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13/11/2018 2.

L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

51-98

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2. L’intellectualisation : l’enjeu scientifique comme modèle

scolaire

Christelle Marsault

Christelle Marsault est maître de conférences à l’Université de Strasbourg et y enseigne l’histoire et la


sociologie de l’ .

« La fonction intellectualisatrice qu’on assigne à l’ ou qu’elle-même s’assigne a


favorisé son introduction au sein de l’école, mais a simultanément gêné la mise
en place d’une véritable éducation motrice. »
Arnaud, 1983.

Que recouvre l’intellectualisation de l’ ? En première définition, nous pourrions 1

avancer qu’il s’agit d’une mise en conformité de l’ avec l’école. Mais à quel niveau
se conforme-t-elle ? S’agit-il d’une intellectualisation de ses buts, de sa mise en
œuvre, ou de ses contenus d’enseignement ? Cette conformité relève-t-elle d’une
imitation, d’une adaptation ou d’une obéissance aux règles scolaires ? Autrement dit,
quel lien l’ entretient-elle avec l’école ?

Pour Claude Prévost (1991), « la profession s’est constituée sur le mythe d’une 2

infériorité hypertrophiée appelant compensation ». En quête de reconnaissance, la


discipline développerait un discours théorique pour revaloriser son image de
discipline pratique. L’intellectualisation se présenterait alors comme un modelage du
sport dont l’ se parerait pour sembler plus sérieuse, notamment dans les discours
(André, 1989). Mais c’est aussi un processus déplaçant les savoirs disciplinaires du
côté théorique et formel plutôt que pratique à travers des savoir-faire, l’activité
intellectuelle s’opposant à l’activité motrice. Cette mise en forme scolaire est
également attribuée, selon Michel Herr (1996), à la volonté de parfaire son
intégration scolaire. Ce processus décrit dans les années 1980 correspond en effet au
retour de l’ sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. « C’est le principe
d’homomorphisme qui guide l’action didactique : l’ , du fait de sa position scolaire,
ne peut pas être différente des disciplines intellectuelles » (Arnaud, 1985). De la
sorte, ce n’est pas tant le savoir qui est identique que la manière de le présenter aux
élèves. Ainsi, l’intellectualisation renverrait au processus de « disciplinarisation »
(Goirand, 2005), c’est-à-dire un alignement des savoirs des disciplines dominées sur
les formes du curriculum hégémonique (Connel, 1985). Cette volonté ne semble
pourtant pas partagée par l’ensemble de la corporation. Comme le déclare Jacques
Rouyer en porte-parole du , «l’ n’a jamais entendu intégrer l’Éducation
nationale pour se conformer, c’est-à-dire se soumettre à un système porteur de
rigidités académiques et bureaucratiques et de préjugés intellectualistes » (1995 d).
La thèse de la scolarisation inquiète même : « L’ a tout à perdre d’une
scolarisation désenchantée » (Rouyer, 1995 a). Ainsi, l’intellectualisation de l’
trouve ses limites. D’une part, elle n’est plus revendiquée à partir des années 1990. La
corporation aspire plutôt à une place spécifique dans le concert des disciplines. La
recherche d’une spécificité motrice devient alors l’argument principal qui s’oppose à
cette intellectualisation. D’autre part, elle paraît insuffisante pour comprendre
pourquoi la norme scolaire touche de fait également l’ensemble des matières. Ont-

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elles toutes des soucis d’intégration ? L’ ne suit-elle pas simplement, comme les
autres disciplines (y compris les disciplines qualifiées d’intellectuelles), l’évolution
des procédures de rationalisation de l’enseignement ? Comme le suggère Jacques
Gleyse (1993 a), « ce n’est pas tant une mise en orthodoxie scolaire qui touche le
champ de l’ , qu’une inéluctable corrélation avec le champ praxique et
épistémique ». S’appuyant sur des modèles scientifiques identiques, l’ensemble des
disciplines adopte les mêmes procédures de construction du savoir et de justification
éducative des démarches. Toutefois, la reconnaissance disciplinaire nécessite
également la détermination de savoirs propres au sein du curriculum (Evans, 1990).

Qu’entend-on finalement par « intellectualisation de l’ » ? Est-ce la prédominance 3

d’un discours autour de la discipline, vecteur de crédibilité (André, 1994) ? Est-ce la


mise en place d’une analyse plus théorique cherchant à rationaliser de manière plus
poussée la pratique ? Est-ce une caractérisation plus cognitive des savoirs en ?
Autrement dit, l’intellectualisation est-elle une théorisation (Lamour, 1984), une
rationalisation (Péron, 1991) ou une cognitivisation (Miliani, 1994 a) ?

L’intérêt porté aujourd’hui, à l’école, aux aspects plus méthodologiques que culturels 4

conduit à niveler l’importance de certaines disciplines (dites intellectuelles) par


rapport à d’autres (disciplines d’éveil). L’avancée de certains travaux scientifiques
dans le domaine de l’apprentissage moteur offre un regard alternatif aux conceptions
cognitives et une place aux savoirs d’action. Peut-on alors parler de
« désintellectualisation des savoirs » à l’école (de Lara, 2000) ?

Ainsi, nous allons montrer que l’intellectualisation de l’ se présente d’abord 5

comme l’introduction de savoirs théoriques et de discours justifiant sa participation


aux normes scolaires. La transformation des savoirs de l’ est au cœur d’un enjeu
de positionnement disciplinaire, fondamental ou complémentaire. Mais, après 1981,
le problème de la place de l’ à l’école ne se pose plus de la même manière. Le
modèle de stratification des disciplines a évolué, il semble moins assujetti à la valeur
culturelle des savoirs qu’à leur utilité éducative éprouvée scientifiquement.
L’intellectualisation de la discipline doit alors se comprendre comme un problème
axiologique de légitimité du savoir ayant des conséquences sur le statut de la
discipline. Ce débat idéologique est orchestré ensuite par l’utilisation de modèles de
légitimité scientifique qui servent à justifier les positions défendues.

L’EPS, entre savoir scolaire et savoir pratique

Alors que Pierre Arnaud (1990) défend la thèse d’une forme de savoir en conformité 6

avec l’école, Claude Pineau (1987) soutient l’idée d’un savoir spécifique et pratique
qui se pérennise. Pour Bernard-Xavier René (1992), « les évolutions concernent
essentiellement la nature des situations d’apprentissage que l’enseignant propose aux
élèves (situation-problème). La permanence concerne les contenus effectivement
enseignés et le type d’activité sollicitée chez l’élève ». La question des savoirs permet
de montrer la complexité du rapport entre l’ et l’école.

Afin de comprendre où se situent les transformations des savoirs, il s’agit tout 7

d’abord de clarifier, parmi les savoirs disciplinaires, ceux qui concernent l’enseignant
et ceux qui touchent l’élève, et donc de différencier « savoir à enseigner et savoir pour
enseigner » (Perrenoud, 1996). Nous nous attacherons dans un premier temps à la
transformation des savoirs à acquérir par l’élève. Nous montrerons que la place d’un
savoir théorique évolue sans jamais évincer son caractère pratique. Dans un
deuxième temps, nous verrons que l’analyse du savoir de l’élève est en rapport avec la
transformation des modèles d’apprentissage et des cadres d’analyse de l’enseignant.
Cependant, cette rationalisation de l’enseignement sur la base de modèles
scientifiques reste coupée d’une transmission traditionnelle de procédés techniques
et d’idéologies pédagogiques persistantes sur le terrain. Ce qui contribue à rendre le
rapport de l’ au savoir problématique.

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L’évaluation : entre outil de contrôle gestuel et instrument de

reconnaissance scolaire

Analyser les savoirs [1]


évalués permet de rendre compte des changements 8

disciplinaires. En effet, « les textes sur l’évaluation sont essentiellement prescriptifs.


Ils introduisent, par leur référence et leur opérationnalisation, des changements dans
la pratique pédagogique » (Perrot, Pigeassou, 1996). De l’appréciation des résultats
sportifs à la justification des procédures d’apprentissage, l’évaluation se pare de
nouvelles fonctions qui éclairent la place accordée aux différentes formes de savoir.
Les connaissances nécessaires à acquérir se déclinent de façons différentes dans les
protocoles d’évaluation. Leur évaluation va prendre des formes et des noms différents
(connaissances pratiques, savoir d’accompagnement, informations..), mais ne sera
plus remise en cause. La pratique en se double alors d’un enseignement plus
théorique.

Ainsi, dans les années 1970, la notation révèle la maîtrise du corps et les effets de 9

l’apprentissage par la mesure d’une performance mesurable. L’évaluation est d’abord


un outil de mesure et de contrôle du geste moteur [2]
. À la fin des années 1970, elle
passe d’une mesure du résultat final à un contrôle du processus d’apprentissage.
« L’évaluation ne se limite plus à une opération de notation ou de sanction d’une
formation, elle est devenue partie intégrante de l’acte pédagogique, par les
informations qu’elle fournit, non seulement sur les résultats de l’apprentissage, mais
aussi sur la méthode et les objectifs choisis » (Eisenbeis, Maccario, 1979). Au début
des années 1980, l’évaluation participe déjà à la régulation de l’activité de
l’enseignant, mais sanctionne l’élève par son seul résultat. Le résultat de l’élève est un
indicateur de l’efficacité de l’enseignement. En 1983, parmi la multiplication des
critères pour juger de la performance de l’élève (l’arrêté du 17 juin 1983, circulaire du
11 juillet 1983, fixe les modalités pour les épreuves d’ du baccalauréat général),
figure pour la première fois une part octroyée aux connaissances. Un quart de la note
est attribué pour « les connaissances techniques exposées par l’élève au cours des
cycles d’enseignement ainsi que ses capacités d’analyse des activités et de sa
compréhension de base pratique de la physiologie de l’effort » (« La réforme de
l’épreuve d’ des baccalauréats », EPS, no 184, 1983). L’introduction de cette
composante théorique dans les épreuves d’ peut se comprendre comme une
volonté de conformité scolaire d’une « discipline dont la nature, insolite au regard
des matières d’enseignement traditionnelles, rendait jusqu’ici suspecte son
évaluation et par conséquent sa prise en compte dans les diplômes délivrés par
l’Université française » (Pineau, 1984). À la fin des années 1980, culminent d’ailleurs
les critiques concernant l’intellectualisation des formes d’évaluation de ces
connaissances comme les , les interrogations écrites, les dissertations ou les
dossiers. Les cahiers d’ et même des livres apparaissent dans les cours. Michel
Delaunay (2005) le constate encore en 1991 : « Le devoir sur table conserve une place
prédominante (60 %). » Comme le dénonce Claude Prévost (1991), « on est revenu
dans les classes à méthodes sportives intellectualisées à un ennui des élèves tout aussi
semblable à celui qu’éprouvaient leurs aînés, contraints à la gymnastique construite
avant 1967. Cinq points au bac ne valent pas qu’on renonce à faire bouger les élèves et
qu’on se transforme en professeur de technologie motrice ». La théorie de
l’homomorphisme scolaire de Pierre Arnaud (1989 a) vient à juste titre éclairer ce
problème. En devenant un outil de reconnaissance scolaire, l’évaluation des
connaissances en au baccalauréat prend les mêmes formes que les outils
d’évaluation des autres disciplines.

En réaction à ces formes trop scolaires de l’ , les connaissances évaluées durant les 10

épreuves du baccalauréat se sont alors recentrées sur la pratique, en demandant à


l’élève de verbaliser ses actes ou ses choix. L’intérêt porté au savoir pratique est
éclairé par la différenciation faite par Christian George (1985 b) entre connaissance
déclarative et connaissance procédurale. « Les enseignants d’ ont une
représentation technique de la connaissance qui a pour support les règlements

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codifiés et qui leur font privilégier la connaissance procédurale par rapport à la


connaissance considérée comme abstraite (savoir que, savoir pourquoi) » (Bordet,
1993). Ainsi, les connaissances qui s’ajoutent à la pratique (comme connaître le
règlement) sont converties en connaissances pratiques (comme savoir arbitrer).

Les modes d’évaluation vont changer en cherchant à comprendre le fonctionnement 11

cognitif de l’élève face à la tâche. L’évaluation devient un outil de communication


entre l’enseignant et l’élève et se centre sur les processus. Elle met en évidence la
représentation de la tâche formulée par l’élève, ainsi que les stratégies ou procédures
que ce dernier utilise pour arriver à un certain résultat (Marsenach, 1984). La nature
des connaissances se diversifie (Bordet, 1991). Leur évaluation passe par la
verbalisation des élèves. La formalisation de ses actions suppose que l’élève apprend
mieux s’il sait comment faire pour réussir (Meirieu, 1990 a). Il s’agit de « mettre
l’accent plus sur l’analyse des procédures que sur le résultat, plus sur le contrôle des
opérations que sur l’accumulation des connaissances » (René, 1994). L’évaluation est
progressivement devenue un outil de gestion de l’apprentissage. En effet, si
l’évaluation formative donnait des indications à l’élève, l’évaluation formatrice lui
apporte en même temps un savoir, généralement méthodologique (Nunziati, 1990).
Ce type d’évaluation s’attache à faire verbaliser les élèves « sur les différents moyens
de résoudre le problème posé par la tâche… Le critère de réussite doit faciliter
l’analyse par l’élève de la stratégie qu’il a déployée » (Brau-Anthony, 1991). Ce type
d’activité est une activité métacognitive, car l’élève doit réfléchir sur la manière dont
il a procédé pour réussir. Un autre type de connaissance va alors émerger. L’élève ne
doit plus seulement prendre conscience des manières dont il doit gérer sa pratique,
mais des manières dont il doit gérer son apprentissage. C’est le cas des principes
méthodologiques ou hodologiques (Delaunay, 1991 b). Les transformations des
critères d’évaluation montrent que l’efficacité de l’apprentissage s’évalue alors au
travers de l’efficacité du geste. Les protocoles d’évaluation se perfectionnent et
modifient la nature de la connaissance, mais visent toujours l’amélioration de la
performance gestuelle. Toutefois, la maîtrise rapide d’un geste n’est pas toujours
significative d’une adéquation de celui-ci aux circonstances contextuelles.

