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FERENC SZILAGYI

SOUVENIRS HISTORIQUES
De la préhistoire jusqu’à la fin du XXe siècle
ISBN : 978-2-9549169-1-0

© Ferenc Szilagyi, 2014.


Tous droits reserves.
PRÉAMBULE

Élèves pour la première année au lycée, nous attendions avec anxiété le


premier cours d’histoire. En effet, cette matière ennuyeuse pour la plupart des
élèves, nécessitant peu de réflexion logique, mais beaucoup de mémoire pure,
ne nous intéressait guère.
Enfin, notre prof d’histoire entra et nous demanda en souriant : « Que
préférez-vous, mes enfants, que j’enseigne ou que je raconte l’histoire ? »
Nous répondîmes sans hésiter : « Racontez. »
Et il raconta, il raconta, et nous l’écoutâmes, bouche bée, comme si nous
assistions aux évènements, en retenant les moindres détails, y compris les
dates.
Plus de soixante années plus tard, je m’en souviens encore, comme si
c’était hier.

Sans se noyer dans les détails, l’histoire faisant partie de la culture


générale, bien présentée, peut devenir passionnante, même pour les plus
réfractaires. Les plus mordus peuvent ensuite chercher dans les livres
spécialisés les détails qui les intéressent.

Il n’y a pas de peuple sans passé. Il faut donc connaître l’histoire, car
elle est notre passé, indispensable pour notre présent et même pour notre
futur. En effet, l’histoire se répète et si nous connaissions bien les erreurs
dramatiques du passé, nous pourrions les éviter dans l’avenir.

***

Dans ce livre d’initiation, je parcours l’histoire de l’humanité depuis la


préhistoire jusqu’à la fin du XXe siècle, afin de donner quelques notions des
évènements les plus importants. Je la raconte comme si j’y étais présent, pour
la rendre plus accessible et plus facile à suivre. Le choix des évènements
décrits est tout à fait personnel, mais suffisamment vaste pour une bonne
initiation.
L’intérêt principal de ma présentation est son objectivité et sa neutralité.
J’ai fait très attention à rester le plus près possible de la réalité (si c’est
possible !), en vérifiant plusieurs sources pour chaque évènement présenté.
Dans certains cas, lorsque mes sources ne me permettaient pas de bien
choisir, je présente les « pour et contre », laissant les lecteurs se faire une
opinion.

Compte tenu de mon origine, je profite de cette présentation pour faire


connaître parallèlement l’histoire du peuple hongrois aussi, peu et mal
connue, même par les Hongrois, influencés par leurs historiens, souvent
tendancieux, qui n’arrivent pas à s’entendre entre eux. Ainsi, je la situe
chronologiquement dans l’histoire des autres peuples en la développant un
peu plus largement, surtout, à partir du Moyen Âge.
Je trouvais injuste que l’histoire des Hongrois reste si peu connue. On les
considère comme une curiosité émergeant brusquement de l’histoire, sans
origine, sans passé, comme s’ils n’existaient que depuis l’âge du bronze, et
encore !
C’est un peuple étrange, fier et prétentieux, dont on ne peut dire que du
mal ou du bien. On ne peut pas rester indifférent avec eux. Cependant, je ne
peux pas comprendre leur fierté. Dans leur histoire, il n’y a que très peu de
grandeur et encore moins de souvenirs culturels. Ils étaient rarement grands et
puissants, mais ils n’ont jamais accepté la servitude. Ils survécurent à toutes
les épreuves et s’en sortirent souvent plus grands. Ils se révoltaient contre
tout. Ils exigeaient haut et fort leurs droits, mais en même temps, ils
partageaient généreusement tout, avec tout le monde. C’est peut-être le seul
peuple avec lequel peuvent vivre en toute égalité tous les peuples honnêtes et
pacifiques, persécutés ou sans patrie.
TABLE DES MATIÈRES

PRÉAMBULE

LA PRÉHISTOIRE

Souvenirs africains
Adieu Afrique
La grande migration
Quelque part en Europe
Conséquences de la grande migration
Structure sociale
Évolution de la couleur de la peau
Diversification des langues

TEMPS HISTORIQUES – L’ANTIQUITÉ I

Mésopotamie-Ninive
Palestine-Jéricho
L’Égypte
Les îles de la mer Égée
La Crète
Les Cyclades
Thera (Santorin)
Naxos
Délos
Retour en Europe orientale
Les « Hongrois » retrouvés
Retour vers le Sud
La nouvelle Mésopotamie
Suse, capitale de l’Élam
Vallée de l’Indus, Mohenjo-Daro
La Chine
Samarcande
Le premier pays des Hongrois
Évènements des civilisations occidentales
Babylone
Le Nouvel Empire égyptien
Thèbes
La Nubie
La Palestine
Les premières civilisations américaines
Le temps des grands philosophes
Les grands pays de l’Asie
Les Scythes
La chute de l’Empire assyrien
L’Empire des Mèdes
La nouvelle Babylone
La naissance de l’Empire perse
Magna Hungaria
Les curiosités de l’Europe du Sud
Les origines de la culture grecque
Les origines de la culture romaine
Les conquérants celtes
La naissance d’un grand empire
L’empire d’Alexandre le Grand
Alexandrie et la dynastie Ptolémée
Les guerres puniques
Le Premier Empire chinois
La dynastie Han
L’Empire romain

L’ANTIQUITÉ II
À la recherche de Jésus
Les conséquences de ces évènements
L’établissement de la chrétienté dans l’Empire romain
Les prophètes, fondateurs de l’Église
L’âge d’or et la chute de l’Empire romain
L’empire des Parthes
La migration des barbares
Les envahisseurs huns
La culture des Indiens d’Amérique centrale
Épilogue
Analyse des civilisations antiques et du monothéisme
L’Atlantide, mythe ou réalité
Le regroupement des Hongrois dispersés
Questions sans réponse

LE MOYEN ÂGE

Introduction
L’origine de l’islam
Mahomet, fondateur de l’islam
La propagation de l’islam
L’empire des Khazars
Le royaume des Avars
Charlemagne
L’Empire byzantin
L’histoire des Hongrois
« Dieu des Hongrois »
Les métiers des Hongrois
La naissance de la nation hongroise
La conquête de la Hongrie
Fondation de l’État
Le temps des incursions
La maison royale Árpád
La sainte couronne, couronne de la Hongrie
Le roi saint István (Étienne)
Analyse des évènements
Le monde musulman
Les civilisations de l’Asie du Sud-Est
Les guerres de succession de la Hongrie
Saint László (Ladislas)
Le royaume de Hongrie durant les croisades
À la recherche des Hongrois de l’Est
Les voyages du frère Julianus
Les conséquences des voyages du frère Julianus
Béla IV, le nouveau fondateur de la Hongrie
L’invasion des Mongols et ses conséquences
La fin de la maison royale Árpád
Le temps des croisades
L’ordre des hospitaliers
L’ordre des templiers
L’ordre teutonique
Les hérétiques et l’Inquisition
Guillemette de Bohême
Les empires mongols
La fin de la domination mongole
Les origines de l’Empire ottoman
Les rois issus de mariages des filles de la maison Árpád
Les rois Anjou de Hongrie, issus de la famille Árpád
Károly Ier Robert
Lajos Ier le Grand
L’empereur Zsigmond
Les nouveaux rois de Hongrie
Mátyás Ier
Les grands royaumes européens du Moyen Âge
L’Angleterre
La France
La dynastie des rois capétiens
Les Capétiens directs
Les Capétiens-Valois
Les Capétiens-Valois-Orléans
La Pologne
L’Espagne
Les rois catholiques
La conquête de l’Amérique
L’empire inca
L’empire aztèque
Les conclusions concernant le Moyen Âge

L’ÈRE DE LA RENAISSANCE

Les conséquences indirectes de la Renaissance

L’ÉPOQUE MODERNE

Grands royaumes européens de l’époque moderne


L’Angleterre
La France
Les Capétiens-Valois-Angoulême
Les rois Bourbon
La Première République française
L’Empire de France
La Deuxième République française
Le Second Empire
La Troisième République française
La Pologne
L’Allemagne
La Russie
L’Espagne
La colonisation de l’Amérique
La Hongrie
Ulászlo II et la révolte des paysans
Lajos II et la défaite de Mohács
Jean Zápolya et les conséquences de la bataille de Mohács
La Hongrie déchirée en trois parties
Les temps troubles de la Hongrie
Le règne des Habsbourg en Hongrie
1848-49, révolution et guerre d’indépendance hongroise
La Monarchie d’Autriche-Hongrie
La nouvelle Hongrie
Les États-Unis d’Amérique
La guerre d’Indépendance américaine
La constitution des États-Unis d’Amérique
La fondation des États-Unis d’Amérique
La guerre de Sécession
Le développement rapide des États-Unis d’Amérique
Les conclusions de l’époque moderne

LE MAGNIFIQUE ET L’ÉPOUVANTABLE
XXE SIÈCLE

Les grandes puissances européennes au début du XXe siècle


L’Empire ottoman
L’Empire allemand
La monarchie d’Autriche-Hongrie
Le Royaume-Uni
L’Empire russe
La République française
La Première Guerre mondiale
Les conséquences de la Première Guerre mondiale
Les révolutions russes
La grande révolution d’Octobre
Le sort des perdants de la guerre
La République allemande (de Weimar)
La République d’Autriche
La République de Hongrie
Le traité de Trianon (dictat)
Les temps d’après-guerre
La fondation de l’Union soviétique
Les évènements politiques des années d’après-guerre
Sciences et technologie
Arts et littérature
Les années 1930
La dictature prolétarienne de l’Union soviétique
Les guerres internes en Chine
La grande crise économique et ses conséquences
L’Europe durant la crise économique
La dictature de l’Allemagne nazie
L’Italie fasciste
La guerre civile en Espagne
La Deuxième Guerre mondiale
Les atrocités de la guerre
Les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale
Le monde découpé
La situation des pays de l’Ouest
Les États-Unis d’Amérique
La Grande-Bretagne
La France
L’Italie
La République fédérale allemande
La situation des pays de l’Est
L’Union soviétique
La République démocratique allemande
La République populaire de Hongrie
La République fédérale yougoslave
La République populaire de Chine
Les années de la relance économique
Les évènements politiques importants
Les principaux résultats de la recherche scientifique
La conquête de l’espace
Progrès scientifiques et technologiques
Le dernier quart du siècle
Les mouvements islamistes
La chute des régimes communistes
La nouvelle Chine
Nouvelles orientations
La protection de l’environnement
La protection de la santé
L’informatique
Les sources modernes d’énergie propre
Les évènements de la fin du siècle
Commentaires sur la situation générale à la fin du XXe siècle
ÉPILOGUE
LA PRÉHISTOIRE

SOUVENIRS AFRICAINS

Nous eûmes enfin le courage de descendre de l’arbre.


Durant des millions d’années, nous y cohabitions avec nos cousins
proches, les « singes ».
Darwin osa prétendre que nous descendons des singes, mais c’est un
mensonge honteux. La vérité est que nous avons les mêmes ancêtres
lointains, qui vivaient heureux dans les arbres des jungles africaines, dans les
régions du Kenya. Je pourrais commencer notre histoire beaucoup plus tôt, il
y a plusieurs dizaines de millions d’années, mais à cette époque, nos ancêtres
simiens n’étaient que de petits animaux très primitifs. On ne sait même pas
s’ils vivaient en Asie avant de migrer en Afrique ou s’ils se sont développés
directement en Afrique.
Comme je ne veux parler que des certitudes, je commence donc notre
histoire il y a dix millions d’années, lorsque nous sautillions encore dans les
arbres, sans souci, avec d’autres animaux.

Le premier malheur nous arriva il y a environ huit millions d’années. Une


crise tectonique créa une déformation de l’écorce terrestre en deux
mouvements : un effondrement en vallée et un soulèvement de la partie
occidentale de celle-ci, déchirant en quelque sorte l’Afrique, du nord, depuis
la vallée du Jourdain, jusqu’au sud, dans sa partie orientale. À cette époque,
la mer Rouge n’existait pas encore et l’Arabie faisait partie du continent
africain. Gouffre et muraille perturbèrent certainement la circulation des
masses d’air, provoquant un déséquilibre climatique entre est (sec) et ouest
(tropical). Cette énorme fracture, appelée vallée du Rift, sépara le continent et
notre famille en deux. On nous parlait encore souvent des cousins
occidentaux du Rift, dont nous étions sans nouvelles.

Bien plus tard, il y a plus de six millions d’années, nous eûmes la chance
d’avoir comme chef un humanoïde exceptionnel, appelé Millenium
Ancestor. Il était très sage, beau et fier. Les femmes le regardaient avec envie
et admiration, et les hommes avec respect. Comme il était juste et conscient
de sa supériorité, il honorait régulièrement toutes les femmes de la tribu,
qu’elles fussent belles ou laides. Toutes les femmes avaient droit à ses
faveurs et d’estimer sa puissance. Mais aucun homme n’était jaloux de lui.
C’était le droit du plus fort, la loi de la nature et de la jungle. S’il profitait de
cette loi, il le faisait discrètement. Il copulait toujours caché sous les arbres, à
l’écart des yeux curieux et pervers, pas comme les jeunes mâles qui en
faisaient une véritable démonstration publique pour se valoriser.
Pour montrer sa supériorité, il se tenait déjà souvent debout sur deux pattes
et nous traitait de « singes », à cause de notre paresse et de notre tendance à
nous pencher toujours en avant. Il répétait sans cesse qu’il faut avoir de
l’ambition et tenir la tête haute pour regarder vers l’avenir. Le monde
appartient aux courageux et aux curieux qui ne se contentent pas du petit
confort et du repas quotidien. Sans effort, il n’y a pas d’avenir ! Sans lui,
nous mangerions encore de la banane avec des singes dans les arbres.
Suivant les conseils de Millenium Ancestor, les descendants de nos
ancêtres orientaux de la vallée du Rift se divisèrent en deux groupes distincts
qui cohabitèrent encore, mais évoluèrent tout à fait différemment durant les
millions d’années suivantes. Il est difficile d’expliquer pourquoi, mais il dut
se passer une sorte d’accident grave provoquant la dégénérescence ou le
blocage de l’évolution des descendants de l’une des deux branches, appelés
les Ardipithecus Ramidus ou « singes ». Ils ne se développaient que
physiquement, avec peu de cervelle. Je dois rappeler que leurs lointains
ancêtres, complexés et furieux de la décision « raciste » de Millenium
Ancestor, se vengèrent en le jetant de l’arbre lors d’un moment d’inattention,
durant sa sieste sacrée, juste devant la gueule d’un prédateur affamé qui n’en
fit qu’une bouchée, au grand désespoir de nos ancêtres qui le vénéraient. Ils
ramassèrent ses ossements et les cachèrent dans une grotte. Ils ne furent
retrouvés que six millions d’années plus tard. C’est lui notre plus ancien
ancêtre connu.
Nous connaissons aussi, depuis peu de temps, d’autres ancêtres, mais
beaucoup plus « jeunes ».
Certains anthropologues disent le contraire. Ils pensent que c’est plutôt
l’évolution étonnante et anormale de la race humaine dans un univers animal
que l’on doit considérer comme un accident génétique.
Les membres de l’autre branche, les Australopithecus, ancêtres des
« hommes », dont nous faisions partie, se développaient normalement. Le
poids de leur cervelle augmentait considérablement et ils devinrent beaucoup
plus intelligents que leurs cousins primitifs. Dans ces conditions, et surtout
depuis l’assassinat de Millenium Ancestor, il était difficilement imaginable,
voire impossible, de continuer à vivre ensemble. La situation devenait très
tendue entre les deux groupes. Les enfants jouaient encore ensemble et
singeaient les singes. Nos pauvres parents s’arrachaient les poils du crâne de
désespoir, car ils n’ignoraient pas la mauvaise influence des singes sur nous.

Cette situation ne pouvait plus durer. Le conseil des sages se réunit et


décida de couper toute relation avec les singes. Il était temps, car ils étaient
vraiment très primitifs et, durant notre cohabitation de plusieurs millions
d’années, nous avions très peu évolué. Il fallait donc choisir. Rester dans les
arbres avec les singes et vivre comme eux ou en descendre, vers des
aventures inconnues ! La première solution offrait le confort et la sécurité, car
cachés dans les branches nous aurions pu vivre sans souci, mais nous étions
attirés par les aventures inconnues. Et aujourd’hui, plus de cinq millions
d’années plus tard, nous savons que nous avons bien choisi.

En réalité, je dois avouer modestement que notre décision de descendre des


arbres n’était pas seulement un acte de fierté, mais aussi une nécessité
absolue de survivre. En effet, depuis l’apparition du grand Rift, avec
l’assèchement progressif du climat, la végétation devenait de plus en plus
aride et les arbres de plus en plus rares. Notre seul mérite n’était donc que
notre grande faculté d’adaptation aux nouvelles conditions de vie. Étant
relativement petits (nous mesurions moins de 140 cm) et surtout à quatre
pattes, nous ne voyions presque rien dans les herbes hautes de la savane. Il
fallait se dresser debout pour pouvoir observer les environs avec ses dangers
qui nous guettaient. Puis, petit à petit, nous essayâmes de marcher sur deux
pattes, pour rester en alerte permanente.

Naturellement, notre nouvelle vie avait beaucoup d’inconvénients aussi,


sans parler des dangers qui nous guettaient derrière chaque arbre. En bas, par
terre, nous ne pouvions pas sautiller à quatre pattes, sans danger, comme dans
les arbres, bien que tous les animaux y vivent ainsi. Mais nous étions fiers et
nous aurions eu honte d’imiter ces animaux, après les singes. Ainsi, nous
décidâmes de nous mettre définitivement sur deux pattes, comme notre
ancêtre Millenium Ancestor. C’était très difficile au début. Nous manquions
d’équilibre et tombions souvent sur la figure, mais en persistant, petit à petit,
nous réussîmes à tenir debout et à marcher sur deux pattes. Deux à trois
millions d’années plus tard, nous courions déjà aussi vite sur deux pattes que
les animaux à quatre pattes. Nous étions très fiers du résultat. Nos mains
furent libérées et devinrent de plus en plus habiles.

Nos lointains cousins, les singes, nous épiaient des arbres avec curiosité et
envie. Souvent, ils nous bombardaient avec toutes sortes de fruits qu’ils
trouvaient à portée de « main ». Quelquefois, ils nous jetaient même des noix
de coco sur la tête et cela nous faisait très mal. Furieux, nous organisions des
expéditions punitives contre eux et les chassions à jets de pierre. Ils
s’enfuyaient en hurlant. Quelquefois, un singe touché tombait de l’arbre.
C’est ainsi que nous découvrîmes notre arme à lancer. C’était très pratique,
car nous pouvions l’utiliser tout en courant. Nous devînmes redoutables. Il
fallait bien, car la vie était très dure sur la terre. Beaucoup d’animaux qui y
vivaient étaient féroces, armés d’énormes dents et de griffes. C’étaient de
gros carnivores et ils chassaient tout le temps pour se nourrir. Avec notre
petit gabarit et nos petites dents, sans armes, nous ne pouvions rien faire
contre eux.
Tant que nous vivions dans les arbres, nous ne mangions que des fruits et
des plantes, mais une fois par terre, nous goûtâmes à la chaire des animaux
tués. Et c’était vraiment bon. Avec l’expérience, nous découvrîmes qu’elle
nous nourrissait bien et nous donnait beaucoup plus de force que les
végétaux. De plus, nous ne passions plus tout notre temps à ramasser des
fruits et des plantes. Après une bonne chasse, nous avions de la viande pour
plusieurs jours. Nous devînmes donc omnivores. Au début, nous trouvions un
peu durs certains morceaux, mais avec le temps, nos dents devinrent fortes et
déchiquetaient tout.
Notre existence sur deux pattes nous libéra les mains et la consommation
de la viande nous donna de la force et du temps. Que fallait-il de plus pour
réussir dans la vie ? Nous ne pensions plus qu’à inventer des nouveautés.
Nous avons aussi le souvenir d’un de nos ancêtres de cette époque, appelé
Ardipithecus kadabba (le Grand Ancêtre), qui vivait en Éthiopie il y a 5
millions d’années. Il se distinguait très nettement des singes par ses grosses
dents. Il marchait sur deux pattes, tout en grimpant encore dans les arbres. On
peut dire qu’il était aussi l’un des premiers « hominidés » connus. Toutefois,
les dernières recherches viennent de montrer que Toumaî, notre plus ancien
ancêtre, vivait déjà il y a plus de 7 millions d’années dans les régions du
Tchad !

Nous sentions aussi le changement progressif du climat. La jungle sauvage


était remplacée petit à petit par des forêts paisibles et par des savanes, à
l’endroit où nous vivions. Mais plus à l’est, en Éthiopie, la terre devenait déjà
désertique. C’était là que vécut Lucy, notre cousine lointaine. C’était une
petite bonne femme très primitive, maladive, au dos courbé. Nous l’appelions
« pauvre petit singe ». Elle mourut jeune, âgée d’une vingtaine d’années.
Pourtant, elle reste mondialement connue. Je parle d’elle, car trois millions
d’années plus tard, les chercheurs ont retrouvé ses ossements relativement
bien conservés, probablement à cause du climat sec, optimal pour la
conservation. Comme on ne découvrit qu’elle, on déclara tout de suite qu’elle
était la mère de l’humanité. Quelle plaisanterie ! Elle n’avait même pas eu
d’enfant ! Les gens cherchent toujours leur origine et leur appartenance, et
lorsqu’ils ne trouvent rien, ils inventent des bêtises et ils y tiennent. Je
rappelle que les monothéistes enseignent avec fermeté (n’ayant pas trouvé
d’autre explication) qu’une dénommée Ève fut la mère de l’humanité il y a
environ 7 000 ans, 3 millions d’années après Lucy !

Comme j’ai parlé de Lucy, je dois aussi parler d’autres évènements.


Quelques centaines de milliers d’années avant Lucy, nous reçûmes des
nouvelles de nos lointains cousins, du côté occidental de la vallée du Rift. Ils
évoluaient plus lentement que nous, à cause des conditions climatiques très
différentes des nôtres. Ils vécurent très longtemps dans les arbres, sans
pouvoir en descendre, car il n’existait que de la jungle tout autour d’eux.
Nous apprîmes ainsi l’existence de notre cousin Abel, qui vivait parmi eux
(ne pas confondre avec Abel de la Bible !). Comme il vécut avant Lucy,
certains prétendent qu’il est le père de l’humanité.

Mais reprenons notre histoire. Je disais que nous avions tout pour avancer
à grands pas dans notre évolution. Bien entendu, le confort nous était
indispensable. Et nous l’avions.
Au début, nous déchiquetions les animaux tués, mais souvent c’était très
difficile, surtout lorsqu’ils étaient grands. Leur peau était très dure. Faute de
dents et de griffes acérées, il nous fallait des outils tranchants pour les
déchiqueter. Nous trouvâmes des fragments de pierre tranchants. Plus tard,
nous découvrîmes que l’on pouvait aussi les fabriquer en cassant certaines
pierres lisses. Eurêka ! Nous avions découvert la fabrication des couteaux !
Nous avions aussi des massues, avec lesquelles nous pouvions abattre, par
surprise, certains animaux.

Malheureusement, l’être humain est mauvais. Parmi nous, il y en avait


beaucoup qui, après la chasse collective, repoussaient à coups de bâton les
plus faibles. D’autres les défendaient. De grandes bagarres éclataient entre les
hommes et les vaincus étaient obligés de quitter la tribu. Ainsi, après les
groupes familiaux, se formèrent des clans et des tribus ennemies.

Comme aujourd’hui, déjà en ces temps, c’était la science des armes le


moteur des découvertes. Pour survivre, il fallait être plus fort que nos
ennemis et il fallait avoir des armes de plus en plus modernes. Beaucoup plus
tard, nous attachâmes même des pierres tranchantes sur nos massues, les
transformant ainsi en haches, armes redoutables dans les combats au corps à
corps. De même, une pierre pointue attachée au bout d’un long bâton devint
une arme piquante à lancer.
Ces armes étaient miraculeuses pour la chasse, mais malheureusement,
nous les utilisions aussi souvent pour nos guerres.

La fabrication de ces nouveaux outils était un très grand pas dans notre
histoire. C’est ainsi que nous, simples Australopithecus, nous devînmes
Australopithecus habilis ou plus exactement Homo habilis, puisque nous
avions dorénavant droit à l’appellation homo ou « homme ». En effet, la vraie
caractéristique de l’homme est bien la guerre moderne. Les animaux tuent par
nécessité, pour se nourrir, alors que l’homme tue par plaisir pervers !
Il faut rappeler pour information que, parallèlement aux Homo habilis, il se
développa une autre race humaine moins évoluée, appelée Australopithecus
robustus, qui était beaucoup plus primitive et qui s’est éteinte depuis
longtemps. Ces « hommes » étaient relativement petits, avec des bras longs et
le front plat, laissant peu de place pour le cerveau.
Le climat devenait de plus en plus sec et la nourriture de plus en plus rare.
Je ne sais pas si c’est vrai, mais certains disaient que c’était la punition du
Ciel !
Dans les savanes desséchées, les animaux devinrent rares et nous restâmes
souvent sans nourriture, sans parler de la cueillette, devenue pratiquement
impossible. Comme quelques millions d’années plus tôt, nous devions
prendre une grande décision : rester et mourir de faim ou tenter notre chance
ailleurs. Oui, mais où ? Existait-il un monde ailleurs aussi ? Il fallait le voir.
Nous décidâmes donc de partir à la recherche d’un Nouveau Monde meilleur.
Coincés entre l’océan et la vallée du Rift, nous ne pouvions aller que vers le
sud ou vers le nord. Un petit groupe choisit le sud, mais la grande majorité
préféra le nord. Nous nous séparâmes donc à jamais.
Le nom Homo habilis était la qualification de tous les hominidés
fabriquant des outils. L’homme qui partit vers le nord, plusieurs centaines de
milliers d’années plus tard, s’appelait Homo ergaster. Il était infatigable pour
les longues marches et il parcourut plusieurs centaines, voire milliers de
kilomètres, poursuivi par la sécheresse.

ADIEU AFRIQUE

Il existe deux hypothèses concernant notre migration. Selon la première,


nos ancêtres restèrent très longtemps en Afrique, jusqu’à leur évolution en
Homo sapiens. Selon l’autre hypothèse, plus logique et vérifiée
(Y. Coppens), ce n’est pas l’Homo sapiens mais l’Homo habilis ou l’Homo
ergaster qui quittèrent l’Afrique, beaucoup plus tôt. Cela veut dire que nous
avons quitté l’Afrique il y a près de 3 millions d’années, et pas 200 000,
comme aurait fait l’Homo sapiens !
Certains chercheurs envisagent une troisième hypothèse selon laquelle la
migration n’était pas nécessaire, puisque l’homme serait apparu en Asie et
même en Europe, en même temps qu’en Afrique. Mais cette hypothèse n’a
pas de preuve scientifique. Il est donc préférable de rester à notre origine
africaine.

***
Nous avancions très vite au début, car le climat sec persistait sur notre
trajet et nous ne trouvions guère plus de nourriture que dans notre pays
d’origine. Cependant, le long du fleuve Nil, nous découvrîmes des paysages
luxuriants et une fraction de notre groupe décida d’y rester. Toutefois, la
grande majorité pensait que, plus loin, le monde serait encore meilleur. Et
c’est ainsi que, plus lentement, nous poursuivîmes notre chemin. Quelques
centaines de milliers d’années plus tard, nous arrivâmes enfin dans notre
paradis terrestre, au Proche-Orient, au sud-est de l’Asie Mineure actuelle.

Les étapes de peuplement de la terre

Je dois parler encore des monothéistes, selon lesquels s’y trouvait jadis
l’Éden biblique, c’est-à-dire le paradis terrestre où vécurent Adam et Ève, les
premiers hommes créés par Dieu. Leur histoire, ainsi que celle de l’humanité,
fut décrite durant 2 000 ans dans un livre appelé Bible. Selon la Bible, Dieu
créa le monde et l’humanité, avec Adam et Ève, plus de 5 000 ans avant notre
ère, donc il y a environ 7 000 ans. Adam et Ève furent chassés ensuite de
l’Éden à cause de leur péché originel (soi-disant parce qu’ils goûtèrent au
fruit de la connaissance de l’arbre interdit, mais comme le Dieu biblique était
très pudique, on pourrait penser plutôt qu’il les chassa après les avoir surpris
en train de forniquer en cachette dans les buissons). Puis, leur fils Caïn,
jaloux de son frère Abel, dont le sacrifice plut plus à Dieu que le sien, le tua.
Malgré toutes les punitions infligées, les hommes devinrent de plus en plus
méchants. Un jour, Dieu en eut assez et décida d’effacer l’homme de la terre
par un déluge, excepté Noé et sa famille. Il donna l’ordre à Noé de construire
un immense vaisseau (l’arche de Noé) pour y mettre à l’abri sa famille et un
couple de chaque espèce d’animaux. Dès que le vaisseau fut terminé, un
orage éclata et une pluie diluvienne tomba sur la terre durant quarante jours et
quarante nuits, après lesquels la terre entière fut recouverte d’eau. Puis la
pluie s’arrêta et l’eau commença à baisser. L’arche de Noé resta accrochée au
sommet du mont Ararat, au nord de l’ancien Éden biblique. C’est d’ici que la
descendance de Noé repartit. Cette punition ne servit à rien. En effet, la terre
était encore humide lorsque les péchés recommencèrent.
La récolte du raisin fut si abondante dans le jardin de Noé qu’il ne pouvait
pas tout manger. Il en fit donc du vin qu’il trouvait agréable à boire. Il se
soûla et s’endormit dénudé. Son deuxième fils, Cham, le vit ainsi et appela
ses frères. Sem et Japhet le couvrirent en détournant leurs yeux. Lorsque Noé
se réveilla, il maudit Cham et tous ses descendants à cause de son manque de
respect. Le pauvre Dieu dut constater les péchés des nouvelles générations,
après le déluge. Il dut recommencer les punitions, mais sans résultat.
L’homme est pécheur par définition. Mais il reste encore l’ultime punition,
l’Apocalypse, la fin du monde !
La Bible est pleine de punitions. Dieu aurait mieux fait de créer un homme
meilleur, puisqu’il le créa à son image ! Toutes les erreurs et contradictions
de la Bible sont pardonnables à ses rédacteurs. En effet, au commencement,
l’écriture n’existait pas encore et les épisodes de la Bible furent transmis de
bouche à oreille aux descendants. On peut retrouver également la plupart de
ces histoires, avec des noms différents, chez de nombreux peuples, dispersés
dans le monde entier.
Il existe cependant des documents écrits chez les Sumériens, chez les
Égyptiens et chez les Chinois, antérieurs à la rédaction de la Bible, mais ils ne
concernent que quelques épisodes de la vie quotidienne de l’époque.

Mais retournons à notre paradis terrestre de l’Asie Mineure actuelle où les


forêts luxuriantes, riches en gibier, nous assuraient une vie facile et agréable.
Malgré ces facilités, une partie importante de notre groupe continuait son
chemin vers l’est, sans même s’arrêter quelques milliers d’années, jusqu’à ce
que l’océan Pacifique les stoppât. Ils s’installèrent ensuite là, à l’Extrême-
Orient. Je ne sais pas si c’était à cause de leur regard fixé tout le temps vers
l’est, mais leurs yeux s’étaient allongés. Les mongoloïdes, Chinois, Japonais
et Mongols sont issus de ces peuples.

Nous étions très heureux dans notre paradis terrestre et la plupart d’entre
nous y resta plus de 2 millions d’années. Tout y était facile. Nous n’avions
pas à nous fatiguer à découvrir de nouveaux outils modernes. Je peux dire
que durant ces 2 millions d’années nous devînmes très paresseux. Nous
n’évoluions que physiquement.
Au bout d’un million d’années, notre corps se redressa tellement que nous
devînmes Homo erectus, mais qui valait à peine plus que Homo habilis.
Toutefois, c’était une évolution considérable pour les scientifiques, puisque la
taille de l’homme avait beaucoup augmenté (passant de 120-150 cm à 160-
180 cm) et le volume de son cerveau avait presque doublé (passant de 600-
800 cm3 à 850-1 250 cm3).
C’était une période sans histoire qui ne mérite même pas que l’on en parle.

Il fallut attendre encore un million d’années pour devenir enfin Homo


sapiens (homme savant). Ce n’était qu’une évolution lente, une sorte de
« promotion due à l’ancienneté », qui s’est déroulée, il y a 300 000 ans.
Toutefois, c’était une étape très importante dans notre histoire, car c’est à ce
moment-là que nous devînmes vraiment des « hommes » !
Nous subîmes quelques changements physiques, surtout au niveau de notre
tête. Notre front devint plus haut et plus droit. Notre cervelle grandit (environ
1 500 cm3), ainsi que notre intelligence.
L’Homo sapiens ne se contentait plus de son confort. Il était curieux. Il
avait besoin de trouver toujours quelque chose. Dès qu’il découvrait quelque
chose, il fallait qu’il le comprît et le valorisât. Il ne tenait plus en place. Il
avait de nouveau la bougeotte. Il partait dans toutes les directions de la terre.
Une nouvelle grande migration commença vers l’Europe occidentale et vers
l’Asie orientale.
Toutefois, une grande partie de la population restait encore sur place, trop
contente des facilités offertes par la nature. Nous modernisâmes nos outils et
nos armes. Nous attachâmes des pierres pointues et tranchantes, fabriquées
par nous-mêmes, sur des bâtons et sur des massues, pour les rendre plus
efficaces et plus redoutables. Nous commençâmes aussi à nous habiller avec
des vêtements de peau. C’était une nécessité contre le froid et non seulement
de la coquetterie, n’étant plus protégés par des poils généreux, comme jadis.
Nous utilisions aussi des os pour faire nos outils. Ils étaient moins
résistants que la pierre, mais plus faciles à travailler. Les intestins des
animaux abattus, torsadés ou coupés en lamelles, nous servaient de cordes et
de fils.
Les familles se regroupaient en communautés, dans des villages. Nous
construisions des huttes avec des branches lorsque nous ne trouvions pas de
grottes pour nous abriter des pluies. Chaque famille avait sa maison, faite sur
mesure.
Nous trouvions naturel que la pluie tombe et tant qu’il pleuvait nous
restions dans nos maisons. Nous savions qu’elle s’arrêterait et que le soleil
brillerait à nouveau. Elle ne nous faisait pas peur. Malheureusement,
quelquefois, du feu aussi tombait du ciel et rien ne pouvait nous protéger
contre lui. C’était un fléau surnaturel, inexplicable. Nous écoutions en
tremblant le tonnerre, espérant que le feu tombât loin de nous.

Puis, un jour, nous découvrîmes que ce fléau pouvait nous être utile (notre
grande cervelle nous permit de réfléchir !). Nous arrivâmes dans notre village
après une chasse fructueuse. Avant que nous puissions découper et partager
notre gibier déposé sous un arbre, un violent orage éclata et la foudre tomba
sur l’arbre. Tout le monde tremblait de peur dans sa hutte et regardait brûler
l’arbre et surtout notre gibier, en dessous. Une odeur dégoûtante de peau et de
poils brûlés flottait dans l’air, mais en même temps, nous sentions également
un parfum appétissant de viande rôtie. Nous sortîmes de notre hutte pour
examiner de près la source de ce parfum inconnu. Il émanait de notre gibier à
moitié carbonisé. Elle ne peut pas être mauvaise une chair qui sent si bon !
Nous avons donc gratté la partie brûlée de l’animal et goûté en dessous la
chair grillée. J’avoue honnêtement que, même dans nos meilleurs rêves, nous
n’aurions jamais pu imaginer un goût pareil ! Un délice, un vrai régal. La
viande tendre fondait dans notre bouche et, en la mastiquant, son jus
succulent dégoulinait le long de nos barbichettes. Nous avons appelé ensuite
nos amis qui tremblaient encore de peur, nous ayant vu « manger du feu ».
Mais lorsqu’ils virent qu’il n’y avait pas de danger, eux aussi, ils goûtèrent la
viande rôtie et la trouvèrent excellente. Nous n’avions plus peur de la foudre,
au contraire : nous l’attendions pour améliorer notre repas.
Mais nous l’attendions en vain. Elle tombait toujours loin, jamais plus sur
nos arbres. Il fallait donc trouver une solution pour avoir du feu chez nous.
Nous avons essayé de transporter du bois brûlant jusqu’au village, mais nous
l’avons vite jeté, car il brûlait nos mains. Nous découpâmes donc avec nos
haches une branche brûlée à moitié et, prise par le bout encore froid, la
transportâmes chez nous. Nous réussîmes ! Il suffisait maintenant de
l’alimenter avec des branches pour maintenir longtemps la combustion. Nous
pouvions observer et découvrir également les autres vertus du feu : il rôtissait
la viande, nous réchauffait et éloignait les animaux féroces qui rôdaient
autour de notre campement. On ne pouvait plus s’en passer.

Nous connaissions le feu, mais nous ne savions pas encore qu’il serait
indispensable dans la vie moderne. Il fallut attendre encore longtemps pour
pouvoir le maîtriser totalement et le mettre à notre service.
Chaque village avait son feu, que les gens maintenaient en activité et
c’était toujours un coup très dur lorsqu’il s’éteignait accidentellement. Ne
pouvant pas le transporter aisément, il nous empêchait de nous déplacer,
pourtant l’envie ne nous manquait pas. Certaines tribus trouvaient du feu
dans les cratères des volcans, mais il était extrêmement dangereux d’y aller.
Beaucoup plus tard, nous découvrîmes que, lors de la fabrication des
outils, certaines pierres faisaient des étincelles en les tapant l’une contre
l’autre. Il fallait trouver comment transformer cette étincelle en feu. C’était
possible avec des feuilles sèches, mais très laborieux. On pouvait faire aussi
du feu par frottement, qui était un procédé long, mais sûr.

Avec la maîtrise de l’obtention du feu, nous devînmes enfin libres pour


repartir vers de nouvelles aventures. Il est vrai que certaines tribus
n’attendirent pas ce stade d’évolution et, comme Homo erectus, partaient déjà
vers le sud de l’Asie, il y a 500 000 ans ou vers l’Europe, un peu plus tard. Ils
continuèrent normalement leur évolution dans leurs nouveaux pays.
Toutefois, nos tribus ne partirent que beaucoup plus tard, il y a 60 à
80 000 ans, déjà en tant qu’Homo sapiens, équipées de nos outils et de nos
armes modernes.
La connaissance du feu non seulement simplifia notre vie, mais la rendit
également mystique, à cause de son origine et de sa puissance inexplicable.
Les gens commençaient à croire qu’il existait une puissance surnaturelle,
inexplicable et invisible, qui disposait librement de toute existence. Nous ne
savions pas qui elle était, où elle était (logiquement en haut, puisque l’eau et
le feu tombaient du ciel), comment l’appeler, quelles étaient ses intentions.
Nous avions donc très peur d’elle. Nous l’appelions « Puissance invisible ».
Dès qu’il nous arrivait un mauvais coup, nous croyions que c’était sa punition
à cause d’un quelconque « péché » commis contre Elle, sans savoir quel
péché. Ce sentiment de culpabilité était terrible. Il fallait donc réfléchir et
définir ce que nous devions faire et ne pas faire, afin d’être bien vu (Moïse de
la Bible avait beaucoup de chance, puisque Dieu lui avait remis sur plaques
de pierre ses dix commandements à respecter). Nous établîmes donc une
sorte de « charte » que tout le monde devait respecter. Si malgré cela il nous
arrivait un mauvais coup, nous pensions que quelqu’un parmi nous avait
fauté et que, par sa faute, toute la tribu était punie. Il fallait chercher tout le
temps les éventuels coupables et les empêcher d’agir. Il fallait aussi flatter le
Grand Seigneur (comme l’appelaient certains, qui l’imaginaient comme un
géant), afin qu’il fût indulgent avec nous.
Les lois de notre tribu étaient simples. Nous interdisions tout ce qui
pouvait faire du mal aux autres.
La guerre était un cas spécial. Nous estimions que nous devions tuer les
autres, car ils étaient mauvais. Le Grand Seigneur devait nous donner raison,
puisque nous agissions en son nom et nous punissions à sa place ! Notre
système de lois nous convenait bien et paraissait très efficace au début.
Malheureusement, chaque tribu interprétait différemment ses lois, en
exterminant les autres au nom du dieu ! Mais j’y reviendrai plus tard.

L’envie de repartir se manifesta à nouveau chez nos peuples, encouragés


aussi par le réchauffement climatique momentané. D’un seul coup, presque
tout le monde voulait partir vers les quatre coins du monde, comme si
quelque chose les poussait ou les attirait.
Une faible minorité resta cependant sur place et peut-être que c’est elle qui
avait raison. Elle avait pris goût à la vie sédentaire qu’elle trouvait
confortable. Beaucoup plus tard, mais bien avant nous, cette population ne se
contenta plus de la cueillette, mais se mit à cultiver les grains et les fruits
consommés. Au lieu de chasser, elle trouva plus confortable et plus sûr
d’élever des animaux domestiques. Je dois reconnaître que, tôt ou tard, tout le
monde adopta ce mode de vie.
Les adeptes de la nouvelle migration hésitèrent longtemps avant de choisir
leur destination.
Notre tribu était encore sous le charme du Nord mystérieux, qui nous avait
déjà si bien inspirés. Nous pensions donc que ce serait toujours la bonne
direction. Les sommets des hautes montagnes du nord nous fascinaient.
C’était la source des mystères. Tout arrivait de cette région inconnue : les
rivières, la pluie, les vents, le gibier et même les oiseaux migrateurs. Que
pouvaient cacher ces sommets enneigés même en été ? Serait-ce la fin du
monde ou le début d’un autre paradis ? Il fallait le voir absolument. C’est
ainsi que nous nous joignîmes donc (à tort !) au groupe « nordiste ».
Nous savions que la traversée des montagnes ne serait pas une promenade
de santé, mais une dure épreuve. Toutefois, notre enthousiasme et notre
curiosité étaient plus forts que notre inquiétude. C’est ainsi que nous
décidâmes notre grand départ.

LA GRANDE MIGRATION

Notre groupe (appelé plus tard proto hongrois) de plusieurs familles


homogènes quitta la Mésopotamie il y a 60 000 ans, en pleine période de
migration. Ce fut un départ tumultueux de nombreuses tribus.
Ceux qui cherchaient la facilité partaient vers l’ouest ou vers l’est, longeant
les pieds des montagnes. Ils pouvaient arriver encore à cette époque en
Europe occidentale comme en Asie orientale sans traverser de mers.

Nous choisîmes les difficultés. Nous avancions lentement vers le nord,


dans les montagnes, entre le lac Noir et la mer Caspienne. Après notre lente
progression vers le nord à travers le Caucase, nous arrivâmes dans une grande
plaine accueillante, riche en rivières et en lacs. Notre inquiétude se dissipa
très vite, puisque la traversée des hautes montagnes « infranchissables » fut
plus facile que nous ne le croyions. Derrière elles, pas de fin du monde, pas
de paradis terrestre, mais nous découvrîmes un beau pays vallonné et boisé,
où nous nous installâmes pour un bon bout de temps. Dans cette vaste région,
les différentes tribus de notre groupe se dispersèrent dans toutes les
directions, en majorité vers l’est.
Au début, notre vie était formidable dans notre nouveau pays, mais au bout
de quelques milliers d’années, nous commençâmes à sentir l’erreur de notre
choix. Plus le temps passait, plus le climat devenait froid. Tout était différent
et inconnu ici, les animaux, les arbres et la végétation. Nous découvrîmes les
mammouths, les rennes, les bisons, les ours et les chevaux. Toutefois, malgré
le climat froid et les dures conditions de vie, l’idée de rebrousser chemin
nous ne vint jamais à l’esprit, car une étrange obligation ou curiosité, nous
poussait toujours plus loin.

Aujourd’hui, nous connaissons déjà les causes de ce grand froid. Durant


plusieurs centaines de milliers d’années, quatre grandes ères de glaciation se
produisirent, provoquant non seulement des changements climatiques, mais
également géologiques, du Nord jusqu’à la Méditerranée. Au Nord, l’eau
gelée forma d’énormes glaciers qui émergèrent des mers, diminuant ainsi leur
niveau de plusieurs centaines de mètres. La troisième ère de glaciation, la
plus importante, se produisit il y a 200 000 ans. La formation des énormes
blocs de glace tordait et modifiait la croûte terrestre. De nouvelles chaînes de
montagnes se formaient. À cette époque, on aurait pu aller à pied
probablement jusqu’en Australie, mais à ma connaissance, nos cousins de
l’Asie du Sud, pourtant sur place, ne profitèrent pas de cette occasion.
Nous, à l’époque, encore au Proche-Orient, nous ne sentions pas ces
changements climatiques, puisque ses effets n’arrivaient pas jusqu’ici.
Lorsqu’enfin nous partîmes, c’était déjà la quatrième glaciation, la moins
importante. À cette époque (il y a environ 50 000 ans), nos cousins de l’Asie
du Sud étaient enfin arrivés en Australie, mais ils devaient voyager
probablement par mer aussi. C’était vraiment la grande période des
migrations. Elle aurait pu permettre aussi à nos cousins de l’Asie orientale de
traverser le détroit de Béring et d’arriver en Amérique.

Durant longtemps, les scientifiques pensèrent qu’ils l’avaient fait, mais on


ne trouva pas de traces humaines en Amérique vieilles de plus de 12 000 ans.
Les plus anciennes étaient des pointes de lance en silex datées de 11 000 ans,
utilisées surtout en Europe, il y a 20 000 ans, par les Solutréens ! Or, selon les
tests génétiques, les Indiens d’Amérique sont des cousins des peuples de la
Sibérie et de l’Asie du Nord. Même si leurs armes étaient différentes, ils
auraient pu en « importer » de l’Europe, quelques milliers d’années plus tard.
Mais coup de théâtre ! Tout à fait récemment, de nouvelles études génétiques,
plus larges, démontrèrent l’appartenance de certaines tribus indiennes à
l’origine européenne et la datation de leurs pointes de silex correspondait
bien à celle des Solutréens. Les Solutréens seraient-ils arrivés en Amérique il
y a 20 000 ans ? Si oui, comment ? On sait qu’à cette époque, des blocs de
glace recouvraient l’océan Atlantique jusqu’au niveau de la France. On peut
donc imaginer que les Solutréens, très évolués, tout en chassant les phoques
sur la mer gelée, passant d’une plaque de glace à l’autre avec leurs canoës
rudimentaires, mais étanches, débarquèrent un jour en Amérique.
La préhistoire nous réserve encore beaucoup de mystères.
QUELQUE PART EN EUROPE

La vague de froid de la dernière glaciation devenait de plus en plus


désagréable pour nous, habitués au climat doux de la Mésopotamie. Il n’était
pas question de retourner vers le sud, mais il fallait reprendre notre chemin.
Nous étions déjà très nombreux, avec des goûts et des habitudes très divers.
Certains voulaient aller vers l’ouest, d’autres vers l’est. Ces derniers étaient
les plus nombreux. Quelques fanatiques de la chasse au bison et au renne,
tout en défiant le froid, voulaient partir vers le nord. Cependant, malgré les
mauvaises conditions climatiques, certains estimèrent inutile de continuer à
« errer sans but » et s’installèrent définitivement sur place.

Notre chemin n’était donc pas aussi droit qu’il y a 3 millions d’années, en
quittant notre berceau africain, probablement parce que nous n’étions pas
coincés dans un couloir étroit comme jadis. Nous étions aussi très libres et
très curieux, comme un animal libéré de sa cage qui court d’abord dans tous
les sens avant de choisir sa direction. Sans pouvoir fixer une direction
commune, nous nous séparâmes.
Mon groupe choisit la direction de l’ouest le long du lac Noir, mais
d’autres tribus continuèrent leur route vers le nord et vers l’est.
Je dois signaler ici qu’à cette époque, la mer Noire d’aujourd’hui n’était
qu’un immense lac d’eau douce qui ne devint une mer que 8 000 ans avant
notre ère. En effet, à cette époque, le réchauffement climatique fit fondre les
glaciers, faisant remonter ainsi d’une centaine de mètres le niveau des mers.
Ainsi, la Méditerranée remonta par les Dardanelles et se déversa dans le lac
Noir, le transformant en mer.
Cette augmentation du niveau des eaux était perceptible partout dans le
monde. Toutefois, l’humanité n’a aucun souvenir écrit de ce « déluge », sauf
quelques traces d’habitations englouties au bord du lac Noir, découvertes à la
fin du XXe siècle. Le fameux déluge dont parlaient les Sumériens et la Bible,
eut lieu 4 000 ans plus tard, après le dernier réchauffement de la terre.

Le temps restait toujours très froid. Dès que ce fut possible, nous
tournâmes donc vers le sud-ouest, le long du lac Noir. En peu de temps, nous
arrivâmes à l’embouchure d’un grand fleuve, le Danube. Nous suivîmes
longtemps ce fleuve vers le sud, mais il tournait ensuite vers le sud-ouest.
Nous trouvâmes magnifique cette région et estimâmes inutile de continuer
notre route. Nous y trouvions tout ce dont nous rêvions : fleuve poissonneux,
forêts riches en gibier. Nous y restâmes donc quelques milliers d’années.
Malgré cette richesse, notre envie de découvrir le monde devint irrésistible
et nous décidâmes de repartir, excepté quelques tribus qui préférèrent rester.
Cela devenait une habitude de perdre une partie de notre groupe après chaque
séjour prolongé.

La grande migration européenne

Très attachés à ce fleuve et curieux de connaître sa source, nous


poursuivîmes notre route dans la vallée du Danube. Après plusieurs mois de
marche, le fleuve devint très étroit et nous crûmes arriver bientôt à sa source.
Mais nous nous trompions, car un peu plus loin, il devint large à nouveau.
Sur une longue distance, le Danube coulait encore dans une vallée entre les
hautes montagnes, puis le paysage devenait plat. C’était un nouveau monde
pour nous. Nous y trouvions en abondance du gibier et des rivières
poissonneuses. Nous nous installâmes au bord du Danube, mais malgré cette
nature luxuriante, nous voulions connaître aussi les environs lointains. Nous
chargeâmes donc quelques éclaireurs d’explorer toute la région. Ils ne
revinrent que plusieurs années plus tard. Ils nous racontèrent que le pays était
immense, plein de rivières et de forêts, entouré de hautes montagnes, dans le
bassin des Carpates. Ils y trouvèrent plusieurs tribus pacifiques, arrivées bien
avant nous, qu’il fallait connaître. Sachant maintenant que la vallée du
Danube était riche et accueillante, nous décidâmes de reprendre la route vers
l’ouest. Bien entendu, une petite partie de notre groupe, très heureuse dans ce
nouveau pays, décida d’y rester définitivement. C’était devenu presque une
tradition depuis notre départ de la région du Caucase. On peut dire que nos
descendants « sédentarisés » peuplaient toute la région immense du Caucase
jusqu’au bassin des Carpates !

Allant toujours vers l’ouest, beaucoup plus loin, nous rencontrâmes des
gens bizarres qui se disaient néandertaliens, bien qu’ils ne fussent pas
limités à la région de Neandertal, mais répartis partout en Europe. C’était une
race humaine très bizarre, tout à fait inconnue. Ils nous ressemblaient un peu,
mais ils étaient assez étranges. Ils étaient plutôt petits, avec un torse large et
épais. Leurs membres étaient relativement courts. Leur crâne était allongé
derrière, avec un front plat et fuyant et, au-dessus des yeux, l’os crânien
formait une sorte de bourrelet. Leur nez était large et plat. Ils étaient très
primitifs et parlaient assez difficilement, malgré leur boîte crânienne aussi
développée que la nôtre. Les échanges étaient donc difficiles avec eux. Ils ne
savaient même pas d’où ils venaient et depuis quand. Il est cependant certain
qu’ils vivaient en Europe depuis beaucoup plus longtemps que nous. Un autre
peuple que nous y trouvâmes, les Cro-Magnon, avouaient qu’ils étaient déjà
en Europe avant même leur arrivée. Les Néandertaliens restaient en tribus et
vivaient de la chasse et de la cueillette. Puis, sans qu’on sache pourquoi, ils
disparurent de la terre il y a une trentaine de milliers d’années.
Ils ne furent pas exterminés. Ils se mélangèrent avec des races plus
évoluées comme nous et les Cro-Magnon. Cependant, leurs gènes étant très
différents des nôtres, on peut supposer que les descendants bâtards étaient des
hybrides stériles, ce qui expliquerait l’extinction totale de leur race.

Les hommes Cro-Magnon que nous rencontrions sur notre chemin étaient
assez prétentieux puisque leur industrie d’outillage et d’armement était très
développée. Comme ils étaient très habiles et confectionnaient toutes sortes
d’objets fins (et souvent inutiles), ils se considéraient supérieurs aux autres et
se disaient Homo sapiens sapiens. Ils vivaient dans des grottes, mais comme
ils étaient prétentieux, ils ne se contentaient pas du confort habituel. Ils
peignaient sur les murs toutes sortes d’idioties : des animaux et des scènes de
chasse, où ils étaient toujours vainqueurs. Ils vantaient leur intelligence et
leur force. Ils taillaient dans la pierre non seulement des outils et des armes,
mais aussi des objets bizarres, inutiles, qu’ils appelaient « statues ».
Ils étaient mystiques. Ils enterraient leurs morts avec des objets personnels,
pensant qu’ils en auraient besoin dans « l’au-delà » ! Certaines tribus
alignaient d’énormes pierres pour des raisons « religieuses » que nous ne
comprenions pas du tout.
Les Néandertaliens les observaient de loin et les singeaient quelquefois,
sans savoir pourquoi.
Nous ne sympathisâmes pas avec ces Cro-Magnon. Ils nous snobèrent et
nous traitèrent de primitifs. Nous nous moquions d’eux, sans toutefois les
blesser dans leur orgueil, afin d’éviter qu’ils nous attaquent avec leurs armes
redoutables. L’Europe était assez grande pour pouvoir vivre loin d’eux.

Notre vie européenne était très différente de l’ancienne. À cause du climat


froid, tout le monde était habillé. Nos femmes confectionnaient des vêtements
en peau, puisqu’elles étaient plus utiles à la maison qu’à la chasse (chacun
son travail !). Nous vivions dans des grottes où le feu brûlait tout le temps à
cause du froid. Ici, tout était différent, surtout les animaux qui, eux-mêmes,
changeaient avec le climat instable. Pour survivre, nous devions nous adapter
aux changements.
Nous nous habituâmes rapidement aux animaux européens : chevaux,
rennes, ours, mammouths, etc. Ces derniers étaient énormes et on ne pouvait
les tuer que par une chasse collective, bien organisée, à cause de leur force et
de leurs énormes défenses. Mais cela valait la peine de se fatiguer car, en cas
de succès, il y avait de quoi manger durant des jours, voire des semaines.
Pour tuer un mammouth, il fallait l’attirer vers un précipice ou une falaise, l’y
faire tomber par ruse, puis le lapider. On pouvait aussi le tuer en s’en
approchant, puis lui trancher les tendons. Une fois immobilisé, nous
l’achevions avec nos haches. Cette méthode était sportive, mais très
dangereuse. Nous aimions aussi la chasse au renne qui exigeait beaucoup
d’adresse et de rapidité, avec peu de risques. La chair de renne était
excellente. Nous aimions tellement ces animaux que, lorsque le climat se
réchauffa et qu’ils partirent vers le nord, nous les suivîmes durant des milliers
d’années. Pourtant, nous aurions pu vivre heureux et sans souci dans le bassin
des Carpates !
Nous avançâmes ainsi vers le nord-est durant des milliers d’années. Trop
préoccupés par la chasse, nous ne faisions aucun effort pour améliorer nos
outils et nos armes. La seule nouveauté depuis notre départ lointain était
l’acquisition de « l’arc à flèche », arme redoutable, de très longue portée. En
tendant fort l’arc, on pouvait propulser une flèche légère à une centaine de
mètres avec précision. Afin de la rendre encore plus efficace et plus
dangereuse, nous fixâmes une pierre pointue au bout de la flèche.

Sur notre chemin, nous rencontrâmes de nombreuses tribus, plus au moins


sauvages et quelquefois étranges, comme les hommes des marécages. Ces
derniers devaient être très méfiants, car ils construisaient leurs maisons sur
pilotis, au milieu des marécages, pour se protéger. Ils vivaient exclusivement
de la pêche qu’ils pratiquaient aussi bien avec une lance très fine, qu’avec un
hameçon attaché sur un fil mince de boyau. Ils ne sortaient même pas de leurs
cases pour pêcher ! Nous nous demandions même s’ils avaient des jambes ou
une queue de poisson, comme les sirènes. Dans cette partie de l’Europe du
Nord, il existait tant de créatures étranges. On pouvait s’attendre à tout !
Certains animaux, les chiens, s’étaient habitués à nous. Ils chapardaient
nos restes de nourriture. Au début, nous les chassions, mais comme leur
viande n’était pas très bonne et qu’ils ne nous dérangeaient pas, nous les
laissâmes tranquilles. Ils nous suivaient partout puis, petit à petit, ils
devinrent nos amis. Nous leur donnions même de la viande de temps en
temps. Nos enfants jouaient avec les jeunes chiots qui, une fois grands,
devenaient des « chiens de garde ». Ils nous avertissaient en aboyant dès que
quelqu’un s’approchait de notre camp. Les plus malins nous aidaient même à
chasser en rabattant le gibier vers nous.

Nous nous déplacions régulièrement et souvent nous ne trouvions pas de


grotte pour nous abriter. Il fallait donc construire des maisons démontables.
Je ne dis pas que nous les inventâmes : nous les vîmes chez les autres tribus,
mais nous les modernisâmes. Il s’agissait d’enfoncer quatre longs bâtons dans
le sol (ou plus), d’attacher ensemble leurs extrémités supérieures, puis de
recouvrir cette armature de grandes peaux de bêtes. Dans les plus grandes
huttes, pouvait entrer une vingtaine d’individus.
En quelques milliers d’années, nous devînmes très nombreux. Arrivés près
de la mer Baltique, après avoir suivi les rennes et les mammouths, nous
étions déjà des dizaines de milliers. Comme nous n’aimions pas la mer froide
et hostile, nous décidâmes d’aller vers l’est, jusqu’aux monts Oural. Cette
région nous plut et nous y restâmes longtemps, jusqu’à la fin de l’âge de
pierre. Nous y retrouvâmes quelques tribus proches de nous, venant
directement du sud de l’Oural (sans passer par l’Europe centrale, comme
nous), qui appartenaient jadis à notre groupe, à notre départ, il y a des
dizaines de milliers d’années. Ils étaient un peu moins « évolués » que nous,
car il leur manquait notre expérience européenne, mais très rapidement, ils
rattrapèrent leur retard. Au début, ils étaient encore très nombreux, mais peu
avant notre arrivée, de nombreuses tribus voisines partirent vers l’est et
occupèrent toute la Sibérie, depuis la vallée du fleuve Ob.
Puis arrivèrent quelques autres tribus après nous, qui nous racontèrent
qu’un peu plus au sud, une nouvelle forme de vie était en train de naître grâce
aux nouvelles migrations venant de la Méditerranée. Mais cette fois-ci, les
nouveaux migrants arrivaient avec des connaissances nouvelles leur
permettant de s’installer et de vivre une vie sédentaire. Au lieu de chasser et
de faire la cueillette, ils faisaient l’élevage des animaux et ils cultivaient la
terre. Ils pouvaient rester sur place, dans des villages, et vivre très aisément
de leur travail. Du coup, ils devenaient de plus en plus prospères et de plus en
plus nombreux. Ils avaient même leur propre langue, différente de celle
parlée par les autres tribus connues. Ils ne s’imposaient pas par la force, mais
petit à petit, ils occupèrent la presque totalité de l’Europe et de l’Asie
centrale, par leur culture et par leurs traditions. Ces nouveaux migrants
vécurent très longtemps ensemble en Mésopotamie, ce qui explique leur
grande culture et le développement de leur langage commun, appelé indo-
européen, qu’ils parlaient de l’Inde jusqu’à l’Europe du Nord, en passant par
l’Asie centrale. Ils quittèrent la Mésopotamie environ 8 000 ans avant notre
ère, après le réchauffement du climat.

Cette façon de vivre nous intéressait aussi. En plus des chiens, considérés
comme compagnons, nous domestiquâmes aussi des animaux utiles, des
rennes, qui nous fournissaient du lait, de la viande et des peaux, nécessaires
pour l’habillement et pour couvrir nos tentes. Nous créâmes ainsi une
nouvelle richesse qui changea notre mode de vie. Nous n’étions plus
tributaires des résultats des chasses pour manger. Il suffisait de puiser dans
notre « garde-manger » vivant. Nous nous déplacions peu, juste pour trouver
de nouveaux pâturages pour nos bêtes. Nous pûmes donc rester sur place et
vivre en villages.

Nous restâmes ainsi durant des milliers d’années isolés du reste de


l’Europe. Peut-être est-ce à cause de notre isolement des autres peuplades que
notre langage, appelé finno-ougrien devint très différent de celui des autres,
rencontrés sur notre chemin.
Il faut avouer que nous évoluions peu ici, mais il faut reconnaître que, dans
les climats froids et hostiles, on a d’autres préoccupations que d’inventer des
nouveautés. Il fallait lutter pour survivre.
Notre peuple s’y plaisait et on pouvait croire qu’il y resterait
définitivement, mis à part un petit groupe, appelé Samoyèdes, qui préférait
poursuivre les rennes, partis vers le nord-est à cause du radoucissement brutal
du climat. Ils faisaient partie de nos anciennes tribus qui, au moment de la
grande migration, partirent directement au nord déjà à la poursuite des
rennes. Ils aimaient bien le froid, mais nous préférions le climat tempéré.
Cette séparation se passa 4 000 ans avant notre ère.

À cette époque, avec nos cousins lointains, nos peuples occupaient déjà
tout le Nord de l’Asie, de l’Oural jusqu’à l’Extrême-Orient. Certains
s’aventurèrent jusqu’en Corée, même jusqu’au Japon, où ils pouvaient aller
encore à pied !
Ces peuples, isolés des autres habitants de la terre, commencèrent à
développer leurs langues spécifiques qui aujourd’hui font partie de la famille
des langues ouralo-altaïques, notre langue finno-ougrienne comprise.

CONSÉQUENCES DE LA GRANDE MIGRATION

Cette grande migration représenta un nouvel essor dans l’histoire de


l’humanité. Elle ne fut pas une obligation de survie, comme le départ de
l’Afrique, mais un besoin de découvrir l’inconnu. L’Homo sapiens possédait
déjà beaucoup d’atouts pour s’adapter à son environnement (souvent très dur)
et pour faire face à toutes les difficultés. Il était intelligent et il avait la
curiosité, des armes et des outils. Il évoluait donc très vite dans sa nouvelle
vie. Il allait donc de plus en plus loin.

La planète Terre fut donc ainsi colonisée. Les humains vivaient désormais
sur les cinq continents. Ils faisaient tous partie de la même espèce, ils
descendaient tous de la même petite population originelle et pourtant, ils se
différenciaient de plus en plus. Comment et pourquoi ?
Les migrations avaient scindé la population d’humains et l’avaient
diversifiée aussi physiquement. Partant de la Mésopotamie, il y a quelques
dizaines de milliers d’années, tous les humains étaient encore égaux, parlaient
le même langage et avaient presque la même couleur de peau. Or, les
nouvelles conditions de vie avaient entraîné chez l’homme des changements
fondamentaux dans tous les domaines, en quelques milliers d’années.

Structure sociale

Le paléolithique, « la vieille pierre », est une longue période de l’histoire


de l’homme, commençant au berceau africain et se terminant par la
colonisation de la planète Terre. Sa dernière phase, le paléolithique
supérieur, fut marquée par les grandes migrations, par la multiplication des
langues et par la sélection naturelle des hommes de différentes couleurs. Lors
de ces migrations, l’homme préhistorique primitif devint l’homme moderne
et « civilisé ». Cette période vit l’évolution rapide de l’artisanat, la naissance
de l’art et de la croyance au surnaturel et dans « l’au-delà ». Toutefois, même
si l’homme vivait en communauté et partageait les tâches domestiques selon
la compétence de chacun, il ne connaissait pas encore l’inégalité et la
structure hiérarchisée.

La nécessité de se retirer longtemps dans des grottes devant les intempéries


favorisait le développement de l’habileté manuelle, de la confection des outils
de plus en plus perfectionnés et incitait l’homme à réfléchir, imaginer et
créer.
L’art rupestre se développa durant la période de la grande migration. Il ne
fut jamais pratiqué dans la zone habitée des grottes, mais toujours à
l’intérieur, dans les salles obscures, éloignées de l’entrée. On peut donc
supposer qu’il avait une signification mystique, représentait une sorte de
communication avec le milieu surnaturel. Les artistes, probablement des
« chamanes », devaient être respectés et servis par les membres de la
communauté, afin de pouvoir consacrer tout leur temps à la création
artistique, sans avoir la disponibilité de participer aux activités communes. Ils
devaient être particulièrement doués pour pouvoir réaliser seuls les peintures,
les échafaudages et l’éclairage nécessaires à la décoration des hautes galeries
obscures.
Les peintures représentaient presque toujours des scènes de chasse. Ces
animaux sauvages étaient-ils peints par les chamanes dans le but d’implorer
l’aide du « surnaturel » pour guérir les malades, pour attirer la pluie ou pour
assurer le succès de la chasse ? Peut-être, peut-être pas. Toutefois, il est peu
probable que ces peintures se soient limitées à une simple expression
artistique. D’ailleurs, cette période artistique s’arrête pratiquement au
moment de la domestication des animaux.

Des batailles occasionnelles existaient entre les tribus, mais ce n’étaient


pas de grandes guerres exterminant toute une population. D’ailleurs, les
peintures rupestres ne représentaient presque jamais de batailles et on trouve
rarement plus de quelques dizaines de restes de squelettes en un seul endroit,
pouvant témoigner d’une guerre entre tribus.

Le néolithique, le « nouvel âge de pierre », fut le commencement de notre


ère moderne, avec des outils et des armes perfectionnés, il y a environ 10 000
à 12 000 ans. Il fut marqué aussi par une nouvelle migration, venant toujours
du sud de la Méditerranée. Ces nouveaux migrants n’étaient pas de vrais
nomades conquérants à la recherche permanente de nouveaux terrains de
chasse, mais des colons pacifiques, cherchant un nouveau pays pour s’y
établir. Ils venaient tous du Proche-Orient par terre et mer. D’autres passaient
par l’Asie Mineure et par les Balkans, puis remontaient la vallée du Danube.
Leurs techniques et connaissances étaient très en avance sur celles des
autochtones européens qui, sans résistance, acceptèrent et adoptèrent cette
nouvelle forme de vie.
Ces colons connaissaient déjà, dans leur pays d’origine, l’agriculture,
l’élevage, la poterie et l’usage d’outils spécifiques, tel l’araire, l’ancêtre de la
charrue, pour tracer les sillons et les haches pour abattre les arbres et les
tailler.
C’étaient nos cousins lointains restés au Proche-Orient au moment de notre
départ, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. Restant sur place, ils
évoluèrent beaucoup plus vite que nous. Dès qu’ils trouvèrent des terres
accueillantes et riches, ils s’y établirent. Ils construisirent des huttes groupées
et créèrent des villages. L’agriculture et l’élevage nécessitaient une
répartition équitable des tâches, donc une bonne organisation. Ils
choisissaient des chefs autoritaires, capables de gérer la vie du village et
d’imposer la discipline et l’ordre. Pour les reconnaître, ces chefs portaient des
insignes de leur pouvoir, des colliers, parures, ceintures, couvre-chefs ou
d’autres objets réservés à leur rang.
Cette nouvelle forme de vie permit l’évolution rapide de l’humanité. Les
villages devenaient vite prospères. Il fallait gérer la surproduction, fabriquer
des récipients (poteries) et prévoir des lieux de stockage, créer de nouveaux
outils, des objets de confort et de luxe. Chaque membre du village avait sa
spécialité pour le travail. Certains le faisaient vite et bien, d’autres peu ou
mal. Les premiers prospéraient et avaient une vie confortable et les autres
pas. Ces derniers, pour survivre, travaillaient au solde des plus opulents.
Le chef du village avait sa part, sans travail manuel, que les autres lui
donnaient. Plus le village était prospère, plus il le devenait aussi. Le chef
s’entourait de personnes habiles, puissantes et opulentes, puis petit à petit,
son pouvoir d’arbitre changeait en pouvoir absolu et une hiérarchie
pyramidale ainsi se développait.

La prospérité d’un village attirait la convoitise des voisins moins chanceux


ou moins travailleurs. Ils l’attaquaient et le pillaient, tuant quelquefois tous
les habitants pour éviter les représailles. Contre ces guerriers pilleurs, les
villages se regroupèrent en villes fortifiées et créèrent leur propre armée, qu’il
fallait nourrir et entretenir en état de frappe. Plus tard, les grandes villes se
réunirent pour former un État puissant, dont le chef devint prince ou roi, au
pouvoir absolu. Les premières grandes cités de l’histoire avant notre ère
furent Jéricho en Palestine vers 8 500, çatal-Höyük en Turquie vers 7 000,
puis Ninive et Ur en Mésopotamie vers 6 500.
En cas de mauvaise récolte, cette armée pouvait être utilisée pour piller les
autres villages. D’où une tension permanente pour augmenter et garder sa
richesse, que seule une armée puissante et dissuasive pouvait assurer.
Bien entendu, de longues périodes de calme existaient aussi, durant
lesquelles les villages et les villes fortifiés se développèrent
considérablement, ne pouvant plus ni absorber, ni stocker l’excédent de
production. On échangeait cet excédent contre des articles inconnus, rares ou
des bijoux, venant de loin. C’est ainsi que le commerce se développa.
L’argent n’existait pas encore, on faisait donc du « troc ». Comme ce
commerce nécessitait de grands voyages et de longues absences, peu de gens
pouvaient ou voulaient le faire. Celui qui acceptait de le faire, devenait
souvent très riche, mais risquait aussi sa vie à chaque voyage. Sa richesse
était donc le salaire de la peur.
Ces commerçants voyageurs allaient souvent très loin et apportaient aussi
des nouvelles de lointains pays inconnus, où ils avaient également leur
résidence. C’est eux qui apportèrent en Europe, vers la fin du néolithique, les
premiers objets métalliques, encore très rares et précieux. Dans un premier
temps, ce n’étaient que des bijoux en or ou en cuivre, métaux que l’on
trouvait à l’état pur dans la nature, puis quelques outils et armes de très
grande valeur, réservés aux puissants.
D’ailleurs, les gens très opulents, proches du sommet de la hiérarchie, ne
travaillaient plus. Ils faisaient travailler les plus démunis contre de la
nourriture.

Puis arriva l’âge du bronze en Europe, zone riche en gisements miniers.


Or, l’exploitation des mines était un travail très pénible, que personne ne
voulait faire. On inventa donc les guerres punitives pour avoir de la main-
d’œuvre gratuite, des esclaves.

C’est ainsi qu’à la fin des grandes migrations qui débutèrent dans l’égalité
totale, nous arrivâmes à une nouvelle structure de société sédentarisée,
hiérarchisée, constituée de riches et de pauvres, jusqu’à l’esclavage !
Faudrait-il regretter les temps anciens ? Non, puisque c’était une étape
obligatoire pour évoluer vers les temps meilleurs. Et surtout, il ne faut pas
oublier que, durant cette période sédentaire, bien qu’injuste et impitoyable, la
population d’Europe se vit multiplier par plus de dix, passant à plusieurs
millions d’habitants !

Évolution de la couleur de peau

Les races de couleurs n’existent pas ! Génétiquement parlant, il n’existe


aujourd’hui qu’une seule race humaine. C’est l’environnement qui est à
l’origine de la pigmentation de la peau.
L’homme pouvait s’adapter à tous les environnements qu’il rencontrait lors
des migrations. Il construisait des abris et s’habillait pour se protéger contre
le froid. Il inventait des outils et des armes de plus en plus sophistiqués et
efficaces pour se nourrir et pour se défendre contre les plus forts. Mais son
intelligence ne suffisait pas. Il fallait que son organisme s’adapte aussi, ce qui
n’était pas facile.
L’homme ne pouvait rien faire contre les maladies et épidémies qui
décimaient les populations. Seuls les plus résistants, les plus robustes
survivaient. L’espérance de vie ne dépassait guère trente ans. Ainsi, une
sélection naturelle pouvait modifier rapidement les populations des diverses
régions :
• dans les pays chauds et ensoleillés, les hommes à peau claire résistaient
moins bien que ceux à peau foncée. Ils mouraient plus vite, probablement de
cancer de la peau et avaient donc moins de descendants. Ainsi, petit à petit,
les populations de ces régions devinrent de plus en plus foncées ;
• inversement, dans les pays froids et peu ensoleillés, les peaux foncées
filtraient trop la faible quantité de rayons ultraviolets nécessaires à la
synthèse de la vitamine D, qui est indispensable pour fixer le calcium dans
les os. D’où une proportion très élevée de rachitiques parmi les hommes à
peau foncée. L’environnement favorisait le développement des hommes à
peau claire.

Cette sélection naturelle durant des milliers, voire des dizaines de milliers
d’années, pourrait expliquer la couleur des populations des diverses régions
de la terre. Cette hypothèse est renforcée par la différence de teinte existant
aujourd’hui entre les Indiens de l’Amérique du Nord (clairs) et du Sud
(foncés), issus pourtant de la même origine, arrivés ensemble, il y a 20 000
ans sur le Nouveau Continent.
De même, on constate une grande différence de teinte entre les
Mélanésiens et les Polynésiens, pourtant de la même origine. Quelques
milliers de générations suffisent donc pour que l’homme s’adapte
parfaitement à son environnement et que sa peau prenne la teinte optimale de
sa région.

Diversification des langues

Je dois rappeler que, jusqu’à l’époque de la « grande migration », il


n’existait qu’un seul langage, une sorte de pré langage ou « proto langage »
que parlaient tous les peuples primitifs, y compris les Homo sapiens. Ce
n’était pas une langue riche et culturelle, mais un langage primitif, permettant
aux hommes d’exprimer leurs besoins et de communiquer très simplement
entre eux.
Deux causes furent nécessaires pour donner lieu au développement lent des
diverses familles de langues : d’abord la nécessité d’évolution vers une
langue riche et nuancée, adaptée à l’évolution technique et culturelle de
l’époque, puis une grande migration en même temps.
L’évolution de la langue était une nécessité, une obligation naturelle. Le
vrai problème était qu’elle fût arrivée durant et peu après la grande migration.
En effet, chaque peuple, isolé des autres par la migration, développait
arbitrairement, selon ses nécessités, sa propre langue à partir du proto
langage.
On peut donc dire que tous les peuples, appartenant à la même famille de
langue, sont issus de la même tribu de départ où ils vécurent plusieurs
milliers d’années et dans laquelle leur langue s’est développée durant la
« grande migration ». Même si par la suite ils se dispersèrent partout dans le
monde, rompant toute relation avec leurs ancêtres.

Durant de nombreux siècles, voire des millénaires, on pouvait localiser très


nettement géographiquement les grandes familles de langues. Puis certaines
disparurent et d’autres furent dispersées lors de nouvelles migrations, tout en
occupant aujourd’hui quelques grandes régions :
• indo-européenne (2,5 milliards d’individus, en Europe, en Asie et en
Inde), la plus vaste et la plus diversifiée. Elle regroupe aujourd’hui les
langues latines, germaniques, slaves, celtes, iraniennes et quelques langues de
l’Inde ;
• sino-thaï (2,5 milliards d’individus, en Asie orientale et du Sud),
comprenant les langues chinoise, thaïe, tibétaine et birmane ;
• ouralo-altaïque (400 millions d’individus, en Asie centrale, orientale et
mineure, Europe centrale et du Nord), comprenant les langues turques, finno-
ougriennes, ouraliennes, caucasiennes, voire japonaises et coréennes ;
• sémite-chamitique (300 millions d’individus, en Afrique du Nord et
Arabie), comprenant les langues arabe, hébraïque, égyptienne, berbère,
éthiopienne, érythréenne et somalienne ;
• malayo-polynésienne (300 millions d’individus, en Polynésie),
comprenant les langues des Philippines, d’Indonésie, de Tahiti, d’Hawaï, des
Samoa, de Fidji et de Madagascar ;
• dravidienne (250 millions d’individus, en Inde du Sud) ;
• bantou (100 millions d’individus), comprenant les nombreuses langues
de l’Afrique noire ;
• d’Océanie, comprenant les langues papoue, aborigène, canaque et
mélanésienne ;
• amérindienne, parlée en Amérique du Nord et du Sud avant les
colonisations.

Cette petite explication est nécessaire pour expliquer autrement que dans la
Bible par la tour de Babel, l’origine de la diversification des langues qui s’est
produite durant la « grande migration ».

***

Après ce voyage à travers l’Europe et ces quelques explications concernant


l’évolution de l’humanité durant la préhistoire, il faut voir aussi l’évolution
des autres peuples dispersés sur les autres continents. Nous quittons ainsi la
« préhistoire » pour entrer dans les « temps historiques », autrement dit, dans
l’Antiquité.

Commençons par nos ancêtres restés en Asie Mineure et en Mésopotamie,


considérées comme le berceau de la civilisation.
TEMPS HISTORIQUES
L’ANTIQUITÉ I

Avec la découverte de l’écriture s’achève la préhistoire et commencent les


temps historiques. C’est une évolution très importante, puisque dorénavant,
les évènements importants sont transmis par écrit aux futures générations.
L’exactitude des écrits reste cependant souvent contestable et on peut dire
qu’il y a autant « d’histoires » que d’historiens, puisqu’ils décrivaient
quelquefois les évènements selon leurs intérêts qui ne correspondaient pas
toujours à la réalité rigoureuse.
Mis à part quelques présentations imagées, la première écriture est
attribuée aux Sumériens plus de 4 000 ans avant notre ère. Les hiéroglyphes
égyptiens (sur papyrus ou pierre) n’arrivèrent que mille ans plus tard.

MÉSOPOTAMIE - NINIVE

En quittant les peuples primitifs de l’Europe, au sud, nous pûmes découvrir


un nouveau monde moderne en Mésopotamie (pays entre deux fleuves, le
Tigre et l’Euphrate).
La Mésopotamie était très riche du fait de son agriculture, puisqu’on
pouvait y moissonner deux, voire trois fois par an. En ce temps, deux peuples
y vivaient en paix : les Sémites au nord et les Sumériens au sud.

Arrêtons-nous quelques instants dans la première grande ville de la


Mésopotamie, appelée Ninive, dont les maisons étaient construites en briques
cuites. Cette ville, habitée par un peuple sémite, fut plus tard le lieu de
nombreux évènements historiques sous les occupations successives par les
Sumériens, Hittites, Assyriens, etc. Parmi les légendes racontées à son sujet,
j’en cite deux que j’aime bien. La première, très connue, concerne le
monothéisme et la deuxième est une légende hongroise. Toutes les deux se
passaient dans des temps lointains, indéterminés.

Dans ces temps lointains, les Sémites, ainsi que leurs voisins, adoraient de
nombreuses idoles. Jéhovah donna l’ordre au prophète Jonas de les convertir
au monothéisme. Le pauvre Jonas, connaissant bien les habitudes et le
caractère coléreux des Sémites, eut très peur et se sauva de Ninive vers le
« bout du monde », que l’on situa à l’époque au-delà de la mer. Arrivé au
bord de la Méditerranée, il prit le premier bateau partant vers l’ouest. Mais il
connaissait mal Jéhovah en croyant pouvoir lui échapper si facilement. À
peine le port quitté, un violent orage éclata, mettant en péril le bateau et ses
occupants. Les matelots, connaissant bien la mer et les orages, comprirent
tout de suite qu’il ne pouvait s’agir que de la colère démesurée d’un dieu.
Comme Jonas était le seul étranger sur le bateau, lui seul pouvait en être
responsable. Tremblants de peur, ils le jetèrent dans l’eau afin de calmer la
mer. Mais Jéhovah ne lâcha pas si facilement Jonas. Son ordre devait être
exécuté ! À peine était-il tombé dans l’eau, qu’un énorme poisson arriva et
l’avala aussitôt. Il nagea ensuite jusqu’au bord de la mer avec Jonas dans sa
gueule, qu’il recracha sur la plage. Jonas comprit qu’il devait obéir à
Jéhovah. Rassemblant tout son courage, il retourna à Ninive pour prêcher
(sans beaucoup d’enthousiasme et avec des résultats mitigés) l’existence de
Jéhovah, dieu unique.

L’autre légende concerne Nemrod, fondateur de Ninive. Ce personnage


biblique fut aussi un chasseur célèbre. Selon une légende hongroise (La
légende du cerf merveilleux), deux fils de Nemrod, Hunor et Magor, lors
d’une chasse, aperçurent un magnifique cerf portant un disque en or sur sa
tête, entre ses bois. Ils le poursuivirent jusqu’à la tombée de la nuit, où il
disparut. Ils le retrouvèrent le lendemain et reprirent sa chasse jusqu’à la
tombée de la nuit. Durant des jours et de semaines, ils reprirent la chasse
jusqu’à ce qu’ils arrivent dans un pays magnifique. Ils y épousèrent les deux
filles du roi du pays, et leurs compagnons prirent pour femmes les filles
restées libres, et s’y installèrent. Les descendants de Hunor devinrent des
Huns et ceux de Magor, les Magyars (Hongrois).
Mais poursuivons notre histoire. Les habitants de la Mésopotamie étaient
un peuple sémite. Il paraît qu’ils vivaient depuis toujours dans cette région.
Ils devaient donc être les descendants de nos ancêtres, restés sur place, après
notre départ, il y a des dizaines de milliers d’années. Ils étaient assez
différents des autres peuples et parlaient une langue sémite, très différente de
la langue indo-européenne parlée par les autres tribus rencontrées. Certains
linguistes disent que le nom « sémite » provient de « Sem », fils de Noé, dont
ils seraient les descendants. Toutefois, il ne faut pas oublier que, selon la
Bible, Noé vécut environ 4 000 ans avant notre ère (!), alors que ce peuple y
était déjà bien avant.
Les maisons étaient en briques, comme dans d’autres grandes villes des
régions proches, alors que les autres peuples primitifs vivaient encore dans
des tentes ou dans des cases en bois.
Les maisons étaient bâties le long de voies qui se croisaient, appelées
« rues ». Le chef de la ville, appelé « roi », habitait au centre, dans la plus
grande maison, au « palais ».
Ces maisons étaient très confortables et luxueuses, avec plusieurs pièces.
La pièce où on mangeait s’appelait « cuisine ».
Les gens n’étaient pas égaux. Les riches habitaient dans de grandes
maisons et avaient des « serviteurs » (qui ne possédaient rien) pour effectuer
les travaux domestiques. Le plus riche était le roi, le chef de la population.
Comment un tel système a-t-il pu s’établir ? On disait que c’était le résultat
de leur travail. Ils étaient des « commerçants », ils achetaient chez les autres
peuples divers articles et les revendaient plus cher là où on ne les trouvait
pas. La différence de « prix » était leur bénéfice. Les plus habiles
commerçants devenaient très riches et s’achetaient même des hommes
pauvres comme serviteurs.

