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DST n° 1 Sciences économiques et sociales

F. de Montchalin (T6) – L. Van Der Eecken (T4, T3-T7)


04/10/2023

L'usage de la calculatrice est strictement interdit


Durée de l’épreuve : 4h (4h maximum, 3h30 minimum)
Aucun document personnel

Dissertation s’appuyant sur un dossier documentaire

Il est demandé au candidat :

- de répondre à la question posée par le sujet ;


- de construire une argumentation à partir d’une problématique qu’il devra élaborer ;
- de mobiliser des connaissances et des informations pertinentes pour traiter le sujet,
notamment celles figurant dans le dossier ;
- de rédiger en utilisant le vocabulaire économique et social spécifique et approprié à la
question, en organisant le développement sous la forme d’un plan cohérent, qui ménage
l’équilibre des parties et apparaît de façon explicite (titre des parties, des sous-parties,
etc.).

Il sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l’expression et du soin apporté à la


présentation.

SUJET

Ce sujet comporte quatre documents

L’accumulation des facteurs travail et capital suffit-elle à expliquer la croissance


économique ?

1
Document 1

Croissance du PIB (en %) et contributions à la croissance (en points de %)

1990 2000 2005 2010 2015 2018


France Heures travaillées 0,4 0,9 0,6 0,5 0,2 1,1
Capital 1,3 1,2 0,7 0,5 0,5 0,8
Productivité globale des facteurs 1,2 1,7 0,4 0,9 0,3 0,1
PIB 2,9 3,9 1,7 1,9 1,1 1,9
Allemagne Heures travaillées 1,3 0,3 - 0,6 1,3 0,7 0,8
Capital 1,0 1,0 0,5 0,4 0,3 0,4
Productivité globale des facteurs 2,9 1,6 0,9 2,4 0,4 - 0,2
PIB 5,2 2,9 0,7 4,2 1,5 1,0
Japon Heures travaillées - 0,2 - 0,1 0,1 0,7 - 0,3 0,0
Capital 2,1 1,2 0,6 0,1 0,4 0,2
Productivité globale des facteurs 2,8 1,6 1,1 3,3 1,5 0,3
PIB - 2,8 1,8 4,1 1,6 0,6
Norvège Heures travaillées - 0,9 - 0,5 0,9 0,2 0,5 1,1
Capital 0,3 1,2 1,0 0,9 0,5 0,8
Productivité globale des facteurs 2,6 2,5 0,7 - 0,4 1,0 - 0,8
PIB 1,9 3,2 2,6 0,7 2,0 1,1
États-Unis Heures travaillées 0,1 1,0 1,1 0,0 1,6 1,3
Capital 1,1 1,5 0,9 0,6 0,7 0,8
Productivité globale des facteurs 0,7 1,5 1,4 2,0 0,4 0,8
PIB 1,9 4,1 3,5 2,7 2,7 2,9

OCDE, 2022.

2
Document 2

Dépenses intérieures de recherche et développement

2005 2015 2018


France DIRD (en % du PIB) 2,05 2,27 2,19
DIRD (en millions de dollars US,
à prix et PPA1 courants) :
- des administrations2 14 466,6 21 416,6 22 590,2
- des entreprises 24 554,5 39 279,2 44 764,7
Allemagne DIRD (en % du PIB) 2,44 2,93 3,13
DIRD (en millions de dollars US,
à prix et PPA courants) :
- des administrations1 19 740,4 35 774,9 43 965,4
- des entreprises 44 288,0 78 353,2 97 334,5
Japon DIRD (en % du PIB) 3,18 3,28 3,28
DIRD (en millions de dollars US,
à prix et PPA courants) :
- des administrations1 27 919,5 34 007,3 33 080,1
- des entreprises 98 384,0 132 293,7 136 044,5
Norvège DIRD (en % du PIB) 1,48 1,94 2,06
DIRD (en millions de dollars US,
à prix et PPA courants) :
- des administrations1 1 523,2 2 796,0 3 590,4
- des entreprises 1 752,6 3 267,4 3 815,3
États-Unis DIRD (en % du PIB) 2,52 2,72 2,83
DIRD (en millions de dollars US,
à prix et PPA courants) :
- des administrations1 87 384,0 118 889,0 134 988,0
- des entreprises 226 159,0 355 821,0 422 070,0

1. Parité de pouvoir d’achat : taux de conversion monétaire permettant d’exprimer dans une unité commune les
pouvoirs d’achat des différentes monnaies, c’est-à-dire d’établir une comparaison du pouvoir d’achat des devises
nationales.
2. Les administrations comprennent notamment les ministères et les services ministériels, les établissements
d’enseignement supérieur et de recherche, les centres hospitaliers universitaires.