L’intérêt porté à l’adéquation entre la situation et l’action permet de développer de 12

nouvelles compétences auxquelles se joignent de nouvelles connaissances. Trois types


de connaissances (Perrenoud, 1997) deviennent indispensables à l’école : procédurale
(comment faire), déclarative (pourquoi faire) et contextuelle (quand faire). Il s’agit de
se centrer sur le contexte du geste appris, pour donner du sens à l’apprentissage.
L’évaluation vient justifier l’objet d’enseignement en devenant un instrument de
légitimation de l’acte d’enseignement. C’est le cas par exemple de la situation de
référence. C’est « une situation aménagée, mais authentique, respectant les
composantes essentielles de l’activité en confrontant l’élève au problème fondamental
posé par l’ pratiquée » (Grehaigne, 1989). La situation de référence fait
directement référence à la pratique sociale selon la « logique interne » (Parlebas,
1991 a) ou le « problème fondamental » (Goirand, 1987 b). Elle qualifie la nature du
problème pour l’enseignant (le problème est en attaque car il y a beaucoup de perte
de balle) et permet à l’élève de poser le problème (c’est un problème de conservation
de la balle). De plus, l’évaluation permet de quantifier généralement le problème
comme, par exemple, le profil d’occurrence des règles (Delaunay, 1992) et révèle
l’importance de celui-ci (80 % des balles sont perdues au centre du terrain).
L’évaluation initiale justifie les acquisitions en amont de l’apprentissage. Par
comparaison, le constat final entérine les acquisitions et valide l’apprentissage.
L’évaluation sert donc désormais à justifier, par un protocole a priori indépendant,
les contenus d’enseignement pour l’élève (définir ses besoins) et pour l’enseignant
(mesurer les effets).

L’observation devient un outil stratégique, d’aide à la décision et au projet de l’élève 13

(grille d’analyse du jeu de son équipe). L’élève, en même temps qu’il apprend le geste,
prend connaissance des éléments qui justifient son résultat, et des éléments qui
légitiment son apprentissage. La phase d’évaluation n’est plus une perte de temps
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nécessaire à l’enseignant, mais un élément de stratégie dans la formation de l’élève.


Cependant, la pratique n’est plus uniquement un lieu d’expérimentation, mais
d’observation des autres et donc de passivité motrice. L’intellectualisation de la
discipline recoupe les critiques d’une prédominance de la réflexion sur l’action
(Prévost, 1991). « En se scolarisant, l’ se corticalise » (André, 1987). Les protocoles
d’évaluation ont tendu à valoriser plus la méthode d’expérimentation que
l’expérience motrice réelle de l’enfant (Récopé, 1996).

Malgré le passage des savoirs techniques aux savoirs méthodologiques, les critiques 14

portent encore sur la norme sportive qui reste l’élément de comparaison dans le
processus d’évaluation. « L’évaluation motrice s’effectue par rapport à un modèle du
corps normé du champion. L’élève a une gestion originale de ses ressources qui n’est
pas prise en compte » (Forestier, 1991). Ainsi, l’idée d’une « singularité motrice »
(Davisse, Rochex, 1998) s’oppose au modèle sportif qui reste la référence à partir de
laquelle se construisent les différentes formes de savoirs. Bien que parée des attributs
scolaires, l’évaluation renvoie l’image d’un savoir conforme au modèle sportif.
Aujourd’hui, les modalités d’évaluation sont proposées par les équipes pédagogiques
construites à partir de référentiels. Malgré un certain conformisme s’appuyant sur les
modèles d’analyse technologique des , des écarts existent selon les élèves. Gilles
Combaz (1992) montre combien les modalités de l’évaluation de la connaissance
reproduisent la hiérarchisation intellectuelle du cursus scolaire. L’évaluation des
savoirs se réalise plus par écrit pour les baccalauréats et plutôt à partir des situations
pour les (Bordet, 1993). En conséquence, la part de connaissances théoriques est
variable selon la définition que les enseignants en donnent au quotidien. Cependant,
le programme de terminale du 30 août 2001 rappelle qu’il ne doit pas y avoir d’
« évaluation des connaissances isolée de la compétence globale ».

Ainsi, l’évaluation mesure toujours une efficacité, même si celle-ci change d’objet en 15

passant de l’efficacité du geste, à l’efficacité de sa gestion, puis à l’efficacité de son


apprentissage. Le changement des protocoles révèle des modes de légitimation
différents de l’enseignement : du contrôle des résultats à la justification des
procédures. La part prise par l’évaluation des savoirs théoriques ou verbalisables
perdure, voire augmente. Elle entérine l’hypothèse d’une forme scolaire de l’ se
présentant comme une « valorisation de l’intelligence verbo-conceptuelle »
(Avanzini, 1991). Elle passe d’un quart (baccalauréat, circulaire du 11 juillet 1983) à
un tiers de la note (brevet des collèges, note de service du 19 octobre 1987), mais elle
n’a jamais vraiment évincé la pratique. D’ailleurs, elle ne peut pas dépasser 40 % de
la note au baccalauréat selon l’arrêté du 9 avril 2002.

Les modèles pédagogiques : entre savoirs communs et personnels

Quelle est la nature du savoir enseigné ? À l’image des autres disciplines, l’ n’a 16

plus seulement pour vocation de transmettre des savoirs spécifiques à une discipline,
mais devient un prétexte à la construction de savoirs scolaires. C’est dans la mise en
œuvre de ces savoirs que l’ cultive sa spécificité motrice. En même temps, le savoir
n’est plus universel, il prend une définition plus personnelle. En effet, ce qui est
attendu des élèves évolue d’une conformité technique au modèle de haut niveau vers
le développement personnel de méthodes d’apprentissage par l’expérimentation
corporelle. Les effets attendus seront différents : assembler le geste sportif découpé
préalablement (modèle associationniste), gérer ses ressources ou de l’information
(modèle du traitement de l’information), puis construire des relations significatives
entre les différents éléments extraits du contexte, pour agir (modèle constructiviste).
Ce qu’il y a à apprendre, et la manière d’apprendre, s’appuient sur des
représentations différentes de l’élève conçues à partir de modèles spécifiques. Ces
modèles sont issus des avancées scientifiques, et vont déboucher sur l’élaboration de
nouvelles méthodes pour appréhender les objets d’enseignement (Develay, 1992). Ces
modèles (Delignières, Duret, 1995) peuvent provenir de théories ou de courants
scientifiques comme les théories de l’information. Certains les placent au rang de

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paradigme, c’est-à-dire de modèle global (Demailly, Fernandez, 1985), voire


philosophique. Ici, ils servent à simplifier le réel en définissant le type d’élève
rencontré et donc le savoir à proposer. Pour Didier Delignières et Christine Garsault
(2001), « ce sont les représentations légitimes de l’élève qui déterminent un recours
nécessairement sélectif aux modèles scientifiques ». Nous opterons pour une
démarche inverse. L’analyse des modèles scientifiques utilisés en va nous
permettre de définir quel type d’élève est privilégié. L’image de l’élève change,
passant d’un élève productif grâce aux savoir-faire qu’il reproduit à un gestionnaire
traitant des informations grâce à des savoirs, pour devenir un acteur qui se construit
en prenant des décisions. Nous décrirons ici des modèles d’élèves et non leur réalité.

Dans les années 1970, le modèle de l’apprentissage est orienté principalement vers 17

l’acquisition de savoir-faire conformes à la technique du haut niveau pour exploiter


au mieux ses qualités physiques. Le modèle associationniste (Hull, 1943) éclaire
l’apprentissage. Les progressions techniques se présentent selon une continuité
partant des éléments les plus simples à acquérir (les éléments de base) vers des
formes techniques plus complexes. Ainsi, le saut est découpé en différentes parties :
la course d’élan, l’impulsion et la réception. Il est ensuite recomposé dans sa forme
globale. L’intérêt porte essentiellement sur la forme gestuelle. Cependant, à travers la
prise de conscience de son corps ou l’éducation du schéma corporel, l’ contribue
aussi au développement d’une intelligence formelle, préalable supposé à une
intelligence abstraite. En effet, « une bonne structuration spatio-temporelle est un
moyen d’éduquer l’intelligence » (Le Boulch, 1968). Robert Mérand (1970) et Jean
Vivès (1958) défendent également l’idée d’une intelligence pratique justifiant les
acquisitions techniques.

Dans les années 1980, il ne suffit plus de faire du sport pour être plus intelligent, il 18

faut être intelligent pour faire du sport. Le modèle qui émerge fait de l’élève un
gestionnaire de ses ressources. La notion de ressources (Famose, 1983) remplace
celle de qualités physiques quand les travaux en psychologie montrent leurs limites
(Famose, Durand, 1988). D’une part, certaines ressources sont peu développables
(Fleishman, 1967) et, d’autre part, la performance peut s’améliorer avec
l’entraînement, sans augmentation des qualités physiques, mais par réorganisation
des ressources (Leplat, 1985). L’apprentissage permet l’accroissement de la
performance et une économie des ressources (Leplat, 1989). Les enseignants vont
alors porter leur attention sur la gestion des possibilités de l’élève (en endurance, la
régularité) plutôt que sur leur développement limité (amélioration de la VO² max).
L’ , en s’appuyant sur la notion d’habileté plutôt que sur la technique, vise alors
l’efficience plus que l’efficacité. « L’apprentissage en peut se définir comme
l’acquisition des pouvoirs moteurs nouveaux, articulant savoir-faire et savoir sur le
faire, et s’exprimant dans des habiletés motrices plus efficaces, parce que plus rapides
et plus stables » (Amade-Escot, 1989). De plus, ajoute Jean-Pierre Famose, « une
habileté motrice n’est pas simplement motrice, il y a une tendance marquée chez les
techniciens à prêter trop d’attention à l’aspect moteur des différentes habiletés (…).
Toutes les habiletés sont perceptivo-motrices ou psychomotrices ». Le rejet de la
technique au profit de l’habileté motrice conduit à évacuer la forme du geste au profit
de son pilotage. L’élève va dorénavant gérer sa motricité. La pédagogie se centre sur
l’efficacité perceptive. L’activité du sujet est assimilée à un ordinateur dans lequel on
introduit des données, pour que des opérations sélectionnent la bonne réponse avant
de déclencher l’action de l’individu (Schmidt, 1982). La capacité de traitement de
l’information (en particulier visuelle) étant limitée, ce modèle va conduire les
enseignants à orienter le savoir vers des stratégies de prise d’informations
pertinentes pour le sujet (Papin, 1987). Par exemple, l’importance du regard porté
par le sujet en handball (Mariot, 1992). La prise de conscience et le traitement des
informations par l’élève deviennent prédominants, et l’enseignant va devoir organiser
l’environnement pour faciliter la perception de l’élève. L’apprentissage est cognitif,
car il développe des processus cognitifs sous-jacents à l’action.

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Gérer son action engendre un double travail intellectuel : par sa forme verbale et par 19

son contenu qui nécessite des procédures de gestion intellectuelle de la pratique. En


effet, il s’agit de dire ce que l’on fait et pourquoi on réussit (Marsenach, 1991). Pour
gérer les pratiques, les principes vont constituer les nouveaux savoirs en . Ils
« sont représentatifs de l’activité cognitive de résolution utilisée par l’élève. (…) La
prise de conscience des principes qui participent à l’explication de l’action constitue
des moyens privilégiés pour faciliter l’apprentissage » (Beunard, Dersoir, 1994).
L’introduction d’algorithmes de réponses (Delaunay, 1991 b) et de règles de
fonctionnement sur le modèle « si… alors » (Metzler, 1986) semble révélatrice d’une
assimilation de la réflexion de l’élève au mode de fonctionnement de l’ordinateur
(Récopé, 1996). La réflexion en se centre sur les aspects cognitifs de
l’apprentissage. Des critiques vont dès lors émerger. Didier Delignières (1991) parle d’
« inflation cognitive ». L’utilité des savoirs déclaratifs dans la production du geste est
remise en cause (Temprado, 1994). Malgré cette prédominance cognitive, « les règles
supposent, pour être mises en œuvre, le développement de pouvoirs moteurs »
(Grehaigne, 1996). Les processus, les stratégies et même l’habileté ne peuvent
s’exprimer et donc exister qu’à travers une action motrice observable. « L’habileté est
au-delà de ce qu’on observe, en arrière-plan de ses manifestations comme ce qui les
génère » (Leplat, Pailhous, 1981). Ce modèle de gestion perceptive renvoie à une
intellectualisation cognitive et verbale des savoirs.

