iï un cabaret.
Il y a parmy eux de grands joueurs. J*en Avantrii
È' rapportcray icy une Hiftoire remarquable.
Un nommé Vent-en-panne François de Na- Hiftoire s
don J affez heureux s’il avoir eu de la con- ce fuiet,
dnite , eftoit tellement adonné au jeu , qu’il
avoir plufieurs fois joiié jufqu’à fa chemife :
fi-toft qu’il fe voyoit trois ou quatre mille
I ccuSjil n’en étoit pins le maîtrCjil joüoit fans If'PîJ
I regie ny raifon .*un jour il perdit tout fon
I voyage. fAl '.i
111 '■
ill
* I ■.*' \So H I S T O I R E
voyage , qui valoir environ cinq cens écu f^
èc plus de crois cens qu’il devoir à fes Ca-
I ..
inirades, qui neluy en vouloienr plus prêter.
Il fongea au moyen d’avoir de l’argent pour
jouer, il le mie à fervir les Joiieurs , à leur al
lumer des pipes, à leur donner à boire, & en
^eux jours de temps il gagna plus de cinquan
te e'cLis : £n fuite il recommença â jouer a-
vec cet arg en t, gaigna environ douze
mil ecus. Ayant pay é les dettes il refolut de
ne plus jouer , & s’embarqua fur un Navire
Anglois qui alloit à la Barbade, ôc delà pai^
foit en Angletterrc. Eftantarrivé à la Barba-
de il fe trouva avec un riche J u if , & ne pût
s’abftenir de jouer , hiy gagna treize cens é-
ciis en argent monnoyé,cent mil livres de fu-
cre qui étoienc déjà embarquées dans un
Navire preil à faire voile pour l’Angletterre.
Outre cela il luy gagna un Moulin à fucre , a-
vec foixante Eicîaves. Après que le Juif eut
f^it cette perte >il le pria Je luy vouloir per
mettre d’aller quérir encore quelque arg en t,
qu’il avoir chez un amy * ce qu’il luy accor
da , plus par envie de jouer» quepargenero-
iité. t-e Ju if revint aufifi - toft avec quinze
cens Jacobus d’or , qui le tentèrent, & luy
firent reperdre tout ce qu’il avoit gagné , qui
valoit bien cent mil écus ; 8c de plus, il per
dit encore tout ce qu’il avoir» jufqu’à ion
habit, que le |u if luy rendit, & de quoy le
reconduire à l’IÎle delà Tortue : car il perdit
avec Ton argent l’envie d’aller eu Angleterre.
Etant de retour à la Tortue , il retourna en
courfe , ou il gagna 6 . ou 7000. écus. Mon-
Ceur d*Ogeron,qui pour lors y étoit Gou-
ver-
DES A V A N T U R î E R S . r ^f 1
C h a p i t r e II.
Deuxième Aventurier,
M
^Et A v anturier natif de Dunkerque, ay-
ant monté un petit Brig;antin avec vingt
isi y ' /rl iîx de fes Camarades , fut croiier devant h
Cep de U Vella ,afin d’attendre quelques Na
I' ‘ ifa jtlv
II. :iS vires Marchands qui dévoient paiTer par là ,
venant de Marocaïbo , 6c allant à Campeche \
Il y fut plus long-temps qu’il ne s*étoit pro-
pofé , ïàns pouvoir rien prendre • iî bien que
Je peu de vivres qu’il avoir, étoïc prefque
con-*
i/
EI
1/ W
D E S A V A N T ü RI ERS .
Confommé , & fon baftiment ruiné & inca
pable de tenir la mer.
Se voyant dans cet état il fit une propofi- Deifein
don aÎTez refoluë à fon Equipage^, qui étoit (ie pierre
d’aller à la Riviere de U Hache ,"où ily aune
pêcherie de perleSjnommée des Elpagnols la
Rancheria , où tous les ans ils viennent de
Cartagene avec dix ou douze Barques pour
pêcher des perles •• Ces Barques font accom
pagnées d*un Navire de guerre Efpagnol,
nommé Jrm adilla > qui porte ordinairement;
24. pieces de canon, & deux cens hommes.
Cette pêcherie de perles a accoûtunfié de fe
faire depuis le mois d’OdtobreJufqu’au mois
de Mars, à cauie que pendant ce temps , les ! (
vents du Nord qui caufent de grands cou
rants »ne font pas fi forts. Chaque Barque de , ^
pêcheurs de perles a deux ou trois Efclaves
qui plongent, pour pêcher les huitres où fe
trouvent les perles : ces Efclaves noirs ne du
rent que tres-peu, pour le grand effort qu’ils
font en plongeant, 8c demeurant quelque
fois plus d*un quart-d’heure au fond de l’eau."
ce qui fait que la plus grande partie font
rompus,quoy qu’ils ayentdes bandages pour
les en garantir. Entre tontes les Barques ,il Barqu<i
y en a une qu*on nomme la Capitana , qui eit
fuperieure à toutes les autres ,qui font obli
gées de porter tous les loirs ce qu’elles ont
pêché de perles ce mefme jour , afin qu*il ne
ie fnife point de tromperie. Le Navire de
guerre n’a autre foin que de les garder des
invaüonsdes Avanturiers : C’étoirces Bar
ques que Pierre Franc avoir deifein d’atta
quer» 8c de fc rendre m'aiftre de la Capitana,
mefniQ
tneirnc (îe l’enlever à la veue des antres ;
qui liiy renflit aiTez bien , qiioy que la fortu
ne changeât bien-toft apres.
Le matin il approcha de cette petite Flotte,
qui le voyant fe mit fur fes s;ardes , jugeant
bien que c’eftoitun Efcumeur de Mer: Mais
comme il fe tenoit toûjours au large, ils cru
rent qu*il n*ofoit approcher. Cependant on
ne laiiTa pas'd’envoyer de chaque Barque
trois hommes de renfort fur la C apitana, ce
que noftre Avanturier remarqua:!! bien que
quand la nuit fut venue , il l’alla attaquer ,
é c dans une demie-heure s’en rendit le Mai-
dant cette
------------- • voix
I qui
» parloic fort bon Efpa- guerre,^ Sc
i^noi, accompap^nee d’un hurlement,que no- eft pris
ftre Avanturier .fit faire à fes gens , qui à la fin.
crioient en Efpagnol, Vicioria, ViBoria ,cru t
véritablement que la Barque perliere avoit
pris le Corfaire, Te contenta de dire , que des
qu'il feroit jour il envoyroit quérir ces Vo-
■leurs , & qu’il les falloit'bien garder tonte la
nuit. Noftre Avanturier répondit qu’il n^’a-
voit rien à craindre, & que ces gensavoient
ellé É braves,qu’ils avoient prefque tout tué.
* Le Navire de guerre fnt fatisfait de cela,
i Cependant noftre Avanturier travailla toute
\la nuit â s*échaper, & mit auiTi-toft à la voi-
ale , le^lus fubtilement qu’il luy fut poiTible,
1de peur d’eftre apperceu : Mais il ne fut pas
i à demie lieue de la Flotte que le vent ceila ,
HSc qu’il fut pris du calme , qui le tint là juC-
i qu’au lendemain, qu’eftant apperceu des
ij autres , ils mirent à la voile pour aller après
;i|!uy ; mais comme le calme cftoit grand , ils
I ne pouvoient pas avancer non plus que luy ;
i &: il étoit déjà beaucoup éloignéd’eux. Sur
II le foir le vent devint plus fort j nôtre Avan- ^i
dturier commença à faire de Ton mieux , 8c
li poiiiTa à toutes voiles pour échaper : le Na-
'i vire de guerre le pourfuivit long-temps fans
beaucoup gagner fur luy ; mais le vent re
doublant . Îe Navire de guerre commença à
, rnectre des voiles autant qu’il en pouvoir
[porter. Noftre AvanturierlaiiTa toutes celles
I qu’il av o it, mais il n’en pouvoir pas foûte-
j nir tant que l’autre^car fon grand mats tom-
i Iba & cafta par la trop grande charge de fon
bu-
hunier. Tout cela ne luy fît pas perdre coü«
ra^e : Il avoir enfermé les Efpa(j;nols dans le f
fonds de calle , & cloué les Efcoutilles : El-
coutilleeft une trape qu.i ferme les ouvertu
res des ponts d*un Navire. Il fit mettre fes
gens en défence, croyant échaper â la faveur
de la nuit j mais le grand Navire l’approcha
de fi p rés, qu’il fut contraint de compofer ^
ce qu’il fit 5 6c ne le rendit qu’à condition
qu’on luy donneroit qnartier^à luy & à tous
les gens,8c qu’on ne leur feroit pas porter de
pierre, ny de chaux: car c’eft la maniéré des .
Efpagnols , lors qu*ils prennent de ces gens,
de les tenir deux ou trois ans dans des Forte-
IA
reiTes qu*on b â tir, où ils les font porter de la
pierre ou de la chaux. Tout ce que Pierre
Franc demanda luy fut accordé. t
Si toit que les Efpagnols furent maiftres de
nos Avanturiers, ils oublièrent ce qu’ils leur
avoi'ent promis, 5c les vouloient tous paiTer
au fil de l’épéej mais il s*en trouva de railbn-
^I nables » qui dirent que c*étoit déroger pour !e
un Efpagnol, 8c faire affront à Ton Roy , de
ne pas tenir ià parole : fi bien qu’on fe con- .
tenta de les lier , 8c de les mettre au fond de ' f?
calle, comme ils avoient mis les Efpagnols ïii
'Quatre dans la Barque perliere. Lors qu’ils furent ar- v
Avantu-
riers m e rivez à Cartagene , on mena les Avanturiers
n e z de devant le Gouverneur,à qui quelques Efpa
;l M j I ■ c a n t le gnols paiTionnez reprefenterent qu’ils faloic
Gouver»
n eu r de pendre ces gens-Ià, 8c qu’à la fin ils fe ren-
C artage- droient les Maiftres des Indes du Roy d’E f
tie , fer pagne , 8c qu’ils avoient tué un Al ferez qui
vent deux
ans les Fi^
valoir mieux que toute la France: Cependant
pagnols, le Gouverneur fe contenta de les faire tra« ^
vailler
DE S A V A N T U R I E R S . 167
7ailler au Baftion de S. Trmcifco de la Ville ionten.’
ieCarta^ene aux lilcs d'Occident. EPagnel^
Apres que nos Avanturiers eurent fervi sc trou-’
leux ans aux Efpagnolsde Manœuvres_,fans vent IM
en recevoir pour tout payenaent qu*un peu
le nourritiirC'ils obtinrent enfin du Gouver- e^atance^
leur , qu'on les envoyeroit en Efpagne , où
1 toil qu’ils furent arrivez , ils cherchèrent
*occafion de repaiTer en France,& delà dans
'Amérique, pour ie faire payer par les Efpa-
^nols de leurfalaire : ce qu’ils ont fa it, font
encore, & feront toujours.
i
171 h i s t o i r e
déjà parlé de ces arbres^ qùi fe nomment
Mangles, Enfin il parvint en douze jours au
IÉ111 Ton arrt- Golfe de Trifte , pendant lequel temps il ne
\eea Tii- mangea que des coquillages tout crus , qu’il
iie,& h i-encontroit au bord de la mer. Il fut encore
i< ncontre
q u ’i! y
aiTcz heureux, qu'arrivant â Trifte il trou
lûir. va des Avanturiers de ia connoiftance,Fran t.
çois & An^lois , à qui il conta tout ce qui
Îuy eftoit arrivé , & leur propofa que s’ils
vouloient ils pourroient avoir un navire pour
fe monter & aller en couvfe : car alors ils
n ’avoient point d'autres bâtimens que des
Canots.
■<i;' 71 tente Il les exhorta donc de Taider , 8c leur die
de n o u que pour celai! faloit aller dix à douze hom
veau la mes dans un de leurs C an o ts, 6c de nuit le
fo a u n e .
long de la cofte , fe faire découvrir ,
quoy qu'il n*y euft pas grand danger , parce
que quand on verroit un C an o t, on ne s’en
Àonneroitpas , veu qu’il y en avoir aftez le
long de la cofte , qui pefehoient • mais qu’il
faloit bien prendre fon temps pour ne pas
manquer le. coup, fur tout à prefent qif il n’y
avoit pas grand monde. Ce qui fut exaefte-
ment obfervé de ceux à qui il fit cette pro-
pofition, Iciquels pour c tt effet fe loûmirent
6c s'abandonnèrent volontiers â fa conduite.
Ils eftoient treize en tour , en comptant
noilre A vanturier, pour executer cette en-
treprife.
Ils vinrent environ an milieu de la nuit
aborder ce vaiiTeau , d'où la Sentinelle de
m anda, qui va là>'Ho{)iYQ. Avanturier qui
parloir fort bon Efpagnol, répondit qu’ils
eftoient des leurs, venans de terre avec quel
ques
DE S A V E N T U R I E R S . 17^
qnes marchandifes qu’on leur avoir données
â porter à bord,pour ne point payer de doua
ne. La Sentinelle,dans l’efperance d’avoir fa
part du butin , ne iît point de bruit , & en jj
lailTa entrer trois ou quatre , qui la tiierenc un vaii-
auiTi-toft , & coururent à Tinftant aux au- feau qui
très en faire a u ta n t, coupèrent le cable , 8c
s’enfuirent avec le navire , où avant qu’ii
fuft jour,ils eftoienthors de la veiie de Cam
peche. Ils furent quérir le reile de leurs ca-
marades,qui eftoient demeurez à Trifte; Sc
iïpres ie mirent en devoir de gagner la Ja
maïque, afin d’armer ce vaiiTeau.
J Mais il femble que plus la fortune nous efb
contraire,plus elle fe plaifi: à Teftre ; car ces
pauvres gensfe rencontrèrent à la bande du
Zud 4 el*Iile de Cuba, où ils furent pris d’un
I mauvais temps qui les jetta fur des Récifs ,
' qu’on nomme les Jardins de 1*1fle de Pin où
' leur Bâtiment fut perdu fans pouvoir rien
I fauver. Cela leur caufa une grande perce,
car il eftoic plus d’à moitié chargé de Cacao.
Ce qu’ils purent faire fut de fe fauver avec
leurs Canots, & de gagner l’Ifle de la Jamaï-
' que , où après chacun chercha fortune. On
envoya en Efpagneceux qui furent pris avec
! Barthélémy , accompagnez des mêmes gens
; qui les avoient arreftez, d’où on les vit bien-
{ toil: de retour à la Jamaïque.
Voilà quelle fut l’avanture de Barthélémy
dans ce voyage. 11 en eut depuis beaucoup
d’autres , qui pourroient paifer pour un Ro
man,fi je les racontois. Enfin je I*ay vu mou
rir miferable avant de paifer en Europe ,
comme je le feray voir dans la fuite.
H 5 C H A- \
Ï 74 H I S T O I R E
C h a p i t r e III.
'■■/r .'i'
il i' :■
riM"'l'i-:
. *■
DES A V A N T U R I E R S . 177
font aiTez ordinaires aux Avanturiers, il en
couragea fes gens, leur promit de les retirer
de là 5 8 c leur cominanda de mettre toutes
leurs armes en é ta t, 8c de marcher vers le
golfe de Triite , où il efperoit de trouver
quelques-uns de Tes camarades. Enfuite Roc
marchant à leur telle , ils ne fireht point de
difficulté de prendre le grand chemin , com
me s’ils avoient eilé des gens à ne rien
craindre-, 8c quhls eniTent réduit tout le pais.
iGependant quelques Indiens les ayant ap-
^iperceus en avertirent les Efpagnols, qui vin
re n t après eux au nombre de cent, tous bien
montez 8c bien armez.
Qiiand Roc les vit, au lieu d’aprehender» c o m b a t
^ il commença à fe ré jo u ir, 8c dit à ceux qui & m tre-
i'l’accompagnoient, courage mes freres, nous
avons faim : mais nous ferons bien-toft un '
S bon repas;VOus n’avez qu’à me fuivre. Bien
^'loin d’attendre les EfpagnohjOu de les fuir,
fil alla au devant d*eux 8c les défit entiere-
1 ment, fans avoir perdu que deux de fes gens »' t
Ji tuez 8c deux de bleiTez.
Nos Avantuiiers prirent aiTez de chevaux
q pour fe monter , 8c achever le chemin qu’ils
ii avoient à faire-jls trouvèrent mefmedes vi-
Mv res, du vin 8c de l’eau de vie que les Efpa-
7 gnols avoient apporté avec eux , ce qui les
il remit tout à frit, 8c leur donna aifez de cou-
d rage, pour ie batre tout de nouveau , contre
Bdeux fois autant de m onde, s’ils y avoient
eilé contraints.
Après donc s’eÎlre bien rafraîchis,ils mon
Î tèrent à cheval 8c continuèrent leur route.
Ayant ainfi marché deux jours , ils apperceu-
H5 rent
Î\:.:
178 H I S T O I R E
rent d*^ifrez loin une barque, proche du bord
de la mer , elle appartenoic aux Efpaçnols
qui eftoient vcnub là couper du bois de
Campefche, qui iert à la œinture. Noftre
Avantiirier fit cacher fon monde , & fut luy
fixieine à pied, proche de la barque, pour la
prendre ; à cette fin il fe cacha dans un hai^
lie r, où il paiTa la n u it, Scie lendemain à la
pointe du jour , lors que les Efpagnols dep.
cendoient à terre dahs leur canot pour aller •ii'f *ï
couper du bois, noilre Avanturierlcs receur
21 fort bien : mais non pas à leur lôuhaic. U
p.ned’ime s’empara incontinent delà barque, 8c fit ve-
gens. Il trouva dans celte barque fore
peu de vivres ; mais un paquet deiel d’en
viron deux cens livres pezant , dont il fitfa-
îer une partie des meilleurs chevaux apres
qu’on les eut tuez , en attendant qu*on trou
vai!: d’autres vivres. Il donna encore aux
Efpagnols de la barque les chevaux qui luy M !
reftoient, leur difant. A llez, je ne vous fais
point de tort, car ces chevaux valent mieux
que voftre barque , outre que vous ne cou-
jez point rifque d’eftre noyez.
Noftre Avanturier eftant remonté de ba
timent ne ibngea plus qu’à faire capture. Il
avoit encore vingt-fix hommes fains, il alla
devant la ville de Campefehe , voir s'il n*y
pourroit rien prendre. QjUxand il y fut , il
iaifta Ton bâtiment au large 8c defeendit a-*-
vec huit hommes dans fon canot , pour tâ
cher d’enlever quelque bâtiment ; mais cela
ne luy reuifit pas .• car il fut pris des Eipa-
gnols, 8c mené auiTi-toft au Gouverneur
avec fes camarades,qui les voulut tous fiire
pendre. Roc
Cy A R T R 'dc ÍR m houchcurX ^
L a c dc McL^'CLcc^’cyJusquè\
^ilhvciLtíxr' soitudCL Iíl hízú
dcpvds'dix^ dcpt^CT^ ^usqu
b^cntc mirtutcs dc m
S cptcn h ^ ion n alú .
. <.
a 5.
;I
, 1
■Ü
.i>'
DE S A V A N T U R I E R S . i 7P
Roc qui eftoit auiTi intrépide que fubtil, Roc pris,
s*aviia d’une feinte pour intimider le Gou tjon ôc l’inven*
q u ’il
verneur , 8c empefeher qu’il ne luy joüaft trouva
quelque mauvais tour,. Il y avoir fait con- pour évi
noiÎTance avec un Efclave, qu’il pria de luy ter la
rendre ièrvice , luy promettant de le retirer m ort.
d*efclavaG;e. Cet Elclave entendant parler
d’eftre mis en liberté , luy promit tout ce
qu’il voulut. Le Gouverneur ne te connoift
point, luy dit Roc : dis luy que tu as eilé pris
des Avanturiers avec ton Maiftre , qu’ils
t’ont mis â terre avec cette lettre pour luy
apporter , & que pour cela on t’a donn é la
liberté •& apres retourne t’en fans parler à
perfonne.
Il avoir écrit cette lettre , comme fi elle
venoit de quelque fameux Avanturier ; qui
fceulf que Roc eftoit pris & menacoit le
Gouverneur, ques’il arrivoitmal à telle per
fonne de leurs camarades qui eftoit entre ies
mains, il pouvoir s’aiTurer qu*autant d'Efpa-
gnols, qu’il prendroit , il ne leur donneroic
point de quartier. A la vérité cela intimida
ce Gouverneur,qui fit reflexion fur ce que la
ville de Campefehe avoir déjà efté prife par
une troupe de ces gens lâ 5 & manqué une
fécondé fois à l’eiire. G’ell pourquoy il ne
parla plus de pendre Roc , au contraire il le
fit mieux traiter, & par la premiere occafion
il l’envoya en Elpagne , (ans ie douter que
noftre Avanturier feeût la râifon qui l’obli-
geoit â luy faire tant de graces. On îe m e
Roc fut donc ainfi embarqué fur la flotte ne en f f -
des Galions du Roy d’Efpagne, où il fe fit pagne Hjc
les Ga
aimer de tous les Efpagnols. Les Capitaines lions du
H6 luy Roy.
ï8o H I S T O I R E
îuy reprefentcrent, que s*il vouloit fervir U
R o y d’Efpa^ne , ils Iuy feroicnt donner tel
employ qu*il fouhaiteroit. Il diffimuloit fa
penfee tant qif il pouvoir, afin d’eftre bien ,
traice.*& m'a dit luy-rnefme qifil ^agnapen
dant le voyage à cinq cens ecus à pefcher .*
car il eft fort'adroir a harponner du poiiTon, •
ou à le tirer dans l’eau avec des fléchés , 8c
comme les Efpagnols qui négocient aux Iri- .
des ont beaucoup d’argent,& qu’ils font dé
licats • ils ne font pas difficulté de donner
vingt écus pour, un poilfon frais dans des
lieux comme cela, •
îî trouve' Dés que le Capitaine Roc fut arrivé en
ledemoyen
repal- Efpagne,il chercha d*abord l’occaflon d’aller
en Angleterre , où delà il repaiTa bien roft à
la Jamaïque , & y revint en meilleur éqni-
^ ‘ page, qu’il n’en eiVoit party,hormis qu’il n’a-
voit point de bâtiment. Ceux qui avoient
eilé pris avec luy , furent auffi envoyez en
Efpagne, 8c bien traitez pendant le voyage
à fa conflderation , car il ne les abandonna
Kit
point. Si-rôr qu’il de retour à la Jamai-
que,il n’afpira qu’à aller piller lesEfpagnols ,
fur lefqucls il a fait diverfes captures, qui luy
ont for:bien reiiffi , quoy que la derniere ait
eilé aifez malheureufe, mais non pas pour
luy.
Nouvelle Eilant forti de la Jamaïque avec un Cor-
courfe de faire,il fe icncontra encore avec deux Fran-
çois, dont le principal fe nommoit Tributpr 3
vieux Avanturier, 8c fort experimente' dans
les couries. Ces deux Avanturiers s'aifocie-
rent enfcmble pour aller faire une defeente
fur la Pcniniule de luratum. Et pour prendre
une
DES A V A N T U R I E R S .
atle ville, nommée Merida^ Roc y ayiînt déjiî
efté , fervoic de ü;uide , bien qu’ils euiTenc
quelques prifonniers Efpiignols qui les y
:onduifoienc aufîl. Cependant ils ne purent Entreprife
fî bien prendre leurs precautions qu'ils ne
miTent découverts avant de fe mettre en
:hemin,par des Indiens qui en avertirent les
Efpa^nols,8c leur donnèrent le temps de faire
eenir du monde de pluiîeurs endroits, afin
le défendre la place. De forte que quand
nos Avanturiers y arrivèrent, on les receut
i’une autre maniéré qu'ils n’avoient prévu :
Sc lors qu'ils fe virent découverts , ils furent
battus en queue par les Efpagnols , qui les
raillèrent prefque tous en pieces, 6c en firent
beaucoup de prifonniers^
Le Capitaine Roc évita de l’efire , quoy
qu*il ne fufV pas celuy qui s’expofaft le moins:
:ar il tiendroit à la plus grande lâcheté du
nonde , fi un autre avoir tiré ou donné un
coup avant luy : oii s’il n’avoic pas efté le
dernier dans un combat où mefne il fe ver-
roit le plus foible 5 eftant toujours plûtoft
preft à fe faire tuer qu*à ceder. J ’en puis par
ier certainement pour m*eilre trouvé avec
iuy dansl’occafion : Enfin malgré tout cela,
il s*eft tiré de ce méchant pas.*8c ion cama
rade Tributor qui eftoit François , y eft de
meuré, avec prefque tous ces gens. Voila ce
qui s*cit paifé de plus memorable jufqu’à
arefent dans la vie du Capitaine Roc.
Les Efpagnols voyant d*une part qu’il leur
eftoit impoiTible de refifter aux Avanturiers,
dont ils recevoient tousles jours de nouvel
les infultes, ifoferenc prefque plus naviger,
6c
it
iSi h i s t o i r e
Sc ail lieu qu’aupcaravant ils avcient accou-'
tnmé de mettre quatre navires en mer , ils
n*cn mettoient plus qu*un. D’autre part, les
Avanturiers accoutumez à ne vivre que de ,1
butin : voyant qu’ils ne prcnoient plus tant Ii
Avantu- n ^ y ir e s , commencèrent à s’ennuyer , a
rôdent ^ s’aiTocier plufieurs enfemble, a faire des def-
piufieius centeSjSc enfin à prendre Sc piller des petites
enfemble, yi||es & bourgadcs. U
Le premierqui entreprit cela, fut nomme
^ loiiisScot, Anglois de nation, lequel avec les
alTociez prit la ville de faint Franciico de
Campeiche,la pilla; la mit à rançon,& apres J
l’avoir abandonnée , s’en rerourna a la Ja
maïque. Luy party , Manfweld y vint, & fit :fi
plufieurs defeentes qui luy reüifirent.Un jour b,
il équipa une ilote avec laquelle il tenta de
paiTer par le Royaume de la nouvelle Grena
de, 6c delà à la mer du Zud, 8c en paiTant de
piller la ville de Cartage dansle mefme Roy
aume; mais il n’en pût venir à bout à caule U'
de la diiTention qui fe mit entre fes gens,An- li
glois 6c François de nation. Ils eftoient tou
jours en conteftation pour les vivres : quand
les uns en avoient , ils n’en vouloient point
donner aux autres.
Je ne parle point icy de ces fameux Avati-
turiers qui ont efté autrefois dans l’Améri
que , 6c qui y ont fait des progrès ii furpre-
nans , comme ce célébré Holandois , lequel
prit une riche ilote fur les Efpagnols. L*op
voit tout cela dans les Hiftoires qu’ont écrit
divers Auteurs de l’Amérique. Je ne diray
rien icy que ce que j’ay veu moy-melme , 8c
ce qui s’y eft paiTé depuis vingt ans, 8c en
quel
■ir
DES A V A N T U R î E K S .
quel état fctrouvent prefentemenc ces con
trées.
D avid V, Avanturier,
C h a p i t r e I V.
:i
;I
DESAVANTURÎERS. i 8^
cette Cofte, qu*on nomme Bayes du Nord,
Ils s’écartèrent à quelque diftance l’un
deTautre, afin de faire plûtoft: capture : car
chacun d'eux étoit aiTez fort pour lé rendre
maiftre d’une de ces Barques , qui ne porte
ordinairement que quinze ou feize hommes
fans armes. Ils furent là quelques mois , &
ne purent rien prendre,quoy que ce fût dans
le fort de la làifon que ces Barques navi-
gcnt.
Ayant donc efl:c ainii quelque temps , ils
prirent un Canot de pêcheurs , qui leur dit
qu'ils fe mettoient bien en peril de demeurer
à cette Cofte,& que Ton avoitconnoiiTance
d’eux , ce qui eftoit cauiè que pas une Bar
que n'ofoitfortirj ny entrer, & que les inte-
reiTez dans le commerce avoient efté fe
plaindre au Gouverneur de la Havana^ Sc le
prier de donner remede à cela, en détruifanc
los Ladrones^^ Car c’eft ainii que les Efpagnols
les nomment.
Le Gouverneur à ces plaintes avoit faitEeOou^
équiper une Armadilla , qui veut dire Fre-
gatte legere, armée de dix pieces de canon , va^na^n^"
& de quatre-vingts hommes de la plus belle voyc une
jeuneiTe 6c des plus vigoureux qui fuiTent à Frégate .
la Havana^q\i\ jurèrent en partant de ne faire f>oionois '
aucun quartier. L’Olonois apprenant ces *
nouvelles commença à fc réjouir;& dit à Tes
Camarades , bon mes freres , nous ferons
bien-toft montez , & dans peu nous ferons
capture. Ils furent bien-aifes , fe tinrent fur
leurs gardes,& peu de jours s’étoienc paiTez
qu’ils apperceurent le bâtiment.
A fa veuë ils fe cachèrent, ne laiÎTant pas
de
h i s t o i r e
de l’obferver. Il vint mouiller dans une Rît '
vicre d’eau falée,que les Efpaffnols nomment
‘Efferra & les ¥vi\nçCiis Tferre, La nuit meiine
nos Avanturiers reiblurent de l’attaquer .*8c
à cet effet ils ramerent Port doucement le
long de la terre à Labry des arbres qui bor-
doient cette Riviere,8c qui les cachoient. Le
lendemain à la pointe du jour ils commence-
. rent â charger les Espagnols des deux coftez,
a m S a à coups dé fufil. Eux qui faifoient bonne
Ftegate ; garde,leur rendirent auiri-toft,quoy quhlsne
evene- jes viffent pas ; car ils avoient range leurs
ment du c^pots à terre fous les arbres qui les cou-
com at. ^ ^ s’étoient retirez derrière leurs
Canots qui leur fervoient de Gabions. Les
Efpagnols tiroient à cartouches des deux co-
iVez , 8c outre cela faifoient de grandes de-
charges de moufqueterie, ûns toutefoistuec
U ny bleffer aucun des Avanturiers.
Ce combat dura environ jufqu’à midy ,
fans que les Avanturiers receuiîent aucun
tort, Sc avoient au contraire,prefque tué 8c
u \F- 1 bleiÎe tous les Efpagnols qui faifoient déjà
K: mine de fe retirer de là , n’en pouvant plus.
Qiiand les Avanturiers virent que leurs en
nemis vouloient fe retirer, ils jugèrent qu’ils
croient bien affoiblis^car ils voyoient couler
le fang par les étancheres,qui font les égouts
des Vaiffeaux. Ils mirent donc aupliisvifte
les Canots à l’eau , 8c furent tout d’un coup
à bord, où les Eipagnols ne firent pas beau
coup de renftance,Sc fe rendirent.
On les fît aiiffi-toft delcendre à b a s , Scl’on
tua-tous ceux qui étoient bleffezlur letillac.
Pendant ce carnage,un Efclaye vint fe jetter |
aux^
DESAVANTURIERS.
mix pieds de I’OIonois , & s*e'cria en Efpa-
^ n o l, Senor Capitan , no me Mat eis y o os dire la
•verdad:YO\ono\s qui entendoit parfaicemenc
bien I’Efpagnol , cmtqu*â ce morde verdad
il y avoir quelque miilere : il Einrerrogea ,
mais cet Eiclave tout tremblant ne luy pût
jamais repondre, qu’il ne luy eût abiolumenc
promis quartier,ce qu*il fit,& PEfclave com
mença à parler,& à dire, Senor CapitanyMon^
iieur le Gouverneur de la Havana ne dou
tant pas que cette Frégate armée comme elle
l’étoit, ne fût capable de vaincre le plus fort
de vos VaiiTeaux, m*a mis deiTus pourfervir
de Bourreau, & pour pendre tous les prilôn-
niers que le Capitaine de ce VaiÎTeau pren-
d ro it, afin d'intimider de telle forte voftrc
Nation, qu’elle n'ofe approcher de cette co
de que de loin.
L’Olonois à ces mots de Boureau Sc de
pendre, devint comme furieuxj & ce fut un
bon-heur pour l'Efclave ; de ce qu'il fe don
na le temps de luy dire .* le te donne quartier :
car je te l*ay promis y éf* mefme la liberté ; 6c il fit
ouvrir l’Ecoutille, par laquelle il commanda
aux Efpagnols démonter un à un à me-
fure qu'ils montoient, il leur coupoit la tefte
avec ion* fabre. II fit cela fe u l^ jufques au Terrf^^.
dernier,qu'il garda en vie, & luy donna une éxecution^
lettre pour rendre au Gouverneur de la Ha
vana »dans laquelle il luy mandoit , qu’il a-
voit fait de fes gens ce qu’il avoir ordonné
qu'on fift de luy & des iiens • qu'il eftoic
fort aife que cet ordre vint de fa part,& qu’il
pou voit s’aÎTurer qu'autant d’Eipagnols qu’il
prendroit» il leur feroit le mefme traitement »
8C
1^2 h i s t o i r e
8c que peur-eftie il Teprouveroit luy-mefîne*
que pour lay il eftoit relblu de Ce tuer plùtoft
dans le befoin , que de tomber entre leurs ,
mains. n i
Hconne- Le Gouverneur furpris a cette nouvelle >le
ment du fut encore davantage *quand il entendit dire
G ou vet-
Iseut. que vingt-deux hommes avec deux Canots
11it avoient fait ce coup. Cefa l’irrita tellement»
qu’il envoia ordre dans ce moment par tous,
les Porcs des Indes, de prendre tous les prw
ibnniers François ou Anglois >au lieu de les
\ :
embarquer pour l’Efpagne. Tout le peuple ■
ayant appris cette nouvelle,députa quelqu’un ^
pour repreiencer au Gouverneur >que pour
un Anglois,ou un François que les Efpagnols
prenoient, ces Nations en prenoienc tous les
jours cent des leurs, & qu’ils étqientobligez
de naviger pour gagneiTeur vie * qui leur
eftoit plus chere que tout leur bien >a quoy
ces 2;ens en vouloient ieulemcnt, puifqu ils
leur donnoient quartier dans toutes les oc-
> i.
cafions i que pour cette railbn ils lupplioienc
Moniteur le Gouverneur de ne pas executer
en cela fon deiTein. On a iceu depuis cecy
par des Efpagnols que les Avanturiers one
tîlli
L’Olonois fe voyant remonte d^un nou-j
veau Batiment, ne fongea plus qu’a faire un-,
bon équipage,éc pour cet effet fe rendit avec^^
là prife à la^Tortuë , où il trouva un de les
Camarades, nommé Michel le Bafque , q^in y
avoir auifi fait une capture cqnfiderable fur
t■ les Efpagnols , entre lefquels il y avoir deux' ^
François, qui ayant long-temps demeure a-^
'Î 1 vec les Efpagnols, ôc mefme eftanc mariez
^ ° chez /
1i
>
D E S A V A N T U R I E R S . ïpB
chez eux aux Indes , fcavoient fort bien les
routes de ces Côtes* Comme ils fe voyoienc
deftituez de tous leurs biens par la priie du
VaiiTeau que le Bafque avoir fait,ils reiblu-
rent de donner des avis aux Avancuriers,pour
faire une defcente en terre ferme , & fur-
prendrepar ce moyen quelques Villes Efpa-
gnoles : Ils s’adreiTerenc pour cela à fOlo-^
nois, qui les écouta , & reiblut l’entrepriÎc
avec le Bafque fon ami qui y conièmic,
Auifi-tôt ils conclurent eniemble que l*un ,
i^avoir roionois , feroit General de l’armée
de mer, & que le Bafque le feroit de celle de
!terre.
C h a p i t r e V.
f
Defcente de l*Olonois en terre ferme,
'O l o n o is 8c le Bafque eftant ainfi l’oIo-'
L convenus de ce qu*ils dévoient faire J
ne fondèrent plus qu’à aiTemblcr du monde-
nois for-
& pour cela, firent fçavoir à tous les Avan-
turiers , qu’ils a voient un deiTein confidera-
ble avec lurete d*un grand gain , & que
uneTou-
ceux qui voudroienteitre de la partie euiTent
à iè rendre au plûtoft à l’Iile de la Tortue, ou
à Baya-ha , à la bande du Nord de 1*Ifle Ef-
pagnole.
L’Olonois ayqitchoifi ce lieu pour donner
caréné à fes barimens , & les fournir de vi
vres, a cauiè de la commodité de la chafïe ,
tant aux Sangliers, qu’aux Taureaux. Dans
peu il le vit fortifié de quatre cens hommes, ^
Tomel. I
aveclefquels il s*en alla à Baya-ha , attendre
encore quelques A vanturiers, éc ceux qui
pourioienc venir de la Tortue dans l’inten
tion de fe joindre à ia dote. Ainfi le^rendez-
vous eitoit à B aya-ha , au Sud de l lile EC*
pagnole. ^
Cette dote compofée de cinq a fix petits
bdtimens, dont le plus grand ed:qit celuy de
l’Olonois Admirai qui portoit dix pieces de
canon, mit à la voile 5 ôc fans perdre de
temps , fit route pour doubler la pointe de
l'Efpada , autrement dite el Cabo del Engana ,
qui eft la pointe Orientale de ITde Efpa-
gnole. Il femble que la fortune qui pouiToic
1Îdeuxprendbi-
i’Olonois àcette entreprife luy voulût donner
limens
tipagnols
dt^s ce moment des marques de ies faveurs ,
par deux bâtimens Efpagnols qu’il prit, dont
l*un eftoit richement chargé , & tous deux
Il envoyé
un navire plus grands que pas un des fiens,. Le plus
plein de grand qui eftoit chargé de Cacao , fut en
Cacao à voyé par fOlonois à Vide de la Tortue,pour
la T ortue, y eftre déchargé , & revenir fe joindre au
qui re
vient plutôt à l’Ide de Saône, où iirattendoit,& ou
clrargé il avoit pris Tautre bâtiment chargé de mu-*
ü ’Avan- nitions de guerre pour la ville de faint Do-
tuiieis.
cninguc.
Monfieur d’Ogeron qui gouvernoit pour
lorslTdede la Tortue voyant arriver cette
riche prife qui valoir plus de cent quatre-
vingt mille livres, fur fort joyeux , offrit
'(‘i d’abord fes magazins aux Avanturiers, pour
; 'J' mettre cette marchandife*.& le navire qffon
nomma depuis la Cacaoyere fut bien-tôt preft
..':i't i' 3 aller retrouver l’Olonois. Plufieurs per-
'1 1 ' fonnes qui venoienc de France dans le na
vire
D E S AV A N T ü R I E R S . î^r
Vire de M. d’Ogeron , voyant cela eurent
envie de faire auiTi bien-roft leur fortune, 5c
s’embarquèrent fur ce vaiiïeau.
Monfieur d’Ogeron meiine avoit deux ne
veux jeunes, braves,& quipromettoient be
aucoup,ayant fait leurs exercices en France,
comme des gens de famille font ordinaire
ment, 1*1111 defquels eft aujourd’huy Gouver
neur de la Tortue. Ces deux jeunes hommes
voulurent auifi y aller , irbien que ce bâti
ment ainiî chargé de monde, fut bien-tôt de
retour auprès de fOlonois , quiie réjouit de
voir Taugmentation que recevoir fa flotte ,
au lieu de quelques bleiTez qu’il avoit ren
voyez à la Tortue ^ car ces batimens Efpa-
gnols ne s*eftoient pas rendus fans bien dif-
puterleur vie, avec les Avanturiers.
L’OIonois avant que de partir fît reveuë L’oionois
de fa flote, & refolutde declarer ion deifcin fait revue
aies gens. Il monta la fregate qu*ils avoient Îf
priie , portant ieize pieces de canon oc lix elle (e
vingts hommes , 8c donna la iîenne à fon trouve.
Vice-amiral nommé Motfe Vaudin^ montée de
dix pieces de canon 8c de quatre-vingt-dix
hommes. Son Matelot monta l’autre, qu'ils
nommèrent la P oudrière , à caufe de iâ char
ge, qui n’eiloit que de poudre, de munitions
de guerre , 8c de quelque argent pour payer
îa garniibn. Ce bâtiment portoit aufli dix
pieces de canon 5c quatre-vingt-dix hom
mes , monté par A. du Puits qui eftoit ce
Matelot. Pierre le Picard avoit un brigantin
avec quarante hommes. Moife en montoic
auiîî un autre qui en avoit au tan t, 8c deux
petites barques qui portoienc chacun trente
I Z hom-
îp(f H I S T O I R E
Jiomtnes * fi bien que toute cette flöte coniî-
ftoit en fept vaifleaux & quatre cens qua
rante hommes,tous bien armez chacun d*uâ
bon fufll, de deux piftolets & d*un bon la
bre. Ajoutez à cela que le cœur ny radreflc
ne leur manquoit pas : ce qui paroiftra dans
; I : l ’entrepriie que nos Avanturiers vont faire.
La Recruë de cette flotte ainfi faite, & les
vaifleaux en état de naviger, TOlonois dé
- / couvrit fon dcflein qui étbit d*aller à la ville
de Maracaibo, dans la Province de Venezuela
feife furie bord du Lacdumefme nom, & de
piller tous les bourgs qui font fur le bord de
ce Lac -, 8c fit voir , qu’il eftoit bien fondé
pour cette entreprilë, en montrant les deux
guides François qifil avoir pour y reüflir ,
‘d ont l’un eftoit Pilote de la Barre qui eft à
l’entrée du Lac de I^aracaibo. Il n’y eut per-
ionnequi n’acceptât cette propofition, 8c ne
confentît d'abord de le fuivre , ils prêtèrent
mefmetous fernfent d’obéir ponâueliemenc
à les ordres, ou d’eftre privez,après le voya
ge,de leur part du butin.
Aufli tôt on fît un accord, qu*on nomrne,
comme j’ay déjà dit , parmy ces gens lâ ,
'D e fc r ip tîo n de la B a y e é * de la v i l l e de
M a r a c a ib o ,
t9^ H I S T O I R E
ils vendent les peaux pour s’entretenir. Les'
Holandois conierventccs Ifles, ièuleinent à
caufe qu’elles leur font utiles pour le com
-. i » merce clés Efclaves,qu’ils font avec les Efpa-
, i i ll : . ; gnols; Sc de peur que quelques-uns ne s*en
emparent, ils y entretiennent garniibn.
iti' ' La baye de V e n e z u e la , peut cîonc avoir de
). .. I 'I ! t ii''H'I
r ■ . ;■ 1 I ■■ L • i
¥%'
D E S AV A N T U R I E R S . 201
ao 4 H I S T O I R E
i iC arriver devant la barre du lac qu'à la pointé ibi ^
du jour 5 afin que n*eftant point oblige à
reftcr là long-temps, les Efpagnols n'euiTenc
pas le loifir de fe preparer. Le foir il leva
Tancre de Llfle &Arubn , fit voile toute la
nuir, ôc approcha à fonde jnfques devant U
£arra , où il Put aperceu de la V igie, qui fit
auifi-coft un lignai au Fort, d*où l’on tira du
canon pour avertir ceux de la Ville , que les
ennemis eftoient proche.
L’OIonois ne perdit point de temps , fît au
plus viffe defeendre ion monde à terre , Sc
f ;f i i:'::
Michel le Bafque fe mit à la telle pour les
i i ■'
i:î.ili?: if; f
I
commander. L’OIonois qui ne manquoie
I'1.Iv'•’1r;]^
<i :I•'l^';►
, '• point de courage, & qui vouloir partager le '■I
h ^ i ?-r •;• peril 5y alla auiii, St fans prendre d'autres
Attaque meriires,iîs attaquèrent ce Fort , qui n’cftoic
r, U i' du l’oit, que de bons gabions Pries de pieux & de ter
re , derrière lefquelsles Efpagnols avoienc
;0Û Îi ■ quatorze pieces de canon , Sc eiloiehr deux
cens cinquante hommes. Le combat fut ru
:ii de,les deux partis eilant fort opiniâtrez:mais
comme les Avanturiers tiroient plus julle
que les Eipagnols , ils les avoicnc tellement
r l-
I iifFoiblis , qu’ils ne les purent empefeher de
gagner les embrafures,d*entrer dans le Fort, n
d’en maiTacrer une parcie,Sc de faire l’autre
prifonnier.
AiiiTi toil que ces gabions furent gagnez,
I’01 ()nors les fit abattre,Sc encloder le canon,
Sc fut a Maracaibo ians perdre de temps;
I" mais auparavant qu'il y arrivafl, quoy qu’i!
n ’y euil que fix lieues,les Eipagnols icachant
que leur Fort n'eiloit pas capable de refiiler, y
iivoicnt , au premier coup de canon qu’ils 9:- i ,
üiiircntj
'll);
DE S AVANTURIERS. ï o?
cü iren t, embarqué le meilleur de leurs har
des, leur or 8c leur argent, 8c s*eftoienc fau-
vez à ne croyant pas que les Avan- Efpagnoîs
turiersles pourfuivroienc jufqueslâjous’ima- (e fauvent
ginant du moins qu’ils s’arreileroient à pii-
1er ce qui reftoit dans la Ville.*ce qui arriva ,
car l’Olonois eilant venu à Uajecaye, 8c n*y
trouvant que des magazins pleins de mar-
chandifes, 8c des caves remplies de toutes
fortes de bons vins , il s^’amufa à faire bonne
chere Iny 8c tous Tes gens, 8c à aller en party
autour delà Ville : mais il ne fît pas grand
butin,il ne prit que quantité de pauvres gens
qui n’avoient pas eu moyen deiè fauverfur
l’eau, 8c qui leur dirent que les riches eftoienc
a Giîhratar,
L’OIonois demeura quinze jours à Mare^ L’Oiono«
caye^ 8c voyant qu’il ne faiicMt pas grand bu-
tin, il refolut d’aller à Gilbratar • il avoir des
priibnniers qui fçavoient bien la route , 8c
qui luy promettoient de l’y mener : mais ils
l’avertirent que les Efpagnols iè feroientfbr-
tiiieziN’importe, dir-il,il y aura plus à pren-
drc^ Trois jours après ion départ de Mare-
caye il arriva devant Gilbratar , où il y a un
petit Fort en façon de terraffe, fur lequel on
peut mettre iîx pieces en batterie de front :
mais les Efpagnols avoient fait des gabions
le long du rivage , 8c s'elloient retranchez
derrière j fi bien quhls ie moquoient des
Avantnricrs, montroient feulement leurs pa
villons de ibye,8c tiroient du canon.
Nonobftant tout cela , l’Olonois mit ion
monde â terre, 8c chercha le moyen d’aller
dansics bois, pouri'urprendreles Efpagnols
par
ÎJ
lo S H I S T O I R E
par derrière : mais ils y avoient remédié I
ayant prévu tour ce qui leiir pouvoir eftre
dangereux,& abattu quantité de très grands
arbres qui bouchoient toutes les avenues ;
.1 P
outre que tous les pays elloient prefque
noyez,en forte qu’on n’y pouvoir marcher, à
moins que d’avoir de la boue jufqifaux ge
noux.
Quand l’Olonois vit qu*il n’y avoir pas
!■ I
d’autre moyen de paÎTer que par un chemin
foUnÎon^* que les Efpagnols leur avolent laiÎTé >où ils
de L’olo- pouvoient aller environ iix de^ front : Coura
I' ‘
des i ens.
nois & ge, mes freres, dit-il , il faut avoir ces gens-
lâ,ou perii’j fuivez-moy , 8c fi j’y fuccombe ,
ne vous ralentiiTez pas pour cela. A ces
mots il fondit teile baiiTée fur les Efpagnols,
fuivi de tous fes g en s, qui étoient aufll bra
ves que luy. Quand ils furent environ à la
portée du piftolet du retranchement des Ef-
pagnols , ils enfoncèrent jufqu’au genoüiî
dans la vafe, 8c les Efpagnols commencèrent
à tirer fur eux une batterie de vingt pièces
de canon charuées à cartouches. A la vérité
il en tomba beaucoup, mais les dernieres pa
roles de ceux qui tomboientjC’eftoitjOwr^^^^
7ie vota épouvantez^ vous aurez, la viBoire,
Ils pourfuivirent toujours avec la même
vigueur, 8c franchirent enfin le retranche
ment des Efpagnols. J’publiois à dire que
pour le franchir plus facilem ent, ils avoienc
coupé des branches d’arbres , dont ils com
blèrent le chemin j ôc de cette maniéré ap-
planiflTantla voye , ils fe firent un paifage.
t' M * Ayant forcé les Efpagnols dans leur premier
retranchement ^ ils les pouiTcrenc encore juf-
t' ques
Pt |i;
r •
DE
0
S - AV A
^
NTURI ERS. to r
qiies dans un autre,où ils les reduiiirent à de
mander quartier. De iix cens qu’ils eftoient, Débite
il en demeura quatre cens de tuez fur la pla des Efpa*
gnols,
ce, & cent de bleffez. Les Avanturicrs per
dirent de leur cofté cent hommes , tant tuez
que bleffez. Les Officiers Efpa2:nols périrent
prefqne tous dans cette occafion ; mais le
plus iiÇ!;nalé d’entr’eux fut le Gouverneur de
Merida^ grand Capitaine,qui avoir bien fervi
le Roy Catholique dans la Flandre. L*01 o-
nois 8c le Bafque eurent le bonheur de n*e-
Ifre point bleiTez , mais ils eurent le chagrin
de perdre plufieurs braves compagnons : ce
qui fut caufe que pour venger leur m o r t, ils
firent un plus grand carnage des Elpagnols
qu’ils n’auroient fait.
Apres que l'Olonois fe vit ainfi vidlo-
lieux, 8c eut donné ordre à tout,il nefongea
plus qu*à faire amaifer ce qui provenoit du
pillage. Il fe faifoit des partis qui’alloient aux
environs de Gilbratar chercher l’or 8c l’ar
gent que les Efpagnols avoient caché dans
envoya
L’OîonoîS
fesen parti,
gens
les bois. Quand on prenoit des prifonniers ,
on leur donnoit la gehenne pour leur faire met Gtî-&
bratar
confeiTer où eftoient leurs treibrs. L’Olonois
n ’eftant pas encore content de cet avanta-
lesTonnipri-ers
Çe,eut deiTein d’aller Merida , qui eft rançonj ii
a quarante lieues de là par terre j mais com
me il vit que fes gens n’eftoient pas de fon
avis,il n’infifta point davantage.