OCDE (2020), Principaux indicateurs de la science et de la technologie, volume 2020, Numéro 1.

3
Document 3

Ministère de l’Education nationale-DEPP, Repères et références statistiques édition 2023, août 2023, p. 358.

4
Document 4

Indicateurs1 de gouvernance2 mondiaux Norvège Haïti Allemagne Chine


(2018)
Lutte contre la corruption 2,1 - 1,3 1,9 - 0,3
Qualité de la réglementation 1,8 - 1,2 1,8 - 0,2
État de droit (respect des règles, compétences 2,0 - 1,0 1,6 - 0,2
de la police et de la justice…)
Efficacité des pouvoirs publics (application de 1,9 - 1,9 1,6 0,5
politiques favorables au développement…)
Stabilité politique et absence de violence / de 1,1 - 0,6 0,6 - 0,3
terrorisme
Voix3 et responsabilisation (sélection des 1,7 - 0,7 1,4 - 1,4
gouvernants par les citoyens, liberté
d’expression…)

Source : d’après Banque mondiale, données 2019.

1 : Les indicateurs de la Banque mondiale varient de - 2,5 à 2,5 : plus la valeur est élevée, plus la gouvernance peut
favoriser le développement.
2 : Selon la Banque mondiale, la « bonne gouvernance est la manière avec laquelle le pouvoir est exercé dans la gestion
publique des ressources économiques et sociales en vue du développement ». Elle se mesure par les 6 indicateurs du
tableau.
3 : Prise de parole citoyenne.

5
Proposition de corrigé (L. Van Der Eecken)

Rappel : une copie n’est jamais parfaite (il y aura donc toujours des annotations) ; une copie
méritant une note de 20/20 n’est pas une copie parfaite, mais une copie qui répond rigoureusement à
la question posée.

Le libellé du sujet est relativement clair : « l’accumulation des facteurs travail et capital suffit-elle à
expliquer la croissance économique ? ».
Auparavant, on pouvait trouver l’intitulé suivant : « l’augmentation des facteurs travail et
capital… », ce qui était imprécis : de quelle augmentation parle-t-on ? On sous-entendait
évidemment l’augmentation de la « quantité » des facteurs, mais un élève y lisant l’augmentation de
la « qualité » ne commettait aucune erreur. On peut certes distinguer la « quantité », la « qualité »
(découverte) des facteurs (chez Malinvaud et alii, par exemple), et la « qualité » (non encore
découverte) incarnée par le progrès technique résiduel. De ce fait, la construction du plan reste
ouverte.
Inutile d’évoquer ici l’intitulé « l’augmentation des facteurs de production » sans précision sur la
nature de ces facteurs ; or, le progrès technique, son explication endogène et sa matrice
institutionnelle peuvent tout à fait être conçus comme des « facteurs »…
Toutefois, malgré la relative clarté du libellé « l’accumulation des facteurs travail et capital… »,
dont le terme « accumulation » ne laisse pas de doute quant à l’aspect quantitatif, le traitement
habituel du sujet – d’une part l’accumulation du travail et du capital, d’autre part le résidu, le
progrès technique, l’explication endogène, la matrice institutionnelle – s’avère intrinsèquement
déséquilibré. Par conséquent, une certaine liberté est laissée quant à la construction du plan, à la
condition impérieuse qu’il soit cohérent, afin de retrouver un relatif équilibre.

Voici les éléments à traiter :

Intro : déf L, K, Croissance


Croissance extensive (augmentation de la quantité de travail et de capital) (doc 1)
Explication de l’épuisement de la croissance liée à l’accumulation des deux facteurs :
rendements factoriels décroissants (doc 1)
Existence d’un résidu, la PGF (doc 1) : une image du progrès technique
Développements autour du PT : innovation (déf), tech/org, Schumpeter ?
Croissance endogène : la loi des rendements factoriels décroissants ne s’applique pas, la
connaissance est un bien cumulatif
Croissance endogène : l’investissement dans 4 types de capital
Externalités et pouvoirs publics
Importance des institutions (Rodrik & Subramanian, North, etc.)