La vie paisible à Ninive ne dura pas éternellement. Un grand peuple, les


Sumériens, armé jusqu’aux dents, arriva du sud-est. Ils ne rencontraient
aucune résistance sérieuse et arrivèrent à Ninive.
Ils ne tuèrent personne, ils ne pillèrent pas, ils se contentèrent de s’y
installer et de prendre le pouvoir. C’était sûrement la richesse du nord de la
Mésopotamie qui les avait attirés. La population locale ne sembla pas être
gênée par le changement de régime. Elle ne s’intéressait qu’au commerce,
qu’elle pouvait toujours continuer. Elle trouvait même des avantages avec les
Sumériens. Ils connaissaient déjà le chariot et dressaient des chevaux pour le
tracter. Mais le plus important était qu’ils connaissaient « l’écriture ». Ils
notaient sur des plaques d’argile tous les évènements importants.
Ils avaient des outils et des armes en cuivre qu’ils prenaient à Élam, qui
faisait partie de leur empire, que l’on connaissait à peine ici. Le cuivre était
déjà connu en Mésopotamie, puisqu’il existait à l’état pur (natif) dans la
nature et, en le martelant, on en faisait des objets de valeur, bijoux et outils,
mais c’était encore une rareté.
La fabrication du bronze, plus tard, était une nouvelle industrie très
complexe. Il fallait réduire les minerais de cuivre et de l’étain avec du
charbon de bois, à très haute température, et couler ensemble les deux métaux
dans une proportion bien définie. L’alliage ainsi obtenu était appelé
« bronze ». Il était dur, mais facile à travailler et il résistait à la corrosion.
C’était le matériau idéal pour la fabrication des outils, des armes et même des
bijoux.
Cette nouvelle industrie nécessitait non seulement de nouvelles
connaissances, mais aussi beaucoup d’ouvriers pour extraire les minerais des
gisements, puis les transformer en bronze. C’était un travail pénible que
personne ne voulait faire. Il fallait donc forcer les gens à le faire.
Mais l’homme trouve toujours des solutions. Il suffisait de faire des
guerres contre les plus faibles, piller les vaincus et prendre les hommes
comme esclaves, puis les faire travailler gratuitement dans les mines.

On modernisait aussi les guerres pour les rendre plus efficaces. On se


battait avec des armes en bronze, à cheval. Qui pouvait résister aux soldats
ainsi armés, chevauchant des montures rapides ?

À l’extrême sud de la Mésopotamie, la ville d’Ur était encore plus belle,


plus ancienne et plus riche que Ninive. C’est le commerce qui l’avait
enrichie, du fait de sa situation géographique. Ur se trouvait près du golfe
Persique où arrivaient les commerçants par bateaux, venant de l’Arabie et du
lointain Indus. Après Ur, ils continuaient leur voyage par caravanes, jusqu’à
la Méditerranée. Bien entendu, ils devaient payer des taxes élevées pour leur
passage à Ur, enrichissant ainsi considérablement la ville.
Ces deux grandes villes ainsi que toute la Mésopotamie disparurent
complètement sous un grand déluge environ 4 000 ans avant notre ère. Bien
que sa date correspondît bien avec celle du déluge biblique, ce ne fut pas le
« déluge de Noé » avec ses quarante jours de pluie. L’interprétation erronée
de la Bible est compréhensible, puisqu’elle ne fut rédigée que plusieurs
milliers d’années plus tard, après une longue période de transmission orale,
plus ou moins déformée. Les mauvaises langues disent même que les
Hébreux s’approprièrent l’histoire sumérienne en changeant les noms.
Afin de rester fidèle à l’histoire écrite, je donne donc également la version
sumérienne du déluge telle qu’elle est décrite sur les tablettes d’argile de
« l’Épopée de Gilgamesh » :

Les dieux décidèrent d’anéantir le genre humain, mais le dieu Ea prévint


Utnapishtim et lui conseilla de construire un bateau pour sauver sa famille et
un certain nombre d’animaux. Le déluge fut provoqué par une pluie
torrentielle qui dura sept jours. Le huitième, Utnapishim lâcha une colombe
et, peu après, une hirondelle, mais les oiseaux revinrent. Finalement, il lâcha
un corbeau qui ne revint plus. Alors, Utnapishim débarqua sur le mont Nishir
(Ararat) et offrit un sacrifice aux dieux. Ceux-ci découvrirent avec surprise
que le genre humain n’avait pas été anéanti. Ils décidèrent que, désormais,
Utnapishim ne serait pas mortel et le transportèrent, avec sa femme, dans un
pays fabuleux et inaccessible, « aux bouches des fleuves ».

Gilgamesh devint un roi puissant et cruel quelques centaines d’années


après le déluge. Il apprit qu’Utnapishim (que les Hébreux appellent Noé !), le
héros du déluge, avait été rendu immortel par les dieux. En quête de
l’immortalité, il lui rendit visite et apprit l’histoire du déluge. Utnapishim
suggéra à Gilgamesh de s’entraîner à l’immortalité en restant sans sommeil
six jours et sept nuits. Mais à peine Gilgamesh fut-il assis que le sommeil,
comme un brouillard, s’étendit sur lui. Par pitié, pour le consoler, Utnapishim
lui donna la « plante de la vie », mais il la perdit sur le chemin du retour.

La vérité est qu’il pleuvait peu, mais la fonte brutale des neiges des
montagnes du Nord et la montée démesurée du niveau des mers, due au dégel
des glaciers du pôle Nord, provoquèrent l’inondation de la Mésopotamie. Ce
cataclysme était la conséquence du radoucissement brutal du climat au début
de la période interglaciaire, qui s’étala entre 4 000 et 2 000 ans avant notre
ère. Ce déluge ne détruisit pas le monde, mais recouvrit d’eau tout le sud de
la Mésopotamie, environ 3 500 ans avant notre ère. Son effet fut ressenti dans
le monde entier.
PALESTINE - JÉRICHO

Selon les légendes, la ville de Jéricho existait déjà 8 000 ans avant notre
ère.
C’était une belle ville, située à peine quelques kilomètres au nord de la mer
Morte, près d’une source abondante. Toute sa région était une énorme oasis.
C’était une valeur inestimable pour les caravanes, arrivées fatiguées et
assoiffées après la traversée du désert, qui auraient payé n’importe quel prix
pour avoir de l’eau potable.
La ville devint très riche, peut-être même trop riche. Des brigands attirés
par cette richesse arrivaient de tous côtés, pour la piller. La ville se défendait
en s’entourant de murs hauts, infranchissables. On ne pouvait y entrer que par
une porte immense, fermée la plupart du temps. À l’intérieur des murs, au
centre de la ville, s’élevait une tour en pierre très haute permettant d’observer
toute la région. Ainsi, les habitants avaient le temps de fermer la porte de leur
ville et de se préparer à se défendre dès que la garde signalait des
mouvements suspects aux environs.
Les immeubles des riches se trouvaient au centre de la ville, mais les cases
des pauvres à l’extérieur des murs, les terrains étant limités et très chers dans
la zone protégée. Toutefois, en cas d’attaque, tout le monde pouvait se
réfugier derrière les murs. On avait besoin de tout le monde pour défendre la
ville. Les cases étaient abandonnées aux pilleurs qui, n’y trouvant rien à
voler, y mettaient régulièrement le feu.
Les habitants vivaient d’agriculture et d’élevage, qui suffisaient pour
nourrir la population atteignant 3 000 à 4 000 individus déjà à cette époque.
Autour de l’oasis et le long du fleuve Jourdain, les terres étaient riches et
fertiles. L’élevage était aussi très rentable au pied des collines proches.
Bien entendu, comme à Ninive, les plus riches étaient les commerçants.
Déjà à cette époque, il était connu que l’on pouvait vivre du travail manuel,
mais ne pas s’enrichir.
Bien que très célèbre, Jéricho fut surtout connue à cause de sa grande tour
centrale en pierre, unique à cette époque.

Ici, comme partout ailleurs, on me parlait surtout de l’Égypte qu’il fallait


visiter non seulement à cause de sa grande civilisation, de sa technique
d’avant-garde, mais surtout à cause de ses traditions, inconnues partout
ailleurs.
L’ÉGYPTE

Memphis, sur la rive gauche du Nil, fut la première capitale de l’Égypte


unifiée. Ce que l’on trouva en Égypte dépassait l’imagination. C’était un
monde nouveau. Ici, tout était pensé et géré, même le Nil, source de richesse
de l’Égypte.

Mais qui étaient ces Égyptiens et d’où venaient-ils ?

Des tribus sémites nomades vivaient en Afrique du Nord depuis des


millénaires. Ces gens, blancs et basanés, faisaient de l’élevage et de
l’agriculture. Durant la période interglaciaire, il y a plus de 10 000 ans, le
réchauffement brutal du climat provoqua beaucoup de ravages. Les forêts et
les riches prairies se desséchèrent, laissant la place au désert qui gagna toute
la région jusqu’à la vallée du Nil. Seule cette vallée resta verte : ce fut là que
toutes les populations se regroupèrent et furent unifiées par Ménès, premier
pharaon d’Égypte. En peu de temps, elles devinrent très croyantes.

Ce peuple égyptien adorait Ré, le dieu Soleil, sous toutes sortes de formes,
selon nécessité. Les différents dieux avaient souvent un corps humain avec
une tête d’animal, tel que Horus, dieu du ciel (imaginé avec une tête de
faucon pour pouvoir voler) et Anubis, dieu-juge des défunts (avec sa tête de
chacal, l’animal dévorant les cadavres). Osiris était le dieu de la production
et de la prospérité et Isis, sa sœur (et épouse aussi, car c’était presque
l’habitude chez les Égyptiens), la déesse de la fécondité. Leur fils Horus
d’Isis (ne pas confondre avec Horus, dieu du ciel !) était le représentant
terrestre des dieux. Les pharaons (rois de l’Égypte) étaient tous ses
« descendants », donc représentants des dieux. Ils étaient des êtres divins.
La gestion du pays était assurée par les prêtres.

On ne peut pas passer sous silence ici la légende d’Osiris, faisant partie de
la mythologie égyptienne. Seth, dieu de l’orage et de la mort, assassina par
jalousie son frère Osiris. Il découpa son corps en petits morceaux, puis les
jeta dans le Nil. Isis, leur sœur, repêcha tous les morceaux, reconstitua le
corps de son frère, puis le réanima. Elle remarqua alors qu’il manquait son
sexe, avalé par un poisson. Néanmoins, elle s’unit à lui et naquit de leur
union Horus. Osiris ressuscité resta aux cieux et devint le dieu de l’au-delà
des Égyptiens. Horus resta sur la terre et devint le premier roi des Égyptiens.
Tous les pharaons étaient ses descendants, donc ceux du dieu Osiris, qu’ils
rejoignaient après leur mort. Ils faisaient momifier leur corps afin qu’il restât
entier auprès de leur père reconstitué et réanimé par Isis.
Certains animaux comme le crocodile, l’hippopotame, le chat, etc., jouirent
d’une réputation divine.
Les Égyptiens étaient fervents croyants d’une vie après la mort. Anubis,
dieu à tête de chacal, les attendait avec sa grande balance pour les juger, en
mettant sur les deux plateaux leurs actes durant leur vie charnelle. Si les bons
actes pesaient plus que les mauvais, ils pouvaient monter au Ciel. Sinon,
c’était « l’enfer ». Comme la vie terrestre était courte et passagère, durant
toute leur existence, ils préparaient leur vie dans l’au-delà. Afin de pouvoir
emporter avec eux dans l’au-delà leurs corps intacts, les personnalités et les
gens riches les firent également transformer en momies.

Selon la croyance égyptienne, l’homme avait deux sortes d’âme, le « bâ »


de la spiritualité et le « ka » de la vitalité. Le pharaon, être divin, en possédait
une troisième, appelée « akh », principe immortel, une sorte de fantôme.

Les Égyptiens travaillaient comme des fourmis. Profitant des crues


annuelles, ils transformaient la vallée du Nil en champs cultivés. Tous les
printemps, le Nil débordait de son lit et fertilisait le sol par un dépôt de boue
riche en matières organiques et en sels minéraux. Les hommes élargirent
même la zone cultivable en creusant des canaux, afin de faire pénétrer le
fleuve dans le désert le plus loin possible. Ces canaux étaient suffisamment
profonds pour garder l’eau après le retour du fleuve dans son lit. Ils
construisaient des « pompes », mues en rotation par des ânes attelés,
permettant de soulever l’eau des canaux et de la répandre sur le sol. Ces
pompes étaient le contraire des moulins : ce n’est pas l’eau en mouvement
qui faisait tourner une roue, mais en tournant la roue garnie de godets, on
soulevait l’eau jusqu’au niveau du sol. Dans ces conditions, la récolte était
toujours bonne, sans ajout d’engrais et sans pluie.
Naturellement, les villes devaient être construites loin du fleuve, afin
d’éviter les inondations.
C’est encore les Égyptiens qui inventèrent et « quantifièrent »
scientifiquement le système d’imposition. L’excédent de production, le
surplus de consommation des producteurs devait être remis à l’État qui le
stockait dans des silos pour les temps durs ou pour le vendre. La quantité du
surplus était calculée scientifiquement par des contrôleurs. On plantait un
long poteau gradué appelé « nilomètre » dans le Nil : plus le niveau du fleuve
était élevé, plus la surface des terres inondées était grande, et la récolte
abondante. La hauteur du Nil sur ce poteau indiquait donc l’importance des
impôts. Il fallait y penser !

Comme les agriculteurs n’avaient pas de travail entre la récolte et la


semence, ils devaient se charger aussi des constructions et c’était un travail
sans fin. Ils devaient construire des bâtiments, des temples et surtout des
pyramides. Mais ceci mérite des explications.

Le pharaon, descendant et représentant terrestre du dieu Horus, préparait


durant toute son existence sa vie dans l’au-delà. Il avait besoin d’un édifice
monumental, d’une pyramide, dont l’extérieur montrait sa puissance illimitée
et l’intérieur assurait son confort dans sa vie éternelle. Tout un réseau de
couloirs secrets conduisait vers les chambres des trésors, vers le sanctuaire et
vers le tombeau royal. Lorsqu’on y enterrait le pharaon, avec ses richesses et
avec de la nourriture, l’entrée était murée et les ouvriers exterminés afin que
personne ne puisse connaître les secrets de la pyramide et déranger le pharaon
dans son sommeil. Malheureusement, malgré toutes ces précautions, peu
après, les pyramides furent pillées par des brigands bien informés, ayant des
complices parmi des initiés aux secrets.

Bien entendu, le caractère religieux des pyramides demeure leur vraie


raison d’être. Par leur sommet, l’âme du pharaon pouvait rejoindre son père,
le dieu soleil Ré. Certaines pyramides étaient si gigantesques que leur
construction pouvait durer plusieurs dizaines d’années, malgré les moyens
colossaux utilisés.

La grande pyramide à degrés de Saqqarah (100x100 mètres de base et 60


m de haut) du pharaon Djoser fut la première. La plus grande pyramide de
Gizeh (230x230 m de base et 146 m de haut) et la plus moderne fut celle de
Khéops. Elle était recouverte de plaques de marbre jusqu’au sommet
(arrachées par les musulmans et réutilisées pour la construction de la
mosquée du Caire, 4 000 ans plus tard !). Sa construction a été réalisée dans
des conditions incroyables. Tous les Égyptiens et esclaves (étrangers
« volontaires » selon les Égyptiens) y travaillèrent sans répit durant des
dizaines d’années. Il n’existait aucun matériau de construction sur place et on
ne connaissait pas encore les voitures. On ne connaissait pas d’autres métaux
que l’or, l’argent et le cuivre, mais on connaissait bien la navigation pour le
transport des matériaux. Cependant, les constructions devaient être réalisées
loin du fleuve, à cause des inondations. On creusait donc des canaux entre le
Nil et les lieux de construction, et jusqu’aux gisements de pierre. Toute
l’année, on extrayait et taillait des blocs de pierre. On les glissait ensuite sur
des barges en attendant la crue du Nil. Avec la crue, les barges chargées se
mettaient à flotter et il suffisait de les guider avec le courant vers les lieux de
construction. Sur place, on attendait ensuite la décrue pour les décharger. Les
statues géantes et obélisques en granite devaient être transportés d’Assouan à
plusieurs centaines de kilomètres au sud de Gizeh.
Il n’existait encore aucun dispositif d’élevage et on devait glisser les
énormes blocs l’un sur l’autre. Même aujourd’hui, on ne connaît pas encore
les secrets de la construction des pyramides et autres monuments.

Les gens simples de la ville étaient des artisans et des petits commerçants.
Les riches avaient des maisons en pierre, mais les pauvres faisaient eux-
mêmes leurs briques en glaise mélangée à la paille et séchée.

Les marchands navigateurs (étrangers la plupart du temps, puisque les


Égyptiens n’aimaient pas les longs voyages en mer) parcouraient la
Méditerranée avec leurs marchandises. Ils transportaient vers l’Égypte du
bois, des tissus, des métaux (or, argent, cuivre), des épices et des bijoux.
L’Égypte leur vendait des céréales et des légumes. À cette époque, l’Égypte
en était le plus grand producteur.

Les orfèvres égyptiens faisaient des bijoux merveilleux en or et en argent,


incrustés de pierres précieuses. Les artistes sculptaient le marbre et l’albâtre.
Ils décoraient les pyramides, les temples et les bâtiments riches avec des
peintures murales représentant des scènes religieuses, guerrières et même de
la vie quotidienne. Ils y ajoutaient des commentaires en hiéroglyphes, une
sorte d’écriture égyptienne. L’industrie céramique et du verre était également
très développée.

Les prêtres et les écrivains (scribes) rédigeaient tous les actes et


évènements importants sur papyrus avec de la peinture ou par gravure sur
plaques d’argile, comme les Sumériens.

Les Égyptiens faisaient souvent la guerre à leurs voisins pour avoir des
esclaves (travailleurs gratuits) et des matériaux (or, argent, cuivre) qui
auraient coûté cher sur le marché international. Les pays vaincus étaient pillés
et, de plus, devaient payer encore longtemps des dommages de guerre. On
leur imposait le montant et la durée du paiement. S’ils ne pouvaient pas ou ne
voulaient pas payer, on emmenait la population en esclavage.
Ces guerres avaient aussi des raisons politiques. Les pays occupés
assuraient une large frontière à l’Égypte face aux tribus guerrières, venant de
plus en plus souvent de l’est. Cependant, les peuples frontaliers s’alliaient
quelquefois avec ces envahisseurs contre l’Égypte.
Si ces tribus guerrières sauvages étaient considérées comme primitives,
leur technique de guerre et leurs armes étaient supérieures à celles des
Égyptiens. Ils connaissaient déjà le bronze et les chevaux dressés.
Heureusement, les Égyptiens étaient mieux organisés pour leur résister. Ils
préféraient les combattre loin des frontières égyptiennes.

En Égypte, l’âge de bronze arrivait dans une grande civilisation, alors


que dans les autres pays la civilisation arrivait avec ou après l’âge de
bronze !

Après la Mésopotamie, la Palestine et l’Égypte, il faut aussi faire


connaissance des civilisations de la Méditerranée.

LES ÎLES DE LA MER ÉGÉE

La Crète

La Crète est une très grande île, un véritable continent. Au début de


l’Antiquité, elle fut le lieu de l’une des plus grandes civilisations, rendue
célèbre par ses constructions et par la mythologie. Elle fut le berceau des
principaux dieux : Zeus, des cieux, Poséidon, de la mer et Hadès, des enfers.
Héra, la sœur et aussi la femme de Zeus (comme Isis était celle d’Osiris en
Égypte) était extrêmement jalouse et rancunière, car Zeus la trompait
perpétuellement avec toutes les femmes qu’il rencontrait, qu’elles fussent
divines ou humaines. Mais Héra n’était pas non plus une sainte. Elle ne se
privait pas non plus d’aventures extraconjugales dès que l’envie ou
l’occasion se présentait. Et il n’en manquait pas dans son entourage ! Il n’est
donc pas étonnant que la Terre fût peuplée de tas de dieux et demi-dieux
issus de leurs amours.
Je ne parle pas ici des autres dieux. Il paraît qu’il fallait faire très attention
avec eux, car ils étaient extrêmement susceptibles et faisaient de très
mauvaises blagues lorsqu’ils étaient mécontents. Ils étaient très différents des
dieux égyptiens qu’il suffisait de reconnaître pour avoir la paix.
Mais ces dieux savaient vivre ! Pas comme celui des Hébreux, de la Bible,
qui considérait comme péché l’amour charnel. Pourtant, rien n’est plus
agréable, sans oublier que cela a permis de peupler la Terre. Tout en étant
attiré par le monothéisme, je préfère encore la jovialité de ces dieux.

En ces temps, les grands demi-dieux avaient déjà disparu. Pourtant jadis,
des titans, des cyclopes (géants forgerons n’ayant qu’un seul œil au milieu du
front), des satyres et d’autres créatures merveilleuses peuplaient ce monde
mystérieux.

Héra dit à Zeus que les dieux n’existent que tant qu’on les reconnaît et
qu’on les craint. Ils disparaissent dès qu’on les oublie !

On disait qu’il fallait en choisir un et implorer son amitié. Il vous


protégeait contre les mauvaises actions des autres. Toutefois, rien n’était sûr
avec eux. On ne pouvait pas prévoir leurs caprices. Mais en tant qu’étranger,
je pouvais espérer la paix et leur indulgence.

Zeus naquit ici, dans une des grottes du mont Ida, mais il préférait
l’Olympe en Grèce, d’où il dirigea le monde. Minos, fils de Zeus et
d’Europe, fut fondateur de la Crète qu’il reçut en cadeau de son oncle,
Poséidon. Poséidon, comme tous les autres dieux, exigea des sacrifices
réguliers en son honneur. Une fois, Minos refusa de lui sacrifier un
magnifique taureau blanc et fut puni très sévèrement par son oncle pour sa
désobéissance (sa femme eut un enfant de son taureau préféré !). Mais je ne
parle pas ici de cette histoire décrite en détail dans la mythologie.

Le plus beau spectacle de l’île était le palais de Minos avec un parc


extraordinaire, appelé labyrinthe, dont l’homme égaré ne pouvait jamais plus
ressortir. Selon la légende, le Minotaure, mi-homme et mi-taureau, était
enfermé dans ce labyrinthe, où on devait lui faire des offrandes.

Les habitants de l’île, venus d’Asie Mineure, étaient des gens pacifiques
qui ne s’intéressaient qu’au commerce. Ils parcouraient la mer de l’Asie
jusqu’à l’Égypte et devinrent très riches. On ne connaissait pas encore le
compas et les matelots naviguaient à vue. Ils n’osaient donc pas s’éloigner
des côtes. La mer Égée était donc un lieu privilégié avec la multitude d’îles
des Cyclades, permettant de faire des escales fréquentes. D’ailleurs, chaque
commerçant avait une ou plusieurs résidences sur ces îles, devenues très
riches et très cosmopolites.
Sur l’île de Crète la vie était très différente de celle d’Égypte. Ici, il n’y
avait ni esclaves (les Égyptiens prétendent que chez eux non plus !), ni
guerre. Les commerçants, à cause de leurs voyages perpétuels, connaissaient
toutes les nouveautés du monde, les épices, les huiles parfumées, les objets en
bronze, les pierres précieuses et les entassaient sur leur île. Ces articles
arrivaient par des caravanes jusqu’à la mer où on les embarquait sur les
bateaux pour continuer leur voyage vers les pays lointains.
La spécialité des Crétois était des objets céramiques peints. Ils étaient
connus partout dans le monde. Petits et grands, ils représentaient chacun des
scènes empruntées à la mythologie ou à la vie courante. Ils faisaient aussi de
grands récipients simples (amphores) servant au stockage et au transport du
vin et de l’huile d’olive. Ils les faisaient coniques pour mieux les caler sur les
bateaux.
Les grandes villes étaient installées au bord de la mer. La capitale
s’appelait Cnossos et était construite au nord de l’île. Ses rues étaient pavées
et on y trouvait même des fontaines un peu partout. Ses grandes maisons
construites en pierre blanche, trouvée en grande quantité sur l’île, étaient très
confortables et luxueuses. À l’intérieur se trouvaient des cours sur lesquelles
ouvraient des chambres. Les murs des grandes pièces étaient richement
décorés de peintures. Tout était féerique.
À l’intérieur de l’île, recouvert de montagnes, les gens moins riches
produisaient du vin et de l’huile d’olive ou faisaient de l’élevage.

Les Cyclades

Thèra (Santorin)

Comme la plupart des îles des Cyclades, cette petite île ronde était un
ancien volcan émergeant de la mer. Ses habitants étaient tous des
commerçants.
Parmi ses villes, il faut citer Akrotiri, la plus ancienne et la plus typique de
l’époque (elle fut construite depuis plus de 3 000 ans avant notre ère !).
C’était une petite ville, mais avec de nombreuses maisons à étages. Ces
maisons étaient plus petites qu’à Cnossos et elles n’avaient pas de cours,
probablement à cause du manque de place. De toute façon, les gens riches ne
venaient ici que pour travailler.
Les rues, sinueuses et pentues, étaient pavées avec des écoulements pour
les eaux usées. Comme la ville avait été construite sur une petite colline, les
eaux pluviales lavaient bien les rues et emportaient toutes les saletés vers la
mer. La ville était donc exceptionnellement propre.

Le rez-de-chaussée de chaque maison était aménagé en bureau de négoce


ou en atelier. C’était le lieu de travail. L’étage, muni de tout le confort, était
consacré à l’habitation, avec salle de réception et chambres à coucher. Les
murs des pièces étaient décorés de toutes sortes de peintures représentant des
scènes de la vie des habitants. Ces fresques restèrent en parfait état durant des
milliers d’années.
Les petites maisons étaient habitées par des artisans locaux : potiers,
maçons, réparateurs, pêcheurs et épiciers. Ils étaient relativement riches, mais
leur fortune ne pouvait pas être comparée à celle des grands commerçants.

Comme beaucoup de voyageurs faisaient escale sur l’île, il fallait leur


assurer confort et distractions. On y trouvait donc des maisons très
accueillantes où de belles dames vendaient aux « nécessiteux » leurs
charmes, pas cher et pour peu de temps. Bien entendu, ces distractions étaient
très appréciées après les longs voyages en mer où le chant des sirènes avait
déjà surexcité les pauvres mâles privés de femmes. Et puis, en ces temps-là,
les aventures galantes étaient très bien vues, même par les dieux qui ne s’en
privaient pas non plus. Pourquoi les auraient-ils interdites aux pauvres gens ?

Je ne dois pas passer sous silence qu’à peine quelques siècles plus tard,
vers 1 600 avant notre ère, cette île magnifique a été détruite par une
explosion volcanique. Le centre de l’île disparut sous la mer. Certains
historiens assimilent cette catastrophe naturelle à la disparition de l’Atlantide.
Ce mythe est issu de l’imagination des hommes mais il est certain que les
effets de ce cataclysme furent terribles, notamment pour la Crète qui fut
dévastée par le raz de marée et recouverte de cendres. Ce raz de marée fut
ressenti même en Égypte.

Naxos

Naxos est la plus grande île des Cyclades. C’est une belle île verte
comparée aux autres. On y faisait de l’élevage et de l’agriculture. Sa capitale,
Naxos, était construite au bord de la mer et protégée par des remparts contre
les attaques des pirates, attirés par sa richesse.
Cette île présente peut d’intérêt historique, mais fait partie de la
mythologie.

Thésée, fils du roi d’Athènes, partit pour la Crète pour tuer dans son
labyrinthe le célèbre Minotaure, mi-homme mi-taureau, à qui on devait
sacrifier chaque année des jeunes gens. Dès son arrivée, Ariane, fille du roi
Minos tomba amoureuse de lui. Elle le prévint qu’il ne pourrait pas sortir du
labyrinthe sans son aide, même s’il tuait le Minotaure. Pour obtenir son aide,
il fallait qu’il l’épousât. Comme Ariane était une très belle fille, Thésée
accepta volontiers sa proposition. Ariane lui remit donc une grande bobine de
fil qu’il devait dérouler en avançant dans le labyrinthe pour retrouver ensuite
le chemin de retour.
Thésée tua le Minotaure et ressortit sans problème du labyrinthe. Il épousa
Ariane, puis les amoureux partirent en bateau. Ils firent l’amour durant tout le
trajet puis, arrivé à Naxos, Thésée débarqua Ariane et l’abandonna sur l’île.
En avait-il assez, en était-il fatigué ? Peu importe, il repartit seul. La pauvre
Ariane abandonnée pleura toutes les larmes de son corps, mais pas trop
longtemps. En effet, peu après, Dionysos (encore un fils hors mariage de
Zeus !) passa par là, attiré par les pleurs d’Ariane. C’était un bon vivant qui
aimait boire, manger et bien entendu séduire les belles femmes. Il ne
demandait pas mieux que de réconforter la pauvre femme abandonnée par
son amant. Si bien qu’Ariane oublia vite son Thésée, si peu viril et si mufle,
réalisant qu’elle était gagnante, puisque Dionysos était un vrai « pro » en
amour à côté de lui. Elle en fut si contente qu’elle fit construire un temple à la
gloire d’Apollon pour le remercier de son aide à l’endroit même où Thésée
l’avait abandonnée.
Les défenseurs de Thésée prétendent que Dionysos exigeait qu’il lui
abandonnât Ariane. On ne connaîtra jamais la vérité. Peu importe, puisqu’à la
fin de cette histoire tout le monde était content.
Ariane découvrit un joyeux luron bien viril en Dionysos (beaucoup plus
intéressant que le minable Thésée) qui était un demi-dieu en réalité et non
seulement en amour.
Dionysos trouva très agréable la compagnie de sa nouvelle amante,
affamée d’amour.
Thésée, débarrassé de son amoureuse exigeante et fatigante, retrouva sa
liberté, puis son pays, où il fut reçu en vrai héros vainqueur du Minotaure. Il
y a toutefois un point noir dans cette histoire idyllique. Thésée oublia la
promesse faite à son père Égée qu’en cas de victoire il hisserait une voile
blanche au mât de son bateau en arrivant. Égée, croyant son fils mort, se jeta
à la mer qui porte aujourd’hui son nom.

Délos

Délos est la plus petite île habitée des Cyclades. Jadis, cette île n’était
qu’un amas de pierres émergeant de la mer, où aucun navigateur ne s’arrêtait.
Mais plus tard, elle dut sa célébrité à son aspect hostile.

Selon la mythologie, Apollon, dieu préféré des Grecs, naquit sur cette île.
Comme d’habitude, une fois de plus, Zeus avait trompé sa femme Héra avec
une belle mortelle, appelée Léto, qui bien entendu tomba enceinte. Malgré la
banalité de la chose, Héra, devenue une vraie furie (on ne comprend pas
pourquoi), voulut tuer la pauvre Léto, lâchement abandonnée par son amant.
Celle-ci, apprenant le danger, s’enfuit en bateau du palais de Zeus pour
sauver sa peau et son enfant. Elle erra d’île en île sans pouvoir s’arrêter. Tout
le monde la chassait, craignant la colère d’Héra. Épuisée, elle arriva enfin sur
une petite île inhabitée et hostile. À peine eut-elle mis les pieds sur la terre
ferme, qu’elle accoucha sous un palmier, près d’un petit lac, d’une fille
qu’elle appela Artémis. Mais ses contractions continuaient, et elle mit au
monde, selon la légende avec l’aide d’Artémis, un magnifique garçon qu’elle
appela Apollon. Toujours selon la légende, Apollon naquit avec des armes à
la main et se redressa aussitôt.
Depuis, on appelle cette île l’île d’Apollon. Il n’est pas étonnant que par la
suite elle attirât les navigateurs voulant se mettre sous sa protection.

Par la suite, sa situation géographique attira également les voyageurs


puisqu’elle était facilement accostable même par les gros navires. En
revanche, on n’y trouva même pas de l’eau. Il fallait y transporter tout par
bateaux. Malgré cela, tous les commerçants riches voulaient y installer des
résidences secondaires. Les grandes maisons et palais sortaient de la terre
comme des champignons. Certains étaient même équipés de piscines. Les
murs des grandes pièces étaient recouverts de peintures montrant des scènes
de la vie quotidienne.
Les plus riches occupaient la colline centrale de l’île d’où la vue était
imprenable. Les pierres nécessaires n’y manquaient pas ! On y construisit
même des hôtels pour les voyageurs occasionnels.
La grande curiosité de cette île minuscule était le mélange de toutes sortes
de nations et de religions qui cohabitaient en paix. On y trouvait toutes sortes
de temples, dont les plus importants étaient celui d’Apollon, puis celui d’Isis.

RETOUR EN EUROPE ORIENTALE

Après la découverte des civilisations méditerranéennes extraordinaires, il


était temps de voir les conditions de vie modestes des peuples moins évolués
vivant en Europe orientale. Pour y arriver, on pouvait poursuivre le voyage
par mer, après les Cyclades, afin de faire la connaissance des habitudes des
gens de la région. Cette route maritime dangereuse, à cause des orages et de
la piraterie, était déjà très fréquentée dans l’Antiquité par des commerçants
et, bien entendu, par des pirates. Les plus dangereux étaient encore les
commerçants phéniciens qui avaient la fâcheuse habitude de compléter leur
cargaison avec celle des autres navires marchands, mal défendus. Mais c’était
un risque à courir.
La route maritime passait par le détroit des Dardanelles. Avant de
s’engager vers la mer Noire, les voyageurs devaient s’arrêter pour un bon
bout de temps afin que les douaniers de la ville de Troie puissent vérifier le
chargement et fixer le montant des taxes. Depuis des siècles, ils faisaient
payer des droits de passage à tous les bateaux empruntant le détroit où se
trouvait leur ville.
Troie devint immensément riche et puissante. Les navigateurs préféraient
donc payer au lieu de s’exposer à la colère des guerriers troyens.
Troie, la dernière ville civilisée sur cette route maritime, vivait son âge
d’or. C’était une ville très riche et fortifiée. Il fallait la défendre contre les
pirates et contre les peuples voisins attirés par sa richesse inestimable. Elle
était construite sur une colline, près de la mer, protégée par un rempart
imprenable et on ne pouvait y entrer que par une seule immense porte en
bronze. Comme partout ailleurs, les pauvres habitaient en dehors des murs,
mais pouvaient y entrer en cas d’attaque. Selon les légendes, les murs de
Troie étaient protégés à l’extérieur par des amazones, femmes guerrières
vivant dans ses environs, selon un système matriarcal. C’étaient des déesses
invincibles, chevauchant nues, armées jusqu’aux dents, n’admettant aucun
homme parmi elles. Cependant, elles entretenaient de bonnes relations avec
les Troyens, faisant des échanges à l’amiable : quelques princesses quittèrent
leur ville pour devenir amazones et certaines amazones « déchues » furent
épousées par des Troyens.
Au centre de la ville se trouvait le palais royal fortifié, ceinturé aussi par
une muraille. Depuis que le monde existait, personne ne pouvait pénétrer
dans cette ville sans autorisation.
Les habitants étaient aimables et accueillants avec les navigants, sources de
leur richesse. En revanche, ils étaient très méfiants avec les « gens de l’Est »
qui ne pensaient qu’à piller et tuer partout où ils passaient. On parlait de plus
en plus des « proto Hittites », peuples bizarres, ni sémites ni indo-européens.
Ils venaient d’Asie centrale ou de plus loin encore, passant entre les mers
Noire et Caspienne. On ne savait rien d’autre, sinon qu’ils étaient des
guerriers redoutables.

En quittant Troie, la route maritime ne présentait plus d’intérêt. Il était


préférable de remonter vers le nord le long de mer Noire afin de connaître les
peuples qui y habitait.
Les régions traversées étaient incroyablement sauvages et inhabitées. Il est
à peine croyable qu’à quelques centaines de kilomètres un peu plus au sud, se
trouvait une très ancienne grande ville, Hattousa, capitale fortifiée des
Hittites, et que plus loin au sud commençait déjà la grande civilisation
mésopotamienne.

Les premiers groupes d’hommes rencontrés aux alentours des monts


Caucase étaient des fuyards arrivant de l’est, poursuivis par des hordes
sauvages. On ne pouvait pas savoir d’où ils venaient, qui ils étaient, mais ils
avançaient tous vers le sud, entre les deux mers. Ils avaient des armes
modernes en bronze et chevauchaient de petits chevaux en poussant des cris
stridents qui épouvantaient les fuyards. Ils parlaient une langue totalement
inconnue. On les appelait des Mitanniens, des Hourrites, des Kassites ou
des Hittites. On peut imaginer avec horreur les pillages et les massacres
qu’ils firent dans les pays riches et civilisés de la Mésopotamie, quand ils ne
rencontraient pas de résistance !
Les fuyards étaient massacrés ou absorbés par ces hordes sauvages, dont le
nombre augmentait ainsi au fur et à mesure qu’elles avançaient.

Au nord de la mer Caspienne, on longeait le fleuve Volga durant des


centaines de kilomètres. On n’y rencontrait que des peuples paisibles vivant
de l’élevage et de la cueillette. Plus on avançait, plus les paysages
paraissaient paisibles. De loin, à l’est, on pouvait apercevoir les monts Oural
qu’il fallait longer pour retrouver les peuples installés au nord.

Les « Hongrois » retrouvés

Les habitants du nord-ouest de l’Oural s’exprimaient en langue finno-


ougrienne, très différente des autres langues parlées dans les pays
méditerranéens. Ils vivaient dans de petits villages de huttes. Ils pratiquaient
la chasse, la pêche et l’élevage.
Quel contraste avec les constructions en pierre et en brique des pays du
Sud ! Ils avaient déjà cependant quelques armes primitives en bronze. Bien
entendu, ce n’était pas de leur fabrication, ils n’en étaient pas capables. Mais
ils en étaient très fiers.
Ils devinrent très nombreux en quelques milliers d’années. Il fallait donc
trouver des régions plus vastes et plus luxuriantes pour nourrir leur bétail.
Après une longue réflexion, les tribus décidèrent de se séparer en deux
groupes et d’aller dans deux directions opposées. L’un des deux groupes, les
Finnois, choisit le nord-ouest, l’autre, les Hongrois, le sud-est.

Cette rupture des tribus finno-ougriennes se produisit 2 000 ans avant notre
ère, juste à la fin de la période chaude, au début d’une nouvelle ère de
glaciation. Les pauvres Finnois ne pensaient pas encore au refroidissement du
climat de l’Europe du Nord. S’ils avaient su, ils auraient suivi les Hongrois.
Aujourd’hui, 4 000 ans après, ils regrettent encore leur mauvaise décision.

Les Hongrois longèrent longtemps le versant occidental de l’Oural. À


quelques centaines de kilomètres au sud, le paysage changeait totalement. À
l’ouest, on voyait l’Oural, offrant des terrains de chasse privilégiés et à l’est
s’étendaient des steppes jusqu’à l’infini, où leurs bêtes pouvaient paître.
Pourquoi aller plus loin ? C’était l’endroit idéal pour leur élevage semi-
nomade et bientôt, pour l’agriculture. Toute la région paraissait luxuriante et
inhabitée. Comparé à leur ancien pays, c’était un véritable paradis. Ils
pourraient y rester définitivement.

Retour vers le Sud

Cette région de l’Europe ne présentait aucun intérêt. Il était donc plus


intéressant de revoir l’évolution des pays du Sud, notamment la
Mésopotamie.
Avant d’y arriver, on pouvait voir avec inquiétude le défilé des hordes
sauvages au sud de l’Oural. La zone entre l’Oural et la mer d’Aral était une
autoroute : comme le jour de grand départ en vacances, des hordes
interminables y déferlaient de l’est vers l’ouest. Des vagues de fuyards
pacifiques couraient devant des hordes armées. Malheur à ceux qui étaient
rattrapés ! Ils étaient massacrés ou absorbés par les poursuivants. C’était la
loi des steppes.
Il y a quelques centaines d’années, on pouvait déjà rencontrer ce gendre de
migrations dans le Caucase, mais je la croyais occasionnelle. Or, il s’agissait
là d’une interminable ruée vers l’ouest.
Mais d’où venaient et où allaient ces peuples ? Qui les pourchassait ?
Qu’est-ce qui se passait à l’est ? Qu’elle était cette source humaine
inépuisable qui déversait tous ces hommes vers l’ouest ? Je comprenais les
fuyards qui sauvaient leur peau, mais pas les poursuivants. La région était
riche et agréable à vivre. Elle aurait pu les nourrir en paix. Je ne comprenais
pas cette fièvre de courir, de se déplacer en masse, comme des oiseaux
migrateurs (eux, au moins, ils étaient obligés de migrer à cause du
changement de climat). Peut-être était-ce une sorte d’instinct de survie
inexplicable. Une chose était sûre : tous ces migrants, fuyards ou
poursuivants, étaient des Indo-européens. On pouvait reconnaître leur langue.

La nouvelle Mésopotamie

La Mésopotamie est vraiment le pays des surprises. Elle a une force


magnétique, une sorte d’atavisme qui attire les hommes. Comme si, sans
aucune explication, tous les êtres humains voulaient retourner dans leur
berceau.
Les nouveautés n’y manquaient pas après quelques centaines d’années,
mais pas celles que j’attendais. Je m’attendais à des changements techniques
et culturels. Or, de ce point de vue, je fus déçu. Durant les dernières centaines
d’années, les techniques avaient peu évolué. Il est vrai qu’après une évolution
aussi rapide, une certaine accalmie devait s’établir.

Vers 1700 avant notre ère, la région et la population en revanche avaient


beaucoup changé. Les hordes guerrières venant de l’est, l’une après l’autre,
avaient envahi le pays. D’abord les Hittites qui, heureusement pour l’instant,
restaient au nord du pays, où ils s’établirent. Ils y construisirent leur capitale,
Hattousa, forteresse imprenable, en dominant l’Anatolie.
Presqu’en même temps, arrivèrent des Hourrites, des Mitanniens et des
Kassites à Babylone. Enfin, les Amorrites dominaient toute la Mésopotamie,
établissant l’empire assyrien.
La puissance de l’Égypte connut aussi son déclin. Les Hyksos traversèrent
la Palestine et dominèrent le Nord de l’Égypte.

En Mésopotamie, la situation politique était déjà stable, après de


nombreuses guerres qui restaient encore dans la mémoire de la population. Le
roi Hammourabi, qui ne fut pas un grand guerrier comme la plupart des rois
de l’époque, mais était sage et rusé, laissa se battre ses voisins entre eux, puis
une fois qu’ils furent épuisés, avec ses armées fraîches et reposées, il les
écrasa. Babylone, grande ville moderne construite vers 2000 avant notre ère,
devint la capitale de son royaume.
Selon la Bible, des hommes orgueilleux y construisirent la tour de Babel
pour arriver jusqu’au ciel, jusqu’à dieu, qui les punit en rendant leur langue
incompréhensible entre eux, les obligeant ainsi à abandonner la construction.
Les archéologues trouvèrent en effet les restes d’une tour immense, mais il
s’agit de ceux d’une ziggourat, une sorte de pyramide tronquée, au sommet
de laquelle un temple était élevé, construction courante à cette époque.
Quelques milliers d’années suffirent pour perturber les langues des
différents peuples dispersés sur les continents.

Ninive n’était plus qu’une ville secondaire sous le règne d’Hammourabi,


qui ne le gênait pas. En revanche, Mari, capitale de Mitanni, au nord, sur
l’Euphrate, le blessait dans son orgueil avec sa richesse et ses puissantes
murailles. Il la fit donc démolir et fit construire une petite ville modeste à la
place. C’était bien dommage, car Mari était une ville royale magnifique
depuis le déluge de la Mésopotamie.
Hammourabi était très célèbre du fait de son administration. Il établit des
lois réglementant tous les actes de la vie civile. La plupart de ses lois étaient
des lois sumériennes et sémites réactualisées. La plus grande nouveauté était
la hiérarchisation des peines, pour avoir le même effet sur toutes les
catégories de population. Il s’agissait d’établir des « tarifs » différents pour la
même faute, selon la richesse du condamné. Les riches devaient payer
beaucoup plus que les pauvres.
Comme curiosité, on peut citer la loi concernant l’adultère. Quand le mari
trompait sa femme, il n’y avait aucune poursuite contre lui, sauf
éventuellement s’il fautait avec une femme mariée, dont le mari pouvait
demander un dédommagement. En revanche, la femme infidèle était
condamnée à mort, mais son mari pouvait lui pardonner et demander la
modification de la peine.
Afin d’éviter une éventuelle mauvaise interprétation des lois, il les fit
graver sur des blocs de pierre ou des plaques en terre cuite. La plus célèbre de
ces « plaques de lois » est une colonne de granite de 2,25 m de haut, avec ses
282 lois gravées, exposée actuellement au musée du Louvre.
Le peuple de Mésopotamie était très cosmopolite et parlait donc plusieurs
langues. La langue culturelle était sumérienne et celle des commerçants,
sémite. C’était un handicap pour la centralisation du royaume. Hammourabi
imposa donc l’akkadien et toutes les lois devaient être rédigées dans cette
langue, mais en écriture sumérienne cunéiforme. La gestion du pays était
confiée à des gestionnaires centralisés qui remplaçaient les nombreux princes
et seigneurs, anciens gouverneurs.
Hammourabi imposa le monothéisme en Mésopotamie. Il choisit
l’adoration du dieu Mardouk, qui devint la religion de l’État. C’était une
nouveauté, car les peuples de l’époque se sentaient plus en sécurité en
vénérant plusieurs dieux, pensant en trouver toujours un qui les écoute.

En ces temps, vivait à Ur, au sud de la Mésopotamie, Abraham, patriarche


sémite biblique, fondateur d’un autre type de monothéisme. Son
monothéisme était très différent de celui imposé de Mardouk, qui était une
idole, alors que Jéhovah, dieu d’Abraham, était le créateur tout puissant,
surnaturel, invisible et irreprésentable. C’est sans doute la volonté de
répandre la foi en Jéhovah qui fut la raison principale du départ d’Abraham
d’Ur et non seulement la promesse de Jéhovah de lui donner Canaan, terre
encore plus riche que la Mésopotamie. Selon la Bible, Abraham était un
descendant direct de Noé et Ur (de Chaldée) signifiait « la route vers
Canaan ». Mais tout ceci est décrit en détail dans la Bible.

Quelques siècles après le déluge, on reconstruisit Ur qui devint la capitale


de toute la Mésopotamie. Elle atteignit son âge d’or vers 2100 avant notre
ère, puis les envahisseurs hourrites écrasèrent le royaume affaibli. Mari,
récemment construite, devint la nouvelle capitale et Ur tomba au deuxième
rang. C’était décevant, car après Mari et Babylone, cette ancienne ville ne
présentait plus aucun intérêt.

Suse, capitale de l’Élam

Élam était situé à côté de la Mésopotamie et Suse, sa capitale, à peine à


quelques centaines de kilomètres d’Ur. C’était une grande ville, construite au
bord du fleuve Karkhé.
À cette époque, depuis le déluge, le golfe Persique recouvrait la région
méridionale de la Mésopotamie jusqu’à Ur. La Karkhé se jetait directement
dans la mer et Suse n’était donc qu’à une centaine de kilomètres de son
embouchure. Quelques siècles plus tard, le niveau de la mer avait baissé et la
Karkhé devint un affluent du Tigre.
La Karkhé descend des monts Zagros, comme les Élamites, peuple d’Élam,
très différents des Sémites, parlant une langue asianique disparue depuis
longtemps. Avec le radoucissement progressif du climat, 5 000 ans avant
notre ère, les bergers et les chasseurs quittèrent la montagne pour s’installer
dans la vallée et faire de l’élevage, puis de l’agriculture. Des campements
devenaient des villages, puis des villes. 3 500 ans avant notre ère, Suse était
déjà une grande ville fortifiée au centre de laquelle fut érigée une ziggourat
(tour pyramidale) avec un temple à son sommet. Les Élamites avaient les
mêmes traditions que les Égyptiens. Leur roi était considéré comme le
descendant du dieu, qu’il représentait sur la Terre. On enterrait les
personnalités dans des monuments funéraires avec des récipients peints en
terre cuite, remplis de nourriture.

À son apogée, Suse faisait partie des plus riches villes de son époque, car
Élam était à l’origine de la métallurgie et était aussi puissant que son voisin,
Sumer. En effet, les monts Zagros étaient très riches en minerais de cuivre et
d’étain. Les Élamites en extrayaient des métaux et fabriquaient des outils et
des armes qu’ils vendaient à leurs voisins. Mais ils vendaient aussi des
minerais. À l’âge de bronze, Élam en était le fournisseur exclusif dans toute
la région jusqu’à l’Égypte. Plus tard, sa puissance fut écrasée par des armes
fabriquées et vendues par lui-même !
Sa richesse attirait la convoitise de ses voisins puissants et guerriers (on
peut bien dire que l’Élam vendait des armes pour se faire battre !). Il fut
dominé d’abord par Sumer, puis par Babylone. On utilisait donc en Élam
l’écriture sumérienne dès 3300 avant notre ère, puis les lois babyloniennes.
Les Élamites adoraient d’abord la déesse Kiririsha, puis vers 2000 avant
notre ère, les dieux Houmban (seigneur des cieux) et Shushinak (seigneur de
Suse). Le serpent était l’animal sacré de leurs prêtres.
De 2000 à 1600 avant notre ère, Élam, profitant de la faiblesse de la
Mésopotamie, obtint son indépendance et redevint une grande puissance.
Mais il n’abusait pas de sa puissance. Ses relations avec ses voisins restèrent
purement commerciales. Son commerce lui suffit pour être une grande
puissance durant des siècles, mais il devait prendre souvent les armes pour se
défendre contre la convoitise de ses voisins, notamment contre les seigneurs
babyloniens. Ce petit peuple élamite pouvait résister vaillamment aux
attaques répétées de ses voisins, mais pas aux nouveaux envahisseurs kassites
arrivés des plateaux des monts Zagros qui se déversèrent d’abord sur
Babylone, puis sur l’Élam, vers 1600 avant notre ère. Élam perdit sa
puissance et son indépendance. Toutefois, ses relations commerciales
restèrent toujours bonnes avec ses voisins et même l’arrivée des Kassites n’y
changea rien.

Après la Mésopotamie, il était temps de voir ce qui se passait plus à l’est,


en Asie, et de connaître enfin cette fameuse source mystérieuse de tribus
sauvages qui déferlaient sans cesse vers l’Occident.

VALLÉE DE L’INDUS, MOHENJO-DARO

Très à l’est de la Mésopotamie, la vallée de l’Indus comptait parmi les


grandes puissances économiques depuis des milliers d’années. Ses premiers
habitants étaient des Dravidiens, bergers nomades descendus du plateau du
Cachemire, poussés par de mauvaises conditions climatiques. Selon certains
ethnologues, ils sont à l’origine de la civilisation occidentale. C’est fort
possible, puisque toutes les vagues de populations, civilisées ou barbares,
arrivaient de l’Orient.
La richesse de ce nouveau pays changea fondamentalement les habitudes
de ces bergers nomades qui s’établirent définitivement dans la vallée de
l’Indus. Ils y trouvaient des pâturages riches sans se déplacer. Petit à petit, ils
se mirent à cultiver la terre régulièrement irriguée et amendée par les crues du
fleuve. Comme en Égypte, en Mésopotamie et en Élam, on pouvait y faire
plusieurs récoltes par an. Ils exportaient l’excédent de production, céréales,
coton et poteries, vers l’Arabie et la Mésopotamie, qu’ils échangeaient contre
des huiles parfumées et du cuivre. Le transport des marchandises se faisait
par bateaux, développant ainsi la navigation sur l’Indus et en mer.

Plus de 4 000 ans avant notre ère, le peuple dravidien fonda Harappa, au
nord de la vallée de l’Indus, puis un peu plus tard, à quelques centaines de
kilomètres au sud, Mohenjo-Daro. Ces deux grandes villes étaient très
différentes des villes de l’époque. Elles s’étendaient sur un territoire
immense, pratiquement sans frontières. Seul le centre de la ville était fortifié.
On raconte qu’il y a longtemps, les trois grandes civilisations, Égypte,
Mésopotamie et Indus, rivalisaient en culture et en richesse. Toutes les trois
maîtrisaient leur propre écriture. Puis pour une raison encore inconnue (selon
certains, du fait du débordement soudain du fleuve Indus), la civilisation
mystérieuse de l’Indus disparut avec son écriture (jamais déchiffrée !) durant
plusieurs siècles, pour renaître ensuite sans écriture ! Les sages de la nouvelle
civilisation considéraient l’écriture avec mépris, car selon eux, le message
doit passer directement de la bouche du maître à l’oreille du disciple. Pour
eux, la parole authentique vibre, agit et contient tous les mystères du monde.

Mais revenons à l’Indus de notre époque.


Mohenjo-Daro était plus grande et plus concentrée qu’Harappa. Elle était
construite sur des collines, sur la rive occidentale de l’Indus. Au sommet de
la plus haute colline s’élevait une citadelle permettant d’observer toute la
région. À l’intérieur de la citadelle se trouvait une piscine. On pouvait y
accéder par des escaliers symétriques, depuis la vallée. Il n’y avait ni château,
ni temple, mais de grandes maisons à étages, avec des balcons. La ville était
bien structurée avec des rues et des places sur lesquelles se trouvaient des
fontaines publiques alimentées par les eaux pluviales, captées dans des
citernes. Tout y était bien organisé, mais il n’y avait pas d’armée, jugée
inutile dans ce coin perdu, loin de tout. Il n’est donc pas surprenant que les
premiers envahisseurs arrivés, des tribus aryennes envahissent d’abord le
Nord, puis tout le pays, sans rencontrer aucune résistance, mettant ainsi fin,
une nouvelle fois encore, à une civilisation plus que millénaire, au moment
de son âge d’or.

En langue sanscrite, « aryen » signifie homme noble ou libre. On avait


donné ce nom aux courageux et fiers nomades fuyant la sécheresse des
régions du nord-ouest du Turkménistan.
Après l’invasion de toute la vallée de l’Indus, ils prirent le pouvoir et
instaurèrent leur structure sociale, en classant la population en trois
catégories :
• agriculteurs, éleveurs et commerçants ;
• les gens de culture devinrent prêtres et enseignants ;
• les guerriers devinrent seigneurs ou politiciens.

Après Harappa, il fallait voir également ce qui se passait au nord-est de


l’Asie, dans un mystérieux pays appelé Chine.

LA CHINE

Après Yarkand, la dernière ville avant la Chine, la route fut longue et


pénible que ce soit à travers le désert de Takla-Makan (qui signifie que
« celui qui y entre, n’en sort plus ») ou même en le contournant. En réalité,
deux grandes routes partaient de Yarkand vers la Chine : les routes du nord et
du sud. On commençait déjà à les appeler « routes de la soie », bien qu’elles
ne vissent pas encore beaucoup de soie, article si précieux, si rare, mais que
les Chinois fabriquaient déjà depuis plusieurs siècles. Ces deux routes
contournaient le grand désert pour se rejoindre ensuite en Chine, à l’oasis de
Touen-Houang, à la « porte de Jade ». Une dizaine de siècles plus tard, ces
routes se prolongèrent jusqu’à l’Europe, en passant par Samarcande, puis en
se divisant encore en deux branches, l’une passant au nord des mers
Caspienne et Noire pour arriver à Rome, l’autre au sud, vers la Mésopotamie.

La civilisation chinoise était moins ancienne que celle du Proche-Orient,


mais rattrapa très vite son retard avec son âge de bronze. Au début, le pays
était gouverné par des seigneurs puissants, très indépendants, qui se battaient
non seulement contre les envahisseurs barbares, mais aussi entre eux.
La façon de voir le monde et la spiritualité des Chinois étaient assez
particulières. Parmi les nombreuses explications de la création de l’Univers, il
est intéressant de citer la Légende de Pangu :

Dans le néant, un œuf se brisa en deux. La partie supérieure forma la


voûte céleste et la partie inférieure, la Terre. Entre les deux se trouvait
Pangu, une sorte « d’homme-parasite », qui se mit à grandir et avec lui les
deux demi-coques. En quelques milliers d’années, l’homme Pangu devint
géant et le Ciel et la Terre illimités, occupés par des dieux, tout en gardant
leur forme. Les descendants de Pangu, les hommes, vivaient sur la Terre,
mais après leur mort, ils remontaient au Ciel, à côté des dieux du Ciel, dont
ils demandaient la protection pour les vivants contre les dieux cruels de la
Terre. En remerciement, les hommes faisaient des sacrifices humains pour
les morts, leurs ancêtres et pour les dieux du Ciel.
La religion chinoise est donc centrée sur l’adoration des ancêtres et
des dieux du ciel.

Les seigneurs choisirent un roi parmi eux, dont le rôle était purement
religieux. Il devait assurer la liaison entre les vivants et les morts.
Les sacrifices humains étaient très fréquents, mais pour des demandes
mineures, on se contentait du sacrifice des animaux. En revanche, après la
mort du roi ou d’un grand seigneur, on enterrait les épouses, les serviteurs et
même quelques soldats avec lui pour le protéger dans sa nouvelle vie.

Au début, le territoire était limité à la vallée du fleuve Jaune, très souvent


inondée. Comme dans les vallées du Nil, du Tigre et de l’Indus, la terre
fertilisée par des inondations assurait deux, voire trois récoltes par an. Selon
la légende, l’un des premiers rois chargea son ami, le comte Yu, d’étudier la
régulation du fleuve pour limiter les dégâts causés par les inondations. Afin
de combattre les eaux, Yu conclut une alliance avec le dieu du Fleuve. Il lui
céda la moitié de son corps en gage de sa personne pour obtenir l’autorisation
de maîtriser le lit du fleuve. Yu était un grand scientifique et aussi un
excellent gestionnaire. Il avait parcouru le monde civilisé pour connaître tout
ce qui s’y passait. Il fut élu roi sous le nom de Yu le Grand, vers 2200 avant
notre ère. Il créa la première dynastie chinoise, celle des Xia, dont la capitale
était la ville d’Erlitou, au bord du fleuve Jaune. Il y fit construire son palais
royal et des ateliers de fabrication d’objets d’art. Dès son élection, il réunit
les seigneurs féodaux à la montagne Sacrée pour les informer de ses projets.
Un des seigneurs, arrivé en retard, fut sacrifié sur l’autel du dieu du Sol,
protecteur de la nouvelle dynastie. Il modernisa le pays et expulsa les vertus
périmées. Sous son règne, la Chine devint une grande puissance militaire et
artistique.

La soie commençait déjà à être connue à cette époque, mais seulement


comme curiosité. La domestication des divers animaux (chevaux, bœufs,
chiens, moutons, chèvres) date aussi de cette époque. Depuis la dynastie Xia,
la Chine commerçait avec l’Asie centrale et avec le Proche-Orient, à travers
le Turkestan.

La dynastie Xia se termina dans la décadence. Les riches ne connaissaient


plus de limite à leurs extravagances et pour devenir encore plus riches, ils
faisaient « saigner » les pauvres. On raconte encore que Jie, le dernier roi de
cette dynastie, avait pour passe-temps favori de canoter avec son épouse dans
un lac de vin autour duquel des milliers de couples nus se livraient à des
orgies, pendant que le peuple mourait de faim.
Vers le XVe siècle avant notre ère, cette dynastie fut renversée par Tang « le
Victorieux », qui fonda ensuite la dynastie des Shang. La capitale des Shang
fut Anyang, au nord de la Chine, jusqu’à la fin de la dynastie. C’était une
grande ville fortifiée, construite après consultation des oracles. Cette nouvelle
dynastie fut très prospère durant plusieurs siècles. Elle fut marquée par
l’extraordinaire développement de la Chine qui, en très peu de temps, rattrapa
son retard sur les autres civilisations. L’écriture chinoise date aussi de cette
époque. Le seul point noir de la dynastie des Shang était le sacrifice humain,
couramment pratiqué pour vénérer les ancêtres et lors des nouvelles
constructions de murs et de villes, afin d’assurer leur solidité. La plupart des
victimes étaient choisies parmi les prisonniers de guerre, les criminels ou
parmi les étrangers arrivés au mauvais moment en Chine.
Le bronze, découvert tardivement en Chine et peu utilisé, devint un
matériau courant. On en faisait non seulement des outils et des armes, mais
aussi des objets d’art (vases, statues, bijoux, etc.) magnifiquement travaillés,
très prisés par les commerçants étrangers. Des coquilles de porcelaine étaient
utilisées comme monnaie locale. On faisait aussi des poteries fines décorées,
en céramique presque transparente, sur lesquelles les dessins préférés étaient
des dragons et divers monstres mythologiques. Le jade était aussi très connu.
On en faisait des sculptures et d’autres objets d’art.
La plus extraordinaire découverte et la plus gardée fut la soie. L’Occident
mit une trentaine de siècles pour réussir à voler son secret aux Chinois.
L’élevage du ver à soie était déjà pratiqué au début de la dynastie Xia, mais il
ne devint industriel que durant celle des Shang. La soie devint l’article le plus
recherché et le plus cher pour l’Occident.
Il faut y ajouter aussi les progrès scientifiques. Les Chinois avaient leur
calendrier constitué de douze mois de 29 ou 30 jours. Ils utilisaient le
système décimal pour les calculs.

À cette époque, les Chinois se lancèrent dans la construction d’une


nouvelle grande ville au bord du fleuve Jaune, appelée Cheng-Chou, qui
s’inspirait des connaissances du passé, avec les avantages des découvertes
récentes. C’était un immense chantier visant à créer une ville pilote pour la
dynastie des Shang, voulant en faire une ville exemplaire en y associant les
avantages de la tradition chinoise avec le confort moderne. Après
consultation des dieux, son emplacement fut choisi sur un site idéal, près du
fleuve Jaune, sur la route des caravanes de commerçants qui devaient
l’enrichir plus tard par les taxes de passage.
Sa construction était fidèle à la tradition chinoise de l’époque. Comme
toutes les grandes constructions, elle était basée sur la terre battue. Tout était
grand et massif. On construisit d’abord les fondations en terre battue. On y
érigea ensuite, en bois sculpté, un immense palais sans étage, décoré avec des
dragons et des monstres mythologiques.
Un autel pour les cérémonies traditionnelles de sacrifices humains fut érigé
au nord du palais. Plus au sud, les maisons d’habitation s’étalaient tout autour
du palais, puis les ateliers des potiers, des sculpteurs et de divers artisans. Les
silos de stockage de grains et de produits manufacturés étaient à la périphérie
de la ville, mais à l’intérieur des murs de protection. L’ensemble de la ville
était ceinturé par un mur en terre battue de 10 m de haut et de 7 km de long.
Les ateliers polluants, les fours et les fonderies étaient installés à l’extérieur
des murs, ainsi que les élevages, nécessitant de grandes surfaces. Tout était
donc bien pensé et bien étudié. Aucun détail n’était négligé. Cependant, ces
constructions très belles paraissaient encore très primitives comparées à
celles de l’Occident (en blocs de pierre en Égypte ou en briques de terre cuite
en Mésopotamie) qui restaient éternelles.

La nouvelle ville était gouvernée par un seigneur, désigné par le roi lui-
même, qui résidait à Anyang. Ce seigneur faisait souvent la guerre contre les
peuples barbares vivant au nord du pays. Ces guerres lui permettaient de tenir
à l’écart les hordes sauvages et surtout, de capturer des esclaves pour les
travaux et pour les sacrifices humains.

Deux produits, la porcelaine et la soie, dont le mode de production était


gardé secret, étaient encore pratiquement inconnus en dehors des frontières
de la Chine.
La soie était produite par des vers blanchâtres, nourris de feuilles de
mûriers. Arrivé à maturité, chaque ver s’enfermait dans un cocon, tissé autour
de lui en fil continu excrété très fin qui, débobiné, donnait le fil de soie. Le
ver se métamorphosait en papillon dans le cocon et, une fois libéré, pondait
des œufs, donnant naissance aux vers.
La porcelaine était aussi une invention chinoise au secret longtemps bien
gardé. Il en existait de plusieurs qualités très différentes.
La plus précieuse était la porcelaine fine, très solide et presque
transparente. On en faisait de magnifiques petits objets d’art d’une finesse et
d’une beauté extraordinaire.
La porcelaine blanche servait pour la fabrication de gros objets utilitaires
tels que des vases, des urnes, des récipients de stockage, des plats, etc. La
plupart de ces objets étaient blancs, décorés le plus souvent avec des motifs
bleus.
La porcelaine noire était aussi une spécialité chinoise. On en faisait
surtout des vases et des statues représentant des dragons et des monstres
mythologiques.

La Chine était un monde à part. Tout y était insolite et mystérieux. Même


les paysages étaient très différents. Les mœurs des Chinois étaient
incompréhensibles pour les Occidentaux. Leur cruauté naturelle et gratuite,
leur fatalisme, leur soumission étaient aussi inhabituels. C’était un monde
bizarre et incompréhensible.

SAMARCANDE

On ne peut pas quitter cette région sans dire quelques mots de Samarcande,
point de rencontre des commerçants entre Asie et Europe, où la plupart des
échanges se faisaient.

Samarcande était une très vieille ville sombre, sans fenêtres vers
l’extérieur. Elle existait déjà à l’âge de pierre, mais elle ne pouvait pas
s’embellir et se moderniser à cause de la peur et de l’incertitude qu’elle
suscitait chez les voyageurs forcés d’y passer. Les immenses habitations en
pierre ne servaient qu’à les héberger durant leur bref séjour.
Les voleurs y cohabitaient avec les voyageurs. C’étaient de véritables
bandits qui se mêlaient à la foule pour repérer les victimes potentielles, qu’ils
dépouillaient ensuite et tuaient souvent, dès que l’occasion se présentait. Ils
bourdonnaient autour des commerçants comme des mouches, mais les plus
rusés passaient absolument inaperçus.
Les bandits, aussi nombreux que les voyageurs, pouvaient vivre ici, en
pleine ville, sans aucunes représailles, parmi quelques « personnalités
rangées » de fortune douteuse, qui possédaient toute la ville et qui louaient
très cher leurs services aux voyageurs. Ils assuraient aussi « l’ordre » à leur
façon, mais on peut supposer que la plupart des bandits, jamais molestés,
étaient leurs employés. Tout le monde était obligé d’accepter cette situation
abusive puisqu’il n’y avait pas d’autre solution et que c’était la première
étape après de longs voyages épuisants. Cette arnaque était bien calculée, car
on laissait quand même s’enrichir les voyageurs. On ne tue pas la poule aux
œufs d’or !
L’immense place principale, où les échanges de marchandises se
déroulaient, offrait un spectacle extraordinaire. Elle grouillait de monde
habillé de couleurs vives et de peaux de toutes les nuances. Chacun essayait
de se faire entendre en sa langue dans le brouhaha. C’était une véritable
« tour de Babel ». Et pourtant, les affaires avançaient et les commerçants
étaient satisfaits, tout en laissant pour la « ville » dix pour cent de leurs
bénéfices. Les voleurs étaient aussi satisfaits. En se mêlant à la foule, les
petits se remplissaient les poches sur place et les grands repéraient leurs
victimes à dépouiller plus tard, sur la route…

Malgré ces deux grands voyages en Asie lointaine, la question concernant


« la source » des hordes envahissant l’Occident, restait toujours sans réponse.
Elles arrivaient brutalement, on ne sait pas comment ni d’où, d’un coin de
l’Asie centrale. La plupart du temps, elles arrivaient des montagnes hostiles,
chassées par les changements climatiques, mais de nombreuses tribus
arrivaient aussi des grandes plaines du Nord. Sans pouvoir répondre à cette
question, il faut admettre qu’il existait une sorte de « tourbillon humain »
grandissant continuellement, dans lequel des peuples nomades se
déplaçaient du nord de la Sibérie jusqu’à l’Himalaya en décrivant un
immense cercle autour des steppes. De temps en temps, comme mue par
la force centrifuge, une énorme masse de guerriers s’en détachait et se
déversait vers l’Occident. Ces nomades étaient les premiers à maîtriser
les chevaux qui leur donnaient cette grande mobilité.
LE PREMIER PAYS DES HONGROIS

Je reparle encore des Hongrois qui, en trois ou quatre siècles, depuis ma


dernière « visite » dans l’Oural, étaient devenus très nombreux dans leur
nouveau pays. Ils étaient beaucoup moins nombreux en arrivant au sud de
l’Oural, mais à leur grand étonnement, ils trouvèrent sur place un grand
peuple confortablement installé parlant pratiquement leur langue et qui avait
les mêmes habitudes qu’eux, sauf qu’ils étaient sédentaires et cultivaient la
terre. C’était un peuple heureux et pacifique qui n’avait pas besoin de lutter
contre la nature et des voisins pour survivre. Leur pays était riche et leur
assurait une vie confortable, avec un minimum d’efforts. En fait, ils
retrouvèrent leurs anciens cousins avec lesquels ils avaient quitté la
Mésopotamie, il y a des dizaines de milliers d’années, avant leur séparation
au nord du Caucase. Leur chemin avait été beaucoup moins long que celui
des tribus arrivées du nord de l’Oural après leur errance en Europe durant des
dizaines de milliers d’années. Cependant, avant d’y arriver, eux aussi
perdirent plusieurs tribus dans chaque pays accueillant qu’ils traversaient. On
pourrait les retrouver éventuellement en allant vers l’ouest !

À ce sujet, je dois parler d’un spécialiste de la civilisation sumérienne,


Badiny Jós Ferenc, d’origine hongroise qui, dans de nombreux livres publiés
à la fin du XXe siècle, étudia l’origine des Hongrois. Selon lui, depuis leur
départ de la Mésopotamie (!), la migration des tribus hongroises resta
toujours limitée aux régions entre le bassin des Carpates et la mer d’Aral.
Toujours selon lui, les Sumériens étaient des cousins proches des tribus
hongroises installées dans le bassin des Carpates, il y a une dizaine de
milliers d’années, voire depuis plus longtemps. Ces Sumériens ne seraient
retournés en Mésopotamie que 3 000 ou 4 000 ans avant notre ère, après le
déluge mésopotamien. Pour prouver la crédibilité de son hypothèse, il parle
d’un médaillon en argile vieux de plus 5 000 ans avant notre ère, trouvé à
Tatárlak, près de la rivière Körös, dans le bassin des Carpates. Il est écrit sur
ce médaillon, en sumérien, avec une écriture cunéiforme « que les deux yeux
vigilants de la Déesse de tous les mystères nous protègent ». Ce médaillon
prouverait que les ancêtres communs des Hongrois et des Sumériens vivaient
dans le bassin des Carpates il y a plus de 7 000 ans et connaissaient déjà
l’écriture cunéiforme avant la Mésopotamie ! À cause de la connaissance de
cette écriture, on appelait « mah-gar » (origine du mot « magyar ») le peuple
qui habitait cette région. En langue sumérienne « mah-gar » signifie « peuple
savant ». Par ailleurs, on trouva également à Tatárlak plusieurs statuettes de
femme prouvant que les habitants adoraient une divinité féminine.
Après cette explication très singulière de notre origine, notre savant ajouta
que, puisque les Hongrois n’avaient jamais quitté les régions entre le bassin
des Carpates et la mer d’Aral, ils n’avaient rien à voir avec la branche finno-
ougrienne qui n’était qu’une invention erronée des linguistes. Et ceci a été
prouvé par une étude très récente japonaise selon laquelle « l’image de sang »
des Hongrois montre une origine asiatique, totalement différente de celle des
finno-ougriens.

Je ne prends position ni pour ni contre cette hypothèse, puisque qu’il n’y a


pas d’autre preuve fiable. Je pense seulement que, durant des milliers
d’années, des tribus proto-hongroises parcoururent l’Europe jusqu’au nord de
l’Oural avant de descendre vers la mer d’Aral et que, sur leur route, de
nombreuses tribus les quittèrent et s’installèrent un peu partout. Petit à petit,
en bouclant la boucle, elles se retrouvèrent dans ce nouveau pays et peut-être
encore plus tard, plus loin.
Les Samoyèdes et les Finnois se séparèrent aussi d’eux au nord de l’Oural,
après leur cohabitation durant des dizaines de milliers d’années à travers
toute l’Europe. Ils pouvaient être aussi bien des voisins sympathisants que
des cousins proches ou lointains.
Je ne conteste pas non plus leur « origine » du bassin des Carpates,
puisqu’ils y séjournèrent et y laissèrent de nombreuses tribus installées.
Toutefois, l’appellation mah-gar, qui voudrait dire « peuple savant » me gêne
à cause du manque total de trace de civilisation « solide » ou de construction
dans ces régions.
Ils y habitaient encore sous des tentes en peau, chassant avec des armes de
pierre, alors que les autres peuples construisaient déjà en pierre la ville de
Jéricho, des ziggourats, des pyramides, des palais en marbre, etc. (Les
Hongrois ne furent jamais de grands bâtisseurs). Quels vestiges ont-ils laissés
de cette époque aux futures générations ? Ce pauvre médaillon et les
statuettes pouvaient avoir été oubliés par des voyageurs venant des pays
vraiment civilisés.
Si les Sumériens, les grands bâtisseurs, vivaient aussi ici, pourquoi fallait-il
qu’ils retournassent en Mésopotamie pour se rendre célèbres avec leurs
constructions extraordinaires ? Ils auraient pu les commencer dans le bassin
des Carpates pour se faire la main !

Si ces hypothèses sont discutables, l’existence du premier pays des


Hongrois au sud de l’Oural, plus de 1 000 ans avant notre ère, est prouvée et
confirmée par les historiens. C’est ici qu’on les appela la première fois
« Hongrois » ou « Magyars », même si l’étymologie du mot reste encore
obscure.

Du fait de leur langue, on reconnaissait à peine les Hongrois. Ces gens


sauvages et agités devinrent de paisibles agriculteurs, éleveurs de troupeaux
de bêtes et artisans.

La population, bien que sédentarisée, faisait toujours partie des « cavaliers


des steppes ». Les jeunes gens passaient leur temps à chevaucher et
s’entraînaient aux combats à cheval. Il fallait bien, puisque le pays était
toujours en danger à cause des pilleurs. On pouvait dire que le Hongrois était
soudé à son cheval.
Le besoin de chevaucher dans les plaines vivait encore dans leurs gènes.
Les jeunes « sauvages » choisissaient souvent le métier de gardien de
troupeaux (surtout de chevaux) ou de guerrier, chargé de la défense du pays,
afin de pouvoir chevaucher à leur guise.
Cependant, certains choisissaient des métiers d’artisans. Parmi ces
derniers, les potiers étaient les plus modestes, car ce travail, limité aux objets
utilitaires simples, ne nécessitait pas de formation particulière. En revanche,
les orfèvres formaient une classe sociale à part. Ils fabriquaient des bijoux en
métaux précieux ou décoraient des armes, des vêtements et des selles, ce qui
nécessitait un goût artistique et beaucoup d’habileté manuelle. Les riches
payaient très cher leur production. Des articles apportés par des commerçants
étrangers leur faisaient parfois de la concurrence, mais cela les incitait à
s’améliorer en permanence. Ils fabriquaient aussi des outils et des armes. Ces
dernières restaient indispensables pour la chasse, qu’ils aimaient beaucoup, et
pour défendre leur pays contre les pilleurs.
On peut expliquer les raisons de ce changement brutal de mode de vie par
l’influence des tribus locales qui fusionnèrent avec eux, mais aussi par la
grande facilité de vivre dans ce magnifique nouveau pays. Leur bonheur et
leur nouvelle vie auraient pu susciter un premier pas vers la civilisation.
Malheureusement, ils étaient dépourvus d’ambition et de curiosité. Mais on
peut dire : « vie modeste, vie durable ». Ils ne construisirent pas de
monuments éternels, mais ils ne disparurent pas comme les grandes
civilisations. Ils survécurent à toutes les catastrophes qui s’abattirent sur eux !

En quittant cette région, on peut rappeler brièvement quelques évènements


importants survenus en Occident.

ÉVÈNEMENTS DES CIVILISATIONS OCCIDENTALES

• L’explosion du volcan de Thèra, vers 1600 avant notre ère, engloutit la


moitié de l’île, mettant fin à son intérêt économique. Cette éruption
volcanique fut ressentie sur toutes les îles grecques, y compris la Crète, qui
en souffrit beaucoup. Des cendres brûlantes recouvrirent l’île et des vagues
de plus de 100 m la balayèrent. Ce fut la fin de la civilisation crétoise.
Selon les historiens, l’effet de cette explosion fut ressenti même en Égypte.
À ce sujet, on raconte qu’un important groupe d’esclaves sémites fuit
l’Égypte, poursuivi par l’armée du pharaon. Il passa par la mer des Roseaux,
complètement desséchée (comme souvent), mais lorsque l’armée égyptienne
y arriva derrière lui, un énorme raz de marée venant de la Méditerranée
l’engloutit complètement.
La Bible raconta plus tard l’exode du peuple juif que Moïse amena de
l’Égypte vers la terre promise. Lorsqu’il fut devant la mer Rouge, Dieu ouvrit
la mer, laissant passer les fuyards, mais après leur passage, lorsque l’armée
égyptienne arriva, il la referma sur elle. La Bible situe cet évènement trois
siècles plus tard, mais selon le Livre des rois, le passage des Juifs coïnciderait
bien avec l’éruption volcanique de Thèra. Des tablettes récemment
découvertes parlent de la catastrophe survenue en Égypte au moment de
l’éruption volcanique à Thèra :

… le ciel devint noir et une pluie de cendres recouvrit la terre, puis un


énorme raz de marée inonda en quelques minutes toute la région de la mer
des Roseaux.

Toutefois, dans ce cas, il faudrait revoir les dates de la Bible et situer


l’Exode au XVIe siècle avant notre ère, au lieu du XIIIe siècle, et le départ
d’Abraham vers le XIXe siècle avant notre ère. Les résultats des fouilles
récentes dans le Sinaï confirmeraient également cette nouvelle date.

• L’Égypte était redevenue une grande puissance depuis sa victoire sur les
Hyksos. Mais elle devait se battre sans répit et sans grand succès contre les
Mitanniens, jusqu’à ce que le pharaon Thoutmosis IV épousât la fille du roi
du Mitanni et que les deux pays concluent une paix durable.

• Une nouvelle puissance naquit dans le monde égéen avec l’arrivée des
tribus « achéennes » dans les Balkans et sur les îles égéennes. Elle mit fin
définitivement à la puissance crétoise avec la destruction de Cnossos, mais
elle s’inspirait de sa civilisation. Les Achéens gardèrent les dieux et la culture
de la Crète.

• Les Phéniciens, peuple nomade n’ayant fait que de l’élevage dans le


passé, devinrent des « marins marchands » en vendant le bois de cèdre du
Liban partout. Puis ils parcoururent la Méditerranée avec toutes sortes de
marchandises. On commença à les appeler « peuple de la mer ». Les villes
phéniciennes, Byblos, Tyr et Sidon devinrent immensément riches.

• La chute de Troie. Malgré la petitesse et la richesse de la ville, ses


habitants y vivaient en paix relative, grâce à ses fortifications imprenables.
Ses voisins guerriers l’attaquaient occasionnellement, mais toujours sans
succès. Même les attaques des Hittites, proches voisins possédant toute
l’Anatolie, échouèrent. On ne pouvait pas l’affamer, car Troie possédait des
réserves de nourriture pour plusieurs années et il y avait des sources en pleine
ville. Tout le monde admettait qu’elle était imprenable. Les habitants auraient
pu vivre riches et heureux sans la bêtise de Pâris, fils coureur de Priam, roi de
Troie. Il fallait que Pâris enlevât la belle Hélène, épouse légère de Ménélas,
roi de Sparte. Le mari cocu, bien qu’il fût assez indifférent aux charmes de
son épouse, ne pouvait pas accepter en tel affront. Il exigea la restitution
immédiate d’Hélène, que Pâris refusa fermement, malgré les conseils de sa
famille. C’était un scandale terrible que seul le sang pouvait laver !
Ménélas demanda conseil et aide à son frère, Agamemnon, puissant
guerrier, roi de Mycènes qui, bien entendu, exigea la guerre. Il convoqua tous
les princes grecs régnant sur l’empire achéen. Ils étaient tous d’accord,
pensant que rien ne peut résister à une coalition aussi puissante et qu’une
guerre rapide et victorieuse redorerait leur blason. Mais la guerre dura des
années, sans succès, avec beaucoup de victimes. Enfin, grâce à une ruse
honteuse, Troie tomba, sa population fut massacrée et la ville effacée de la
terre.
La mythologie grecque raconte en détail cette guerre, que j’ai résumée en
quelques lignes. Selon la mythologie, les attaquants « abandonnèrent » le
siège de la ville. Ils félicitèrent les Troyens de leur bravoure et leur offrirent
un immense cheval en bois à l’intérieur duquel furent cachés des soldats.
Heureux de leur victoire et du cadeau, les Troyens installèrent le cheval au
centre de la ville et s’enivrèrent toute la nuit, puis tombèrent dans un sommeil
profond. Les quelques soldats grecs sortirent du cheval et ouvrirent la porte
de Troie. Les soldats grecs entrèrent, massacrèrent tous les Troyens et
détruisirent la ville. Seul Énée, prince troyen, put s’échapper avec sa famille,
à travers des souterrains. Selon la légende, après de nombreuses péripéties, il
arriva jusqu’à la péninsule italienne où il fonda plus tard Rome.
Et que devint la belle Hélène, responsable (mais non coupable) de ce
massacre ? Elle fut ramenée tout simplement chez son mari cocu qui la serra
dans ses bras et lui fit beaucoup d’enfants.

Je raconte cette histoire, car elle est à l’origine de grands bouleversements


au XIIIe siècle avant notre ère. Troie qui dominait le détroit des Dardanelles et
régulait le passage de la marine marchande, disparut définitivement de
l’histoire sans être remplacée.
Malgré leur victoire, les Achéens, maîtres de la Grèce et du monde égéen,
épuisés par les guerres, disparurent aussi de l’histoire, « poussés » par les
Doriens qui prirent le pouvoir, leur culture et aussi leurs dieux.

• L’Anatolie devint un empire hittite. Sa capitale, Hattousa, fut l’une des


plus grandes et plus fortes villes d’Asie Mineure. Cet empire atteignit son âge
d’or au XVe siècle avant notre ère, puis ses nombreuses guerres contre
l’Égypte, la Mitanni, la puissante Assyrie et surtout ses guerres civiles mirent
fin à sa puissance et l’effacèrent de l’histoire, sans laisser de trace !

• Les Assyriens devinrent très puissants et dominèrent la moitié de la


Mésopotamie.

• L’Égypte retrouva sa puissance et sa domination sous le règne de


Ramsès Ier puis Ramsès II.

BABYLONE

J’ai déjà parlé brièvement de Babylone, mais depuis, elle ne cessait de


s’embellir et devint la plus belle ville de la Mésopotamie.

La ville fortifiée était accessible par la « porte Mardouk » d’où partait


l’avenue principale traversant toute la ville jusqu’à l’enceinte du « temenos »,
aire sacrée. À l’intérieur du temenos se trouvaient la vieille ziggourat (que les
gens prirent plus tard pour la tour de Babel !) et le temple de Mardouk. À
droite du temenos, se trouvait le magnifique palais royal protégé par une
enceinte intérieure, avec ses jardins suspendus et derrière l’enceinte
principale coulait l’Euphrate. Le mur immense qui entourait Babylone
encerclait également une zone symétrique à la ville sur la rive droite du
fleuve, à laquelle on pouvait accéder à partir du temenos, par le pont de
l’Euphrate. Ce mur avait de nombreuses portes d’accès sévèrement gardées.

