Vous êtes sur la page 1sur 73

Le droit

à un procès
équitable
Un guide
sur la mise en œuvre
de l’article 6
de la Convention européenne
des Droits de l’Homme

Nuala Mole, Catharina Harby

Précis sur les droits de l’homme, nº 3


COUNCIL CONSEIL
OF EUROPE DE L’EUROPE
4 Directorate General of Human Rights
Le droit
à un procès
équitable

Un guide
sur la mise en œuvre
de l’article 6
de la Convention européenne
des Droits de l’Homme
Nuala Mole, Catharina Harby

Précis sur les droits de l’homme, nº 3


Titres déjà parus dans la série des « Précis sur les droits de l’homme »
o
Handbook No. 1: The right to respect for pri- Précis n 1: Le droit au respect de la vie privée
vate and family life. A guide to the im- et familiale. Un guide sur la mise en
plementation of Article 8 of the European œuvre de l’article 8 de la Convention euro-
Convention on Human Rights (2001) péenne des Droits de l’Homme (à paraître)
o
Handbook No. 2: Freedom of expression. Précis n 2: La liberté d’expression. Un guide
A guide to the implementation of Article sur la mise en œuvre de l’article 10 de la
10 of the European Convention on Hu- Convention européenne des Droits de
man Rights (2001) l’Homme (à paraître)
o
Handbook No. 3: The right to a fair trial. Précis n 3: Le droit à un procès équitable.
A guide to the implementation of Article 6 Un guide sur la mise en œuvre de l’article
of the European Convention on Human 6 de la Convention européenne des
Rights (2001) Droits de l’Homme (2002)
o
Handbook No. 4: The right to property. Précis n 4: Le droit à la propriété. Un guide
A guide to the implementation of Article 1 sur la mise en œuvre de l’article 1 du Pro-
o
of Protocol No. 1 to the European Con- tocole n 1 à la Convention européenne
vention on Human Rights (2001) des Droits de l’Homme (à paraître)
o
Handbook No. 5: The right to liberty and secu- Précis n 5: Le droit à la liberté et la sûreté de
rity of the person. A guide to the imple- la personne. Un guide sur la mise en
mentation of Article 5 of the European œuvre de l’article 5 de la Convention euro-
Convention on Human Rights (2002) péenne des Droits de l’Homme (à paraître)
o
Handbook No. 6: The prohibition of torture. Précis n 6: La prohibition de la torture. Un
Direction générale
A guide to the implementation of Article 3 guide sur la mise en œuvre de l’article 3
des droits de l’homme
of the European Convention on Human de la Convention européenne des Droits
Conseil de l’Europe
Rights (forthcoming) de l’Homme (à paraître)
F-67075 Strasbourg Cedex
© Conseil de l’Europe, 2002
Les opinions qui sont exprimées dans cet ouvrage ne donnent, des instruments juridiques qu’il mentionne,
re
aucune interprétation officielle pouvant lier les gouvernements des Etats membres, les organes statutaires du 1 impression, février 2003
Conseil de l’Europe ou tout organe institué en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Imprimé en Allemangne

2
Table des matières

1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 6. Portée du droit à


Article 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 une audience publique . . . . . . . . . . 21
Droit à un procès équitable . . . . . . 5
7. Signification de l’expression
« rendu publiquement » . . . . . . . . . . 24
2. Etendue de la responsabilité du juge . . 7
8. Signification de l’expression
3. Applicabilité de l’article 6 à diverses « dans un délai raisonnable » . . . . . . 25
étapes de la procédure . . . . . . . . . . 10 Complexité de l’affaire . . . . . . . . . . . 25
Comportement du requérant . . . . . . 26
4. Délimitation de la notion de droits Comportement des autorités . . . . . . 27
et obligations de caractère civil . . . 12 Enjeu de la procédure
Droits ou obligations civils . . . . . . . . 13 pour le requérant . . . . . . . . . . . . . 28
Droits ou obligations non civils . . . . 14
9. Signification de l’expression
5. Signification de l’expression « tribunal indépendant et impartial » 30
« accusation en matière pénale » . . 16 Indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
« Accusation » . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Composition et nomination . . . . 30
« En matière pénale » . . . . . . . . . . . . 17 Apparence . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Classification en droit interne . . . 17 Subordination à d’autres autorités 31
Nature de l’infraction . . . . . . . . . 17 Impartialité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
A – Portée de la norme violée . . 17 Différents rôles du juge . . . . . . . . 33
B – But de la peine . . . . . . . . . . . 18 Révision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Nature et sévérité de la peine . . . 19 Tribunaux spécialisés . . . . . . . . . 35

3
Jurys . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 14. Portée de l’obligation d’informer
Renonciation au bénéfice rapidement et intelligiblement
de l’article 6(1) . . . . . . . . . . . . . . . 36 l’accusé des charges qui pèsent
Etabli par la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 contre lui (article 6(3)a) . . . . . . . . . . 56

10. Contenu de la notion


15. Signification de l’expression
de procès équitable . . . . . . . . . . . . . 37
« temps et facilités nécessaires »
Accès à un tribunal . . . . . . . . . . . . . 37
(article 6(3)b) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Présence à l’audience . . . . . . . . . . . 40
Droit de ne pas contribuer
16. Portée du droit à un défenseur ou
à sa propre incrimination . . . . . . . 41
à un avocat d’office (article 6(3)c) . . . 61
Egalité des armes et droit à
une procédure contradictoire . . . . 43
Droit à un jugement motivé . . . . . . . 46 17. Portée du droit de convoquer et d’inter-
roger des témoins (article 6(3)d) . . . 64
11. Droits spéciaux reconnus
aux mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 18. Portée du droit à un interprète
(article 6(3)e) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
12. Recevabilité des preuves . . . . . . . . . 49

13. Actions susceptibles de porter atteinte 19. Problèmes inhérents au pouvoir


à la présomption d’innocence . . . . . 54 de contrôle de surveillance . . . . . . . 68

4
par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses
1. Introduction droits et obligations de caractère civil, soit du bien-
fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
Le présent dossier est conçu pour permettre contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement,
aux juges de toutes instances de s’assurer que les mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la
procédures qu’ils dirigent sont conduites confor- presse et au public pendant la totalité ou une partie du
mément aux obligations tirées de l’article 6 de la procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou
Convention européenne des Droits de l’Homme. de la sécurité nationale dans une société démocratique,
lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la
Il est divisé en plusieurs chapitres, consacrés
vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la
chacun à un aspect particulier des garanties énon-
mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal,
cées par cet article.
lorsque dans des circonstances spéciales la publicité se-
Le premier chapitre est une introduction géné-
rait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
rale aux principes consacrés par l’article 6, tels
2 Toute personne accusée d’une infraction est présumée
qu’ils sont déjà repris, pour la plupart, dans le droit
innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légale-
et la pratique internes. Dans le cadre de son
ment établie.
contrôle de la conformité aux normes de la Conven-
3 Tout accusé a droit notamment à :
tion, le juge risque cependant de se heurter à des
a être informé, dans le plus court délai, dans une langue
difficultés concernant certains aspects de l’adminis-
qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature
tration de la justice.
et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b disposer du temps et des facilités nécessaires à la prépa-
ration de sa défense ;
Article 6 c se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défen-
seur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémuné-
rer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par
Droit à un procès équitable un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice
1 Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue l’exigent ;
équitablement, publiquement et dans un délai raison- d interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir
nable, par un tribunal indépendant et impartial, établi la convocation et l’interrogation des témoins à décharge
dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

5
e se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne procéder à une mise en garde s’agissant de la juris-
comprend pas ou ne parle pas la langue employée à prudence relative à l’article 6 : aucune requête
l’audience. n’étant admissible avant l’épuisement des voies de
3
L’article 6 garantit donc le droit à un procès recours internes , la quasi-totalité des violations
équitable et public pour décider des droits et obliga- alléguées de cette disposition a déjà été examinée
tions de caractère civil d’un individu ou du bien- par les juridictions suprêmes avant d’atteindre
fondé de toute accusation pénale pesant contre lui. Strasbourg. La CEDH aboutit donc fréquemment à
La Cour et, avant elle, la Commission interprètent la conclusion que l’article 6 n’a pas été violé,
cette disposition dans un sens extensif en raison de compte tenu du caractère équitable de la procédure
son importance fondamentale pour le fonctionne- « considérée dans son ensemble », dans la mesure où une
ment de la démocratie. Dans l’affaire Delcourt juridiction supérieure a déjà été en mesure de recti-
c. Belgique, les Juges de Strasbourg ont ainsi déclaré fier les erreurs commises par un tribunal d’un degré
que : inférieur. Les juges de première instance sont ainsi
Dans une société démocratique au sens de la Conven- parfois enclins à croire, à tort, que tel ou tel vice de
tion, le droit à une bonne administration de la justice procédure n’ayant pas été analysé comme une vio-
1 Delcourt c. Belgique,
occupe une place si éminente qu’une interprétation res- lation de la Convention par les Juges de Strasbourg 17 janvier 1970, para-
trictive de l’article 6(1) ne correspondrait pas au but et (dans la mesure où il avait déjà été corrigé par une graphe 25.
1
à l’objet de cette disposition . juridiction supérieure) respecte parfaitement les 2 Certaines références ci-
tées correspondent à des
Le premier paragraphe de l’article 6 concerne normes de cet instrument. Or, le juge présidant le décisions de la Commis-
à la fois les procédures civiles et pénales, tandis tribunal de première instance étant directement sion européenne des
que les autres sont explicitement limités aux responsable du respect de l’article 6 pour tout ce Droits de l’Homme, ins-
tance chargée d’effectuer
actions pénales, même si leurs dispositions qui touche aux procédures se déroulant devant lui, un tri préalable des re-
peuvent parfois s’étendre aussi aux actions civiles, il ne saurait se fier aux juridictions supérieures pour quêtes, qui a été abolie
comme nous le verrons dans la suite du présent corriger d’éventuelles erreurs. lors de l’entrée en vi-
gueur, en 1998, du Proto-
dossier. o
cole n 11 à la
Comme tous les articles de la Convention, l’ar- Convention. Désormais,
ticle 6 est interprété par la Cour européenne des toutes les décisions éma-
nent de la Cour euro-
Droits de l’Homme (CEDH) dans le cadre de sa juris- péenne des Droits de
2
prudence , telle qu’elle est décrite et commentée l’Homme (CEDH).
dans le présent dossier. Il convient cependant de 3 Voir l’article 35.

6
2. Etendue de la tions ne la plaçant pas dans une position sensible-
ment désavantagée par rapport à la partie adverse.
responsabilité du juge Dans l’affaire Krcmár et autres c. République tchèque, la
CEDH a ainsi rappelé que :
4 Krcmár et autres c. Répu- Toute partie à la procédure doit avoir la possibilité de se
Le bref exposé qui suit devrait s’avérer utile
blique tchèque, familiariser avec les preuves présentées devant le tribu-
3 mars 2000 [traduction aux juges présidant une audience pour vérifier que
non officielle]. toutes les garanties énoncées dans l’article 6 nal, ainsi que de formuler des observations sur leur
5 Voir notamment. F. K., existence, leur teneur et leur authenticité sous une
sont respectées. Chaque juge devrait, au début de
T.M. et C.H. c. Autriche, forme et dans un délai appropriés et, au besoin, par
requête n° 18249/91, l’audience, se souvenir qu’il est de son devoir de 4
dans laquelle la Commis- contrôler le respect de toutes ces garanties et, à la écrit et à l’avance .
sion a déclaré recevable (Pour plus de détails sur la question de l’égalité
fin de l’audience, vérifier qu’il s’est dûment acquitté
l’argument des requérants des armes, voir le chapitre 10).
qui se plaignaient, au titre de cette tâche. Les paragraphes ci-dessous
de l’article 5(3), de contiennent des exemples particuliers ressortissant Une autre question concerne la responsabili-
n’avoir pas été traduits
de cette responsabilité, mais le juge se doit de faire té du juge lorsque l’accusation n’assiste pas à
rapidement devant un l’audience. Le fait pour lui de trancher sur la seule
juge compétent. Cet ar- respecter tous les points soulevés dans le présent
ticle se lit comme suit : dossier. base des informations contenues dans le dossier de
«Toute personne arrêtée l’accusation, même s’il ne constitue pas une viola-
ou détenue, dans les Surtout dans les affaires criminelles, le juge tion directe de la Convention, ressort d’une pratique
conditions prévues au
paragraphe 1.c du présent doit vérifier que le défendeur est convenable- condamnable et risque de soulever plusieurs pro-
article, doit être aussitôt ment représenté. Il lui appartient également de blèmes.
traduite devant un juge prendre des dispositions appropriées en faveur des Par exemple, la défense a-t-elle été en mesure
ou un autre magistrat
habilité par la loi à exer- défendeurs vulnérables. Il doit pouvoir éventuelle- de voir toutes les pièces du dossier ? Le juge doit
cer des fonctions judi- ment refuser de continuer le procès s’il estime s’assurer que le défendeur a pu prendre connais-
ciaires et a le droit d’être qu’une représentation légale s’impose et qu’aucun sance de l’ensemble des accusations portées contre
jugée dans un délai rai-
sonnable, ou libérée pen- avocat n’est disponible (pour plus de détails, voir le lui, ainsi que communiquer à la défense les conclu-
5
dant la procédure. La chapitre 16). sions qu’il a tirées du dossier de l’accusation . Il en
mise en liberté peut être Le juge assume la responsabilité du contrôle est notamment ainsi lorsque les déductions du ma-
subordonnée à une garan-
tie assurant la comparu- du principe de l’égalité des armes, prévoyant que gistrat sont essentielles pour la qualification de l’in-
tion de l’intéressé à chaque partie doit se voir conférer une possibilité fraction : le défendeur doit avoir la possibilité de
l’audience ». raisonnable de défendre sa cause dans des condi- faire valoir ses moyens les concernant. L’affaire Pélis-

7
6
sier et Sassi c. France illustre bien le problème. Les re- D’autres problèmes concernent la responsa-
quérants avaient été accusés de « banqueroute frau- bilité du juge lorsque le défendeur semble
duleuse », de sorte que les moyens invoqués devant avoir été maltraité lors de sa détention avant
le tribunal correctionnel portaient uniquement sur jugement. La CEDH a déclaré que, lorsqu’un indivi-
cette infraction. Même lorsque, à la demande du du affirme de manière défendable avoir subi, aux
parquet, la cour d’appel statua en appel, les requé- mains de la police ou d’autres services comparables
rants ne furent à aucun moment accusés d’avoir de l’Etat, de graves sévices illicites et contraires à
« aidé ou assisté » la commission de la banqueroute. l’article 3, cette disposition, combinée avec le de-
La CEDH établit que les requérants n’avaient voir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la
pas été avertis du risque de voir la cour d’appel pro- Convention (« reconnaître à toute personne rele-
noncer un verdict de complicité de banqueroute. vant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis
Elle fit également remarquer que le délit de compli- [dans la] Convention »), requiert, par implication,
cité ne constitue pas qu’une simple différence qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette en-
d’évaluation du degré de participation à l’infraction quête doit pouvoir mener à l’identification et à la
principale, contrairement aux affirmations du gou- punition des responsables. S’il n’en allait pas ainsi,
vernement. Les Juges de Strasbourg estimèrent que nonobstant son importance fondamentale, l’inter-
la cour d’appel, en faisant usage de son droit incon- diction légale générale de la torture et des peines ou
testé de requalifier les faits dont elle avaient été ré- traitements inhumains ou dégradants serait ineffi-
gulièrement saisie, aurait dû donner la possibilité cace en pratique et il serait possible aux agents de
aux requérants d’exercer leurs droits de défense sur l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-
ce point d’une manière concrète et effective, et no- impunité, les droits des individus soumis à leur
7 8
tamment en temps utile. contrôle . En outre, dans Selmouni c. France , les
La CEDH conclut par conséquent à une viola- Juges de Strasbourg ont affirmé que, lorsqu’un indi-
tion du paragraphe 3 a) et b) de l’article 6 de la vidu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en
6 Pélissier et Sassi
Convention (droit des requérants à être informés bonne santé et que l’on constate qu’il est blessé au c. France, 25 mars 1999.
d’une manière détaillée de la nature et de la cause moment de sa libération, il incombe à l’Etat de four- 7 Assenov et autres c. Bul-
de l’accusation portée contre eux, ainsi que le droit nir une explication plausible pour l’origine des bles- garie, 28 octobre 1998,
paragraphe 102.
à disposer du temps et des facilités nécessaires à la sures, à défaut de quoi l’article 3 de la Convention 8 Selmouni c. France,
préparation de leur défense) et du paragraphe 1 du trouve manifestement à s’appliquer. Dans ce 28 juillet 1999, para-
même article (qui prescrit une procédure équitable). contexte, il convient de rappeler les obligations graphe 87.

8
souscrites en vertu d’autres instruments internatio- un rappel à l’ordre précisant les informations pou-
naux tels que la Convention des Nations Unies vant être rendues publiques (pour plus de détails,
contre la torture et les autres peines ou traitements voir le chapitre 6).
cruels, inhumains ou dégradants. Cette Convention Enfin, le juge assume parfois aussi des respon-
stipule notamment que tout Etat Partie prendra des sabilités en matière d’exécution du jugement :
mesures législatives, administratives, judiciaires et une obligation pesant sur l’Etat qu’il doit donc rem-
autres mesures efficaces pour empêcher que des plir lui-même si aucun autre fonctionnaire de justice
actes de torture soient commis dans un territoire n’est spécialement chargé de le faire.
sous sa juridiction : un engagement ne souffrant
aucune dérogation.
Le juge assume la responsabilité de la dé-
termination de la recevabilité des preuves. Il
doit appliquer les dispositions pertinentes du Code
de procédure pénale d’une manière conforme à la
jurisprudence de la Convention. Les questions tou-
chant notamment au recours à des informateurs de
police ou à des « agents provocateurs » requièrent
de ce point de vue une attention particulière, de
même que la dissimulation d’informations au nom
de la sûreté de l’Etat.
Le juge assume aussi la responsabilité de
veiller à ce que le défendeur bénéficie de ser-
vices adéquats d’interprétation (pour plus de
détails, voir le chapitre 18).
Il est également de son devoir, dans le but de
préserver la présomption d’innocence, de ren-
dre éventuellement des ordonnances afin d’éviter
un lynchage médiatique. Toutefois, cette interven-
tion ne doit pas consister en une exclusion pure et
simple des journalistes du prétoire, mais plutôt en

9
3. Applicabilité de prévoit la possibilité d’un pourvoi, cette procédure
12
est couverte par les garanties de l’article 6 . Les
l’article 6 à diverses modalités d’application des garanties dépendent
cependant des particularités de la procédure dont il
étapes de la procédure s’agit. Selon la jurisprudence de Strasbourg, il faut
prendre en compte l’ensemble du procès qui s’est
Les garanties instituées par l’article 6 ne déroulé dans l’ordre juridique interne, le rôle théo-
s’appliquent pas uniquement à la procédure ju- rique et pratique de la juridiction d’appel ou de cas-
diciaire stricto sensu mais s’étendent aux étapes sation, ainsi que l’étendue de ses pouvoirs et la
qui la précèdent et qui la suivent. manière dont les intérêts des parties ont été réelle-
13
Dans les affaires pénales, par exemple, ces ga- ment exposés et protégés devant elle . De sorte
ranties concernent les gardes à vue. La CEDH a ainsi que l’article 6 ne confère pas un véritable droit à un
9
déclaré, dans l’arrêt Imbroscia c. Suisse que le délai type spécifique de recours et ne fixe pas précisé-
raisonnable commence à courir dès la naissance de ment les modalités d’examen des pourvois. 9 Imbroscia c. Suisse,
10
l’accusation et que d’autres exigences de l’ar- La CEDH a en outre déclaré que l’article 6 24 novembre 1993, para-
graphe 36.
ticle 6 – et notamment de son paragraphe 3 – s’applique aux recours intentés devant un tribunal 10 Voir ci-dessous le cha-
peuvent, elles aussi, jouer un rôle avant la saisine du constitutionnel, pour peu que l’issue de la procé- pitre 5 pour une explica-
juge du fond si et dans la mesure où leur inobserva- dure soit déterminante pour des droits ou obliga- tion du terme accusation.
14 11 Voir par exemple Johan-
tion initiale risque de compromettre gravement le tions de caractère civil . sen c. Norvège,
caractère équitable du procès. L’article 6 couvre également les procédures 27 juin 1996.
Les Juges de Strasbourg ont également estimé postérieures aux audiences telles que l’exécution 12 Delcourt c. Belgique,
17 Janvier 1970, para-
dans des affaires portant sur l’article 8 de la du jugement. La CEDH a en effet souligné, dans graphe 25.
15
Convention (droit au respect de la vie privée et fami- son arrêt Hornsby c. Grèce , que le droit à un procès 13 Monnell et Morris
liale) que l’article 6 couvre aussi les phases admi- équitable – tel qu’il est énoncé dans l’article – serait c. Royaume-Uni,
11 2 mars 1987, para-
nistratives de la procédure . illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat graphe 56.
L’article 6 ne confère pas un droit de recours, contractant permettait qu’une décision judiciaire 14 Kraska c. Suisse,
mais cette faculté est prévue, concernant les affaires définitive et obligatoire reste inopérante au détri- 19 avril 1993, para-
graphe 26.
pénales, par l’article 2 du Protocole n° 7 à la ment d’une partie. 15 Hornsby c. Grèce,
Convention. En outre, la CEDH a admis dans sa ju- Il est clair que l’article 6 couvre la procédure 19 mars 1997, para-
risprudence que, lorsque le droit interne d’un Etat dans son ensemble. Les Juges de Strasbourg ont en graphe 40.

10
outre déclaré que le principe de l’égalité des armes
s’oppose à toute ingérence du pouvoir législatif
dans l’administration de la justice dans le but d’in-
16
fluer sur le dénouement judiciaire d’un litige .

16 Raffineries grecques Stran


et Stratis Andreadis
c. Grèce, 9 dé-
cembre 1994, para-
graphes 46 à 49. Pour
plus de détails sur le prin-
cipe de l’égalité des
armes, voir le chapitre 10.