6
Document 4 alternatif

Les institutions forment un ensemble historique hérité, dans un pays et à une époque donnés : c’est
la « matrice institutionnelle ». […] Les voies nationales de changement institutionnel, et donc les
performances relatives, sont très différentes comme le révèle l’histoire moderne : en effet, ces voies
sont marquées par des phénomènes de « dépendance du sentier » et de « verrouillage » qui résultent
de l’interaction complexe entre organisations et institutions. […]
Si l’idée d’une liaison entre matrice institutionnelle […] et performances macroéconomiques de
moyen/long terme semble commune à plusieurs [courants de pensée institutionnalistes
contemporains], [Douglass] North considère que ce sont les incitations qui constituent la principale
médiation entre institutions et performances. […]
Le système politique joue un rôle décisif, car c’est à son niveau que les règles du jeu économique
formelles sont établies et leur application contrôlée. […]
Dans Structure and Change in Economic History [1981], North étudiait en particulier les
trajectoires divergentes de la France et de l’Espagne d’un côté, et de l’Angleterre et des Pays-Bas de
l’autre, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, en termes de développement économique. Le besoin
permanent de revenus pour l’État dans les deux premiers pays a conduit ce dernier à conférer des
monopoles à des guildes ou des compagnies et à empiéter sur les droits de propriété privés,
conduisant à la stagnation économique en France et au déclin en Espagne. Au contraire, en
Angleterre et aux Pays-Bas, les intérêts de la classe marchande ont engendré un ensemble
d’institutions qui ont créé des incitations favorables à des échanges efficaces, grâce à la protection
des droits de propriété. Davantage, les attitudes différentes de l’État quant aux droits de propriété
privés ont été transmises aux colonies : si les possessions espagnoles ou portugaises en Amérique
latine se sont trouvées bloquées dans une trajectoire médiocre de développement, les colonies
anglaises en Amérique du Nord ont connu une croissance durable.
Ces évolutions contrastées se sont reproduites d’innombrables fois dans l’histoire et dans le monde
contemporain, jusqu’à l’expérience désastreuse de l’Union soviétique. [North écrit que] « La
croissance a été engendrée lorsque l’économie a fourni des incitations institutionnelles en faveur
d’activités accroissant la productivité, comme ce fut le cas avec les Hollandais. Le déclin a résulté
des désincitations à s’engager dans les activités productives, comme conséquence du contrôle
politique centralisé et des privilèges monopolistes. Les échecs dépassent de loin les succès. La
croissance économique a été l’exception ; la stagnation et le déclin ont été la règle reflétant une
tendance persistante à l’échec dans l’organisation humaine » […].

Bernard CHAVANCE (2007), L’Economie institutionnelle, Paris, La Découverte, « Repères » n° 472, pp. 70-72.

7
Introduction

En 1776, le philosophe Adam Smith se demandait quelles étaient Les causes et la nature de la
richesse des nations. A partir de ses intuitions, les penseurs classiques ont tenté de montrer que la
croissance économique, c’est-à-dire l’augmentation de la création de richesses économiques
(souvent appréhendée par le taux de croissance du PIB), trouvait sa source dans le travail, que l’on
peut définir comme le temps humain consacré à la production de richesses. Un siècle plus tard, et
pour contrer la systématisation marxienne de cette idée, les économistes néoclassiques ont tenté de
montrer que le capital, c’est-à-dire l’ensemble des biens de production (machines, outils, matières
premières, etc.), était une autre source de création de richesses. Ainsi, les premières équations
formalisant la fonction de production font reposer cette dernière sur la combinaison d’une certaine
quantité de travail et de capital. Mais cette accumulation suffit-elle ? De nombreux économistes ont
tenté de répondre à cette question par la négative : il existerait d’autres facteurs explicatifs de la
croissance. C’est le problème que nous poserons : comment expliquer le « résidu » découvert par
Robert Solow en 1956, que Moses Abramovitz appelait la « mesure de notre ignorance », et que
d’aucuns estiment être le progrès technique ? Nous montrerons d’abord qu’en effet, l’accumulation
du travail et du capital permet d’augmenter la richesse économique créée. Ensuite, nous explorerons
l’apport de Solow dans la compréhension du progrès technique en nous appuyant notamment sur les
intuitions de Schumpeter. Enfin, nous étudierons les modèles qui expliquent les racines du progrès
technique, tant dans l’analyse des rendements factoriels que dans celle de la matrice institutionnelle
de la croissance économique.

1. Historiquement, la croissance économique a longtemps été extensive

Durant la grande majorité de l’histoire humaine, la croissance des richesses économiques a été
essentiellement extensive, c’est-à-dire expliquée par l’accumulation du travail et du capital.

1.1 Le travail : condition nécessaire et suffisante à la création de richesses économiques

La question princeps de l’économie politique réside dans la production : en effet, la nature


« naturelle » (Jean Fourastié) ne suffisant pas, il apparaît absolument nécessaire de produire les
richesses indispensables pour répondre aux besoins humains (produire des richesses, c’est produire
les conditions matérielles d’existence de l’être humain). D’où la définition de « production » : acte
social de transformer la nature en biens et services dans le but de satisfaire des besoins.