Tout était construit en brique de terre cuite, donnant un aspect sévère,


sobre et grandiose aux grands bâtiments. Heureusement, l’ensemble était
embelli par des jardins extraordinaires. Je n’avais jamais vu une ville pareille.

À l’entrée de la ville, éloignée du centre où se trouvait la grande place du


marché, une cacophonie incroyable attendait les visiteurs, presque comme à
Samarcande. On y trouvait toutes sortes de gens, parlant toutes les langues du
monde, non seulement à cause des marchands étrangers, mais surtout à cause
du passé de Babylone. Il ne faut pas oublier que c’était le lieu de passage
préféré de tous les Mésopotamiens et de tous les envahisseurs. Depuis sa
création, Babylone avait vu passer Sumériens, Hourrites, Hittites, Kassites,
Élamites, Assyriens, etc. Une chatte n’aurait pas retrouvé ses petits dans ce
mélange de population.

Dernièrement, la ville venait de passer des Kassites aux Assyriens, dont le


roi Toukouli-Ninourta se proclama roi de Sumer et d’Akkad. Dans la foulée,
il débaptisa Babylone en l’appelant Kardouniash et, par conséquent, il se
nomma aussi roi de Kardouniash. Mais il ne pouvait pas régner en paix
puisqu’il commença à démolir la ville et enleva la statue du dieu Mardouk.
L’aristocratie kassite n’admit pas ce vandalisme et la domination assyrienne.
Elle organisa complot sur complot pour rétablir la dynastie kassite. Quelle
pagaille !

Il était donc temps de quitter rapidement Babylone et de visiter les grandes


villes plus à l’ouest.

Damas était la première ville après le désert de Syrie. D’ailleurs, c’était sa


seule qualité. Bien qu’elle fût construite depuis plusieurs centaines d’années,
elle restait une ville de passage pour les marchands qui allaient plus loin avec
leurs marchandises, vers les grandes villes de la proche Méditerranée,
Byblos, Sidon et Tyr.
Toute cette région était très convoitée par les grandes puissances et plus
particulièrement par le Mitanni et l’Égypte qui n’arrivaient pas à départager
sa domination. Les mariages entre pharaons et princesses mitanniennes
calmaient un peu les guerres, mais une réelle paix ne fut signée qu’après la
victoire de Ramsès II, en -1278. Depuis cette date, Mitanniens et Égyptiens
contrôlaient ensemble cette région, se battant régulièrement contre les
« Peuples de la Mer » et les envahisseurs venus du Nord. Quelques grandes
batailles gagnées par les Égyptiens assuraient cependant une certaine
stabilité. On peut dire que Damas était déjà un territoire égyptien.

LE NOUVEL EMPIRE ÉGYPTIEN

Au début de ce livre, j’ai déjà parlé de l’origine de l’Égypte et de ses


dieux. Dans ce nouveau chapitre, je présente brièvement son histoire.

L’Ancien Empire qui dura du début jusqu’à la fin du troisième millénaire


avant notre ère, fut marqué par la construction des pyramides et par
l’extension de la puissance de l’Égypte. Chaque pharaon voulait sa pyramide
pour se protéger après la mort, mais aucune ne pouvait rivaliser avec celle de
Khéops, mis à part, peut-être, celles de Khephren et de Mykérinos. La route
de la plus grande nécropole de l’ancien empire égyptien, qui conduisait de
Gizeh aux trois grandes pyramides (Khéops, Khephren et Mykérinos), était
gardée par un immense sphinx érigé par le pharaon Khephren. Il mesurait de
73 m de long, 20 m de haut et 14 m de large. C’était un lion effrayant, taillé
dans un seul bloc de pierre, avec une tête humaine, représentation symbolique
du pharaon. Il faisait peur même aux habitants, qui pourtant y étaient
habitués. C’était un spectacle grandiose avec les trois grandes pyramides et le
désert en arrière-plan.
Les prêtres prenaient de plus en plus de pouvoir et s’enrichissaient au
détriment des pharaons qui étaient souvent très faibles et régnaient peu de
temps.

Le Moyen Empire fut marqué par l’affaiblissement progressif du règne


des pharaons.
Des hordes sauvages attaquaient régulièrement le Nord de l’Égypte,
affaiblissant ainsi le pays et le pouvoir des pharaons. L’Égypte entra très
affaiblie dans le deuxième millénaire, dont le début fut très confus. Les
Hyksos envahirent et occupèrent longtemps le Nord du pays et régnèrent
même sur la Basse-Égypte. Sans parler de la décadence. On raconte aussi
qu’une catastrophe naturelle s’ajouta aux problèmes du pays, plusieurs
années (voire dizaines d’années) de sécheresse dues au changement
climatique, entraînant une famine épouvantable, décimant la population.

Avec son Nouvel Empire, l’Égypte devint à nouveau une grande


puissance. Memphis, l’ancienne capitale de l’Égypte, perdit son intérêt,
détrônée par Thèbes. Ce n’était plus qu’une très ancienne ville, sans plus, un
amas de constructions hétérogènes sans âme dues aux diverses occupations
étrangères.
Une nouvelle capitale, Thèbes, fut construite à plusieurs centaines de
kilomètres en amont du Nil, à l’écart de la zone régulièrement attaquée par
des envahisseurs. Mais il fallut attendre encore plusieurs siècles pour que le
Nouvel Empire égyptien redevînt une grande puissance.
Son territoire englobait, au nord, la Syrie et la Palestine et, au sud, la
Nubie. Même ses traditions changèrent. Les pharaons ne trouvaient plus leur
paix éternelle dans les pyramides, pillées systématiquement. Ils cherchèrent
une autre solution pour cacher leurs momies. Ils firent creuser dans les
collines d’immenses « appartements » en très grande profondeur. On cacha
leurs tombes sous les collines proches dans la fascinante et mystérieuse
Vallée des Rois, sur la rive gauche du Nil, face à Thèbes. Malheureusement,
rien ne put arrêter les pilleurs.

L’art égyptien changea aussi. On ne se contentait plus d’énormes


monuments, mais on recherchait la finesse et la beauté. Les artistes
sculptaient des statues de femme de toute beauté et décoraient les murs des
palais de magnifiques peintures. Les riches vivaient dans le luxe et
s’abandonnaient à une « douceur de vivre ». Ils achetaient tout ce qui était
beau et cher. Ils ne se refusaient rien.

Cet immense empire était très difficile à gouverner. Pendant des siècles, les
pharaons furent en guerre permanente en Syrie et en Palestine contre les
Hittites et les Mitanniens.

Thèbes

Thèbes, la nouvelle capitale, quelques centaines de kilomètres en amont au


bord du Nil, devint la plus grande et la plus belle ville du monde de l’époque,
où se croisaient dans les rues toutes sortes de populations de différentes
couleurs et origines. C’était encore plus cosmopolite que Babylone.
La ville de Thèbes était construite sur la rive droite du Nil. Son origine
date du début du deuxième millénaire. À cette époque, il n’y avait que des
villages dispersés le long du fleuve, dont les habitants vivaient plus du
commerce que de l’agriculture. En peu de temps, ces villages furent réunis
pour former une grande ville grâce à leur situation géographique
exceptionnelle. En effet, ils étaient à mi-chemin entre le delta du Nil et les
provinces africaines, grandes pourvoyeuses d’or, d’ivoire, de pierres
précieuses, de bois exotique et d’hommes. Au début du Nouvel Empire, la
ville devint la nouvelle capitale de l’Égypte. On l’appelait Thèbes, la « ville
aux cent portes ».

Au nord de la ville se trouvait le temple de Karnak dédié au dieu Amon-


Rê, relié au Nil par un canal et un bassin par lequel pénétraient les
processions provenant du fleuve. C’était le premier temple de Thèbes. Son
entrée, en face d’un bassin, était dominée par un pylône immense, derrière
lequel se trouvait la cour principale, suivie de deux autres pylônes encadrant
une grande salle de 103 m de long et 52 m de large qui comptait 134
colonnes colossales. En entrant dans cette cour, on se sentait écrasé par
l’immensité de la construction.
Au sud, se trouvait le temple de Louxor longé par un quai et doté d’un
ponton permettant aux barques d’accoster. Les deux temples étaient reliés par
une longue voie de 2 km traversant la ville, bordée de sphinx à tête de bélier.
Ces deux temples étaient de magnifiques constructions avec des colonnes et
des statues immenses.

La ville de Thèbes s’étendait entre les deux temples. Ses maisons en brique
étaient toutes basses, ce qui faisait ressortir encore la taille et la beauté des
temples. Mis à part la voie principale, les rues étaient relativement étroites, se
coupant presque géométriquement. Autour de la ville et à l’intérieur de
l’enceinte, se dressaient les maisons en pierre de taille des riches Égyptiens,
dont les jardins opulents exhalaient les senteurs suaves des plantes exotiques.
On trouvait tout à Thèbes. C’était le paradis des artisans et des marchands.
Beaucoup d’artisans travaillaient directement dans les rues. L’ordre y était
maintenu par des malabars nubiens, dont la seule apparence dissuadait déjà
les larcins. On s’y sentait vraiment en toute sécurité (je ne peux pas
m’empêcher de repenser à Samarcande et à la peur qui y régnait à cause des
voleurs et des assassins agissant en toute liberté).
Thèbes fut aussi la ville des arts et de la culture. On y trouvait des écoles
pour former des prêtres, des scribes, des savants et des artistes.
Jusqu’au déclin du Nouvel Empire, chaque pharaon participa au
développement et à l’embellissement de la ville, ou plus exactement des
temples de Karnak et de Louxor, puisqu’ils étaient les descendants directs des
dieux. Rien n’était trop beau ou trop grandiose pour ces temples.

Thèbes étant la capitale du Nouvel Empire égyptien, on ne peut pas passer


sous silence le rôle de quelques grands pharaons célèbres du Nouvel Empire
qui faisaient beaucoup pour la ville et dont le règne marqua aussi l’histoire de
l’Égypte.

La reine Hatshepsout qui se proclama pharaon après la mort de son mari,


Thoutmosis II, régna durant vingt ans. C’était une femme de très fort
caractère. Elle ne se contenta pas d’être une reine. Elle déclara qu’elle était
un pharaon à corps de femme et qu’elle avait été choisie par le dieu Amon
pour sa beauté. À partir de la moitié de son règne, ses statues la présentèrent
comme un homme, avec la barbe postiche des pharaons et un buste aplati,
sans ses seins.
Elle ajouta au temple de Karnak deux obélisques en granite et elle fut à
l’origine de la construction du temple de Louxor. Elle fit construire à Deir el-
Bahari son sanctuaire qui est le plus grandiose de la nécropole de Thèbes.
Elle fut pacifiste et très aimée par le peuple.

Thoutmosis III (élevé par Hatshepsout qu’il détestait à mort pour l’avoir
privé longtemps de pouvoir) fut considéré par les historiens comme le plus
grand pharaon de l’histoire égyptienne. Durant son règne d’un demi-siècle, il
dut mener dix-sept campagnes contre les Hittites et les Mitanniens. Il
consacra une grande partie du produit de ses conquêtes à l’embellissement de
Karnak. Il maria son fils, Thoutmosis IV à la fille du roi du Mitanni, pour
avoir enfin une paix partielle.

Aménophis III était un grand guerrier et homme de culture, dont le règne


marqua l’apogée de la puissance égyptienne. Il aimait la chasse dangereuse
aux lions et aux taureaux sauvages. Malgré sa vie de guerrier, il appréciait
aussi le luxe et les bons repas (toujours dans des assiettes en or !) bien arrosés
de vin. Dans son harem, une centaine de belles jeunes femmes attendaient
qu’il leur consacrât quelques moments de plaisir. Mais ce pauvre
Aménophis III, malgré toutes ses qualités et ses succès, avait cependant
quelques problèmes à cause de son origine. Sa mère n’étant pas une fille de
pharaon, mais une princesse mitannienne, son pouvoir divin pouvait être
contesté par les prêtres. Mais il trouva une bonne parade pour régler ce
problème. En unissant symboliquement sa mère au dieu Amon, il démontra
qu’il était le fils de ce dernier et non pas d’un père humain, en l’occurrence
de Thoutmosis IV. Durant son règne de 38 ans, Amon-Rê devint un dieu très
populaire et très vénéré. Aménophis III fonda le temple de Louxor, dédié à
son « père » Amon-Rê. Durant son règne, le temple de Louxor devint aussi
grandiose que celui de Karnak, qu’il complétait admirablement grâce à la
grande voie de 2 km de long reliant les deux temples, bordée de sphinx à tête
de bélier. Son entrée principale était gardée par deux énormes obélisques de
27 m de haut (l’un des deux, offert par l’Égypte à la France, se trouve
actuellement à Paris, place de la Concorde) et par deux statues de pharaon
derrière lesquelles se trouvait un pylône monumental construit par Ramsès II.
Aménophis III inventa même une grande fête populaire religieuse, « la fête
d’Opet » qui, chaque année, durait 24 jours. Cette fête commémorait la
naissance divine du pharaon. On transportait par barque l’immense statue du
dieu Amon-Rê sur le Nil, du temple de Karnak au temple de Louxor, tandis
que la foule suivait la procession des prêtres sur la grande allée bordée de
sphinx. Arrivée devant la porte latérale du temple, sur le quai, la barque
divine était acheminée par des porteurs à travers la splendide « salle de la
grande colonnade » jusqu’à la « salle de la Naissance divine » où la reine
mère avait épousé symboliquement le dieu Amon-Rê pour donner naissance à
son fils, au pharaon divin.
Aménophis III épousa aussi une princesse mitannienne, Tiyi, soi-disant
pour consolider la paix avec le Mitanni. Il la nomma « grande épouse
royale ». Mais quand on voit les images et les statues de la splendide Tiyi, on
doit reconnaître qu’elle valait plus que la paix entre les deux pays. Non
seulement, elle était exceptionnellement belle, mais aussi très intelligente et
très diplomate. Elle n’était pas jalouse de la centaine de femmes du harem de
son mari. Lorsque la belle Néfertiti y arriva à l’âge de 15 ans, elle l’accueillit
comme sa propre fille. Il faut préciser que le roi de Mitanni voulait offrir
Néfertiti au fils d’Aménophis III, espérant la mort du vieux pharaon avant
son arrivée en Égypte, mais celui-ci, malgré sa maladie, put encore profiter
durant deux ans des charmes de sa jeune conquête.
Je parle peut-être un peu trop d’Aménophis III, mais il le mérite. Pour moi,
il était le plus grand pharaon que l’Égypte ait jamais connu.

Aménophis IV était un homme faible et malade. Il ne devint célèbre que


comme « pharaon hérétique ». Il suivit la tradition et épousa aussi une
princesse mitannienne, la « très belle Néfertiti », qui était la dernière épouse
de son père. On n’a jamais su si elle préférait le vieil athlète ou le jeune
gnome.
Mais parlons un peu des mœurs égyptiennes de l’époque. La polygamie et
l’inceste faisaient partie de la tradition des pharaons. Selon les mauvaises
langues, Aménophis IV avait des rapports sexuels même avec Tiyi, sa mère,
et il serait le père de sa dernière fille, née plusieurs années après la mort
d’Aménophis III. Toutefois, la belle Néfertiti ne ratait aucune occasion de
découcher elle non plus. On ne connaît pas avec certitude les pères de ses six
filles, mais on sait qu’elles n’étaient pas toutes de son mari. Aménophis IV
avait à peine 25 ans lorsque, très affaibli par sa sénilité, il accepta de partager
le pouvoir avec son frère qui épousa sa fille aînée (probablement sa sœur).
Peu de temps après, il retira le titre de « grande épouse royale » à Néfertiti et
épousa sa troisième fille de 13 ans qui l’enterra l’année suivante, puis épousa
le jeune Toutankhamon, élevé et initié à la vie sexuelle par Néfertiti. Selon
les dernières découvertes, Toutankhamon était le fils d’Aménophis IV. Mais
reprenons l’histoire officielle.

Après quatre années de pouvoir, révolté par la puissance et la corruption du


clergé d’Amon, Aménophis IV instaura avec l’aide de Néfertiti qui était une
femme de caractère, une nouvelle religion, celle du dieu unique Aton sans
visage. Il prit le nom d’Akhenaton et se donna le titre de « grand prêtre
d’Aton » pour cumuler tous les pouvoirs. On l’appelait le pharaon hérétique.
Le couple royal quitta Thèbes et s’installa dans une nouvelle capitale appelée
Akhetaton. Plus tard, affaibli, rongé par la maladie, Aménophis IV retourna
à Thèbes, abandonnant Néfertiti à Akhetaton. Après sa mort, l’Égypte reprit
ses anciennes traditions et ses anciens dieux. Néfertiti resta toujours dans la
ville fantôme vide, entourée de quelques musiciens aveugles et de son fils
adoptif, le jeune Toutankhamon.

Ramsès II fut le dernier grand pharaon. Il régna durant 66 ans. Le début de


son règne fut marqué par sa « grande victoire » à Qadesh contre les Hittites
en -1278, suivie d’un traité de paix durable. Selon les « mauvaises langues »,
il n’y avait ni vainqueur, ni vaincu, mais les deux éternels adversaires en
avaient assez de se battre et conclurent une paix équitable. La copie de cet
accord fut conservée sur des plaques d’argile à Babylone. En réalité, il ne
s’agissait pas d’une liste de dédommagements de guerre, comme le
prétendaient les scribes, mais d’une promesse d’aide mutuelle en cas
d’attaque. Toutefois, pour flatter Ramsès, les historiens égyptiens parlèrent
d’une grande victoire en sa faveur. À cause de ses guerres au Proche-Orient,
il quitta Thèbes et fonda une nouvelle capitale, Pi-Ramsès, entre Memphis et
la Méditerranée, dans le delta du Nil. On pourrait parler longuement de ses 66
années de règne, mais il faut être méfiant avec la rédaction des scribes, car les
historiens étaient trop flatteurs avec lui.
Il fit aussi d’importants travaux au temple de Karnak, puis au temple de
Louxor, dont le pylône monumental de l’entrée fut son œuvre, ainsi que la
grande cour qui porte son nom. Il se fit construire plusieurs temples le long
du Nil, dont le plus imposant est celui d’Abou Simbel.
Ramsès III fut encore un pharaon assez puissant et, durant son règne,
l’Égypte vivait encore dans la facilité et dans l’insouciance, depuis les paix
avec le Mitanni et ses victoires sur les Hittites affaiblis. Ramsès III put
marquer son règne par quelques victoires. Mais le danger était permanent. Au
nord, les Assyriens et au sud, les Nubiens devenaient de plus en plus
menaçants. Cependant, personne n’y prêtait encore attention.

LES PHARAONS DE L'ANCIEN EMPIRE


Durée du
Noms des pharaons Faits marquants
règne
IIIe dynastie (2778-2723)
Nétérierkhet-Djoser 19 ans Pyramide à degrés
Sekhemkhet 6 ans Ire dynastie d’Ur
Sanakht (Nebka) 19 ans (?) Memphis capitale
Khaba 6 ans
Néferka ?
Hou (Houni) 24 ans
IVe dynastie (2723-2563)
Snéfrou 24 ans Pyramides lisses
Khéops 23 Pyramide de Gizeh
Dîdoufri 8 ans Sinai, Nubie, Lybie
Khéphren 25 ans (?) Pyramide de Gizeh
Baoufré (?) ?
Mykerinos 28 ans Pyramide de Gizeh
Shepseskaf 4 ans Sphinx de Khéphren
Dedefptah (?) 2 ans
Ve dynastie héliopolitaine (2563-2423)
Ouserkaf 7 ans Religion du Soleil
Sahouré 14 ans Art du relief
Neferirkaré-Kakai
Shepseskaré 7 ans Textes des pyramides
Neferefré 7 ans (?) (formules magiques)
Niouserré-lni 31 ans
Menkaouhor-
8 ans
Akaouhor
Dedkaré-lsesi 39 ans
Ounas 30 ans
VIe dynastie (2423-2300)
Téti 12 ans Effondrement d’État
Ousirkaré 1 an (?) Pouvoir des nomes
Meriré-Pepi Ie 49 ans
Meriré-Antiemsaf Ie 14 ans Raids en Asie
Neferekaré-Pepi II 94 ans Commerce avec Pount
Fond. de l’Empire Akkad en
Meriré-Antiemsaf II 1 an
Mésopotamie
Menkaré 2 ans (?)

VIIe dynastie [Première période intermédiaire] (2190-?)


Six à neuf pharaons au règne très court dont : Neferekaré, Shemaï,
Neferekaré Khendou, Neferekaré Teteru…

VIIIe dynastie (?-2100) : Dynastie mal connue

LES PHARAONS DU MOYEN EMPIRE

Noms des Durée du


Faits marquants
pharaons règne
XIe dynastie (2065-1991)
Temple funéraire de Mentouhotep à Deir el-
Mentouhotep II 50 ans
Bahari
Mentouhotep
12 ans Construction du palais de Cnossos en Crète
III
Mentouhotep
6 ans Suprématie de Babylone en Mésopotamie
IV
XIIe dynastie (1991-1784)
Amenemhat Ier 29 ans Chapelle Sésostris de Karnak
Sesostris Ier 45 ans
Amenemhat II 38 ans (?) Statuaire royale
Les Hittites fondent un royaume qui deviendra
Sesostris II 18 ans (?)
un vaste empire
Sesostris III 37 ans (?)
Amenemhat III 47 ans Début de l’âge de bronze en Europe occidentale
Amenemhat IV 8 ans
Sebekneferouré 7 ans Rédaction du Conte de Sinouhé
XIII-XVIIIe Dynasties Invasion des Hyksos

La seconde période intermédiaire va durer plus de 200 ans (de 1784 à


1580) avant que les rois de la XVIIIe dynastie ne prennent les commandes du
pouvoir. Une période de troubles qui débute sous la XIIIe dynastie et qui va
s’accentuer avec l’arrivée des Hyksos, venue d’Asie.

LES PHARAONS DU NOUVEL EMPIRE

Noms des Durée du


Faits marquants
pharaons règne
XVIIIe dynastie (1539-1293)
Ahmosis 25 ans Salle hypostyle de Karnak
Aménophis Ier 21 ans Senenmout construit à Deir el-Bahari
Thoutmosis Ier 12 ans Tombeaux de la vallée des Rois
Thoutmosis II 3 ans Règne des Kassites à Babylone
Hatshepsout 15 ans Construction du temple de Louxor
Rayonnement de la civilisation
Thoutmosis III 52 ans
mycénienne
Aménophis II 25 ans
Thoutmosis IV 10 ans Destruction du palais de Cnossos
Aménophis III 38 ans Les Hittites soumettent le Mitanni
Aménophis IV
Toutankhamon 9 ans
Al 3 ans
Horemheb 30 ans
XIXe dynastie (1291-1204)
Ramsès Ier 2 ans Construction du temple d’Abydos
Séthi Ier 14 ans Temple d’Abou-Simbel
Ramsès II 66 ans Bataille de Qadesh
Mineptah 9 ans

La Nubie

La première cataracte était la frontière officielle de l’Égypte au sud. Au-


delà, c’était déjà la Nubie. Toutefois, la frontière réelle du grand l’empire
égyptien était beaucoup plus loin, à quelques centaines, voire milliers de
kilomètres, selon la puissance du pharaon, puisque durant le Nouvel Empire,
la Nubie était une colonie égyptienne.

Au sud de la première cataracte, jusqu’à la deuxième, le Nil devenait très


large, un véritable lac. Sur la rive gauche, on pouvait voir deux magnifiques
temples, ceux d’Ouâdi Sebou et d’Amada. Puis, juste avant la deuxième
cataracte, fut construit par Ramsès II le temple rupestre d’Abou Simbel.
Contrairement aux traditions, ce temple ne fut pas dédié aux dieux, mais à la
gloire de Ramsès lui-même. C’était un monument extraordinaire, taillé dans
une immense falaise dominant le Nil. Il était « gardé » par quatre statues
géantes de 20 m de haut du pharaon, placées deux par deux de part et d’autre
de l’entrée du temple. On disait aussi qu’elles surveillaient les frontières du
royaume. À une centaine de mètres du temple de Ramsès II, toujours au bord
du Nil, se trouvait celui de sa femme, la reine Néfertari.
Il était beaucoup plus modeste, mais très beau. Les êtres communs comme
nous ne pouvaient pas entrer dans ces temples réservés au pharaon et aux
prêtres.

Après la deuxième cataracte, le Nil, serré entre les falaises des deux côtés,
devenait beaucoup plus étroit et rapide. Sur sa rive gauche, on pouvait
admirer de nombreux temples rupestres, plus particulièrement ceux
d’Armara, de Sedeinga et de Soleb. Chaque grand pharaon faisait tailler des
temples dans les falaises pour marquer sa grandeur et son admiration aux
dieux d’Égypte. C’était pratiquement un devoir. Les pharaons pensaient
qu’ils devaient être jugés dans leur éternité selon la majesté et le nombre de
leurs réalisations durant leur vie terrestre. Ils faisaient donc des guerres non
seulement pour défendre leur pays, mais surtout pour amasser de la fortune
qu’ils investissaient dans les constructions. Je ne sais pas comment ils étaient
jugés par les dieux, mais sûrement bien par les futures générations, car leurs
constructions restent éternelles.
Après la troisième cataracte, le Nil traversait une zone plate et désertique
jusqu’à Napata, capitale de la Nubie. C’était une petite ville très cosmopolite,
avec une population locale presque noire. Elle était marquée par la
domination égyptienne. Dans ses environs, on pouvait trouver de petites
pyramides pointues et de nombreux temples construits en pierre. Toutefois,
les Égyptiens n’imposaient pas leurs dieux à la population locale. Ils
respectaient aussi les dieux nubiens.
Sur la rive droite du Nil, face à Napata, se trouvait la mystérieuse
montagne rocheuse appelée Gebel Barkal, considérée comme un lieu saint
depuis toujours par la population locale, puis par les Égyptiens. Ces derniers
y érigèrent de magnifiques sanctuaires à la gloire du dieu Amon durant le
Nouvel Empire.
Napata était une ville très importante où s’échangeaient les marchandises
arrivées des quatre coins du monde. Le bois d’ébène, très apprécié en Égypte
et partout dans le monde, l’ivoire, l’or et les pierres précieuses arrivaient
d’Afrique noire par bateaux, descendant le Nil, voire par des caravanes
traversant le désert. Beaucoup d’esclaves noirs, très appréciés par les
Égyptiens du fait de leur force et de leur beauté, transitaient aussi par Napata.
Quelquefois, c’étaient des prisonniers de guerre, mais plus souvent ils étaient
vendus par leurs tribus d’origine vivant loin, au Sud, dans les forêts
tropicales. Malgré leur apparence cruelle et sauvage, ils étaient très paisibles
et obéissants.
La Nubie était gouvernée par un Nubien désigné par le pharaon, dont il
était le représentant. Il était chargé de maintenir l’ordre et de prélever les
impôts.

Puis la nouvelle de la mort de Ramsès III perturba l’ordre. Déjà sous son
règne, on sentait l’affaiblissement de l’empire égyptien, malgré ses quelques
victoires en Palestine. Le ver était dans le fruit. Il y avait trop de corruption,
trop de pouvoirs parallèles, trop de gaspillage.
Le gouverneur n’attendait que cette occasion pour déclarer l’indépendance
de la Nubie et se proclamer roi. Tout se passa dans le calme, sans effusion de
sang. L’Égypte était trop affaiblie et trop préoccupée par les attaques au nord
pour réagir.
Tout le monde attendait sagement l’évolution de la politique égyptienne
avec le nouveau pharaon.

De mauvaises nouvelles arrivèrent, cette fois du sud ! Profitant de


l’affaiblissement total du Nouvel Empire, l’ancien général égyptien, le roi
Hérihor de Nubie, envahit la Haute-Égypte et se proclama pharaon. Ce
nouveau pharaon militaire résidait à Thèbes.
C’était la confusion générale partout. L’Égypte fut coupée en deux : la
Haute-Égypte gouvernée à Thèbes par le pharaon nubien et la Basse-Égypte à
Memphis, par des rois du delta du Nil.

La Palestine

Au Proche-Orient, la situation était encore plus tendue qu’avant la chute de


l’Égypte. Les guerres ravageaient les pays qui changeaient sans cesse de
population et de nom. Jadis, les Philistins dominaient toute la côte de la
« Grande Mer » (comme certains appelaient la Méditerranée) de l’Anatolie
jusqu’à l’Égypte. On les appelait aussi « les Peuples de la Mer » à cause de
leur domination du commerce maritime. C’étaient aussi des guerriers qui
agressaient et pillaient leurs voisins, jusqu’à ce que le pharaon Ramsès III
leur infligeât une écrasante défaite. Cette défaite les détourna des frontières
égyptiennes (bien diminuées depuis la faiblesse de l’Égypte) et les poussa
contre la nouvelle Palestine en voie de développement.

Cette nouvelle Palestine était maintenant occupée par un ancien peuple de


bergers nomades d’origine sémite qui se disait « israélite ». Las de guerroyer
sans cesse et sans succès contre les Philistins qui les battaient et les
exploitaient tant qu’ils vivaient divisés en tribus, ils fondèrent un royaume
uni et puissant capable de repousser toutes les attaques. C’était un peuple très
particulier qui se disait « élu de Dieu » et qui prétendait que c’était son Dieu,
le « seul et unique », qui lui avait donné le pays de la Palestine. Ici, je
rapporte l’histoire de son origine, donnée par son livre, appelé la Bible, qui
commence par la création du monde.

Au commencement, Dieu créa les Cieux et la Terre. Il y ajouta de la


lumière et agrémenta la Terre avec des eaux, des montagnes et des forêts. Il
créa ensuite des êtres vivants pour peupler le Ciel, les eaux et la Terre. Enfin,
il créa l’homme à son visage et l’appela Adam, pour régner sur tous les êtres
vivants. Il s’entoura aussi de créatures célestes (anges), pour le servir et lui
tenir compagnie. Voyant Adam triste tout seul, il préleva une de ses côtes
durant son sommeil et en créa la femme, Ève. Il mit à leur disposition le
jardin d’Éden avec toutes ses merveilles, pour y vivre heureux éternellement,
mais leur interdit de goûter au fruit de l’arbre de la connaissance.
Or, encouragée par Satan, l’ange déchu, prenant la forme d’un serpent,
Ève en cueillit un fruit et le partagea avec Adam. Dieu les punit en les
chassant de l’Éden et les rendant mortels. Leurs descendants vécurent
souvent dans le péché en offensant Dieu. Caïn, leur fils aîné, tua son frère
Abel par jalousie, puis quelques-unes de leurs filles s’accouplèrent avec des
créatures du Ciel, contre la nature et la volonté de Dieu. Plus les hommes
devenaient nombreux, plus ils devenaient mauvais. Dieu se fâcha et décida de
les exterminer par un déluge qui dura quarante jours. Auparavant, il chargea
Noé, homme sage craignant Dieu, de construire un immense bateau pouvant
accueillir toute sa famille et un couple de chaque espèce d’animaux. Ainsi,
après le déluge, la Terre pourrait être repeuplée avec leurs descendants.

Bien après le déluge, Abraham vivait avec sa famille à Ur, au sud de la


Mésopotamie. Dieu lui ordonna de quitter son pays et de s’installer loin de
là, en Canaan, pays prospère où ses nombreux descendants formeraient un
grand peuple, le « peuple élu », que Dieu soutiendrait et guiderait.
Arrivé dans le pays promis, Abraham commença à douter de la parole de
Dieu concernant ses nombreux descendants, puisqu’âgé de plus de 100 ans,
il n’avait toujours pas d’enfant. Poussé par sa vieille femme Sarah, il se
rabattit sur sa jeune servante égyptienne qui lui donna un fils appelé Ismaël.
Les années passèrent et miracle, la vielle Sarah accoucha d’un garçon qu’ils
appelèrent Isaac. Heureuse d’avoir enfin un fils, mais jalouse de sa servante,
Sarah la chassa de sa maison avec son fils Ismaël.
Plus tard, Jacob, le deuxième fils d’Isaac, obtint par ruse de son père sa
bénédiction due à l’aîné. Il reçut le nom d’Israël et devint fondateur du
peuple israélite grâce aux douze fils qu’il eut avec ses femmes et avec ses
concubines, et qui formèrent ensuite les douze tribus du futur Israël. Comme
tous les Israélites à l’époque, ce furent des bergers et ils vécurent avec leurs
troupeaux. Or, dans tous les troupeaux, il y a des « brebis galeuses ». Jaloux,
ses frères bâtards vendirent Joseph aux Égyptiens et dirent à Jacob qu’il
avait été tué et emporté par une bête sauvage.
Sage et intelligent, l’esclave Joseph devint le grand vizir du pharaon.
Plusieurs années plus tard, la famine conduisit ses frères en Égypte. Après
quelques péripéties, Joseph leur pardonna de l’avoir vendu et les installa en
Égypte avec leurs familles. Les années et les pharaons passèrent et les
descendants des douze tribus devinrent très nombreux. Les nouveaux
pharaons ne se souvenaient plus de Joseph et réduisirent en esclavage le
peuple israélite.
Puis un jour arriva Moïse, descendant de la tribu de Lévi. Par une série de
coïncidences, il fut élevé par la sœur du pharaon et devint donc une
personnalité très respectée par son entourage. Dieu lui parut et lui ordonna
de ramener son peuple sur la terre promise malgré l’opposition ferme du
pharaon au départ de ses esclaves. Il fallut l’aide de Dieu, avec beaucoup de
miracles pour qu’enfin le peuple israélite pût partir. Après 40 années
d’errance, il retrouva enfin Canaan, la terre promise. Durant cette longue
errance, Dieu parut plusieurs fois à Moïse pour l’aider et pour l’encourager.
Le pauvre Moïse en avait vraiment besoin avec son peuple désobéissant,
libertin et à tendance à l’idolâtrie. Dieu lui remit sa Loi, les dix
commandements à respecter, gravés dans deux tablettes de pierre. Ces deux
tablettes de la Loi devaient être enfermées et gardées dans un coffre en bois
recouvert d’or appelé « l’arche d’alliance », puisqu’il représentait l’alliance
entre Dieu et son peuple élu. Il faut rappeler que, même si Dieu parlait
souvent à Moïse, il ne se montrait jamais ! Dieu ne permit pas à Moïse de
connaître la terre promise, car il ne se montrait pas toujours respectueux et
obéissant. Moïse dut donc désigner un successeur, Josué, pour faire entrer
enfin son peuple en Canaan.
Arrivés en terre promise, les Israélites continuèrent à vivre en douze tribus
dispersées. Josué resta leur chef et, obéissant à Dieu, détruisit toutes les
villes sur son passage. Mais les Philistins, bien organisés pour la guerre,
battaient souvent les tribus israélites dispersées, désorganisées, malgré
quelques grands chefs guerriers, tel que le sage Samuel, et leur prirent même
l’arche d’alliance. Dieu ordonna donc à Samuel de réorganiser les Israélites
et de désigner un roi pour les diriger. Samuel choisit Saül, avec l’accord de
Dieu. Ainsi, Saül devint le premier roi des Israélites. Son royaume s’étendant
sur la terre de Canaan était appelé Israël. C’était un bon chef de guerre et il
combattit les Philistins durant tout son règne, mais il n’obéissait pas toujours
aux ordres de Dieu, qui exigea le massacre de tous les êtres vivants sur les
territoires occupés. Son meilleur officier était le jeune David (héros de la
légende de David et Goliath) qui, après sa mort, devint roi du Sud du pays,
alors que le fils de Saül fut élu roi du Nord. David était un très grand roi
guerrier, sage et pieux. Il vainquit définitivement les Philistins et même le roi
de l’Israël du Nord. Il devint le premier roi de toutes les tribus réunies
d’Israël. Son royaume s’étendait de l’Euphrate à la Grande Mer et de la ville
de Tyr jusqu’à la Mer Rouge. Il récupéra, enfin, l’arche d’alliance et la
garda à Jérusalem, qui devint la capitale d’Israël.

Je continue avec Salomon, fils de David, qui devint rapidement le digne


héritier de son père. Ce fut un grand chef guerrier, mais ce sont surtout sa
grande sagesse et ses jugements qui le rendirent célèbre. Il fit construire un
temple magnifique à Jérusalem pour l’arche d’alliance, afin que Dieu, qu’elle
représentait sur la terre, puisse demeurer parmi son peuple élu. Sous son
règne, Jérusalem devint l’une des plus belles et des plus riches villes de
l’époque. Les rois des pays voisins défilaient dans sa cour, lui offrant des
cadeaux, leur alliance et même leurs filles. Même la belle reine du lointain
pays de Saba vint le voir (et repartit enceinte de lui). D’ailleurs, la grande
faiblesse de Salomon était les femmes. Officiellement, il avait 700 épouses et
300 concubines ! On ne peut donc pas compter le nombre de ses descendants.
Toutes les femmes l’admiraient et ne rêvaient que de lui. Et lui, il n’hésita pas
à leur faire plaisir. Dieu lui aurait probablement pardonné son penchant pour
les corps des belles femmes, mais ne lui pardonna pas son infidélité à son
Créateur. En effet, notre cher Salomon se laissa facilement influencer, non
seulement par les charmes de ses femmes, mais également par leurs religions
d’origine, oubliant souvent son dieu unique. Jérusalem, la ville de Dieu,
devint donc un lieu d’idolâtrie, la ville des dieux. Toutefois, Dieu retint sa
colère, mettant en balance les qualités et les défauts de Salomon qui lui avait
construit le plus beau temple du monde et qui gouvernait si bien son peuple.
En réalité, il ne trouva pas un digne remplaçant. Il le laissa donc régner dans
le péché durant 40 ans, mais il décida de punir très sévèrement son peuple s’il
ne revenait pas vers lui après la mort de Salomon.

LES PREMIÈRES CIVILISATIONS AMÉRICAINES

Chavìn fut construit sur l’un des plateaux des Andes à 3 200 m d’altitude,
aux alentours de 1100 avant notre ère. Au début, durant plus d’un siècle, ce
n’était qu’une petite bourgade.
La plus extraordinaire réalisation était la pyramide tronquée, avec l’autel
des sacrifices à son sommet. De l’extérieur, elle ressemblait beaucoup aux
ziggourats de la Mésopotamie, mais son intérieur, avec ses grandes salles,
était plutôt comparable à celui des pyramides…
Ses environs étaient décorés avec des statues et des colonnes en granite.
Ces dernières comportaient des écritures cunéiformes indéchiffrables et des
images représentant le dieu local, mi-homme, mi-jaguar. On lui présentait
régulièrement sur l’autel des sacrifices humains.
Les habitants de la ville étaient trapus, avec des cheveux lisses très noirs.
Leur roi portait des bijoux en or. Leur langage était assez étrange, ne
ressemblant à aucune des langues connues. Ils pratiquaient la culture du maïs
et l’élevage des lamas. C’était une sorte de petit dromadaire sans bosse, avec
un long cou. Il tirait des charrues et portait de lourdes charges sur le dos. Ses
poils servaient à la confection de vêtements et de couvertures multicolores.
On buvait son lait et mangeait sa viande. Il était indispensable pour la
population.

Selon notre connaissance, Chavìn n’avait pas d’armée. Certes, personne ne


pouvait menacer cette ville perchée à plus de 3 000 m d’altitude. D’ailleurs,
on ne peut pas comprendre, pourquoi elle fut construite aussi haut, dans une
région aussi pauvre. 1 000 ou 2 000 m plus bas, le pays était luxuriant, avec
des pâturages abondants, assurant une vie facile. Mais ce peuple devait avoir
ses raisons.
Loin de Chavìn, à des centaines de kilomètres, on pouvait trouver des
villages dispersés dépendant probablement de la ville. Mais il n’y avait
aucune autre ville.

La Venta se trouvait beaucoup plus au nord, dans le golfe du Mexique,


disposant de conditions climatiques tout à fait différentes. Cette ville avait été
construite sur une île du fleuve Tonala, pas loin de la mer. Elle était
construite comme Chavìn, avec sa pyramide et ses palais en pierre. Même la
population et ses coutumes étaient identiques. Ici aussi, on adorait le dieu mi-
homme, mi-jaguar. Pourtant, il n’existait aucune relation entre ces deux
peuples, séparés par plusieurs milliers de kilomètres, sans parler de la grande
différence d’altitude.
On pouvait retrouver ici aussi des statues et des colonnes en granite,
pourtant, dans un rayon de plus de 150 km autour de la ville, on ne trouvait
que des forêts tropicales. Il fallait aller chercher les matériaux de construction
au-delà des forêts. Or, la population ne connaissait pas la roue pour le
transport. Il faut croire que l’on transportait tout par le fleuve, sur des
radeaux, comme en Égypte.

La ville occupait toute l’île du fleuve, sur les rives duquel s’étendaient des
forêts et des pâturages. On y trouvait aussi de tas de petits villages dispersés,
où habitaient les cultivateurs. C’étaient eux qui nourrissaient la ville. Tout y
était la copie conforme du lointain Chavìn et de ses environs, les
constructions et le mode de vie. Les deux villes dataient de la même époque.

Quelques siècles plus tard, ces deux peuples disparurent de l’histoire avec
leur civilisation. On ne connaîtra peut-être jamais leur histoire, car on ne put
pas déchiffrer leur écriture et on ne connaît même pas leur langue. Ils ne
laissèrent derrière eux que les ruines de leurs magnifiques constructions. Ils
n’avaient pas d’empire puisqu’ils n’avaient pas de soldats et aujourd’hui, on
ne parle que de « la culture La Venta et Chavìn ».

LE TEMPS DES GRANDS PHILOSOPHES

Il est intéressant de signaler que tout le VIe siècle avant notre ère fut le
temps des grands philosophes, surtout en Asie, sans qu’ils se connussent la
plupart du temps. Leurs enseignements sont encore connus et certains
devinrent des religions.

Zarathoustra (630-550) fut le rénovateur de l’ancienne religion iranienne.


Il la transforma en religion monothéiste. Ahura Mazda (dieu principal de
l’ancienne religion) devint le dieu unique de la bonté et de la clarté. Lui-
même, il se dit « l’envoyé » ou le prophète d’Ahura Mazda. Il fut persécuté
jusqu’à sa mort par les prêtres de l’ancienne religion.
Il développa ses doctrines dans son livre Avesta, écrit durant des dizaines
d’années. Il vécut retiré du monde en prêchant la paix et la bonté. Il
condamna tout sacrifice de sang et toute cruauté. Il est à l’origine de plusieurs
croyances et coutumes, pratiquées encore aujourd’hui en Inde, telles que
l’effet purificateur du feu, l’incinération des morts et la sanctification des
vaches.
Dans ses visions, il parlait du Paradis et de l’Enfer, où arrive l’âme après la
mort du corps. Il fut le premier annonciateur de l’immortalité de l’âme et de
la résurrection. De beaucoup de points de vue, les premiers chrétiens étaient
très proches de sa doctrine.

Bouddha (560-480) était le titre de prêtre du prince indien Siddhârta de


Gautama, qui vécut une vie d’ascète durant des années pour méditer. Il
prêcha l’incarnation de l’âme, jusqu’à la purification finale conduisant au
Nirvana, qui représente la libération totale de l’âme après la suppression de
tout désir.

Confucius (551-479) fut un philosophe chinois. Il prêcha la justice, le


respect d’autrui et l’amour de l’homme. Sa doctrine principale fut le
maintien de l’ordre dans l’État, en formant des hommes qui vivent en
conformité avec la vertu, dont il fait la valeur suprême de son éthique. Il fut
le grand défenseur du système patriarcal, base de la religion ancestrale.

Il faut parler aussi des philosophes grecs de l’époque, même si leurs


enseignements philosophiques n’avaient pas d’orientation religieuse.

Thalès (625-545) était considéré comme philosophe dans son temps


puisqu’il essaya d’expliquer l’origine de la vie et de la matière. Selon lui,
l’eau est la base de tout ce qui existe dans le monde, selon qu’elle est
liquide, gazeuse ou solide. Même si sa doctrine philosophique était erronée,
Thalès resta un très célèbre scientifique dans les domaines des mathématiques
et de l’astrologie.

Anaximandre (610-546), élève de Thalès, fit de « l’indéterminé infini »


le principe de toute chose. Selon lui, toute matière connue est issue de la
décomposition en deux oppositions de l’indéterminé infini. Il annonça
également que la terre est un grand disque tournant dans l’Univers…

Anaximène (585-525) considérait que tout provient de l’air, disposant


d’une âme, et tout y retourne.

Héraclite (540-483) considérait que tout provient du feu, l’élément


premier à l’origine de la matière, dont le principe est le changement
perpétuel.

Hérodote (485-425), le premier « historien » de l’Antiquité, n’est pas cité


parmi les philosophes grecs, mais j’en parle ici puisqu’il expliqua selon sa
philosophie tous les évènements de l’histoire. Il considérait que le « hasard »
n’existe pas, mais que tout est défini et dirigé par le « destin ». Le
« destin » est une puissance inexplicable (Dieu ?) que personne ne peut
influencer et contre laquelle personne ne peut lutter. Il définit et conduit les
évènements. Il veille aussi à la justice universelle. La foudre épargne les
petits animaux et ne frappe que les plus grands. Le « destin » conduit à la
victoire des guerriers invincibles, puis les punit par une défaite finale. Pour
l’exemple, il cita, entre autres, la chute du roi Crésus, célèbre par son
immense fortune et par son pouvoir, qui fut battu ensuite par Cyrus, roi des
Perses. Il aimait dire que personne ne peut être considéré heureux avant sa
mort.
Il fut le premier voyageur parcourant le monde pour son plaisir. Il
parcourut l’Égypte, la Mésopotamie, la Perse, l’Inde et même le lointain pays
des Scythes. Les autres voyageaient toujours pour la gloire, ou pour
s’enrichir. Nous lui devons la description détaillée des évènements et des
habitudes de son époque. Il décrivait aussi toutes les anciennes histoires et de
guerres, qu’il entendait raconter. Il traduisit en grec de nombreux textes
égyptiens et babyloniens. Avant son voyage, il considérait que seuls les Grecs
étaient « cultivés » et tous les autres peuples étaient des « barbares ». Plus
tard, lorsqu’il prit connaissance des civilisations égyptienne, babylonienne et
indienne, il se disait que la République grecque reste toutefois supérieure à
tous les autres royaumes, basés sur l’inégalité de ses habitants. Il fut le
premier à rechercher l’équivalence entre les divinités grecques et
égyptiennes.

LES GRANDS PAYS DE L’ASIE

Avant de parler des grands pays d’Asie, il est intéressant de noter


l’évolution des Phéniciens.
Perturbés sans cesse par des guerres sans fin, dans l’intérêt de leur
commerce maritime, ils partirent loin et fondèrent une grande ville nouvelle,
Carthage, sur les côtes nord-africaines, en Tunisie actuelle. Au début, ce
n’était qu’une colonie de Tyr, mais lorsque les Perses occupèrent tout le
Proche-Orient, Carthage devint une ville indépendante, voire une cité-État.

Les Scythes

Un peu plus au sud du premier pays des Hongrois, entre l’Oural et la mer
d’Aral, apparut un peuple, les Scythes, qui fonda une nouvelle puissance,
l’empire des Scythes. C’étaient des cavaliers de la steppe qui, poussés par la
fièvre du pouvoir et de la domination, imposèrent leur suzeraineté aux
Mèdes, puis envahirent le Proche-Orient, en suivant le chemin de leurs
prédécesseurs de l’Est à travers le Caucase. Ils arrivèrent jusqu’en Égypte
après avoir écrasé la Palestine. Durant deux ou trois dizaines d’années, ils
semèrent la terreur et la peur sur leur passage puis, après quelques batailles
perdues, ils se retirèrent au nord du Caucase, entre les mers Noire et
Caspienne.

Selon la tradition des peuples voisins, le roi des Scythes était aussi un
descendant des dieux qu’il devait rejoindre après sa mort. Lors de son
enterrement, on devait lui assurer une vie « divine » dans l’au-delà. Ce peuple
nomade ne connaissait pas le secret de la construction des temples et des
monuments funéraires. On creusait donc une immense fosse au centre de
laquelle on déposait le corps du défunt avec ses armes et ses objets de valeur.
Ses femmes et ses serviteurs (tués) l’accompagnaient dans son dernier
voyage pour le servir éternellement. On tuait aussi cinquante soldats et
chevaux pour assurer sa défense. On refermait ensuite la fosse et on érigeait
une véritable colline au-dessus de la tombe.
Dans les autres tombes, on enterrait aussi avec le défunt ses armes et ses
objets de valeur, selon sa richesse.
Installés dans leur nouveau pays, les Scythes guerriers devinrent des
agriculteurs et éleveurs paisibles. Bientôt, ils devinrent les plus grands
producteurs de céréales qu’ils vendaient aux peuples voisins.

La chute de l’Empire assyrien

Jusqu’au début du VIIe siècle avant notre ère, toute la Mésopotamie faisait
partie de l’Empire assyrien. Mais les Assyriens ne se contentaient pas de leur
territoire. Ils écrasèrent Israël, l’Égypte et l’Élam, puis pillèrent régulièrement
le pays paisible des Mèdes. Seule la Palestine pouvait encore leur résister.
L’Empire devint immensément riche et aurait pu le rester, sans ses excès
de folie. En effet, sans aucune raison, les Assyriens détruisirent Babylone,
Thèbes et Suse, les plus belles villes de l’époque. Babylone se révolta,
profitant de l’éloignement de l’armée assyrienne, occupée par les pillages à
l’Est. Aidée par la Palestine et par les Mèdes persécutés, elle s’attaqua à la
petite armée d’occupation. Prises en tenaille sur trois côtés, les armées
assyriennes perdirent bataille sur bataille et, à la fin du VIIe siècle avant notre
ère, l’Empire assyrien cessa d’exister.

L’Empire des Mèdes


Les Mèdes, habitants du plateau iranien, furent longtemps sous la
domination des Scythes, qui leur apprirent à se battre à cheval, bien qu’ils
fussent des agriculteurs et des éleveurs nomades. Lorsque les Scythes se
retirèrent au nord, les Mèdes fondèrent un grand royaume, absorbant les
peuples perses du sud. Profitant de l’affaiblissement de l’Empire assyrien, ils
l’attaquèrent et le pillèrent à leur tour. Après leur victoire finale, ils rentrèrent
dans leur pays avec un trésor immense. Ils n’avaient plus d’ennemis, puisque
les autres vainqueurs des Assyriens, la Palestine et Babylone, étaient leurs
alliés, et les Scythes n’étaient plus des guerriers. Avec leur allié perse, le
royaume des Mèdes devint un immense empire. Il faut signaler qu’ils ne
pratiquaient pas l’esclavage et laissaient vivre en paix les pays vaincus.

Naturellement, cet empire riche et puissant avait besoin de grandir. Évitant


Babylone et la Palestine, les Mèdes occupèrent petit à petit le nord-ouest de la
région, mais ils furent arrêtés en Anatolie par la puissante et riche Lydie, qui
dominait toute l’Asie Mineure. La guerre dura longtemps entre les deux
puissances sans victoire. Elle fut arrêtée, enfin, définitivement par une éclipse
totale de soleil que les deux armées adverses prirent pour un message du Ciel.
Elles conclurent une paix durable. Ainsi, toute l’Asie Mineure était
gouvernée par trois grandes puissances : la Lydie, Babylone et l’Empire des
Mèdes.

La nouvelle Babylone

La nouvelle puissance de Babylone naquit avec la chute de l’Empire


assyrien. La nouvelle Babylone n’était plus une simple cité-État, comme dans
le passé, mais un empire puissant, dominant toute la Mésopotamie et la Syrie,
jusqu’au nord de l’Arabie. Cependant, l’Égypte lui résistait.
Nabuchodonosor II, durant son long règne, écrasa Juda et Israël. Suite à
l’assassinat de son gouverneur de Jérusalem, il rasa la ville ainsi que le
temple magnifique de Salomon. Il exila plus de 4 000 Hébreux à Babylone.
Israël cessa d’exister. Cependant, il n’était pas question d’esclavage, comme
on le prétendit. La grande bourgeoisie fut installée à la cour royale de
Babylone et les pauvres autour de la ville pour cultiver la terre. Ils y vivaient
donc aussi paisiblement que jadis en Israël. On peut même supposer que leur
Bible, détruite avec le temple de Salomon, a été réécrite à Babylone durant
leur exil, inspirée par de nouvelles connaissances, les thèses de Zarathoustra
et par le déluge de Gilgamesh.

Le nouvel empire de Babylone dura près d’un siècle. Puis, à cause de la


faiblesse de ses rois successifs, il tomba sous la domination des Perses.

La naissance de l’Empire perse

L’Empire des Mèdes dura à peine un siècle. Profitant de la faiblesse de son


roi, le peuple perse rattaché à l’empire, mené par Cyrus, se révolta en 550
avant notre ère et prit le pouvoir.
Cyrus fut un grand roi militaire. Durant son règne d’une vingtaine
d’années, il vainquit toute l’Asie Mineure jusqu’à la Méditerranée, en
commençant par écraser Crésus, roi de Lydie. Il prit ensuite Babylone, la
Syrie et la Palestine. Il laissait une armée d’occupation sur tous les territoires
vaincus pour assurer son pouvoir. Sa cruauté était légendaire. En cas de
révolte, il torturait les meneurs et exilait toute la population. Après sa mort,
son fils Cambyse suivit son exemple, en rattachant l’Égypte à son empire. À
ce dernier succéda Darius, qui agrandit encore son empire, depuis le Danube
jusqu’à l’Indus, à travers les Balkans et renforça sa puissance. Il était non
seulement un grand conquérant, mais aussi un grand roi cultivé. Il fit
construire Persépolis, sa nouvelle capitale, selon le modèle des grandes villes
occidentales.

Il autorisa le retour des Hébreux en Israël, leur pays, après un demi-siècle


d’exil et aida même financièrement la reconstruction du temple de Salomon à
Jérusalem.

Je dois rappeler aussi que la construction du canal d’Égypte, reliant la mer


Rouge au delta du Nil, c’est-à-dire à la Méditerranée, fut terminée durant son
règne.

Magna Hungaria

Dans tout ce mouvement migratoire, les Hongrois commençaient aussi à


bouger. Maintenant, au VIe siècle avant notre ère, ils se déplaçaient lentement
vers l’ouest de l’Oural. Se sentaient-ils en insécurité dans leur ancien grand
pays, où ils vivaient durant près de 1 000 ans et qui était près de « la route des
invasions » ou étaient-ils pris simplement, à nouveau, par la fièvre de la
migration ? On peut aussi supposer qu’ils trouvaient leurs voisins turcs trop
« envahissants » et qu’ils avaient peur de perdre leur identité hongroise à leur
voisinage.
Toutefois, ils n’allèrent pas loin. Ils s’installèrent entre les monts Oural et
le fleuve Volga. On appelait leur nouveau pays Magna Hungaria. Dans ce
nouveau pays, où ils restèrent plus de 1 000 ans, ils devinrent de vrais
Européens et ils furent un peu plus éloignés de « la route des invasions ».
Toutefois, leur façon de vivre ne changea pas. Ils vivaient comme avant,
sans évoluer.
LES CURIOSITÉS DE L’EUROPE DU SUD

La culture européenne émergea dans les îles de la mer Égée. On peut


remarquer qu’elle s’étendit vers l’ouest, aussi bien par la mer que par la terre.

Les origines de la culture grecque

Je n’ai pas l’intention de parler ici de la culture grecque, d’innombrables


auteurs publièrent des livres la traitant en détail. J’en parle seulement pour la
mettre en parallèle avec les autres évènements de l’histoire. Comme je l’ai
déjà dit, l’origine des Grecs est assez floue jusqu’à la chute de la Crète. Après
l’éruption du volcan de l’île de Thèra, les tribus achéennes arrivèrent en Crète
qui avait été détruite et prirent la succession des Crétois, tout en gardant leur
culture. Plus tard, les Doriens les remplacèrent.

On ne peut pas parler d’empire grec, il n’exista jamais. L’histoire grecque


concerne les cités-États, telles que Sparte, Athènes, Corinthe et les îles
égéennes.
Par manque de terres cultivables, les cités-États ne pouvaient pas être
autonomes. Elles devaient acheter toutes les matières premières et les
céréales chez les peuples voisins. Les Grecs vivaient du commerce maritime
et terrestre qu’ils facilitaient avec la fondation de colonies lointaines. Ils
commerçaient même avec des Scythes, vivant au nord de la mer Noire, chez
qui ils achetaient des céréales.
La culture grecque fut influencée d’abord par la Crète, puis par l’Égypte et
par l’Asie Mineure. Mais très vite, les Grecs dépassèrent leurs « maîtres ». Ils
adoptèrent et modernisèrent l’écriture phénicienne. Ils furent les premiers à
utiliser des voyelles. Encore aujourd’hui, ils utilisent le même alphabet,
composé de 24 lettres.
Les hiéroglyphes furent déchiffrés grâce aux Grecs, qui transcrivaient de
nombreux textes égyptiens en grec, les rendant ainsi compréhensibles.
Leurs savants, leurs philosophes, leurs architectes et sculpteurs rendirent
immortelle la culture grecque.

Il faut rappeler les deux grandes victoires grecques sur les Perses
« invincibles », qui dominaient le monde au début du Ve siècle avant notre
ère.
Les armées grecques unifiées, commandées par Miltiade, vainquirent les
Perses de Darius en 490 avant notre ère, à Marathon. La nouvelle de cette
victoire incroyable fut annoncée à Athènes par le messager Phidippidès, qui
courut la distance de 42,195 km séparant la ville du champ de bataille et
mourut d’épuisement à son arrivée. Aujourd’hui encore, on organise
régulièrement une « course de Marathon » de la même distance en sa
mémoire.
Après cette victoire, durant 10 ans, la paix régna entre les deux peuples,
puis Xerxès, le nouveau roi perse, envahit la Grèce et détruisit Athènes.
Cependant, à Salamine, Thémistocle vainquit par ruse la flotte perse, dix fois
plus nombreuse. Cette victoire grecque mit fin définitivement à l’hégémonie
perse en mer.

Les origines de la culture romaine

Rome fut fondée sur la péninsule italienne, dont le nord était occupé depuis
plus de 1 000 ans par les Étrusques. L’origine des Étrusques reste inconnue.

Selon Hérodote, historien grec, ils arrivèrent de la Lydie, en Asie Mineure,


peu avant la guerre de Troie. Cependant, leur langue était très différente des
langues indo-européennes de cette région. Selon certains, ils seraient proches
de la branche européenne des Sumériens.
Au début du premier millénaire avant notre ère, les Étrusques étaient un
peuple guerrier. Ils dominaient la moitié de la péninsule, depuis la vallée du
Pô jusqu’à celle du Tibre. Au début du VIe siècle avant notre ère, ils
dominaient également Rome qui n’était, à cette époque, qu’un agglomérat de
petits villages. En réalité, ce sont les Étrusques qui en firent une belle ville
structurée.
Ils avaient beaucoup de relations commerciales avec les Grecs qui avaient
colonisé le sud de la péninsule. Ils étaient très influencés par l’art grec, qui
était à l’origine de leur culture.

Selon la mythologie grecque, les Romains étaient les descendants des


réfugiés troyens, rescapés de la guerre de Troie, amenés en Italie par le prince
Énée. À cette époque, la vallée du Tibre était habitée par des tribus latines qui
se mêlèrent aux Troyens pour fonder Rome.

Selon la légende romaine, deux jumeaux, Romulus et Remus furent allaités


et élevés par une louve. Adultes, ils se battirent et Romulus tua son frère. Il
fonda ensuite Rome au bord du Tibre, vers la fin du VIIIe siècle avant notre
ère, dont il devint le premier roi, ainsi que de toute la région. Plus tard, les
Romains s’attaquèrent aux Sabines, leur prirent leurs femmes, puis s’unirent
à eux pour former un grand peuple.
La ville moderne de Rome, reconstruite par les envahisseurs étrusques, fut
occupée et dominée par ces derniers jusqu’à la fin du VIe siècle avant notre
ère. Puis le peuple romain se révolta contre le roi étrusque, le chassa et fonda
la République romaine. Rome resta sous l’influence des cultures étrusque et
grecque. Elle adopta même les dieux grecs en leur donnant des noms latins.
À peine trois siècles plus tard, la petite République romaine devint un
puissant empire.

Les conquérants celtes

Même s’ils ne laissèrent pas de souvenirs culturels, on ne peut pas passer


sous silence les conquérants celtes qui, durant plusieurs siècles, peuplèrent
l’Europe du Sud et de l’Ouest, y compris l’Angleterre.
Leurs ancêtres descendirent du nord vers le sud, depuis le deuxième
millénaire avant notre ère, puis progressivement occupèrent toute l’Europe.
Les peuples « civilisés » les appelaient aussi des « barbares », à cause de leur
mode de vie sauvage. À l’origine, les Grecs appelaient « barbares » tous ceux
qui parlaient mal, ou pas du tout leur langue, donc les gens sans culture !
Les Celtes étaient craints à cause de leur grande taille et de leur courage.
Plus tard, lorsqu’ils se battirent avec les Romains, ces derniers parlaient
épouvantés des « grands blonds velus, se battant nu à cheval ». C’étaient de
cruels guerriers, mais qui aimaient aussi l’art.

Ils n’avaient ni palais, ni villes. Ils vivaient dans des villages, formés de
grandes huttes, souvent rondes.
À titre de curiosité, il faut rappeler que, malgré leur vie primitive, ils
pratiquaient une métallurgie très développée. Ils fabriquaient des outils et
armes en bronze, puis en acier, en même temps que les autres peuples
« civilisés ». Leurs orfèvres étaient très habiles. Ils fabriquaient de
magnifiques bijoux en bronze et en or, et quelquefois des armes pour les
riches. Les motifs des décorations étaient influencés par des objets d’art
romains et grecs.
Ils pouvaient vivre longtemps en paix et commercer avec leurs voisins
puis, pris brusquement par la fièvre de la guerre, ils envahissaient et pillaient
les pays voisins. Après une « bonne guerre », comme si rien ne s’était passé,
ils retournaient dans leur pays pour vivre paisiblement.

Au Ve siècle avant notre ère, ils envahirent la Gaule et le Nord de l’Italie,


puis vécurent en paix durant près d’un siècle.
En 390 avant notre ère, ils envahirent et brûlèrent Rome, puis attaquèrent
les colonies grecques de l’Europe du Sud.
Un siècle plus tard, ils envahirent les Balkans jusqu’à l’Asie Mineure, tout
en restant à l’écart de l’empire d’Alexandre le Grand.

Il fallut attendre encore deux siècles pour que le puissant Empire romain
arrêtât définitivement les invasions celtes. Fuyant les Romains, quelques
tribus passèrent de l’Espagne en Afrique du Nord, sans avoir rencontré
aucune résistance, jusqu’à Carthage, où ils s’assimilèrent à la population
locale. Certains devinrent des mercenaires, dont on retrouva des traces même
en Égypte.

LA NAISSANCE D’UN GRAND EMPIRE

Profitant de la faiblesse de ses voisins, Philippe II, roi de Macédoine,


attaqua les Grecs, puis leur proposa une alliance contre leur ennemi commun,
le puissant Empire perse. Mais il mourut avant de réaliser son projet
grandiose.
Il fut remplacé sur le trône par son fils Alexandre, élève du philosophe
grec Aristote, qui avait à peine 20 ans. Malgré son jeune âge et son éducation
philosophique, il devint un grand guerrier et réalisa très vite le projet
ambitieux de son père.
L’empire d’Alexandre le Grand

Le jeune Alexandre devint invincible dans ses batailles perpétuelles et


bientôt on l’appela Alexandre le Grand.
Il avait beaucoup de confiance en lui, car sa mère, d’origine grecque, lui
racontait sans cesse que son père était descendant d’Héraclès, fils de Zeus. Il
était donc demi-dieu et personne ne pouvait s’opposer à son pouvoir. Je ne
sais pas quelle est la vérité, mais il était réellement invincible.
Sa mère, Olympias, était cruelle et ambitieuse. Heureusement, Alexandre
n’hérita d’elle que son ambition. Il s’éloigna vite de sa mère, sans se laisser
influencer par elle.
Philippe II, le père d’Alexandre, fut un grand guerrier, qui aimait aussi les
femmes et la bonne vie. Il avait sept épouses officielles et de nombreuses
maîtresses. Olympias était très jalouse et ne lui pardonna pas d’avoir épousé
sa dernière maîtresse, Cléopâtre. Elle quitta son mari qui, très occupé par ses
guerres et par ses conquêtes féminines, peut-être ne s’en aperçut même pas.
Selon les mauvaises langues, Olympias empoisonna son mari afin que son
fils pût monter sur le trône, puis fit tuer Cléopâtre aussi.
Alexandre ignorait ces cancans et personne n’aurait osé lui dire la vérité. Il
ne s’intéressait qu’à la guerre et au pouvoir. En tant que demi-dieu, il
s’imposa la conquête du monde et la diffusion de la culture grecque.
Il conquit d’abord, en 336 avant notre ère, les cités-États grecques,
révoltées après la mort de son père, établissant ainsi la base de son futur
empire. L’unification des cités-États fut facilitée par la menace permanente
de l’Empire perse voisin de Darius III, qui n’abandonna pas l’idée de les
reconquérir. Il était donc le principal ennemi des Grecs.
Entre 336 et 334, Alexandre battit régulièrement Darius III sur le sol grec,
puis décida de le poursuivre dans son empire. Il traversa le Bosphore et
écrasa en Asie Mineure l’armée perse, quatre fois plus nombreuse, qui fuit
ensuite vers la Mésopotamie. Il ne l’y suivit pas. Il préféra poursuivre sa
conquête vers le sud.

Selon la légende, le char de combat du roi de Gordion, ville d’Anatolie,


était attaché par un nœud très compliqué dans le temple de Zeus. Les oracles
disaient que celui qui arriverait à le défaire serait le maître de l’Asie.
Alexandre prit son épée, coupa le « nœud gordien » en deux et décida qu’il
serait le maître du monde.
Il conquit sans résistance la Syrie et la Phénicie, toutes les deux faisant
partie de l’Empire perse. Seul Tyr osa lui résister. Il détruisit la ville et vendit
ses habitants comme esclaves. En principe, il prenait dans son armée les
soldats vaincus ou ayant capitulé et il laissait en paix les villes conquises et
ses habitants. Mais il détruisait tout ce qui lui résistait.

En 332, il conquit l’Égypte qui faisait également partie de l’Empire perse.


La culture de ce pays le fascinait. Il cherchait une relation entre les dieux
grecs et égyptiens (comme Hérodote). Il trouva que Zeus et Amon-Ré étaient
le même dieu. Il déclara qu’il est le fils d’Amon-Ré qui s’était uni à sa mère.
Il fallait donc se prosterner devant lui, fils de dieu. Je suppose que cette idée
lui vint d’Aménophis III qui, 1 000 ans plus tôt, avait inventé la même
histoire. Comme à son époque les Égyptiens y crurent, ils crurent également à
l’histoire d’Alexandre. À force de le répéter, peut-être même Alexandre y
croyait-il et considérait-il l’Égypte comme son pays.
L’année suivante, il fonda Alexandrie dans le delta du Nil, qui devint
rapidement la ville la plus cultivée de tous les temps. Sa grande célébrité fut
la tour de marbre de l’île de Pharos et la bibliothèque de la ville.

En 331, Alexandre conquit Babylone, Suse puis toute la Perse. Il fit


démolir le château royal de Persépolis puisqu’il choisit Babylone pour
capitale, d’où il dirigea son empire. Il respectait ses adversaires courageux et
lorsque Darius III fut assassiné, il lui organisa des obsèques royales.
Il conquit ensuite les colonies perses le l’Asie centrale et Samarcande, en
328. Personne ne pouvait lui résister et lui-même ne pouvait résister à sa
fièvre de conquête. Il fallait aller toujours plus loin. Je commençais à croire à
sa divinité, puisqu’il était invincible et le plus grand homme jamais connu.
Partout où il passait, il était accueilli en libérateur. Il diffusait partout la
culture grecque et égyptienne. Tout le monde l’aimait et l’admirait.
À l’Est, en 326, il triompha sur l’armée terrible du roi Pôrus, équipée de
400 chars et de 200 éléphants de combat. Puis son armée s’arrêta de fatigue
au fleuve Gange et refusa de continuer les conquêtes.
Ses soldats érigèrent un monument près du fleuve, sur lequel ils écrivirent :
Ici s’arrêta Alexandre le Grand

Mais il ne faut pas cacher la vérité. Le prix de cette victoire fut très élevé.
La bataille fut atroce contre les éléphants dressés à se battre et seule la
présence héroïque et divine d’Alexandre le Grand empêcha ses soldats
épouvantés de fuir. Les éléphants arrachèrent avec leurs trompes les cavaliers
de leurs chevaux, les jetèrent au sol et écrasèrent tout ce qui se trouvait autour
d’eux. Il fallait couper les ligaments de leurs jambes pour les faire tomber et
les achever. C’était une action suicidaire. Alexandre sortit vainqueur de cette
bataille, mais perdit une grande partie de son armée. Les survivants étaient
moralement détruits. On peut donc comprendre, qu’ils ne voulaient pas
continuer leur guerre conquérante. Alexandre comprit leur état d’âme,
accepta d’arrêter sa conquête et de retourner à Babylone. Le retour de son
armée à travers les déserts fut aussi mortel que sa dernière bataille. Ses
soldats et ses chevaux mouraient de soif dans le désert. Alexandre montra
l’exemple à ses soldats, justifiant leur admiration. Il marchait à pied, avec
eux, et n’acceptait que la ration d’eau réglementaire.

Empire d’Alexandre le Grand

À son retour à Babylone, il se reposa pour préparer ses futures campagnes.


Mais son dieu père (Amon-ré ou Zeus) le rappela auprès de lui. Il mourut de
typhus à Babylone en 323 avant notre ère.

Alexandre était un grand conquérant et un homme de très grande culture.


Durant ses 12 années de règne, il conquit tous les pays où il put aller et fit
construire 80 villes modernes dans le style grec, dont beaucoup portaient son
nom, selon la volonté de ses habitants. Tout le monde l’admirait et dans les
pays vaincus, on le considérait comme libérateur. Il a tout fait pour le
bonheur de son peuple. Il assurait l’égalité et la justice sur les territoires
occupés. Il favorisait les mariages mixtes. Lui-même épousa une princesse
perse, Roxane, pour montrer l’exemple, puis la fille du roi Darius vaincu, afin
d’unifier son empire dans la paix. Son grand mariage de Susa fut
mondialement célèbre. Il y maria 10 000 soldats macédoniens, avec des filles
perses. Toutefois, les enfants nés de ces mariages mixtes devaient rester sur la
terre de leurs mères.
Il ne fit aucune différence entre ses soldats et les vaincus engagés, sauf que
tous ses officiers supérieurs devaient être macédoniens.
On ne peut pas imaginer tout ce qu’il aurait pu créer, vivant plus
longtemps. Peut-être, devait-il mourir jeune afin qu’il ne pût pas connaître les
limites de son pouvoir ou une éventuelle chute. Ainsi, il reste le plus grand
homme invincible que l’histoire ait jamais connu.

Après la mort d’Alexandre, son empire fut partagé entre ses généraux. Ils
assassinèrent même sa femme Roxane et son fils, pour que personne ne
puisse réclamer sa part d’héritage.

Alexandrie et la dynastie Ptolémée

Ptolémée, un des généraux d’Alexandre, fut nommé gouverneur d’Égypte.


Après la mort d’Alexandre le Grand, il débarqua à Alexandrie en contournant
l’île de Pharos, laquelle lui donna l’idée d’y construire une énorme tour
éclairée jour et nuit, visible par tous les bateaux s’approchant de la ville.
Ptolémée pensait aussi à la surveillance des bateaux de guerre menaçant sa
ville. Bien entendu, du sommet de la tour, on pouvait surveiller la mer et
prévenir la ville en cas de danger.

On ne l’attendait pas à bras ouverts à Alexandrie. Chaque petit seigneur


voulait garder son pouvoir et voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’un
gouverneur guerrier, connu pour son courage et pour son autorité.
Heureusement, Ptolémée était aussi un bon diplomate. Rapidement, il prit le
contrôle de toute l’armée égyptienne, donc le pouvoir absolu. Il voulait même
renforcer son armée, en demandant du renfort de Babylone, mais chaque
général voulait garder ses soldats pour assurer son propre pouvoir.

Malheureusement, Ptolémée pensait plus aux guerres qu’à la construction


de la ville, qui passa au second plan. Il écrasa d’abord toute résistance en
Égypte, puis conclut la paix avec Cyrène, cité-État qui fournissait à l’Égypte
des savants et des mercenaires. Son pouvoir étant établi, il lança des
campagnes contre les pays voisins pour renforcer ses frontières. Il triomphait
partout. Il occupa la Palestine, Chypre, quelques cités-États, villes crétoises et
îles égéennes. Après ses victoires, digne héritier d’Alexandre le Grand, il se
fit nommer roi d’Égypte en novembre 305 avant notre ère et fonda la
dynastie Ptolémée.
Enfin, il pouvait lancer les constructions dignes d’un grand roi.

En 304, on commença la construction du « temple des Muses »


d’Alexandrie qui devait accueillir les meilleurs artistes et savants. Il fallait
donc une immense bibliothèque où on pouvait trouver les livres d’art et
scientifiques les plus connus. C’était un travail surhumain de rassembler les
meilleurs savants et scientifiques qui faisaient de vrais miracles.

En 297, on commença enfin la construction de la tour de Pharos. Elle


devenait déjà indispensable à cause du trafic chargé, avec tous les bateaux de
transport le long des côtes dangereuses. Tout d’abord, on construisit une large
digue de plusieurs centaines de mètres de long entre l’île et la ville, afin de
pouvoir transporter les matériaux de construction, puis pour assurer le
ravitaillement plus tard. La construction dura plus de 7 ans, mais la tour
devint l’une des « 7 merveilles du monde ». Construite entièrement en
marbre, elle mesurait 137 m de haut. Au sommet, un miroir en bronze
renvoyait la lumière d’un feu éternel vers la mer.
Ptolémée ne put voir sa tour. Il mourut deux ans avant la fin des travaux.
Son fils Ptolémée II lui succéda sur le trône.

Ptolémée II était le digne successeur de son père. Il était plus attiré par la
culture que par la guerre, qu’il ne faisait que par nécessité, bien qu’il fût aussi
un bon guerrier, gagnant toutes ses batailles. Son chef-d’œuvre fut la
bibliothèque d’Alexandrie, où se trouvaient tous les livres célèbres ou leurs
copies. Selon les mauvaises langues, lorsqu’Athènes souffrait de la famine,
Ptolémée II ne lui livrait de la nourriture que sous réserve qu’Athènes lui
prêtât tous ses livres pour les copier à Alexandrie. On y trouvait donc aussi
toute la littérature grecque.
C’est à lui que l’on doit aussi la traduction grecque de la Bible. Pour ce
faire, il invita à Alexandrie les 72 meilleurs savants des 12 tribus juives.
C’était un travail très difficile, non à cause de la langue et du volume des
textes, mais à cause de la mésentente entre les savants. En effet, chaque tribu
interprétait à sa façon les « paroles de la Bible ». Il était donc difficile de
s’entendre sur une version commune, acceptée par tout le monde. Ptolémée II
décida donc d’enfermer dans la bibliothèque les 72 savants juifs jusqu’à la fin
des travaux. Au bout de 6 mois, la traduction fut terminée. Grâce à cet effort,
on peut dire que la traduction grecque de la Bible est la plus fiable.

Les meilleurs savants et artistes du monde se retrouvaient à Alexandrie, où


leurs travaux étaient facilités par des conditions exceptionnelles. Afin de
favoriser les relations entre eux, la tradition voulait qu’ils déjeunassent tous
ensemble. Ainsi, en peu de temps, ils se connaissaient tous, malgré les
nombreuses disciplines très différentes, et ils échangeaient entre eux leurs
connaissances. La ville était une vraie université où les maîtres étaient aussi
des élèves.
Il faut rappeler que la thèse de la sphéricité de la Terre, émise par
Parménide, en Grèce, vers 400 avant notre ère, fut confirmée un siècle plus
tard à Alexandrie par Aristarque, qui affirma aussi que la Terre ronde tournait
autour de son axe et décrivait une orbite circulaire. Vers 200 avant notre ère,
Ératosthène, savant grec, responsable de la bibliothèque d’Alexandrie,
calcula la circonférence de la Terre entre 44 000 et 46 000 km. Son calcul du
rayon de la Terre était basé sur l’ombre projetée de deux objets éloignés de
hauteur connue, situés sur la même méridienne. La situation géographique
d’Alexandrie était très favorable pour ses calculs astronomiques et
géométriques. En effet, avec son phare de 137 m de haut repérable de très
loin, elle se trouvait à l’embouchure du Nil, véritable ligne droite de plusieurs
centaines de kilomètres depuis la première cataracte, coulant du sud vers le
nord.

On peut dire que les deux Ptolémée firent renaître l’Égypte après une
longue décadence. Malheureusement, leurs descendants ne furent pas de
dignes successeurs. Les assassinats pour le pouvoir entre frères et sœurs
furent nombreux. Ce genre de crime n’était pas une exclusivité, mais en
Égypte, il devint systématique. Les rois Ptolémée se prenaient pour des
descendants des dieux égyptiens, puisqu’Alexandre le Grand les assimilait
aux dieux grecs. Ils vivaient selon les traditions des anciens pharaons et
épousaient souvent leurs sœurs. Toutefois, ils restaient grecs et mettaient en
position inférieure les Égyptiens vis-à-vis des colons grecs, installés très
nombreux dans le pays.
On ne peut pas passer sous silence le rôle joué par quelques épouses
(sœurs) des Ptolémée. Plusieurs Arsinoé, Bérénice et Cléopâtre se rendirent
célèbres par leur « divinité », par leur pouvoir ou par leur cruauté. Arsinoé II,
sœur et épouse de Ptolémée II, fut divinisée par le peuple. On l’identifia à Isis
et lui construisit plusieurs temples. La célèbre Cléopâtre VII fut le dernier
pharaon de la dynastie Ptolémée.

Après la dynastie Ptolémée, l’Égypte sombra définitivement.

On juge sévèrement les 350 ans de pouvoir des Ptolémée et surtout de leurs
épouses, à cause de leur cruauté et de leur vie de débauche. Toutefois, on ne
doit pas oublier que cette période était pratiquement une renaissance des
civilisations égyptiennes et grecques en plein déclin.
Comme les anciens pharaons, les Ptolémée construisirent dans la vallée du
Nil des temples et des palais d’une richesse extraordinaire, où ils combinaient
les arts égyptiens et grecs. Toutes ces nouvelles constructions étaient
décorées avec de magnifiques statues et peintures grecques. Les deux styles
allaient si bien ensemble, comme si c’était un seul, depuis toujours. Il était
impensable de les dissocier. Je pense que nous devons remercier les Ptolémée
pour tout cela. Aussi bien matériellement que culturellement, ils attiraient et
aidaient les artistes grecs à s’établir en Égypte. Ce milieu culturel attira
ensuite les meilleurs savants du monde aussi.

La construction des temples avait lieu probablement plus pour des raisons
de sécurité que par croyance. N’oublions pas que le peuple égyptien très
croyant ne se révoltait jamais contre ses pharaons, même les plus cruels,
puisqu’ils étaient les fils des dieux. En construisant des temples, les Ptolémée
justifiaient leur divinité devant les Égyptiens qui, sans cela, n’auraient pas
supporté la domination grecque et le comportement méprisant des
colonisateurs. Grâce à ces temples, ils obtenaient aussi la collaboration des
prêtres égyptiens qui gardaient avec les Ptolémée leur ancien pouvoir et leur
richesse.
On peut se demander pourquoi les Grecs méprisaient les Égyptiens.
Pourquoi un tel sentiment de supériorité ? N’oublions pas que les Grecs
méprisaient depuis toujours tous les autres peuples, considérant qu’aucun ne
peut arriver à la cheville de la civilisation grecque. Tous ceux qui n’étaient
pas des Grecs étaient des « barbares ». Lorsque les premiers voyageurs grecs
parlaient de l’incroyable civilisation égyptienne, on admettait que cela
pouvait être une exception qui confirmait la règle. Cependant, dès qu’ils
arrivèrent victorieusement en Égypte, ils rendirent responsable de la
décadence le peuple égyptien, incapable, qui ne méritait donc aucun respect.

Le déchiffrage tardif des hiéroglyphes au début du XIXe siècle devint


possible grâce à l’administration des Ptolémée qui imposaient la rédaction
simultanée de certains décrets en langue grecque et égyptienne. C’est ainsi
que Champollion, linguiste français connaissant bien les anciennes langues
grecque et égyptienne, put déchiffrer le secret des hiéroglyphes à l’aide la
pierre de Rosette, datant de l’époque de Ptolémée V (en 196 avant notre ère)
contenant deux écritures pour le même texte. Grâce à lui, on peut connaître
l’histoire égyptienne, décrite sur de nombreux monuments depuis 3000 avant
notre ère.

LES GUERRES PUNIQUES

Rome et Carthage vivaient en paix sur la partie occidentale de la


Méditerranée, jusqu’à la fin du IVe siècle avant notre ère. Elles partageaient le
commerce et s’associèrent même contre des envahisseurs, tels que Pyrrhus,
roi d’Épire. Le sud de l’Europe était sous le contrôle de Rome et le nord de
l’Afrique appartenait à Carthage. Ils partagèrent la Sicile, point stratégique de
la Méditerranée, après avoir chassé les Grecs.
Malheureusement, cette longue paix fut perturbée par quelques
mercenaires romains qui envahirent Messine, qui faisait partie de la zone
carthaginoise de la Sicile. Carthage y envoya une armée pour rétablir l’ordre.
Les mercenaires demandèrent alors l’aide de Rome qui, après quelques
hésitations, rompit la paix et attaqua l’armée carthaginoise. C’est ainsi que
commença en 265 avant notre ère, la première guerre punique, qui dura
25 années.

Les Carthaginois étaient plus habiles pour les batailles navales que les
Romains, mais très rapidement, ces derniers modifièrent le style de combat
classique en le transformant en lutte au corps à corps. Au lieu d’essayer de
couler les navires de l’ennemi en les harponnant, ils les attiraient contre eux
en y lançant des grappins, puis massacraient les marins mal armés pour ce
genre de batailles.
En 255, l’armée romaine débarqua en Afrique pour attaquer Carthage
directement sur ses terres. Toutefois, Carthage prépara bien sa défense avec
une énorme armée de mercenaires bien payés, qui écrasa les Romains et
tortura à mort leur chef, Regulus. Après sa victoire, durant 10 ans, Carthage
n’eut que quelques escarmouches en Sicile avec les Romains. Cependant,
Rome n’accepta pas sa défaite et prépara une nouvelle guerre. En 241, elle
chassa de la Sicile les Carthaginois et exigea une « indemnité » de guerre très
élevée, qui ruina Carthage pour de nombreuses années et l’empêcha de payer
des mercenaires. Rome lui prit même la Sardaigne, la privant ainsi de son
commerce méditerranéen.

