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HISTOIRE DE LA MÉDECINE ET DES SCIENCES

médecine/sciences 1998 ; 14 : 314-9

Histoire
de la Vaccination antituberculeuse
Médecine par le BCG :
et des historique d’une découverte
Sciences et de ses controverses

elon les résultats colligés par (1980) ; enfin, le dernier correspond à de nouvelles et nombreuses tenta-

S l’OMS relatifs à la couverture


vaccinale du programme élargi
des vaccinations (PEV), la vaccina-
l’histoire moderne du BCG.

De 1900 à 1933 : l’œuvre de Calmette


tives furent entreprises sans plus de
succès. Mais en 1908, une observa-
tion fortuite allait les mettre sur le
tion antituberculeuse par le BCG re- chemin de la découverte. Ce fut l’ob-
présente la plus fréquemment effec- En 1894, Albert Calmette fut nommé tention d’une émulsion bacillaire fi-
tuée. Cela, malgré l’existence, tout Directeur du nouvel Institut Pasteur nement dispersée grâce à l’ajout
au long de son histoire, de débats et de Lille, où il se préoccupa de la si- d’une goutte stérile de bile de bœuf
de controverses passionnés sur son tuation catastrophique de la popula- dans le milieu de culture qui fut le
innocuité et son efficacité. L’impor- tion très touchée par la tuberculose, point de départ de cultures d’où de-
tance de la résurgence de la tuber- créant en 1901 les premières struc- vait dériver le BCG. Après de très
culose-maladie ces dernières an- tures de prise en charge des patients nombreuses tentatives pour obtenir
nées, aussi bien dans les pays sous la forme de dispensaires éduca- un milieu de culture approprié, le
industrialisés que dans les pays sous- tifs. En 1897, il fut rejoint par Camille choix définitif se fit sur des morceaux
développés, a suscité la réévaluation Guérin, vétérinaire qui avait travaillé de pommes de terre cuits dans la bile
de l’efficacité vaccinale et la renais- sur la tuberculose en Allemagne. A de bœuf pure, contenant 5 % de gly-
sance de recherches sur la tubercu- partir de 1902, ensemble ils étudiè- cérine et maintenus à 38 °C dans un
lose et sur sa prévention vaccinale. rent l’infection tuberculeuse des bo- excès de bile. Comme le signalait Ca-
Le faible niveau des connaissances vins produite par voie orale et se pré- mille Guérin [2], après quelques hé-
sur la physiopathologie moléculaire occupèrent plus particulièrement des sitations les bacilles bovins se mirent
de la maladie, sur les mécanismes modalités de pénétration des bacilles à proliférer et les cultures purent ain-
immunitaires associés à la protec- bovins virulents au niveau de la mu- si être transplantées de 3 semaines en
tion et donc sur les marqueurs utili- queuse digestive. Par ailleurs, à partir 3 semaines sur du milieu neuf. Mais
sables comme témoins de l’acquisi- de 1904, en collaboration avec au bout de quelques mois, les colo-
tion d’une réponse immune a laissé H. Vallée et Rossignol, ils étudièrent nies types de bacilles bovins, de
le champ libre aux interprétations la protection acquise induite par le sèches et granuleuses (rough) devin-
plus ou moins erronées des variabi- Bovo-vaccin (bacille humain légère- rent visqueuses, lisses, humides et
lités d’efficacité vaccinale évaluées ment atténué) suivant la technique blanches (smooth) de façon perma-
dans les essais cliniques. de Berhing, après administration par nente. La virulence de chacune des
voie veineuse à des veaux de six mois. subcultures était évaluée sur des
Historique du BCG Les conclusions de ces études confir- veaux de six à douze mois. Après une
mèrent qu’à côté d’une certaine pro- légère augmentation initiale, les ba-
Celui-ci se divise en trois parties, arbi- tection, de faible durée, cette métho- cilles issus des subcultures smooth per-
trairement séparées : la première de présentait un risque majeur : dirent graduellement leur virulence
concerne les événements contempo- l’excrétion par le lait et les selles de et après le 30e passage, ces bacilles
rains d’Albert Calmette, la seconde a bacilles tuberculeux humains. Malgré devinrent totalement avirulents, com-
trait aux développements survenus la connaissance de tous les échecs me le montrèrent de nombreux es-
entre sa mort (1933) et les résultats des différentes tentatives pour atté- sais faits sur les vaches, les rongeurs
publiés de l’essai de Chingleput nuer les bacilles humains virulents, de laboratoire et les singes. Ces ca-
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ractéristiques phénotypiques furent 3 mg de bacilles bovins virulents Une étable expérimentale (figure 1),
conservées jusqu’au 230e passage (1,2 x 108 bacilles vivants) entraînait où furent implantées des vaches
après treize ans de subcultures suc- régulièrement chez les veaux de six contaminantes, contenait des jeunes
cessives, et caractérisèrent la souche mois une granulie pulmonaire aiguë génisses vaccinées, intercalées avec
définitive appelée alors bacille bilié mortelle en 4 à 6 semaines. Les ba- des génisses témoins. Au bout de
de Calmette-Guérin. Mais avant d’en cilles cultivés sur bile, après le 18 mois, alors que la majorité des gé-