De ce point de vue, le travail est un facteur indispensable : sans la main et le cerveau de l’être
humain, la production de biens n’existant pas à l’état naturel est impossible.

Le facteur travail apparaît ainsi dans la fonction de production classique (celle de Cobb-Douglas).
On mesure depuis la contribution du travail à la croissance. Par exemple, en 2005 selon l’OCDE, le
PIB a augmenté de 1,7 % par rapport à l’année précédente en France. On remarque ainsi que la
contribution des heures travaillées, qui s’élève à 0,6 point de croissance, équivaut à expliquer
environ un tiers de la croissance (35,3 %). En 2018, en France, la contribution du travail est de 1,1
point, ce qui équivaut à 57,9 % de la croissance, qui s’élève à seulement 1,9 %.

Si l’on peut concéder à Marx que sans travail, il n’y a pas de production de richesses, il faut aussi
reconnaître que, grâce à l’organisation humaine, les travailleurs ont forgé des outils et élaboré des
machines afin de produire davantage. L’accumulation du capital joue donc aussi un rôle important
dans la croissance.

8
1.2 Le capital améliore l’efficacité du travail dans la création de richesses économiques

Répétons-le, le capital est l’ensemble des biens de production, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas
destinés à la consommation finale mais qui servent à produire d’autres biens. On distingue parfois
les biens de production durables (le capital fixe), qui sont utilisés durant plusieurs cycles de
production, et les biens de production non durables (le capital circulant), qui sont consommés au
cours du cycle de production.

Les données de l’OCDE permettent de mesurer le poids de la contribution du capital dans la


croissance économique : en France, en 2005, cette contribution s’élève à 0,7 point de croissance,
soit 41,2 % de la croissance, qui s’élève cette année à 1,7 %. En 2018, la part de la croissance
expliquée par la contribution du capital n’évolue pas : 0,8 point d’une croissance à 1,9 %, soit 42,1
% de la croissance économique française.

1.3 L’amorce du modèle de Solow : quand le travail est constant, l’accumulation du capital
suffit-elle à augmenter les richesses économiques créées ?

En 1956, l’économiste Robert Solow construit un modèle de croissance à deux facteurs, travail et
capital, basée sur une fonction de production de Cobb-Douglas : ce « concept […] exprime la
relation […] qui existe entre la quantité obtenue d’un produit (output) et les quantités de facteurs de
production (inputs) qui ont été combinés pour l’obtenir » (Flouzat, Pondaven). L’une des
hypothèses retenues est celle de rendements d’échelle constants, ce qui signifie que la croissance
économique est proportionnelle à la croissance des facteurs. On parle de « croissance extensive »,
portée par l’investissement en capital et l’augmentation de la population active.

Solow fait une autre hypothèse importante : il postule que la population active est constante à court
terme, ce qui suppose une croissance tirée par l’accumulation du capital. En théorie, ce modèle
semble « vertueux » : le capital par tête (l’intensité capitalistique) augmente, ce qui se traduit par
une croissance du PIB, donc par une croissance du PIB par tête, et, sous couvert de l’hypothèse de
plein emploi des facteurs de production, l’épargne augmente et permet l’accumulation du capital par
tête. « Autrement dit, voici une économie qui semble générer une croissance durable du niveau de
vie […] sous le simple effet de l’accumulation du capital. » (Aghion).

Solow ajoute néanmoins une hypothèse décisive, qui lui permet de faire une découverte
importante : la décroissance des rendements factoriels.

2. La découverte d’un « résidu » interprété comme le progrès technique permet de mieux


comprendre la croissance des trois derniers siècles

2.1 L’hypothèse des rendements factoriels décroissants explique l’ « état régulier »

L’hypothèse de rendements factoriels décroissants aboutit au résultat suivant : l’augmentation de


l’intensité capitalistique (capital par tête) entraîne certes une augmentation du produit par tête, mais
de moins en moins importante, en d’autres termes, moins que proportionnellement. « Plus le stock
de capital […] est élevé, moins on augmente le PIB par tête en augmentation l’intensité
capitalistique ; par conséquent, moins on augmente l’épargne et donc l’accumulation du capital. »
(Aghion)

L’explication de l’épuisement de la croissance économique jusqu’à un « état régulier » se trouve


dans l’hypothèse de rendements factoriels décroissants : lorsque la quantité d’un facteur croît

9
relativement à celle de l’autre facteur, le produit augmente de moins en moins vite jusqu’à s’épuiser
car le facteur constant est peu à peu saturé par la quantité croissante du facteur variable.

Par ailleurs, en intégrant les prix dans le modèle, on aboutit au même résultat : les facteurs de
production étant rémunérés selon leur productivité marginale, celle du capital devient si faible qu’il
n’est plus rentable d’investir.