11
4. Délimitation de s’est cependant gardée d’en donner une définition
abstraite, se contentant de distinguer entre droit
la notion de droits et privé et droit public et de statuer en fonction des
circonstances de l’espèce.
obligations de caractère Sa jurisprudence permet cependant de dégager
civil certains principes généraux.
➤ Premièrement, pour établir si un droit est civil,
il convient de prendre uniquement son carac-
L’article 6 garantit à toute personne un procès 18
tère en compte . Comme la CEDH l’a fait re-
équitable pour la détermination de ses droits et obli- marquer dans son arrêt Ringeisen c. Autriche :
gations de caractère civil. Le libellé de cette disposi- Peu importent dès lors la nature de la loi suivant la-
tion fait bien ressortir qu’elle ne couvre pas toutes quelle la contestation doit être tranchée (loi civile, com-
les procédures auxquelles un individu pourrait être merciale, administrative, etc.) et celle de l’autorité
partie, mais uniquement celles visant des droits et compétente en la matière (juridiction de droit commun,
obligations civils. Il est donc important d’analyser organe administratif, etc.).
19

cette restriction. La qualification du droit ou de l’obligation en


La Cour et la Commission des Droits de droit interne n’est donc pas déterminante. Ce 17 Voir notamment Ringei-
l’Homme ont généré une jurisprudence abondante principe revêt une importance particulière sen c. Autriche,
16 juillet 1971, para-
permettant de distinguer les droits et obligations ci- dans les affaires portant sur les relations entre graphe 94 et König
vils des autres. Cette interprétation de la condition un individu et l’Etat. La CEDH a jugé en effet c. RFA, 28 juin 1978,
posée par l’article a évolué au fil du temps : des do- qu’en pareil cas, le fait que l’autorité publique paragraphe 88.
18 König c. RFA,
maines considérés jadis comme échappant à cette concernée ait agi comme personne privée ou 28 juin 1978, para-
disposition (sécurité sociale, par exemple) sont en en tant que détentrice de la puissance pu- graphe 90.
20
effet aujourd’hui regardés comme relevant du droit blique n’est pas décisif . Le critère principal 19 Ringeisen c. Autriche,
16 juillet 1971, para-
civil. d’applicabilité de l’article 6 exige que l’issue graphe 94.
La CEDH a clairement affirmé que le concept de la procédure soit déterminante pour 20 König c. RFA,
de droits et obligations de caractère civil est auto- des droits et obligations de caractère pri- 28 juin 1978, para-
21 graphe 90.
nome et ne doit pas s’interpréter par simple réfé- vé . 21 H c. France, 24 oc-
17
rence au droit interne de l’Etat défendeur . Elle ➤ Deuxièmement, toute notion européenne uni- tobre 1989, para-
forme éventuelle pouvant nous éclairer sur le graphe 47.

12
caractère du droit doit être prise en considéra- des droits et obligations réglementant des rela-
22
22 Feldbrugge c. Pays-Bas, tion . tions entre particuliers. Il en va notamment ain-
25
29 mai 1986, para- ➤ Troisièmement, la CEDH a affirmé à plusieurs si des rapports régis par le droit des contrats ,
graphe 29. 26
23 König c. RFA, reprises que, même si le concept de droits et le droit commercial , le droit de la responsabi-
27 28
28 juin 1978, para- obligations civils est autonome, la législation lité civile délictuelle , le droit de la famille , le
29 30
graphe 89. de l’Etat concerné peut revêtir une certaine im- droit du travail et le droit de la propriété .
24 Osman c. Royaume-Uni,
28 octobre 1998. portance : ➤ Le caractère des droits régissant les relations
25 Ringeisen c. Autriche, C’est en effet au regard non de la qualification juri- entre un particulier et l’Etat est plus flou. La
16 juillet 1971. dique, mais du contenu matériel et des effets que lui CEDH reconnaît le caractère civil de certains
26 Edificaciones March Gel-
lego S.A. c. Espagne, confère le droit interne de l’Etat en cause, qu’un droit d’entre eux. La propriété, notamment, est l’un
19 février 1998. doit être considéré ou non comme étant de caractère ci- des domaines où les Juges de Strasbourg ont
23
27 Axen c. RFA, 8 dé- vil au sens de cette expression dans la Convention. retenu l’applicabilité de l’article 6. C’est ainsi
cembre 1983, et Golder 24
c. Royaume-Uni, Dans son arrêt Osman c. Royaume-Uni , la Cour que la garantie d’un procès équitable couvre les
21 février 1975. a estimé qu’en présence d’un droit général phases d’expropriation, de reclassement et de
28 Airey c. Irlande, 9 oc- dans sa législation, un Etat Partie ne saurait planification, ainsi que les procédures d’octroi
tobre 1979 et Rasmussen
c. Danemark, 28 no- ignorer les garanties de procès équitable énon- de permis de construire et autres autorisa-
vembre 1984. cées par l’article 6 dans les affaires où ses tri- tions : en bref tous les actes pouvant avoir des
29 Bucholz c. RFA, bunaux refusent d’octroyer le droit en conséquences directes sur le droit de propriété
6 mai 1981. 31
30 Pretto c. Italie, 8 dé- question. pesant sur le bien immeuble concerné et tou-
cembre 1983. Comme nous l’avons déjà indiqué, les Juges de tes les procédures dont l’issue influe sur l’usage
32
31 Voir par exemple, Spor- Strasbourg ont opté pour une approche reposant ou la jouissance dudit bien .
rong et Lönnroth c. Suè-
de, 23 septembre 1982 ; sur l’examen des circonstances de l’espèce. Les ➤ L’article 6 couvre également le droit d’exercer
Poiss c. Autriche, exemples qui suivent permettent de mieux cerner une activité commerciale. Les affaires relevant
23 avril 1987 ; Bodén leurs critères. de cette catégorie incluent le retrait d’une li-
c. Suède, 27 oc-
tobre 1987 ; Håkansson cence de débit de boissons alcoolisées à un
33
et Sturesson c. Suède, restaurant et le refus de délivrer l’autorisation
34 35

Droits ou obligations civils


21 février 1990 ; Mats d’ouvrir une clinique ou une école privée . Le
Jacobsson c. Suède,
28 juin 1990 et Ruiz- droit de pratiquer une profession libérale, telle
Mateos c. Espagne, que la médecine ou le droit, relève aussi de l’ar-
12 septembre 1993. ➤ La CEDH affirme avant tout le caractère civil 36
ticle 6 .

13
➤ La CEDH retient également l’applicabilité de intentées contre l’administration publique en 32 Par exemple Oerlamans
46
l’article 6 aux procédures visant des droits et matière de contrat , de préjudice résultant c. Pays-Bas, 27 no-
47
obligations relevant du droit de la famille. Parmi d’une décision administrative ou de procé- vembre 1991 et De Geof-
48 fre de la Pradelle c. France,
les exemples pertinents, figurent des décisions dure pénale . Elle s’applique notamment aux 16 décembre 1992.
37
en matière de placement d’enfants , de droit procédures visant à obtenir l’indemnisation 33 Tre Traktörer c. Suède,
38
de visite de parents à leurs enfants , d’adop- d’une détention illicite au titre de l’article 5(5) 7 juillet 1989.
39 40 34 König c. RFA,
tion ou de mise en nourrice . à la suite d’un verdict d’acquittement pronon- 28 juin 1978.
49
➤ Comme nous l’avons déjà mentionné ci- cé dans le cadre d’une procédure pénale , ain- 35 Jordebro Foundation
dessus, la CEDH a longtemps estimé que les si qu’à récupérer des sommes indûment c. Suède, 6 mars 1987,
50 rapport de la Commis-
procédures visant les allocations d’aide sociale perçues par le fisc . sion, 51 D.R. 148.
n’étaient pas couvertes par l’article 6. ➤ En outre, le droit d’un particulier au respect de 36 König c. RFA,
Aujourd’hui, cependant, elle est clairement de sa réputation est aussi considéré comme un 28 juin 1978 et H c. Bel-
51 gique, 30 no-
l’avis que cette disposition s’applique aux droit civil . vembre 1987.
procédures visant la détermination d’un droit, ➤ Enfin, la CEDH estime que lorsque l’issue 37 Olsson c. Suède,
dans le cadre d’un régime de sécurité sociale, à d’une procédure de droit constitutionnel ou 24 mars 1988.
38 W c. Royaume-Uni,
percevoir des allocations d’assurance- public risque de se révéler déterminante pour 8 juillet 1987.
41 42
maladie , des allocations d’invalidité ou une des droits ou obligations de caractère civil, 39 Keegan c. Irlande,
43
pension de fonctionnaire . Dans l’affaire cette procédure doit, elle aussi, être couverte 26 mai 1994.
40 Eriksson c. Suède,
Schuler-Zgraggen c. Suisse, qui concernait des par la garantie d’un procès équitable énoncée 22 juin 1989.
52
pensions d’invalidité, les Juges de Strasbourg à l’article 6 . 41 Feldbrugge c. Pays-Bas,
ont ainsi estimé que « […] l’évolution juridique [...] 29 mai 1986.
42 Salesi c. Italie,
et le principe de l’égalité de traitement permettent 26 février 1993.
d’estimer que l’applicabilité de l’article 6(1) constitue
aujourd’hui la règle dans le domaine de l’assurance
Droits ou obligations non 43 Lombardo c. Italie, 26 no-
vembre 1992.
44
sociale, y compris même l’aide sociale » . L’article 6 civils 44 Schuler-Zgraggen c. Suis-
se, 24 juin 1993, para-
s’applique en outre aux procédures permettant graphe 46.
de décider de l’obligation d’acquitter des 45 Schouten et Meldrum
Fidèles à leur approche reposant sur l’examen c. Pays-Bas, 9 dé-
cotisations dans le cadre d’un régime de des circonstances de l’espèce, les Juges de Stras- cembre 1994.
45
sécurité sociale . bourg ont aussi estimé que certains domaines du 46 Philis c. Grèce,
➤ La garantie de l’article 6 couvre les procédures 27 août 1991.

14
droit ne ressortissaient pas à l’article 6(1). de caractère civil » pour assurer le reportage de
Cela signifie que les demandes relatives à des litiges procédures de fixation d’une peine tenues à
47 Voir par exemple Éditions portant sur un droit énoncé dans la Convention ne huis clos. Elle constata en conséquence que les
Périscope c. France,
26 mars 1992 ; Barraona bénéficient pas automatiquement de la protection griefs des requérants ne concernaient pas un
c. Portugal, 8 juillet 1987 conférée par cet article. Cependant, l’article 13 droit ou une obligation civil au sens de l’ar-
et X c. France, (droit à un recours effectif) s’applique et exige par- ticle 6.
3 mars 1992. 57
48 Moreira de Azevedo fois un recours ou des garanties procédurales ana- ➤ Droit de postuler à un emploi public .
58
c. Portugal, 23 oc- logues à celles prévues par l’article 6(1). Les ➤ Droit à une éducation financée par l’Etat .
59
tobre 1990. exemples suivants concernent des droits et obliga- ➤ Refus de délivrer un passeport .
49 Georgiadis c. Grèce, 60
29 mai 1997. tions n’étant pas considérés comme présentant un ➤ Assistance judiciaire dans des affaires civiles .
50 National & Provincial caractère civil. ➤ Droit à un traitement médical financé par
53 61
Building Society et autres ➤ Question fiscales et imposition . l’Etat .
c. Royaume-Uni, 23 oc-
tobre 1997. ➤ Questions touchant à l’immigration et à la na- ➤ Décision unilatérale de l’Etat d’indemniser les
54 62
51 Voir par exemple Fayed tionalité . (Notons cependant que l’article 1 victimes d’une catastrophe naturelle .
63
c. Royaume-Uni, 21 sep- du Protocole n° 7 énumère un certain nombre ➤ Demandes de dépôt de brevet .
tembre 1994.
52 Ruiz-Mateos c. Espagne, de garanties procédurales en cas d’expulsion ➤ Litiges entre les autorités administratives et des
12 septembre 1993. d’étrangers). fonctionnaires exerçant une fonction impli-
55
53 Voir par exemple X ➤ Obligation d’effectuer un service militaire . quant une participation à l’exercice de pouvoirs
c. France, requête
n° 9908/82 (1983) 32 DR ➤ Couverture médiatique d’une procédure judi- conférés par le droit public (par exemple,
64
266. Voir toutefois, ci- ciaire. C’est le cas par exemple dans l’affaire membres des forces armées ou de la police) .
56
dessus, la note de bas de Atkinson, Crook et The Independent c. Royaume-Uni
page 32.
54 P c. Royaume-Uni, requête qui concernait trois requérants – deux journa-
n° 13162/87 (1987) 54 DR listes et un journal – se prétendant victimes
211 et S c. Suisse, 13325/ d’une atteinte à leur droit d’accès aux tribu-
87 (1988) 59 DR 256.
55 Nicolussi c. Autriche, naux reconnu par l’article 6 en raison de la dé-
requête n° 11734/85 cision de tenir à huis clos une procédure de
(1987) 52 DR 266. fixation de peine. La Commission estima que
56 Atkinson, Crook et The
Independent c. Royaume- rien n’indiquait que les requérants bénéfi-
Uni, requête n° 13366/87 ciaient en droit interne d’un quelconque « droit
(1990) 67 DR 244.

15
5. Signification de Dans l’affaire susmentionnée, le procureur
avait ordonné la fermeture provisoire de la bouche-
57 Habsburg-Lothringen
c. Autriche, requête
l’expression « accusation rie du requérant sur la base d’un rapport faisant état n° 15344/89 (1989) 64
DR 210.
de la violation par celui-ci d’un arrêté fixant le prix
en matière pénale » de vente au consommateur des viandes bovines et
58 Simpson c. Royaume-Uni,
requête n° 14688/89
porcines. L’acceptation par ce commerçant de la (1989) 64 DR 188.
59 Peltonen c. Finlande,
transaction proposée dans le cadre d’un règlement requête n° 19583/92
à l’amiable éteignit l’action publique, comme le veut (1995) 80-A DR 38.
« Accusation » le droit belge. Ceci n’empêcha pas la CEDH d’esti- 60 X c. RFA, requête n° 3925/
69 (1974) 32 CD 123.
mer que le requérant avait fait l’objet d’une accusa- 61 L c. Suède, requête
L’article 6 garantit également un procès équi- tion en matière pénale. n° 10801/84 (1978) 61
Les situations suivantes ont également été DR 62.
table dans la détermination du bien-fondé de toute 62 Nordh et autres c. Suède,
« accusation en matière pénale » dirigée contre une analysées par les Juges de Strasbourg comme des requête n° 14225/88
personne. Que recouvre cette formule ? accusations : (1990) 69 DR 223.
➤ ordre d’arrêter une personne pour une infrac- 63 X c. Autriche, requête
66 n° 7830/77 (1978) 14 DR
Dans le contexte de la Convention, la notion tion pénale , 200. Les litiges relatifs à
d’« accusation » revêt un caractère autonome ➤ notification officielle à une personne des pour- la propriété de brevets
67
par rapport au droit interne. Dans l’affaire Deweer suites engagées contre elle , sont cependant considé-
rés comme relevant du
c. Belgique, la CEDH a précisé d’emblée que le mot ➤ demande de preuves adressée à une personne droit civil. (British Ameri-
« accusation » devait être entendu dans son accep- par les autorités enquêtant sur des infractions can Tobacco c. Pays-Bas,
tion matérielle et non formelle et s’est estimée te- douanières et gel du compte bancaire de l’inté- requête n° 19589/92,
68 20 novembre 1995).
nue de regarder au-delà des apparences et ressé , 64 Pellegrin c. France, 8 dé-
d’analyser les réalités de la procédure en litige. Les ➤ nomination par une personne d’un défenseur cembre 1999.
Juges ont ensuite défini l’« accusation » comme : après l’ouverture contre elle d’une instruction 65 Deweer c. Belgique,
69 27 février 1980, para-
la notification officielle, émanant de l’autorité sur la base d’un rapport de police . graphes 42, 44 et 46.
compétente, du reproche d’avoir accompli une 66 Wemhoff c. RFA,
infraction pénale, 27 juin 1968.
67 Neumeister c. Autriche,
ou comme ayant 27 juin 1986.
des répercussions importantes sur la situation du sus- 68 Funke c. France,
65
pect . 25 février 1993.

16
« En matière pénale » ment se soustraire à l’application de la garantie d’un
procès équitable en dépénalisant ou en modifiant la
classification des infractions pénales. Comme les
Comme la CEDH l’a rappelé dans son arrêt En- Juges de Strasbourg n’ont pas manqué de le faire re-
70
gel et autres c. Pays-Bas , les Etats Parties sont libres marquer dans leur arrêt Engel et autres c. Pays-Bas :
de maintenir ou d’établir une distinction entre droit Si les Etats contractants pouvaient à leur guise quali-
pénal, droit administratif et droit disciplinaire tant fier une infraction de disciplinaire plutôt que de pénale,
que cette distinction elle-même ne viole pas les dis- ou poursuivre l’auteur d’une infraction ‘mixte’ sur le
positions de la Convention. L’exercice normal des plan disciplinaire de préférence à la voie pénale, le jeu
droits reconnus par la Convention, par exemple la li- des clauses fondamentales des articles 6 et 7 se trouve-
berté d’expression, ne saurait constituer une infrac- rait subordonné à leur volonté souveraine. Une latitude
tion pénale. aussi étendue risquerait de conduire à des résultats in-
71
Dans cette affaire, la CEDH établit des cri- compatibles avec le but et l’objet de la Convention.
tères permettant de décider si une accusation revêt
ou non un caractère pénal au sens de l’article 6, Nature de l’infraction
critères qui furent par la suite confirmés dans sa ju-
Ce critère se divise en deux sous-critères :
risprudence ultérieure.
A – la portée de la norme violée et B – le but de la
Trois éléments sont pertinents dans ce
peine.
contexte : la classification en droit interne, la na-
ture de l’infraction, ainsi que la nature et la sévérité
de la peine. A – Portée de la norme violée

Classification en droit interne Lorsque la norme concernée ne s’applique qu’à


un nombre restreint d’individus, les membres d’une
69 Angelucci c. Italie, Si l’accusation est classée comme pénale profession par exemple, elle s’apparente davantage
19 février 1991. dans le droit interne de l’Etat défendeur, l’article 6
70 Engel et autres c. Pays- à une norme disciplinaire que pénale. Par contre, si
Bas, 8 juin 1976, para- s’applique automatiquement à la procédure et les elle a un effet général, il est probable qu’elle revêt
graphe 81. distinguos exposés ci-dessous n’ont pas leur place. un caractère pénal au sens de l’article 6. Dans l’af-
71 Engel et autres c. Pays- Par contre, l’inverse n’est pas vrai : s’il en était ain-
Bas, 8 juin 1976, para- faire Weber c. Suisse, le requérant avait intenté des
graphe 81. si, en effet, les Etats contractants pourraient facile- poursuites pénales en diffamation et tenu une

17
conférence de presse pour informer le public de son n’était donc pas uniquement de nature disciplinaire.
73
initiative. Il fut alors condamné à une amende pour De même, l’affaire Demicoli c. Malte concernait
violation du secret de l’enquête et déposa une re- un journaliste ayant fait l’objet d’une procédure
quête pour violation de l’article 6, une fois son re- pour atteinte aux privilèges parlementaires après
cours rejeté sans audience publique préalable. La avoir publié un article critiquant sévèrement deux
CEDH, tenue donc de décider du caractère pénal de députés. Les poursuites intentées contre l’intéressé
l’infraction, s’exprima comme suit : ne furent pas jugées comme relevant de la discipline
La Cour ne souscrit pas à cette argumentation. Les parlementaire, dans la mesure où la disposition in-
sanctions disciplinaires ont en général pour but d’assu- voquée concernait virtuellement la population tout
rer le respect, par les membres de groupes particuliers, entière.
74
des règles de comportement propres à ces derniers. Par Par contre, dans l’affaire Ravnsborg c. Suède , les
ailleurs, la divulgation de renseignements sur une en- Juges de Strasbourg notèrent que les amendes
quête encore pendante constitue, dans une large majo- avaient été imposées au requérant en raison des dé-
rité des Etats contractants, un acte incompatible avec clarations malséantes faites par celui-ci en sa quali-
de telles règles et réprimé par des textes de nature di- té de partie à une procédure judiciaire. Ils
verse. Tenus par excellence au secret de l’instruction, les estimèrent que les mesures prises pour assurer le
magistrats, les avocats et tous ceux qui se trouvent déroulement correct des procédures se rap-
étroitement mêlés au fonctionnement des juridictions prochent plus de l’exercice de prérogatives discipli-
s’exposent en pareil cas, indépendamment de sanctions naires que de l’imposition de peines du chef
pénales, à des mesures disciplinaires qui s’expliquent d’infractions pénales. L’article 6 fut donc jugé inap-
par leur profession. Les « parties », elles, ne font que plicable en l’espèce.
participer à la procédure en qualité de justiciables ; elles
se situent donc en dehors de la sphère disciplinaire de la B – But de la peine
justice. Comme l’article 185 [du Code vaudois de pro- 72 Weber c. Suisse,
22 mai 1990, para-
cédure pénale] concerne virtuellement la population Ce critère sert à distinguer les sanctions pé-
graphe 33.
tout entière, l’infraction qu’il définit, et qu’il assortit nales des sanctions purement administratives. 73 Demicoli c. Malte,
75
d’une sanction punitive, revêt un caractère « pénal » au L’arrêt Öztürk c. RFA portait sur une affaire de 27 août 1991.
72 74 Ravnsborg c. Suède,
regard du deuxième critère. conduite dangereuse (imprudence au volant) : une 21 février 1994.
La disposition ne concernant pas un groupe infraction dépénalisée en Allemagne, ce qui n’em- 75 Öztürk c. RFA,
restreint de personnes à l’un ou plusieurs titres, elle pêcha pas les Juges de Strasbourg d’estimer qu’elle 21 février 1984.