1 Les Avanturiers ayant demeuré là envi
ron fix femaines, 8c voyant qu’ils ne trou-
voie nt plus rien à piller,refolurent de fe reti
rer ; ce qu’ils auroient efté obligez de faire
toil ou tard , parce que la maladie commen-
soit
îo8^ H I S T O I H E
çoit à fe meiler parmi eux , à caufe du mau- ,
vais air qu’exhaloient le fançç répandu , &
tous les corps morts,qui n’eftqienc qu'à demi
enterrez- encore n"*avoient*ils pris ce foin
que pour ceux qui eftoient trop prés d’eux ,
ayant laiiTé les autres en proye aux oyfeaux
& aux mouches.
III Les ioldats qui n’eiloient pas bien guéris
commencèrent à avoir des fièvres , leurs
playes fer*ouvrirent,6c mouroient ainfi fubi-
tement. Cela détermina TOlonois à s'cn al
ler plûtofij mais auparavant il fit fçavoir aux
! ; principaux prifonniers qu’il avoit,qu'ils eufi*
(I fI
fent à luy payer rançon pour ce Bourg , ou
autrement qu’il alloit le réduire en cendres.
,i ,,r Les Efpagnols confulterent là-deiTiis , quel
(■ ques-uns opinèrent qu’il ne faloit rien payer,
parce que cela accoûtumeroit ces gens à leur
faire tous les jours de nouvelles hoftilitez -
les autres eftoient d'un fentiment contraire.
Pendant qu’ils conteftoicnt ainfi entr’eux ,
l’Olonois, fit embarquer fes gens & tout le
butin, 8c après demanda la rançon du Bourg?
2 ftîtbm- mais voyant que les Efpagnols n’avoient en-
Jer Gil- core rien refolu,il fit mettre le feu aux quatre
tiatar. coins du Bourg, 6c en moins de fix heures il
fiitconfumé. Enfuite il dit aux prifonniers,
que s’ils ne faiioient venir au plûtaft leur
.I rançon où il les alloit mener, qu’ils dévoient
:) ■ s’attendre à recevoir un pareil traitement.
Alors ils le prièrent de laiifer aller l’un d’eux
pour traiter de cette affaire , & que cepen
dant les autres derneureroient en otage au
i:' ' i près de luvî ce qu’il leur accorda facilement.
Peu de jours après l’Olonois rentra daus
ï.
ii
DES A V A N T ü R I E R S . ïo i
Marecaye , où il fît coin/nandement à Îes pri-
ionniers de luy faire apporter cinq cens Va
ches graiTes.afin de ravitailler îes vaiiTeaux s
ce que les Efpagnols firent promptement , 'ii»
croyant en eftre quittes pour cela : mais ce
fut bien autre choie , quand il leur demanda
encore la rançon de la Ville , & qu’il ne leur
donna que huit jours pour la luy payer, à
faute de quoy faire il jura de la réduire en
cendres, comme il avoir fait Gilbratar.
Pendant que les Efpagnols tâchoient d’a-
■maiTer la rançon que TOlonois demandoic
pour leur Ville,les Avanturiers démoliiToient Fait dé
les Egliiès, & en embarquoient les orne- m olir les
m en s, les tableaux , les im ages, toutes les Egliies
M are
de
m
DBS AV A N T U RIB^RS. 213
C h A P I T RE V I. i > .
l II
DESAVANTURIERS. 213
d(efcentes;8c ajoûca qu’ayant un bon guide,
il ne matiqueroit jamais à furprendre les Ei-
pagnols,& à trouver toutes leurs ricbeiTes,
parce qu*il ne leur donneroit pas le temps de
les emporter.
Tout le monde fut content de ce que l’O-*'
lonois avoir propofésSc on luy promit de lu y !■
obéir & de le féconder dans toutes les occa-
fions. Apres on fit à l’ordinaire la ChaiTe^
partie, dont tout le monde demeura d’ac
cord. Enfuite roionois mit à la voile avec
toute fa Flotte, â qui il avoit donné rendez
vous,en cas que quelqu’un s’écarraiF, à
\ia-mano, qui eft à la bande du Zud de Tlile :•t!Î
de Cuba, L’Olonois avoit donné ce rendez !î ;
Ht
' *'T , ^
poflible. Les petites Bâtimens eftant mania-
oies, bons
h\ ■ voiliers,
’* &
" pouvant mieux tenir
lèv en t que ceîuy de TOlonois , fe feroienc
pli retirer : mais comme le Batii^cntde 1*0 -
îonois eftoit le principal , ils furent obli2;ez
de fattcndre , parce qu’ils ne pouvoient rien
faire fans luy. . ^
Ils furent ainiî prés d\in mois a vouloir
rem onter, mais ce fut inutilement .• car ce
qif ils p;agnoient en deux jo u rs, ils le reper-
doient en une heure • 6c comme leurs Bati-
cnens n'eftqicntpas des mieux ravitaillez, ils
flirent contraints de relâcher dans le premier
Ii ' port, afin de chercher des vivres. Ils envoyè
rent leurs Canots avec quelques perfonnes
qui avoient autrefois eiVé a cette cofte. Ils
montèrent dans une Riviere , fur le Bord de
laquelle demeurent quelques Indiens , que
les Avanturiers nomment Grandes oreilles^ à
caufe qif ils les ont extraordinaires.
indiens à
Ces Indiens font réduits parles Efpa^noiS,
t ; .
grandes â qui ils obeïifent comme tributaires, quoy
oreilles, qifilsibient éloignez les uns des autres : ce
com m ent pendant ceux-cy viennent tous les ans pour
o n traite
avec eux. tirer le tribut de ces Indiens, 6 c amènent un
Preilre qui leur vient adminiftrer les Sacre-
mens. Ils payent en Cacao , Poules, Pite, ou
Mais , enfin en ce qu’ils ont qui accommode
les EfpagnolSjCar ils ne poiTedent point d’ar-
p;ent. Il y a quelquefois des F.ipagnols qui
viennent traiter avec eux. Ils leur apportent
des Bracelets de RaiTade,des Couteaux , des
Miroirs, des Eguilles,des Epingles, 6c chan
gent toutes ces chofes contre du Cacao.
Nos Avanturiers ne cherchoienc qu’â man
ger j
DES A VA NT URI E RS . 21^
^er, 8c à cet effet pillèrent tontes les habita
tions des Indiens , 8c prirent leur M aïs, qui
eftce gros Millet qu'on nomme Blé de Tur
quie, toutes leurs Volailles; non contens de
cela 5 ils firent ravage , 8c chargèrent leurs
Canots de tout ce qu'ils purent prendre , 8C
en fuite joignirent leurs Bâtimens , où leurs
Camarades les attendoient avec impatience.
Cecy ne fuihibit pas pour tant de monde ,
cependant on le partagea â tous les Vaiffeaux
félon la quantité des perfonnes qui étoienc
dedans. Ils tinrent confeil enfèmble ,fcavoir A- ., I '
s’ils dévoient encore fiiivre leur chemin avec
ce peu de vivre qu ils ayoïent. Les plus ex- conieii de
perimentez trouvèrent à propos qifon la il- guerre, &:
I
feroit paffer cette faifon,qui ne dure ordinal-
rement que trois ou quatre mois » 8c que ce- "
pendant il falloit piller tous les Villages 8c
petites Villes qui étoient dans le Golfe des
'Ho»i/«r/ri,appartenant aux Efpagnolsjchacun
fut de cet avis,on quitta la Riviere
8c on fit voile le long de la Cofte jufqu'à
Tuerio C avallo , où cette Flotte arriva en peu
de jours .*ils trouverent-là un Navire E.fpa-
gnolqui avoit 24. pieces de canon,8c douze
Berges qu’ils prirent ; mais les marchandifes
en étoient la plufpart déchargées, 8c enlevées
dans les terres-, fi bien qu’ils n’en trouverenc
dedans que quelques-unes qui devoient re-
fter au bord de la mer, pour traiter avec les
Indiens de ce païs.
Le VucYto C avallo , eil: un lieu où les Navi
res Efpagnols qui négocient dans les Hondu-
y/fi viennent ordinairement moiiiller ; 8c il y
a des Magazins dans iefquels on met les
mar-^
:j2
lî^ H I S T O I R E
marchandifes qui defcendent de la Provîncè;'
de Guatimah : comme de la Cechenille dc7^
l’In d ig o t, des Cuirs, delà Salfcpareille , du
Jalape & Mecoachan, L'Olonois avec foUi
. monde defcendit à terre ; mais il n*y trouva
aucune reiiftance * & les Ma2;azins elloicnc
Magazins faus marchandifes , il les brûla , prit quel-
Eipagnols ques Efpa2;noîs à qui il fît donner la ?;êne »
pour les faire confeiTer oùétoit leur ari^ent*
i ou celuy des autres » ou bien pour luy enfei-
gnerle chemin , & où il y avoir du monde.
Lors qu'ils ne répondoient rien à ce qu’il
vouloir» il les tuoit miferablement, les fen
dant avec Ton fabre. Il fît fouifrir à un Mu
lâtre les plus cruels tourmcns qui fe puiÎTent
jmap;iner, & apres le fît jetter pieds & mains
liées, tout en vie dans la mer,nfîn de donner
^ d e la terreur à deux de Tes Camarades qui
étoient prefens,aufquelsil jura qu*il en feroic
autant & davanta2;e, s’ils ne luy montroicnC
le chemin a. San Pedro, petite Ville que l*Olô-
tiois vouloir prendre. Ces deux miferables
voyantjeurs Camarades ainiî traitez , dirent
I qu’ils l*y mencroienr. Il fît choix de monde
pour venir avec luy , & envoya cependant
quelques-uns de Tes Batimens croifer, afin
de voir s’ils ne prendroient rien. Il emmena
environ 500. hommes avec luy ,à qui il dit
refolument qu’en quelque occafîon que ce
f û t , il marcheroit â leur tefte , mais que le
premier qui reculeroit, il le tueroic luy-mef-
me-
Il s’achemina donc avec Tes gens & Tes
deux guides-.mais il n’eut pas fait trois lieues
de chemin qu’il rencontra une cmbufcadc
d’Ef-
DES AVANTURI ERS. 117
d’Efpagnols retranchez derrière quelques lUencon-
p;abions qn*ils avoienc fait dans fembouchû- tre une
re du chemin,qu*il eftoic impoiïible d*éviter, ^mbulca-
â caufe qu'on nepouvoitpaiTer dans les bois ^ '
pour l’épaiiTeur des arbres, halliers 6c des
épines : cependant TOlonois ne s'épouventa
pas, il rua premièrementfes deux guides, 6c
apres donna lui 6c fes gens fur les Efpagnols
avec tant d’impetuoficé 6c de fo rce, qu’il les
contraignit de prendre la fuite, non pas ians
laiiTcr la plus grande partie de leurs gens fur
la place.
• L’OIonois en fit beaucoup de prifonniers
fans les bleifcz qu'il fit achever de tuer : Les
prifonniers eurent la mefme deilinée apres
avoir efté interrogez, 6c qu’ils eurent dit que
îes Efpagnols ayant iceu par quelques Efcla-
ves qui s'écoient fauvez , la defeente des A-
vancuries , avoient auifi-toft juge qu’on les
viendroit attaquer à. Saint Pierre '6c ^que
pourcefujet ils s’étoientmis en défenfe , 5c
ajoutèrent qu'outre cette embufcade.il y en
avoit encore deux autres plus fortes.à paiTer,
avant d’arriver à la Ville: II les interrogea
tous feparément, 6c trouva qu'ils diibient la
meiîne chofe; ce qui l’obligea à s'en deffaire
6 c aies maiTacrer, n’en gardant que deux ou
trois , à qui il demanda s’il n’y avoit point.
moien d’éviter ce chemin 6c d’en prendre un
autre ? Ils répondirent que non. Il en fit atta- cmanté
cher un à un arbre, à qui il ouvrit le ventre, de l’oio-
6 c dit aux autres qu’il leur en feroit a u ta n t,
s'ils ne lui enfeignoient un autre chemin:Mais
quand il vit qu'il n’y en avoit point, il reib-
lut avec fa troupe de le fuivre, 6c de ic don-
Tomel» K ner
418 h i s t o i r e
ner de garde de ces embufcades,autant qu’if(
feroit poiTible. ^ ^r
Ces miferables prifonnicrs cherchant a
ver leur vie , voulurent neantrnoins luy en-î
feigner un autre chernin-^mais il éroit fi m^^u-
vaFs, qu’à peine y pouvoit-on paiTer, fi bien
qu*il refolut plûtoft de prendre le grand che
min,où fur le foir il rencontra une antre em-'
bufcade >qui ne put non plus tenir que l’au- *
tre , 8c qui fut auiTi bien traitée. Et les Ef-
pagnols voyant qu’ils ne pouvoient rien
gagner,jugèrent qu’il valoit bien mieux join
dre le gros , que de fe faire tuer par des gens ;
Fuite Sc
rctran- déterminez , comme ces Avanturiers j C’eft
cheiiient
rctran-
r
DES A^V A N TU RI E R S.
•Ter comme Ton Dieu. Il ne le réclament tous
que dans raverficé , c’eft â dire ^lors quails
ont perdu quelque chofe^ ou qu*on leur a faic
quelque déplaifir.
Pour cela , ils vont dans une maifon deÎH-
née à cet ufao;e,& offrent une certaine gom
me nommé co^al ^ comme nous faifons de
Tencens, 5c apres la moindre chimère qui
leur vient dans la tefte , ibit de fe vanger de
quelque affront prétendu , ou quelqu’autre
penfée , ils croyent que c’eft leur Patron qui,
leur inlpire, 5c ils ne manquent point de
l*execnter. î quelques Efpagnols m’ont dit ,
que-quand c’eftoient des femmes qui avoient
de grands animaux pour patrons, que le dia
ble venoit fous cette figure ie«joindre avec
cllesjmais je n’ay jamais pu croire ces baga
telles , car cela eft auifi chimérique que les
vifions des Indiens à l’égard de leurs patrons
,ou de leurs Dieux.
Dans leurs mariages il obfervent de cer
taines ceremonies, 5c ne prennent qifune
;femme. Quand quelqu’un fe veut marier , il
convient avec le pere 5c la mere de la fil- ih
le 3 enfuite on s*affemble , on fe réjouit,
5 c le lendemain des noces la fille vient fe
prefenter devant fa mere , fe jette par k
terre 5c rompt un petit chapeau de verdure ,
que Ich vierges portent ordinairement,5c fair
pluiîeurs gemiffemens, pour faire voir le re
gret qif elle a d*avoir perdu fa virginité. ... .
Ces Indiens font fort laborieux Sc éloignez
de la pareffe des autres. Leur genie paroift gem à
à faire mille petits ouvrages jolis , mais peu
Utiles. Il fc trouve dans leur pais quantité de
K 6 bois viages. U!
■
218 H I s T O
bois qui leur fournit de tres-belles teintures'?'
celuy dont nous nous fervons pour le noir 3c
le violet vient delà , c’eflr ponrquoy on l*ap-^
pelle bois de Campefehe. Leurs habit?itions '
font tres-belles , 6c ils n*y plantent que des
choies neceiTaires â la vie. Les femmes filent
du coton , dont ils font des hamacs qui font
une maniéré de lits ties-beaux.On ne les voie S
jamais en guerre avec les autres Indiens^par- •t
ce qu*ils en font fort éloignez, les Efpagnols
eftant feulement leurs voifins. Leur plus
grand voyage eft fur les liles qui font au
Golfe des Honduras, où ils demeurent quel
quefois, mais pour Tordinnire, ils retournent
toujours en terre ferme.
Apres cette petite difgreffion, je reviens a
nos Avanruriers que nous avons laiifez fur
les petites Ifles. Quand ils y eurent féjourné
environ trois mois , LOlonois eut nouvclîe
J*Oîonoîs que la Hourque dont nous avons parlé , qui
aprend la devoir venir, approchoic. Aufll-toft il donna
>cv.'uc du ordre qu*on eût â appareiller les vaiiTeaux ■?
vjiiTcau
qtj'il ac- en diligence , de peur qu’elle n'eût le temps
!j' tcn d cit, de fe décharger. D’autres opinèrent au con
i5c tait traire , 6c dirent qu’il valoirmieux attendre
préparer
ics gens. fon reto u r, parce qu’elle auroit de l’argent,
que de la prendre ainfi, lors qu'elle n'avoit ■
que des marchandifes. Ce dernier avis fut
bien receu de touS; ils ne laiiTerent pas d’en
voyer des Canots pourobièrver ce vaiffeau:
mais ceux' qui le m ontoient, ayant apris que
les Avanturierseftoientà cette côte ,ie con
tentèrent de débarquer les marchandifes , 6c
ne précipitèrent point leur retour,
L’Olonois 6c fes gens ennuyez d’attendre,
eurent
D E s A V A^N T U R I E R s. 22^
eurent quelque foupçon que ce vaiiTeau leur
.'pOLirroit échapper,c*eft pourquoy ils reiblu-
rent de l’aller attaquer, nefcachant pas fi à
luefure qu’on en'décharo;eoit les marchandi-
iès , on en euibarquoit de nouvelles.
Dans cette incertitude , ils ne perdirent
point de temps , 6c furent à fon bord ; mais fe a u , rue;
les Efpa^nols qui avoient efté avertis , s*é- cez d«
toient déjà précautionnée , ayant préparé combaîi
leur canon ôc débâclé leur navire,c’eft â dire
ofté tout ce qui leur pourroit nuire pour le i1
com bat, leur canon eftoit en batterie au ^
' nombre de cinquante-iîx pieces, outre beau
coup de feux d'artifices qu’ils avoient, com
me i^renades, pots â feu, torches, fauciiTons,
coffres à feu , le tout fur lesChaileaux d’A-
vaut & d’Ariere.
Quand nos Avanturiers approchèrent >ils
s’apperceurent bien qu’ils eiloient décou
verts & attendus : cependant ils nelaiiTerenC
pas de l’attaquer- Les Efpagn6ls fe mirent en
deifenfe , ôc embaraiTerent Jes Avanturiers,
quoy qu'ils fuifent en plus grand nombre.
Mais après avoir combatu prefque un jour
entier , les Efpagnols qui n*eftoient gueres
plus de foixante hommes iè laiTerentj & les
Avanturiers voyant que leur feu diminuoit,
les abordèrent & fe rendirent maiftres du bâ
timent. ii ^
Auill-toil l’Olonois envoya de ces petits
bâtimens dans la riviere , afin de pouvoir
prendre la Patach^, que les Efpagnols di-
foient venir , chargée de cochenille, d’indi-
got 8c d'argenr. Mais ayant feeu la priie de la
Hourque, ils ne firent pas defcendrela para-
che.
'iii
,I
1 :Î! : 1^6 H TST O I R Ë
che,8c fe retranchement iî bien fur la rîvîeré
que les Avanturiers n’oferent rien entrepren
dre.
Faute & L’Olonois n’avoit pas fait iî grand butin
im pru
dence des en prenant ce bâtim ent, comme il s’eftoit
:ili A vantu- imaginé , parce qu’il avoir efté découvert;
Jiers, mais shl feuft pris d’abord qu’il arriva, il au-
roit eu toute fa charge , qui valoir plus d*un
million ; ce qu’il devoir faire , pouvant bien
juger, que découvert comme il feftoit ayant
demeuré prés de iîx mois à cette code., cc
bâtiment nechargeroit jamais à fa vue.
On ne trouva dans cette Hourque qu’en-
viron vingt mille rames de papier, & cent
tonneaux de fer en barre qui fervoit de latte
au VaiiTeau. On y trouva auiTi quelques bal
lots de Marchandiiès, mais de peu de valeur,
ce n’eftoientque des Toiles , Sarges , Draps
8c Ruban de Fil en grande quantité. Tout ce
la ne laiiToitpas de valoir de l’argent; 6c ce
pendant ces gens n’en profitèrent prefjjue
çoint; car ayant^partagé ce qui pouvoir edre
a leur ufage , ils perdirent le re d e , comme le
papier dont ils fe iervoient en maniéré de
Serviettes, 6c à faire mille autres bagatelles ?
Quelques huiles d’Olives 6c d’Amandes fu
l a pluf.
rent confumées inutilement.
part des Beaucoup de ces Avanturiers nouveaux
A vantu- venus de France, qui n^entreprirent ce voya
riers a- ge avec l’Olonois, qu*à caufe qu’ils Tavoient
bandon
n c n t I'O - veu revenir de Marecaye comblé de biens,
lonois, cc ennuyez de cette miferable vie , commencè
qui leur rent à murmurer , 6c à dire qu’ils vouloienc
âuivc. retourner â l’Ide de la Tortue. Les vieux A-
vantuiiers accoutumez à cela, fe mocque-
renr
DES AV AN T U R I E 11 S. 23 Ï
rent d'eux , difiint qu*ils aimoient mieux pé
rir, que de retourner à la Tortue fans argent.
Enfin ils le lignèrent les uns contre les autres f
Les plus expérimentez de ces Avanturiers,
voyant que le voyage de Nicarague ne reufi*
fiÎToic point s'embarquèrent la plufpart en fe-
cret fur le Bâtiment que montoit Moyfe Van
d in , qu^on avoit pris au Port de Cavallo , 6c
qui alloit fort bien à la voile.
Tous ces gens étant de concert, reiblurent
de quitter Î'Olonois, & de s'en aller â la
Tortue racommoder leur Bâtiment, & en
fuite retourner en côuiTe, ce qu'ils firent 5
mais lors qu’ils voulurent ibrtir ils échoüerenc :(
fur un Reflif 5 & parla leur deiTcin fut arre-
ilé. Si ce Bâtiment n'avoit pas péri de cette
*- forte,il auroit bien fait du mal aux Efpagnols,
car c'étoit le meilleur Voilier qu'on cuft vu
depuis cinquante ans dans rAmerique»
Cependant Moyie Vauclin iè voyant fans
VaiÎTeau , chercha l'occafion d*en r ’avoir un
autre , & la deiTus il trouva le Chevalier du
Pleflîs fort à propos qui venoit de France,ex-
p /é s pour croiièr fur les Efpagnols: Et comme
Vauclin connoiiToit tres-bien le pais, 8c les
lieux où les Efpagnols ie rencontrent, il fut
bien reçu du Chevalier , qui luy promit la
premiere prife qu’il feroit, en cas qu'il fe re
tirait en France ; mais il ne pût accomplir ia
promeiTe , car en combattant contre un Na i f
vire Elpagnol de rrente-fix pieces de Canon,
il tut tué , 8c Movfe déclaré Capitaine de ion
Vaiffeau , avec lequel il fit une priiè devant
la Havana chargée de Cacao , quiyaloit plus
de cent cinquante mille livres.
L'Olo-
(
h i s t o i r e
L’Oionois qui eftoit dans les Tlonduras eue,
tant de dépic contre Moyie qui Tavoic ainß^
quitté, qu'il jura de s’en venger , fi jamais il
le rencontroit. Un nommé le Picard l*aban-
rolonojs donna aufil ^ mais au lieu de retourner à la
abandon» Torcuë, il fut le louG; de la cofte de Coßarica^
né nelaii- où il croifa devant la Riviere de Chagre^ afin
d%mre- Reprendre le premier Bâtiment qui viendroit,
prendre. Ennuyé d’être là fans rien faire, il refolut
aveefon Equipage d’environ quatre-vingts
hommes , de defeendre dans la Riviere de
Veragua, & de piller le Bour^ de meiiTie nom,
qui efi: fur cette Riviere.Il exécuta Ton entre-
prife , car il le pilla aiTez facilement, 8c fans
trouver grande refiftance , ny beaucoup de
chofes / à caufe qu’il ne demeure dans ce
Bourg que des Efclaves qui vont foüdlerja
terre ilir de certaines montagnes prés de là. l.
Ils mettent cette terre dans des facs , & la
vont laver,après ils y trouvent de petits mor
^'t ■ } rii,f p-
‘"'Il ceaux d’or très pur & tres-fin. Ces Efclaves
i; appartiennent à des Bourgeois & à des Mar
chands de la Ville de N ata , fituée fur la mer
du Sud à vingt lieues de ce Bourg , qui n*eil
bafiry fur cette Riviere que pour y occuper
! in||^u m des Efclaves, & quelques Bandits Efpagnols
n M qui s’y font venus réfugier.
. Le Picard n*eut pas là demeuré longtemps,
que les Efpagnols , qui s’étoient amaifez , dc
qui venus de Nata , & de Venonome , le con
traignirent de décamper au plus virejce qu’il
ne pût faire fans fe battre » mais ce fut en re
traite du mieux qu’il pût,& non pas lans laif-
fer quelques-uns des fiens , tant morts que
bleifez, de des prifonniers qui eitoient de
meurez
ï'.A ?!
D E S AV A N T U K Î E Î I S ; ïf^
ineurez derrière dans nn petit Canot. Ils
n-eiirent pas meirne le loifir de prendre tout
leur butin,& n’emporterent qu’environ trois
ou quatre livres d'or qu'ils trouvèrent dans
des flacons ; fi bien que le Picard fut courir
le bon bord pour trouver une naeilleure for
tune.
L’Oîonois fe voyant avec fi peu de mon-
de, eftoit fort en peine,ayant un grand Vaif- g^naufta-
feau équipé de 300. hommes, 8c fans vi'gedei’O-
‘vres >fi bien qu*il eftoit contraint d’aller tous lonois,
i, les jours à terre pour en avoir. Ils tuoienc
tout ce qu'ils rencontroient, 8c le plus fou-
vent des oyièaux 8c des finges: Voilà ce
qu’ils faiibient de jour; & de nuit avec le
vent de terre,ils tafchoiént à fortir 6c à avan
cer chemin autant qu'ils pouvoient. Après
beaucoup de peine ils gagnèrent le Cap Gra*
c ia à d îo s , 8c furent jufques aux liles de Las
p e r la s , 6c de C a rn e la n d ,
L’Olonois avoir encore quelque efperance
de faire defcente à N i c a r a g u a , à deiïein d’y
laiiTer fon Navire, 8c de gagner la Riviere de
^S a i n t le a n 2 i\ cch s Canots qu’il avoir. C’e-
ftoit par cette Riviere qu'il devoir entree
dans le Lac de N ic a r a g u a : En effet , il y laif«
fa fon N avire, mais non pas comme il le
croyoit ; car ce Vaiifeau tirant beaucoup
d’eau , il le voulut approcher de la cofte j 6c
le mit fur un ReiTif, d’où il ne le pût jamais !Í
retirer 1 quoy qu’il mit d’abord tous fes Ca
nots à terre > 8c déchargeait le canon , tout
cela neluy fervit de rien:Comme il n*y avoic
aucun remede , tous ces gens furent à terre ^
OÙ ils firent des ajou tas , qui font de pentes
Logea
i34 HISTOIRE
'Lo^es femblables à une Baraque , en atten
' ..iè ^ dant qu’il paiTaft quelque Bâtiment pour les
retirer de là.
Cependant l’Olonois accoûtumé aux tra-
veriès » ne fe donna point de chagrin de tout
cecy , au moins ne le fît-il point paroiftre^Sc
conjura fes gens de ne point perdre courage,
leur difant qu*il avoir trouve le moyen de for-
tir de ce lieu,& de faire encore fortune avant
. Expedient de retourner à Tlfle de la Tortue. Il oc-
de l’oio- cupa une partie de fes gens à planter des vi-
vres fur cette lile , c’eft à dire des pois, qui
üage. iëmaines viennent bons à manger j
les uns à ajler à*la chaiTe 6 c à la pefche, 6c
les autres à dépecer le Bâtiment, & en tirer
autant de bois & de clou qu’ils pourroient >
afin d’en faire une Barque longue, 6c avec
1 leurs Canots ils efperoient encore entrer dans
le Lac de Nicaragua, Pendant que nos Avan-
tnriers feront leur Barque , je donneray icy
une petite defcription des liles de Carnela7td»
C es lAes font proche de quantité d’autres
fjtuées ibus le deuziéme degré > cinquante
minutes de latitude Septentrionale, environ à
quarante lieues du Cap de Gracia à dm . Elles
font habitées par une forte d*Indiens de terre
ferme» qui y viennent quelquefois paiTerune
partie debannée. L*une de ces liles eft plus
grande que Eautre , 5c la plus grande peut
avoir quatre à cinq lieues de tour ; 6c l’autre
trois. Le terroir en eft rres*bon 6c fort ferti
le ; il rapporte de grands bois » fi bien qu*on
y pourroit demeurer : le plus grand mal eft
qu’il n’y a d*eaii que par le moyen des puits
qu’on y fait,qui donnent de feau moitié dou-
vCe 6c moitié faléc, Les
d es AV A N T U R I E R S . :
Les Avanturiers viennent fouventà ces i^^iens^
les » à cauie qu*ils n’oferoient aller en terre de terse
ferme, parce que les Indiens font méchants, ferm e,
6c ne veulent foufFrir aucune Nation ,eftanc
fans demeure, 8c toujours errants dans les
bois. Jamais les Avanturiers n*avoientpu
découvrir ces Indiens qui viennent fur les If»
le s, que lors que l*Olonois y fut : car ceux
qui furent deftinez pour la chaÎTe, en trou
vèrent trois , qui n^eurent point le temps de
fe réfugier fans eftre pris ; on les pourfuivit Q
vivem ent, qu*on les vit entrer dans une ta- Les Avani
niere fous terre 5 où fans rien craindre on les
fu iv it, on les p rit, & on les amena au quar- à la
tierdeP O lonois, fansleur faire aucun mal. chaiTe,
Ils eftoient tro is, fç avoir deuz femmes 5c un
homme. . ,
Nos Avanturiers croyoient avoir trouve la
pierre Philoiophale , d*avoir ces gensi il pen-
ibient faire amitié avec eux» afin de pouvoir
entrer dans leur pais .* mais ils furent trom-
pez,cat après leur avoir fait toutes les carei-
fes du monde , ils donnèrent aux femmes
quantité de miroirs>5c d’autres chofes de cet
te nature, qu’on prefente ordinairement aux
femmes, 8c aux hommes des haches,des cou
teaux, 5c des inllrumens pour pefeher : mais
au lieu que les autres Indiens eftiment toutes
ces chofes ,ceux-cyles mépriferent, en forte Prerej»
qu’ils ne daignèrent pas les regarder. Pen-
dant qu’ils furent avec les Avanturiers ils ne mepri-i
fc parlèrent jamais : on leur prefenta à man-fem,
ger des fruits , 8c des chofes qu’ils connoif-
foient bien , iU en mangèrent. Après on les
m it en liberté, 5c on leur fit ligne de s*en al
lés
■4(!'
H I S T O I R E
1er avec leurs cam arades, & de leur porter
ces chofes que les Avanturiers leur avoienc
données , mais ils n'en voulurent rien faire,
feulement Thommeprit quelques couteaux ,
& apres ils fe fauverent , fans que depuis on
les ait pu revoir ; & dés* le lendemain un des
î)eilinée Avanturierss’eilant émancipé d’aller feula
d*un A- la chaife , il fut pris par eux , rôti & mangé ,
vanturier
pris par à ce qu’on a pu conjedrurer^à caufe que trois
Jcs In jours apres on trouva un pied & une main
diens, de ce miièrable , qui eftoient brûlez.
Un jour un Avanturier de la Jamaïque
vint mouiller à ces Ifles la n u it , ils vinrent
fous feau ^ & luy emportèrent fon ancre oui;
pouvoir pefer fix cens livres, 6c attachèrent
je cable à un rocher.Il y ale long de cette co
ite de tres-méchans Indiens que les Efpagnols
n'ont jamais pu dompter. Quand je paiferay
â ma troifiéme Partie, je raconteray encore.
quelques hiftoires aiTez curieuies de ces In**
diens.
L’OIonois vint enfin à bout de ion deiTein,
6 c dans l'elpace de dix mois'qu’il fut fur ces
Ifles avec fon monde , il bâtit une Barque
longuejCapable de porter la plus grande par- 1.'
1v^iuuuis
VOlonois qu’il mit defliis , 6c le reite
découvert Canots, 6c fut en cet équipage dans
par lesin- la Riviere de S. Jean , nommée parles Efpa-
diens, gnols autrefois Defaguadera, Ayant entré ai-;?
iez avant dans cette Riviere , il fut décou-^
vert par des Indiens qui apartenoient aux^
Efpagnols, qui les en avertirent prompte-J"
ment ; fl bien que les Efpagnols envoyèrent.
auifl-tofl: une troupe d'indiens nu devant de
rO ionois, qui l'empefcherenc de monter la i
Riviez •5‘?
Bli;
D E S A V A N T U R I E R S . 2^7
Riviere, & l’oblis^erent à iè retirer avec per
ce de beaucoup de fes gens. .. ,
Aufortir de laRiviere nos Avantuners e-
[toienc bien defolez de ne pouvoir rien faire» Avanîu-
ai retournera blile delà Torruë , a caufe rieis,
qu’ils n’avoient point de vaiiTeaiiX; ce qui
les obligea à fe feparer, de peur de s’afFamer If
es uns ôc les autres , 6c chacun fut de Iqn
bord; une partie vint au Cap de Gracia a dios^
où elle demeura avec une Nation d’indiens
qui fouffrent les Avanturiers chez eux , 6c
mefme les aiment. L’autre partie ^vint dans
Lin lieu nommé Boca dsl Tauro, ou il arrive
fbuvent des Avanturiers» pour chercher de la
Tortue pour ravitailler leurs vaiiTeaux.Ceux-
cy avoient en veuë que quand il en viendroic
quelques unSjils s’embarqueroient avec eux.
Eilant arrivez ils il* mirent à terre eu un
lieu nommé la Vointe à dtegue , à cauie qu il 3^
avoit là de l’eau bonne à boire. Ayant tiré
leurs Canots à terre , ils firent un F o rt, c’eft
à dire un retranchement de pieux , afin de fe
garantir des Indiens, qui y font fort à crain
dre. L’Olonois avec fa Barque fut pour croi-
fer devant Cartagene , &'en paifantksB^ 7 « !ü
Barou, qui font proche du Golfe del Darten^ 'û
fut obligé d’aller à terre , afin de chercher a cartage-
piller quelque Bourgade, fuifentdes Indiens-, ne, eft o-
ou des Efpagnqls,pour avoir deis vivres.'mais
cela ne luy réüiTit non plus que les autres mau'*
fois 3au contraire bien moins ; car il fut pris heur,
par les Indiens iauvages que les Efpagnols
appellent Indios bravos, qui le hachèrent par
quartiers ,le firent rôtir 6c le mangèrent.
Voilà quelle fut la vie , 6c la fin d e i’Olo-
nois§
23s H I S T O I R E
nois ;fes camarades qui en échaperent, v î n ^
rent a la Tortue avec leur Barque , n*ayant®.
jamais fait courfe plus funefte que celle-là. :
J'oubliois à dire qu’une partie du monde de;1i
l’Olonois , qui s*eftoit retirée fur une lile
long de la cofte de Cartagene, nommée
forte 3 trouvèrent des Anglois Avaniuriers , l
qqi avoienc deÎTein de faire auiTi quelque,
defcente en terre ferme» ces gens furent bien
aifes d’avoir cette occafion , afin de fe déli
vrer , dans l’efperance de faire encore quel-
que butin. Ils dirent à ces Avanturiers An-i|i,
glois 5 qu'ils avoient encore de leurs camara- t
des en Deaucoup de lieux le long de la cofte. b
Les Anglois réjouis d'apprendre cette n o u - 5;
velle,leschercherent,6cles prirent dans leurs
vaiiTeaux. Le deiTein des Anglois eftoit de^
monter fur la Riviere de Mouflique^ qui eft au
tt Cap de Gracia à Mos^Sc là de trouver quelque 1|
‘■I ‘i ; Ville Eipagnole , pour la piller» à caufe que ^
peribnne n’y avoir jamais efté ^ 8c de plus, f-
un des leurs les avoit aiTurez qu’il y avoic '4
communication de cette Riviere dans le Lac ^
de Nicaragua -, fi bien que fous cette efpei ance v
les Avanturiers s’embarquèrent au nombre ‘
de cinq cens dans des Canots pour monter
cette Riviere : mais après l’avoir tenté quin- -
■w> » 1 ze jours durant j fans rien trouver que des ;
petits lieux où les Indiens ic retiroient, tout
dénuez de vivres,à caaie qu'ils avoient brûlé .
ce qu’ils n'avoient pu emporter ; cherchèrent
divers moyens pour fe tirer de cet embarras, .
[ Enfin ces Avanturiers voyant qu'ils ne g a -‘
gnoient rien , furent au travers des bois voir ‘
s'ils ne trouvcroient point de chemin r & a-
prés
n
DES A V( A N T U R I E R S . i ;?
iprés avoir efté quelques joursâ courir d*un
cofté & d’autre, ils ne purent découvrir au
cune route , ni prendre de prifonnier qui leur
fervift de guide. Hs s’en retournèrent doncEKtremi-
fans avoir rien fait. Lafaim quiles preiroit|.^^oii
extrêmement »precipitoit encore leur retour3
6 c f<iute de vivres ils devenoient iî foibles ,gens de
qu’ils ne pouvoient plus avancer, 6c refolu-roionois,
rent de tuer des Indiens pour manger, s'ils en
trouvoient : cependant ils eftoient contraints
de manger de fherbe 6 c .des feuilles d’ar
bres. Ils ne laiiTerent pourtant pas de rega
gner peu à peu le bord de la mer, où ils trou
vèrent les Indiens du Cap à c Gracia à dîos ,
qui leur donnèrent des vivres ; 6c ils demeu
rèrent quelque temps dans ce lieu avant de
fe rembarquer : ils auroient mefme entrepris
encore quelque chofe »mais la neceffitc fut
caufe que la diifention fe mit entr’eux .*tou
tefois ils fe feparerent fans autre difgrace que
là faim qu’ils avoient endurée.
Lorfque je fais reflexion à ce que j'^ay déjà Réflexion
dit des Avanturiers, 6c à ce qui me refte à di-^.^
re, je ne doute point que parmi ceux qui ver- quelques
ront leur hiftoire, il ne s'en trouve quelques-évene-
uns de creance foupçonneufe, 6c qui lifant de
quelque chofe un peu hors du commun , ne le
prennent auifi-toft pour un Roman. Je ne
conieille pas à ces Meifieurs de lire la vie de
ces gens-là , où tout eft extraordinaire.
En effet > comme ils font prefque toujours
fur mer, 5Cque cet élément eft fans ceffe agi
té des fnrieufes tempeftes , ils font fouvenc
naufrage , 6c ces naufrages les jettent en des
perils aufli furprenans que fâcheux. Comme
ils
256 H I S T O I R E
ils forment des entreprifes hardies & diflficilci|
Texecution de ces entreprifes les expofe
t
I tout moment à des avantures é^^alement é- !
tonnantes 8c incroyables.. ,
Ainfi que peut-on penfer quand on voit,
1'. 5; pierre le Grand avec un petit vaiiTeau mon*^
té de quatre petites pieces de canon , 8c de
vingt hommes , iè rendre maiftre prefque en
un inftanc du Vice-Amiral des Galions du
Roy d’Efpagne , & s'en retourner en Europe
riche à jamais ?
Qiie peut-on s’imaginer lors qu*on ap-^
prend que Roc , apres fon naufrage, marche
en vicftorieux dans un pays ennemi; qu’il dé
fait , en chemin faiian t, les Efpagnols, s'em
pare de leurs chcvauXjfe faifit d'une Barque,.
6c fe tire enfin d’un grand peril, fans avoir
eu que deux de Tes gens bleÎTez , 6c deux de
tuez ? ^
Q}.ie peut-on croire enfin en lifant que TO-,
lonois découvert par les ennemis , accom-|
pagné de peu des Tiens , ait attaqué 5c pris'
une Fregàte armée de dix pieces de canon 8C\
de quatre-vingts hommes de la plus belle 8c
de la plus vigoureufe jeuneiTe de Havana ; 8c.
qu'il ait fait eniuite tout ce que nous avons ,
veu ?
Certainement ces chofes font extraordî-,
naires; mais aufli pour peu qu’on foit de bon-
fens 8c fans prévention , il çil aifé de voir
qu'elles font accompagnées de circonftances
U originales 6c fi naturelles, qu’il eft mal-aifé
d’en douter, puis qu'enfin elles refpirent par
tout la vérité. D'ailleurs, toutes extraordi
naires qu'elles fo n t, je puis bien affurer que ;
ci
h'
DES A V A N T U R IE R S .
je les ay veues moy-mefirie 5 & fi inon té-
molî^na^e ne fufliic pas pour les faire croire , pour h
je puis le confirmer par ccluy de quantité de vente de
gens de confideration,qui font encore pleins
d é v ié , que je nommerois volontiers, n*e- *
ftoit qu’ils font maintenant dans des poftes
avantageux »6c qu’ils feroient peut-eftre fâ
chez qii’on fçeuft qu’ils ayent efté Avantu-
riers ; bien qu’en cette qualité ils ayent fait
mille’belles adtions,qui meriteroient d’eftre
rapportées. Je penfe toutefois qu’ils ne ie
foucient gueres qu’on les rapporte, puifqu’ils
en ont fait depuis d’aufli belles » mais plus
glorieufes pour eux , 8c plus utiles pour leur
patriejes ayant faites pour le fervice de leur
Prince.
Pour revenir â ceux qui prennent pour Ro
man tout ce qu’ils lifent avec iurpriiè, que
diroient-ils , fion leurrapportoic les expedi
tions d’Alexandre furnommé le Bras defer,à Alexan.
caufe de la force de iôn poignet. On peut di-
re que ce nouvel Alexandre a autant fignalé Brasde iec
fon nom entre les Avanturiers, que l’ancien
Alexandre a diftingué le fien entre les Con-
querans. On ne doit pas trouver la compa- A lexan-
raifon étrange, car enfin Alexandre, tout A- Grand a .
kxandre qu’il eftoit, eftoit-il autre chofe vamurier,
qu’un Avanturier >mais un Avanturier de
condition , comme eftoit aufli le noftre ?
Il eftoit beau de vifage,vigoureux de corps;
J’en puis parler pour l’avoir vu de prcs,parce
que je l’ay penie 6c guéri d’une bleflure con-
fiderable. Ma fortune eftoit fait après cette
cure,s’il avoiteftéaufiî liberal qu’Alexandre,
mais par malheur il ne 1*eftoit pas, llavoic
T m c 1^ L beau-
241 H I S T O I R E
beaucoup (3e tefte quand il s’agiifoit d'entre
prendre , & bien du courage quand il faloit
execiiter. Il montoit un vaiiTeau, nommé le
l' if Phénix, ainfi appellé,à caufe qu*il cftoit uni-
Î ■' : i que dans ia ftiud:ure,commel’oyfeau dont il
portoit le nomj Tuppofé qu’il foit au monde,
eil unique dans Ibn efpece.
Bien different des autres Avanturiers, qui
vont en courfe avec des Flottes entiereSjil n’y
alloit jamais qu’avec ce fenl vaiiTeau tout
rempli de gens d’élire & derefolurion comme
luy. Je ne diray qu’un feul incident de fa vie,
qu’il m’a recité luy-mefme en Efpagnol, ôc
que je rapporte icy en François.
Une fois qu’il eftoit en mer pour l’execu
tion d’un deiTein de confequence, qu'il elt
inutile de dire, puifqu'il ne reüflit pas, apres
un long calme il fut tout a coup fui pris d’un
grand orage accompagné de vents & de ton-
Naufiage nerres furieux. Les vents luy briferent tous
d'Aiexan- fes mats , 8c le tonnerre mit le feu à la foute
aux poudres, qui firent fauter toute la partie
Comme du vaiifeau qu’elles occupoient,& tous ceux
il le fauve qui eftoient deiTus,qui furent tuez avant que
avec fes d'cftre dans l’eau. Ceux de l’autre partie du
vaiiléau fe trouvèrent tout à coup dans la
mer ^ comme ils eftoient fort prés de terre^il
s’en fauva pour le moins trente ou quarante
à la nage,6c noftre Alexandre qui eitok très*
vigoureux, ne fut pas des derniers.Ils abor
dèrent à quelques lÜes aux environs de Boc»
d d Drago, habitées par des Indiens qu’on n’a
pu encore réduire, dont je ne dis rien icy>
parce que j'en parleray ailleurs.
Ils parcoururent quelque temps les bords
' : : ■■■1
D E s A V A N T U R I E R s.
de la mer, pour recueillir ce qu’ils pourroieuc
du débris de leur naufrage.Ils:.I1; trouvèrent aiP-
fez de fuzils pour s^'armer, & d*autres muni
tions de guerre que le Rot avoir apportées.
Ilsfongerent aie garantir des infultes des In
diens,qui font terribles dans ces contrées , à
reconnoiftre les lieux, de peur de iurprife^ 5c
enfin à obferver quand il viendroit quelque
Bâtiment, pour les tirer de cet endroit ; c’eft
pourquoy ils ne quittoient gueres le bord de «
la mer.
Un jour qu’ils regardoient à leur ordinaire, ii décos,
ils apperceurent d’alTez loin un vailfeau en ^re un
mer,qui tiroir droit où ils eftoient : ils fe ca-
cherent,fe doutant bien que le yaiÎTeau n’ap- '
procheroitpas,s’ilsfe montroient.Les unse- i'I- !.
iloient d’avis qu’on priait les Chefs de ce
vaiiTeau de les prendre dans leur bord : les .I
autres au contraire opinoient à fe défendre,
craignant qu’on ne leur ofta{t la liberté , &
qu*on ne leur fift peut-eftre pis. Alexandre
qui eftoit v if à délibérer, ôc encore plus
prompt à fe refoudre , décida que bien loin
de fe défendre,il falloir attaquer. Les Avar^
[H {
turiers defererent tous à ion fentiment, parce
qn*il avoir beaucoup d’aicendant iiir eux,6c
qu’ils fe confioient entièrement à fa Condui
te & à fa valeur » qu’ils avoient déjà éprou
vée en mille occaiions.
Là-deÎfiis le vaiiTeau abordaiattiré,comme
on a feeu depuis, par l’odeur des fruits qui
font treé-éxcellens fur cc's cofteSîSc pâr la di-
fette d’eau ou ils éftoient» qu’on y trouve
aniîi tres-bonne. 'C ’eftoit un vaifleau Mar
chand fort bien équipé eu guerre. Les Capi-
L Z caincs
HIST OI RE
jtaines firent defcendre d'abord leurs meil*
leurs Soldats à terre,& fe mirent à leur tefte,
. parce qu’ils fçavoient les périls que l’on cou-
roic dans ce lieu»à cauiè des Indiens dont j’ay
parlé : car ils ne fongeoient gueres â nos
gens qui ie tenoient toujours cachez , 8c
prefts à exécuter les chofes que nous allons
voir.
Il eftbon de remarquer que nos Avantu-
riers avoient demeuré aiTez long-temps dans
G rande ces lieux pour en fçavoirtous les détours.lls
' ,) entrepri- glifferent donc fort doucement le long des
fucces. bois,qui eftoient toufFus alors» défilèrent en-
fuite par des routes fecretes qu*ils connoif
foient, en forte qu’en peu de temps ils envi
ronnèrent le grand chemin qui coupoit ce
bois,8c que leurs ennemis tenoient, de peur
de furprife.Ils marchoient tous en bon ordre»
Nos Avanturiers cependant fe tenoient der
rière les arbres» parce que s’ils avoient corn-
batu à découvert,les ennemis,qui eftoient en
plus grand nombre , n’auroientpas manqué
de les défaire. Nos Avanturiers,dis-je.qui ne
les perdoient point de veuë,firent tout à coup
^ r eux une décharge aufli.meurtrière qu’im-
prpvuë. AuiTi-toftks ennemis firent face, 8c
.pourtant ians tirer, parce qu'ils ne voyoient
.peribnne ? mais comme ils voyoient tomber
fans ceiTc quelques-uns des leurs , 8c qu’ils
fl*apercevoient point defléches»ils connurent
aufli-toft qu'ils avoient affaire à d’autres
qu*â des Indiens j 8 c pour rendre inutile le
feu des ennemis qui continuoient toujours ,
s’aviferent de fe mettre ventre à terrc»8c re-
iblureut de ne iè point relever^ou que ce feu
n'eût
fe,
D E S A V A N T U R I E E S . ‘2 4 ^ -
n’eût ceÎTé» ou qu’ils ne viiTent quelques-uns
paroiftre.
Les Avanturiers qui regardoient toûjours
par les ouvertures qu’ils avoienc faites dans
TepaiiTeur du feuillage , pour eux & pour le
paÎTage de leurs fufils, furent bien furpris de
ne plus rien voir tout d’un coup. En eiFet Expédient
leurs ennemis fe couchant à terre , ^voient
comme difparu à leurs yeux;ilss’imaginèrent
d*abord qu*ils pourroients’eftre retirez,mais liers.
n’ayant point entendu de bruit qui euit mar
qué leur Vetraitej ils ne içavoient ce qu*ils c-*
ftoient devenus, encore moins ce qu’ils de*i
voient faire.
Alexandre fe trouvoit dans la meime pei-
ne^mais impatient de vaincre,il fe détermina
bien vifte,8c fortit accompagné de ceux qui
croient alors auprès de luy pour aller cher
cher les ennemis^qui ne l’aperçurent pas plû-
toft,que crieniè relever» 6c eftre à luy, ne fue
qu’une mefme chofe. Alexandre les voyant
venir avec tant d’impetuoiité,fe mit à quar
tier avec les fiens, 6c laiiTa paiTer le torrent ; •I
en fuite , il s’attacha à celuy qui marchoit à
leur tefte » 6c luy porta d’abord un coup de
Sabre, qui coula (ans aucun effet, au long .i
d’un grand bonnet dont la tefte eftoit cou
verte. Il alloit redoubler, lors qu’une racine
d’arbre qui fortoir. de terre »6c qu’il rencon
tra malheureufèment ibus fes pieds»le fit tom
ber. A l’inftant il fe releva à demy»ne pouvant
mieux faire , parce qu’il eftoit étrangement
preffé par fon adverfaire : Ilfe leva »dis-je »
à demy de terrc»ioiicenu fur une main,6c du
teyers de l’autre,car il avoit le poignet rude^
L3 fit
.Il
*4# HISTOIRE
fit fauter le Sabre de fon ennemi ; ce qui lu,
donna le loifir de iè relever tout â fait, & de
crier,à moy Camarades»à moy,â deiTein d’a
vertir ceux qui écoient encore dans le bois,
lefquels fortant auiïî toft,qui d*un cofté. qui
d\in autre,ôc prenant les ennemis, tancoft à
dos»tantoft en flanc,puis en queue , en fiiTnc
un grand carnage,& enfin iè reüniiTanr tous
à un fignal que leur fir Alexandre >ils fondi
rent fur eux le Sabre à la main,& les trouvè
rent tellement afFoiblis»qu’il tuerent fans pei
ne juiqu*au dernier , ayant grand ibin qu’il
n*en pût échaper un feul.
