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Analyse linéaire de l’extrait de Primo Levi

Et brusquement ce fut le dénouement. La portière s'ouvrit avec fracas ; l'obscurité retentit d'ordres
hurlés dans une langue étrangère, et de ces aboiements barbares naturels aux Allemands quand ils
commandent, et qui semblent libérer une hargne séculaire. Nous découvrîmes un large quai, éclairé
par des projecteurs. Un peu plus loin, une file de camions. L’extrait débute par un adverbe
« brusquement », qui indique un changement, une rupture. Cette atmosphère tendue est également
présente avec le mot « fracas ». Cette idée s’accompagne de l’usage du passé simple, comme temps
du récit. Le cadre spacio temporel est précisé progressivement, il est question d’obscurité, d’une
langue étrangère, puis d’un quai. On remarque que le narrateur tente de décrire au mieux son
environnement afin que le lecteur puisse s’imaginer celui-ci.

Néanmoins, le terme « dénouement » indique à la ligne 1 que c’est la fin d’un épisode. Or, ce
passage intervient après le transport des prisonniers vers un lieu inconnu.

Puis tout se tut à nouveau. Quelqu'un traduisit les ordres : il fallait descendre avec les bagages et les
déposer le long du train. En un instant, le quai fourmillait d'ombres ; mais nous avions peur de
rompre le silence, et tous s'affairaient autour des bagages, se cherchaient, s'interpellaient, mais
timidement, à mi-voix. Le narrateur par les mots de liaison crée des étapes dans son récit, une
certaine progression. (« Et » dans le premier paragraphe, « puis » dans le second paragraphe »). Le
silence est très important, omniprésent avec le champ lexical « se tut », « rompre le silence », « à mi
voix », « timidement ». Le narrateur ne s’exprime pas de façon personnelle, mais toujours avec le
pronom personnel « nous », présent depuis le premier paragraphe. Les prisonniers semblent perdus,
confus et anxieux comme le montrent les termes « peur de », « se cherchaient »…C’est renforcé par
l’énumération de la dernière ligne.

Une dizaine de SS, plantés sur leurs jambes écartées, se tenaient à distance, l'air indifférent. À un
moment donné, ils s'approchèrent, et sans élever la voix, le visage impassible, ils se mirent à
interroger certains d'entre nous en les prenant à part, rapidement : « Quel âge ? En bonne santé ou
malade ? » et selon la réponse, ils nous indiquaient deux directions différentes. Dans ce paragraphe,
l’auteur livre les impressions de sa rencontre avec les officiers nazis. L’adjectif « impassible » la
tournure négative « sans élever la voix », le groupe nominal « l’air indifférent » sont autant
d’éléments qui montrent la surprise de l’auteur et des personnes qui l’accompagnent. En effet, ils
s’attendent à un excès de violence de l’ennemi alors que les officiers semblent respecter des tâches
et des ordres qui leur sont confiés. Primo Levi explique ensuite comment s’effectue le tri des
prisonniers.

Tout baignait dans un silence d'aquarium, de scène vue en rêve. Là où nous nous attendions à
quelque chose de terrible, d'apocalyptique, nous trouvions, apparemment, de simples agents de
police. C'était à la fois déconcertant et désarmant. Quelqu'un osa s'inquiéter des bagages : ils lui
dirent: « bagages, après » ; un autre ne voulait pas quitter sa femme : ils lui dirent « après, de
nouveau ensemble » ; beaucoup de mères refusaient de se séparer de leurs enfants : ils leur dirent «
bon, bon, rester avec enfants ». Sans jamais se départir de la tranquille assurance de qui ne fait
qu'accomplir son travail de tous les jours ; mais comme Renzo s'attardait un peu trop à dire adieu à
Francesca, sa fiancée, d'un seul coup en pleine figure ils l'envoyèrent rouler à terre : c'était leur
travail de tous les jours. L’utilisation de l’imparfait montre que l’auteur tente de décrire impressions,
décors, l’expérience vécue le plus précisément possible. Le silence est présent, les personnes sont
confuses car n’ayant aucune idée de leur sort, comme le prouve les termes « déconcertant » et
« désarmant ». La douleur de la séparation familiale est très présente : « quitter », « séparer »,
« adieu ». Là, encore, le travail des officiers semble machinal, routinier (« travail de tous les jours »)
alors que les prisonniers ne comprennent pas le tri qui est en train de se faire.

En moins de dix minutes, je me trouvai faire partie du groupe des hommes valides. Ce qu'il advint des
autres, femmes, enfants, vieillards, il nous fut impossible alors de le savoir : la nuit les engloutit,
purement et simplement. Aujourd'hui pourtant, nous savons que ce tri rapide et sommaire avait
servi à juger si nous étions capables ou non de travailler utilement pour le Reich ; nous savons que les
camps de Buna-Monowitz et de Birkenau n'accueillirent respectivement que quatre-vingt-seize
hommes et vingt-neuf femmes de notre convoi et que deux jours plus tard il ne restait de tous les
autres - plus de cinq cents - aucun survivant. Nous savons aussi que même ce semblant de critère
dans la discrimination entre ceux qui étaient reconnus aptes et ceux qui ne l'étaient pas ne fut pas
toujours appliqué, et qu'un système plus expéditif fut adopté par la suite : on ouvrait les portières
des wagons des deux côtés en même temps, sans avertir les nouveaux venus ni leur dire ce qu'il
fallait faire. Ceux que le hasard faisait descendre du bon côté entraient dans le camp ; les autres
finissaient à la chambre à gaz. Le paragraphe débute par le constat du tri par l’auteur et ce qu’il
advint. Cependant, très rapidement, l’écriture autobiographique se modifie. En effet, l’adverbe
temporel « Aujourd’hui » et l’emploi du présent de l’indicatif crée un changement important.
L’auteur donne alors des éléments contemporains du moment de l’écriture, il puise dans sa
compréhension globale de son expérience personnelle et insiste sur la dimension historique du
génocide. La répétition de « nous savons » montre qu’il veut témoigner que le génocide soit reconnu.
Ainsi, P.Levi explique que, dans un premier temps, le tri servait à conserver uniquement les
prisonniers valides utiles pour le Reich et que les autres étaient directement tués. Les termes sont
neutres, comme pour se faire témoin d’une réalité historique : « camps », « survivant », « système »,
« convoi », « chambre à gaz ». L’auteur tente de dépeindre cette réalité sans affect, ni sentiment afin
que certains passages aient une valeur de témoignage d’un événement historique important.

P.Levi finit par dire que l’extermination est devenue ensuite systématique, comme pour accentuer
l’extermination systématique et en masse, suivant l’idéologie nazie.

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