Le modèle de résolution de problèmes des années 1990 va développer des savoirs 20

méthodologiques qui se positionnent en contrepoint des savoirs théoriques sur la


pratique. L’important réside dans la « capacité de l’élève à problématiser des
situations en analysant ses réponses, en reconnaissant des stratégies, en définissant
les conditions de déclenchement des réponses nouvelles » (Léziard, 1992). C’est une
réflexion sur le cours d’action et non plus uniquement avant l’action. Les savoirs
visent l’ergonomie du geste, c’est-à-dire une meilleure adaptation du geste au
contexte et à la personne qui agit. La notion de compétence remplace alors celle
d’habileté. « La compétence ne réside pas dans les ressources (connaissance,
capacité) à mobiliser, mais dans la mobilisation même de ces ressources »
(Perrenoud, 1996). Ce n’est pas tant le type de savoir qui est important, que le rapport
que l’élève a avec lui et la manière dont ce dernier le construit et l’utilise (Bouthier,
Charlot, Rochex, 2000). « Le savoir n’est pas l’objet à transmettre, il devient un
médiateur. C’est la capacité à effectuer des relations, à jeter des ponts entre tous les
aspects du processus » (Marsenach, Amade-Escot, 1994), qui doit être privilégiée. Le
savoir devient métacognitif (Noël, 1991). Et les critiques à ce sujet sont claires.
« L’élève ne joue pas. Il travaille à comprendre les principes d’efficacité dans un
groupe structuré sur le modèle d’une équipe d’adultes, dans un bureau d’étude et de
planification » (Miliani, 1994 b). Si l’élève est amené à résoudre des problèmes
comme en mathématiques ou en physique, les problèmes nécessitent des solutions
motrices (Caumeil, 1995) et non intellectuelles. Dans les années 1990, c’est alors le
modèle constructiviste qui va devenir dominant (Jonnaert, Van der Borght, 1999). Le
sujet se construit des repères, des compétences, et développe des habiletés en étant
confronté à différentes tâches. Si la transformation des représentations de la situation
demeure un acte conscient, la mise en œuvre de stratégies d’identification de
l’information pertinente ne relèverait pas nécessairement d’une action consciente et
rationnelle. « L’intelligence est une forme générale d’adaptation n’impliquant pas
forcément la mise en œuvre de moyens réfléchis » (Famose, 1991 b). Ce modèle vise
une intelligence adaptative.

Ainsi, le savoir se décline différemment selon les modèles scientifiques de 21

l’apprentissage. Le modèle associationniste reste centré sur la reproduction d’une


forme motrice conforme à la technique. Le modèle cognitiviste fait appel à des
processus cognitifs du traitement de l’information pour améliorer la gestion
individuelle de la motricité de l’élève. Enfin, le modèle constructiviste centre son
intérêt sur les stratégies individuelles de l’élève. L’apprentissage en ne s’est pas
limité à ces trois modèles. Leur diversité révèle combien le regard porté sur l’élève

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0051 7/27
13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

éclaire différemment la construction de son intelligence en : entre intelligence


pratique et intelligence formelle (Parlebas, 2000).

L’apprentissage : entre opération intellectuelle et processus

cognitif

La définition de ce qui est appris en ne varie pas seulement avec l’évolution des 22

pratiques et des savoirs, mais se transforme également en fonction des définitions de


l’apprentissage. Les manières d’apprendre évoluent selon le modèle d’apprentissage
de référence. Les théories de l’apprentissage vont donc apporter un regard différent
sur l’enseignement de l’ . Toutefois, si les théories éclairent les objets
d’enseignement, elles étaient surtout des conceptions particulières (Delignières,
Garsault, 2001). Les théories dans notre analyse se différencient des modèles
précédents au sens où ce sont « des discours explicatifs d’un fait dans le but de
généralisation » (Lamour, 1991). Alors que les concepteurs de l’ se servent des
modèles précédents comme référence organisatrice à imiter, ils utilisent des théories
pour expliquer leurs choix sous-jacents. Elles peuvent être dénommées par ailleurs
« approche » comme, par exemple, l’approche écologique de la perception et du
mouvement.

Nous montrerons que les conceptions de l’apprentissage vont jouer sur les manières 23

d’apprendre et justifier les procédures mises en place au sein d’un champ théorique
explicatif. La théorie justifie la concordance entre l’objet et son enseignement, mais
ne déterminent pas les choix d’objets d’enseignement initiaux, c’est-à-dire le geste
technique, l’habileté psychomotrice ou la résolution de problème. En effet, ces choix
sont axiologiques. Ainsi, les travaux scientifiques vont apporter des éclairages
différents. Dans les années 1970, ils s’intéressent aux différents stades
d’apprentissage. L’intérêt se porte sur la manière dont l’individu apprend. Les
recherches dans les années 1980 vont s’orienter vers la comparaison architecturale et
contextuelle des différentes tâches d’apprentissage, en différenciant le type d’activité
sollicitée selon la nature des tâches proposées. Enfin, dans les années 1990, ce sont
les conditions d’apprentissage et les conditions d’enseignement qui vont devenir
fondamentales. Ces différents modèles seront réappropriés par les concepteurs en
avec souvent un décalage dans le temps et une transformation des concepts initiaux.

Apprendre dans les années 1970 nécessite de mémoriser le geste technique adéquat 24

par conditionnement (Pavlov, 1927 ; Skinner, 1995) et donc par répétition. Lors
d’exercices, l’élève réitère le même mouvement jusqu’à l’obtention du geste juste. Les
techniciens parlent de lissage du geste car la répétition permet d’améliorer la forme
du geste, en passant d’un mouvement saccadé à un mouvement lissé. Le
béhaviorisme éclaire ce souci pédagogique qui s’intéresse au comportement en tant
qu’observable (Fraisse, Piaget, 1963). La démonstration de la forme gestuelle et la
stimulation du sujet par des consignes entraînent une modification du
comportement.

Au début des années 1980, le programme moteur généralisé issu des travaux de 25

Schmidt (1982) offre une vision de l’apprentissage différente. Il ne s’agit plus de


cumuler des savoir-faire différents qui ne sont efficaces que dans des situations
particulières. Le schéma est un canevas général de l’action dont la caractéristique
essentielle est sa « transposabilité » à toute une classe de situations analogues. Ce qui
est répété, c’est le schéma d’organisation de l’habileté, c’est-à-dire les invariants
structuraux du mouvement. Il s’agit ensuite de paramétrer le mouvement en
spécifiant certains paramètres (amplitude, vitesse) pour produire le geste adapté à la
situation. L’utilisation de variables dans une même situation ou l’apprentissage
d’habiletés ouvertes plutôt que fermées (Poulton, 1954) permet de redéfinir les
finalités de l’apprentissage vers une plus grande adaptation du geste dans une
catégorie de tâches. D’où l’importance d’analyser les types de tâches selon leur mode
de contrôle (Paillard, 1985) et d’en repérer la nature et l’architecture (Famose, 1983).

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

Au début des années 1990, l’intérêt va se porter sur la prise de décision et les 26

stratégies d’apprentissage cognitif. Différentes théories s’opposent en proposant une


modélisation différente de l’apprentissage.

En psychologie cognitive, l’apprentissage est une activité de traitement de 27

l’information (Clermont, Tardif, 1996). La composante mentale (représentation,


planification et stratégie de l’action motrice) est essentielle (Grehaigne, Cadopi,
1994). L’élève peut gagner du temps dans la recherche de l’information pertinente
(Grosgeorge, 1987), dans la sélection (Vankersschaver, 1980) et dans l’exécution du
programme. Le fait de prendre les bons repères doit permettre de faire les bons choix
ou de faire plus vite ces choix. L’ va centrer son intérêt sur les processus de
décision (Temprado, 1991 b). L’apprentissage devient donc de plus en plus
stratégique (Fayol, Monteil, 1994). Ainsi, les approches cognitives de l’apprentissage
permettent de valider l’intérêt porté à la prise de conscience du geste dans
l’amélioration de l’habileté, tant au niveau de la prise d’information, de son contrôle
en cours d’ac-tion, qu’à travers la verbalisation des procédures mises en œuvre pour
résoudre un problème.

En sciences de l’éducation, apprendre, c’est d’abord comprendre. « L’apprentissage 28

consiste à construire ou à modifier la représentation qu’un organisme a de son


environnement » (Doré, Mercier, 1992). Il suppose de décontextualiser les stratégies
échafaudées afin de pouvoir les réinvestir dans de nouvelles situations (Develay,
1992). L’apprentissage s’opère par modification des représentations de l’élève
(Giordan, De Vecchi, 1987). « Les représentations constituent les structures, de
décodages qui donnent un sens aux informations glanées et d’accueil qui permettent
de fédérer les nouvelles données » (Giordan, 1989).

La psychologie sociale du développement cognitif (Doise, Mugny, 1997) fait 29

également référence au modèle cognitif de l’apprentissage. Par exemple, le conflit


socio-cognitif s’appuie sur « l’interaction cognitive entre des sujets ayant des points
de vue différents. (…) Il y a alors conflit de centration, contradiction et, si cette
dernière est surmontée, progression intellectuelle » (Meirieu, 1990 a). Les travaux de
Fabienne d’Arripes (1995) sur l’apprentissage par dyade en gymnastique montrent
que l’observation du mouvement du partenaire compétent offre une représentation
cognitive adaptée de l’habileté et fournit un « challenge optimal de modélisation ». Ce
type de théorie revendique la supériorité de la résolution collective des problèmes par
comparaison entre les démarches des élèves. Apprendre reviendrait alors à
confronter ses solutions aux autres. Une telle « approche pédagogique socio-
constructiviste » (Garnier, 1996) trouve son intérêt en (Grineski, 1996) en étant
une voie d’accès à l’autonomie (Méard, Bertone, 1998). Pourtant, selon Didier
Delignières et Pascal Duret (1995), une telle démarche relève d’un apprentissage plus
conceptuel que moteur.

Pour le courant de l’action située, apprendre revient à développer des savoirs qui 30

permettent de construire des relations signifiantes avec l’environnement.


L’apprentissage vise un changement des modalités d’interactions entre le sujet et la
situation. Il émerge d’un nouvel ordre spatio-temporel ou le passage d’un ordre à un
autre ordre (Kugler, Turvey, 1987). Il est significatif d’une modification de sa capacité
à tenir compte des opportunités construites dans la situation. Selon Denis Hauw
(2002), lors des premiers essais en gymnastique, la peur de tomber définit la
situation. Après quelques essais, la perception de la situation va changer et son action
également. L’individu ne perçoit et ne construit pas la situation de la même manière
en fonction du contexte et de son niveau face à la tâche. Cette capacité à donner du
sens au contexte ne peut se construire que par l’action. Ce courant de la cognition
située montre l’importance du contexte psychologique, affectif, environnemental et
social dans les processus cognitifs. La cognition est également distribuée, et n’est pas
localisée dans le système cognitif unique de l’élève. Elle émerge du couplage
action/situation. Donald Norman (1993) introduit le concept d’ « artefact cognitif »
pour désigner des éléments (matériels ou non) de l’environnement qui offrent un

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

espace d’actions possibles. Les objets qui constituent l’environnement sont porteurs
de possibilités, c’est pourquoi la cognition est potentiellement distribuée entre les
acteurs humains et matériels de la situation. L’apprenant et l’enseignant agissent
donc sur cet espace potentiel, en octroyant un sens aux objets et aux actions, et
modifient continuellement cet espace de possibles. Par exemple, une corde pour
grimper est potentiellement porteuse d’usages différents selon l’imagination des
élèves, ou ce qu’en pense l’enseignant. L’action de l’enseignant, en limitant son usage
ou en l’encourageant, va modifier cet espace des possibles. L’élève s’organise à partir
de formes typiques de comportement, comme par exemple des stratégies
caractéristiques de gain de match (Rossard, Testevuid, Saury, 2005). Dans le courant
de l’énaction (Varela, 1989), la cognition est même incarnée. Avec ces nouveaux
courants contextualistes, la définition de la cognition inclut un ensemble large de
fonctions qui dépassent le cadre de la réflexion intellectuelle du sujet.

Ainsi, le savoir, organisé sur le développement des processus cognitifs, se voit 31

complété aujourd’hui par d’autres modèles théoriques qui viennent justifier un savoir
pratique, spécifiquement ancré dans l’expérience motrice et affective de l’élève.
Même si les applications professionnelles font peu légion encore, ces nouvelles
approches offrent des définitions différentes de l’apprentissage et donnent des
orientations idéologiques inédites dans la définition de l’ (Cornus, Marsault,
2003). Pour Christian George (1985 a), « au sens très large, le cognitif concerne ce
qui a trait à la connaissance, qu’il s’agisse de connaissances déclaratives ou de
connaissances procédurales. Dans une perspective plus restreinte, le terme
« cognitif » désigne une activité mentale qui fait appel à des représentations, celles-ci
pouvant être conscientes ou inconscientes ». Ainsi, l’apprentissage est encore
cognitif, même s’il n’est plus complètement mental. L’opération intellectuelle ne se
réduit plus à une pensée consciente extérieure au geste. La cognition déborde
largement les limites d’une rationalité détachée d’affects et d’émotions. Antonio R.
Damasio (1995) montre d’ailleurs que l’intelligence ne peut être considérée de
manière isolée, car raisonnement et émotion interagissent. Il devient, par
conséquent, difficile de définir les limites de ce que l’on entend par « cognition »,
comme de la considérer de façon isolée, sans tenir compte de l’action et de l’émotion
dans le processus d’apprentissage.

La démarche d’enseignement : entre rationalisation et justification

Si l’éclairage scientifique a apporté de nouvelles conceptions de l’apprentissage, il a 32

également transformé le regard sur l’enseignement et les méthodes d’enseignement.


La démarche de l’enseignant s’est toujours voulue rationnelle. Rationaliser consiste à
organiser son action selon des principes d’efficacité. La rationalisation a cependant
envahi de nouvelles étapes dans la réflexion de l’enseignant et modifié sa fonction.
Ainsi, le passage d’un raisonnement pédagogique par la planification à une
rationalisation de la démarche pédagogique, c’est en quelque sorte le passage d’une
rationalisation comme logique argumentaire à une rationalisation comme opération
mentale (Meirieu, 1990 b). Nous reprendrons ici les modèles de démarches mis en
évidence par Pierre Arnaud (1986 a) : technocentrée, fonctionnelle et constructiviste.