D’une part ceux qui eitoicnt demeurez
dans le Vaiffeaii entendans le bruit de la
moufquererie»crurentque leurs gens avoient
rencontré quelque embuicade , ou quelque
parti d’indiens • mais comme la troupe de
Soldats qui eftoit fortie du Vaifleau , eflroit
brave & nombreufe , ils crurent facilement
qu^clle avoit taillé en pieces ces Indiens » &
que ceux qui auroient pu fe l'auver , iè fe»
roientfauyez tout tremblâns dans leurs Ca
vernes. C’êft pourquoy ils fe contentèrent de
tirer tout le canon de leur bord pour les ef*
frayer encore davantage.
D'autre part nos Avanturiers ne perdirent
point de temps : ils dépouillèrent les m orts,
ie veftirent de leurs habits>s'accommoderent
de leurs armes , & furent chercher quantité
de flèches dont ils fe chargèrent ; ils les a-
Toient battus en plufieurs rencontres. En cet
ctat» 5c ayant le vifage preiquetout caché
fous de grands bonnets qu'jls avoient oftez
à leurs cünetnis,pouiranc de grands c ris,
pouî
) I. )
DES A V A N T U R I E R S . 14?
pour marque de leur victoire» ils marchèrent
vers le Vailfeau : Ceux qui eiloienc dedans
les voyant venir en cet équipaç!:ej8c chargez
des dépouilles de leurs ennemis* le jugeant
ainfi à caufe des flèches qu’ils portoient» fu
rent aiiément perfuadez que c*eitoit leurs
Camarades qui revenoient vainqueurs,& les
reçurent dans leur bord. Auflî-toit nos A-
vanturiers firent main bafle fur tous^ccux
qu*ils rencontrent, qui ne s'attendant à rien
moins , rcfiflrerent peu >parce qu’il n’eflroit
refté dans le VaiiTeau que des Marchands -,
des Matelots & fort peu de Milice. De ma
niéré que les Avânturiers s’en rendirent
bien-toft Maiftres * & le trouvèrent chargé
de toutes fortes de Marchandiies 8c de ri-
cheÎTeSjdont je n’ay point fçû le détail.
J ’ayfçû d’Alexandre mefme plufieurs au
tres entréprifes que je n’écris point. Car j’ay
remarqué qu’en les récitant* il paiToit fort
Icgerement fur ce qui le regardoit » 8c ap-
pûyoit beaucoup fur ce qui' concernoit les
aatres>leur en donnant prefque toute la gloi
re : En forte que fi j’ay rapporté plufieurs
circonflrances, ou pour mieux dire plufieurs
beaux exploits qu’il a faits dans l’occafion
que je viens de dire, je ne les ay pas foeu de
lu y , mais de ces Camarades, qui n'ont pas
cité fi généreux pour luy,qne Iny pour eux ;
puifque par envie ou par honte » ils ont ca
ché beaucoup de belles actions qu’il a faites
ailleurs. Au refte , fi je Tay comparay au
Grand Alexandre, je ne prétends pas que la
comparaifon (bit tout à fait jufte 5 car s’il y
A quelque rapport, il y a encore plus de dif-
L 4 ference*
! 1
44S HISTOIRE DES AVANTURTER&
ference. En effet Alexandre c/loit auffi bra«-^ ,.j
VCque temerairejSc Itiy eftoit auffi brave que
prudent, Alexandre aymoit le vin , & luy
I’eau de vie : Enfin Alexandre fuyoit les fem
mes par grandeur d'amci & luy les cherchoic
par rendreffe de cœur j & pour preuve de ce
que je dis, il s*en trouva une affez belle dans
le vaiffeau dont j’ay parlé , qu’il préféra à
tout l’avantage du Butin.
Je ne garantis pas cette expedition d’A
lexandre 5parce que je n’y ay pas eilé pre-
fe n t, & que je ne veux affurer aucune choie
dont je n*aye efté témoin. Aufli n'ay-je ra««
porté celle-cy,que pour détromper ceux qui
I ne peuvent rien lire quifoit un peu fingulier
dans une Relation >fans s’imaginer q,u*oa
leur en impoiè , & cela faute d’experiencc;
car pour moy , j’avoüeray fans façon que
l’événement dont il s’agit me paroift fort
croyable 5 & j’ajoûteray mefme, fans toute
: 11 fois faire l’efprit fort»qu*ilne m’étonne point
du tout,en ayant veu de plus fuiprenans que
je raconteray dans ce qui liiit.
T A .
************************************
************************************
T AB L E ’rfi/î
DES M A T I E R E S
» iJ
contenues en ce premier Tome.
( • »
. A . m
»
I ' D E S M A T I E R E S .
I Fait venir plufieurs familles de Bretagne 8c d’A £
I jouàlaT ortuëpours*yétablir, 49
i Saint Domingue, ville Capitale de l’Iile Efpagnole,
. pourquoy ainfi appellee ?
t e chevalier du Flejjis croife fur les Efpagnols, fa
veur que les Avanturiers en reçoivent. Pourquoy
ils fe joignent avec lu y , 8c comment il fut tué en
combattant avec eux * ~ 13 1.15 2 V'Il
du Rojfey Gouverneur de la T ortue, comment m
^^ fon neveu luy fuccede * 42 >• 4 1
■
t'
i 'm
.E
m erique, *f 9
|i Fourmis de plufîeurs fortes. Artifice de ces ani
m aux, /t 06.107
I F ou x ,
TABLE
l^oux, font certains oyfeaux, pourquoy ainfi api
peliez, à qtioy ils reilcmblent, lingularitez rc-
maquablesdecesoyreaux, 84.
Yrmfoÿs 8c Anglois ie gliflent parmi les Efpagnols,
. 8c pourquoy, 14j*. Comment ils colonifent dans
les Indes,
H .
Abltans de l’Iile Efpagnole ScdelaTortuë,
H d’où ils font venus, endroits où ils fe font
> étendus, ’ 128.129
Habitans, leurs premiers foins, leur occupation,
Scieur commerce, ^ 134. i j y
Habitansidolatres. Genre de leur Idolatrie. Ce-
. remoniesde leursBaptefmes 8c de leurs maria-
: ges, Ü 7 . Leur habileté à faire pluiieurs for
tes d’Ouvrages. Occupation de ‘leurs femmes.
228
fiabitations. Société des François pour les com
mencer. Conditions de leur focieté 5 ce qu’ils
font pour avoir un quartier propre pour y bâtir,
129.130. Difpolitiondu lieu qu'ils choiiiilent,
il 3 I.Conilruâionde leursBltimens, 132.133.
Recompenfe de ceux^qui aident à faire i'habita-
JifltîOSi
\ DES MATIERES.’
4 ;.Hdittos. Ce que c‘eft, ff
)^Hifloire d’un Engagé laifle pour mort dans un
ï ■ Bois. Conduite de fon Maître apres l’avoir frapé,
Scce qui s’eft pafle de plus remarquable pendant
un anque cet Engagé arefté dans les Bois. 119#
1 2 0 .I l l
Jfiommars, ou Ecreviftês de mer :Maniérédont on
i • le icrt pour les prendre r *4»
I
i. ' ' lii
uirdittsdel’ijli dû Tin» ou ils font, 8c ce que
J - c’eft, ,
Indiens à grandes oreilles, pourquoi ainii nom-
175
: inez. Comment tributaires des Efpagnols ,
214
Indiens de terre'ferme, furnommez
I . Avanturiers àlaChaiTe, en prennent trois, trai-
. tement qu’ilsleur firent, 8ccomment ils rcceu-
f rent ce qu’on leur prefenta,235'. Deftinée d’un
' Avanturier que cés Indiens prirent, 13^
rj/le Ejpagnole, comment découverte. Deferip-
tion de cette Ijle, 8c pourquoy appellee
noie,
Dénombrement de l’Etat Eccleftaftique, f 4
Vljle de la Tortuë, pourquoy ainii nommée. Def- T'
cription de ce qu’il y a de plus remarquable,
& de quartiers habitez dans toute fon étendue, n'.}
10. 1 1 . 1 2
Jucatum , Peninfule où les Avanturiers lejour-
nent. Etimologie de ce nom.Defeription decet
te Peninfule, 8cde ce que l’on y void de plus cu
rieux.* Comment les Efpagnols y gouvernent,
224.225'
;f^amen*
Antentin i^oiiTon proprepour h nourriture
L de rhomme. Anatluimie exadte de ce poif-
ibn. Precautiondes Avanturiers pour le prendre,
98.99.100. Femelles, comment elles allaitent
£c portent leurs petits, J6ij,
Lézards àcjuoy femblables, Avanturiers adroits à
les prendre, &comment, 103
Lieux où les Boucaniers François vont chaiîèr ,
r. i 117
VOlonois habile Avanturier. Pourquoy ainfi nom
mé. Son embarquement pour PAmerique. Ce.
qu’il fe propol'e eftant engagé, 186. Comment
il devient Boucanier. Sejoint aux Avanturiers Sc
ièmble eftre deiliné pour cela. Malheur qu’il
lit
eut. Expedient qui luy iauve la vie, 187. Efpag-
f nols crédules font unfeudejoye à ion occalion.
Effet dece qu’il avoit promis, Uid- Suite de la
'I’^i ! : ; l : refolution qu’il prend, 188,189
1,t L’Olonoispaiîe àla Tortue, y trouve M. leBaf.,
que Avanturier. 191.193
*H r
,ii Ce qu’ils y font, lé/W. Route d’une Flotte con-
'
iiderable, 194. Priie de deux Bâtimens. Valeur
t) de leur chaige, 195*. Officiers créez. DeiTeinfor-^^
H■»fï
p mé ^ Uid,
!■,1i i L’Olonois arrive àl’Ifle de Cuba. Endroit où il
fait defeente. Attaque d’un Fort. Sonfuccez. Ef-
l,î: -i,r .
pagnolsfeiàuventàGilbratar, Z04. loy. Brave
reiblution des Avanturiers. Leur courage , 8c
leurs dernieres paroles en mourant, 106. Dé
faite des Efpagnols. Partis eiivoyez. Prîibnniers
arançon, 207. 208. Partage du Butin. Lava-
Icur, 209.210
Nouveau projet de l’Olonois, 212. 213. Am-
bufeade
D E S MfA T I E R E S.’
bufcade qu’il rencontre ,217. Grande cruauté,
îbU^ Prife à&S.VUro, 120. Avis qu’on luy don-
ne,i2i. Attaque d’unVaiiTeau.Succez du
•combat, , ^ 229
L’Olonois abandonné, ce qui arrive, 230. 231.
Entreprife nouvelle, 232. Son inquietude, 233.
Expedient qu’il trouve, 234. Sa mort, 238
M
uinçanilla, fruit venimeux j deÎcrîption de
M l’arbre qui le produit i poilïbns friands de
ce fruit, moyen de connoiihe quand ils en ont
ro ange ; Remede contre ce venin, 17.18
Mouches luifantes, leur effet, i
Mangle yarbre fur lequel les Indiens bâtiflèntdes
maifons, 8c corn ment, 75
Manioc, fa racine à quoy utile, adrelTe des Indiens
à la preparer. Remede contre le fuc venimeux
quienfort, maniéré d’en faire une boiiTon aufli
bonne que de la Biere, 7 f •7 ^
^ Marchands d’Efpagne privilégiez , quel eft leur
commerce, 112
MMarchands yCer\a\nsojÇeaxr% ainfinommez, leur
figure, à quoy propres, 201
Maracaibo, defeription de cette ville, de la Baye
demefmenom,8cdetout ce qui s’y rencontre
de plus remarquable, . 197.198.
Entrée des Avanturiers'dans cette Ville , 204.'
■ a oy. Démolition des Eglifes. Pieux delTeindes
Avanturiers en emportant ce qu’il y avoit de plus
beau, 209
^ M a ro n , terme particulier aux Boucaniers, que fig-
nifie,
fi Mines qui fe trouvent dans l’iile Efpagnole ,
yo
TABLE
Mi^urs^C’i anciens Indiens, leur intrépidité,/ tI
N
plante qui produit un fruit de la for^
N me d’un Artichaut, 8c dont la fubftancc
reiîèmble a celle d’une Poire. Subtilitéfurpre-
nantedeibnfuc, 75
îiegre femblable à une tanche , pourquoy ainii
nommé. A quoy il eil propre. Ce qui arrivas
I’Autheur en pefchant de ce PoiiTon, 104.1 o5*
¥ I
l^ourriture des anciens Indiens, ygr
. t
t
*•
2^ȕe,efifetsdeiagraine, 70.71'
0 Morceaux à.*Or, Riviere où l’on en trouve,
dedans quels endroits des Indes il s’en rencon-
tre,
. ■ i iJ
y
Q u alité du Tabac de V e r in e ,
TABLE
R
u íw /erí, dans quelle faifon ils abondent à Ia
1 ' R Tortuë. Récit à ce íuj e t,
Rancheria fCequcc’eÎiy 165
15
i! Recompenfe que les Boucaniers donnent à leurs
Valets, 122. Comment tout eft commun en-
I ■I r t r ’eux ,8c comment ils accommodoient autre
Vli
fois leurs différends, 125
i Ui Reflexion de l’Autheur fur les ceremonies des Fran
I K 1-' :
çois 8c des HolTandois, f
‘I ' i K
Reflexion de l’Autheur fur quelques évenemens de
Ibn H iftoire, 2-? 9 * ^4 ®
Relation de ce qui arriva à des femmes expofées
dans unellledeferte, 3Ó. 37* 38. Reflexion de
rA utheuràcefujet, 39
Remarque d’un Eipagnol, 62
iiew^i/^fouverain au plus grand m al, • 125
Reptiles de la Tortuë j de combien de fortes. Vertu
médicinale de l’huile que Fon en tire , i f - 16
îRoc Avanturier,pourquoy l'urnomméle Brefillian,
comment il abandonne le Brefil 8c fe retire par -
m iles François. 174. 17y. Puis parmi les An*
glois j ce qui luy arriva, lèid. Son portrait.Poiir-
quoy redoutable aux Efpagnols.Sentimens qu’ils
ont de lui, 176. Endroit ovi il fait naufrage, 8c
com m ent eft réduit à traverfer un pais ennemy,
I I 177. Son intrépidité. Suite d’un combat où il
s’eil: e n g a g é , S ’em pare d’une Barque. Bon
m ot qu’il dit pour confoler ceux qui la per-
doicnt, 178. Il va croifer 8c eft pris. Moyen dont
il s’avife pour éviter la mort ,1 7 9 . On le meine
■» en Efpagne, lùid.So. conduite pendant le voyage^
XI repaflë à la Jam aïque, 180. Nouvelle courfe
qu’ü entreprend, ce qui arrive, ‘
'■ I
fl,l'if,
î»
. DES MATIERES.
t 1
V a rU n
I s T O IRE
AVANTÜRIERS
QUI SE SONT SIGNALEZ DANS LES INDES ,
C O N T E N A N T
i CE QU’ILS ONT FAIT DE PLUS REMARQUABLE
DEPUIS VINGT ANNE’ES.
^A V E C
La Vie, les Mœurs, les Coutumes des Habitans de Saint Do-
mingue 8c de la Tortue, Sc une Defeription exacte de ces
il lieux j
I O u i 'on v o it
^ etabliiTement d’une Chambre des Comptes dans les Indes,
& un Etat, tiré de cette Chambre, des Offices tant Eccle- ■îS fl
A PARIS, Y' J
)<;Chez J a c Qu e s l e F e b u r e , au dernier pillier de la f !
’? Grand’Salle, vis-à-vis les Requeues du Palais.
à
M. D C . L X X X V 111 .
AVEC E RI V1 L E GE DU ROT.
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A V I S t
IMPORTANT
P O U R
LE TOME SECOND.
O M M E les expeditions de
C Morgan ont fait grand bruit
dans le monde, on ne doute
point qu'on ne fe foit empreiîe
d'en publier beaucoup de Rela^.
tions ; fur tout dans les païs Etran
gers , qui reçoivent & qui impri
ment indifféremment toutes for
tes de copies ;. Qu'elles foient de-
feffiteufeSf m a i êctites ,fatyriq^ues
A2 tnef-
A v i s Au L e c t e u r !
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^VIS AU L e c t e u b .
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DES
i! AVANTURIERS
J Q .U I S E S O N T S I G N A L E D
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D A N S L E S I N D E S.
CiContenant ce qu*ils ont fait de plus remarquable
depuis vingt années.
T R O I S I E' M E F A R T I é :
C h a p i t r e I.
4 HISTOIÎIE
tionSjOii les Avanturiers fe ponrroient
réfugier qu'à la Jamaïque ou à la Tortue,
qu’à la vérité la diiHculté n’eftoic que d’ob
tenir une CommiiTion pour la poiTeder , mais
qu’il feroit bien en ibrte d’en avoir une.
!1 Saint Simon accepta le Gouvernement,
promit à Manfwelt de s’acquitter de fon de
voir , & ajouta qu'il fe faifoit fort avec le
monde & les munitions qu*il luy laiiToit, de
garder l'Iile contre toutes les forces que les
! 1‘, - Eipagnols pourroient employer à la repren
dre ; ce qui ne luy eiloitpas mal-aifé , atten
du que cette lile eft non feulement défendué
de quatre grands Forts , & de plufieurs bat
teries; mais encore d’elle-mefine , n’ayant
Torce & que trois endroits acceiTibles. U iè trouve
petite Idc proche la grande, qui a com-
r/ileSain. tîitrnication avec elle par le moyen d’un pont;
te cathe. il bien que cette petite lile forme comme une
elpece de Citadelle : d’ailleurs on y peut af*
fez planter des vivres pour nourrir 6c pour
entretenir une Garnifon ; & on y trouve de
Teau douce , qui eft la principale chofe & la
plus neceiTaire à la vie. C’eft pour cette rai-
ibn que les Efpagnols l’ont toujours gardée
comme une place importante & avantageu-
fe à leur deflein.
Manfwelt ayant laiiTé Saint Simon comme
Gouverneur de cette Ifle , avec les François
6 c les Anglois, car fa Flotte eftoit compofée
de ces deux Nations , ilfe prépara à achever
fon entreprife, qui êtoit d’aller prendre la
Ville de AW/ï. Pour cela il fit embarquer la
Garnifon Efpagnole furfes vaiiTeaux , pour
îa portera Puerto Bello , qui eft à la cofte de
terre
D E S AV A N T ü R I E R S. y
ferre ferm e, 5c fort proche du lieu où il vou-
îloit aller. Peu de- jours apres eftant; arrivé â
cette cofte , il mit de nuit les priibnniers à
■terre à deux lieues de là Ville de. Belloy
& de là fut le lon^î de la cofte , entra dans
1a grande Riviere de CoeU^ où il furpric la Vi-
gie Efpagnole , qui eft toujours à Tembou-
chure de cette Riviere , afin de donner avis
)Ü détour ce qui paroift en mer. :
Il crut, ayant pris cette Vigie, n’eftre point ^nt«ptîie
découvert î mais un Indien eftant proche de
:là, 5c ayant oui le b ru it, fut prooiptement
avertir le Prefident de Panama ^lequel m it
.aufli-toft du monde fur pied , 5c vint s’oppo-
ièr au deiTein des Avanturiers , qui ne iefcn- I
;tantpas aÎTez forts pour refifter, nes*opiniâ*
-trerent points, 5c fe, rembarquèrent.
: Manfvvelt voyant que fou entreprife n*a-
voit pas reufli »tint confeil avecfes gens. A-
lors undes prifonniers Efpagnols qiVil avoir <
gardez , dit que s’il vouloit il le m enetoità
Cartage » Ville proche de la mer du Zud, fore
riche , 5c fans défenfe î fi bien qu'mon la pou
rvoit facilement furprendre, pa^ce que les Ef-
1;?^ /
^pagnols ne ;fe défioieiit pas qu’on les allaft
cherdier jufques là. Cecy fut propoféà tout
;le monde j <î^i en fut content; . ^ :07
: . On entreprit donc ce voyage > 5c on navi- Nouveau
gea le long de la cofte jufqu*à la Riviere de p^op^ôfé
Zuere , qui eft environ à trente lieues d*où ils & agréé*
eftoient. Ils envoyèrent un Canot avec vingt
hommes ,'afin de prendre une Vigie qui eft
.aufti à l’embouchure de* cette Riviere , avec
douze Soldats. LesÆfpaghols ont là quelques
habitations'," où ils plantent du Cacao .*mais
A 6 comme
^ H IST O IR E
comme les Corfaires y font fouvent des deff
centes , ils commencent à rabandonner.rL'e
Canot reüiTit bien , & prit la Vigie fans eftre
»découvert j de forte que toute la flotte entra
dans la Riviere , hormis quelques vaifleaux
qui demeurèrent â un petit port aflez prés de P
Û.
Les Avanturiers eftant à terre»marcherent
au plus vifte à Cartage.Les premiers jours ils
J .
trouvoient des habitations flir le chemin ; 6c
de quoy vivre,ce qui leur donna du courage;
mais cela ne dura gueres , car à mefure qu’ifs
avançoienr, ils ne trouvèrent plus rien qu’un
chemin fort rude dans des bo is, des halliers
ê z des montagnes ; ce qui les rebuta. Quel-
, quefoisils rencontroient des Indiens portans
quelques iàcs de farine , les premiers fe jec-
'toient defllis, 8c n’en vouloient point faire
-part aux autres. Cela mit de la difcorde entre
ci.Ten- les Anglois 6cles François. Les Comman-
n o n par- '^ans Manfwelt8c Morgan » de la Nation des
vantu. premiers, traittoient tort bien les François ,
Tiers, parce qu*ils eftoient les meilleurs Soldats de
leur trouppe 5 tous gens expérimentez, 6c
dont un feul eiboit plus brave que trois An-
-gloiSieftant mieux armez 8c plus adroits : ce
pendant quelque bon ordre que ces deux
-Chefs y apportaflent, ils ne purent empefcher
cette divifïon » qui ne v en o k , comme je l’ay
d i t , que des vivres, que les uns fetenoient
fans en vouloir donner aux autres.
Cette diiTention fut cauiè qu’^il fallut re-
'broufler chemin, 8c abandonner rencrepriiè.
Eftant revenus au bord de la mer , Manfwelt
fe rembarqua , 8c fut à Sainte Catherine \olv
comme
DES A V A N TU R IER S.
tom m e Saine Simon fe comporcoir dans ibn
Gouvernemenc.il trouva qu’il avoir déjà tra
vaillé à faire mettre les FortereÎTes en é ta t,
■& à planter quantité de vivres : ce qui a^réa
beaucoup à Manlvvelt, qui fut à la Jam aïque
pour avoir du iècours : mais le Gouverneur
voyant que cela luy eftoic préjudiciable , luy
refufa le fecours & la CommiiTion qu’il de-
mandoit,diÎant pour raiibn,que le Roy d’An
gleterre n’avoit pás de guerre avec les EA
pagnols. Maniwelcfutà la Tortue ; mais le
Gouverneur , qui eftoir François > luv fit le
meirne refus & la mciiTie réponie. II tenta
encore toutes fortes de moyens pour obtenir
ce qu’il fouhaitoit ; Sc pour en venir à bout ^
il avoit médité d’aller à la nouvelle Angle
terre prendre une CommiÎTion Sc do monde
pour peupler cette lile , mais la mort le pré
vint 5 3c arreila tous Tes projets.
^ Les Efpagnols , à qui l’Iile de Sainte Cathe*
rtne , occupée par les Avanturiers ^ eftoit de
la derniere importance , jugèrent qu’ils s’y
pourroient tellement fortifier , que rien dans
la fuite ne feroit capable de les en chaiTen &
q if ainiî ils eftoient en danger de perdre tou
tes les Indes .*c*eft pourquoy ils refolurent
d*y donner remede avant que le ‘mal aug-
rnentaft j & pour cela ils équipèrent une pe
tite Flotte de quatre navires,montez de cinq
â fix cens hommes, fous le commandement
de Dom Joieph Sanche Ximenes , Major Ge
neral de la^Garniibn de PHertobello.OviiïQ cela
le Prefident de Panama, Dom Juan Perez de
Gufinan ,qni gouvernoit pour lo rs, trouva
moyen de traiter avec Saint Simon» lequel
voyant
8 H I S T O I R E . . f
C H A P I T R E I I.
Vefcrtptîon de l'ijle de Cuba , comme elle
eft aujourd*huy,
i: 'Ï
(ill '> V • 7 i-l.-* 'V -..? ^ ,^ '_ i t . - l . 'i’L j' , -
H '
1 ^
il ^
DBS A V A N T U R I E R S . if
„^cirgee. C e il en ce lieu que toutes les Flot-
es des Gallions vont prendre de Teau , pour
;ti fuite paÎTer par le Canal de Bahama ,,aiîn
le retourner en Efpagne : Depuis là jufqu’à
a pointe de Mayefy, on trouve Sanâa Crux.
7 oicy pourquoy on luy adonné ce nom-
Un Soldat de mauvaifevie de la Province
le CharcM craignant la Juftice qui le recher-
:]ioit pour feS crimes, entra bien avant dans
:è pais 3 6c fut bien reçu de ceux qui y de-
Tieuroient* Le Soldat voyant que ces Habi-
cans foufFroient beaucoup à cauie d’une
grande diiètte d’e a u , 6c que pour en faire
tomber ils faifoient quantité de ceremonies
rüperftitieüfes , leur dit que s’ils vouloienc
.aire ce qu"*!! diroit, qu’auiTi-toft ifs aiiroient H'!
le Peau» Ils y confentirent, à Pinftant le Sol
dat fit une grande Croix , qu’il planta en un
lieu éminenti leur difant qu'ils fiffent là leur
adoration » 6c qu’ils dcmandaiTent de l’eau ,
ce qu’ils firent. Chofe merveilleufe, aulTi-tofi:
il tomba de l’eau du Ciel en abondance , 6c
depuis ces peuples eurent tant de devotion à
ià Sainte C roix, qu’ils a voient recours à elle
dans tous leurs befoins, 6c obtenoient ce
qu’ils fouhaitoient .*tellement qu’ils rompi
rent leurs Idoles, demandèrent des Prédica
teurs 6c le Bapceime; C’eft pourquoy,comme
je l’ay déjà dit, cette Province a efté appel-
lée jniqu'à aujourd’huy Sainte Croix : Ce qui
fait voir que Dieu fe fert des plus petites cho-
: iès pour operer les plus grandes, 6c dés mé
dians mefmes pour faire le bien , 6c qu’il ne
I
laifie jamais ces médians impunisjcar il n'eft
pas hors de propos d’ajouter, que-ce Soldat
dont
I.
iS H I S T O I R E
dont il s’étoic fervi pour faire ce miracle ,
n ’eftant pas devenu meilleur,ibrtit de la Pro
vince de Charcas , & continuant iès crimes ,
fut pendu publiquement au Fctofi,
Apres San6ta Crux on trouve la ville des
Cayes de Baracoa, Il y a le long de cette coile
quantité de petites liles , nommées les Cayes
du Nord y ouïes Avanturiers viennent auflî
ibuvent pour chercher fortune. Ils y pren
1I nent des Barques chargées de Cuirs & de
Tabac pour la Havana, & quand ces Barques '
1: . viennent, elles ont de l’argent pour acheprer :
ces Marchandifes ; ce qui accommode fore
0; i; <
l!f1 I les Avanturiers, qui s’en iaifiiTento Cela fuffic :
pour faire comprendre au Leéleur ce que
c ’eft que Mlle de Cuba^
»
C h a p i t r e III.
tA prife de la ville du Port au Prince par \
Morgan, ^ {
C h a p i t r e I V.
.i
[V
H I S T O I R E
Tout cecy confideré,Ie Prefident leur don^
na la liberté de f^^ire ce qu'ils jugeroient à
C onvcn- propos, llscompoferent donc avec Mogan ,
tioi'is des & accordèrent que dans quatre jours ils luy
Efp.ipnols donneroiênt cent mille ecus pour la rançon
avec M or
gan. des Forts, des prifonniers, & de la Ville î ce
qu'il accepta, pourveu qu’ils ne manquaiTent
point à leur parole. Lç Prefident ^Je Panama»
nommé Dom luan Perez, de Gafman , homme
de grand efprit» & fort expérimenté dans les
armes , & qui avoir commandé en Flandre
en qualité de Meilre de camp * eftoit furpris
d'entendre parler des exploits-de ces gens-lâ,
qui fans autres armes que leurs fuûls,avoicnc
1 pris une Ville ,où il auroit fallu employer du
canon >& faire un fiege dans les formes.
ÙC Freii- Il envoya à Morgan quelques rafraîchiiTe»
dent en mens , & luy fit demander de quelles armes
voyé des
M prefens & fes gens fe fervoienc pour ex ecuter des en-
des ra trepriies de cette nature » y reüflîr comme
‘1 fraîchi iTc- ils faifoient. Auilî toit Morgan prit un fuiU
m ens à
^lorgan. d’un des François qui eftoit dans fa troupe ,
& l’envoya au Prefident. J ’ay déjà dit que
■i- ces fufils font faits en France ,b n t quatre
pieds & demy de canon, & tirent uns balle
1if des icize à la livre : la poudre donc on les
, charge , eft faite exprès , & ces armes fout
fortjuftes.
Le Prefident fut réjoui de les voir , & fa-
tisfiit de la civilité de Morgan , qu'il n’avoic
pas crû s'étendre jufqu*à ce point. Il le fit
remercier & loiier de fa v aleu r, difanc que
c’eftoit dommage que des gens comme eux
ne fuiTenc employez à une jufte guerre au
icrvice d’un grand Prince ; ôc dans le même
tempi
DËS AVANTURIERS. |r
temps on luy prefenta de fa paît une bao;ne
d^or enrichie d*unea*nn/=» fort
fnrr hellp.
belle Kmeraudc.
Emeraude.
Morgan ordonna à celuy de qui il la rece-
V o it, de remercier le P reiidcnt, & de luy
dire , que pour lefatisfaire , il luy avoir en
voyé une de fes arm es, 6c que dans peu ,
pour le réjoiiir encore , il luy reroit voir dans
ia Ville me fine de Panama l’adreÎTe avec la
que.le il s’ en fervoit.
Cependant les Bourgeois de Vortoheîlo lai- Efpagnc^
fez de ces gens, apportèrent devant le temps
p reicrit, la rançon de la Ville , de^s Forts &
des prifonniers,qu'ils payèrent en belles bar- baues
res d’argent. Les Avanturiers ayant receu-d’argeni;
cette rançon , ne tardèrent gueres a décam
per, s’embarquèrent au plûtoft, fans faire
aucun mal que d’ encloüer les canons des
Forts, de peur que les Efpagnols ne tiraiTenC
apres eux ; 8c ainii ils quittèrent Portobeïlo •
8c firent route pour l’ Ifle de Cuba, ou ils ar
rivèrent huit jours apres, & partagèrent le
butin felon la maniéré accoutumée.
Ils trouvèrent qu’ ils avoient en or 8c en
arg en t, tant monnoyé que travaillé , Sc en
joyaux , qui n'eftoient pas efiimez au quart
de ce qu’ils v a lo ie n t, deux cens loixante
mille ecus, fans compter les to ile s, foyes, 8c Avanm-
autres marchandifes qu’ils avoient prifes dansrieis,
la Ville, dont ils faifoientpeu de cas : car ils
n’ eftiment querargent\8c lors qu’ ils ont fait
une prife , quand elle feroit la plus riche du
monde, à moins qu’il n’y ait de l’ argent, ils
ne l’eiliment pas. Ayant ainfi partage ce bu- Leurre-
tin, ils vinrent à la Jamaïque , où ils furent touràîi
magnifiquement receus , 8c fur tout
Ca-
■38 H I s T o I R E
Cabaretiers, qui profitèrent le plus avec ;
eux.
Í*'
C h a p i t r e V,
_ 1
D E S A V A N T U R I E R S. 4i '
de traiter avec*les Efpagnols» & pour mieux
couvrir fon jeu >il dit qu’il venoic demander
un paiTe-port au Gouverneur» afin de pren
dre furies Avanturiers Anglois de la Jamaï K
que » qui faifoient une guerre injufte aux
Éipagnols i ce qu*il obtint facilement.
Morgan avoir écouté tout cecy fort vo
lontiers» & eftoit dans le deiTein de jouer un ! I
tour au Maloiiin, & de iè mettre en poiTei^
iion de fon Bâtiment j mais il diiiimula juf^ DiiTinu-'
ques à ce que l’occafion iè prefentaft , car il dation de
n’ofoitrien entreprendre y craignant que les
François ne Ten cmpefchaiTent. Il tâcha ce
pendant de f^avoir finement leur penfée» 6c
lesprefiêntit, pour connoiftre s^üs ne pren-
droientpoint le parti du Maloiiin.
Pendant cela le Gouverneur de la Jamaï
que envoya un Bâtiment qui venoit de la
nouvelle Angletterre, vers Morgan» monté
de trente-fix pieces de canon»5c de trois cens
hommes. Ce navire ic nommoit Biîkts W^ort^
apartenant au Roy d’Angletterre. qui fa voit Kl
donné pour un temps au Capitaine qui le
commandoir. Ce Capitaine venoit dans le
deiTeindefe joindre à Morgan. & de faire
le voyage avec luv. Morgan à l’arrivée de ce Morgan
vaiiTeau , ne garda plus de mefurcs pouf at-
taquer le Maloüin : il s*cn faifit, & mit le mefur«
Capitaine 6c tous les Officiers prifonniers, avec le
le prenant comme un voleur qui avoit pillé Maloüin,
un Bâtiment Anglois, & comme un ennemy
chargé d’une commiffion pour prendre fur
les Ânglois. Dans ce temps le Bâtiment An
glois que le Maloüin avoit pillé , félon que
ûifüient les AngloiSj arriva là, & fe plaignit
HISTOIRE
3 Morgan. Le M.iloüin fe defen ^oît iurcè
qu’ii Iny avoir donne un biJIec.* malo;ré roue
cela M organ le retin t to û jo u rs prifonnier.
Quelques jouis s’eftant paiT z,Morgan fie
venir tous les Capitaines des va.iiTcaux A-
iri vanturiers, pour tenir confeil, Içavoir quelle
place on actaqueroit, voir quelles forcesqn
a v o ir, de quoy on eftoit capable, 3c pour
"î: combien de temps on avoir de vivres. Pen
dant qu*on tenoit confeil , on beuvoit à la
iànté du Roy d’Angleterre , 5c.â celle du
Gouverneur de la Jamaïque. Si les Capitai
nes iè réjoüiiToient dans la chambre , les au
tres faiibient de melme iur le Tjllac, ii bien
que jurques aux Canoniers , tour eftoit pris
mm
Etrange de vin. 11 arriva par je ne fçay quel malheur,
que le feu fe mit aux poudres, & le navire H
fauta avec tout le monde qui eftoit deiTus. l(
Comme tous les navires Angloisont leurs
foutes à pondre fur le devant,au lieu que les II
autres Nations les ont fur le derrière , ceux
I qui eftoient dans la chambre n’eurent aucun
5 !i k■
mal que de fe trouver à Peau fansfçavoic
10
b
comme cela eftoit arrivé; mais tout le com
mun peuple fut perdu , en forte qu’il y eut
plus de trois cens cinquante hommes de
noyez. Le Capitaine Maloüin & iès OiHciers
fe fauverent auifi .• car ils eftoient avec les
Anglois dans la chambre. Quelques An-
glois dirent que c*étoit les François de l’Equi
page du Maloüin qui avoient caufé ce de-
ibrdre;c'eil pourquoy ils s’alTeurerent de fon
navire mieux qu’âuparavant,5c ne tardèrent
p.ueres à l’envoyer à la Jamaïque , pour le
faire adjuger de bonne piife,lc menaçantou-
if
tre cela de le faire pendre. Les
DES AVANTÜRIERS. 4^ •
Les An2;lois furent quelque temps occu
pez â pefcher les corps de leurs compaé;-
nons , non pas pour lès enterrer, mais d caû-
fe que la plufpart avoieiit des bagues d*or
aux doigts,comme c’eft la mode parmy cette
Nation.
Morgan , malgré cette facheuie difgrace,
ne laiiTa pas de periiffcer dans ion entrepriie :
il fîtreveuedefa Flotte , où il trouva qu’il
avoir encore quinze vàiiTeaux, & neufcens
cinquante à ibixante hommes, tant François
qu’Anglois, tous vieux Avanturiers , c’eft à
dire (]ui avoientdéja fait cemeftierplufieurs
années. On tint encore confeil, pour voir
quelle place on attaqueroit. Il fut conclu
qu*on monteroitle long de la code jufqu’à I'
Mile de Saône J qui eft la pointe de l’Orienc
de l’Iile Efpagnole. Ce fut là où fe donna le
rendez-vous, en cas que quelque vaiiteau
s*écartaft de la Flotte, afin de la pouvoir re
joindre en ce lieu avant qu’elle fuit partie , I
on en cas qu’elle le fuft, on devoit laiiTer un
billet en fermé dans un flacon enfoncé dans
terre , marqué d’une certaine figure qui ap-
prendroit le rendez-vous general.
Toutes ces mefutes eftant prifes , Morgati
mit à la voile avec fa Flotte, & navige'a le
long de la cofle de Mile Efpagnole jufqu’au
Cap de Beata, ou autrement lé Cap de Lohs^ , ;^
où il trouva les vents fi contraire,& les cou- Morgan :
rants de mefme, qif il ne put jamais doubler rendez-
ce Cap , quelque effort qu’il fift à cette fin.
Cependont ayant efté là quelque temps , les -
vivres commençoient déjà à manquer. Mor
gan tint confeil, dit à fes gens qu’il eftoie
Tome i i , Q necei-
44 h i s t o i r e
neceiTaire de faire tout ce qu*on pourroît
pour doubler ce Cap , ôc que ceux qui ne le
pourroient pas doubler, attendiiTent bocca-
fion , & que ceux qui le pourroient, les at-
tendroient dans la Baye d*Ocoay qui n*eft pas
beaucoup éloignée de ce Cap.
Il
Morgan donna ce rendez-vons , afin que
les vaiiTeaux qui n’avoient point de vivres
en pufient prendre , parce qu*il s"y rencontre
Une grande quantité de beftes. 11 avertit les
premiers qui feroient arrivez d’en faire une
bonne provifion» pour en donner aux autres
: qui n'auroient pu doubler le Cap. Après tou
tes ces précautions, Morgan 5c fa Flotte ten
tèrent encore une fois à doubler ce Capi ce
t i t' . qui leur reüffit, car le temps fe modéra un
peu lors qu’ils furent fous voile,fi bien qu*ils
doublèrent tous.
yoTHrrutt- Sur le foir on vit un navire, à qui qn don-
te d’im na chaife pour le reconnoiftre ; mais il fem-
voiiieiiu. bloit fçavoir que c’eftoit de fes am is, car il
approchoit à mefure qu’on alloit à lu y , 5c
mit le pavillon Anglois. Il venoit d’Angle
terre » & alloit à ïa Jamaïque. Sixou ièpt
vaiiTeaux de la Flotte demeurèrent auprès de
ce navire pour acheter de Teau de vie , que
ces gens aiment fort. Le temps eftant tou-»
■( I jours beau , ils refterent avec ce Bâtiment ;
mais le lendemain je croy qu’ils furent bien
furpris lors qu’ils fe virent feparez de leur
General,qui le fut aufii quand il vit qu’il luy
manquoit fept vaiiTeaux. Il entra dans la
Baye d'Ocoa , afin de les attendre.^ Le temps
devint fi mauvais , qu’il fut obligé de fejour-
ner dans cette Baye plus qu’il n'auroit voulu.
•l»
D E S AV A N T U R I E ' R S . 4<
(l ' î l donna ordre aux Equipages des vail-
êI féaux qui eftoient demeurez avec luy de ne
point toucher â leurs vivres » & d’envoyer
JC tous les matins huit hommes de chaque E-
torquipage , qui feroientun corps de foixante
quatre hommes , afin d’aller chaiTcr » 5c
d’apporter de la viande pour nourrir la Floc-
. te. 11 forma encore une Compagnie, qui de*
ifc voit defeendre tous les jours â terre , où un
îfï Capitaine de chaque vaiiTeau eftoit obligé à
n ;ibn tour d’aller â la tefte, pour la feureté des
ChaiTeurs • parce qu’il y avoir du danger,5c
an que ce lieu n’eftoitgueres éloigné de la Ville
^|jide S. Domingue , outre que l’on rencontroic
i^i'quantité de Boucaniers ou ChaiTeurs Eipag-
0^ nols, qui ibnt tres-bons Soldats, ôc que ces
7/ Avanturiers appréhendent fort.
Les Efpagnols n’étant pas en grand nom-LesEfpag-
uibre pour lors en cet endroit, n’oierent rien
entreprendre contre ces gens , & i'e conten-
terent de chaiTer devant eux leurs beftes dans turiers,2c
les bois , de peur que ces Avanturiers ne les deman-
'tuaiTentî cependant comme ils avoient
' foin de vivres , ils mettoient bas tout ce qui •
fe prefentoit à eux,fuiTent afnes ou chevaux ;
i car ces gens ne font pas fort difficiles, man*
: géant tout ce au*ils trouvent, lis ne laiiToienc
' pourtant pas d'avancer tous les jours dans
le p a ïs , & parvinrent à la fin juiqu’où les
Efpagnols avoient chaiTé leurs beftes , le f
quels voyant que les Avanturiers décrui-
îÎoienttout, allèrent trouver le Prefident de
Saint Domingue, à qui ils demanderont du
iècours qu’il leur accorda , en tirant deux
Compagnies de Soldats de fa garnilbn, qui lè
C Z mirent
4^ H î S T O I R IE
mirent en cinbiifcadc nu lieu oii les Aventu
riers dévoient paiicr pour aller à la chaiTe.
» ufe des Cermins Mulaftres etoient venus vers le
^uiaihes bord de la Mer où ces gens defcendoient or-
l,our iaiie dinairement à rerre»conduifant un petit nom-
Av^n- de beftes qu'ils firent feinte de chaiTer a-
tuHers vec empteiTeinent à la vciië des Anglois,qiii
iians une manquèrent pas de courir apres ; mais
1'
embuica- ^^.5 étoient plus avancez qii’eux,iî
1 f
bien qu*ils ne les purent attraper que fort
proche de leurs embufeades ; d’où il fortic
deux Efpagnoîs avec une petite banderolle
blanche , pour marquer qu’ils vouloient par
ler. Les Avanturiers leur promirent d’avan
cer > Sc firent aüiÎi avancer deux hommes.
Les Efpagnols les prièrent de ne pas tuer leurs
Vaches,parce qu’ils en dépeuploient le pais,
leur offrant de leur donner des beltes s’ils en
avoient befoin; les Avanturiers leur répondi
rent de bonne foy,que s’ils vouloient en don
ner,on les leur payeroit,qu’on leur donneroic
un efca&: demi pour la viande de chaque
anim al, & qu’ils pouaoient profiter du cuir
i$c du fuif Après avoir aidfi traité ks Efpag-
nols fe rctirerenfi ;• 'jff. .• ,
Ils étoient venus parler aux Avanturiers
pour les amufer feulement, jufqu’à ce qu’ils
euffenr fait avancer leurs Soldats, parce que
le lieu où étoient les Avanturiers étoit fort
‘1 avantageux pour les défaire • & afin de les
mieux perfuader ils firent parorffre quelques
beftes, & lors que les Avanturiers ne fe dé-
fîoient dé rien * ils fe. virent tout d*un coup
encourez des Efpagnols , qui fondirent fur
eux Ôc croyoieûc amfi les tailler en pièces •
mais
è ll
DES AV A N TU R I‘E R s;
mais en un inftant les Avanturiers firent fa Les A-
van t lui ers
c e , & fe mirent en une telle pofture qu’ils le battent
pouvoient tirer de tous coftez fur les Efpag- en retrai
nols qui n’ofoient approcher. Cependant les te,
Avanturiers iè battoient en retraite, & ta-
choient de gagner le bois , craignant que les
Efpagnols n*euÎTenc beaucoup de monde, 6c
ne leur fiiTent de la peine.
^ Alors les Efpagnols remarquant quelque
timidité dans leurs ennemis , voulurent pro 1,
fiter de f occafion- & commencèrent à avan
cer fur eux 5 mais ils furent tres-mal reçus ,
car en un moment on leur tua beaucoup de
monde. Les Avanturiers au contraire voyant
qu*ils ne perdoient pcrfonne , prirent coura
ge 6c crièrent aux Efpagnols qu*ils ne met-
toient point de baies dans leurs moufquets ,
ou bien qu’ils tiroient en l*air. Cette bravade Bravade
qui coûte
leur coufta cher, car les Efpagnols qui au cher^
commencement, pour ne les pas faire lan
guir vifoient à leur telle > ne viferent pins
qu’à leurs jambes ; fi bien qu*ils furent obîi-i
gez de fe retirer dans une petite touffe de bois
qui efloit là proche , où les Efpagnols ne les
oferent aller attaquer.
Les Avanturiers enlevèrent le plus promp
tement qu’ils purent les morts 8c les blefiez
qui étoient demeurez fur la place où s*étoic
donne le combat. Cependant une petite
troupe d'Efpagnols vint au lieu où avoienc
elle les Anglois, 8c ils y en rencontrèrent
deux de morts,ils fe mirent à percer ces deux
cadavres avec leurs épées, lors que les A^- Décharge
vanturiers qu'ils croyoient eÎlre bien loin i mpre*
leur firent encore une décharge, dont ils en veuë.
C 3 tuerenc
h i s t o i r e
tuerent ou bleiTerent h plus grande partiel ^
Les Efpagnoîs s*étant retirez les Avantii-
riers en firent de mefme , & en chemin fai-
• faut ils ne laiiTerent pas de tuer encore quel
ques beftes pour porter à bord.Le foir ils ar-.
rivèrent â leurs Vaiiïeaux 5 & rendirent
compte au General Morgan de leur avantu-
re, qui à bheure mefme tintconfeil,& le len-
t I demain â la pointe du jour mit zoo. hom-
' mes à terre bien armez , & tirez de chaque
Rcficîcion Equipage pour aller chercher les Efpagnols^,
des Efpa- ^ puis marcha à leur tête où le combat s’e-
gnolCf donné le jour precedent ; mais les Er
pagnols qui s’étoient bien deffiez de TafFai-
re , avoientdéja décampé, & emmené avec
eux toutes les beftes : car ils avoient connu
par expérience , que de chaÎTer des Boeufs
comme ils avoient fait vers les Avanturiers
pour les attirer à leurs embufeades, eftoit
unechofe fort utile àcesmcfmes Avantu
riers ,& tres-prejudiciable à euxmefmes,
puis qu’aprés avoir perdu tout à la fois , ÔC
leurs hommes & leurs beftes, ils avoient en
corda douleur de donner de quoi vivre a
leurs ennemis, & d’en recevoir la mort,
i Morgan & fes gens furent encore bien
plus a^Tant, mais ils ne trouvèrent que des
maifoDS abandonnées qu*ils brûlèrent, & re
vinrent à leurs VaifTeaux. Le lendemain il
tint encore confeil pour içavoir fi l’on iroit
piller le Bourg de jjfo ^mais comme on jugea
que cela n*ctoit point d’importance , & que
. i l’on y ponrroit perdre beaucoup de monde ,
on trouva qu’il valoit mieux fe referver pour
quelque bonne occalion. Morgan ennuye
d’etjcc
*! J
^1
DES A V A N T U R I E R S . 49 1"t
d’être en ce lieu fans rien faire, & de ce que
le refte de fa Flotte ne venoit p o in t, ju^ea
qu'ils fe feroieilt rendus à rifle de la Sao?je ,
où , comme j*ai déjà dit, iljeur avoit donné ; -:i
A
fil i
D E S A V A N TU R l ERS.
âiRimez ne ponrroienc pas manger.
Apre's ce iejour la Flotte leva l’anchre 6c
prit la route de Maracaibo. Le lendemain ma
tin elle arriva à la veuë des petites liles qui
font à renrlbouchure du Lac de Maracaibo^ ou
elle fut découverte de la V igie, qui eft fur
une de ces petites liles de melme nom. Cette
Vigie ne manqua pas d'avertir les Efpagnols
qui eurent le temps de fe preparer ^ car il fic
calme , Sc la Flotte ne put arriver a la Barre
qlii eft l’entrée du Lac , que fur les quatre
heures apres midy. Auili-toft toüt le monde
s’embarqua dans des Canots pour iliuter à.
terre , afin d’aller prendre ce Fort de la Barre^ (Jeicen.
où les Efpagnols faiibienc voir ôc entendre dent à
qu’ils avoient du canon , car ils ne ceiToient
de tirer, quoy que les Avanturiers fuifent clnon des
encore éloignez de plus de deux lieues. ' ennemis»
Il étoit neceifaire de prendre ce Fort, à
caufe qu’il falloir que les VaiiTeaux fe ran-
geaiTent pour entrer dans le Lac. Tout le
monde étant à terre, Morgan les exhorta d'e-
ftre toujours courageux , & de ne point lâ
cher pied , car on croyoit que les Efpagnols
fe défendroient bien , vu qu’ils faifoient-des
préparatifs, ayant brûlé pluiieurs loges au-*
tour de ce F o rt, 6c qu’ils tiroient inceifam-
ment du canon.