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arriver là, que de controverses et quel 30e passage, inoculés par la même nisses témoins étaient atteintes de lé-
acharnement dans le travail pour dé- voie et à des doses de 1 à 5 mg n’en- sions tuberculeuses, aucune génisse
montrer la stabilité de cette souche, traînaient aucune affection clinique vaccinée par le BCG ne montraient
son absence de réversion vers la viru- ni histologique prouvée lors des au- de lésions tuberculeuses. Par ailleurs,
lence, donc son atténuation perma- topsies. Il en était de même avec des les différentes expériences montrè-
nente et surtout sa capacité protectri- doses très élevées (200 mg). Par rent que l’inoculation des bacilles at-
ce. Des passages répétés de cobaye à ailleurs, les veaux ainsi traités deve- ténués pouvait être réalisée chez les
cobaye, avec de fortes ou de faibles naient résistants aux inoculations in- jeunes veaux par voie orale, veineuse
doses, par voie intraveineuse, sous-cu- fectantes avec les bacilles virulents. ou sous-cutanée. Cette dernière voie

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tanée, intrapéritonéale ne furent ja- Dès 1912 furent entreprises des expé- semblait la plus efficace. Les diffé-
mais associés à l’isolement d’une riences qui montraient, par ailleurs, rentes démonstrations de l’acquisi-
souche ayant regagné sa virulence la résistance des génisses vaccinées tion d’une protection après vaccina-
initiale. L’injection intraveineuse de mises en stabulation contaminante. tion chez les bovins furent
accompagnées d’essais de protection
chez les cobayes et chez les lapins
avec le même succès. Il fut proposé

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aux éleveurs, dès 1921, de protéger
leurs troupeaux infectés par la vacci-
nation de tout veau nouveau-né, les
expériences en grandeur nature dans
des fermes expérimentales ayant
montré le bénéfice de cette vaccina-
tion [2].
Par ailleurs, plusieurs essais prélimi-
naires avaient fourni la preuve de

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l’innocuité du BCG (1 à 5 mg) par
voie sous-cutanée ou intrapéritonéale
chez les macaques. Mais, avant
d’étendre les essais de vaccination
préventive qui avaient été réalisés
chez quelques nourrissons, il parut
indispensable d’évaluer la protection
induite par le BCG de différentes es-
pèces de singes maintenus dans des