Le premier modèle de rationalisation de l’enseignement se veut technique et 33

méthodique, et intervient au niveau pédagogique. Selon Émile Durkheim, « la


pédagogie n’est ni une science, ni un art, ce n’est pas autre chose que la réflexion la
plus méthodique et la mieux documentée possible » (Durkheim, 1992). La
technologie offre avant 1970 les différentes étapes de la construction des contenus
d’enseignement. Les technologies « se sont cumulées au niveau des secteurs de la
haute performance et du sport de compétition » et ont abouti à des « formalisations
et à une littérature technique » (Marsenach, Mérand, 1987). De son côté, la pédagogie
par objectif témoigne d’une rigueur méthodologique au travers d’une logique
verticale des finalités à l’exercice qui intervient en amont du geste technique. De plus,
les progressions techniques offrent une méthode de planification de l’apprentissage.

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

« La méthode désigne l’ensemble des démarches suivies, des moyens agencés pour
parvenir à une fin » (Ulmann, 1982 a). L’exercice trouve sa place dans une continuité
technique, du débutant jusqu’au confirmé. L’intérêt se porte sur l’aspect
pédagogique. « Après 1969, c’est la substitution de l’autorité de l’enseignant à
l’organisation de la tâche » (Rauch, 1978) qui modifie la manière d’aborder le geste
technique. Le milieu est aménagé pour susciter le bon geste. Si le mode de
prescription change de forme, il relève toujours de l’imposition par le maître, du
modèle du haut niveau. Toutefois, cette démarche technique qui s’appuie sur un
modèle linéaire de progressivité sera remise en cause par une approche
technologique plus structurale des . La théorisation des prend alors une
dimension plus généraliste, plus intellectuelle, car elle va s’intéresser à des grands
principes et moins aux solutions techniques. Les principes fondamentaux apportent
une analyse théorique de chaque activité sportive qui permet aux enseignants de
découper autrement le geste (Catteau-Garoff, 1968). Ainsi, Pierre Seurin (1979)
défend l’idée qu’ « on intellectualise exagérément l’enseignement de l’ », en parlant
des savoirs technologiques de l’enseignant. Les connaissances de l’enseignant se
développent en dehors des savoirs de l’élève à travers une théorisation de la pratique.

Le modèle technocentré est concurrencé par un modèle fonctionnel centré sur le 34

développement cognitif de l’élève durant les années 1980. La pédagogie sportive est
critiquée au profit d’une pédagogie de l’acte moteur (Bonnet, 1983). Comment
fonctionne l’individu dans la tâche ? Quelles sont les ressources qu’il peut mobiliser
pour atteindre l’objectif ? Le fonctionnement de l’élève dans la tâche est au
fondement de la réflexion didactique qui se penche sur l’analyse rationnelle de la
tâche et des rapports entre la tâche et l’activité de l’élève. Par exemple, Jean-Pierre
Famose propose de faciliter l’apprentissage du virage à ski, en traçant dans la neige la
trajectoire que doit suivre l’élève, plutôt qu’en donnant verbalement les différentes
opérations motrices nécessaires au virage. L’aménagement du milieu ne sert plus à
contraindre le geste de l’élève, mais à clarifier le but de la tâche pour l’apprenant
(Famose, 1982 a). L’enseignant propose des tâches qui peuvent être classées en
fonction de leur degré de spécification : définies, semi-définies ou non définies. Jean-
Pierre Famose (1982 b) défend l’usage des tâches semi-définies car elles « permettent
à l’enfant, dans son processus de redéfinition, d’élaborer des buts et des projets
personnels ». Cette caractérisation des tâches permet de se différencier des tâches
complètement définies dont relève la technique sportive et de donner une part active
à l’élève dans son apprentissage.

Cette démarche se rencontre également dans la pédagogie de la découverte par 35

l’exploration du milieu. L’élève redécouvre les solutions motrices au lieu d’en


reproduire la forme. Les situations-problèmes des années 1980 sont alors construites
par l’enseignant pour que les élèves résolvent des problèmes (Champagnol, 1974).
Elles servent à faire émerger les principes et les règles d’action. L’enseignant devient
alors un concepteur de problèmes. Et la question de la spécificité des problèmes
moteurs en va alors se poser, car les obstacles à surmonter restent d’ordre
cognitif (Meirieu, 1988), même si les solutions sont expérimentées de façon motrice.
La tâche de l’enseignant est également cognitive. Celui-ci gère la difficulté de la tâche
grâce à l’analyse de ses composantes (Famose, 1990). Le glissement de l’exercice vers
la tâche d’apprentissage modifie les outils pédagogiques de l’enseignant, en centrant
son analyse sur la relation tâche-élève, pour mieux gérer l’adéquation entre ce que
propose l’enseignant et ce que les élèves peuvent faire (Leplat, Hoc, 1983). Cette
analyse fonctionnelle du comportement de l’élève dans la tâche va permettre à
l’enseignant de se centrer plus sur ce que fait l’élève et de se décentrer de l’analyse
théorique de l’activité sportive. L’expertise de l’enseignant se situe essentiellement en
amont de l’acte, dans la planification des séances et des tâches d’apprentissage.

Différentes formes de tâches vont être proposées aux élèves. Les travaux de recherche 36

vont porter également sur la comparaison entre ces diverses sortes d’apprentissage
pour mettre en évidence les principes d’efficacité des différentes méthodes proposées.
Daniel Bouthier (1986) examine par exemple trois types de pédagogie pour enseigner
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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

le rugby. Chantal Amade-Escot (1991) compare trois types de tâche : les solutions
motrices, des mises en situation et les situations à résolution de problème qu’elle
préconise. Ainsi, les années 1980 sont marquées par la multiplication des pédagogies
et des méthodes due à l’effervescence de la Recherche-Action. L’intérêt est centré sur
la gestion pédagogique et didactique, c’est-à-dire la manière la plus efficace de
transmettre des savoirs. Les apports scientifiques permettent à l’enseignant de
décortiquer la tâche d’apprentissage pour mieux l’adapter aux possibilités des élèves.
La rationalisation inclut non seulement la justification préalable de l’objet à
apprendre, mais également l’organisation de la tâche d’apprentissage.

La situation pédagogique va prendre la place de la tâche dans les années 1990 en 37

incluant les représentations de l’élève et le contexte. La définition de la tâche se


précise en séparant ce qui relève directement de la tâche de ce qui relève de son
contexte (Delignières, Garsault, 1993). Alors que le raisonnement portait
essentiellement sur une analyse des tâches en rapport avec le niveau préalable des
élèves, l’analyse des situations d’apprentissage doit tenir compte de la manière dont
les élèves se représentent (Famose, 1991 a) et s’approprient la tâche prescrite
(Delignières, 1990). Selon la redéfinition qu’opère l’élève, la tâche d’apprentissage
n’aura pas le même effet. « L’objet principal de l’action du professeur relève de la
conception (agencement) de ce milieu, des ajustements et des régulations dont il fait
l’objet du fait des interactions élève/milieu » (Amade-Escot, 2003). L’intérêt se porte
sur le processus d’apprentissage de l’élève, mais en agissant, de manière indirecte,
sur les conditions environnementales.

En effet, les travaux sur la motivation vont se développer en caractérisant différentes 38

manières d’entrer dans l’apprentissage. La mise en œuvre des comportements


découle de choix préalables du sujet pour préserver son estime de soi et satisfaire son
besoin de compétence (Famose, Sarrazin, Curry, 1995). Ces choix se réalisent à partir
de buts motivationnels. Le « climat motivationnel » (Ames, 1992) devient un
déterminant de cette motivation. Dans la mesure où il ne s’agit plus de transmettre
un savoir, mais de permettre à l’élève de le construire, l’intérêt se porte alors sur les
conditions d’apprentissage (Temprado, Montaigne, 2001) qui vont favoriser
l’implication de l’élève. L’efficacité de l’enseignant se situe dans sa capacité à faire
évoluer les situations en fonction de l’observation des comportements de l’individu.

La situation-problème va évoluer en demandant à l’élève de construire le problème et 39

sa résolution (Fabre, 1997). L’élève doit se poser des questions (Marsenach, 1991),
comme : Comment faire pour réussir ? Qu’est-ce qui m’empêche de réussir ? L’élève
adopte une démarche scientifique d’analyse, de compréhension et de formulation
d’hypothèses explicatives, qu’il va mettre en œuvre dans sa motricité (Delaunay,
1992). Selon les ressources des élèves, le problème sera construit différemment.
Michel Fabre (1999) parle alors d’espace-problème. Pour Bernard Conein et Éric
Jacopin (1994), il n’existe pas de tâche spécifique d’apprentissage, car chaque
expérience est singulière. L’ « espace de travail » (Gal-Petitfaux, Durand, 2001) que
l’individu doit étudier pour produire la coordination optimale remplace alors la
situation pédagogique. « L’enseignant n’a pas simplement pour mission de proposer
une situation-problème, mais doit garantir par ses interventions, ses régulations, que
le milieu didactique reste fécond et que l’élève y déploie une activité adaptative
pertinente, ayant des répercussions sur sa motricité » (Amade-Escot, 1994).

De nouveaux travaux de recherche vont alors s’intéresser à l’expertise de l’enseignant 40

(Durand, 1996) comme sa capacité à jouer avec différents paramètres : la gestion du


temps, les consignes ou les feed-backs (Piéron, 1993). L’intérêt porté aux conditions
efficaces d’enseignement modifie le rôle et les compétences du praticien (Siedentop,
1994 ; Schön, 1996). L’enseignant, tout comme l’élève, doit construire des stratégies
(conscientes ou non) en tenant compte des conditions de la situation. « Enseigner ne
consiste pas à proposer des tâches, mais à agir dans un milieu incertain » (Hauw,
2002). L’expertise de l’enseignant, comme celle de l’élève, réside dans la capacité à
dégager du sens d’une situation définie par des conditions, à chaque fois particulières

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(le format pédagogique ; Durand, 2001). Déduction, construction, réflexivité : la


pratique n’est pas plus rationnelle, elle change de mode de rationalité. L’enseignant
régule son enseignement par une pratique réflexive (Tochon, 1993 ; Barbier, 1996).

La relation entre l’enseignant et l’élève quitte le « rapport dominant-dominé » 41

(Delaunay, 2005) de la transmission d’un savoir pour la négociation d’un « contrat


didactique » (Brousseau, 1986). Ainsi, la relation devient une contractualisation par
l’intermédiaire de projets négociés entre les partenaires (Amade-Escot, 1998).
L’enseignant n’a plus pour rôle de gérer les erreurs (modèle technique) ou les écarts à
la solution attendue (modèle fonctionnel), mais de modifier les stratégies de l’élève
par des « régulations didactiques » en jouant sur les contraintes et les variables de la
situation (modèle constructiviste). Il doit avant tout concevoir un cheminement pour
l’élève, et mettre en place des conditions de construction d’histoires personnelles et
singulières. D’où l’utilisation de « variables didactiques » car « le changement des
variables favorise un changement de stratégie correspondant à un nouvel
apprentissage » (Vergnaud, 1994). Les possibilités de l’enseignant d’agir sur l’élève
ont évolué et, de ce fait, son rôle est différent. La rationalisation ne consiste plus à
justifier la pertinence des choix, ni seulement à organiser un enseignement cohérent,
mais à analyser et à réguler l’ensemble des contraintes agissant dans un contexte
donné.

Ainsi, le travail de l’enseignant s’est intellectualisé, au sens où sa démarche 42

d’enseignement nécessite une analyse plus poussée à différentes étapes de la


construction de son enseignement. La démarche n’est pas plus rationnelle, cependant
la réflexion de l’enseignant doit aujourd’hui tenir compte d’un plus grand nombre de
paramètres. La relation entre l’enseignant et l’élève est de plus en plus médiée [3]
par
un outillage matériel, technologique, théorique, voire scientifique. Une telle
rationalisation de l’acte d’apprentissage, laissant de côté la part d’émotions et
d’attachement que suppose également la relation pédagogique, rencontre des
critiques. « Aujourd’hui l’enseignant travaille dans le dos de l’élève, avant il lui faisait
face ! Il prend de plus en plus ses distances avec le corps de l’élève, il les fait écrire, il
s’éloigne, prend des notes, les rassemble, fait des graphiques au tableau avec plein de
flèches qui se renvoient les unes aux autres, il explique ce que les autres ont vécu et il
attribue une note parfois pondérée par les notes que les élèves eux-mêmes s’adjugent,
puis pousse un grand soupir. Il reste cinq minutes. Tiens, on va faire un petit foot »
(Péron, 1991).

Les cadres d’analyse : entre nouveau savoir et nouveaux termes

Jacques Ulmann (1982 b), en étudiant l’histoire des intentions éducatives de 43

l’éducation physique, s’attachait déjà à avancer que « les idées comptent, en


éducation physique, plus que les gestes ; elles se renouvellent plus qu’eux ». C’est
également ce que défend Jacques André (1989) : « En , on a renouvelé le
vocabulaire et camouflé des pratiques inchangées. » Pourquoi la présentation des
savoirs se modifie-t-elle autant ? « Pour résister aux éternelles critiques, l’ ne peut
que bâtir du sérieux, et le sérieux, ce n’est pas l’acte lui-même, c’est son analyse »
(Andrieu, 1992). Mais est-ce seulement pour faire plus sérieux ?