Hamilcar Barca, général carthaginois, ne supportait pas la domination


romaine. En 237 avant notre ère, il quitta Carthage avec sa petite armée et
s’installa au sud de l’Espagne avec ses trois jeunes fils, dont Hannibal, qui
avait à peine 9 ans. Il y fonda Carthagène, la « nouvelle Carthage ».
Hannibal et ses deux frères reçurent une excellente éducation des maîtres
grecs, philosophes et savants, qui leur enseignaient la culture et les sciences.
Ils leur parlaient aussi des campagnes d’Alexandre le Grand et des « chars
indiens », des fameux éléphants de guerre portant sur le dos des paniers
remplis d’archers inaccessibles, qui lui donnèrent des soucis.

En 221, avant notre ère, quelques années après la mort du général Barca,
on nomma Hannibal chef de l’armée carthaginoise. Cet homme de culture ne
pensait qu’à venger la défaite de son peuple.

En 219, Hannibal attaqua Sagone, colonie romaine en Espagne. Suite à


cette agression, Rome déclara la guerre à Carthage, déclenchant ainsi la
deuxième guerre punique.
Connaissant la force de la flotte romaine, Hannibal décida d’attaquer son
ennemi sur terre ferme, par le sud de l’Europe. Mais là, 240 000 Romains
bien armés l’attendaient. Or, Hannibal ne disposait que de
60 000 mercenaires. Afin d’équilibrer cette grande différence de force, il fit
amener 40 éléphants en Espagne et les fit dresser au combat. C’étaient des
éléphants d’Afrique du Nord pas très grands et assez paisibles, mais très
effrayants pour ceux qui ne les connaissaient pas.
En 218 avant notre ère, il prit enfin la route de Rome par le littoral, jusqu’à
la vallée du Rhône. Sur sa route, son armée semait la terreur avec ses
éléphants et ne rencontra aucune résistance. Les habitants gaulois, ennemis
des Romains, l’accueillirent amicalement et l’aidèrent même à traverser le
Rhône.
Après le Rhône, Hannibal monta légèrement vers le nord afin d’éviter les
villes du littoral contrôlées par les Romains. Il voulait éviter tout accrochage
avec eux pour conserver son effectif jusqu’à Rome. Il prit donc le chemin des
Alpes à travers les montagnes. Malheureusement pour lui et pour ses
éléphants, l’hiver fut précoce cette année-là et la route devint très dure. Pour
aggraver la situation, des tribus montagnardes l’agressaient sans arrêt en
déclenchant des chutes de pierres et des avalanches au-dessus du chemin
étroit, poussant les chevaux et les éléphants dans les précipices. Les pertes
furent énormes. Hannibal envoya donc une petite armée sur les chemins
supérieurs afin de protéger son passage. Malgré toutes ses précautions
tardives, il perdit la moitié de son armée et la totalité de ses éléphants avant
d’arriver dans la vallée du Pô. Il ne lui restait que son éléphant personnel,
appelé Syrien, probablement indien, habitué aux montagnes et au climat
froid.
En 218 avant notre ère, il livra sa première bataille victorieuse sur le sol
romain, près de Trébie, dans la vallée du Pô. Sur la route de Rome, il dut se
battre plusieurs fois contre les Romains.
Les guerres puniques

En 217, il écrasa l’armée romaine près du lac Transimen et la route de


Rome devint libre. Mais il n’attaqua pas Rome, craignant d’y rencontrer une
très forte résistance (pourtant, Alexandre le Grand, son idole, n’aurait pas
hésité). Deux siècles auparavant, les Celtes avaient bien pris Rome dans les
mêmes conditions et y étaient restés tant qu’ils voulaient. Malheureusement,
Hannibal contourna très loin la ville et s’installa en attendant du renfort.
En 216, les Romains attaquèrent Hannibal et subirent une défaite écrasante
à Cannes, pas loin de Rome, et perdirent 45 000 soldats. Toutefois, Hannibal
resta sur place en attendant toujours du renfort.
Cette attente était favorable à Rome, dont la population accepta de voter
des sommes colossales pour sa défense. On libéra les esclaves volontaires et
on enrôla les jeunes dans l’armée pour pouvoir chasser Hannibal. Mais ce fut
peine perdue ! Malgré l’épuisement de son armée et sans renfort, Hannibal
resta invincible en Italie. Pourtant, il était isolé de l’extérieur par la flotte
romaine qui empêchait tout ravitaillement. Enfin, en 207 avant notre ère,
Hasdrubal, frère d’Hannibal, partit de Carthagène par la terre à son aide. Il
longea les côtes de la Méditerranée depuis l’Espagne jusqu’à la vallée du Pô.
Mais son armée fut écrasée par les Romains au bord de la rivière Métaure.
Après cette victoire, Scipion, jeune général de 19 ans, chassa les Carthaginois
d’Espagne afin de mettre fin à toute tentative de ravitaillement terrestre
d’Hannibal, puis retourna à Rome. Hannibal restait toujours invincible près
de Rome attendant un renfort inespéré !
Ne sachant plus que faire, en 204, Scipion débarqua en Afrique et attaqua
Carthage, mal défendue. La situation devint grotesque : Hannibal à Rome et
Scipion à Carthage restèrent invincibles. Ils auraient dû changer de pays !

En 203, Carthage exigea donc le retour immédiat d’Hannibal pour la


défendre contre les Romains. Discipliné, Hannibal leva le siège de Rome et
débarqua en Afrique avec ses soldats fatigués, où l’attendait Scipion avec son
immense armée bien reposée. La bataille décisive entre les deux grands
généraux eut lieu à Zama, au sud de Carthage, en 202 avant notre ère.
« L’invincible Hannibal » fut enfin écrasé définitivement par le jeune
Scipion, qui fut appelé par la suite « Scipion l’Africain », afin que l’histoire
ne le confondît pas avec les autres Scipion, dont son père.
Après sa victoire, Rome infligea à Carthage des indemnités de guerre
insurmontables afin de l’empêcher de se réarmer, puis Scipion se retira à
Rome.

Hannibal essaya de réorganiser son armée, mais ses ennemis le


dénoncèrent à Rome qui exigea son exil. Il se réfugia en Grèce en espérant y
trouver de l’aide. Les Grecs étaient sur le point de l’aider contre leur ennemi
commun, mais les quelques victoires de la puissante Rome en Asie Mineure
les en dissuadèrent. Hannibal dut fuir à nouveau. Cependant, les espions de
Rome le retrouvèrent en 183 et exigèrent sa restitution. Ne pouvant plus
supporter l’exile et la trahison, Hannibal se suicida.

Pour conclure, je dois rappeler qu’une troisième (et dernière) guerre


punique eut lieu en 148 avant votre ère. L’armée romaine conduite par
Scipion Émile (petit-fils adoptif du grand Scipion l’Africain), après plusieurs
batailles, écrasa définitivement l’armée carthaginoise en 146 avant notre ère.
Il rasa complètement la ville de Carthage et répandit du sel sur son sol afin
d’empêcher toute végétation d’y pousser.
LE PREMIER EMPIRE CHINOIS

J’ai décrit déjà la Chine il y a plus de 1 000 ans, durant la dynastie des
Shang qui lui permit de sortir de l’obscurantisme. Sous les Shang, la Chine
devint puissante, riche et civilisée, puis tomba dans la décadence.
Après les Shang, découpée en plusieurs régions, elle fut dominée par des
seigneurs. On pouvait comparer ces régions à des cités-États occidentales,
mais sans puissance. Bien entendu, dans ces conditions, la Chine était la proie
de ses voisins nomades, qui pouvaient la piller sans difficulté. Il n’y avait
plus de pouvoir central puissant pour leur résister. Cette situation instable
était un obstacle à toute possibilité d’évolution culturelle et économique. Je
peux rappeler pour l’exemple, que la Chine ne connut le fer qu’au Ve siècle
avant notre ère, alors qu’il était déjà connu depuis 1 000 ans en Mésopotamie.
Et la seule motivation de le connaître enfin, était seulement la nécessité de
disposer d’armes en fer contre les envahisseurs bien armés.
La Chine abandonnée et exploitée se réfugia dans le confucianisme pour
trouver un peu d’ordre et de moralité dans la vie. La philosophie de
Confucius devint une véritable religion.
Pendant que les autres seigneurs s’affaiblissaient en se battant entre eux
plus que contre les envahisseurs, le royaume Qin (ou Tsin) renforça de plus
en plus son pouvoir et construisit des murs tout autour de sa cité pour se
protéger. Enfin, Qin Shi Huangli vainquit ses voisins, unifia les royaumes,
centralisa le pouvoir et fonda le premier Empire chinois en 221 avant notre
ère. Le nom « Chine » provient de Qin ou de Tsin.

Qin Shi Huangli s’opposa au confucianisme qui lui rappelait la faiblesse


de la Chine et qu’il trouvait incompatible avec l’ordre moral de son empire. Il
l’interdit donc et fit détruire tous les documents écrits de la philosophie ou de
la pensée. Il condamna à mort les philosophes et les gens lettrés qui cachaient
de tels documents (on peut dire qu’il donna l’exemple aux dictateurs du XXe
siècle, Staline, Hitler et Mao). Malgré les nombreux mouchards et les peines
très sévères, de nombreux « livres » furent cachés puis diffusés après sa mort.
Toutefois, il fit moderniser l’écriture chinoise, puis encouragea et développa
la littérature scientifique et historique. Il fut à l’origine de nombreux ouvrages
édités, écrits avec de l’encre noire sur des feuilles faites en tiges de bambou
« déroulées ». Je dois signaler que les Chinois découvrirent l’imprimerie à
cette époque, plus de 15 siècles avant Gutenberg ! Bien entendu, elle était
encore très primitive, mais plus rapide pour la reproduction manuelle des
textes. Les « imprimeurs » gravaient les textes sur des plaques céramiques ou
métalliques. Ces matrices pouvaient servir à de nombreuses copies. Il
suffisait de les badigeonner avec de l’encre, puis de les recouvrir avec des
feuilles préparées de tige de bambou déroulée, obtenant ainsi la copie du
texte gravé.
Son empire, dont les frontières étaient très éloignées de sa capitale, Xian,
devint énorme. Pour mieux le protéger, il renforça et élargit les anciens murs
et les équipa de tours de guet. C’était un travail surhumain, surtout sous le
commandement du général Meng, qui coûta la vie d’un ouvrier pour chaque
mètre (et le mur faisait 5 000 km de long !). Le mur de 10 m de haut était
construit en terre battue, dont la partie supérieure était renforcée avec des
blocs de pierre. Tous les 120 m, on construisit des tours de guet pouvant
communiquer entre elles par des signaux de fumée. On appela ce mur « la
Grande Muraille ».
Déjà à cette époque, les Huns étaient les ennemis les plus dangereux de la
Chine.
Durant le règne de Qin Shi Huangli, de 221 à 210, la Chine connut un
essor spectaculaire. Il avait le pouvoir absolu et il l’avait centralisé. Il gérait
tout lui-même en détail dans son empire. Il instaura une monnaie et des unités
de mesure communes. Il fit construire des routes qui convergeaient toutes
vers sa capitale. Il imposa même une longueur standard pour les axes
(écartement des roues) des voitures. Sa mégalomanie était sans limite. La
salle de réunion de son palais avait une capacité de 10 000 personnes ! Bien
entendu, il se disait descendant direct des dieux et organisa lui-même ses
obsèques royales. Près de sa sépulture, dans une fosse de 210 m de long et de
60 m de large, il fit enterrer une vraie armée souterraine, composée de 6 000
soldats en terre cuite grandeur nature, dont plusieurs cavaliers et des chars de
combat. Détail inexplicable : ils regardent tous vers l’est.

Après la mort de Qin Shi Huangli, son fils fut désigné comme successeur.
À cause de son très jeune âge, sa mère assura la régence avec l’aide
d’eunuques. Je dois rappeler que les eunuques étaient très respectés et
disposaient de statuts spéciaux. Inaptes à la vie sexuelle, on les prenait pour
des êtres à part, voire supérieurs, disposant de pouvoirs exceptionnels. Eux
seuls pouvaient circuler librement dans les zones masculines et féminines du
palais. Ils assuraient donc la liaison entre les femmes et l’empereur, dont ils
étaient les conseillers et les plus fidèles serviteurs. À cause de cet avantage,
ils étaient jalousés et haïs par les hauts fonctionnaires du palais. Dans ces
conditions, il était normal que l’empire perdît sa puissance après la mort de
Qin Shi Huangli, d’autant plus qu’à cause du jeune âge des futurs héritiers,
c’étaient souvent les eunuques haïs qui gouvernaient le pays avec les reines
mères.

La dynastie Han

Quelques années plus tard, la Chine redevint un empire puissant avec la


dynastie Han, qui régna plusieurs siècles. C’était la continuation du Premier
Empire, dont on garda la structure et les lois. Son fondateur, Liu Bang, le
seul empereur chinois d’origine paysanne, renforça le pouvoir central, mais
en même temps, il donna beaucoup de liberté au peuple. Il créa des offices,
où on pouvait présenter des œuvres culturelles, des chants populaires et
même des textes érotiques. Les œuvres de Confucius circulaient librement de
nouveau.
Les premières écoles d’administration furent créées durant la dynastie Han
pour former les hauts fonctionnaires. Beaucoup plus tard, on fonda également
l’Académie militaire. Le gouvernement du Premier Empire chinois fut dirigé
par trois « excellences » et neuf « ministres », sous les ordres de l’empereur.
Ce régime centralisé fut la base du Premier Empire.
Malgré la longue durée de la dynastie Han, on ne peut citer que deux
grands empereurs après Liu Bang, Wendi, de 180 à 157 et Wudi, de 141 à 87
avant notre ère.

Wendi renforça les frontières et l’ordre intérieur. Il écrasa les seigneurs


révoltés et rétablit le pouvoir central. Il ne cherchait pas à agrandir son
empire, mais à le renforcer. Il poursuivit la construction de la Grande
Muraille et confia sa défense à des armées puissantes, tout le long. Il plaça
des cavaliers mobiles aux frontières du nord-est du pays, contre les attaques
systématiques des Huns, disposant de moyens identiques à ceux des
assaillants. Souvent, ces cavaliers ne se contentaient pas de repousser les
Huns, mais les poursuivaient hors des frontières.
Le commerce se développa avec les pays voisins durant son règne. Il fit
protéger les grands axes, comme la Route de la Soie, par son armée afin
d’assurer la libre circulation des commerçants. La soie, déjà bien connue en
Occident, devint la marchandise préférée des caravanes.

Wudi mena une politique agressive et impérialiste. Il ne pensait qu’à


agrandir son empire au détriment de ses voisins. Il repoussa de plus en plus
loin ses frontières. Il devait donc augmenter l’armée pour les assurer. Pour
faire face à ces dépenses démesurées, il dut augmenter les impôts. Il instaura
un nouveau système d’imposition au détriment des pauvres. Toutefois, sa
puissance empêcha toute tentative de révolte.
Ayant agrandi son empire, il établit de bonnes relations commerciales avec
ses voisins lointains en envoyant des ambassadeurs. Ces derniers facilitaient
également les relations culturelles. Le bouddhisme commença à s’infiltrer en
Chine durant son règne, pour devenir rapidement une religion.
Durant le règne de Wudi, la Chine devint un empire riche et puissant, mais
perdit son importance très vite après sa mort. Les eunuques gouvernaient
souvent, par intermittence avec des seigneurs. Quelquefois, l’empire éclatait
en royaumes, puis se reformait avec un nouvel empereur puissant.

L’EMPIRE ROMAIN

L’histoire de Rome est très complexe et confuse, depuis son origine.


Cependant, je vais essayer de la simplifier très brièvement pour expliquer
comment la petite République romaine devint en quelques centaines d’années
le plus grand empire du monde.
La République romaine fut fondée après la chute du royaume étrusque, à la
fin du VIe siècle avant notre ère. Au début, Rome ne fut qu’une cité-État,
dirigée par le Conseil des « Anciens », appelé Sénat, aidé par des
magistrats. Bien entendu, tous les membres du Sénat étaient d’origine noble
(les aristocrates étaient appelés patriciens). De ce point de vue, il est difficile
de parler de république, puisque le pays était dirigé par quelques privilégiés
et pas par les représentants du peuple. Cependant, au bout de quelques
années, un certain nombre de plébéiens, issus de la population, furent aussi
admis au Sénat. À la tête du gouvernement, on nomma chaque année deux
consuls. En cas de crise, on nommait pour six mois un dictateur, au pouvoir
absolu. Au début, le Sénat comptait 100 membres, puis 300 et enfin 600, avec
l’élargissement de l’empire.
Après la chute définitive de Carthage, Rome mena des « guerres de
sécurité » en éloignant ses frontières de sa capitale, afin d’éviter tout risque
d’attaque directe, comme celles de Celtes et de Carthaginois. À la fin du Ier
siècle avant notre ère, tout le sud de l’Europe, y compris l’Espagne à l’ouest
et la Grèce à l’est, puis l’Asie Mineure et les territoires de l’ex-Carthage,
faisait partie de l’empire. Ces territoires périphériques ou provincias furent
gouvernés selon les recommandations de Rome, par les généraux des armées
d’occupation, portant le titre d’imperator. Cependant, ces derniers pouvaient
devenir très indépendants selon leur puissance.
Au cours des années, l’inégalité entre les grands propriétaires et les
pauvres devint insupportable. Les cultivateurs pauvres abandonnèrent leurs
terres et cherchèrent refuge à la capitale, augmentant ainsi le camp des
démunis mécontents. Au Sénat, les frères Gracchus, pourtant patriciens, les
défendirent et exigèrent une réforme agraire avec distribution des terres aux
pauvres et limitation de la surface des grandes propriétés. Des milliers de
manifestants furent exécutés, y compris les frères Gracchus. Ce fut le début
d’une guerre civile qui dura ensuite plusieurs dizaines d’années. Les
patriciens et plébéiens, menés par Sylla et Marius, s’affrontèrent au Sénat
durant des années.
Puis Marius fut nommé consul en 107 avant notre ère. Sa première réforme
fut la réorganisation de l’armée, où pouvaient entrer dorénavant les pauvres,
sans fortune, pris en charge jusqu’ici par l’État. Ce fut un pas géant vers la
monarchie absolue, puisque l’armée obéissait maintenant aveuglément à son
général, qui pouvait concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Marius
n’abusa pas de cette situation, sauf qu’il se fit nommer consul illégalement.
Rome devint très puissante avec son armée modernisée. Cependant, Marius
dut retourner son armée contre les révoltés de son parti, perdant ainsi sa
popularité. Il quitta Rome pour plusieurs années.

Les guerres civiles et extérieures affaiblirent considérablement Rome. Les


patriciens du Sénat décidèrent de confier le commandement général de
l’armée et le pouvoir absolu à Sylla. Les plébéiens se révoltèrent, le
chassèrent et ramenèrent Marius au pouvoir. Pour rétablir l’ordre, l’armée de
Sylla entra à Rome, chassa Marius et rendit le pouvoir absolu à Sylla.
Sylla dut se battre durant des années contre les provinces révoltées. Une
fois l’ordre rétabli sur tous les territoires, il revint à Rome en 82 avant notre
ère, où il fut ovationné. Ses succès militaires le rendirent très populaire. Il
obtint le pouvoir absolu à vie, mais apparemment il s’en désintéressa, tout au
moins, il n’en abusa pas. Durant ses trois années de règne, il ne pensa qu’à
améliorer la situation de la population romaine et à aider les pauvres, malgré
son origine patricienne. Puis sans raison apparente (il devait se sentir
malade !), il renonça à son pouvoir en 79 et se retira de la vie politique
jusqu’à sa mort, en 78 avant notre ère.

C’est à ce moment-là que le général Pompée, son ami, se fit remarquer par
ses campagnes militaires. Seul le richissime Crassus s’opposa à son pouvoir
au Sénat. Pompée n’insista pas. Il reprit ses campagnes victorieuses pour
augmenter sa popularité, en attendant son temps. Il rétablit l’ordre en
Méditerranée, puis écrasa la révolte des esclaves menés par Spartacus, en 71
avant notre ère. Il fit crucifier 6 000 esclaves en représailles. Après cette
victoire, on le nomma consul.
Je dois rappeler, sans vouloir diminuer ses succès militaires, qu’il était très
rusé et ambitieux. Il laissait se battre les autres généraux et il n’intervenait
dans la bataille que lorsque la victoire était sûre. Ainsi, il s’attribuait les
grandes victoires, oubliant les autres. On ne connaissait que son nom.

Voyant qu’il ne pouvait pas « détrôner » Crassus, il lui proposa une


alliance en y associant Jules César, du parti de Marius. Il créa ainsi le
premier triumvirat (le pouvoir de l’empire partagé entre trois personnes) en
60 avant notre ère. Dans le cadre de ce partage, Pompée reçut l’Espagne et
l’Afrique, avec l’Égypte, Crassus les colonies d’Asie et César l’Europe
occidentale à conquérir, déjà en bonne voie.

La campagne de César fut un succès total. Il conquit l’Europe occidentale


du Danube jusqu’à l’embouchure du Rhin, en vainquant les Germains et les
Helvètes. Il traversa la Manche et rançonna les tribus vivant le long de la
Tamise. Après son retour sur le continent, il conquit la Gaule, avec sa victoire
à Alésia en 51.

Entre temps, Crassus mourut en guerre et Pompée rentra à Rome où il fut


nommé « unique consul », maître de Rome. Il convoqua César pour en finir,
mais son adversaire entra à Rome avec son armée victorieuse, l’obligeant à
fuir. César le prit en chasse et battit son armée en Grèce. Pompée fuit en
Égypte, où il fut assassiné. César triompha encore en Égypte, puis rentra
victorieusement à Rome en 46 avant notre ère, où on le reçut comme un dieu.
Il fut nommé dictateur pour dix ans, consul à titre renouvelable et imperator
de Rome. Il était le maître absolu de la République romaine qui devint ainsi
plus tard l’Empire romain. Après ses succès militaires, il consacra son temps
à l’embellissement de Rome et au développement de sa culture. Il fut
assassiné en 44 avant notre ère, par le complot de quelques sénateurs menés
par Brutus, son fils adoptif.
Dans son testament, il désigna comme successeur Caius Octave, son fils
adoptif.

Je pourrais parler beaucoup de César, mais les publications vantant ses


mérites sont déjà très abondantes. Toutefois, je dois rappeler quelques
évènements, autres que ses batailles.
César était issu d’une grande famille patricienne, descendant, selon lui, des
dieux. Il laissait entendre qu’il était descendant d’Énée, prince troyen, fils de
Vénus. N’oublions pas que, selon la mythologie, après la chute de Troie,
Énée se réfugia avec ses compagnons de voyage en Italie actuelle, où ils
fondèrent Rome. Son invincibilité confirmait son origine divine aux yeux du
peuple.
On parla beaucoup de ses aventures avec Cléopâtre, reine d’Égypte, mais
ce « grand amour » était surtout l’amour du pouvoir des deux côtés. Comme
je l’ai déjà dit, Cléopâtre était la dernière descendante de la dynastie
Ptolémée. Son père, Ptolémée XII, avait dû fuir l’Égypte à cause des révoltes
fréquentes. Il ne put reprendre son trône qu’avec l’aide de Rome et, bien
entendu, sous son contrôle. Après sa mort, il légua son trône à sa fille
Cléopâtre, qui avait 17 ans et à son fils de 10 ans qui, selon la tradition
égyptienne, devaient se marier pour gouverner ensemble. À cause de
nouveaux complots, la reine Cléopâtre dut fuir l’Égypte à son tour. Profitant
de la campagne égyptienne de César, elle demanda son aide pour reprendre
son trône. De cette « aide » naquit Césarion, du vieux César, aîné de 30 ans
de Cléopâtre. Elle l’appela Césarion-Ptolémée-Horus, fils de César-Amon et
de Cléopâtre-Isis. Elle espérait que son fils héritât du trône d’Égypte et de
Rome.
Mais César ne pensait pas ainsi. On ne peut pas savoir s’il promit quelque
chose à Cléopâtre, mais probablement rien. Il aurait été impensable que
Césarion gouvernât Rome de son trône égyptien, comme il l’aurait fait, étant
élevé en Égypte. On peut plutôt supposer que la jeune et belle Cléopâtre ne
lui était qu’une distraction agréable durant son séjour égyptien et surtout
durant son long voyage de reconnaissance sur le Nil. Elle lui fut aussi utile
avec son frère-mari pour rétablir le calme en Égypte, souvent révoltée. Il les
amena à Rome « en voyage », où il les retint en exil jusqu’à sa mort.
D’ailleurs, dans son testament désignant Octave pour lui succéder, il ne parle
même pas de Césarion.
Je dois noter que, selon certains historiens, César était épileptique et
lorsque son état s’aggrava, l’empêchant de se montrer puissant et
invulnérable, il décida de mourir. Toutefois, un « dieu » comme lui ne
pouvait pas se donner la mort. Il prévoyait donc une campagne contre la
Perse au cours de laquelle il pourrait mourir héroïquement. Avant son départ,
on le prévint que les extrémistes républicains opposés à sa dictature
organisaient un attentat contre lui lors de son prochain passage au Sénat. Au
lieu de s’inquiéter des avertissements répétés, même à l’entrée du Sénat, il fut
soulagé d’apprendre sa mort proche et refusa même l’accompagnement de sa
garde personnelle, afin de faciliter la tâche de ses adversaires politiques.
Après l’assassinat de César, Cléopâtre retourna en Égypte, qu’elle
gouverna seule. Malgré son origine grecque, elle se sentait égyptienne pure et
n’agit que selon l’intérêt de son pays.

Mais reprenons l’histoire de Rome. Après la mort de César, la lutte entre


son parti et les républicains fit rage jusqu’à ce qu’Octave, son héritier, entrât
à Rome avec son armée pour y rétablir l’ordre. Il était aidé par Marc-Antoine
et Lépide, anciens amis de César. Ils instaurèrent un deuxième triumvirat
pour partager l’Empire entre eux. Octave eut l’Occident, Marc-Antoine
l’Orient et Lépide l’Afrique, avec l’Égypte. La part de Marc-Antoine était la
plus difficile puisqu’il devait se battre sans cesse contre les Parthes, dont
l’empire s’étendait de la Mésopotamie à l’Inde. Après quelques échecs
militaires, Lépide perdit son pouvoir en 36 avant notre ère. Il ne restait
qu’Octave et Marc-Antoine à la tête de Rome, devenus adversaires.

Après la chute de Lépide, Marc-Antoine entra en Égypte. Cléopâtre lui


ressortit son grand jeu d’amour et l’épousa. Marc-Antoine, très amoureux, lui
promit tout et lui fit même deux fils. Le couple amoureux envisageait même
le partage de Rome entre leurs fils.
L’affrontement entre Marc-Antoine et Octave pour l’unification de
l’empire devenait inévitable. En 31, dans la bataille navale près d’Actium,
Octave écrasa les flottes de Cléopâtre et de Marc-Antoine, et réunifia
l’Empire, en y annexant l’Égypte. L’idylle du couple amoureux dura jusqu’à
la défaite de leurs armées devant Octave, en 31 avant notre ère, puis se
termina par leur suicide l’année suivante.

Octave, craignant l’éventuelle popularité de Césarion, fils de César, le fit


assassiner, ainsi que le frère de Cléopâtre, pharaon d’Égypte. Il fit effacer
toutes les traces de Cléopâtre des monuments et mit fin définitivement à la
civilisation égyptienne, vieille de plusieurs milliers d’années ! L’Égypte
devint une simple colonie de Rome.

À son retour à Rome, il fut ovationné comme César et obtint, comme lui,
tous les titres et tout le pouvoir. Il ne s’en contenta pas. Comme fils du divin
César, il se fit appeler César Octave, puis en 27 avant notre ère, il prit le nom
d’Auguste, utilisé seulement pour les dieux. Mais l’immense empire ne
pouvait pas être gouverné selon la tradition républicaine, puisque tous les
grands généraux ne rêvaient que de pouvoir. C’est ainsi qu’une fois le
pouvoir centralisé par Octave, la République romaine devint l’Empire
romain, et le nom César symbolisa le titre de son empereur, admis à
l’unanimité.
Je dois reconnaître que, durant son long règne, jusqu’à sa mort en 14 après
notre ère, Octave resta un fidèle serviteur de Rome. Il réactualisa et modifia
les lois. Il mit fin aux guerres civiles et agrandit son empire, sauf vers l’est,
où il fut arrêté par les invincibles Parthes. Il consacra aussi beaucoup
d’énergie au développement de la culture et des arts de Rome. Il mérita,
indiscutablement, le titre d’Auguste.

Je dois noter que nous passâmes durant son règne de la période « avant
notre ère » à celle « après notre ère », ou « après Jésus-Christ » (ap. J.-
C.), qui commença avec la naissance de Jésus-Christ.
Empire romain sous le règne d’Octave
ANTIQUITÉ II
(Période après Jésus Christ)

Nous passâmes de la période « avant notre ère » à celle « après Jésus


Christ » sous le règne d’Octave Auguste, empereur romain. Malgré son
« origine divine », il n’avait aucune idée de ce changement historique
important, puisque celui-ci débuta avec la naissance de Jésus Christ, dont il
ignorait totalement l’existence. On peut donc lui pardonner son ignorance,
d’autant plus que ce changement n’entra en vigueur qu’en 532 après notre ère
au niveau du calendrier ! En dépit de son pouvoir, il n’était pas censé deviner
les conséquences de cet évènement sur l’histoire mondiale.
En son temps, il n’existait pas encore de « calendrier universel », malgré
l’utilisation de l’astronomie chez les peuples civilisés pour calculer le temps.
Depuis longtemps, on divisait déjà les années en mois de 28 ou de 30 jours,
mais chaque peuple avait un point de départ différent, lié en général à son
histoire.

Ainsi, les Romains prenaient comme point de départ pour leur calcul la
date de la fondation de leur empire qui, bien que sans certitude, était estimée
à 753 avant notre ère. La civilisation de l’Indus (presque disparue à cette
époque) donnait comme date 3002 à la naissance de Jésus. De même, pour les
Égyptiens et les Chinois, nous étions aux environs de l’an 3000. Ces peuples
calculaient le temps depuis le début leur histoire, donc depuis l’Antiquité. Les
Juifs, qui voulaient être les plus précis, prenaient pour point de départ la
« création du monde », calculée selon les données de la Bible (laquelle, étant
le livre de Dieu, ne pouvait pas se tromper). À la naissance de Jésus, ils
donnaient comme date 3761. Ils oubliaient, cependant, qu’avant la
découverte de l’écriture, les évènements décrits dans la Bible, transmis de
bouche à oreille, ne pouvaient pas donner de dates précises (sans parler de
l’ignorance de nos ancêtres préhistoriques vieux de plusieurs millions
d’années). Ce peuple « élu de Dieu » était persuadé de l’exactitude de toutes
les paroles de la Bible, même celle selon laquelle Dieu leur avait donné la
terre d’Israël !
Il existe aussi des calculs plus récents, d’origine religieuse ou historique.
On ne doit pas ignorer le calendrier bouddhiste qui commence avec la mort
de Bouddha, en 483 avant notre ère. De même, on doit rappeler le calendrier
musulman qui commence en 622 ap. J.-C., l’année de la fuite de Mahomet à
Médine.
On peut, enfin, citer l’éphémère calendrier républicain français qui entra en
vigueur en 1793.

Le « calendrier chrétien », rajusté plusieurs fois durant deux millénaires


selon des données astronomiques, est en vigueur dans le monde entier.
Aujourd’hui, toutes les dates historiques, avant ou après notre ère, sont
données selon ce calendrier.

À LA RECHERCHE DE JÉSUS

Mais qui était donc Jésus Christ, dont l’existence eut une telle influence
sur la suite de l’histoire de l’humanité et dont le nom sert de point de départ
pour les calculs de dates ?

Son histoire est décrite dans le Nouveau Testament de la Bible. On y


raconte l’histoire de Marie et de Joseph, venus à Bethléem pour le
recensement obligatoire. N’ayant pas trouvé de logement, ils s’installèrent
dans une étable, où Marie accoucha d’un garçon appelé Jésus. Comme les
prophètes juifs annonçaient depuis longtemps l’arrivée du Messie (le
Libérateur), l’envoyé de Dieu, on pensait que c’était lui, Jésus. En effet, son
lieu de naissance fut signalé par une étoile filante, qui se serait immobilisée
au-dessus de sa crèche. Les prophètes disent aussi que trois rois mages
(Gaspard, Melchior et Balthazar) vinrent à Bethléem pour l’adorer.
Plus tard, les évangélistes en parlèrent en détail dans le Nouveau
Testament disant que sa naissance était miraculeuse. L’archange Gabriel était
apparu à Marie pour lui annoncer que, vierge, elle tomberait enceinte par le
Saint-Esprit et mettrait au monde le fils de Dieu. Je ne discute pas la réalité
de cet évènement, mais je fais remarquer respectueusement que, selon les
légendes de l’Antiquité, en Asie, d’autres vierges accouchèrent aussi de fils
de dieux, qui pouvaient servir d’exemple !

L’enfance de Jésus, peu connue, se déroula sans histoire significative. Il


travaillait avec son père Joseph, qui était charpentier. Puis, à l’âge adulte, il
partit dans le désert et, durant des années, on ne parla plus de lui, jusqu’à son
arrivée chez Jean-Baptiste, qui était aussi qualifié de prophète à cause de sa
façon de prêcher. Jean-Baptiste était un homme très simple, un ascète. Il
baptisait ses disciples dans le fleuve Jourdain pour les purifier de leurs
péchés. On le croyait essénien à cause sa façon ascétique de vivre. Il est
possible qu’il ait été de Qumran, localité essénienne, mais il n’en parlait
jamais.
Les esséniens vivaient à Qumran, petite localité près de la mer Morte. Ils
écrivaient en hébreu, tous les jours, les évènements locaux sur des rouleaux
qu’ils gardaient dans des grottes. Deux mille ans plus tard, en 1947, on
retrouva plusieurs de ces rouleaux dans une grotte, qui permirent de mieux
les connaître et même d’obtenir les noms de quelques personnalités. Leur
façon de vivre était comparable à celle des premiers chrétiens. Les mauvaises
langues disent même que Jésus n’existait pas, mais tel qu’il était décrit, il
pouvait être l’un des chefs esséniens. Son histoire aurait été inventée par les
disciples de Jean le baptiste, d’après la vie des esséniens, pour en faire une
religion.
Les disciples de Jean étaient des gens simples et bons, dont la plupart
étaient des pêcheurs. Jean leur parlait de l’amour et de la paix.
À l’époque, le baptême était une pratique courante, qui consistait à
immerger le corps entier dans l’eau, mais Jean le faisait différemment. Sa
façon de faire couler de l’eau sur la tête de ses disciples était considérée
comme un geste fraternel chez les esséniens.
Jésus arriva parmi eux pour se faire baptiser par Jean. Lorsque ce dernier le
vit, il l’appela fils de Dieu et lui demanda de le baptiser aussi. Ils s’arrosèrent
mutuellement, puis discutèrent longtemps, retirés. Personne n’osa les
déranger, sachant qu’ils parlaient de sujets sacrés. Peu de temps après, Jésus
se retira dans le désert et personne n’entendit plus parler de lui.
Un jour, des soldats arrivèrent et arrêtèrent Jean. Tout le monde savait que
l’on ne pouvait rien reprocher à Jean et pensait qu’on le libèrerait bientôt.
Mais on se trompait. Hérode Antipas le fit décapiter et offrit sa tête à sa
femme, Hérodias, sur un plateau d’argent. On ne sait pas pourquoi. C’était
probablement une sordide histoire de jalousie. On dit que Jean resta
insensible aux avances d’Hérodias qui, blessée dans son amour propre, aurait
exigé sa tête à son mari. Personne n’osa protester contre cet assassinat
odieux.
Les prêtres juifs étaient même contents d’être débarrassés de leur rival, si
populaire. Ils étaient divisés en deux grands partis, pharisiens et saducéens,
pour mieux discuter ou, plus exactement, débattre entre eux de leurs
idéologies divergentes. Les pharisiens respectaient très rigoureusement les
lois orales et écrites de leur religion. Les saducéens étaient des conservateurs
qui ne reconnaissaient que la Thora, la loi de Moïse. Il existait aussi le parti
des extrémistes, les zélotes, mais trop révolutionnaire.
Depuis déjà des dizaines d’années, Judée était une colonie romaine,
gouvernée par Hérode Antipas, représentant local de Tibère, empereur
romain. Ponce Pilate était le gouverneur de Jérusalem.

Mais revenons à l’histoire de Jésus. Peu après la mort de Jean, Jésus arriva
parmi ses disciples. D’un jour à l’autre, il devint célèbre. Il prit avec lui
douze des anciens disciples de Jean (faisant penser aux douze tribus du
peuple juif) qui ne le quittèrent plus. Ils l’appelaient fils de Dieu, puisqu’il
faisait quelques miracles et que Jean aussi, l’avait appelé ainsi. Il disait qu’il
venait pour sauver le monde. Il prêchait le royaume de Dieu et la vie éternelle
après la résurrection.
Souvent, beaucoup de gens se réunissaient autour de lui pour l’écouter.
Une fois, une foule immense l’écouta toute la journée sans manger. Ses
disciples n’avaient que très peu de pain avec eux. Jésus en demanda un et
partagea avec la foule. Tout le monde put manger à sa fin et, à la fin de ce
repas, on ramassa plusieurs paniers de miettes.
Une histoire semblable se produisit aussi aux noces de Cana. Jésus
transforma l’eau en vin, qui commençait à manquer au milieu de la fête.
On parlait aussi beaucoup de la pêche miraculeuse au cours de laquelle ses
disciples attrapèrent une quantité phénoménale de poissons. On le vit aussi
marcher sur l’eau, guérir les malades, des lépreux et des aveugles. Son plus
grand miracle fut cependant de ressusciter Lazare, mort depuis plusieurs
jours.
Jésus attirait les enfants, les faibles et les persécutés. Il pardonnait aux
pécheurs, qu’il appelait brebis égarées. Il protégeait les pauvres et les
abandonnés. Mais il condamnait sévèrement les avares qui ne voulaient pas
aider les pauvres.
À peine deux ans après la mort de Jean-Baptiste (en 28), Jésus était déjà
très connu parmi les Juifs. Tout le monde connaissait ses miracles et ses
actions. Sa popularité déplaisait aux prêtres juifs, surtout lorsqu’il chassa les
marchands du temple de Jérusalem, de la maison de Dieu.
Les avis des trois partis divergeaient à son sujet. Les saducéens le jugeaient
trop révolutionnaire et le condamnaient très sévèrement. Certains pharisiens
l’approuvaient, sans toutefois admettre sa divinité. Paradoxalement, les
zélotes le défendaient et, en même temps, ils furent responsables de sa mort.
En effet, c’est eux qui l’appelaient roi des Juifs, qui devint, par la suite, la
principale accusation contre lui.
Les prêtres demandèrent à Pilate son arrestation pour incitation à la révolte,
dans l’intérêt de l’ordre et de la religion. Ils mirent ainsi fin à ses activités.
Jésus se trouvait au mont des Oliviers, avec ses disciples, lorsque les
soldats arrivèrent pour l’arrêter. Comme ils ne le connaissaient pas, un de ses
disciples, Judas le traître, l’embrassa pour le faire connaître aux soldats. Les
autres disciples dirent qu’il le fit pour de l’argent. Judas regretta plus tard sa
trahison et se suicida.
On accusa Jésus de se dire fils de Dieu et roi des Juifs. Or, c’étaient les
zélotes qui l’appelaient ainsi. Le premier « titre » était un blasphème et le
deuxième un crime contre l’ordre gouvernemental. Pilate proposa la grâce,
mais les prêtres exigèrent la peine de mort. Comme il ne voulait pas
contredire les prêtres, il condamna Jésus à la crucifixion.
Les disciples se cachaient de peur d’être persécutés. Mais plus tard, ils
annoncèrent que Jésus était ressuscité et leur avait montré ses blessures. Il
leur avait dit de se disperser dans le monde et de prêcher, comme lui, le
royaume de Dieu et la vie éternelle après la résurrection. Il confia la direction
de son Église à Pierre, qui devint ainsi le premier chef (pape) de la chrétienté.

LES CONSÉQUENCES DE CES ÉVÈNEMENTS

Les Juifs ne reconnaissaient pas en Jésus le messie tant attendu et qu’ils


attendent toujours. Ni sa vie, ni sa mort ne les marquèrent. Peut-être,
n’étaient-ils pas encore prêts et ne croyaient-ils pas à son arrivée si tôt. Donc,
il ne pouvait pas être leur Messie ! N’oublions pas les paroles de la déesse
Héra : « Les dieux ne peuvent exister que si on les reconnaît ». Cette
définition est valable aussi pour Jésus. Il était le messie de ceux qui l’avaient
reconnu. Pourtant, le monde aurait changé si les Juifs l’avaient reconnu aussi.
Les apôtres avaient fait un travail extraordinaire, en sacrifiant leur vie.
Jésus était donc réellement le messie pour eux ou bien le peuple souffrant
avait besoin d’une nouvelle religion, faite pour les pauvres, qui leur
promettait la justice, la vie éternelle et heureuse après la résurrection.

La vie communautaire des premiers chrétiens ressemblait beaucoup à celle


des esséniens. Toutefois, ils ne vivaient pas enfermés sur eux-mêmes. Au
contraire, ils parcouraient le monde pour diffuser les enseignements de Jésus.
C’était leur qualité et leur défaut en même temps. En effet, ils étaient sûrs de
leur vérité, qui était la seule vérité. Comme pour eux leur dieu était le seul
dieu, il fallait adorer comme ils l’adoraient.

Si vraiment il n’existe qu’un seul dieu, mais que chaque religion l’imagine
et l’adore à sa façon, cela ne veut pas dire qu’il est le dieu des chrétiens ou
des juifs, et les autres se trompent. Pourquoi ne serait-il pas le dieu de tous les
peuples ? Comment ose-t-on prétendre avec certitude qu’il faut l’adorer selon
les rites juifs ou chrétiens ? C’est injurieux pour les autres peuples et pour les
autres religions monothéistes. N’oublions pas que les plus grands peuples
civilisés de l’Antiquité avaient plusieurs dieux, mais ils ne les avaient pas
imposés aux autres peuples. Dans l’Empire romain (comme en Égypte, en
Chine et chez les Grecs), on laissait adorer librement tous les dieux de tous
les peuples. On ne persécutait personne pour cela. On ne les traitait pas de
païens ou d’infidèles les autres. On ne se moquait même pas d’eux. Il fallut
que les chrétiens arrivent pour perturber cet ordre en annonçant qu’eux seuls
détenaient la vérité et que leur dieu seul était le vrai !

Comment ces chrétiens pauvres et incultes, osaient-ils parler ainsi ? Et


comment les gens de grande culture, comme les Romains, pouvaient réagir à
cette provocation insultante ?
Dans un premier temps, on les laissa parler, on les ignora. Mais bientôt,
malgré leur faible nombre, le comportement des chrétiens devint menaçant
pour le régime et pour l’ordre. Rome réagit avec violence. À peine quelques
dizaines d’années après la mort de Jésus, fondateur de la chrétienté, ses
disciples furent persécutés et souvent exécutés à Rome, qui sentait menacés
son ordre et son pouvoir. Peut-être Rome avait-elle raison, puisque trois
siècles plus tard, malgré les persécutions initiales, les chrétiens arrivèrent à
imposer leur religion qui devint la religion officielle de l’Empire romain,
interdisant toute autre pratique religieuse. On peut dire qu’ils furent à
l’origine des guerres de religion les plus sanguinaires de l’histoire.

Jésus avait une sorte de magnétisme sur ses disciples et sur tous ceux qui
l’écoutaient. Tout le monde le suivait aveuglément. Il ne disait que la vérité.
Le monde aurait été différent, si on l’avait écouté. Tout ce qu’il disait était
logique et juste. D’autres sages et prophètes l’avaient déjà dit avant lui, mais
dans des circonstances différentes. Il nous disait de nous aimer, de croire en
Dieu, de l’aimer et de l’adorer (je dirais plutôt respecter). Mais il ne dit
jamais comment on devait adorer Dieu ! Ce fut l’invention de ses
disciples.
Toutes les religions monothéistes adorent et vénèrent leur dieu unique à
leur façon. Dieu étant le même, c’est donc la seule différence entre les
religions qui les pousse à s’entre-tuer. Ce serait si simple de reconnaître et de
vénérer Dieu et de vivre honnêtement, dans l’amour, dans le respect d’autrui,
sans méchanceté, sans haine. Dieu serait tout à fait satisfait et n’aurait pas
puni si souvent son peuple juif, non plus.

Je voudrais dire aussi quelques mots sur la naissance du christianisme.

Jésus avait confié son Église à Simon, un de ses disciples, en lui disant :
Tu es Pierre, la roche, sur laquelle je bâtis mon Église.

Après la mort de Jésus, ses disciples restèrent à Jérusalem pour y établir le


christianisme. C’est Jacques, frère de Jésus (selon certains, son cousin,
puisque Marie mourut vierge !), qui prit la direction de la nouvelle
communauté. Pierre l’admit et resta en seconde position (probablement)
puisqu’il était le frère de Jésus. Cette nouvelle communauté vivait parmi les
Juifs et comme elle ne recrutait que parmi eux ses nouveaux fidèles, elle était
mal vue par les prêtres juifs.

L’établissement de la chrétienté dans l’Empire romain


Comme je le disais déjà plus haut, après la mort de Jésus, ses disciples
restèrent à Jérusalem pour prêcher aux Juifs ses enseignements. Jacques, frère
de Jésus, y établit une communauté religieuse dirigée par un triumvirat
(Jacques, Pierre et Jean). Ses évangélistes, les « annonciateurs de la bonne
nouvelle » parcoururent la région pour recruter de nouveaux adeptes. Restant
fidèles aux principes de leur communauté, ces derniers ne s’adressaient
qu’aux Juifs, prétextant que Jésus était leur messie, donc Juif. Si un non Juif
voulait entrer dans leur communauté, il devait d’abord accepter les exigences
de la religion juive, notamment la circoncision. Dans ces conditions
restrictives, le christianisme n’aurait jamais pu devenir la plus grande religion
du monde.

Peu de temps après sa mort, Jésus apparut à Saul, soldat romain d’origine
juive, persécuteur des chrétiens et le convertit au christianisme. Celui-ci prit
le nom de Paul et devint le plus fervent missionnaire. Jacques le tolérait
difficilement, puisqu’il ne restait pas parmi les Juifs et recrutait les nouveaux
chrétiens parmi tous les peuples. Il disait que l’origine ne compte pas et que
la seule condition pour devenir chrétien et ressusciter après la mort, est d’être
baptisé. Comme missionnaire, il parcourut l’Empire romain (Asie Mineure,
Grèce, Espagne, Rome, etc.) et prêcha les enseignements de Jésus en
s’adressant à tous les peuples des pays de l’Orient de l’Empire romain, sans
exception. Il n’était ni un chef, ni un organisateur, mais il avait un pouvoir
magnétique pour attirer de nombreux nouveaux fidèles à sa religion.
Lors de sa première mission (45-49), il parcourut l’Anatolie et l’île de
Chypre, où tout le monde le suivit. Il alla ensuite à Jérusalem où Jacques et
ses fidèles le reçurent très froidement, puisqu’il ne convertissait pas
seulement les Juifs, mais aussi les païens. Il n’y resta pas longtemps, jugeant
malsain le climat de la communauté chrétienne, dont les membres,
pourtant peu nombreux, se scindaient déjà en plusieurs sectes. Il ne
devait pas s’entendre, non plus, avec le triumvirat de Jacques. Il reprit donc
ses prêches en dehors d’Israël.
Les voyages de saint Paul

Le nombre de ses disciples augmenta très vite dans le monde, tandis que
ceux de Jacques et de Pierre restaient limités à Jérusalem. On peut dire donc
que Paul fut le véritable fondateur du christianisme.
Entre 50 et 58, il parcourut plusieurs fois l’Anatolie et la Grèce, où il
retrouva sur son chemin les missionnaires de Jacques qui critiquaient
ouvertement ses méthodes. Ils étaient très dynamiques et excellents
organisateurs. Ils arrivèrent jusqu’à Rome. Petit à petit, ils réalisèrent que le
christianisme attirait surtout les pauvres et que Paul avait raison d’accepter
tout le monde. Ils l’invitèrent donc à Rome, où ils avaient besoin de lui. Paul
accepta leur invitation, mais auparavant, il voulait repasser à Jérusalem. Il y
fut reçu avec beaucoup d’hostilité par Jacques et ses disciples, qui le
menacèrent. L’autorité locale dut le protéger contre les agressions
personnelles en l’arrêtant comme agitateur. Il fut emprisonné à Sidon, où il
exigea d’être jugé à Rome, puisqu’il était citoyen romain. En 62, il fut donc
transporté à Rome comme prisonnier, mais où il put vivre librement dans la
communauté chrétienne jusqu’à son procès.

Entre temps, la vie des chrétiens devint insupportable à Jérusalem, où les


prêtres juifs, jaloux de leur succès parmi les Juifs, les accusaient d’agitation.
Ils firent arrêter et exécuter Jacques en 62, à Jérusalem. Pierre devint ainsi le
seul chef de la communauté chrétienne, mais pour peu de temps. Il s’exila à
Rome (probablement pour fuir les Juifs), où les nombreux disciples de Paul
persécutés par Néron l’attendaient depuis longtemps. Il s’entendit très bien
avec Paul. Les deux hommes se complétaient à merveille. Pierre était un
excellent organisateur et Paul un prédicateur efficace. Le nombre des
chrétiens augmenta donc très rapidement à Rome, jusqu’à devenir dangereux
pour le régime. En effet, aveuglés par la vérité de leur croyance, ils
critiquaient de plus en plus ouvertement les autres croyances et même le
gouvernement, qui admettait toutes les religions sans exception. Néron, ne
pouvant accepter leur opposition aux lois romaines, fit arrêter et exécuter
Pierre et Paul en 64. Il ne faut cependant pas oublier que la pratique libre de
toutes les religions était un des principes des lois de Rome. Pierre et Paul
furent donc arrêtés pour agitation contre l’ordre et la loi. Pierre fut crucifié en
même temps que Paul, mais, à sa demande, avec la tête vers le bas, car il se
disait indigne de mourir comme Jésus.
Ce fut une perte inestimable pour les chrétiens, qui perdirent leurs chefs et
leur courage en même temps. Ils n’osaient plus se réunir. Pourtant,
contrairement aux légendes, les chrétiens pouvaient vivre librement à Rome.
Si les chrétiens avaient été plus modestes, ne s’étaient pas attaqués aux autres
religions officiellement reconnues à Rome, personne ne les aurait molestés.
Mais leur croyance était tellement profonde et aveugle, qu’ils ne pouvaient
pas admettre les autres.
Après l’incendie de Rome, dont Néron les tint injustement pour
responsables, ils furent persécutés avec cruauté, avec la complicité de la
population survoltée. Mais leurs martyres ne faisaient que renforcer leur foi.
La plupart des chrétiens furent tués à Rome, mais malgré ces martyres (ou
grâce à ses martyres), le christianisme se répandait très vite et, à peine trois
siècles plus tard, il devint la religion officielle de l’Empire romain.

***

Que peut-on dire de la datation universelle liée à la naissance de Jésus


Christ ? Honnêtement, je ne comprends pas comment on put la faire accepter
par le monde entier. N’oublions pas que, lorsque Dennys le Petit, écrivain
ecclésiastique, la proposa, en 532, le christianisme était encore pratiquement
inconnu en dehors de l’Empire romain. Certes, elle ne fut pas admise partout
tout de suite. Il fallut attendre le IXe siècle pour son application générale en
Europe occidentale. Comment les autres peuples purent-ils l’accepter,
puisqu’ils ne savaient même pas qui était Jésus Christ ? De plus, on ne
connaît même pas exactement sa date de naissance (probablement quelques
années plus tôt que l’estimation faite alors par Dennys le Petit) et certains
doutent même de son existence. Il aurait été plus logique de choisir un autre
évènement, plus connu dans le monde, pour définir avec précision le tournant
de l’histoire. Toutefois, cette datation étant admise, je l’utilise. Mais au lieu
de dire avant ou après Jésus Christ (av. J.-C. ou ap. J.-C.), je préfère dire
avant ou après notre ère.

Les prophètes, fondateurs de l’Église

Dans mes pages précédentes, j’ai souvent employé le mot prophète, sans
définition. On peut donc se demander ce que ce mot signifie. On le trouve
dans la traduction grecque de la Bible, où il est utilisé pour désigner les
hommes choisis par Dieu, chargés de missions sur la Terre, à ne pas
confondre avec les anges, êtres célestes qui ne sont envoyés sur la terre
qu’exceptionnellement. Leur rôle est de transmettre aux hommes les
messages de Dieu. Selon l’importance de leur mission, on peut distinguer de
« grands prophètes » (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel) et de « petits » (Joël,
Jonas, Habacuc, Zacharie, etc.). Je n’ai pas l’intention de parler d’eux. Je ne
parle ici que des plus grands, des fondateurs de religion(s) monothéiste(s). La
Bible les désigne différemment, mais je reste fidèle à la définition du mot et
je les appelle donc prophètes, puisqu’ils furent élus de Dieu pour exécuter
leur mission.
Dieu aurait pu en choisir un seul pour fonder l’Église monothéiste puisque,
par définition, on ne peut en avoir qu’une seule. Mais il devait estimer que,
périodiquement, il fallait rénover son Église avec l’aide des prophètes, afin de
l’adapter à l’évolution des hommes et à leur façon de vivre (il devait penser à
Jonas qu’il choisit bien avant Abraham et peut-être encore trop tôt, pour
effectuer cette même tâche, mais avec peu de succès).

Je signale comme curiosité (puisque le hasard n’existe pas) qu’il envoyait


régulièrement, tous les six cents ans, un nouveau prophète pour exécuter cette
tâche.
• Vers 1800 avant notre ère, il choisit Abraham, fondateur des peuples
juifs et arabes ;
• Vers 1200 avant notre ère, il chargea Moïse de fonder la religion juive ;
• Vers 600 avant notre ère, Zarathoustra transforma l’ancienne religion
iranienne en religion monothéiste. Il devait avoir beaucoup d’influence sur le
judaïsme et sur le christianisme aussi ;
• Dans les premières années de la nouvelle ère, Jésus fonda l’Église
chrétienne ;
• Vers 600 après notre ère, Mahomet fonda l’Islam.

Si cette périodicité est une « règle générale », de futurs prophètes devraient


arriver vers 1200, puis vers 1800. Avec beaucoup imagination, on pourrait
donc aussi citer :
• Guillemette de Bohême (1210-1281) qui prétendait être l’envoyée de
Dieu, représenté par le Saint-Esprit, paru dans le corps d’une femme pour
éviter le sort du Christ, tué par les hommes ;
• Josèphe Smith (1805-1844), fondateur de la communauté du
mormonisme.

Examinons l’ensemble des enseignements de ces prophètes pour connaître


la convergence (ou la divergence éventuelle) entre leur monothéisme.
Pourquoi Dieu avait-il besoin d’eux ?
On pourrait exclure Abraham de cette étude puisque son rôle ne concernait
que partiellement l’église monothéiste. Il fut chargé de sortir sa famille de
Mésopotamie, pour fuir les adorateurs d’idoles et fonder le peuple élu, lequel
n’adorerait que le seul Dieu. On ne peut donc pas le comparer aux autres
prophètes, fondateurs d’église, bien qu’il fût le premier vrai monothéiste.

On peut dire que le premier prophète fondateur d’église monothéiste était


Moïse. Son existence est toutefois mise en doute par certains historiens,
puisqu’on n’a trouvé aucune trace écrite de lui ou des Juifs en Égypte, même
pas chez les Égyptiens. Les catastrophes égyptiennes décrites dans la Bible,
liées à son nom, existèrent, mais dans d’autres conditions et pas à l’époque de
Moïse. Selon des études, le personnage de Moïse fut inventé à partir de
l’exemple de trois personnalités égyptiennes. Parmi ces trois, un seul était
d’origine asiatique et avait des relations avec des Cananéens. Serait-il, lui,
Moïse ?
Admettons la version biblique selon laquelle il serait le fondateur du
judaïsme. Il interdit l’adoration des idoles. Il remit aux Juifs les tables de la
Loi données par Dieu et il les conduisit d’Égypte à la Terre promise.
Toutefois, n’oublions pas que, beaucoup plus tard, lors de leur exil à
Babylone, les Juifs furent profondément touchés par les enseignements
monothéistes de Zarathoustra, très proches de leur croyance, et qu’ils
l’appelèrent même prophète. Zarathoustra parlait de la confrontation du bien
et du mal, du royaume des Cieux, des Enfers et du dernier jugement. On peut
supposer qu’au retour à Jérusalem, après la reconstruction du temple et de
leur bibliothèque avec l’aide financière du roi perse Darius, la rédaction de
leurs nouveaux documents fut influencée par leur expérience babylonienne et
par les enseignements de Zarathoustra. Notre Bible actuelle est-elle née à ce
moment-là, puisque tous les anciens documents écrits furent détruits à
Jérusalem en 587 avant notre ère ? Si oui, les enseignements de Zarathoustra
y jouent un rôle très important. En effet, la seule différence entre les deux
monothéismes est que celui des Juifs ne concerne que leur peuple élu de
Dieu, alors que celui de Zarathoustra est international. Le grand avantage de
Zarathoustra est son existence réelle, confirmée par des écrits de l’époque et
aussi par ses nombreux écrits. Son point faible était qu’il ne faisait que
prêcher, sans imposer sa philosophie aux autres. Ses nombreux disciples
diffusaient largement ses enseignements philosophiques, mais sans en faire
une religion forte. L’histoire le considère donc comme philosophe et pas
comme prophète. En revanche, Moïse imposa le judaïsme à son peuple, qui
devint sa religion.

Jésus prêchait aussi sereinement. Ses enseignements auraient pu réformer


le judaïsme, si les Juifs avaient reconnu en lui le messie tant attendu. Comme
ce ne fut pas le cas, ses disciples fondèrent une nouvelle église avec ses
enseignements, ouverte à tout le monde. Il suffisait de se faire baptiser et de
croire à la Sainte Trinité et à la résurrection.
L’existence de Jésus est aussi contestée par certains, à cause du manque de
documents écrits de son vivant. Tout ce que nous connaissons de lui fut écrit
par les évangélistes (Mathieu, Marc, Luc et Jean), tel qu’ils l’apprirent
oralement, bien après sa mort. Il existe cependant des documents plus
anciens, tels que les manuscrits de la mer Morte, écrits par les esséniens, qui
parlent de Jésus, frère de Jacques. Un peu plus tard, Flavius Josèphe,
historien juif, parlait aussi de lui en tant que frère de Jacques, torturé à mort
par les Juifs.

Six siècles après Jésus, Mahomet fonda l’Islam, religion monothéiste qui
convenait bien aux habitudes des nomades arabes, tout en restant ouverte à
tous les autres peuples. Mahomet reconnut la Bible et considéra Jésus comme
un prophète.

Je voudrais préciser que les quatre religions monothéistes parlent de


l’amour et de la paix. Or, seule celle de Zarathoustra était vraiment pacifiste.
Peut-être parce qu’elle n’avait pas la prétention de devenir universelle.
J’aurais dû citer aussi Bouddha, qui vécut peu de temps après Zarathoustra,
mais, bien que fondateur du bouddhisme, on ne l’a jamais appelé prophète,
mais seulement philosophe.
Au moment de la fondation de leur pays, les Juifs tuaient tous les anciens
occupants des territoires, au nom de leur dieu. Mais ils n’imposaient pas leur
religion aux autres, puisqu’elle était réservée au peuple élu.
En revanche, les chrétiens et les musulmans estimaient que le monde entier
devait appartenir à leur religion. Ils pouvaient donc massacrer au nom de
Dieu tous ceux qui ne faisaient pas partie de leur communauté. Les
musulmans recrutaient les fidèles en leur accordant des avantages matériels,
alors que les chrétiens imposaient leur religion par la force et tuaient même,
s’il le fallait, tous ceux qui leur résistaient.
Nous sommes, hélas, si loin aujourd’hui des enseignements de Jésus et de
Mahomet ! Ils ont sûrement honte lorsqu’ils nous regardent du haut et voient
ce que nous en avons fait.

L’âge d’or et la chute de l’Empire romain

Je ne veux pas parler ici de l’histoire bien connue de Rome, trop longue et
trop connue. Il faut cependant rappeler quelques évènements importants
avant sa chute, qui mit officiellement fin à l’Antiquité.

La mort d’Octave n’affaiblit pas Rome, forte et bien organisée par cet
empereur exceptionnel.
Son successeur, Tibère Claude, fut digne du titre d’Auguste qu’il prit en
accédant au pouvoir. Malgré les complots et les assassinats dans son
entourage, il renforça son pouvoir et son empire qui ne cessait pas de grandir.
Son successeur, Caligula, tenait aussi au titre d’Auguste, mais ne le
méritait pas. Le pouvoir lui monta à la tête et seule sa cruauté le rendit
célèbre. On dit qu’il nomma consul son cheval pour montrer son mépris ! En
peu de temps, il perdit la confiance de son entourage. Le Sénat et même le
peuple le détestaient. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été assassiné après
quatre années de règne.
Claude lui succéda sur le trône. C’était un vieux militaire très aimé et
apprécié, mais qui n’avait aucune expérience du pouvoir et de la gestion de
l’immense empire. Toutefois, il savait choisir ses conseillers pour l’aider.
Rapidement, il mit de l’ordre dans son empire et il arriva même à mettre fin
aux émeutes et guerres civiles habituelles. Il dépensait beaucoup d’énergie (et
d’argent) pour embellir Rome et pour renforcer ses frontières. Il ne chercha
pas à agrandir, mais à consolider son empire. Après sa mort, son fils
Britannicus devait lui succéder, mais sa deuxième femme, Agrippine, mit sur
le trône son fils Néron âgé de 16 ans, issu de son premier mariage, avec l’aide
de l’armée et de ses amis.

Néron

Pourquoi choisir Néron parmi de nombreux empereurs potentiels plus


valeureux et plus méritants ?
Il faut en parler pour expliquer les raisons de sa cruauté légendaire,
souvent inexacte ou exagérée. L’histoire a associé à son nom et à sa folie les
évènements les plus sanguinaires de l’Empire, notamment la persécution
sauvage des chrétiens. Je n’ai pas l’intention de le défendre, mais seulement
d’éclaircir la réalité.
Sa mère, Agrippine, était une femme cruelle et avide de pouvoir. Elle mit
sur le trône son jeune fils pour pouvoir régner à sa place. Je ne veux pas
parler des détails des coulisses de son palais, des intrigues, des assassinats,
des orgies et de la prostitution, mais ils avaient sûrement une mauvaise
influence sur le jeune Néron.
Au début, le pouvoir n’intéressait pas Néron et il admettait volontiers que
sa mère régnât à sa place. Il passait beaucoup de temps avec ses professeurs
qui lui enseignaient la philosophie, l’art et le rôle de l’empereur, pour le
préparer à la direction de l’Empire. Ils lui expliquaient qu’un bon empereur
est un véritable dieu, que son peuple doit aimer et adorer. Il était intelligent et
il apprenait facilement tout. Il était sensible et particulièrement attiré par la
poésie, la musique et le théâtre. Il passait tout son temps en compagnie
d’artistes. Puis, en 59, à l’âge de 20 ans, excédé par le règne de sa mère, il
l’assassina et prit le pouvoir. Il ne nia même pas et personne ne lui en voulut.
Tout le monde craignait et détestait Agrippine.
L’année suivante, selon l’exemple de la Grèce, il organisa des jeux
artistiques quinquennaux, auxquels il participa personnellement comme poète
et acteur. Talentueux, il eut beaucoup de succès. Mais la haute société
n’aimait pas ses agissements et les condamnait sévèrement. Néron, furieux,
déclara qu’il était leur empereur et qu’il faisait ce qui lui plaisait. L’essentiel
était que son peuple l’aime ! Il se montrait indifférent aux critiques et
provoquait même ses adversaires. En 62, il répudia sa femme Octavie et la fit
assassiner pour s’en débarrasser définitivement.
Constatant que ses jeux artistiques n’intéressaient pas Rome, en 64, il les
organisa à Naples, avec un immense succès. À son retour, il trouva Rome en
feu. Certains le soupçonnèrent d’y avoir mis le feu lui-même, mais c’était une
accusation infondée, puisqu’il était encore à Naples au début de l’incendie.
On dit que le spectacle de la ville en feu l’incita à chanter ses œuvres,
accompagné de sa cithare, sur le balcon de son palais. Pour arrêter l’incendie
qui prenait trop d’importance, il fit démolir la plus grande partie de la ville.
Était-ce le pouvoir qui lui montait à la tête ou un début de folie (de
grandeur, peut-être) ? Après l’incendie et la destruction de la ville, il la fit
reconstruire, grandiose, avec beaucoup d’art et de soin, afin de la protéger le
mieux possible contre les futurs incendies éventuels. Il appela Néronpolis la
nouvelle ville dont il se réserva le centre pour son palais luxueux, appelé
« maison d’or ». Ces constructions coûtèrent une fortune, ruinant tout
l’Empire. Les Romains se révoltèrent contre Néron qui ne comprenait pas
comment on pouvait s’attaquer à un « dieu ». Il fit arrêter les meneurs de la
révolte, parmi lesquels son meilleur ami, et les obligea à se suicider. On le
soupçonna de folie, surtout après la mort de sa femme Poppée, qu’il adorait et
qu’il remplaça par un eunuque, qui était son sosie.
Il se désintéressa totalement des affaires d’État et ne s’occupa plus que des
manifestations culturelles. En 66, il participa en Grèce à toutes les
présentations musicales et théâtrales. Pendant ce temps, les provinces se
révoltaient et demandaient leur indépendance. Sur quelques territoires, même
l’armée se révolta. Néron envoya en Israël révolté son meilleur général,
Vespasien, qui y rétablit l’ordre en 2 ans. Lorsqu’en 69, il réalisa enfin que
tout le monde était contre lui, il se suicida, disant que personne ne le
comprenait.
Vespasien

Rome élit pour nouvel empereur le victorieux Vespasien, car il fallait un


homme fort après le règne désastreux de Néron. En 10 années de règne (69-
79), Vespasien rétablit l’ordre dans son empire et mit fin même aux guerres
civiles et aux révoltes habituelles. Ce fut un grand militaire, mais aussi un
homme de culture et d’art. Il fit construire à Rome le Colisée, pouvant
accueillir jusqu’à 100 000 spectateurs.
Cependant, deux grandes catastrophes historiques assombrirent son règne,
au début et à la fin. La première fut la destruction totale de Jérusalem,
révoltée contre Rome. Son fils, Titus, qui le remplaça en Israël, fit incendier
Jérusalem en 70 et réduisit en esclavage 40 000 Juifs. Israël cessa d’exister à
nouveau.
La deuxième catastrophe fut la destruction de trois villes voisines :
Pompéi, Herculanum et Stabies, par l’éruption du Vésuve, en 79. Pompéi
était une ville d’eau résidentielle de plus de 20 000 habitants, très riche et très
célèbre, surtout pour ses mœurs.
Depuis des siècles, Vénus était la déesse protectrice de Pompéi. Afin de
flatter leur déesse de l’amour, ses riches habitants vivaient dans une luxure
inégalable, illustrée par un érotisme général (ou plus exactement une
pornographie) ouvertement affiché. Les thermes, avec leurs salles annexes,
étaient les lieux favoris des ébats sexuels bien documentés par des peintures
stimulantes et savamment pratiqués par des professionnels des deux sexes.
Les fresques murales indiquaient les différentes positions recommandées,
avec les références des praticiens, offrant sur place leur service aux clients
fortunés. L’amour libre et sans contrainte était pratiquement la devise de la
ville. Cette douceur de vivre était une tradition héritée des anciens habitants,
étrusques puis grecs, avant l’arrivée des Romains qui la perfectionnèrent avec
leur expérience internationale, inspirée aussi par l’art indien de l’amour.
L’ancienne ville grecque avait été déjà partiellement démolie par une
secousse sismique en 62. Pompéi, rapidement reconstruite dans l’esprit de
son passé, devint une magnifique ville moderne, avec tous les moyens
perfectionnés de l’époque. Bien entendu, tout y était consacré au confort et à
la pratique libre de l’amour, sous toutes ses formes.
Les chrétiens persécutés considérèrent cette catastrophe comme la punition
de Dieu et la comparèrent à la destruction biblique de Sodome et Gomorrhe,
villes libertines et immorales.
Trajan

Trajan fut un très grand chef militaire. Durant ses 20 années de règne (98-
117), les frontières de l’Empire romain dépassèrent toutes les précédentes. Il
rattacha à Rome l’Arménie, la Mésopotamie, l’Arabie et la Dacie. Il fut aussi
un bon gestionnaire et un grand bâtisseur qui aimait l’art. Il fit construire à
Rome le monument en souvenir de la victoire de Dacie.

Hadrien

Fils adoptif de Trajan, il régna aussi durant 20 années (117-138), en paix.


Il ne cherchait pas l’agrandissement de son immense empire, mais sa
consolidation, en renforçant ses frontières. Il fit construire au nord de
l’Angleterre le mur d’Hadrien, pour freiner les incursions des tribus
barbares. Malgré sa politique de défense, il perdit l’Arménie contre les
Parthes, convoitée depuis deux siècles par les deux ennemis. Ce fut une perte
très importante, car la Route de la Soie passait par l’Arménie et les Parthes la
fermèrent. En revanche, il récupéra Jérusalem, lui permettant d’unifier la
partie orientale de son empire.

Avec le règne des successeurs faibles d’Hadrien, la puissance de l’empire


s’effrita durant un siècle, à cause des crises économiques et de l’anarchie
militaire. Durant cette période noire, je dois citer cependant quelques
empereurs, rendus célèbres par leur politique.

Caracalla accorda la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de


l’Empire et poursuivit une politique d’assimilation inspirée probablement par
celle d’Alexandre le Grand, mais très éloignée de la tradition romaine. Ses
actes diversement appréciés provoquèrent probablement son assassinat.

Dèce, durant son court règne (249-251), se rendit célèbre par la persécution
officielle des chrétiens, que son successeur, Valérien, poursuivit assidûment.
Malgré ses « empereurs soldats », Rome perdit le Nord de l’Europe et la rive
gauche du Danube.

Dioclétien (284-305) réforma l’administration. Il découpa l’empire en


quatre territoires. Il partagea le pouvoir avec Constance (Espagne, Gaule),
Maximin (Italie) et Galère (Grèce). Il garda pour lui l’Orient. Il poursuivit la
persécution des chrétiens, puis démissionna et se retira de la vie politique.

Constantin

Constantin, dit Constantin le Grand, remit de l’ordre dans l’Empire affaibli


et rétablit l’unité impériale. Durant son règne (306-337), Rome retrouva son
âge d’or. Attiré par le monothéisme et influencé par sa mère chrétienne, il mit
fin à la persécution des chrétiens et accorda les mêmes droits à toutes les
religions de l’Empire. En 324, le christianisme fut reconnu comme religion
officielle dans l’Empire romain. Il faut rappeler que la première « église
Saint-Pierre » de Rome fut érigée durant son règne sur le lieu du supplice du
martyr Pierre. Par la suite, des églises monumentales furent construites un
peu partout, où étaient célébrées des cérémonies religieuses publiques. Au
concile de Nicée, en 325, Constantin condamna « l’arianisme », selon lequel
Jésus n’était pas le fils de Dieu, mais seulement sa création humaine, et
exclut ses membres de l’Église. Il modifia la politique de l’Empire dont
Byzance devint la nouvelle capitale en 330, sous le nom de
Constantinople. En 336, il fit un pèlerinage à Jérusalem, d’où il aurait
rapporté les restes de la croix du Christ. Cependant, il ne reçut le baptême que
sur son lit de mort, en 327.
Ses successeurs poursuivirent sa politique et résistèrent avec succès aux
assauts des pilleurs « barbares », arrivés de tous les côtés de l’Empire.

Théodose

Théodose, dit Théodose le Grand (379-395), renforça les frontières de


l’Empire contre les Goths au nord puis au sud, contre les Berbères. Il autorisa
l’installation des Wisigoths sur le bas Danube. En 384, il signa une paix avec
les Sassanides, successeurs des Parthes, mettant ainsi fin à une guerre de
plusieurs siècles.
En 392, le christianisme devint religion d’État. Les persécutés devinrent
des persécuteurs, comme on le verra plus loin.
Malgré sa bonne politique de plus de 15 années, Théodose commit une
grave erreur à la fin de son règne, en 395. Il partagea en deux son empire
entre ses fils. Honorius reçut l’Empire d’Occident et Arcadius l’Empire
d’Orient. À peine 80 années plus tard, cette division conduisit à la chute de
l’Empire d’Occident. En revanche, l’Empire d’Orient survécut encore près de
1 000 ans.
La ville de Rome devint le siège de l’Église catholique, dont l’évêque fut le
pape, chef de la chrétienté.

Honorius, empereur de l’Empire d’Occident de 395 à 423, résista


difficilement durant son règne aux envahisseurs goths puis aux peuples de
l’Est, chassés par les Huns.
Menés par Alaric, les Wisigoths s’emparèrent de Rome en 410, mais
poursuivirent leur chemin vers l’Espagne. Rome devint ensuite la cible des
Vandales, puis des Huns, conduits par Attila. En 452, Attila assiégea Rome
sans y entrer, puis se retira sans se battre, à la demande du pape Léon le
Grand. En revanche, en 455, les Vandales envahirent Rome à nouveau.
Le dernier empereur de Rome fut Romulus Augustule, battu et chassé de
son trône par le Germain Odoacre en 476, qui mit ainsi fin à l’Empire
d’Occident.

Ainsi se termina l’Antiquité en 476, avec la chute de l’Empire d’Occident.


J’ai bâclé un peu vite l’histoire de Rome, mais avant de quitter l’Antiquité, je
voudrais parler encore de quelques évènements bien connus, que je trouve
aussi très intéressants.

L’empire des Parthes

Qui était ce peuple et comment devint-il si puissant ?

Cette question nécessite une longue explication, que l’on pourrait


commencer par l’histoire biblique. Je la cite comme curiosité, sachant
toutefois que, selon la Bible, la vie terrestre ne commença que 3761 ans avant
notre ère !
Après le déluge, les enfants des trois fils de Noé repeuplèrent le monde (les
filles ne comptaient pas !) : les Sémites furent les descendants de Sem, les
Indo-européens (Aryens) ceux de Japhet, les Couchs et aussi les Touraniens,
ceux de Cham. Les Parthes seraient des Touraniens, ainsi que les Scythes, les
Huns, les Khazars et même, les Sumériens et les Hyksos. Selon la Bible, tous
les peuples appartiennent à ces trois grandes familles. Mais on devrait dire
plutôt que tout le monde descend de Noé. Ce serait plus simple.

Selon certains historiens, les Parthes sont issus de la Mésopotamie (comme


tous les peuples, durant la grande migration), d’où ils partirent vers le nord-
est, il y a plusieurs milliers d’années, avant son développement culturel. Je ne
cherche pas si loin leur origine et je ne remonte que trois siècles dans
l’histoire, lorsqu’on commença à parler d’eux.
Comme je l’ai déjà dit plus haut, après la mort d’Alexandre le Grand, ses
généraux partagèrent son empire entre eux. Chacun rêvait de sa puissance,
mais aucun n’avait son envergure.

Quelques années plus tard, Séleucos, un des lieutenants d’Alexandre le


Grand (son père était général de Philippe II), retiré jusqu’alors modestement
en Orient, revint à Babylone. Dès son arrivée, tous les autres prétendants au
trône se retournèrent contre lui. Aidé par son ancien ami Ptolémée (roi
d’Égypte), il les repoussa, puis fonda en Mésopotamie la dynastie séleucide
en 312 avant notre ère, dont il fut le premier roi sous le nom de Séleucos Ier.
Naturellement, comme tous les grands monarques, il se disait descendant des
dieux et plus précisément d’Apollon. C’était très important à l’époque pour
se faire admettre sans contestation par les peuples croyants. Au prix de
guerres sans fin, il récupéra l’ancien empire d’Asie d’Alexandre le Grand,
dont il conserva les traditions, la culture grecque et l’égalité de toute la
population cosmopolite. Malgré ses succès et sa grandeur, on ne pouvait pas
le comparer à Alexandre le Grand, puisqu’il conservait seulement ce que son
prédécesseur avait créé à partir du néant. Ses successeurs, Antiochos I, II et
III, continuèrent les guerres contre les pays voisins et, en quelques dizaines
d’années, l’Empire séleucide s’étala de la Méditerranée jusqu’à l’Indus. Au
nord, entre la mer Caspienne et le fleuve Amou-Daria, la terre des Parthes en
faisait partie aussi. On disait que les Parthes étaient des descendants des
anciens Scythes, célèbres cavaliers rapides et téméraires, qui pouvaient aussi
vivre en paix.
En 250 avant notre ère, les Parthes se révoltèrent et obtinrent leur
indépendance. Trois années plus tard, ils fondèrent le royaume de la dynastie
arsacide.
La guerre perpétuelle affaiblit l’Empire séleucide, surtout lorsqu’il
s’attaqua à l’Égypte. Il perdit d’abord l’Asie Mineure, puis ses provinces du
nord. À l’ouest, il devait lutter contre les Romains et au nord-est, contre les
Parthes. Profitant de la situation, les Parthes, menés par Mithridate Ier,
envahirent le nord de l’Empire, la Mésopotamie, puis fondèrent l’Empire des
Parthes.
Les Séleucides se retirèrent en Syrie, à la frontière occidentale de leur
ancien empire. Les Parthes ne purent pas les suivre, car ils furent attaqués,
entre temps, par les Scythes d’Asie, qui descendaient de la région de la mer
d’Aral vers le sud. Ils durent se battre ensuite durant des dizaines d’années, à
l’ouest contre les Séleucides et à l’est contre les Scythes et les Huns.
Lorsqu’ils commencèrent à se sentir en sécurité, ils se trouvèrent face à face
avec l’Empire romain. En effet, les Romains écrasèrent les Séleucides et
mirent fin à leur royaume. Heureusement, entre temps, les Scythes
s’éloignèrent vers l’est pour fonder en Inde leur royaume indo-scythe. Puis, la
guerre éclata entre les Romains et les Parthes et dura près de 4 siècles.
Au début, la chance était favorable aux Parthes qui occupèrent même
Jérusalem, mais les Romains les repoussèrent ensuite jusqu’à l’Euphrate, qui
devint la frontière définitive entre les deux puissances. Durant plus de 2
siècles, l’armée romaine resta impuissante devant les cavaliers parthes
particulièrement habiles et rapides, dignes de leurs cousins scythes. Elle
essaya donc de contourner le fleuve et d’attaquer par le nord, en envahissant
la riche Arménie, entre les mers Noire et Caspienne.
En 66 avant notre ère, l’Arménie devint une province romaine et un champ
de bataille permanent entre les Romains et les Parthes. Enfin, au tournant de
notre ère, les Parthes prirent le dessus, envahirent l’Arménie et s’y
installèrent pour 2 siècles.
Ces cavaliers courageux et invincibles n’avaient pas la mentalité des
guerriers de l’époque. Ils se battaient sans cruauté. Ils avaient de l’estime
pour leurs adversaires. Ils ne torturaient jamais les vaincus et ne les
réduisaient pas à l’esclavage.

La migration des barbares

Vers la fin de l’Antiquité, durant plus d’un siècle, l’Empire romain sur son
déclin devint le passage libre des peuples déplacés de leurs pays. Comme je
le disais déjà au sujet des Celtes, durant l’Antiquité, de nombreuses tribus
germaniques migrèrent de l’Europe du Nord vers le Sud, mais elles
s’arrêtèrent aux frontières de l’Empire romain. Les Goths, les plus
nombreux, s’installèrent en Ukraine orientale et y fondèrent leur royaume,
tandis que les Francs, Alamans et Vandales dispersés, restèrent plus à
l’ouest. Mis à part quelques escarmouches et pillages occasionnels, on peut
dire qu’ils vivaient en paix et commerçaient avec les Romains, qui les
appelaient « barbares », n’étant ni Grecs, ni Romains.
Au début du IVe siècle, les Goths se séparèrent en deux grands groupes
géographiques. Les Goths de l’Est, appelés Ostrogoths, restèrent en Ukraine,
alors que ceux de l’Ouest, appelés Wisigoths, s’infiltraient dans les Balkans,
avec l’autorisation de l’empereur romain. Ils y adoptèrent le christianisme.

Cette paix relative fut perturbée par l’arrivée des Huns en Europe, chassés
d’Asie centrale par les Chinois. En effet, elle déclencha la migration vers
l’Occident des peuples établis sur leur passage. On peut parler d’une réaction
en chaîne, d’un « mouvement de domino », où chaque peuple poussait de
plus en plus loin son voisin occidental.
Les Ostrogoths furent les premières grandes victimes des Huns, qui les
écrasèrent en 374, ouvrant ainsi la voie vers l’Occident. Comme la plupart
des peuples vaincus, les Ostrogoths s’allièrent aux Huns et les suivirent
jusqu’au bassin des Carpates, en Pannonie, qui devint le siège de leur
immense territoire. Les Huns organisaient de là leurs raids vers l’ouest et vers
l’est, dont je parlerai plus loin.

Les Wisigoths prirent possession des Balkans puis, après plusieurs années
de pillage, remontèrent vers l’Italie du Nord, où ils s’installèrent. Leur roi
Alaric voulut négocier une cohabitation pacifique avec l’empereur Honorius,
mais devant le refus de ce dernier, il envahit et pilla Rome en 410, sans
toutefois détruire la ville. Craignant l’attaque des Huns, les Wisigoths
repartirent le plus loin possible vers l’ouest avec leur butin et fondèrent leur
royaume dans le Sud-Ouest de la France. C’était le premier royaume
germanique sur le territoire de l’Empire romain. Athaulf, successeur du roi
Alaric (mort après le sac de Rome), épousa la fille de l’ancien empereur
romain et fit de son peuple un fidèle allié de l’Empire pour plusieurs
générations. Cependant, un siècle plus tard, sous la pression des Francs, les
Wisigoths durent quitter leur royaume et s’installer en Espagne.
Migration des barbares

Poussés par les Huns, les Vandales, suivis de quelques tribus alamanes et
suèves, traversèrent et pillèrent toute l’Europe jusqu’à l’Espagne, où ils
s’établirent en 409. Ils partagèrent et pillèrent en toute tranquillité, durant une
dizaine d’années, ce pays faisant partie de l’Empire romain. Rome envoya
contre eux les Wisigoths, ses puissants alliés qui, en très peu de temps, les
exterminèrent ou les chassèrent d’Espagne. Les rescapés traversèrent le
détroit de Gibraltar et s’installèrent en Afrique du Nord, faisant partie de
l’Empire romain, mais mal protégée, à cause de son éloignement. Les
Vandales ne rencontrèrent presqu’aucune résistance. Les autorités romaines
leur abandonnèrent l’ouest de l’Afrique du Nord, mais leur roi Genséric ne
s’en contenta pas. Petit à petit, il prit possession des colonies romaines. En
439, il prit Carthage, que les Vandales gardèrent ensuite durant un siècle. On
doit noter que, contrairement à leurs habitudes destructrices européennes, qui
les rendaient tristement célèbres, dans les colonies africaines, ils conservaient
tous les vestiges et coutumes romains. C’était leur nouveau pays qu’ils
appréciaient beaucoup.