Sur les fix heures du foir Morgan & les us appro-
iiens approchèrent du Fort, qui avoir déjà client d’un
ceiTé de tirer,ce qui faifoit croire aux Avan- ^^[5, ’
turiers qu’ils alloient recevoir une belle fal*^“ *''^
trouvent.
vc; mais ils furent furpris,6c toutefois bien-
aifes , lors qu’en approchant ils n’y virent
peribnne , ôc entrèrent fans trouver de reii-
C 5 ftance*
51 H I S T O I R E
fiance. Ils crurent que peut-eilre les Eipag-
nols avoienc mis des mèches dans les poudres
pour les furprendre , & faire jouer quelque
ininejfi bien que pour fe garantir de cela on
I détacha quelque peu de monde afin d’éviter
ce malheur. On trouva qu’il n’y avoit au
cune chofe qui pût faire dommage aloiS;
mais il y avoit quantité de mèche allumée>&
de poudre répandue qui alloit jufqu^au Ma-
gazin , fi bien que fi on n*y fût arrivé fur
rheure , ce Magazin auroit faute , & cauié
bien du mal. De forte que quand on n*y vic
point de danger on y entra.
Ce Fort n’étoit proprement qu’une redou
te de cinq xoifes de h a u t, de fix de long , ÔC
de trois de large î le parapet e^ pouvoit a-
voir une : au deflTus il paroifïbit un pavillori
formant une efpece de corps de garde , qui
jn’étoit pas encore achevé, & au defibus une
cave ou Magazin à poudre,où l’on en trouva
bien deux mille livres â canon , & mille à,
moufquets , avec quatorze pieces de canon
en batterie , tirant 8. 12. & 24. livres de
b alle, avec des grenades, & des pots à feu,
quatre-vingts moufquets , trente piques ôc
autant de ban dollieres. On ne montoit fur
cette redoute que parle moyen d’une efchelle
de fe r, qu’on droit après foy lors qu'on y
croit monté.
Qtiand on eut tout vifité , on fit aufii-roil
abattre le parapet de la redoute? on cncloüa
le canon qu’on jetta du haut en bas, & on
en brûla les affûts. Cela fe fit toute la nuit »
afin de ne pas perdre de temps , & de n’en
point donner aux tlpagnols, qu’on erpyoie
. _. vouloir
DES A V E N T U R I E R S , n
vouloir iè fan ver de Maréeaye, à caufe qu’ils
n*avoientpas tenu bon dans la redoute ; A
la pointe du jour on fit entrer les Bâtimens
dans le Lac , & tout le monde fe rembarqua
pour aller à Marecaye , où avec'toute la dili Onfc
reinbar*
gence qu’on put faire > on n’arriva que le que pour
lendemain. M aiecaye
La Flotte étant devant la Ville, on vit pa-
roiftre quelques Cavaliers > qui firent juger
qu*on ie deflPendroit » 6c que les Efpagnols
s’écoient fortifiez. C’eft pourquoy on reibluc
d’aller moüiller proche d’un lieu un peu dé
couvert , 8c d’y mettre le monde à terre. La
Flotte en mouillant faifoit des décharges de
canon dans un petit bocage qui étoit là , en
cas qu’il y eût quelques embufeades i après
On mit le monde à terre à la faveur du ca
non» qui droit toujours » quoy qu’on ne vît
perfonne.
^ Cela étant f a it, on partagea tous les Sol
dats en deux troupes, afin d’attaquer les en
nemis par deux difFerens endroits, 6c deles
cmbaraiTerpar ce moyen ; mais cela ne fut
aucunement ncceiTaire »car on entra dans la II entre
ville fans trouver aucune refiftance , ny per- flans la ^
fonne que quelques pauvres Efclaves qui ne tSioivri-
pouvoient marcher , avec des malades dans bandon-*
l’Hofpital. On ne trouva mefme rien dans les
maiibns , car en trois jours de temps ils a-
voient tout emporté leurs Marchandifes 6c
leurs meubles ^ fi bien qu’à peine y tfouvoit-
on dequoy vivre. 11 n’y avoir aucun Vaifieaii
ny Barque dans le Port , tout s’étoit fauve
dans ce Lac , qui eft fort vafte 6c profond.
On y fie entrer les VaiiTeaux vis à vis d’un
C 6 petit
^4 H I S T Q|^ R E
petit Fort en forme de demy-lune , oîi Ton
peut mettre fix pièces de canon^ il y en avoit
t ! déjà quatre de fer.
Dés ce meiîne jour on détacha cent hom
mes pour aller en party, qui revinrent le foir
avec pluiieurs prifonniers, & quantité de
chevaux charç^ez de bagage. Il y avoit des
hommes & des femmes parmy ces prifon-
niers ,q u i n’avoient pas ^apparence d*eilre
riches. A hinftant mefme on leur donna la
gêne 5 afin qu*ilsindiquaÎTent quelqu’un qui
eût caché fon argent. Il y en eut qui promi
rent de faire prendre du m onde, difant qu'ils
fça voient un homme qui en avoit de caché ,
6c l’endroit où il étoit. Mais comme ils mar
quèrent pluiieurs endroits » on fut obligé de
faire deux partis, qui allèrent dés la mefme
nuit à cette recherche*
îi envoyé Un d*eux revint le lendemain au ibir avec
pluiieurs beaucoup de bagage , & l’autre fut deux
jours dehors par la faute du prifonnier qui
higitiis. les conduifoir, ayant dit qu’il içavoit quelque
chofcjdans l’efpcrance de le iauverlors qu'il
feroit à la campagne ; de forte qu’il menoic
ce party dans des païs inhabitez » 6c mefme
inconnus, d’où il eut mille peines à fe retirer.
Quand ils virent que cet homme fe moc-
quoit d’eux , ils le pendirent à un arbre ians
en tenir aucun conte,6c en revenant ils trou
vèrent un , où ils iurprirent du monde
venant de quérir de la viande la nuit» afin
de vivre le jour cachez dans les bois, c'é»
toient des Efclaves à qui on donna la gêne
pour fçavoir où étoient leurs Maiftres : Un
d’eux ibuffritcous ks tourmens imaginables
fans
i!
i: ! i ; i
iîl! h t
V fil s i.
DESAVANTURîEHS.
inns vouloir rien dire , jufques là qu*il fefîc
hacher en pieces rout vif , lans rien confef-
Îèr 5 Tniure fonfTrir beaucoup auiTi, qnoy l'^
qu’auparavanc deluy-donner lagêneon luy
eût promis laliberté : mais il n*en iir point
de cas. A la fin on reroliic de Iiiy en foire au
tant qu’à ion camarade 5 dont il voyoit les
morceaux devant luy qui palpitoient enco
re : Alors il avoua , & dit qu*il meneroit oîî
étoit ion MaiÎlre , ce qu’il fit , & on le prit
avec bien trente mille ecus en vaiiTelle d’ar
gent .* On ram ena à la Ville.
Voilà comme ces partis continuèrent p é
dant huit jours de temps, durant lefquels on
fît un aficz bon nombre de priibnnicrs , à
qui on donnoit tous les jours la gêne , & qui
difoient tous d’une commune voix qu’ils ?-
toient p auvres, & que les riches s'^étoient
fauvez à Gilbratar J ce qui ne foifoir point
douter aux Avanturiers , qu'ils ne trouvai^
fent-là autant de refiftance qu^’en avoir trou
vé ro io n o is 5 trois ans auparavant.
Le Capitaine Picard qui étoir le guide des
Avanturiers, preiTa Morgan d’aller à Gilbra^
m titr avant qu’ils euifent fait venir du fecours
de Merida, Morgan y confentit, & huit jours
après qu’on eut pris poiTeiTion de Marecaye ,
on fit embarquer tout le pillage , les prifou-
ni ers, 6c tout le monde pour aller à Gilhratar,
On croyoit bien y trouver à qui parler ,
chacun en étoit fort prévenu ^ 6c avoir déjà ,r
faitfon Teilamentj car ayant appris de quel
le maniéré ces gens s’éroient défendus la
premiere fois, on croyoit qu'^ils n’en feroienc
pas moins celle-cy , 6c encore davantage ,
\ puis
;jj
h i s t o i r e
'5 ^
puis qu'ils avoient abandonné le ^ort de h
Bsirre & la Ville de Marecaye ; mais auiTi leur
confolation écoir, que ceux qui en efchape-
roient 5auroient dequoy faire bonne chere
à leur retour à la Jamaïque.
La mort ne fe meile jamais à leurs reflexi
o n s, fur tout quand ils efpercnc faire un
grand W in j carpourveu qu’il y ait dequoy
piller, ils fe battent comme des lions , fans
tefoucier d'aucun peril, comme nous le fe
rons voir dans la fuite. Us arrivèrent en peu
de jours à Gilbratar,où Morgan fit deux pri-
foQ^niers, dans le dcifein de les envoyer dire
au Gouverneur, que s’il ne rendoic pas ce
Bourg de bonne volonté , il ne luy feroic au
cune grace.
Le Capitaine Picard qui avoit déjà été là,
8c qui fçavoit les endroits périlleux , fit def-
cendre le monde environ à un demy-quarc
de lieue du Bourg > & marcher à travers les
bois, afin de venir prendre les Efpagnols par
derrière, en cas qu’ils fe fuifent retranchez
dans le Bourg, comme ils avoient fait quand
l'Olonois les prit. Cependant les Efpagnols ti-
roient beaucoup de canon , ce qui faifoit
d ’autant plus croire qu’ils écoient fur la dé-
fenfive.
Enfin quand on eut gagné le derrière, on
trouva auiTi peu de difficulté à entrer dans le
Bourg , qu’on avoit fait dans M^m^^^,quoy
qu’à la vérité ils euflent eu le dcifein de fe re
trancher ; mais ils n’eurent pas aifez de
tem ps, Ou ne fe crurent pas aflez forts pour
pouvoir refifter , ayant tout abandonné , 6c
fait quelques barricades fur les chemins où
ils
DES AVANTURIERS.
ils âvoienr porté du Cânon,en cas qu'ils eul-
iènt efté fuivis de trop prés en faifant re
traite.
Morgan & fes |>ens entrèrent de cette ma
niéré dansle Bourg, auili paiiiblement qu’ils
avoient fait dans les autres places. Auffi-toft
on fongea à fe p o iler, & à former un party
pour tafeher de prendre quelques prifon-
niers. On en envoya un de cent hommes dés
ce meÎîne jour avec le Capitaine Picard, qui
fçavoit ce chemin,6c qui valoir autant qu*un
guide.
Cependant les Anglois trouvèrent dans ce Avantma
Bourg un Efpagnol aÎTez bien couvert» qui ^omme
les fie juger quec*étoit un homme riche & pris par
de condition. On Pinterrogea en mefme les A n-
temps , & on lui demanda oh eftoit allé le
inonde de ce Bourg . il dit qu’il y avoir un
jour qu’ils écoient tous p artis, mais qu*il ne
leur avoir point demandé où ils alloient » 6c
que cela ne luy importoit point. On le preiTa
de dire s’il ne fçavoi t pas où étoient les mou
lins à iiicre , il répondit qu’il en avoit veu
plus de vingt en fa vie^on s’enquit encore de
luy où l’argent des Eglifes étoit caché , il ré
pondit qu’il eftoit dans la Sacriftie de la
grande Eglilè >ôcles y mena, leur fit voir un
grand coffre où il pretendoit l’avoir vu ; &
comme on n’y trouva rien ,il leur dit qu’il ne
Içavoit pas où on Tavoit mis depuis.
Toutes ces choies faiibient affez voir que
cet homme eftoit fou ou innocent : cepen
dant pluiîeurs crurent qu’il faifoit cela pour
s’^échaper ^ car les Efpagnols font fins & a-
droics. On luy donna Teftrapade, pour le
faire
H I S T O I R E
füire confeiTcr qui il eftoic, & où edoit Ton
nrgent : on lelnifTa bien deux heures fufpen-
dir^vecdes pierres à fes pieds ^ qui pefoienC
bien nutant que toutfon corps • de forte que
fes bras eftoient entièrement tors. A ces de
mandes tant de fois réitérées il réj:5ondit qu*il
s’appelloit Dom Sebaftien Sanches , que le
Gou verneur de eftoit ion frerejqui
avoir plus de cinquante mille écusà luy ^
que fi on vouloir un billet de fi main , il le
donneroic 5 afin qu’on les p'iift fur cet hom
me, 8c qu’on le laifTaft aller finis le tourmen
'r■ ter davantage. Apres il dit qu’on le mifl: hors
■'\ V
■:' t de cette gêne , 8c qu’il enfeigneroit utie Su
crerie qu’il avoit. Us le laiiTerent libre , 8c le
'f
menèrent avec eux.
Quand il fut à une portée demoufquet du
Bourg, il fe tourna vers ceux qui le tenoient
lié , & le menoient comme un crimineliQue
me voulez-vous, dit-il, Meilleurs, jefuis un
pauvre homme qui ne vis que de ce qu’on
me donne , 8c je couche à l’Hoipital. Cela
mit tellement ces gens en colere, qu’tls vou-
îoient encore le pendre 8c le battre cruelle
ment- Ils prirent mefine des feuilles de Pal-
mifte , qu’ils allumèrent »pour le flamber, 8c.
brûler tous fies habits fur fon corps j fi bien
qu’ils l’auroient faiofi quelques-uns plus pi
toyables n’cuiTent délivré cet homme de leurs
mains.
Le lendemain matin le Capitaine Picard
revint avec un pauvre Païfan qu’il avoic
pris» 8c deux filles qui ciloient à luy. On
!
donna la gêne à ce bon vieillard , qui dit
'i qu’il msiaeroic. aux habitations) mais qu’il
ne
ïifl
DES A V A N T U R I E R S .
ne fçavoit pas où eftoit le monde. M orgaa ,
iè prépara liiy-meflîie pour aller en party
avec trois cens hommes, dans Tintention de
ne point revenir qu"il n’euft aiTez de pillage*
pour s’en retourner à la Jamaïque. Il prit
pour guide ce bon vieillard qui avoir efté
mené le jour precedent. Le pauvre homme
efloit tellement interdit,qu''il ne fçavoit où il
alloit 5 & prenait fouvent un chemin pour
l'autre. Morgan croyant qu’il le faiibit ex
piés, le fit terriblement battre,& fur le midy
il prit quelques efclaves,dont il fe fervit pour
I le conduire , & fit pendre ce vieillard à un
I arbre, à caufc qu*un eiclave avoit dit que ce
8in ’cftoit pas là le bon chemin.
^ Ce mefn# Eiclave fe voulant vanger de
I quelques mauvais traitemens que les Efpa- Vengeâd;
àgnols luy avoient fait, pria Morgan deluy d’ur.
^•vouloir donner la liberté , & de l'emmener
»avec luy , qu*il luy feroit prendre beaucoup
lîde monde; ce qu'il fit, car avant le foir il
?Î découvrit à Morgan plus de dix à douze fa«
milles, avec tous les biens qu’elles poife«
^doient.
‘i _ Morgan voyant cet Efclave bien inten-
âtionné,lem it en liberté, luy ordonna de tuer
ipluiieurs Efpagnols ; & à ce deiïein l’arma '
*ld*un fabre , & luy promit qu’il ne lèroit ja-
a mai:> plus efclave : ce qui l’anima tellement, »
Jf qu’il fit fon poiTible pour faire prendre tous
aies Efpagnols, qnoy que cela fuft malaifé ,
parce qu’il eftoient errans dans les bois, n’o-
iifoient demeurer dans les habitations, ni cou-
h cher plus de deux nuits en un mefme endroit,
îj de peur que quelqu’un des leurs eftant pris ,
a ne les décoliYiift. Ep
is H I S T O I R E
En fuite Morgan fit quelques prifonnîerS 'j
qui luy dirent que vers une grande R iviere,
à fix lieués de Gilbratar, il y àvoit un navire
de cent tonneaux , avec trois Barques char
gées de marchandifes & d’ argent aparte-
nant aux habitans de Maracaibo, Aufli-tofi: il
détacha cent hom m es, & leur donna ordre
d’amener le pillage au bord de la mer avec
les prifonnierSjOÙ eiloient les Bâtimens qifou
devoir aller prendre.
Cependant Morgan demeura avec deux
cens hommes à courir dans les b o is, afin de
It chercher des Efpagnols, ou plûtoil leur ar-
Décou- mefme jour il arriva à une fort
verte que belle habitation, où il trouva tout proche du
fait Mor- monde caché dans des bois , oîi entr*autres
eftoit un vieux Portugais avec un i^utre hom-
fajty, lï’e plus jeune. Ce vieil homme, âgé de plus
de foixante ans , fut aceufé par un Efclavè
d’eftre riche • 8c là-deiTus mis à la torture ,
pour luy faire avoiier oîi eftoit ion argent j
mais il ne dit rien,finon qu’il avoit cent écusi
mais qu*un jeune homme qui demeuroit a-
vec luy les avoit emportez, 8c qu’il ne fça-
1 . 1i. I voit point où il eftoit : cependant iur l’ac-
,t ;
cuiation de TEfclave on ne le crut point ,
mais on le tourmenta plus fort qif aupara
vant.
Cruauté Après luy avoir donné l’eftrapade avec
inoiiie. une cruauté inouïe,onle prit 8c on l’attacha
par les deux mains 8c par les deux pieds aux
quatre coins d’une maiionfils appellent cela
nager à fee jon luy mit une pierre qui pefoic
bien cinq cens livres iur les reins , 8c quatre
hommes touchoienc avec des bâtons fur les
ÇOi-s
;0
t
DE S A V A N T U R I E R s.
p^cordes qui Ictenoient attaché ; fi bien que
ilto u t fon corps travailloit. Nonobftant tout
(Mcela il ne confeiTa rien.
M On liiy mit. encore du feu fous luy , qui
âlu y brûla tout le vifagej & on le laiiTa là
S'pendant qu’on commença à tourmenter Ion
É camarade , qui apres avoir eRé eftrapadé ,
Jî fut fufpendu par les parties que la pudeur
il défend de nommer,lefquelles luy furent prêt-
üi que arrachées, & on le jetta dans un foifé .•
ai on le perça de pluiieurs coups d’ép ée, en
ic ibrte qu’on le laiÎTa pour morc,quoy qu'il ne
le fuit pas ; car quinze jours après on eut
nouvelle par quelques pi ifonniers,qifon l’a-
voit trouvé , qu’on l’avoit fait confeiTer, 5c
en ibite penfer,& qu’on efperoic qu'il revien-
droit de toutes fes play es , quoy que les
coups d’épée perçaiTent au travers du corps.
Pour le Portugais, ils le chargèrent fur un
cheval, l’emmenerent à GiWratar , & le mi
rent dans la grande Bglife , qui fervoit de
prifon, feparé des autres prilbnniers, lié à un
pillier de l’Eglife, fans luy donner à manger
ny à boire que ce qu’il luy falloir pour l’ena-
pefeher de mourir. Après avoir fouffert huit
jours ce martyre , il avoua qu’il avoir mille
écus dans un gevre qu'il avoit enfoüys dans
terre; & dit qu’il les donneroie, & qu'on le
lailfaft aller.
Un autre Efclave acenfa auiE fon Maiftre
d’avoir bien de l’argent ; parce qu'il Tavoit
maltraité , il trouva ce moyen de s’en ven
ger. On donna une gene cruelle à cet hom-
1 m e; fl bien que tous les priionniers Efpa-
i gnols,gcns de bonne foyjdirent que cec hom-
i , me
I5 l H I S T O I R E
n
tne n’nvoit pas de grands biens. Sc qu’appa«
r! reininent fon Efclave avoit dit cela par quel
que reiTentimcnt. C eft pourqnoy Mor^ati>
luy voulut faire juÎHce,& luy permit de faire
Infticc de fon Efclave ce qu’il voudroic .* mais par
ti que fait civilité dit qii*il ièroit fatisfait de la puni-
Morgan plairoit d’ordonner. Morgan le
clave qui “ t nacher tout vit par morceaux en la pre-
avoit tra- fence j ce quifatisfitl’Efpagnol , quoy qifiÎ
hi Ton fuf^ fort mal traité , & en dan2;er d’eilre
cftropié.
Morgan ayant paifé quinze jours hors de
Gilbratar â courir les bois,& à piller par tour,
il revint à cette Ville avec beaucoup de pii-'
t■ îage & de prifonniers , qu’il contraignit de
payer leur rançon. Pour les belles femmes ,
il ne leur demanda rien , parce qu’elles a-
voient dequoy payer fins diminuer leurs ri-^
cheTes. Pendant qu*il fut abfent, ceux qu'il
avqit envoyez à la Riviere dont j’ay parlé ,
t; revinrent apres avoir pris le navire Sc les
trois Barques chargées d'Efpagnols fugitifs,
-'ll avec leur argeat & leurs hardes. Morgan
avoit fejourné cinq femaines en ce pais en
le rava_geant plus de quinze lieues aux envi
rons,, fans avoir perdu un feul homme ; Sc
Lâcheté’ fans doute c’eftoit bien la faute des Efpa-
gnolsj car s'ils avoient eile refoins, ils pou-
^ voient avec cent hommes défaire tous les
partis que Morgan envoyoit dehors • parce
que les Avanturiers voyant les Efpagnols
ainiî épouvantez, ne craignoient rien, Sc ne
I / fe tenoient non plus fur leurs gardes, que
s'ils avoient eilé chez eux. D’ailleurs ils paf-
foient quelquefois par des défilez où dix
hom-!
t ■
P^
D ES A V ANTtJRIERS.
EHÎîommes retranchez en aurpienc pû défaire
di deiix cens fans en perdre un ièul iàns
iqu’il puft échaper aucun des ennemis •• ce
Î pendant ils furent aiTez lâches pour ne le
O point faire.
Morgan eiVoit preit à partir , quand un
n prifonnier de nouveau confeÎTa dans les
K tourmens, qu*il fcavoic bien où eiloit le Gou- b
verneiir retranché avec du monde, & avec :h
3 beaucoup d'argent. Morgan y envoya au
jf. mefme temps un party de deux cens hom-
if m e s , lequel fut huit jours dehors , & revint
JÍ fans avoir rien fait,aprés avoir eilé fort mal
il traité par une pluye qui fit débordertelle-
c ment les Rivieres,que les Avanturicrs eftant
iJ: dans un pais marécageux 3c inondé, pen-
é ferenteftre noyez, 3c perdirent leurs armes :
rr quelques-uns mefme furent entraifnez par
»les eaux; fi bien qu'ils revinrent en mauvais rPiÎjl
»itécat, 3c mal fatistaits de leur voyage:deforte
ijque files Efpagnols fuiTenc furvenus avec
iîeu rs lances feulement ils lesauroient tous
► I défaits avec facilité.
[ , Après cinq femaines de fejonr en ce lieu ,
a le pillage commença à diminuer , 3c auiTi les
ïij vivres, car ce pais n*en a pas beaucoup j la
Qviande vient de Marecaye , qui reçoit de ce
q pays toutes fortes de fruits. C'eft pour cette
?" raiion que nos Avanturicrs refolurent de re-
); tourner à Marecayej afin de forcir du Lac , 3C ■f
de repaifer à la Jamaïque. Cependant Mor
gan fit embarquer tout fon pillage,3c dit aux
habicans de Gilbratar qu*ils euffent à payer
rançon pour le Bourg, autrement qu’il al-
)| Joicle brûler^ comme l'Olonois avoic fait.
Tout
'll
^4 h i s t o i r e
Tout ce Bour" eftoit rebâti de neuf; c*eft
pourquoy les Eipac;nols ne voulant pas le
.i ; l-iiiTer brûler une fécondé fois , offrirent à
Morgan d*aller chercher la rançon qu*il de-
maiidoit» pourvu qu’il leur vouluft donner
du temps. Il leur accorda huit jours, après
lefquels ils dévoient le venir trouver à Mare^
ca y t , où il alloit, & à cette fin il prit les prin
cipaux en oftage , & fit voile pour cette lile»
où il arriva trois jours après.
V
C hap I T R E VI.
■ i
DES A V A N T U R I E R S 'ê^
*arrefter les Avanturiers , & de les paiTer
| tous au fil de l*épee.
^ Morgan 8c fes gens crurent qu’on leur fai*
I foie le mal plus grand qu’il n’etoit • mais
» pour en avoir la certitude , il envoya un pe-
3 titvaiiTeau de fa Flotte à l’embouchure du .
K Lac , afin de découvrir ce que c’eftoit; 8c on
fï luy rapporta que cette nouvelle n’eftoit que
) trop vraye , car il vit les trois Frégates en 'TroisFrc.
fi parage avec tous leurs pavillons, pavoys , |o?cFEli
> 8 c le canon aux labots,le grand pavillon ar- pagne *
boré fur la Redoute , fur laquelle > aufli bien viennent
quefurles trois vaiiTeaux , paroiiToit beau-
xoup de monde.
Cela mit Morgan & tousles iiens fort en
peine , car ils n'ignoroient pas que quand
les Efpagnols font les maîtres, ils ne pardon
nent gueres,8c d’autant moins qu’ils ne pou
rvoient oublier les cruautez qu'on avoit ex
ercées envers leurs compatriotes.
On tint confeil, Sc on refblut de demander
toujours la rançon de la Ville de Uarecaye »
8 c quand ce viendroit à paiTer à la Barre , on
pourroit capituler. A cet effet on envoya
deux Efpagnols , à qui on dit qu’il falloic
vingt mille écus pour la rançon de la Ville ,
ou qu'on la brûleroit, fans que les navires
qui eftoient à la Barre en puffent empefeher;
parce que s’ils vouloient l’entreprendre ,
Morgan feroit paffer au fil de l’épée tous
ceux qu’il avoit entre fes mains.
Cela effraya de telle forte ceux qu’on avoit
retenus , qui eftoient tous confideiables ,
qu’ils donnèrent ordre aux Envoyez pour la
rançon, de prier ceux qui eftoient â la Baroe
de
é€ H I S T O I R E
de lailTer pafTcr Morgan & tous les fiens $
qa'autrcinent ils eftoient en danger de per
dre la vie aufli bien que la liberté. Deux
jours apres ces Envoyez retournèrent, 6c
- rapportèrent une Lettre de Dom Alonfe pour
i,
Morgan, qui eftoïc conccue en ces termes.
L ettre 5c Alliez. é>‘*nos Voifins m'aya.nt donné avis
! 'I étrange que vom aviez, eu la hardiejfe, nonohfiant la paix
prefent
q u ’on en.
^ la forte amitié qui efi entre le Roy d*Angle
voye à terre (3 ^ fa Majeflé Catholique le Roy d’Efpagne
•f. M organ. mon Maiflre^ d'entrer dans le Lac de Marecaye ,
pour y faire des hoftilitez. ^piller fes Sujets ,^en fih
les rançonner ; j'ay cru qu^il efioit de mon devoir
de venir au plâtofi poury remedier. C'eft pourquoy
je me fuis emparé d'aune Redoute a Montrée du
Lac , que vou4 aviez, prife fur des gens laches ^
^jfeminez j ^ Vayant remife en état de défenfe ,
je pretensy avec les navires que j*ay icy ^votis faire
rentrer en vous mefme ^ ^ v o u s punir de vojtre
témérité. Cependant fi vous voulez rendre tout ce
que votes avez pris, l*or, Vargent , les joyaux , les
prifonnisrs éa les efclaves , toutes les marchan-
difes, je vom laifferay pajfer pour retourner dans
vofire pays : mais fl voiis refufez la vie que ja
•vous donne,^ que je ne devrais pas vous donner ,
je monteray jufqu'ohvous efies, ^ vous feray
tous pajfer au fil de l'épée. Voilà ma derniere re-
folution, voyez ce que vous avez à faire, n'irritez
pas ma patience , abufant de ma bonté , carj'ay de
vaiîlans Soldats , qui ne refpirent qu'à Je venger
des cruautez que voui faites tous les jours injufie-
tnentrefientir à la Nation Efpagnole,
Du Navire nom m é >a Madelaine, moüiMé à l’em
bouchure du Lac de Marecaye,le 2 4 . Avril i66c,
D. A l o n s b D £L C a m p o d’Espinosa.
Ou-
^ft';l
D E S A V A N T U R IE R s, ey
Outre rela ,D om Alonfe avok donné or
dre au porteur de fa L ettre, de prefenter de
fa part à Morgan un grand baffin plein de
boulets de canon, Sc de Iny dire que c’eilroic i I»
la lamonnoye donc on payeroit la rançon
qu il pretendoit » Sc que clans peu Iiiy-inefintî
viendroit en periortne la payer de cette mon*
noyé.
AufTi toil Morgan aiTembla tout lem ona
de , fit lire publiquement là Lettre en An-
glqis » Sc apres en François, Sc en demanda
avis. Tous repondirent qu’il ne falloir pas
s etonner de ^ s menaces EfpagnoIeSjSc queRcfolu-
pour eux ils eftoient refblus de ie battre jui-cion des
qu’a l’extremité , plûtoil: que de rendre c e Avamu-
qu’ils avoient pris.
Un Anglois de la troupe dit à Morgan,que
luy douzième le faifoitfort de faire périr le
plus grand navire, qu’on croyoit au moins
de quarante-huit pieces de canon, â l’appa
rence qu’il avoir j & toutefois le plus o^rand
Batiment de nos Avanturiers n’eftoit monté
que de quatorze pieces. Neanmoins Mor
gan voulut voir s’il ne pourroit point com-
pofer avec les Eipagnols ; Sc pour ce ilijet il
envoya un Efpagnol a Dom Alonie avec les
propofitions fiiivantcs.
Qii il quitteroit Marecaye fans y faire aii-
cun t o r t , Sc fans demander rançon; qu’il
rendroit tous les prilbnniers avec la moitié
des eiclaves , (ans en rien prétendre.
Qiie la rançon de Gilhratar n^eiliant pas
encore payee,il rendroit les oftages fans ran-»
çon ny pour le Boiug , ny pour eux.
Dom Alonfe^bien loin d’accorder ces pro-'
Tome l î . D pofitions. C
ï
’^ 9 H I s T O I E
i\
pofitions 5ne voulut pas feulement les voîrJ
Valors Morgan i5c fes gens s’obftinerent, ÔC
Hecerminerent de le tien défendre, afin de
conferver leur pillage »quoy qifü n*y euft
f ^ guercs d*apparence, parce que les forces Ef-
pagnoles eiVoient fans comparaifon plus
grandes que les leurs,& qu’ils ne pouvoient
àucuncmenr échaper» le paiTage eftant étroit
. , 6 c bien gardé.
I: Cet homme qui avoir fait la propofition à
M organ,dont nous avons parlé, la mit en
Stratagê- pratique. J*ay dit qu’on avoir pris un navire
niv; (l'un dans la riviere des Efpines: on en fit un Brû-
Avantu- Jqç ^ Qi^ emplit le fond de feuillages trempez
dans du godron , qu*on trouve en aiTez
grande quantité dans la Ville. Tout le mon
de y travailla d*une telle force, que dans huit
jours il fut p reft, & en état de faire effet,
n’y manquant rien de ce qu*un Brûlot doit
avoir.
Mais afin de tromper les Efpagnols, & de
déguifer ce navire , on y avoir fait des fa-
bors , aufquels on avoir poié plufieurs pie
ces de bois creufes, qui paroiifoient comme
du canon. De plus, on avoir mis fur des bâ
tons des bonnets, pour y faire beaucoup pa-
roiftre de monde. Morgan mefmc fit arborer
fon pavillon d’Amiral fur ce vaiiTeau,afin de
le déguifer davantage. Tous les autres e-
iVoient bien difpofez à fe battre.
Cet Equipage ne dura que huit jours â e-
ftre prepare, au bout dei'quels Morgan def-
çcnJic de Maracaibo à l’entrée du Lagon , 5C
fut moiiiller à la portée du canon des vaif*
fpaux Eipagnols, (jui failbient fanfare, pn-
loiiTanc
[\l\
""■S"
D E S À V A N T Ü RI E H S. ep
roiiTant des Chateaux aiipre's de ceux des A-
vanturiers ,qui ne fembloicnt que de Bar
ques de Pefcheurs. Ils demeurèrent là juf*
ques au lendemain matin. i'
Le plus grand navire Efpagnol eiloîc
moüillé droit au milieu du c a n a l, qui n*elt
pas fort large , ôc les deux autres eftoienc au
deiTous de luy. Ce navire que les Avantu-
riers avoient fart en Brûlot, fut ranger TA- i i
nniral des Efpagnols fans tirer un coup > car "î.
il n*avoit point de canon, L*autre croyant
que c’eftoit unmavire plein de monde qui le lll
venoit aborder , ne voulut pas tirer non plus
qu'il ne fuit prés : cependant le Brûlot l’ac ir"
crocha. , ' ^3 4
i Dom Alonfe s’en apercevant, voulut le
raire detacher > envoya du monde dedans lot.
I
pour couper les m a ts, car les Anglois n’y
mirent le feu que lors qu’il fut bien accroché
& rempli d’Efpagnols. En un moment on vit
ces deux vailfeaux en feu , 3c Dom Alonfe
n*éut que le temps de fe jettera corps perdu
dans fa Chaloupe , de fe fauver à terre.
D’abord que ce vaiiTeau fut cnflamé, ou
courut auxautres,& on en aborda un qu’on
fît bien-toft rendre î & l’autre, qui eftoit le
dernier , coupa virement les cables, 5c fut
emporté par le Courant fous le F o rt, où il
fut confumé ayant qu’on puft eftre à luy ; iî
bien qu’en moins de deux heures il y eut bien
du changement.
Les Àvanturicrs voyant que les Efpag ' Avanm^c
nols avoient du pis , voulurent pouifer leur
fortune , 6c mirent promptement du monde
-à terre pour aller prendre le Fort;mais n’ayant >Jl
D Z point
70 HISTOIRE
point d’ecM les pour refcaladcr, ils trouvè
rent tant de. reiiftance , qu’ils furent con-
I► '■ i
. craints de fe rembarquer , ayant perdu dans
cette occafion plus de trente homrr.es, fans
compter les bleiTez : car ils avoienc pris les
navires làns perdre un feul homme.
On en iauva quelques-uns du grand navi
re, qui eiloient à l’eau, par qui on fceut tou
tes les forces de Dom Alonie. Ils dirent qu’il
eftoic dans le dcffein de tout paÎTer au fil de
Vepée, que pour cela il avoir fait faire fer
ment à les gens, confirme par la Confeifion
. I' & Communion»de né point donner de quar
tier à qui que ce fulh. Ils ajoutèrent que ion
grand navire eiloit monté de trente-huit pie
ces de canon , de douze berges de fonte > 8c
de trois cent cinquante hommes; que le deu
xième navire , nommé le Saint Loiiis, e.fioic
monté de vinge-fix pieces de canon » de huit
berges de fonce , 5c de deux cens hommes :
le troifiéme ,*qui fe nommoit la Marquife ,
avoir quatorze pieces de canon, huit berges
de fonte , 5c cent cinquante hommes.Ce na
vire fe nommoit laMarquiic , à caufe que le
Vai/Teau Marquis de Coaquin l’avoit fait bâtir pour
foarquoy courfe , fes armes citoient derrie«
Coa^quiu. Efpagnols f avoient acheté des Ma«
louins à Cadis*Ce fut celuy-là que les Avan-
turiers prirent. Le Saint Louis fut brûlé par
les Efpagnols mefines, qui avoientpeur que
les Avanturiers ne le priilcut aufiî.
Outre tout cela, ils firent entendre qu*il
ionn£ y avoit quatre-vingts hommes dans le Fort,
tioni’.entà avec quacorzc pieces de canon • que Dom
Aionic citoic Contre-Amiral d'une Efcadre
DES A V A N T U R I E K S . 7ï
que le Roy d*Efpa?;ne avoic envoyée dans
les Indes» dont AuguiVin de Gofto eftoit
C hef J lequel ayant ordonné à ce premier de
venir croiier le lon^ de la cofte , avoir ren
contré un petit Batiment Hollandois venant
de Curaçao , qui luy avoir appris que Mor
gan eftoit entré dans la Baye de Marecaiho, Sc
qu’auiïi toft il avoic mandé du fecours .• 6c
enfin ces mefmes prifonniers dirent qiril y
avoir trente*iîx mille écus dans le grand na
vire.
Morgan iè voyant ainiî vic5torieuxj retour Morgarj
na avec toute Îa Flotte à M arecaye , & laiifa
nn petit VaiÎTeau à l’embouchure du Lagon» rienx CVî
obfervi r
pourobferver ce que feroicDom Alonfe, 5 c l’e n n e tri,
pour garder le fond du grand Navire qui é- g a rd ti
toit échoué , où on efperoit faire pefcher cet un Vaif-
feau c-
argent que les prifonniers avoieut dit eftre choüé 5c
dedans , & en effet on y plongea , & on tira plein
bien deux mille livres d^’a rg e n t, tant en vaif- d ’argent,
felle qu'en piafties,qui écoit à demie fondue,
6 c demeurée en gros morceaux.
Morgan étant arrivé à Marecaye envoya
iour la rançon de la Ville, 6c dit que ü on ne
Î a luy apportoit dans huit jours , il la bruile-
roic- outre cela il demanda cinq cent Vaches
pour fa Flotte , que les Efpagnols amenèrent
dans deux jours , 8c payèrent la rançon delà
Ville , dans le temps que Morgan leur avoit
preferit.
On tua ces Vaches 6c on en fala la viande,
qui tut embarquée pour la provifion des
Vaiffeaux , qu'on racommoda , ce qui dura
encore quinze jours, que les Efpagnols trou-*
Verenc bien ennuyeux. Après Morgan def»
D 3 cendic
7i H I S T Q I KE
Morgan pour fortir du Lac-quand il fut proche
il-nroiderde Dom Alonfe, il envoya un Eipagnol luy^
f afifage. demander paÎTage, offrant de rendre les pri-
ibnniers fans’leur faire aucun mal^finon qu’il
paÎTeroit malgré luy , mais qu’aufli il atta-
cberoit tous les prifonniers aux cordages de
fes Vaiifeaux» les expoferoic à leurs coups,&
qu'écanr paifé , ceux qui n’auroient pas efté
tuez aillesferoittons jettera Leau.
Nonobftant cela, Dom Aloniè refufa pal^
' I
fage, difant qu’il ne fc foucioir point des pri-
I •
fbnniers. Morgan de Ton cofté ne voulut
point rifquer cîe monde pour prendre cc
F o rt, & refolut plûtoft de paifer par quel
I
que ftratagême.
Cependant il falut partager le butin » o a
r, trouva que le contant^tant en argent rompu»
qu’autres joyauximontoit â 2 ^o.piaftres,fans
y comprendre les Marchandifes de toiles §C
les étoffes de ioye. On fit, avant de partager j
les ceremonies ordinaires , c*eft à dire le fer
ment de fidelité qu’on n’avoit rien retenu^
Morgan commença le premier , & fut fuivi
de tous les autres.Huit jours fe paiTerent dans
ce partage, que Dom Alonfe voyoit de fort
Fort avec bien du dépit.
}A^roan Aprés tout cda il fut queftion de fortir,&
Il :■ rour%f pour en venir à bout on fe ièrvit de cette ru
ler. fe.On fit de grands préparatifs pour l’attaque
I •' I
du Fort,comme fi on Teuft voulu prendre>6c
Ton mit un bon nombre d’Avanturiers choi-
I ! '■ . fis avec leurs armes & leurs drapeaux dans
I nr.i des Canots, qui defcendirenc à terre ; AiiiTi-
toft qu’ils furent à couvert des arbres, fans
que ceux du Fort piuTcnclesappercevoir, ils
ie
hI
DES A V A N T U R I E R S . yi
fe couchèrent à bas, 8c revinrent prefque en
rampant à leur bord.
Dom Alonfe voyant cela, ju<>ea que les
'Avanturiers vouloienc tenter encore une fois
la priiè du Fort ; 8c pour Tempefeher il fit
mettre la plus grande partie de Ton canon
iiir la redoute du coilré de terre. ^ Cependant
les Avanturiers avoient préparé leurs Vaif-
ieaux pour paiTer la nuit au clau* de la Lune»
Ils eftoient tous couchez fur le tillac>8c quel*
ques-uns eftoient deftinez en bas pour bou
cher les ouvertures qui pourroient eftre fai«
tes par les boulets de canon. De cette manié
ré les Avanturiers paiïerent malgré Dom A-
lonie,qui en fut au defeipoir .• car il croyoit
en prendre quelqu’un à qui il aurait fait
payer bien cher la perte qu’il avoit faite.
Les Avanturiers eftant ainiî paÎTez,mirent Prifoit.
tous les prifonniers dans une Barque qu*i!sen-
voyerent à Dom Alonfe fans leur faire aucun
m a l, 8c eux prirent la route pour foj’tir de la'
Baye de Venezuela » ou Marecaye , où ils l*a-
voient échapé belle. Le mefme jour les A-
vanturiers furent furpris d*un mauvais temps,
6 c avoient le vent contraire ; leurs vaiÎTeaux
ne valoient pas grand chofe. en forte qu’on
avoit peine à les tenir fur Teau, 8c qu’ils fu
rent tous en danger de périr. Malheureufc-
ment pour moy je me rencontray dans uiv
des pires.
Jeiùisfcurqu’ily en a beaucoup qui font-
des vœux au Ciel,qui nefe font janrnis trou
vez dans une peine égalé à la noftre , nous
avions perdu nos ancres 8c nos voiles, 8c le
vent eftoit fi furieux, qu*il ne nous permet-
D 4 toit
•74 H IS T O IR E
Fxtrême toit pas d’en mettre d'autres. II faloit fané
desiv*^an. vuider Tean avec des pompes , & fe fer-
tuiiers, vir encore de fceaux pour la jetcer hors du
Navire qui feièroit ouvert,fi nous nel*avions
fortement lié avec des cordes. Cependant le*
tonnerre & les values nous incominodoient
egalement Le tonnerre nous aiTourdiifbit par
lés éclats redoublez , les vagues nous rom-
poienc par leur extrême violence. II nous e*
toit impoiTible de dormir durant la n u it, à
caufe de l’incertitude de noftre deitinée,en
core moins durant le jour.
• En effet, bien que nous fuiTions accablez
de travail 6c d'affonpiffement, 6c nous ne
pouvions nous reibudre â fermer les yeux à
la clarté,que nous étions liir le point de per
dre pour jamais ; car enfin il ne nous reiloic
aucune eipcrance de iàlut. Cette tempefte
duroit depuis quatre jours,6c il n'y avoir au
cune apparence qu»elle duft finir. D*un cofté
nous ne voyons que des rochers, où nos
Vaiffeaux eiloienc prefts de périr â toute
heure; de l’autre nous avions les Indiensjef-
quels ne nous auroientpas plus épargné que
lesEfpagnols qui effoient derrière nous ; 6ç
par malheur le vent nous pouffoic fans ceA
fe, 6c contre ces rochers, 6c vers les Indiens,
6 c venoit de l’endroit où nous voulions aller.'
Pour comble de diigraces , nous apperç li
mes fix grands Navires au ibrtir de la
de Ve7iez.ueU que nous avions quittée . fi-toifc
que le mauvais temps eut ceffé. Ces Navires
nous allarmerenc terriblcment»fans toutefois
nous faire perdre l'envie de nous bien det-
fendre , remarquant que Monfieur d’Eitre?,
Î : il: qui
I■
f if
~xi
DES AVAîiTURIERS. 7^
qui les commandoit nous faifoic donner la
chaiTe. Mais lors que nous redoutions ia va- Monfîeuc
leur , nous éprouvâmes fa bonté j car s’étant d ’Efteez,
informé de nos beibins , il nous iecourut^e-
hereufement. Après cela chacun tira de ibii
cofté ; Morgan avec pluiîeurs des iiens à la
Jam aïque ^ 6c nous à la coite de Saint Do-
mi ngue.
C h a p i t r e V II.
Arrivée de Morgan à Efpagnoîe ^ avec fa
Vîotte, Defcente en terre ferme,
" C H A P t T R E Y I I I.
trife de la Riviere de la Hache par les gens
fî . ■de Morgan,
I‘i
E s quatre Navires que Morgan avoîii
- détachez arrivèrent à 1^ veue de la Ri
viere de la Hache jours après leur départ
fiff] de Mile Efpagnole, où ils furent pris de cal
m e;
fi')' 1»:
I * '1«
I
DES AVANTURIEHS.
me î ce qui les fît découvrir par les Efpag"
nols 5qui ie mirent auiTi'toft en défence ,
voyant bien que ces quatre Navires avoient
quelque deiTein^qui ne leur pouvoir eftre que
tres-prejudiciableîii bien qu’une partie d’eux
travaillèrent d’une grande force à faire des
retranchemens, afin d’empefcher les Avan-<
turiers de fc mettre à terre j pendant qu’une
autre eftoit occupée à cacher leurs biens
pour ne rien laiiTer dans le Bourg.-
Ce calme dura jufqu’au foir,qui empefcha
les Avanturiers d’approcher. Dans ce temps
il vint un petit vent de terre,dontun Navire
qui eftoit là mouillé prit l’occafion d’écha-
per, mais comme il n’eftoit pas fi bon voilier
qu’eux , il le devancèrent, 6c l’obligerentà
fe rendre. Ce Navire leur vint fort à propos^
car il eftoit chargé.de Mais pour Cartagene,
& fut reconnu par quelques François r.c^e-
ftoit celuy que l’Olonois avoir pris chargé
de Cacao , 8c que Monfieur Ogeron avoie
envoyé en France avec fa charge, 6c après
Ibn retour l’avoit donné à un Avanturier
nommé le Capitaine Cham pa^e^qui fut pris
parles Efpagnols, qui depuis l’avoientvendu
à ce mefme Capitaine Marchand qui lemo’ti-
toit alors. Il dit que c’eftoit le ciouziefme pertecon^
Navire que les Avanturiers, tant François, c^erabie ^
qiVAnglois luy avoient pris dans l’efpace de
cinq années , 6c quenonobftant toutes ces '
pertes il avoit encore gagné cinq cens mille
écus. On peut juger par la s’il y a des gens
riches dans r Amérique. ‘
■ Après que nos Avanturiers fe furent faifis
de ce N avire, ils vinrent mouiller devant la
Rivière
HISTOIRE
tifri^rs^”* Kiviere de la HAche, vis à vis da Bourp^ de la
defcen- ^^»cheria, OUils efperoientle lendemain ma-
dent à tin defcendre à terre , ce qu*ils firent dés la
terre & pointe du jOLir. Les Eipa^nols n*oublierenc
tem les' empefcher , s’eftant retranchez
Eipagnols ^ti bord de la mer / mais malgré tons leurs
:
efforts,les Avanturiers â la faveur de leur ca
non mirent leur monde à terre,& obligèrent
■ IP les Efpagnols â fe retirer au Bourg, où ils é-
toient auifi bien fortifiez , & dans la refolu-
tion de leur en deifendre l’entrée.
Les deux parties s’opiniâtrèrent tellement,’
que le combat dura depuis dix heures du ma
tin jurques au foir, où à la fin les Efpagnols
ayant perdu beaucoup de m onde, furent o-
bligezde fe retirer, & de prendre la fuite.
Les Avanturiers eifant entrez dans le Bourg,
è c n’y trouvant que les maifonsr vuides , fans
perdre de temps pourfuivirent les Efpagnols,
où ils en firent une partie de pi ifonniers , à
qui dés le lendemain ils donnèrent la gêne
cruellem ent, pour leur faire dire où eiloit
leur bien^aprés ils furent en party,où ils pre-
noient tous les jours de nouveaux prifonniers,
plufieurs Efclaves & quantité de pillage.Les
Lfpagnols pour fe garantir de ces violences;
firent des barricades par les chemins , où ils
le mirent en embufeade pour fe défendre, Sc
faire autant de mal aux Avanturiers qu’ils en
îccevoient, & enfin les obliger â fe retirer.
Apres qu’ils eurent demeuré dans ce Bourg
un mois, Ôc ne trouvant plus rien â prendreT
le Capitaine Bradclet Anglois leur Comman
dant refolut d ép artir, & fît avertir les Es
pagnols de fonger a payer rançon pour leuç
I' Bourg,
‘7r-
, D E S A V A H T TTR IE ^ S. ^ "
ÎSourj^ 3 iinon qu’il le brûleroit ; ils reeurenC
cette propoiition fort froidem ent, & lar re-
jetterent meiiue avec mépris : mais lors
qu*i!s le virent preft à l’executer, ils deman-
ûerent à compofer * les Avanturiers qui ve-
noient là plûtoft pour avoir des vivres que
du butin » leur prefcrivirent de donner une
certaine quantité de M ais, qui avec celuy
qu*ils avoient déjà pris pouvoir iuffîre pour
toute la Flotte.
On s*eft npperceu, fans doute »que je fuis
tombé dans quelques redites au iùjet des A-
vanturiers 3 & cela parce qu*ils font ibuvent ^ *
les mefmes chofes, ce qui peut-eftre ne ferâ
pas a^reabîe ^ mais bon doit faire reflexion
qu’il ne faut pas qu’un Hiilorien craigne tant
d’eilre ennuyeux, qu’il ne ionge encore da
vantage Z eilre fideîe .■C’efl: à quoy je me
fuis appliqué dans cette Relation , qu ejere-
t prends pour dire » que Morgan étonne que
ces quatre Vaifleaux tardoient Along temps
â venir , nefçavoit queibupçonner.TantoÎt
il s’imaginoic qu’ayant fait un grand butin,
ils s*en feroient retournez à la Jam aïque,
tantofl: il craignoit qu’ils n’euiTent efté bat
tus 3 à caufe que le lieu où ils eftoient allezV^erplcxiff
pouvoir facilement eftre fecouru de Cartage^.
ne & de Sainte Marthe, ® i i
i
is H I ST O I R Ë
flottes de conièquence.Tout eftant ainiî or
donné , Morgan commanda qu*on fe tinft
preft àlever l’ancre , & au premier fignaLde
mettre à la voile*
C h a p i t r e I X.
H I S T O I R E
croyant que cette pluye ne dureroit point j
comme il arrive quelquefois en ce pais, ils ne
: - f l l iî ibn2;erent pas plus loin. Cependant elle dura
plus quele feu, car elle ne ceiTa qu’au Jende-
;Í iTiain midy; ce qui incommoda beaucoup nos
Avantiiriers,qui n’avoient qu’un caneçonSc
une chemife pour tous vêtemens, & les nuits
font là pour le moins de douze heures ; de
forte qu’elle leur parut fort longue à paÎTer.