Que révèlent ces changements continuels de terminologie ? L’évolution de la manière 44

de présenter les savoirs semble relever d’un enjeu fondamental, celui d’imposer à
l’institution une conception particulière en fixant un cadre d’analyse. Les cadres
d’analyse sont les éléments formalisés et reconnus par la communauté
professionnelle qui organise l’analyse de sa pratique. Chaque cadre sélectionne
différemment les informations (professionnelles, scientifiques…) pour définir une
conception particulière de l’ reconnue à un moment donné. Il facilite la
communication entre les membres de la corporation. Il pose également des limites à
celle-ci, en légitimant certains éléments au détriment d’autres. S’intéresser aux
cadres d’analyse et à leur source permet de comprendre quel courant est valorisé et, à
travers ces valorisations, quelle idéologie est dominante à une période particulière.
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En effet, les conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage évoluent selon la


perception de besoins éducatifs différents (Legras, 1994). Or ces besoins sont
socialement construits. À travers les cadres d’analyse que nous avons étudiés, nous
voyons que l’intérêt glisse des savoirs de l’enseignant vers le sujet qui apprend et,
enfin, les processus d’acquisition (Morandi, 2000). Mais nous nous rendons
également compte que trois pôles sont toujours présents. Qu’il se présente sous forme
écrite ou procédurale, le pôle des connaissances évolue dans le respect d’un modèle
scolaire de culture légitime. Des traits de personnalité aux attitudes citoyennes, le
rapport individu/société constitue le pôle social de l’enseignement. Enfin, le pôle
moteur se pérennise également. Des savoir-faire aux compétences, c’est bien la
motricité de l’élève que l’on cherche à transformer. Alain Hébrard (1996) montre, à
l’identique, une stabilité des finalités poursuivies. Le processus intellectuel jouerait
alors plus sur l’usage d’une terminologie scientifique importée que sur une réelle
centration de la discipline sur les besoins cognitifs de l’élève, au détriment de ses
besoins corporels ou sociaux.

Dans les années 1970, les intentions éducatives sont présentées sous la forme 45

d’objectifs cognitif, socio-affectif et psychomoteur (de Landsheere, 1976). En effet, les


instructions du 19 octobre 1967 décomposent la personnalité de chaque individu en
différents « facteurs organiques, physiologiques, psychologiques et sociaux ». Même
si le texte rappelle que tous ces facteurs sont liés et « indissociables dans la réalité de
la vie », deux des trois objectifs de 1967 portent sur le développement moteur et
perceptif pour pallier « les insuffisances perceptives et motrices des élèves ».
L’anatomie et la physiologie servent à analyser les besoins moteurs. Par exemple, « le
développement organique et foncier » fait appel au « développement de l’appareil
circulatoire et respiratoire, à la résistance à la fatigue et à la musculation cardiaque ».
Les facteurs d’exécution sont centrés sur la souplesse articulaire ou le rendement
musculaire. Les facteurs perceptifs de la conduite font plutôt référence à « la prise de
conscience du corps, l’intelligence du mouvement, la perception de l’intégration des
rapports de temps et d’espace » qui sont des notions utilisées par Jean Le Boulch
pour définir la psychomotricité. La coordination motrice renvoie à « la création et la
destruction d’automatisme, aux réflexes et à la régulation motrice », et s’appuie
plutôt sur le contrôle moteur. Enfin, les intentions éducatives visent également une
« éducation des éléments psychologiques et sociologiques de la conduite » qui
concerne des traits de la personnalité (émotivité, création, volonté), des valeurs
sociales et des valeurs esthétiques. Ainsi, le modèle psychomoteur réussit à s’imposer
dans le cadre d’analyse aux côtés des modèles anatomiques et physiologiques,
donnant à la perception et à la prise de conscience de son corps une place à côté d’un
corps énergétique et productif. Si le pôle moteur paraît le plus important, les deux
autres ne sont pas négligés.

Dans les années 1980, les objectifs sont traduits en termes de savoir, de savoir-faire 46

et de savoir-être. La psychologie semble prendre une part essentielle dans l’analyse


des besoins de l’élève. Même si l’arrêté du 14 novembre 1985 souligne que « l’
sollicite les capacités motrices de l’élève dans le domaine de l’efficacité », les facultés
perceptives sont déclinées selon le modèle proposé par la psychologie cognitive. La
conduite de l’élève est appréhendée grâce à une planification du geste permettant
« l’identification, la sélection et l’utilisation des informations indispensables à la prise
de décision dans l’action ». Les élèves doivent, de plus, « maîtriser leur réaction
émotionnelle face à l’environnement physique et humain ». Dans la circulaire du 30
juillet 1987, l’ sollicite également « les possibilités de compréhension des réactions
affectives et émotionnelles à l’environnement physique et humain, susceptibles de
favoriser la vie relationnelle, et les prises de décision individuelles et collectives ».
Dans ce dernier cas, les émotions ne sont pas prises en compte en tant que telles,
mais agissent comme un filtre permettant d’améliorer ou d’accélérer la
compréhension qui est d’ailleurs un élément central dans le texte : la
« compréhension des exigences propres aux tâches à effectuer » ou la
« compréhension des réactions affectives ». Les besoins des élèves se centrent sur la

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

compréhension de leur action plutôt qu’un perfectionnement en tant que tel. Les
deux autres pôles de la personne ne sont pas négligés : « C’est de l’éducation de la
personne et du futur citoyen qu’il s’agit, en même temps que de l’acquisition de
connaissances et de capacités » (circulaire du 30 juin 1988). Ainsi, le cadre d’analyse
des années 1980 reprend les trois axes en orientant la démarche d’analyse vers un
modèle essentiellement cognitiviste et en introduisant un vocabulaire issu des
théories de l’information. C’est un modèle de l’enfant capable de réflexion, de
mémorisation d’habiletés et de connaissances (arrêté du 14 mars 1986), offrant une
plus scolaire que sportive. Pour autant, les deux autres pôles coexistent dans les
textes.

À la fin des années 1980, les cadres d’analyse se diversifient. Certains vont tenter de 47

s’institutionnaliser après la loi d’orientation sur l’éducation (dite loi Jospin no 89-486
du 10 juillet 1989). Plusieurs modèles de savoirs émergent, se présentant sous la
forme de principes (Delaunay, 1991 a ; Grehaigne, 1989). L’idée de principe
(d’Archimède) et de règles (d’orthographe) renvoie au modèle de connaissances
typiquement scolaire. Claude Pineau (1991), alors doyen de l’Inspection générale,
élabore un cadre d’analyse pour la discipline en redéfinissant les principes précédents
et en les hiérarchisant d’un savoir pratique (principe opérationnel) vers un savoir
plus général (principe d’action et de gestion). Ce modèle offrait une même répartition
en trois pôles, il ne sera pourtant pas retenu par la profession.

Différents cadres d’analyse tentent également de s’affirmer dans les textes officiels au 48

cours des années 1990. Par exemple, l’arrêté du 24 mars 1993 propose un cadre qui
s’appuie sur trois types d’acquisition : réaliser, identifier/apprécier, organiser et
gérer. On retrouve encore les trois mêmes orientations : motrice, cognitive et
comportementale (de nature méthodologique). Ce texte sera également rejeté.

Finalement, c’est le cadre proposé par la Commission nationale des programmes 49

dans sa charte (BOEN no 8 du 20 février 1992) qui sera imposé à l’ , comme à


l’ensemble des disciplines scolaires. Basé sur l’acquisition de connaissances et
compétences, ce cadre se déclinera cependant différemment selon les lieux
d’enseignement. Au collège, il s’agit de développer des compétences générales,
spécifiques et propres. En lycée, les compétences méthodologiques et culturelles
caractérisent localement ce qui est appris. La définition floue des termes de
« compétences » (Le Boterf, 1994) et de « connaissances » offre une marge de liberté
pour proposer un cadre propre à l’établissement. Cette liberté de définition s’éteint
cependant lors des épreuves certificatives.

Ainsi, la variété des cadres d’analyse de la pratique ne favorise pas son unité et 50

conduit à une prolifération terminologique. Au-delà des divergences de conceptions,


l’intérêt porté à la démarche plus qu’au résultat de l’apprentissage révèle cependant
un changement. « Finalement ce qui est appris par les élèves n’est guère différent de
ce qu’ils apprenaient au travers des démarches technicistes. Tout au plus peuvent-ils
accéder à certains types de connaissances et de savoirs par le biais d’un apprentissage
dit “intelligent” qui subordonne toute compréhension à l’invention. Mais une
invention dirigée vers les seules solutions techniques légitimées » (Arnaud, 1996 a).
Aussi, le vocabulaire change et symbolise certains territoires, engendre des analyses
différentes en fonction de modèles scientifiques, mais découpe finalement les
modèles éducatifs en trois catégories : motrice, cognitive (culturelle ou gestionnaire)
et sociale (affectif, comportemental ou méthodologique).

Intellectualisation, désintellectualisation ?

L’intellectualisation de l’ est à la fois le résultat d’une théorisation, d’une 51

cognitivisation et d’une rationalisation. C’est une théorisation des savoirs de l’élève si


l’on étudie l’augmentation de la part accordée à la réflexion et à la compréhension du
geste. Cependant, cette part n’évince jamais complètement la pratique.
L’intellectualisation relève également d’un processus de cognitivisation dominant la

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définition de l’apprentissage. Ce processus n’est pas spécifique à l’ . Il s’appuie sur


l’évolution des théories psychologiques (notamment cognitives) qui régentent les
conceptions de l’apprentissage dans les différentes disciplines scolaires. Un processus
de rationalisation progressive de la démarche de l’enseignant s’est également opéré.
Dans ce cas, ce sont les paradigmes scientifiques qui modifient les modèles d’analyse
de la pratique d’enseignement. L’opposition abstrait/concret des savoirs de
l’enseignant s’explique par la part prise par les savoirs scientifiques sur les savoirs
professionnels. La pratique réflexive tente aujourd’hui de concilier rationalisation et
complexité. Enfin, l’intellectualisation de l’ est le résultat d’une multiplication des
discours révélatrice d’une opposition de conceptions.

Ainsi, la transformation de la discipline ou « disciplinarisation » (Klein, 2003) n’est 52

pas seulement la conséquence d’une volonté d’intégration scolaire contraignant la


corporation à un enseignement formel. L’orthodoxie scolaire ne peut évincer une
orthodoxie disciplinaire qui défend obstinément son caractère pratique et moteur. La
discipline se fonde finalement sur une sorte d’intelligence motrice qui reste difficile à
définir (Parlebas, 2000). De ce fait, la détermination des savoirs en demeure
problématique. La discipline se présente alors comme un support à différents types
de connaissances qui peuvent être légitimes, même si le modèle verbal-cognitif reste
le modèle d’apprentissage privilégié à l’école – et, de ce fait, en .

Les modèles scientifiques dans les procédures scolaires

« L’ sera scientifique ou ne sera pas, c’est-à-dire qu’elle doit se définir dans un 53

cadre contrôlé pour ne pas être soumise à des croyances non validées » (Parlebas,
1993). Voilà ainsi posé le rapport entre et sciences. Les sciences offrent à la fois
une légitimité et un éclairage particulier des problèmes que rencontre l’ . En effet,
l’ partage avec les autres disciplines des normes scolaires qui sont en réalité des
normes de rationalité scientifique nécessaires à la justification de choix idéologiques.
Pour comprendre l’évolution des conceptions de la discipline, il faut s’intéresser aux
transformations des paradigmes, des théories et des courants scientifiques qui
servent de modèles de rationalité pour la démarche des enseignants, de modèles
d’intelligibilité de la conduite des élèves et de modèles de formation générale et de
reconnaissance pour la profession. De ce fait, les mutations du savoir peuvent
s’analyser à partir des transformations paradigmatiques introduites par des sciences
de cautionnement. Toutefois, la place, la nature et le rôle de la science dans le
processus de légitimation ont changé. Les connaissances scientifiques servaient
d’abord à justifier par transposition de concept certains choix éducatifs, puis les
théories ont permis d’éclairer et d’expliquer plus directement certains mécanismes
pédagogiques. Ce sont également des démarches scientifiques qui sont utilisées
aujourd’hui pour construire un savoir didactique spécifique. La place de la science a
ainsi progressivement occupé différentes étapes de la construction de l’enseignement.
De plus, la discipline ne s’est pas toujours appuyée sur le même type de sciences et
tend à la fois à diversifier ses sources à partir de champs théoriques variés
(physiologie, psychologie, ethnologie, anthropologie…), à les recentrer sur un objet
spécifique (les sciences de l’éducation), voire à développer une science
spécifiquement scolaire (la didactique).

Ce nouveau regard plus scientifique porté par les enseignants sur leur pratique est 54

corrélatif des changements de leur formation initiale (Marsault, 2001 a). Utilisées
comme caution disciplinaire pour justifier sa place dans le système éducatif, les
références scientifiques semblent servir aussi d’appui aux conceptions pour se
différencier. L’utilisation des sciences dans la différenciation des positions à
l’intérieur de l’espace professionnel révélerait alors un déplacement de l’enjeu de
reconnaissance de la discipline à l’intérieur de celle-ci (Marsault, 2004 a).

La complexification des modèles scientifiques d’analyse

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La manière de penser la science s’est transformée par l’évolution de modèles plus 55

globaux de pensée scientifique que nous appellerons paradigmes. Ces modèles de


pensée pèsent sur la manière de concevoir les problèmes en sciences, mais aussi en
(Gleyse, 1993 a). Le paradigme permet donc de questionner la réalité d’une
certaine manière en offrant un cadre de réflexion. La mise en évidence de différents
paradigmes va nous permettre de montrer que les manières d’appréhender les
problèmes en ne sont pas spécifiques à la discipline, mais relèvent de
changements de valeurs, de modèles et de solutions repérables en sciences. Nous
pouvons concevoir le paradigme comme une « grille de lecture à travers laquelle une
discipline étudie le monde et grâce à laquelle elle sélectionne ce qui l’intéresse »
(Fourez, 1997). « Un paradigme est un mixte de présupposés philosophiques, de
modèles théoriques, de concepts clés, de résultats de recherche prestigieux qui
constitue un univers habituel de pensée pour des chercheurs à un moment donné du
développement d’une discipline » (Herman, 1983). C’est pourquoi l’évolution des
modèles en suit les modèles de rationalisation des sciences. Nous décrirons dans
cette partie ceux qui semblent avoir joué un rôle éclairant pour l’ . Nous nous
attacherons à montrer que les manières de penser les problèmes des enseignants sont
en adéquation avec les paradigmes développés au même moment dans les différentes
sciences. Autrement dit, les enseignants, lorsqu’ils prennent appui sur certains
paradigmes pour résoudre leur problème, reproduisent essentiellement des modèles
de pensée dominants et légitimes, même s’ils les utilisent avec retard et en les
déformant parfois. Il devient alors possible de comprendre comment on passe d’une
vision linéaire atomiste de la technique à un regard structuraliste et interactionniste
des analyses de la tâche, pour aujourd’hui diversifier les modèles de référence afin de
tenir compte de la complexité des situations.