18
ressortissait manifestement toujours à la matière modalités d’exécution ne sauraient causer un préjudice
pénale au sens de l’article 6. La norme concernée important. Ainsi le veulent la gravité de l’enjeu, les tra-
conservait en effet les caractéristiques propres (no- ditions des Etats contractants et la valeur que la
tamment l’aspect punitif) aux infractions pénales. Convention attribue au respect de la liberté physique de
76
Elle s’adressait à tous les citoyens en leur qualité la personne.
« d’usagers de la route » et non à un groupe particu- Dans l’affaire Benham c. Royaume-Uni, les Juges
lier (voir ci-dessus) et assortissait cette exigence de Strasbourg estimèrent que « lorsqu’une privation de
d’une sanction (amende) punitive et dissuasive. liberté se trouve en jeu, les intérêts de la justice commandent
77
La Cour releva également que l’immense majorité par principe d’accorder l’assistance d’un avocat » .
78
des Etats Parties traitait les violations mineures du Dans son arrêt Campbell et Fell c. Royaume-Uni ,
Code de la route comme des infractions pénales. la même Cour déclara que la perte d’une remise de
peine de presque trois ans, bien que s’analysant juri-
Nature et sévérité de la peine diquement en droit anglais davantage comme un
privilège que comme un droit, devait être prise en
Ce critère ne doit pas être confondu avec celui
compte. Pareille perte, en effet, avait entraîné le pro-
du but de la peine (voir ci-dessus). En effet, c’est
longement de la détention du prisonnier au-delà de
lorsque ce but ne rend pas l’article 6 applicable
la date à laquelle il aurait pu espérer être libéré.
que la CEDH s’interroge aussi sur la nature et la sé-
Comme indiqué dans l’extrait de l’arrêt Engel et
vérité pour savoir si elles justifient la garantie d’un
autres c. Pays-Bas reproduit ci-dessus, toute privation
procès équitable.
de liberté n’entraîne pas forcément l’applicabilité de
En règle générale, toute norme assortie d’une l’article 6. La CEDH a notamment estimé un empri-
privation de liberté est considérée comme rele- sonnement de deux jours comme trop court pour
76 Engel et autres c. Pays- vant davantage du domaine pénal que de la simple être assimilé à une sanction pénale.
Bas, 8 juin 1976, para- mesure disciplinaire. La CEDH a notamment fait re- La menace d’un emprisonnement peut, elle aussi,
graphe 82.
77 Benham c. Royaume-Uni, marquer, dans son arrêt Engel et autres c. Pays-Bas, entraîner l’application de l’article 6. Dans Engel c. Pays-
10 juin 1996, para- que : Bas, le fait que l’un des requérants s’était vu finalement
graphe 61. Dans une société attachée à la prééminence du droit, imposer une sanction non privative de liberté ne modi-
78 Campbell et Fell
c. Royaume-Uni, ressortissent à la « matière pénale » les privations de li- fia pas l’opinion de la Cour quant au caractère pénal de
28 juin 1984, para- berté susceptibles d’être infligées à titre répressif, hor- l’accusation, dans la mesure où le résultat final du re-
graphe 72. mis celles qui par leur nature, leur durée ou leurs cours ne saurait amoindrir l’enjeu initial.

19
Quand la peine consiste non pas en un empri-
sonnement ou en une menace d’emprisonnement
mais en une amende, la CEDH se demande si celle-
ci doit être perçue comme une réparation financière
des dommages ou comme une sanction essentielle-
ment destinée à décourager les récidives. Ce n’est
que dans ce dernier cas qu’elle est analysée comme
79
ressortissant à la matière pénale .

79 Par exemple Bendenoun


c. France, 4 février 1994.

20
6. Portée du droit à une aide à réaliser le but de l’article 6(1) : le procès équi-
table, dont la garantie compte parmi les principes de
audience publique toute société démocratique au sens de la Convention.
80

Une audience publique s’avère en général né-


L’article 6 garantit à toute personne le droit de cessaire pour satisfaire les exigences de l’ar-
faire entendre sa cause publiquement, s’agissant de ticle 6(1) devant les juridictions constituant le
la détermination de ses droits et obligations de ca- premier ou le seul ressort. Il peut cependant y avoir
ractère civil ou du bien-fondé de toute accusation des exceptions concernant les litiges hautement
81
en matière pénale dirigée contre elle. Le même ar- techniques .
ticle précise en outre que l’accès de la salle Si aucune audience publique n’a été tenue en
d’audience peut être interdit à la presse et au public première instance, cette lacune peut être com-
pendant la totalité ou une partie du procès dans blée au niveau d’une instance supérieure. Il y a ce-
l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sé- pendant violation de l’article 6 lorsque la cour
curité nationale dans une société démocratique, d’appel n’examine pas les faits de la cause ou ne
lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de jouit pas de la plénitude de la juridiction. Dans l’af-
82
la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans faire Diennet c. France , la CEDH établit l’absence de
la mesure jugée strictement nécessaire par le tribu- toute audience publique au stade de la procédure
nal, lorsque, dans des circonstances spéciales, la disciplinaire et estima que cette lacune ne pouvait
80 Axen c. RFA, 8 dé- publicité serait de nature à porter atteinte aux inté- pas être comblée par le caractère public des
cembre 1983, para-
rêts de la justice. audiences tenues par le Conseil d’Etat statuant en
graphe 25. cassation sur les décisions de la section disciplinaire
81 Schuler-Zraggen c. Suisse,
24 juin 1993, para- L’audience publique constitue un élément es- du conseil national de l’ordre des médecins. Ceci,
graphe 58 – droit du sentiel du droit à un procès équitable, comme l’a dans la mesure où ce tribunal ne pouvait pas passer
requérant à une pension souligné la CEDH dans son arrêt Axen c. RFA : pour un « organe judiciaire de pleine juridiction »,
d’invalidité.
82 Diennet c. France, La publicité de la procédure des organes judiciaires vi- notamment parce qu’il n’avait pas le pouvoir d’ap-
26 septembre 1995, para- sés à l’article 6(1) protège les justiciables contre une précier la proportionnalité entre la faute et la sanc-
graphe 34. justice secrète échappant au contrôle du public ; elle tion. Seules des circonstances exceptionnelles
83 Stallinger et Kuso
c. Autriche, constitue aussi l’un des moyens de préserver la peuvent justifier l’absence d’audience publique en
83
23 avril 1997, para- confiance dans les cours et tribunaux. Par la transpa- première instance .
graphe 51. rence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle Le droit à une audience publique inclut géné-

21
ralement le droit à une procédure orale, sauf en À ce sujet, voir aussi, dans le chapitre 10, la
84
cas de circonstances exceptionnelles . section intitulée « Présence à l’audience ».
En règle générale, l’exigence d’une audience Dans certains cas, le requérant a la faculté de
publique ne s’applique pas aux procédures renoncer à son droit à une audience publique.
conduites devant la juridiction d’appel. Par exemple, Comme la CEDH l’a déclaré dans l’affaire Håkansson
85
dans l’affaire Axen c. RFA , la CEDH estima qu’en et Sturesson c. Suède :
matière pénale les audiences publiques étaient su- Ni la lettre ni l’esprit de ce texte n’empêchent une per-
perflues dès lors que la cour d’appel concernée reje- sonne d’y renoncer de son plein gré de manière expresse
tait le pourvoi pour des motifs purement juridiques. ou tacite [...], mais pareille renonciation doit être non
Cependant, lorsque la juridiction d’appel est tenue équivoque et ne se heurter à aucun intérêt public im-
88
d’examiner à la fois les éléments factuels et juri- portant.
89
diques de la cause et de statuer sur la culpabilité ou Dans l’affaire Deweer c. Belgique , le requérant
l’innocence de l’accusé, une audience publique est avait accepté de régler une amende transactionnelle
86
requise . Dans les affaires civiles, par contre, sous la contrainte d’une fermeture provisoire de
l’audience publique au niveau de l’appel est consi- son établissement en attente d’une procédure pé- 84 Fischer c. Autriche,
87 26 avril 1995, para-
dérée comme superflue. Dans l’affaire K c. Suisse , le nale. La CEDH estima que la renonciation, sous graphe 44.
requérant avait été partie à un long procès avec une forme d’acceptation de la transaction, à l’audience 85 Axen c. RFA, 8 dé-
entreprise qu’il avait chargée de travaux d’agrandis- avait été obtenue sous la contrainte, ce qui consti- cembre 1983, para-
graphe 28.
sement de sa villa. Le tribunal de première instance tuait une violation de l’article 6(1). 86 Ekbatani c. Suède,
trancha en faveur de l’entreprise et son arrêt fut Dans l’affaire Håkansson et Sturesson c. Suède déjà 26 mai 1988, para-
confirmé par la cour d’appel. Le requérant se pour- mentionnée ci-dessus, les Juges de Strasbourg esti- graphes 32 et 33.
87 Voir par exemple K
vut alors devant le Tribunal fédéral qui rejeta son re- mèrent que les requérants avaient tacitement re- c. Suisse, 41 D.R. 242.
cours sans tenir d’audience publique, ni demander noncé à leur droit à une audience publique en 88 Håkansson et Sturesson
d’observations écrites. s’abstenant d’en exiger une alors que la législation c. Suède, 21 février 1990,
paragraphe 66.
La Commission estima que : suédoise les y autorisait explicitement. 89 Deweer c. Belgique,
En outre dans la mesure où le requérant se plaint que La CEDH a déclaré que les procédures discipli- 27 février 1980, para-
les juges du Tribunal fédéral n’ont pas délibéré ni voté naires relatives aux détenus condamnés peuvent se graphe 51-54.
90 Campbell et Fell
en public sur son recours en réforme, la Commission dérouler dans l’enceinte de l’établissement péniten- c. Royaume-Uni,
90
fait remarquer que la Convention ne consacre pas un tel tiaire. Dans l’affaire Campbell et Fell c. Royaume-Uni , 28 juin 1984, para-
droit. les Juges de Strasbourg estimèrent qu’il fallait tenir graphe 87.

22
compte des problèmes inhérents à l’ordre public et
à la sécurité que pourraient soulever ces procédures
si elles avaient lieu en public. Un tel arrangement
imposerait en effet un fardeau disproportionné aux
autorités de l’Etat.
La CEDH a également jugé que, si l’interdiction
complète de toute publicité est injustifiable, il est
néanmoins permis d’organiser dans le secret des
procédures disciplinaires visant l’exercice d’une
profession, à condition que les circonstances s’y
prêtent. Les facteurs à prendre en considération
pour juger de la nécessité d’une audience publique
incluent le respect du secret professionnel et de la
91
vie privée des clients ou patients .
92
Dans Bayram c. Royaume-Uni , la CEDH a admis
la règle empêchant la presse et le public d’assister
aux débats consacrés par un certain tribunal à
toutes les affaires de garde d’enfant, alors que
d’autres tribunaux admettent la presse et certaines
catégories de publics lors de procédures sem-
blables. Signalons cependant que les Juges de Stras-
91 Albert et Le Compte bourg ne se sont pas encore prononcés sur le fond
c. Belgique, (leur arrêt est prévu pour l’été 2001.
10 février 1983, para-
graphe 34 et H
c. Belgique, 30 no-
vembre 1987, para-
graphe 54.
92 Bayram v. the United
Kingdom, 14 septembre
1999 [disponible unique-
ment en anglais].

23
7. Signification de d’audiences dans la mesure où les arrêts des cours
inférieures avaient été rendus publics.
l’expression « rendu 95
De même, dans Sutter c. Suisse , la CEDH a jugé
que la lecture à haute voix d’une décision du Tribu-
publiquement » nal militaire de cassation était superflue, dans la
mesure où l’accès public à ladite décision était as-
L’article 6 prévoit que le jugement doit être suré par d’autres moyens et, plus spécialement, par
rendu publiquement. Cette disposition ne souffre la possibilité de s’en procurer une copie auprès du
aucune des exceptions applicables à la règle qui greffe ainsi que par sa publication ultérieure dans un
veut que les audiences se déroulent en public (voir recueil officiel de jurisprudence.
la section pertinente du chapitre précédent). Elle Les affaires susmentionnées concernaient
aussi vise à favoriser l’équité du procès en instau- toutes des jugements rendus par des instances su-
rant une certaine transparence. périeures du système judiciaire et les Juges de Stras-
La CEDH considère que l’expression « rendu bourg ont estimé qu’il n’y avait pas eu violation de
publiquement » ne signifie pas nécessairement que l’article 6 en l’espèce. Cependant, les affaires Wer-
96 97
le jugement doit être lu dans l’enceinte du tribunal. ner c. Autriche et Szucs c. Autriche – dans lesquelles
Dans l’affaire Pretto et autres c. Italie, elle a notamment ni les tribunaux de première instance, ni les cours
estimé : d’appel n’avaient rendu leurs arrêts en public et 93 Pretto et autres c. Italie,
8 décembre 1983, para-
[...] qu’il échet, dans chaque cas, d’apprécier à la lu- dans lesquelles, également, il apparut que le texte graphe 26.
mière des particularités de la procédure dont il s’agit, et desdits arrêts n’était pas accessible au grand public 94 Axen c. RFA,
en fonction du but et de l’objet de l’article 6(1), la auprès de leurs greffes respectifs (seules les per- 29 juin 1982, para-
graphe 32.
forme de publicité du « jugement » prévue par le droit sonnes justifiant d’un « intérêt légitime » étant auto- 95 Sutter c. Suisse,
93
interne de l’Etat en cause. risées à le consulter) – amenèrent les Juges de 22 février 1984, para-
Dans cette affaire, la CEDH conclut qu’en raison Strasbourg à constater une violation de l’article 6. graphe 34.
96 Werner c. Autriche,
de la juridiction limitée de la cour d’appel, le dépôt du La CEDH estima également que le même article 24 novembre 1997.
jugement au greffe de ladite cour et, par conséquent, avait été violé en l’affaire Campbell et Fell c. Royaume- 97 Szucs c. Autriche, 24 no-
98
l’accessibilité de son texte intégral au public suffi- Uni dans laquelle les requérants reprochaient au vembre 1997.
98 Campbell et Fell
saient à satisfaire la condition de prononcé public. comité des visiteurs [Board of Visitors], siégeant en sa c. Royaume-Uni,
94
En outre, la CEDH a estimé dans Axen c. RFA qualité d’organe disciplinaire, de n’avoir pris aucune 28 juin 1984, para-
que la Cour fédérale de Justice pouvait se passer mesure pour rendre sa décision publique. graphe 92.

24
99 Stögmüller c. Autriche,
8. Signification de droit de recours individuel, mais tient compte de
103
l’état et de l’avancement de l’affaire à cette date .
10 novembre 1969, para-
graphe 5.
l’expression « dans un délai Les Juges de Strasbourg ont établi dans leur ju-
risprudence que l’évaluation du caractère raison-
100 H c. France, 24 oc-
tobre 1989, para- raisonnable » nable d’un délai supposait l’appréciation de
graphe 58. plusieurs facteurs : la complexité de l’affaire, le
101 Scopelliti c. Italie, 23 no-
vembre 1993, para- L’article 6 exige que chacun puisse faire en- comportement du requérant et celui des autorités
graphe 18 et Deweer tendre sa cause dans un délai raisonnable. La CEDH judiciaires et administratives, ainsi que l’enjeu de la
104
c. Belgique, a déclaré que l’objet de cette garantie est de proté- procédure pour le requérant .
27 février 1980, para-
graphe 42. ger « [...] tous les justiciables [...] contre les lenteurs excessi- La CEDH se penche sur les circonstances parti-
99
102 Voir par exemple Scopel- ves de la procédure » . Pareille disposition, en outre, culières de l’affaire et n’a donc pas fixé de délai ab-
liti c. Italie, 23 no- « souligne par là l’importance qui s’attache à ce que la jus- solu. Il arrive également qu’elle procède à une
vembre 1993,
paragraphe 18 et B tice ne soit pas rendue avec des retards propres à en compro- évaluation globale au lieu de vérifier directement les
100
c. Autriche, mettre l’efficacité et la crédibilité » . Cette condition critères susmentionnés.
28 mars 1990, para- vise donc à garantir que, dans un délai raisonnable
graphe 48.
103 Proszak c. Pologne, et au moyen d’une décision judiciaire, il soit mis fin
16 décembre 1997, para-
graphes 30 et 31.
à l’incertitude dans laquelle se trouve plongée une
personne quant à sa position en droit civil ou à l’ac-
Complexité de l’affaire
104 Voir par exemple Bu-
chholz c. RFA, cusation en matière pénale pesant contre elle : pa-
6 mai 1981, para- reille mesure sert donc à la fois l’intérêt de la Tous les aspects de l’affaire sont pertinents
graphe 49. personne en question et le principe de sécurité juri- pour apprécier sa complexité. Cette dernière peut
105
105 Voir Katte Klitsche de la tenir à des points de fait ou de droit . La CEDH at-
Grange c. Italie, 27 oc- dique.
tobre 1994, para- La période à prendre en considération part tache notamment de l’importance à la nature des
106
graphe 62 – l’affaire du moment où l’action est intentée dans les affaires faits à établir , au nombre des accusés et des té-
107 108
risquait d’avoir de pro- moins , à la dimension internationale , à la jonc-
fondes répercussions sur civiles et du moment où le suspect se trouve accusé 109
la jurisprudence nationale
101
dans les affaires pénales . Elle cesse avec la fin de tion de plusieurs affaires et à l’intervention de
110
et sur le droit de l’envi- la procédure devant la plus haute instance possible, tiers dans la procédure .
ronnement. 102
106 Triggiani c. Italie, c’est-à-dire lorsque le jugement devient définitif . Une affaire très complexe peut parfois justifier
19 février 1991, para- La CEDH n’examine que le délai écoulé à compter une longue procédure. Par exemple, dans Boddaert
111
graphe 17. de l’acceptation par l’Etat contractant concerné du c. Belgique , la CEDH estima que six ans et trois

25
mois ne constituaient pas un délai déraisonnable, d’accélérer la procédure n’est pas nécessairement
114
dans la mesure où l’affaire portait sur un meurtre cruciale .
compliqué et où deux procédures distinctes avaient La CEDH a déclaré, dans son arrêt Unión Ali-
été menées parallèlement. Pourtant, même dans les mentaria Sanders S.A. c. Espagne, que le requérant « est
affaires extrêmement complexes, les Juges de Stras- tenu seulement d’accomplir avec diligence les actes le concer-
bourg n’hésitent pas, si besoin est, à qualifier un dé- nant, de ne pas user de manœuvres dilatoires et d’exploiter
107 Angelucci c. Italie,
lai de déraisonnable. Dans leur arrêt Ferantelli et les possibilités offertes par le droit interne pour abréger la 19 février 1991, para-
112 115
Santangelo c. Italie , notamment, ils ont estimé ex- procédure » . graphe 15 et Andreucci
116
cessif un délai de seize ans, alors que l’affaire L’affaire Ciricosta et Viola c. Italie portait sur une c. Italie, 27 février 1992,
paragraphe 17.
concernait un meurtre compliqué et soulevait des demande de suspension de travaux susceptibles de 108 Voir par exemple Manzo-
problèmes délicats dus au jeune âge des délin- léser les droits de propriété des requérants. Ces ni c. Italie,
quants. derniers ayant demandé au moins dix-sept renvois 19 février 1991, para-
graphe 18.
d’audience et ne s’étant pas opposés à six reports 109 Diana c. Italie,
sollicités par la partie adverse, la CEDH estima que 27 février 1992, para-

Comportement du le délai de quinze ans n’était pas déraisonnable. graphe 17.


117 110 Manieri c. Italie,
Dans Beaumartin c. France , les requérants avaient 27 février 1992, para-
requérant contribué au retard de la procédure en portant l’af- graphe 18.
111 Boddaert c. Belgique,
faire devant une juridiction incompétente et en ne
12 octobre 1992.
Tout délai inhérent au comportement du requé- déposant leurs observations que quatre mois après 112 Ferrantelli et Santangelo
rant porte atteinte à la légitimité de sa plainte. Ce- s’être pourvus en appel. Les Juges de Strasbourg es- c. Italie, 7 août 1996.
timèrent cependant que les autorités se trouvaient 113 Eckle c. RFA,
pendant, on ne peut pas objecter à un justiciable 15 juillet 1982, para-
que la longueur de la procédure est imputable à son davantage en faute, la juridiction de jugement ayant graphe 82.
exploitation de tous les moyens de droit disponibles mis plus de cinq ans pour tenir sa première 114 Voir par exemple Cetero-
audience et l’administration défenderesse vingt ni c. Italie, 15 no-
pour assurer sa défense. En outre, on ne saurait exi- vembre 1996.
ger d’un requérant qu’il coopère activement à une mois à compter de la saisine pour déposer ses ob- 115 Unión Alimentaria San-
procédure susceptible d’aboutir à sa propre incrimi- servations. ders S.A. c. Espagne,
113 paragraphe 35.
nation . Lorsqu’un requérant essaie d’accélérer la 116 Ciricosta et Viola c. Italie,
marche des instances, ce fait peut être retenu en sa 4 décembre 1995.
117 Beaumartin c. France,
faveur, mais la non-intervention d’un requérant afin
24 novembre 1994.