Six siècles après Hannibal, Carthage devint à nouveau le grand ennemi de


Rome ! En effet, les Vandales devinrent des marins et organisèrent des raids
maritimes contre les îles romaines, à partir de Carthage. Ils pillèrent la Sicile,
la Corse, la Sardaigne et les Baléares. Enfin, en 455, ils débarquèrent à Rome
et pillèrent la ville. Ils firent régner l’insécurité sur le trafic maritime de la
Méditerranée.
Un siècle plus tard, en 533, Justinien reprit les colonies africaines et en
exila tous les Vandales. L’Afrique du Nord fut réintégrée à l’Empire romain.

Les envahisseurs huns

Les Chinois parlèrent la première fois des Huns au IIe siècle avant notre
ère. Ces cavaliers exceptionnels envahissaient et pillaient régulièrement le
Nord de la Chine, sans y rencontrer aucune résistance, puis se retiraient hors
des frontières. Il faut dire que l’armée chinoise arrivait toujours trop tard et
que les Huns avaient largement le temps de partir avec leur butin facile. Ils
étaient célèbres par leur agilité et par leur rapidité. Leurs incursions
fréquentes durèrent jusqu’à la prise du pouvoir de Wendi, dont la première
action fut le renforcement des frontières.
Wendi renforça d’abord la muraille de Chine, puis forma des cavaliers
rapides, selon l’exemple des Huns, qu’il installa aux frontières du nord. En
peu de temps, ces cavaliers chinois (très nombreux) arrivèrent à faire face aux
Huns, voire à les poursuivre hors des frontières. Les Huns préféraient donc
les pillages plus faciles, ailleurs. Deux siècles plus tard, ils durent même fuir
vers l’ouest, chassant devant eux les Scythes, les Allains, puis les Goths qui,
à leur tour, poussèrent les tribus plus faibles. Petit à petit, ils s’installèrent au
sud de l’Oural, entre les mers d’Aral et Caspienne. Ils purent y entrer en
contact avec des Hongrois déjà installés. Une grande partie des Huns (appelés
Huns blancs) descendirent vers le sud et s’installèrent à Bactriane, d’où ils
partirent piller régulièrement, durant 2 siècles, les pays voisins, jusqu’au
Gange. Les autres allèrent vers l’ouest et fondèrent un immense empire qui,
au IVe siècle, s’étendait de la mer d’Aral jusqu’à l’Europe centrale. On dit que
quelques tribus hongroises les suivirent jusqu’au bassin des Carpates et s’y
installèrent. Ce seraient les « premiers fondateurs » de la Hongrie. Les Huns
devinrent très célèbres à la fin du IVe siècle en battant les Allains, puis les
Goths et en soumettant l’Empire d’Occident au paiement de lourds tributs. Le
siège de leur empire se trouvait en Pannonie, près du Danube. Ils organisaient
de là leurs raids vers l’ouest et vers l’est.
Attila fut leur chef le plus célèbre. Durant son règne de 20 ans, l’Empire
des Huns s’étendit de l’Oural jusqu’au Rhin. Il entretenait de bonnes relations
avec les Romains qui le respectaient et le craignaient. Il faut savoir qu’Attila
était très cultivé, parlant plusieurs langues, ayant été élevé à la cour de
l’empereur romain. C’était une tradition entre les rois d’envoyer leurs fils
chez les voisins pour parfaire leur éducation. Durant longtemps, ce fut une
garantie de paix entre les empires des Huns et des Romains.
Attila avait déjà 40 ans à la mort de son père Mundzuk, en 434. Il partagea
d’abord le pouvoir avec son frère, jusqu’à la mort de ce dernier, puis régna
seul sur son immense empire, dans son palais, au bord du Tisza, vers la ville
de Szeged actuelle. Chaque année, il organisait des raids vers l’Europe
occidentale, dont le seul but était la prise de butin. Ses principales victimes
étaient les Goths et les tribus germaines qu’il terrorisait. Son nom figure dans
les légendes germaines, où on l’appelait « le fléau de dieu ». Des « témoins
oculaires » dirent aussi que, durant les raids, les cavaliers huns ne s’arrêtaient
même pas pour manger. Tout en chevauchant, ils taillaient un morceau de la
cuisse de leurs chevaux et le mangeaient cru. En réalité, ces cavaliers
mettaient souvent quelques gros morceaux de viande crue sous leur selle pour
l’attendrir et en mangeaient occasionnellement sans s’arrêter.

Dans son intérêt stratégique, l’Empire d’Occident entra en coalition avec


les Wisigoths, de plus en plus envahissants. Ainsi, lors d’un de ses derniers
raids, Attila se trouva face à ces nouveaux alliés qui lui infligèrent une lourde
défaite aux champs Catalauniques en 451. Pour se venger, en 452, il envahit
et pilla l’Italie jusqu’à Rome, où il s’arrêta (sans explication !) puis, à la
demande du pape Léon le Gand, il se retira. Peut-être ne voulait-il pas
détruire la ville de son éducation, ou seulement voulait-il montrer que, lui, il
respectait son amitié. Cette intervention rendit le pape très célèbre (certains
parlèrent même de miracle) et renforça la position des chrétiens à Rome.
On dit aussi que des mauvaises nouvelles lui arrivèrent de l’Est, le forçant
à rebrousser chemin. Toutefois, c’est peu probable, car il aurait pu piller
Rome en une journée puis se retirer après.
Son règne dura encore une année, puis il mourut en 453, durant sa nuit de
noces, empoisonné par sa maîtresse germaine Ildiko qui voulait venger la
mort de son frère. Cependant, on dit aussi qu’il mourut d’une hémorragie
nasale ou cérébrale. Selon la légende, on l’enterra dans un triple cercueil (or,
argent, fer), au fond du lit du Tisza, en détournant momentanément la rivière
pour ne laisser aucune trace de sa tombe.

Après la mort d’Attila, ses trois fils se battirent entre eux pour le pouvoir,
en perdant tout. Ellak et Dengizik moururent et Irnik, le plus jeune, dut fuir
avec son armée vers l’est. Ils s’établirent au Caucase, au nord de l’Arménie,
en Lévédie, où ils auraient fusionné avec des tribus hongroises. Peut-être, est-
ce la raison pour laquelle certains disent que les Huns étaient des frères des
Hongrois.
Selon les historiens byzantins, Irnik devint roi des Bulgares. Mais que
devinrent les très nombreux Huns de l’Empire ? Ils disparurent de l’histoire !
La seule explication possible est que c’était un peuple très hétérogène, formé
de nombreuses tribus d’origine commune ou très proche (y compris quelques
tribus hongroises), partageant le même goût de la guerre, qui adorait et
suivait aveuglement son chef. Son chef disparu, le peuple cessa d’exister en
se dispersant et fusionnant avec des peuples voisins. Attila mort, ses fils, trop
faibles, étaient incapables de se faire obéir comme leur père. Cependant, il ne
faut pas oublier non plus que tous les peuples européens écrasés et pillés
durant des décennies, commençaient à s’organiser pour se défendre. Attila
même perdit une bataille en 451 contre une coalition bien organisée.

Il est intéressant de remarquer que l’Empire des Huns et l’empire des Huns
blancs en Inde disparurent simultanément, sans laisser de trace.

Les évènements qui suivirent la mort d’Attila sont racontés comme un


conte de fées dans une légende transylvanienne. Après la mort d’Attila, ses
deux fils, Aladar et Csaba se battirent. Le premier mourut et Csaba dut fuir
avec sa petite armée devant l’innombrable ennemi qui attaquait son pays. En
partant, il promit à son peuple, resté sur place, qu’il reviendrait le protéger,
même de l’autre monde, s’il était en danger. Ainsi, durant des siècles, dès
qu’un danger le menaçait, l’armée de Csaba arrivait du ciel par la voie lactée
et écrasait l’ennemi.

LA CULTURE DES INDIENS D’AMÉRIQUE CENTRALE

Avant de quitter l’Antiquité, je dois dire encore quelques mots des trois
grands peuples d’Amérique centrale qui connurent en même temps leur âge
d’or. Ces trois peuples pacifiques, descendants probables des Olmèques,
avaient la même religion, le même style de constructions et les mêmes
coutumes, malgré leur isolement. Ils avaient peur cependant de l’influence
des peuples voisins et tenaient à leur indépendance.

La civilisation des Mayas était la plus ancienne et la plus répandue en


Amérique centrale. On connaissait déjà des tribus mayas à l’Ouest depuis
plus de mille ans avant notre ère. Leur culture se développa lentement, durant
des siècles, pour atteindre son âge d’or à la fin de l’Antiquité. Comparés aux
cités-États voisines, les Mayas disposaient d’un vrai État s’étalant du Yucatan
jusqu’à l’océan Pacifique, avec de nombreuses grandes villes, dont la plus
importante était Tikal, avec ses 20 000 habitants, ses parcs de jeu de balle,
protégée par une fosse remplie d’eau.
Toutes les villes mayas, petites ou grandes, étaient construites dans le
même style. Autour d’une pyramide centrale se trouvaient les palais des
prêtres et les bâtiments de culte et d’astronomie. La base de toutes les
constructions importantes était décorée avec des stèles portant des
décorations et des inscriptions hiéroglyphiques. Les inscriptions comportaient
des textes religieux et des calculs astronomiques. Les connaissances
astronomiques et mathématiques des Mayas étaient très développées,
beaucoup plus que celles des autres Indiens. Elles furent comparables à celles
de l’Égypte, de la Mésopotamie et de la Grèce. Ils utilisaient déjà le zéro dans
leurs calculs et leur année solaire comptait 365 jours répartis en 18 mois de
20 jours, complétés par 5 jours. Parallèlement, ils utilisaient aussi des cycles
de 260 jours composés de 13 fois 20 jours. Inexplicablement, leur calendrier,
plus ancien que celui des Égyptiens, débuta en 3113 avant notre ère. On ne
peut pas savoir quelle était la base de leur calcul, puisque les premiers Mayas
ne remontaient pas au-delà de 15 siècles avant notre ère. Selon certains, le
point de départ de leur calcul était le déluge, dont ils connaissaient aussi
l’existence et qu’ils considéraient comme la renaissance de l’humanité.
Ils adoraient plusieurs dieux, dont les plus importants étaient ceux du soleil
et de la mort à deux têtes. Les bâtiments civils étaient éloignés du centre, dont
les habitants étaient des commerçants et des artisans. Les agriculteurs, qui
cultivaient surtout du maïs, habitaient en dehors des villes.

On peut noter que la civilisation des Mayas connut sa décadence à partit du


VIIIe siècle, probablement à cause des attaques permanentes des peuples
voisins. Les villes se transformèrent en forteresses. La classe dirigeante et les
prêtres perdirent leur pouvoir et disparurent pratiquement de la vie
quotidienne. La population se réduisit alors à des agriculteurs incultes.

Monte Alban, capitale des Zapotèques, à l’ouest de la Venta, était la plus


ancienne cité dans la région. Elle se développa lentement, durant des siècles,
dans la vallée d’Oaxaca. Au début, ce n’était qu’un centre religieux et
culturel, mais plus tard, imitant le style de Teotihuacan, elle devint une
grande ville d’habitation. Le centre religieux était construit sur une colline
écimée, avec son palais de 300 m par 200 m au sol. Les édifices des collines
voisines étaient réservés aux cérémonies religieuses et aux manifestations
culturelles. Les statues et fresques représentaient des dieux. Elles étaient
moins artistiques que celles des villes voisines. Les maisons d’habitation
étaient construites sur les collines périphériques, éloignées du centre.
Toutefois, à cause du manque d’eau, petit à petit, la population quitta la ville
qui reprit ainsi sa vocation religieuse initiale.

Teotihuacan se trouvait beaucoup plus au nord, en haute altitude, près de


la ville de Mexico actuelle. C’était un exemple d’architecture pour toutes les
villes voisines. Vers 400, atteignant son âge d’or, elle devint une immense
ville de plus de 10 000 d’habitants. Elle garda cependant son style initial bien
structuré, avec sa grande « allée des Morts », le long de laquelle se trouvaient
les principales constructions. La plus importante était la grande pyramide de
225 m par 220 m de base et de 64 m de haut, dont l’intérieur était un véritable
musée, avec des statues, des fresques et des trésors inestimables. Un temple
de sacrifices se trouvait à son sommet. En face de la pyramide, de l’autre côté
de l’allée, se trouvait sur une haute colline la citadelle de la ville, avec le
temple du dieu Quetzalcóatl (le serpent à plumes). Les habitants de
Teotihuacan étaient des artistes extraordinaires, ce dont témoignent les
magnifiques statues, fresques et poteries décorées. Leur art eut beaucoup
d’influence sur toutes les civilisations indiennes de l’époque et postérieures.

ÉPILOGUE
L’Antiquité, la plus longue période de l’histoire écrite, se termina avec la
chute de l’Empire romain d’Occident en 476. Pourquoi a-t-on choisi la date
de cet évènement ? C’est aussi inexplicable pour moi que le choix de la date
de naissance de Jésus pour le tournant de notre ère. Quelqu’un décida ainsi,
puis tout le monde le suivit.
C’était une période extraordinaire. En 5 000 ans à peine, l’homme de l’âge
de pierre devint savant et artiste. Son évolution fut très rapide. Sortant des
grottes et des cabanes, il construisit de magnifiques palais et des monuments
avec des connaissances et techniques inexplicables. Il immortalisa ses
souvenirs et son histoire par diverses écritures inventées, souvent très
difficiles, voire impossibles à déchiffrer. Sa vie aurait pu être magnifique, s’il
n’avait pas gaspillé son énergie parallèlement à la modernisation des armes
aussi. Mais il n’aurait pas été « l’homme ». Durant l’histoire de l’humanité,
on ne connaît que très peu de peuples qui ne pensaient pas à la guerre.

Analyse des civilisations antiques et du monothéisme

Je voudrais essayer de réexaminer l’origine des civilisations antiques.


Comment sont-elles nées et existait-il un point commun ou un grand peuple
antique, qui pourrait expliquer les similitudes entre elles ?
Il n’existe aucune donnée écrite qui pourrait nous guider. Nous devons
nous contenter d’hypothèses plus ou moins acceptables. Les « historiens » de
l’Antiquité ne parlaient que de la beauté, de la richesse et des célébrités de
leur époque, sans se soucier de les expliquer, comme si c’étaient des cadeaux
des dieux, tombés du ciel. À cette époque, on pouvait s’attendre à tout de la
part des dieux.
De ce point de vue, certains individus instruits de l’époque trouvaient
naturel que toutes les connaissances proviennent de l’Atlantide, de cette île
mystérieuse engloutie puisque, selon Platon, ses habitants étaient des
descendants des dieux. Mais je ne veux pas remonter si loin. Je préfère
chercher les explications au début de l’Antiquité, époque pour laquelle nous
avons déjà quelques données écrites acceptables.

Aujourd’hui, il est incontestable que notre première civilisation connue,


née en Mésopotamie (peut-être en même temps que celle de la vallée de
l’Indus, mais bien avant celle de l’Égypte), fut l’œuvre des Sumériens. Nous
leur devons la première écriture cunéiforme et probablement les premières
grandes constructions aussi. Malheureusement, nous ne connaissons pas leur
origine. Nous savons seulement qu’ils arrivèrent en Mésopotamie au milieu
du IVe millénaire avant notre ère. Toutefois, on avait trouvé quelques traces
d’écriture cunéiforme 2 000 ans plus tôt, dans le bassin des Carpates, et aussi
dans la vallée de l’Indus, permettant d’imaginer le passage préalable des
Sumériens en ces lieux. On peut aussi supposer une certaine influence
sumérienne sur la civilisation égyptienne et sur celle de la Crète, postérieures
à la civilisation mésopotamienne.

Il reste cependant le problème de l’origine des civilisations américaine et


chinoise. Celle de la Chine fut beaucoup plus tardive et très différente de
celles du bassin méditerranéen. Toutefois, les quelques similitudes pourraient
être dues aux apports des commerçants occidentaux.

En ce qui concerne les civilisations d’outre Atlantique de l’époque, à cause


de leurs similitudes, on pourrait imaginer quelques bateaux méditerranéens
égarés transportant des « savants », accostant sur les côtes américaines. Ceci
pourrait expliquer la similitude entre les pyramides américaines, africaines et
mésopotamiennes. On a bien trouvé aussi quelques poteries, de style crétois,
dans les jungles d’Amérique du Sud !
Bien entendu, on pourrait opposer aux créations sumériennes des villes
beaucoup plus anciennes, telles que Jéricho en Palestine ou çatal-Höyük en
Anatolie. Toutefois, elles se trouvaient toutes les deux en Asie Mineure, où
pouvaient déjà vivre les proto Sumériens sans laisser de trace écrite, puisqu’il
n’existait encore aucune écriture.

On peut dire que la Mésopotamie, faisant partie de l’Asie Mineure,


avec ses habitants sumériens, fut donc le berceau des premières
civilisations de l’Antiquité.

Bien qu’il n’en reste aujourd’hui que peu de traces et seulement des
descriptions grecques, on ne peut pas quitter l’Antiquité sans citer les « sept
merveilles du monde », sélectionnées au IIIe siècle par Philon, savant
byzantin, parmi les chefs d’œuvres babyloniens, égyptiens, grecs et romains.

• Le temple d’Artémis, à Éphèse, avec sa statue, construit au IVe siècle


avant notre ère ;
• Les grandes pyramides éternelles de Gizeh, des pharaons Kheops,
Khephren et Mykérinos, de la IVe dynastie de l’Ancien Empire égyptien
(2723-2563 avant notre ère). À l’origine, elles étaient recouvertes de plaques
de marbre blanc, étincelant au soleil. Ces plaques de marbre furent utilisées
4 000 ans plus tard pour la construction de la mosquée du Caire ;
• La statue de Zeus à Olympie, sculptée par Phidias au Ve siècle avant notre
ère, en or et en ivoire, sur support en bois ;
• Les jardins suspendus de Sémiramis à Babylone, construits en réalité par
Nabuchodonosor II, au VIe siècle avant notre ère ;
• Le phare d’Alexandrie de 132 m de haut, sur l’île de Pharos, construit
sous le règne de Ptolémée II entre 283 et 246, détruit par un tremblement de
terre en 1302 ;
• La statue de bronze de 32 m de haut du colosse de Rhodes, représentant
le dieu Hélios, protecteur de l’île. Elle fut détruite par un tremblement de
terre en 223 avant notre ère ;
• Le mausolée du gouverneur de Carie à Halicarnasse, construit également
au IVe siècle avant notre ère.

Mais examinons aussi les civilisations grecques et romaines, plus récentes


et mieux connues, donc plus célèbres. Je ne crois pas me tromper en disant
que toutes les deux sont aussi issues d’Asie Mineure.
L’origine de la culture grecque vient de la Crète et des Cyclades, dont les
premiers habitants arrivèrent probablement de l’Anatolie, donc de l’Asie
Mineure (ils pouvaient être aussi des Sumériens). Les ancêtres des Grecs, les
Achéens indo-européens, n’y arrivèrent que beaucoup plus tard, en adoptant
leurs dieux et leur culture. Ils furent suivis ensuite par des Ioniens, puis des
Doriens.
La culture romaine avait des origines étrusques et grecques. N’oublions
pas que la ville de Rome fut bâtie par les Étrusques sur les lieux des villages
latins. Elle devint par la suite le centre de la République, puis de l’Empire
romain, après le départ des Étrusques affaiblis, chassés.
L’origine des Étrusques est inconnue, mais selon certains historiens, ce
serait des descendants des Sumériens.
Toutes les civilisations de l’Antiquité sont donc issues d’Asie Mineure,
bien que les civilisations grecques et romaines fussent considérées comme
« européennes ». Leurs fondateurs n’étaient pas des Indo-européens, mais des
peuples de l’Asie, des Sumériens et d’autres, disparus depuis longtemps.
Malgré cela, on parle surtout des civilisations européennes, oubliant presque
les autres, déjà célèbres à l’époque, lorsque les habitants sauvages et incultes
de l’Europe vivaient encore dans des grottes et dans des cabanes. L’Europe
ne devint civilisée qu’avec l’extension de l’Empire romain, vers la fin de
l’Antiquité.

Le monothéisme fut aussi le fruit de l’Antiquité. Selon la théologie


officielle, Moïse fut le fondateur du monothéisme, bien que son origine et
même son existence soient mises en doute par certains historiens, puisqu’on
n’en trouva aucune trace dans les écrits égyptiens.
Selon Sigmund Freud (bien que juif), Moïse devait être un noble égyptien,
puisqu’il possédait l’écriture et la culture réservées aux prêtres et à la haute
noblesse. On dit aussi qu’il était le gouverneur d’une province égyptienne
durant le règne d’Akhenaton. Il imposa la circoncision aux Hébreux, coutume
que seuls les Égyptiens pratiquaient, pour raisons d’hygiène. Son
monothéisme aurait été inspiré par une courte période de l’histoire
égyptienne, le règne d’Akhenaton (Aménophis IV), qui imposa l’adoration du
dieu unique, Aton, dieu-soleil. Lui-même fut influencé par sa femme
Néfertiti, princesse mitannienne, dont le peuple d’Asie Mineure était
monothéiste. Cependant, l’adoration d’Aton ne fut pas l’invention
d’Akhenaton. Son père, Aménophis III, y pensait déjà sous l’influence de sa
femme Tiyi (mère d’Akhenaton), également princesse mitannienne.
Akhenaton, homme diminué physiquement et intellectuellement, ne pouvait
pas instaurer seul le monothéisme en Égypte. Il ne pouvait même pas y
penser sans le soutien de sa femme. Pour lui, ce n’était qu’une réaction
d’opposition au pouvoir illimité des prêtres, une sorte de vengeance pour
montrer sa puissance de pharaon divin, qui peut tout faire. On pourrait dire
que Néfertiti, sa femme, était donc non seulement à l’origine du
monothéisme égyptien, mais qu’elle était sa fondatrice. Par conséquent, la
fondatrice de celui de Moïse, qui en résulta. Toutefois, il y avait une
différence importante entre le dieu de Néfertiti et celui de Moïse. Le dieu
Aton de Néfertiti était celui de l’amour et de l’harmonie, tandis que celui de
Moïse était martial et exigeant. Ceci est explicable par la grande différence
des deux cultures. Les Égyptiens, dociles, cultivés et pacifistes, n’avaient pas
besoin d’un dieu autoritaire. L’autorité du pharaon, son représentant terrestre,
suffisait pour assurer l’ordre et la discipline. En revanche, les Hébreux de
l’époque, peuple de nomades sans chef suprême, bergers libres, souvent
révoltés contre tout, avaient besoin de craindre une autorité surnaturelle pour
devenir un grand peuple. Moïse l’avait bien compris, lorsqu’il leur imposa
son Dieu dur et exigeant. Toutefois, après quelques siècles, le dieu des Juifs
devint de plus en plus indulgent. À la naissance du christianisme, il redevint
même le dieu de l’amour (comme à son origine).
Plusieurs peuples d’Asie Mineure (et de la Mésopotamie) étaient
monothéistes bien avant les Hébreux et Akhenaton. La plupart adoraient le
dieu du feu, d’autres celui du ciel, de la terre, des eaux, ou des dieux locaux.
Ces dieux toléraient l’existence de dieux « secondaires » autour d’eux, alors
que les dieux de Néfertiti et de Moïse n’admettaient aucune autre divinité.
On ne peut pas se référer à la Bible pour prouver l’origine hébraïque de
Moïse et son départ d’Égypte sous le règne de Ramsès II, car il y a une
confusion générale autour des personnages et des dates. Selon la Bible, le
temple de Salomon, construit vers 980 avant notre ère, devrait situer le départ
des Juifs d’Égypte aux alentours de 1460. Or, Ramsès II régnait 2 siècles plus
tard. Par ailleurs, seules quelques tribus hébraïques vivaient en Égypte au
moment de l’exode. Les autres vivaient dispersées en Palestine, où elles se
réunirent après l’exode pour former un État juif.
La Bible est un ouvrage historique et religieux extraordinaire, mais il faut
admettre que son contenu est un conglomérat d’évènements survenus chez les
peuples d’Asie Mineure, repris par les Juifs, en changeant les noms et les
lieux.

L’histoire du déluge fut reprise des Sumériens, d’après les écrits de


Gilgamesh. L’histoire de Moïse sauvé des eaux était également d’origine
sumérienne. Les catastrophes d’Égypte provoquées par les prières de Moïse
datent de l’éruption volcanique de Santorin, au XVe siècle. La notion de
paradis et d’enfer, comme la confrontation du mal et du bien viennent des
enseignements de Zarathoustra.

Je ne critique pas la Bible, car elle a le mérite de donner une image de


l’histoire de l’humanité et de la religion monothéiste, même si elle la déforme
quelque peu, en attribuant tous ces évènements au peuple juif.

Pour terminer, je dois rappeler que les quatre religions monothéistes


de Moïse, de Zarathoustra, de Jésus et de Mahomet, sont toutes nées en
Asie Mineure, comme toutes les civilisations de l’Antiquité.

***

Je ne veux pas reparler ici de détails déjà développés dans les chapitres
précédents, mais je ne peux pas quitter l’Antiquité sans parler de l’Atlantide,
l’un des plus grands mystères de l’histoire. Bien que son existence
hypothétique remontât à la préhistoire, on n’en parla que dans l’Antiquité. Il
n’y a aucune preuve de son existence, mais de son inexistence non plus. Dans
ce livre, je parle surtout de souvenirs historiques, d’évènements vécus. Mais
comme j’ai aussi parlé de la mythologie et de la Bible, je peux parler
également de l’Atlantide.

Je dois rappeler aussi dans cette conclusion que les tribus hongroises
dispersées dans le monde depuis la préhistoire se retrouvèrent enfin à
nouveau à la fin de l’Antiquité, pour former un grand peuple.

L’Atlantide, mythe ou réalité

L’Atlantide exista-t-elle réellement ? Si oui, où et quand ? Était-ce un


continent ou une île immense ? Fut-elle engloutie par la mer, ou détruite par
une catastrophe tectonique, par un tremblement de terre ou par la chute d’une
météorite ? Tout est possible, puisque c’étaient des phénomènes courants
durant le paléolithique supérieur (40 000 à 8 000 ans avant notre ère), période
supposée durant laquelle exista l’Atlantide. N’oublions pas le glissement des
continents, les périodes de glaciation au cours desquelles la formation des
montagnes de glace abaissait de 120 m le niveau des mers, puis le
réchauffement brutal et la fonte des glaces immergeant les terres et modifiant
les continents. La mer Noire naquit aussi à la fin de cette période par le
déversement de la Méditerranée. Il est tout à fait possible que des terres ou
des îles habitées aient été aussi englouties avec leurs civilisations plus ou
moins avancées. Mais pouvait-il exister il y a plus de 10 000 ans une
civilisation aussi avancée ? Pourquoi pas. Notre civilisation parut aussi très
vite, en quelques siècles après le déluge, 4 000 ans avant notre ère. Avec un
climat très favorable, ailleurs aussi, une civilisation encore plus avancée
aurait pu se développer. C’est tout à fait imaginable. Malheureusement, les
récits transmis de bouche à oreille étaient probablement déformés par
l’imagination de certains. Aujourd’hui, nous ne connaissons aucune donnée
écrite confirmant (ou infirmant) l’existence de l’Atlantide. Un jour, elle sera
peut-être prouvée. Mais on ne pourra jamais prouver qu’elle n’exista pas.
Je reste fidèle à mes principes en essayant de mettre un peu d’ordre dans
les descriptions. Je crois à la possibilité de l’existence de l’Atlantide disparue.
J’essaie donc d’extraire une vérité logique et possible des légendes.

Retournons dans le passé lointain, à l’origine des légendes. Homère, poète


grec du VIIIe siècle avant notre ère, parla la première fois d’un continent
mystérieux situé au-delà des colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar),
considérées à l’époque comme la « fin du monde », où aucun marin n’osait
s’aventurer.

Trois siècles plus tard, un vieux prêtre égyptien parla à Solon des écrits
trouvés (!), racontant l’histoire et la disparition de l’Atlantide. On ne saura
jamais ce qu’il raconta exactement, car il fallut attendre encore un siècle pour
que Platon, philosophe grec, écrivit son histoire telle qu’il l’entendit des
descendants des élèves de Solon, de Timée et de Critias. Donc, l’origine
décrite de l’Atlantide fut l’œuvre de Platon. Les autres œuvres, très
imaginaires, sont sans intérêt.
Il faut aussi se méfier de la description de Platon. Étant philosophe,
l’existence de l’Atlantide et sa structure sociale étaient pour lui un bon sujet
de discussion avec ses élèves. Il imaginait que, dans un État aussi développé,
disposant d’une très grande culture et de connaissances scientifiques très
avancées, tous les problèmes sociaux et politiques devaient être résolus. Avec
ses élèves il imagina toutes les possibilités, se disant que les meilleures
étaient sûrement appliquées en Atlantide. À partir de ces hypothèses, il
décrivit la structure et la vie imaginée des Atlantes. Il parla même de sa
structure parfaite, avec des voies parallèles et des constructions idéales, pour
loger confortablement plus de 20 millions d’habitants. Selon lui, l’Atlantide
s’étendait sur trois îles énormes. Les sciences atteignirent là le sommet de
leur perfection, inégalable à jamais dans nos civilisations. Les Atlantes,
descendants privilégiés des dieux, connaissaient des matériaux et des métaux
que nous ne connaîtrons jamais. Poséidon, leur ancêtre, leur avait donné des
connaissances surhumaines. Toujours selon Platon, les Atlantes étaient des
hommes blonds de grande taille, avec un nez aquilin et des cheveux roux.
Leurs rois habitaient dans des palais extraordinaires, au centre des villes
principales. Ces demi-dieux parcoururent le monde autour d’Atlantide et y
établirent des colonies. Les civilisations de l’Antiquité seraient issues de ces
anciennes colonies, plusieurs milliers d’années plus tard. On cita même la
ville de « Saïs » du delta du Nil, comme ancienne colonie atlante, dont la
déesse protectrice s’appelait Neith, devenue Athéna chez les Grecs. Leurs
dieux mêmes seraient d’anciens Atlantes. Tout était parfait chez les Atlantes,
selon Platon. Mais je voudrais bien connaître le récit exact du prêtre égyptien
pour pouvoir éliminer les inventions de Platon et ne garder que la réalité.

Selon les calculs de Platon, basés sur le récit égyptien, l’Atlantide disparut
9 000 ans avant notre ère au fond de l’océan, après une catastrophe
naturelle qui pouvait être une éruption volcanique, un raz de marée ou la
chute d’une météorite. Cela devait être la punition des dieux qui contrôlaient
tous les éléments de la nature. Comment aurait pu disparaître autrement ce
monde habité par des demi-dieux ? Platon pensait qu’après des milliers
d’années de vie paisible, les Atlantes voulaient détruire « les empires
d’Orient » moins civilisés, y compris les îles grecques protégées par les
dieux. En quelque sorte, c’était une confrontation entre les dieux protecteurs
des mondes. Toutefois, dans son raisonnement, il y a une très grande erreur
chronologique, puisqu’à cette époque, il n’existait encore aucune civilisation
comparable autour de la Méditerranée. Ces civilisations n’apparurent que
6 000 ans plus tard, en Mésopotamie, en Égypte et dans la vallée de l’Indus !
Oublions donc la punition des dieux.

De nombreux Atlantes qui, se trouvant sur leurs bateaux, éloignés de


l’Atlantide au moment de la catastrophe, purent se sauver dans toutes les
directions. Ils seraient allés en Amérique, en Europe du Nord et en Afrique
du Nord. Selon le prêtre égyptien, ils sont à l’origine de la civilisation
égyptienne. On explique aussi l’analogie entre les constructions américaines,
égyptiennes et asiatiques, par leur présence.

Je dois signaler que les Indiens parlaient aussi des continents engloutis.
Les Mayas situaient dans l’océan Pacifique un continent appelé Mû, disparu
après une éruption volcanique. Bien plus tard, les Aztèques parlèrent
d’Aztlan, engloutie dans l’océan Atlantique. D’après son nom, il serait
logique de situer l’Atlantide dans l’océan Atlantique. Toutefois, on la situa
aussi un peu partout : aux Açores, aux Bahamas et même dans la mer du
Nord. Selon les récits du prêtre égyptien, l’Atlantide était un continent ou un
archipel entouré de terres lointaines. Ces terres pouvaient être l’Europe et
l’Afrique à l’est, le Groenland au nord et les continents américains à l’ouest.

Qui ne rêva jamais d’un paradis terrestre, surtout si son existence peut
paraître possible ? Avec un peu de fantaisie, tout est possible. Personne ne
retrouva jamais les documents du prêtre égyptien, mais j’y crois. L’Atlantide
peut avoir existé, puisque les écrits égyptiens avaient toujours un fond de
vérité, même si cette vérité était déformée quelquefois selon l’intérêt des
scribes. Mais dans l’histoire de l’Atlantide, je ne vois aucun intérêt de fraude.

J’ai failli oublier le récit d’Hérodote, mon historien préféré. Il parla aussi
de l’Atlantide, quelques dizaines d’années avant Platon. Il devait avoir les
mêmes sources, les élèves de Solon. Toutefois, il la situa aux alentours des
montagnes Atlas, mais cela me paraît peu probable. En effet, dans cette
région, on trouva de nombreux vestiges préhistoriques. On aurait dû y trouver
donc des traces des Atlantes aussi, s’ils avaient vécu dans cette région.

Je dois rappeler aussi que certains imaginaient l’Atlantide parmi les


civilisations de la Méditerranée, dans un passé moins lointain. On parla de la
Crète (qui n’a jamais disparu !), puis de l’éruption volcanique de l’île de
Santorin vers 1500 avant notre ère. Toutefois, ces civilisations faisaient partie
de l’Antiquité et ont laissé des traces écrites, incomparables avec le mythe de
l’Atlantide. On ne peut donc pas les confondre avec l’Atlantide de Platon.

Dans l’histoire de l’humanité, il fallut près de 2 millions d’années à


l’Homo habilis pour devenir Homo sapiens, puis plusieurs centaines de
milliers d’années pour que ce dernier devînt homme de Cro-Magnon. On
retrouve sur nos continents des traces matérielles de cette lente évolution. Un
autre type d’homme a pu aussi évoluer ailleurs, sur des terres englouties
aujourd’hui, et peut-être beaucoup plus vite, même sans l’aide des dieux. Il
pouvait construire des villes splendides, des milliers d’années avant les
civilisations égyptiennes et mésopotamiennes. Toutefois, on ne pourrait
retrouver ces traces éventuelles que sous les mers. Si, de plus, ces hommes
étaient des descendants des demi-dieux, ils pouvaient disposer de
connaissances surnaturelles.
Qui pouvaient être ces demi-dieux, s’ils existaient réellement ?

La Bible fait aussi allusion aux « demi-dieux », fruit des rapports sexuels
entre des dieux et des femmes terrestres. C’est une question délicate puisqu’il
n’existe qu’un seul dieu selon ce même livre ! Cependant, moi, je peux me
permettre d’analyser les idées fantastiques et logiques concernant l’existence
éventuelle de l’Atlantide. Étaient-ce les créations du dieu biblique, les anges,
qui n’auraient pas pu résister aux charmes de nos femmes préhistoriques ?
Comment notre dieu si pudique pouvait-il fermer les yeux devant une telle
débauche, lui qui fut si sévère avec Adam ? Ses anges auraient dû montrer
une vie exemplaire ! S’ils n’étaient pas ses fils, existait-il plusieurs dieux,
contrairement à notre croyance monothéiste ? Étaient-ce les dieux de la
mythologie grecque ? Qui les avait créés ? D’où venaient-ils, comment
arrivèrent-ils sur notre Terre ? Sont-ils tombés du ciel ou venus d’une autre
planète ?

Comme nous ne pouvons pas répondre à ces questions avec nos


connaissances actuelles, il est inutile de les poser. Étudions donc plutôt les
éventualités explicables. Ne rêvons pas des connaissances surnaturelles des
habitants de l’Atlantide (même si elles pouvaient exister !) ni de leur
perfection, qui ne pouvaient pas empêcher leur disparition. Essayons
d’imaginer qu’ils existaient réellement et qu’ils réussirent à transmettre une
partie de leurs connaissances aux descendants des hommes préhistoriques sur
les continents occidentaux et orientaux. Les légendes des Amérindiens et les
constructions similaires de la même époque en Amérique, en Égypte et en
Mésopotamie, confirmeraient cette possibilité. Cependant, pour pouvoir
l’admettre, il faut trouver une explication logique à la disparition de
l’Atlantide.

Depuis les Açores, vers le sud, à égale distance entre l’Afrique et les
Amériques, la profondeur de l’océan est limitée à quelques centaines de
mètres, sur plusieurs milliers de kilomètres. On peut imaginer aisément ici
l’Atlantide engloutie. Cependant, cette profondeur est encore trop grande
pour pouvoir l’expliquer avec la remontée du niveau des eaux au cours des
périodes de réchauffement de la Terre (maximum 120 m !) ou par une grande
éruption volcanique.
Un énorme glissement terrestre est imaginable, mais ce phénomène
n’aurait pas pu faire disparaître l’Atlantide en quelques heures et beaucoup de
ses habitants auraient pu se sauver pour repeupler les terres lointaines.
La chute d’une grande météorite aurait pu détruire l’Atlantide en quelques
minutes, sans laisser le temps à ses habitants de se sauver. Seuls quelques
voyageurs éloignés au moment de la catastrophe auraient pu survivre sur des
terres lointaines.

Ces deux dernières possibilités sont acceptables.

Le regroupement des Hongrois dispersés

Dès le départ de la Mésopotamie, les ancêtres des Hongrois se dispersèrent


dans toutes les directions. Peut-être, partirent-ils trop tôt, sans être encore
bien soudés. Partant plus tard, ils auraient pu rester ensemble. Mais on ne
peut pas changer l’histoire.

Comme je l’ai déjà dit, depuis le grand départ de la Mésopotamie, il y a


plusieurs dizaines de milliers d’années, de nombreux groupes se séparèrent
systématiquement durant la migration. Comme c’était arrivé au moment de la
naissance des groupes ethniques et des familles de langues, on ne peut pas
prétendre avec certitude que c’étaient des Hongrois, mais on ne peut affirmer
le contraire non plus.
Qui sont réellement les Hongrois ? Quelles sont les caractéristiques qui les
différencient des autres peuples et qui les réunissent ? Il est difficile d’y
répondre, car il y a plus de contradictions que de points communs entre eux.
Reste peut-être leur langue, mais au cours de leurs errances elle évolua
beaucoup sous l’influence des peuples voisins. J’espère découvrir un jour ce
qui les différencie des autres peuples, souvent beaucoup plus brillants, mais
disparus définitivement de l’histoire, alors que les Hongrois, peuple simple,
survécurent à toutes les catastrophes et en sortirent renforcés.

Au début, on ne prit pas au sérieux les détachements systématiques de


nombreuses tribus, partout où ils passèrent. Le nombre des tribus
« détachées » paraissait insignifiant, mais en réalité, leurs membres étaient
très nombreux et ils représentaient la « minorité active », si l’on peut parler
de minorité. Ils étaient plus dynamiques et plus actifs que les membres du
groupe principal. Bien sûr, ils se retrouvèrent plus tard, lors de leurs
« errances », et purent se réunir à nouveau… Je suis obligé d’accepter leur
histoire racontée par des historiens, qui n’est pas obligatoirement fidèle à la
réalité.
On peut dire qu’il n’existe pas un autre peuple au monde qui fut aussi
dispersé que les Hongrois et qui put se réunir à nouveau, après des milliers
d’années de séparation.

Durant des milliers d’années, on peut imaginer la migration d’un groupe


important à travers l’Europe, puis le long de l’Oural, mais on ne peut pas
supposer que, parallèlement, d’autres Hongrois, beaucoup plus nombreux,
parcouraient le Sud de l’Europe et de l’Asie. En effet, beaucoup vivaient et
vivent encore dans des pays lointains
J’essaie donc de résumer ce que l’on racontait sur eux, sans garantir la
vérité.

Dès le début du grand départ de la Mésopotamie, de nombreuses tribus


restèrent et évoluèrent sur place. Parmi elles, il y avait aussi des
« Hongrois », qui vivaient et évoluaient avec elles, tout en conservant leur
identité. Les récits les concernant sont exagérés et douteux. Selon certains,
c’étaient des cousins des Sumériens, voire même leurs ancêtres (!), donc les
fondateurs de la civilisation mésopotamienne. Après la chute et la disparition
des Sumériens, ils remontèrent vers le Caucase, où ils vécurent, mélangés,
avec leurs cousins lointains, Scythes, Parthes puis Huns. En suivant ces
derniers, ils allèrent jusqu’au bassin des Carpates, où ils s’installèrent
définitivement avant les « Hongrois d’Árpád ».

Voulant rester fidèle à la réalité, je ne fais qu’évoquer cette éventualité


sans preuve historique.

D’autres tribus, effrayées par les monts du Caucase, les contournèrent au


sud vers l’ouest ou vers l’est. Les premiers s’installèrent dans le bassin des
Carpates, avec leurs cousins sumériens. Ils y restèrent définitivement, alors
que les Sumériens retournèrent en Mésopotamie après le déluge !
On en dit un peu plus des tribus parties vers l’est. Leurs membres étaient
les ancêtres communs des Hongrois et des Sumériens. Encore des
Sumériens ! On veut vraiment les associer… Ils migrèrent jusqu’à l’Inde où
ils cohabitèrent durant des milliers d’années avec des tribus venues du nord,
de la région de Touran, située à l’est de la mer d’Aral. On suppose qu’avec
des Dravidiens et des Indo-européens, ils furent les fondateurs des
civilisations de l’Indus, puis de la Mésopotamie. En effet, il est connu que ces
civilisations furent apportées par les peuples venant de l’est.
Les Indo-européens, les plus connus, peuplèrent le Sud de l’Asie, puis
l’Europe. Ils n’avaient aucun point commun avec les Hongrois. Leur
civilisation est la plus récente et continue à exister encore.
La civilisation dravidienne est (probablement) la plus ancienne. Sa langue
est encore parlée en Inde. Elle se développa dans la vallée de l’Indus durant
des milliers d’années. Selon certains, elle fut aussi à l’origine de la
civilisation mésopotamienne. Toutefois, c’est peu probable, car seuls les
Sumériens, inventeurs de l’écriture cunéiforme, plus de 4 000 ans avant notre
ère, y laissèrent des traces écrites. Il est sûr et certain que les Hongrois ne
faisaient pas partie des Dravidiens.
En revanche, comme on n’a jamais pu connaître la famille de langues des
Sumériens, il est facile de prétendre qu’ils étaient les cousins des Hongrois.
Personne ne peut ni le confirmer, ni l’infirmer. Il est toutefois possible que
ces deux peuples aient migré ensemble vers l’est, évitant les monts du
Caucase.

Selon d’autres, les ancêtres des Hongrois vécurent dans la région de


l’Indus durant des milliers d’années. C’est là qu’ils connurent leurs cousins
proches, les Scythes de l’Est, les Parthes et les Huns blancs. Ils suivirent
ensuite les Parthes vers l’est, pour s’installer dans le Caucase où, plus tard, ils
retrouvèrent les autres Hongrois venant du sud de l’Oural. Ce pays provisoire
des Hongrois réunis s’appela Lévédie.

Quelques tribus remontèrent vers le nord, jusqu’à l’Oural, où elles purent


rencontrer les Hongrois qui y vivaient. Il est aussi possible que d’autres tribus
hongroises ayant franchi les monts de Caucase partirent vers l’est, après
quelques milliers d’années de « repos » sur place.
En ce qui concerne notre « cousinage » avec les Sumériens, il n’est pas
impensable, puisque les chemins des deux peuples se croisaient ou étaient
communs quelquefois. N’oublions pas que les ancêtres des Hongrois
connaissaient aussi l’écriture cunéiforme, proche de celle des Sumériens et,
dans les tablettes sumériennes, on en aurait trouvé qui parlent des Hongrois
ou utilisaient des mots hongrois.

Reprenons les différents trajets des tribus hongroises. La première grande


fusion eut lieu entre le sud de l’Oural et le nord de la mer d’Aral, dans le
premier pays des Hongrois, entre les tribus qui descendaient du nord et
celles de l’Asie du Sud, du Touran, il y a un millier d’années avant notre ère.
Ce fut un évènement très important, puisqu’il s’agissait de deux cultures très
différentes, mais complémentaires. Les Hongrois descendant du nord étaient
des nomades éleveurs, pêcheurs et chasseurs, alors que ceux du sud étaient
des soldats et des agriculteurs. Seuls leurs gènes et leur langue étaient
communs, permettant une entente parfaite entre eux.
On ne peut pas prétendre que l’ensemble des Hongrois du Touran participa
à cette fusion, puisqu’ils étaient très dispersés dans toute la région. Bien
avant cette fusion, de nombreuses tribus migraient déjà vers le sud et
s’installèrent en Bactriane, où elles trouvèrent aussi des Hongrois vivant
parmi les Dravidiens et les Aryens, sans être absorbés par eux. La majeure
partie de ces Hongrois se déplaçait lentement vers l’ouest, à travers la Perse,
jusqu’au Caucase, où plus tard, elle retrouva en Lévédie les autres, venant de
l’est. Peut-être avaient-ils des relations avec des Sumériens au moment où ces
derniers abandonnèrent la Mésopotamie, avant de disparaître de l’histoire.

Au VIe siècle avant notre ère, les Hongrois unifiés dans leur premier pays,
déjà trop nombreux pour pouvoir y rester, se déplacèrent vers l’ouest, où ils
fondèrent leur nouveau pays, Magna Hungaria, entre l’Oural et la Volga. Ils
y restèrent durant 1 000 ans puis, poussés par des peuples se déplaçant de
l’est vers l’ouest, eux aussi, ils partirent vers l’ouest. Plus tard, ils s’arrêtèrent
au nord du Caucase, en Lévédie, où ils restèrent près de 2 siècles. Ils purent y
rencontrer d’autres tribus hongroises arrivées de la Perse.

On peut dire qu’à la fin de l’Antiquité, la grande boucle se referma à


l’endroit même où, il y a des milliers d’années (voire des dizaines de
milliers d’années), les quelques tribus hongroises se dispersèrent pour
parcourir le monde. C’est ici qu’ils devinrent vraiment très nombreux,
formant un grand peuple homogène après leur longue errance à travers
l’Europe et l’Asie.
Mais la petite Lévédie, trop exposée aux flux migratoires, ne pouvait être
qu’un pays provisoire pour ce grand peuple.

Les routes des Hongrois dans l’Antiquité

Je dois dire quelques mots des peuples célèbres côtoyés durant leur
errance, des Scythes, des Huns, des Avares, des Khazars, etc. qui eurent
une grande influence sur les Hongrois. Certains n’étaient que des voisins,
d’autres des « cousins » plus ou moins éloignés. Ils appartenaient tous à la
même famille de langues ouralo-altaïque, facilitant l’entente dans la
cohabitation. Souvent, les Hongrois minoritaires étaient sous leur domination,
mais ils survécurent à tous ces peuples, même aux puissants Scythes, Huns et
Khazars, qui disparurent ensuite de l’histoire. Certains furent même absorbés
par les Hongrois. Depuis l’Oural, les Hongrois suivirent souvent le même
chemin qu’eux, jusqu’au bassin des Carpates, où ils s’établirent plus tard
définitivement.

En étudiant bien leur passé, je pense que ce qui caractérise vraiment


les Hongrois, c’est leur grande faculté à surmonter tous les malheurs,
catastrophes et coups durs de l’histoire. Ils ne s’avouèrent jamais
vaincus et gardèrent toujours leur identité.

Questions sans réponse

Je parcourus brièvement l’histoire de monde entier et je connus beaucoup


de pays merveilleux. Mais la Mésopotamie eut ma préférence car elle était
bien plus que merveilleuse. Elle était divine et mystérieuse. Elle me fascina et
j’ai envie de dire qu’elle fut le centre de gravité de l’humanité, le lieu de sa
naissance et de sa purification. Depuis la préhistoire, tous les peuples
transitèrent par ce pays avant de se disperser dans le monde entier. On
pourrait dire plutôt qu’ils partaient de là. En effet, des tribus d’hommes
préhistoriques primitifs arrivés d’Afrique, après des milliers d’années
d’évolution sur place, repartirent de là pour explorer le monde. Je ne prétends
pas que la Mésopotamie est le lieu unique de l’évolution de l’homme
préhistorique, mais je peux dire qu’elle fut le berceau de sa civilisation.

Comment expliquer que de nombreux peuples revinrent en Mésopotamie,


après des milliers d’années d’errance sur des terres lointaines ? Je pense ici
aux « peuples d’Asie » venant de l’est, qui envahirent périodiquement la
Mésopotamie. Ces cruels sauvages, une fois sur place, après quelques
massacres habituels, s’y installèrent, adoptèrent la culture locale et devinrent
« civilisés ». Assagis, ils contribuèrent tous à la grandeur de la Mésopotamie.

Comment expliquer cette transformation incroyable ? On peut citer les


Hyksos, Hourrites, Hittites, Kassites, Élamites, Assyriens, etc. Même les
Scythes guerriers devinrent de sages cultivateurs au Caucase, après leur
passage rapide en Mésopotamie. Quel effet miraculeux !

J’aurais dû commencer par les Sumériens, les premiers « revenants ».


Inventeurs de l’écriture cunéiforme, ils furent à l’origine de la civilisation
mésopotamienne plus de 4 000 ans avant notre ère. Quel peuple savant et
mystérieux ! D’où venait leur connaissance extraordinaire ? Je les ai laissés à
part puisqu’ils ne revenaient pas en Mésopotamie pour se « purifier », mais
pour y instaurer leur civilisation. Leur rôle ayant été accompli, ils disparurent
de l’histoire trois milliers d’années plus tard.
Il y a aussi le grand mystère de l’Asie centrale, le centre du « grand
tourbillon humain », à l’est de la mer d’Aral (appelé aussi Touran par
certains historiens), où gravitaient tous ces peuples guerriers en attendant leur
tour de s’en détacher, pour se ruer vers l’Occident, pillant et dévastant tout
sur leur passage. Comment expliquer ce comportement invraisemblable ?

Il y a aussi des questions scientifiques, comme le secret de la construction


des pyramides (pratiquement à la même époque !) et d’autres monuments
gigantesques en différents points du monde, ou les calculs astrologiques, dès
le début de l’Antiquité, mais on peut les attribuer à l’esprit inventif de
l’homme. Je ne les classe donc pas dans la catégorie de mes mystères, qui
dépassent la dimension et la créativité de l’homme.

Revenons aux questions concernant la Mésopotamie, terre mystérieuse.


Selon la Bible, tous les grands évènements de la genèse (l’Éden, le déluge
avec l’arche de Noé, la tour de Babel, le départ d’Abraham d’Ur) se situèrent
en Mésopotamie. Comme le hasard n’existe pas, il faut admettre une raison
surnaturelle. Tant qu’il y a des mystères, l’homme doit croire à l’existence
d’un créateur universel, seul détenteur de tous les secrets et de toute la vérité.
LE MOYEN ÂGE

INTRODUCTION

Dans les chapitres précédents, qui se terminent à la fin de l’Antiquité


(chute de l’Empire romain en 476), je me suis demandé pourquoi les
historiens avaient choisi cette date pour le passage au Moyen Âge. En
commençant l’histoire du Moyen Âge, je m’aperçois qu’avec la chute de
Rome, une nouvelle Europe est née, avec une nouvelle civilisation et avec de
nouveaux problèmes, inconnus jusqu’à la fin de l’Antiquité. Bien entendu, le
changement fut progressif, mais il débuta bien avec la chute de Rome. Les
grandes invasions cessèrent petit à petit. Les peuples « barbares » installés en
Europe adoptèrent les coutumes, la culture et la religion de Rome. Les
nouveaux États devinrent tous chrétiens. Malheureusement, cette nouvelle
religion devenue obligatoire, contrairement à la liberté des cultes de
l’Antiquité, interdisait toute autre croyance, au risque de subir des peines
sévères, voire la torture et la peine capitale.

Comme nous le verrons plus loin, on pourrait appeler le Moyen Âge


aussi l’âge des religions, puisqu’il fut marqué par la propagation et la
confrontation des nouvelles religions monothéistes.

Mais n’anticipons pas. Je commence d’abord par la fin des grandes


invasions européennes.

J’ai déjà parlé des Wisigoths, qui envahirent Rome en 410, sans toutefois
y rester. Puis arrivèrent les Ostrogoths, qui mirent fin à l’empire
définitivement en 476.
Entre les deux, les Vandales aussi envahirent Rome en 455, mais sans s’y
installer. Ils poursuivirent leur chemin jusqu’à l’Afrique du Nord. Arrivèrent
ensuite les Lombards qui s’installèrent dans la plaine du Pô en 568, chassant
les Goths. Presque en même temps, les Avars s’installèrent dans le bassin des
Carpates, après avoir chassé les Gépides. Après eux, il fallut attendre plus de
2 siècles pour voir arriver les Normands, les Vikings et les Varègues.

Au début du Moyen Âge, la plus grande partie de l’Europe était partagée


entre trois grands royaumes : les Wisigoths occupaient l’Espagne, les Francs,
l’Europe occidentale et les Avars, le bassin des Carpates. On peut noter que
seul le royaume des Francs resta durable dans l’histoire. Il devint grand et
puissant sous Clovis Ier, de la dynastie mérovingienne, qui écrasa l’armée
romaine de Gaule en 486, les Alamans en 496, puis chassa les Wisigoths en
507. Il se fit baptiser en 498, puis fonda l’Église catholique de Gaule. Après
sa mort en 511, ses fils continuèrent la conquête de l’Europe occidentale pour
agrandir le royaume.

L’Italie fut occupée par les Ostrogoths durant des dizaines d’années. Ils
furent chassés en 553 par Justinien, empereur de l’Empire romain d’Orient
(appelé Byzance) qui voulait rétablir le grand Empire romain du passé. Il
reprit même le territoire des Vandales en Afrique du Nord en 554.

Ce furent les principaux évènements historiques en Europe au début du


Moyen Âge. Mais il faut parler aussi de deux grandes puissances de l’Asie
qui ont joué un rôle important dans l’histoire mondiale, l’Empire turc en Asie
orientale et l’Empire perse des Sassanides. Je devrais citer aussi l’empire de
Chine, dont l’élargissement fit éclater plus tard l’Empire turc, provoquant de
nouvelles invasions vers l’ouest.

L’ORIGINE DE L’ISLAM

L’islam, religion monothéiste, née au début du VIIe siècle, se propagea à


une vitesse inexplicable au sud de l’Asie et en Afrique du Nord, d’où il passa
en Espagne.
Avec notre mentalité occidentale, nous ne pouvons pas comprendre les
raisons de son immense succès, mais chez les peuples pauvres et fanatiques,
l’islam devint une raison d’être. Au nom d’Allah, ils couraient aveuglément
vers la mort, qui était une rédemption pour eux après les souffrances de la vie
terrestre. L’islam était une nouveauté, sans pouvoir central, sans prêtre
supérieur. Dans ces conditions, dès la mort de son fondateur Mahomet,
différentes interprétations du Coran s’opposèrent et leurs guides
s’entretuèrent. Mais en cas de guerre, tous les musulmans s’unissaient contre
les ennemis de l’islam.

Les bases et les règles de l’islam sont définies dans le Coran, livre dicté
par Dieu à Mahomet, que l’on peut interpréter de différentes manières. Les
savants (ulémas) et les guides de l’islam (muezzins) assuraient la formation et
la pratique de l’islam chez les adeptes. L’islam impose à ses fidèles cinq
prières quotidiennes et certaines privations annuelles de trente jours
(ramadan).
Avant de parler de la propagation de l’islam, je dois dire quelques mots sur
son origine.

Mahomet, fondateur de l’islam

Qui était Mahomet et comment devint-il le fondateur de l’islam, une des


plus grandes religions monothéistes (bientôt peut-être même la plus grande) ?

Je ne veux pas parler de sa vie privée durant sa jeunesse. Je rappelle


simplement que c’était un pauvre berger arabe, devenu conducteur de
caravane. Mais ayant épousé une veuve riche, beaucoup plus âgée que lui, il
pouvait vivre sans problème matériel. Même si la richesse ne l’intéressait pas,
elle lui était utile pour méditer librement, sans souci matériel.
Sa vocation lui arriva tardivement, à l’âge de 40 ans. Dégoûté de la
mauvaise vie de son entourage, il se retira dans une grotte, dans le désert,
pour méditer. Un jour, l’ange Gabriel apparut devant lui et le nomma
prophète en lui disant qu’il avait été choisi par Dieu, ou Allah, comme les
Arabes l’appellent, pour prêcher la nouvelle croyance aux tribus nomades. Il
resta retiré 12 années dans le désert, durant lesquelles Gabriel venait le voir
régulièrement pour lui dicter les recommandations d’Allah décrites dans le
Coran, livre sacré des musulmans. Quand il fut prêt, il alla à la Mecque pour
prêcher l’islam. Mais très vite, il fut chassé par les Arabes qui n’appréciaient
pas ses paroles et l’accusèrent d’agitation. Il dut fuir à Médine en 622. Cette
date fut choisie par les musulmans comme début de l’ère de l’islam.

Mahomet se disait le dernier prophète et considérait Jésus comme l’avant-


dernier. Selon l’islam, il n’existe qu’un seul Dieu, Allah, invisible et
inimaginable. On ne peut donc le représenter ni en image, ni en statue. Il est
le Créateur de l’Univers et de l’humanité, avec qui il n’a que des relations
spirituelles. Jésus ne pouvait donc pas être son fils, mais seulement son
prophète, comme Moïse et lui-même, Mahomet. Il admit le judaïsme et le
christianisme, mais comme religions démodées, réactualisées par l’islam.
Comme les deux autres au départ, l’islam défendait et protégeait les pauvres.
Les mauvais devaient aller aux enfers, tandis que les bons pouvaient monter
au ciel, où des jeunes filles vierges les attendaient. Toutefois, on ne dit pas ce
qui attend les femmes au ciel, sinon leurs maris…

L’islam (comme le christianisme) accepta tout le monde en son sein. Tous


ses adeptes, pauvres et riches, étaient égaux. Il n’avait pas besoin de
cathédrales pour prier, ni de prêtres hiérarchisés pour encadrer ses fidèles.
Les adeptes lettrés, les guides, lisaient et enseignaient le Coran, selon lequel
on devait vivre sans pécher et respecter les règles principales de l’islam : la
prière rituelle cinq fois par jour, en se tournant vers la Mecque, le jeûne du
ramadan, le pèlerinage à la Mecque et l’aumône rituelle.
L’islam eut un immense succès chez les Arabes, rejetés par les juifs et par
les chrétiens. La plupart des tribus nomades le rejoignirent. Grâce à l’islam,
Mahomet obtint l’unité de ces nomades arabes, ce qui était impensable
jusqu’alors. Dès qu’il les sentit assez forts, il proclama la guerre sainte
contre les infidèles. Il disait que celui qui mourait en se battant pour l’islam,
arrivait directement aux Paradis, où 70 vierges l’attendaient pour le
récompenser. Cette croyance les rendit fanatiques. Ils voulaient tous mourir
en guerre, puisque la terre ne leur offrait que des souffrances et de la misère.
En 630, victorieux, Mahomet retourna à la Mecque, qui devint la capitale de
l’islam. Il mourut en 632. La poursuite de son œuvre fut assurée par ses
successeurs (califes), membres de sa famille.

La propagation de l’islam

Après la mort de Mahomet, la propagation de l’islam fut très rapide et


pratiquement sans obstacle. Abu Bakr, un de ses beaux-pères, fut son premier
successeur, mais il mourut très vite. Il fut remplacé par le premier gendre de
Mahomet, puis par le deuxième, Ali (après sa mort), dont les adeptes, les
chiites, ne reconnaissent que ses descendants comme imams, chefs de
religion.

Les premiers affrontements entre les adeptes d’Ali et de ses adversaires


commencèrent déjà avant la propagation de l’islam. Ces derniers fondèrent la
dynastie des Omeyyades en 661 (après l’assassinat d’Ali), dont la capitale
était Damas. Les Omeyyades régnèrent durant un siècle sur le monde
musulman, de plus en plus grand. Sous leur règne, en un siècle, l’islam
conquit l’Empire des Perses, l’Asie Mineure, l’Égypte, l’Afrique du Nord et
l’Espagne. Il fut toutefois arrêté par Charles Martel à Poitiers, en 732 et
repoussé jusqu’à l’Espagne. Sa propagation rapide fut facilitée par la
nouvelle politique du christianisme qui, imposé par les détenteurs du pouvoir
partout en Europe, oublia ses principes, abandonna les pauvres et méprisa les
Arabes. L’islam admit toutes les religions sur ses territoires, sans les
persécuter. Toutefois, il fit payer de lourds impôts aux non musulmans, alors
que tous les musulmans en étaient dispensés. Cet avantage matériel attira
aussi pas mal d’adeptes.

La dynastie des Omeyyades fut renversée en 750 et remplacée par celle des
Abbassides, dont Bagdad devint la capitale. Le règne des Abbassides dura
plusieurs siècles. L’islam gagna encore du terrain en Asie centrale, où les
Turcs, chassés par l’empire chinois, devinrent tous musulmans (ceci posa des
problèmes plus tard, car les Turcs aussi voulaient prendre le pouvoir). Au
nord toutefois, Byzance, aidée par les Khazars, résista à l’islam.
La culture des Abbassides fut aussi célèbre que leur puissance. Leurs
savants et artistes devinrent mondialement connus. Nous devons aussi à leurs
historiens une bonne connaissance de l’histoire du Moyen Âge.
Je devrais parler ici brièvement de la naissance et de la propagation de
l’islam, juste pour le faire connaître et pour montrer son importance dans
l’histoire. Mais plus loin, j’aurai encore souvent l’occasion d’en parler en
détail.

L’EMPIRE DES KHAZARS


On commença à parler au Ve siècle des tribus de Khazars installées dans les
régions du Caucase, appartenant à la branche turque des familles de langues
ouralo-altaïque. Ces Khazars durent venir de l’Asie centrale, poussés par les
flux migratoires. Ils s’installèrent entre les mers Caspienne et Noire et y
vécurent durant plusieurs siècles. Au début, les Khazars furent des vassaux
des Huns, puis progressivement, ils prirent le pouvoir. Ils pillèrent
régulièrement les peuples voisins au nord, mais entretinrent toujours de
bonnes relations avec l’empire byzantin. On pourrait même dire qu’ils
assuraient sa frontière de l’est contre les invasions. La victoire des Byzantins
contre les Perses ne fut possible que grâce à l’aide des Khazars. Après cette
défaite, les Perses furent aussi battus par les Arabes musulmans en 642.
L’empire des Perses cessa d’exister et son territoire devint celui des
Omeyyades.

À la fin du VIe siècle, l’empire turc d’Asie centrale éclata en deux parties.
La partie orientale tomba sous la domination chinoise, mais la partie
occidentale, encore puissante, qui s’étalait vers l’ouest, absorba ou prit sous
sa domination les peuples de son immense territoire. Les Khazars aussi furent
ses vassaux durant quelque temps. Cependant, ce territoire était trop grand et
trop hétérogène pour pouvoir être gouverné longtemps sous cette forme.
Profitant de son affaiblissement, Kouvrat, chef des tribus bulgares, proposa
une coalition aux tribus hongroises et hunniques, se libérant ainsi de la
domination turque. Selon certains historiens, Kouvrat fut le dernier chef de la
dynastie des Huns, descendant direct d’Attila. Durant ses dizaines d’années
de règne, Kouvrat se battit souvent contre les Arabes qui envahissaient le
Caucase.
Après la mort de Kouvrat en 670, son royaume fut partagé entre ses fils qui
ne pouvaient pas garder sa cohésion et sa puissance. Les Khazars profitèrent
de l’occasion pour prendre le pouvoir, tout en laissant l’égalité et
l’indépendance des peuples de leur immense territoire, assurant ainsi la paix
interne. L’empire des Khazars devint très puissant, pouvant résister à toutes
les attaques venant de l’est ou du sud. On peut dire que l’Europe leur doit sa
chrétienté, car sans l’aide des Khazars, Byzance n’aurait pas pu empêcher
l’invasion musulmane.
Dans la deuxième moitié du VIIe siècle, trois grandes puissances se
partageaient le sud-est de l’Europe : les Byzantins chrétiens, les Omeyyades
musulmans et les Khazars, qui tolérèrent toutes les croyances sur leur
territoire. Byzance propageait pacifiquement le christianisme chez ses
voisins, sans toutefois obtenir de résultats chez les Khazars qui, pourtant,
furent ses alliés fidèles contre les musulmans. Les chrétiens et les musulmans
se battaient pour leurs religions, alors que les Khazars défendaient
l’indépendance de leur territoire. Le khagan des Khazars avait bien compris
qu’en optant pour l’une ou l’autre religion, il perdrait automatiquement son
indépendance. En effet, Byzance (Constantinople) était le centre de la
chrétienté orientale, dont le chef religieux était l’empereur, et Bagdad, celui
de l’islam, dirigé par le calife. Le khagan aurait été le vassal volontaire de
l’un ou de l’autre, malgré sa puissance.
Dans son empire hétérogène, toutes les tribus étaient égales et
indépendantes, libres de choisir et de pratiquer n’importe quelle religion. Le
khagan n’imposait que le pouvoir central, qui protégeait toutes les tribus de
son territoire, dirigées par leurs propres chefs. Ces tribus étaient dispersées,
sans former d’État ou de nation homogène.

Il faut préciser la différence entre tribu, peuple et nation.

Historiquement, on peut appeler tribu une grande famille de quelques


milliers, voire de dizaines de milliers de personnes, dirigées par un patriarche,
choisi comme chef par l’ensemble des membres. En principe, ces membres
ont la même origine et parlent la même langue.
On appelle peuple ou nation un ensemble de plusieurs tribus, même de
diverses origines, ayant accepté de vivre ensemble selon des règles et les lois
de leur communauté. Leur chef peut-être appelé khan, khagan, roi, calife ou
empereur, selon le titre qu’on lui donne.
Cette explication était nécessaire pour comprendre la structure de l’empire
des Khazars.

En parlant des Khazars, nous pensons à l’ensemble de tribus de même


origine fondatrices de l’empire. Or, cet empire était peuplé aussi d’un grand
nombre de tribus étrangères ayant accepté la domination de la minorité de
Khazars. En effet, afin de peupler leur immense empire et d’assurer ses
frontières, les Khazars y acceptaient tous les peuplades nomades et fuyardes
qui se soumettaient à l’autorité du khagan et payaient leurs contributions. En
contrepartie, ils pouvaient y vivre en paix et bénéficiaient de la protection du
khagan. Ainsi, parmi la population de l’empire des Khazars, on pouvait
trouver des Hongrois, des Huns, des Bulgares, des Slaves, des Sabirs, etc.,
vivant en tribus dispersées.

Les Khazars vivaient selon les coutumes des peuples d’Asie, mais ils
étaient aussi influencés par la culture byzantine. Ils bâtirent des villes avec
des bâtiments luxueux, en pierre et en brique, à l’aide des architectes
byzantins, mais où ils n’habitaient qu’en hiver. En été, seuls les chrétiens, les
juifs et les musulmans (commerçants, artisans) restaient en ville. Les Khazars
préféraient vivre dans les steppes, sous les tentes, près de leurs dieux de la
nature. Leur célèbre capitale, Sarkel, fut construite au coude du Don.

Ils appelaient khagan leur chef. En réalité, ils avaient toujours deux
khagans. Le Grand Khagan était leur chef suprême, vénéré comme un dieu.
Seuls les hauts dignitaires étaient autorisés à entrer dans sa chambre, pieds
nus et tête baissée. Il devait avoir officiellement 25 épouses, gardées chacune
par un eunuque personnel. Il quittait rarement son palais, mais toujours
accompagné par un cortège grandiose. Il était le juge suprême, il gérait les
affaires de son empire et organisait son armée. Il avait un pouvoir illimité. Il
conduisait son armée en cas de guerre. Aucun soldat ne pouvait reculer sur le
champ de bataille, sous peine de mort. Même sa famille devait être punie.
Cependant, son règne ne pouvait pas dépasser 40 années. S’il ne mourait pas
avant, on devait le tuer. C’était la tradition des Khazars, que d’autres peuples
d’Asie pratiquaient également.
Le deuxième était appelé simplement khagan ou khagan-beh. Il devait
s’occuper des affaires courantes de l’empire et en informer tous les jours le
Grand Khagan.

Je dois parler aussi du judaïsme des Khazars, qui fut un évènement


unique dans l’histoire et fut pratiquement inexplicable. Au début du
VIIe siècle, à l’âge d’or de l’empire, le Grand Khagan se convertit au
judaïsme, avec tous ses hauts dignitaires, sans toutefois l’imposer à son
peuple, libre de pratiquer la religion de son choix. Ce qui fut
incompréhensible, c’est que jusqu’alors, il fallait naître juif pour appartenir
au peuple élu de Dieu ! Comme les juifs étaient persécutés par les chrétiens et
méprisés par les musulmans dans le monde entier, ils arrivaient en masse
dans l’empire des Khazars, où toutes les croyances devaient cohabiter en
paix. La conversion des Khazars au judaïsme et l’existence d’un empire
judaïque était probablement une question de survie pour les juifs. Mais elle
mit fin à la notion de « peuple élu ». Quelques siècles plus tard, on ne pouvait
plus faire la différence entre juifs d’origine et juifs convertis.
Les historiens donnent deux explications à cet évènement.

Selon certains, suivant l’exemple de ses voisins, le Grand Khagan voulut


aussi choisir le monothéisme. Il invita donc dans son palais des hauts
dignitaires juif, chrétien et musulman pour faire connaître leurs religions. La
balance pencha en faveur du rabbin, qui aurait embrouillé le prêtre naïf avec
ses questions rusées. Quant à l’uléma, il n’arriva jamais (selon les mauvaises
langues, il fut capturé et tué par les juifs !).

La deuxième explication est plus crédible. Le Grand Khagan aurait choisi


le judaïsme pour assurer son indépendance. En effet, le judaïsme n’était
qu’une religion monothéiste, sans État juif, qui ne présentait donc aucun
danger pour l’empire, tandis que le christianisme et l’islam dépendaient
respectivement de Byzance et de Bagdad. On peut aussi imaginer qu’il ne
voulait pas déséquilibrer les forces entre les deux grandes puissances en
adhérant à l’une ou à l’autre religion. Leur guerre sans fin les affaiblissait vis-
à-vis de l’empire des Khazars, qui devenait de plus en plus puissant.

Le choix des Khazars ne changea rien à la structure et aux coutumes de


leur empire. La pratique de toutes les croyances resta libre, sans aucune
discrimination. Dans les grandes villes, on trouvait côte à côte les églises
chrétiennes, les mosquées musulmanes et les synagogues juives. Un seul
incident perturba cette cohabitation pacifique, beaucoup plus tard, lorsqu’à
Sarkel, les musulmans attaquèrent la synagogue. Le khagan riposta
immédiatement en démolissant leur mosquée, pour les punir.

Je dois dire aussi quelques mots des Hongrois qui, après la mort de
Kouvrat et l’éclatement de l’État de la coalition des tribus, vécurent dispersés
dans l’immense empire. On peut dire qu’ils furent les meilleurs alliés des
Khazars, qu’ils protégèrent contre les envahisseurs du nord et de l’est. À cette
époque, on ne pouvait pas parler de nation hongroise puisqu’il existait peu de
liens entre les tribus dispersées. Les historiens de l’époque ne parlaient même
pas des Hongrois ou des Magyars puisqu’ils les confondaient avec des Turcs.
Selon certains, ce fut le Grand Khagan même qui les réunit et les installa au
nord-ouest de l’empire au début du IXe siècle, contre les attaques des
Varègues. Il leur proposa même d’élire un khagan parmi eux, accepté par
toutes les tribus. Mais j’en parlerai plus tard en détail.

LE ROYAUME DES AVARS

L’origine des Avars est peu connue. Selon certains historiens ils avaient un
immense empire au nord de la Chine, appelé Jouan-Jouan, confédération de
peuples turcs. Au Ve siècle, leur territoire s’étendait de la Corée jusqu’à la
mer Caspienne. Les Turcs d’Orient faisant partie de l’empire se révoltèrent
contre les Avars en 552 et les chassèrent de leur territoire.
En quelques années, les Avars arrivèrent jusqu’en Europe. Au début, ils
errèrent dans les steppes, faisant régner la peur chez les peuples voisins, puis
ils proposèrent leur alliance à Byzance contre une rente annuelle. Byzance
accepta volontiers de payer pour assurer ses frontières du nord et pour
bénéficier occasionnellement de l’aide militaire des cavaliers avars
redoutables. Ses arrières assurés, Justinien pouvait partir tranquillement à la
reconquête de l’Empire romain. Il reprit d’abord Rome aux Goths, puis
l’Afrique du Nord. En quelques années, Byzance atteignit son âge d’or.
Justinien fit construire la merveilleuse basilique Sainte-Sophie de
Constantinople, qui comptait un million d’habitants. Les Avars, profitant de
la neutralité de leurs grands voisins, pouvaient piller tranquillement les
peuples européens. Cette alliance fut respectée jusqu’à la mort de Justinien en
565. Byzance payait chaque année 100 000 pièces d’or aux Avars qui, en
contrepartie, la protégeaient contre toute attaque de ses voisins.

Justin II, successeur de Justinien, se croyait suffisamment puissant pour


rompre l’alliance avec les Avars en refusant de payer le tribut annuel. Baïan
khagan, le chef des Avars, occupé par ses guerres à l’Occident, ne réagit pas
tout de suite à ce refus. Profitant du déplacement des Lombards vers l’Italie,
il écrasa les Gépides en 567 et envahit le bassin des Carpates. Il exigea
ensuite que Justin II lui cédât les territoires des Gépides des Balkans,
appartenant à Byzance. Le nouveau refus de Justin II déclencha plusieurs
années de guerre stérile entre les deux puissances puis, devant les succès des
Avars dans les Balkans, Byzance dut céder à leurs exigences.
Après la mort de Justin II, Tibère poursuivit sa politique hésitante durant
ses 4 années de règne. Il refusa quelquefois leurs exigences, mais finalement,
il dut payer.
Maurice, son successeur, rompit définitivement l’alliance avec les Avars,
provoquant ainsi une guerre de 20 ans, jusqu’à sa mort. Baïan ayant perdu
plusieurs de ses fils, devint cruel dans ses batailles, semant la terreur chez les
ennemis. Lorsque Maurice refusa de lui racheter les prisonniers de guerre,
Baïan en exécuta 12 000. Les Byzantins se révoltèrent contre Maurice et le
tuèrent en 602. Le vieux Baïan mourut pratiquement en même temps, après
40 années de règne et de guerres.

Comme leurs prédécesseurs les Huns, les Avars choisirent aussi la plaine
entre le Danube et le Tisza comme centre de leur royaume. Baïan, comme
Attila, faisait régner la terreur dans toute l’Europe. On le craignait et le
haïssait, alors qu’on admirait Attila, tout en le craignant. Attila pilla toute
l’Europe jusqu’à l’océan, mais Baïan devait se contenter du nord et de l’est,
car à l’ouest, l’union des États chrétiens lui résistait et le sud était sous
domination byzantine.
Malgré cette contrainte, les Avars amassèrent une immense fortune avec
les pillages des peuples voisins, à laquelle s’ajoutaient les 100 000 pièces
d’or du tribut annuel versé durant 40 ans par Byzance. Cependant, ils ne
laissèrent aucun vestige artistique après leur disparition, mis à part quelques
bijoux trouvés dans les tombes, mais qui pouvaient provenir de leurs pillages.
Nous verrons plus loin pourquoi.

Après la mort de Maurice et de Baïan khagan, les deux peuples voisins


vécurent en paix durant une vingtaine d’années. Puis les Perses s’allièrent
avec les Avars et avec les Huns du Caucase contre Byzance. Mais sans
attendre l’arrivée de leurs alliés, les Perses assiégèrent Constantinople, où ils
subirent une lourde défaite des Byzantins. Sans pouvoir participer à cette
bataille prématurée, l’armée des Avars retourna dans le bassin des Carpates.
Craignant une nouvelle attaque éventuelle des Avars, les Byzantins
installèrent des Slaves le long du Danube inférieur pour se protéger contre
leurs anciens voisins devenus dangereux à nouveau.
Beaucoup de Slaves arrivèrent également dans le bassin des Carpates, où
ils acceptèrent la domination et les coutumes des Avars, bien qu’ils fussent
plus nombreux. Ils leur fournissaient des soldats, qui apprirent rapidement à
se battre comme leurs maîtres. En même temps arrivèrent également d’autres
tribus de l’est, qui vivaient en confédération dans les steppes, jusqu’à la mort
de leur chef. C’étaient des Bulgares, des Huns de la Volga et même quelques
Hongrois. Les Bulgares, les plus nombreux, fondèrent leur royaume au sud
du pays des Avars. Quelques tribus bulgares s’installèrent même chez les
Avars, prétextant qu’ils étaient leurs « cousins » lointains. Sous l’influence de
Byzance, ils étaient déjà convertis au christianisme.
Ces changements perturbèrent profondément la paix dans le bassin des
Carpates. Lorsque le khagan successeur de Baïan mourut, les « cousins »
bulgares exigèrent que le nouveau khagan fût choisi parmi eux. Les Avars
refusèrent et écrasèrent les tribus bulgares révoltées. Après cette révolte, ils
durent rétablir l’ordre dans leur pays.
Après avoir réglé les problèmes internes, les Avars voulurent recommencer
leurs raids. Mais entre temps, les pays voisins s’étaient réorganisés. Byzance
avait repris sa domination à l’est et au sud-ouest, grâce à ses nouveaux alliés
khazars. Au sud, la puissance du jeune royaume bulgare devint dissuasive
pour les attaques éventuelles des Avars. L’ouest bien organisé laissait peu de
succès aux pilleurs. Seuls les pauvres voisins du nord pouvaient être encore
pillés en toute tranquillité. Les Avars proposèrent donc aux Bavarois une
alliance contre les Francs. Cette alliance échoua prématurément, car les
Francs écrasèrent presque aussitôt les Bavarois.

Les Avars se trouvèrent face à la puissante armée de Charlemagne. La


guerre entre les deux puissances dura plusieurs années et se termina avec la
défaite totale des Avars, dont l’armée décimée perdit presque tous ses chefs.
Le dernier khagan se fit baptiser afin de pouvoir intégrer son peuple dans
l’Europe catholique, mais il était déjà trop tard. Il n’obtint pas le pardon de
ses voisins pillés durant plus de 2 siècles. Le peuple avar se dispersa sur ses
anciens territoires et disparut de l’histoire. Selon les historiens de l’époque,
les Francs de Charlemagne se retirèrent du bassin des Carpates avec 15
chariots remplis d’or et d’argent, et installèrent des Bavarois en Pannonie, à
la place des Avars.

Certains historiens parlèrent de « culture avare », à cause des objets d’art


trouvés dans les tombes avares. Les Avars avaient des orfèvres habiles, mais
on peut supposer qu’il s’agissait surtout d’objets volés dans les pays pillés,
notamment à Byzance. Malgré leur règne de plus de 2 siècles, ils ne laissèrent
aucun vestige derrière eux dans le bassin des Carpates. Même leurs plus
grandes agglomérations centrales n’étaient que des villes de tentes. En
revanche, leur tactique militaire fit régner la terreur en Europe jusqu’à leur
chute finale. Comme leurs prédécesseurs Huns, ils pratiquaient la « fuite
chevauchée simulée », qui consistait à envoyer des flèches sur les
poursuivants euphoriques, tout en chevauchant devant eux. Ces derniers
aveuglés par leur « victoire » ne s’apercevaient même pas qu’en réalité les
« fuyards » les massacraient. Seule la supériorité écrasante de l’armée de
Charlemagne put mettre fin à la domination militaire des Avars, qui ne
pouvaient plus compter sur leurs vassaux slaves dans leur détresse.

L’Europe occidentale n’était habitée que par des peuples indo-européens


qui devinrent des ennemis communs des Avars. Que pouvaient faire les
quelques dizaines de milliers de cavaliers contre cette coalition écrasante ?
Les Avars devaient disparaître de l’Europe.

CHARLEMAGNE

J’ai déjà parlé de la fondation du royaume des Francs qui resta une grande
puissance en Europe durant des siècles. De son histoire, avant Charlemagne,
je ne cite donc qu’un seul évènement important, la victoire de leur maire du
palais, Charles Martel, contre les Arabes à Poitiers en 732. Cette victoire
fut vitale pour l’Europe chrétienne, puisqu’elle écarta définitivement
l’avancement de l’islam en repoussant les Arabes jusqu’à l’Espagne. Les
maires du palais régnaient alors véritablement sur le royaume franc à la place
des rois mérovingiens en pleine décadence.

Son successeur, Pépin le Bref, se fit élire roi à la place du dernier roi
mérovingien, fonda la dynastie des carolingiens et continua à renforcer son
royaume qui, selon la tradition des Francs, fut partagé entre ses deux fils
après sa mort en 768. Les deux héritiers, fils de Berthe au grand pied,
Carloman et Charles, se détestaient, compliquant ainsi l’entente entre les
deux États. Heureusement, la mort de Carloman en 771 mit fin aux hostilités
et permit à Charles de rester le seul roi.
Charles ne perdit pas son temps et, dès 772, lança la guerre contre les
Saxons. En 773, il courut à l’aide du pape Hadrien, menacé par les Lombards.
Toutes ses guerres furent couronnées de succès et les vaincus se convertirent
au catholicisme. En 781, il fit cadeau de l’Aquitaine et de la Lombardie à ses
fils Louis et Charles « le bossu ». En 788, il rattacha la Bavière à son
royaume, en représailles contre son alliance avec les Avars. Il entreprit
ensuite une longue guerre contre les Avars, marquée par trois grandes
victoires en 791, en 795 et en 796, sans toutefois envahir le bassin des
Carpates. Après la dernière défaite, le royaume avar cessa d’exister. Charles
installa des Bavarois en Pannonie, mais laissa la partie orientale de l’ex-
royaume aux Avars, qui y vécurent en principautés, jusqu’en 822. Plus tard,
on l’accusa d’avoir pillé le riche royaume avar. Mais à cette époque, le
pillage était une chose naturelle. N’oublions pas que le trésor des Avars était
aussi le fruit des pillages des peuples voisins.
À la fin du VIIIe siècle, Charles dut se battre durant 4 ans contre les Saxons
révoltés. Après sa victoire finale, il les dispersa dans son royaume pour avoir
la paix.
On pourrait énumérer longtemps ses victoires et ses conquêtes, mais elles
n’étaient pas les seules explications de sa célébrité et de sa grandeur. Il fut
aussi un politicien habile et intelligent. Il préférait les négociations à la
guerre, qu’il n’entreprit qu’en cas de nécessité. Il aurait pu se nommer
empereur, mais il préféra plutôt que le peuple et le pape lui proposent.
Après une révolte, le pape Léon III dut fuir Rome, cherchant asile chez
Charles. Au lieu d’une armée, celui-ci envoya une délégation pacifique pour
s’expliquer avec le peuple de Rome. Puis lorsqu’à son tour il arriva à Rome,
la foule le salua comme un dieu et demanda son couronnement en
« empereur auguste ». Le pape exauça la volonté du peuple en le
couronnant empereur de Rome le jour de Noël de l’an 800 et l’appelant
Charlemagne.
On peut dire qu’il faisait même le « travail » du pape. Il s’occupait aussi de
la gestion des affaires de l’Église et rendait justice. Il rendit obligatoires le
prêche systématique et l’éducation religieuse des enfants. On peut l’appeler
fondateur de l’école. Pourtant, dans sa jeunesse, il ne savait même pas écrire !
Peut-être est-ce ce qui l’a motivé à diffuser la culture.