Ainsi, les années 1970 sont marquées dans le domaine scientifique par le 56

structuralisme et la notion d’éléments fondamentaux, alors que la pratique s’appuie


encore sur un modèle atomiste, cartésien et réductionniste. L’analyse du mouvement
est enserrée entre deux conceptions : l’une globale qui cherche à conserver la forme
générale du mouvement inspirée de la Gestalt Theorie, et l’autre qui décompose le
mouvement en fragments élémentaires. L’intérêt, porté d’une part à la forme du
mouvement, et d’autre part à un découpage en éléments simples du mouvement, sera
remis en cause à partir des analyses structurales. Selon Pierre Parlebas (1976), la
structure se définit comme un « système de relations qui demeure invariant sous de
multiples transformations, en assurant sa propre régulation ». Le structuralisme
devient un paradigme utilisé par différentes sciences (Piaget, 1996). Pour Claude
Lévi-Strauss (1949), il existerait une structure mentale, indépendante des formes
culturelles, qui se retrouverait dans toutes les productions mythiques. Sur la même
logique, le structuralisme en sociologie cherche à montrer qu’il existe une
organisation invisible (mais qu’on peut reconstruire), qui oriente les comportements
de l’individu. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1970) montrent par exemple
que l’école contribue à la reproduction de la structure sociale, par l’intermédiaire de l’
« habitus ». Les théories structuralistes sont celles qui, « à l’intérieur d’une science,
privilégient la structure aux dépens des éléments » (Cuvillier, 1974). Ainsi, dans les
pratiques sportives, de nombreuses analyses se sont attachées à chercher des
invariants structuraux du mouvement. Par exemple, Raymond Catteau et Gérard
Garoff (1968) proposent une analyse structurale de la natation avec le modèle :
respiration, équilibration et propulsion. L’analyse des jeux collectifs que propose
Pierre Parlebas est d’abord structurale, lorsqu’elle s’intéresse aux réseaux de relation
entre les joueurs (1977). En 1968, Pierre Parlebas défend d’ailleurs « une éducation
physique structurale ». Cette perspective centrée sur la recherche d’invariants
indépendamment de la forme sportive sera le point de départ des analyses
didactiques des mettant en évidence les principes fondamentaux ou, plus tard, les
principes d’action. L’intérêt de l’approche structurale est de faire émerger une
structure stable que l’on peut retrouver dans des contextes différents (par exemple,
dans un même groupement d’activités). Le problème est donc de repérer les
invariants d’une situation qui permet la reproductibilité ou le transfert de

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

l’apprentissage à une autre situation. On retrouve ce même schéma dans l’analyse de


la structure de la tâche en ergonomie.

Le paradigme systémique tend à dépasser celui du structuralisme dans la pensée 57

scientifique. André Nouschi et Maurice Agulhon (1972) parlent d’un passage « du


modèle épistémologique qui structure la pensée au modèle systémique et
informationnel ». L’approche systémique considère l’objet étudié comme un système
d’éléments qui interagissent entre eux (dans le cas d’un système fermé) et avec
l’environnement (dans le cas d’un système ouvert). On ne peut analyser un élément
du système sans comprendre les relations qu’il entretient avec les autres éléments.
Un radiateur avec un thermostat explique de manière schématique comment
l’activité d’un système ouvert (le radiateur) est régulée en fonction des
caractéristiques changeantes du milieu (la température de la pièce). La notion
d’équilibre du système est alors importante. Si l’on touche à un élément du système,
c’est tout le système qui est transformé. Une des propriétés du système est ainsi de
tendre vers un état d’équilibre. Dans le cas d’un système ouvert, les théories de
l’information viennent s’inscrire dans ce paradigme. En effet, pour pouvoir s’adapter
au contexte changeant, l’individu doit prendre des informations sur le système dans
lequel il est. Dans le champ de la sociologie, le système est analysé pour comprendre
l’action de l’individu au sein d’une organisation, et Michel Crozier parle alors de
système d’action concret (Crozier, Friedberg, 1977) pour analyser les rapports de
pouvoir qui s’instaurent entre chaque acteur du système organisationnel. Le système
se présente comme un ensemble de contraintes et de ressources, qui permet à
l’individu d’agir. Un élément n’a de sens qu’à travers le rôle qu’il acquiert au sein du
système plus large dans lequel il est inséré. En sport collectif, par exemple, l’équilibre
de l’attaque par rapport à la défense permet de comprendre la dynamique du système
de jeu, qui éclaire le rôle de chaque joueur dans leur système d’interaction. L’analyse
en termes de système est dynamique (il évolue dans le temps) et le modèle
fonctionnel. Il permet de comprendre en quoi l’objet étudié occupe une fonction
particulière dans le système : par exemple, la fonction respiratoire dans l’organisme.
Dans le cas où cet élément n’assurerait pas son rôle au sein du système, on comprend
que c’est tout le système qui est menacé. L’objet est analysé dans sa dynamique avec
son environnement à travers son mode de fonctionnement. Mais l’intérêt du modèle
repose surtout sur l’analyse des dysfonctionnements. On retrouve ce paradigme en
science de l’éducation dans les analyses du système scolaire qui prennent en compte
les éléments extérieurs qui agissent sur l’apprentissage. Ce modèle existe en
psychologie de l’apprentissage. Le problème de l’apprentissage se définit à partir d’un
équilibre entre les différents éléments du système « tâche-élève-environnement ».
Ainsi, le systémisme s’intéresse aux relations entre un objet et son environnement.

La phénoménologie constitue une autre approche des problèmes qui apparaît 58

également en contestation du modèle structural. Alors que le structuralisme étudie le


comportement à partir de la recherche d’éléments objectifs indépendants du sujet, la
phénoménologie s’intéresse à l’expérience subjective de l’individu, à sa perception ou
à son interprétation personnelle. Elle ne cherche pas à expliquer, mais à décrire et à
comprendre. La compréhension passe par l’intention du sujet (Bayer, 1990). La
signification provient de l’expérience vécue. On retrouve la même posture en
sociologie compréhensive à partir de l’interactionnisme (Goffman, 1974). Pour John
Dewey, les savoirs ne doivent pas s’apprendre comme des abstractions scolaires, mais
comme des processus de connaissances prêts à servir dans l’expérience future
(Gauchotte, 1992). Michel Delaunay (1985) réutilise la notion de transaction (Dewey,
1925) pour spécifier la transaction motrice. Le savoir n’est pas une donnée abstraite,
la connaissance construite par l’expérimentation motrice doit permettre à l’élève de
mieux communiquer avec son environnement. Sa démarche, qui va influencer la
conception nantaise de l’ , s’appuie sur ce modèle interactionniste pour rendre
compte des conduites motrices de l’enfant. Le courant interactionniste va s’appuyer
également sur les travaux de Lev Vygotski (1997), de Jérôme Bruner (1983) et
d’Albert Bandura (1980). Il sera dominant dans les années 1980. Dans

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

l’interactionnisme, l’intérêt est porté sur la médiation entre le sujet et l’objet. Ce


courant est également à la base de courants pédagogiques comme la pédagogie
médiationnelle (René, 1994). Alors que les analyses structuralistes ont surtout porté
sur les activités sportives, les approches interactionnistes se sont plus souvent
intéressées à l’enfant dans la situation. Parmi les courants interactionnistes,
l’interactionnisme symbolique consacre les fondements symboliques de la
communication sociale. Ce paradigme se retrouve chez Pierre Parlebas lorsqu’il
introduit la notion de conduites motrices, en tant qu’interactions de communication à
pertinence motrice (Parlebas, 1979). Dans ce cas, la conduite du joueur est
signifiante. Elle peut s’interpréter selon son intention qu’il communique (ou feint de
le faire) par son action. Elle nécessite une lecture du jeu des partenaires et des
adversaires, c’est-à-dire une capacité d’interprétation des intentions de l’autre à
partir de sa conduite socio-motrice.

L’ethnométhodologie prolonge le modèle de l’interactionnisme par une centration sur 59

les représentations des acteurs et sur les relations interindividuelles. Elle poursuit les
intérêts de la phénoménologie en s’appuyant sur ses méthodes. L’éthnométhodologie
(Garfinkel, 1967) est l’étude des méthodes utilisées par certains groupes en tenant
compte du contexte (indexicalité), en formalisant les procédures (descriptibilité) par
la verbalisation des sujets (réflexivité). Ce type d’analyse se retrouve en sociologie
dans la description des activités de l’enseignant (Dubet, Martuccelli, 1996) et de
l’élève (Perrenoud, 1994). L’ethnométhodologie favorise la prise en compte de la
verbalisation et de la prise de conscience dans l’amélioration de l’activité du sujet.
Ainsi, ce paradigme fait une place importante à la relation entre le contexte et le sujet
pour comprendre son action et à la réflexivité du sujet pour saisir le sens que celui-ci
attribue à la situation et à son action. Les travaux en ergonomie de la tâche vont
développer la méthode de verbalisation des procédures conscientes du sujet dans la
description de la tâche réalisée (Vermersch, 1994). Ainsi, l’intérêt transféré de
l’analyse de la pratique vers celle du sujet dans son environnement montre
l’importance accordée aux interrelations entre l’individu et son milieu. De plus,
l’attention portée à la verbalisation comme procédé scientifique permettant de
décrire l’expertise va renforcer l’attrait pour une pratique réflexive de l’enseignant et
de l’élève. Enfin, ces approches recentrent l’intérêt de la recherche sur la
compréhension des actes plus que leur explication. S’intéresser au sens attribué à
l’activité du sujet plus qu’aux causes extérieures éclaire les problèmes de
l’enseignement d’un nouveau regard. L’intérêt se porte sur les représentations du
sujet agissant, et moins sur le résultat de son action. Si ces courants se développent
dans les années 1980, ils prendront de l’importance en sciences de l’éducation et en
éducation physique surtout vers la fin des années 1990.

La théorie du chaos va remettre en cause l’idée de déterminisme causal. Cette théorie 60

insiste sur le phénomène d’incertitude, dû à l’émergence imprévisible de


perturbations. L’exemple connu est l’ « effet papillon » (Lorentz, 1993), qui explique
la non-linéarité entre les causes d’un effet et ses conséquences. Ainsi, il n’est pas
possible de prédire avec exactitude certains phénomènes météorologiques à long
terme car de petits effets en apparence (les battements d’aile d’un papillon)
pourraient entraîner des conséquences importantes à long terme (un ouragan). Ce
mode d’appréhension de la complexité dépasse le cadre de la météorologie et des
mathématiques. Il convient à Edgar Morin, pour qui il est difficile de simplifier sans
réduire : « La complexité est un tissu de constituants hétérogènes inséparablement
associés » (Morin, 1986). Le modèle de la complexité se présente moins comme un
modèle dont la fonction est de dévoiler le réel, que comme un « paradigme
créateur », dans lequel il s’agit de construire des représentations intelligibles de la
complexité. La complexité doit s’analyser de manière locale. La recherche sur le
complexe est une recherche sur le sens de l’objet et non sur sa nature (Vial, 1996).
Pour comprendre un objet, il s’agit d’articuler différentes dimensions d’une même
réalité (Morin, 1986). Or l’intégration de ces connaissances est fabriquée par
l’individu à partir de sa perception de la réalité et de sa reconstruction comme

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

phénomène complexe. « La phénoménalité du système est inséparable de sa


conception cognitive » (Le Moigne, 1994). Ainsi, la complexité nécessite une
approche multidimensionnelle des objets par le chercheur (Ardoino, 1993). Ce qui est
complexe, ce n’est pas l’objet, mais la manière dont l’individu le construit. La visée
éducative de ce paradigme est la gestion du probable. La gestion de l’incertitude se
retrouve dans l’enseignement chez Philippe Perrenoud (1996), lorsqu’il parle de
bricolage pour décrire l’activité de l’enseignant. Elle existe également dans l’analyse
des pratiques sportives. Pour les sports collectifs, la notion d’incertitude est
fondamentale car le joueur ne peut qu’anticiper certaines actions (Menaut, 1998). Le
joueur, en attribuant un sens à la situation, va agir, mais son action va modifier en
retour la situation. De fait, les situations ne sont jamais identiques. Le cours de
l’action de jeu n’est pas complètement prévisible. L’improvisation est au fondement
de l’activité de l’individu dans les activités d’opposition ou dans les environnements
instables.

Aujourd’hui, les courants de l’action située peuvent se placer dans la continuité de 61

cette idée d’appréhender la complexité des situations. L’action située se réfère


indifféremment aux connaissances dans le domaine de la psychologie, de la
sociologie, de l’ethnologie (en particulier de l’éthnométhodologie) et de
l’anthropologie. L’activité du sujet se comprend dans l’interrelation avec son
environnement. « Définir une action comme située signifie généralement que l’on
doit concevoir l’organisation de l’action comme un système émergent in situ de la
dynamique des interactions. Mais cette dynamique peut en effet résulter de deux
processus : soit de la compréhension que chaque participant a des actions de l’autre,
soit de la perception des indices provenant directement de l’environnement
immédiat » (Conein, Jacopin, 1994). L’indexicalité, la multiréférencialité et la
subjectivité des savoirs apportent avec ce paradigme un nouveau regard sur la
manière de construire les problèmes d’enseignement et d’apprentissage en . Ce
mode d’appréhension local et subjectif des problèmes ne permet plus de définir des
règles universelles, applicables en toutes circonstances. Le rôle de la science s’en
trouve modifié.