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conditions expérimentales contrôlées
et sans faille. C’est ce qui fut réalisé
en collaboration avec le docteur Wi-
bert de l’institut Pasteur de l’ex-Gui-
née française [2]. Comme pour l’ex-
périence des génisses en stabulation
contaminante, les jeunes singes
(chimpanzés, pithéciens) vaccinés
par voie orale (3 fois 50 mg) ou par
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voie sous cutanée (1 fois 50 mg) co-
habitaient dans la même cage, d’une
part, avec un singe de même espèce
infecté par voie orale et, d’autre part,
avec un ou deux singes témoins. Les
différents singes infectés et les té-
Figure 1. Dessin représentant une étable pour l’infection tuberculeuse expé- moins dans leur grande majorité dé-
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rimentale par cohabitation. En rouge, les vaches contaminantes et les veaux cédèrent de tuberculose.
non protégés par la vaccination, intercalés avec les veaux vaccinés (en Aucun singe vacciné ne mourut de
blanc). (D’après [2].) tuberculose. Il était ainsi clairement
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démontré que l’inoculation ou l’in- une autre série d’enfants. Sur les C’est alors qu’éclata en 1929 ce qui
gestion de BCG, même de doses 317 enfants vaccinés, 236 provenaient fut appelé le désastre de Lübeck. Une
massives (100 mg de bacilles vivants de milieux apparemment non conta- commission d’enquête, en 1932 [6],
atténués), était inoffensive pour les minés et 77 de parents tuberculeux. établira que sur les 240 enfants qui
chimpanzés et les pithéciens (ba- Sur les 14 décès relevés, 1 seul concer- avaient été vaccinés par voie orale
bouins, callitriches, patas, cerco- nait une atteinte tuberculeuse chez par le même lot de BCG, 72 (30 %)
cèbes). L’injection sous-cutanée une enfant vivant en milieu contami- étaient morts de tuberculose, 127
d’une forte dose s’accompagnait né. Ces résultats étaient communiqués (53 %) avaient fait une tuberculose
d’un abcès froid qui guérissait sans le 24 juin 1924 à l’Académie de Méde- clinique avec guérison et 41 (17 %)
complication. En outre, ces singes cine de Paris. Aussitôt, affluèrent les n’avaient présenté aucun signe cli-
pouvaient être aisément prémunis demandes de vaccin, tant de France nique mais une conversion tuberculi-
par une seule injection sous-cutanée que de l’étranger. Le 1er juillet 1924, nique. De même, cette commission
de BCG, ou par cinq ingestions, était alors créé à l’institut Pasteur le d’enquête établira que la souche de
contre l’infection tuberculeuse à la- premier centre de fabrication et de BCG utilisée avait été contaminée
quelle ils étaient exposés lors de la distribution gratuite de BCG [2]. par une souche virulente de M. tuber-
cohabitation continue et étroite avec En février 1927, apparut le rapport de culosis (souche Kiel ; facilement iden-
des singes artificiellement infectés et M. Moine (statisticien du Comité na- tifiable en culture par son caractère
contagieux. tional de Défense contre la Tubercu- pigmentaire) et qui avait été manipu-
Parallèlement, les connaissances épi- lose) auquel avait été confiée l’analyse lée dans le laboratoire produisant le
démiologiques touchant la mortalité des différentes fiches individuelles des vaccin.
infantile liée à la tuberculose permi- enfants vaccinés par le BCG. Malgré les résultats de cette commis-
rent de mesurer ses méfaits, tout par- Sur 21 200 enfants vaccinés, 970 en- sion d’enquête, excluant toute res-
ticulièrement chez les nourrissons vi- fants de 0 à 1 an étaient enregistrés ponsabilité du BCG dans ces événe-
vant dans des foyers où l’un des comme ayant vécu dans un foyer tu- ments, et les conclusions des réunions
parents était atteint : sur 100 décès berculeux. Parmi ceux qui avaient d’experts internationaux (bactériolo-
avant 1 an, 25 à 50 étaient liés à l’in- été vaccinés 1 à 2 ans auparavant, la gistes, cliniciens, vétérinaires), en
fection tuberculeuse. En 1921, de- mortalité globale était de 8,9 % et la 1928 à Paris et en 1930 à Oslo, il fallut