Ajoutez à cela le perii oîi ils eftoient,puiÎI
que fl cent Efpai^nols fuiTent venus fondre ; 1
fur eux le labre à la main,ils les auroient tous
de'fairs, ne pouvant s’aider de leurs armes,
qui eftoient toutes mouillées , & eux touf
tranfis de froid.Ils fe tenoient debout les uns
contre les autres pour s’échauffer , car pour
fe coucher, il leur eiloit impofl'ible où ils e* ^ f-
fto ie n t, ayant de l’eau jufqu’à myjambe. t j
Ainfi ils fe voyoient prciTez de la fiim, in- ÎJ*
ondez de la pluye , accablez de laiTitude,
parmy tous ces maux fans aucun foulage- r
ment. En cet état ils fe croyoient plus mifera- î
blés que s’ils avoient eilé environnez de
leurs ennemis , avec lefquelsils auroient p u '
com battre, vaincre, ou mourir glorieufe-
ment.
A la pointe du Jour les Efpagnols com
mencèrent à battre la Diane , & à faire une
^décharge de canon de de moufquets.Nos A- In
vanturiers n’en purent faire autant» car leurs
Tambours eftoient mouillez auiïi bien que
îeurs arm es, qu’ils nepouvoient recharger,
a caufe de la pluye qui comboit d’une telle
force , qu’on voyoit destorrens fe précipiter
des montagnes ; en forte qu’ils ne fcavoi^nc
où
à
Drs AVANTURIERS: 9^
èù Fuïr, & que Teau inondant de toutes
parts >leur fermait le paiTage pour retourner
aleurs vaiiTeaux.
Sur le Midy le Soleil commença à paroi-
'i ftre» & la pluye à cefTer* Alors Morgan en
voya quatre hommes avec un pavillon blanc
dans un Canot au Fort des Efpagnols , pour
les Îbrnmer'de rendre fifle , & leur dire que
îj s*ils faiibient reiîftance,il mectroic tout â feu
I & à iàng. Auiïi-toft le Gouverneur envoya le
I Major de rifle,& un Alferez»pour capituler a- meViT**
^ vec Morgan » & voir de quelle maniéré ils Ma/or de
4 pourroient'rendre le Fort fans que le Roi d'Ef- i’ifle.Ce
pagne, 6c les Gouverneurs Generaux,dont ils
dependoient, les puiTent acculer de lâcheté*
^ ' Ce Major 6c l’Alferez repreiènterent à
Morgan qu*ils cftoient bien dans Tintention'
de rendre r i f l e , mais que comme il y ailoit
H' de la tefte» il luy pluft voir de quelle rule on
1ftï
1
ît iè fetviroit,afin que peribnnc ne fufl: en dan-
!îi ger de perdre ny la vie, hy fhonneur. Mor-
^ gan les écouta volontiers, 6c leur demanda
ii quel expedient ils avoient pour cela. Ils ré-
^ pondirent» qu^’il falloit que iès gens vinflènt
ii iniulter le Fort S. Jerome , qui eftoit au bouc
du pont, 6c qui feparé la petite Îfle d'avec la
T'grande» 6c que cependant il envoyait du
,! ’m onde dans un Canot pour les venir atta-
>quer par derrière ; que dans ce moment le
1 Gouverneur en fortiroit pour aller au grand
Fort »5c qu'ainiî on le prendroit prifonnier ,
ce qui faciliteitoic la priie des autrés Forrsj 8c
qüe dans ce temps o'n ne cefferoit point de
tirer de part 6c d*autre » fans toutefois tuer
perlonne« - . ,
iTçme I I , ,E Morgan
H I S T O I R E
Morgan confentic à to u t, & on attendît
quelefoir fuft venu pour execiuer ce que ^
l’on avoir concerté, afin de mieux couvrir
l’affaire.
La nuit eftant venue, on commença a
marcher au lieu & en la^maniere dont on e-
Incidens ftoit convenu. Neanmoins Morgan qui ne fe
dc la prife fioit pas tout à fait â la parole des Efpa^nols,
d c H f le commanda à tous fes gens de charger a bal
de Sainte
Cached* les , & en cas qu’aucun d’eux fuft bleffé , de ;
ne. ne point tirer en l’air,mais tout de bon. Tou- •
tefois ils ne furent pas en cette peine, car les
Efpagnols montrèrent fi bien leur adreffe a
tirer fans bleffer perfonne , que Morgan ny ■
(es gens n’eurent aucun fujet de s’en plain- -ç
dre : il fembloit que c’eftoit une Comedie,de
voir tirer de toutes parts >8c des Fortereffesj.
fe rendre fans aucuns morts ny bleffez.
Auffi-toft que les Avanturiers furent lesK
maiftres de cette Ifle 8c de toutes fes Forte->
reiTes, 8 c qu’ils eurent enfermé tous les habi-f
tans dans le grand Fort de Sainte Therefe , la ^.
Comedie fcéne changea , 8c la comedie devint trage-?i
changée die pour les pauvres animaux , comme Pou
en trage*
die. les , Veaux 8c Vaches .• chacun tuoit tout ce à
qui s’offroit à luy : on ne voyoit que feux du.^
Hi rant la nuit dans l’étendue de Tlile ; il n’j^
voit perlbnne parmy eux qui ne fift rôtir
quelque chofe, les uns des Poules,les autres
des Moutons,enfin tous faifoient bonne che-
re , 8c avec grand appétit, car ils avoienC
cfté vingt-quatre heures fans m anger, 8c
s’ils euffent eu du vin , rien n’auroit manque
à leur fatisfadtion- mais ils furent contraint
de boire de l’eau ; 8c comme ils n’avoieot
.point
'1
DES AVANTÜRIERS.
point de bois, & qu'ils n’en pouvoient trou
v er, à caufe de robfcuriré de la n u it, ils a-
barroient les maifons, pour faire du feu de la
charpente.
Le lendemain au matin on élargit tous les Denom.
prifonniers , quefon compta, qui fe trouvè breineiit
des pti-
rent au nombre de quatre cens cinquante; fonniets
icavoir cent quatre-vingts-dix hommes dè & des
garnifon , dont quarante eitoient mariez, & FortereC
avoient quarante-trois en fans j trente-un Ef- le LsdeTli.
claves du Roy , avec huitenfans,& huit Ban- te CdeSaiu-
ath e
dis releguez ; trente-neuf Efclaves apparte- rine»
îians aux particuliers, avec vingt-deux en-
fans ; vingt-iept Noirs libres , avec douze
en fans. On laiiTa tous les hommes & les en-
fans libres fur l’Iile , afin qu*ils cherchaiTenc
leur vie ; & on enferma les femmes dansl'E-
glife, de peur de defordre , où Ton eut foin
de les nourrir & de les garder. Pour cela les
Avanturiers montoient tous les jours la gar
de , comme on fait â I*armée.
Apres on vifita toutes les FortereÎTes,& on
en trouva dix iur cette lile , qui peut avoir
une lienë & demie de tour. La premiere,qui
eftoit au bout du Port qui fait la feparation
des deux liles, & qui s’appelloit le Fort Saint
Bierôme^ eftoit proprement une batterie en
tourée de murailles, dont le parapet avoic
cinq pieds,le glacis une demie toife de large.
Tout ce Fort pouvoir eftre de fix toifes de
long , & de quatre de large. II y avoit huit
pièces de canon de fer tirant douze . huit &
fix livres de balle, avec un corps de garde
pour loger cinquante hommes.
La ièconde eftoit une batterie couverte de
£ * ga-
>4 HISTOIRE
■ ' :ti'
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t». \ 7
' r; *:i *»
nUyi
DES A V A N T U R I E R S ;
' U Conception , eftoit une’batterie comme dei^
tx s, qui avoit deux pieces de canon tirant
! huit livres de balle.
La iixiéme >nommée h Plate-forme de Ni?-
' ftre-Damer de la Guade Loupe^ eftoit une batte-
i rie montée de deux pieces de canon tirant
1 douze livres de balle.
Lafeptiém e, nommée lu Plate-forme de S,
V Sauveury eftoit montée de deux pieces de ca^
i non tirant huit livres de balle.
La huiriémemommée la Plate-forme des
)i noniers , eftoit montée de deux pieces de ca-
•i non tirant huit livres de balle.
La neuvième , nommée la Plate-forme dt
t Sainte Croixy eftoit montée de trois pieces de
Q canon , tirant fix livres de balle.
La dixiéme , nommée le Port de S, lofeph ,
? eftoit une Redoute où il y avoit fix pieces de
- canon tirant huit 8c douze livres de balle*
> Outre cela il y avoit deux Orgues chacun de
b dix canons de moufquet. Il faut remarquer
P que tout le canon qifon trouva fur ces liles
é eftoit de fe r, hormis trois ou quatre pieces
l de fonte,quieftoient fur le Fort de Sainte
I Therefe,
^On trouva encore outre cela un magazin
3 où il y avoit trente mille livres de poudre à
canon 8c à mou(quet»avec beaucoup de mè
ches & degrenades.On embarqua toutes ces
munitions de guerre fur les vaiiTeaux , 8c on
démolit toutes les batteries, jettant le canon . i,
par terre , qu’on encloüa, 8c rompant tons
les affûts que Ton brûla. Les Forts de S.Hie-
rome Sc de Sainte Therefe furent refervez «
8 c Ton y faiibit garde.
El Les
H I S T O I R E
Les choies en cct état» Morgan fit deman*
der s*il n"y avoir pas encre les releguez qui e-
Îloientfar cette Ille,quelques Forçats de ter
Morgan re ferme.ll s’en preiènta trois de Panama^c^ui
choiut
trois For eftoit juftement ce que Morgan cherchoit.
çats de De ces trois il y en avoir deux Indiens & un
l'Iflc.pour Mulaftre » que je puis appeller barbare>apres
lefèrvir les cruantez que je Iny ay vu exercer contre
dans une
grande les Eipagnoisjbien qu*il en euft pris naiÎTarr-
«Dtrepri. ce. Morgan interrogea Iny-mefme ces trois
peribnnes •• caril parloit très*bien la Langue
Efpagnole, & leur dit qii« s’ils vouloienr
: I; mener fon armée à Panama , en recompenfe
I 'll il leur donneroit la liberté» & leur part de
l'argent qu’on prendroit, comme aux Cens»
b o u rre cela tout le pillage qu’ils pourroient
amaiTer.
Les Indiens tachèrent â s’exeufer, difant
qu’ils ne fçavoient pas bien le chemin , 8c
que s ’ils le fçavoient, ilsferoient volontiers
ce que Morgan demandoit d’eux. Le Mula
i 1.1 ftre au contraire ibûtint que ces gens eftoient
des menteurs , qu’ils avoient fait plufieurs
i -r. fois ce chemin en leur vie^mais qu’ils ne vou-
loient pas l’enieigner, (bus l’efperance d’e-
ftre recompenfez, s’ils ne l’enfeignoient pas.
' ' I ■‘i Il dit que pour luy n’attendant rien des Ef-
I , •1: 1':^ pagnols que la m o rt, il eftoit preft de iervir
Morgan en toute occaiîon où il en ièroit ca
pable.
I1 On donna la gêne aux deux Indiens, dont
l’un mourut, & l’autre confeÎTa qu’il fçavoit
le chemin,& qu’il meneroit l’armée de Mor
f, gan,lequel aufli-coft commanda quatre vaii^
lèaux ôc une Barque^avec quatre cens hom-
mesji
' ■■[.
I ^
D E S AV A N T UR 1ER s.
mes» pour aller prendre le Fort de Saint Lau-»
rent de Chagre , qui eftoit fur la Riviere de
mefine nom , dans laquelle il falloir que les
Avanturiers entraiTent pour aller à Panama,
Morgan y envoyoit ce petit nombre d e
gens , afin que les Efpagnols nefe défiaÎTenc
pas du grand deÎTein qu’il avoir > & ne fon-
geaÎTent point â fe fortifier,comme ils en ont
la commodité en ce lieu-làj mais qu’ils cruf-
iènt que ces quatre vaiiTeaux s’eftant ren
contrez à cette cofte , vouloient prendre ce
Fort ièulement pour le piller , parce qu’on y
apporte beaucoup de marchandifes de Porpo^
hello, afin de les embarquer pour Panama^vïQ
les pouvant porter par terre.
Huit jours après , Morgan devoir fuivre
ces quatre vaiiTeaux , ayant pour'guide un
Jndien qui avoir efté Soldat dans ce Fort,6c
e n fçavoit toutes les avenues. Pendant cc
temps les Avanturiers arrachoient toutes les
racines de Manioc , dont ils faiibient de la
CaiTave pour leurs vaiiTaux. Ils arrachèrent
auifi les Patates 6c Ignianes j 6c lors qu’ils
eurent tout pris 6c embarqué, Morgan domina
ordre de mettre à la voile, pour aller en terre
ferme. '
C h a p i t r e X.
La prife du Port de S, LaurenU
li * ‘ iil i
DES A V A N T U R I E R S . îoi
commençoient à lâcher pied, & à fe deman
der les uns aux autres ce qu’ils dévoient fai
re ; une partie même s’eftoic déjà retirée » le
Commandant avoit les deux jambes caiTées
d’un coup de canon. Mais lorfque les Fran
çois parloient enfemble du mauvais fuccés de
cette entreprife ; une flèche vint tout à coup
percer l’oreille & l’épaule à l’un d*eux , qui
l’arracha fur le champ de fa playe avec une
fermeté admirable,dijfànt à ceux qui eftoient
prés de luy , Attendez ^mes freres , j e m'en vais Accident
fa ire périr toui Us Efpagnols avec cette jUche, A qui fait
rin ftan til tira de (à poche plein fa main de changer
les choies
coton » qu'il noua au bout de cette flèche» de face.
y mit le feu » 6c après en avoir rompu le fer»
enfonça la cane dans fon fuiil, ÔC la tira fur
une maiibn du F ort, qui , comme j’ay déjà
dit,ne font couvertes que de feuilles de Pal- Ejfpediem
miftes. Cela commença à fumer ; les autres qui ceui«
s'en apercevant, ramalTerent des flèches» ôc fit.
firent la meime chofe j ce qui produifit un fi
bon effet, que plufieurs maifonsdu Fort fu
rent enflammées.
Prefque en meirne temps je fus frapé de
l’objet le plus digne de compaflîon qu'on
verra peut-eftre jamais.* un camarade que
j'aim ois, fe prefenta à moy dans un état dé
plorable 5 il avoit une flèche enfoncée bien
avant dans l'œil î ce malheureux répandant Obfef pl»
une prodigieuiè quantité de fang de fon œ il toyable.
bleifé »6c autant de larmes de celuy qui ne
l’eftoit p a s, me prioit avec inflrance de luy
arracher cette flèche qui lui caufoit beau
coup de douleur ; 8c comme il vit que la pi
tié m'empefehoit de le iècourir aÎTez promp-
£ 6 tementÜ
102 HI STOI RE
tement.f il fe Tarracha luy-mefme. Apres Îd
bon fnccés dont j*ay parlé »nos gens fentanc
brûler leur cœ nrd'un feu plus ardent que ce^
luy qifils venoient d’allumer. firent revenir
ceux qui s'eiloient retirez, les animèrent, &
fe rallièrent avec eux ; 8c eftant cachez â la
fiîveur de la n u it, les Efpagnols ne tiroient
plus fi feuremenf que de jour , outre que la
lumière des maiibns qui biûloient, les em-
pefehoit, Sc fervoit aux Avanturiers , qui â
la lueur de cet embrafement,voyoient agir les
Tfpagnols, 8c en tuoient autant qu^il en pa-
roiiToit .*le feu prit auiîi à leurpoudre>ce qui
leur nuifit beaucoup, 8c iervit â leurs enne-
niisjmais ils ne trouvoit point encore moyea
d'entrer dans ce Fort.
r. i)i Quelques-uns d*eux s’aviièrent de faire u<*
i '' C o u rag e ne breche de cette mnniere.Pluiîeurs fe cou*
1I iK effort lerent dans le foiTc» 8c montant l’un fur l’au-
lüUcir”* iulqu’â ce qu’ils puÎTent atteindre la pa-
’ liifade: ils y mirent le feu qui reüiTit bien ?
car anflVtoft que les pieux furent enflam
mez, ils brûloientaufli vifte que les matières
i; les plus combuftiblcs.
Les Epagnols s’en eftant aperceus , jette-
rent dans le fofle quantité de pots a feu qui
I confumoient beaucoup d*Avanturiers avaqt
qu’ils fe puÎTent retirer. D ’autre cofté les EA
pagnols eiloient occupez â éteindre le feu
qui avoit pris au Fort,8c qui augmentoit tou 10
I Mn: :^ I jours , quelques efforts qu'ils fiiTent pour en
empefeher les progrez;8c par malheur il fai-
> I ^ ioic un furieux vent qui le portoit par tout*
'M Xn paliiTade brûloitaniïî d’une grande force*
Cependant les Avanturiers ne perdoient
rieq
^(
wl
D E s AV A N T ü RI £ R
r rien de ce qui fe paÎToir* & fi-toft que quel
le que Eipagnol paroiÎToit à la lueur du feu, ils
r ne manquoient pas de l*abacrre. Cela leur
t. donna courage,& une aifurance certaine de
f prendre le Forc.Le jour eilant venu,les pieux
[ de la paliiTade, qui fervoient de »abion & de I
c parapet, fe trouvèrent confuinez,8c la terre
[ ,qu*ils foûtenoient tomba tout d*un coup »
l dans le foiTé. Neanmoins les Efpagnols ne Vîgoui
s laiÎTerent pas de tenir toujours bon
P quitter la brèche qifilsdéfendoient vaillam- EW n^t
r ment : leur Commandant les faiibic battre ^ '
J! jufques dans le feu qui les ga^noit 5 & n*é-
r: tant plus couverts , autant qu"il en venoit à
cette brèche, ils eftoienttnez & tomboient
t dans le fbiTè ; iî bien qif ils furent enfin con-*
traints de l’abandonner.
Ce que voyant les Avanturiers, ils y mon-Ees Avan^
tarent auiîi-toft , & furent chercher les EÎ^ moment
pagnols,qui s’elÎoient retranchez dans quel-àJ^bSl
ques Corps de ^arde , où ils avoient du ca- che, 5c
non,& fe battoient encore. On offrit de leur
donner quartier , mais ils n’en voulurent ennemis*
point î le Commandant même fe fit tuer fans retran-
jamais vouloir fe rendre. Quelgues-uns de- ch«,
iefperez , & craignant de tomber dans les
mains de leurs ennemis » fe précipitèrent 5c
moururent.
De cette maniéré les Avanturiers fe virent Prife
inopinément maiftres de ce Fort , par le
moyen du feu , fans lequel ils n’auroient pû
l’efperer , quand mefme ils y feroienc venus
avec toute leur Flotte. Ils ne trouvèrent que
quatorze hommes en vie dans ce Chafteau ,
neuf ou dix bleifez ^ cachez dans des trous
parmi
H I S T O I R E
piirmi les morts. Ces gens dirent qn’ÎIs e-
ftoient le refte de trois cens quatorze hom
mes qui défendoient ce Fort,& que le'Com-
mandant fe voyant ruiné par le feu , avoic
dépefché quelques-uns pour donner avis au
Preiîdent de Vanama de ce malheur,afin qu^il
iè tinft fur fes gardes* & qu’il s’en garantiit.
' J ;» Jlvis f}ue Ces priibnniers ajoutèrent que depuis iîx
donnent
cjuelqucs
femaines on avoir receu nouvelle de Cartam
{>riron* gene, qu’un Irlandois ayant efté pris parmy
Ijiers. une troupe de voleurs Anglois venus pour
piller la Riviere de la Hache, avoir dit qu’il ie
formoit une Flotte coniîderable pour aller à
llil' "Panama , 8c que ceux-cy n*eftoient venus â
la Riviere de la Hache qu'à deiTein d’avoir des
vivres pour leurs vaiiTeaux,
Il eftoit vray qu’un Irlandois avoir eu la
lâcheté d’abandonner les Avanturiers , 6c
d'aller avertir les Efpagnols de leur venue ;
mais ils ne içavoitpas leur principal deiTein,
quieftoit d’attaquer P^«^w;^.Les prifonniers
firent encore entendre que le Preiident de
Panama s’eiloit fortifié iiir la Riviere de Cha^
gre »en cas que le Fortfuft pris; qu’il y avoic
plulîeurs embufcades d’Eipagnols que les
vanturiers ne pouvoient jamais éviter; que
luy-meihae eftoit dans une campagne proche
de >avec deux mille hommes d’in
fanterie, quatre cent hommes de Cavalerie,
& fix cent Indiens,avec deux cent Mulâtres,
11
,
qui chaflbient deux mille Taureaux dellinez
pour rompre les troupes des Avanturiers,
Soins des
enfin les tailler en pieces.
A vantu- Aufii-tofl: que les Avanturiers ie furent
ciets aptes emparca du Foi t,ils fongeient à mettre leurs
bleiTcz
il
d e s a v a n t u r i e h s : to t
t)lefTez dans un lien oîi ils puÎTent repoièr à
leuraiiè , 6c y eltre penfez par les Chirur-^®^^^'
giens,qui n’ayoient fait qu’appliquer un iîm-
ple appareil à leurs bleiTures , pour étancher
le fan^,encore ne l’avoienc ils fait qu’à ceux
qui en avoient de grandes. On ne trouva
point de lieu plus commode que la Chapelle
pour les mettre. Il y en avoit ibixante qui ne
pouvoient fe lever, fans ceux qui marchoient
portant le bras en écharpe , ou ayant la tefte
bandée, lis jetterent tons les Efpagnols qui
eftoient morts, du haut en bas du Fort, & les
cadavres des Anglois ôc François furent mis
dans de grands trous qu*on fit faire par des
Êfclaves & par des Efpagnols qui eftoienc
reftez. Quelques femmes auiTi Efclaves fu
rent employées à folliciter les bleiTez.
Les Avanturiers firent reveuë entr’enXg
pour fçavoir combien d’hommes ils pour-
roient avoir perdus. Ils trouvèrent que le
nombre des morts femontoit à cent dix, 8 c
celuy des bleiTez à quatre-vingt. On rétablit vîiîte &
le Fort & la Brèche le mieux qu’il fut poifi- rétabiifîê»^
ble , afin de fe mettre en défeniè,en cas que
les Efpagnols viniTent pour le reprendre a-
vant la venue de Morgan.
On y trouva quantité de munitions, tant
de guerre que de bouche , que l’on mit en
ordre , & on tacha de les bien conierver à
cauiè qu’il n’y en avoit pas beaucoup fur la
Flotte , & en fuite on fit entrer les Vailfeaux
dans la Riviere. occupa"
Morgan qui eftoit refté fur Mile de Sainte tion Sc
Catherine , quatre jours après le départ des
VaiiTcaux donc je viens de parler, fit faire di- o!
ligenceihctinc, *
IS
io(^ H I S T O I R E
liççence aux autres qui eiloient reftez a v e à
luy , & leur ordonna de s’embarquer avec
leurs vivres, & tous les prifonniers qu’il par
W
tagea fur les Bâtimens de la Flotte, chacua
felon fa grandeur.
Dom Jofeph Ramirez Je Leiba, qui eiVoic
Gouverneur de cette lile au nom du Roy
!i d’Eipagne >& qui commandoit la garnifon,
fut rnis fiir le Navire de Morgan avec iès
principaux Officiers > leurs femmes & leurs
enfans ; Morgan fît auffi encloüer le canon
des Forts & le jetter à l’eaujtoutefois en des
lieux où l’on pût le repefcher, parce qu’il
vouloir revenir prendre poÎTeifion de cette
Ille ; en cas que ion deiTein ne réiiiTit pas,il
eut foin de faire auffi brûler tous les affûts ,
les maifons de l’Iile , excepté l’Eglife 6c les
Forts , où l*on ne toucha point.
Après cette deftrudiion toute la Flotte le
va l’ancre, & fit voile vers la terre ferme.
Le lendemain il furvint un mauvais temps
quila difperfa ; mais comme tout le monde
içavoit le rendez-vous » chacun s’y trouva ,
quoy qu’en des temps differens ; car les der*
^niers arrivèrent quatre jours apres les pre
miers,8c tous eniemble dix jours après la pri-
fe du Fort.
Départ & Morgan avec ion VaifTeau eftant â la
Morgan 5 & Y appercevant le.pavillon
* ■ du Roy d’Angleterre,eut une telle joye» qu’il
voulut entrer dans la Riviere avant que de
reconnoiftre s’il n’y avoit point de péril» 8c
fans mcfme attendre du Canot qui venoit
au devant de luy,pour l’avertir qu’à l’entrée
Ii) ' r de cette Riviere il y avoit un rocher caché
1 ^ ;j!:
' fous
: ('
D E S A V A N T U R î E R S . i 6f
ïbus Teau, Il ne manqua pas d’y toucher I
luy & un autre VaiiTeau : 6c dans le temps
qu’il vouloitfe retirer, il furvint un vent du chaerlh
Nord qui éleva la mer , 8c fit crever Ton Na- qui fe ^
vire qui échoua,fans toutefois perdre un feul/^J^ ^
homme. , . .
Morgan eftant entré dans la Riviere de
Chagre avec toute fa Flotte, employa les pri-
Îbnniers de l’iile Sainte Catherine à travail
ler au rétabliiTement du F o rt, faifant repa
rer tout ce que le feu avoitconfommé,hori^
mis les maifons ; au contraire,il en fit abatre
qui eftoient reftées,de peur que ce qui eftoit
arrivé aux Efpagnols, n’arrivafi: à luy-mei^
m e; c’eft à dire, qu*on ne fe fervift pour les
brûler , du mefme moyen qu’avoient fait les
iîens. Après il vifita les vivres , les munitions Son arrtJ
tie guerre , fit la reveuë de fon m onde, or-
donna ceux qui dévoientrefter pour garder p*e.
le Fort,6c ceux qui dévoient aller à Panama* cautions^'
. On avoit trouvé deux petits Bâtimens à
plat-fond faits exprès pour naviger fur cette
Riviere ; cinq ou fix hommes montent de^
fus 6c pouiTent de fond , ils peuvent avoir
foixante pieds de long, 6c vingt-cinq de lar
ge: Morgan commanda d*y mettre quelques Ordrequé
pieces de canon,6c quelques berges de fon-^°^”^
te,avec autant de monde qu’ils en pouvoient ^
contenir. Il en fit mettre auifi fur deux petits
Frégates legeres, dont une avoit quatorze
pieces de canon , 8c Tautre h u it, 6c le refte i r
dans des Canots. Tout eftant ainfi ordonné,
jl laiiTa cinq cent hommes dans le Fort de
Saint Laurent , dont il donna le commande-» -
ment au Capitaine Maurice, Uiifa i jo.hom-
/LU
JOÔ H I S T O I R E
rnes iur les VaiflTeaux pour les garder, 8c
prit avec luy treize cent des mieux armez,8c i
des plus robuftes à ibuffrir la fatigue.
Cependant les priibnniers Efpagnols a-*
voient donné répouvanre aux Avanturiers,
difant que le Preiîdent de VmamA avoir eflé
averti prés de deux mois auparavant, 6c s*e*
ftoit tellement precantionné, qu’il n’y auroic
point d'apparence de romprefes forces & de
Çiverfité le deffaire. D’ailleurs,comme il y a desfuper-
I ftitieux par to u t, il fe trouvoit des gens par
mi les Avanturiers meiîne, qui tiroient mau
vais augure de ce que Morgan avoit perd»
fon Navire en entrant dans la Riviere de
Ch agre , Sc qu’il y avoit pery tant de mon
de à l’attaque du Fort. Ils eftoient encore in
timidez à caufe des embufeades quife poiir-
roient rencontrer fur la Riviere,8c qu’il fau-
11. droit eÎTuyer.Les plus courageux au contrai
Ii re fe conibloient de cela,difant que û les ERi
pagnols tenoient b o n , c’eiloit le meilleur»
6 c une marque certaine qu’il y auroit bon
butin. Voilà ce qui fe paiToit alors,& comme
<. I les fentimens eftoient partagez encr’eux.
C h a p i t r e X L
D E S A V A N T U E I E R S ; l ô^
rage dans cette occaiîon, afin de retourner
ï à la Jamaïque riches & glorieux. Alors tout Morgan’
le monde cria, viv”e le Roy d’Angleterre 8c encoura-
Morgan,& ainfi commencèrent leur voyage
le i8 . de Janvier de l’an 1 6 7 0 . Je décriray
leur marche de jour à jour, 8c les lieux où ils pourPa-
relieront, qu’on pourra voir dans la Carte nama,
que j’en donne^qui cft fort exadre. Lors qu’ils
partirent ils ne prirent point de vivres, de
peur d’incommoder ceux du Fort, qui n*en
avoient pas trop pour nourrir prés de mille
perfonnes qu’ils eftoient, en contant les pri-
fbnniers 8c les Eiclaves^que Morgan n’avoit
pas voulu laiiTer aller de Sainte Catherine , de
crainte que les Efpagnols ne les employaiTene
contre luy.
î1 lournal de la marche des Avanturiers, commandée
par Morgan pour Panama,
P I
D E s A V A N T U R IE R s. iiji
y ne forte palliÎTade en forme de demie lune ,
pi dont les pieux eftoient des arbres entiers ÔC
Rfort ^ros.
Lors (ju’ils s’en eftoient allez, ils avoient
tiemporte leurs vivres, 8c brûlé ce qu’ils n’a-
ç voient pû emporter. On trouva quelques
i Canaftres , qui ibnt des coffres de cuir, qui
rfervirent beaucoup â ceux qui s*en faiiirenc
» les premiers »car ils les coupèrent en pieces
S; afin de les manger • mais ils n’eurent pas le
^ temps deles preparer,eftanc obligez de mar«
4 cher.
£ Morean voyant qu’il ne trouvoit point de
Vivres»avança tant qu’il put, afin d’en avoir
I pour luy 8c pour Tes gens. Ils marchèrent le
irefte du jour , 8c arrivèrent le foir à un lieu
ifinom m é Tor»a M uni , où ils rencontrèrent en-
) core une embufeade , mais abondonnée
r comme l’autre. Ces deux embuicades leur
avoient donné une fauiTe joye, au lieu de
faufle alarme , car ils n'aipiroient qu’à trou
v er de la refiftance.
Ayant donc paifé outre, ils avancèrent
dans le'bois plus qu’ils n’avoient f a it, ayant
Ojitoûjours fuivi la Riviere, afin de trouver des
Nvivres ; maïs ce fut en vain, car où il y avoit
t Ha moindre chofe, les Efpagnols le détrui-
ifoienc,dé peur que les Avanturiers n’en pro-
P'fitaÎTent, croyant les obliger par là à retour-
i|ner à leurs Vaiifeaux, ce qui leur auroitefté
I inutile defaire,puis qu’il n’y avoit point auili
I de vivres.
: 11 falur neantmoins fonger à repofer , car
la nuit eftant venue, on ne voyoit plus à mar-
I cher dans le bois» Ceux qui avoient encore
quel
b'.' i .
Vi 4 HISTOIRE
quelques morceaux de Canaftre ibuperent^
mais ceux qui n*en avoient point» ne man-
'il Ce que gerent rien. Ces Ganaftres ne font pas de
c’eft que
cuir tané, ce font de ces peaux de Bœuf qui
font feches, & dont ils font ces Canaftres
o n e n p à nos manequins. Ceux qui ont
u t
1. i T;,
111!
D E S AV A N T U R l E R S . t if
Tènt avec de l’eau, & en firent une pâte fans
îevain , dont ils en prenoient des morceaux 11
qu’ils envelopoientdans des fciiilles de Bana
nier,8c les faifoient ainfi cuire ibus la braiie, ,M
îes autres dans Teau 5 ils apeloient ces mor
ceaux de pâte ainfi cuire , des pouplains.
Apres ce repas ils reprirent leur marche »
ceux qui eftoient fort las 8c fatiguez de la
faim 8c du chemin,fe mirent dans les Canots
fur la Riviere, les autres marchèrent par ter U I
re juiques â un lieu nommé , où il
y avoir quelques habitations abandonnées
S c dégradées , comme les premières , ou ils
couchèrent.
/'>4
US H I S T O I R E
{wmfiii. fhoient devant eux . ils commencèrent à les
went des ^ ^
iiiiücns. pourmivre , croyatïc qu’HS recoiTCifioient
quelque embiïfcade d*£fpagnols ; ceux qui
avoient du Maïs le jetterent pour^Tr’cftie
point embarralTez à courir , ils tirèrent fur
! les Indiens, dont ils en tuerent quelques-uns
Sc pourruivirent les autres -jufqu’à Sanja
Crux »où les Indiens pniierent la Riviere ^
t i' clchapercrrt aux Avanturicrs.qui neantmoins
les fuivirent de bien prés, paffant aiifii ia Ri
viere à la nage -• ces Indiens leur crioienc
de loin , uh Perros lnglex.es À la Savatta la
[' '*'^1• S-avana , ally nos veremos, qui veut dire > ah
%
fhiens d*Anglois , venez, à la Savana nous votiS
y attendons.
Les Avanturiers avoieutainfi paiTé la Ri
vière» à cauie que leurs Canots n ’alloient pas
fi vifte qu'eux, parce que la Riviere Lej-pente
,en cet endroit, eft obligi à faire de grands
détours.
La nuit furprit IctS Avanturieis , qui fare ne
obligez de coucher là,afin de reprendre leurs
forces 6c de fc preparer â ic battre,parce que
les Indiens qu'ils avoient rencontrez leur fi
rent juger» qu*i!s ne marcheroient plus guerg
(lins trouver de la refiftance..
■ü
•120 H I S T O IR E
rent a bouleveue, inns içavoir ou , ny yoîr
peribnne.
I/>s Avaiir ^ Cependant cette de'chnri>e ne laiiTa pas de
rinicTS
firent an faire effet ; car on vit tomber deux Indiens
h.'zard,§c dans le chemin , un defquels ie ff leva toiît
I'on voit enfang^, 6c vouiur pouffer une fle'che qffil
roinSer
ties hüin.- tenoit â ia main, dans le corps d’an An 2;Iois;
mais un autre para le coup »& acheva de le
tuer. Cet homme avoit la^ mine d'effre le
Commandant de cette embufeade , qui ap
paremment n’efteie que dTndiens , car on
ne vit que des flèches. Il avoit iùr la telle un
bonnet de plumes de toutes fortes de coih*
leurs , tiffuës en forme de couronne.
.‘t Quand ces Indiens virent que cet homme
Icurmanqiioit» ils lâchèrent pied , 8c depuis
fa mort on ne tira pas une feule flèche. On
11 trouva encore deux ou trois Indiens dans le
H I; chemin * mais ils n’cftoientplus en vie» Il cil
vray que ce lieu ciloit fort commode pour
une einbuicade ,car cent hommes refolus
I! euffent pu empclcher le paffag^e aux Avan-
1■ turiers, 8c les défaire tous,s'ils euffent voulu
opiniâtrer; mais comme ces Indiens eiloienc
fans conduite , 6c peu aguerris, dès les pre
miers qu'lis virent tomber des leurs» ils fc
ïndiens
I eriient
crurent perdus; outre qu'ils avoicnc tiré rou
c o u ra g e tes leurs flèches fans regie ny mefure, 8c que
ryair yet. les arbres 6c les brouffailles au travers def.
Um leur quels ilslcslançoient, en avoient rompu la
Ciiei-:
force, 6c empeichè le coup. CVibpour cctce
I I
raifbn que les Avantuiicrs en furent peu in-
commode2,qui en cette occafion ne s’nmii-
ferent pas troj:> à regarder d’où les flèches
%•enoienr^mais tachèrent â fe tirer de ce mai>
vais
D E s A V A N T U R I E R s;
vais chemin , & à gagner le plat p^iïs » d'o&
ils pufiTent décoavrir leurs ennemis. II y a-
voic eu autrefois une montagne en cec en
d r o it, qu’on avoir coupée pour abréger le
chemin , & pour faire paiTer plus facilement
les Mulets chargez.
Aufortir delà les Avanturiers entrèrent
dans une grande prairie, où ils fe repoferent
un peu » pour y penfer ceux qui avoienc efté
bleÎTez à rembufcade. Ces Indiens parurent
à une demie lieue de là fur une éminence où
il n*y avoir point d arbres >& qui eftoit pro
che du grand chemin par où les Avanturiers
dévoient paiTer. Morgan détacha cinquante Morgm
hommes, qui furent par derrière , afin d*en
Surprendre quelqu’u n , 6c deiçavoir des nou- des'^pri.
velles des Elpagnob: mais ce fut vainement^ fonnier5^
car ces gensiçavoient tous les détours , 8c
marçhoient toujours à leur veue ; tantoft ils
cftoient d ev an t, 5c tantoft derrière.
Deux heures après on les vit encore â deux
portées de mouiquet iur la même éminence
où ils avoient déjà paru, pendant que les A
vanturiers eftoient iiir une autre vis-à-vis.
Entre ces deux éminences il y avoitun grand
fond plein de bois de haute futaye , où les
Avanturiers croyoient qu*ils euiTent uneem-
buicade, parce qu’ils y defeendoient; cepen
dant il n’y en avoit p o in t, 8c ils n*y defeen
doient que pour fe cacher à la veue des A
vanturiers , 8c prendre un autre chemin , ne
faiiànt que voltiger autour d*eux i afin d’en
prendre quelqu’un. Bien ibuvent ils leur cri-*
oient ^ A laprairie , à la prairie , chiens d'An*
F 4 Ce
tir H I S T O I R E
Ce mefme foir les Avantiiriers furent obFiu
p^ez de camper de bonne heure , parce qu^if
commençoit a pleuvoir. Ils eurent bien de
la peine à trouver dequoy fe loger & ie
nourrir >car les Eipagnols avoient tout brû
le » 6c chaiTé le ^bétail ; fi bien qufils furenS
contraints de s’écarter du chemini afin d’en
I II chercher. Ils trouvèrent environ â une lieue
du grand chemin une Hate , dont les mai-
ions n’eftoient point brûlées ; mais il n*y en
avoir pas aiTez pour loger tout le monde j fi
J I' bien que pour garantir du moins les muni
I' I tions 6 c les armes de la pluye ^ on ordonna
qu’un certain nombre de chaque Compag
nie entreroient dans les maiibns pour garder
^ s arm es, afin qu^en cas d'alarme ^ chacun
iceuft promptement les retrouver.
' >
) ,
Cependant ceux qui eftoient dehors tâche-
lent a faire des Baraques , qu’ils couvrirent
d’herbes comme ils purent ^pour dormir ui>
peu la nuit. On pofades Sentinelles avancées
pendant ce ceinps » 6c on fit bonne garde ;
car on craignoit les Indiens 5c les Efpagnols
avec leurs lances » qui pendant la pluye n e
laiiTent pas de faire un grand effet, lorfque
les armes à feu font tout à fait inutiles.
DES A V A N T U R I E RS. i î /
ïî parut anifi pliifteurs Compagnies d'Infan- Marche
terie »6c quantité d^Efcadrons de Cavalerie
tout / autour
J .
des Avanturiers , environ a îa monolc.
portée d*un canon.
Cela dura jufqu’à la nuit fermante , que
Morgan fit faire bonne garde, 6c mettre dou
ble Sentinelle. Il faifoit donner de temps en
temps defauiles allarmes , afin de tenir tou
jours fes gens en haleine , qui eftoient fore
réjouis, efperant le lendemain faire bonne
chere.
Cela n*empefcha pas que ceux gui avoient
encore de la viande ne fa mangeaiTenc telle
qifelle cllo it, car il ne fut permis d'allumer
du feu que pour fumer.Chacun avoir Ton or
dre particulier,en cas que les Efpagnols vinf-
fent attaquer de nuit ; 6c .après cela , fc re
po fa qui put. Cependant les Elpagnols tirè
rent toute la nuit du canon.
.1(
DES A V A N T T J R I E R S ; * i î 7
■pftint qu’ils n’abattilfcnc ou rhom m e, ou le
cheval.
Ce combat dura environ deux heures >oîi Dériîfé
toute la Cavalerie fut défaite , fins qu’il en
cchapaft plus de cinquante qui prirent h paPnolê
fuite,Cependant T’InGanterie voulu avancer? ^
mais fi-toft qu’elle vitcette défaite ^ elle tira
ieulemenr, & après jetra les armes» Sc s’en-
ruic en défilant a coile d’une petite montaiç*^
ne hors de la veuë des Avantnriers^qui croy-
oient qu elle vouloir venir les furprendre par
derrière.
Quand la Cavalerie fut défaite , les Tau
reaux ne iervirent plus de rien } car ceux qui
les conduifoient ne pouvoient pas en eltre
les maiflres. Les Avanturiers s’apercevant -
de cela , envoyèrent contre ces animaux
quelques Fuieliers qui firent voltii^er leurs
drapeaux devant eux avec des cris terribles*
deicrte que ces Taureaux prirent Tépouvan-
te , & coururent d’une telle force ^ que ceux
qui les conduifoient furent auffi contraints
& bien aifes de fe retirer.
Lorfque les Avanturiers virent que lesEf- LesAvajî:
'pAi^nols ne le ralioient p o in t, 8c qu’au con-
traire iis fuyoient çà 8c lâ par petites trou-
pes, ils commencèrent à donner deirus,6c en EfbaVnli.
prirent une i^rande partie qui fut ruée.Quel-
ques Cordeliers qui eftoient dans cette ar
mée,furent pris 5c amenez à Morgan,qui les
ne mourir fur Mieurc.
On prit aurtl un Capitaine de Cavalerie
bleife , ^u’on trouva parmy les morts,qu’on
amena a Morgan , qui ne voulut pas davan- deiapfa-
tage de priionniers, dilant qu’ils ne feroienc
' qu’em-
h i s t o i r e
qu’eiïibarniTer jufqu’à ce qu’on fuß: m aîfhf r
de touc„ Il interroG;ea ce Capitaine des for
ces qu*il y avoit dans la Ville ; lequel répon
dit que tout le monde en cftoic forci au nom
bre de deux mille hommes dTnfanterie , 5c
de quatre cent de Cavalerie , avec fix cent
Indiens, & deux mille Taureaux j qu'il y a-
voit quinze jours que ces 2;ens*là couchoient
dehors dans la Savana , où ils eiloient cam
i .'«f pez J qu*on avoir abandonné la Ville, ayant
envoyé toutes les femmes & les richeifes aox
Ifies de ; qu’on avoir lailfé dans la
Ville cent hommes avec vinc;t-hiiit pieces de
canon braquées dans les avenues de la place
& des principales rues , en cas qu’on fuÆ
contraint de fe retirer dans la Ville , où il
croyoit que le Prefidenr,voyant que la cam-
pa[>ne luy eftoic defavanta2;eufe , fe ieroit re
tiré-car il avoit encore bien du monde,pour-
Lieuxgi- veu qifil les puft ralier. Il ajouta que les
ft^beiix oùeftoitce canon eftoienc gabionez
.1 1 riiie, *avec des facs de farine de la hauteur d’mi
homme. Il donna anifi avis qu'on ne priiV
pas le chemin de Crux , parce que , difoit-il ?
on trouveroit à l’entrée de la Ville une Re
doute avec huit pieces de bronze, qui pour-
roient bien faire du fracas.
Morgan ayant appris ces nouvelles ra f
fembla fes ^ens > & leur dit qu’il ne falloir
point perdre de temps » 8c que ii on donnoit
le loifir aux Efpa^nols de fe ralier dans la
M organ y - j i g ^ pourroit plus prendre 5 c’eft
cherTon pourquoy il faloïc marcher contre elle le plus
tr e ja Vil- piomtement qu’ilferoit poil!ble,afin d’y eftre
auifi toil qu'eux , 8c de leur en empefeber
rentrée.
'il ■!
II'
IV
DES A V A N T Ü R Î E R S . Ti^
l*ehtrce.En mefme temps il fît reveue,8c Ton
trouva iVy en avok que deux de morts,
de deux de bÎeiîez.
L'on croira peut-eftre cecy une fable, vea LesEfpag^
les differentes forces des deux partys , dont
l‘un eftoicplus confiderable que l’autre , & iJeLoup
tous deux et^^alcment animez: car il eft éton- de mon-
nant que les Avantnriers iè ibient retirez du
combat avec fi peu de perte,& les Efpao-nols
iivec un fi grand deilwantage, qu’il en de-flSion de
meura plus de fix centfur la place. Je ne puis l’Autheus
pourtant me difpenfer de Pecrire , en ayant
efté témoin moy-meme. A la vérité fi je
Pavois pas vû , je ne pourrois pas me per-
itiader que cela fuft - & peut-efrre que ceux
qui liront ce Voyage retrouveront duns la
meirne peine: cependant plufienrs pèrfonnes
peuvent rendre témoignage que je dis vray:
car iîpafie tous les jours des François de ces
Contrées en celles-cy >â qui je laiiTe la cerr-*
iu re de tout ce que j'ay écrit.
Morgan voyant qu'il avoit perdu fi peu de
mondée, s’avança vers la Ville, exhortant fes
gens a ne^fepas abandonner les uns les
très,ma is a combattre courageuiement com-
me ils^ a voient déjà fa it, fins leur déguiier
toutefois que ce fécond combat ne ferôit pas
n facile que le premier. Les Avanturiers con
duits parle Capitaine delà Cavalerie Efpag-
nole,qu ils avoientfait prifonnier ♦marchè
rent par le chemin qui vient de Tortohello à
Tiinamct, où il n'y avoit aucun peril.Entrant Avaotu.-
dans la Ville , & voyant qu'il n’y avoit per-
fonne , iis cqnroient l’un d'un codé , l’autre dence*
üc raucre^ ùns fonger â l’avis qu’on leur a- donnent
voit
H I S T O I R E
â ie« voit donné a éviter le canon qui eiloitdnni
t '1 non des *’ la 2;randc pKacc , une partie d»eux furent y
ennemis, donner en poiirfuivant quelqu’un qu’ils a-
voient vu mir.
Aufli-toft on tira le canon , qui en bleiTiT
i: ' vingt'Cinq ou trente , 6c en tua^bicn autant»
fans pouvoir faire que cette décharge : car
à l’inftant les Avanturiers fondirent fur les
I;
Canoniers, 6c p^aiTerent au fil de Tépée tous
ceux qu’ils trouvèrent dans la Ville. Des que
Morgan ie .vit maiiïte de VammA , il fit af»
fem bler tout fon monde , à qui il défendit de
boire de vin , difant que les pt-ifonniers Ef-
pagnols Tavoient averti quhl y en avoir
beaucoup d’einpoifonné^Cela n’eiloit pour
tant pas 'y mais Morgan le difoic ainfi » ahii
d’empêcher Tes gens de s’cnyvrcr • ce qu’ils
auroicnefaie fans doute , s’ils n’avoient pas
craint d’eftre empoifonnez.
C hap I T k B XII.
I
E eaux jardinapjes 5c de msiibns de plaiiançe,
qui apparrenoient à plufieurs Marchands,
t qu’on peut dire les plus puifTans des Indes du
Roy d Efpai>ne. Elle eftoic gouvernée par un
Prefident ,‘qiiî eiloit auflî Capitaine general
du Royaume de terre ferme» 5c avoir les vil
les de Pusrtohdlo , de , 8c les Bourgs de
Crux^ Venonome » Capira ^ tous peu«
plez par des Efpagnols.
Voilà ce qui regarde le Temporel ; Pour le
Spirituel J elle avoir un Eveique SufFragant
de l’Archevefcjue du Pérou : Get .EveC»
!’ I que eft Primat au Royaume de terre ferme',
Gc Royaume eft' un des meilleurs des Indes %
tant pour la bonté de fon climat > que pour
la fertilité de Tes contrées , qui font riches en
mines de toutes fortes de métaux,8c de bois
à baftir des N avires, dont on pourroit peu
pler les deux m ers, fçavoir du Zud 5c du
N ord, outre ta fertilité du terroir » qui pro
duit toutes les chofes neceifaires a la vie.Les
I !
Efpagnols y nourriifeut tres-grande quantité
de bétail, 5c ils tirent un profit confiderablc
des cuirs Îculcmenc,
Voila tout ce qui fe peut dire en general de
l’Iftame 8c de la ville de Panama , qui fut
biûléepar les Avanturiers en Lan l e - j o, 5C
îcbaftie parles Efpagnols à milieu pluscona-
^ mode
'i-y ' í-
-f' :
^ „• Vv
U/. ': ■'•^■•*;••' ' Ù > *1 !■
Ig 1 i4*j
■» ■ lljíj
, * ! ifah
Í-Í
.'i' í-.'
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»•
I í. v.V^Í 1
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.4?f- •■1
•-7-’
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I:í
i .* ».
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Í&
DES AVANTURÎERS: rj/
îiiode que celiiy où eftoit iMncienne, à caufc ' \
que le Port eft meilleur , & Peau douce en
plus s;rande abondance >eftant fur le bord
d'une Riviere quife de'charge dans la Mer du
2 nd , 8c qui peut donner entrée à plniieurs
beaux VaiiTeaux# Cette Riviere eft nommée
des Kfpagnols Rto-Grande^çWe cft d'une gran
de étendue , comme on le peut voir diTns la
Carte que je donne.
La Barque que Morgan avoir envoyée fur vifite de
la mer du Zud ne fut pas plûtoft partie , que Panama,
Tes gens vifiterent la ville de Panama^8c foüil-
Icrent les maifons jes plus apparentes.
trouvèrent quantité de Magazins pleins de
Marchandiiès , que les Efpagnols avoienc
laiiTécs, n'ayant pas aiTez de Vaiifeaux pour
les em barquer, ny aiTez de temps pour les
emporter,quoy qu’ils euifent eu un mois en-
‘tier pour cela. Ceux qui n’avoient pas 1e cré
dit de les mettre dans des VaiiTeaux pour les
fauver par m er, qui eftoit la voye .la plus
feure, les amenoient par terre avec des Mu«
lets.