26
Comportement des tion particulière de veiller à ce que tous les in-
tervenants dans la procédure fassent de leur
autorités mieux pour éviter tout retard superflu.
Les retards considérés par les Juges de Stras-
Seuls les retards imputables à l’Etat doivent bourg comme imputables à l’Etat incluent :
être pris en compte pour déterminer si la garantie ➤ en matière civile : un ajournement de la procé-
de délai raisonnable a été respectée ou pas. L’Etat dure en attendant une décision dans une autre
est cependant responsable des retards causés par affaire, un retard dans le déroulement de
tous ses services administratifs ou judiciaires. l’audience devant le tribunal ou dans la présen-
tation ou la production des preuves par l’Etat,
Lorsqu’elle juge des affaires portant sur la du- ainsi que tout retard imputable au greffe du tri-
rée d’une procédure, la CEDH consacre le principe bunal ou à d’autres autorités administratives.
d’une bonne administration de la justice, à savoir ➤ en matière pénale : le transfert d’un dossier à
l’obligation pour les tribunaux nationaux d’expédier un autre tribunal, la multiplication des
118
avec célérité les dossiers qui leur sont soumis . audiences en présence de plusieurs accusés, la
Toute décision de report pour une raison quel- communication tardive du jugement à l’accusé
118 Boddaert c. Belgique, conque ou de déclenchement d’une enquête inci- et le délai trop long requis pour se pourvoir et
121
12 octobre 1992, para- dente peut donc revêtir une certaine importance. statuer en appel .
graphe 39. 119
119 Ewing c. Royaume-Uni, Dans Ewing c. Royaume-Uni , la jonction de trois af- Les Juges de Strasbourg ont rappelé dans l’af-
56 DR 71. faires, cause de l’allongement de la procédure, ne faire Zimmerman et Steiner c. Suisse que les Etats
120 Voir par exemple Vernillo fut pas considérée comme arbitraire ou déraison- contractants étaient astreints à « [...] organiser leurs
c. France,
20 février 1991, para- nable (ou même comme responsable d’un retard in- juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exi-
graphe 38. justifié), dans la mesure où elle allait dans le sens gences de l’article 6(1), notamment quant au ‘délai raison-
122
121 Voir par exemple Zim- d’une bonne administration de la justice. nable’ » .
merman et Steiner
c. Suisse, 13 juillet 1983 ; La CEDH a clairement affirmé que les efforts Dans cette affaire, la CEDH estima que, lorsque
Guincho c. Portugal, déployés par les autorités judiciaires pour accélérer la cause du retard pris par l’instance tient à la sur-
10 juillet 1984 et Buch- les procédures dans toute la mesure du possible charge de travail du système judiciaire, il y a viola-
holz c. RFA, 6 mai 1981.
122 Zimmerman et Steiner jouent un rôle important dans le respect des garan- tion de la garantie de délai raisonnable énoncée par
120
c. Suisse, 13 juillet 1983, ties offertes par l’article 6 aux requérants . Les l’article 6, dans la mesure où l’Etat n’a pas pris les
paragraphe 29. tribunaux assument par conséquent l’obliga- mesures adéquates pour faire face à la situation. Pa-

27
125
reilles mesures peuvent inclure l’augmentation du cent concerne l’affaire Jablonski c. Pologne , les prin-
nombre des juges et de celui des greffiers ou secré- cipes que le juge doit appliquer pour autoriser une
taires. Cependant, la CEDH ne conclut générale- détention préventive en tenant compte du délai
ment pas à une violation lorsque l’engorgement du probablement requis pour organiser le procès. Des
système judiciaire revêt un caractère provisoire et raisons plausibles et objectives de soupçonner une
exceptionnel et lorsque l’Etat a pris assez rapide- personne d’avoir commis une infraction sont tou-
ment des mesures correctrices. Pour évaluer les ca- jours requises pour justifier une détention au titre
rences de l’Etat, les Juges de Strasbourg sont en de l’article 5(1)(c) et 5(3). Ces motifs ne sauraient
outre disposés à tenir compte de la situation poli- cependant justifier à eux seuls une détention pré-
123
tique et sociale dans l’Etat concerné . ventive, même si le suspect a été pris en flagrant
délit. Pareille détention en effet constituerait une
violation de l’article 6(2) (présomption d’innocen- 123 Voir par exemple Milasi
c. Italie, 25 juin 1987,
Enjeu de la procédure pour ce, voir ci-dessous). La privation de liberté doit aus-
si reposer sur des raisons objectivement vérifiables
paragraphe 19 et Unión
Alimentaria S.A.
le requérant telles que la crainte de voir l’accusé prendre la fuite, c. Espagne, 7 juillet 1989,
paragraphe 38.
exercer des pressions sur des témoins ou supprimer 124 L’article 5(3) prévoit no-
L’application de ce critère explique que les des preuves. Les garanties reposant sur le contrôle tamment que : «Toute
judiciaire institué par l’article 5(3) exigent du juge personne arrêtée ou déte-
Juges de Strasbourg se montrent plus sévères lors- nue, dans les conditions
qu’ils évaluent la célérité des procédures pénales, autorisant le prolongement de la détention qu’il vé- prévues au
surtout si l’accusé est placé en détention préven- rifie, à chaque fois, la présence de motifs perti- paragraphe 1.c du présent
nents suffisants pour justifier le maintien de ladite article, doit être aussitôt
tive. L’exigence de délai raisonnable posée par l’ar- traduite devant un juge
ticle 6 se rapproche beaucoup de celle posée par détention. Il ne suffit pas que ce magistrat soit ou un autre magistrat
124
l’article 5(3) . La CEDH soutient en outre que l’al- convaincu que pareils motifs existaient au moment habilité par la loi à exer-
de la décision initiale de placement en détention, cer des fonctions judi-
longement excessif de la procédure rend la déten- ciaires et a le droit d’être
tion illégale. Cette détention ne saurait en effet être que le dossier ne soit pas encore assez avancé pour jugée dans un délai rai-
considérée comme répondant au but énoncé dans permettre un procès ou que le délai écoulé soit en- sonnable, ou libérée pen-
core raisonnable. Il va sans dire que si le juge estime dant la procédure.».
l’article 5(3) dès lors que le laps de temps écoulé 125 Jablonski v. Poland,
n’est plus raisonnable. Les Juges de Strasbourg ont ledit délai déraisonnable, la détention devient ipso 21 décembre 2000 [dis-
ainsi énoncé dans plusieurs arrêts, dont le plus ré- facto illégale et que le détenu doit être libéré. En tout ponible uniquement en
état de cause, pour justifier une détention prolon- anglais].

28
gée, le juge devra aussi démontrer qu’il est convain- suspendu à tort par son employeur a un important in-
cu de ne pas pouvoir user d’un moyen moins sévère térêt personnel à obtenir promptement une décision ju-
129
(telle qu’une restriction à la liberté de déplacement) diciaire sur la légalité de cette mesure » .
de nature à apaiser les craintes du procureur. Dans ➤ Blessures corporelles. Dans l’affaire Silva Pontes
130
l’affaire Jablonski c. Pologne, la CEDH estima que, c. Portugal , la CEDH a estimé qu’une diligence
même si le comportement du requérant avait con- particulière s’impose pour la détermination de
tribué à la prolongation de la procédure, il ne saurait l’indemnité due aux victimes d’accidents de la
à lui seul expliquer tout le retard (plus de cinq ans) route.
et que ce dernier était principalement imputable ➤ Autres affaires dans lesquelles la célérité revêt
aux autorités. En l’occurrence, la violation portait à de toute évidence une importance primordiale.
131
la fois sur les articles 5 et 6. Dans X c. France , le requérant avait été infecté
Pour en revenir au délai raisonnable en matière par le V.I.H. après avoir reçu une transfusion de
civile, cette exigence posée par l’article 6 impose sang contaminé et réclamait des indemnités à
aussi une obligation de célérité aux autorités, sur- l’Etat. Eu égard au mal incurable qui le minait et
126 H c. Royaume-Uni, tout lorsque l’issue de la procédure revêt un carac- à son espérance de vie réduite, la CEDH estima
8 juillet 1988, para-
graphe 85. tère critique pour le requérant et/ou présente un qu’une procédure de deux ans constituait un
126
127 Hokkanen c. Finlande, aspect particulier ou irréversible . Évoquons à ce dépassement du délai raisonnable. Les tribu-
23 septembre 1994, para- propos quelques exemples : naux nationaux auraient dû utiliser leurs pou-
graphe 72.
128 Ignaccolo-Zenide c. Rou- ➤ Garde d’enfants. Dans l’affaire Hokkanen c. Fin- voirs pour presser la marche de l’instance. Dans
manie, 25 janvier 2000, lande, la CEDH a déclaré : « Il importe que les af- A et autres c. Danemark, la CEDH estima que « [...]
127
paragraphe 102. faires de garde soient traitées rapidement. » . Dans les autorités administratives et judiciaires compétentes
129 Obermeier c. Allemagne, 128
28 juin 1990, para- l’affaire Ignaccolo-Zennide c. Roumanie , elle a in- avaient l’obligation positive, en vertu de l’article 6(1),
graphe 72. sisté sur le fait que les procédures relatives à d’agir avec la diligence exceptionnelle requise par la ju-
132
130 Silva Pontes c. Portugal, l’attribution de l’autorité parentale exigent un risprudence de la Cour dans des litiges de ce genre » .
23 mars 1994, para-
graphe 39. traitement urgent, car l’essence d’une telle ac-
131 X c. France, tion est de prémunir l’individu contre tout pré-
23 mars 1991, para- judice pouvant résulter du simple écoulement
graphe 47-49.
132 A et autres c. Danemark, du temps.
8 février 1996, para- ➤ Conflits du travail. Dans Obermeier c. Autriche, la
graphe 78. CEDH a déclaré « […] qu’un employé s’estimant

29
9. Signification de ➤

la durée de leur mandat,
l’existence de garanties contre les pressions
l’expression « tribunal extérieures et
➤ le point de savoir si l’organe présente les appa-
indépendant et impartial » 133
rences de l’indépendance .
Les Juges de Strasbourg estiment que tout tri-
L’article 6 stipule que toute personne a droit à bunal doit être indépendant à la fois à l’égard de
134
ce que sa cause soit entendue par un tribunal indé- l’exécutif et des parties .
pendant et impartial, établi par la loi. Ces deux
conditions (indépendance et impartialité) sont Composition et nomination
d’ailleurs interdépendantes et les Juges de Stras-
La CEDH estime que la présence de magistrats
bourg les vérifient souvent en bloc.
de l’ordre judiciaire ou de personnes compétentes
sur le plan juridique dans un tribunal constitue une
135
forte présomption d’indépendance .
Indépendance 136
Dans l’affaire Sramek c. Autriche , par contre, la
CEDH a estimé que le tribunal en question (l’Autori- 133 Voir par exemple Camp-
Les tribunaux étant normalement considérés té régionale des transactions immobilières) n’était bell et Fell c. Royaume-
comme indépendants, il est rare qu’un juge national Uni, 28 juin 1984,
pas indépendant : le gouvernement était partie à la paragraphe 78.
soit appelé à se prononcer en la matière, à moins procédure et son représentant était le supérieur 134 Ringeisen c. Autriche,
d’avoir été saisi concernant les décisions d’un or- hiérarchique du rapporteur de cette juridiction. 16 juillet 1971, para-
gane non judiciaire. En effet, tout organe de ce type graphe 95.
Le fait que les membres d’un tribunal soient 135 Le Compte c. Belgique,
ayant le pouvoir de rendre des décisions relatives à nommés par l’exécutif ne viole pas la Convention .
137
23 juin 1981, para-
la détermination de droits et obligations de carac- Pour qu’il y ait transgression de l’article 6, en effet, graphe 57.
tère civil ou du bien-fondé d’une accusation pénale 136 Sramek c. Autriche,
le requérant doit apporter la preuve que les modali- 22 octobre 1984.
doit répondre aux deux conditions énoncées : in- tés de cette nomination sont globalement insatis- 137 Campbell et Fell
dépendance et impartialité. faisantes ou que l’établissement d’un tribunal c. Royaume-Uni,
28 juin 1984, para-
Pour évaluer le degré d’indépendance d’un tri- spécifique chargé de trancher un litige obéit à des graphe 79.
bunal, la CEDH prend en considération : motifs suggérant une tentative d’influer sur sa déci- 138 Zand c. Autriche, 15 D.R.
138
➤ le mode de désignation de ses membres, sion . 70, paragraphe 77.

30
En outre, la nomination des membres d’un tri- doit inspirer. Les Juges de Strasbourg estimèrent par
bunal pour une durée fixe est considérée comme conséquent être en présence de doutes légitimes
une garantie d’indépendance. Dans l’affaire Le concernant l’indépendance et l’impartialité structu-
139
Compte c. Belgique , le mandat de six ans des relle de la commission et déclarèrent cette juridic-
membres du conseil d’appel de l’ordre des méde- tion comme non conforme aux exigences de
cins fut considéré comme un gage d’indépendance. l’article 6(1).
140
Dans Campbell et Fell c. Royaume-Uni , les membres
du comité des visiteurs étaient nommés pour trois Subordination à d’autres autorités
ans : une durée relativement brève mais qui ne fut
Le tribunal doit avoir le pouvoir de rendre une
pas considérée comme suffisante pour créer une
décision obligatoire non susceptible de modification
violation de l’article 6, dans la mesure où il aurait 142
par une autorité non judiciaire . Dans ce contexte,
pu se révéler malaisé de trouver des personnes dé-
la CEDH a estimé que certaines cours martiales et
sireuses et capables d’assumer pendant un laps de
autres organes disciplinaires militaires violent l’ar-
temps plus long cette fonction bénévole.
ticle 6 : bien que l’exécutif puisse donner à leurs
membres des directives concernant l’exercice de
Apparence leurs fonctions, il n’a pas à leur adresser d’instruc-
139 Le Compte, Van Leuven,
De Meyere c. Belgique, Les soupçons relatifs à l’apparence d’indépen- tions dans le domaine de leurs attributions conten-
143
23 juin 1981. dance doivent être objectivement justifiés, au tieuses .
140 Campbell et Fell moins dans une certaine mesure. C’est ainsi qu’en
c. Royaume-Uni, 141
l’affaire Belilos c. Suisse , la « Commission de po-
Impartialité
28 juin 1984, para-
graphe 80. lice » locale chargée de réprimer les contraventions
141 Belilos c. Suisse, se composait d’un seul membre : un policier sié-
29 avril 1988, para-
graphes 66 et 67. geant à titre individuel. Bien que non assujetti aux Dans l’affaire Piersack c. Belgique, la CEDH estima
142 Voir par exemple Findlay ordres, assermenté et inamovible, il était supposé que :
c. Royaume-Uni, retourner plus tard à ses devoirs ordinaires et donc
25 février 1997, para- Si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de
graphe 77. susceptible d’être perçu comme un membre des
préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous
143 Campbell et Fell forces de police subordonné à ses supérieurs et
c. Royaume-Uni, l’angle de l’article 6(1) de la Convention, s’apprécier
loyal envers ses collègues. Cette particularité fut ju-
28 juin 1984, para- de diverses manières. On peut distinguer sous ce rap-
graphe 79. gée de nature à saper la confiance que tout tribunal
port entre une démarche subjective, essayant de déter-

31
miner ce que tel juge pensait dans son for intérieur en La CEDH a clairement établi que tout juge
telle circonstance, et une démarche objective amenant à dont on peut légitimement craindre un manque
147
rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour ex- d’impartialité doit se récuser .
144
clure à cet égard tout doute légitime. L’existence de procédures nationales conçues
Pour dénier la qualité d’impartialité subjective pour assurer l’impartialité sont également à prendre
à un tribunal, les Juges de Strasbourg exigent la en considération dans ce contexte. Bien que la
preuve d’un préjugé réel. En effet, l’impartialité per- Convention n’exige pas expressément la mise en
sonnelle d’un juge régulièrement nommé se place de mécanismes permettant aux parties à une
145
présume jusqu’à preuve du contraire . Cette pré- procédure de contester l’impartialité du tribunal,
somption étant très forte, il s’avère extrêmement l’absence de tels mécanismes augmente les
difficile dans la pratique d’apporter la preuve d’un chances de constatation d’une violation de l’ar-
préjugé personnel et, parmi les nombreuses re- ticle 6. Toute contestation par le défendeur de
quêtes déposées à cette fin, aucune n’a été retenue l’impartialité du tribunal doit être vérifiée à
par les organes de Strasbourg. moins qu’elle n’apparaisse « manifestement
148
Concernant la démarche objective, la CEDH a dépourvue de sérieux » .
déclaré en l’affaire Fey c. Autriche que : La plupart des affaires de ce type portées de- 144 Piersack c. Belgique,
er
Quant à la seconde [appréciation objective de l’objectivité vant les Juges de Strasbourg concernaient des accu- 1 octobre 1982, para-
du juge], elle conduit à se demander si, indépendamment sations de racisme, mais les principes énoncés à graphe 30.
145 Hauschildt c. Danemark,
de la conduite du juge, certains faits vérifiables autorisent leur propos valent pour d’autres types de préjugés paragraphe 47.
à suspecter l’impartialité de ce dernier. En la matière, ou de préventions. 146 Fey c. Autriche,
149
même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y Dans l’affaire Remli c. France , un tiers avait en- 24 février 1993, para-
graphe 30.
va de la confiance que les tribunaux d’une société démo- tendu l’un des jurés déclarer : « En plus, je suis ra- 147 Piersack c. Belgique,
cratique se doivent d’inspirer au justiciable, à commencer, ciste ». Le tribunal national estima ne pas être en paragraphe 30 ; Nortier
au pénal, par les prévenus. Il en résulte que pour se pro- mesure de donner acte de faits qui se seraient pas- c. Pays-Bas, para-
graphe 33 ; Hauschildt
noncer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une sés hors de sa présence. La CEDH releva que le tri- c. Danemark, para-
raison légitime de redouter d’un juge un défaut d’impar- bunal n’avait procédé à aucune vérification de graphe 48.
tialité, l’optique de l’accusé entre en ligne de compte mais l’impartialité des jurés, privant ainsi le requérant de 148 Remli c. France,
30 mars 1996, para-
ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant la possibilité de remédier à une situation contraire graphe 48.
consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions aux exigences de la Convention. Elle conclut par 149 Remli c. France,
146
de l’intéressé comme objectivement justifiées. conséquent à une violation de l’article 6. 30 mars 1996.

32
Lorsque le tribunal national a clairement pro- mesures suffisantes pour s’assurer que le tribunal pou-
cédé à une vérification adéquate des alléga- vait passer pour impartial au sens de l’article 6(1) de
tions de préjudice et conclu à l’équité de la la Convention et il offrit des garanties suffisantes pour
151
procédure, la CEDH se montre généralement peu dissiper tous doutes à cet égard.
encline à contester ses conclusions. Dans l’affaire Dans son arrêt Sander c. Royaume-Uni, rendu
150
Gregory c. Royaume-Uni , par exemple, le jury fit pas- plus récemment, la CEDH a cependant estimé que
ser au juge une note déclarant : « Propos à conno- l’article 6 était violé dès lors que le juge ne réa-
tation raciale au sein du jury. Un membre à gissait pas de manière énergique à des preuves
excuser ». Le juge montra la note à l’accusation et à analogues de racisme au sein du jury :
la défense, avant de rappeler au jury qu’il devait se […] le juge aurait dû réagir de manière plus énergique au
prononcer sur la base des preuves en laissant de lieu de se contenter de demander aux jurés de fournir de
côté tout préjugé. La CEDH estima ces précautions vagues assurances selon lesquelles ils allaient laisser leurs
suffisantes au regard de l’article 6. Elle estima no- préjugés de côté et trancher l’affaire sur la seule base des
tamment significatif que l’avocat de la défense n’ait preuves. Faute de cela, le juge ne s’est pas entouré de ga-
pas réclamé la révocation du jury ou demandé à ce- ranties suffisantes pour exclure tous doutes légitimes ou
lui-ci, en audience publique, s’il s’estimait capable objectivement justifiés quant à l’impartialité du tribunal. Il
de continuer et de rendre un verdict basé unique- s’ensuit que la juridiction qui a condamné le requérant
152
ment sur les preuves. Le juge présidant le procès n’était pas impartiale d’un point de vue objectif.
avait par ailleurs clairement demandé au jury de « se
débarrasser de tous préjugés, quelle qu’en soit la Différents rôles du juge
forme, pour ou contre qui que ce soit ». La CEDH,
Une partie importante de la jurisprudence vise
tint par ailleurs à distinguer entre cette instance et
des situations dans lesquelles un juge assume plu-
150 Gregory c. Royaume-Uni, l’affaire Remli c. France :
25 février 1997. sieurs rôles dans le cadre d’une seule et même pro-
Dans cette dernière, les juges d’assises s’étaient abste- 153
151 Gregory c. Royaume-Uni, cédure. Dans l’affaire Piersack c. Belgique , le
25 février 1997, para- nus de réagir à une allégation selon laquelle un juré
magistrat chargé de juger le requérant avait dirigé
graphe 49. identifiable avait été entendu dire qu’il était raciste. En
152 Sander c. Royaume-Uni, auparavant, jusqu’en novembre 1977, la section B
l’espèce, le juge s’est trouvé confronté à une allégation
9 mai 2000, para- du parquet de Bruxelles, chargée des poursuites in-
graphe 34. de racisme au sein du jury, qui, bien que vague et im-
tentées contre l’intéressé. La CEDH conclut à la vio-
153 Piersack c. Belgique, précise, ne pouvait être considérée comme dénuée de
er
1 octobre 1982. lation de l’article 6.
fondement. Compte tenu des circonstances, il prit des

33
154 157
Dans l’affaire Hauschildt c. Danemark , la CEDH Dans De Haan c. Pays-Bas , le juge présidant
conclut également à une violation, le juge président une juridiction d’appel avait été appelé à connaître
ayant pris des décisions concernant la détention d’une opposition dirigée contre une décision dont il
provisoire du requérant et estimé, à neuf reprises, était lui-même responsable. Les Juges de Stras-
que la culpabilité de ce dernier faisait l’objet de bourg estimèrent justifiées les craintes du requérant
« soupçons particulièrement renforcés ». Les Juges concernant l’impartialité objective de ce magistrat
de Strasbourg estimèrent en effet que la différence et conclurent à une violation de l’article 6.
158
entre les deux instances (maintien en détention pro- Dans une affaire récente visant la Suisse , la
visoire et procès) était ténue et que les craintes du CEDH a conclu à une violation de l’article 6(1), le
requérant se trouvaient par conséquent justifiées. requérant ayant été mêlé à une procédure devant
Un autre exemple a trait à l’affaire Ferrantelli et une cour composée de cinq magistrats, dont deux
155
Santangelo c. Italie dans laquelle la CEDH conclut à juges à temps partiel ayant représenté la partie ad-
une violation de l’article 6, le président d’une cour verse dans une procédure séparée intentée par le
d’appel ayant participé à la condamnation du même requérant. La CEDH nota que la législation et
coaccusé dans le cadre d’un autre jugement. Ce der- la pratique en matière de nomination de magistrats
nier contenait de nombreuses références aux requé- à temps partiel n’étaient pas foncièrement incom-
rants et à leurs rôles respectifs pendant l’action patibles avec l’article 6 : le point de droit à tran-
criminelle. En outre, le jugement rendu par la cour cher portait donc uniquement sur la manière dont la
d’appel et condamnant les intéressés citait abon- procédure devait être conduite en l’occurrence.
damment la décision concernant les coaccusés des Malgré l’absence de lien matériel entre l’affaire en
requérants. Les Juges de Strasbourg estimèrent ces cours et la procédure séparée dans laquelle les deux
154 Hauschildt c. Danemark,
circonstances suffisantes pour considérer comme personnes concernées avaient agi comme avocats, 24 mai 1984.
objectivement justifiées les craintes des requérants les deux instances s’étaient en fait chevauchées 155 Ferrantelli et Santangelo
à l’égard de l’impartialité de la cour d’appel. dans le temps. Le requérant était donc fondé à c. Italie, 7 août 1996.
156 156 Oberschlick (N° 1)
L’affaire Oberschlick (n° 1) c. Autriche concer- nourrir des inquiétudes quant à la possibilité que c. Autriche, 23 mai 1991.
nait une procédure devant la cour d’appel : trois ces juges continuent à voir en lui la partie adverse : 157 De Haan c. Pays-Bas,
membres de cette juridiction avaient également sié- une situation de nature à faire naître des craintes lé- 26 août 1997.
158 Wettstein v. Switzerland,
gé dans le tribunal ayant rendu le jugement en pre- gitimes sur l’impartialité de ces magistrats à son 21 décembre 2000 [dis-
mière instance. La CEDH estima que le droit à un égard. ponible uniquement en
tribunal impartial avait été violé. Le simple fait que le juge ait déjà eu affaire au anglais]

34
requérant ne suffit pas pour constituer une violation cins siégeant dans les conseils de discipline corpo-
de l’article 6(1). Encore faut-il constater des cir- ratifs. Tout membre d’un tel tribunal ayant entretenu
constances spéciales, telles que celles des affaires des relations directes avec l’une quelconque des
décrites ci-dessus, en plus de la connaissance préa- parties doit cependant se désister. Face à un soup-
lable du dossier par le juge. çon raisonnable, la présence de juges profession-
nels disposant d’une voix prépondérante au sein
Révision d’un tribunal ne constitue pas toujours une garantie
161
suffisante. L’affaire Langborger c. Suède concernait
On ne saurait poser en principe général décou-
une audience devant le tribunal des locations : une
lant du devoir d’impartialité qu’une juridiction de
juridiction composée de deux magistrats profes-
recours annulant une décision administrative ou ju-
sionnels et de deux assesseurs-échevins nommés
diciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une
respectivement par la Fédération suédoise des pro-
autre autorité juridictionnelle ou à un organe autre-
159 priétaires d’immeubles et par l’Union nationale des
ment constitué de cette autorité . Dans l’affaire
160 locataires. Ces assesseurs-échevins entretenaient
Thomann c. Suisse , le requérant fut rejugé par la
des relations étroites avec les deux associations dé-
cour qui l’avait déjà condamné par défaut. La CEDH
sireuses de maintenir la clause de négociation
estima qu’il n’y avait pas violation de l’article 6
contestée par le requérant. Ce dernier craignant légi-
dans la mesure où l’on pouvait raisonnablement
timement que les intérêts des deux intéressés s’op-
supposer que les juges, conscients d’avoir rendu
posent aux siens, la CEDH estima que la voix
leur décision initiale sur la base de preuves limitées,
prépondérante accordée au juge président ne cons-
avaient considéré l’affaire sous un jour nouveau
tituait pas une garantie suffisante d’impartialité.
après un débat contradictoire et à la lumière d’infor-
mations plus complètes.
Jurys
Tribunaux spécialisés Les principes évoqués ci-dessus s’appliquent
159 Ringeisen c. Autriche, La CEDH reconnaît la nécessité de recourir à également aux jurys.
16 juillet 1971, para-
graphe 97. des audiences devant des organes d’arbitrage spé-
160 Thomann c. Suisse, cialisés dans les affaires requérant des connais-
10 juin 1996. sances techniques. Cette pratique peut se traduire
161 Langborger c. Suède,
22 juin 1989. par la nomination de praticiens tels que les méde-

35
Renonciation au bénéfice ma cependant que ce comportement ne constituait
pas une renonciation de l’intéressé à son droit à un
de l’article 6(1) tribunal impartial.