Dans ce modèle, la croissance économique est donc limitée par la croissance démographique :
« l’économie tend vers un état stationnaire en ce qui concerne la production […] par tête »
(Guerrien). « Autrement dit, les trajectoires de l’économie convergent toutes vers un sentier unique,
où la production, le « capital », la consommation et l’emploi croissent tous au même rythme (qui est
celui de la population. » (Guerrien) C’est ce que Solow nomme l’état régulier (qui ressemble à l’état
stationnaire de David Ricardo).

2.2 La confrontation du modèle de Solow avec les données empiriques : il existe un troisième
facteur exogène

Or, en confrontant son modèle à l’observation empirique (notamment la croissance économique


états-unienne de 1909 à 1949), Solow remarque que la « croissance réellement observée est
supérieure à la croissance prédite par [le modèle] appliquée aux quantités de facteurs que l’on a
utilisé au cours du temps [ce qui] signifie qu’une part « inexpliquée » de la croissance est due à une
amélioration de l’efficacité du processus productif. » (Fleutot) Cette amélioration a été nommée
« productivité globale des facteurs » (PGF).

On constate d’ailleurs, en reprenant les données de l’OCDE pour la France en 2005 et 2018, que
l’addition des contributions du travail et du capital est inférieure à la croissance, d’où l’existence
d’un troisième facteur : en 2005, l’accumulation du travail et du capital n’explique que trois quarts
de la croissance (76,5 %), le 0,4 point restant est dû à la PGF ; sans l’apport de la PGF, le PIB
n’aurait augmenté « que » de 1,3 % cette année-là. En 2018, la PGF est plus modeste et s’élève
seulement à 0,1 point de croissance, ce qui explique 5,3 % de la croissance économique.

Comme ce résidu est considéré comme l’amélioration de la combinaison productive, les


économistes l’ont tôt identifié au progrès technique. Mais, en tant que résidu, il « tombe du ciel »
(Hulten). On suppose bien qu’il améliore la productivité marginale des facteurs et que, ce faisant, il
suscite de nouveaux investissements (redevenus rentables), mais il demeure exogène ; il n’est que la
« mesure de notre ignorance » (Abramovitz). Solow écrit d’ailleurs : « On notera que j’utilise
l’expression progrès technique comme une expression technique pour décrire n’importe quel
changement dans la fonction de production. »

C’est l’économiste Joseph Schumpeter qui, rétrospectivement, dans la première moitié du XXe
siècle, permet d’éclairer la notion et le rôle du progrès technique.

2.3 La clarification schumpétérienne du progrès technique

Schumpeter a été l’un des premiers (1911, Théorie de l’évolution économique) à s’intéresser
frontalement au progrès technique en mettant notamment en avant le rôle-clé de l’entrepreneur-
innovateur du capitalisme, c’est le « révolutionnaire de l’économie », car c’est lui qui introduit le
progrès technique dans l’économie.

10
On peut définir le progrès technique comme l’ensemble des innovations disponibles à un moment
donné dans l’économie. Une innovation est l’application industrielle et/ou commerciale d’une
invention, que l’on introduit ainsi dans l’activité économique, en particulier à des fins de profit.

Il existe deux étapes antérieures à la naissance d’une innovation : il y a d’abord une phase de
recherche (à la fois fondamentale et appliquée), qui est le fait des entreprises (à travers les
départements de recherche-développement) et des pouvoirs publics (à travers les centres de
recherches, les universités, etc.). La phase de recherche permet de faire une découverte (production
de connaissances), que l’on appelle invention, qui est donc le fait des chercheurs.

On observe par exemple que les pays développés investissent dans la RD (on parle de DIRD,
dépenses intérieures de recherche-développement). Par exemple, selon l’OCDE, en 2005, cet
investissement s’élève à 39 milliards de dollars US en France (14,5 Mds de la part des
administrations, 24,5 Mds de la part des entreprises), soit 2,05 % du PIB. En 2018, cette part de
DIRD atteint 2,18 % du PIB en France, avec 22,6 Mds de dollars US investis par les
administrations et 44,8 Mds par les entreprises.

Ainsi, l’innovation peut prendre plusieurs formes : l’innovation peut être technologique (c’est
l’introduction d’un produit ou d’un procédé nouveau (méthode de production ou de distribution),
qui résulte d’une nouvelle technologie), ou organisationnelle (une nouvelle organisation (de la
production, du travail, des relations entre l’entreprise et son environnement) peut permettre de
réaliser des économies d’échelle ou des gains de productivité).