vant les résultats expérimentaux ob- mortalité tuberculeuse de 0,8 % ; au- attendre juin 1948 pour que soit re-
tenus, le docteur Weill-Hallé cune mortalité par tuberculose connue de façon définitive l’innocui-
demandait à A. Calmette la possibili- n’était enregistrée chez les enfants té du BCG[7], et que puissent alors
té de faire un essai clinique de pré- vaccinés depuis plus de 2 ans. Pre- débuter les vastes campagnes de vac-
munition par le BCG chez des nour- nant en compte les décès par causes cination antituberculeuse, ce que ne
rissons fatalement exposés. non spécifiées comme pouvant être vit pas Albert Calmette qui mourut le
En juillet de la même année, chez un attribués par défaut à la tuberculose, 29 octobre 1933.
premier nourrisson, né d’une mère tu- M. Moine chiffrait alors la mortalité
berculeuse morte à la naissance de tuberculeuse pour l’ensemble des De 1933 à 1980 :
l’enfant, et qui devait être élevé par 970 enfants vaccinés et vivant dans l’héritage d’Albert Calmette
une grand-mère elle-même tubercu- un milieu infecté, à 3,9 %, chiffre très
leuse, le BCG fut administré aux 3e, 5e largement inférieur au taux moyen Un premier aspect à signaler concer-
et 7e jours après la naissance. Bien que de mortalité des enfants de la même ne l’amélioration technologique de
vivant dans un foyer tuberculeux, cet catégorie non vaccinés, qui était de la réalisation des vaccinations. Alors
enfant se développa normalement, 24 % pour l’ensemble du territoire qu’initialement la voie d’administra-
sans présenter de lésion tuberculeuse. français et de 33 % à Paris. En 1929, tion recommandée par Calmette, en
Après une période d’observation de fut connu le rapport fait par Heim- particulier pour les nouveau-nés,
six mois montrant la tolérance et l’ef- beck [3] en Norvège qui concluait à était la voie orale, les enfants plus
fet bénéfique de la vaccination, celle-ci l’efficacité du BCG comme vaccin an- âgés recevant une injection sous-cuta-
fut étendue à d’autres nouveau-nés de tituberculeux dans un groupe de née, Wallgren recommandait, dès
l’hôpital de la Charité à Paris, exposés 355 infirmières. Malgré l’accumula- 1928, la voie intradermique qui per-
aux mêmes conditions. Une première tion des résultats favorables, obtenus mettait de diminuer en très grande
série de vaccinations, de juillet 1921 à en France et à l’étranger, un scepti- majorité les incidents locaux ou loco-
juin 1922, porta sur 120 nourrissons, cisme concernant l’innocuité et l’effi- régionaux de la voie sous-cutanée [8].
dont 80 furent revus quatre ans plus cacité du BCG persistait, relancé pé- C’est cette technique qui est recom-
tard : ils étaient en bonne santé, vingt- riodiquement, soit par des critiques mandée actuellement par l’OMS.
quatre d’entre eux vivaient en milieu méthodologiques (absence d’essais Mise au point par Rosenthal [9] une
contaminé. Cette première expérience contrôlés statistiquement valables variante vit le jour en 1937 qui consis-
montrait à la fois l’innocuité du BCG – Greenwood en 1928 [4] –, soit par tait à administrer le vaccin grâce à un
et sa possible efficacité. De juillet 1922 la proclamation d’isolement de multipuncteur, en particulier chez
à la fin juin 1924, le docteur Weill-Hal- souches virulentes à partir des cul- les nouveau-nés et le nourrisson. Un
lé et le professeur Turpin vaccinèrent tures de BCG (Petroff en 1929 [5]). deuxième apport technologique très
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important a été la conservation des essais d’évaluation du BCG ont été rents essais contrôlés, et malgré les
souches de BCG sous forme lyophili- réalisés dès son application à l’hom- résultats désastreux de celui relatif au
sée [10]. Ainsi afin de prévenir tou- me. dernier effectué en Inde (Chingle-
te modification ultérieure liée aux En ce qui concerne les essais statisti- put), l’OMS recommandait en 1980
subcultures nécessaires à la prépara- quement contrôlés du BCG, au la poursuite de la vaccination inté-
tion du vaccin, le passage tradition- nombre de neuf et appliqués à des grée dans la lutte antituberculeuse,