La CEDH n’a pas encore fixé de lignes direc-


trices claires indiquant dans quelle mesure un accu- Etabli par la loi
sé peut renoncer à son droit d’être entendu par un
tribunal indépendant et impartial. Elle a cependant Concernant cette exigence, la Commission a
déclaré que, même lorsqu’elle est possible, cette re- déclaré dans l’affaire Zand c. Autriche que :
nonciation doit être limitée et laisser subsister des
garanties minimales (quelle que soit par ailleurs la La clause de l’article 6(1) selon laquelle les tribunaux
volonté des parties). La renonciation doit être doivent « être établis par la loi » a pour objet d’éviter
non équivoque. Les parties doivent être prévenues que l’organisation du système judiciaire dans une so-
des risques de partialité, avoir eu la possibilité de ciété démocratique ne soit laissée à la discrétion de
soulever cette question et s’être déclarées satis- l’Exécutif et de faire en sorte que cette matière soit régie
faites de la composition du tribunal. Le simple fait par une loi du parlement. Ceci ne signifie cependant
de ne pas contester ne saurait être assimilé à pas qu’une délégation de pouvoirs soit en tant que telle
une renonciation. La CEDH a estimé, en l’affaire inacceptable lorsqu’il s’agit de questions touchant à
162
Pfeiffer et Plankl c. Autriche , que la non-récusation de l’organisation judiciaire. L’article 6(1) n’exige pas
deux juges étant intervenus comme magistrats ins- que dans ce domaine l’organe législatif règle chaque
tructeurs (et donc empêchés de siéger lors du pro- détail par une loi formelle, si cet organe fixe au moins
164
cès) ne pouvait pas être assimilée à une le schéma de l’organisation judiciaire.
renonciation. Dans l’affaire Oberschlick (n° 1)
163
c. Autriche , le juge président d’une cour d’appel
avait participé à une procédure antérieure et, en ver- 162 Pfeiffer et Plankl
c. Autriche,
tu du Code de procédure pénale, n’était donc pas
25 février 1992.
censé siéger. Le requérant ne contesta pas la pré- 163 Oberschlick (n° 1)
sence de ce magistrat, ignorant que deux autres c. Autriche, 23 mai 1991.
164 Zand c. Autriche, 15 D.R.
juges étaient également disqualifiés. La CEDH esti-
70.

36
10. Contenu de la notion de Les Juges de Strasbourg ont notamment estimé
en l’affaire Golder c. Royaume-Uni que :
procès équitable Si ce texte [celui de l’article 6(1)] passait pour concer-
ner exclusivement le déroulement d’une instance déjà
L’article 6 déclare que toute personne a droit à engagée devant un tribunal, un Etat contractant pour-
ce que « sa cause soit entendue équitablement ». rait, sans l’enfreindre, supprimer ses juridictions ou
Cette expression recouvre de nombreux aspects soustraire à leur compétence le règlement de certaines
d’une bonne administration de la justice : droit catégories de différends de caractère civil pour le confier
d’accès au tribunal, audience en présence de l’accu- à des organes dépendant du gouvernement. […]Aux
sé, droit de ne pas contribuer à sa propre incrimina- yeux de la Cour, on ne comprendrait pas que l’ar-
tion, égalité des armes, droit à une procédure ticle 6(1) décrive en détail les garanties de procédure
contradictoire et à un jugement motivé, etc. accordées aux parties à une action civile en cours et
qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bé-
Le devoir du juge est de garantir à toutes les néficier en réalité : l’accès au juge. Équité, publicité et
parties l’audience équitable prévue par la Conven- célérité du procès n’offrent point d’intérêt en l’absence
165
tion. de procès.
Toutefois le droit d’accès à un tribunal n’est
pas absolu. Toujours dans leur arrêt Golder
Accès à un tribunal c. Royaume-Uni, les Juges de Strasbourg ont rappelé
que ledit droit appelle, de par sa nature même, une
réglementation par l’Etat, réglementation qui peut
Bien qu’aucune disposition de l’article 6 ne re- varier dans le temps et dans l’espace (en fonction
connaisse explicitement le droit d’accès à un tribu- des besoins et des ressources de la communauté et
nal, les Juges de Strasbourg ont estimé que ledit des individus) et qui ne doit jamais entraîner d’at-
article accordait à quiconque le droit de porter une teinte à la substance de ce droit, ni se heurter à
demande (relative à ses droits et obligations civils) d’autres droits consacrés par la Convention.
devant une cour ou un tribunal. L’article 6 consacre Dans sa jurisprudence, la CEDH a en outre pré-
le droit à un tribunal qui recouvre notamment celui cisé qu’une limitation ne serait considérée comme
165 Golder c. Royaume-Uni,
21 février 1975, para-
d’accès audit tribunal, à savoir la faculté d’intro- compatible avec l’article 6 que :
graphe 35. duire une instance en matière civile. ➤ si elle poursuit un but légitime

37
et pit d’un intérêt direct du requérant dans l’instance,
➤ s’il existe un rapport raisonnable de propor- celui-ci ne pouvait intenter une procédure que par
170
tionnalité entre les moyens employés et le but l’intermédiaire d’un tiers. Dans ladite affaire , le re-
166
visé . quérant était un ingénieur désireux de percevoir des
L’affaire Golder c. Royaume-Uni concernait la per- arriérés d’honoraires. Pour ce faire, son seul recours
mission de consulter un avocat afin d’intenter une était de subroger la Chambre technique de Grèce
action civile pour diffamation [libel] au sujet d’une dans ses droits. Pour les Juges de Strasbourg, pa-
déclaration d’un gardien à propos d’un prisonnier. reille subrogation, bien qu’offrant l’avantage d’une
La CEDH estima que pareil régime d’autorisation représentation à peu de frais par des conseils quali-
constituait une violation de l’article 6, dans la me- fiés, constituait une atteinte au droit de requérant
sure où le droit d’accès à un tribunal doit non seule- de poursuivre et d’agir en son nom propre.
ment exister mais encore être effectif. Elle conclut Dans l’affaire Airey c. Irlande, une femme indi-
en outre que l’impossibilité pour un détenu d’avoir gente désireuse d’intenter une procédure en sépa-
des entretiens confidentiels avec son conseil le pri- ration, s’était vue refuser le bénéfice de
167
vait de ce droit d’accès effectif . l’assistance judiciaire. Les Juges de Strasbourg
Dans certains cas, l’accès à un tribunal est dé- estimèrent que :
nié en raison de la qualité du justiciable. La CEDH [...] l’article 6(1) peut parfois astreindre l’Etat à
reconnaît notamment la légitimité des limitations pourvoir à l’assistance d’un membre du barreau quand 166 Ashingdane c. Royaume-
Uni, 28 mai 1985, para-
d’accès visant les mineurs, les déficients mentaux, elle se révèle indispensable à un accès effectif au juge graphe 57.
168
les faillis et les plaideurs abusifs . En l’affaire Eglise soit parce que la loi prescrit la représentation par un 167 Campbell et Fell
169
catholique de la Canée c. Grèce , une cour avait conclu avocat, comme la législation nationale de certains c. Royaume-Uni,
28 juin 1984, para-
à l’incapacité de la requérante d’ester en justice, Etats contractants le fait pour diverses catégories de li- graphes 111 à 113.
l’empêchant ainsi de faire trancher par les tribunaux tiges, soit en raison de la complexité de la procédure ou 168 M c. Royaume-Uni, 52
171
tout litige relatif à ses droits de propriété. Les Juges de la cause. D.R. 269.
169 Église catholique de la
de Strasbourg estimèrent que cette décision portait La CEDH estima qu’en l’espèce la requérante Canée c. Grèce, 16 dé-
atteinte à la substance même du droit à un tribunal n’avait pas bénéficié d’un droit effectif d’accès à la cembre 1997.
et conclurent donc à une violation de l’article 6. Haute Cour en vue de réclamer une séparation judi- 170 Philis c. Grèce,
27 août 1991.
ciaire. 171 Airey c. Irlande, 9 oc-
Ils conclurent également à une violation dans La violation du droit d’accès à un tribunal peut tobre 1979, para-
une autre affaire lorsqu’ils constatèrent que, en dé- parfois résulter d’une immunité empêchant d’in- graphe 26.

38
tenter effectivement toute action. L’affaire Osman un tribunal et ne méconnaissait pas non plus le prin-
172
c. Royaume Uni portait sur une immunité de pour- cipe de proportionnalité. Les Juges de Strasbourg
suites en vertu de laquelle aucune action ne pouvait tinrent cependant à préciser dans leur décision que
être intentée contre la police pour faute dans ses le requérant n’était nullement empêché d’intenter
fonctions de recherche et de lutte contre la crimina- une action pour négligence.
lité. Les Juges de Strasbourg estimèrent que le but Les Juges de Strasbourg peuvent également
de cette règle pouvait passer pour légitime, dans la conclure à une violation au droit d’accès à un tribu-
mesure où elle visait à préserver l’efficacité du ser- nal lorsque la cour ou le tribunal national concerné
vice de police et donc à défendre l’ordre et prévenir ne jouit pas d’une plénitude de juridiction pour
les infractions pénales. Ils jugèrent cependant que trancher toutes les questions de fait ou de droit sou-
cette manière d’appliquer la règle, sans rechercher levées par l’affaire qui lui est soumise. Pour estimer
plus avant l’existence de considérations d’intérêt s’il y a violation ou pas, les Juges de Strasbourg tien-
général concurrentes, ne servait qu’à accorder une nent compte de l’objet du litige, de la possibilité
immunité générale à la police pour ses actes et pour le tribunal – alors même qu’il jouit d’une juri-
omissions dans l’exercice de ses fonctions de re- diction limitée – d’examiner convenablement les
cherche et de répression des infractions. Elle cons- points litigieux, de la manière dont la décision a été
tituait donc une restriction injustifiable au droit arrêtée et de la nature du différend (y compris la
pour un requérant d’obtenir une décision sur le motivation et les motifs de l’action ou du pourvoi).
174
bien-fondé de sa plainte contre la police dans des L’affaire Bryan c. Royaume-Uni portait sur la dé-
affaires qui le méritent. La CEDH conclut par consé- molition de bâtiments érigés sans permis de cons-
quent à une violation de l’article 6. truire. Les Juges de Strasbourg relevèrent que l’appel à
173
L’affaire Ashingdane c. Royaume-Uni portait sur la Haute Cour se limitait à des points de droit et que la
une immunité légale épargnant aux personnes char- compétence de ce tribunal en matière de faits était res-
gées du traitement des malades mentaux internés le treinte. Ils estimèrent cependant que l’article 6 n’avait
172 Osman c. Royaume-Uni, risque d’actions en justice abusives et répétées en pas été violé en l’espèce, l’objet de la décision atta-
28 octobre 1998. limitant la responsabilité éventuelle des autorités quée ressortissant d’un exemple parfait d’exercice
173 Ashingdane c. Royaume- compétentes aux actes accomplis avec négligence d’un pouvoir discrétionnaire de jugement destiné à ré-
Uni, 28 mai 1985.
174 Bryan c. Royaume-Uni, ou de mauvaise foi. La CEDH, dans son arrêt, estima gir le comportement des citoyens dans le secteur de
22 novembre 1995, para- que la limitation de responsabilité ne portait pas at- l’aménagement urbain et rural. La portée du contrôle
graphe 45. teinte à la substance même du droit du requérant à de la Haute Cour fut donc estimée suffisante.

39
175
Toutefois, dans l’affaire Vasilescu c. Roumanie , ceptionnelles, d’admettre qu’un procès au pénal
la CEDH estima que l’article 6 avait été violé, les tri- se tienne en l’absence de l’accusé ou d’une
bunaux nationaux n’étant pas compétents pour partie. Il faut, dans ce cas, que les autorités, malgré
connaître d’une demande en restitution d’objets leurs efforts, aient été incapables de notifier sa cita-
177
confisqués sous le régime communiste. Les Juges de tion à comparaître à l’intéressé ou que cette ma-
Strasbourg acceptèrent l’interprétation des règles nière de procéder réponde au besoin d’une bonne
de procédure du droit interne par la Cour suprême administration de la justice (notamment en raison 175 Vasilescu c. Roumanie,
178
de justice de Roumanie, selon laquelle aucune juri- de l’état de santé de l’accusé ). 22 mai 1998.
diction n’était, en fait, compétente pour statuer sur Une partie peut renoncer à son droit de com- 176 Ekbatani c. Suède,
26 mai 1988, para-
la demande de la requérante. La seule procédure paraître à l’audience, mais uniquement si pareille re- graphe 25.
ouverte aux justiciables était donc de former un re- nonciation se trouve établie sans ambiguïté et 177 Colozza c. Italie, 22 jan-
cours devant le Bureau du procureur général de Rou- « s’entoure d’un minimum de garanties correspon- vier 1985.
179 178 Voir par exemple Ensslin
manie (ministère public) : un organe ne répondant dant à sa gravité » . Dans le cadre d’une procédure et autres c. RFA, 14 D.R.
pas aux critères de tribunal indépendant au sens de pénale, tout accusé ayant renoncé à son droit jouit 64. Dans cette affaire, les
l’article 6(1). encore de la faculté de se faire représenter par un requérants étaient médi-
180 calement incapables d’as-
conseil . sister aux débats à l’issue
181
Dans l’affaire F.C.B. c. Italie , un tribunal italien de leur grève de la faim.

Présence à l’audience avait tenu un procès en révision en l’absence de La Commission souligna


cependant que leurs avo-
l’accusé bien qu’ayant été informé par le conseil de cats avaient pu assister au
celui-ci que l’intéressé était détenu à l’étranger. La déroulement de la procé-
La CEDH estime que, dans le cadre d’une pro- CEDH releva que le requérant n’avait pas manifesté dure.
cédure pénale, l’accusé doit être présent lors de 179 Poitrimol c. France,
176 le désir de renoncer à son droit d’assister à 23 novembre 1993, para-
l’audience . Cette condition découle en effet de l’audience et rejeta l’argument soumis par le gou- graphe 31.
l’objet et du but des paragraphes 1 et 3 de l’ar- vernement défendeur selon lequel l’intéressé aurait 180 Voir par exemple Pella-
ticle 6. doah c. Pays-Bas, 22 sep-
tenté de retarder le verdict en ne communiquant tembre 1994. Dans cette
Dans le cadre d’une procédure civile, cette pas son adresse aux autorités italiennes. Ces der- affaire, la CEDH conclut à
condition ne s’applique qu’à certains types d’af- nières, bien que sachant que le requérant faisait une violation des para-
graphes (1) et (3)c de
faires requérant notamment l’appréciation du com- l’objet d’une procédure à l’étranger, décidèrent de l’article 6.
portement de l’accusé. poursuivre la procédure pendante sans prendre 181 F.C.B. c. Italie,
Il est possible, dans certaines circonstances ex- aucune mesure supplémentaire pour clarifier la si- 28 août 1991.

40
tuation : une attitude peu compatible avec la dili- dans une prison ordinaire plutôt que dans un éta-
gence que les Etats contractants doivent déployer blissement spécial pour délinquants aliénés, ainsi
pour assurer la jouissance effective des droits ga- que sur l’établissement du mobile du crime (un point
rantis par l’article 6. que le jury n’était pas parvenu à établir). La CEDH
Le droit pour une personne d’assister à releva que l’appréciation du caractère, de l’état d’es-
l’examen de son pourvoi en appel dépend de la prit et des mobiles du requérant devant peser lourd
nature et de l’enjeu de l’audience. La CEDH consi- dans l’instance et que l’audience revêtant donc pour
dère que la présence de l’accusé est moins impor- lui une importance cruciale, celui-ci aurait dû pou-
tante en appel qu’en première instance. Lorsque la voir y assister et y participer, conjointement avec
juridiction supérieure examine uniquement des son avocat.
points de droit, cette présence est carrément super-
flue. Par contre, si elle examine aussi des points de
fait, la situation diffère. Pour déterminer si l’accusé
jouit d’un droit à assister à l’audience, les Juges de
Droit de ne pas contribuer
Strasbourg prennent notamment en compte l’enjeu à sa propre incrimination
de l’instance pour lui et la nécessité de sa présence
pour permettre à la juridiction d’appel de détermi- La CEDH a affirmé que le droit à un procès
ner les faits de l’espèce. équitable dans les affaires pénales inclut le « droit,
182
Dans l’affaire Kremzow c. Autriche , le requérant pour tout ‘accusé’ au sens autonome que l’article 6 attribue
avait été exclu d’une audience portant uniquement à ce terme, de se taire et de ne point contribuer à sa propre
sur des points de droit. La CEDH estima que sa pré- 183
incrimination » .
sence n’était pas requise au titre des paragraphes 1
et 3 de l’article 6, dans la mesure où son avocat put L’arrêt Saunders c. Royaume-Uni, contient une
y assister et présenter des observations en son précision intéressante à cet égard :
nom. Cependant, les Juges de Strasbourg esti- La Cour rappelle que, même si l’article 6 de la
mèrent que l’exclusion du requérant de l’audience Convention ne le mentionne pas expressément, le droit
182 Kremzow c. Autriche, en appel constituait une violation, dans la mesure de se taire et – l’une de ses composantes – le droit de ne
21 septembre 1993.
183 Funke c. France, où cette instance portait sur l’infliction à l’intéressé pas contribuer à sa propre incrimination sont des
25 février 1993, para- d’une peine d’emprisonnement non plus de vingt normes internationales généralement reconnues qui
graphe 44. ans, mais perpétuelle, et sa condamnation à la subir sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée

41
par ledit article (article 6). Leur raison d’être tient no- dans le cadre d’un procès qui aboutit à sa condam-
tamment à la protection de l’accusé contre une coerci- nation. La CEDH conclut à la violation de l’article 6.
tion abusive de la part des autorités, ce qui évite les Les Juges de Strasbourg interprètent différem-
erreurs judiciaires et permet d’atteindre les buts de l’ar- ment les règles permettant de tirer des inférences
ticle 6 [...]. En particulier, le droit de ne pas contribuer défavorables du silence d’un accusé pendant son
à sa propre incrimination présuppose que, dans une af- interrogatoire ou son procès. Ils estimèrent en l’af-
185
faire pénale, l’accusation cherche à fonder son argu- faire John Murray c. Royaume-Uni que le « droit de
mentation sans recourir à des éléments de preuve garder le silence » n’était pas un droit absolu. Bien
obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de qu’il soit incompatible avec cette immunité de fon-
la volonté de l’accusé. En ce sens, ce droit est étroite- der une condamnation exclusivement ou essentiel-
ment lié au principe de la présomption d’innocence lement sur le silence du prévenu ou sur son refus de
consacré à l’article 6(2) de la Convention. répondre à des questions ou de déposer, il est évi-
Toutefois, le droit de ne pas s’incriminer soi-même dent que pareil privilège ne saurait empêcher de
concerne en premier lieu le respect de la détermination prendre en compte le silence de l’intéressé, dans
d’un accusé de garder le silence. Tel qu’il s’entend com- des situations qui appellent assurément une expli-
munément dans les systèmes juridiques des Parties cation de sa part. La CEDH conclut par conséquent
contractantes à la Convention et ailleurs, il ne s’étend que la législation appliquée en l’espèce ne violait
pas à l’usage, dans une procédure pénale, de données pas l’article 6. Le requérant n’avait pas fait l’objet
que l’on peut obtenir de l’accusé en recourant à des d’une coercition directe, n’avait été condamné à
pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment aucune amende et n’avait pas été menacé d’empri-
de la volonté du suspect, par exemple les documents re- sonnement. Les Juges de Strasbourg relevèrent en
cueillis en vertu d’un mandat, les prélèvements d’ha- outre que les conclusions tirées du silence d’un ac-
leine, de sang et d’urine ainsi que de tissus corporels en cusé refusant de fournir une explication de bonne
184
vue d’une analyse de l’ADN. foi de ses actions ou de sa conduite relevaient du
Cette affaire concernait le président-directeur simple bon sens. En l’instance, les garanties d’équi-
général d’une entreprise sommé, sous peine de té étaient suffisamment solides et la charge géné- 184 Saunders c. Royaume-
sanction pénale, de répondre aux questions d’ins- rale de la preuve incombait toujours à l’accusation Uni, 17 décembre 1996,
paragraphes 68 et 69.
pecteurs du gouvernement relatives à la reprise tenue d’établir un commencement de preuve pour 185 John Murray c. Royaume-
d’une autre société. La transcription de cet entre- que le tribunal puisse déduire des conclusions perti- Uni, 8 février 1996, para-
tien fut plus tard admise comme preuve à charge nentes du refus de l’accusé de déposer. graphe 47.