« Au sens large, le progrès technique peut donc se définir comme l’ensemble des innovations
technologiques et organisationnelles qui améliorent l’efficacité du système productif. » (Reynier)

Dans les années 1980, les modèles de croissance endogène « visent à libérer la théorie de la
croissance de la contrainte que représente l’existence d’un taux exogène de progrès technique dans
le second modèle de Solow. » (Steta)

3. La croissance économique expliquée par les modèles de croissance endogène et par les
institutions

Dans cette partie, nous éluciderons d’une part la source du progrès technique grâce aux modèles de
croissance endogène, puis, d’autre part, nous montrerons que les institutions jouent un rôle
fondamental, matricielle, dans le sentier de croissance suivi par une économie.

3.1 Première étape de l’élucidation du progrès technique : des investissements spécifiques


dans quatre types de capital

« La dynamisation du cadre néoclassique est opérée au sein des théories modernes de la


« croissance endogène », développée après le milieu des années 1980, qui cherchent à expliquer le
rythme et l’orientation du progrès technique dans un cadre macroéconomique. […] Dans ces
théories, le changement technique résulte d’investissements réalisés par des agents économiques
motivés par le gain [les entreprises et les entrepreneurs], et par l’Etat visant au bien-être collectif. »
(Guellec)

Après avoir rappelé en 1986 que l’investissement en capital physique (ensemble des biens de
production traditionnels comme les machines, les outils, les bâtiments), en incorporant du progrès
technique et en étant source d’apprentissage par la pratique, permettait d’augmenter la productivité,

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Paul Romer développe en 1990 l’idée que l’investissement en capital technologique résultant des
dépenses en recherche-développement (RD), permettait le développement de nouveaux procédés de
production réduisant les coûts (innovations de procédés) et de nouveaux produits suscitant une
nouvelle demande (innovations de produits).

Selon l’OCDE, les Etats-Unis investissent 557 Mds de dollars US dans la RD en 2018, soit 2,83 %
de leur PIB, avec respectivement 135 Mds investis par les administrations et 422 Mds investis par
les entreprises. On se souvient qu’en 2018, environ le quart de la croissance du PIB aux Etats-Unis
s’explique par la PGF (0,8 points pour une croissance de 2,9 %). Au Japon, les entreprises
investissent beaucoup plus dans la RD que les administrations, avec respectivement 33 et 136 Mds
en 2018, ce qui correspond à 3,28 % de leur PIB, ce qui n’est pas surprenant car la moitié de leur
croissance en 2018 s’expliquait par la PGF (0,3 points pour une croissance – faible – de 0,6 %).

En 1988, Robert Lucas montre, quant à lui, que les investissements en capital humain (niveau de
santé et d’éducation de la population), qui sont généralement effectués par les administrations
(directement, par les services publics, ou indirectement, par les systèmes de protection sociale) mais
peuvent aussi l’être par les entreprises (à travers la formation, l’apprentissage, et les mutuelles
privées), permettent d’élever la productivité par la diffusion de la connaissance et d’augmenter la
capacité à innover d’une économie.

En France, selon le MEN-DEPP, la dépense intérieure d’éducation (DIE) s’élève en 2018 à environ
170 Mds d’euros et représente environ 6,6 % du PIB, ce qui montre l’importance de cette dépense,
même si l’effet sur le progrès technique n’est pas direct (en 2018, la PGF ne représentait que 5 % de
la croissance économique française). A titre indicatif, en 1980, cette DIE s’élevait à environ 80 Mds
d’euros, mais elle représentait déjà environ 6,5 % du PIB, ce qui signifie que la DIE s’est
globalement élevée au même rythme que le PIB.

En 1990, Robert Barro développe l’idée selon laquelle les investissements réalisés en infrastructures
(voies de communication terrestre, ferroviaire, aérien, fluvial, etc., réseaux énergétiques et
informationnels, travaux publics et aménagement du territoire) par la puissance publique permettent
d’élever considérablement la productivité du secteur privé, et ainsi, de renforcer les effets
d’entraînement sur la croissance. On parle de capital public.

Ainsi, ces différents types d’investissement commandent le rythme du progrès technique qui, à son
tour, imprime sa marque à (ou dynamise) la croissance économique et lui permet d’être durable et
autoentretenu : la croissance génère des revenus privés (sous forme de profits) et publics (sous
forme de recettes fiscales) qui permettent l’accumulation des quatre types de capital à la source de
progrès technique.

D’ailleurs, on peut supposer que la période des Trente glorieuses, durant laquelle les
investissements étaient soutenus et réguliers, avec un soutien massif (et parfois direct) des pouvoirs
publics (dans les infrastructures et le capital humain en particulier, mais aussi dans la RD), a profité
de ces effets d’entraînement du progrès technique : le taux de croissance annuel moyen entre le
début des années 1950 et le début des années 1970 oscille autour de 5 % en France.