Il y avoir encore beaucoup d’autres Ma-
Î igazins » les uns pleins de farines , les autres
^ d e toutes fortes d’inftrumens de fer , pour
ê porter nu Pérou» où il vaut 8 . piaftres la Ro-
.3 ne , qui eft un poids Efpagnol pefant 2,
- Ivres, Tous ces inftmmenT eftoient » houes,
1 haches , enclumes , iocs de charuë» ôc géné
ralement tous ceux qui fervent aux mines
_ d^or & d'argent. Il y avoit aufll quantité dtr
. vin , d’huile d’olives 8c d’épiceries : En un
r mot» tout ce qu’on poiirroit rencontrer dans
£ 4inc des plus fameufes Villes de l'Europe^car
w celle-
-./•U'
:__
3 ^ 4* H I S T O' I ÏÏ E * ‘
ceile-cy'eftoit le Mn^azin de pliifienrs Pro^
vii7ces Sc Royaume de T Amérique»qui ioiU
it, fous I’obeiiiance du Roy d'Efpa^ne.
Morgan Mor2;an qui craignoir que les Efpagnols ne
i'iit brûler Jq vinirent furj-irendre îa nuit dans cette Vil-
cz pour- le > fit Illettré
, le feu fubtilcment
, , leOfoir à quel-
jQuoy, ques maiions un peu ecarcees , oc en melme
temps fît courir le biuic parmy les pidfonniers
qu’il avoir » & parmy Tes gens melme , que
les Efpagnols eiloicnc les aucheurs de cet in
cendie , qui gagna tellement» qu’avant qu*il
fût nuit la Ville eftoità moitié brûlée : 11 y
' eut quantité d^Eiclaves de d’animaux qui
périrent dans eet embraiement. Le lende
main matm cette Ville fe trouva conibm-
m ée,excepté la maifon du Prefident, qui
eftant un peu éloignée , n’eut aucun dom
mage , comme aufli un petit coin , où il y re
lia environ cinq ou fix cent maifons de Mu
letiers , de deux C loîtres, içavoir celuy de:
Saint Jofeph , Scceluy des Religieux de la:
Redemption.
Tous les Avanturiers couchèrent cette
miic hors de la Ville, de peut que les Efpag-
Arpîîc.i- nols ne les vinÎTent attaquer : Le lendemain
tions di- j^0i*o;an fit détacher fix hommes de chaque
pLoigw, Compagnie pour taire un corps , afin d’en
voyer à annoncer la vitfeoire qu’il a-
voit remportée » 5c pour voir fl les gens qu’il
avoir laiifez au Fort n’avoientbefoinderien*
Il fit encore deux décacbemens de la melme
force pour aller en parti-fi bien que ces trois
Corps failbienc chacun cent quatre-vingts
hommes. Si toil qu’ils furent en campagne
Morgan employa les autres à mener tout lejf
canon^
■ i:
M
'
5"V ¥ ;■I’
.’iAt
îî î s T O I îl E
7 wnnturiers» crût que ce Navire ne luy pour^ '(
K^ic échaper , à cauie qu’il en avoir pris U
Chaloupe , & que le Navire meiîne n*avok
poinc d*cau 5 c’eil: pourquoy il ne fit aucune i,
II dili«;ence ceibirdâ, parce qu*il eftoic un peu (
ta ri 5 5c s’imagina qu*il pouvoir attendre fc
jufqu*au lendemain matin. Cependant luy jJ
5c les gens paiTerent là nuit à boire , 5c à fe
iI divertir avec des femmes Efpagnoles qu’ils
avoient prifcs fur les petites Ifles.
Le lendemain il alla à la recherche de cciS>
Navire »lequel voyant que ia Chaloupe ne é.
vevenoit point »le douta q tf elle eftoit prife j =
k v a h a n c re 5c ie iauva.LesAvanturiers s’eu;'
eflant apperçns,jugèrent qu*i) amaiTeroit des^^
r . forces, 5c qu*on ne le prendroit pas ficile-
ment ^ crurent qu’ils ne feroient pas aifez :‘j
forts 3 8c qu’il failoic aller quérir du monde à
Fanam it , où ils arrivèrent des le foirmefme n
avec les trois Barques qifiîs avoient prifes.
Aiifli-toiV que Morgan eut entendu ce qui i
s*eftoit paifénl les renvo^'a dans de plus gran-'i?'
des Barques chargées de gens j afin de pour-s.
fuivre ce VaiiTeau » 5c de le prendre en quel«. &
que part qu'il fût allé. Les prifonniers de
Chaloupe dirent qu’il ne pouvoir pas eitréV.' '
bien éloigné , n'eftant pas en état de fairep"
voile, faute d’eau ,de vivres,5c d’eitre funé,r
ou agréé, n*ayant que les baffes voileS3 maisJ:'
aiiifi qu’il poLirroit s’eftre retiré quelque part,- '
P
5 c mis en état de fe defFendre , après avoir
débarqué les femmes 5c les enfans qui e- - '
. ■’/ I ; ftoient deffus. Dés que la iner fut haute >les, ^
deux Barques partirent bien armées>pour al-j '
1er à la recherche de ,ce VaiiTeau.
Cela
DES A V A N T U R î E R S . iff
C d a me donne lieu de dire icy une choie
yui me vient en peniee j comme les Avantu-
riers jettent la terreur par tout où ils pafTenr»
on voit fouvent que les Efpa^nols ie croyenc
vaincus avant de combattre, & qiihl femble
■ncfme ne fe deiïcndre què pour avoir le
:emps de iauver leurs biens & leurs v ie s , en
, lorte que files Avanturiers dans leurs entre«
xifes 5 comme dans celle dont il s’a g it, pre- ■I :
x)ient foin de mener alTez de monde pour
m difperfer fur terre Sc fur m e r, tout ce que
’on voudroic iaiiver fur l*un & fur l’autre
flemeutjtomberoit infailliblement dans leurs
nains. Ainii rien ne leur echaperoit, leurs
gainsferoient prodigieux, & la perte que fe- t-i= ,(
• oient les Efnagnols
* n) ineftimable.
Dansce temps les deux partis one Morgan Retour
' ivoit envoyez à la campagne depuis deux
- ours , revinrent avec plus de cent mulets
: :hargez de pillage & d’argent, 6c plus de riches^
( ieux cent piiibnniers, que l’on mit dans l’E- pules,
i gJife , dont les Avanturiers avoient fait un
: 3 orps-de-garde. On ne manqua pas de leur
il ionner la gêne des qu’ils furent arrivez, au*«
' :un n^en fut exem pt, & beaucoup l’eurent
1 1 fort, qu’ils en moururent. Les Avantu-
-i'iers ne fe ibucroicnt pas de fc défaire des
i xifonniers qui n’eiloient pas de qualité, 8c ;■ .'t,
i qiii ne découvroient pas grand’choie , car
tils ne leur eftojent qu’à charge, puis qu’il
2iCS falloir nourrir.6c quails n’avoient déjà pas
o:iop de vivres pour eux-ir.crmcs , |n plus
rgrande partie ayant efte bruilée avec la
'i Ville* , t,
JLà deifus l’autre party que Morgan ay.ojc
envoyé
't5§ HI STOI RE ;
e n v o y é z Chagre r e t o u r n a i , & apporta noù-
v e l k que tout y eiloit en bon é ta t, que leZ
!£■
Commandant du Chafeeau avoir envoyé
deux petits Vaifluîaux pour croifer devant l a |
Riviere , afin de découvrir le fecours qui^i
pourroit venir par mer aux Efpas>nols , 5c
que ces deux Bâtimens avoient cbafTé un
Navire de la mefine Nation,lequel ie voyant,
preiTc» eiloic venu fe réfugier dans la Kivierej
de Chagre , que ceux du Fort le voyant venir
avec le pavillon Efpao:nol , n'avoient pas
■ \\ manqué d*arborer aufiile pavillon Efpao;noI, S
M. 6 c encore de faire paroiftre quelques Efpai^-'l
nols» Sc qu*ainfi ce Navire croyant éviter
Mf malheur >eftoit tombé dans un antre , car^ 3(/;
i'i; I I .en mefne temps on s'en eftoit emparé. If;:
Ce Bâtiment venoit de Carta.Knc » chargé
de Maïs, d*autres vivres» 6c de quelques e-
tneraudes,mais alors les Avanturiers reftém- 4
K erentau coq d’Efopejqui préféra un grain i|f<
de bled à un diamant : parce qu*ils aimoienc 3\t
mieux ce Vaiifeau 8c fa charge de M aïs, qui j|g
il r îeiir eftoit neceiTaire pour vivre , que for 8c ' Ct:
l ’argent dont ils ie pouvoient paÎTcr. Tout ce
que je viens deraporter, fut caufe que Mor- ■
gan demeura â P a n a m a plus long-temps qu’ilnjiï
n*auroitfut.
En fuite les Barques qui eftoient allées a- ’'ur
prés le grand N avire, retournèrent ians l’a-
voir pu trouver, quoy que les Avanturiers :|
euffent fait toute la diligence imagmable.Ils II
amenèrent encore quelques Barques clinr-
gées de pillage , d’argent 6c de pnfdnniers , f
-6 c un Navire qu'ils avoienc pris venant de
£Asta ville du Pérou , chargé de bifcuit, de
i'.
lucre.
DES A V A N T U R I E R S . r y
ÏÎscre , de iavon, & de drap du Pérou , avec
Vin<^c mille piaftres en ari^cnt monnoyd.
' Les ^ens de ce Navire rurenc fore furpris
de trouver là des Anglois , parce que Ton
n*y en avoir point veu depuis que Drac , ce
grand Avanr.urier François>y eftoit encré par
le Golfe dn, Darien, iifii
Siles gens que Morgan envoyoit en cour- A vant«,
le eltoienc ainii en adtion, ceux qu'il retc- to û .
noie avec luy ne demeuroienc pas non plus Xon!'*
oifîfs , car tous les jours il partoïc un parti de
deux cent hommes, qui n*eftoient pas plûcoft
revenus, qu’on en renvoyoit un autre. Ceux
qui reftoient à la V ille, alloient chercher
dans les mazures des maiibns brûlées, ou
fort fouvcnc ils trouvoient de l’argent que
les Efpagnols avoienc caché dans des puits.
Les autres s’employoienc à brûler des dentel- Riches é-
les & des étoffes d’or & d 'arg en t, afin d’en ^
Stirer l’or & l’argent, parce que tous ces ou-
svrages de m^anufadrures auroient efté trop ’
long-temps à embarquer, & trop difficiles à
ïitranfporter dans la mer du Nord , outre que
r Morgan craignoit toûjours que les Efpagnols
r ue le laiiTaiTent pas retirer en fon pais ‘ fans '
s:irairembler leurs forces & l’attaquer.
Cependant les Avanturiers firent encore
Miune courfe, mais Morgan fe plaignit que les
^çartls qu’il envoyoit ne faiibient pas aiTez
)»!bonne expedition,& pour y remédier il vou-
tlut y aller luy-meihne. Dans ce deiTein il for-
nma un parti de trois cent cinquante hommes»
1a la tefte defquels. il ié m it, où tout autant
‘d'Efpagnols^ qu’il attrapoic , il leur faifoic
Ddonner la gene d’une manière-extraordinai-
Tome lU G re»
I40 H I S T O I R E
T'!
D E S A V A N T U R Î E ^ s. 141
tourna à Panama, où il trouva les Barques
revenues de courfe* qui avoient encore a-
mené quantité de pillage & de priionnicres >
entre Iciquelles il y enavoitune qui fe.di-
1 ftinguoit des autres. Toutes Tes maniérés
marquoient une peribnne de qualité» ce n’e-
ftoit pourtant que la femme d"un Marchand ïli
Efpagnol,que quelques affaires importantes
avoient obligé de paiTer au Pérou. Il favoic
laifTée en partant dans les mains de iès pro
ches J avec qui elle s’eiloic iauvée, & venoic
d'*cftre priie.
Elle eiloic alors fort négligée , mais une Portrait
»:I
D E S AV A N T ü R I E R S . 147
1 deux Religieux , tant pour apporter la ran-
çon de leuis Freres, que des autres qu'on re-
te noir.
En fuite Morgan receut nouvelle que le h y*
^ PreÎîdentde Panama , Dom Juan Perez de
c Gufman, raiTembloit ion m onde, qu*il avoic
pris le Bourg de Crux>oh il s’eftoit retranché,
& là qu’il vouloir* s'oppofer à fon paiTage*
On détacha un party de cent cinquante hom- '
mes , pour en içavoir la vérité , avec ordre
d*aller à Crux, & mefme juiqu*à Chagre, pour
faire venir les Canots & les Chattes, afin
d’embarquer le pillage. Ce party ne fut pas
long-temps à ce voyage 5 il rev in t, & rap
porta qu’il n*avoit rien veu , 6c que des gens
qu'il avoir pris, 6c interrogez fur ce fujet,
n ’avoient rien dit non plus. Ils firent enten- '
dre feulement qu’il eftoit vray que le Preiî-
dent avoir voulu raffembler ion monde , 6c
mefme mandé du fecours de Cartagene^ mais
qu’il n’avoit jamais pu trouver perforine qui
le vouluft féconder dans fon entreprife. Ils
ajoutèrent que les Eipagnols^ayoient eu une
telle peur lors qu’ils virent défaire en iî peu Efpagnols
de temps leur Cavalerie à la Savane, qu’ils
fuyoient ians s’arrefter, ny qu’on les puft
joindre; 6c meiîne qu’ils ne fe fioient pas les
uns aux autres ; car lors qu’ils s’entrevoy-
oient de loin , croyant que ce fuffent des
Trançois 6c des Anglois ,ils fuyoient eccorc
de plus belle.
Morgan avoir déjà attendu quatre jours
après la rançon des prifonniers, lors qu’en
nuyé d’attendre , il reiblut départir; 6c pour
çefujet» dés le matin il fit charger l’argent
G s ■ fur
"148 h i s t o i r e
fur des Mulets, encloiier tout le cnnon , S 5(
rompre Ics'ciihiTes de les tenons.fi bien qu^on
ne s’en pouvoir plus fervir. Apres il mitfon
^Twée en bon ordre ^en faiiant miirchcr une
partie devant, raurre derrière, & au inilieir
tous les priibnniers au nombre de cinq â fix
I cens perfonneSjtant hommes que femmes Sc
S^prifîacle
enfans ,& cela fait » il falut partir.
louchant. A la vérité c'eftoir un fpec^acle touchant^
ils fe regardoienttriftement les uns les au
tres fans rien dire j on n*entendoit que des
cris & des gemiiTemens. Ceux la pleuroienc
un frere , ceux-cy une femme qu’ils quic-
toienri tous generalement leur patrie qu’ils'
abandonnoient 5 car ils croyoient que Mor
gan les emmenoit à la Jamaïque , quoy que
ce ne fuit pas ion deiTein, mais feulement de
leur en faire la peur» afin que cette peura-
vançaft le payement de leur rançon. Le mefi-
me ibir Morgan fit camper ion armée au
rnilieu d’une grande Savane,fur le bord
d’une petite Riviere , dont Teau eftoit tres-
bonne; ce qui fut alors d’un grand iecours ,
car ces pauvres gens ayant marché au plus
fort de la chaleur,eftoientiî preffez de la ibif^
qu’on vit des femmes qui avoient de petits
enfans à la mamelle, demander inftammenc
& les larmes aux yeux , un peu d’eau, dans
îaquelle ils délayoient un peu de farine pour
donner â leurs enfans ; car ces malheurt nies
meres ayant beaucoup foufferc, n’avoienc
plus de laieft pour les nourrir.
r?-D*7ics
i'irTices.^ Le lendemain matin cette pitoyable mar
che recommença avec les pleurs Scies ge-
nuifemens ; 6c fur le milieu du jo u r, que la
chaleur
D E S AV A N t ü R Ï E R S . ï4p
chaleur eftoic dans fa plus grande force^dcux
ou trois femmes tombèrent pâmées de la
violence de cette arJeur. On les lai (Ta ilir le
chemin ; elles paroiiToient mortes , iî elles ne
rétoient pas » elles le contrefaiibienc bien*
Il y en avoit qui eiloient jeunes & aimables,
â qui les Anglois faiÎbient aÎTez de bien*
mais c'eftoit par intereft. Celles qui avoienc
leurs maris cftoient encore bien fecourues ,
puifqu’ils les aidoient à porter leurs enfans,
Sc en tout ce qui leur eftoit poiTible.
Enfin Morgarj arriva à Crux : on déchar J '•
gea aufii-toft tous les Mulets dans le maga-
zin du Roy , & les Avanturiers avec les pri- ' I
ibnniers campèrent tout autour.
II fembîe que les Efpagnols avoient elle
un peu. lents â apporter la rançon ; mais
quand ils virent qu’efFedlivement on emme-
noit les prifonniers^ils fe hâtèrent » & fe trou
vèrent à Crux un jour après Morgan. Les
deux Peres dont nous avons parlé , eiloient
aufii avec eux , qui apportoient dequoy reti
rer leup Freres,& les autres Religieux qu*on
retenoir. La belle Eipagnole que"^Morgan a-
voit aimée & perfecutée, fut dans la derniè
re confternation lors qu’elle vit revenir les
Peres fans apporter d’argent pour la retirer
bien qu’elle les euil priez d’en demander â j. .
fes parens, fans quoy Morgan l’avoit aiTen-^j/jftfe^jJ
rée qu’il l’emmeneroit à la Jamaïque. Par làEi'pagno.
on peut juger quel fut ion defefpoir.
Le lendemain de l’arrivée des P eres, il
vint un Efclave avec une Lettre pour cette ■r
Dame,' quieilqi:fa MaiilrelTe. Elle la lut,&
la montra enfuiceâ Morgan , qui apprifphr
^ G 6 cette
Ifo h i s t o i r e
cette Lettre» qu’on avoit mis entre îes mains
des Peres trente mille Piaftres pour la'rançotî
Tnfigne
de la Dame Efpagnole, dont ils avoient ra-
trompe- chete leurs Freies» au lieu d’elle. C’étoit bien
lie. mal fait a ces Peres, que je n'ay pas voulu
taire cqnnoiftre, à caufe de Pindignité de
leur action,Ôc delà veneration que j’ay pour
; leur Ordre. ^
luftlce de
M orgaa Morgan connoiflant cette tromperie , ne
I I put le difpenferd^en faire juftice , de laiiTer
âller paifiblement cette Dame avec lès pa»
rens, qui eftoierit auilî prifonniers,& de re
tenir tous les Moines, qu*il reiblut d’emme-
^ Ils prièrent qu’on en
laiirait aller deux , afin de chercher de Par-
g e n t, 8c que cependant les autres demeure-
roient en oftage j ce qui leur fut accordé.
Les Canots 8c les deux Chattes que Mor
gan avoit commandées, arrivèrent, 8c aufiî*
tqft on y embarqua le pillage avec tout le
Bis 8c le Maïs qu’on avoit âmaiTé autour de
jPanama 8c de Crux, On fit embarquer aulTi
quelques prifonniers qui n'avoienc pas payé
m Trifle fe.
p^ration, leur rançon , 8c cent cinquante Efdaves. Ils
& Jes dii- partirent en cet état de Cr«;c le 5. de Mars ^
fercns Ï6 7 0 . Cette iëpararion fit répandre quanti-,
cifecs, te de larmes , aux uns de douleur, aux au
tres de joye.Ceux qui eitoient libres témoig-'
noient leur joye, en remerciant Dieu de les
avoir délivrez : ceux qui ne Peftoient pas ,
s’afîligeoient d’aller avec des gens qu’ils
n'entendoient ny ne connoiiToienc point j Ôc
d eilre réduits a paiTer leur vie avec eux. Ils
forent tous mis dans des Canots avec autant
4 Avanturiers qu’il en falloir pour les con-
1 ' . duire-i
1 : :
'i i >
il
; i 1
1,';1
1i
lli
J! Il
"T"
'fl
Ï>ZS A V A N T U R I E K S . ïff
3 nîre ; & comme ces Canots croient trop^
chargez, les Avantnriers qui reftoient mar-*
chcrcnt par terre.
' Deux jours apres ils arrivèrent â un liea
nommé Barbacoas ,où les Peres qui eftoient
allez pour la rançon des autres Religieux ,
revinrent, & la payant les délivrèrent • ce
qui donna beaucoup de joye à Morgan, qui
enfin auroic efté obligé de les laiifer aller, 8c
C’eftoit toûjours autant de pris.
Avant de paiTer outre , Morgan dit â ies
gens que c’eftoit la coutume de jurer qu^on
ne retenoit aucune chofe ; mais comme on
avoir vû fouvent plufieurs perfonnes fans
confcience jurera fiaux , qu’il eftoit d*avis,
pour empêcher ce deibrdre , qu’on ne prei^
fall plus perfonne de faire ferm ent, & que
chacun foufFrift plûtoft qu’on le foüillaft.
. Ceux qui eftoient d’intelligence avec Mor-
gan , & qui fçavoient fon fècret, ne purent
toutefois fouÀFrir cette propofition , mais ils de fa
îSi ne fetrouvèrent pas les plus forts, fi bien’flo««?*
IP que bon gré , malgré il faluc y confentir. ^
Morgan fe fit foiiiller lé premier 2 chacun > coiul
â fon exemple, le dépoüilloic,6c eftoit fouil
lé partout ; & l’on déchargeoit leurs.armes
avec des tirebours >pourvoir s’il n’y auroic'
point quelques pierres preeieuiës cachées'
dedans.Les Li-eutenans de chaque Equipage
eftoient commis pour fouiller tout le monde,
6 c on leur avoir fait prefter ferment de s*en
acquirer avec exacflitude »fans en exempter
ou favorifer aucun , 8c de rapporter fidele-
jnent tout ce que Ton trouveroitfurqui-que
ç e full 9 làns pourtant nommer peribnne;
ti
’U I h i s t o i r e
A lavericé Morgan fît lâ un coup Je MaP I*
ítrc i mars ce ne fur pas fans beaucoup riP
quer : car pluneurs munnuroicnr furieufe-
m ent, & voiilojenc luy caiTer la teflrc avant
i\
DES A V A N T Ü R I E R S . i
s^attendift d’avoir nn moins mille écus pour
Îa parc : mais ils Furent bien trompez dans
leur attente >lorfque le parrap^e fut Fait, &
qu’ils virent que tout eiloit d*un cofté >8c
prefque rien de l’autre , Morgan & ceux do
fa cabale ayant détourné la meilleure part#
Cela les anima furieufement,ôc il n^en falloir
pas tant pour porter ces gens à d'étranges
extremitez. Il y en avoir qui n’alloient pas
moins qu’à ie faifir de la peribnne de Mor
gan & de iès effets : d’autres à luy fairefau-
ter la cervelle. Les moins emportez vou-
loient luy faire rendre compte de ce qu'on
luy avoit mis dans les mains.
Tandis qu’ils formoient toutes ces refolu-
tiens 5 fans en executer pas une , Morgan
qui avoit interell d'eftre iniVruit de tout,leur
détachoit des gens pour fçavoir leur penfée ,
6 c les adoucir autant qu’il eftoit poiTible :
mais quoy qu'on leur puft dire» ils en reve-
noient toujours à confiJererle grand butin
qu'on avoit fait, & le peu qu’ils en avoient
eu. Morgan de fon cofte n’oublioit rien pour
les éblouir : il ordonna de délivrer les vivres"
du Fort à tous les vaiiTeaux , & envoya tons
les priibnniers de l'Iile de Sainte Catherine à
Fortobello , avec ordre de demander la ran
çon du Fort de Chagre, que l'on refuia de
payer} fi bien qu’apres en avoir ofté le ca
non & les autres munitions de guerre , il le
fît démolir entièrement.
Malgré tout cela , Morgan ne s’aperceut
que trop que le nombre 8c l'animofité des
rnécontens angmentoient toujours fur fa
Flotte , 8c craignit enfin que leur reifenti-
nient
1^4 h i s t o i r e
inentn'allaft jufqu’à luy jouer un’ mauvais
tour : c’eft ponrquoy il fortictoiit d'un coup
delà Riviere de fans faire aiicim
ïuite de lignai. Il tut leulemeat accompagné de qua
Morgan,
inûgne tre vaiiRîaux qui lefuivirent , dont les Capi-
vol qu’il tainesfes confidens avoienc participé au voi
flic a UK inligne faica leurs camarades, qui avoîènt
iVvantu-
ïiCT5, hazarde leurs vies auiTi bien qu’eux & Mor
gan. — . .
! t
Qiielqucs Avanturiers François voulurent
!e pourfuivre , & l*attaquer • mais ils s'en a -
viierenttrop tard ; de forte qu’avec roufe la'
J 'I diligence poiTible Morgan fît route pour la ’ (
Jamaïque ,ou il-s’eft enfin retiré , & marié â ’
la fille d’un des principaux Officiers de ITfie
lans avoir eu envie depuis de ‘retourner en *
^ o rfe . II eft certain qu’ilyauroit efté ma|> IÇ'i
venu , après avoir trompé fi cruellement lès’
Avanturiers. A l’heure que je parle il eft élevé^
aux plus éminentes Dignirez de lajam aï-^
que - ce qui fait aiTez voir qu’un homme, tel
qu il loic y eft toujours eftimé y & bien recei|
p ar t o u t , pourveu qu’il ait de Targent.
i •
i /
y H T S-
il ' '
tff
K^ /Ti
HI S T O I R E îil
DES
AVANTURIERS
Q.UI S E S O N T S I G N A L E Z
DANS LES INDES.
Contenant ce qu’ils ont fait de plus remarquable
: il depuis vingt années.
1 A T R I E’ M E p a r t i e :
i t
C h a p i t r e I.
I
c H A-
h i s t o i r e
iO
i?'
C H PITRE II,
mfioire d-Hn AvanturUr Tfpagnol. Comment let
eAviintHYters
«
IBran^ois Vont décotiveyt, ^
T)ES A V A N T Ï Ï R I E R S ;
Nous croiivafmes cette maniéré raifonna-
. fcle. C*eft pourquoy on choiiit auiTi-toft qua- [ôriuV
i tre hommes d’entre nous , dont je fus du ccz-
I nombre > â cauie que j e parlois bien Efpa^-
'■ nol. L’échan«;e fa it, nous partiiimes j eftanc
- arrivez, nous fûmes introduits auprès de
E'Avanturier Efpagnol. Il eftoic aiTis ayane
i deux vieillards à Tes cotez. Nous le iàluames,
il baiiTa la telle fans pouvoir le lever de fora
fiege , à caufe de fa vieillelTe* Cet homme
me parut venerable , & par Ton âg e, & par
fa bonne mine : Tout vieux qu’il eiloit , il
^ avoir encore les yeux bien ouverts, fort nets
6c fort riants. Les années ne le dcfiguroienc
point tant , qu’on ne rcmarquail en luy de
certains traits qui plaiibient encore , 3c fes
rides mefmes fembloient n’avoir fait que gra
ver plus profondément je ne icay quoy de
majeilueux » qui regnoitpar tout fur lôn vi*
fage.
Je luy fis un compliment d’Avantnrier,
auquel il voulut repondre : je dis qu’il vou
lut , car je ne luy vis que remuer les levres,
6 c une grande barbe blanche iàns articuler
une feule parole, tant il avoit la voix foible
& laifée; mais la joye qu’on voyoir dans fes
yeux , répondit aifez pour luy. I! fe couina
vers l’un des hommes qui l’accoinpagnoienr,
6 c luy fit figne de nous parler. Ccc'homme
nous aiTura que ion Maiilre eiloit bien niië
de nous voir > 6c qu’il avoit ordre de nous
donner toute forte de iatisfadlion. C’eiï
pourquoy > ajoûra-t’i l , fi vous defîrez paiTer
au Magazin,vous pourrez choifirrout ce qui
vous accommodera 6c l’on prendra en é-
Tp;?fe l î , H change
1^4 H I S T O I R E
chiingece que vous voudrez donner. Ilp ar-
Joic ainfi, i^achant qu’il y a beaucoup de
ebofes que les Avanturiers n’eftimenc p a s,
ciuine laiiTentpas d’eftre coniîderables, &
fur leiquelles il y a beaucoup de profit à
faire.
Après cela nous prîmes con^è du Vieillard.
Il M 6c nous fiiivifmes celuy qui nous avoir porté
parole de ia part, il nous mena au Magazin,
qui eftoit vafte & bien g a rn i, & nous re
connûmes à beaucoup de cliofes > que les
Avanturiers venoientfouvcnt commercer ai»
veclH qftede cette maiion. Comme nous
parcourions tout des yeux > nous apperçO»
i i mes quelques tonneaux d’eau de vie. Apre's
cela mes camarades ne voulurent plus rien
Voir,& ne demandèrent que de Teau de vie*
c a rj’ay déjà dit plus d’une fois, que ces gens U
1 '
f aiment avec paillon. Nous convinfmes dç
ce que nous voulions donner en échange, 8c v
coftje conducfbeur ibrtit avec nous pour al- <
1er a noilre VaiiTeau voir ce qn*il prendroic,
I ( & amena des gens avec luy pour l’pnlevec
& porter noftrè eau de vie.
<i’un For-
fUftoire
failànt,Je luy demanday quelques^
t g L , al P"\rticularitez de fo;i Maiftre , & je fus fur-
ïî.i des pris d*appiendre qu’il n’é ro it, ny Eipagnol,
Avantu. ny Ayanturjer. On l’a crû Tun 8c l’autre, die.
Si€rs. cet homrne, dans tous les pais circonvoifîns,
parce qu*iJ a efte élevé chez les Efpagnols,
6c qu’il a paÎTe là vie avec les Avaniuriers,
Il eft Portugnais de Nation. Un Vaiiîeap
i’enleva fort jeune corrme il eftoit dans un
-Canot 9 le Maiftrc du V^aiiTcau qui eftoit Ei-
pagnol le mena dans une de Tes maiions, où
4
DES AVANT URI E RS . \e-i
il rftiloïc cultiver par des Efclaves quelques
Jardins plantez a arbres de Cacao. Il le mie
parmi ces Efclaves, & il le dreiTa iî bien à
travailler avec eux , que Ton Maiftre faima
& luy en donna la direcfbion, en forte qu’il
gouvernoit tout en fon abfence, Ôc qu'il fc
confîoit entièrement à luy«
Son Maiftre ne mvanquoit pas tous les ans
de venir charger un VaiiTeau de Cacao. Un ‘1
jour qu’il eftoic venu dans ce deiTein, Sc que 'iir
celuy dont je parle eftoic dans le VaiiTeau 1
pour prendre garde aux Efclaves qui le char-
geqieiK,un coup de vent enleva le VaiiTcau,
le jctta en pleine m er, & l’emporta bien
loin. Mon Maiftre qui avoitde'jafaicplufieurs
voyages dans ce mefme Vaiffeaii^ eftoit de
■fs venu aiTez bon Pilote pour le ramener» 8c
c’eftoiefon intention >mais les Efclaves qui
eftoient avec Iuy,remonftrerent que TEfpag-
nol,qui eftoit méfiant au dernier point» pren-
droit pour une inûgnc trahifon ce qui n'e-
ftoit qu’un pur effet du hazard , & qu’il nc'
doutoic point qu’â leur retour, il ne les punk
cruellement.Mon Maître infiftoit au contrai
r e , fe confiant, difoit-il, fur la vérité 6c fur
l’équité de TEipagnol /q u ’il pretendoit cor>
noiftre mieux qiie nous , 3c vers lequel il
fouhaicoic de retourner. Tous s’y oppolèrenc
forcement, craignant le fiipplice 3 c voulant
la liberté. Ne vous étonnez pas , pourfuivic
cet homme , en me regardant, de ce que je
fuis fi bien inftruic de toutes choies, j’eftois
l’un des Efclaves donc je parle» 3c des plus
animez contre celuy qui vouloir nous remet-
ire en fervitude» Il fut donc contraint de ce-
H i der
f !/
H I S T O I R E ..
I■ der iui nombre , & de s’abandonner à îa for
tune , car il avoit beau demander où Ton
I ^'1 vonloit aller ^ on ne fe déuerminoic à rien 3
ne trouvant point de lieu où Pon crût dire
en feureté^ Là deifus il nous arriva ce qui
ne rr*anque i>ueres d'^arriver fur mer.
Un VaiiTeau que nous n’apperceuiines
qu’au moment qu’il fut aiTez prés de nous >
nous donna furieufemenc la chaÎTe. Noftre
MaiUre employa toute ion adreiTe pour luy
échaper>mais une tcmpeile furvint à propos,
qui fit en noftre faveur , ce qu’il n’avoic pu
faire , & nous éloigna bien loin du VaiiTeau
qui nous pourluivoit. La teinpefte cefTée ,
nous commencions à reipirer, lors que nous
revîmes ce mefme VaiiTeau , qui fembloic
plûtoft voler que naviger : de manière que
ceux qui eftoient dedans nous joignirent:
bien vifte, & paiTerent dans noftre bord.ou
l’on ne fie aucune refiftance . hé comment
en auroit'On pu faire ? on n’avoit, ny armes,
ny canon, ny Toldats, 5c les ennemis avoient
beaucoup de tout cela.
Peu de jours apres, leur Chef nous mena
au lieu que vous venez de quitter qui luy ap-
pavtenoic , où il nous a toujours fort bien
traitez , fur tout noftre Maiftre, pour lequel
il a eu tant d’atfeeftion »qu’en mourant il luy
a laiiTé tout Ton bien. Comme ce Corfaire ^
car c’en cftoii un , aimoit durant fa vie les
Avanturiers , vivoit 5c coirmcr^oit avec
eux 5apres fa mon noftre Maiftre a fait tout
de meime» 5c nous nous en fommes fort bien
trouvez.
Si toit qifil euft cefie déparier» je luy de
mand ay
À
W
1
‘,rm
DÉS A V A N T U R I E R S , 1 ^ 7!
Eficinday pourquoy ils a voient là une Forte-
reiîe >c’eil à.cauie des Efpa!>nols, rcpliqua-
t*il »qui y ont déjà fait plufîeurs defcentes>5C
I*ont toujours attaquée inutilement, & mef-
me avec perte confiderable , fur tout la der
nière fois; il bien qu’il y a long-temps qu*ils
n*y font revenus I & je ne penfc pas qu’ils
ayent envie d*y revenir davantage. Ils ne
peuvent pardonner à mon Maiftre» croyant
qu’il eft de leur Nation, ôç qu’il a renoncé i
fa patrie ; mais la pure vérité , c’eft qu*il af>
lifte les Avanturiers» qu'ils ne fçauroient
fouftrir > ny les gens qui ont commerce avec
eux.
Durant ces difcours 8c autres femblables, R etour
nous arrivâmes infenfiblementànoftre Vaif- «les AvauJ
feau. Nos Camarades furent ravis de nous
voir 3 & plus que tout l’eau de vie que nous fcau.
leur aportions. Nous itfines entrer dans no-
ftre Yaiftçau ceux qui eftoicn.t venus avec
nous ; ils choiÎirent ce qui leur eftoit propre
8c l'emportèrent en échange ; 6c ceux qui e-
ftôient reftc2 en oftage s’en retournèrent a-
vec eux»aprés les avoir tous regalez du mieux
qu’il nous fiit poilible , de telle forte que
pous nous feparâmes les meilleurs am isdq
naond<^
Au fécond voyage que j’ay fait dans l*A-
ineiique, j*ay eu occafion de repalTer au lieu
oùj’avois veu la FortereÎTe , mais je la trou-
vay entièrement ruinée. C’eft do mm age,elle
eftoit belle,8c pouvoir beaucoup fervir con
tre les Efpagnols , 6c meÇne contre ces In-
diensappellez Indios Bravos , eftantfituée au
poilicu de ces deux Nations. J ’eus lacuriofité
H i ' de
h i s t o i r e
de fçavoîr des nouvelles du bon Vieillard à
^111 elle appartenoir. On me demanda iî cc
n eftoit pas de 1*Avanturier Efpaj>nol dont je
voulois parler >car il pafToit toujours pour
iI tel.^ ^ répondis qn’oüi ; ils me répliquèrent
qu eflant mort il avoirlaifle'deux filsdeEquels
le voyant puifTamment riches, avoient équi-
pé des Vaiifeaux pour aller en courfe, d’oiî
slsn eftoicnt point revenus, que félon routes
les apparences ils s’eftoient e'cablis ailleurs.
i■(
<
f Ils me dirent encore que du vivant de leur
pere ils vouloient aller contre les Indiens ap.
peliez Indios Bravos, afin de conquérir leur
pais , mais^que ce bon vieillard les en avoic
toujours détournez, tant â caufe des Efpac>-
nqls qui n’auroient pas manqué de fe préva.
loir de leur abiènee pour ratcaquer, que du
danger qu il y avoic d*aller contre ces In-
oiens.Auiri a-t*ii couru un bruit qu*ayant fait
nautraj>e »ils avoient efté pris, tuez & man
gez par eux. :i
H A PI TRE III.
!■1’
^oute des Avamttrters vers la côte de Cafla Riccai
( * ju/qu'ati Cap Gracia à Dios,
m
H fort finguliere.
Par exemple , ils difent qu’au moment
qu’on en venoit aux mains avec eux , 5c
qu’on croyoit les tenir , "^ils fe déroboient en
uni nft ant , 6c quand on les eiVimoit bien
éloÎ2;ncz, qu’ils paroiÎToicnt tout à coup de
vant vous, 6c vous aiTailloient ; que d’une
égaleviteiTe ils fu y o ie n t, 6c pourfuivoient
leurs adverfaires ; 6c ce qui eftoit plus extra
ordinaire , ÔC auiîî plus dangereux , c eft
qu’ayant le vifage tourné» ilstiroient des flé
chés auiTi droit à l’ennemy, que s^ils avoienc ttîifi I
cité vis à vis de luy j que fl la neceiTicé les
contraignoit» ou fl roccaflon les invitoit a y.
combattre de prés , ils s’efcrimoienc d’eftoc
& détaillé» ayant attaché plufieurs petites
feuilles de mécail aux manches de quelques
inftrumensdefer, dont ils fe fervoient coin«
me d’épées, 6c que par le tintement nom
breux de ces petites feuilles de métail» ils s*a-
nimoientau combat» 6c d’une impecuoflee
inconcevable chargeoient l’cnnemy,ou com
me on le vient de àire» s’efehapo ient en un
inftant ; 6c lors qu’ils ne le pouvoient^ayant
H 4 f"'
X7 0 HIST OI R E
faicfoudainla tom iëf ils fe cachoient tout
entiers fous de grandes écailles de poiiTon
qu’lis portoienc en forme d’écu 5 en force
qu*ils ne laiiïbientparoiftre aucune partie de
leur corps par où on les puftbleiTer. ils ajoû-
tent encore » qu'au travers de toutes fortes
d arm es, & du feu meime , on les a vu fe
luer en defeiperez fiir ceux qui les preiToienC
de trop prés , & méprifant la v ie , l’ofter
bien-toli: a leurs ennemis; mais quoy que
les Indiens ûe cette contrée ayent beaucoup
degenere du courage de leurs anceftres, ils
ue lainent pas deie faire craindre encore des
tlpagnols , & d’eftre toujours à leur égard
Jnaios Bravos»
Je me fiuviens que Morgan avoir plu-
lieure fois jure de leur faire perdre la qualité
d Indios BravoSfSc d’aller chez eux avec tant
de monde» qu on pût battre tout le pais, les
relancer comme des beftes iàuvages jufques”
dans leurs tanières. Il ne pouvoir fouiFrir
que les Avanturiers trouvaiTenc ces gens-là
prefque toûjours en leur chemin » car ibit
qu'ils allaifent en courfe, ou qu*ilsen revini-
fe n t, ils ne manquoient jamais de traveriér
leurs entreprifes. Ce n’eft pas qu'il s’attendiil:
a faire grand butin dans cette expedition ,
mais c*cftoit beaucoup gagner» difoit-il, que
dexcerminer des peuples qui eiloietir fi con-
tmires aux Avanturiers. Aujourd’huy qu*il
eit accommode »je m’imagine qu’il neibnge
gueres a ce deifein » 8c qu’il le regarde com
me réntreprife d’un Avantiirier qui peut
tout hazarder i parce qu'il n'a rien à per
dre. :' '
Autre-
D E S «A V A - N T U R I E R S . 171
' . Autrefois leS Avanturiers traittoient ayeq Commeri
ces Indiens, qui les accomrapdo-ient de tout diens ce des In«
ôc
çe qu'ils avoient befoin* Et en échange, ces des A van.
meiiiies Avanturiers leür donnoient des har turiers.
ch cs, des ferpes , des couteaux , & d’autres Pourquoy
inilrumens de fer.Ce commerce à duré lorhgr rom pu ^
temps 5 Ôc les Indiens n'ont pas efté les pre Mi
miers à le rompre , êç yoicy comme cela efl;
arrivé. .. . .‘r
- Quelques A vantyriers s’eftgnt un jour ren-’
contrez â de Boca delT m ro ,dotiC je
viens de parler , perfuaderenc les Indiens
d*amener leurs femmes ; ils iè regalerent en-
femble^ & les Avanturiers eftant yvres,tue-
rent quelques Indiens, & en fuite enlevè
rent ces femmes; ce qui a fait que de puis les
Indiens n*ont voulu, ny commerce , ny re
conciliation avec eux. ,
Gette Baye a vingt-cinq outrente lieues de
>3? tour:, 6c beaucoup d<^ petites Ifles > l’une
defquelles peut eftre habitée,à cauiè de l’eau
V qui y eft tres-bonne. Dans ce lieu on trouve
pluÎieurs fortes d’indiens qui fe font la guer
re, 8c ont mefme divers langages ; les Efpag-
m nols n’ont jamais pu les aifujettir à caufe de
leur courage» 6c défia fertilité de leur p a ïs,
t‘
Df dont *la terre, eft fi, excellente , qu*elle leur
fournit de quoy vivre, fans qu'ils (oient obli
'-^k'
gez de la cultiver.
En fuite nous fûmes â la pointe à Diego,
•ft nommé à caufe d'un-" Avanturier Efpagnol
.»-■ qui venoit là/ort fouvent»;6c luy avoit don^
i né ce nom. Elle eft arrofée d’une petite Ri-
r viere d’eau douce >;dans laquelle nos gens
croyoient pefeberi^aucoup de tortue ^ mais
r • H 5
^ ils
irrî H î s T O I R E
i ’s furent trompezjcar il faluc fe pafler d'oeuR
de Crocodiles que nous trouvâmes dans le
fable. Ils eftorent fort excèllens, ôc d^auiû
bon ,^ouft que les œufs d’oye..
De là nous fûmes du cofté de PQfîenc de
cette^Baye, où nous rencontrâmes des Navi
res d Avancuriers François, qui iè racommo-
cioient auiïi, & qui a voient aiTez de peine â
vivre ; ce qui nous oblij^ea à ne refter pas là
long-temps, & à nous retirer du cofté du
i '■h , Ponant de cette Baye ,où nous nous trouva*
mes mieux^Nous prenions tous les jours au
tant de tortue qu*il nous en falloir pour vi^
vre , & inefme alTez pour en faler.
Apres quelque fejourl’eau nous manqua ,
nous rames pour en prendre dans une Ri
viere qui n^eftoit qu'à deux lieues de nous •
mais comme nous içavions bien qu*il y avoiü
des Indiens, 1 on mit do monde â terre, afin
de voir s’iln*y avoit point de danger î mais
©n ne découvrit rien,& nos gens fiirenc pren
dre de Reau.
îmiSi, J- i»pr^s quelques Indiens fon-
fui les A- cuif fans leur faire de mal, au con-
vontu- traire » les noftres en tuerent d eux, dont run
riers. portoir une barbe d'écaiîle rortuë Sc Tautre .
P^^toiiToit quelque homme de confideration,
(^hc^ P^ree qu il avoir une efebarpe qui couvroit
la nudité , & une barbe d'or qui Je<]iftin-
giioit.Cette barbe eftoitunc plaque d'or bat-
'» tue qui avoit trois doigts de large, & autant
de long , elle pefoit une once ê c demie.
1 I
Cela fufnc pour perfuader qu’on trouve de
'^ de ces Indiens, qui s’eftend
allez loin J ac qu'OD pourroic facilement ha-
bicer^j
OES A V A N T Ü R I H R S . 171
l)iter, malgré les Eípagnols 'cjui n*y ont au-»
cuii droit, eftaiK auiTi bien permis à une au^*
tre Nation qu*à la leur d’occuper ces terres.
Le terroir en eft humide >à caufe qu’il y pleuc
trois móis de l’année, Ôc ne laiÎTe pas d’eftre
merveilleufement bon; ce quifeconnoift a
la façon de la terre, qui eft noire ôc produit
de puiiTans arbres.
Peu aprçs nous eÎTayâmes de nous mettre
en mer pour faire route vers la Jamaïque»
mais le temps n’eftoit pas beaucoup meilleur
que quand nous fortîmes de la Riviere de
Chagre , nous ne laiftâmes pas^ de pourfui- Crainte
vre noftre chemin, oL nous fûmes chaiTez diifipéc,
d’un bâtiment que nous croyons ennemy ,
parce qu*il ne nous montroit point de pavilc
ion > & que la fabrique eftoit Efpagnoie.
Nous firmes du mieux que nous pûmes pour
luy échaper ; mais en vain , 8c nous nous
préparions déjà à nous battre jufqu’à l’extre-
mité , pîûtoft que de nous rendre ,quoy que
la partie fût inégalé , lors qu’en nous appro^
chant il mit £on pavillon qui nous tirade
peine. C’eftoic un des Baftimens qui avoient
cfté avec nous à Chagre 8 c ^ Vanama, Il nous
dit que les brifes, qui eft un vent de Nordeft
qui y Jure fix mois de l’année, l’avoient en>
peiché de doubler pour faire fa route ^ 8c de
gagner jufqu’à Cartagene.
Voyant que ce Vaiileau qui eftoit meiU
leur que le noftre n’avoit pu avancer , nous
refolûmes de relâcher vers la Jamaïque par
le Cap de Gracia à dios, 8c pour ce fujet nous
revinfmes dans Boca del Tauro , où nous de
meurâmes encore quelque temps , afin de
H 6 COUS;
tM H I ST O I
’..1
‘'I tiens munir de ce qui nous eftoit plus
ceifaire, ^
Nous pafsâmes â Boca del Vrago , où nouî
Riperions faire mieux , parce qu^j y a beau-
coup de Lamendn. Ce lieu appelle Boca de!
^rago^ a communication avec Boca del Savo^
roy & n*eft clos que par une quantité de pe-
tites liles, dont il y en a qui font habitées &
çloignees de la grande terre de deux petites
lieues tout au plus.
Ifle que
J'on crn - On connoift qu'elles font habitées , parce
noift h a . quon y voit des Indiens , & que quand .
Hi I hit ces à on paiTe pardevant^on fent l*odeur des fruits
J’odeur
*i&> iruits. qui viennent fur les arbres que Ton y plante.
Jamais Chrétien n*a pii avoir communica
tion avec ces Indiens, les Avanturiers meil
rn^es n oleroient y prendre d*eau » ny appro
cher de la terre de trop prés avec leurs Ca
nots. Un jour un Avanturier envoya ion Ca-i
Indiens not pour pefcher,& allant le long du rivage,
qui fom - ceux qui eiloient dedans furent iùrpris ^ de
henr des
a r’-'res, 6c vmrdes Indiens iè laiiTer tomber du haut des
erîiDor- arbres dans l’eau ^d*où fortant tout â coup,
Tentles lis charprent un des leurs & hemporterent,
iwinmesi lans qu on en ait jamais eu de nouvelles.
Le ^meux Avanturier Louys Scot An-
glois, fe trouvant dans cette Baye , fit deA
cenre fur cette petite Ifie, afin d’en chercher
les habitations ; mais quoy qu’il eût plus de
cinq cent hommes avec luy , il fut obligé de
le retirer, car a mefurequ’il avancoit dans
le pais J On luy tnoit fon monde, fans qu’il
püt découvrir perfonne. Ces Indiens font en-
bois^ à courir dans les
Un
t î
r
■t'i
D E S A V AN. TU R Î E R S . ir?
i i
Un jour que j*efl:ois dans cette Baye â la
peiche de la tortue , avec mes Camarades ^
nousvilmes deloin deuxde ces Indiens dans
un Canot qui pefchoient avec des Blets j nos ■i
't gens tafcherent de les furprendre, & pour
cela ne faifoient point de bruit de leurs ra
mes » mais ciroient le Canot le long de la ter-*
re avec leurs mains»en prenant les branches
des arbres.Ces Indiens qui font toujours bon
guet les aperçurent,5c prirent auiTi-toft leurs
filets 5c leur C an o t, qu’ils portèrent plus de
vingt-cinq pas dans le bois, nos gens qui
n’eroiènt qu’à dix>huitpas d*eux ,fauterent fof-’
aufli-coft à terre avec leurs arm es, croyant ce^
les joindre j mais ils ne purent, car lors qu’ils
f e virent preiTez,ils abandonnèrent leur Ca
not avec leurs filets, 5c leurs armes ; 5c fe
fauvant, commencèrent à faire deii hurle-
mens horribles. Les Avanturiers qui eftoient
onze très-forts 5c cres-vigoureux, eurent
beaucoup de peine à remettre ce Canot à
l’eaU) que ces deux Indiens'avoient portéiî
loin .* ce qui fait juger qu*ils ont une extrê
me force.
Nous demeurâmes-là encore quelque
tem ps, afin d*en pouvoir furprendre , 5c de
-voir s’il n^y auroit point moyen de négocier
avec eux ; mais apres y avoir refté environ
un quart-d*heure, 5c mis noftre Canot à
Teau ,nous entendifmes redoubler leurshur-
kmens , Sc faire un bruit fi effroyable , que
nous n’ofafmes pas arrefter là davantage, 5C
que nous retournâmes à bord au plus vifte o
emmenant avec nous le Canot que nous leur
avions p ris, daus lequel eftoient leurs filets.