Ainsi, chaque paradigme offre une autre manière de concevoir les problèmes 62

scientifiques. Selon Thomas S. Kuhn (1972), « la science ne procède pas par simple
accumulation de connaissances, mais par affrontement de paradigmes concurrents ».
La multiplication de ces modèles conduit à une diversité d’approches des problèmes
et de leur complexité. Ils éclairent l’évolution des pratiques enseignantes car ils
agissent inconsciemment en amont des réflexions professionnelles.

La multiplication des références théoriques justificatrices

Non seulement les champs disciplinaires (physiologie, psychologie, sociologie) se 63

diversifient pour expliquer les phénomènes scolaires et en , mais encore chaque


discipline scientifique, en se spécialisant, développe également une diversité
d’éclairages. Ainsi, la psychologie se décline en domaines (psychologie génétique,
clinique ou expérimentale), puis en différents courants comme les théories de
l’information, les théories de l’apprentissage perceptivo-moteur… et enfin en
différentes approches : cognitive, écologique, dynamique… La nature des travaux a
également évolué (des rats de laboratoire à la recherche de terrain), modifiant le type
de relation entre la science et l’ . La discipline a d’abord utilisé des concepts
scientifiques décontextualisés en les réinterprétant pour justifier sa place à l’école.
Puis les concepteurs de l’ se sont appuyés sur des sciences essentiellement
cognitives pour améliorer l’organisation de son enseignement et légitimer une
approche plus intellectuelle de l’ . Enfin, la Recherche-Action puis les sciences de
l’éducation ont développé de nouvelles recherches plus spécifiques au domaine de
l’enseignement, offrant des regards différents sur la pratique de l’ . En même
temps que l’objet d’intérêt se recentre sur l’enseignement, l’orientation prescriptive
de la science tend à diminuer pour une visée plus compréhensive (Amade-Escot,

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1998). Instruments de légitimité de la discipline, les sciences sont progressivement


devenues les instruments de légitimation des prises de position à l’intérieur de celle-
ci.

Dans les années 1970, les sciences sont d’abord l’occasion de légitimer une pratique 64

sociale peu valorisée. « L’ tend à justifier son statut. C’est la science qui va le lui
permettre. (…) Jusqu’alors l’enseignant se contentait d’apprendre les conséquences
biologiques d’une pédagogie du mouvement corporel (…). Les sciences humaines
vont entraîner des ruptures radicales » (Vigarello, 1975). Les revendications
scientifiques seront de deux ordres.

D’une part, il s’agit de montrer que l’ n’est plus seulement une activité qui délasse 65

(ou compense) ou qui accompagne l’enseignement intellectuel (dans une éducation


complète). Les travaux en psychologie développementale vont permettre d’asseoir
l’ comme participant directement à la construction de l’intelligence, par le
développement de l’intelligence motrice. Pour Pierre Parlebas (1969), « tous les
mécanismes cognitifs reposent sur la motricité ». Avec les travaux de la psychologie
génétique, le mouvement est à l’origine de la construction de la personnalité de
l’enfant et facilite son développement intellectuel. Les travaux de Jean Piaget (1969),
en montrant l’importance de la motricité dans la première phase de la construction
de l’intelligence (intelligence sensori-motrice), vont servir à légitimer, par extension,
la pratique sportive dans le développement intellectuel de l’élève (Mérand, 1970). La
priorité accordée au problème concret sur la résolution des problèmes abstraits est en
réalité une dérive des travaux de Piaget, dont les professeurs d’ se sont largement
inspirés (Gréco, 1976). L’extrapolation de ces travaux pour des élèves bien plus âgés
sert à justifier la place de l’ à l’école, et métamorphose la discipline en
propédeutique de l’intelligence. L’ justifie alors d’autant mieux cette place, dans
une école qui lutte contre l’échec scolaire, échec dû à la difficulté d’élèves de plus en
plus nombreux à assimiler certaines notions abstraites. Par exemple, l’ouvrage et
mathématiques modernes à l’école primaire (Hachette) est publié en 1972. Il propose
des exercices physiques et des jeux permettant d’améliorer la perception de l’espace
et la latéralisation, pour favoriser l’assimilation des ensembles qui apparaissent avec
les mathématiques modernes.

La science va servir, d’autre part, à montrer que les méthodes utilisées ne sont pas 66

empiriques, mais rationnelles. Le sport véhiculant des valeurs d’amusement et de


délassement, l’ est à la recherche de références plus sérieuses. En 1975, un numéro
spécial de la revue Esprit révèle ce souci de la corporation de rationaliser la pratique
pour la légitimer scolairement. La « volonté d’abandonner une pédagogie livrée à
l’intuition, d’utiliser des méthodes et des concepts ayant fait preuve de leur efficacité,
l’espoir de mieux faire reconnaître une discipline dont l’insertion dans le système
scolaire peut paraître insatisfaisante » (Vigarello, 1975) sont affichés. Tandis que
Pierre Parlebas (1981) défendra l’idée d’une scientifique en construisant une
« science de l’action motrice ou praxéologie motrice », d’autres s’inquiètent déjà des
dérives intellectuelles. « Les pédagogues de la motricité s’inspirant de Piaget
proposent une quelque peu intellectualiste. (…) En fait, c’est l’intervention
pédagogique elle-même, qui devrait être soumise à la vigilance scientifique »
(Vigarello, 1975). Les travaux dans le domaine de la psychologie vont permettre
d’asseoir cette revendication d’une organisation pédagogique plus scientifique.

La psychologie va offrir alors un nouvel intérêt, en rendant secondaire l’apprentissage 67

d’une technique précise au profit des habiletés. La prise en compte des travaux en
psychologie du travail (Leplat, Palhous, 1976) à partir de l’école soviétique (comme
Alexei Léontiev, Lev Vygotski, Alexander Luria et Nina Talyzina) permet d’apporter
des connaissances sur les processus d’apprentissage moteur. Alors que le modèle de
Burrhus Skinner est soumis aux critiques dans les années 1960, la psychologie
soviétique offre un cadre nouveau, en se centrant sur l’activité du sujet. Elle apporte
les premiers éléments pour dénigrer l’enseignement technique. Par exemple,
Galpérine (1980) explique que la formulation de buts aide le sujet à former un plan

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0051 21/27
13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

d’action en dirigeant son attention sur certaines sources d’information. Les « bases
d’orientation » vont permettre de différencier les types d’apprentissage. Cette théorie
a éclairé plusieurs travaux en sports collectifs (Deleplace, 1979). Si les bases
d’orientation sont rationnelles, les joueurs élaborent des choix tactiques à partir de
décisions communes. Ce modèle permet de comprendre les transferts d’un ensemble
de tâches, mais surtout l’échec comme défaut dans le contenu de la base d’orientation
(Savoyant, 1979). Ainsi, les travaux en ergonomie vont permettre d’analyser l’activité
du sujet dans les tâches (Leplat, Pailhous, 1978), et de répondre au souci de la
corporation de développer une pédagogie plus scientifique, orientée vers un savoir
plus général.

Le développement de travaux concernant les neurosciences apporte des éclairages 68

importants au sujet de l’organisation motrice (Paillard, 1985). Les mouvements sont


pilotés par le système nerveux central et ajustés au niveau périphérique (Paillard,
1983). Concevoir l’organisme comme une machine bioinformatique va permettre de
comprendre que, si la motricité et la réflexion sont deux domaines différenciables,
l’une et l’autre mettent en jeu des apprentissages de même type et donnent lieu de la
même façon à des actions de pensée. Le comportement dit « intellectuel » ne se
différencie pas fondamentalement du comportement moteur. Activité mentale et
activité motrice sont toutes deux des activités neuronales (Changeux, 1983). Les
travaux des neurosciences permettent donc d’asseoir la discipline dans le rang des
matières favorisant la maturation du cerveau.

Les théories cognitives sont dominantes dans les années 1980, pour expliquer la 69

production de mouvements coordonnés. La psychologie cognitive développe une


conception de l’apprentissage centré sur le contrôle du mouvement (Adams, 1971 ;
Schmidt, 1980). Les différentes études montrent que les processus cognitifs sont
impliqués dans le contrôle des actions sensori-motrices et dans la phase initiale de
l’apprentissage. « Si le rôle des processus cognitifs (mémoire, anticipation, codage)
est bien identifié au niveau de l’établissement du projet moteur et dans le choix des
stratégies motrices, il est par contre ignoré ou contesté dans le contrôle de l’action
pendant son exécution » (Pailhous, 1983). Ces travaux ont impulsé des recherches
françaises dans le domaine du contrôle moteur (Requin, 1978). Ils ont servi à
développer en parallèle des prescriptions en matière d’enseignement. Les notions
d’habileté et de tâche seront largement diffusées au sein de la corporation (Famose,
1983). Les apports scientifiques agissent non seulement dans les discours
justificateurs de l’ , mais ils sont également prescriptifs par la psychopédagogie
(Arnaud, Broyer, 1985).

Les expérimentations dans le domaine de l’apprentissage de tâches motrices vont 70

servir également à développer des prescriptions en matière d’organisation


pédagogique. L’analyse des tâches d’anticipation-coïncidence (Ripoll, 1985) dégage
de nouveaux modes d’intervention pédagogique, comme l’introduction de variantes
pour simplifier ou complexifier la tâche. Par exemple, la diminution du nombre de
joueurs dans le jeu à effectif réduit trouve sa justification dans la saturation du
traitement de l’information chez le joueur débutant (Vankersschaver, 1980).
Différents travaux vont ensuite confronter des stratégies d’enseignement (Simonet,
1985). Ces connaissances apportent des éclairages sur la manière dont les enfants
apprennent. Cependant, leurs prescriptions sont remises en cause car les
expérimentations sont construites en laboratoire (avec un individu consentant) et ne
rendent pas compte de la complexité du terrain. Des travaux en Recherche-Action se
développent alors en parallèle pour tenter de se rapprocher de la réalité pédagogique.
Ils s’intéressent plus particulièrement aux manières dont les enseignants gèrent les
situations – par exemple, les situations d’évaluation (Marsenach, 1984). Enfin, les
travaux révèlent leurs propres limites dans l’explication de l’apprentissage des
habiletés. « L’observation de la conduite ne permet pas de conclure sur le mode de
formation de l’action » (Chatillon, 1985). Il existe différentes manières d’accéder à la
solution.

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0051 22/27
13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

Le modèle cognitif du contrôle du geste est aujourd’hui remis en cause par différents 71

modèles théoriques. « Une étude menée sur l’apprentissage des tâches cycliques
montre que l’acquisition d’une réponse nouvelle n’implique sans doute pas de
contrôle représentatif en cours d’action » (Cadopi, 1994). La nécessité d’un contrôle
conscient du mouvement se pose en danse (Bonnery, Cadopi, 1989).

Les théories écologiques s’opposent aux théories cognitivistes en montrant que les 72

processus mentaux ne sont pas nécessaires dans la réalisation d’une action motrice
(Gibson, 1979). Le comportement est issu d’une auto-adaptation de l’individu par
rapport à ses propres capacités à explorer l’environnement. Il y a une relation directe
entre le sujet et son environnement, et donc une économie cognitive du contrôle de la
motricité. L’environnement est perçu naturellement par le sujet en fonction
d’affordances (Warren, 1984), c’est-à-dire en fonction de ce que ses capacités
intrinsèques lui permettent de faire dans cet environnement. Apprendre à percevoir
l’invariant utile pour agir, c’est-à-dire développer des lois de contrôle (Bootsma,
2003), devient l’enjeu de l’apprentissage. L’enseignant peut optimiser ces stratégies
en aménageant l’espace de travail, afin d’orienter l’activité de l’élève vers les indices
et invariants les plus pertinents.

Les théories dynamiques remettent également en cause l’idée de programme moteur 73

en critiquant la notion de mémoire interne, qui serait capable de stocker des milliers
de . Pour Scott J. A. Kelso (1995), les régularités observées dans les patterns de
réponses ne sont pas inscrites dans des programmes moteurs. Elles émergent
naturellement de l’interaction complexe entre l’organisme et l’environnement
(Newell, 1986) sans qu’il y ait besoin d’une instance supérieure prescrivant et
planifiant le mouvement. Pour cette approche, le mouvement n’est pas
essentiellement piloté par le cerveau. La réponse motrice est le résultat d’une
coordination neuro-musculaire sans planification préalable. Apprendre, c’est donc
organiser autrement les degrés de liberté dans les patterns moteurs. Par exemple, un
débutant au volleyball a tendance à raidir son bras au service, alors qu’un expert
effectuera un fouetté du poignet en fin de geste (Temprado, Della Grasta, Farrel,
Laurent, 1997). Cela s’explique au travers de la théorie de « dégel des degrés de
libertés articulaires » de Nikolaï Bernstein (1997), qui permet de différencier les
étapes de l’apprentissage du débutant à l’expert. Pour cela, il s’agit d’apprendre à
explorer l’espace perceptivo-moteur de la tâche afin de faire émerger des solutions
motrices adaptées au problème rencontré.