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nel des souches sur pommes de ter- groupes d’individus en général com- en particulier pour les nourrissons et
re bilié a été abandonné au profit portant des adultes jeunes et des les enfants. Néanmoins, il admettait
de lots de semence lyophilisés, ser- adultes, l’ensemble des résultats la nécessité d’une politique vaccinale
vant alors de lots primaires et de montre que l’efficacité observée varie adaptée aux différentes situations
source aux lots secondaires, pour la de 0 % à 80 % [13]. Néanmoins, il res- géographiques rencontrées dans les
production des vaccins. La méthode sort des différents essais que le BCG différents pays.
de préparation du vaccin a été stan- est efficace dans la protection contre Enfin le quatrième aspect concerne
dardisée, et la très grande majorité les formes disséminées de tuberculo- l’élargissement des indications du
des laboratoires producteurs utili- se, comme la méningite tuberculeuse BCG. Son rôle comme vaccin poten-

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sent la même technologie de pro- et la miliaire du petit enfant. tiel contre la lèpre – dont les pre-
duction et de contrôle de qualité, Les résultats concernant la protection miers essais chez l’homme sont
suivant les recommandations de contre la tuberculose pulmonaire de contemporains de celui réalisé pour
l’OMS [11]. Mais avant cette stabili- l’adolescent et de l’adulte jeune sont la lutte contre la tuberculose [16] – a
sation les souches filles de BCG ont plus discordants et n’entraîneraient été remis en question du fait des ré-
dérivé dans le temps, aboutissant à une protection que chez 50 % des sultats obtenus après différents essais
des phénotypes et génotypes diffé- vaccinés. D’autres études ont montré contrôlés, car la même variabilité des

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rents suivant la technique utilisée et que par ailleurs la vaccination des en- résultats a été observée. Un deuxiè-
la sélection des souches vaccinales. fants par le BCG n’entraînait au sein me type d’indication a été envisagé,
Un deuxième aspect à signaler est le d’une communauté aucune modifica- concernant le pouvoir immunostimu-
développement mondial de la vacci- tion dans la transmission des bacilles, lant du BCG en tant que traitement
nation. A partir de 1948, sous l’égide donc pas de diminution de l’inciden- adjuvant de certains processus tumo-
de l’UNICEF et de l’OMS, ont com- ce de la tuberculose maladie, au raux. Après un certain nombre d’es-
mencé les grandes campagnes de mas- contraire de la chimiothérapie antitu- poirs légitimes quant à son efficacité,
se de vaccination par le BCG. On note berculeuse prescrite à tout malade at- celle-ci n’a pu être prouvée que pour
qu’entre 1951 et 1961, sur 800 mil- teint de tuberculose pulmonaire acti- le traitement des cancers de la vessie

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lions de personnes concernées, 45 mil- ve contagieuse. qui représentent, dans ce cadre, l’in-
lions avaient été testées avec la tuber- A la suite de l’analyse exhaustive des dication majeure du BCG depuis
culine, dans 41 pays, et 180 millions résultats obtenus au cours des diffé- 1976 [15].
avaient reçu le BCG. Depuis cette pé-
riode, la vaccination par le BCG a été
largement utilisée dans beaucoup de
pays pour leur programme de lutte
antituberculeuse, car elle représentait Pourcentage
la seule mesure applicable à grande de

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100 couverture
échelle. En 1980, cette vaccination
était réalisée dans environ 3/4 de la 80
totalité des pays et territoires des cinq
continents, parmi lesquels la quasi-to- 60
talité des pays du tiers-monde [12].
Elle était obligatoire dans 68 pays et 40
officiellement recommandée dans
118 pays et territoires. L’échantillon 20
de la population le plus largement
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vacciné est constitué par les nouveau-
nés et les enfants, en particulier ceux
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d’âge scolaire.
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Le troisième aspect concerne l’éva-