'tfg H I S T DIRE
1■
Oifejp- de la mcfme façon que les noftres , excepté
filet , & i‘Savoicnt environ deux pieds de hauteur,
d ’un Ca- & quatre OU cinq braiTes de longueur, des
^Hes'jn plomb , & du bois leger
çiiens! ”* deIiege*On y voyoic auiTi quatre Ca
ftons de Palmifte de la groffeur du poulce,&
longs environ de iix pieds. Un des bouts
eftoit pointu 8c fort dur, l’autre Teftoic auiTi,
& avoit à chaque coilé trois crocs en forme
de flèche ; la pointe de ces baftons eftoit tel
m lement endurcie au feu >qu’ils auroient per
cé une,planche comme le meilleur inftru-
.'M m en td efer; on en peut voir la façon par
cette figure ; leur Canot eftoit de bois de Cc-
dre fauvage , fans forme, 8c eftant mal vui-
dé , plus épais d*uh cofté que de l’autre. Ce
qui nous fit prefumer que ces Indiens n*onC î
aucuns outils de fer propres â travailler. Ils I
Îbnt en fort petit nom bre, car les liles qu’ils I
■i habitent font de peu d’étendue , puiique la ;
plus grande n’a pas plus de trois ou quatre |
:1 lieues de tour. I■
Voarqyoy Un Indien que nous avions avec nous, die
le s ln .
! ; diens fe que ces Nations n’ont aucune habitude avec ^
font la ceux de la terre ferme, 8c que mefine ils ne |
yucrre, s’entendent p o in t, 8c fo font fans ceflela f
guerre. Il içavoit cela, parce qu’il eftoit ve- | !
â nu autrefois dans ce pais avec ceux de ia | |
Nation.Voicy la raifon qu’il nous en donna, «
qui eft , que les Elpfagnols voulant réduire
ces Indiens, ils en tourmentèrent une partie
d ’une manière étrange ; l’autre s'étant fau- â
vée,s’écoit accquftumée à vivre de la pefche,
8 c des fruits qui croiiTent naturellement dans
ce pais, ou ils font errants 8c yagabonds, f
n’olhnt
A
*i»
IDES A V A N T U R Ï E R S . \ i f
h'ofarit avoir de lieu fixe , ny de commerce
avec d’autres Indiens, dont plufieutss’eftanc
foûinis aux Efpagnols.aydent â détruire ceux
qui ne le (ont pas, c*eil pôurquoy ils fe font
encore aujourd’huy la guerre , & s’éparg
nent auifi peu que s'ils n*eiloienc pas Je la
mefine Nation.
Sur quoy l’on peut dire que c’eft une cho- Antipatfd
fe eftrange S i déplorable en mefine temps > ^“5^*
de voir les iniinitiez réciproques de certains ions, de-
Jjeuples de l*E6 rope î inimitiez fondées furcrite &
mille rapports defavantageux » & fur autant i^éplorée
de faux préjugez. Par malheur , comme ils
ignorent les Langues differentes des uns 8c '
des autres » cette ignorance eft caufe qu’ils
ne s'entendent p o in t, qu'ainfi il leur eft im-
poiTible» ny de s'éclaircir, ny de fe détrom
per» Sc ne font que fe haïr» fans fçavoir
pourquoy >& fe haïr auiTi fortement que s’ils
le fçavoient.
Les peres prévenus de ces haines implaca
bles les infpirent â leurs enfans : de forte
qu'elles paiient de generations en gencra-
tions,qui n'afpirent qu'à en venir aux mains
qu ’à répandre leur fang, Sc à porter les cho- ^
lès à des extremitez fi cruelles , qu’elles les
reduifent au dernier affoibliffement.
S’ils ie fortifient dans la fuite , c’eft pour
s’affoiblirtout de nouveau, par des guerres
encore plus fanglantes, qui nefonc pas plu-
toft finies qu'elles recommencent. De ma
niéré que ces Nations éternellement enne
mies , ne fe connoiiTent que pour fe haïr &
ie craindre >que pour fe nuire & enfin s'ex
terminer. 11 y auroit beaucoup de reflexions.
à fai«»
178 h i s t o i r e
àt-airefiirccfujec, mais je laiiTo cela â dç
plus habiles que moy, & ne me mélerav que
d^ecnre mon voyage , qui ne cend au’à faire
connoiltrea ceux de l*Europe,ce qui fe paiTe
dans certaines contrées de 1’Ameriquc,donc
Ils n ont point encore de relations.
C H A ,P I T R E I V.
y'( f'\
w
liîl
ÍU H I S T O I R E
le pomper, & n*ofoienc quitter la pompe Uiî
quart d'heure, autrement l’eau nous auroiCi,a
gagnez j ce ^ui nous obligeoit de nous ran - 1
ger le plus présde la terre qu’il eftqit poiTible,
pour découvrir quelque lieu qui fuil propre
à le racommoder.
Enfuire nous entrâmes dans la grande
Baye de Bluksveli i ainfi nommée , à cauie
d'un vieux Avanturier Anglois, qui s*y re-
tiroit ordinairement. Son embouchure eft
fort étroite au dehors,8c a beaucoup d’éten
due au dedans,quoy qu’elle ne puifTe conte
nir que de petits vaiíTeaux,á caule qu’elle n'â
ml: que quatorze à quinze pieds d’eau. Le pais î
^1 1 1
'"'"l'iS'S ' Ii lI P n
:' des environs eft fort marécageux, parce que
plufieurs Rivières s’y viennent répandre. On
trouve là encore une petite lÛe pleine d'Hui- 'i'
ires tout autour»aaiTi bonnes que celles d'An
gleterre , finon qu’elles font plus petites.
Nous fûmes mouiller vis-à*vis de cette
petite Pile , à terre ferm e, contre une pointe
qui fait comme une Peninfule » où auiTi-toft
nous cherchâmes le moyen de donner caréné
à noftre Bâtiment, mais nous ne trouvâmes
aucun lieu plus commode qucccluy où nous
cftions. Nous y cherchâmes de l’eau douce ,
fans en pouvoir trouver ; ce qui nous redui-
fîc à faire des puits qui nous donnèrent de
tres-bonne eau. Nous ibngeâmes à avoir des
vivresj de maniéré qu’une partie de nos gens
I’ alla à la pefehe , & l’autre à la chaiTe » pen
dant que le refte déchargeoit le vaiiîcau,
f ; pour luy donner caréné i enfin chacun avoir
îbn occupation.
<>Í Le foir nos Pefeheurs revinrent fins avoir
rien
DES'AVANTURIERS; i Sï
çîcn pris,ni vu aucune apparence de Lnmen- I'
tin. Nos ChaiTeurs revinrent aiiiTi, mais ils
: apportèrent quelques FaifantSaSc une Biche.
^ On fit promptement cuire la moitié de la Bi*
che> avec les Faifants * dont nous foûpâmes
d*un grand appétit, n*ayant point mangé de
I viande depuis que nous eflions fortis de Pa*
: nama. Il y avoir un homme parmi nous, qui
) nous dit de nous donner de garde des In-
^diens j mais comme ceux du Canot, ny ceux
Lfiqui avoient cilé à la chaiTe » n’en avoienc
^:point apcrceu»nous crûmes qu*il n’y en avoir
point 5 & ne laifsâmes pourtant pas de faire
V bonne garde la nuit. Le lendemain au matin
chacuri de nous reprit fa fonction, les uns
'B de la chaiTc » les autres de la peichc; & pour
c cela tous fe firent mettre à terre de Fautre
c cofté de la Baye,où à caufe des bois,ils croy-
a oient trouver dequoy tirer.
Lefoir les ChaÎTeurs apportèrent des Sin-
g ges qu’ils avoient tuez » n*ayant pas trouvé
autre chofe;8c les Pefeheurs apportèrent feu-
I lement quelques poiiTons nommez Savates,
X On apreftale poifTon » 8c on le mangea en
î: attendant que les Singes cuifoient. On en fit
I rôtir une partie, 8c bouillir Fautre ; ce qui
i nous fembla fort bon.La chair en eft comme
) celle de Lièvre , mais elle n’a pas le mcfmc
} g o u ft, eftant un peu douçâtre j c’eft pour-
» quoy il y faut mettre bien du fel en la faifant
i cuire. La graiiTe en cft jaune comme celle du
Chapon,&plus meirne» 8c a fort bon gouft.
Nous ne vécûmes que de ces animaux pen
dant tout le temps que nous fûmes lâ ; parce
n u e , comme je Fay déjà d it, nous ne pou-
• -
]
i8î h i s t o i r e
vionstrouver i^utre choie ; iî bien ejue tons
f? les jours les ChiiTeurs en apportoienc autant
Curieüfcs
que nous en pouvions manî>er.
particula- Je-fus curieux d’aller â cette chaiTe, &
ritc z d e s ta ra is de 1 inftind: qu’ont ces belles de con-
Singes, noiirre plus particulièrement que les autres
Leur in-
animaux ceux qui leur font la guerre , & de
chercher les moyens,quand ils font attaquez,
ïàf Com defe fccounr &de fe défendre.Lorfqne nous
ï ment ils les approchions, ils fe joignoient tous enlem-
fe défen le , le mertoient a c rie r, â faire un bruit é-
i l dent,
1 fl » Pouvantable , & à nous jetter des branches
lecnes qu ils rompqicnt des arbres ; il y en a-
voïc meime qui taifoicnc leur faleté dans
^Lirs pattes , qifils nous envoyoient à la te-
'i\'
DES A V A N T ü R I E R S :
fiors cela ils ne (ont point difFerens des au
tres. Il faut fans doute que ces animaux Singes
foicnc fujets à certain mal des jointures
comme g o u tte , ou autre chofe : car quoy
qu*on en prenne , 6c qu’on les nourriile
bien , ils ne laiiTent pas de faire tout de mef-
me J?ils mangent peu , 6c demeurent toû-
jours fees 8c arides. Les jeunes font auiS
incommodez que les vieux , lors qu’on peut
; les atteindre on les prend facilement avec
[les mains, fans qu’ils faifenc autre choie que
|, de crier.
î Tous les Singes de ce païs vivent de fruits,
I de fleurs, 6c de quelques inieç^es qu’ils aN
i trapent d’un cofté 6c d’autre, comme Ciga-
! le s, 6c autres beftes fembîables^
j. Nous avions déjà demeuré huit jours
j dans cette Baye , 8c nous y aurions reilé da-
I vantage fans l’accident qui nous arriva. Un Accident
j matin à la pointe du jo u r, que nos^Chaf-^^^
I feurs 8c nos Pefeheurs eftoient prefts à pne-
i t i r , 8c chacun de nous à faire ce qu’il de-
j voit*, par exemple nos Efclaves brûloienc
I des coquillages pour faire de la chaux , au
^ lieu d’arcanion , qui eft une efpece de poix ,
afin de racommoder noftre Bâtiment 5 les
femmes eiloient occupées à remplir nos fu
tailles d’eau , qu’elles alloient tirer tous les
jours aux puits avant que la mer full haute,
qui l’auroit làlée. Comme ces femmes s*e-
^oient levées plus matin qu’à l’ordinajre,
pour aller à l’eau, une d’entr’elles demeura
derrière, 8c s’amufi à cueillir 8c à manger
de certains petits fruits qui çroiiTect au bord
de la mer»
Cettç
H I S T O I R E
>c Cctre femme el\:nnt baiffee , vie ibrtir eti- n
viron â vitv>;r cinq pas d*clle,du mefme che-« )\
min par oii eftoient allées fes compagnes , ;
quelques Indiens qui venoient à elle. AiiiTi- 1
toil elle courut vers nous, & cria, Chreftiens^ ^
•voilhdes Indiens^ A l*inftant nous prîmes nos
armes , & courûmes du cofté où elle nous
'i u. dit les avoir veus ; & entrant dans le bois »
nous trouvâmes nos trois femmes efclaves
par terre , percées chacune de quatorze oa
quinze flèches qu^’elles avoient toutes dans
plufieurs parties de leur corps,en forte qu’el- i
les ne donnèrent pas le moindre (igné de vie»
quov qu’elles fiiflent encore toutes chaudes, n
& que le fang coulaft de leurs blciTures.
Au flî-toit nous courûmes dans le bois plus
d’un quart de lieue fans pouvoir rien décou
vrir , non pas mefme qifil y euft paifé des
gens , quoy que nous tuiTions aifurez qu’ils
s’efloient iauvez par le chemin que nous
prenions pour lesi'pourfuivre. Nous fûmes
curieux de voir comme ces flèches eftoient
faites, & pour cela nous les tirâmes hors du
Fléclics
corps de ces femmes.
fjngulie- Nous trouvâmes que ces flèches n’avoient
ÇCS» aucune pointe de fe r, ny d’autre m érail, &
qu’elles eftoient mefme faites fans inftru-
ment. Elles avoient cinq ou fix de long , la
vérité eftoit de bois commun du pais , delà
groiTeiir du doigt,bien arondie, 8c ployante. ,
A l’un des bouts on voyoit une pierre à ten
fort coupante , qui eftoit enchaiTée dans le
bout avec un petit croc de bois en façon de
barpon. Cela eftoit lié avec un fil d’archal
d’üiic telle force, qu’on les pouveie jerrer
contre
ï;
in ?
H I S T O I R E
contre les corps les plus durs fans les poi?*^
voir rompre, de maniéré que la pierre auroit
plûroft caÎTé que de fe défaire. L'autre bout
ciloit pointu,
11 y en avoit quelques-unes de bois de
Palmifte , & fort curieuièment travaillées ,
Sc peintes en rou^e ; au bout doLqiiclles il y
a voit une pierre à feu , comme j'ay d it, & à
Tautre un petit morceau de bois creux de la
I longueur d'un pied,dans lequel eiVoient ren
fermez de petits cailloux tout ronds, qui fai-
>t :I Loient du bruit enfcmble lors qu*on remuoit
la flèche. Ils avoient eu la fubtilité de mettre ^/
des feuilles d'arbre dans ce bois, afin d'em-
pefeher ces petits cailloux de faire du bruit j
& je penfe qu’ils mettoient ces cailloux afin
que leurs flèches eufient plus de coup.
L'on peut juger de la que les Indiens n'ont
aucun commerce avec qui que ce fo it, 8c
voir la façon de ces flèches par la figure qui
eft icy^
Après avoir vifitè 8c enterré les corps de
iios Efclaves, nous fûmes chercher 8c regar
der par tout fi nous ne trouverions point les
Canots de ces Indiens » pendant qu'une par
tie de noftre monde travailloità rembarquer
vîccment coutnoilre pillage ; car nous n*o-
iîons pas refler là davantage j 8c quoy que
noftre Bâtiment ne fuil pas encore en é ta t,
nous ne laiisimes pas de le remettre en mer,
cfperanr, avant qu’il nous manquaft,gagner
le Cap de Gracia a ^ios^ où nous eftions aiTa<^
I , irez de trouver des Indiens de nos am is, qui
flous donneroient tout ce qui nous feroit nei»
Ainfi des ce mefmc jour nous nous
erabaq»
DESAVANTÜRIERS.
èmbarquames , Sc le lendemain au matia
nous iortime« de la >Baye de BMveît^
C h a p i t r e V,
'Arrivée delAuîheurau Cxp Gracia a dw$ ? def*
€rtpîion de la vie é* mœurs des Indiens de ce
fays ; é* l/i maniéré dont les Avanturiers trai^
tem avec eux,
i<
D E S AV A N T I T R I E R S .
cftrc admirablement adroits à tirer du poif-
fon nu harpon y dont H avoir befoin pour
nourrir ion Equipage. Il ti^aita bien ces In
diens , qui apprirent da Langue FrançoiÎè.
Les ayant gardez un ou deux an s, il leur de
manda s’ils y-ouloicnc retourner en leur pais.
Ils'répondirent qu'oiiy. Il les y remena ; &
quand ils furent retournez chez eux , ils- di-’
rcrrf tant de bien des Avanturiers d leurs
gens , qiVilé'cpnceurenc d’abord* de l'amitié
)our eux ; ôc cè qui l’augmenta , c’eft qu*ils
Î eur firent entendre que les ’ Avancuriers
tuoient les Efpagnbls.
Cela réjoiiic beaucoup cette Nation', qui
commença dés-lors â careiTer les François ,
.quijieleur coft“ leur faifbient amitié , leur
donnant des haches, des ferpes, des d o u x ,
& d’autres ferremens pour faire des armes.
Par ce rtioyen ils Îe rendirent inienfiblemenc
ü familiers avec eux , qu’ils apprirent leur
Langue ,& prirent de leurs femmes qu’ils
leur accordoienc volontiers , de fbite qne
quand les François partoient, il fe trou voit
toujours- des Indiens qui vouloient les ac
compagner ; ce que les Avanturiers ne refu-
. /oient jamais^.
Par la- fuite du temps les François donnè
rent de ces Indiens aux Anglois , 6c leur di-
. rent la maniéré qu’il les faloit traiter, aver-
liiTant auiTi les Indiens que ces Anglois e-
ftoienc bonnes gens, qu’ils les traiceroienc
bien les remeneroient chez eux. Ils fc
font ainii accommodez avec les Anglois , §C
ne font aujomd’huy aucune difficulté de
s’embarquer fur les vaiÎTeaux de d’une & de
J’aucrc Nation. 1 3 Quand*
•jíi HISTOIRE'
n Quand ils ont fer.vt trcis ou quatre ans 1'
gii'ils ffavent bien parler la Lang^^ae Frangoi-
i; ie ou Angloife , ils rétoiirnent chez leux, fans
A rv f Æ-\. « » f ^ *1 A * n A— __ ' ^
[]
'1 demander d^autre* recompénfe que quelques
l e s Tn. iniliumens de Mr , m^priian'ti’argent, les
'1 die ns n:é-
1; > prifent ce
j * q'>e nous I n.v,xjticijciu civcu iiiui a empreiie*
1
A’ efti irions. ment, & font tout leur bonheur de poiTeder»
-R. ifon Ces Indiens au contraire fe contentent de ce
f;' q u ’ils en
xendeni.
s’ils ont peu ,dur:nioins qu'ilsiôut en reposa
^& qu'on ne leáí deqaande ritiiî; & ajoutent
qu’ils naiifent nuds » qu'ils V-iÿébt nuds, 5C
qu’ils veulent môutif nuds.
Ils fe gouvernent à peu près en Republi
que , car ils ne reconnoiiîènt ny Roy,ny au
cune perfbnnequi ait domination fur eux.
Quand ils vont en guerre^ils choifiiTcnt pour
les commander le plus apparent 5c le plus ex
perimente ; comme par exemple celuy qui
aura efté avec les Avanturiers : 5c quand if$
Oucî cil reviennent du com bat, ce Commandant n*a
plus de pouvoir que les autres. Le pais
ment. quails habitent n'a que quarante ou cinquan
te îieuës d’étendue. Ils font environ quinze
cens hommes en tout >ièparez en cfeux trou-
•"'peSj qui forment comme deux colonies. Les
uns'font au C ap, 5c les autres â
' Ce font Ceux de Monjiique qui vont oï dinai-
rement avec les Avanturiers , parce que les
autres ne font pas iî courageux , 5c meme
n ont pas tant d’inclination pour la mer. Ils
ne font point d'afiance ny de quere lles avec
leurs voifins j mais s'ils commencent à les at
taquer , ils frayent fort bien fe défendre.
Ils
•t
Ir
‘Vil'
DES A VA NTURIERS. ïW
^ lis n’ont aucune Religion? cependant nous \Uti'ôrtî
liions que leurs anceftres avoient autrefois
leurs Dieux ô£ leurs Sacrifices. Je diray un cdiS dd
•mot de leurs Sacrifices, parce qu’ils avoient leurs an.
quelque chofe de fingulier. Ils donnoient
tous les ans un Efclave à leurs Prefires , qui
devait eftrc la reprefentation de l’Idole qu’ils é^ard,
adoroient. Inconnnentquc cet ^Efclave en-
'troit en office , apres avoir eilé_ bien lav é,
ils le revétoient de cous les habits 6c orne
mens de l’Idole, Tappellant du meilnc nom;
de maniéré qu’il eidoit toute l’annee honoré
6c révéré comme leur Dieu. Il avoir toujours
avec luy douze hommes de gnr le , autant
pour le lervir , que pour empêcher qu’il ne
s’enfuid*. Aveccerce garde on le laifToit aller
librement ou ilvouloit; 6c fi par malheur îî
Venfuyoic, celuy qui en e'fboit le chef', eiloïc
inisà la place pour repreiènter l’Idole,6c en-
luire eftre facrifîé.
Cet Efclave avoir le plus honorable logis
de tout le Temple , où il mnngeoit 6c beu-
voit, 6c où tous les principiiix de la Ciré le
venoient fervir régulièrement, 6C avec l’or,
dre 6c Tappareirque l’on a accoùiumé de
fervir les Grands. Qiiand U allolt par les
rnis, il eO:oir fort accompagné de Seigneurs,
6c portolt une petite flùce en la m ûn , qu’il
toiichoit de fois à autre , pour faire enten dre
qu’il paiToit. Auifi-toft les femmes foitoienc
avec leurs petits enfins dans les bras , les luy
prefentoient pour les béni r , 6c l’adoroienc
comme leur Dieu. Le relbe du peuple en fai-
ibic autant. Li nuit ils le metcoient dans une
• force prifon, de peur qu’il ne s’ea alla fi:, Sc
I 4 conci-*
1^
H I S T O I R E
continuoient aînii jufqu’au jour de b fcÆe -
qu*ils le bcrifioienc. ^
P qui fait voir cii paiTant que rancicnne
coûtume^des Indiens eftoit d^immoler des
t( Ffpngnols nommes à leurs feftes folemnelles. Il eil vray
en quoy
âüSi cou- que les Eipagnols ont aboli cette coutume
pjWes deteftable en exterminant ces Indiens ^ mais
que les 1 on peut dire qu*ils ne Ibnt pas moins cou-»
, '1 *r Indiens pables.En efFec iî ces peuples ont Eicriiîé des
IduJâtrcff
..1 hommes a leur iuperftition , les Eipasnols
n’ont-ils pas auiïî facrifîédes hommes a leur
intercft en maiïacrant ces malheureux ? ils
femblent meiînc plus inexcuiables,& ce que
ces Idolâtres croyoient honorer leur Dieu
par ce facrifice , & qu’eux n*ont penfé qu'à
latisfaire leur avarice par le maiTacrc de ces
Indiens,
Sentt- Pour revenir à ceux qui n’ont point de
mens
n'ils ont Religion , quand on leur parie de Dieu , &
3 c Dieu de les convertir, ils difent que fi Dieu efi:
& de ‘tcut-puiÎTant, il-n’a que faire d’eux ; que s’il
l'Ame.
C erem o nvoit voulu^ les appeller r il n'auroit pas at
nies de tendu jufqu’a preiènt. Ils croyant pourtant
leurs .ua-. qu il y a une ame, mais ils ne fçaiiroicnt dire
liages. ce q^ue c’eft. Ils font melinc des ceremonies
apres la m o rt, Sc aux mariai^cs : par exem
ple, fi un Indien recherche une fille qui ait
fo n pere , ij s’adreife a luy. Alors le pere loy
demande s il icait bien tuer du poifTon, faire
des harpons pour le prendre, é i s’il eilbon
ChniTcur ? Et quand il a bien répondu â tou
tes ces chofes ,Ic pere prend une f>rande cal-
baiîc qui tient pour le moins deux pintes, ou
Il veriè une liqueur fiite de miel & de jus
d’Ananas, & boit cela tout d'une traite; 8c
' ^ j
1ayant
DES AVANTURIERS. 19S
ayant remplie > la prefente à fon (Rendre >
qui la boit de mefme , 6c reçoit la fille pour
fa femme , après que le pere a pris le Soleil d
témoin qu’iln ela tuera point* Voilà la ma
niéré dont ils fe marienti il ne r ^ e plus qu*à
voit comme il vivent enfemble lors qu*ils »
font mariez,
Lliomme fait une habitation , & la fem .1 >1
me la plante de toutes fortes d’arbres frui
tiers dont ils fe nourriifent.Cette habitation
cftant plantée , la femme a loin de Tentrece-
!i ! .
nir , 6c de preparer tout ce qui en provient
pour boire ou pour manger.lls vivent la pluf* î' i
part de Bananes qu’ils font roftin eftant mu
res > 6c apres ils les écraiènt dans Teau juf*
qu’à ce qu’elles foient réduites en boiiillie, i
-Ils nomment cela MicheU , ce qui eft bon ÔC
fort nourriifant. Il y a une ibrte de Palmifte,
•qui produit un fruit qu’ils préparent de la
mefme maniéré, excepté qu’ils ne le font pas
cuire 5 5c qu’il eft de couleur roii^c.
La femme vient tous les matins peigner Com-
fon mary » 5c luy apporter à déjeufner : En '*
faite il va à la chaÎTe , ou à la pefche , 5c à quand ils
fon retour elle appreile ce qu’il a apporté,
Les femmes ordinairement s’occupent,outre
l e travail de leur habitation , à filer du co
ton , de quoy les hommes font des Hamas ôc
des Ceintures »dont ils cachent leur nudité.
Ils ifont que cela pour veftemens , encore
tous iVontpas des Ceintures de coton , mais
•feulement de certaine écorce d’arbre >qui
battue entre deux pierres devient douce
comme de lafoye , 5c dure long-temps. Ils
font beaucoup de choies de ces écorces •
1 $ com-
P
H I S T O I R E ^
comme des lits & des langes pour fenn etfir
fnn<î.
Qiiand ris commencent leurs Loges , les
femmes amaiTent tout ce qui eil neceiTaire
pour les f a i r e l e s hommes les conftraiit nr.r
Ils (ont fî peu jaloux les uns des autres, que
les homrnes & les femmes parmy eux Îc
communiquent également.Ces deux Tribus
demefme Nation , fçavoir celles du Cap-,
& de Monftique,iè voyent réciproquement,
e? iîüî Te Ccîuy qui rend vilîte porte les plus bellesar-
paHc Icrs iiies, & fè noitcit autant qu’il peut.Sc quand
J 3 qui il va rendre ce
* devoir, car cette viiîte elb generale , il s’nr*
rtfle à la pn-emiere maifon ou on le meiné.
Dés le premier/Indien qu^'il apperçoir, il fe
jette tout de fon long la face contre terre.
L’autre qui le voit en cette poRure, qui fçait
que c^eft un Etranger, va avertir les In
diens qu’il y a de leurs amis arrivez • car ils
ne vont jamais ieuls en vifire, mais il y en
a toûjours un qui precede les antres : alors
trois ou quatre Indiens des principaux fe
noirci/Tcnt promptement-, prennent leurs ar
mes , Sc vont recevoir celny qui eft couché
le ventre à terre. Ils le relèvent, & après
vont aux antres , qui dés le moment qu'ils
les apperçoivent fe jettent par terre comme
a fait le premier 5 ils les relèvent encore, 8C
les mènent tous où les autres font aiTemblez*
Pendant que ces trois on quatre font oc*
ciTpcz à recevoir les nouveaux venus ,lere-
fte de leurs hommes ie noirciiTcnt & les fen>
'»t mes fe roudiTent avec du Rocou , afin de
Kcevüir aiuTi la viCte.Si-toib que ces Indiens
font
DES A V A N T U K t E R S . ip7
'font arrivez , on leur prepare da Michela» do
r Achioco , dc line boiiTon auiTi forte que le
vin pour le lendemain *, fi bien qu’ils s’eny-
Itl'
DES AVANTÙRIERS,
jvc >felon qn*il eft riche j & s’il a des Eicla-
ves , on les tue pour les enterrer avec luy :
On jette auiTi dans la foÎTe fes habits, Tes ar
m es, ôc tout ce qu*il a fw^fTedé , ia femme
luy porte pendant un an « qu’ils content
quinze Lunes, à boire & â mander deuxioi-s
par jour, p^rce q u e , felon la iiiperftition des
Indiens , elle s’imagine qu’il en a belbin ,
mefine après fa mort; & lors qu’ellene trou
ve plus ce qu’elle a apporté , elle tient cela 4
bon augure, croyant que Ton mary en a prc>
fitéjbien que ce foit quelque animal qui l’ait
mangé. Si au contraire elle retrouve tout ,
comme il arrive aiTez Couvent, elle le va en
terrer , car ils ne permettent pas que lesbe-
hes y touchent. J*ay quelquefois fait bonne
chere de ce que je trouvois fur ces tbiTes , à
caufe que ce font les meilleurs fruits qu’ils y
apportent.
Lors que les quinze Lunes font pauees, la
femme va ouvrir la foiTe , prend tous les os
de fon mary, les lave & les nettoyé le mieux
qu’il Iny cftpoiTible , aprésles enveloppe, &
les lie fl bien les uns avec les autres > qu’ils
ne peuvent fe deifairc , 6c les porte fur ion
dos autant de temps qu’ils ont ellé dans la
terre. Après cela elle les met au haut de fon
habitation, ii elle en a une , 6c fi elle n’en
a p o in t, chez les plus proches parens qui en
ont.
Les Veuves ne peuvent prendre d’autres
maris,qu’elles ne iè foient acquittées de tous
ces devoirs. On ne deterre point les os de
ceux qui meurent fans avoir efté m ariez,
mais on leur porte à manger. Les maris dont
les
W i H I S T O I R E
/ I l
les femmes meurenc, ne iant point abligcz i
1 f ï•
toutes ces ceremonies.
Quand les Avanturiers vont chez cetto
M :: Nation , ils y prennent des filles, & les é-
> 1 pouiènt delà meiîne maniéré que les Indiens
font entr*eux, 8c apres la mort du mary , la
femme Indienne fait la mefiiie chofe ques*iÎ
I I
eftoit Indien*
'
if! BCToit Autrefois quand un ^rand Seigneur mon-*
♦ que les roit parmi eux , ils l*expoibienc quelque-
.■ 1 ■ Indiens
>. rendoiem temps dans une chambre^ alors Tes parens
aux ics amis accouroient de toutes parts, appor-
moits. toiene des prefens au m o rt, 6c le fifiiioient
comme s*il eult efté envie. Outre les Efcla-
ves qu*il avoir» ils luy en offioient encore
de nouveaux pour efire mis à mort avec luy,
afin de l’aller ferriren l’autre monde. Ils fai-
foient auiTi mourir le Preftre , ou le Chape
lain qu’il avoît ; car tous les Grands Seig<»
neurs avoient un Preftre chez eux pour faire
les ceremonies de leur Religion : Ils le
tuoient donc dans Ce moment pour aller fai
re ion Office en l’autre monde ; 3c ce qui eÎE
ctrange,c’eft que tous ces Domeftiques s*of.
froient volontiers pour aller fervir leur def-
funt Maiftre , 3c mcEmc avec d’autant plus
d’empreifement, qu’il leur avoir efté boiî
durant fa vie. Ils tuoient aufii le Sommelier,
le Cuifinier, les Nains Sc les Boifus.
A ce propos on raconte qu’un Portugais
cftant Efclave parmy ces Barbares, avoir
perdu un œil d’un coup de fiéche qu’il avoir
reçu dans un combat. Comme un jour ils le
▼ouloient tuer pour accompagner un Grand
Seigneur qui venoit de mourir,il leur remon
tra
D K S AV A N T U K Î e r S.
tra que les habirans de rautre monde ne
poiivoient foufiFrir cenx qui avoicntle moin-
d’-e deflTaur. Sc qu’alnfi ils feroient peu d’é
ta t du deffnnt, fi on voyoic à fa faite un hom
me qui n*eut qu’un œ il , & qu'il ièroit bierj
plus honorable pour le mefme JefFunt, d*'ei3
avoir un qui eut deux yeux. Les Indiens ap
prouvèrent Ces raifons , & par cette adreife
le Portuguais feeut éviter la morT.
Ils ont maintenant beaucoup deNegres
pour Efclâves ; il y en a auiTi beaucoup de
libres, à qui leurs Maiftres en mourant ont
donné la liberté .• Ces Negres ne font pas^
naturels du pais» la race en eil venue de
Guinée ,& voicy comment.
- Un Navire Portuguais venant de traiter Cmorn- cnrfeà
pour des Negres e» ce pais, afin de les porter Efcîavcs
-au Brefil ; ces Nègres eiloient en fi grand N egres
^nombre fur ce VaiiTeau, qu’ils s*en rendirent font ve*
nus ch«a
les maiftres, & jetterent tous les Portuguais les lîï.
à l’eau. Alors ne feacbant de quel cofté tour dien% ,
ner , ils furent ou le vent les conduiiît, &
arrivèrent au Cap'de Gracia à D h f t fans iça-
•voir ou ils eftoient. Plus de la moitié mou
rurent de faim & de fbif, & ceux qui écha-
perent Sc qui arrivèrent-là , furent faits Ef^
claves parles Indiens » & font encore plus
de deux cent de cette race. Ils parlent com
me les Indiens » & vivent de meiîne ^ fans
avoir aucun ibuvenir de leur pais , ny pou
voir dire comment • ny d’où ils font venus. m d ieîïj
Les Indiens font iujets à d e s maladies fort fn|et à d e
dangereufes , comme â la petite veröle, aux grandes
fièvres chaudes 6c nu ilax de fang,aufquelles mLeaîad'e».
rem e
ils ne font aucun remede ^ finon que quand de fju’ife
ils y font,
H I S T O I R E
ils ont la fîevre chaude, ils fe mettent i l'eau
juiqu au e o l, & par ce moyen ie i^uériiîenc il
parfaitement • mais quand il furvient quel*
! •: que maladie d*une autre nature >ils n*y font
rien^c’eftce qui fait qu’il en meurt un grand
nombre » & qu*ilsn’augmentent gueres; car
' I.
au rapport des Avanturiers, ijui ont le'plus
irequente cette Nation» il y a plus de ibix-
ante ans qu’on les voit toujours dans le me£l
1 ' me erat^quoy que l’air de leur pais Ibit fore
bon , & que la terre en foit fertile. Voila ce
que f ay pu remarquer dans tout le temps
que j ay refte en cet endroit» paurois c>our*
:f’ tant encore beaucoup de choies a en dire,
H }*ecrivois tout ce qu’on m’en a dit ; mais
}e ne veux écrire que ce que j’ay vu , & ce
que )*ay feeu de perionnes dignes de foy.
i^endant noilre fejour nousamafsames au
tant de ^^uirs que nous en avions beibin ,
pour gagner les codes de C u ^ o ù nous vou
lions aller ^ & pour ces fruits nous donnâ
mes aux Indiens ce qufon a accoutumé de
leur donner. Nous en emmenâmes deux,qui
s embarquèrent volontairement avec nous,
ayant envie de foire autant de progrez, que
deux de leurs Camarades , que nous avions
ramenez de Panama , qui en avoient raporté
beaucoup d’indrumens de fer qu’ils edimenc
de grands threibrs ; i3c je me ibuviens que
lors que les deux dont je parle edoient au
*» pillage de Panama • s’il arrivoic qu'ils trou-
vaïTent de l’argent >ils nous l’apportoienr
& ne voujoient pas ineime prendre aucuns
habits J dilant ^qu’jls n’en avoient que faire
en leur pais^ ou l’air n'edoie aucunement in»
commoJe.
i , ,1
i Ul<
’. r ' '
ii
DES A V A N T U R Î E R S . u>f
COtTitnode. Ils ne s'attachent precife'ment
qu’aux choies les plus necelTaires à la vienne
boivent ôc ne mangent pas beaucoup.
C H A P I T R E V I.
Hljîoire de l^AvanttfrUr Idomhars ^furmmmé'
l*Extermi)Mteur»
h i s t o i r e
; I' , & de tout ce qui mericii d'eftrè
emporté. En fuite on fe rembarqua 8c Von üç
voile.
V dlà comme Mombars & les fiens one
; I, cornbattii 6c défait les Efpa^nolis en un lien
ou iis ne penibieut pas mcilne les trouver.
C'eft pourquoY, comme il a efte déjà- d it,
ils en furent fort iîirpris : & certainement
jl^s avoient raiibn dc feftre , puis qifils n-e-
ftoient venus en cet endroit que par une a*,
vanturc extraordinaire, com n^ on le peut
voir par ce qui fuit,
moiîtcMCDt- line Barque
remplie de pluiîeurs Ne^res, dont ilsalloient
^m m ercer a leur ordinaire. Ces Ne^rese«
1 a J cnièmble» 6c dam
le delTein de fe iàuver » trouvèrent l’inven
tion de percer la Barque en pluileurs eu-
droics , |>ar Ic^uels ils faiioiént entrer l*eau
& I empeichoient auiïî d'entrer par le moyen 10!
de tampons faits-exprès , qu’ils-metcoient 6c
©itoienc quand ifs le vouloient, 5c cela Îî a-
droitemcnc qu on n’en pouvoic rien- apper-
ce voi r.
• fois que les Efpagnolg s'ientretenoient
allez tranquilement , ainfi qu*ils ont acco 4-
tume de faire a caiiie de leur humeur fieg-
n^atiquc ; l’eau furvenant tout â coup les
obligea d’interrompre leur entretien , 6c de
courir par tout retirer des hardes que l*eau
gacoit confiderablemcnr. Les Negres qui a-
Vûient ca-ufé le defordre , S’empreiTerent
c o m n e à l’envy pour i’arrcifcr ^ 6c y réuiTj-
rent U bien » que les Elpi^nols admiroient
leur promptitude 6c k u r adreffe à étancher
/a
DES A V A N T U R I E R S . lo f
b Bcirqné d-*eau. Ce fut là le premier eiTay
,de leur riïfe , qifils reiblurenc .de mettre en
jM-aiique'jufqif d ce qU'ils cufîenc trouvé un
temps ^favorable pour en profiter au de
leurs defirs. Ainfi donc ils prenoient occa-
iion du moindre vent & de la moindre teirv
pefte pour faire entrer Teau, & la faifoient
entrer autant defois qiVils le jugeoient à prq^
pos > pour faire croire -queda Barque cRok
méchante.
LesEfpagnols commençoient déjà à en e-
ftre fort perfuadez»parce que le plus iouvenc
au milieu de leur repas i & de leur fommcil
mefme >ils eftoient furpris par des inonda
tions d’autant plus incommodes, qu’elles e-
ftoientto'üjoursimprcveuës. Un jour que la
Barque eftoit proche d’un Récif oii les N è
gres l’avoient conduite à deiTein , à l’inftanc
ils débouchèrent toutes les ouvertures ; de
maniéré que les Efpaî^noîs fe voyant prefts
d’eftre fubmergez, abandonnèrent la Bar
que & les Negres , 6 c fe jetterentfur le Ré "i
c if, d’où ils gagnèrent une langue de terre
voifinc» 6 c enfin l’endroit où Mombars les a*
voit trouvez 3c taillez eu pieces.
Un Negre cependant étonné que l’eau en-'
troit de toutes parts, 8c avec une abondan
ce 8c une impetuofité qu’il n’avoic point en
core veue, jugea qu’il faloic promptement:
boucher ies ouvertures ,-ou fe reibudre â pé
rir. Mais iln'en pût trouver aucune, 8c crût
fes camarades dans Ja mefme peine, ne pou-
•vant pas s’imaginer qu*ils euiTenc laiiTé iii-»
onder la Barque de cette forte , s’ils ayoienc
pû rempeichcr. Alors effrayé d’un peril fi é- '
■^ vident^
H I S T O I R E
v id en t, il fut aÎTcz malheureux pour fe Cuî<
ver avec les Efpa^nols. Il regarda aufli>toft-
pour découvrir ce qu*cftoient devenus fes
Compagnons, Si les apperceut en pleine
mer qui avoient arrefté l’eau » & qui joîiif*
foienc de la Barque. A cette veue le Negre
parut au deièijx^ir, ce qu*il ne fit que trop
•connorftre en piétinant des pi-ds Si s'arra
chant les cheveux. Les Efpagnols s^en éton
nèrent 3 parce qu’ils croyoient ia deftinée
meilleure que celle de iès Camarades , qu*ils t'“
îegardoient comme des gens perdus , ou ,r.
preils à ic perdre j prévenus qu’ils eiloienc
du mauvais état de la Barque.
Mais comme de leur naturel ils ibntm e-
pans , ils foup^onnerent quelque choie de
I emportement du Negre» luy firent pluiieurs
'^■''îftii--------‘
queftions qui l’embaraiTerent, Sc - qui• redou
•
'J I ‘ blèrent leurs ibupçons. Ils le menacèrent des
plus cruels tourmens ,s*il ne leur diibit la ve
n te • Si comme il ne les contentoit p a s d e s
menaces ils en vinrent aux effets, le tour
mentèrent cruellement , & le forcèrent d*a-
voiierla choie.. C*eil: de luy qu*on afçû tout
Ce que Eon vient de raconter.
Cependant Mombars concinuoitibn voya '^1
il
V
B E S-A V A N T U R I E R S. U09
hes flimilles de Languedoc , & qu’il a elle
tres-bien élevé , fur tout qu*il s’eil appliqué
à tous les exercices d*un Gentil-homme , m:
comme à tirer des armes^difant quelquefois^
qu*il apprenoit â tuer des Efpagnols. Ce qui
fait voir qu*il a une grande antipatie pour
e u x : Voicy ce qui luy a donné lieu.
On pretend que dans fa jeunelTe il a lû Son antî-
plufieurs Relations qui parlent de la conque- {e^Erpag!
fie que les Efpagnols ont faite des Indes, & noii.Cau.
par confequent des cruautez inouïes quils re de cette
w ont exercées en lafaifant. Cette leeflure n’a anttpane,
pas manqué d’exciter fa haine pour les Vain
queurs , ôc fa compaiTion pour les Vaincus t
En forte qu’il a toujours témoigné un grand
defirde lesvanger , & beaucoup de joye »
lors qu’il aprenoit que les Indiens avoienc
eu quelque avantage fur eux : car on fçait
que ces peuples ont ibuvent battu les Efpag
nols. On dit encore, qu’il prenoit un fingu-
îier plaifir, lors qu’onliiy raportoit quelques
malheurs arrivez aux Efpagnols , que luy-
snefme fe plaifoit d’en raconter * & qu’un
^our , au fujet de leur tyrannie» il recita cette
petite Hiftoire,qu*il avoic trouvée, fans dou-
te,dans quelques-unes des Relations qu’il a-
voit lieues.
iï
ü n Efpagnol, difoit-ii une fois aux gens de
ion â g e , avoir eilé établi Gouverneur dans ill
nne contrée d’indiens , qui n’ciloient pas
fort endurans, & par malheur cet homme e- MU
ftoic cruel dans fon Gouvernement, & in
satiable dans (on avarice. Ces Indiens qui ne
pouvoienc plus fouffrir fa babarie » ny luiEro
^ fes e x a â io a s, le furent trouvçr, & luy fî-
iTo H I S T O I R E
rent entendre^en Kîy montritnc quantité d*of/v:
qu’ilsavoicnt trouvé le moyen de le conten-
ter; & fans perdre de temps,fe jetterenrluri|]
Iny , & le tenant ferme, luy firent avaler cec i:|t>
or fondu , luy difant de s’en ibûler , & ne il
î ,' ceiTerent point de luy en faire avaler , qu’il II i
i' n’expiraft dans leurs mains. C*eft aÎnfi qu’ilÆc
l'ilï'i témoio;noit Ton animofité contre les Eipag-p|n
mois. Une autrefois il en donna des preuves
■V beaucoup plus réelles dans une occafion af» M
•fez plaifante.
On avoir fait une Comedie qui devoit-c-
ftre jouée par les Ecoliers du CoIle<>e où il
ctudioit. ^Parmi les Aéleurs on introduifoit JC:
|î!'r; fur la Scène un François & un Efpa^nol. w
Mombars reprefentoit le François, & un de
Îès Camarades l’Efpa^nol.L’EipagnoI eilant V
lîir le Theatre dit plniieurs invedVives contre H;
le François, meilees d’une infinité de Rodo- |
montades offençantes. Mombars fentit auifi- ej-
toft émouvoir fa bile, & réveiller l’averfion ;Ji
qu^ilavoic contre les Efpa^nols ; Averiîon
qui eftoit née , 6c qui croiiToit tous les jours Vj' i
avec luy,Bc maniéré qu*impawent & furieux i j|
tout eniemble , il interrompit ion Camarade j
ail milieu de fon difeours ; des paroles on {
vient aux coups , 5c fi l’on n’eftoit venu luy
öfter des mains le prétendu Efpngnol, il ^
n’auroiepas manqué de le tuer. Ce "qui n’e-»
ftoic pas de la piece. j
Cependant Mombars ie formoic de jour ' i
en jour , 6c fon pere qui eftoit nifé , 6c qui
Paimoir beaucoup, fongeoiedéja à l’établir?
mais lors qu’on luy demandoit ce qu’il vou- '
iüit faire jifne répondoic autre choie, finon
qu-i]
hlÎil.
DES AVANTüRIERS. itt
qu’iî vouloir aller contre les Eijin^nols.
' Comme il vit que l’on s^oppofoit à ion
deifein , il fe déroba de la mailbn de ion pe-
re J & fut trouver un de Tes Oncles au Havre
de Grace , qu’il fçavoit eflrre riche , & com
mander un vaiifeau pour le Roy, avec ordre
de croifer fur les Efpagnols, contre leiquels
nous eilions alors en guerre. Il dit fon in
tention à ion Oncle , qui Raprouva , le
voyant bien fait& né pour les armes. Il loiia
mefme l’envie qu’il avoir de ie fignaler con
tre les Efpagnols , en écrivit à fon pere > è c
peu de jours apres fit voile pour aller join
dre la Flotte que Ton cquipoir.
Durant le voyage, dés que l’on découvroît
quelque vaiÎTeau,il demandoit à l’inilant s'il
' r I
eftoit Efpagnol. Enfin il en parut u n , on Ten Oi!.
»
*
I avertit, il fut tranfporté de jo y e, courut à
fes armes » & brûloir d’impatience de fe voir -
aux mains avec les Efpagnols. Son Oncle fie
donner la chaiTe â ce Vaiifeau, & en ap
procha d’aiTez prés pour difeerner qu'on ic
diipoibità mettre le feu au canon. Comme {
il v i t , qiioy qu'il pût dire à fon neveu, qu’il
s’expofok inconfiderement en homme
fans experience,il le fit enfermer, puis eifuya
tout le canon des ennemis , & par bonheur
ce fut fans beaucoup d’effet. Apres cela ou
joignit le Vaiifeau Efpagnol, & l’on en vint
à l’abordage. Auifi toil: on lâcha le jeune
I
-tu tî I $ T O I H E
ou huit jours^ 6c plus, s*il le faloit. Il ne
ta point mefme que la prife n’en fuft certai
il ne 6c sfaos danger , en iè fermant d^une rule
aíTez ordinaire » qui eftoitde nelaiiTer paroi-
'I ilre au port que le fcul yaiiTeau Efpagnol
dont il s’eftoit rendu maiftre, eftant preique
leur que les vaiiTeaux de cette Kation le
voyant au rendez-vous j ne manqueroieni:
pas de le joindre, 6c d'^eftre pris.
Là-deÎTus Mombars aperceut plufieurs Ca
nots qui tiroient vers le vaiffeau.ll demanda
' ' 1 1 “' ç c quec’eftok : onluy répondit que c’eftoit
1 1 ll ' .des Boucaniers qui venoient » attirez par le
bruit du combat ,ouplûtoÎl pour avoir de
Teau de vie. Us preicnterent â l’oncl-e de
: i Mombars quelques paquets de cette chair de
Sanglier , qu’ils fcavent fi bien aprefter , qui
GÎl, comme je Tay dit ailleurs , d*une odeur
admirable,vermeille comme la Rôle, 6c dont
on auroit envie de manger en la voyant ièu-
lement. On receut tres-bien leur prefent >6ç
jon leur donna de Beau de vie en abondance.
Ils s’excuferent fur ce qu’ils preièntoientiî
peu de cette viande , 6c dirent pour raiibn >
que depuis peu la Cinquantaine Elpagnole
avoit battu le p ais, ravagé leurs Boucans j
6 c tout emporté. Comment fouffrez vous
c e la , dit brufquement Mombars ? Nous ne
le fouffxonspas auiTi. repliquercnt-ils avec la
.même brufquerie, & les Efpagnols fçavenc
bien quelles gens nous fommes ; c’eft pour-
quoy lis ont pris le temps que nous eftions
.tous à la chaiTe ; mais nous allons joindre
plufieurs de nos Camarades qu’ils ont encore
"plus|nal traitez que nous / 6c leur oinquan-
cain^
D E S AV A N T U R Î E R S . lïf
hîîne, fût ellè devenue centaine , Sc meiine
üiilliéme i îioiis en viendrons bien à bout. Si
vous voulez Vdit Mombars, qui ne deman-
doit qu*où'e{Î-ce ? je marcheray à votre te-
i t e , non pas pour vous commander , mais
pour m*expofer tout le premier , & voitS
montrer ce que je feray contre les Efpag-
nols.
i Les Boucaniers qui voyoienc à fa mine
qu’il eitoit homme d’expedition , Eaccepte-
renç volontiers • 6c Mombars fe tourna vers
fon oncle , 5c luy en demanda la permiiTion
que Ton oncle ne put luy refufer » confide-
rant qu’il avoit encore long;-tempsà eilre la ,
8c que cependant il ne pourroit jamais rete
nir ion neveu , emporté comme il eltoir, il
luy donh^,quelques gens ;de fon âge 6c de
ia valeur pour l’accompagner; & iî. luy en
donna peu, parce qu|il me vouloic pas dégar
nir fon vaiiîeau , ayant peur d’eftre attaqué.
En fuite le neveu quitta l’onde »en luy pro
mettant qu’il feroic bien-toft auprès de luy*.
Vous ferez bien , Juy dit-il» car je vous af-
fure queles yaiiTcaux que j’attens, pris ou
manquez , je partiray à l’heure même. Il luy
parloir de la forte, non pas quM euÎl deiTein
d’en ufer ainfi » il l’aimoit trop tendrement •
mais pour précipiter fon retour.
Aufii-toft Mombars fuivi des fie ns , paiTa
avec joye dans un des Canots des Bouca
niers. Cependant un fecret chagrin fe mé-
loit à cette joye , 5c il fe trpuvoit comme
partagé : d*une part il apprehendoitque les
vaiiTeaux qn’on attendoic n’arrivaifent ,
qu’on ne fe baccill: en fon abfence > 6c qu’il
K i no
4, 5 H 1ST O IK E
jne pwft piirta2;cr le peril ni la gloire com*
bat : de Taiure les Boucaniers l’alfuroienc
qu*ilsne feroient pas long-temps fans ren
contrer les Efpagnols j ce qui le détermina »
eftant perfuadé que s'il trouvoit dans peu
roccafion de battre les Efpagnols fur te rre ,
il feroit aÎTcî^ toft.revenu pour les battre en
core fur mer.