42
La CEDH a cependant affirmé, dans son arrêt Ces principes concernent tant les procédures
186
Condron c. Royaume-Uni , que le jury doit recevoir civiles que pénales.
du juge des instructions appropriées concernant les Dans les affaires pénales, ils se confondent par-
conclusions en la défaveur d’un accusé susceptibles tiellement avec les garanties spécifiques de l’ar-
d’être tirées de son silence. Dans le cas contraire, le ticle 6(3) mais sont d’une portée beaucoup plus
fait de tirer des conclusions du mutisme de l’inté- large. Par exemple, la CEDH a conclu, en l’affaire Bö-
190
ressé constituerait une violation de l’article 6. nisch c. Autriche , à la violation de l’article 6(1)
parce qu’un témoin cité par la défense ne s’était pas
vu accorder les mêmes prérogatives qu’un autre té-
Egalité des armes et droit à moin expert désigné par l’accusation.
En outre, la Commission a estimé, dans l’affaire
une procédure contradictoire 191
Jespers c. Belgique , que le principe d’égalité des
armes ainsi que l’article 6(3)b imposaient l’obliga-
Le droit à un procès équitable inclut le respect tion aux autorités d’instruction et d’investiga-
du principe d’égalité des armes. tion de communiquer tous les éléments
186 Condron c. Royaume- pertinents qu’elles détiennent ou auxquels elles
Uni, 2 mai 2000. Cela signifie que chaque partie doit se voir ont accès, susceptibles d’aider l’accusé à se
187 Voir par exemple De offrir une possibilité raisonnable de présenter disculper ou à obtenir une atténuation de sa
Haes et Gijsels c. Belgi-
que, 24 février 1997. sa cause dans des conditions qui ne la placent peine. Cette règle s’étend même aux éléments sus-
188 Ruiz-Mateos c. Espagne, pas dans une situation de net désavantage par ceptibles de saper la crédibilité d’un témoin de l’ac-
192
23 juin 1993, para- rapport à son adversaire. Un juste équilibre doit cusation. Dans l’affaire Foucher c. France , la CEDH
graphe 63. 187
189 Borgers c. Belgique, donc être maintenu entre les parties . affirma que lorsqu’un défendeur désireux d’assurer
30 octobre 1991, para- Le droit à un procès équitable suppose égale- lui-même sa défense se plaint d’une atteinte à ses
graphe 24. ment une procédure contradictoire, c’est-à-dire la droits de la défense, en ce qu’il n’aurait pu ni accé-
190 Bönisch c. Autriche,
6 mai 1985. faculté pour une partie à une instance civile de der à son dossier pénal ni obtenir une copie des
191 Jespers c. Belgique, 27 prendre connaissance des observations ou pièces y figurant, et se révèle par conséquent inca-
D.R. 61. pièces produites par l’autre, ainsi que de les pable de préparer une défense adéquate, il y a viola-
192 Foucher c. France, 188
18 mars 1997. discuter . Dans ce contexte, les apparences d’une tion du principe d’égalité des armes combiné à
193 Rowe et Davis c. Royau- bonne justice doivent faire l’objet d’une attention l’article 6(3).
189 193
me-Uni, 16 février 2000. particulière . L’affaire Rowe et Davis c. Royaume-Uni concer-

43
nait le procès des deux requérants et d’un troisième CEDH estima en l’occurrence que l’évaluation par
homme, accusés de meurtre, de coups et blessures l’accusation de l’importance des informations non
volontaires graves et de trois chefs de vol avec vio- divulguées était contraire aux principes de la procé-
lences. L’accusation s’était largement basée sur des dure contradictoire et de l’égalité des armes. La
preuves fournies par un petit groupe de personnes procédure devant la cour d’appel n’était pas suffi-
partageant le logement des requérants, ainsi que sur sante pour remédier au manque d’équité résultant.
celui de la petite amie de l’un d’entre eux. Les trois Ceci, parce que les juges de la cour d’appel étaient
hommes furent reconnus coupables et la cour d’ap- tributaires, pour apprécier la pertinence des élé-
pel confirma les condamnations. ments non divulgués, des comptes-rendus du pro-
Au cours du procès en première instance, le Mi- cès devant la Crown Court et des explications
nistère public décida, sans en informer le juge, de ne fournies par le représentant de l’accusation. Les
pas divulguer certaines preuves au nom de l’intérêt Juges de Strasbourg conclurent par conséquent à
public. Au début de la procédure en appel, par une violation de l’article 6(1).
contre, le procureur notifia la défense que certaines Dans le cadre des procédures civiles, l’ar-
informations n’avaient pas été divulguées, sans ré- ticle 6 peut, dans certaines circonstances, requérir
véler la nature des preuves en question. En outre, à la possibilité pour les parties de procéder au contre-
194
deux reprises, la cour d’appel examina ces dernières interrogatoire des témoins . Le principe de l’égali-
à huis clos en permettant à l’accusation de présen- té des armes est aussi réputé violé lorsqu’une partie
ter des arguments (mais en l’absence de la défense). est empêchée de répondre aux observations écrites
Dans ces deux instances, les juges se prononcèrent présentées au tribunal constitutionnel par l’avocat
195 196
en faveur de la non-divulgation. de l’Etat . Dans Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas , le
Les Juges de Strasbourg soulignèrent que le requérant, une société à responsabilité limitée,
droit à une divulgation intégrale des preuves perti- avait intenté une action civile contre une banque
nentes n’est pas absolu et peut se trouver en pour prouver l’existence d’un accord verbal lui ac-
concurrence avec des intérêts antagonistes tels que cordant des facilités de crédit sur compte courant.
la protection des témoins ou la confidentialité des Deux personnes uniquement avaient assisté à la 194 X c. Autriche, 42 CD 145.
méthodes d’investigation utilisées par la police. réunion au cours de laquelle cet accord aurait été 195 Ruiz-Mateos c. Espagne,
23 juin 1993.
Toutefois, les seules mesures restreignant les droits passé : l’une représentant le requérant et l’autre la 196 Dombo Beheer B.V.
de la défense tolérées par l’article 6 sont celles que banque. c. Pays-Bas, 27 oc-
l’on peut qualifier de strictement nécessaires. La Toutefois, seule la personne représentant la tobre 1993.

44
banque avait été autorisée par le tribunal national à qu’il s’était appuyé sur d’autres preuves que les dé-
déposer comme témoin. La société requérante clarations concernées.
s’était vu refuser le droit de citer son représentant La CEDH estime également que le principe de
au motif que celui-ci s’identifiait à elle. l’égalité des armes est violé, lorsque le législateur
Les Juges de Strasbourg, cependant, relevèrent adopte une loi visant à assurer la défaite de l’action
que, pendant les négociations pertinentes, les deux intentée par le requérant devant les tribunaux natio-
198
représentants avaient agi sur un pied d’égalité, cha- naux .
199
cun d’eux étant habilité à traiter au nom de son Enfin, l’affaire Van Orshoven c. Belgique concer-
mandant et que l’on voyait mal, dès lors, pourquoi nait un docteur en médecine faisant l’objet d’une
ils ne purent pas déposer tous les deux. La société procédure disciplinaire. Le requérant avait interjeté
requérante ayant ainsi été placée dans une situation appel contre une décision prononçant sa radiation
de net désavantage par rapport à la banque, la du tableau de l’ordre des médecins, mais la Cour de
CEDH conclut à une violation de l’article 6(1). cassation avait rejeté son pourvoi.
Cependant, la CEDH jugea en l’affaire Ankerl Il se plaignait qu’à aucun moment de la procé-
197
c. Suisse que cette disposition n’avait pas été vio- dure devant la Cour de cassation, il n’avait pu ré-
lée. L’instance portait, elle aussi, sur la citation de pondre aux conclusions de l’avocat général (qui ne
témoins. Le requérant se plaignait que le refus d’un lui avaient d’ailleurs même pas été communiquées).
tribunal d’autoriser son épouse à déposer sous ser- Les Juges de Strasbourg estimèrent que,
ment à l’appui de sa cause, dans une procédure ci- compte tenu de l’enjeu de la procédure pour le re-
vile, constituait une violation du principe de l’égalité quérant et de la nature des conclusions de l’avocat
des armes, dans la mesure où la partie adverse avait général, l’impossibilité pour l’intéressé d’y répondre
été en mesure de faire déposer un témoin sous ser- avant la clôture de l’audience avait méconnu son
ment. droit à une procédure contradictoire. Celui-ci im-
Les Juges de Strasbourg affirmèrent ne pas plique en principe la faculté pour les parties à un
197 Ankerl c. Suisse, 23 oc-
tobre 1996. apercevoir dans quelle mesure l’assermentation de procès de prendre connaissance de toute pièce ou
198 Raffineries Stran Greek et l’intéressée aurait pu influencer l’issue du procès. observation présentée au juge et de la discuter. Par-
Stratis Anddreadis Ceci, dans la mesure où le tribunal avait pris les dé- tant, il y a avait eu violation de l’article 6(1).
c. Grèce, 9 dé-
cembre 1994. clarations de celle-ci en considération, qu’il n’avait
199 Van Orshoven pas accordé un poids particulier au témoignage de
c. Belgique, 25 juin 1997. la partie adverse du fait de son assermentation et

45
Droit à un jugement motivé juge avait induit le jury en erreur quant à la teneur
du droit applicable.

L’article 6 oblige les tribunaux nationaux à mo-


tiver leurs décisions, à la fois dans les affaires civiles
et pénales, mais il ne peut pas se comprendre com-
me exigeant une réponse détaillée à chaque argu-
200
ment : seules les questions fondamentales
pour l’issue du procès requièrent une réponse
spécifique dans le jugement.
201
Dans l’affaire Hiro Balani c. Espagne , le requé-
rant avait présenté un moyen exigeant une réponse
spécifique et explicite. Le tribunal s’abstint de four-
nir cette réponse, sans qu’il soit possible de savoir
s’il avait négligé ledit moyen ou bien s’il avait voulu
le rejeter et, dans cette dernière hypothèse, pour
quelles raisons. La CEDH conclut par conséquent à
une violation de l’article 6(1).
Parmi les questions connexes soumises aux
Juges de Strasbourg, on citera les verdicts non mo-
tivés rendus par des jurys dans des affaires pé-
nales. La Commission estima, dans une requête
202
déposée contre l’Autriche , que l’article 6 n’avait
pas été violé, le jury s’étant vu remettre la liste dé-
taillée des questions auxquelles il lui fallait ré-
pondre, liste que l’avocat de la défense aurait pu 200 Van de Hurk c. Pays-Bas,
essayer de faire modifier : cette spécificité vidait 19 avril 1994, para-
graphe 61.
donc l’argument du requérant de sa substance. En 201 Hiro Balani c. Espagne,
outre, ce dernier jouissait de la faculté, dont il usa, 9 décembre 1994.
d’invoquer comme moyen de nullité le fait que le 202 Requête n° 25852/94.

46
11. Droits spéciaux Juges de Strasbourg relevèrent l’absence de norme
commune à tous les Etats Parties concernant l’âge
reconnus aux mineurs minimal de la responsabilité pénale et estimèrent
que l’imputation de la responsabilité pénale aux re-
La CEDH reconnaît depuis longtemps que les quérants ne constituait pas en soi une violation de
droits à un procès équitable énoncés dans la l’article 6, avant de préciser :
Convention concernent aussi bien les enfants que Toutefois, la Cour estime avec la Commission qu’il est
203
les adultes. Dans l’affaire Nortier c. Pays-Bas , la essentiel de traiter un enfant accusé d’une infraction
Commission a estimé inacceptable la suggestion d’une manière qui tienne pleinement compte de son
que des enfants jugés pour une infraction pénale ne âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intel-
devraient pas bénéficier des garanties de procès lectuel et émotionnel, et de prendre des mesures de na-
équitable énoncées dans l’article 6. ture à favoriser sa compréhension de la procédure et sa
participation à celle-ci.
Les principales affaires relatives aux droits des Par conséquent, s’agissant d’un jeune enfant accusé
204
mineurs sont T et V c. Royaume-Uni qui concer- d’une infraction grave qui a un retentissement considé-
naient deux garçons de dix ans ayant enlevé un en- rable auprès des médias et du public, la Cour estime
fant de deux ans dans l’enceinte d’un centre qu’il faudrait conduire le procès de manière à réduire
commercial, avant de le battre à mort et de l’aban- autant que possible l’intimidation et l’inhibition de
205
donner sur une voie ferrée. L’affaire fit grand bruit l’intéressé.
au Royaume-Uni et émut profondément l’opinion La CEDH déclara aussi :
publique. Les garçons furent accusés de meurtre et, La Cour relève que le procès du requérant s’est déroulé
en raison de la nature des charges pesant contre sur trois semaines en public devant la Crown Court.
203 Nortier c. Pays-Bas, rap- eux, jugés par un tribunal pour adultes. Ils furent Des mesures spéciales furent prises eu égard au jeune
port de la Commission du condamnés à une peine de détention d’une durée âge de V. et pour aider celui-ci à comprendre la procé-
9 juillet 1992, requête
n° 13924/88, para- indéterminée (« pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté ») dure ; par exemple, il a bénéficié d’explications et a visi-
graphe 60. en 1993 à l’âge de onze ans. té la salle d’audience au préalable, et les audiences ont
204 T et V c. Royaume-Uni, Les requérants faisaient notamment valoir de- été écourtées pour ne pas fatiguer excessivement les ac-
16 décembre 1999.
205 V c. Royaume-Uni, 16 dé- vant la CEDH qu’ils s’étaient vu dénier un procès cusés. Toutefois, le formalisme et le rituel de la Crown
cembre 1999, para- équitable dans la mesure où il leur avait été impos- Court ont dû par moment être incompréhensibles et in-
graphes 86 et 87. sible de participer réellement à leur défense. Les timidants pour un enfant de onze ans, et divers élé-

47
ments montrent que certains des aménagements de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
salle d’audience, en particulier la surélévation du banc dégradants).
qui devait permettre aux accusés de voir ce qui se pas-
sait, ont eu pour effet d’accroître le malaise du requé-
rant durant le procès car il s’est senti exposé aux
206
regards scrutateurs de la presse et de l’assistance.
En outre, selon les experts psychiatriques, il
était très douteux que V., vu son immaturité, comprît
la situation ou fût apte à donner des instructions
éclairées à ses avocats. Les Juges de Strasbourg esti-
mèrent par conséquent que :
En l’espèce, bien que les avocats fussent, comme le pré-
cise le Gouvernement, « assez près du requérant pour
pouvoir communiquer avec lui en chuchotant », il est
très peu probable que celui-ci se fût senti assez à l’aise,
dans une salle où l’ambiance était tendue et où il était
exposé aux regards scrutateurs de l’assistance, pour
conférer avec ses conseils durant le procès, voire qu’il fût
capable de coopérer avec eux hors du prétoire et de leur
fournir des informations pour sa défense, vu son imma-
207
turité et le fait qu’il était bouleversé.
La CEDH conclut donc que le requérant avait
été incapable de participer à la procédure pénale in-
tentée contre lui et s’était vu dénier le droit à un 206 V c. Royaume-Uni, 16 dé-
cembre 1999, para-
procès équitable prévu par l’article 6(1). graphe 88.
La CEDH a suggéré dans les affaires Singh et 207 V c. Royaume-Uni, 16 dé-
208
Hussain c. Royaume-Uni que l’imposition à un mi- cembre 1999, para-
graphe 90.
neur d’une peine d’emprisonnement à vie sans pos- 208 Singh et Hussain
sibilité de libération anticipée pourrait poser des c. Royaume-Uni,
problèmes au regard de l’article 3 (interdiction de la 21 février 1996.

48
12. Recevabilité des 211
Dans Khan c. Royaume-Uni , le requérant était
preuves arrivé au Royaume-Uni par le même avion que son
cousin qui fut trouvé en possession d’héroïne.
La CEDH a affirmé à de nombreuses reprises Aucun stupéfiant ne fut trouvé sur le requérant. Cinq
qu’il ne lui appartenait pas de substituer ses vues à mois plus tard, celui-ci rendit visite à un ami faisant
celles des tribunaux nationaux concernant l’admis- l’objet d’une enquête pour trafic d’héroïne et igno-
sibilité des preuves, ce qui ne l’empêche pas de rant qu’un système d’écoute avait été installé par la
considérer la manière dont les preuves sont traitées police à son domicile. La police obtint ainsi l’enre-
pour décider du caractère équitable d’un procès .
209 gistrement magnétique d’une conversation au cours
Les règles de preuve relèvent par conséquent, pour de laquelle le requérant admit avoir été complice de
l’essentiel, des tribunaux nationaux de chaque Etat l’importation de drogue. Il fut arrêté, accusé et fina-
contractant. lement condamné pour trafic de stupéfiants.
Il alléguait devant les Juges de Strasbourg de
Cependant, la Convention contient des lignes violations des articles 8 (droit au respect de la vie
directrices importantes. L’essentiel des remarques privée et familiale) et 6. La CEDH conclut à une vio-
suivantes vaut également pour les témoins (voir le lation de l’article 8, car l’enregistrement ne pouvait
chapitre 17). être considéré comme « prévu par la loi » au sens de
Si l’admission d’une preuve recueillie de manière l’article 8(2) de la Convention. Certes, la sur-
illégale ne constitue pas en soi une violation de l’ar- veillance avait été exercée conformément aux direc-
ticle 6, la CEDH a précisé, dans l’affaire Schenk tives du ministère de l’Intérieur britannique, mais la
210
c. Suisse , qu’elle pouvait soulever des soupçons CEDH releva que lesdites directives n’étaient ni juri-
quant à l’équité du procès. Dans cette instance – diquement contraignantes, ni accessibles au grand
qui concernait l’utilisation d’un enregistrement enta- public. Elles étaient en outre dépourvues de la
209 Van Mechelen et autres
c. Pays-Bas, ché d’illégalité parce que non ordonné par le juge « qualité de la loi » exigée par l’article 8 pour justi-
18 mars 1997, para- d’instruction – la CEDH conclut à la non-violation de fier les ingérences. Concernant l’allégation de viola-
graphe 50. l’article 6(1), la défense ayant eu la possibilité (dont tion de l’article 6, les Juges de Strasbourg relevèrent
210 Schenk c. Suisse,
12 juillet 1988. elle usa) de contester l’authenticité dudit enregistre- que le requérant avait eu largement l’occasion de
211 Khan c. Royaume-Uni, ment et ce dernier n’ayant pas constitué le seul moyen contester l’authenticité et l’emploi de l’enregistre-
12 mai 2000. de preuve retenu pour motiver la condamnation. ment. L’intéressé avait d’ailleurs choisi de ne

49
contester que l’authenticité et le fait que ses efforts mode de présentation des moyens de preuve, a re-
en ce sens aient échoué n’importait pas. La CEDH vêtu un caractère équitable. Elle estima que l’inter-
estima par conséquent que l’utilisation des informa- vention d’agents infiltrés doit être circonscrite et
tions obtenues en violation de l’article 8 ne se heur- entourée de garanties, même lorsque la répression
tait pas aux principes d’un procès équitable du trafic de stupéfiants est en cause. Les exigences
consacrés à l’article 6. générales d’équité consacrées à l’article 6 s’ap-
Les Juges de Strasbourg n’ont pas encore eu pliquent aux procédures concernant tous les types
l’occasion, par contre, de décider si une condamna- d’infraction criminelle, de la plus simple à la plus
tion fondée uniquement, ou dans une mesure déter- complexe. L’intérêt public ne saurait justifier l’utili-
minante, sur des preuves obtenues en violation du sation d’éléments recueillis à la suite d’une provo-
droit interne constitue ou pas une violation de l’ar- cation policière.
ticle 6 de la Convention. Les Juges de Strasbourg relevèrent que dans
Le recours à des « agents provocateurs » cette affaire les deux policiers ne s’étaient pas limi-
pose un autre problème. L’affaire Teixeiro de Castro tés à examiner d’une manière purement passive
212
c. Portugal concernait deux policiers en civil qui l’activité délictueuse du requérant, mais avaient
s’étaient adressés à un individu, soupçonné de exercé une influence de nature à l’inciter à com-
s’adonner au petit trafic pour pourvoir à sa consom- mettre l’infraction. Ils constatèrent également que,
mation, afin d’obtenir de l’héroïne. Par l’intermé- dans leurs décisions, les juridictions nationales
diaire d’un autre individu, les deux policiers avaient essentiellement tenu compte des déclara-
établirent le contact avec le requérant qui accepta tions des deux policiers.
de livrer le produit, se le procura auprès d’un tiers et La CEDH conclut par conséquent que l’activité
fut arrêté au moment où il le remettait aux policiers. des deux policiers avait outrepassé celle d’un agent
Le requérant se plaignait de ne pas avoir béné- infiltré puisqu’ils avaient provoqué l’infraction, et
ficié d’un procès équitable, dans la mesure où il que rien n’indiquait que, sans leur intervention,
avait été incité par des policiers à commettre l’in- celle-ci aurait été perpétrée. Partant, il y avait eu
fraction dont il fut par la suite reconnu coupable. violation de l’article 6(1).
La CEDH rappela que sa tâche ne consiste pas L’admission d’une preuve de seconde main
212 Teixeira de Castro
à apprécier la recevabilité des preuves au regard du n’est pas contraire, en principe, aux garanties c. Portugal, 9 juin 1998.
213
droit interne, mais plutôt à rechercher si la procé- d’équité , mais l’impossibilité pour une partie de 213 Blastland c. Royaume-
dure envisagée dans son ensemble, y compris le procéder au contre-interrogatoire du témoin Uni, 52 D.R. 273.