Tétanos Rougeole DTC3 Polio 3 BCG
luation de l’efficacité vaccinale du
BCG, à la fois sur le plan individuel
(niveau de protection contre la ma- Figure 2. Couverture vaccinale des enfants de moins de douze mois (1977-
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ladie tuberculeuse) et sur le plan 1991). Données extraites du système d’information du programme élargi de
collectif (diminution de l’incidence vaccination, publiées dans le Relevé Épidémiologique Hebdomadaire de
dans la population). De nombreux l’OMS du 8 janvier 1993. DTC : diphtérie, tétanos, coqueluche.
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De 1980 à nos jours en particulier dans les pays (États- nismes de défenses vis-à-vis des myco-
Unis d’Amérique) où cette infection bactéries pathogènes. Ces médiateurs
Suivant les résultats publiés récem- semblait émerger [17]. Cette exten- sont élaborés à la suite d’une série de
ment par l’OMS, le BCG représente sion du nombre de nouveaux cas de cascades de signalisation, d’activation
le vaccin le plus utilisé dans le mon- tuberculose-maladie a été parfaite- et de différenciation, impliquant les
de [16]. En 1993 dans 172 pays où la ment décelée à partir de l’année cellules macrophagiques, les cellules
vaccination est employée, 85 % des 1985, comme cela apparaît dans la fi- dendritiques, les cellules lympho-
nourrissons ont reçu le BCG (figu- gure 3. Si aucune différence significa- cytaires (natural killer : NK ; lympho-
re 2). La couverture moyenne va de tive n’a été montrée quant à la plus cytes T – inflammatoires et cyto-
62 % en Afrique à 92 % en Asie du ou moins grande transmissibilité de toxiques ayant des récepteurs T de
Sud-Est et dans le Pacifique occiden- M. tuberculosis entre les populations type αβ ou δγ). Une publication ré-
tal. La vaccination par le BCG est sys- VIH+ et VIH–, l’émergence de véri- cente [20] a mis en évidence le rôle
tématique dans les pays en voie de tables épidémies de tuberculoses no- majeur joué par l’IFNγ dans la sus-
développement, alors qu’elle a cessé, socomiales mettant en jeu la vie des ceptibilité des enfants qui présentent
ou est devenue moins fréquente dans patients VIH+ et du personnel soi- des BCGites disséminées mortelles,
de nombreux pays industrialisés gnant a dramatisé la perception que malgré l’emploi d’une chimiothéra-
d’Europe occidentale ou d’Amérique l’on avait de la tuberculose. Elle a en- pie efficace. Un des déficits possibles
du Nord. Les politiques varient selon core été aggravée par la publication a été caractérisé sous la forme d’un
le pays et les régions, de même que de l’émergence de bacilles tubercu- déficit transmis, autosomique et ré-
les préparations vaccinales. Lorsque leux multirésistants, en particulier cessif, qui entraîne l’absence d’ex-
le BCG est utilisé, le vaccin est admi- vis-à-vis de l’isoniazide et de la rifam- pression de la sous-unité R1 du récep-
nistré le plus souvent à la naissance picine. teur de l’IFNγ. Ce phénotype peut
ou avant l’âge de 1 an. Cette capacité Sont apparues alors deux notions im- être associé à un défaut génétique lié
d’être inoculé très tôt permet d’obte- portantes pour la lutte contre la tu- à plusieurs types de mutations dans
nir la couverture la plus large pos- berculose : la première concerne l’ap- un des allèles du gène de l’IFNγ R1,
sible. Dans certains pays, une revacci- plication supervisée des traitements ce qui entraîne une invalidation gé-
nation intervient à l’entrée à l’école, (appelée DOT : directly observed therapy) nique totale (ou knock-out) chez les
avec ou sans vérification de la répon- et, la seconde, la possible utilisation enfants homozygotes.
se cutanée à la tuberculine. du BCG (ou de tout nouveau vaccin Parmi les nouvelles voies vaccinales
A partir des années 1984-1985 ont antituberculeux) comme moyen pro- antituberculeuses qui s’ouvrent ac-
commencé à être publiés des articles phylactique [19]. tuellement, plusieurs pistes sont envi-
faisant état d’une augmentation de Du fait de cette nouvelle perception sagées. La première est relative à la
fréquence des tuberculoses chez les et d’une apparente faible efficacité sélection d’antigènes impliqués dans
patients co-infectés par le virus de protectrice du BCG, de nombreuses la protection. Plusieurs antigènes-
l’immunodéficience humaine (VIH), approches moléculaires et géné- candidats solubles ont démontré une
tiques des relations hôte-BCG se sont certaine efficacité dans les modèles
développées afin de proposer de expérimentaux (souris, cobaye).
nouveaux vaccins. L’obligation de les associer à un ad-
28 000 Cas Ces approches correspondent à la né- juvant peut être une limitation chez
cessité de bien comprendre les inter- l’homme. La deuxième piste concer-
27 000
relations qui peuvent permettre, ne l’atténuation de la virulence de
26 000 d’une part, à l’hôte de se défendre M. tuberculosis ayant conservé une im-
25 000 vis-à-vis du BCG et de M. tuberculosis munogénicité protectrice, mais au-
24 000
et, d’autre part, d’optimaliser la cun résultat probant de protection
connaissance des antigènes (épitopes n’a été obtenu à l’heure actuelle. La
23 000 protecteurs) produits par le vaccin troisième direction s’oriente vers la
22 000 actuel. Une approche complémentai- possibilité d’atténuation de la viru-
21 000 re vise à déterminer les facteurs de lence résiduelle du BCG afin de pou-
20 000
pathogénicité de M. tuberculosis et, voir l’utiliser en cas de déficit immu-
par manipulation génétique, de pro- nitaire. De même l’emploi du BCG
duire des souches avirulentes, non recombinant présentant des épitopes
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pathogènes, capables d’induire une d’intérêt, associé à la production de