Il régnait avec sagesse sur son empire. Il réactualisa les anciennes lois et en
créa de nouvelles. Il contacta l’impératrice Irène de Byzance et, selon
certains, il fut même question de mariage pour réunir les deux empires et
rétablir ainsi le grand Empire romain du passé. C’est peu probable, puisque
tous les deux tenaient à garder leur pouvoir et qu’il y avait aussi l’opposition
des deux religions chrétiennes. Ni le pape de Rome soutenu par
Charlemagne, ni le patriarche de Constantinople sous la tutelle d’Irène,
n’auraient accepté, sans parler des deux populations très croyantes.
Involontairement, il blessa même Irène.

À cette époque, Byzance avait déjà perdu ses colonies du Sud, y compris
Jérusalem, le berceau du christianisme, qui faisait partie du califat de Bagdad.
L’islam ne persécutait pas les chrétiens, mais les traitait avec mépris. Le
patriarche de Jérusalem demanda l’aide de Charlemagne qui conclut un acte
d’amitié avec le calife Haroun al-Rachid, qui lui confia même la gestion des
problèmes de la Terre sainte. Irène ne put jamais s’entendre avec le calife qui
lui ravit ses colonies.

Charlemagne fut aussi un grand et bel homme. On pourrait écrire des livres
sur ses conquêtes féminines qu’il ne cacha pas. On ne connaît pas le nombre
de ses maîtresses et de ses enfants. Officiellement, il avait 4 femmes, que
l’Église « ignora » et lui pardonna, puisqu’elle lui devait tout. La monogamie
obligatoire était la loi de l’Église et pas celle de Dieu. Or, l’empereur était la
loi !

Vers la fin de son long règne, il convoqua son fils Louis pour l’initier à la
gestion de l’empire. Après sa mort en 814, Louis lui succéda sur le trône.
Trois siècles plus tard, l’Église le béatifia. Il est intéressant de noter que
l’empereur et l’impératrice de la fin du VIIIe siècle furent tous les deux
canonisés. Si Charlemagne le méritait, ce n’était nullement le cas d’Irène !

L’EMPIRE BYZANTIN

Je dois parler aussi de Byzance que l’on ne peut pas séparer de l’histoire
des Hongrois. Les premières relations furent établies dans le cadre de
l’empire des Khazars. Avec le temps, ces relations devinrent amicales, voire
familiales. Les Hongrois et les Byzantins furent très rarement des alliés, mais
il n’y eut jamais de conflit sérieux entre eux, mis à part quelques histoires de
tribut sans importance, que Byzance avait l’habitude d’avoir avec ses voisins
« protecteurs ». Byzance, immensément riche, payait assez facilement ses
voisins directs pour obtenir leur aide militaire ou pour avoir la paix.
Il est important de signaler qu’une partie de l’histoire des Hongrois
précédant leur installation dans le bassin des Carpates, fut rédigée par des
historiens byzantins, même si ces derniers les appelaient « Turcs », en les
confondant avec les peuples voisins. À cette époque, il n’y avait pas de traces
écrites par des historiens hongrois.

Je n’ai pas l’intention de parler en détail de l’Empire byzantin, qui ne


disposa jamais durablement d’une puissance militaire justifiant l’appellation
d’« empire ». Je préfère l’appeler Byzance, tout simplement.
Au début du Moyen Âge, sous le règne de Justinien, Byzance devint un
grand empire pour quelques dizaines d’années, en reconquérant Rome et ses
anciens territoires occidentaux, voire africains. Mais ce ne furent que des
conquêtes éphémères. Toutefois, Byzance, même affaiblie, survécut
miraculeusement 10 siècles à la chute de Rome, malgré sa situation très
difficile. Comment l’expliquer ?

Byzance était très différente de Rome. Sa culture, sa religion et sa politique


furent très influencées par la Grèce. Elle n’imposa rien à ses voisins, qui
sollicitaient régulièrement son aide culturelle, mais avec ses artistes et
architectes, elle leur envoya aussi des missionnaires dévoués qui diffusèrent
pacifiquement et avec beaucoup de succès le christianisme, surtout chez les
Slaves. On peut remarquer que les chrétiens byzantins se libérèrent
rapidement de l’autorité du pape de Rome et choisirent leur guide religieux,
appelé « patriarche », parmi eux.
Les Byzantins étaient cultivés et bons politiciens, mais comme les Grecs
de l’Antiquité, ils ne disposaient pas d’armée nombreuse et puissante sur leur
territoire limité. Pour défendre leur pays, ils avaient besoin de l’alliance ou de
l’aide de leurs voisins. Quand il le fallait, ils payaient généreusement et assez
facilement. Ils faisaient détourner avec ruse vers l’Occident les envahisseurs
venant de l’est. Ils payèrent des tributs élevés aux Huns, aux Goths, aux
Avars, aux Bulgares, aux Slaves, aux Khazars puis aux Hongrois. Cependant,
ils n’arrivèrent pas à s’arranger au sud avec leurs voisins perses qui, par la
mer, arrivaient souvent aux portes de Constantinople, mais où ils étaient
toujours battus. Finalement, l’armée perse fut anéantie par les Arabes, qui
devinrent les plus redoutables ennemis de Byzance. Heureusement, les
Khazars, devenus très puissants, étaient des alliés fidèles de Byzance, pour
l’aider. Grâce aux Khazars, durant des siècles, l’Europe de l’Est fut protégée
contre l’islam. Ils défendirent aussi Byzance contre les Varègues, par
l’intermédiaire des Hongrois.
Cependant, petit à petit, le territoire de Byzance se limita à la Grèce et à
l’Asie Mineure. Au sud, les musulmans (Omeyyades, puis Abbassides)
prirent l’Égypte, la Palestine et la Mésopotamie. Plus tard, le jeune et
puissant royaume bulgare devint indépendant et la priva du nord des Balkans.
Avec sa politique habile, Byzance réussit toujours à écarter ses ennemis,
mais elle était impuissante face aux agitations internes. On appelait
Constantinople « la ville des révoltes ».

J’ai déjà parlé de la politique byzantine au sujet des Avars. Je me limite


donc à parler ici de quelques empereurs byzantins ayant joué un rôle
important dans l’histoire de Byzance.
Naturellement, je dois commencer par Justinien qui, ayant neutralisé ses
voisins en les payant, put ensuite s’attaquer à l’Occident pour reconquérir
Rome et ses anciennes colonies. Durant son règne, Byzance atteignit son âge
d’or.
Après sa mort, Justin II, se croyant suffisamment fort, rompit les accords
avec les Avars, en refusant de leur payer le tribut annuel convenu. Son refus
déclencha une guerre stérile de plusieurs années, affaiblissant sérieusement
Byzance. Son successeur, l’incapable Tibère II, ne régna que 4 ans, puis le
cruel Maurice prit le pouvoir. J’en parle seulement pour rappeler que le
peuple de Constantinople se révolta contre lui en 602 et l’exécuta.

Il est important de parler de Héraclius II qui, durant ses 30 années de


règne (610-641) repoussa régulièrement les attaques des Avars et des
Sassanides. Même s’il perdit l’Égypte et l’Afrique du Nord, éloignées de
Byzance, il laissa un empire puissant à ses successeurs, pouvant résister
encore durant plusieurs siècles aux attaques des Arabes, empêchant leur
avancée vers l’Europe de L’Est.
Durant des années, Byzance put vivre en paix malgré la faiblesse de ses
empereurs. Une sérieuse menace musulmane arriva en 674 contre
Constantinople, de la mer et de la terre. Heureusement, Byzance avait un
nouvel empereur puissant, Constantin IV qui, après 4 années de guerre,
repoussa définitivement les Arabes. Le feu grégeois, découvert par les Grecs,
y joua un rôle important. Il provoqua une terreur superstitieuse chez les
Arabes qui y voyaient des puissances surnaturelles. Après sa mort
prématurée, son fils Justinien II lui succéda sur le trône. Dès le début de son
règne, des conflits se déclenchèrent entre la noblesse et la paysannerie.
Comme il soutenait les paysans, les nobles de Constantinople l’arrêtèrent en
695, coupèrent son nez et le chassèrent. Il se réfugia chez lez Khazars où
(défiguré !), il épousa la fille du khagan, obtenant ainsi leur amitié et leur
aide. Il obtint même l’alliance des Bulgares. Avec l’aide de ces deux grandes
puissances, il reprit ensuite son trône. Il fit régner la terreur, probablement
par vengeance, à cause de son nez coupé, jusqu’à la révolte de l’armée en
711, qui mit fin à son règne.

Dès que la situation extérieure devint calme, des agitations religieuses


commencèrent à perturber la paix intérieure de l’empire. Comme je le disais
plus haut, les chrétiens de Byzance se séparèrent de Rome et furent dirigés
par le patriarche de Constantinople. Au début, il y avait quelques tensions
entre les pouvoirs religieux et politique, puis le patriarche reconnut
définitivement l’autorité suprême de l’empereur. Comme l’empereur et le
patriarche n’étaient pas toujours d’accord sur les thèses théologiques, des
tendances opposées déclenchèrent des agitations religieuses parmi la
population. Le principal sujet de discussion était l’iconoclasme, qui s’opposa
au culte des images pieuses (iconolâtrie). Jusqu’alors, l’Église chrétienne
personnifiait le Christ et les saints en images. Les églises étaient décorées
d’images et de statues les représentant, devant lesquelles les adeptes priaient.
Or, certains considéraient que c’était de l’idolâtrie et s’y opposaient
fermement. Tant que les discussions se limitaient aux ouailles, il n’y avait pas
de problème grave. Mais la prise de position de l’empereur contre
l’iconolâtrie (730-787 puis 813-843) en détruisant toutes les images et statues
dans les églises, déclencha une véritable révolution, affaiblissant le pouvoir.
Durant le règne de Constantin V, la persécution des iconolâtres devint
tellement acharnée que de nombreux moines durent quitter Byzance et se
réfugier à l’Occident. Cette persécution commença à se calmer durant le
règne de Léon IV, puis cessa définitivement sous l’influence de sa femme
Irène. Après la mort de Léon IV, son fils étant encore trop jeune, ce fut Irène,
sa femme, qui gouverna. Elle fut canonisée plus tard pour ses actions
religieuses. L’Église oublia que cette « sainte femme » se fit nommer
impératrice après avoir crevé les yeux de son fils, Constantin VI, pour
l’écarter du trône. Toutefois, les Byzantins s’en souvinrent et la destituèrent
en 802.
Dix années plus tard, la persécution des iconolâtres recommença sous le
règne de Léon V, puis cessa à nouveau en 843 du fait d’une femme,
l’impératrice Théodora, avec l’aide du patriarche Méthode, apôtre des
Slaves. Cette renaissance de Byzance marqua aussi l’essor de la culture
grecque.

Je pourrais continuer ainsi l’histoire de Byzance jusqu’à sa chute, mais je


ne cite encore que deux autres empereurs, directement concernés par les
Hongrois.
Léon VI le sage (886-912) régnait au moment de l’établissement des
Hongrois dans le bassin des Carpates. Dans son livre sur les « tactiques
guerrières », il décrivit en détail les coutumes guerrières des peuples célèbres.
Il parla aussi des Hongrois, rappelant les noms des chefs des tribus et les
circonstances de leur association avec des « Kabares », révoltés contre les
Khazars. Il demanda l’aide des Hongrois contre les Bulgares, mais après leur
victoire, il conclut la paix avec les Bulgares, en abandonnant les Hongrois.
Ce fut un bon politicien, mais un allié infidèle.

Constantin VII dit Porphyrogénète (912-959) dans son œuvre sur « le


gouvernement de l’empire », parla de l’origine des Hongrois et de leur vie
juste avant de s’installer dans le bassin des Carpates.

L’HISTOIRE DES HONGROIS

Je trouve vraiment regrettable que les Hongrois ne puissent pas connaître


leur histoire ancienne, admise par tous les historiens. Je sais qu’il y a toujours
autant d’histoires que d’historiens, mais avec peu de variations. Or, le cas des
Hongrois dépasse l’imagination. On peut pardonner les erreurs des historiens
étrangers qui ne trouvaient aucun intérêt à fouiller dans l’Antiquité à la
recherche des Hongrois et qui se contentaient de répéter les quelques
trouvailles de leurs prédécesseurs, souvent erronées. Mais le comportement
des historiens hongrois est impardonnable. Ils auraient dû fouiller, comparer
les différentes thèses, éliminer les hypothèses invraisemblables et discuter
entre eux pour trouver la vérité, au lieu de « voir partout des Hongrois », de
leur attribuer toutes les qualités ou tous les défauts.
On devrait faire comme faisait Ptolémée II qui, pour faire traduire la Bible
en grec, invita à la bibliothèque d’Alexandrie six savants de chacune des
douze tribus juives. Il savait qu’ils étaient en désaccord sur l’interprétation de
certains textes. Il leur proposa donc de rester ensemble jusqu’à ce qu’ils
soient d’accord sur une traduction commune, acceptée par tout le monde. Au
bout de six mois, la Bible fut traduite en grec et personne ne la contesta.
Il faudrait donc enfermer ensemble les meilleurs historiens hongrois dans
leur Bibliothèque nationale jusqu’à ce qu’ils écrivent la vraie histoire des
Hongrois. Malheureusement, ceci n’arrivera jamais. Je suis donc obligé de
lire et d’analyser moi-même les publications trouvées pour en tirer quelques
vérités.

Malheureusement, je n’ai ni la connaissance nécessaire, ni la


compétence pour écrire ou parler de l’histoire hongroise. Toutefois, je
vais essayer de donner une interprétation logique et compréhensible des
évènements de l’époque qui se déroulaient autour des Hongrois et
influençaient leur histoire.

Dans les chapitres précédents sur l’Antiquité, j’ai déjà décrit le peu
d’informations que j’avais trouvées sur les Hongrois de l’époque. Ici, je ne
parlerai donc que des évènements du Moyen Âge.
Les Hongrois devinrent très nombreux au début du Moyen Âge, mais ils
vivaient en tribus dispersées entre les mers Noire et d’Aral. À cette époque,
on ne pouvait pas parler encore de « nation hongroise », puisqu’ils n’avaient
pas de chef commun, rassemblant l’ensemble des tribus en un seul État. Sur
certains territoires, les tribus hongroises étaient majoritaires par rapport aux
autres populations. C’était le cas du premier pays des Hongrois au sud-est
de l’Oural, de Magna Hungaria au sud-ouest de l’Oural, de Bactriane au
nord de l’Inde, puis de la Lévédie au Caucase. Périodiquement, ils étaient
déplacés, de préférence vers l’ouest, par de grandes invasions venant d’Asie
centrale. Comme ils vivaient très dispersés, toutes les tribus ne subirent pas le
même sort et ne partirent pas ensemble, dans la même direction. Certaines
restèrent même sur place. De nombreuses tribus arrivèrent ainsi sur le
territoire des Khazars et quelques tribus continuèrent leur chemin jusqu’au
bassin des Carpates, plusieurs siècles avant la grande conquête. On suppose
que quelques tribus hongroises y arrivèrent avec des Huns, d’autres avec des
Avars, mais il est possible qu’elles soient arrivées encore plus tôt. On ne peut
pas savoir avec certitude. En revanche, il est connu que depuis le début du
VIIe siècle, les Avars accueillaient dans leur royaume toutes sortes de peuples
venant de l’est, y compris des Hongrois. La plupart de ces peuples étaient
assimilés avec le temps, mais pas les Hongrois, qui gardèrent leurs coutumes
et leur autonomie.

Les Hongrois vivaient partout de l’élevage et de l’agriculture, mais


souvent, ils agrémentaient leur quotidien avec le pillage des voisins. C’étaient
de redoutables cavaliers, mais comme leurs tribus vivaient dispersées, elles
étaient soumises à l’autorité du chef du peuple majoritaire. Elles lui payaient
des tributs ou l’aidaient avec leur armée en cas de guerre. Elles assimilaient
quelques mots et coutumes étrangers, tout en gardant leurs traditions et leur
indépendance. À la longue, ce furent leurs voisins qui s’assimilèrent aux
Hongrois.
Malheureusement, tout ce que nous savons sur eux vient d’historiens
étrangers, puisqu’il ne reste aucune trace écrite par des Hongrois. Pourtant, ils
connaissaient et pratiquaient l’écriture cunéiforme, mais sur support en bois
ne résistant pas au temps. Restent quelques légendes transmises (et
déformées) oralement, comme celle du « cerf merveilleux » ou du « grand
faucon ». Mais on ne connaît pas avec certitude leur origine, puisqu’on les
retrouve aussi chez les autres peuples, avec quelques variantes.
Je vais essayer de décrire leurs anciennes coutumes, afin de mieux
connaître nos ancêtres.

« Dieu des Hongrois »

Il est important de rappeler que les Hongrois étaient toujours


« monothéistes », même si leur dieu n’était pas celui des juifs, des chrétiens
ou des musulmans, qui en réalité est le même.
Selon l’époque ou l’occasion, ils l’appelaient différemment, mais il
s’agissait toujours de la même divinité, un « Créateur » ou « Seigneur de la
nature ». En cas de guerre, ils l’appelaient aussi « Seigneur de la guerre » et
lui offraient des sacrifices, dont le plus important était le « sacrifice du cheval
blanc », brûlé sur un bûcher. On peut supposer que leur croyance a été
influencée par les enseignements de Zarathoustra, à cause de certaines
similitudes (sacrifice du cheval blanc à Mazda, dieu du feu).
L’affrontement du bien et du mal chez eux provenait aussi des
enseignements de Zarathoustra.
Ils n’avaient ni églises, ni chapelles pour prier, mais ils craignaient et
respectaient leur dieu qu’ils croyaient dans le ciel, mais toujours parmi eux.
Ils imaginaient leur dieu au soleil et dans le feu. Ils le savaient juste et sévère,
qui pouvait les aider, mais les punir aussi. Ils appelaient l’éclair « la flèche du
dieu ». Ils voyaient ses messagers dans les oiseaux de proie, qui étaient
souvent leur symbole, figurant sur les totems et sur les étendards. Ils
croyaient aussi à l’existence de l’âme quittant le corps après la mort. Ils
imaginaient que les âmes de leurs ancêtres (bons esprits) vivaient parmi eux
et pouvaient les aider. En leur honneur, une flamme brûlait tout le temps dans
les foyers. Leur chef était le représentant du dieu.
Les mages (táltos) assuraient la liaison entre le peuple et son dieu. On ne
peut les appeler ni magiciens, ni chamanes, car ils ne s’entouraient pas de
mystères. Ce n’étaient pas seulement des prêtres, mais aussi des médecins et
des savants qui connaissaient les secrets de la nature, des minéraux et des
plantes médicinales. Ils étaient respectés et vénérés. Le « sage principal »
portait le titre de « kende ».
Comme curiosité, on peut signaler leur adoration pour la déesse, appelée
« Déesse Mère », « Grande Dame », « Dame Heureuse » ou « Mère
Heureuse », qui les protégeait et leur donnait la vie. On put retrouver cette
adoration féminine dans les croyances des civilisations de l’Antiquité. En
Mésopotamie, Ishtar était la déesse de l’amour, de la fécondité et de la guerre.
En Égypte, Isis était la déesse du ciel, de la fécondité et de la récolte. Chez
les Grecs, Aphrodite et chez les Romains, Vénus étaient les déesses de
l’amour. La vierge Marie des chrétiens pouvait être aussi à son origine,
puisque les Hongrois devaient en entendre parler lors de leurs déplacements.
Durant leur long séjour chez les Khazars, ils prirent connaissance des trois
religions monothéistes, mais ne virent aucune raison de changer, puisqu’ils
adoraient le même dieu, mais à leur manière. Ils ne devaient pas comprendre
pourquoi les autres se battaient entre eux pour le même dieu.
Les métiers des Hongrois

L’occupation principale des Hongrois était l’agriculture et l’élevage.


Toutefois, ils avaient aussi des artisans pour la fabrication des armes et des
outils.
Ils pratiquaient la métallurgie et la fabrication des objets métalliques, qui
nécessitaient une bonne connaissance, des installations « industrielles » et
beaucoup d’expérience. Chez les peuples qui se déplaçaient souvent, c’était
une tâche assez difficile. Cependant, certaines réalisations étaient des œuvres
d’art.

Le métier de forgeron était le plus important. Les forgerons fabriquaient


des armes et des outils. L’épée martelée des Hongrois était célèbre pour sa
légèreté, sa souplesse et sa dureté. Mais il ne faut pas oublier non plus les
étriers (invention hongroise), les couteaux, les pointes de flèches et de lances,
et les « essieux tournants ». Le chariot à essieu tournant fut aussi une
invention hongroise. Il facilitait le déplacement des chariots lourds sur les
chemins difficiles et étroits.

Les fabricants d’arcs étaient de vrais artistes scientifiques. Ils faisaient


des arcs à double effet, très puissants et d’une très grande portée. Ils les
fabriquaient en collant ensemble plusieurs couches de lames de bois spécial,
renforcées par une lame de corne de bœuf. L’ensemble était recouvert de cuir
décoré, pour le protéger contre la pluie. À l’état détendu, l’arc avait une
forme de C, qu’il fallait replier avec beaucoup de force, dans l’autre sens,
pour le tendre. Afin de conserver ses qualités, il fallait le détendre après
quelques heures d’usage. On peut donc supposer que chaque guerrier avait au
moins deux arcs, pour pouvoir changer.

Les orfèvres décoraient les armes, les selles, les vêtements et fabriquaient
aussi des bijoux.
Le travail des artisans du cuir était très important. On peut supposer que
c’étaient les mêmes qui préparaient et transformaient les peaux des bêtes. Ils
en faisaient des ceintures, des rênes, des chaussures, des boucliers, des
vêtements de guerre, des étuis, etc.
La confection des tissus et des habits était le rôle des femmes. Toutes les
femmes savaient tisser et coudre. Elles s’occupaient aussi des animaux et de
la récolte.
Les Hongrois utilisaient peu de poterie, lourde et fragile, peu pratique pour
les fréquents déplacements.
Les Hongrois savaient aussi préparer des aliments séchés, viandes et
légumes, légers et peu encombrants, que les guerriers portaient dans leurs
sacs. En les diluant avec de l’eau chaude, ils avaient toujours de la nourriture
à leur portée.

La naissance de la nation hongroise

Ne disposant pas de traces écrites par des Hongrois, il faut être prudent
concernant les descriptions des peuples voisins.
Selon certains historiens, la nation hongroise naquit au IXe siècle, à la
demande du khagan qui, pour mieux sécuriser ses frontières, décida de réunir
en un seul peuple les tribus hongroises dispersées sur le territoire de l’empire
des Khazars. Afin de leur prouver son amitié et sa générosité, il donna en
épouse une princesse khazar à Lévédias (Levéd), un des plus grands chefs de
tribu, et lui proposa de s’installer avec l’ensemble des tribus hongroises sur
un territoire situé entre les fleuves Dniepr et Dniestr, appelé Etelköz (lieu
entre les fleuves) où il serait leur roi. Lévédias aurait refusé poliment, lui
proposant à sa place Álmos, ou son fils Árpád, plus dignes d’un tel honneur.

Selon les historiens byzantins et arabes, le khagan installa les tribus


hongroises en Etelköz et nomma Árpád leur chef suprême. Suivant les
coutumes khazars, les autres chefs de tribus l’élevèrent sur un bouclier et lui
jurèrent fidélité. Ils devaient défendre son empire contre les attaques
fréquentes des Slaves et des Varègues. Cette version est peu vraisemblable,
puisqu’au moment de l’installation des Hongrois en Etelköz, Árpád n’était
qu’un enfant. On sait, par ailleurs, d’autres sources, qu’Álmos était le chef
suprême des Hongrois en Etelköz. On doit préciser également qu’à cette
époque, les Hongrois étaient déjà indépendants du khagan, considérablement
affaibli, qui n’avait plus aucune influence sur eux. Il ne put même pas
s’opposer à l’accueil chez les Hongrois de trois tribus khazars révoltées
contre lui

Selon les historiens hongrois, les Hongrois unifiés, indépendants, n’avaient


besoin ni de l’aide, ni de l’autorisation du khagan pour se déplacer dans son
empire. Ils se déplacèrent vers l’ouest dès 840-850, en plaçant devant eux, en
première ligne d’attaque, les trois tribus khazars révoltées contre le khagan.
Ils arrivèrent ainsi en Etelköz, où les sept chefs de tribus élirent Álmos chef
suprême vers 855, par une « alliance de sang ». Les sept chefs (Álmos, Elöd,
Kende, Ond, Tas, Huba, Töhötöm) firent couler leur sang dans une coupe de
vin, puis le mélangèrent. Chacun en but, selon la coutume des peuples
d’Asie. Les engagements de cette alliance furent les suivants :

1. Le chef suprême des Hongrois devra être toujours choisi parmi les
descendants d’Álmos et de son fils Árpád, tant qu’il y en aura.
2. Aucun chef ne pourra être exclu du partage des biens amassés.
3. Les chefs ayant participé à l’élection d’Álmos et leurs descendants ne
pourront jamais être exclus du conseil d’État.
4. Celui, ou son descendant, qui ne respecterait pas sa fidélité au chef
suprême, jurée par le serment de sang, ou comploterait contre lui, devra
payer son infidélité de son sang.
5. Álmos et ses descendants devront être maudits à jamais en cas de
trahison du serment.

Mais qui était le chef Álmos ? C’était un homme né en 819, connu et


respecté pour son courage et sa sagesse. Comme premier chef suprême de sa
dynastie, représentant terrestre du dieu, il fallut lui trouver une origine divine.
La légende hongroise du « grand faucon » s’en chargea.
Emese, épouse d’Ügyek et mère d’Álmos, était une descendante directe de
Magor (fondateur du peuple hongrois, selon la légende du « cerf
merveilleux »). Enceinte, elle rêva qu’un « grand faucon » se posa sur elle et
la féconda. Puis une rivière sortit de son utérus, se répandant partout. Selon
l’interprétation des mages (táltos), son rêve était un message divin. Elle
accoucherait d’un fils, dont les descendants seraient de grands rois, sur des
terres lointaines. Comme sa naissance avait été annoncée par un rêve, on
appela Álmos le nouveau-né, ce qui en hongrois signifie « de songe ». Selon
certains, ce nom signifiait aussi « prêtre principal ». Je dois signaler que le
grand faucon fut toujours l’oiseau vénéré des Hongrois. Il figura sur leurs
totems en bois et sur leurs étendards.
Les légendes des temps anciens parlaient souvent de la fécondation des
femmes par des oiseaux, en commençant par Isis, dont le mari, Osiris,
ressuscité, avait perdu son sexe (un poisson l’avala lorsque son frère le tua et
le jeta dans le Nil). On peut citer aussi Léda, fécondée par Zeus transformé en
oiseau, puis la vierge Marie, fécondée par le Saint-Esprit, sous la forme d’une
colombe.
Pour rendre encore plus mystérieuse l’histoire d’Emese, certains la disaient
fille d’un mage. Les mages (descendants de l’Atlantide !), étant d’origine
divine, disposaient des dons surnaturels. Álmos et ses descendants étaient
donc de parfaits représentants de Dieu.

Álmos devint vite célèbre par son courage et sa sagesse lors des batailles,
au côté de son père Ügyek. D’ailleurs, encore très jeune, son père le nomma
gouverneur de Kiev, qu’il venait d’occuper et de renforcer de remparts.
Álmos eut donc l’occasion de connaître tôt le pouvoir et prouver ses qualités
de chef. Avec son armée, il faisait des raids des deux côtés des Carpates
contre les Slaves, les Varègues et les Bulgares. D’ailleurs, pour s’en
débarrasser, les Russes soumis l’encouragèrent vivement à envahir le bassin
des Carpates, célèbre pour sa richesse, affaibli depuis la chute des Avars. Il
paraît que quelques tribus hongroises s’y installèrent dès 862. C’étaient des
avant-gardes de la conquête de la Hongrie quelques années plus tard. Peu de
temps après, le jeune Árpád remplaça son père à la tête de l’armée et se battit
régulièrement contre les Moraves, au nord des Carpates. Encouragé par les
succès d’Árpád, quelques années avant sa mort, le vieil Álmos lui céda le
pouvoir et lui confia la réalisation de son vieux rêve de conquérir le bassin
des Carpates. Il considérait que c’était la terre de ses aïeuls, puisqu’il était
descendant de Kouvrat, arrière-petit-fils d’Attila. Il avait donc droit à la terre
d’Attila.

Álmos mourut mystérieusement en 895, l’année de la conquête. On dit


qu’il se suicida selon la coutume, ayant dépassé l’âge de gouverner. Ceci est
peu probable puisqu’il avait déjà confié le pouvoir à Árpád bien avant sa
mort. On dit aussi que durant les campagnes d’Árpád, chargé de la sécurité
des familles des guerriers en Etelköz, il subit une lourde défaite par l’armée
de coalition des Bulgares et des Petchenègues, qui le poussa au suicide.
Toutefois, seuls quelques historiens étrangers parlèrent de cette défaite. Selon
certains, son peuple l’exécuta, peut-être à cause de son grand âge (c’était la
coutume), peut-être parce que, malgré sa divinité, il n’obtint pas l’aide de
dieu contre ses ennemis, peut-être en sacrifice, pour le succès de la conquête.
Mais nous ne pouvons pas confirmer ces hypothèses.
Comme Álmos avait déjà 76 ans ce qui, à l’époque, était un âge très
avancé pour un guerrier, sans offenser personne, on peut aussi admettre qu’il
soit mort de vieillesse ou de mort naturelle

Árpád naquit en 850. Il n’avait pas encore 20 ans lorsqu’il commença à se


distinguer dans les batailles, au côté de son père et qu’on lui confia la tribu de
Nyék, qui lui revenait par sa mère. Selon certains, la mère d’Árpád était une
princesse byzantine. Durant des siècles, cette alliance assura d’excellentes
relations entre les deux peuples. Très jeune, alors que son père s’occupait de
la gestion des affaires de son peuple, il fut chargé de conduire tous les raids
contre les peuples voisins. Sa diplomatie très habile lui permit de préparer
dans de bonnes conditions la conquête du bassin des Carpates.
À cette époque, trois peuples occupaient ce territoire : les Moraves au
nord, les Francs à l’ouest et les Bulgares au sud. Árpád n’aurait pas pu se
battre contre les trois en même temps, qui se seraient alliés contre lui. Il
conclut donc en 881 un accord avec Svatopluk, roi morave, contre les Francs,
lui permettant de les battre en Pannonie. Dix années plus tard, Arnulf, roi
franc, demanda son aide contre les Moraves. Cette guerre affaiblit
considérablement non seulement les Moraves, mais également les Bulgares,
leurs alliés.
La route de la conquête du bassin des Carpates devint libre.

En 894, le vieil Álmos confia sa tribu à Árpád et probablement tout son


pouvoir en même temps. Selon les traditions des peuples d’Asie, Árpád fut
levé sur un bouclier par les autres chefs de tribus, le nommant ainsi leur chef
suprême. Árpád confia la tribu de Nyék à son fils Levente.

La conquête de la Hongrie

La date officielle de la conquête de la Hongrie est 896, un an après la mort


d’Álmos. Cette année-là, l’armée des tribus réunies, menée par Árpád, entra
dans le bassin des Carpates par le col de Verecke. Cependant, la date exacte
serait plutôt 895, sachant toutefois que, bien avant, des bataillons hongrois
menés déjà par Árpád, y pénétrèrent plusieurs fois pour explorer la région
avant l’invasion finale.
Avant de poursuivre l’histoire de la conquête, je voudrais présenter
brièvement le bassin des Carpates de l’époque. Il était considéré comme la
région la plus riche d’Europe et c’était un lieu régulier de passage pour les
envahisseurs venant de l’est. Sa partie occidentale, la rive droite du Danube,
s’appelait Pannonie, et était autrefois le « pâturage » de l’Empire romain. Elle
fut occupée ensuite successivement par les Huns, les Goths, les Lombards
et par les Avars, sans parler des autres peuples nomades, qui ne faisaient que
la traverser. Après la chute des Avars, les Francs y installèrent les Bavarois,
vassaux de leur empire. Le nord des Carpates appartenait au royaume morave
de Svatopluk. L’est du bassin, très cosmopolite, était habité par des Sicules
(Transylvaniens), des Slaves, des Bulgares, des Avars et même par quelques
tribus hongroises. Les Bulgares occupaient aussi le sud, qui faisait partie de
leur royaume. Comme je le disais plus haut, grâce à la diplomatie d’Árpád,
au moment de l’invasion hongroise, seule la Pannonie des Francs restait
encore relativement forte.

Je dois rappeler qu’avant l’invasion de 896, de nombreuses tribus


hongroises vivaient déjà dans le bassin des Carpates, ce qui facilita
l’installation du peuple d’Árpád. Les premières arrivèrent avec des Huns,
puis avec des Avars. D’autres, quelques dizaines d’années avant la « Grande
Conquête ». Certains prétendent même que les Huns et les Avars étaient les
ancêtres des Hongrois. On parle donc de deux, voire trois invasions
hongroises, et la dernière ne serait que le « retour des Hongrois ».
La conquête de la Hongrie fut la migration organisée d’une immense foule
de plusieurs centaines de milliers de guerriers, de femmes et d’enfants, qu’il
fallait amener par des « routes préparées », bien connues et sans résistance
militaire. Il n’était pas question de laisser quoi que ce soit au hasard ! Le
moindre « accrochage » sur les sentiers étroits des montagnes aurait pu être
un massacre, un vrai génocide. Il était donc impensable (comme le
prétendirent certains historiens) que les familles hongroises massacrées par
les Bulgares et les Petchenègues en Etelköz entrent dans le bassin des
Carpates en les fuyant ! D’ailleurs, ils arrivèrent sans se presser, avec tous
leurs biens chargés sur les fameux chariots à essieu tournant.

Toutefois, on ne peut pas nier catégoriquement l’attaque d’Etelköz par


l’armée bulgaro-petchénègue, mais elle nécessite quelques explications.
Lorsque le roi Siméon des Bulgares attaqua Byzance, l’empereur Léon le
Sage demanda l’aide des Hongrois. Levente, fils d’Árpád, quitta donc
Etelköz, traversa le Danube sur les barques byzantines, pour l’aider avec son
armée. Après leur victoire contre les Bulgares, Léon signa la paix avec
Siméon, sans ramener sur ses barques l’armée de Levente. Siméon aurait pu
attaquer Etelköz avant que Levente, retardé sur le Danube, y arrive, mais
c’est peu probable. Son armée avait subi auparavant une lourde défaite et
Etelköz possédait d’autres armées que celle de Levente. On peut même dire
que la défaite de Siméon facilita considérablement l’entrée des Hongrois au
sud du bassin des Carpates, en Transylvanie, où ils étaient déjà attendus par
les Sicules et quelques anciennes tribus hongroises.
On peut cependant supposer qu’un demi-siècle plus tôt, les Hongrois
passèrent de Lévédie en Etelköz sous la pression des Petchenègues. Mais
cette poussée ne pouvait avoir aucune relation avec la conquête postérieure
de la Hongrie. Mais pourquoi les Hongrois quittèrent Etelköz, pays très
riche ?

Etelköz n’avait pas de frontières naturelles et était le lieu de passage de


toutes les invasions venant du nord et du sud. Les Hongrois n’auraient pas pu
y vivre en paix, exposés aux attaques permanentes des Varègues, des Slaves,
des Bulgares et des Petchenègues. Pour eux, Etelköz n’était qu’une escale
pour préparer tranquillement la conquête du bassin des Carpates. Durant leur
séjour, ils créèrent une nation forte et soudée, ils préparèrent des armes et
firent des « excursions » pour mieux connaître leur futur pays et pour affaiblir
sa population.

Comme je le disais plus haut, Árpád fit alliance en 881 avec Svatopluk, roi
morave, contre les Francs et les affaiblit avec plusieurs années de guerre. Dix
ans plus tard, le roi Arnulf des Francs demanda son aide contre les Moraves,
qui le menaçaient à l’ouest. C’était l’occasion d’affaiblir Svatopluk, à son
tour. En 894, Svatopluk proposa à Árpád une nouvelle alliance, mais sa mort
subite fit éclater son royaume. En même temps, Levente battit les Bulgares
avec son allié Léon le Sage. Les accès du bassin des Carpates devinrent libres
au nord-est et au sud-est.
Árpád y entra au nord-est, par le col de Verecke, avec la majorité de son
peuple. Plus au sud, entrèrent en Transylvanie les autres tribus hongroises,
menées probablement par Levente, accompagnées par les trois tribus
fugitives des Khazars, appelées Kabars. En 895, année de la mort d’Álmos,
tout le pays était occupé par les Hongrois, mise à part la Pannonie des Francs.
Après la mort d’Arnulf en 889, les Hongrois prirent également possession de
la Pannonie.
Quelques tribus bulgares résistèrent encore le long de la rivière Tisza, mais
finalement, elles furent chassées.
Le pays fut partagé équitablement entre les chefs de tribus, y compris les
Kabars. Le centre, avec les alentours du Danube, revint à Árpád. Les trois
tribus kabares s’installèrent en Transylvanie. Toutes les tribus disposaient des
mêmes droits et des mêmes parts de butin. Selon certains historiens, dans leur
nouveau pays, les chefs de tribus renouvelèrent leur alliance de sang, avec la
participation des trois tribus kabars, et levèrent Árpád sur un bouclier. Árpád
devint ainsi le premier chef suprême de toute la Hongrie, et non seulement
des Hongrois. Probablement pour cette raison, on parle de la « maison
Árpád » et pas de celle d’Álmos, premier chef suprême des Hongrois.
Les langues hongroise et kabare devinrent les deux langues officielles du
pays, où plusieurs autres langues étaient également parlées.

Fondation de l’État

Árpád organisait et gérait bien son nouveau pays, dont les frontières
naturelles facilitaient la défense. Il devait se battre souvent contre des peuples
chassés ou vassaux, mais il n’avait jamais de problèmes internes avec les
autres tribus, disposant d’une grande liberté.
La coutume du double pouvoir des peuples d’Asie existait aussi chez les
Hongrois. Le chef des armées portait le titre de « gyula », alors que le
« kende » s’occupait de la gestion du pays. On appelait aussi « kende » le
principal mage. Mais quels étaient le titre et le pouvoir d’Árpád ?

Après l’alliance de sang et la levée sur bouclier, Árpád devint le chef


suprême incontestable. Déjà, comme successeur d’Álmos, il devait cumuler
les deux titres. Selon certains historiens, Árpád n’était que gyula jusqu’à la
mort de son père qui, pourtant, lui laissa tous les pouvoirs. On dit aussi que le
vieil Álmos n’était que kende, puisque son fils était gyula.
Certains disent aussi que, durant l’invasion, Kursan, fils de Lévédias était
gyula et pas Árpád, qui n’était que kende, après la mort d’Álmos. Árpád
n’obtint les deux titres qu’après la mort de Kursan en 904. Mais il est inutile
de discuter de ces détails, puisque nous ne connaissons même pas l’histoire
des conquérants hongrois.

Peu importe qui était Árpád : kende, gyula, les deux ou chef suprême.
Dans notre histoire, il reste le fondateur de la Hongrie.
Les 10 chefs de tribus disposaient librement de leurs armées et des terres
reçues. Seulement, en cas de guerre, ils devaient s’unir sous les ordres
d’Árpád. Habitués à leur vie de guerriers, ils faisaient régulièrement des raids
et des pillages chez les peuples voisins, puis de plus en plus loin. Ces raids
avaient aussi quelques avantages politiques. Certains peuples s’allièrent aux
Hongrois pour avoir la paix.
Árpád ne s’occupait que de la gestion de son pays. On peut donc supposer
qu’il nomma un gyula à la tête des armées. Les anciens peuples du bassin des
Carpates devinrent les vassaux des Hongrois (et des Khazars), tout en
disposant des mêmes droits que leurs maîtres. À la mort d’Árpád, en 907, la
Hongrie était déjà une grande puissance. Cependant, on pouvait craindre
l’éclatement de ce jeune pays à la mort de son chef, comme chez les Goths,
les Huns et les Avars. Mais Árpád laissa à son successeur un pays bien
structuré, bien organisé. Quelques chefs de tribus abusaient souvent de leur
pouvoir, mais tout le monde respecta l’alliance de sang. Ils acceptèrent pour
chef suprême Zoltan (Zsolt), le jeune fils d’Árpád, et lui obéirent. On peut
noter que ses quatre autres fils moururent avant leur père.

Le temps des incursions

Zsolt, élu très jeune, fut un chef suprême très faible, mais son mariage
avec la fille du chef de tribu Marot lui assura une alliance stable et
sécurisante. Durant son long règne de 40 ans (907-947), il n’eut aucune
influence sur les chefs de tribus, qu’il laissait agir librement. Profitant de leur
autonomie et de leurs armées, ils passaient leur temps à piller les peuples
voisins. C’était l’époque des incursions. Les cavaliers hongrois rapides
rencontraient peu de résistance sur les territoires pillés. Avant qu’une armée
nombreuse eût le temps de s’organiser contre eux, ils étaient déjà loin avec
leur butin. Ils ne rentraient dans leur pays que chargés de trésors. Il était
évident qu’un jour, les peuples d’Europe réussiraient à leur opposer une
armée puissante, leur infligeant une défaite fatale, comme aux Huns, puis aux
Avars, qui disparurent ainsi de l’histoire. D’autant plus qu’ils prenaient les
Hongrois pour leurs descendants. Il est vrai qu’ils agissaient de la même
façon. Ils pillaient et tuaient partout où ils passaient. Cependant, certains
historiens hongrois chauvins les appelaient « les chevaliers de la justice »,
dont le seul but était la récupération de l’immense trésor volé par
Charlemagne à leurs ancêtres avars, puis dispersé dans toute l’Europe. Parmi
ce trésor, ils cherchaient surtout la « couronne des Avars », sans laquelle ils
ne pouvaient pas avoir de roi !

Ces incursions étaient dirigées surtout vers l’ouest. Elles commencèrent


dès le règne d’Árpád lorsque, pour aider Arnulf, roi des Francs, les Hongrois
envahirent la Lombardie. Elles ne devinrent cependant systématiques que
sous le règne de Zsolt, qui n’avait pas assez d’autorité pour retenir ses chefs.
Peut-être croyait-il même qu’il fallait montrer à l’Occident la puissance de la
Hongrie afin de sécuriser ses frontières par la peur.
Les deux chefs les plus célèbres furent Bulcsu et Lehel.
Je ne veux pas énumérer toutes les batailles, mais je peux dire que les
cavaliers hongrois parcoururent plusieurs fois toute l’Europe et firent encore
plus de ravages que les Huns. Je dois citer cependant quelques dates
importantes.
Ils aidèrent d’abord les Bavarois en 913. Ce fut une bonne occasion et un
prétexte pour écraser les Saxons et arriver jusqu’à la mer du Nord en 915.
Pour défendre les Tchèques, ils envahirent à nouveau le royaume des Francs
en 924. Entre 930 et 940, ils envahirent plusieurs fois toute l’Italie. Puis
recommencèrent les incursions à l’ouest, jusqu’à l’océan Atlantique, en
ravageant la France (la Bourgogne, la Gaule et la Lorraine) et le califat
d’Espagne.

Ils subirent leur première défaite à Merseburg en 933 face à Henri


l’Oiseleur, fondateur de la dynastie saxonne. Bien que sans importance, car il
n’y eut pas de réel vainqueur, cette « défaite » fut un avertissement pour les
Hongrois qui acceptèrent la paix proposée par Henri. Ils continuèrent
toutefois leurs incursions dans les autres pays d’Europe. Afin de montrer leur
puissance militaire intacte, l’année suivante, ils attaquèrent les Bulgares et
Byzance. Ils arrivèrent jusqu’à Constantinople à l’est et à Athènes, au sud.
Byzance dut payer un lourd tribut aux Hongrois durant 5 ans. Après cette
période de paix, les Hongrois battirent à nouveau Byzance pour renouveler sa
redevance. Une nouvelle paix fut conclue, garantissant les frontières du sud et
de l’est, et permettant ainsi de nouvelles incursions vers l’ouest.
Après la mort d’Henri l’Oiseleur, Otton Ier lui succéda sur le trône de 936 à
973. Au début de son règne, il devait lutter sans cesse contre les insurgés de
son royaume, laissant le champ libre aux incursions hongroises en Europe
occidentale, de l’Italie jusqu’à l’océan Atlantique.

Après la mort de Zsolt, son fils Taksony (petit-fils d’Árpád) devint le


nouveau chef suprême de 947 à 971. Lui non plus ne pouvait empêcher les
pillages de quelques tribus. Quelquefois, il y participa même, notamment en
Italie. Entre temps, Bulcsu conclut une nouvelle paix avec Byzance et, en
signe d’amitié, il se convertit au christianisme. Il n’était pas le premier. Le
gyula de Transylvanie le fit avant lui et laissait agir librement les
missionnaires byzantins sur son territoire.
Taksony épousa une princesse coumane, établissant ainsi des relations
familiales avec les habitants de l’est de la Hongrie.
Entre temps, Otton Ier dit « le Grand » mit de l’ordre dans son royaume
en écrasant les révoltes et même les Tchèques et les Bavarois, alliés des
Hongrois. Se sentant suffisamment fort, il voulut exterminer les Hongrois et
en débarrasser le bassin des Carpates, comme l’avait fait Charlemagne avec
les Avars. Il récupéra la Bavière, mais il ne put jamais arriver jusqu’à la
Hongrie. Toutes ses attaques furent repoussées très loin des frontières. Bulcsu
lui proposa la paix, mais en exigeant de lourds tributs qu’Otton lui refusa.
Bulcsu et Lehel attaquèrent donc Otton et le poursuivirent jusqu’à
Augsbourg. La contre-attaque d’Otton fut couronnée de succès. Les armées
des deux tribus hongroises subirent une écrasante défaite à Augsbourg, en
955 perdant leurs chefs. Cette défaite mit fin aux incursions des Hongrois.
Selon une légende hongroise, Lehel fut pris vivant. Avant son exécution, il
demanda son cor en corne de bœuf pour souffler dedans à la mémoire de ses
soldats tués. Lorsqu’il l’eut en main, il donna un coup mortel à la tête du frère
d’Otton, lui disant de le précéder et de le servir dans l’autre monde, selon la
croyance hongroise.
Dans cette bataille, Otton perdit une grande partie de son armée et son frère
aussi. Malgré sa victoire, il resta sur place et ne s’approcha jamais des
frontières hongroises. Les Hongrois tirèrent leurs conclusions de cette défaite.
Ils n’exigèrent ni vengeance, ni réparation. Ils vécurent en paix avec leurs
voisins. Taksony contacta même le pape de Rome pour montrer son intérêt
pour le catholicisme. Mais ce n’était qu’un pas timide puisqu’il voulait garder
de bonnes relations avec le gyula de Transylvanie qui était déjà converti au
christianisme de Byzance. Il fit même épouser par son fils Géza, Sarolta, la
fille du gyula.
Les incursions hongroises

Géza (972-997) devint le nouveau chef suprême après la mort de son père.
Il fit tout pour vivre en paix avec ses voisins. Il était même trop généreux
avec eux pour obtenir leur confiance et pour prouver que les Hongrois
n’étaient pas des païens sauvages, au centre de l’Europe catholique et
civilisée.
Il interdit les incursions, déclenchant ainsi l’hostilité de plusieurs chefs de
tribus privés des « revenus » faciles. Ces derniers considéraient même illégale
la nomination de Géza, puisqu’il existait d’autres descendants d’Árpád plus
âgés. Mais Géza réussit à calmer les révoltés et renforça même son pouvoir.
Bien qu’Otton n’eût aucune hostilité pour la Hongrie depuis des années, Géza
lui proposa de conclure une paix officielle. Il lui demanda même d’envoyer
des missionnaires pour convertir les Hongrois au catholicisme. Otton, ayant
été couronné par le pape en 962 « empereur du Saint Empire romain
germanique », était le chef de l’Église catholique, supérieur hiérarchique du
pape.
Géza fit des donations généreuses aux missionnaires zélés qui arrivaient en
masse en Hongrie et obtinrent beaucoup de résultats, tandis qu’à l’est, le
christianisme byzantin se développait lentement. Géza s’aperçut qu’il donnait
trop d’avantages aux missionnaires, car petit à petit, la Transdanubie fut
peuplée par leurs familles. Afin de limiter cette immigration allemande, il
demanda à Adalbert, évêque de Prague, d’envoyer aussi des missionnaires
moraves en Hongrie. Malheureusement, Géza et Adalbert moururent en 997,
avant de renverser la tendance.
Géza eut trois filles et un garçon, Vajk, de sa première femme Sarolta,
morte prématurément. Sa deuxième femme était d’origine polonaise.

Vajk (*975), fils de Géza, fut élevé par sa belle-mère et sous l’influence
germanique. Il était cultivé, pieux, mais germanophile et influençable. À son
baptême, il prit le nom d’István. Il épousa Giselle, fille du prince bavarois,
dont la famille et les amis s’installèrent en Hongrie, avec leurs chevaliers, sur
les terres de la Transdanubie offertes par István, peuplées bientôt
exclusivement d’Allemands.
Les conditions du mariage d’István eurent des explications contradictoires.

Selon l’histoire officielle des historiens « pro-István », suivant les conseils


d’Adalbert, Géza demanda en mariage la fille du prince bavarois (frère de
l’empereur Otton III), afin d’établir des relations amicales et familiales avec
le Saint Empire romain germanique et d’intégrer ainsi la Hongrie dans la
communauté chrétienne européenne. Les nombreux cousins, amis et
chevaliers de la princesse Giselle, installés en Hongrie, reçurent non
seulement des terres et des richesses, mais également des titres de haute
noblesse hongroise, réservés aux familles des 7 tribus conquérantes.
L’accueil généreux des Allemands étant considéré comme une sorte de
trahison des conventions de « l’alliance de sang », il déclencha l’opposition
de nombreux chefs de tribus, ainsi que la christianisation du pays.
Le couronnement d’István déclencha la révolte de son oncle Koppány
(cousin de Géza), qui avait la priorité pour accéder au trône. Allié avec
d’autres chefs de tribus mécontents, il entra en guerre contre István en 998
(un an après la mort de Géza). Mais l’armée d’István les écrasa, avec l’aide
des Allemands. Koppány mourut à la guerre et son fils Vazul fut jeté en
prison à vie. István devint le roi incontestable.

Les historiens « anti-István » donnent une version tout à fait différente,


même du mariage d’István, assombrissant sévèrement l’histoire de la
Hongrie. Géza aurait envoyé une délégation chez l’empereur Otton, que son
fils accompagna sans son autorisation. Il y fit la connaissance de Giselle et la
ramena avec lui en Hongrie, accompagnée de nombreux chevaliers. Il
l’épousa et donna des terres aux accompagnateurs de sa femme. Géza,
furieux, réunit les chefs électeurs qui décidèrent de nommer Koppány comme
son successeur, à la place de son fils. István s’inclina, en demandant
seulement de laisser vivre en paix ses amis allemands déjà installés.
Cependant, poussé par Giselle, il laissa entrer encore de plus en plus
d’Allemands en Hongrie, déclenchant la colère de Koppány qui régnait déjà à
la place de Géza, vieux et malade. Koppány attaqua les Allemands qui, avec
l’aide de l’armée d’István, le vainquirent. Gravement blessé, il se réfugia
dans son château solidement gardé. István lui demanda de le recevoir pour se
réconcilier. Il fut accompagné par deux « prêtres » allemands qui, dès que
Koppány resta seul avec eux, l’assassinèrent. Son corps fut coupé en quatre
morceaux cloués sur le portail du château pour dissuader toutes nouvelles
révoltes éventuelles. Ayant appris l’assassinat de Koppány, son successeur
désigné, Géza convoqua son fils à son chevet. Il le réprimanda sévèrement,
mais faute d’autre successeur, il lui accorda la succession du trône. Malgré
son pardon, les « prêtres » accompagnant István tuèrent Géza. István fut
nommé chef suprême en 997, après la mort de Géza.
J’espère de tout mon cœur que cette histoire sordide et calomnieuse n’a
aucun fondement, car elle traîne dans la boue, non seulement le nom du plus
grand roi de Hongrie, mais également toute son histoire. Mais j’ai dû en
parler, l’ayant vue citée par plusieurs sources plus ou moins nuancées.

La maison royale Árpád

Jusqu’à l’an 1000, la Hongrie fut gouvernée par des « chefs suprêmes » ne
disposant pas de couronne. Selon « l’alliance de sang » des tribus
conquérantes, tous les chefs suprêmes de la Hongrie, appelés rois par la suite,
devaient être choisis parmi les descendants d’Árpád, jusqu’à leur extinction
définitive.
Le premier roi hongrois fut István. Sa couronne, offerte par le pape
Sylvestre II, était également le symbole de la chrétienté. Beaucoup de
mystères enveloppent l’histoire de cette couronne, qui méritent quelques
explications.

La Sainte Couronne, couronne de la Hongrie


L’origine de la Sainte Couronne hongroise, offerte par le pape Sylvestre
II, a plusieurs histoires, plus au moins crédibles. Oublions les racontars selon
lesquels elle fut assemblée de deux ou trois parties indépendantes, d’origines
diverses et qu’il en existait plusieurs.
Il est vrai qu’elle fut perdue et volée au cours de l’histoire, mais on en
retrouva toujours une, ou plusieurs, sans savoir laquelle était l’originale. Il est
aussi connu que Byzance en offrit trois aux rois hongrois !
Malgré toutes ces incertitudes, la Sainte Couronne hongroise est le plus
précieux objet de notre histoire et la plus ancienne couronne de l’Europe,
appartenant aux 10 siècles d’histoire de la Hongrie. Elle est aussi le symbole
de la Hongrie.

Je l’étudie d’abord en tant qu’objet d’art, puis comme symbole de la


Hongrie.

Selon les derniers examens scientifiques récents, la couronne hongroise est


un très ancien objet d’art homogène, réalisé en une seule pièce. Elle
correspond au style des orfèvres huns et parthes de la région de Caucase du
IVe ou du Ve siècle. Tous ses détails ont des significations religieuses de
l’époque. Je dois signaler que, pour des raisons inconnues, il y a quelques
siècles, on remplaça sur son contour les médailles émaillées de la Sainte
Vierge, de Raphaël et Urielle, par trois images byzantines (Konstantin,
Dukas, Geobicas).

Selon certains historiens, les Avars l’avaient amenée avec eux au bassin
des Carpates, sans jamais l’utiliser. Leur dernier khagan l’aurait offerte à
Charlemagne, ou ce dernier la prit avec tous les trésors avars. Charlemagne
aurait été couronné en 800 avec cette couronne. Plus tard, Otton III la trouva
dans la tombe de Charlemagne et l’offrit au pape Sylvestre II, qui en fit
cadeau à István de Hongrie. On raconta aussi qu’elle avait appartenu à Attila,
qui ne se fit jamais couronner et, qu’après sa mort, son fils Csaba, se sauvant,
la cacha à Byzance où il se réfugia. Les Avars ou les Byzantins la trouvèrent.
C’est ainsi qu’elle arriva plus tard en Europe centrale.

Selon la croyance des Hongrois, la Sainte Couronne est le symbole, non


seulement de la Hongrie, mais de tout le bassin des Carpates, qui en faisait
partie au moment du couronnement du roi István. Ce dernier offrit sa
couronne avec son pays à la Sainte Vierge, la priant d’être la patronne
protectrice de la Hongrie. Cette couronne représentait le roi et son pays. Sans
elle, aucun des deux ne pouvait exister. Elle était cachée dans un coffre
métallique, surveillée jour et nuit par la « garde de la couronne ». On ne la
sortait que pour la cérémonie de couronnement. Seul l’évêque du
couronnement et le gardien attitré pouvaient la toucher, sur un coussin en
velours rouge. On dit aussi qu’à Byzance, elle était recouverte du saint suaire
dans son coffre métallique, sans qu’on connût son existence.

Selon les « anti-István », la Sainte Couronne ne toucha jamais la tête


d’István, mais celle des autres rois de la maison Árpád non plus ! La
couronne offerte par Sylvestre II était tout à fait quelconque. La Sainte
Couronne n’arriva de Byzance que beaucoup plus tard, sous le règne
d’András III qui n’utilisa que sa copie conforme, en gardant
consciencieusement l’originale dans son coffre métallique. Lajos Ier le Grand,
de la maison d’Anjou, aurait été le premier roi de Hongrie couronné par la
Sainte Couronne !

Le roi saint István (Étienne)

Comme dans l’histoire de la Hongrie, j’appelle aussi Saint István (*975,


997-1038) son premier roi, canonisé en 1083. Il fut le fondateur du royaume
de Hongrie. J’en parlerai donc avec respect, bien que ses actions, souvent
cruelles, soient condamnables selon nos lois actuelles.

Après la mort de son père Géza, il devint en 997 le sixième chef suprême
des Hongrois, solidement installés dans le bassin des Carpates et même au-
delà. Tous les peuples voisins reconnaissaient sa légitimité et sa puissance
militaire. Son père, Géza, pratiquait encore la politique de tolérance orientale,
en autorisant toutes les croyances monothéistes dans son pays. Malgré sa
conversion au catholicisme, il ne l’imposa à personne. D’ailleurs, sa femme
Sarolta appartenait au christianisme byzantin, comme beaucoup d’habitants
de l’Est de la Hongrie mais la plupart de chefs de tribus restèrent fidèles à
l’ancienne croyance monothéiste des Hongrois. Cette tolérance assurait la
paix entre tous les habitants de la Hongrie. Selon les « mauvaises langues »,
Géza pratiquait sans complexe aussi bien la religion catholique que celle de
ses ancêtres, mais personne ne lui en voulut.

Malheureusement, István n’avait pas le caractère indulgent de son père.


Élevé par des prêtres allemands et sous l’influence de sa femme Giselle,
fervente catholique, il était persuadé, que les « Hongrois païens » ne
pouvaient pas survivre dans l’Europe catholique. Il fallait donc les convertir
au catholicisme, la seule croyance véritable, par tous les moyens imaginables,
y compris la force et la cruauté, s’ils refusaient. Et ni lui, ni ses missionnaires
ne manquaient d’imagination ! Il oublia, cependant, que le christianisme
byzantin pacifique était plus répandu que le catholicisme romain et que les
Hongrois le connaissaient déjà en Khazarie depuis des siècles. Ils auraient
accepté plus facilement l’action pacifique des missionnaires byzantins que la
conversion forcée des prêtres catholiques.

István se heurta à la résistance des païens et il fit donc appel à l’aide des
Allemands, qui arrivaient en masse déjà depuis son mariage avec Giselle. Il
faut reconnaître, cependant, que même si son pays était sous l’influence des
missionnaires et chevaliers allemands, István garda son indépendance vis-à-
vis du pape et de l’empereur du Saint Empire romain germanique. Pourtant,
ce dernier considérait qu’étant le chef de l’Église catholique et le supérieur
hiérarchique du pape, la Hongrie catholique devrait faire partie de son
empire. Afin de montrer sa puissance et son indépendance, István nomma lui-
même ses évêques et ne toléra aucune ingérence de la part de l’Église et de
l’empereur.

Après trois années de règne, en tant que fondateur d’un État chrétien et
indépendant, il demanda au pape une couronne qu’il obtint aussitôt,
accompagnée du titre de « roi apostolique ».
Il fut couronné roi de Hongrie le jour de Noël de l’an 1000, par l’évêque
d’Esztergom, sa ville royale, avec la reconnaissance du pape et de l’empereur
du Saint Empire romain germanique, dont il restait indépendant.
Il consacra ensuite toute son énergie à l’organisation et à la puissance de
son royaume. Il fit appel aux savants et artisans étrangers, puisqu’à l’époque
de la conquête, ne pouvant pas se déplacer facilement avec tous leurs outils,
la plupart des artisans hongrois étaient en Khazarie, lointaine.
Royaume de saint István

Il découpa la Hongrie en 50 départements, chacun dirigé par un « fidèle


châtelain ». Autour des châteaux, les habitants et les soldats étaient tous des
hommes libres. Comme il nomma lui-même ses évêques, il leur attribua aussi
d’immenses propriétés. Pour mieux les enrichir, il instaura une « taxe de
l’Église », représentant un dixième des revenus du peuple.
Il écrasa cruellement toutes les émeutes du début de son règne et poursuivit
la conversion de la population au catholicisme avec violence. Bientôt, l’ordre
fut établi dans la partie occidentale de la Hongrie. En revanche, la partie
orientale résistait aussi bien à la politique d’István qu’à la conversion forcée.
Cette résistance avait deux chefs, l’oncle d’István, gyula de la Transylvanie,
et Ajtony, seigneur des territoires du sud. Ils étaient les descendants directs
de deux des chefs des tribus de l’alliance de sang.

D’abord, il arrêta et emprisonna le gyula, mais ce dernier s’évada et s’exila


en Pologne. Malgré la révolte de leur père, István attribua de grandes
propriétés en Transylvanie, à ses fils.
Ajtony (chrétien byzantin) s’opposa à István avec son armée. Il fut tué
dans la bataille. Les deux seigneurs éliminés, István rattacha à la Hongrie la
Transylvanie et les territoires du Sud, et devint ainsi le seigneur du bassin
des Carpates. Personne n’osa plus s’opposer à lui. On le craignait à
l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Il atteignit le sommet de son
pouvoir. Cependant, en 1030, l’empereur Conrad II l’attaqua, mais subit une
lourde défaite. Peu de temps après, il écrasa les Petchenègues sur ses
frontières de l’est, puis il put vivre enfin en paix avec tous ses voisins.
Son fils unique, Imre (canonisé plus tard), élève très pieux de l’évêque
Gellert, mourut « accidentellement » à la chasse en 1031 (tué probablement
par les opposants d’István). N’ayant pas de parent proche catholique, le vieux
roi fit sortir de prison son cousin Vazul, fils de Koppány tué, pour le nommer
son successeur. Ses ennemis arrêtèrent Vazul, coulèrent du plomb dans ses
oreilles et crevèrent ses yeux pour l’en empêcher (selon certains, ils étaient
engagés par Giselle !). Les trois fils de Vazul, András, Béla et Levente,
craignant le sort de leur père, s’enfuirent à Byzance. István, ce grand roi, si
fort, fut incapable de protéger sa famille contre les assassins et d’assurer le
trône aux descendants de la maison Árpád après sa mort (suspecte) en 1038.

On peut reprocher au vieux roi d’avoir toléré les crimes et les violences
autour de lui, touchant même sa famille, sans réagir énergiquement contre les
criminels proches de lui. La conversion cruelle au catholicisme de son peuple
était aussi indigne du « saint homme » qu’il était.
Les « anti-István » l’accusent d’avoir trahi « l’alliance de sang », ayant
demandé l’aide des étrangers contre les siens, fils des chefs conquérants.
Cette trahison devait le rendre maudit, avec tous les descendants de la maison
Árpád. Mais les autres trahirent également leur serment en refusant de lui
obéir. À qui la faute ? Qui étaient les coupables ?

On peut supposer que la conversion forcée opérée par des missionnaires


étrangers soutenus par le roi rompit l’unité des Hongrois, très attachés à leur
indépendance et à leur croyance ancestrale, et déclencha les guerres
fratricides. Je dois rappeler aussi qu’István fit détruire tous les objets et les
vestiges de l’écriture cunéiforme hongroise, tout ce qui était en relation
avec le passé du peuple hongrois. Comme s’il avait eu honte de son peuple
« barbare ». Les Hongrois étaient très fiers de leur passé et ne pouvaient pas
accepter d’en être privés. István leur prit tout, pour leur « sécurité ». Il ne
reste de leur passé que quelques légendes, transmises de bouche à oreille. Or,
il n’y a pas de grand peuple sans passé !
Ayant fait le vide autour d’István, on choisit pour lui succéder Péter
d’Orseolo de Venise, fils de sa sœur (neveu de Giselle, selon certains), haï
puis chassé par les Hongrois après un court règne.
Je préfère abandonner ici, pour quelque temps, l’histoire des Hongrois. En
effet, après la mort d’István, durant des dizaines d’années, il n’y eut que des
intrigues, des trahisons, des cruautés et des guerres fratricides en Hongrie.
István en était partiellement responsable ! On peut se demander comment les
Hongrois purent survivre et existent encore aujourd’hui.

Analyse des évènements

Je dois marquer un temps de pause après les cinq premiers siècles du


Moyen Âge, pour analyser les évènements et leurs conséquences.

Les Hongrois, ayant vécu dispersés, mais en paix, depuis des milliers
d’années, à peine réunis et installés dans leur nouveau pays, commencèrent à
s’entretuer et se révolter contre leur premier roi.

Les adeptes des religions monothéistes s’entretuaient au nom du même


dieu. L’Europe entière devint chrétienne. Les chrétiens, si modestes, si
tolérants au début, instaurèrent diverses tendances au sein même de leur
religion, qui se persécutaient entre elles.

Les musulmans, dès le lendemain de la mort du fondateur de leur religion,


se scindèrent en deux dogmes opposés et seul le projet de la conquête du
monde les unit occasionnellement.

On peut même se demander si l’adoration des nombreuses divinités de


l’Antiquité n’était pas plus simple et plus juste ! Chaque peuple avait les
siennes. Il suffisait de les reconnaître en traversant leurs pays pour avoir la
tranquillité.

Si nous analysons les évènements du tournant du millénaire, nous ne


devons pas passer sous silence la « grande terreur » provoquée par les visions
apocalyptiques de saint Jean, prévues pour cette époque. Le passage de la
comète dans le ciel, des années de sécheresse, la famine, les épidémies, les
guerres sanglantes, étaient tous des présages de la fin du monde. Tout le
monde y voyait l’arrivée de « l’Antéchrist », libéré de ses chaînes. Le monde
chrétien tremblait de peur à l’idée de l’affrontement terrestre des puissances
surnaturelles, entraînant la fin du monde.

Mais aucune catastrophe surnaturelle n’arriva. On pensa donc à une


interprétation erronée de la date. La catastrophe devrait-elle arriver, 1 000 ans
après la mort du Christ et non pas après sa naissance ?
Ouf, 32 ans de sursis ! Il fallait en profiter pour affaiblir l’Antéchrist et
éliminer ses adeptes. On jeta les hérétiques sur des bûchers. Les prêtres
optèrent pour le célibat, afin de se consacrer entièrement au service de Dieu.
Ce fut aussi le départ des premiers pèlerins vers Jérusalem, où le Christ
devait renaître. Tout le monde voulait être témoin de ce grand évènement.

Toutefois, même si l’Apocalypse de saint Jean n’arriva pas sous la forme


annoncée, la vie des pauvres devint catastrophique. L’Église put éviter leur
révolte en promettant le bonheur éternel au ciel à tous ceux qui souffraient
sur la terre.

***

Au sujet des religions, je dois dire quelques mots de l’islam aussi, dont la
propagation spectaculaire bouleversa l’histoire et inquiéta beaucoup le monde
chrétien.

LE MONDE MUSULMAN

Tandis que dans toute l’Europe, le christianisme prenait racine, l’islam se


propageait de plus en plus dangereusement en Asie et en Afrique du Nord. Il
dominait la moitié du monde, mais heureusement, les oppositions entre
chiites et sunnites excluaient la possibilité de création d’un grand empire uni
et homogène.

Comme je l’ai dit déjà dans mon exposé au début du Moyen Âge, la
puissance de l’islam débuta avec la dynastie des Omeyyades chiites, laquelle
réunit les Arabes de l’Asie Mineure et de l’Afrique du Nord. Plus tard, les
Abbassides sunnites prirent le pouvoir et continuèrent leur expansion en Asie,
vers le nord et vers le sud. Haroun Al-Rachid fut leur plus grand calife, rendu
célèbre par sa culture, par sa politique habile, par ses succès militaires et
également par sa cruauté. On dit aussi qu’il fut immortalisé par certains
contes des Mille et une nuits, à cause de sa vie érotique et cruelle. C’est lui
qui accorda à Charlemagne la « clé » et la gestion de Jérusalem, et provoqua
aussi la rupture avec l’Égypte et son indépendance. Les musulmans chiites de
la lointaine Espagne rompirent aussi les relations avec les Abbassides et
restèrent indépendants de Bagdad.

Au tournant du millénaire, les Turcs seldjoukides du nord se convertirent à


l’islam sunnite, ainsi que les Afghans de l’est, commandés par Mahmud.
Bagdad resta la capitale du nouvel empire, mais la dynastie des Seldjoukides
prit le pouvoir pour plusieurs siècles, entraînant un changement fondamental
dans la structure de l’empire. Le calife de Bagdad restait le chef religieux,
mais l’empire était dirigé par le sultan de la dynastie des Seldjoukides.
Ce changement renforça la puissance et la réputation de l’empire. Il
diminua en même temps l’importance de l’opposition entre chiites et
sunnites, qui avait souvent entraîné des changements de régime dans le passé.

La culture perse avait beaucoup d’influence sur le sultan, qui entreprit la


construction de magnifiques palais. L’art et la culture n’étaient plus les
monopoles de la religion, mais aussi de l’empire. Ce fut un grand pas vers
une nouvelle civilisation des sciences, de la littérature et des arts.
Mais cet empire puissant représentait un nouveau danger pour l’Europe. En
effet, le sultan n’était pas un chef religieux, mais le chef d’une puissante
armée impérialiste qui, au nom de l’islam, voulait écraser et dominer le
monde entier.
Tous ces changements intervinrent vers la fin du deuxième âge d’or de
Byzance, qui résista longtemps aux Turcs, mais après la bataille de 1071, elle
perdit l’Asie Mineure et sa puissance militaire.

***
Je ne peux pas quitter l’Asie musulmane sans dire quelques mots des
civilisations du Sud-Est asiatique, si différentes et en plein essor au tournant
du millénaire. Si loin de l’Europe et de ses guerres religieuses, avec ses
magnifiques monuments, l’Asie du Sud-Est mérite un petit détour.
LES CIVILISATIONS DE L’ASIE DU SUD-EST

Jusqu’au début du Moyen Âge, le Sud-Est de l’Asie était partagé entre


l’Inde et la Chine.

Le Vietnam était sous tutelle chinoise, la Chine imposant sa structure


sociale et modernisant son agriculture.

La partie orientale, la Thaïlande, le Cambodge et les îles indonésiennes,


furent sous l’influence des Indiens qui y instaurèrent le bouddhisme et
l’hindouisme. Ces pays simples et modestes vivaient de l’artisanat, de
l’agriculture et du commerce. Progressivement, ils devinrent des royaumes
indépendants et leurs activités religieuses les rendirent mondialement
célèbres, avec les constructions extraordinaires de temples et de monastères
bouddhistes.

Je ne citerai qu’Angkor, capitale du Cambodge, fondée vers 900 par les


Khmers, où de nombreux monuments ornés de riches décors sculptés se
succédèrent. Toute la ville était un grand temple. Sa plus grandiose
construction fut le complexe funéraire s’étendant sur près de 2 km2. Sa partie
centrale était une sorte de pyramide, gardée par quatre tours d’angle en forme
d’obus. L’édifice était orné de sculptures représentant des nymphes célestes,
des scènes mythologiques et historiques.

LES GUERRES DE SUCCESSION DE LA HONGRIE

Dans la suite de mon exposé, j’utiliserai systématiquement les noms


hongrois pour les rois de Hongrie, en mettant entre parenthèses leurs
équivalents français, lorsqu’il en existe un.

Je ne peux pas passer sous silence la période « après István », dont les
Hongrois ne peuvent pas être fiers. Comme je l’ai dit plus haut, après la mort
d’István, durant des dizaines d’années, il n’y eut que des intrigues, des
trahisons, des cruautés et des guerres fratricides en Hongrie. En effet, son fils
unique, Imre étant mort avant son père, le choix de son successeur déclencha
des hostilités entre les candidats potentiels. Vazul, successeur désigné par
István, fut écarté du trône par l’entourage allemand de Giselle (épouse
d’István). Les trois fils de Vazul, András, Béla et Levente, craignant le sort
de leur père, s’enfuirent à Byzance.

Péter d’Orseolo (*1011, 1038-1046), fils d’une des sœurs d’István et du


doge de Venise, fut élu roi de la Hongrie en 1038 sous l’influence de Giselle
et de sa cour allemande. Après 3 ans de règne, haï par les Hongrois à cause
de ses injustices et de sa politique anti-hongroise, il fut détrôné en 1041 et
chassé de Hongrie. Il se mit sous la protection d’Henri III, empereur
germanique.

Aba Samuel, mari d’une autre sœur d’István, fut élu roi par la noblesse
hongroise en 1041. On l’appelait « l’usurpateur », puisque Péter, bien que
chassé, était encore roi couronné de Hongrie. Malgré sa popularité au début
de son règne, due à sa politique d’indépendance et à ses succès militaires, la
noblesse hongroise lésée par ses décisions et blessée par son orgueil,
complota contre lui. Il en fit exécuter une cinquantaine en 1044, attirant
même la colère du pape qui l’excommunia. Beaucoup d’autres se sauvèrent
de Hongrie, se mettant sous la protection d’Henri III, qui refusa de les livrer à
Aba Samuel. Ce dernier attaqua le Saint Empire romain germanique, mais
après quelques succès, il fut battu par Henri III qui rétablit Péter sur le trône.
La Hongrie devint vassale de l’Empire germanique avec l’accord de Péter.
Les Hongrois se révoltèrent contre la domination allemande, arrêtèrent Péter
et lui crevèrent les yeux en 1046. Ils firent revenir de Byzance les trois fils de
Vazul, András, Béla et Levente. L’évêque Gellért, qui refusa de couronner
l’usurpateur Aba Samuel, alla à leur rencontre au bord du Danube. Son
cortège fut attaqué par les païens hongrois qui le jetèrent du mont (portant
aujourd’hui son nom) dans le Danube.

András Ier (André, fils aîné de Vazul), élu roi en 1046, rétablit les lois
d’István et l’ordre en Hongrie. Levente (resté païen) mourut en 1047. Avec
l’aide de son frère Béla, András libéra la Hongrie de la domination allemande
et écrasa la révolte des païens hongrois. L’entente était parfaite entre les deux
frères. Béla était un grand guerrier et toutes les victoires hongroises étaient
dues à ses qualités militaires. András lui offrit un tiers de la Hongrie pour
partager le pouvoir. Après la naissance de son fils Salamon, son héritier,
András soupçonna Béla d’avoir des prétentions au trône. Il l’accusa de
complot. La guerre éclata entre les deux frères et se termina avec la victoire
de Béla et la mort d’András, en 1060, aidé pourtant par le Allemands.

Béla Ier (fils de Vazul, *1016, 1060-1063), très populaire, fut élu roi à
l’unanimité en 1060. Son gouvernement fut loyal et modéré. Il diminua les
charges qui pesaient sur les pauvres. On lui reprocha, cependant, une
« certaine faiblesse » pour les païens. Il est vrai qu’il ne les persécutait pas
tant qu’ils se tenaient tranquilles, mais après leur révolte, il les écrasa sans
pitié. Il aurait pu être un très grand roi, mais il mourut accidentellement en
1063. Le plancher de la salle de réunion où il préparait sa future campagne de
guerre s’effondra sous le poids de son trône, provoquant sa chute mortelle. Il
laissa trois fils, Géza, László et Lambert, qui auraient pu prétendre au trône.
Cependant, ils y renoncèrent en faveur de leur jeune cousin Salamon, fils
d’András.

Salamon (fils d’András Ier, *1052), encore enfant, fut couronné roi en
1063. Il était le protégé d’Henri IV, empereur germanique, qui le ramena en
Hongrie avec une puissante armée allemande très mal vue par les Hongrois.
Son histoire est floue et contradictoire, selon les sources. Certaines le traitent
de héros, d’autres de traître anti-hongrois.
Au début de son règne, Géza et László, ses cousins princiers, l’aidaient
régulièrement dans ses guerres contre les envahisseurs coumans. Mais le
jeune roi influençable faisait plus confiance au comploteur Vid et à ses amis,
qu’à ses cousins. Se sentant en danger, les princes Géza, Ladislas et Lambert
se retirèrent en Pologne, où ils aidèrent victorieusement les Polonais dans
leur guerre contre les Russes. Entre temps, le Nord de la Hongrie se révolta
contre Salamon. Afin de rétablir l’ordre et la paix sans intervention
allemande, l’évêque de Györ rappela Géza et László en Hongrie, leur
demandant de se réconcilier avec Salamon. En contrepartie, ce dernier
reconnut leurs titres de prince héritier. Il était temps de renforcer l’armée, car
la Hongrie était attaquée par les Tchèques au nord et par les Coumans à l’est.
Après la victoire finale en 1067 sur les Coumans, les Petchenègues,
encouragés par Byzance, attaquèrent la Hongrie au sud. La victoire écrasante
de 1068, attribuée à Géza et à Ladislas, apporta aux Hongrois un butin
inestimable, que Salamon voulut garder pour lui seul. Mais après de longues
négociations, il en céda une petite partie à ses cousins victorieux. Cet incident
fit renaître la méfiance entre le roi et les princes qui se séparèrent. Leur
opposition fut aggravée par la mésentente entre Henri IV, empereur
germanique et le pape Grégoire VII. Salamon soutenait Henri IV, montrant
clairement sa politique germanophile, alors que les trois princes allèrent au
secours du pape, représentant de la chrétienté. L’armée des princes écrasa
celle de Salamon, aidé par les Allemands dans la bataille de Mogyoród, en
1074. Salamon, chassé de son trône, se réfugia à Bratislava.

Géza Ier (fils aîné de Béla Ier, *1040, 1074-1077) fut élu roi de Hongrie en
1074. Il ne voulut pas accepter le trône, puisque que l’ancien roi couronné
était encore vivant ! Mais il céda aux demandes du pape et sous la menace
des Allemands, appelés à l’aide par Salamon. Durant son règne, il rétablit
l’ordre dans son pays, mais vécut toujours sous la menace allemande,
maintenue en permanence par les sollicitations de Salamon. Il chargea donc
son frère László de tenir encerclé Salamon dans son château de Bratislava,
afin d’éviter qu’il se rallie à l’armée d’Henri IV. Il fut trahi par le pape
Grégoire VII qui, dans ses correspondances, l’appela « prince » et lui
demanda le rétablissement de Salamon sur le trône. Il était sur le point de
céder, lorsqu’il mourut accidentellement en 1077.

Saint László (Ladislas)

László Ier (fils de Béla Ier, *1040, 1077-1095) fut couronné roi de Hongrie
en 1077, à l’unanimité de la noblesse et du peuple, après la mort prématurée
de son frère. Ce grand homme (aussi par sa taille) était célèbre depuis sa
jeunesse pour son courage, ses victoires, sa loyauté, sa justesse et sa grande
foi chrétienne. Dans les batailles, on ne voyait que lui, avec sa haute stature
(plus de 2 m), attirant tous les ennemis. Grâce à sa force surhumaine et à son
courage, les têtes d’ennemis « roulaient autour de lui, comme des
citrouilles ». Il était invincible, protégé de Dieu. Il réorganisa le pays déchiré
par les guerres fratricides. Il imposa des lois sévères contre le vol et la
criminalité. Il fit donation au clergé d’immenses propriétés et lui accorda des
revenus réguliers, dîmes peu populaires représentant 10 % des récoltes. Il
agrandit la Hongrie en y rattachant la Croatie (entre autres) et renforça ses
frontières de tous les côtés. Malgré les complots permanents de Salamon, il le
laissa vivre en liberté à Bratislava.
L’empereur Henri IV, appelé par Salamon, attaqua plusieurs fois la
Hongrie, mais toujours sans succès, puis conclut la paix avec László, en
1081. Ne pouvant plus compter sur son grand ami, Salamon essaya de
comploter ensuite avec les opposants païens de László en Hongrie même.
Pour avoir enfin la tranquillité, László le fit enfermer dans la tour du château
de Visegrád, qui porte encore son nom. Selon les légendes, il fut libéré en
1083, à la demande d’un pieux ermite, pour les cérémonies de canonisation
de saint István. Cette même année furent aussi canonisés Imre, le fils de saint
István et l’évêque martyr Gellért.

Une fois libéré, Salamon utilisa tout son temps et toute son énergie à
obtenir l’aide des ennemis voisins païens, pour récupérer son trône. Rien ne
l’arrêta. Afin d’obtenir son aide contre les Hongrois, il épousa la fille du khan
des Coumans. L’attaque des Coumans fut écrasée par László en 1085.
Salamon essaya ensuite de réunir les Coumans et les Petchenègues pour
attaquer la Hongrie au sud, mais il fut battu par l’armée byzantine avant
même l’intervention de László. Après cette bataille, il disparut de l’histoire. Il
mourut probablement durant la bataille. Mais, comme on ne retrouva jamais
son corps, on crut le voir longtemps, déguisé, un peu partout dans le pays,
mais sans preuve tangible. Inconsciemment, ses complots avec les
Allemands, les Coumans et les Petchenègues pour récupérer son trône à
n’importe quel prix, ne servirent qu’à augmenter le prestige et la popularité
de László, qui en sortait toujours grandi avec ses victoires transformées
souvent en miracles. De nombreuses légendes populaires racontent ses
exploits. Celles concernant ses exploits contre les Coumans, souvent
miraculeux, furent innombrables.
On disait qu’il était l’envoyé de Dieu pour sauver la Hongrie et que Dieu le
protégeait en lui accordant même des miracles. J’en citerai, ci-après,
quelques-uns parmi les plus célèbres.

Un jour, isolé de son armée, il fut surpris dans les montagnes par des
centaines de guerriers coumans lui barrant la route. Lorsqu’il leva ses bras au
ciel pour implorer l’aide de Dieu, une faille immense s’ouvrit entre lui et les
Coumans, les empêchant de l’atteindre.

Après une bataille victorieuse, ses soldats occupés à ramasser les trésors et
pièces d’or abandonnés par les Coumans, renoncèrent à leur poursuite. Or,
László voulait vaincre définitivement ses ennemis. Il fit transformer par sa
prière tous les trésors en pierres et mottes de terre. Ses soldats reprirent leurs
armes et exterminèrent tous les ennemis.

Après une longue campagne de guerre, l’armée affamée de László se


trouva dans un immense désert, sans nourriture et sans gibier. László se mit à
genoux pour implorer l’aide de Dieu. Soudain, un troupeau de bisons
paisibles, venant de nulle part, s’approcha des soldats, se laissant massacrer.

Dans les montagnes sans rivière, il fit jaillir une abondante chute d’eau des
roches avec son épée, pour désaltérer ses soldats épuisés.