Une nouvelle approche revendique son caractère scientifique : la didactique. 74

Développée dans le cadre des sciences de l’éducation, la didactique se présente


comme un modèle d’analyse scientifique de la démarche d’enseignement. C’est un
mode de réflexion qui se veut rationnel, imitant le modèle scientifique par
l’utilisation d’éclairages théoriques et de procédures méthodologiques issus des
sciences. Les travaux sur la didactique, comme les travaux concernant l’action située,
sont proches des savoirs professionnels car ils sont construits pour analyser la
situation dans son contexte. Pour autant, leur visée n’est pas de prescrire des
solutions pédagogiques. Il ne s’agit plus de transposer directement des théories
scientifiques, mais de comprendre la situation, pour agir sur et dans celle-ci. La
posture du chercheur n’est plus à l’extérieur de l’objet, elle fait partie intégrante de
l’objet d’étude. La démarche scientifique n’entretient plus de coupure
épistémologique entre le chercheur et son objet au sens où l’entendait Gaston
Bachelard (1938). Or, c’est sur cette rupture avec le sens commun, et cette
distanciation objective du chercheur avec son objet d’étude, que se sont bâties les
sciences traditionnelles. La reconnaissance du statut scientifique de ces
connaissances remet en cause la définition traditionnelle de la science qui s’appuie
sur la mise en évidence de lois universelles. L’universalisation du savoir est accusée
de « dérapage théoriste » (Geertz, 1986), le savoir scientifique actuel se construit
aussi localement. Il est contextualisé.

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13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

Ainsi, l’influence des théories scientifiques évolue dans le discours de la corporation. 75

Les théories servent dans un premier temps essentiellement à justifier la place de


l’ à l’école, en montrant l’intérêt du mouvement dans la construction intellectuelle
de l’élève. Elles participent à justifier le choix d’une orientation cognitive de la
discipline et à organiser son enseignement. L’arrivée de nouveaux modèles en
psychologie du contrôle perceptivo-moteur peut laisser supposer un nouveau regard
moins cognitif, porté sur la discipline. Mais peut-on parler d’une
« désintellectualisation » ? Les modèles scientifiques ne suffisent pas à expliquer
l’évolution des modèles pédagogiques et didactiques. Les enseignants s’appuient
également sur des modèles culturels et idéologiques pour construire leur
enseignement. La revendication scientifique des nouveaux travaux dans le domaine
de l’enseignement (que ce soit la didactique ou l’action située) est fondamentale dans
le processus de légitimation. C’est tout le paradoxe : la connaissance utile n’a pas,
pour l’instant, la valeur du savoir universel.

La formation initiale : entre regard scolaire et

universitaire

Pour Mahmoud Miliani (1994 a), « la décorticalisation, la décorporéisation, la 76

technologisation de l’enseignement et le pédantisme du vocabulaire utilisé seraient


liés à l’émergence des ». Ainsi, l’ « universitarisation » de la formation des
enseignants jouerait un rôle sur la complexification de la définition de la discipline.
Mais est-ce la seule raison ? Chantal Amade-Escot (1993) montre, en effet, que la
compétence professionnelle a changé du fait de la transformation des modalités de
recrutement. La compétence recherchée se transforme, passant du charisme à des
compétences organisationnelles, puis didactiques. La formation initiale, en devenant
universitaire, favorise la reconnaissance scolaire de la discipline, mais elle perd en
même temps sa spécificité professionnelle. Plus surprenant, en s’inscrivant dans le
secteur vaste des métiers du sport à l’Université, la formation va perdre également sa
spécificité sportive. Enfin, la mise en place des va conduire à recentrer la culture
sur une culture scolaire. Le profil des enseignants recherché offre des modèles
différents de la discipline.

Les années 1970 marquent une restructuration profonde de la formation des 77

enseignants par la disparition des anciennes formations professionnelles ( ,


et ) et la création d’un cursus universitaire en . La création des
remplaçant les en 1969, la reconversion des (le décret du 20
septembre 1984 met fin au recrutement des ) et de l’ (loi du 29 octobre 1975)
pour l’encadrement du secteur sportif marquent la rupture entre la formation des
enseignants d’ devenue universitaire ( , arrêté du 11 avril 1975 ; licence
, arrêté du 7 juillet 1977) et la formation de l’encadrement sportif. Répondant à
un besoin de reconnaissance et d’unification disciplinaire, les vont donc
devenir l’unique lieu de formation des enseignants à partir de 1983. Elles proposent
des contenus plus scientifiques et moins techniques que dans les . Le contenu
des épreuves au subit aussi des transformations (décret du 11 juin 1979) qui
tendent à aligner le aux autres . La formation s’intellectualise, car la part
prise par les savoirs théoriques et scientifiques devient plus importante. Mais, si la
culture du professeur d’ tend à s’intellectualiser, elle reste centrée sur l’ . Bien
que la formation porte un statut universitaire, elle est encore orientée vers le métier
de professeur d’ . Alors que le professorat est un débouché minime dans les autres
filières universitaires, les n’offrent guère que cette perspective professionnelle
au début des années 1980.

Dans les années 1980, le modèle universitaire se complète, de la maîtrise 78

(décret du 16 octobre 1981) au doctorat (loi du 26 janvier 1984). La reconnaissance


universitaire des est sanctionnée par la création de la 74e section du
(décret du 6 juin 1984). La recherche dans les se développe pour traiter non
seulement de l’ , mais aussi du sport, voire du mouvement humain. Elle constitue

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0051 24/27
13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

un ensemble conséquent de savoirs dans le domaine du sport. La transformation des


en en 1987 marque la distinction de l’ avec les autres filières de
formation dans le domaine sportif. Le sigle remplace le sigle . Ce
changement de dénomination va entériner une modification des perspectives des
, tant au niveau de l’enseignement que de la recherche. La recherche en
trouve refuge à l’ , avec les travaux de Jacqueline Marsenach et de Robert
Mérand. Elle se développe aussi à travers la Recherche-Action soutenue par la
formation continue qui promulgue une recherche plus proche de la réalité du terrain
que des situations de laboratoire décontextualisées. L’entrée dans une diversification
des enseignements et des débouchés est la conséquence des restrictions budgétaires
entreprises dès la fin des années 1970 (plan Soisson du 31 août 1978). Il faut alors
trouver de nouveaux débouchés pour les étudiants (Michon, 1989 b). La
diversification des métiers provient également de la séparation du ministère de la
Jeunesse et des Sports avec le ministère de l’Éducation nationale. Après 1981, les
métiers du sport et de l’ vont se distinguer. Les compétences du professeur d’ se
resserrent dans un contexte de développement des métiers du sport. L’élimination au
des bonifications pour titres sportifs, d’un stage dans une association sportive
et de l’option « 3 à 10 ans » marquent le recentrage du métier sur l’encadrement de
l’ dans le second degré (Vivier, 2000). Devenue universitaire, la formation des
enseignants est cependant complétée en 1986 par une année de formation
professionnelle ( ).

Enfin, la fin des années 1980 est marquée par la recherche d’une unité dans le 79

recrutement des enseignants. Pour faciliter cette unification statutaire et pour


répondre à une volonté de promotion par le mérite, de nombreux concours se
mettent en place comme l’agrégation externe (arrêté du 24 septembre 1982),
l’agrégation interne (arrêté du 12 septembre 1988), le interne (arrêté du 22
septembre 1989) puis le réservé (BO no 13 du 27 mars 1997). L’intégration
universitaire dans les années 1980 fait de l’ une simple filière d’enseignement et
de recherche, parmi un secteur sportif en expansion. La formation s’intellectualise
car la part des savoirs scientifiques devient plus importante par rapport à celles des
savoirs professionnels. La culture de l’enseignant devient plus générale, en s’ouvrant
vers plus de domaines scientifiques. Toutefois, la formation continue qui se
développe grâce aux concours internes offre un cadre institutionnel à la culture du
métier.

La création de l’ (arrêté du 30 avril 1991) vient compléter la formation 80

universitaire de deux années de professionnalisation après la licence. Cette


modification de la formation des enseignants va avoir un impact sur la
transformation de la discipline et des savoirs disciplinaires, et va faciliter le
rapprochement entre l’ et les autres disciplines. En effet, l’ regroupe les
formations de tous les enseignants et développe des enseignements communs. Mais,
surtout, le recrutement centré sur les savoirs théoriques va favoriser le recrutement
des individus les mieux dotés en compétences scolaires (ou les mieux adaptés à la
culture scolaire). Comme le souligne par exemple Louis Thomas (1996), « pour
devenir professeur d’ , il suffit de bien écrire ». En effet, le premier tour des
épreuves du concours compte trois épreuves écrites à partir de 1985. En réalité, ce
n’est pas tant la nature des épreuves que la sélection qu’elle opère, sélection amplifiée
par la diminution des postes au concours de 1985 à 1989, qui favorise les personnes
les plus proches de la culture scolaire. L’introduction d’enseignants plus
« intellectuels », c’est-à-dire dotés d’une culture générale plus importante, est la
conséquence d’une sélection scolaire dans un contexte économique plus difficile. Ces
nouveaux enseignants portent alors un regard scolaire, théorique et scientifique sur
l’ . La proximité sociale des futurs enseignants (Clément, Charles, 1999) et leur
formation au sein d’une institution commune favorisent une culture scolaire aux
dépens d’une culture spécifique. La scolarisation de la discipline est également visible
au niveau de la formation continue des enseignants. Inscrits au sein de la ,
puis de la , les formations proposées aux enseignants d’ s’orientent

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0051 25/27
13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire

également plus souvent sur des savoirs scolaires (gérer des publics difficiles,
construire un projet éducatif) que disciplinaires.

Ainsi, la formation des enseignants s’est d’abord universitarisée, puis scolarisée. Si 81

ces deux processus ont permis une meilleure reconnaissance de la discipline, ils ont,
dans le même temps, écarté l’ d’une culture spécifique du métier. Mais, plus
encore, la transformation des institutions de formation a introduit des personnes aux
compétences professionnelles différentes (différence entre et ), mais
surtout aux propriétés sociales distinctes (plus scolaires ou plus sportives). En effet,
les institutions de formation (Marsault, 2004 b) et les épreuves de concours (Amade-
Escot, 1993) sélectionnent différemment les individus. La compétence
professionnelle a une part sociale reconnue dans les concours de recrutement qui
s’opère par la cooptation (Chapoulie, Merllié, 1975). Les représentations sociales de
l’enseignant fonctionnent comme un filtre qui donne du sens à son action
pédagogique ultérieure (Demailly, 1985) et tend à redéfinir son métier (Muel-
Dreyfus, 1983). Ainsi, la définition des savoirs de l’enseignant joue sur la construction
sociale de la réalité pédagogique (Perrenoud, 1994). Le contexte économique et
politique va ensuite amplifier les différences. L’ouverture ou la fermeture du nombre
de postes aux concours joue sur les caractéristiques sociales et culturelles des
entrants (Marsault, 1992). Ainsi, l’histoire du recrutement des enseignants explique
les différences de rapport au savoir disciplinaire, selon les trajectoires sportives et
scolaires des enseignants. La diversité des conceptions actuelles semble s’expliquer
non seulement par la transformation du recrutement, mais aussi l’inexistence d’un
lieu unique de formation. En effet, la formation des enseignants est enserrée dans un
tissu institutionnel où différents partenaires sont impliqués : les services du rectorat,
les inspections pédagogiques, les , les et, depuis 2001, l’ . En outre, la
régionalisation des formations universitaires avec des pôles de compétences
différents et leur autonomie ne favoriseront pas non plus une homogénéité de la
formation des enseignants et de leur culture.

Savoirs scolaires ou savoirs disciplinaires ?

Si la mise en forme scolaire s’explique particulièrement dans les années 1980 pour 82

des raisons d’intégration disciplinaire, elle quitte cependant les normes scolastiques
pour des normes scientifiques, révélant ainsi l’évolution des formes de légitimité
scolaire glissant d’une culture humaniste vers une culture scientifique. Ce n’est donc
pas seulement l’ , mais l’ensemble des disciplines scolaires qui puisent, dans les
modèles de rationalité scientifique, leur mode de justification. La reconnaissance des
savoirs scientifiques comme modèle de savoir légitime se fixe d’autant mieux dans la
culture professionnelle des enseignants d’ que leur formation devient
universitaire. Ainsi, tout se passe comme si la formation universitaire consacrait
définitivement la légitimité des modèles de rationalité scientifique comme modèles
de pensée scolastique.

La science n’est pas seulement un instrument de pensée dominant car légitime, elle 83

devient également un instrument de légitimation du pouvoir au sein de la


corporation. Ainsi, les sciences ne servent pas tant à éclairer la pratique qu’à
légitimer une position de l’ à l’école, qui représente aujourd’hui celle d’une
certaine fraction sociale mieux pourvue en capital scolaire et plus proche de ses
homologues des autres disciplines du fait de la similitude des formations. Cependant,
les modèles scientifiques servent peu dans le quotidien des enseignants. Ils
interviennent surtout dans les discours officiels et au moment du recrutement pour
apporter une légitimité aux conceptions défendues. C’est pourquoi les changements
théoriques touchent finalement peu les enseignants après leur entrée dans la
profession.

[1] La terminologie en sciences de l’éducation différencie savoir et connaissance. Or les textes officiels

comme de nombreux auteurs les confondent. Nous en ferons de même.

https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=PUF_MARSA_2009_01_0051 26/27
13/11/2018 2. L'intellectualisation : l'enjeu scientifique comme modèle scolaire
[2] Même si les connaissances apportées verbalement par l’enseignant, notamment sur les règlements

sportifs, ne sont pas évaluées, cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas dans les leçons d’EPS.

[3] L’enseignant dispose de grilles, de tableaux, de vidéos ou d’outils informatiques pour lui renvoyer des

informations et décider de la gestion de sa pratique. Cet outillage a finalement toujours la même

fonction, celle de justifier sa démarche par des outils technologiques et scientifiques à la pointe de la

modernité.

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