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© La Découverte | Téléchargé le 20/11/2023 sur www.cairn.info via Nantes Université (IP: 193.52.84.12)
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De leur côté, Jean-Gabriel Contamin et Olivier Le Noé évoquent, à partir
du mouvement français de boycott de la coupe du monde de football de
1978, les tentatives d’instrumentalisation politique du Mundial par le
régime militaire, parvenu au pouvoir en mars 1976, et la volonté de pro-
jeter sur la scène internationale une image rénovée de l’Argentine. Dans
les deux cas, les acteurs au pouvoir, ou proches du pouvoir, se veulent
porteurs d’un projet de redéfinition de l’« argentinité » qu’ils perçoivent
comme menacée par divers périls – étranger, juif, démocratique ou bol-
chevique dans les années 1930, fondamentalement marxiste entre 1976 et
1983 1. La question récurrente de l’identité nationale, de son roman et de
ses mythologies, de ses filiations et de ses subversions, se trouve donc au
cœur de l’histoire de cette Argentine autoritaire au XXe siècle. Dans une
certaine mesure, les procès en cours contre certains bourreaux des années
1970 – comme le capitaine Alfredo Astiz, surnommé « l’ange blond de
la mort », jugé à Buenos Aires depuis le 11 décembre 2009 – perpétuent
Le Mouvement Social, janvier-mars 2010 © La Découverte
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de Jean Piel à Paris 3. Études monographiques de mouvements comme la
Liga Patriótica Argentina, approches sectorielles consacrées à la place de
l’Église catholique et de l’armée dans l’histoire du nationalisme, analyses
ciblées sur le lien entre écriture de l’histoire et invention nationale ou pers-
pectives de plus grande envergure insérant l’Argentine dans le contexte
idéologique international des années 1930 : quelle que soit leur diversité,
ces travaux eurent le mérite de reformuler la question de la nation et
des nationalismes en Argentine à l’aune de travaux aussi divers que ceux
d’Eric Hobsbawm, d’Ernest Gellner ou de Benedict Anderson, d’inscrire
l’ébullition nationaliste consécutive au coup d’État de 1930 dans une
perspective de temps long et de promouvoir une lecture du politique en
des termes d’histoire sociale et culturelle jusque-là inédits.
À la suite de cette première série d’études, à l’orée des années 2000,
Oscar Terán et Lilia Ana Bertoni ont publié des ouvrages essentiels qui
ont renouvelé l’histoire politique et intellectuelle de l’Argentine. Ils ins-
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2. Voir M. Navarro, Los nacionalistas, Buenos Aires, Jorge Álvarez, 1968 ; E. Zuleta
Álvarez, El nacionalismo argentino, Buenos Aires, La Bastilla, 1975. Dans une certaine
mesure, l’ouvrage de F. Lafage part des mêmes postulats : L’Argentine des dictatures, 1930-
1983 : pouvoir militaire et idéologie contre-révolutionnaire, Paris, L’Harmattan, 1991.
3. Voir notamment S. McGee Deutsch, Counterrevolution in Argentina, 1900-1932 : the
Argentine Patriotic League, Lincoln, University of Nebraska Press, 1986 ; D. Rock, Authoritarian
Argentina: the Nationalist movement, its history, and its impact, Berkeley, University of California
Press, 1993 ; L. Zanatta, Perón y el mito de la Nación católica : Iglesia y Ejército en los orígenes
del peronismo, 1943-1946, Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1999 ; C. Buchrucker,
Nacionalismo y peronismo: la Argentina en la crisis ideológica mundial (1927-1955), Buenos
Aires, Editorial Sudamericana, 1987 ; D. Quattrocchi-Woisson, Un nationalisme de déraci-
nés : l’Argentine, pays malade de sa mémoire, Paris, Éditions du CNRS, 1992.
Éditorial n 5
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fixes que d’effets de génération. De ce point de vue, la célébration du
Centenaire de l’Indépendance en 1910 et la Première Guerre mondiale
apparaissent comme des moments structurants de première importance 6.
Les travaux de Fernando Devoto et de Federico Finchelstein mettent,
par ailleurs, l’accent sur la dimension mythologique de la construction
identitaire – la nation en tant que « communauté politique imaginaire
et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine » 7 – et sur
les pratiques, au moins autant que sur les discours et les phénomènes de
circulation idéologique internationale 8.
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purifier un corps social considéré comme trop hétérogène 10. Enfin, l’his-
torienne argentine Patricia Funes a publié en 2006 une œuvre magistrale,
consacrée aux intellectuels nationalistes des années 1920 dans l’ensemble
de l’Amérique latine, mettant en scène la trajectoire de ces « non-confor-
mistes », hantés par la question de l’identité nationale tout autant que par
celle de l’autorité 11. En insistant sur le fonctionnement en réseaux et sur
les sociabilités transnationales caractérisant cette génération, elle a non
seulement contribué à désingulariser l’expérience argentine, souvent pré-
sentée comme atypique, mais aussi ouvert de précieuses pistes de réflexion
pour la compréhension des régimes de « sécurité nationale » qui fleurirent
dans toute la région entre les années 1960 et les années 1980.
Prenant à rebours des traditions scientifiques peu enclines à sortir du cadre
national, ces travaux comparatistes apparaissent aujourd’hui comme l’un
des renouvellements méthodologiques les plus prometteurs de l’historio-
graphie latino-américaniste.
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