Même son cheval faisait partie de ses miracles. Sans attendre les ordres de
son maître, il se jetait sur les ennemis en les mordant et les écrasant. Il en
tuait autant que son maître. On raconte qu’en le voyant arriver sur son célèbre
cheval, ses ennemis se sauvaient.

Dans un certain sens, László poursuivit la politique de son aïeul Árpád,


auquel on le compara souvent. Il laissa s’installer en Hongrie les ennemis
vaincus et soumis. Il leur donna des terres dans les régions peu peuplées et
leur accorda les mêmes droits qu’aux Hongrois, sous réserve de leur
intégration totale. Petit à petit, toute la région de la rivière Tisza fut peuplée
par des Coumans et Petchenègues, qui devinrent des habitants paisibles de la
Hongrie. Ceux qui refusèrent l’offre de László furent combattus et chassés. Et
ces derniers étaient très nombreux. Durant des dizaines d’années, ils
s’attaquèrent aux frontières de la Hongrie.
Malgré les complots de Salamon, on peut dire que grâce à sa grande
popularité, László put mettre fin aux guerres de succession qui duraient
depuis la mort de saint István, menaçant la survie de la jeune Hongrie.
Il fut un fidèle défenseur de la chrétienté, sans être vassal ni du pape, ni du
Saint Empire romain germanique. László soutenait toujours l’Église et le
pape, tout en gardant son indépendance absolue. On dit même que le pape
voulut lui offrir la couronne du Saint Empire Romain germanique, mais qu’il
aurait refusé. On voulut aussi lui confier l’armée de la première croisade en
1095. On ne saura jamais s’il avait accepté ou non, car il mourut avant.
László fut canonisé un siècle après sa mort. On peut penser que ses
nombreux « miracles », réservés en principe aux saints, étaient des arguments
pesant pour sa canonisation. Sinon, on ne voit pas pourquoi.
Il mourut en 1095, sans laisser d’héritier direct. Avant sa mort, il désigna
comme successeur Kálmán, fils aîné de son frère Géza. On disait qu’il
préférait Álmos, son cadet, et on ne comprit donc pas son choix. Certains
historiens en conclurent que le véritable héritier de László fut Álmos, mais
que Kálmán prit sa place. Pourtant, on disait aussi qu’il aurait préféré un
évêché au trône ! En effet, Kálmán était plus attiré par les livres que par les
guerres. On l’appelait Kálmán le Libraire. Alors que son frère Álmos était un
guerrier de grande réputation. Toutefois, ce dernier se contenta longtemps de
son titre de prince de Croatie et de ses succès militaires, sans prétendre au
trône.

Le royaume de Hongrie durant les croisades

Préoccupés par les problèmes internes et externes, mis à part András II, les
rois hongrois ne participèrent pas activement aux croisades, mais ils devaient
assurer et gérer les passages des armées européennes le long du Danube, à
travers la Hongrie. Sans entrer dans les détails, je les passe en revue
chronologique, afin de rappeler leurs noms.

Kálmán (Koloman, dit le Libraire, fils de Géza, *1074, 1095-1116) fut


couronné en 1095. Malgré tous ses défauts physiques (il louchait, était bègue,
bossu, boiteux et j’en passe), il régna durant plus de 20 ans, sans problèmes
graves, dans les conditions difficiles de l’époque. Les avis sont très partagés à
son sujet. Certains historiens le jugèrent sévère, mais juste, sage et savant.
D’autres, surtout les prêtres étrangers, le trouvèrent cruel et sanguinaire et
évoquèrent les mésententes entre les deux frères. Or, ils s’entendirent très
bien. Lorsqu’Álmos eut des difficultés en Croatie, dont il fut le prince et le
gouverneur, Kálmán partit immédiatement le secourir. Il profita de ses
victoires pour occuper les côtes dalmates et signer des accords avec le doge
de Venise.
On peut penser que ses ennemis lui reprochèrent un comportement
« anticlérical » au moment des premières croisades. Or, il ne faut pas oublier
que la Hongrie se trouvait dans une situation très difficile jusqu’à l’arrivée de
la première armée européenne bien organisée et bien encadrée. En effet, les
premiers « croisés » ne furent que des gueux non encadrés, surexcités par
quelques illuminés indisciplinés agissant au nom de Dieu. Ils pillèrent et
massacrèrent tous les habitants sur leur passage. D’abord les juifs, les païens,
puis tous ceux qu’ils trouvaient sur leur chemin. Leur cruauté fut légendaire.
La première horde fut écrasée par l’armée de Kálmán, à la frontière. La
deuxième fut encadrée par l’armée, nourrie, puis canalisée vers le chemin de
Constantinople. Mais le bruit courait en Europe que les chrétiens hongrois
empêchaient le passage des croisés. Lorsque Godefroi de Bouillon, nommé
par le pape Urbain II, chef de la première croisade, arriva enfin en 1096 avec
son armée à la frontière hongroise, il se préparait donc à l’attaque des
Hongrois. Mais il fut surpris par l’accueil amical et cordial de Kálmán qui
l’aida à traverser paisiblement la Hongrie. Toutefois, les Hongrois ne
participaient pas aux croisades, car leur pays était toujours menacé par les
Coumans et les Petchenègues, et il fallait le défendre.

Kálmán ouvrit la Hongrie vers l’Europe latine, tout en conservant son


autonomie politique et culturelle. De nombreux Italiens s’installèrent
définitivement au sud du pays. Il laissa entrer aussi en Hongrie, en masse, des
juifs, des musulmans et des païens chassés des autres pays européens par les
croisés, mais avec des structures d’accueil différentes.

Les juifs installés dans les grandes villes pouvaient vivre en communauté,
selon leurs lois, mais sous la surveillance de l’évêque hongrois. Ils pouvaient
acheter des terres, mais ne pouvaient pas avoir de serviteurs hongrois et ne
pouvaient pas épouser de chrétiens. On ne les baptisait pas.

Les musulmans et les païens (Coumans, Petchenègues, Bulgares, Turcs)


devaient vivre dispersés dans le pays, afin de faciliter leur assimilation à la
population et d’empêcher la formation de communauté non chrétienne. Leurs
prédécesseurs étaient déjà devenus chrétiens hongrois depuis un siècle.

Kálmán modernisa et allégea les lois d’István et de László, jugées trop


sévères dans son pays déjà christianisé. Ses lois furent rédigées en hongrois et
même les prêtres devaient dire une partie de la messe en hongrois.
Malheureusement, dans la deuxième partie de son règne, il eut affaire à
plusieurs complots dans sa propre famille. Il répudia sa femme adultère,
attirant ainsi la haine de sa belle-famille. Son frère Álmos, prince de Croatie,
avait de plus en plus de problèmes avec son peuple. Kálmán intervint à
nouveau et il fut élu roi de Croatie et de Dalmatie. En contrepartie, il offrit à
son frère la région du Tisza. Ce dernier, vexé, demanda l’aide des Allemands
contre Kálmán qui resta victorieux après plusieurs batailles. Pour punir
Álmos, il l’envoya en pénitence à Jérusalem. À son retour, il recommença ses
complots contre Kálmán qui, cette fois-ci, le fit aveugler, ainsi que son fils
Béla. Malgré les avis contradictoires, on peut dire que Kálmán fut un grand
roi jusqu’à sa mort, en 1116.

István II, (Étienne, fils de Kálmán, *1101, 1116-1131) fut couronné en


1116, à l’âge de 15 ans. Il passa son temps à se battre, sans succès, contre les
Allemands, les Tchèques, les Polonais, les Byzantins et même contre Venise.
On peut supposer que le jeune roi agissait sous l’influence de la noblesse qui
l’abandonna par la suite et lui refusa toute obéissance. On l’appelait « le roi
malade ». Il mourut en 1131, sans laisser d’héritier. Il ne laissa aucun
souvenir méritoire de son règne. Les Hongrois firent revenir de Byzance son
cousin Béla, qui avait été aveuglé par Kálmán, en même temps que son père
Álmos.

Béla II l’Aveugle (fils d’Álmos, *1108, 1131-1141) fut couronné en 1131.


Malgré son handicap (on disait que sa femme gouvernait avec son frère Belos
à sa place), ce fut un roi fort et sévère. Sa première action fut l’exécution des
seigneurs ayant participé à la crevaison de ses yeux et de ceux de son père
pendant son enfance. Leurs biens furent confisqués. Il dut faire face aux
complots de ses adversaires, qui voulurent couronner à sa place Boris, le fils
bâtard de la femme adultère exilée de Kálmán, né à Kiev. Boris avait été
élevé à Byzance, dont l’empereur soutint sa candidature, malgré le manque
de preuves de parenté. En effet, avec l’aide de Boris, Byzance espérait
détourner la Hongrie de l’influence du pape. Boris fut aussi soutenu par la
Pologne.
Béla, avec l’aide des Allemands et des Tchèques, vainquit les comploteurs
et chassa Boris.
Lorsque l’ordre fut rétabli à l’intérieur du pays, il reprit la Dalmatie perdue
par István II et même la Bosnie. Après sa mort en 1141, il laissa quatre fils,
héritiers du trône.

Géza II (fils de Béla II, *1130, 1141-1162), encore enfant, fut couronné en
1141. Sous la tutelle de sa mère et de son oncle Belos, il poursuivit la
politique de son père. Il resta fidèle au pape qu’il soutenait. Il dut se battre
aussi contre Boris, qui n’abandonna pas l’idée d’accéder au trône de Hongrie.
Il demanda même l’aide militaire des princes tchèque et autrichien contre
Géza. L’aide lui fut refusée, mais il obtint leur autorisation de recruter des
mercenaires en Autriche. Boris attaqua le nord de la Hongrie et prit le château
de Bratislava en 1146. L’armée hongroise menée par Belos et le jeune Géza
reprit Bratislava et, en représailles, elle attaqua le prince Henri d’Autriche
qu’elle poursuivit jusqu’à Vienne. On doit reconnaître les mérites de Belos,
dont la tutelle et l’aide permirent à Géza de devenir un grand roi. Et la
Hongrie de cette époque avait bien besoin d’un grand roi.
Géza craignait les représailles de l’empereur Conrad III, beau-frère d’Henri
d’Autriche, mais l’empereur avait besoin de son aide pour traverser la
Hongrie avec l’armée de la deuxième croisade.
Manuel, empereur byzantin, petit-fils de saint László (fils de sa fille Irène
et de l’empereur Jean), voulait étendre son pouvoir sur la Hongrie. Il
soutenait donc l’armée de Boris contre Géza. Mais ce dernier repoussa
l’armée de coalition de Boris et de Manuel.
István, frère cadet de Géza, ne se contentait plus de son titre de prince et
visait aussi le trône. Il demanda le soutien de Frédéric Barberousse
(successeur de Conrad III) que ce dernier refusa, ayant eu besoin de l’aide de
Géza. István se retira à Byzance pour comploter avec Manuel contre son
frère. Mais l’armée de Géza resta toujours victorieuse. Plus tard, le prince
László, l’autre frère de Géza, se retira aussi à Byzance.
Géza mourut jeune, en 1162, laissant son trône à son jeune fils, István.

István III (Étienne, fils de Géza II, *1147, 1162-1172) fut couronné en
1162, à l’âge de 14 ans, mais une partie de la noblesse hongroise préférait
mettre sur le trône László II, frère de Géza. István III se réfugia en Allemagne
avec sa mère. Après 6 mois de règne, László II (fils de Béla II, *1131)
mourut. Son frère, István IV (fils de Béla II, *1133) qui visait le trône depuis
longtemps, fut enfin élu roi de Hongrie en 1163. Son règne ne dura que
quelques mois. István III reprit son trône à l’impopulaire István IV avec
l’aide du vieux Belos et de la noblesse hongroise. Il dut entrer souvent en
guerre contre István IV (mort en 1165) et contre Manuel, empereur byzantin,
auquel il reprit la Dalmatie.
L’empereur Manuel ayant constaté l’impopularité d’István IV, changea de
politique pour essayer de s’emparer de la Hongrie. Il s’occupa
personnellement de l’éducation du prince Béla, frère cadet d’István III, élevé
à Byzance. Béla épousa la belle-sœur de l’empereur Manuel, ayant une bonne
éducation occidentale. Jusqu’à la naissance tardive du fils de Manuel, le
jeune Béla était considéré comme l’héritier du trône de l’empire byzantin.
István III mourut jeune, en 1172.

Béla III (fils de Géza II, *1148, 1172-1192) fut couronné en 1172. Par ses
liens familiaux, la Hongrie se rapprocha donc de Byzance, tout en gardant
son indépendance. Malgré la bonne entente entre Byzance et la Hongrie,
Béla III resta fidèle au pape. Il n’avait pas besoin de choisir entre Rome et
Byzance. En effet, depuis la défaite de l’armée byzantine face aux Turcs
musulmans, un siècle plus tôt, et la perte des lieux saints, la tension avait
baissé entre les chrétientés occidentale et orientale et les armées des croisades
passaient par Constantinople.
Certains reprochèrent à Béla III son amitié avec l’empereur Manuel et
l’accusèrent (à tort) de l’empoisonnement de son frère. Il fallut l’intervention
du pape pour faire accepter son couronnement. Toutefois, la grande majorité
des Hongrois était contente d’avoir un roi fort, intelligent et de grande
éducation, après István III.
Ayant connu les fréquentes guerres stériles de son tuteur Manuel, Béla III
préférait régler les problèmes de voisinage avec diplomatie ou par la
dissuasion par la seule présence de son armée puissante. Malgré les attaques
de Venise, il put garder la Croatie et la Dalmatie. Il conquit même la Galicie.
Après la mort de Manuel, le tuteur de l’enfant empereur prit le pouvoir à
Byzance, en persécutant les chrétiens latins « non orthodoxes ». Ces derniers
demandèrent l’asile en Hongrie et de l’aide. Béla III battit régulièrement
l’armée byzantine et occupa les régions frontalières. Ces guerres durèrent
jusqu’à la mort de l’usurpateur, tué par les Byzantins après qu’il eût assassiné
le jeune empereur et sa mère.
Béla III fut un très grand roi. Durant son règne la Hongrie devint grande et
riche, avec un pouvoir centralisé puissant. Le commerce se développa et,
grâce à l’argent perçu par son système de douane et de taxes sur les
marchandises vendues en Hongrie, Béla III fit développer un réseau routier
moderne. Il modernisa l’administration, dirigée par la Chancellerie royale. On
construisit des châteaux riches et luxueux. Chaque département avait son
château et devait assurer au roi une armée en cas de guerre. Après son
mariage avec Marguerite Capet, sœur de Philippe Auguste, il devint l’un des
souverains les plus riches d’Europe. Tout le monde l’écoutait et le respectait.
Saint László fut canonisé à sa demande en 1192.

Après les victoires du sultan Saladin et la perte de Jérusalem par les


croisés, Béla III aida la troisième croisade, mais sans y participer. Il
accompagna l’armée de Frédéric Barberousse jusqu’à Constantinople pour
négocier avec les Byzantins son passage pacifique. Cependant, cette
troisième croisade sur les lieux saints fut un échec total. Frédéric Barberousse
mourut et Richard Cœur de Lion dut se sauver. Béla III voulut participer
personnellement à la quatrième croisade, mais il mourut avant, en 1196.

Imre (fils de Béla III, *1174, 1196-1204) fut couronné en 1196. Il avait
toutes les qualités pour gouverner son grand royaume, solidement établi par
son père. Cependant, il ne put pas profiter de sa situation favorable, à cause
de son frère András, qui se sentait lésé et humilié de voir son aîné gouverner
seul. Sous prétexte de préparer la croisade, András organisa une armée de
mercenaires pour attaquer son frère. Son armée écrasa celle d’Imre en 1197 et
András prit le pouvoir en Slavonie, en Dalmatie et en Croatie
Malgré les menaces d’excommunication du pape contre les comploteurs,
András trouvait toujours de l’aide parmi les Hongrois et dans les pays
voisins. En 1199, il attaqua Imre près du lac Balaton, mais le roi, bien
organisé, écrasa son armée. András, vaincu, se réfugia en Autriche pour
préparer une nouvelle attaque. Cependant, le pape réussit à réconcilier les
deux frères. András reçut le titre de prince pour se tenir tranquille.
Imre, se croyant en paix, décida de participer en croisade. Mais son projet
fut perturbé par les révoltes des hérétiques de ses territoires du sud. Son
intervention armée, encouragée par le pape, lui permit de régler le problème.
Mais bientôt, il dut secourir ses alliés en Serbie.
Entre temps, une armée de croisés du comte des Flandres débarqua dans
les Balkans. N’ayant pas payé ses frais de transport et de ravitaillement au
doge de Venise, ce dernier lui demanda en contrepartie d’occuper en sa
faveur les territoires dalmates appartenant au royaume de Hongrie. Imre les
récupéra en 1204, mais réalisa, que pour la plupart des croisés, le véritable
but était le pouvoir. En effet, l’armée des croisés devant passer par
Constantinople, profita de sa puissance militaire pour piller la ville et pour
transformer Byzance en empire latin dépendant de Rome. Imre n’abandonna
pourtant pas son projet de croisade et, afin de pouvoir y participer
personnellement, il demanda à l’évêque d’Esztergom de couronner son fils de
5 ans, László, roi de Hongrie. Cette décision et ses succès militaires rendirent
furieux et jaloux András, qui organisa un nouveau complot contre Imre.
Cependant, Imre mourut avant l’ultime bataille.

László III (Ladislas, fils d’Imre, *1199), enfant de 5 ans fut couronné en
1204. Toutefois, la noblesse hongroise ne voulait pas d’enfant roi et, selon la
tradition ancestrale, préférait voir sur le trône András, le frère d’Imre. La
veuve d’Imre se réfugia en Autriche avec László III, qui y mourut l’année
suivante, à l’âge de 6 ans.

András II (André, fils de Béla III, *1175, 1205-1235) fut enfin couronné
en 1205. Cet homme ambitieux régna durant 30 ans. Il se disait roi de Serbie,
de Dalmatie et de Croatie. Il se lança dans la croisade et faillit même devenir
empereur byzantin. Mais avec ses maladresses et sa mauvaise politique, il
gâcha tout. La situation en Hongrie ne cessa de se détériorer. L’aristocratie
hongroise devenait de plus en plus forte et indépendante, au détriment du
pouvoir royal. Les impôts élevés, les douanes, les mines et le fermage de la
monnaie suscitèrent un mécontentement général. Quelques aristocrates
révoltés assassinèrent même sa femme Gertrude. Afin de calmer le
mécontentement, il concéda une charte, en 1222, appelée Bulle d’Or, par
laquelle il interdit la possession des terres hongroises par des étrangers,
exonéra d’impôts la petite noblesse et promit de la défendre contre
l’aristocratie.
Un grand parti byzantin souhaitait donner le trône de l’empereur à
András II et lui demanda de venir à Constantinople. András II voulait y aller
avec une puissante armée et demanda au pape de lui confier les croisés. Le
pape le lui accorda, mais voyant l’ambition réelle d’András II et son peu
d’enthousiasme pour la guerre sainte, il nomma Pierre Courtenay empereur
de Byzance. L’épouse de ce dernier arriva par bateau à Constantinople, alors
que son mari avait été tué au cours d’une bataille sur le chemin. András II
pouvait donc espérer encore. Cependant, au lieu de passer par les Balkans
avec ses croisés pour arriver aux lieux saints, il choisit la route de la mer.
Arrivé sur place, il n’attaqua pas Jérusalem, mais passa son temps à piller la
région afin d’éviter les pertes et de disposer d’une grande armée au sud, avant
de remonter vers Constantinople. Le pape ne lui pardonna pas son inefficacité
à la tête des croisés et il nomma Robert Courtenay empereur de Byzance à la
place d’András II.
Durant tout son règne, il se battit à l’est pour conserver son autorité sur la
Galicie. Il nomma roi de Galicie son fils Kálmán, encore enfant, qui en fut
chassé. Petit à petit, il perdit aussi les régions du sud des Balkans, confiées à
son fils aîné, Béla. Plus tard, ces régions furent regagnées par ses fils Béla et
Kálmán. Il était jaloux des succès militaires de ses fils dans les Balkans. Il
mourut en 1235, à l’âge de 60 ans, quelques mois après son troisième
mariage, laissant derrière lui un pays sans autorité royale.
Il ne laissa aucun souvenir historique derrière lui qui mériterait d’être cité,
mis à part sa Bulle d’Or. On peut cependant supposer qu’il était d’accord
avec son fils Béla IV pour autoriser et aider le voyage des missionnaires
dominicains partant à la recherche des Hongrois restés à l’Est. Il devait
penser qu’en cas de succès dans leur conversion au catholicisme, il aurait une
excellente réputation dans l’Europe chrétienne. Son fils, Béla IV, espérait
probablement les ramener dans le bassin des Carpates et faire ainsi de son
royaume la plus grande puissance d’Europe.

À la recherche des Hongrois de l’Est

Au Xe siècle, des historiens arabes et byzantins parlaient déjà des tribus


hongroises vivant dispersées dans les régions d’Europe orientale et d’Asie
centrale. Selon certains, ces tribus se seraient détachées du peuple hongrois
avant son installation dans le bassin des Carpates. Selon d’autres, elles
vivaient depuis toujours dispersées dans les régions du Caucase jusqu’à
l’Oural. Il paraît que les Hongrois établis dans le bassin des Carpates
restèrent en relation avec eux jusqu’à la fondation du royaume hongrois.
Mais après, il fallut attendre deux siècles pour qu’ils s’intéressent à nouveau
à leurs cousins de l’Est. Le but de ce soudain intérêt était surtout de les
convertir au catholicisme.

L’ordre des dominicains, vivant de la mendicité, créé au début du


XIIe siècle en Europe, s’installa également en Hongrie. Le but principal des
dominicains hongrois, mené avec beaucoup de succès, était la conversion au
catholicisme des païens des Balkans et de Byzance. Un de leurs membres,
très cultivé, le frère Otto, lut beaucoup au sujet des Hongrois de l’Est dans les
publications arabes et byzantines, ainsi que dans le Gesta Ungarorum
d’Anonymus (historien anonyme du roi András II). Il demanda donc
l’autorisation à sa hiérarchie de les chercher, puis de les convertir.
Après un long voyage épuisant, il rencontra dans les régions du fleuve
Don, des Hongrois étrangers qui lui parlèrent d’un très grand pays hongrois,
entre la Volga et l’Oural. Cependant, très malade et ayant perdu ses trois
compagnons, il dut rentrer en Hongrie pour en informer ses frères. Il mourut
peu de temps après.

Les voyages du frère Julianus

Le frère Julianus, également très cultivé (il fit ses études à l’Université de
Bologne), demanda l’autorisation de sa hiérarchie et du nouveau roi, Béla IV,
de repartir sur la route du frère Otto pour évangéliser les lointains cousins.
Comme son prédécesseur, il partit vers l’est avec trois autres dominicains, en
1235.
Après un long voyage pénible sur terre et mer, ils arrivèrent à
l’embouchure de la Volga.
Les populations des régions traversées connaissaient plusieurs tribus
nomades hongroises, dispersées entre les mers Noire et Caspienne, mais
personne n’avait entendu parler d’une Grande Hongrie orientale, celle citée
par le frère Otto. Comme, selon Anonymus, les Hongrois avaient vécu dans
le Caucase avant de se disperser en Eurasie, Julianus voulut suivre leur
chemin supposé. On peut également rappeler que, avant leur départ vers la
conquête de la Hongrie, les Hongrois occupaient déjà cette région appelée
jadis Dentia (Dentumogérie).
Tout le monde connaissait aussi des tribus hongroises vivant un peu plus
au sud, aux environs de la ville de Madjar, qui portait leur nom déformé.
Certains disaient que, loin au nord, près de la Grande Bulgarie, les Hongrois
étaient très nombreux. C’étaient eux, dont devait parler Otto.
Au printemps 1236, ayant perdu ses compagnons, Julianus repartit avec
une caravane vers le nord. Il y retrouva enfin le pays des Hongrois de l’Est,
situé entre la Volga et les monts Oural. Leurs voisins étaient des Bulgares au
sud et des Mongols (Tartares) à l’est. Ils parlaient une langue hongroise très
pure et n’eurent donc aucun problème à comprendre Julianus. Ils furent
heureux d’apprendre que c’était un Hongrois chrétien venant de la Hongrie
lointaine. Ils vivaient comme les anciens Hongrois. Ils adoraient un seul dieu,
mais sous différentes formes selon les circonstances. Ils croyaient en « l’au-
delà » et, en honneur de leurs aïeuls, un feu brûlait en permanence dans leur
camp. Leurs voisins les prenaient pour des « adorateurs du feu ». Ils vivaient
de l’élevage. Ils avaient parfois des escarmouches avec leurs voisins tartares,
mais bons guerriers, ils en sortaient souvent vainqueurs.
Les Mongols estimaient beaucoup les guerriers hongrois. Associés, ils
pillaient souvent ensemble les pays voisins.
Un jour, un émissaire mongol dévoila à Julianus leur projet d’envahir
l’Europe et d’écraser tous les peuples qui oseraient leur résister. Informé de
ce projet inquiétant et sachant que, seul, il ne pourrait pas convertir ce grand
peuple, Julianus décida de rentrer immédiatement en Hongrie pour prévenir
Béla IV et le pape…
Cependant, il ne put convaincre ni Béla IV, ni Grégoire IX du danger
menaçant.
Le pape Grégoire IX avait déjà été informé par ses émissaires de l’arrivée
des Mongols, mais il ne croyait pas au danger. Au contraire. Comme les
Mongols avaient écrasé les Perses faisant partie de l’empire des musulmans
seldjoukides, le pape les appelait « descendants du roi David » qui, selon les
légendes, s’uniraient avec les chrétiens pour reprendre la Terre sainte.
Comme preuve de leur bonne volonté, il parlait des missionnaires chrétiens
libres dans l’empire lointain des Mongols.

Les conséquences des voyages du frère Julianus

Julianus ignorait l’importance et les conséquences de ses voyages. Il


découvrit la Grande Hongrie de l’Est et sans le savoir, il ouvrit la route vers
le mystérieux et inquiétant Orient pour les missionnaires et commerçants. Les
successeurs du pape Grégoire IX établirent des relations diplomatiques avec
les khans des Mongols. Les commerçants européens se ruèrent vers l’est et
même le fameux Marco Polo n’aurait jamais pu se rendre célèbre sans les
voyages de Julianus.

Plusieurs siècles plus tard, on parlait encore de ces Hongrois. Au


XVe siècle, le grand roi Mátyás de Hongrie voulut même les installer dans
le bassin des Carpates.

On doit rappeler aussi que des tribus hongroises dispersées dans le Caucase
fondèrent également un royaume chrétien, vers la fin du Moyen Âge. Si tous
ces Hongrois de l’Est avaient été réunis dans le bassin des Carpates, ils
seraient restés très forts et indépendants.

Béla IV, le nouveau fondateur de la Hongrie

Béla IV (fils d’András II, *1206, 1235-1270) fut couronné en 1235. Il


s’efforça de rétablir le pouvoir royal perdu par son père. Ce que son père
n’arrivait pas à obtenir avec ses guerres, Béla IV l’obtint par la diplomatie.
La Galicie reconnut son autorité, ainsi que les régions du sud qu’il confia à
son frère Kálmán. Il repoussa fermement la demande de soumission de la
Hongrie à l’empereur Frédéric II, sollicitée par l’aristocratie hongroise. Il
garda de bonnes relations familiales avec la Pologne. Lorsque le pape lui
demanda son intervention militaire en Bulgarie contre les révoltes bulgares
grecques, il la retarda en posant des conditions très fermes. Voyant arriver
son immense armée, les Bulgares préférèrent se réconcilier au pape.

Bientôt, les Mongols écrasèrent les Russes et les Coumans. Ces derniers,
protégés par Béla IV, cherchèrent refuge en Hongrie. Certains dirent que les
Mongols ravageaient la Hongrie par vengeance, à cause de son accueil des
Coumans qu’ils voulaient exterminer. D’autres disaient que le seul but de
l’invasion des Mongols était l’extermination des Hongrois, leurs anciens
ennemis historiques. Peu importe pourquoi, mais ils arrivèrent très vite en
Hongrie et, malheureusement, Béla IV sous-estima leur puissance, malgré les
avertissements du frère Julianus. Il pensait pouvoir les arrêter avec son armée
royale, aidée par les Coumans. Il faut signaler que la présence de trop
nombreux Coumans en Hongrie déclencha la colère de la grande noblesse (et
même du peuple) contre le roi, qui les aida et les autorisa à s’installer.
Béla IV était trop hésitant pour attaquer les Mongols qui avançaient sans
rencontrer beaucoup de résistance. Il attendit de l’aide, mais en vain.

L’invasion des Mongols et ses conséquences

En 1241, les Mongols du khan Batu écrasèrent l’armée hongroise, mal


soutenue par les seigneurs, à la bataille de Mohi et dévastèrent la Hongrie,
tuant et brûlant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Kálmán, frère de
Béla IV, fut mortellement blessé durant la bataille. On peut dire qu’après leur
passage, la Hongrie cessa d’exister. Seules quelques grandes villes protégées
par des murs hauts en pierre purent résister aux Mongols. La population se
réfugia dans les marécages et dans les montagnes. Béla IV, poursuivi par les
Mongols, se réfugia d’abord en Autriche, où le prince Frédéric le dépouilla,
puis en Dalmatie. Il fit appel au pape, à l’empereur Frédéric II et à Louis IX,
roi de France, mais sans succès.

L’année suivante, apprenant la mort de leur grand khan Ogoday, les


Mongols quittèrent la Hongrie pour être présents à l’élection du nouveau
grand khan.

À son retour en Hongrie, Béla IV imposa la construction de châteaux forts


partout dans le pays et réorganisa la structure de l’armée. Certains dirent qu’il
était le « deuxième Árpád », fondateur et bâtisseur de la nouvelle Hongrie.
Les grandes villes devaient être protégées par des murs en pierre. Afin de
repeupler des régions entières, Béla IV fit venir des volontaires des pays
voisins, en leur accordant des donations et des avantages. Des Coumans et
des Slaves s’installèrent à l’Est de la Hongrie, dépeuplé. Des artisans italiens
et allemands étaient chargés des constructions. Il fit couronner son fils István
en 1245, à l’âge de 6 ans, puis le maria en 1254 avec la fille d’un prince
couman, afin de renforcer les liens et d’assurer ses frontières à l’est. En effet,
la Galicie et la Russie étaient toujours sous domination mongole.

Le pays affaibli, ravagé par les Mongols, fut attaqué de tous les côtés. Les
Serbes entrèrent en Dalmatie, le doge de Venise attaqua la Croatie et
Frédéric, prince d’Autriche, le Nord-Ouest de la Hongrie. Cependant,
Béla IV, ayant retrouvé sa puissance militaire, put remettre de l’ordre aussi
sur ses frontières. Il pouvait craindre aussi les exigences de l’empereur
Frédéric II, mais ayant été excommunié, ce dernier avait d’autres soucis que
d’attaquer la Hongrie. En revanche, les Mongols restaient toujours
menaçants. Béla IV les battit en Galicie, avec l’aide des Polonais, mais
devant l’arrivée d’une nouvelle armée, seule la diplomatie de Béla IV permit
d’éviter une nouvelle guerre dangereuse. Il occupa ensuite une partie de
l’Autriche et entra en guerre avec la Moravie, mais l’intervention du pape mit
fin aux hostilités.
Il eut ensuite quelques problèmes avec son fils István, de plus en plus
exigeant, mais le vieux roi lui accorda le royaume de Dalmatie, rétablissant
ainsi la paix entre père et fils.
Il mourut en 1270, laissant derrière lui un grand royaume, puissant et riche,
malgré l’invasion et le ravage des Mongols, qui auraient pu rayer la Hongrie
de la carte de l’Europe

István V (Étienne, fils de Béla IV, *1239, 1270-1272) fut couronné en


1270 roi de Hongrie, de Dalmatie, de Croatie, de Galicie, de Serbie et de
Bulgarie. Il était mal vu par les amis de son père qui, craignant sa vengeance
(à cause des mésententes avec son père), se mirent sous la protection
d’Otakar, roi de Moravie et de Bohême. Son court règne laissa peu de
souvenirs dans l’histoire hongroise. Il ravagea l’Autriche, entra en guerre
avec la Moravie, puis signa la paix avec cette dernière. Son fils fut enlevé par
sa mère coumane et ses amis. Usé par les guerres et par les trahisons, il
mourut jeune, en 1272.

László IV (Ladislas dit « le Couman », fils d’István V, *1262, 1272-1290)


fut couronné en 1272, à l’âge de 10 ans. Sa mère Élisabeth (Coumane) régna
à sa place jusqu’à sa majorité. Durant son règne, le royaume fut partagé entre
les barons qui ne pensaient qu’à renforcer leur pouvoir. La présence des
Coumans à l’Est du pays n’arrangeait pas non plus la situation. Lorsque
Béla IV fit entrer près de 100 000 Coumans pour repeupler le pays, il avait
l’intention de les disperser afin de les assimiler à la population. Or, ils
restèrent regroupés et païens, formant un État dans l’État très mal vu par les
Hongrois.
László IV, allié avec Rodolphe d’Autriche, battit Otakar, devenu de plus
en plus envahissant. Après sa victoire, il se libéra de la tutelle des barons,
mais passa tout son temps avec ses Coumans, ignorant totalement les
Hongrois. Le pape et la noblesse hongroise exigèrent la conversion au
christianisme des Coumans, que László IV leur promit. Ces derniers se
révoltèrent et assassinèrent László IV en 1290.
En 18 ans de règne, László IV détruisit complètement l’héritage de son
grand-père, Béla IV. Le puissant royaume de Hongrie devint une oligarchie
gouvernée par quelques barons, maîtres absolus sur leurs immenses
territoires.

András III (André, fils du frère de Béla IV, *1265, 1290-1301) fut
couronné en 1290. Il avait été élevé à Venise, puis retenu en Autriche.
Ramené de Vienne par la noblesse hongroise, on peut dire qu’il fut élu roi à
l’unanimité. Il jura de rétablir l’ordre en Hongrie et de reprendre les
territoires perdus durant le règne de son prédécesseur.
Il réunit le Parlement et choisit ses conseillers dans l’entourage des
puissants barons et évêques. Il parcourut ensuite tout le pays pour se faire
connaître et pour mieux connaître les problèmes de la population.
Il demanda ensuite au prince Albert de restituer à la Hongrie les territoires
et châteaux annexés à l’Autriche durant le règne de László IV. Devant le
refus d’Albert, il déclara la guerre à l’Autriche. À cette occasion, pour la
première fois depuis Béla IV, barons, évêques et le pays entier soutinrent le
roi avec leurs armées. Cette immense armée arriva jusqu’à Vienne en
rencontrant peu de résistance. András III obtint satisfaction et signa la paix
avec l’Autriche.

Après la récupération des territoires perdus, certains seigneurs et évêques


dénoncèrent leur fidélité au roi et recommencèrent à comploter contre lui.
Encouragés par le nouveau pape, Boniface VIII, qui trouvait András III trop
indépendant vis-à-vis de la papauté, ils envisagèrent même le couronnement
de l’enfant Károly Robert d’Anjou. Le plus puissant de ces seigneurs était
Ivan Köszegi, qui possédait toute la Transdanubie (territoires de la rive droite
du Danube). Il emprisonna même le roi. Il le relâcha ensuite contre des
otages, après trois mois de détention.
Pour renforcer son pouvoir, András III épousa la fille du prince Albert
d’Autriche, établissant ainsi des liens familiaux entre les deux pays. Il
nomma Máté Csák palatin du Nord de la Hongrie, pour s’assurer de sa
fidélité. Il attaqua avec son allié Albert d’Autriche, l’armée de Köszegi, mais
l’arrivée de l’hiver mit fin à la guerre. Il aida ensuite avec son armée Albert
d’Autriche à conquérir le trône d’Allemagne.

Entre temps, Máté Csák devint un monarque puissant et indépendant dans


son palatinat. Afin de freiner les ambitions de Máté Csák et de s’assurer la
fidélité de la noblesse face au parti des Anjou, András III réunit le Parlement
en 1298. Il promit la justice et la protection royale aux victimes des barons. Il
dut envoyer une armée de coalition contre Máté Csák, mais en même temps il
chercha à se réconcilier avec Ivan Köszegi, afin d’éviter une alliance possible
des deux grands seigneurs contre lui. En 1300, il réunit une immense armée
contre une éventuelle attaque des Anjou, soutenus par le pape, par la
Dalmatie et même par Máté Csák, devenu son ennemi principal. La
confrontation des deux adversaires n’eut pas lieu, à cause du décès brutal
d’András III, en janvier 1301, qui fut le dernier roi de la maison royale
Árpád.

Durant son règne, il rétablit l’ordre en Hongrie et renforça le pouvoir royal,


mais ne put mettre fin complètement à l’oligarchie à l’Ouest et au Nord du
pays.

La fin de la maison royale Árpád

Les rois de la dynastie Árpád furent au pouvoir durant 3 siècles. Sous leur
règne, la Hongrie connut des périodes glorieuses, des guerres de succession et
même l’écrasement total par les Mongols. Malgré les intrigues et les
trahisons des prétendants au trône et des usurpateurs, grâce à quelques grands
rois, les Hongrois prirent racine définitivement dans le bassin des Carpates.
Ces grands rois luttaient avec armes et diplomatie contre les ennemis internes
et externes, pour s’imposer dans un environnement hostile.

Saint István (Étienne), fondateur du royaume de Hongrie, laissa un grand


pays riche, reconnu et respecté par l’Europe chrétienne. Il était dur et
impitoyable avec son peuple pour imposer le christianisme en Hongrie, qu’il
jugeait indispensable pour sa survie. Peut-être avait-il raison et certains le
jugèrent trop sévèrement. Sans vouloir diminuer ses mérites, il faut cependant
rappeler le rôle important de son père, le prince Géza, qui lui laissa un grand
pays puissant et stable, en plein développement, sans ennemis internes.

Saint László (Ladislas) poursuivit la christianisation de la Hongrie. Il dut


mettre fin aux guerres de succession et aux attaques permanentes des
Coumans, Petchenègues et des Hongrois païens insoumis. Il laissa s’installer
en Hongrie les ennemis vaincus et soumis, dans les régions peu peuplées.

Kálmán (Koloman) eut le mérite d’implanter la culture européenne et de


moderniser la structure de l’État et les lois. Il agrandit aussi la Hongrie vers
les Balkans.
Béla III peut-être cité aussi parmi les plus grands rois. Durant son règne, la
Hongrie devint grande et riche, avec un pouvoir centralisé puissant. Elle
atteint son premier apogée et rivalisa avec les plus riches pays d’Europe. Le
commerce se développa avec les pays voisins grâce à son système de douane.

Béla IV fut considéré comme le deuxième fondateur de la Hongrie. Après


le ravage des Mongols, il repeupla et reconstruisit la Hongrie en imposant la
construction des châteaux forts et des villes fortifiées. Il agrandit et enrichit le
pays tout en restant en bons termes avec les pays voisins.

András III (André) redressa la situation catastrophique laissée par


László IV. Il mérite donc d’être cité, même s’il n’était pas un très grand roi. Il
fut le dernier roi de la dynastie Árpád.

Après András III, mis à part quelques exceptions, tous les autres rois de
Hongrie furent des étrangers issus, toutefois, de la famille Árpád, par des
mariages des sœurs et des filles.
Certains de ces rois disposèrent de plusieurs royaumes et furent même
empereurs du Saint Empire romain germanique. Toutefois, ils agirent
toujours dans l’intérêt de la Hongrie.

On peut citer parmi eux le nom de Lajos (Louis) le Grand, qui serait le
premier roi hongrois couronné par la célèbre Sainte Couronne. Durant son
règne, la Hongrie connut son expansion géographique maximale. Ses
« frontières étaient arrosées par trois mers ».

LE TEMPS DES CROISADES

Le début du XIe siècle fut marqué par la « grande terreur » provoquée par
les visions apocalyptiques de saint Jean, prévues pour cette époque. Tout le
monde craignait l’arrivée de l’Antéchrist libéré de ses chaînes. Le monde
chrétien tremblait de peur en vue de l’affrontement terrestre des puissances
surnaturelles, entraînant la fin du monde.
Mais l’Apocalypse annoncée par saint Jean n’arriva pas sous la forme
décrite. Toutefois, la vie des pauvres devint insoutenable. L’Église put éviter
leur révolte en promettant le bonheur éternel au ciel, à tous ceux qui
souffraient sur la terre. Elle profita aussi de la peur de l’Antéchrist pour
éliminer « ses adeptes » et pour jeter les hérétiques sur des bûchers. Ce fut
aussi le départ en masse de pèlerins vers Jérusalem, où le Christ devait
renaître.
Le danger de l’Apocalypse oublié ne régla pas les problèmes du monde
chrétien, dont l’islam devint le plus grand ennemi. Durant des siècles, de
nombreux pèlerins visitèrent en toute liberté les lieux saints de Palestine. En
800, les califes abbassides concédèrent même à Charlemagne la tutelle
morale des lieux saints. Lorsque les musulmans les récupérèrent, ils y
autorisèrent les pèlerinages. En 1009, le calife El-Hakim ouvrit les hostilités
avec la persécution des pèlerins et fit détruit le Saint-Sépulcre. Toutefois,
malgré les risques, les pèlerinages continuèrent. En 1078, les Seldjoukides
s’emparèrent de Jérusalem et mirent fin aux pèlerinages.

Malgré le schisme de 1054 entre l’Église catholique de Rome et les


chrétiens orthodoxes de Byzance, l’empereur byzantin demanda l’aide du
pape pour reprendre les lieux saints, après la conquête de l’Asie Mineure par
les musulmans en 1071. Le pape attendit longtemps avant de répondre, puis
en 1095, Urbain II décida d’organiser une grande croisade avec la
participation de tous les pays catholiques. Afin de motiver les chrétiens, le
clergé fit une campagne de propagande contre les ennemis de la religion, juifs
et musulmans. Les premiers étaient coupables d’avoir tué le Christ et les
seconds de souiller les lieux saints. En fait, ils étaient responsables de toutes
les misères du monde.
Le pape promit le pardon de tous les péchés aux participants à la croisade
et les terres conquises sur les lieux saints. Depuis des dizaines d’années, la
famine faisait rage en Europe et les pauvres préféraient mourir pour Dieu, au
lieu de mourir de faim. En plus de son but officiel, la croisade présenta donc
plusieurs intérêts : libérer l’Europe des gueux affamés et révoltés, unifier et
occuper les armées inactives des seigneurs agités, s’approcher des chrétiens
orthodoxes et arrêter l’avancement dangereux de l’islam.

Dès l’annonce de la croisade, sans attendre l’organisation d’une armée


européenne, des dizaines de milliers de pauvres, sans armes, partirent vers
l’Orient à travers l’Europe, croyant que leur foi seule suffirait pour conquérir
les lointains lieux saints. Comme ils n’avaient rien, ils pillaient les pays
traversés pour survivre et tuaient les juifs sur leur passage. Ils étaient les
« soldats de Dieu », que les catholiques ne pouvaient pas combattre par des
armes. Toutefois, de nombreux pillards criminels furent massacrés par les
populations révoltées, victimes de leurs crimes. Lorsqu’on pouvait, on les
nourrissait et on les canalisait vers les régions peu peuplées afin de limiter les
dégâts de leur invasion. La Hongrie et les Balkans furent les plus touchés par
leur passage.
Enfin, ils arrivèrent devant Constantinople. L’empereur byzantin, rusé, leur
fournit des bateaux pour traverser le Bosphore et pour s’en débarrasser le
plus vite possible, avec peu de dégâts. Il les abandonna ensuite sans aide aux
Turcs qui les massacrèrent.

Les armées de la première croisade furent prêtes en 1096. Plusieurs


groupes partirent de différents coins de l’Europe puis, en passant par
Constantinople, ils arrivèrent en Asie Mineure. Les plus nombreux étaient les
Francs, conduits par leur chef Godefroi de Bouillon, qui avait promis à
l’empereur byzantin de lui rendre les anciens territoires reconquis par lui. Les
Turcs divisés résistèrent mal aux croisés. Les Francs récupérèrent les grandes
villes d’Asie Mineure, Édesse et Antioche. Les armées réunies occupèrent
progressivement la Syrie et la Palestine. Les légendes parlaient de miracles et
d’atrocités sur leur passage. L’armée des Francs arriva en 1099 devant
Jérusalem, dont les murs imprenables étaient gardés par des garnisons
égyptiennes. Avant d’attaquer, Godefroi préféra attendre des renforts venus
de Gênes, par la mer. La prise de Jérusalem fut un vrai massacre. De
nombreux juifs furent brûlés vifs. Les vainqueurs pillèrent la ville et
partagèrent le trésor du temple de Jérusalem. Ils voulurent élire Godefroi de
Bouillon roi de Jérusalem, mais il refusa. Peu de temps après, il mourut au
siège d’Acre. Son frère, Baudouin d’Édesse fut élu premier roi de Jérusalem
le 25 décembre 1100.

Après la prise de Jérusalem, les pèlerins et la plupart des chevaliers


retournèrent en Europe. Les Francs, peu nombreux, restèrent et fondèrent des
États latins prospères. Ils construisirent des châteaux forts pour se protéger.
Pour pallier le manque d’effectifs et protéger les principautés chrétiennes et
les pèlerins, des moines soldats fondèrent des ordres : les hospitaliers en
1113, puis les templiers, en 1118. Ils étaient peu nombreux, mais très
courageux et actifs. Ils assuraient l’ordre et la sécurité sur les terres
chrétiennes.

Après un demi-siècle de paix, les musulmans de Syrie reprirent Édesse en


1144, menaçant la tranquillité des pèlerinages. Une deuxième croisade fut
donc organisée en 1147 par l’empereur Conrad III et le roi de France
Louis VII, pour reprendre Édesse et pour protéger les pèlerinages. Cette
nouvelle croisade échoua à cause des mésententes entre les deux grands
souverains.

En 1187, le sultan Saladin reprit Jérusalem et une grande partie des


territoires francs. Deux ans après, une troisième croisade fut organisée par
l’empereur Frédéric Barberousse, le roi de France Philippe Auguste et le roi
d’Angleterre Richard Cœur de Lion. Malgré la puissance des armées
européennes, cette croisade fut un nouvel échec. Toutefois, Saladin autorisa
la reprise des pèlerinages.

Cette autorisation ne satisfit pas le pape, Innocent III, qui lança une
quatrième croisade en 1202. Mais les échecs précédents avaient démotivé
les donateurs et l’organisation manquait d’argent pour financer les frais.
L’objectif de cette croisade fut détourné et transformé en pillages des terres
chrétiennes. Les croisés n’ayant pas payé les frais de transport maritime à
Venise, les Vénitiens débarquèrent aux Balkans pour récupérer leur argent
par le pillage de la ville de Zara. Les croisés pillèrent aussi les Balkans et les
territoires byzantins puis, arrivés à Constantinople, ils l’attaquèrent et mirent
à sac la ville en 1204. Byzance devint un empire latin, dépendant de Rome,
mais les lieux saints restèrent entre les mains des musulmans.

Vingt ans plus tard, en 1221, une cinquième croisade échoua aussi.

En 1228, l’empereur Frédéric II organisa une sixième croisade avec


succès. Il reprit provisoirement Jérusalem, Bethléem et Nazareth. Mais ces
lieux saints furent récupérés définitivement par les musulmans en 1244. Saint
Louis, roi de France, fit encore deux tentatives, sans succès. Son armée de la
septième croisade fut décimée par la peste en 1254, puis lui-même perdit la
vie en 1270, lors de la huitième et dernière croisade. La dernière ville
chrétienne, Saint-Jean-d’Acre, tomba entre les mains des musulmans en1291.

On pourrait parler aussi de la croisade des enfants, qui fut une escroquerie
monstrueuse. Des « illuminés » entraînèrent des enfants de toute l’Europe,
petits et grands, sans armes et sans nourriture, vers les lieux saints, en leur
disant que la pureté de leur âme suffirait pour triompher au nom du Christ. Ils
moururent sur le chemin, de faim ou assassinés. Les seuls survivants furent
vendus en esclavage aux musulmans.

L’Église catholique, organisatrice des croisades, eut une très lourde


responsabilité historique, mais elle en sortit toujours renforcée et enrichie.
Elle récupéra même Byzance pour plusieurs dizaines d’années, grâce aux
pillages et à sa mise au sac par les croisés. Les donations arrivaient de partout
et les croisés confièrent aux évêques la gestion de leurs biens durant leur
absence, souvent définitive ! On pouvait persécuter et exterminer en toute
liberté les hérétiques, juifs et musulmans en Europe, au nom de l’Église.

J’aurais dû me limiter à la première croisade, qui était un mouvement


populaire, solidaire, unique dans l’histoire, où hommes et femmes, pauvres et
riches, enfants et vieillards, soldats et prêtres, et même brigands, fanatisés, se
ruèrent vers les lieux saints pour les libérer et pour sauver leur âme de
pécheurs. Les autres croisades eurent souvent des objectifs plus mercantiles
que pieux.
Trois ordres très importants, les templiers, les hospitaliers et les
teutoniques, fondés durant la première croisade, ayant survécu durant des
siècles, méritent que l’on parle de leur histoire.

L’ordre des hospitaliers

À son origine, cet ordre religieux était voué à l’hospitalité et aux soins des
voyageurs et des pèlerins. Au début des croisades, l’ordre des hospitaliers
créa plusieurs hôpitaux en Orient, notamment à Jérusalem, les hôpitaux
Saint-Lazare pour les lépreux et Saint-Jean pour les pèlerins. Compte tenu de
l’état de guerre permanent, cet ordre devint aussi un ordre militaire. Après la
chute de Jérusalem en 1187, l’ordre se retira à Saint-Jean-d’Acre jusqu’en
1291 puis, après la chute de ce dernier bastion de la chrétienté, il s’installa
d’abord à Chypre, puis à Rhodes, où il fonda un État autonome. Après la
dissolution des templiers en 1314, il récupéra une partie de leurs possessions
et devint immensément riche. Durant des siècles, ce petit État résista aux
attaques des Turcs, mais en 1522, Soliman II s’en empara. L’ordre des
hospitaliers quitta donc Rhodes et s’installa définitivement à Malte, dont
Charles Quint lui fit cadeau, en 1530. Avec ses quelques milliers d’habitants
armés et avec sa flotte puissante, Malte, État indépendant, devint le bastion
imprenable de l’Europe contre les Turcs.
Cet ordre, devenu militaire, continua toutefois ses actions humanitaires.

L’ordre des templiers

L’ordre des templiers fut fondé en 1119 à Jérusalem par Hughes de Payns
et par sept autres chevaliers, compagnons de Godefroi de Bouillon. Leur
mission consistait à protéger les pèlerins et notamment les chemins
conduisant des côtes de Syrie à Jérusalem. Ils étaient installés au palais du roi
de Jérusalem, construit à l’emplacement de l’ancien temple de Salomon, d’où
leur nom de « chevaliers du temple » ou « templiers ». Leur nombre
augmenta rapidement et l’ordre devint une organisation structurée ayant des
installations en Europe, notamment à Paris. L’ordre était dirigé par un
« grand maître », élu par les chevaliers, et divisé en quatre classes :
chevaliers, frères lais, chapelains et prêtres. Les chevaliers portaient des
capes blanches avec une croix rouge. Fervents défenseurs du christianisme,
ils participèrent à toutes les guerres des chrétiens contre les musulmans et
même contre les Mongols.
En quelques décennies, ils furent plus de 15 000, formant la première
armée permanente du Moyen Âge. Leur puissance économique provenait de
leurs possessions territoriales, de dons généreux et surtout de leur activité
bancaire. Cette dernière était un privilège exceptionnel accordé aux
templiers par le pape. Ils devinrent les banquiers des papes, des princes et des
particuliers. Les templiers mettaient leur richesse au service de nobles causes,
telles que le rachat des chrétiens captifs et la construction d’ouvrages
fortifiés.
Leur puissance et leur richesse engendrèrent cependant la jalousie des
souverains et du pape. Après la perte des lieux saints et des États latins
d’Asie Mineure, le pape voulut fusionner les templiers avec l’ordre des
hospitaliers, très localisé, facile à contrôler. Jacques de Molay, le grand
maître de l’ordre, s’y opposa en 1306, attirant la colère de la plupart des
souverains, notamment de Philippe IV le Bel, roi de France. Ce dernier fit
arrêter en 1307 tous les templiers vivant en France, en les accusant d’hérésie,
de blasphème et de débauche, et confisqua leurs biens. Sous la torture,
plusieurs avouèrent « tous les crimes ».
En 1310, au concile de Sens, on condamna 54 templiers au bûcher. Mais
Philippe le Bel voulait exterminer l’ordre des templiers partout. Sous sa
pression, le pape dissolut l’ordre des templiers en 1312. Jacques de Molay et
ses compagnons ayant refusé de reconnaître leurs « crimes » furent brûlés
vifs. Avant de mourir, Jacques de Molay assigna le pape et Philippe le Bel
devant le tribunal de Dieu.
Il faut rappeler cependant que l’ordre garda ses biens en Aragon et au
Portugal, où ses successeurs prirent le nom d’« ordre du Christ ».

L’ordre des templiers fut supprimé, mais les légendes le rendirent


immortel. On parle encore de l’origine de son immense fortune due à la
« découverte du trésor du temple de Salomon », durant son séjour à
Jérusalem. Les templiers y trouvèrent probablement quelques objets de
valeur, mais la véritable source de leur richesse fut l’activité bancaire. Cette
dernière causa aussi leur perte. Les souverains supportaient mal que leur
fortune fût entre les mains de banquiers. En supprimant les « banquiers », on
supprima aussi les dettes. Cette politique était aussi pratiquée
occasionnellement avec les juifs.

On parla aussi des « secrets des constructions » de l’Antiquité, découverts


et ramenés en Europe par les templiers. En effet, les constructions des
grandioses cathédrales, jusqu’alors impensables et inimaginables, débutèrent
à quelques années près avec la présence des templiers à Jérusalem. Toutefois,
pour être précis, il ne faut pas oublier que les premières constructions étaient
(peu) antérieures aux croisades et le style gothique, très spécial, des
cathédrales n’a rien à voir ni avec les constructions de l’Antiquité, ni avec
leurs secrets éventuels.
Mais laissons rêver les « historiens » qui cherchent des miracles.

L’ordre teutonique

L’ordre teutonique naquit en 1198, plusieurs années après les deux autres
ordres religieux. Il fut créé par des commerçants allemands lors du siège
d’Acre. Il était ouvert à toutes les nationalités, mais en pratique, tous ses
membres étaient des moines allemands. Sa structure, ses rites et même son
uniforme étaient les mêmes que ceux des templiers. Leur chef, élu à vie,
s’appelait aussi « grand maître ». Son siège était à Venise. Après la chute
d’Acre en 1291, l’ordre teutonique se retira en Pologne et s’occupa de la
christianisation de la Prusse païenne. Son siège fut transféré à Marienburg,
puis à Königsberg (Kaliningrad), d’où partaient ses armées contre les
Prussiens et les Polonais. Après plusieurs batailles perdues, le territoire de
l’ordre perdit sa grandeur et son indépendance en 1466, et devint une
principauté soumise au roi de Pologne. C’était une petite cité-État en
Pologne.

Il est intéressant de noter l’origine et le rôle identique des trois ordres de


chevaliers dans les lieux saints. Après la chute d’Acre, les trois ordres
quittèrent les lieux saints et changèrent d’activité. L’ordre des hospitaliers
resta le plus fidèle à sa vocation militaire et d’aide humanitaire. L’ordre
teutonique continua à se battre contre les païens, après les musulmans, pour
les christianiser. L’ordre des templiers, en abandonnant son activité militaire,
provoqua probablement sa propre chute. Au lieu de s’occuper de l’argent des
autres et d’attirer ainsi la jalousie des rois, en restant militaires, eux aussi, ils
auraient peut-être survécu.
LES HÉRÉTIQUES ET L’INQUISITION

En même temps que des croisades, nous devons parler aussi de la création
et du fonctionnement de l’Inquisition. Dès le début du XIe siècle, l’Église
lança la guerre contre les hérétiques, ses « ennemis internes ». En général,
c’étaient des catholiques qui voulaient pratiquer leur religion autrement que
les papistes.
Leurs premières manifestations furent antérieures aux croisades, mais elles
étaient groupées dans des régions bien distinctes, où l’armée pouvait les
écraser. Le vrai danger commença avec la dispersion des hérétiques dans
toute l’Europe.

Encouragé par l’évangélisation efficace des païens, poursuivie par les


frères dominicains, le pape, Grégoire IX, établit officiellement l’Inquisition
en 1231, pour la persuasion pacifique des « brebis égarées ». Il chargea
d’abord le prêtre Conrad de Marbourg de son organisation et de son
application. Mais compte tenu de la grande dispersion des hérétiques dans
toute l’Europe, il la confia également aux dominicains dévoués et efficaces,
bien organisés et implantés dans tous les pays européens. Dans un premier
temps, la sanction des hérétiques fut limitée à la reconnaissance de leur
erreur, suivie de pénitences. Cependant, les inquisiteurs étant libres de les
juger et de leur infliger des punitions arbitraires, ils devinrent de plus en plus
sévères et cruels. Vers la fin du XIIIe siècle, ils pratiquaient déjà la torture et le
bûcher contre les « adeptes de Satan ».
Malgré l’Inquisition (ou peut-être à cause d’elle !), les mouvements
hérétiques ne cessèrent de s’amplifier en Europe. On pouvait appeler
hérétique n’importe qui, sans aucune preuve. C’était l’accusé qui devait
prouver son innocence, souvent par des épreuves mortelles. Je n’ai pas
l’intention de parler de ce sujet trop vaste, mais je citerai un cas très spécial,
celui de l’hérésie féminine de Guillemette.

Guillemette de Bohême (1210-1281)

On l’appelait ainsi, car elle était la fille du roi de Bohême, Premislas Ier et
de Constance de Hongrie. Son véritable nom était Blazena Vilemina. Elle
prétendait être l’envoyée de Dieu, représenté par le Saint-Esprit, apparu dans
le corps d’une femme, pour éviter le sort du Christ, tué par les hommes.
« Guillemette présentait son être femme sur le même plan que celui de
l’homme Jésus-Christ, comme un signe divin du salut. Elle affirmait la
nécessité de l’incarnation de Dieu dans l’homme et dans la femme, afin
que le salut apporté par le Christ fût réellement universel. » Cette nouvelle
considération de la femme, jugée par l’Église responsable du « péché
originel », était une pure hérésie. Toutefois, Guillemette ne fut pas molestée
par les inquisiteurs durant sa longue vie : ils devaient se sentir désarmés
devant un cas si extraordinaire. Elle reçut même le soutien des cisterciens de
l’abbaye de Chiaravelle, où les Milanais la vénéraient comme une sainte. Elle
avait de nombreux disciples, surtout des femmes, qui l’écoutaient prêcher,
comme si elle était réellement le Christ. Hommes et femmes la consultaient
pour lui demander conseil et réconfort.
Après sa mort en 1281, elle fut enterrée dans son abbaye. Ses disciples se
regroupèrent autour de la sœur Maifreda da Pirovano, qui communiait avec
l’hostie et célébrait la messe au nom de Guillemette.
La propagation des enseignements de Guillemette restant limitée à sa
région, l’Inquisition eut enfin le courage de s’attaquer à ses disciples. En
1300, elle les arrêta tous et les envoya au bûcher, y compris le corps déterré
de Guillemette, afin de purifier la terre de cette nouvelle forme d’hérésie.

Qui sait ? Peut-être l’Inquisition étouffa-t-elle dans l’œuf une nouvelle


forme de religion chrétienne. Guillemette aurait dû peut-être mourir en
martyr, comme le Christ, pour pouvoir être réformatrice du christianisme.

LES EMPIRES MONGOLS

Depuis le début de notre ère, les régions de l’Est de l’Oural étaient


occupées par des peuples nomades d’origine ouralo-altaïque, comprenant des
tribus turques, toungouses et mongoles. Parmi elles, les tribus nomades
mongoles étaient les moins organisées et les plus dispersées.
Leur premier royaume structuré fut fondé au IIe siècle par les Xianbei, qui
occupèrent progressivement le Nord de la Chine. Deux siècles plus tard, ils
fondèrent le royaume de Yen, comprenant également Pékin et toute sa zone
du sud. Toutefois, leur puissance fut brisée par l’Empire chinois, vers la fin
du IVe siècle. Les débris de ces royaumes furent détruits par les Turcs.

À cette époque naquit la confédération Jouan-Jouan (Ruan-Ruan)


regroupant des peuples turcs, mongols, huns et avares, que la révolte des
Turcs fit éclater, au milieu du Ve siècle. La domination turque provoqua le
déplacement des Huns, puis des Avares vers le sud-ouest, déclenchant les
grandes invasions jusqu’à l’Europe. La confédération devint un empire turc,
dans lequel les Mongols ne jouaient qu’un rôle secondaire. Mais 2 siècles
plus tard, la dynastie Tang domina la Chine, repoussant partiellement les
Turcs vers le nord et provoquant le déplacement des Petchenègues vers
l’ouest.

Au Xe siècle, l’affaiblissement des Turcs et de la dynastie Tang permit aux


Mongols de créer leur empire Kitan, au nord de la Chine. Influencés par leurs
voisins « civilisés », musulmans, chrétiens, bouddhistes, les guerriers turcs
perdirent leur puissance militaire et devinrent la proie facile des Mongols
nomades venant du nord. Ils furent chassés et dispersés dans les États voisins
et disparurent de l’histoire.

Un nouvel empire fut établi, réunissant les pays mongols. Leur chef,
Temudjin, fut proclamé khan en 1196, sous le nom de Gengis Khan.
Cependant, il devait encore partager le pouvoir avec un autre élu des tribus
turco-mongoles, Jamuqa. Après plusieurs batailles contre son rival, il le tua et
soumit à son pouvoir toutes les tribus rebelles. Il devint khagan (chef
suprême) de toutes les tribus turco-mongoles. Durant son règne, de 1206 à
1227, bien secondé par ses fils, son empire occupa une bonne moitié de
l’Asie. Le nord de la Chine et Pékin étaient aussi sous son pouvoir. Il
s’abstint toutefois de s’attaquer au reste de la Chine, encore très puissante. Il
poursuivit plutôt l’extension de son empire vers le sud, en occupant les
territoires iraniens, et vers l’ouest, en chassant les tribus turques et coumanes
(turcs mongolisés) refusant de le reconnaître pour leur souverain. Au nord,
une grande partie de la Sibérie passa également sous la domination des
Mongols. La capitale fortifiée de son empire fut Karakorum, une
magnifique ville, avec son immense palais, où siégeait Ogoday, le grand
khan, successeur du célèbre Gengis Khan. Mille cavaliers pouvaient franchir
ensemble la grande porte du palais, mais à l’intérieur, ils devaient ramper à
genou devant le grand khan. Les Mongols toléraient toutes les religions dans
leur pays (il paraît qu’il y avait même des chrétiens), mais exigeaient que tout
le monde adore leur grand khan.
Gengis Khan eut le grand mérite d’unifier et de sédentariser les peuples
mongols, malgré leur habitude de la vie nomade. Il confia les différentes
parties de son territoire à ses fils, avec beaucoup d’autonomie, évitant ainsi
les mécontentements et jalousies.

Ogoday, son fils, fut élu khagan en 1227, après la mort de Gengis Khan. Il
poursuivit activement et avec succès la politique expansionniste de son père.
En quelques années, ses armées occupèrent la Corée, la Chine, la Perse,
l’Asie Mineure, l’Asie centrale et l’Europe centrale, y compris les
principautés russes (voir plan ci-après). Rien ne pouvait leur résister. Durant
son règne, l’Empire mongol atteignit son apogée. Une partie de son armée,
dirigée par son neveu Batu Khan, petit-fils de Gengis Khan, ravagea la
Hongrie et assiégea Vienne. On disait que Batu Khan poursuivait vers l’ouest
les Coumans, ses ennemis héréditaires, qui refusaient de se soumettre à son
autorité. Il y a une part de vérité. En effet, les Coumans faisaient partie des
tribus turques révoltées, jadis plus puissantes que les Mongols et qui
préféraient la fuite à la soumission. Il fallait donc les exterminer pour
l’exemple !
L’Europe fut sauvée par la mort d’Ogoday, en 1241. En effet, Batu Khan
se retira à Karakorum pour poser sa candidature de nouveau khagan. En son
absence, l’Europe put organiser sa défense.

L’immense Empire mongol était divisé en khanats, dirigés chacun par les
fils et les descendants de Gengis Khan, qui reconnaissaient tous la
souveraineté du khagan. C’est ce qui donna sa puissance incontestable à
l’empire. Ses successeurs, les khagans Güyük (†1248), puis Mönke (†1259)
consolidèrent leur pouvoir et réussirent à maintenir l’unité de l’empire. Les
Mongols occupèrent toute la Chine, éliminèrent les Ismaéliens du Moyen-
Orient et occupèrent Bagdad en 1258.
L’empire des Mongols au XIIIe siècle

L’Empire mongol devint finalement trop vaste pour être gouvernable par
un pouvoir central. Les khanats prenaient de plus en plus d’indépendance et
ne reconnaissaient plus le khagan. Vers 1260, l’Empire mongol devint une
fédération de khanats indépendants :
– à l’ouest, le Kiptchak ou Horde d’Or, fondé jadis par Batu Khan ;
– au centre, le Djaghataï, territoire des ex khagans ;
– au sud, la Perse ou les Ilkhans, de la Horde Blanche à Kazakhstan ;
– à l’est, la Chine, où Qubilai fonda la dynastie Yuan.

Les Mongols sédentarisés perdirent leur puissance militaire. Ils étaient faits
pour les conquêtes, sans lesquelles ils prenaient les coutumes et les croyances
des pays occupés pour perdre ensuite leur identité. La Chine devint
bouddhiste et les autres khanats, musulmans, voire chrétiens.
Il n’y avait plus d’entraide chez les Mongols. Les khanats devinrent rivaux,
voire ennemis, avant de disparaître.

Le khanat du sud connut un nouvel essor à la fin du XIVe siècle, sous le


règne du Turc, Timur Lang, dit Tamerlan. Entre 1370 et 1405, il entreprit de
reconstituer l’empire de Gengis Khan, avec une cruauté surpassant celle des
Mongols. À partir de sa capitale de Samarcande, il lançait ses hordes
sauvages dans toutes les directions.

L’empire de Tamerlan

Tamerlan était un musulman fanatique, mais sa croyance ne l’empêcha pas


de détruire toutes les puissances musulmanes voisines. Il mourut en partant
en campagne contre la Chine. Il laissa à ses descendants un grand empire,
resté puissant jusqu’à la fin du XVe siècle.

LA FIN DE LA DOMINATION MONGOLE

Islamisés et minoritaires dans leurs khanats, les Mongols perdirent petit à


petit leur pouvoir à partir du XIVe siècle. La fédération des khanats manquait
de cohésion.

Le plus grand khanat, Djaghataï, fut rattaché en grande partie à l’empire


de Tamerlan (plus turc que mongol !), alors que les autres se désintégraient.

La Horde d’Or subit des pressions russes et perdit Kiev. Elle fut conquise
ensuite par la Horde Blanche de l’est, puis saccagée par la horde de
Tamerlan. On peut dire qu’elle cessa d’exister.

La Corée chassa les occupants mongols et instaura la dynastie Li.


Les Mongols furent chassés également de Chine, puis poursuivis et
attaqués sans répit par les Ming.

Le khanat des Ilkhans s’éclata en plusieurs émirats, sous l’influence des


Turcs.

LES ORIGINES DE L’EMPIRE OTTOMAN

Sur les ruines de l’État seldjoukide d’Anatolie, réunissant de petits États


dispersés et des émirats issus des Ilkhans, Osman Ier fonda en 1304 la
dynastie ottomane. Les aïeuls d’Osman, des Turcs d’Asie centrale, avaient
été chassés par les Mongols pour s’établir ensuite au Caucase. Osman,
associé aux autres tribus turques, notamment aux Turcomans, y créa un
émirat.

Après sa mort en 1326, son fils Orkhan continua ses conquêtes vers
l’ouest pour posséder une large bande maritime, bien située face aux
territoires européens de Byzance. Ses successeurs continuèrent sa politique
expansionniste. En quelques dizaines d’années, les Ottomans occupèrent
presque toute l’Anatolie. Les Ottomans, guerriers musulmans, avaient pour
objectif, en plus du pouvoir, l’islamisation du « monde ». Ils commencèrent à
débarquer en Europe dès 1353.

Murad Ier (1362-1389) fut le véritable créateur de la puissance ottomane


en Europe orientale. Il créa un grand État avec une administration centralisée.
Il occupa la Macédoine, la Thrace orientale et la Bulgarie. Il fut assassiné lors
de la bataille de Kosovo, en 1389, contre les Serbes, mais ses derniers furent
battus par l’armée ottomane.

Bayezid Ier, son fils, dit « la foudre », annexa à son État tous les émirats
d’Anatolie. Occupant déjà une partie des Balkans, il amena ses armées
jusqu’aux frontières de la Hongrie, dont le roi Sigismond demanda au pape
d’organiser une croisade contre les Turcs. Les croisés furent écrasés par
l’armée de Bayezid en septembre 1396. Dès lors, les Turcs furent considérés
comme invincibles, tout au moins par les Européens !

Encouragé par ses victoires, Bayezid s’attaqua à Constantinople, cœur de


Byzance. Cependant, il dut lever le siège de la ville, car l’armée de Tamerlan
envahit son pays. En juillet 1402, celui-ci écrasa les Turcs à la bataille
d’Ankara et fit prisonnier Bayezid avec ses fils. Il reconstitua les émirats
d’Anatolie et mit fin au pouvoir des Ottomans pour plusieurs dizaines
d’années.

On peut dire que le musulman Tamerlan sauva Byzance pour


quelques dizaines d’années et sauva peut-être même la chrétienté en
Europe.

***

Tous ces évènements jouèrent un rôle très important dans l’histoire de


Hongrie. J’en ai parlé en détail afin de comprendre ce que sont devenus les
« Mongols invincibles » et d’où venaient les Turcs qui, quelques dizaines
d’années plus tard, menacèrent à nouveau l’Europe chrétienne.

LES ROIS ISSUS DU MARIAGE DES FILLES DE LA MAISON ÁRPÁD

La maison royale Árpád s’éteignit avec András III. Cependant, le nombre


de filles mariées aux souverains européens était très élevé. Selon « l’Alliance
de sang », le trône de Hongrie devait appartenir aux descendants d’Árpád,
sans close d’exclusion. Il n’y avait pas de règle écrite à ce sujet. Donc, le
choix du roi issu du mariage n’était pas bien défini. Comme presque tous les
maris des « princesses Árpád » étaient des souverains de sang royal, ils
pouvaient tous prétendre au trône de Hongrie. Afin d’éviter des discussions
stériles, selon une « règle non écrite », le futur roi devait être élu par
l’ensemble de la haute noblesse au cours d’une assemblée nationale et
couronné avec la Sainte Couronne. Les hauts représentants de l’Église
n’avaient pas le droit de vote, mais ils devaient être présents au
couronnement et c’était l’évêque d’Esztergom qui devait poser la Sainte
Couronne sur la tête du roi.
Les intérêts personnels de la noblesse hongroise divergeaient presque
toujours, rendant ainsi très difficile le choix du nouveau roi.

En 1300, avant la mort d’András III, les partisans des Anjou invitèrent en
Hongrie l’enfant Károly Robert (*1288, fils de Maria, sœur de László IV et
femme du roi de Naples). Le temps qu’il arrive en Hongrie, András III était
mort. La Sainte Couronne, obligatoire pour le couronnement du roi, était
gardée par la noblesse « anti Anjou » qui ne la céda pas. Károly Robert fut
couronné illégalement avec une nouvelle couronne.

L’opposition posa la Sainte Couronne sur la tête du fils de la fille de


László IV et de Venceslas II, roi de Bohême.

Venceslas (1301-1305), aussi jeune que son rival Károly, s’installa à Buda.
Il prit le nom hongrois de László pour se faire accepter par les Hongrois.
Cependant, le pape soutenait Károly Robert et exigeait la démission de
Venceslas. La haute noblesse se rangea aux côtés du pape, d’autant plus que
le comportement du jeune Venceslas était indigne d’un roi hongrois. Sentant
la menace, Venceslas II, roi de Bohême, ramena son fils à Prague, avec la
Sainte Couronne hongroise ! « Propriétaire » de la Sainte Couronne, symbole
du royaume, Venceslas restait officiellement roi de Hongrie. La noblesse
hongroise exigea la restitution de la couronne et, devant le refus de Venceslas
II, les Hongrois, soutenus par Albert, roi Habsbourg, attaquèrent les
Tchèques. Venceslas II mourut à la bataille. Son fils, devenu roi de Bohême
sous le nom de Venceslas III, renonça au trône de Hongrie, mais pour se
venger, il offrit la Sainte Couronne à Otto, prince de Bavière, petit-fils de
Béla IV, héritier légal du trône hongrois.

Otto (1305-1307), possesseur de la Sainte Couronne, fut donc élu roi de


Hongrie par quelques barons. Cependant, l’archevêque d’Esztergom refusa
de le couronner. Or, aucun autre évêque n’avait ce droit. Celui de Csanád
accepta de le faire, mais son couronnement fut illégal.
Le nouveau pape s’y opposa aussi, en soutenant Károly Robert. Lors d’un
voyage en Transylvanie, Otto fut fait prisonnier par le voïévode Ladislas, qui
confisqua sa couronne. Otto put se libérer et quitta définitivement la Hongrie.
Cependant, il garda son titre de roi jusqu’à sa mort, en 1312.
Les rois Anjou de Hongrie, issus de la famille Árpád

Károly Ier Robert (Charles, *1288, 1307-1342)

Károly Robert fut élu roi de Hongrie lors de l’Assemblée nationale de


Rákosmezö, mais sans la Sainte Couronne, que le voïévode Ladislas ne
voulait pas restituer. Il ne le fit que tardivement, après les menaces
d’excommunication du pape. Enfin, en 1310, le jour de la saint István, Károly
Robert fut couronné officiellement par l’archevêque d’Esztergom. Ce fut le
seul roi couronné trois fois : en 1301, 1307 et 1310 !
Durant son règne, il rétablit l’ordre dans le pays et à l’extérieur de ses
frontières. Il consolida le pouvoir central, diminuant celui de la haute
noblesse. Il développa l’industrie et le commerce, enrichissant
considérablement la Hongrie. Ses adversaires semblaient l’admettre, sauf
Csák Máté (et moins ouvertement, le voïévode László), qu’il battit à
Rozgony.
Il poursuivit une politique amicale avec les pays voisins. Il conclut une
alliance avec les Tchèques et les Polonais. Il avait quelques problèmes avec
le clergé, car il appliquait les lois hongroises selon lesquelles le pape ne
pouvait nommer les évêques qu’avec l’accord du roi. Or, le clergé voulait
garder son indépendance et sa fortune.
Un seul évènement obscurcit son règne. Au printemps 1330, lors d’un
déjeuner dans son palais de Visegrád, un vieux noble se jeta sur lui avec son
épée. Son réflexe le sauva d’une mort certaine. L’épée ne toucha que sa main,
lui coupant quatre doigts. Le vieux donna encore un deuxième coup vers son
fils Lajos, mais sans le blesser. La garde désarma l’assaillant et le tortura à
mort, sur place. Le roi furieux fit exécuter toute la famille de son agresseur et
la déposséda de sa fortune, même ses parents éloignés. Une telle sanction
n’avait jamais été appliquée en Hongrie. L’opinion générale condamna aussi
sévèrement l’attentat contre le roi que sa vengeance. Il perdit beaucoup de sa
popularité et ses adversaires complotèrent contre lui. On chercha ses défauts
et toutes ses peines étaient considérées comme punition de Dieu. Plusieurs
siècles après, l’histoire se souvient encore de sa cruauté.
Sa diplomatie ne pouvait pas écarter toutes les guerres. Il devait se battre
assez souvent, mais toujours avec succès, grâce à ses alliés bien choisis. Il
avait beaucoup de souci avec les Autrichiens et avec les Serbes. Contre les
premiers, il trouva l’alliance des Tchèques et contre les Serbes, celle de
Naples et de l’Albanie, vassales de la Hongrie. En effet, par son père, il était
héritier du trône de Naples.
Károly Robert est compté parmi les grands rois hongrois. Malgré son
origine Anjou napolitaine, il ne servait que l’intérêt de la Hongrie. Il laissa un
pays riche et fort à son jeune fils Lajos, après sa mort

Lajos Ier le Grand (Louis, *1326, 1342-1382)

Lajos succéda jeune (*1326) à son père. Il poursuivit sa politique de


centralisation, contre le pouvoir des barons. Influencé par sa mère polonaise,
Élisabeth, il se battit souvent pour aider son oncle Casimir, roi de Pologne,
contre les attaques perpétuelles des Lituaniens et des Tartares. Après une
bataille décisive, il entra en Lituanie et imposa la paix. Il rattacha la Galicie à
la Hongrie, mais la laissa gouverner par Casimir. Puis, poursuivant les
Tartares, il arriva jusqu’au fleuve Dniestr, frontière de la Horde d’Or,
territoire des Mongols. Il conclut une alliance avec leur khan, mettant ainsi
fin à leurs attaques contre la Hongrie. Pour le pape, ces victoires étaient celles
de la chrétienté sur les païens, contre lesquels il avait déjà envisagé une
croisade.
Il occupa ensuite Naples pour venger l’assassinat de son frère, le roi
André. Il devint roi de Naples en 1350. Il n’y resta pas, car il devait rétablir
l’ordre dans les Balkans, perturbé par les révoltes systématiques des Bulgares
et des Serbes. Toutes ses guerres furent victorieuses, mais jamais définitives.
Il dut lancer ses armées contre Venise pour récupérer les côtes dalmates
appartenant à sa couronne. En son absence, Naples reprit son indépendance.
Lajos y ramena son armée, mais sans succès, puisqu’il dut reprendre la guerre
contre Venise.
Ces guerres nécessitaient beaucoup d’argent. Il s’arrangea donc avec le
pape pour récupérer les impôts du clergé hongrois pour les frais des guerres
des Balkans servant les intérêts de l’Église romaine. En effet, dans les
Balkans, il se battait contre les États sous domination turque.
La tension permanente entre les pays d’Europe centrale fut réglée par les
accords conclus en 1364, entre l’empereur Charles, le prince Rodolphe
d’Autriche et les rois Lajos et Casimir. Ces souverains décidèrent d’organiser
ensemble une nouvelle croisade contre les Turcs. La croisade n’eut pas lieu.
Cependant, cette rencontre eut des conséquences culturelles importantes.
Selon l’exemple de Prague, on construisit des universités à Vienne, à
Cracovie et à Pécs (Hongrie), entre 1364 et 1367.

Lajos passait son peu de temps de repos dans son palais de Visegrád, en
organisant des tournois de chevaliers, sa distraction préférée. Comme dans la
Rome antique avec les jeux du cirque, à Visegrád, les tournois amusaient la
population. En Europe occidentale, au début de la Renaissance, ces tournois
n’étaient plus à la mode.

Après la mort de son oncle Casimir en 1370, Lajos hérita du trône de


Pologne. Comme il ne parlait pas polonais et que ses guerres exigeaient de
multiples déplacements, il confia le gouvernement du pays à sa mère,
Élisabeth, sœur de Casimir. La noblesse polonaise appréciait peu l’ingérence
hongroise, malgré l’aide permanente de Lajos contre les attaques
lituaniennes, dont il ne tirait aucun bénéfice. Lajos sentait que la Pologne
voulait son propre roi, indépendant. Il envisagea donc de la séparer plus tard
de la Hongrie et de partager les deux pays entre ses deux filles, Hedwige et
Maria.
Il ne cessa pas de se battre dans les Balkans. À la demande (et avec l’aide
financière) du pape Grégoire XI, il engagea une guerre contre le sultan
Murad I. Avec sa victoire écrasante en 1371, il écarta le danger turc de
l’Europe chrétienne pour plusieurs années.
Bien que le royaume de Pologne fût une lourde charge pour Lajos, il lui
assurait un territoire immense allant de la mer Baltique à l’Adriatique,
touchant même la mer Noire. L’étendue de ses royaumes, sa richesse et sa
puissance militaire le mettaient au rang des deux plus grandes puissances
européennes, le royaume de France et le Saint Empire romain germanique.
L’empereur Charles conclut même une alliance familiale en 1372 en fiançant
son fils Zsigmond de Luxembourg (4 ans) avec Mária (2 ans), fille de Lajos.
Grâce à cette alliance, les frontières de l’ouest de la Hongrie étaient assurées.
Les problèmes recommencèrent aux Balkans. En 1377, Lajos écrasa à
nouveau l’armée de Murad I qui durant 10 ans, n’attaqua plus les pays
vassaux de la Hongrie. La même année, les Lituaniens attaquèrent la Pologne.
Ils furent repoussés par Lajos.
Après ces deux grandes victoires, à la demande de Gênes, Lajos repartit
contre Venise. Sentant sa faiblesse devant les deux puissances, Venise
demanda la paix et se soumit à Lajos, sans guerre.
À cause de sa politique étrangère et de ses guerres perpétuelles, on pourrait
dire que c’était un aventurier ambitieux. Cependant, il ne faut pas oublier
qu’il assurait la paix, la richesse et la tranquillité à son immense royaume.
Durant son règne, la Hongrie atteignit une dimension jamais égalée et ses
« frontières touchaient trois mers ». Lajos compta parmi les plus grands rois
européens au XIVe siècle. C’était un habile politicien et un excellent chef
d’armée. Il fut digne du nom de Lajos le Grand. À son grand regret, il ne put
jamais réaliser son rêve : une union durable des Polonais-Hongrois-Italiens
avec les pays catholiques des Balkans (Croatie, Dalmatie, Bosnie).
L’histoire peut lui reprocher d’avoir négligé le danger turc et de s’être
arrêté après ses victoires, après lesquelles il aurait dû chasser définitivement
les Turcs des Balkans et même au-delà.

Comme je l’ai dit déjà plus haut, selon certains historiens, Lajos fut le
premier roi de Hongrie couronné par la Sainte Couronne, offerte à András III
par l’empereur de Byzance. Ses prédécesseurs ne portaient que ses imitations.
Mais saura-t-on jamais quelle est la vérité ?

Mária, sa jeune fille (*1370), lui succéda sur le trône en 1382. Sa mère
Élisabeth régna à sa place, agissant contre toutes les volontés de feu son mari.
Elle refusa le mariage promis avec Zsigmond et lui chercha un mari en
France. Elle fit couronner reine de Pologne sa fille Hedwige, puis la maria
avec Jagellon, duc de Lituanie, qui devint ainsi roi de Pologne sous le nom de
Ladislas. À la demande d’Élisabeth (condition du mariage), il se convertit au
catholicisme avec son peuple lituanien. Sous son règne, la Pologne devint une
grande puissance européenne.

Charles d’Anjou, roi de Naples, prétendant au trône de Hongrie, arriva


avec son armée à Buda et se fit couronner sous le nom de Károly II en 1385.
En même temps, Zsigmond arriva aussi, exigeant la main promise de Mária
et, malgré les protestations d’Élisabeth, il l’épousa, puis se retira de Hongrie
pour organiser une armée assurant ses droits.