Année réponse protectrice. cytokines sélectionnant une réponse
Les études expérimentales chez l’ani- favorable de longue durée, a été en-
Figure 3. Nombre de nouveaux cas mal (en majorité la souris) ont mon- visagé après quelques résultats expéri-
annuels de tuberculose notifiés entre tré le rôle essentiel des médiateurs mentaux intéressants. Enfin la derniè-
1980 et 1995 aux États-Unis. Don- cellulaires (interféron gamma : IFNγ ; re approche consiste dans l’utilisation
nées du CDC (Centers for disease tumor necrosis factor α : TNF α ; et in- d’injections intramusculaires d’ADN
control and prevention) d’Atlanta. terleukine-12 : IL-12) dans les méca- plasmatique (ADN nu) codant pour
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une protéine d’intérêt. Les résultats 3. Heimbeck J. Sur la vaccination préventive treatment of superficial bladder tumors.
expérimentaux d’une telle approche de la tuberculose par injection sous-cutanée J Urol 1976 ; 116 : 180-4.
de BCG chez les élèves infirmières de l’hô-
ont montré une capacité protectrice pital Ulleval à Oslo (Norvège). Ann Inst Pas- 16. WHO. Expanded programme on immu-
équivalente à celle du BCG. teur 1929 ; 43 : 1229-32. nization. Weekl Epiderm Rec 1993 ; 68 : 1-8.
Néanmoins ces différentes approches,
4. Greenwood N. Professor Calmette’s statis- 17. Telzak EE. Tuberculosis and human im-
issues des progrès technologiques et tical study on BCG vaccination. Br Med J munodeficiency virus infection. Med Clin

R
conceptuels doivent être confrontées 1928 ; 1 : 793-5. North Am 1997 ; 81 : 345-60.
aux réalités du terrain. Et si l’utilisa-
5. Petroff SA, Branch A, Steenken W. A stu- 18. Edlin BR, Tokars JI, Grieco MH, et al.
tion de tels vaccins devait être envisa- dy of bacillus Calmette-Guérin. Am Rev Tu- An outbreak of multidrug-resistant tubercu-
gée, il est évident que le poids finan- berc 1929 ; 19 : 9-18. losis among hospitalized patients with the
cier et éthique d’une démarche acquired immunodeficiency syndrome.
d’évaluation pour démontrer leur ca- 6. The Lübeck disaster. Lancet 1932 ; I : 365. N Engl J Med 1992 ; 326 : 1514-21.
pacité supérieure à celle du BCG ac- 7. First International Congress BCG. Institut 19. CDC. Use of BCG vaccine in the control
tuel doivent être pris en compte. Il de- Pasteur Paris, 18-23 juin 1948. of tuberculosis ; a joint statement by the
vient alors primordial de développer AGP and the advisory committee for elimi-

I
8. Wallgren A. Intradermal vaccinations nation of tuberculosis. MMWR 1988 ; 37 :
nos connaissances sur les mécanismes with BCG virus. JAMA 1928 ; 91 : 1876-82. 663-75.
de la protection antituberculeuse et
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O
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m/s n° 3, vol. 14, mars 98 319

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