Nous devons pourtant nous demande par quel moyen le progrès technique, via l’investissement dans
ces capitaux spécifiques, s’accumule, ou, pour le dire autrement, pourquoi le progrès technique ne
connaît pas de rendements factoriels décroissants.

12
3.2 Deuxième étape de l’élucidation du progrès technique : la connaissance comme bien
cumulatif

La grande découverte des théoriciens de la croissance endogène réside dans le caractère tout à fait
particulier de la connaissance, ce « bien » à l’origine du progrès technique. On prête à Bernard de
Chartres (XIIe siècle) cette phrase célèbre : « Nous sommes des nains sur des épaules de géants »,
laquelle permet de caractériser la particularité de la connaissance : c’est un bien cumulatif.

Un bien cumulatif est un bien dont la production suit des rendements factoriels non décroissants,
c’est-à-dire un bien qui ne s’use pas à l’usage. Comment l’expliquer ? Décortiquons la
connaissance : i) son usage par un agent n’empêche nullement les autres agents d’en user également
(non rivalité) ; ii) il est très difficile d’en faire payer l’usage, malgré le renforcement des restrictions
légales de type brevet ou licence (quasi non excluabilité), en raison d’une structure de coût très
particulière (c’est en effet la première unité qui est très onéreuse à produire, sa reproduction a un
coût quasi nul) qui permet d’importantes économies d’échelle (ce qui, au passage, nécessite un
certain niveau de monopole – le monopole d’innovation). Par ailleurs, si l’usage d’une connaissance
passée permet d’inventer des connaissances nouvelles, l’intuition schumpétérienne selon laquelle
les innovations arrivent en « grappes » est confirmée.

Si la connaissance a des rendements factoriels non décroissants (voire croissants), il est logique que
l’accumuler, en tant que facteur de production, permet de garantir la croissance économique. Pour
le dire autrement, « Un processus persistant, autoentretenu, d’accumulation de la connaissance est
donc possible, qui entraîne à son tour l’accumulation des autres facteurs et donc la croissance. »
(Guellec)

Ces effets d’entraînements positifs sur la croissance ont été conceptualisés sous le nom d’
« externalités positives » : en effet, accumuler de la connaissance produit de formidables
externalités informationnelles positives qui permettent l’accumulation des autres facteurs. Or, une
externalité est une défaillance de marché.

3.3 La présence d’externalités positives nécessite des institutions particulières, qui viennent
impacter le sentier de croissance d’une économie

Les théoriciens de la croissance endogène ont bien perçu le problème que pose la présence
d’externalités informationnelles positives liées à l’accumulation de la connaissance.
Rappelons la définition d’externalité : c’est un effet externe produit par l’activité économique
procurant à autrui un avantage ou un désavantage non compensé monétairement (positivement ou
négativement)1.
Nous avons donc affaire ici à une défaillance de marché : les mécanismes du marché concurrentiel
ne permettent pas, en raison des externalités positives, une allocation optimale des ressources. Cela
signifie que les innovateurs peuvent être incités à sous-investir dans l’innovation : même s’ils
perçoivent des rentes d’innovation, une partie des effets positifs de celle-ci échappe aux
innovateurs, c’est-à-dire ne leur est pas rémunérée (donc : profite gratuitement à leur
environnement), d’autant plus lorsque l’on pense à sa structure de coût particulière (la première
unité de connaissance est à la fois très onéreuse, en recherche fondamentale et appliquée, en

1
Une autre définition intéressante : les externalités sont « les bénéfices ou coûts qui ne sont pas reflétés dans le prix du
marché et qui touchent les agents tiers sans que ces derniers soient tenus de payer, ou en droit de recevoir un
dédommagement. » Luc WEBER (1997), L’Etat, acteur économique, Paris, Economica, p. 59 ; cité par Liêm HOANG-
NGOC (2022), Petit manuel critique des théories économiques, Paris, La Dispute, p. 170.

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développement, etc., et très incertaine quant à ses retombées économiques). On dit que le rendement
social de l’innovation est supérieur au rendement privé.

Comment inciter les innovateurs à produire davantage d’innovations ? En « internalisant les


externalités », c’est-à-dire en faisant en sorte que le rendement privé s’élève : il s’agit donc de
mieux rémunérer les innovateurs.
Ce sont les institutions qui permettent de modifier la structure des incitations pour que les
entrepreneurs innovent et permettent la croissance économique. On peut définir les institutions
comme un ensemble d’habitudes, de normes, d’usages, intériorisé par les membres d’une
communauté, qui constituent « les contraintes [formelles et informelles] établies par les hommes qui
structurent les interactions humaines » et permettent de réduire l’incertitude inhérente à ces
interactions (North). « Contraintes » signifie que les institutions « fixent les limites des activités
humaines et leur imposent une forme » (Hamilton).