50
concerné peut rendre le procès inéquitable, surtout audience, il n’avait pas bénéficié d’un procès équi-
lorsque la condamnation se base uniquement ou table au sens de l’article 6(1) combiné avec les prin-
principalement sur une preuve de ce type. Dans l’af- cipes inhérents au paragraphe 6(3)d.
214
faire Unterpetinger c. Autriche , le requérant avait in- L’utilisation des preuves obtenues auprès d’in-
fligé des coups et blessures à son épouse et à sa formateurs de police, de policiers en civil et de
belle-fille lors de deux incidents séparés. Il plaidait victimes de crime impose parfois des mesures de
non coupable. La police avait recueilli avant le pro- protection des intéressés contre des représailles ou
cès les déclarations des deux femmes. Ces der- une identification. Dans l’affaire Doorson c. Pays-Bas,
nières, cependant, déclarèrent lors du procès par exemple, les Juges de Strasbourg déclarèrent
vouloir se prévaloir du droit de refuser de déposer que : « [...] les principes du procès équitable commandent
en leur qualité de membres de la famille proche de également que, dans les cas appropriés, les intérêts de la dé-
l’inculpé. fense soient mis en balance avec ceux des témoins ou des vic-
215
Le parquet obtint alors l’autorisation de don- times appelés à déposer » . En l’espèce, pour
ner lecture en audience des déclarations faites par s’attaquer à la nuisance causée par le trafic des stu-
les deux femmes avant le procès. péfiants à Amsterdam, la police avait compilé des
Les Juges de Strasbourg déclarèrent qu’en soi, séries de photographies de personnes soupçonnées
pareille lecture ne saurait passer pour une violation de pareil commerce. Elle reçut des informations
de la Convention, mais encore faut-il que son utili- selon lesquelles le requérant se livrait au trafic et
sation comme élément de preuve ait lieu dans le montra sa photographie à plusieurs toxicomanes qui
respect des droits de la défense. Ils relevèrent, en affirmèrent le reconnaître et lui avoir acheté de la
outre, que pour l’essentiel, la cour d’appel avait drogue. Six de ces toxicomanes demeurèrent ano-
fondé la condamnation du requérant sur les décla- nymes. Le requérant fut arrêté, puis reconnu cou-
rations de l’épouse et de la belle-fille du requérant. pable de trafic de stupéfiants.
Cette juridiction n’avait pas traité lesdites déclara- D’après le requérant, l’enregistrement, l’audi-
tions comme de simples renseignements, mais tion et l’utilisation comme preuves des déclarations
comme une preuve de l’exactitude des accusations de certains témoins au cours de la procédure pénale
214 Unterpetinger c. Autriche, portées à l’époque par les intéressées. Compte tenu dirigée contre lui avaient méconnu les droits de la
24 novembre 1986.
215 Doorson c. Pays-Bas, du fait qu’à aucun stade de la procédure le requé- défense, au mépris de l’article 6. Il soulignait qu’au
20 février 1996, para- rant n’avait eu la possibilité de questionner les cours de la procédure de première instance, deux
graphe 70. auteurs des déclarations lues à voix haute en témoins anonymes avaient été interrogés par un

51
juge d’instruction en l’absence de son avocat. Les Juges de Strasbourg rappelèrent que tous
La CEDH releva que l’utilisation de témoi- les éléments de preuve doivent en principe être
gnages anonymes pendant un procès soulevait des produits devant l’accusé. Cependant, utiliser de la
problèmes au regard de la Convention et que ce sorte des dépositions remontant à la phase de l’ins-
procédé devait être compensé par des mesures as- truction préparatoire ne se heurte pas en soi à l’ar-
surant les droits de la défense. Elle nota que, lors de ticle 6, sous réserve du respect des droits de la
la procédure en appel, les témoins avaient été ques- défense. En règle générale, ces droits commandent
tionnés, en présence de l’avocat de la défense, par d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suf-
un juge d’instruction qui connaissait leur identité : fisante de contester un témoignage à charge et d’en
l’avocat avait eu alors l’occasion de leur poser interroger l’auteur, au moment de la déposition ou
toutes les questions qui lui semblaient servir l’inté- plus tard. Le requérant n’ayant pas bénéficié d’une
rêt de son client sans pour autant permettre leur telle occasion, il y avait eu violation de l’article 6.
identification. Il reçut des réponses à chacune de Plusieurs éléments sont à prendre en considé-
ses questions. La CEDH releva aussi que la cour ration lorsque les témoins appartiennent aux for-
d’appel n’avait pas fondé son constat de culpabilité ces de police, dans la mesure où :
uniquement, ou dans une mesure déterminante, sur Ils [les policiers] ont un devoir général d’obéissance en-
les témoignages anonymes et conclut par consé- vers les autorités exécutives de l’Etat, ainsi, d’ordi-
quent que l’article 6 n’avait pas été violé. naire, que des liens avec le Ministère public ; pour ces
216
Dans Kostovski c. Pays-Bas , le requérant avait seules raisons déjà, il ne faut les utiliser comme té-
été identifié dans les locaux de la police, par deux moins anonymes que dans des circonstances exception-
personnes qui manifestèrent le désir de demeurer nelles. De surcroît, il est dans la nature des choses que
anonymes, comme ayant pris part à l’attaque à main parmi leurs devoirs figure, spécialement dans le cas de
armée d’une banque. Des déclarations de ces té- policiers investis de pouvoirs d’arrestation, celui de té-
217
moins furent lues à haute voix dans le prétoire au moigner en audience publique.
216 Kostovski c. Pays-Bas,
cours d’un procès qui aboutit à la condamnation de La Commission a estimé que la preuve consti- 20 novembre 1989.
l’intéressé pour vol à main armée. tuée par le témoignage d’un complice s’étant vu 217 Van Mechelen et autres
Le requérant s’était plaint devant la CEDH de ne proposer l’immunité ne constituait pas forcément c. Pays-Bas,
18 mars 1997, para-
pas avoir bénéficié d’un procès équitable, en raison une violation de l’article 6, à condition que la dé- graphe 56.
de l’utilisation comme preuve des procès-verbaux fense et le jury soient pleinement informés des cir- 218 X c. Royaume-Uni, 7 D.R.
218
des dépositions faites par deux témoins anonymes. constances de cet accord . 115.

52
Les preuves obtenues à l’aide de mauvais
traitements ne peuvent pas être utilisées dans
le cadre d’une procédure pénale. Dans l’affaire
219
G c. Royaume-Uni , la Commission releva que l’ac-
cès rapide à un avocat constitue une garantie im-
portante concernant la fiabilité des aveux. Elle
déclara que lorsqu’une accusation repose unique-
ment sur les aveux de l’accusé et que ce dernier n’a
pas bénéficié de l’aide d’un avocat, il convient d’ap-
pliquer une procédure incidente spéciale pour dé-
terminer la recevabilité d’une telle preuve.
Dans l’affaire Barberá, Messegué et Jabardo
220
c. Espagne , la CEDH devait se prononcer sur la va-
leur d’aveux obtenus pendant une longue garde à
vue subie au secret. Elle émit des réserves sur l’utili-
sation de pareilles confessions, surtout lorsque les
autorités se révèlent incapables de démontrer
clairement que le requérant avait renoncé à l’assis-
tance d’un avocat.

219 G c. Royaume-Uni, 35
D.R. 75.
220 Barberá, Messegué et
Jabardo c. Espagne, 6 dé-
cembre 1988. Cette af-
faire est commentée
ci-dessous au chapitre 13.

53
13. Actions susceptibles de prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les
223
droits de la défense » . Dans un arrêt ancien concer-
porter atteinte à la nant le Royaume-Uni, la Commission considéra
comme acceptable la présomption qu’un homme –
présomption d’innocence dont il était avéré qu’il cohabitait avec une prosti-
tuée ou qu’il contrôlait cette dernière – tirait sa sub-
224
L’article 6(2) dispose que toute personne ac- sistance de revenus illicites . Dans l’affaire Salabiaku
225
cusée d’une infraction pénale est présumée inno- c. France , le requérant, ayant pris livraison d’une
cente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement malle qui se révéla contenir des stupéfiants, fit l’ob-
établie. Il s’applique aussi aux affaires civiles consi- jet d’une présomption de responsabilité. La CEDH
dérées par la Convention comme ressortant à la ma- conclut cependant à l’absence de violation, les juri-
tière pénale : procédures disciplinaires devant des dictions françaises jouissant en la matière d’une li-
221
organes corporatifs, etc . berté d’appréciation et ayant considéré les faits de
La CEDH a déclaré dans l’affaire Barberá, Messe- la cause (allant jusqu’à casser une condamnation).
gué et Jabardo c. Espagne que le principe de la pré- L’article 6(2) s’applique aux procédures pé-
somption d’innocence : nales dans leur intégralité, de sorte que les re-
[…] exige, entre autres, qu’en remplissant leurs fonc- marques des juges formulées lors de la clôture du
tions les membres du tribunal ne partent pas de l’idée procès ou à l’issue de l’acquittement de l’accusé
221 Albert et Le Compte
préconçue que le prévenu a commis l’acte incriminé ; la peuvent violer la présomption d’innocence. Dans c. Belgique,
226
charge de la preuve pèse sur l’accusation et le doute pro- l’affaire Minelli c. Suisse , les poursuites contre le 10 février 1983.
222
fite à l’accusé. requérant avaient été abandonnées en raison de 222 Barberá, Messegué et
Jabardo c. Espagne, 6 dé-
Cependant, l’article 6(2) n’interdit pas les l’expiration du délai légal de prescription. Cepen- cembre 1988, para-
règles transférant la charge de la preuve à l’accusé dant, le tribunal national avait délaissé à la charge graphe 77.
pour assurer sa défense, à condition que le fardeau de l’intéressé les deux tiers des frais judiciaires et lui 223 Salabiaku c. France, 7 oc-
tobre 1988, para-
global de l’établissement de la culpabilité pèse sur avait enjoint de verser une indemnité de dépens à la graphe 28.
l’accusation. En outre, cette disposition n’exclut pas prétendue victime, en faisant valoir que sans la 224 X c. Royaume-Uni, 42 CD
nécessairement les présomptions de droit ou de prescription le requérant aurait probablement été 135.
225 Salabiaku c. France, 7 oc-
fait, à condition que toute règle inversant la charge condamné. Il y avait donc violation de l’article 6(2), tobre 1988.
de la preuve ou appliquant une présomption contre dans la mesure où la décision du tribunal était in- 226 Minelli c. Suisse,
l’accusé soit enserrée dans des « limites raisonnables compatible avec la présomption d’innocence. 21 février 1983.

54
Le principe de présomption d’innocence lie
non seulement les tribunaux mais aussi les autres
organes étatiques. Dans l’affaire, Allenet de Ribemont
227
c. France , le requérant, alors qu’il était en garde à
vue, fut cité par le ministre de l’Intérieur, lors d’une
conférence de presse, comme l’un des instigateurs
d’un assassinat. Les Juges de Strasbourg estimèrent
que l’article 6(2) s’imposait à d’autres autorités pu-
bliques en dehors des tribunaux lorsque le requé-
rant est « accusé d’une infraction ». La déclaration
de culpabilité avait été faite par le ministre sans
nuance ni réserve et incitait le public à croire en
celle-ci avant que les faits ne puissent être établis
par un tribunal compétent. Elles constituaient par
conséquent une violation de la présomption d’inno-
cence, même si le requérant finit par bénéficier d’un
non-lieu pour manque de preuves.
La présomption d’innocence pèse aussi bien
avant le procès qu’après un acquittement. La CEDH
228
a ainsi estimé, en l’affaire Sekanina c. Autriche , que
les tribunaux nationaux n’étaient plus fondés à se
baser sur les soupçons concernant l’innocence de
l’accusé dès lors que celui-ci était définitivement
acquitté.

227 Allenet de Ribemont


c. France,
10 février 1995.
228 Sekanina c. Autriche,
25 juin 1993, para-
graphe 30.

55
231

14. Portée de l’obligation transmise au moment de l’inculpation ou au


début de la procédure. Concernant la relation
d’informer rapidement et 232
entre cette disposition et l’article 5(2) , les exi-
gences de ce dernier sont à la fois moins détaillées
intelligiblement l’accusé et moins rigoureuses.
233

des charges qui pèsent Dans l’affaire De Salvador Torres c. Espagne , le


requérant se plaignait de ce que le tribunal national
contre lui (article 6(3)a) s’était basé sur une circonstance aggravante, dont il
ne fut jamais expressément accusé, pour aggraver
La liste des garanties minimales des alinéas (a) à sa peine. Les Juges de Strasbourg, cependant,
(e) de l’article 6(3) n’est pas exhaustive, mais porte conclurent à l’absence de violation, dans la mesure 229 Voir par exemple Artico
où cette circonstance était un élément intrinsèque c. Italie, 13 mai 1980.
sur certains aspects particuliers du droit à un procès 230 Voir ci-dessus le cha-
équitable. La CEDH estime que « le paragraphe 3 de de l’accusation portée initialement contre le requé- pitre 5.
l’article 6 renferme une liste d’applications particulières du rant et connue de celui-ci depuis le début de la pro- 231 Au sens de notification de
cédure. l’accusation (pour une
principe général énoncé au paragraphe 1 ». Un procès définition de ce terme,
pénal peut par conséquent ne pas remplir les cri- Par contre, la Commission conclut à une viola- voir ci-dessus le cha-
234
tères d’équité quand bien même il respecte les ga- tion dans l’affaire Chichlian et Ekindjian c. France qui pitre 5).
229 concernait une requalification substantielle de l’ac- 232 L’article 5(2) prévoit que :
ranties minimales énoncées à l’article 6(3) . «Toute personne arrêtée
cusation. Les requérants avaient été acquittés doit être informée, dans
L’article 6(3)a énonce que toute personne ac- d’une infraction à la législation sur les devises étran- le plus court délai et dans
cusée d’une infraction pénale a le droit d’être infor- gères en application d’un article de la loi pertinente, une langue qu’elle com-
prend, des raisons de son
mée, dans le plus court délai, dans une langue puis condamnés en appel en application d’un autre arrestation et de toute
qu’elle comprend et d’une manière détaillée, de la article de ce même texte. Les Juges de Strasbourg accusation portée contre
nature et de la cause de l’accusation portée contre estimèrent que les faits matériels avaient toujours elle.».
233 De Salvador Torres
elle. Comme l’article 6(2), il s’applique également été connus des requérants, mais qu’aucune preuve c. Espagne, 24 oc-
aux affaires civiles considérées par la Convention ne permettait de supposer qu’ils avaient été infor- tobre 1996.
comme ressortant à la matière pénale : procédures més par l’autorité compétente de la requalification 234 Chichlian et Ekindjian
230 c. France, rapport de la
disciplinaires devant des organes corporatifs, etc. . opérée par la cour d’appel avant le prononcé de l’ar- Commission du
Cette disposition garantit que l’information rêt. 16 mars 1989, requête
devant être communiquée à l’accusé lui sera L’information relative à l’accusation doit être n° 10959/84.

56
communiquée à l’accusé dans une langue qu’il
235
comprend. Dans l’affaire Brozicek c. Italie , l’accusé
était allemand et fit clairement part de ses difficul-
tés linguistiques au tribunal national. La CEDH esti-
ma que les autorités italiennes auraient dû faire
traduire la notification, à moins d’être en position
d’établir que l’intéressé comprenait suffisamment
l’italien, ce qui n’était pas le cas. De même, dans
236
l’affaire Kamasinski c. Autriche , les Juges de Stras-
bourg estimèrent qu’un défendeur incapable de me-
ner une conversation dans la langue parlée par la
cour était placé en position d’infériorité, à moins de
se voir communiquer l’acte d’accusation dans une
langue qu’il comprend.
Il est essentiel que l’infraction dont une per-
sonne est accusée soit la même que celle por-
tée sur l’acte d’accusation. Dans l’affaire Pélissier
237
et Sassi c. France , le requérant avait été uniquement
accusé de banqueroute mais condamné pour com-
plicité de banqueroute. La CEDH conclut à une vio-
lation de la Convention en raison de la différence
entre les deux infractions.

235 Brozicek c. Italie, 19 dé-


cembre 1989.
236 Kamasinski c. Autriche,
19 décembre 1989.
237 Pélissier et Sassi
c. France, 25 mars 1999.

57
15. Signification de l’affaire, y compris sa complexité et la phase en
cours de la procédure .
241

l’expression « temps et Il est essentiel que l’avocat de la défense soit


désigné à temps pour préparer convenablement
facilités nécessaires » son dossier .
242

(article 6(3)b) Ce principe suppose que ledit avocat jouisse


d’un accès illimité et confidentiel à ses clients pla-
cés en détention préventive afin de pouvoir discuter
L’article 6(3)b dispose que toute personne ac- avec eux de tous les éléments du dossier. Tout sys-
cusée d’une infraction pénale a le droit de disposer tème exigeant systématiquement l’obtention préa-
du temps et des facilités nécessaires à la prépara- lable d’une autorisation de visite viole par
tion de sa défense. Cette disposition s’applique conséquent cette disposition. Il appartient donc à
238
d’ailleurs également à certaines affaires civiles . chaque juge autorisant une détention préventive ou
La mission principale du juge au regard de l’ar- son prolongement de signaler clairement à toutes
ticle concerné est de parvenir à un juste équilibre les parties concernées que les visites à caractère ju-
entre cette exigence et l’obligation de célérité de la ridique NE REQUIERENT PAS sa permission. Si le
239
procédure . Cette disposition est aussi étroitement procureur insiste pour avoir un droit de regard sur
liée au droit à l’assistance (éventuellement gratuite) ces visites, il viole ainsi, outre cette disposition spé- 238 Voir ci-dessus le cha-
pitre 14.
d’un défenseur énoncé à l’article 6(3)c. cifique, tout le principe d’équité du procès. Le juge 239 Voir ci-dessus le cha-
Les plaintes portant sur ce point de droit sont doit, de plus, veiller à ce que les facilités fournies pitre 8.
déclarées recevables lorsqu’elles émanent d’une permettent d’effectuer ces visites en confiance et 240 X c. Royaume-Uni, 19
D.R. 223 et X
personne ayant été par la suite acquittée en appel hors de l’écoute des autorités carcérales. c. Royaume-Uni, 21 D.R.
dans le cadre d’une procédure pénale, ou d’un accu- Lorsque l’accusé ou ses avocats prétendent ne 126.
sé déclarant ne plus vouloir prendre part à la procé- pas disposer de facilités adéquates, le juge doit se 241 Voir par exemple Albert
240 et Le Compte c. Belgique,
dure . Le rôle du juge consiste cependant à prononcer sur le point de savoir si le procès peut se 10 février 1983 et X
contrôler l’application de cette garantie dans la pro- poursuivre sans violer l’article 6(3)b. Dans le cadre c. Belgique, 9 D.R. 169.
cédure qu’il dirige, sans compter sur l’appel pour de cette évaluation, il doit tenir compte du droit de 242 X et Y c. Autriche, 15
D.R. 160.
corriger une carence ou un vice en ce domaine. l’accusé de communiquer librement avec son avo- 243 Campbell et Fell
Le temps nécessaire à la préparation de la dé- cat pour préparer sa défense : un élément fonda- c. Royaume-Uni,
243
fense est fonction de toutes les circonstances de mental du concept de procès équitable . 28 juin 1984.

58
Certaines restrictions sont cependant admis- Le droit de communiquer avec un avocat inclut
sibles dans des circonstances exceptionnelles. La aussi celui de correspondre avec lui par lettres. La
décision sur la recevabilité de la requête en l’affaire plupart des affaires de ce type ont été examinées
244
Kröcher et Möller c. Suisse concernait la détention de sous l’angle des articles 8 (droit au respect de la
prisonniers classés comme exceptionnellement correspondance) et 6(3)b de la Convention. Dans
247
dangereux et accusés d’infractions terroristes parti- l’affaire Domenichini c. Italie , par exemple, les Juges
culièrement graves. Le juge national avait décidé de de Strasbourg estimèrent que le contrôle des lettres
suspendre leur droit de visite à caractère juridique du requérant par les autorités carcérales violait ces
pendant trois semaines et de soumettre leur corres- deux dispositions, surtout dans la mesure où il avait
pondance avec leurs avocats à une surveillance ju- causé un sérieux retard dans l’envoi d’une d’entre
diciaire. Une fois les visites autorisées, elles ne elles à son avocat.
furent pas surveillées. La Commission ne considéra La Convention exige que toute restriction du
pas ce procédé comme une violation de droit de l’accusé ou du détenu de communiquer
l’article 6(3)b. Dans d’autres affaires, les Juges de avec son avocat soit prévue par une loi « précise et
Strasbourg estimèrent que le placement du requé- identifiable » définissant clairement les circons-
rant en isolement cellulaire et l’interdiction pour lui tances dans lesquelles la restriction concernée est
de communiquer avec son avocat pendant des pé- autorisée.
riodes limitées ne constituaient pas non plus une Concernant le droit d’accès aux preuves dont
violation, dans la mesure où il avait eu la possibilité bénéficie l’accusé, la Commission a estimé, en l’af-
248
de s’entretenir avec ce dernier à d’autres mo- faire Jespers c. Belgique , que :
245 246
ments . Dans l’affaire Kurup c. Danemark , l’obliga- En particulier, la Commission est d’avis que les « facili-
tion pour l’avocat de ne pas révéler à son client tés » dont doit jouir tout accusé comprennent la possibi-
244 Kröcher et Möller l’identité de certains témoins ne fut pas assimilée à lité d’avoir connaissance, pour préparer sa défense, du
c. Suisse, 26 D.R. 24. une violation, car il ne s’agissait pas d’une restric- résultat des investigations faites tout au long de la pro-
245 Voir par exemple Bonzi
c. Suisse, 12 D.R. 185. tion suffisamment sévère au droit du requérant de cédure. La Commission a d’ailleurs déjà reconnu qu’un
246 Kurup c. Danemark, 42 préparer sa défense pour s’analyser comme une droit d’accès au dossier pénal, bien qu’il ne soit pas ga-
D.R. 287. transgression des alinéas (b) ou (d) de l’article 6(3). ranti en termes exprès par la Convention, découle en
247 Domenichini c. Italie,
15 novembre 1996. Toute restriction de ce type doit, cependant, principe de l’article 6(3)b […]. Peu importe d’ailleurs,
248 Jespers c. Belgique, 27 être strictement nécessaire et proportionnelle aux par qui et à quel moment les investigations sont faites.
D.R 61. risques identifiés. Et la même Commission de conclure :

59
En définitive, l’article 6(3)b reconnaît à l’accusé le
droit de disposer de tous les éléments pertinents pour
servir à se disculper ou à obtenir une atténuation de sa
peine, qui ont été ou peuvent être recueillis par les auto-
rités compétentes.
Les Juges de Strasbourg ajoutèrent que ce droit
était confiné aux facilités utiles ou susceptibles de
se révéler utiles à la défense.
Dans la pratique, ce principe est interprété de
manière assez restrictive. En l’affaire Jespers
c. Belgique citée ci-dessus, par exemple, le requérant
prétendait ne pas avoir eu accès à une partie du
dossier du procureur. La Commission souligna que
pareil refus violerait l’article 6(3)b si la partie
concernée (une chemise spéciale) contenait des
pièces de nature à le disculper ou à obtenir une atté-
nuation de sa peine. Elle releva cependant que le re-
quérant n’avait pas apporté la preuve que ladite
chemise contenait des informations pertinentes et
se refusa à présumer que le gouvernement ne s’était
pas conformé à ses obligations.
En outre, la CEDH a estimé qu’un Etat pouvait
restreindre l’accès au dossier par l’avocat du défen-
249
deur . Pareille limitation à la divulgation des
preuves est en effet acceptable en présence d’une
raison plausible de croire qu’elle va dans l’intérêt
d’une bonne justice, quelle que soit par ailleurs la si- 249 Kremzow c. Autriche,
21 septembre 1992.
gnification alléguée de ladite preuve pour la dé- 250 Kurup c. Danemark, 42
250
fense . D.R. 287. Voir aussi ci-
dessus le chapitre 12.