11 ne croyoit pas ii bien dire ; car â peine
cut-il abordé dans -une prairie enroui ée de
bois & de colines »qu'ôn vit paroiftre quan
tité de CavalèrièiE(|)iignbîe lefte & bien
m ontée, qui s'eftoit ainii afTemblée » Iça-
i, » I
chant que les Boucaniers S*alTembloient aui-
fi. Mombars qui fentoit redoubler la haine â
la veuë des Eipagnois^ alloit donner telle ï.
bailTée , fans confidérer leürmültirüdé, S c lé
petit nombre des fienS; lors qb*ün Bbücaniei
*qui elloit auprès de luy, homme de'Coeur 8C
d ’experience , luy dit : Attendez » il n’eftpas
temps ; 8c fi Bon veut faire ^ce que je feray ,
nous allons avoir ces gens-là fans qu*il en é-
chape un fenî. Ces mots * frns qu'il en échafè
■unfeul, arrefterent à l’inllant Mombars ; car
s*il elloit bien aife de triompher des Efpag-
•nols 3 il Belloit encore plus d*en triompher
•fans qu*il en échapall un feul. En mefme
temps celny qui avoir proféré ces paroles fit
faire alte à fes camarades» & tourner le dos
aux Efpagnols, comme s’ils ne les avoient
point vcLis. AuiTi-toll il déroula une tente de
toile,qu’il portoiten bandoliere î c’ell de cet
te-forte que les Boucaniers ont accoutumé
de porter leurs= tentes lors qu’ils vont en
campagne » 8c fous laquelle ils repofent par
tout
DBS AVANTURÎERS. i i f
lout où ils fe rencontrent : l*on fe peut bien
reiTouvenir que je î’ay dit ainfi en parlant de
ce qui les regarde. Cet hoirmie donc dreflTa guerre
cette tente ; tous Tes camarades aidez de remnr-
leurs Engagez , qui les avoient joints dans
ia prairie , ‘firent la mefrne choie , fans trop
penerrer ion intention , ils fe confioient fur
fon adreffe , qui les avoic déjà plufieurs fois
tirez d*affaire.
Dans ce moment on fit paroiftre plufieurs
flacons d*eau de vie, & d*autres choies pr<>
près à iebien réjouir* A cette veu'é les El-
pagnols » qui obiervoient la contenance des
Boucaniers, crurent qufils les tenoientdéia,
s’imaginant qu’ils ne campoient de cette for^»
te que pour fe regaier. Ils jugèrent à propos
de leur en donner tout le loiiir > c’eft à dire
de leur donner tout le temps de s’accabler
d*eau de vie , ainfî que les Boucaniers ont
accoutumé de fliire quand ils en ont à ion-
hait, comme ils en avoient alorsj & cela à
deiTein de les fiirprendre dans cet accable
ment 8c de les vaincre fans peine les vic
J ,
iI
DËS A V A N T U R I E R S .
bncle avoir fait tire r, pour l’avertir, jugeant
au bruit de la moufqueterie qif il entendoit >
que le lieu où fe donnoit le combat n’eftoic
pas éloigne. En efFet fon oncle alloit partir , fi
ne voulant pas attendre davantage les vaif- X \
féaux Efpagnols , 6 c eftant preÎTé d* aller où
le fervice du Roy de France ion Maiftre Tap-
pelloit. Il fut ravi de voir fon neveu de re
tour 5vic5borieux , 8c fans bleiTures »8c d’en
tendre les éloges qu’on donnoit à fa valeur
6 c à fes exploits.
Les Boucaniers qui ne pouvoient plus quit
ter Mombars , 8c dont le païs eftpar tout où
ils trouvent bonne chaiTe , s’embarquerenc
avec luy. Les Indiens qui prévoyoient bien
le danger qu*il y avoir de retourner dans leur
pays après avoir abandonné les Efpagnols ,
firent la mefme chofe,en forte quelevaiÎTeau
qiVon avoir pris fur les Efpagnols fe trouva
tout rempli de gens braves 8c éprouvez. On
arma les Indiens de fuzils 8c de fabres,donc
ils eftoient auiTi adroits â fe fervir que de
l ’arc Sc des flèches. En fuite Tonde donna le
commandement de ce vaiiTean à fon neveu,
6 c pour Lieutenant un vieil Officier habile,
afin qu*il puft Taider dans le befoin de fon
confeil 8c de fon experience, 8c fit auiTi-toft
mettre à la voile.
J e n’ay point feeu ni quelle route il tînt,ni
où il avoir deffein d’aller ; mais je fçay bien
qiTaprés avoir vogué huit jours par iinaiTez
beau tem ps, il fut attaqué au fortir d’une
grande baye , par quatre vaiiTeaiix Efpag
nols , qui furent fur luy avant qu’il puft les
(éviter 5 ce qu’il aiiroit fait fans doute,voyanc
K 6 qu*iin
2.11 H I S T O I R E
cjLi'un fciil dc ces vaiiTeaux eftoit pliis ^ran Î
I; è i mieux équipé que tou5 les Tiens. Ils al-
loient, die*on, au devant de la grande flocce
chargée de l’argent des Indes, qui venoic
alors» 8c qui eftoic attendue depuis long
temps par le vray maiftre, par toute TEipag-
ne , la Hollande , les Marchands > 8c avec
I I beaucoup d’impatience par les pirates*
C om ba! L’oncle de Mombars le vit donc tout d’uiT
.:i tiûY&l, coup attaqué par ces quatre vaiiTcaux > 8c
t. voyant quhls venoient fondre tousenfcmble
iiiTr luy, il trouva le moyen de les divifer, 8C
peu de temps après il fut entrepris par deux
de ces grands navires.il Te défendit vaillamp-
m e n t, & fît reculer bien loin ceux qui pen-
ferentTaborder.Ayant déjà combatu plus de
trois heures, ne voyant aucun Tjcours,parce
que Ton neveu efloit fort occupé contre Ic^
deux autres navires» 8c terriblement preifé
par eux ; l’oncle Te rcToIut à un dernier ef
fo rt, 8c le fit avec tant dc furie, que les deux
navires allèrent à fonds les premiers , 8c luy
apres , avec la Tadsfuflion d’avoir vu périr
ics ennemis.
Ainfi périr Tonde de Mombars , grand
homme de mer 8c de guerre, après s’eftre
défendu fort long-temps avec autant de bon
heur que d’adrefte; en forte que Tes ennemis
ne Tauroienc pil Turiuontcr, tout gouteux
qu’il eiloit, pour peu qu’il eufi: efté iecouru î
car ni les douleurs de Ta goûte, qui Tempe-
ichoient de marcher ; ni la multitude des ET«
pagnols > qui Taifailloient de tontes parts,ne
purent TempeTchcr de Taire toutes les acflions
d’un grand Capitaine,
Mcm-
i' '
D˧ A V A N T U R ΠE R S .
Mombars Je fon coftéen d’extraori
dinaires, outré de la perte de fon onde» 6C
impatient de le vànger. Il iè voyoït auifi
preiTé par deux grands vaiiTeaux» & ibûte-
noit tous leurs efforts avec tant de valeur 5C
de fortune , qu*il en coula un à fonds, ëc a-
borda Tautre. Les Indiens qui le virent en-*
trer par un bouc de ce vailTeau, fe jetterenC
promptement à l’eau , 6c furent à la nage à
î*autre b o u t, où entrant à Timprovifte , êC
iurprcnant les Efpagnols par derrière , ils en
enlevèrent beaucoup à braiTe-corps ^ qu’ils
jetterent dans la mer, 6c en expedierent auifi
beaucoup d’autres à coups de fabre dans la
navire meime >tandis que Mombars de ion r I
coilé , fécondé des iiens »paiîoit au fil de
l’épée tous ceux qu’il trouvoit devant luy •
de maniéré qu’il fe vit maître en peu de
temps d'un navire plus grand 6c mieux équi
pé que ceux qui avoient péri. Il fit plonger
aiifii'toil plufieurs Indiens à l’endroit où fon
oncle avoir enfoncé » afin de tirer fon corps;
mais leur recherche fut inutile» 6c Mombars
fe fentit également affligé d’avoir perdu fon
oncle, de ne pouvoir luy rendre les derniers
devoirs» 6c den'avok plus d’Efpagnolsà luy
facrifier.
Si Mombars avoir concen tant de haine
contre les Efpagnols , pour avoir maÎTacrd
les Indiens , l’on peut bien s’imaginer que
cette haine fut extrêmement redoublée de
puis qu'ils eurent caufé la mort de fon oncle.
Il cherchoit donc tous les moyens de la van-
ger, 6c fe trouvoit mefmc aifez fort pour l'en
treprendre J attendu qu’il fe voyoit monté de
deux
ij
H I S T O I R E
deux vaîiTeaux des plus beaux Se des mcîf-
leurs voiliers qui fuiTent peiit-cilre alors fur
fa m er, Sc que celuy de Ton oncle allant à
li ; fonds, il s*cn eftoit fauve les plus braves
gens , Sc qu’il avoir perdu peu des iiens. Là-
deÎTus les Boucaniers luy propoferent de fai
re unedefeente dans un lieu qui ie rencon-
troit fur leur route , Sc tout propre à exer
I; cer fa vengeance,à cauiè de la multitude des
Elpagnols qui Thabitoient.
II n*en falut pas davantage pour l*y faire
tefoudre , Sc tourner fes vaiiTeaux de ce co-
fté-Ià ; mais il ne put executer fon deÎTein
avec tant de promptitude , ni de fecret, que
lie^ente |e Gouverneur du pais n*en fuil av erti, qui
Î aS c donna bon ordre à tout : car il mit en em-
bufeade dans les bois Sc dans les crevaÎTeâ
des montagnes, quelques Negres qu*il avoir,
& d’autres Soldats de la milice du Roy d*EÎ^
pagne. Outre cela il prit avec luy huit cens
hommes de pied, difpofezen trois bataillons,
ÍC quelques cent à fix-vingts chevaux , tous
en bataille , Sc luy à leur telle » avec quatre
pieces de canon, lefquelles commencèrent à
tirer, pour incommoder la defeente de Mom-
bar s , qui leur fît rendre la pareille avec tout
le canon de fes vaiÎTeaux.
Tant s’en faut que les canonades des en
nemis fiiTent peur aux affaillans, qu'au con
I t
traire elles ne firent qu’allumer l’ardeur des
Boucaniers Sc des Indiens : car fuivant l'ex
emple deM ombars, qui tout le premier s’e-
floit jette à terre, ils y furent auiTi-toil que
luy , en forte que cciuy qui fe trouva le der-
jîier a fe jeteer s’eilima le plus malheureux.
Ii lis
»• i".
•'ü
î> ts A V A N T U R I E U S . 2^7
îîs furent tous en un moment en bAtailÎe 8c
aux mains avec les ennemis^ qui croyant les
furpren ire à demi débarquez , a voient fiic
avancer un de leurs bataillons >fouteau de
deux autres , pour les charger avant qu’ils
fuÎTent en ordre ; mais les ennemis furent
eux-meiîues fi brufquement chargez par les
Boucaniers, qu’à peine lafalve des moufque-
tades fut achevée , qu’ils eurent à leur flanc
Mombars avec tous» les Indiens, qui les en
fonça. Ainfî le premier bataillon des enne i.
mis eftant renverfé fur les deux autres, 6C
pouriuivi chaudement J ils regagnèrent la ca
fte plus vifte qu’ils n’en eftoienc defeendns 5
Bc Mombars les ayant joints , en fît un pro
digieux carnage, pénétra bien avant dans le
pays, le parcourant en victorieux , & eut la
îatisfaeftion de venger pleinement fur les Ei^
pagnols la mort de fon oncle, 6c le maÎTacrè
des Indiens,
Je ne finirois jamais , fi j’entreprenois de
rapporter tout ce qu’a fait l’Avanturier Ex
terminateur • auiTi ne me fais-je arrefté » en ■ î
C h a p i t r e VII.
à L
i H I S T O I R IS
iî^llerent fort bien , & nous parlions cîcja r
îiiy fiire une jambe de bois , lors qu*en une
r( nuit il luy vint un ereiîpele à la jambe iaine,
depuis la hanche jnfqu'au talon. Je le feiiçnay,
le puri>eay doucement, & tâchay d'appaiièc
rinflammation avec des remedes convena-.
blés 5cela n*empefcha pas fa jambe de tom
ber en pourriture, & quoy que je pujfTe fldre,
il mourut. Je fus curieux d’ouvrir toute liv
jambe depuis la hanche,d’où il difoit que ion
mal provenoit ; ]c trouvay que le Période >
qui eft^une petite peau qui couvre l*os,eftoic
man^e par une matière fereufe de noire,d*u-
ne puanteur inconcevable,
. Je ne puis pourtant pas attribuerai m ort
su venin du Crocodile • car j*en ay vû plu- ■i
fleurs qui eii ont eilé mordus , 6c guéris de
leurs playes fans aucune mauvaiie fuite* Jq
croy feulement que cela eft venu de ce que
cet homme eftoit rrcs-mal fain , 5c outre ce
la d’une humeur fort fombre 6c mélancoli
que.
Voilà quelle fut la malheureuie deilinee
de ce pauvre Portugais , pour n'avoir pas
voulu croire ceux qui l’avertiiToient de n*al-
1er point feul dans ce bois : mais, comme jai
l*ay déjà ditjil droit d'une humeur chagrine,
6c fi opiniâtre , qu’il ne déferoit à rien.
î)cp a rt Sc En fuite noftre vaiiTcau fe trouva preit
boiiiii nous le rechargeâmes , 8i partnnes gros 6c
M difpoiî-
g ra s, en forte qu'il ne paroifToit pas que
Avantul cubions fait un voyage iî pénible. Nous
p ias, oe fongions plus qu’à retourner à la Jamai
:i' que, pour trouver un autre vailfeau . adri
d’aller ca courfe, car le nodre ne valoit
plus
î ‘ '1
D E S A V A N T U R 1ER s;
ÏJÎusrien. Nous prîmes noilre route le Ion{>
de la coiVe de C i^a , au travers de petites ifc
les , où nous fumes pris d*un calme fi grand»
qui dura prés de quinze jours, & n o # re-
duifit à une celle neceiTité d'eau , que nous
fûmes obligez de nous paiTer d'un demi fe-
tier par jour * parce que nous ne pouvions
aborder a aucun lieu pour en prendre. i
: Apres avoir efté quelques jours dans cette
difette 5 5c meiime fans boire »enfin nous ar
rivâmes dans le golfe de daguet , que les A-
vaiuutiers nomment Grand Pm î , où nous
trouvâmes deux Navires Hollandois d*Am- pu
fterdam, qui eftoient ceux que noilre Flotte
avoir vus quand elle partit del’Ifie Eipagno-
le pour aller à Panama,
Ces Navires avoient cfié obbgez de rela-»' "■4 .ni
cher en ce lieu pour fe racommoder » car
f un d’eux avoir efté démafté de ion grand
caafts par un coup de tonnerre , qui avoir
mefine tnd beaucoup de fes gens. Je m*em- Occaiîoii
barquay fur ces vaiiTeaux pour repafier en
Europe , remerciant Dieu de m'avoir retiré theufdc
de cette miferable vie, eftant la premiere oc- quitrerics
cafion de la quitter que j'euiTe rencontré de- Avantu,
puis cinq années.
Outre cela j’ay fait encore trois autres
voyages dans 1*Amérique, tant avec les Hol-
landois qu’avec les Efpagnols, où j’ay eu I-e
temps de me confirmer dans toutes les cho
ies que j*a^ remarquées la premiere fois
dans ces pais j fur quoy j*ay fait la carte
que l’on trouvera au commencement de ce
Livre , qui çft auili exaéfe qu'on en puiiTe
CepÇQg
H Ts T O I K s
Cepcndiinr les Avantnriers , qui avoîeni
toujours iur le cœ ur le tort que Morgan leur
avoit fa it, Sc qui ne perdoient point I*envie
de s%i vens^crjcrurcnt â la fin en avoir trou
U ve un moyen infîiillible. Ils apprirent qus
;i Morgan fe preparoit à aller prendre poffeii
iion de rifle de Sainte Catherine , Ibit qu*il no
f e criifi: pas en aifurance à la Jamaïque,qu*il
fe méfiafi: du Gouverneur , & qu*il vouluft
s’a^urer de tout,parce qu*il crai^noit tout,a-
pres l’acflion qu*il avoir faite ; ioit qu’il re
gardai: cette lile comme, un lieu és^alement
fortifié par l’art Sc par la nature, où il ponr-
roit vivre en repos, 8c efire à couvert contre
toutes les entreprifes de lès ennemis. C’elè
pourquoy comme il le difpofoit d’y aller au
p lû to i, les Avanturiers relolurent ne l’atten-
arefurle palTa^e, 8c de l’enlever luy,fa fem
me , & tous les fiens» dele mettre en lieu de
feureté , & de l’y retenir jufqu’à ce qu’il eufi:
fait raifon de ce qu’il leur avoir emporté;
encore eftoit-ce là le moindre mal qu’ils pro-
jetroient de luy faire,lors qu’ils en furent em-
pefehez par un incident qu’ils n’avoient pas *
p rév u , 8c qui rompit toutes leurs mefures.
Tartlcula- C’eft qu’un Navire du Roy de la Grand’ Bre- i
legardeni arriva à la Jamaïque avec un non-'^
Itiorgan. veau Gouverneur,& un ordre exprès à Mor-
gan d’aller en Angleterre, pour répondre fur
les plaintes du Roi d’Efpagne 8c de Tes Sujets.
Si en meiîrie temps on avoir voulu écouter 4
celles des Avanturiers, on auroit pu voir par J
ce qui s’eftpaiTé,qu*ils auroient eu fujet d’en
faire de grandes contre luy. Morgan donc a 'i
efti obligé de faire ce voyage, 8c j ’ay fiic
tout
D E S AV A N T U R I E R S ;
tout mon poiTible pour fçavoir l’évenemenC
{; de cette affaire , mais je n*en ay pu rien ap-
i;ji.prendre , 6c par coniequenc je n'en fçaurois
3i parler*
Le nouveau Gouverneur eftant établi Nouveaw
dans la Jam aïque , Longea â mieux ménager „e°uî dTia
îcs Efpagnols, que n'avoit fait Ton predecef- lamaique
Leur : car il envoya le vaiffean quil’avoit a p - s ’oppoie
’ porté, 6c qui eftoit parfaitement bien équipé auxAvan-
en guerre, dans tous les principaux ports du c ” qu'lis
Roy d*Efpagne, fous pretexte de renonveller entre-
la paix avec euXj5c d’eÎlre en merde la part
du Roy fon Maiftre,pour détruire les Avan- ^
turierSjqui commettoient toutes leurs hofti-
iitezfans fon aveu.Cependantlorfquecc Na- ruriers^ "
vire eftoit en mer , 6c prefque à fa veiie , les difficulté
Avanturiers ne laifterent pas de piller une*^^,^’®?-
' Ville appartenante aux Efpagnols. ^ fe^u« ôi.:
Il fera mal aifé, pour ne pas dire impoiîî- treptiies^
ble,de mettre aucun obffacle aux deffeins de
) ces gens-là» qui animez par le feul efpoirdu
gain,ront capables des plus grandes entrepri-
ies > n*ayant rien à perdre , 5c tout à gagner.
Il eft vrai qu'ils demeurcroienc courts dans
ces entreprifes» s'ils n’avoient ni bâtimens»ni
vivres,ni munitions de guerre » ni Ports.
Pour des bâtimens , ils n*ont garde d’eti
manquer ; car on les voit ionvent s'embar
quer fur la mer avec les moindres vaiffeaux,
6 c avec eux prendre les plus grands » qu’ils
rencontrent prefque toujours remplis de vi
vres » 6c de munitions de guerre. Si par ha«<
zard ils n’en trouvent pas > ils en vont cher
cher ailleurs, 6c en trouvent autant qu’ils en
ont befoin.
A
1^4 HISTOIRE
A regard des Ports,ilsn’ en rçauroientnôtî
plus inanqner: comme coût le monde fuir dc-
vanc eux , ils y encrent avec facilité, 6c s*en
rendent maiftres auiTi bien que des autres
lieux,qii*ils parcourent en vicftorieux, 6c ou
l*on voit qu’ils agilfent auiTi tranquilemenc
que s^’ils en eftoient lespoiTcÎTeurs légitimés:
de forte que Pon ne voit rien quipuifTe ar-
refter leurs courfes 6c leurs progrez, qu’une
vigoureufe refiftance.
Ce qui Par exemple , fi l’ on en croit les nouvelles
■U ! apportées depuis peu â la Jamaïque par des
p^u àkur vaiÎTeaux venus de Cartagene,on a feeu que
«|ard, les Avanturiers eilant entrez dans la mer du
I ' Sud,n’ont pu executerledeifein qu’ils a voient
'I ■/I ^ de fe faiiir de quelques portes avantageux ^
pour troubler la navigation de L im a à P a n a ^
! .
T n a ji caufeque les Indiens s'eftant mis en ar
mes en pluiîeurs endroits de la cofte , les ont
empefehez de débarquer , 6c mefme de fc
pourvoir d*eau 6c de vivres : De plu s, que
Î’ efcadre du Vice-Koy du , qui croilbit
entre Lima Si Panama^ntwx donnoit la chaiTe,
ôc avoir ouvert parce moyen le commerce
entre ces deux Places : Enfin que quelques
Avanturiers qui avoient débarqué dans la
mer du Sud , avoient efté défaits, 6c con
traints de fe retirer.
De pareils efforts, 6c fbuvent reïterez pa^
les EfpagnolS f pourroient peut eftreà l’ ave
nir faire perdre aux Avanturiers la coutume
ôc l’envie deles attaquer. Je dis peut-eftre ,
car dans le fond les Avanturiers font de ter
ribles gens.
^in de ruiftoire des Avamuriers,
ET A-
-I -----
'
„I -
J\
hI
ETABLISSEMENT
D ’ U N E
O ccidentales.
C o n t e n a n t
Tütne lu L
i K it.
237
'/ T * '/ 7 \ '/ T \ 1^ \^7\ vy» V2*»
•********»*****»*******»***.***«»,**
AVI S AU l e c t e u r .
truîtî cjjui fu it ejl p r ü d*un
jE
L iy^'iaîtufcyit Efpiignol^ que j*ay
t Yinduit en noflre Langue, I l con
tient des chûjej fort particulières , ^
îujques icy inconnues ; parce qu*il
ejî composé de pieces fecretes ^ au 1. I
thentiques 5 trouvées dans les Archi
ves de la Chambre des Comptes des #J
Indes y dont pay vu isioy-mejme les
originaux y aufquels ce ^ ia n u jc ù t
ep entièrement conforme.
Ce Traité cositieat trois Far ties.
L a premiere parle de éE tat Politique
des Indes , é y de la maniéré -dont le
Koy d*Efpag*îe le gouverne. L a
deuxième y de F E tat EccUfiapique ,
(IT* des Benefices aufquels ce Roy
pourvoit, La troifiémefait covn ifire
tous les revenus qn li tire de l'Ameri'^
i iél* ce que les plus grands Frin-
L Z ces
238
fes de l’Europe fojfedent dans ce
pays.
On ne dît rien icy de beaucoup
d’autres particularité^ qu’il rappor
te , puifqu’il ejl aiféde les apprendre
par ja lePîure.
, I K
1; |! I; Ü' ii!
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ETA-
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1^1<^. V<£?%v?^ '.ii^
ETABLISSEMENT
;■ ’ D’U N E •
C H A M BR E DES COMPTES
DANS LES INDES.
%
P R E M I E R E P ARTIE, ,
' ■ Jf ■
■ ;i
D e 1*Etat Politique des Indes j 6c 4 .%
^manièredont le Roy d’Eipai^nc le
-r - ... gouverne. • '
C h a p i t r e I.
su: ^ i.
O rig in e l c e j p i t i o n ^ té ta h ll/fe m e n t ^ ’é * r e fo r m é
de la Chambre des Comptes des In d es^
r\ J- >*>
H A P I T R E I I.
lurtf*
‘-it•
Charges Militaires,
L
14^ ABLISS bmemï *
■ ■ Charges Militaires,
officiers
d’uî4E CrtAMB. DÈS C om ptes . 24 ^
officiers
E tablissement r.
o ffic ie rs de U C h a m b re des C o m p te s de L im a ',
o ffic ie r s d u n o u v e a u R o y a u m e de G re n a d e ,
Officiers de V A u d ia n ce de S , Rrancifio de
IA
officiers de V A u d ia n ce de P a n a m a ,
anun
£TA . V
>S|(5 E r A B L l S S E ME Wr
v5^ K^, x^i
'•* ''* ■■*• * ■■* * i*: *■■*■■*'■*■■*■'* ■■•f:
♦ ,. * o . * w. * * * j t - * A f c * j i . * * * j l . * ^ * x , * j l . * ^ * j i . * j l . * . . *
************************************
ETABLISSEMENT >
T
♦
D’ U N E
C H A M BR E DES CO M PTES
D A N S LES INDES,
S B C O NP B P Â R T l S,
C h a p i t r e I.
C h a p i t r e I I .
it
2 54 E T A ÎÎ I I s$E ME K T
h:
b ’uK E C h a m b . d e s C o m p t e s . 25'^
le Treforier , chneun deux miile, fix Chanoi
nes , chacun douze ccnr,& trois Partageurs/
chacun huit cent. — .
Le cinciiiicfiTie Evefehé efi: celny de la Vil
le de S, îuan'de h ViBoria de .^ a m a n g a , dédié
à l’Apoitre S. Jean. L’Eveique a huit mille
X)ucats de revenu >le Doyen treize c e n t,
l’ArchidiacreJe Chantre. chacun onze cent,
deux Chanoines, chacun huit cent.
Le fixiefme efi: i’Evefché de Vanitma^dicàlé
à Noilre Dame del antigua, d eld*Arieu,\\ a efbé
îe premier etably en terre ferme. L’Evefquc
n fix miile Ducats de revenu, le Doyen onze
cent , 1*Archidiacre , le Chantre , 1e Maifire
d’Ecole , le Treforier , chacun huit cent. ^
trois Chanoines , chacun fix cent.
Le feptieifre eftl’EveÎché de Saint Jacques
de Chile , dédié à Sainte Marie. L’Eveique n
de revenu cinq mille D ucats, le Doyen neuf
c e n t, l’Archidiacre , le Chantre » le Maiftre
d*Ecole , le Treforier » chacun huit cent.
Lchuitieiiue eftl’Eveiché de la Ville Im
périale de Chile , fous le titre de la Concep
tion delà Vierge. L*Evefqne a quatre mille
piaftres de revenu , le Doyen fept cent ^
r Archidiacre cinq c e n t, deux Chanoines 3
ciiacun quatre cent.
C H A«*
1^6 E t a b l i s s e m e n t
C h a p i t r e III.
M5 ETA*
U
v^*V5^ v^iVci^
ETABLISSEMENT
D*U N E
C H A M B R E DES C O M PT E S
T R O IS IE S M E PARTIE.
R E I.
Sur quoy ^ comment fe lèvent les Droits dm
B oy d^Éfpagne,
i.
Jaîpofts, E païs eftanttnerveillcufement Fer
tile en beaucoup de lieux, on fcaic
que les plus grands Monarques de
l’Europe ont envoyé des Colonies
dans les Contrées les plus abondantes, après
ii s’eneiVre rendus m aiftres, ce qui par la fuite
leur a efté fort avantageux,ainii que le mon
tre le manuicrit dont eR qiïeiMoîî ,"qui décrie
alfez amplement les richeiTes qui leur en re-
vinnent. Comme ce manuicrit eit compofé
V par
^*UNE C h a m 'b; d e s C omp't e s .
par les’ Efpagnols, ils n*ont pas manqué de
mettre leur Roy le premier en te lle , & moy
qui veux eftre exadt en tout , je fuis oblipjé
de fuivre cet ordre» & de commencer, com
me fait ce m anufcrit, par les revenus que le i ;1
Roy d*Efpaî>netire de 1*Amérique.
Tous ces revenus font coniiderables , 8C
proviennent des Impoils qui fuiventjfçavoir»
le droit de Se»oraje^ de Vacantes en Mojîr/nps ^
jllm ojarifalgos , Commijfos , Eftanca de naipes g
d* Averia^ d'Alcavalo^dc Trihutos vacos^àe luna*
conas ^de Tir cio s de Encommiendoi , de Hatunnu-*
ras yd'Aloxa^ de Vulperias , de Lana Vicuna , de
Media-Anata, On verra dans la fuite f explica
tion de tous ces mots. Outre cela,il y a quan- ^
tiré de Marchandifes de grand prix qui payent
!'i
10
m-.E'S t
de mines de Sel dans les monta[>ncs, où cîia-*
cnn eft libre d*en prendre autant qn*il en a
; «J befoin. Pour ce qui regarde le Salpeftre , oa
n*y a mis aucun droit, & on 1*envoyé en E(^
pagne pour en faire de la poudre â canon.
/m poils Vulpericu^ font des Cabarets où Ton appred
fur les ftc fort bien tout ce qui eft neceiTaire dans
^Cabarets, bon repas. Ces lieux font établis dans
toutes les Villes, & dans tous les Bourgs, jui^
qu’â un certain nombre déterminé. Ceux
qui paiïent ce nombre , ibnt tenus de payer
au Roy chacun quarante piaftres tous les ans,
II & l*on peut dire que ce revenu eft fort con-
iîderable, à caufe de la quantité des Villes
6c des Bourgs qui font dans PAinerique.
L q Sublimé eft auiTi affermé , quoy que l’ii-
fage n*en foit pas grand dans l*Amérique 5
car les femmes ne s’y tardent point.
Les Droits d*entrée pour les Negres ibnt
fort grands,pour la quantité qu*on y appor
te de la Guinée , ôc l’on paye pour chacun
deux piaftres.
C h a p i t r e VI I .
*!■ . 1
pe au Roy Ce qu’il a pondluellemeuc exécuté, laiffanc
1 i'
d*£ipagne pour
:
♦
1. 1 'l!
1t 1
1
li i 1
\é
i l ] i
|fi
D*uNE C h a m e . d e s C o m p t e s , ifi
pour cé iujet le dixieime iiccordé par ia Sain
teté, & ne fe refervanr que le dix-huiticiîne,
répondant aux droits d*Efpa^ne; de forte que II
les revenus de tous les Evefchez ont efté par-
ta$>cz,& employez comme on a dit. L^’Evcf-
que tire la moitié du revenu , & le refte eil:
partagé en neufparties,dontle Roy en prend
deux, les Eglifes 6c les Hôpitaux trois,8c les
Curez les quatre reliantes, dont ils font obli
gez de donner le huitiefmeau Sacriilain.
Le dixiefme de tous les Archevefehez 6c
Evefehez remis par fa Sainteté , venant â
vacquer retourne au R oy, comme proprie
taire de ces biens :8c les derniers qui en pro
viennent» aiTemblez 8c mis dans fon Epar
gne,pour après eilre partagez par fon ordre
en trois parties .* la premiere defquelles va à
VEvefque qui entre en poiîeflion du Benefice»
la fécondé à Tentretien des Egîiies,8c la troi-
fiefme aux pauvres. Cette troifîefme partie
cil apportée en Eipagne fans eilre mife dans
les coffres du R oy, afin d’y eilre enfuite di-
ilribnéc à ceux que Ton trouve à mort»
Le droit de la Bulle de la Croifade eil un Le droit
des plus grands revenus que le Roy d’Efpa- de iaBuUe
gne tire de 1 Amérique , comme chacun clt fade.pour-
libre de le payer, chacun donne plus qu'on un
ne Iiiy demande afin de montrer le zele que des plus
quoy
Ton a de s’attirer la benedicflion de fa Sain- ’ij*
tete. Il y a encore une Bulle de compoiition ^oy d'Efi
accordée par le Pape , â tous ceux qui don- pagne,
neront douze reales, lefqucls auront l’abfo-
lution de trente ducats des biens qu’ils poiTe-
dent, qui ne ibnt pas à eux , Sc ne fçachanc
pas à quiils appartiennent.-Ces Bulles fc di-
fl
ÿ E r Aî t I s s E E N T
ftribuenc tous les deux nns. Il y en a de qtia^',
tre piaftres pour les ArcheVcrqueSjles Evef-
ques & les Abbez. Il y en a de deux piailres
pour les Inquiiîceurs & pour les Curez. Il y
en a d*une piaftre pour les Preftres & pour
les Laïques.
Le droit de N'e jada , ou droit de table » a
cfté établi fur tous les Bénéfices , & cft de--
ineuré jufqu'â ce que le droit de MedU-Anatit
cuit cfté mis , lequel eft léulement refté fur'
les Eclefiaftiques, depuis BArchevefque juf-
qu’au fimple Preftre. Ce droit fut accordé a
Philipe I I I . par Urbain V I I I . en i6 z 6 *
pour le temps de quinze années,lequel temps
expiré Innocent X. l’a continué & authorifés
â condition que ce revenu ièroit employé à
faire la guerre aux Infidèles. Tous ces droits
font payez & aiTemblez à un mois prés du
terme, & on le compte fur le pied qu’on leS
areçûs cinq ans auparavant.
Le droit de Media-Anata fe paye en deux
termes» & iè prend fur la moitié des revenus
du Bénéfice pendant une année , dont une
partie fe paye contant,& l’autre un an apres.
Il y a encore plufieurs Reglemens, & fortes
de faveurs 8c de grâces qui concernent ce
droit, fi bien que cela eft un revenu très-im
portant à la Couronne» 8c rend meiîne plus
que ne fait toute l’Efpagne.
1JI Afin que tous ces droits 5c ces revenus
ibient reçus avec fid élités avec certitude ,
& mis dans l’Epargne du Roy, on à commis'
dans chaque Province des Officiers Royaux
tirez de la Chambre des Comptes, 5c ces Of
ficiers ont leur Subftitiu dans les lieux où ils
«P.
b^UNE C ham B. de s C o m p t e s , i j ' f
ne peuvent aller en perfonne. Outre ces prin
cipaux Officiers » il y a encore un Fadleur ,
pour avoir foin de voir & de remarquer ton
tes les Marchandifes fur lefquelles on peut
profiter^un Procureur Fifcal pour avoir foin
des vivres & des munitions de guerre , tant
par mer que par terre,un Ecrivain du Roy ,
qui a foin d'écrire tous les ordres qu*on en
voyé par toutes les Provinces, & de tenir
Regiftre des Mines & des Navires. Il y aau/îî.
d'autres Officiers qu’on nomme Teneurs de
Livres , qui pour le foulagement du public
tiennent Regillre de tout ce qui entre & ibrr^
afin d’en informer leurs Supérieurs. Tout h
cela pour faire une recepte exadfe de tous les
revenus du Roy>aprés quoy on aÎTemble tout
Ce qui doit chaque année eltre embarqué
pour TEfpagne dans les Gallions du Roy »
tant pour ion compte que pour celuy des
particuliers : ce qui fe monte â plus de cinq
cent cinquante millions de marcs d*or 6c
d’argent, qui fe trouvent enregiftrez dans la
Chambre des Comptes du Confeil Royal des
Indes 3 fans y comprendre ce qui vient qui
n’eft pas enregiftré ; car ileft certain que la
troifiefme partie de l*or, de Targent & des
autres richeiTes qui viennent des Indes, ne
Tefl pas. Cependant on compte d'enregifiré
de la montagne de Votofi feule, depuis 15:4
juiques en 16^7. trois cent millions de marcs
d’argent j tout ceci encore fans compter les
pierres precieufes, comme rubis , granats ^
émeraudes,agathesjbezoar & autres choies
de grande valeur,ians compter encore,!e co-
j:ailjla coccnille, l’indigot,leiucre, le tabac.
ÊTAB1ISSKMENT
I‘ambrep;ris,ie bois de campefche, les ciiirSÎ
la caife ftilulee^Ie cacao, de quoy on fait Iq
chocolat.
Aquoyfc Enfin , les revenus ordinaires que leKoy
montent d'Eipagne tire de l’Amérique fe montent à
nus^qurie deux cent cinquante mille li-
Roy d’Ei. vres de noftre monnoye ^ ce qui fe doit en-
pagnetire tendre franc & quitte de tous frais. Et bien
CCS revenus du Roy ibient fort confide-
’ rabies, l*on peut dire qu’ils le feroient infini
ment davantage/i Tes Sujets ne le fraudoient
I. point.
I -i Apres le dénombrement de tout ce qui efl fous lis
domination du Roy d*Efpagne dans î*Amérique y
. on peut voir dans la fuite ce que les plus grands
»arques de l'Europe y pojfedent.
<t »
C h a p i t r e V I I J,
'B f a t des p a ïs q u i fo n t a u x plus p u iffa n s M on a r^
ques de 1*Europe dans l*Arneriqucm
(« *<
.1 f
C h AMB. DES C o m p t e s . 2 Sf
Coirme auflî la Martinique^ Guadeloupe ^
Marie galante ^l^Grena de ^Sainte Croiz.^]-^ Tortue^
dont les Habicans qui ibnt François ont an
ticipé la plus grande partie de ITJle de Saint
t>omingue^ ils ont auiTi Tlile de la Cayenne^ Sc
nu premier ordre de leur Souverain Louys le
G rand, ils ponrroient en avoir encore bien
d’autres, puisqu’il ièmble que le bruit de ies
Conqueftes les anime à en faire dans ce paisj
où ils s’étendent autant qu’ils veulent. Je dis
nncant qu’ils v eu len t, careftant Sujets d’un
fl grand Roy^ il iemble qu’ils foient nez pour
eiire maiftres par tout.
Au reile , ce pais eft aÎTez peuplé pour
former une armée dans le befoin , & aiTez
riche pour rentrerenir,puis qu’il fournit tout
ce qui eft neceÎTaire pour les Habitansj com*
me de toutes fortes de vivres pour leur nour-
.riture, &. de Marchandiiès pour leur profit ^
& cela prefque tout pour l’ufâge de ces
rnefmes Habitans ; car on peut dire que le
Roy de France ne maintient pas tant ces
Colonies pour l’avantage qu’il entire , que
pour l’utilité qu’elles en reçoivent elles-
mefmes, & pour la gloire du Nom Fran*
$ois.
"f
ExABtlSSEMENT
fcnt ces places, Para, Chirmos, Jijaverifamo i
1.1 le tout dans la Province d‘Omagua, Enfuitc
toute la coile de Maragnan , & du P reù l ,
dont partie a autrefois appartenu aux Hol--
landois,qui Pavoient pris des Portuîais, qui
depuis Pont repris fur eux. Ces pais fournif-
lent quantité de Sucre, de Tabac, de Rocou,
de C otton, de Cuir ôc de Bois qui fervent à
I ' la teinture.
' I . 111
b ’a x E C h A MB. D E s C o m p t e s ."
i^Giiibrc 5c dc Cotton, L IJle de lit lam aïque
d t prefencemonc fous fobeïiTance de ce
lîiefmc Roy : E-lle fut prife par les Anglois
penJant que Cromwel gouv.crnoit fAn-
glererre en qualité de P rotecteur, & que
Pnilipe IV. regnoic en Efpagne.
f i n ;
N Z TA.
^ i;* ’?»***************'*******»******
************************************
T ABLE
D'ES M A T I E R E S
contenues en ce fécond Tome.
: . >
; A
CcuUn% qui fait changer les chofes de face^
» loi
I I
Zlàre^^e d’un Commandant pour empefcher Tes
gens de s’enyvier, ^^^
AdreiTe de quelques Soldats à tirer fansbleiTer
peribnne, 9^
'Amiral des Avanturiers. Ce qu’ils luy donnent 6c
a u x autres Officiers de la Flote , ^ 84
Anglais 6c François fe feparent, 24. puis s’aiTem-,
blent pour une grande entreprife, yy. leur nom-'
bre, 7^
;Ii A n g la is , état des pais qu’ils poiTedent aux In
des, ’ 28a. 283
Antip^.thie de quelques Nations, décrite 6c dcplo-
^ _ réeparl’Autheur, ’ ^7fî
Apelà^an Anglois à uq François. Punition exem
plaire,
Aprache de Panama, Legere efcarmouche, 124
A(^uada Gyanda» Rftde oules Avanturiers font dci-
cente, , ^9
Archevefehez, Pvefchez, 8c Abbayes de Lima,
de Santa Fe, de laPlata, de Mexicjue, de Viße
£j}agnole, de Manillii : LeursSuffragans, com-
: i’ me.
DES m a t i è r e s .'
ïhe , Doyennez , Archidiaconats. Le ilombré.
de leurs Chanoines , Aumofniers , Chantres,
Treforiers , Maîtres d’Ecole , avec leurs reve
nus en general & en particulier,
'Armée Elpagnole deffaite, 12y ,
Audiences Royales des villes de la Rlata, de S.,
Tl ago, de Santa Fede Ragota, de S.Francifcù^
de ^ i t o ♦ de Fanama. Jurifdidlions , Ban
lieues 6c Charges qui en dépendent, 8c leurs Of-
, liciers, -4y. 246. 247. 248. 249
Avis que donnent quelques prifonniers, 104
Avantître d’un homme pris par les Angîois,y7.
rs
autre Avant are bi zarre, 140 .14 1
Avanturiers cvitowïQzàQ la Cavalerie Elpagnole,
21. Font fauter une redoute , 29. Réduits à de
grands befoins,^^. Trompez dans leur atten
te , ti2 . S’oppofent au Preiident de Panama:
Il les fait fommer, leur réponfe, 37. Ilsmon-
•tentàlabrefche, 8c vont attaquer leurs ennemis
retranchez» 103
'Avanturiers grands amateurs d’eau de vie. Di
vers incidens que cette paihon leur cauiè, 44.
167. 214.217
/.’./Î/^i^e^rrepaife en Europe. Occaiion favorable
• qu’il trouve, 231
B
Aye de BÏukveît, Pourquoy ainiî nommée^
B 180
B^^^jî’c^jaufquelsleRoy d’Eipagne pourvoit dans
l’Amerique , leurs revenus > 25*3. 25*4. ayy.
Leurs dépendances» 276. 2/7. 278. 279.260.
261.262
*' ■ N 3 V Rrade^
'isÿ ^
m
>vi:XV
TABLE
Capitaine Avanturier rend compte de Ce
qui s’eft paiîe. Diilribution du Maïs. Pillage ad
jugé. Navire qui vient fort à propos, Sz
qui coûte cher, 47
’Boucaniers abordent le Vailîeau de Mombars,leurs,
prefens,regal qu’on leur fit, 214.
Butin à^Borto-bello» Sa valeur. Gens qui en pro
',"‘i
fitèrent 1e pi us, 57. Du Tort au Prince, 2j
De Panama à quoy Îe monte. Mécontentemens
desAvanturiers^
1
I
I
DES MATIERES.’
I
AÎoufie & murmure des Avanturiers contre leur
11 J Commandant, 141*
Impft fur la laine de Vigogne, le vin, l’huile, le
papier timbré, le poivre : comment établis, leur
Il I valeur, 272.273.274,
Imprudence de quelques Avanturiers, 130
Indiens , pourquoy appeliez Indios bravos ? leur
. origine,
!l
D ES M A T I E R E S ,
origine , leur courage ôc. leur adreiîè,
A c h e t é des Eipagnols, 63
Î L e t t r e s interceptées, 23
L e t t r e ^ é tr a n g e q > r e fe n t qu’on envoye aux
Avan
turiers, 66
gabionezdefacsde farine, . 128
L o u y s S c o t Avanturier contraint de fe*retirer du
. pais des Indiens, J74
N 6 Maniera
Anhre nouvelle deprendre le?places,&:de
ménager les Gouverneurs, 9 1 • 94
Mftnfvclt Avantiif ier prend Tlfle de Sainte Cathe
rine , 8c pourquoy >i ^ • Y met un Gouverneur,
r tâche d’obtenir une CommriTion pour la pof-
feder >4. ^ deiïein de prendre les Villes de
f Nata Cartage, y. PaiTe à la Tortue pour
, f, obtenir une commiffion. Sa mort. y
Mataça où l’on a battu 8c pris la Flotte des
galions du Roy d’Efpagne ? chargez de richeiîès
immeiifes, 16.17-
^Marche delà CavalerieEfpagnole, i ly
Manvaifenouvelle c^wqIqs Avanturiers reçoivent,
64.6f
^îaterias, ce que c’eil:,à quoy utiles aux Bouca
niers, 12
Mines (l'or 8c d'argent qui n’ont point encore eilé
ouvertes, ^ 9
Moines enlevez,8c les femmes réfugiées dans leurs
Convents,29. Aquoyréduits,
Mcmbain, arbre femblâble au Saule. De quelle uti^
lité, 14
Mombars Avanturier, poiirquoy furnommé I’T a*-
terminateur Caufe de fonantipatie pour
les Eipagnols, 2oy. Moyen qu’il trouve d’aller
contr’eux, 207. Le carnage qu’il en fait, 208.
Son intrépidité; fon portrait , ïbid^ Comme il
va avec les Boucaniers contre les Efpagnols, 21y.
Paroles qui arreilent fon impetuofité, 216. Ses
exploits, 219.220. Combat naval, 222. Def-
I , cente confiderablc, maifacre des Indiens ven-
ge> 224.225*
■* Moygtit^
\I
DES MA'TIERES:
Moy^ân îniigrie A vrinturier. Sa naiiTance, Ton Bon-
Jieur 6c ion genie, i . i . 3. En quelle eilimc il eil
parmi les Av^anturicrs, 8. Comme il prend les
Villes de Port au Prince, iS. de Porto Bello, 2.9.
6c les Forts qui la déFendoient ,3 0 .3 1.3 1. La
Ville de Marecaye, y3. 6c fe rend mailtredela
i iùmeuie Ville de Panama, i^o
Sa fuite, 6c le vol qu’il fait, iy4» 6c enfin com
me il eft à la Jamaïque, Ibid,
Mort differente des vainqueurs 6c des vaincus, 3 3
Motifs du Roy d’Efpagne pour I’etabliiTementde
la Chambre des Comptes, 242
Bjet pitoytihle, i of
O 6c Matelots que PAvanturîcr exfer-
minateurepargna. Raifon pourquoy, 213
Officiers qui gouvernent dans l’Amerique fous l’au
torité du Roy d’Efpagne, 243
Officiers du Royaume du Pérou, 244. Jurifdic-
tions. Banlieues, 6c Charges dépendantes de cette
Audiance, 24^^
des A vanturiers pour pailèr, *72.
Ordre 6c magnificence de Parmée Eipagnole ,
126
Ordre
TABLE
Orâfe que la'Chambre des Comptes obferve aiî
fujet des Officiers qu’elle établit dans les Indes»
^77
Origine, ceiTation, rétabliiTement 8c reforme de h
Chambre des Comptes des Indes > 240. 241.
EtenduëdefaJurifdiétion,242. Temps auquel
elle donne audiance, 245
Origine du commerce des Avanturiers avec des cer-
tainslndiens, 19 0 .191, Leur mépris pour ce
que nous eiHmons ; raifons qu’ils en donnent :
leur gouvernement, 192. Sentimens qu’ils ont
de Dieu 8c de l’ame ; ceremonies de leurs maria
ges , 194. 195'. Leur maniéré de vivre ; leurs
vilites, Î96.197. Ce qu’ils obfervent à la mort
des uns 8: des autres, 198. 199. Comment les
efclavesNegres font v^enus chez eux , 201. Re-
mede qu’ils font dans leurs maladies, 202. Leur
fübrieté, 203
i
T able
voÿent âiix Avanturiers. Remercimens quMÎs
3^
Le Vrefident de Timamat ce qu’il fait pour délivrer
Portobello, 34.
frife du Vort S. Lm rent, nombre des aÎTiegez qui
y refterent en vie, 105
^rifonnier échapé de Portobello j ce qu’il fait,
27,28
'^nfûnniere Efpagnole d’une beauté furprenante;
fon portrait j ion Hiftoire, 141. 142.143. 144
punition d’un Efclave qui avoit trahi ion Maiilre,
da
îi
i
T A B L E
Soumijfion remarquable des Avanturiers envers
leursOfficiers,
S p e c t a c l e touchant,
S^ Simon Gouverneur de l’Ifle de Sainte Catherine,
ForceSccommoditezde cette lile, 4. Occupa
tion des Avanturiers pendant fon gouvernement,
7. Les Efpagnols la reprennent, 8. Rufe dont ils
s’avifent, jbiJ.
Santa Cruz ,^oux(\Vi(jy ainfî nommée > Hiiloire à
cefujet, ^ 17.18
Stratagème d’un Avanturier, SS
Sabtilïté des eipions Eipagnols, 1 1x
Succès qui anime les Avanturiers, i ot
Succès d’un Brûlot, avantage des Avanturiers,
6^
onenfaitdansl’Amerique,
Trahifon d'un Efpagnol, 1o
J'rm perie lignalée, juftice que l’on en fit, iyo
! 1!
D ES M A T I E R E S .
VengeAnce d’un Efclave,
Vigogne , animal de la figure d’une Brebis : def-
crjption de cet animal » 275. Comment l’on
en apporta en Elpagne , 6c pourquoy n’y ont
fceu peupler, ibidi
Univerfitex, qui font à l ’Amerique,
Un de la ToHe,
Epctraii!
il
ïxtrait du
Ar Lettres Patentes du Roy, fcellées du grand
P Sceau de cire jaune : données à Verfailles le
9-jour de Janvier , Tan 1687. Il eil: permis au
lieur C h r i s t o p h e J o u r n e l Imprimeur
:' 6c Marchand Libraire à Paris , d’imprimer ,ven-'
dre 6c débiter l'Hiftoire des Aventuriers qui fe
font fignelezj duns les Indes , evec un" Truité de
la chambre des Comptes , durant le temps
de iix années, à compter du jour qu’il fera ache
vé d’imprimèr pour la premiere fois, 8c‘ deiïen-
fes font faites à tous Imprimeurs Libraires , 6c
autres perfonnes de quelque qualité 6c condition
qu’elles foient de le faire imprimer , vendi'C 6c
débiter fans fa permiifion, ou de ceux qui auront
droit de luy , fous les peines portées par ledit
Privilege.
N i
k «f-
Ú-