Nous avions déjà mis en avant le rôle de l’Etat plus haut ; en réalité, l’Etat, lui-même institution,
produit des institutions qui imposent une certaine structure des incitations.
L’Etat, n’ayant pas d’objectif de rentabilité (mais d’intérêt général) et ayant le privilège de lever
l’impôt et créer la monnaie, peut financer et donc produire lui-même la recherche (selon l’OCDE, la
DIRD des administrations en Allemagne représente environ 1 % du PIB en 2018, par exemple). Il
peut protéger les droits de propriété intellectuelle (ce qu’on peut appeler des institutions créatrices
de marché, avec la monnaie).
Il peut produire un environnement favorable à l’innovation, non seulement en termes
d’infrastructures et de capital humain (en 2021, presque 7 % du PIB français est consacré à la DIE)
mais aussi par la lutte contre la corruption, le respect de l’Etat de droit, la stabilité politique,
l’efficacité des pouvoirs publics, etc.
Sur ce thème, la Banque mondiale a créé des indicateurs de gouvernance dont la valeur varie de –
2,5 à 2,5 : lutte contre la corruption, qualité de la réglementation, respect de l’Etat de droit,
efficacité des pouvoirs publics, stabilité politique, etc. En 2018, l’Allemagne a d’excellents scores,
supérieur à 1,4 dans la plupart de ces indicateurs de gouvernance – c’est-à-dire la manière avec
laquelle le pouvoir est exercé dans la gestion publique des ressources économiques et sociales en
vue du développement.
L’Etat peut aussi subventionner les entreprises innovantes, voire même consommer l’innovation
créée par les entreprises ce qui leur assurent des débouchés et, ainsi, les incitent à innover.

D’un point de vue économique, ces actions consistent ainsi à internaliser les externalités : les
pouvoirs publics remplissent un rôle institutionnel important, d’une part, en instituant des règles de
réglementation, de stabilisation et de légitimation des marchés (Rodrik, Subramanian), qui peuvent
inciter les innovateurs à innover, d’autre part, en participant directement aux investissements en
capital humain, en capital public, en capital technologique.
On peut toutefois faire l’hypothèse que les effets des institutions sur la structure des incitations à
innover n’est pas immédiate : on remarque en effet que, selon l’OCDE, en Allemagne, en 2018, la
contribution de la PGF à la croissance est négative alors que ses indicateurs de gouvernance sont
positifs (on peut faire le même constat pour la Norvège).

Il faut enfin rappeler que le « caractère essentiel [des institutions] est une inertie relative au regard
de l’évolution sociale : elles se sont formées dans le passé et elles sont héritées du passé »
(Chavance). C’est ce qui peut expliquer que la Chine, malgré son développement économique, a
encore, en 2018, des scores de gouvernance souvent négatifs (cinq des six indicateurs) : les
institutions, une fois adoptées, perdurent, même lorsqu’elles sont inefficientes. La Chine n’est pas
encore une économie « développée » (au sens qualitatif), elle a longtemps été (et est encore

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largement) une économie d’imitation qui ne se situe pas à la frontière technologique (Aghion), et
ses entreprises innovantes ne le sont que depuis peu de temps.
C’est évidemment beaucoup plus flagrant pour Haïti : tous ses indicateurs sont négatifs. On sait
qu’Haïti est l’une des économies les plus pauvres au monde. North a tenté de montrer que les
trajectoires de croissance sont « dépendantes du sentier » institutionnel suivi jusqu’ici.

Conclusion

Au terme de ce développement, nous avons montré que la croissance économique reposait à la fois
sur l’accumulation des facteurs travail et capital, avec notamment le travail au cœur de toute
production, mais aussi sur le progrès technique dont on a tenté de rendre compte du caractère
endogène. Le progrès technique est ainsi permis par l’accumulation de quatre types de capital sur
lesquels les rendements factoriels sont non décroissants. Mais nous avons aussi montré que ce qui
permettait cette accumulation résidait en dernière instance dans le cadre institutionnel, qui sous-tend
en fait la croissance économique et le développement. North parle d’ailleurs de « matrice
institutionnelle ». Il ne fait désormais aucun doute qu’une économie tirée par le progrès technique,
même si elle est fluctuante (en raison d’un processus de destruction créatrice), a moins tendance à
s’épuiser, contrairement aux économies dans lesquelles la croissance est plutôt extensive, comme en
URSS par exemple ; il est toutefois permis de se demander si la croissance économique, même tirée
par le progrès technique, est compatible avec la préservation de l’environnement.

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