60
16. Portée du droit à un ment durable ou se dérober à ses devoirs. Si on les en
avertit, les autorités doivent le remplacer ou l’amener à
défenseur ou à un avocat s’acquitter de sa tâche.
252

Les Juges de Strasbourg tinrent cependant à


d’office (article 6(3)c) apporter les précisions suivantes en l’affaire Kama-
sinski c. Autriche :
L’article 6(3)c accorde à l’accusé le droit de se L’article 6(3)c n’oblige les autorités nationales compé-
défendre lui-même ou d’avoir l’assistance d’un dé- tentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office
fenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment
253
rémunérer un défenseur, d’être assisté gratuitement de quelque autre manière.
par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la jus- Lorsqu’il est clair que l’avocat représentant
tice l’exigent. l’accusé devant le tribunal national n’a pas disposé
La CEDH a estimé que le droit pour un accusé du temps et des facilités requis pour préparer
de se défendre en personne n’était pas absolu. convenablement son dossier, le juge président a le
251
Dans l’affaire Croissant c. Allemagne , elle estima que devoir de prendre des mesures concrètes pour rem-
l’obligation pour le défendeur d’accepter l’assis- plir ses obligations à l’égard du défendeur. En géné-
254
tance d’un conseil à tous les stades de l’instance ral, il prononce l’ajournement du procès .
251 Croissant c. Allemagne, nationale n’était pas incompatible avec La Commission a estimé que le droit de choisir
25 septembre 1992.
252 Artico c. Italie, l’article 6(3)c. un avocat n’existe que si l’accusé a les moyens de
30 avril 1980, para- Lorsque l’accusé a droit à une assistance judi- rémunérer un défenseur. Le bénéficiaire de l’assis-
graphe 33. ciaire gratuite, celle-ci doit être concrète et effec- tance judiciaire n’a donc pas le droit de choisir son
253 Kamasinski c. Autriche,
19 décembre 1989, para- tive et non pas théorique et illusoire. La CEDH a représentant en justice ou d’être consulté en la ma-
255
graphe 65. ainsi affirmé, dans l’affaire Artico c. Italie, que, même tière . En tout état de cause, le droit de choisir son
254 Goddi c. Italie, si les autorités ne sauraient être tenues respon- défenseur n’est pas absolu, l’Etat étant libre de ré-
9 avril 1984, para-
graphe 31. sables de toutes les carences de l’avocat nommé glementer la comparution des avocats devant les tri-
255 M c. Royaume-Uni, 36 d’office et de la conduite de la défense... bunaux et, dans certaines circonstances, de refuser
256
D.R. 155. L’article 6(3)c [...] parle d’« assistance » et non de d’agréer certains défenseurs .
256 Ensslin et autres c. RFA,
14 D.R. 64 et X « nomination ». Or la seconde n’assure pas à elle seule Le droit pour un accusé de bénéficier
c. Royaume-Uni, 15 D.R. l’effectivité de la première car l’avocat d’office peut d’une assistance judiciaire gratuite dépend de
242. mourir, tomber gravement malade, avoir un empêche- deux circonstances.

61
Premièrement, que ledit accusé n’ait pas les confirma la jurisprudence Benham c. Royaume-Uni.
moyens de s’offrir un avocat. Peu de requêtes por- Cette affaire concernait plusieurs requérants empri-
tant sur cette condition ont été soumises aux or- sonnés pour avoir refusé d’acquitter la taxe de vote.
ganes de Strasbourg, mais il semble que le niveau de Les Juges de Strasbourg estimèrent qu’étant donné
la preuve requis pour justifier l’aide ne soit pas fixé la sévérité de la peine encourue par les requérants
trop haut. et la complexité de la législation applicable, les inté-
Deuxièmement, que les intérêts de la justice rêts de la justice auraient mérité l’octroi aux intéres-
exigent l’octroi de l’assistance judiciaire. Plusieurs sés d’une assistance judiciaire gratuite afin de leur
éléments sont à prendre en considération. La CEDH permettre de bénéficier d’un procès équitable.
tient notamment compte de la capacité du défen- Les facteurs pertinents en matière d’octroi de
deur à présenter sa cause sans l’assistance d’un l’assistance judiciaire peuvent changer, de sorte que
257
avocat. Dans l’affaire Hoang c. France , les Juges de tout refus de cette aide doit faire l’objet d’un
260
Strasbourg ont déclaré que lorsque les questions en contrôle. Dans Granger c. Royaume-Uni , la com-
jeu sont complexes et que le défendeur ne dispose plexité de l’un des points à trancher n’apparut qu’au
pas de la formation juridique requise pour présenter stade de l’audience en appel. La CEDH estima que
et développer des arguments valables et lorsque les intérêts de la justice auraient commandé d’ac-
seul un avocat expérimenté est en mesure de prépa- corder au requérant l’assistance gratuite d’un avo-
rer le dossier, les intérêts de la justice exigent qu’un cat, au moins à ce stade et pour la suite de
avocat soit officiellement chargé du dossier. l’instance et, en l’absence de tout contrôle de la dé-
La CEDH tient également compte de la com- cision initiale, conclut à une violation de 257 Hoang c. France,
plexité de la cause. Enfin, la gravité de la peine en- l’article 6(3)c. 29 août 1992, para-
graphes 40 et 41.
courue sert aussi à déterminer l’opportunité de Les Juges de Strasbourg ont également sou- 258 Benham c. Royaume-Uni,
l’octroi de l’assistance judiciaire. La CEDH a notam- ligné qu’il n’était pas nécessaire d’apporter la 10 juin 1996.
258
ment estimé, dans l’affaire Benham c. Royaume-Uni , preuve que le refus d’accorder une assistance judi- 259 Perks and Others v. the
United Kingdom, 12 oc-
que « lorsqu’une privation immédiate de liberté se trouve en ciaire s’était soldé par un préjudice réel pour établir tobre 1999 [disponible
jeu, les intérêts de la justice exigent par principe une repré- une violation de l’article 6(3)c. La nécessité d’une uniquement en anglais]
sentation par un conseil », tout en précisant que l’accu- pareille preuve priverait en effet cette disposition 260 Granger c. Royaume-Uni,
261 28 mars 1990.
sé ne pouvait pas prétendre de plein droit à être d’une large part de sa substance . 261 Artico c. Italie,
représenté. Le droit à une assistance judiciaire dans les af- 30 avril 1980, para-
259
Dans Perks et autres c. Royaume-Uni , la CEDH faires civiles n’est pas explicitement énoncé par la graphe 35.

62
Convention, mais la CEDH a affirmé qu’il devait être
respecté lorsque les intérêts de la justice
262
l’exigent .
Certaines juridictions des Etats membres du
Conseil de l’Europe telles que Chypre ne prévoient
pas d’assistance judiciaire, mais l’Etat peut accor-
der le paiement d’une indemnité à titre gracieux
263
dans certains cas . La question de savoir si cette
carence du système judiciaire peut être assimilée à
une violation de la Convention dépend donc des
faits de la cause.
Il appartient au juge d’apprécier si les intérêts
de justice commandent qu’un plaideur indigent se
voie octroyer une assistance judiciaire lorsqu’il est
incapable de payer les honoraires d’un avocat.

262 Airey c. Irlande, 9 oc-


tobre 1979.
263 Andronicou et Constanti-
nou c. Chypre, 9 oc-
tobre 1997.

63
17. Portée du droit de d’audition des témoins doit être la même pour l’ac-
cusation et la défense.
convoquer et d’interroger Tous les éléments de preuve doivent en prin-
cipe être produits devant l’accusé en audience pu-
des témoins (article 6(3)d) blique, en vue d’un débat contradictoire . Des
265

problèmes peuvent donc surgir lorsque l’accusation


L’article 6(3)d prévoit que l’accusé a le droit introduit des déclarations écrites émanant d’une
d’interroger ou de faire interroger les témoins à personne refusant de comparaître comme témoin
charge et d’obtenir la convocation et l’interrogation par crainte de représailles de la part de l’accusé ou
des témoins à décharge dans les mêmes conditions de ses complices.
que les témoins à charge. Une partie des explica- Il faut des circonstances exceptionnelles pour
tions qui suivent sont également reprises dans le que l’accusation soit autorisée à se baser sur des
chapitre 12 consacré aux moyens de preuve. preuves émanant d’un témoin que l’accusé n’a pas
Le principe général applicable en la matière est été en mesure d’interroger. La détermination par le
donc que les accusés doivent être autorisés à juge d’une accusation pénale sur la base du dossier
convoquer et à interroger tout témoin qu’ils es- élaboré par le procureur mais en l’absence de ce
timent utile à leur cause et à interroger tout témoin dernier, qui ne peut donc pas répondre aux contes-
convoqué ou cité par le procureur. tations éventuelles de l’accusé, risque d’entraîner
Cette disposition ne confère pas à l’accusé un une violation de cette disposition. Le juge est bien
droit absolu à convoquer des témoins ou à entendu incapable de défendre la thèse du procu-
contraindre les tribunaux nationaux à entendre un reur absent sans jeter le doute sur sa propre impar-
témoin spécifique. Le droit interne précise parfois tialité.
les conditions d’acceptation des témoins et les De nombreux Etats parties à la Convention se
autorités compétentes peuvent refuser de laisser sont dotés de règles dispensant certaines catégo-
264 X c. Suisse, 28 D.R. 127.
une partie citer un témoin s’il apparaît que sa dépo- ries de témoins – comme par exemple les proches 265 Barberá, Messegué et
sition n’est pas pertinente en l’instance. Il appar- parents de l’accusé – de témoigner. La CEDH a esti- Jabardo c. Espagne, 6 dé-
266
tient donc au requérant d’établir que le refus mé en l’affaire Unterpertinger c. Autriche que de cembre 1988, para-
graphe 78.
d’entendre un témoin donné a porté préjudice à sa telles dispositions étaient manifestement incompa- 266 Unterpertinger
264
cause . Cependant, en vertu du principe de l’égali- tibles avec l’article 6(1) et 6(3)d. Cependant, dans c. Autriche, 24 no-
té des armes, la procédure de convocation et cette instance, les Juges de Strasbourg relevèrent vembre 1986.

64
que le tribunal national n’avait pas traité les déclara- preuves de seconde main, sous réserve de procé-
tions de l’ex-épouse et de la belle-fille du requérant dures compensatoires préservant les droits de la dé-
comme de simples renseignements, mais comme fense.
une preuve de l’exactitude des accusations profé- Dans l’affaire Saïdi c. France, le requérant avait
rées à l’époque par les deux femmes. La condamna- été condamné pour trafic de drogue sur la base de
tion du requérant reposant principalement sur ce preuves de seconde main émanant de trois témoins
moyen de preuve, les droits de la défense n’avaient anonymes. Les Juges de Strasbourg déclarèrent
267
pas été suffisamment protégés . dans leur arrêt :
La mort ou la maladie d’un témoin peuvent La Cour ne méconnaît pas les indéniables difficultés de
également soulever des difficultés. La CEDH a esti- la lutte contre le trafic des stupéfiants – notamment en
mé que pareil événement pouvait justifier la receva- matière de recherche et d’administration des preuves –,
bilité de preuves de seconde main, à condition que non plus que les ravages provoqués par celui-ci dans la
des mesures compensatoires préservent les droits société, mais ils ne sauraient conduire à limiter à un tel
268 270
de la défense . En présence d’un témoin malade, point les droits de la défense de « tout accusé ».
les Juges de Strasbourg examinent de très près La CEDH conclut en l’espèce à une violation de
l’existence de solutions de remplacement suscep- l’article 6(3)d, dans la mesure où la condamnation
tibles d’éviter le recours à des preuves de seconde reposait uniquement sur l’identification par lesdits
main. En l’affaire Bricmont c. Belgique, le prince témoins.
Charles de Belgique avait formulé des accusations En règle générale, la crainte de représailles peut
sans fournir de preuves en raison de son état de justifier le recours à des preuves de seconde main,
santé. Les Juges de Strasbourg estimèrent que : même en l’absence de toute menace spécifique for-
267 Voir aussi le chapitre 12.
268 Ferrantelli et Santangelo Dans les circonstances de la cause, l’exercice des droits mulée par le défendeur. La CEDH a notamment esti-
271
c. Italie, 7 août 1996. de la défense, élément essentiel du droit à un procès mé dans l’affaire Doorson c. Pays-Bas que, même si
269 Bricmont c. Belgique, équitable, exigeait en principe que les requérants les deux témoins n’avaient à aucun moment été me-
7 juillet 1989, para-
graphe 81. eussent l’occasion de contester la version du plaignant nacés par le requérant, les trafiquants de drogue re-
270 Saïdi c. France, 20 sep- sous tous ses aspects au cours d’une confrontation ou courent fréquemment aux menaces ou à la violence
tembre 1993, para- d’une audition soit en séance publique, soit au besoin effective à l’endroit des personnes témoignant
graphe 44. 269
271 Doorson c. Pays-Bas, chez lui. contre eux.
20 février 1996, para- Une crainte réelle de représailles peut, dans Un autre problème lié aux témoignages ano-
graphe 71. certaines circonstances, justifier le recours à des nymes tient à l’impossibilité pour la défense de

65
contester la crédibilité du témoin. Les Juges de sence de procédures compensatoires suffisantes,
Strasbourg ont ainsi estimé dans l’affaire Kostovski aucune condamnation ne devrait être fondée uni-
c. Pays-Bas que : quement, ou dans une mesure déterminante, sur
Si la défense ignore l’identité d’un individu qu’elle es- des preuves obtenues auprès de témoins ano-
274
saie d’interroger, elle peut se voir privée des précisions nymes .
lui permettant justement d’établir qu’il est partial, hos-
tile ou indigne de foi. Un témoignage ou d’autres décla-
rations chargeant un accusé peuvent fort bien
constituer un mensonge ou résulter d’une simple
erreur ; la défense ne peut guère le démontrer si elle ne
possède pas les informations qui lui fourniraient le
moyen de contrôler la crédibilité de l’auteur ou de jeter
le doute sur celle-ci. Les dangers inhérents à pareille si-
272
tuation tombent sous le sens.
Les procédures compensatoires requises pour
garantir un procès équitable varient d’une instance à
l’autre. Les facteurs importants incluent la présence
de l’accusé ou de son avocat lors de l’interrogatoire
du témoin et la possibilité de lui poser des ques-
tions, ainsi que la connaissance par le juge de l’iden-
tité dudit témoin. Comme les Juges de Strasbourg
l’ont fait remarquer dans l’affaire Van Mechelen et
autres c. Pays-Bas : 272 Kostovski c. Pays-Bas,
Eu égard à la place éminente qu’occupe le droit à une 20 novembre 1989, para-
graphe 42.
bonne administration de la justice dans une société dé- 273 Van Mechelen et autres
mocratique, toute mesure restreignant les droits de la c. Pays-Bas,
défense doit être absolument nécessaire. Dès lors qu’une 18 mars 1997, para-
graphe 58.
mesure moins restrictive peut suffire, c’est elle qu’il faut 274 Doorson c. Pays-Bas,
273
appliquer. 20 février 1996, para-
Enfin, il convient de signaler que, même en pré- graphe 76.

66
18. Portée du droit à un plus restrictive et estimèrent que, même s’il s’ap-
plique aux documents divulgués avant le procès,
interprète (article 6(3)e) l’article 6(3)e ne va pourtant pas jusqu’à exiger une
traduction écrite de toutes les preuves documen-
L’article 6(3)e prévoit que l’accusé a le droit de taires ou pièces officielles du dossier. Ils firent ce-
se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne pendant remarquer que l’avocat de la défense
comprend pas ou ne parle pas la langue employée à parlait la langue maternelle du défendeur et décla-
l’audience. rèrent que l’assistance prêtée en matière d’interpré-
tation « doit permettre à l’accusé de savoir ce qu’on lui
La CEDH a estimé – dans l’affaire Luedicke, Belk- reproche et de se défendre, notamment en livrant au tribunal
277
acem et Koç c. RFA – que cette disposition interdit ab- sa version des événements » .
solument de demander à un défendeur d’acquitter L’obligation des autorités compétentes ne se li-
les frais d’un interprète, car elle ne constitue « ni une mite pas à la simple désignation d’un interprète : il
remise sous condition, ni une exemption temporaire, ni une leur incombe en outre, une fois alertées dans un cas
suspension, mais bien une dispense ou exonération défini- donné, d’exercer un certain contrôle ultérieur de la
tive ». Les Juges de Strasbourg ont estimé, en outre, valeur de l’interprétation assurée.
que ce principe couvrait « tous les actes de la procédure Le droit à un interprète est compris comme
engagée contre lui [l’accusé] qu’il faut comprendre pour bé- s’étendant aux sourds qui comprennent le langage
275
néficier d’un tel procès [équitable] » . Dans l’affaire Bro- des signes.
278
zicek c. Italie, un ressortissant allemand avait été Dans l’affaire Öztürk c. RFA , citée plus haut
condamné en Italie. La CEDH estima – en l’occur- dans le cadre de la définition de la notion d’accusa-
275 Luedicke, Belkacem et
Koç c. RFA, 28 no- rence sous l’angle de l’article 6(3)a, mais le même tion pénale, la question de savoir si l’acte concerné
vembre 1978, para- raisonnement vaut aussi pour l’article 6(3)e – que constituait ou pas une infraction pénale se posait
graphes 40 et 48. les documents constitutifs de l’accusation auraient parce que les autorités allemandes exigeaient du re-
276 Brozicek c. Italie, 19 dé-
cembre 1989, para- dû être communiqués en allemand « sauf à établir quérant qu’il rétribue son interprète.
graphe 41. qu’en réalité le requérant possédait assez l’italien pour saisir
277 Kamasinski c. Autriche, la portée de l’acte lui notifiant les accusations formulées
19 décembre 1989, para- 276
graphe 74. contre lui » .
278 Öztürk c. RFA, Cependant, dans l’affaire Kamasinski c. Autriche,
21 février 1984. les Juges de Strasbourg adoptèrent une approche

67
19. Problèmes inhérents au prononcer, dans une requête en provenance de la
Fédération de Russie, sur la compatibilité de cette
pouvoir de contrôle de procédure avec la Convention. Cependant, une pro-
cédure similaire de droit roumain a été analysée
surveillance comme une violation de cet instrument. Dans l’af-
faire Brumarescu c. Roumanie, le procureur général
Dans le droit procédural russe, il est fréquent avait usé de sont droit de se pourvoir à tout mo-
qu’un jugement définitif rendu par un tribunal fasse ment devant la Cour suprême pour obtenir la cassa-
l’objet d’une protestation « en ordre de contrôle ». tion d’une décision de justice pour un certain
Cette procédure s’emploie aussi parfois lorsque l’in- nombre de motifs. Les Juges de Strasbourg esti-
téressé n’a pas interjeté appel, que le délai de re- mèrent que cette prérogative constituait une viola-
cours ait été dépassé ou pas. Ces demandes de tion de l’article 6(1) :
contrôle peuvent être également introduites par les Un des éléments fondamentaux de la prééminence du
présidents de tribunaux et le président de la Cour droit est le principe de la sécurité des rapports juri-
suprême, qui sont dotés en la matière des mêmes diques, qui veut, entre autres, que la solution donnée
pouvoirs que le procureur et astreints aux mêmes de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne
279
règles. soit plus remise en cause.
Quant au procureur lui-même, il peut exercer ce Une fois la décision définitive rendue et les
droit à la demande des parties ou de toute autre per- pourvois disponibles formés et tranchés, les juges
sonne concernée ainsi que de sa propre initiative. devraient être réticents à accéder à la demande du
Cette procédure constitue un droit et non procureur de réouverture du dossier ou à déclen-
une obligation : elle est déclenchée à la discrétion cher eux-mêmes une procédure de contrôle. En ef-
du procureur et la décision de ce dernier ne peut fet, cette pratique pourrait être interprétée comme
faire l’objet d’aucun contrôle judiciaire. Le procureur une violation de la Convention en vertu du principe
peut également renouveler indéfiniment sa de- énoncé dans l’arrêt Brumarescu c. Roumanie. D’une
mande jusqu’à la réouverture du procès. manière générale, d’ailleurs, le système judiciaire
Il est essentiel que les juges saisissent un cer- russe confond parfois les rôles respectifs du juge et
tain nombre de points concernant la relation entre du procureur dans l’administration de la justice, ce 279 Brumarescu c. Roumanie,
cette procédure et la Convention. qui pose de sérieuses difficultés aux yeux de la 28 octobre 1999, para-
La CEDH n’a pas encore eu l’occasion de se Convention. graphe 61.

68
282
Il est encore trop tôt pour savoir si l’exercice sé lui-même .
d’un pouvoir de contrôle de surveillance d’une pro- Il peut arriver que le procureur demande un
cédure judiciaire normalement considérée comme contrôle de surveillance dans une affaire où l’une
terminée sera toujours assimilé à une violation de des parties désire déposer une requête devant la
la Convention. En outre, un autre problème CEDH (ou envisage de le faire au cas où le contrôle
connexe se pose au juge dans le même contexte. de surveillance n’aboutirait pas). Dans ce cas, le juge
Les individus désireux de déposer une requête doit savoir qu’en se saisissant lui-même du dossier
devant la CEDH à propos d’un aspect d’une procé- pour accéder à la demande du procureur, il risque
dure judiciaire doivent d’abord épuiser toutes les d’entraîner un dépassement, pour la partie lésée, du
voies de recours interne effectives et saisir cette délai de six mois pesant sur les requêtes indivi-
Cour dans un délai de six mois à partir de la date de duelles adressées à Strasbourg. Dans la mesure où
280
la décision interne définitive . les avocats et le procureur risquent d’ignorer ce
Les organes de Strasbourg considèrent toute point de droit, le juge doit attirer leur attention sur le
procédure de contrôle de surveillance comme une fait que ce délai part du jour de la décision « effec-
fonction analogue à celle qu’assume le médiateur tive » définitive.
(ombudsman) dans de nombreuses juridictions. Ils re-
fusent par conséquent de l’assimiler à un « recours
281
effectif » . De ce point de vue, cette procédure
contraste avec le système anglo-saxon de contrôle
judiciaire des actes administratifs qui est considéré,
lui, comme un recours effectif par les Juges de Stras-
bourg.
Le dépôt d’une demande auprès d’un procu-
reur ou d’un juge l’enjoignant d’exercer son droit de
contrôle de surveillance n’est pas considéré par la
280 Voir l’article 35. CEDH comme un recours effectif au sens de l’ar-
281 Tumilovich c. Fédération ticle 35 de la Convention, et ce pour trois raisons.
de Russie, décision de
recevabilité, En effet, pareille procédure : risque de violer l’ar-
22 juin 1999. ticle 6, ressort d’un pouvoir discrétionnaire et ne
282 H c. Belgique, 37 D.R. 5. peut pas être déclenchée directement par l’intéres-

69
4 Directorate General of Human Rights
Direction générale des droits de l’homme
Conseil de l’Europe
F-67075 Strasbourg Cedex
http://www.coe.int/

Cette série de précis sur les droits de l'homme a été créée afin de pro-
poser des guides pratiques sur la manière dont la Cour européenne
des Droits de l'Homme, à Strasbourg, met en œuvre et interprète les
différents articles de la Convention européenne des Droits de
l'Homme. Ils ont été conçus pour les praticiens du droit, et plus parti-
culièrement les juges, mais restent accessibles à tous ceux qui s'y inté-
ressent.

Vous aimerez peut-être aussi