Károly II (*1354, 1385-1386), neveu de Lajos Ier, fut élevé à Visegrád.


Lajos lui offrit le titre de prince de Croatie et lui confia une partie des
Balkans. Károly se fit couronner à la place de Mária, par quelques barons qui
ne voulaient pas d’une jeune fille sur le trône de Hongrie. Les complices
d’Élisabeth lui tendirent un piège et l’assassinèrent en 1386.
Son court règne fut sans importance, mais fait partie de l’histoire de la
Hongrie.
Ses partisans arrêtèrent Élisabeth et Mária, et assassinèrent leurs
complices.

L’empereur Zsigmond (Sigismond, *1368, 1387-1437)

Zsigmond de Luxembourg, fils de l’empereur Charles IV, entra en Hongrie


avec son armée pour libérer sa femme, Mária, de sa captivité. Conformément
à l’engagement de Lajos le Grand, il se fit couronner en 1387. Au début de
son règne, il rencontra une forte opposition de la part de nombreux barons et
de son beau frère Ladislas, roi de Pologne, prétendant au trône de Hongrie.
Les attaques des Turcs contre les Serbes recommencèrent dans les Balkans.
Lors de la grande bataille de Kosovo, le sultan turc Murad I perdit la vie,
mais les Turcs écrasèrent les Serbes. Zsigmond s’engagea contre les Turcs
dans les Balkans. Il demanda l’aide de Ladislas qui, ne se sentant pas
menacé, la refusa. Zsigmond reprit aux Turcs plusieurs villes fortifiées, mais
ne put écarter définitivement le danger turc. Pendant qu’il se battait dans les
Balkans contre les Turcs, Mária sa femme enceinte, mourut après une chute
de cheval, en 1395. En plus de sa peine, il dut faire face aux barons qui
voulaient le destituer du trône qu’il n’occupait qu’en tant qu’époux de Mária.
Le roi Venceslas, mari d’Hedwige de la maison Árpád, exigea le trône de
Hongrie qui lui revenait de droit.

Les problèmes autour du trône furent suspendus par une nouvelle attaque
des Turcs, avec le nouveau sultan Bayezid II. Le pape organisa une croisade
contre lui avec la participation de tous les pays chrétiens d’Europe, dont la
force était supérieure à celle des musulmans. Zsigmond avait l’habitude de se
battre contre les Turcs et avait toutes les chances de les vaincre avec l’armée
européenne. Mais, sûrs de la victoire, les généraux français sans expérience
demandèrent au pape le commandement de la croisade. Ils subirent une
écrasante défaite en 1396, à la bataille de Nicopolis. La défaite fut attribuée à
Zsigmond qui réussit à se sauver en bateau. Heureusement pour l’Europe,
Bayezid II s’intéressait plus à la prise de Constantinople qu’à l’Occident et
partit vers l’est après sa victoire.
Cette défaite compliqua encore plus la situation de Zsigmond. La Hongrie
devint la terre des complots contre le roi. Il devait lutter pour conserver son
trône. Il extermina sans pitié ses adversaires, confisqua leurs biens et
récompensa généreusement ses fidèles partisans avec des donations. Ses
adversaires réussirent à l’arrêter, mais son frère, l’empereur Venceslas, le
libéra et l’amena avec lui en Bohême. Profitant de l’impopularité de
Venceslas dans son pays, Zsigmond se fit nommer gouverneur de Bohême. Il
fit même arrêter son frère et le mit sous la garde du prince Albert d’Autriche.
Quelle belle récompense pour son aide !

La menace turque cessa miraculeusement, au grand soulagement de


l’Europe et de Zsigmond. Tamerlan attaqua à l’est les territoires de Bayezid
et écrasa l’armée turque à la bataille d’Ankara, en 1402. Il fit prisonnier
Bayezid et ses fils.
N’ayant plus de souci avec les Turcs, Zsigmond chercha à établir des
alliances avec des souverains occidentaux pour rétablir son pouvoir en
Hongrie. Il était temps ! Durant son absence, l’opposition hongroise fit voter
sa destitution en 1403 et offrit la couronne de Hongrie à Ladislas, roi Anjou
de Naples. Le pape Boniface IX soutint aussi la candidature de Ladislas.
Heureusement pour Zsigmond, Ladislas n’était pas pressé d’arriver en
Hongrie. Zsigmond eut le temps de réorganiser son armée et ses alliés
hongrois et étrangers. Il rentra en Hongrie et, avec l’aide de la famille Garai,
il rétablit la paix avec ses adversaires en leur assurant sa clémence.
Cependant, il ne pardonna jamais au pape sa trahison et lui retira son droit de
nommer le clergé hongrois.
Son frère Venceslas s’échappa de captivité et chercha alliance chez
Ladislas contre Zsigmond. Il le démit de sa fonction de gouverneur de
Bohême. Cependant, Zsigmond était plus préoccupé par les révoltes des se
territoires des Balkans que par les agitations de son frère. Il conclut une
alliance avec Hermann Cillei. Il épousa sa fille Borbala et nomma Cillei
gouverneur des territoires hongrois des Balkans.
En 1408, il intervint dans les intérêts de l’enfant Albert, prince héritier
d’Autriche. À cette occasion il conclut une alliance avec les Habsbourg. Il
fiança sa fille Élisabeth au jeune Albert et la désigna héritière du trône de
Hongrie. Afin d’assurer ses projets, il fonda la Ligue Dragon, dont les
membres issus de la haute noblesse hongroise jurèrent fidélité pour défendre
les droits de l’héritière. En récompense, Zsigmond partagea avec eux son
pouvoir et leur fit des donations inestimables.

Zsigmond devint une personnalité très estimée par les souverains


d’Europe. On sollicitait ses conseils et son aide dans les affaires litigieuses. Il
intervenait même dans les affaires de l’Église. On le nomma empereur du
Saint Empire romain germanique en 1411. Son rêve fut enfin réalisé.
Après l’excommunication de Jan Hus par le pape, Zsigmond lui promit de
partir librement. Or, on l’arrêta et on le brûla. Les hussites devinrent donc ses
ennemis mortels. Lorsque, après la mort de son frère Venceslas, on lui offrit
la couronne tchèque, les hussites ne le reconnurent pas roi de Bohême et
entrèrent en guerre permanente contre lui.
À la fin de sa vie, il avait aussi des problèmes avec l’infidélité de sa femme
Borbala. Il lui pardonna mais Borbala ne cessa pas de comploter contre lui.

Malgré ses succès et sa réputation en Europe, les barons hongrois lui


restèrent hostiles. L’Europe le considérait comme un empereur puissant et
incontesté, défenseur de la chrétienté, malgré ses luttes contre les intérêts de
la papauté. Il était empereur et roi de cinq pays, dont seule la Hongrie le
considérait comme un usurpateur, depuis la mort de Mária, sa reine légitime.
Malgré cette opposition hongroise, il se considérait hongrois, même si, à
cause de ses obligations d’empereur et de roi d’autres pays, il y passa peu de
temps dans ce pays durant son règne. Il faut savoir que, encore enfant, Lajos
le Grand s’était occupé personnellement de son éducation pour en faire un
bon roi hongrois. Il était aussi influencé par l’éducation et la culture des
Anjou, précurseurs de la Renaissance en Hongrie. À la fin de sa vie, il se
sentait étranger partout dans son empire, sauf en Hongrie. Comme « roi
hongrois », dans son testament, il demanda à être enterré près de la tombe de
saint László.

Je dois rappeler que ses successeurs sur le trône de Hongrie n’avaient plus
de sang Árpád. On pouvait trouver encore en Europe des descendants des
filles de la famille Árpád, mais la haute noblesse hongroise préférait choisir
ses rois parmi les souverains des pays voisins.
Les candidats ne manquaient pas. Certains prirent le trône avec l’aide de la
noblesse, jamais unanime, d’autres par la force. Pendant que les prétendants
se battaient entre eux pour le pouvoir, les nouvelles attaques turques
devinrent de plus en plus menaçantes aux frontières de la Hongrie.
Les nouveaux rois de Hongrie

Albert (*1397, 1437-1439), prince d’Autriche, gendre de Zsigmond, fut


couronné roi de Hongrie en 1437. La même année, les Grands Électeurs
l’élirent empereur du Saint Empire romain germanique. Tout commençait
bien pour lui. Cependant, les Tchèques, agités par Borbala (Albert ne lui
pardonna pas son infidélité à son beau-père), veuve de Zsigmond, se
révoltèrent contre lui. Ils offrirent le trône de Bohême (qui devait revenir à
Albert) au fils du roi de Pologne. Albert quitta donc son château de Buda
pour rétablir l’ordre à Prague et récupérer la couronne tchèque. Son départ de
Hongrie, peu de temps après son couronnement, fut mal interprété par les
Hongrois qui remirent aussitôt en question sa légitimité, puisque ni lui, ni sa
femme Élisabeth n’étaient issus da la famille Árpád.
La révolte fut interrompue par l’attaque des Turcs. Albert et Élisabeth
partirent avec 24 000 soldats à la frontière, où les Serbes se joignirent à leur
armée. Découragés par cette puissante armée, les Turcs changèrent d’objectif
et attaquèrent la Bosnie. Cependant, l’armée hongroise fut décimée par une
épidémie de dysenterie qu’Albert attrapa. Il en mourut à son retour du camp.
Avec sa mort, l’alliance hongroise-autrichienne-tchèque-allemande fut
rompue.

Ladislas Jagellon Ier (*1424, 1440-1444), le jeune roi de Pologne, fut


appelé par la noblesse sur le trône de Hongrie. Afin d’obtenir la paix avec la
veuve Élisabeth (beaucoup plus âgée que lui) qui revendiquait le trône, il lui
proposa de l’épouser. Élisabeth refusa cette alliance et voulait régner seule.
Une partie de la noblesse la soutint et couronna son bébé, Ladislas, né après
la mort d’Albert, avec la Sainte Couronne. Face à l’hostilité de la majorité
des Hongrois, Élisabeth quitta la Hongrie avec son fils et avec la couronne.
Elle se réfugia chez son oncle, l’empereur Frédéric III, où elle mourut en
1442.
La tension entre les oppositions fut interrompue à nouveau par l’attaque
des Turcs. Le jeune roi partit à la guerre avec János Hunyadi et mourut à la
bataille de Varna, gagnée par l’armée ottomane.

László V (Ladislas, *1440, 1440-1457) avait été élevé à la cour de


Frédéric III, qui le gardait en otage avec la Sainte Couronne hongroise.
En l’absence de l’enfant-roi et de la couronne, la haute noblesse n’arrivait
pas à s’entendre pour élire un roi. La noblesse moyenne élit János Hunyadi,
rendu célèbre par ses nombreuses victoires sur les Turcs, gouverneur de
Hongrie.
On peut se demander comment János Hunyadi, homme simple, sorti du
rang, put devenir si vite un grand guerrier, célèbre et riche, puis gouverneur ?
Son père, Vajk, était un petit noble inconnu de Transylvanie, sans fortune.
L’empereur Zsigmond lui offrit (pourquoi ?) les domaines de Hunyad. Selon
les mauvaises langues, sa femme était la maîtresse de Zsigmond, dont elle eut
son fils Jean. Donc, János Vajk, devenu János Hunyadi, était le fils naturel de
l’empereur qui le prit sous sa protection. D’autres disent qu’il était issu d’une
famille noble italienne, la famille Corvin, et que sa mère était une princesse
byzantine. Il portait aussi le nom Corvin (comme son fils Mátyás, devenu roi
de Hongrie). Son père, Vajk, aurait porté aussi le nom de Corvin, qui signifie
en hongrois « bec de corbeau ». Il est vrai que le corbeau jouait un rôle
important dans la famille Hunyadi, dont il devint le symbole, et figurait sur
son blason. Toutes les explications sont bonnes pour justifier sa noblesse.
Sa puissance, sa réputation et sa fortune devinrent immenses. Lorsque
l’empereur Frédéric III refusa le retour en Hongrie de László V et de la Sainte
Couronne, Hunyadi l’attaqua avec son armée et rattacha à la Hongrie ses
territoires occidentaux. Il reprit aussi à la Bohême les anciens territoires
hongrois.
Il se battit régulièrement, avec succès, contre les Turcs. Il perdit,
cependant, une grande bataille en Serbie, en 1448, mais sans conséquence
pour la Hongrie.
Bon politicien, il conclut une alliance avec les grandes familles Garai et
Cillei, et fiança ses deux fils, László et Mátyás, avec leurs filles.
Se pliant aux exigences de la ligue Garai-Cillei-Hunyadi et de la haute
noblesse hongroise, en 1452, Frédéric III laissa le jeune László V rentrer en
Hongrie, mais garda la Sainte Couronne. Ulrik Cillei, oncle et tuteur de
l’enfant-roi, prit le pouvoir en Hongrie en dépouillant Hunyadi de son titre de
gouverneur. László V fut élu aussi roi de Bohême en 1453. Cependant, à
cause de ses intrigues, la haute noblesse reprit le tutorat à Cillei et le confia à
Podébrad, gouverneur tchèque.
En 1453, Constantinople et les Balkans tombèrent sous la domination des
Turcs. Byzance cessa d’exister et l’Europe chrétienne tremblait devant la
menace ottomane. Je cite cette date puisqu’elle signifie aussi la fin du Moyen
Âge, qui durait depuis la chute de Rome (476) et se termina avec celle de
Byzance (1453).

Hunyadi consacra toute son énergie à maintenir la sécurité des frontières


hongroises. En 1454, le pape organisa une nouvelle croisade contre les Turcs,
avec la participation des pays catholiques d’Europe. Ses plus fervents
organisateurs étaient le franciscain János Kapistran et János Hunyadi.
La bataille décisive eut lieu en 1456 à Belgrade, dont la forteresse était
gardée par Mihály Szilágyi, beau-frère de Hunyadi. Il lutta courageusement
avec ses 7 000 soldats contre les Turcs. Lorsque l’armée du sultan Mehmed
II, disposant de 15 000 soldats, de 300 canons et de 200 bateaux arriva, la
petite l’armée de János Hunyadi l’y attendait déjà. Malgré l’écrasante
supériorité des Turcs et contre toute attente, Hunyadi remporta la plus grande
victoire de sa vie, assurant ainsi des dizaines d’années de paix à la chrétienté.
Depuis ce jour, en souvenir de sa victoire, toutes les cloches des églises
catholiques sonnent à midi.
Peu de temps après sa victoire, János Hunyadi mourut de la peste, qui
ravageait la région de Belgrade. János Kapistran le suivit quelques semaines
plus tard.
Le pape aurait aimé continuer la croisade pour reprendre tous les territoires
occupés par les Turcs, mais il y renonça, ne trouvant pas de successeur à
Hunyadi.

Déjà, avant la bataille de Belgrade, Ulrik Cillei avait repris le tutorat de


László V et accusait de trahison les amis de la famille Hunyadi. Après la mort
de János Hunyadi, il voulut confisquer ses domaines et sa fortune. Ses
calomnies touchaient aussi Mihály Szilágyi, l’autre héros de Belgrade.
Après la grande victoire, László V, accompagné par Ulrik Cillei et son
armée, arrivèrent à Belgrade pour visiter la forteresse. Les défenseurs ayant
refusé l’accès aux soldats, le roi et Cillei y entrèrent avec quelques
accompagnateurs. Durant le dîner de réception, une violente dispute éclata
entre les amis de Cillei et ceux de László Hunyadi, fils aîné de János
Hunyadi. Cillei fut mortellement poignardé. Le roi László V promit par écrit
son pardon à László Hunyadi et retourna dans son château de Buda. Peu de
temps après, en 1457, lors d’un voyage à Buda, László Hunyadi fut arrêté et
décapité. Son jeune frère, Mátyás, fut également arrêté et emprisonné à
Prague, loin des amis des Hunyadi. Cependant, le parti des Hunyadi, soutenu
par Erzsébet, la veuve de János et par son frère, Mihály Szilágyi, organisa la
révolte contre László V, qui s’enfuit à Prague. Il y mourut la même année
(empoisonné ?).
László V ne joua aucun rôle dans l’histoire hongroise puisqu’il ne régna
pas et qu’il n’avait pas de sang Árpád. Cependant, son nom doit être cité, car
il fut mêlé à des évènements importants concernant la Hongrie et l’Europe
entière.

Mátyás Ier (Mathias)

Mátyás Hunyadi (Corvin, *1440 ou 1443, 1458-1490) fut élu roi de


Hongrie selon le vœu unanime de la noblesse et du peuple, qui voulait ainsi
exprimer sa reconnaissance à son père, héros national mort prématurément.
Or, Mátyás était retenu prisonnier à Prague !
Après la mort de László V, les barons auraient voulu choisir un roi
étranger (pour régner à sa place), mais ils s’inclinèrent sous la pression des
deux grandes familles Szilágyi et Garai, et de la volonté unanime du peuple et
de la noblesse, en faveur du jeune Mátyás. Les rois étrangers avaient laissé de
mauvais souvenirs en Hongrie.
Pour libérer Mátyás, les Hongrois durent payer une rançon très élevée au
gouverneur tchèque et lui promettre que le jeune roi épouserait sa fille.
L’empereur Frédéric III était d’accord avec cette transaction, mais ne voulait
pas restituer la Sainte Couronne, symbole du royaume. Mihály Szilágyi fit
déjà une promesse de mariage à la fille de Garai pour renforcer l’union entre
les deux familles.
Mihály Szilágyi dut gouverner jusqu’à la majorité de son neveu. Or,
Mátyás, très mûr pour son jeune âge, prit vite goût au pouvoir et se
débarrassa de la tutelle de son oncle. Fidèle à la promesse faite à Podébrad,
gouverneur tchèque (bientôt roi de Bohême), il épousa sa fille. Garai, vexé
par cette décision, organisa un complot contre Mátyás et entraîna Mihály
Szilágyi avec lui. Mátyás les fit arrêter et jeter en prison, bien qu’il ait été élu
roi grâce à eux. On peut noter que cette force de caractère confirmerait plutôt
son année de naissance en 1440, plutôt qu’en 1443. En effet, un jeune homme
de 18 ans pouvait agir ainsi, mais pas un adolescent de 15 ans !
Il régla rapidement les problèmes de ses premières années de règne avec le
soutien de la majorité des Hongrois. Le nouveau pape, Pie II, le soutenait
également, en souvenir de son père. Pie II ne faisait pas confiance à
Frédéric III et il pensait qu’en cas de nouveau conflit avec les Turcs, qu’il ne
pourrait compter que sur Mátyás. Podébrad, son beau-père, nouveau roi
tchèque, le soutenait aussi. Dans ces conditions, Mátyás put consacrer son
énergie et son armée à la sécurité de ses frontières méridionales.

Sa femme étant morte jeune sans lui avoir donné d’héritier. Frédéric III
voulut profiter de cette situation pour essayer d’obtenir amicalement ce qu’il
ne pouvait pas avoir par la force. Il proposa en 1463 à Mátyás de « l’adopter
comme fils » et de lui rendre la Sainte Couronne. En contrepartie, Mátyás
devait lui promettre qu’après sa mort, la couronne de Hongrie reviendrait aux
descendants de Frédéric. Mátyás accepta ces conditions. Dès qu’il reçut la
Sainte Couronne, il se fit couronner selon les traditions hongroises et jura de
respecter les lois hongroises, y compris les droits de succession au trône.
La paix ne pouvait pas durer longtemps. Mátyás, très catholique, ne
voulant pas accepter l’amitié entre Podébrad et les hussites, déclara la guerre
à la Bohême. Ses campagnes n’eurent que des succès partiels. Cependant, la
ligue catholique tchèque le prit pour défenseur de l’Église catholique et lui
offrit la couronne tchèque en 1469. Or, l’opposition offrit le même trône
tchèque à Ladislas, roi de Pologne catholique. Si le pape finançait ses guerres
contre les hussites hérétiques, il ne pouvait pas le soutenir financièrement
contre un roi catholique. Dans l’armée de Mátyás, il n’y avait que des
mercenaires qui lui coûtaient très cher. Il devait faire face aux dépenses de
guerre par ses propres moyens. Il augmenta donc les impôts, déclenchant le
mécontentement, surtout en Transylvanie. Il écrasa les révoltes, mais ses
problèmes d’argent persistèrent.
Il tenta sa chance chez les voisins, en demandant en mariage la fille de
Frédéric d’Autriche, espérant une dot confortable. Sa demande fut refusée.
En rentrant en Hongrie, un nouveau complot l’attendait. Les mécontents
proposèrent son trône à Casimir, fils de Ladislas Ier, roi de Hongrie, mort à
Varna lors de la bataille contre les Turcs. Il écrasa le complot. La chance lui
revint. Il envahit la Moravie et la Silésie. Casimir et son fils Ladislas lui
proposèrent la paix.
Après ces évènements, il put profiter d’une longue période de paix qui ne
fut perturbée que par quelques attaques turques sans danger et sans succès.
Constatant la puissance de l’armée de Mátyás, les Turcs préféraient
contourner la Hongrie par les Balkans pour attaquer l’Autriche. Venise,
possédant les côtes dalmates, conclut la paix avec les Turcs en leur laissant le
passage.

Mátyás profita de la paix pour développer en Hongrie la culture et les arts


occidentaux issus de la Renaissance italienne. Depuis près d’un siècle,
l’aristocratie italienne commençait à s’intéresser aux arts, négligés depuis
l’Antiquité à cause des guerres perpétuelles. N’oublions pas que, depuis la
chute de Rome, au début du Moyen Âge, la propagation des arts gréco-
romains avait été stoppée. Hors de la construction des cathédrales, il n’y avait
plus de manifestations culturelles en Europe. Sauf, peut-être en Espagne, sous
le règne de la dynastie des Seldjoukides qui y implanta la culture perse.
Mátyás avait une éducation religieuse lui permettant de se familiariser avec
la littérature et avec les arts. Il connaissait parfaitement la langue latine.
Il renouvela les relations entre l’Italie et la Hongrie, et épousa Béatrix
d’Aragon, fille de Ferdinand, roi de Naples. Ces nouvelles relations avaient
beaucoup d’intérêts culturel et financier. En revanche, il perdit l’amitié du
pape, allié de Venise, ennemi éternel de Naples. L’alliance entre le pape et
Venise était inexplicable, à cause de la paix signée avec les Turcs, ennemis
de la chrétienté. Peut-être le pape espérait-il une réconciliation après les
échecs des croisades. Cependant, les Turcs étaient déjà à la frontière
autrichienne !
Mátyás fit venir d’Italie des artistes, peintres, sculpteurs et architectes. Il
les aida beaucoup financièrement pour les encourager à réaliser des œuvres
culturelles. Sa plus célèbre réalisation fut la bibliothèque Corvin qui, en peu
de temps, devint l’une des plus riches bibliothèques d’Europe.
Officiellement, Mátyás, lui-même, était appelé plutôt Corvin que Hunyadi. Il
fit installer sa bibliothèque Corvin dans un bâtiment luxueux, près de son
château de Buda. La partie centrale était couverte par une immense coupole
représentant le ciel. On pouvait la comparer à celle d’Alexandrie disparue. Il
avait plus de 50 000 volumes de copies et de livres originaux. Beaucoup de
ses ouvrages provenaient de Byzance, dont la chute causa la dispersion dans
les Balkans. Mátyás les ramena en Hongrie après ses campagnes contre les
Turcs. Les copies furent réalisées sur place par des artistes. Elles étaient aussi
parfaites que les originaux, avec des dorures et des images. Gutenberg venait
de découvrir l’imprimerie, mais cette nouvelle méthode ne pouvait concerner
que les éditions en grande série.
Ses châteaux de Visegrád et de Buda furent décorés par des artistes
italiens. On critiquait quelquefois son admiration de la culture italienne, mais
n’oublions pas qu’il y avait peu d’artistes hongrois, à cette époque.
Cependant, il exigea que tout le monde parlât hongrois autour de lui. Lors des
fêtes et des réceptions, les « amuseurs » récitaient des poèmes et chantaient
toujours en hongrois.
Il voulut créer aussi une université pour former des artistes et des
scientifiques hongrois, mais sa mort prématurée l’en empêcha.

La paix ne pouvait pas durer « éternellement ». En 1479, les Turcs


attaquèrent la Transylvanie. Mátyás n’eut pas le temps d’arriver de la Bosnie
sur le champ de bataille. István Báthory, gouverneur de Transylvanie, le
remplaça et grâce au « géant héroïque », Pál Kinizsi, il écrasa l’armée turque,
écartant pour un demi-siècle la menace ottomane. On raconta que Kinizsi
souleva trois Turcs à la fois : deux avec ses deux bras et un troisième avec ses
dents.
Frédéric III se retourna encore contre lui, mais Mátyás était déjà invincible.
Avec sa Légion noire de mercenaires, il battit Frédéric et le chassa
d’Autriche orientale. À cette occasion, il prit Vienne aussi.
Peu de temps avant sa mort, il désigna comme successeur son « fils
naturel », János Corvin, qu’il préparait depuis longtemps pour cette tâche
difficile. János Corvin bénéficiait d’une excellente éducation et reçut
l’immense fortune et les propriétés de sa grand-mère, Erzsébet Szilágyi, après
son décès. On le fiança avec Bianca Sforza, nièce du prince de Milan, une des
plus grandes fortunes d’Europe. Dans ce contrat, Mátyás précisa que, si sa
nouvelle femme, Béatrix lui donnait un héritier légal du trône de Hongrie,
János Corvin hériterait les couronnes d’Autriche, de Bohême et de Bosnie. Il
n’informa pas sa femme de ses projets. Cependant, elle en était informée par
son entourage et essaya tout pour l’en empêcher.
Mátyás mourut à Vienne, en 1490, avant d’avoir réalisé ses projets.
Officiellement, il fut victime d’un « coup de sang », mais selon les mauvaises
langues, il fut empoisonné.

Mátyás est l’un des plus célèbres personnages de l’histoire de la Hongrie,


sage et courageux. On l’appelait Mátyás le Juste, car tout le monde pouvait le
consulter dans les cas litigieux. Il se déguisait souvent et se mêlait à la
population pour être informé des problèmes du peuple. À ces occasions, on se
moquait de lui, en disant que son nez était aussi grand que celui du roi
Mátyás. Avant la prise de Vienne, il entra dans la ville déguisé en mendiant
pour connaître ses points faibles, et son nez faillit le trahir.
De nombreuses légendes parlent de sa justesse, de ses exploits de guerre et
de ses ruses. Sa Légion noire et Pál Kinizsi, son capitaine géant, sont
également légendaires. Il dut lutter souvent contre les complots internes. Il
était sévère avec ses ennemis, mais contrairement aux habitudes de l’époque,
il ne faisait ni torturer, ni exécuter personne.

Après la mort de Mátyás, les barons voulurent reprendre le pouvoir en


choisissant un roi faible et n’acceptèrent pas le couronnement de János
Corvin. Ils lui promirent de pouvoir garder toute sa fortune et ses grandes
propriétés s’il renonçait officiellement au trône, qu’on lui refusa de toute
façon. Dépouillé du trône, il dut renoncer aussi au mariage avec Bianca
Sforza. Il n’hérita ni la force de caractère, ni la diplomatie de son père. Il ne
fit rien pour défendre ses intérêts légaux. Il mourut en 1504 en laissant trois
orphelins, qui moururent aussi, 3 ans plus tard.

LES GRANDS ROYAUMES EUROPÉENS DU MOYEN ÂGE

Jusqu’au milieu du Moyen Âge, l’Europe était un agglomérat de nombreux


petits États instables, gouvernés par des seigneurs appelés barons, comtes,
ducs, princes, voire rois quelquefois, selon leur pouvoir ou puissance. Ils
formaient des grandes familles privilégiées qui se mariaient entre elles afin de
conserver ou augmenter leurs territoires et leur puissance. Ils se faisaient
construire des châteaux fortifiés pour se protéger contre leurs ennemis. Leur
fortune était assurée par des taxes imposées aux habitants de leurs territoires.
Ils pouvaient accroître ou perdre leur puissance par des guerres menées
contre les autres seigneurs. À l’origine, c’étaient des chefs de guerriers
conquérants, puis ils transmirent leurs biens et leurs titres à leurs descendants.
Depuis Charlemagne, il existait aussi un grand empire appelé Saint Empire
romain germanique, plus ou moins puissant selon la personnalité de
l’empereur, élu par les « princes et rois électeurs », avec le consentement du
pape. Certains États acceptèrent leur soumission à l’empereur, d’autres,
suffisamment puissants pour lui résister, restèrent indépendants.

Le pape, chef de l’Église catholique, élu par des évêques, représentant de


Dieu, avait beaucoup d’influence dans les pays chrétiens. Il dirigeait l’Église,
nommait les évêques, organisait des croisades et l’Inquisition, excommuniait
les « brebis galeuses » (même parmi les rois et empereurs !). Toutefois, sa
représentativité pouvait être remise en question par les évêques. Ainsi, vers la
fin du XIVe siècle, à cause des mésententes des évêques électeurs, il y eut des
papes à Avignon, en France et à Rome, et même un troisième pape à Pise !
Finalement, le concile de Constance (1414-1418) destitua les trois papes,
provoqua un conclave qui aboutit en 1417 à l’élection d’un pape unique,
Martin V et remit de l’ordre dans l’Église !
Le pape n’avait aucun pouvoir militaire. Même s’il couronnait les
empereurs élus, ces derniers ne lui obéissaient presque jamais. Il leur arrivait
même de le destituer et de choisir « leur pape », si celui de Rome ne leur
convenait pas ! Les monarques craignaient cependant l’excommunication, car
celle-ci les mettait en marge de la communauté chrétienne, dominante en
Europe.

Sans entrer dans les détails de leur histoire, je parlerai brièvement des
principaux évènements des grands royaumes européens du Moyen Âge,
parmi lesquels on ne peut pas encore citer l’Allemagne et l’Italie, qui
restèrent longtemps des agglomérats de principautés affiliées (ou non) au
Saint Empire romain germanique.
La Russie n’existait pas encore au Moyen Âge. Les principautés de
Novgorod, de Kiev, puis de Moscou restèrent sous domination mongole
jusqu’à la fin du XVe siècle.
Les pays scandinaves marquèrent l’histoire de l’Europe par les invasions
des Vikings, des Normands et des Varègues, sans toutefois établir un grand
royaume durable. Les Danois occupèrent longtemps l’Angleterre et une
grande partie de la Scandinavie, et les Suédois, le nord de l’Europe de l’Est.
Durant plus d’un siècle, les Danois, les Norvégiens et les Suédois formèrent
même un grand royaume réuni, mais sans suite.

Je devrai aussi parler des Tchèques, peuple slave civilisé, participant à


tous les évènements en Europe, notamment à la réforme de l’Église
catholique (Jan Hus), mais ils n’eurent jamais un grand royaume durable.
Leurs pays, la Bohême et la Moravie, firent souvent partie du Saint Empire
romain germanique, ou furent gouvernés par des monarques étrangers,
autrichiens, polonais ou hongrois.
Le choix étant difficile, je me limiterai à ceux, qui conservèrent leur
grandeur jusqu’à nos jours. On peut remarquer que la plupart de ces
royaumes étaient gouvernés par des princes, ou rois, issus des mêmes
familles qui, au bout d’une dizaine de générations possédaient toute Europe
occidentale.

L’Angleterre

Jusqu’au milieu du Moyen Âge, l’Angleterre connut les invasions


successives des Celtes, des Bretons, des Vikings, des Saxons, des Angles, des
Jutes, des Danois, puis des Normands. On peut donc s’interroger sur l’origine
des « Anglais ».
Des royaumes instables se succédèrent jusqu’à l’arrivée de Guillaume, duc
de Normandie.

Guillaume Ier le Conquérant (ou le Bâtard, *1028, 1066-1087), fils


naturel de Robert le Magnifique, duc de Normandie, prit le pouvoir après sa
victoire de Hastings. Il réorganisa son nouveau royaume, en y instaurant une
noblesse militaire hautement hiérarchisée. Il s’appuyait sur cette organisation
nouvelle et pouvait passer la moitié de son temps en Normandie.
Il réalisa l’union de la Normandie et de l’Angleterre. Il fit de ses États des
ensembles organisés. Il devait durement guerroyer pour assurer la sécurité
des frontières normandes et pour asseoir son autorité en Normandie, dans le
Maine et en Angleterre. Il se sentait, tant en Angleterre qu’en Normandie,
investi par Dieu de la mission de faire régner la paix, c’est-à-dire l’ordre, et
de veiller à ce que les droits de tous et surtout ceux de l’Église puissent
s’exercer librement.
Sur son lit de mort, il partagea son royaume entre ses fils, en laissant la
Normandie à Robert et l’Angleterre à Guillaume II.

Guillaume II (*1056, 1087-1100) lutta avec succès contre les Gallois et


les Écossais. Son règne fut marqué par plusieurs révoltes féodales, surtout en
1088 et en 1095, provoquées par le mécontentement de grands vassaux
devant la séparation de l’Angleterre et de la Normandie, et par leur souci
d’échapper à un gouvernement trop autoritaire et exigeant.
Henri II (*1133, 1154-1189) fut couronné en 1154 et, dès ce moment, il
fut le maître non seulement de l’Angleterre, mais aussi de la Normandie, de
l’Anjou, du Maine et de la Touraine. Grâce à son mariage avec Aliénor
d’Aquitaine, il contrôla aussi tout le Sud-Ouest de la France. Il avait
beaucoup de problèmes pour maintenir son autorité sur un aussi vaste
territoire. Il dut affronter des révoltes féodales en Angleterre et les intrigues
des rois de France, Louis VII et Philippe Auguste. Conquérant de l’Irlande en
1171-1172, ayant rêvé en vain d’établir son autorité sur l’Écosse, il fut l’un
des créateurs et des réalisateurs du rêve anglais qui consistait à réunir les îles
Britanniques sous un seul sceptre.
À cause de son père, Geoffroi V, comte d’Anjou, surnommé Plantagenêt,
tous ses descendants portèrent le nom de Plantagenêt.

Richard Ier Cœur de Lion (*1157, 1189-1199) participa à la troisième


croisade avec Philippe Auguste. Débarqué à Acre, il joua un rôle décisif dans
la prise de la ville. Philippe Auguste étant alors rentré en France, en 1191,
Richard resta le véritable chef de la troisième croisade. À la tête d’une
puissante armée, il remporta de brillantes victoires sur Saladin. Il força
l’admiration de l’ennemi par ses prouesses, mais ne put pénétrer plus avant à
l’intérieur des terres sous peine de voir ses communications coupées. Pendant
son absence, Philippe Auguste attaqua la Normandie et traita avec Jean sans
Terre, le dernier fils d’Henri II, qui s’était emparé de la régence. Richard
signa une trêve avec Saladin en 1192, qui laissa aux croisés le littoral de Tyr
à Jaffa et la liberté de pèlerinage à Jérusalem, puis il s’embarqua pour
l’Occident. Ayant fait naufrage près de Venise, il fut capturé par le duc
Léopold d’Autriche qui le livra à l’empereur Henri VI. Il ne fut libéré qu’en
1194 contre une énorme rançon et la reconnaissance de la suzeraineté
impériale sur l’Angleterre. Rentré dans son royaume, il se fit couronner une
seconde fois, puis gagna la Normandie pour combattre Philippe Auguste. La
guerre dura 5 ans. Richard mit en défense la Normandie (construction de
Château-Gaillard) et remporta des succès importants à Fréteval en 1194 et à
Courcelles en 1198. Une trêve imposée par le pape accorda un répit
indispensable à Philippe Auguste, en janvier 1199. Trois mois plus tard,
Richard fut tué à Châlus, en assiégeant le château du vicomte de Limoges,
son vassal.
Après plusieurs rois faibles, dominés par des barons, Édouard Ier conquit
le pays de Galles et l’Écosse, que son fils, Édouard II, perdit plus tard.

Édouard III (*1312, 1327-1377) revendiqua le trône de France en 1328,


comme petit-fils de Philippe IV, mais les barons français préférèrent Philippe
le Valois à sa place.
Durant son règne, à partir du milieu du siècle, l’Angleterre subit une
immense catastrophe économique et humaine, liée à la peste noire et aux
épidémies suivantes, qui coûta à l’Angleterre le quart de sa population.
Affaibli par ces graves problèmes, Édouard III dut abandonner ses espérances
écossaises, malgré des victoires initiales impressionnantes en 1332 et 1336,
sur l’ennemi « héréditaire » du Nord. Cet abandon s’expliqua aussi par le
choix d’une vigoureuse politique continentale. Réclamant en vain le trône de
France et poussé par des préoccupations économiques, dont le commerce
avec la Flandre, il déclencha la guerre de Cent Ans en 1337. Ses victoires
de Crécy, en 1346 et de Poitiers, en 1356, lui offrirent de belles espérances.
Le traité de Brétigny de 1360 lui reconnut la possession d’un vaste territoire
en France occidentale.
Ses successeurs poursuivirent la guerre.

Henri V (*1387, 1413-1422, deuxième Lancastre) fut le grand vainqueur


anglais de la guerre de Cent Ans. Profitant de la querelle des Armagnac et des
Bourguignon, ainsi que de l’affaiblissement du pouvoir royal en France sous
le règne de Charles VI, il remporta la victoire d’Azincourt, en 1415 et occupa
la moitié de la France. La signature du traité de Troyes, en 1420, lui permit
d’épouser Catherine de France et lui confia la régence du royaume de France.
Il fut reconnu héritier du trône, assurant à sa lignée la succession. Cependant,
son successeur, Henri VI, perdit toutes ses possessions et les York remirent
en question le droit au trône des Lancastre, déclenchant la guerre des Deux-
Roses en Angleterre (1450-1485), mettant fin à la guerre de Cent Ans en
France. L’Angleterre ne conserva que Calais.

Richard III (*1452, 1483-1485) fut proclamé régent du royaume, tuteur


de son neveu Édouard V, après la mort de son frère Édouard IV, en 1483.
S’étant débarrassé du parti de la reine en faisant exécuter les plus fidèles
alliés de celle-ci, Richard fit emprisonner le jeune roi et son frère, les
accusant d’une naissance illégitime. Il fut sacré roi, puis il fit assassiner ses
deux neveux pour prévenir toute contestation ultérieure. Toutefois, ses droits
lui furent contestés pour usurpation. Richard III dut faire face à des révoltes
et complots incessants des grands aristocrates, menés par Henri Tudor, comte
de Richmond, qui le vainquit en 1485 lors de la dernière bataille de la guerre
des Deux-Roses.

Henri VII (*1457, 1485-1509) fut élu roi d’Angleterre après sa victoire à
Boswort, où fut tué le dernier York, Richard III. Il mit fin à la guerre des
Deux-Roses. Il fonda la dynastie des Tudor et restaura l’autorité royale.

La France

Je devrais commencer l’histoire de la France avec le règne des


Mérovingiens, rois des Francs, et surtout avec le couronnement de Clovis, au
début du Moyen Âge. Toutefois, à cette époque, on ne parlait pas encore de la
France, mais du royaume des Francs. Il fallut attendre encore 4 siècles et le
règne des Carolingiens, pour pouvoir parler du royaume de France.

Après la mort de l’empereur Louis Ier (le Pieux, fils de Charlemagne),


l’Empire fut partagé entre ses trois fils. Charles II le Chauve reçut la partie
occidentale de l’empire, Louis le Germanique, la partie à l’est du Rhin et
Lothaire (l’aîné), nommé empereur par le pape, la partie centrale, s’étendant
de la mer du Nord à la Méditerranée.

Charles II le Chauve (*823, 843-877) s’efforça d’agrandir son royaume


vers l’est. Il récupéra la Lotharingie, la Provence, puis se fit sacrer roi de
Lorraine à Metz. Il parvint jusqu’à Aix-la-Chapelle mais, devant la réaction
hostile de son frère Louis le Germanique, il ne put garder que l’ouest de la
Lorraine avec les pays entre Rhône, Alpes et Durance. Le pape Jean VIII le
couronna empereur en 875. Il réussit aussi à se rendre maître du royaume
d’Italie. L’ancien empire semblait ainsi reconstitué dans sa plus grande partie.
Mais l’autorité de l’empereur était contestée en Italie et en France. La
nouvelle signification du titre impérial paraissait incompatible avec les tâches
que le roi avait à remplir dans son propre royaume.
Après sa mort, sous le règne de ses faibles successeurs, Louis II (877-879),
Louis III (879-882) puis Carloman (882-884), la France devint un royaume
divisé, gouverné par l’aristocratie féodale. Elle ne pouvait pas résister aux
attaques, puis aux invasions vikings.

Charles le Gros (*839, 884-887), dernier des fils de Louis le Germanique,


fut également empereur. Il réunifia les territoires de l’ex empire de
Charlemagne, mais sans aucune puissance et sans aucune autorité. Il ne
pouvait pas résister au pouvoir des barons dans son empire hétérogène.
Dépassé par ses tâches et incapable de faire face aux Normands, il fut destitué
en 887. Son empire se démembra aussitôt. Les royaumes de France,
Lotharingie, Bourgogne, Italie et Germanie prirent sa place.

Eudes (*860, 888-898) fut élu roi de France grâce à sa victoire à la bataille
de Paris contre les Normands. Jusqu’à sa mort, il dut se battre contre
Charles III (893-923) et partager le trône avec lui, à partir de 893. Robert
Ier (de la famille capétienne) fut élu roi de France en 923 à Reims, puis tué
l’année suivante en combattant Charles III. Ce dernier fut vaincu la même
année par Hugues le Grand, puis emprisonné. Il mourut 6 ans plus tard.

Raoul (*836, 923-936), duc de Bourgogne, successeur de Robert Ier par


élection, lutta contre les Normands et les battit définitivement en 930.

Louis IV d’Outremer (*921, 936-954), fils de Charles III, fut élu roi
grâce à l’appui de Hugues le Grand, comte de Paris et duc de France, fils de
Robert Ier, vainqueur de son père, qu’il battit en 948. Après de nombreuses
batailles, il rallia les Normands.

Lothaire (*941, 954-986), fils de Louis IV, subit la tutelle germanique. Au


début de son règne, Hugues le Grand domina la quasi-totalité du royaume.
Afin d’assurer son indépendance, Lothaire poursuivit des guerres contre
l’empereur Otton, puis contre Hugues Capet, fils de Hugues le Grand.

Louis V le Fainéant (986-987), fils de Lothaire, fut le dernier roi


carolingien. Il mourut au cours d’une chasse.

La dynastie des rois capétiens


Les rois capétiens régnèrent durant 8 siècles en France. Ils sont les
descendants directs d’Hugues le Grand, fils de Robert Ier et petit-fils de
Robert le Magnifique. Les premiers rois étaient des Capétiens directs,
héritiers du trône de père en fils. Ils régnèrent durant plus de 3 siècles,
laissant ensuite la place aux descendants indirects, les Valois capétiens.

Les Capétiens directs

Hugues Capet (*941, 987-996), premier roi capétien, fils de Hugues le


Grand, fut élu grâce à la puissance (même post mortem) et au renom de son
père. Il accrut considérablement le domaine royal, mais sans pouvoir
diminuer les prétentions de ses vassaux. Il classa la population de son
royaume en trois catégories : clercs, chevaliers et travailleurs. Les clercs
furent ses conseillers, qu’il récompensa par des dons et des privilèges. Il fit
sacrer roi son fils Robert de son vivant, en 987, afin d’assurer le trône à sa
descendance.

Robert II le Pieux (*970, 996-1031) lutta contre l’anarchie féodale et


annexa au domaine royal le duché de Bourgogne, les comtés de Dreux et de
Melun. Ses successeurs, Henri Ier (1031-1060), puis Philippe Ier (1060-
1108), continuèrent les luttes contre les puissants seigneurs, mais leur règne
ne laissa aucune trace mémorable dans l’histoire de France.

Louis VI le Gros (*1081, 1108-1137) rétablit l’ordre dans le domaine


royal et combattit Henri Ier, roi d’Angleterre. Il soutint l’établissement des
communes urbaines en Picardie et en Flandre, et aussi les efforts des
réformateurs grégoriens pour soustraire l’élection des évêques à l’autorité des
princes. Cette politique porta ses fruits puisque, lorsque l’empereur Henri V
envahit la France, Louis VI obtint l’aide de tous ses grands vassaux, ce qui
contraignit l’empereur à se retirer sans combattre.

Louis VII le Jeune (*1120, 1137-1180) poursuivit la politique de son


père, mettant en valeur le domaine royal. Il accorda des chartes de
bourgeoisie à quelques villes (Étampes, Bourges). Il soutint le mouvement
communal (Reims, Sens, Compiègne, Auxerre) et l’élection d’évêques
dévoués au pouvoir royal.
Il participa à la croisade (1141-1149) en confiant son royaume durant son
absence à Suger, abbé de saint Denis. Il soutint le pape contre l’empereur
Frédéric Barberousse. En 1152, il répudia sa femme Aliénor, qui se remaria
aussitôt avec Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, qui
s’empara ainsi de l’Aquitaine avant de devenir roi d’Angleterre en 1154.
Louis VII trouva contre Henri II l’appui des papes qu’il soutint contre
l’empereur et l’alliance du comte de Flandre et du comte de Champagne, dont
il épousa la fille, Adèle, mère de Philippe Auguste, en troisièmes noces
(1160). Il mourut après 43 ans de règne, ayant associé son fils à la monarchie
pour assurer la continuité dynastique.

Philippe II Auguste (*1165, 1180-1223) monta très jeune sur le trône,


mais entreprit aussitôt la consolidation de son pouvoir. Il mit en place des
méthodes nouvelles de gouvernement, rendues nécessaires par l’extension du
domaine royal. Il institua les baillis, officiers nommés et révoqués par le roi,
le représentant dans toutes ses fonctions. La collecte plus soigneuse des
revenus domaniaux et la vente de privilèges aux communes et aux métiers
accrurent considérablement la trésorerie royale confiée aux templiers. Ses
ressources élevées lui permirent de rétribuer des mercenaires et d’élever de
puissants châteaux (Dourdan, Issoudun, Gisors). Il modifia la structure du
gouvernement central, en créant des sessions pour les affaires judiciaires et
financières, préfigurant ainsi le Parlement et la Cour des comptes. Les grands
féodaux furent remplacés par des hommes de milieux modestes, reconnus
pour leurs compétences. La cour se fixa à Paris où, à partir de 1194, furent
conservées les archives royales. Philippe Auguste entoura la ville de
remparts, fit paver les rues et favorisa le commerce (privilège aux marchands
de l’eau).
Il poursuivit aussi une politique étrangère habile pour accroître son
pouvoir. Il maria sa fille à Jean sans Terre, fils du roi d’Angleterre. Il partit
pour la croisade avec Richard Cœur de Lion, devenu roi d’Angleterre.
Cependant, il rentra très vite et intrigua contre son allié devenu le rival de
Jean sans Terre et, surtout, du duc d’Autriche, qui arrêta Richard à son retour
et le livra à l’empereur. La lutte reprit à la libération de Richard (1194) et
tourna nettement à l’avantage de ce dernier jusqu’à sa mort, au siège de
Châlus en Limousin (1199). Philippe Auguste ne reconnut à Jean sans Terre
le titre de roi que moyennant la cession d’une partie du Vexin normand, du
pays d’Évreux et du Berry (traité du Goulet, 1200). En 1202, Jean sans Terre
n’ayant pas répondu à une convocation devant la justice royale, Philippe
Auguste annexa la Normandie, le Maine, l’Anjou et le Poitou (1204-1208). Il
prépara même un débarquement en Angleterre, mais la coalition des comtes
de Boulogne, de Flandre, de Hollande, des ducs de Lorraine, de Brabant, de
Limbourg, et de l’empereur germanique, l’en empêcha. Toutefois, par sa
victoire de Bouvines (1214), il réussit à défaire la coalition, assurant ainsi sa
tranquillité au nord et à l’est, et supprimant tout appui continental à Jean sans
Terre, qui dut reconnaître ses conquêtes.
Dans son royaume, il réussit à imposer son autorité aux grands feudataires
les plus proches. À sa mort, il était le plus grand seigneur du royaume.

Louis VIII (*1187, 1223-1226) poursuivit la politique de son père. Il


enleva aux Anglais le Poitou, la Saintonge, l’Angoumois, le Limousin, le
Périgord et une partie du Bordelais. Il participa à la croisade contre les
Albigeois et soumit tout le Languedoc, tout en évitant Toulouse. Il mourut
jeune, au retour du Midi.

Louis IX (Saint Louis, *1214, 1226-1270) n’avait que 12 ans à la mort de


son père. La régence fut confiée à sa mère, Blanche de Castille, jusqu’à sa
majorité. Son éducation religieuse le marqua profondément. Grâce à son
éducation, Louis IX fut un roi très cultivé, bon cavalier, aussi capable de
discuter de théologie que de conduire une armée, sachant imposer aux barons
sa volonté.
La reine Blanche exerça jusqu’à sa mort (1252) son influence sur le
gouvernement d’un royaume dont elle fut de nouveau régente pendant la
croisade. Elle dut réprimer la révolte des vassaux et termina la guerre contre
les Albigeois.
Dès le début de son règne personnel, Saint Louis manifesta une fermeté et
une sagesse qui le firent respecter en Europe. Il tenta de mettre fin à
l’hostilité de Frédéric II envers le pape Innocent IV.
Il avait rapporté de la croisade une véritable auréole. Très sensible aux
difficultés de l’Orient latin, il avait, dès 1237, aidé l’empereur byzantin en lui
achetant fort cher les reliques de la Passion, pour lesquelles il fit construire
dans son palais la Sainte-Chapelle. Depuis, il préparait la croisade et, voulant
frapper au cœur la puissance musulmane, s’était embarqué (1248) pour
l’Égypte. Vainqueur à Damiette (1249), mais vaincu et pris à Mansourah
(1250), il dut verser une rançon pour gagner la Syrie franque, où il passa
4 ans à réorganiser l’administration et le système défensif qui assura quelques
décennies de survie à l’Orient latin. Dans le même temps, parce qu’il croyait
à l’intérêt d’une alliance pouvant prendre l’islam à revers, il noua des
relations diplomatiques assez illusoires avec le successeur de Gengis Khan.

Le roi n’était guère accessible aux avis des barons de son entourage,
confidents plus que conseillers. Mais les religieux, dominicains et
franciscains étaient nombreux autour de lui et exercèrent une influence
croissante sur son comportement et sur sa politique.
Les actions les plus spectaculaires furent celles qu’il mena pour mettre un
terme aux conflits qui venaient de déchirer la France : conquête du Midi
languedocien par les croisés septentrionaux, lutte des Capétiens contre les
Plantagenêt. Après une ultime révolte du comte de Toulouse, Raymond VII,
ce fut, avec le traité de Lorris (1243), la soumission définitive de la France
méridionale et la confirmation de l’organisation nouvelle du Languedoc. Une
dernière tentative du roi d’Angleterre et de ses fidèles échoua en 1242 à
Taillebourg et à Saintes. Bien qu’ayant l’avantage, Louis IX préféra une paix
qui satisfaisait son sens de la justice et ménageait le pieux Henri III qu’il
estimait. Au traité de Paris (1258-1259), il rendit à ce dernier une partie des
terres (du Limousin et du Quercy à la Saintonge) dont il n’était pas assuré
que la conquête ait été légitimement fondée. Par de telles concessions,
auxquelles les barons de son entourage s’opposèrent en vain, Saint Louis
pensait avoir assuré la paix, la fidélité de son royal vassal et l’appartenance
définitive à la couronne de France de l’essentiel de l’héritage des
Plantagenêt : Normandie, Anjou, Touraine, Maine et Poitou.

Pour clarifier, unifier et faire reconnaître partout la prééminence royale,


Louis IX décréta (1263-1266) que sa monnaie, au contraire de celle des
barons, aurait cours dans tout le royaume. Le roi tenta même, de façon
d’ailleurs prématurée, de réintroduire en France le bimétallisme avec un écu
d’or qui circula peu.
Exploitant au maximum son droit à exiger des roturiers de son domaine et
des communes, soit un service en armes, soit le rachat de celui-ci, il put lever
plusieurs « tailles », cependant uniquement avec le consentement des papes,
notamment les Français Urbain IV et Clément IV (1261-1268). Il leva des
décimes sur le clergé qu’il avait précédemment défendu contre les exactions
de la fiscalité pontificale et les collations de bénéfices français à des clercs
italiens.
Saint Louis étendit sa protection sur tous les groupes sociaux capables de
faire contrepoids aux puissances qui concurrençaient la sienne. S’il soutenait
les évêques contre les féodaux et même contre le pape, il donnait son appui
aux universitaires et aux ordres mendiants, dominicains et franciscains,
contre l’épiscopat et le clergé séculier. Il protégeait également l’indépendance
des villes contre les seigneurs.
Poursuivant l’habile politique matrimoniale de Blanche de Castille, grâce à
qui Alphonse de Poitiers, frère du roi, régnait sur le comté de Toulouse, Saint
Louis avait, dès 1246, obtenu pour son autre frère, Charles d’Anjou, la main
de l’héritière de Provence. La conjonction des manœuvres d’Urbain IV et des
ambitions de Charles conduisit le roi à accepter que son frère reçût la
couronne de Sicile (1266). Cette intervention capétienne en Italie, qui allait
impliquer la France dans la politique guelfe, est également responsable en
partie des erreurs de la croisade de 1270. Mal conseillé, semble-t-il, par son
frère qui souhaitait garantir les relations économiques entre la Sicile et Tunis,
ignorant lui-même la situation interne de l’islam et peu secondé par des
barons qui n’aspiraient guère qu’au repos, Saint Louis prit la décision
malheureuse d’attaquer Tunis. De plus, l’aide de Charles lui fit cruellement
défaut : trop occupé en Italie, le frère du roi et ses barons n’arrivèrent en
Afrique qu’après la mort de Louis, survenue le 25 août 1270. La force d’âme
du roi mourant, dans un camp ravagé par la peste, fit plus pour sa renommée
que n’eût fait une victoire éphémère.

Philippe III le Hardi (*1245, 1270-1285), fils de Saint Louis et de


Marguerite de Provence, eut la tâche difficile de succéder à son père, roi
prestigieux. Les progrès de l’État l’obligèrent à s’entourer de nombreux
conseillers pouvant mettre en doute le pouvoir réel du roi. Il poursuivit
néanmoins la politique de grandeur de Saint Louis et annexa le Midi
languedocien à la mort d’Alphonse de Poitiers (1271), mais il céda le Comtat
Venaissin (Avignon) au pape Grégoire X en 1274 et l’Agenais au roi
d’Angleterre en 1279. Charles d’Anjou, le pape Martin IV et les barons
consultés l’entraînèrent dans la première guerre de conquête hors du
royaume, à la croisade en Aragon. Ce fut un échec et Philippe III mourut à
Perpignan, en 1285, victime d’une épidémie.

Philippe IV le Bel (*1268, 1285-1314) monta sur le trône de France à


l’âge de 17 ans. La France était alors au sommet de sa puissance médiévale et
l’État le plus peuplée de la chrétienté (de 13 à 15 millions d’habitants, le tiers
de la chrétienté latine). Elle connaissait une grande prospérité économique.
On dit que le roi connaissait mal son royaume et fut impuissant à disposer
d’une administration efficace.
Une série de procès et de scandales assombrirent son règne et ses relations
avec le pape. Cependant, il obtint la canonisation de son grand-père,
Louis IX, en 1297.
Il tenta d’établir une imposition directe, régulière par différents moyens :
centièmes, cinquantièmes, vingtièmes ou autres, assis sur le capital, le revenu
ou par famille, mais il n’y réussit pas. Il confisqua les biens des corps
étrangers au royaume, puis pratiqua des expulsions collectives (ce fut le cas
des Juifs en 1306). En 1277, 1291, 1311, il fit arrêter et expulser les
marchands italiens appelés Lombards, qui jouaient un rôle important dans le
grand commerce et dans les finances royales.

Deux grands évènements marquèrent son règne :


• Le pape interdit par la bulle de 1296 le versement par les clergés français
et anglais de subsides à leur souverain. Devant la réaction violente de
Philippe le Bel, Boniface fit machine arrière en 1297. Cependant, en 1301, le
pape déclara sa supériorité sur le roi, aggravant sa situation avec Philippe le
Bel, qui lança alors un appel à un concile général devant juger le pape, accusé
d’hérésie. Avec l’aide des ennemis italiens de Boniface VIII, il le fit
prisonnier en 1303. Boniface fut délivré par ses partisans, mais brisé par
l’épreuve, il mourut la même année, à Rome.
Les successeurs du pape Boniface VIII s’installèrent à Avignon. Benoît
XI (1303-1304) et surtout Clément V rétablirent de bonnes relations avec
Philippe, sans toutefois céder à toutes ses exigences. Le procès posthume de
Boniface VIII, réclamé par le roi, n’eut lieu qu’en 1310-1311 à Avignon.
Philippe le Bel fut déclaré innocent des évènements et les mesures de
Boniface le concernant furent annulées.
Le plus important succès de Philippe le Bel dans ses rapports avec la
papauté fut peut-être involontaire : l’installation de la papauté à Avignon, à
portée des pressions et influences françaises. Dictée par la situation italienne,
cette solution provisoire se prolongea pendant trois quarts de siècle.

• En 1307, Philippe le Bel fit arrêter tous les templiers de France, sous des
accusations infamantes (sodomie, sacrilège, idolâtrie), pour des motifs qui ne
sont pas clairs, sinon pour récupérer leur trésor, et les fit jeter en prison. Il prit
possession de la tour du Temple où se trouvaient leur trésor et leurs livres de
comptes. Les 140 templiers de Paris subirent les pires tortures de la part des
inquisiteurs dominicains. Philippe dut harceler le pape pour obtenir
finalement la suppression de l’ordre dans toute la chrétienté par le concile de
Vienne, en 1312. Le pape Clément V, faible, obéissant à Philippe le Bel, fit
dissoudre l’ordre. En 1314, le maître Jacques de Molay et le commandeur de
Normandie furent brûlés vifs sur l’île aux Juifs.

Louis X (*1289, 1314-1316), fils aîné de Philippe le Bel, dut affronter de


graves problèmes économiques durant son court règne. Des milliers de
personnes mouraient de faim dans le Nord du royaume. La hausse des prix,
encore accélérée par la crise, provoqua un mécontentement général. Louis X
choisit de négocier avec la petite noblesse ruinée, en mettant les abus sur le
compte des officiers royaux et joua sur les particularismes locaux, mais il
mourut prématurément sans régler les problèmes.

Philippe V le Long (*1294, 1316-1322), frère de Louis X, deuxième fils


de Philippe le Bel, prit le pouvoir en attendant la naissance de son neveu,
l’héritier légal, Jean Ier, puis devint roi à la mort de ce dernier. Il avait le sens
du pouvoir. À l’extérieur, il régla par la paix le problème flamand (1320). À
l’intérieur, tout en confirmant les chartes provinciales accordées par son frère,
il centralisa les institutions pour les rendre plus efficaces. L’Hôtel du roi, le
Parlement, la Chambre des comptes furent réorganisés. Vingt-quatre grands
seigneurs siégeaient en priorité au Conseil, contrôlant la nomination des
baillis et des sénéchaux, les donations et les mouvements de fonds. Aucun
progrès de l’État n’était possible sans leur accord.
La crise économique se résorbait lentement, mais le pays connut les
révoltes de la misère. Celle des pastoureaux, notamment, paysans déracinés et
jeunes qui se firent tailler en pièces dans une répression violente, comme les
Juifs et les lépreux qui furent des boucs émissaires. Philippe V était obligé de
demander le consentement de ses sujets pour mettre en place une politique de
revenus extraordinaires. Les idées démocratiques naissantes favorisaient le
développement de l’opinion publique. Les assemblées d’États se mêlèrent
aussi des affaires essentielles du royaume. Elles déclarèrent en 1317 que les
femmes ne pourraient pas accéder à la couronne de France.
Charles IV le Bel (*1294, 1322-1328), le plus jeune des fils de Philippe le
Bel, accéda au trône après la mort de son frère Philippe V. Après le scandale
de la tour de Nesle (assassinat de jeunes amants), il obtient l’annulation de
son mariage avec Blanche de Bourgogne.
Pour gouverner, il dut consentir aux exigences de réformes soutenues par
la noblesse et le clergé. Les réformateurs généraux pour l’ensemble du
royaume et surtout ceux de la ville et du vicomté de Paris poursuivirent leur
tâche. Les charges financières et judiciaires accordées gratuitement furent
restituées. Les officiers de la Chambre des comptes, du Parlement, de la
Chancellerie et du Châtelet furent surveillés. La recherche de moyens
financiers restait le problème majeur. Pour faire face à la crise économique,
Charles IV leva des impôts sur les marchandises et la dîme, avec l’accord du
pape, en prétendant partir à la croisade (1323), et confisqua les biens des
financiers italiens. À sa mort, les problèmes restèrent en suspens.
Avec la mort de Charles IV sans héritier mâle, la descendance directe de
père en fils des Capétiens fut rompue. Toutefois, il restait beaucoup de
Capétiens, descendants de la branche cadette, pour succéder au trône.

Les Capétiens Valois

Philippe VI de Valois (*1293, 1328-1350) fut désigné par l’assemblée des


barons et prélats du royaume réunis pour succéder à Charles le Bel, dernier
des Capétiens directs, et fut choisi par elle contre les deux autres prétendants
à la couronne, Philippe, comte d’Évreux, et Édouard III, roi d’Angleterre.
Afin de pouvoir compter sur leur appui, il assura aux grands seigneurs un rôle
essentiel dans la conduite des affaires. La mise en place d’une armée sûre lui
permit d’envisager l’idée de s’engager dans une nouvelle croisade.
Cependant, en 1337 éclata le conflit avec l’Angleterre au sujet de la
possession de l’Aquitaine. Édouard III, roi d’Angleterre, déclencha la guerre
de Cent Ans. Il battit Philippe VI à Crécy en 1346, puis prit Calais en 1347.
Ces deux défaites ayant soulevé l’indignation des populations, Philippe VI
dut consulter fréquemment les notables.

Jean II le Bon (*1319, 1350-1364) 131), fils aîné de Philippe VI de


Valois, duc de Normandie, accéda au trône en 1350. Excellent chevalier,
mais d’intelligence probablement médiocre, il commit de graves maladresses,
provoquant l’hostilité de son entourage.
Vaincu et pris par les Anglais à Poitiers en 1356, il fut libéré après la
conclusion du traité de Brétigny-Calais (1360) qui coûta la moitié du
royaume et une rançon de 3 millions de livres. En 1364, le roi Jean retourna
en Angleterre prendre la place de son fils Louis d’Anjou, gardé en otage. Il
mourut en captivité, en 1364.

Charles V le Sage (*1337, 1364-1380), fils aîné de Jean II le Bon, dut


gouverner le royaume en tant que régent durant la captivité du roi Jean. Il dut
faire face aux prétentions politiques des états généraux de 1356 et 1357, et à
la rébellion parisienne menée par Étienne Marcel.
Le traité de Brétigny-Calais (1360) qui amputa la France d’une moitié de
son territoire et la soumit au paiement d’une énorme rançon en échange de la
personne du roi, offrit cependant une pause que Charles, dauphin puis roi en
1364, mit à profit pour remettre le royaume en état de reprendre la guerre.
Charles V fut un homme de cabinet et un bon diplomate. Il écouta les
conseils des clercs et des universitaires. Fin lettré, amateur de poésie et de
musique, Charles V fit de Paris une capitale dont le rayonnement ne se limita
pas au domaine politique. Il transforma le vieux donjon du Louvre qui datait
de Philippe Auguste, en lui adjoignant deux corps de logis, avec galeries de
promenade et appartements intimes. Dans l’une des tours d’angle, il établit la
bibliothèque royale, très rapidement enrichie de manuscrits précieux et de
textes rares auxquels les savants eurent libéralement accès. À l’autre bout de
la ville, entre la rue Saint-Antoine et la Seine, il fit aménager pour sa
résidence personnelle un ensemble de petits hôtels reliés par des galeries à
travers des jardins, que l’on appela l’hôtel Saint-Paul. C’était à la fois le
témoignage d’un nouvel urbanisme monumental et celui d’un nouvel art de
vivre princier. La situation financière fut assainie par la création du franc
(1364), pièce d’or pur.
Le répit procuré par le traité de Brétigny-Calais et l’assainissement
financier permirent au roi d’organiser son armée, de se doter d’une artillerie
et d’une marine, de faire restaurer les enceintes urbaines et les forteresses, et
d’assurer la soumission de la féodalité.
Avant de reprendre la lutte ouverte contre l’Angleterre, Charles V mit fin à
l’insoumission de son cousin, le roi de Navarre, Charles.
Pour remettre en cause le traité de 1360, Charles V tira profit du
mécontentement des seigneurs gascons qui, contre les abus de
l’administration anglaise et surtout du fisc du Prince Noir, avaient fait appel à
leur suzerain, le roi. En quelques années (1369-1372), grâce à la complicité
des villes qui ouvrirent généralement leurs portes au roi de France, Charles V
reconquit les territoires perdus par ses prédécesseurs. Lorsqu’il mourut en
1380, les Anglais ne gardaient de leurs acquisitions de 1360 que Bordeaux et
la Gascogne.
Sage mais énergique, lettré mais très réaliste, Charles V rendit à la
couronne son prestige

Charles VI le Fol (*1368, 1380-1422), fils aîné de Charles V, monta sur le


trône à l’âge de 12 ans. Ses oncles, les ducs de Bourgogne, d’Anjou, de Berry
et de Bourbon, gouvernèrent pendant sa minorité. Majeur en 1388,
Charles VI régna avec les anciens conseillers de son père. Sa première crise
de folie, en 1392, permit aux ducs de Bourgogne et de Berry, et au duc
d’Orléans, frère du roi, de se disputer à nouveau le pouvoir. Profitant de leur
dispute et de la faiblesse de Charles VI, Henri V, roi d’Angleterre remporta la
victoire d’Azincourt en 1415 et occupa la moitié de la France. La signature
du traité de Troyes en 1420 lui permit d’épouser Catherine de France et lui
confia la régence du royaume de France. Il fut reconnu héritier du trône,
assurant à sa lignée la succession. Le futur Charles VII fut déclaré bâtard au
profit du roi d’Angleterre, Henri V.

Charles VII (*1403, 1422-1461), déshérité par son père et déclaré bâtard
(traité de Troyes, 1420), prit cependant le titre de roi à la mort de Charles VI,
mais il ne fut vraiment reconnu qu’après le sacre. Jusque-là, l’usage courant
de la cour ne lui accordait que le titre de dauphin.
Son histoire est très étrange. Si l’on fait le bilan de son règne de près de 40
ans, on peut dire qu’il fut un grand roi. Cependant, sans Jeanne d’Arc, peut-
être n’aurait-il rien fait ! En effet, au début de son règne, les Anglais
occupaient la moitié de la France et l’autre moitié était instable.

Jeanne d’Arc (1412-1431) organisa une petite armée, après le ravage de


son village par les Anglais et les Bourguignons, et proposa de se rallier à
Charles VII. Après avoir été éconduite lors de sa première tentative pour
rencontrer le roi, en 1428, l’année suivante, Jeanne d’Arc fut enfin reçue par
Charles VII. Elle lui parla de ses « visions » qui prévoyaient la victoire à
Orléans sur les Anglais, le couronnement de Charles à Reims, la reprise de
Paris et le retour de captivité du duc d’Orléans. On la prit d’abord pour une
illuminée puis, après une enquête de moralité et un examen de virginité,
Jeanne fut autorisée à participer aux opérations militaires. Elle prit part aux
actions qui aboutirent à la levée du siège d’Orléans par les Anglais le 8 mai
1429. Ce fut ensuite une série de victoires. Son nom se répandit dans toute la
France. Le 17 juillet, Charles VII fut sacré roi par l’archevêque de Reims
selon le cérémonial traditionnel. Jeanne se tenait près du roi au moment du
couronnement.
Cependant, l’assaut contre Paris fut repoussé et Jeanne fut blessée. Mais
d’autres opérations auxquelles elle participa furent couronnées de succès. Fin
1429, Charles VII anoblit Jeanne et sa famille. Au printemps 1430, à la
bataille de Compiègne, elle fut faite prisonnière par les hommes de Jean de
Luxembourg. Les Anglais qui voulaient la condamnation de Jeanne,
l’achetèrent à Jean de Luxembourg, mais la remirent à la justice de l’Église,
tout en déclarant qu’ils la reprendraient si elle n’était pas déclarée hérétique.
Les théologiens déclarèrent Jeanne idolâtre, invocatrice de démons et très
suspecte d’hérésie. Le 30 mai 1431, Jeanne fut brûlée sur le bûcher à Rouen.
En 1456, le procès fut repris à la demande de sa mère et Jeanne fut
réhabilitée.

On reprocha à Charles d’avoir laissé condamner Jeanne d’Arc sans


intervenir auprès de l’Église, peut-être afin de ménager ses adversaires avec
lesquels il espérait traiter.
En 1437, Paris fut prise par Charles VII et la troisième « vision » de
Jeanne, réalisée. L’armée modernisée de Charles VII reprit successivement
tous les territoires occupés par les Anglais. En 1453, les Anglais furent
chassés définitivement de France.
Son grand mérite fut aussi la réorganisation des institutions essentielles et
l’obtention d’un impôt permanent, reconnaissance d’un droit monarchique.
Charles VII se méfiait de Paris, où il avait vécu des jours difficiles dans
son enfance. Il fit passer la prévôté des marchands aux mains d’officiers de
justice ou de finance qui assurèrent la tutelle de la capitale. Pour sa résidence,
le roi préféra les petites villes et les châteaux du Val de Loire. Paris cessa
d’être la résidence principale du roi, de la cour et de l’aristocratie.
La seule faiblesse sérieuse de la fin du règne fut l’insoumission du dauphin
Louis, flagrante dès 1447.
Louis XI (*1423, 1461-1483) était impatient de monter sur le trône. Il
adhéra à la révolte des grands seigneurs contre son père, Charles VII. Après
diverses missions politiques et militaires, il fut finalement exilé par son père
dans son fief du Dauphiné (1447) qu’il administra durant 10 ans. Il s’y
remaria en épousant une enfant de 12 ans, la fille du duc de Savoie. Les
intrigues du dauphin en France ne cessèrent pas. À deux reprises, Charles VII
envoya des troupes contre son fils, qui se mit sous la protection du duc de
Bourgogne, Philippe le Bon.
Une fois roi, après la mort de son père Charles VII, en 1461, aussitôt sacré
à Reims, Louis prit rapidement ses distances avec le duc de Bourgogne, à qui
il racheta les villes de la Somme. Il entra en conflit permanent avec le
nouveau duc de Bourgogne, Charles le Téméraire
L’échec des opérations militaires de Charles le Téméraire, puis sa mort
(1477), et celle de Charles de France (1472), l’élimination des grands
seigneurs hostiles, affermirent la monarchie française, débarrassée
pratiquement pour toujours de la triple menace anglaise. Des épisodes
dramatiques, où le roi se révéla impitoyable, marquèrent son règne
(l’assassinat du duc Jean V et l’emprisonnement de son fils Charles,
l’exécution du connétable de Saint-Paul et du duc de Nemours). Il avait la
réputation d’être un roi cruel et sanguinaire.
Louis s’empara de la Picardie, du Boulonnais, du duché de Bourgogne, de
l’Artois et de la Franche-Comté.
Absorbé par la diplomatie et la guerre, Louis XI perçut toutefois
l’importance de la prospérité économique pour la puissance des États. Il sut
aussi accepter que la « décentralisation géographique » limitât la
« centralisation institutionnelle ». Durant son règne, la Renaissance se
propagea très lentement en France. Il fut considéré comme le dernier roi du
Moyen Âge.
Comme son père, Louis XI n’aimait pas Paris et résida dans les villes et
châteaux de la Loire. Il voulut être enterré à Notre-Dame-de-Cléry et non à
Saint-Denis avec ses ancêtres.

Charles VIII (*1470, 1483-1498) devint roi à l’âge de 13 ans, à la mort de


son père. Sa sœur, Anne de Beaujeu, fut chargée de la régence par Louis XI,
jusqu’à sa majorité, ce qui provoqua la révolte des princes, qui soutenaient
les revendications du duc d’Orléans (futur Louis XII).
Charles VIII épousa Anne de Bretagne et obtint le rattachement de la
Bretagne à la France, mais il dut abandonner le Roussillon et la Cerdagne au
roi d’Aragon en 1492, puis la Franche-Comté, l’Artois et le Charolais à
Maximilien de Habsbourg en 1493.
Il organisa une expédition en Italie en 1494, couronnée d’une longue série
de victoires. Les villes italiennes, soumises à de véritables tyrannies, voyaient
en lui leur libérateur. Florence, Rome et Naples lui firent un accueil
triomphal. Ne voulant pas entrer en guerre contre Venise et Milan, il se retira
en France en 1495. Il découvrit la Renaissance italienne durant son séjour et,
pour la propager en France, il déroba de prodigieuses collections à Florence
et à Rome. Il ramena même quelques artistes italiens en France.
Charles VIII mourut alors qu’il projetait une nouvelle expédition, sans
laisser d’héritier, tous ses enfants étant morts avant lui.

Les Capétiens-Valois-Orléans

Louis XII (*1462, 1498-1515), fils de Charles, duc d’Orléans, et cousin de


Charles VIII, dont il épousa par ailleurs la sœur Jeanne, prit position contre la
régence d’Anne de Beaujeu et fut fait prisonnier en Bretagne en 1488. Gracié
et nommé gouverneur de Normandie, il suivit Charles VIII lors de ses
expéditions en Italie. Après la mort de Charles VIII, en 1498, il monta sur le
trône de France sans opposition. Il fit annuler son premier mariage pour
épouser Anne de Bretagne afin de garder la Bretagne.
Il reprit la campagne d’Italie en 1499 et pilla les trésors de la Renaissance.
En 1500, il fut maître de toute l’Italie, mais il fut chassé de Naples en 1506,
puis de Milan en 1512.
Après la mort de sa femme, Anne de Bretagne, il épousa Marie
d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, roi d’Angleterre. Il donna sa fille, Claude,
en mariage à François d’Angoulême, futur François Ier.
Louis XII jouit d’une grande popularité en France, surtout à cause de la
réduction des impôts, rendue possible grâce à la richesse ramenée d’Italie,
mais aussi du fait de la conjoncture favorable due à la paix intérieure, à
l’accroissement de la population, aux progrès techniques et au
développement des échanges.

La Pologne
Bien que l’on ne puisse pas la comparer aux autres grands royaumes
européens et qu’elle n’ait eu aucune influence sur l’histoire de la grande
Europe, il faut parler de la Pologne qui, après quelques siècles d’existence,
connut aussi son âge d’or vers la fin du Moyen Âge et qui, après sa chute,
réussit à survivre jusqu’à nos jours.

Des tribus slaves installées sur le territoire actuel de la Pologne furent


unifiées à la fin du Xe siècle par le duc Mieszko Ier qui, ayant épousé la fille
du duc de Bohême, se convertit au catholicisme, avec tous ses sujets, en 966.

Boleslas (*967, 992-1025), fils de Mieszko, plaça la Pologne au rang des


grandes puissances européennes. Son règne fut marqué par une politique
d’expansion prestigieuse. Bien que ses conquêtes ne fussent que temporaires
(Lusace, Bohême, Slovaquie ; occupation de Kiev en 1018), elles alarmèrent
ses voisins avec lesquels les relations furent désormais incertaines et
difficiles. Habilement, il patronna l’évangélisation des païens et, en 999,
obtint la canonisation de l’ancien évêque de Prague, Adalbert, martyrisé en
Prusse et enterré à Gniezno. Après de nombreuses guerres contre Henri II, il
fit reconnaître l’indépendance de la Pologne vis-à-vis du Saint Empire romain
germanique et se fit couronner roi en 1025.

Mieszko II (1025-1034), son successeur, ne put résister au morcellement


de son pays, encouragé par ses voisins germaniques.

Casimir Ier (1034-1058) essaya de restaurer l’unité de son pays mutilé et


transféra sa capitale à Cracovie.

Boleslas II (1058-1079) lutta contre la révolte de la noblesse et fit exécuter


son meneur, l’évêque de Cracovie. Il fut exilé.

Boleslas III (1102-1138) récupéra la Poméranie, mais reconnut que l’unité


de la Pologne était impossible. Il partagea son royaume entre ses fils.

Durant deux siècles, la Pologne « disparue » fut divisée en duchés,


facilitant l’installation de l’ordre teutonique en 1226. Il occupa la Prusse,
Gdansk et la Poméranie orientale.
Ladislas Ier (1320-1333) lutta durant 15 ans pour récupérer
l’indépendance de la Pologne et se fit couronner roi en 1320. Il tenta de
réunifier la Pologne, sans toutefois récupérer la Poméranie et la Silésie, qui
restèrent germaniques.

Casimir III le Grand (*1310, 1333-1370) tourna ses ambitions vers le


sud-est, où il occupa une grande partie de la Ruthénie et de l’Ukraine. Aussi
ferme dans son gouvernement que populaire auprès de ses sujets, le « roi des
paysans », bâtisseur infatigable et fondateur de l’université de Cracovie, fut le
dernier des Piast à régner.
Durant son règne, il fut aidé plusieurs fois par son neveu Louis d’Anjou le
Grand, roi de Hongrie (fils de sa sœur Élisabeth) qui le défendit contre les
attaques systématiques des Lituaniens et des Mongols, jusqu’à leur défaite
définitive, assurant la paix à la Pologne. Louis rattacha la Galicie à la
Hongrie, mais la laissa gouverner par Casimir.
N’ayant pas eu d’héritier, Casimir laissa le trône à son neveu, Louis le
Grand.
Louis le Grand laissa le gouvernement de la Pologne à sa mère Élisabeth,
qui fit couronner sa fille Hedwige (âgée de 10 ans) « roi » de Pologne en
1384. Elle la maria avec Jagellon, duc de Lituanie, qui devint ainsi roi de
Pologne sous le nom de Ladislas II.

Ladislas Jagellon II (*1351, 1384-1434), à la demande de sa belle-mère


Élisabeth (condition du mariage), se convertit au catholicisme, avec son
peuple lituanien. Il fonda la dynastie des Jagellon. En 1387, il fonda l’évêché
de Vilnius et donna aux nobles lituaniens les mêmes privilèges que ceux
accordés aux nobles polonais. Il accorda une autonomie administrative à la
ville de Vilnius. Sous son règne, la Pologne unifiée avec la Lituanie devint
une grande puissance européenne. Dans ce cadre, la noblesse polonaise
promit de ne pas élire de roi sans consulter les Lituaniens. Il vainquit les
Teutoniques à Grunwald en 1410. Après la mort de sa femme Hedwige, il
épousa Sophie de Kiev, qui lui donna deux garçons, Ladislas (1424) et
Casimir (1427).

Ladislas III (*1424, 1434-1444), également roi de Hongrie, engagea la


Pologne dans sa première « croisade » contre les Turcs. Il mourut à Varna en
1444.

Casimir IV (*1427, 1447-1492) reprit la lutte contre l’ordre teutonique. Il


rattacha la Prusse à la Pologne. La guerre de Treize Ans (1454-1466) aboutit
à la « paix perpétuelle » de Torun, qui restitua à la Pologne la Poméranie
orientale avec Gdansk, le cours inférieur de la Vistule et l’accès à la Baltique.
L’ordre teutonique devint le vassal de la couronne polonaise. Cependant, un
danger nouveau apparut à l’est, avec l’ascension de la Moscovie sous Ivan III
(1462-1505).

L’Espagne

On ne peut pas parler de royaume d’Espagne au Moyen Âge. En effet,


jusqu’au tournant du millénaire, l’Espagne fut occupée par des Arabes.
N’oublions pas qu’ils arrivèrent jusqu’à Poitiers, où Charles Martel les battit
en 732, puis les refoula en Espagne.
Quelques petits États chrétiens naquirent au nord dès le Xe siècle (Castille,
León, Aragon, Navarre), mais lorsqu’ils prirent de l’importance, ils furent
écrasés par le vizir Almanzor qui détruisit aussi Saint-Jacques-de-
Compostelle, lieu de pèlerinage des chrétiens.

Quelques dizaines d’années plus tard, incités par le pape, les États
chrétiens réunis attaquèrent l’émirat et occupèrent progressivement
l’Espagne, mais avec l’aide des Berbères almoravides, les musulmans les
battirent et reprirent leurs territoires. Toutefois, les États du nord restèrent
chrétiens.
Dès le XIe siècle, toute une série de rois « Alphonse » se succédèrent en
Castille et en Aragon, qui luttèrent sans cesse pour la survie de leur pays. Une
première réunification provisoire des États chrétiens eut lieu en 1109
lorsqu’Alphonse Ier d’Aragon et de Navarre épousa la fille d’Alphonse VI,
roi de Castille.
Les États chrétiens ne cessaient de se battre contre les musulmans et, en
1270, réussirent à réduire l’occupation arabe au royaume de Grenade, au sud
de l’Espagne.
En quelques dizaines d’années, à partir de 1282, le royaume d’Aragon-
Catalogne domina la Méditerranée occidentale (Sicile, Sardaigne et duché
d’Athènes), tandis que celui de Castille-León occupa tout le centre de
l’Espagne. On peut noter qu’Alphonse X le Sage, roi de Castille, fut aussi
empereur du Saint Empire romain germanique de 1267 à 1272. Il renforça la
chrétienté en Espagne et rétablit l’université de Salamanque.
Le XIVe siècle fut une période noire de l’histoire de l’Espagne. Les
rébellions, les luttes pour le pouvoir, la peste noire, les pogroms et les
conversions forcées affaiblirent considérablement les royaumes chrétiens.

Le royaume d’Espagne naquit à la fin du XVe siècle grâce aux « rois


catholiques » et devint une des plus grandes puissances d’Europe durant la
période de la Renaissance, couvrant la fin du Moyen âge et le début de la
période moderne.

Les rois catholiques

Isabelle la Catholique (*1451, 1474-1504), reine de Castille, épousa


Ferdinánd II le Catholique (*1452, 1468-1516), roi de Sicile, puis
d’Aragon (1479-1516) et de Naples (1504-1516). Ils gouvernèrent ensemble
leurs royaumes réunis et chassèrent définitivement les Maures du royaume de
Grenade. Le règne des rois catholiques constitue une charnière entre le
Moyen Âge et la période moderne. Il fut marqué par deux grands événements
en 1492 : la prise de Grenade et la découverte de l’Amérique, cette dernière
marquant officiellement le début de l’époque moderne.

De ce couple royal, l’histoire retient surtout le nom d’Isabelle, rendue


célèbre par son soutien à l’Inquisition et à Christophe Colomb.

L’Inquisition, commencée déjà avant l’avènement des rois catholiques,


assombrit tristement l’histoire de l’Espagne. Malgré leur conversion au
catholicisme, Juifs et Arabes durent fuir l’Espagne, privée ainsi de son élite.
Les non convertis furent exterminés.

En revanche, le soutien apporté à Christophe Colomb, aboutissant à la


découverte de l’Amérique et de son immense richesse, permit à l’Espagne de
dominer les mers et la moitié de l’Europe. Grâce à sa nouvelle richesse
illimitée venant d’Amérique, le royaume d’Espagne, à peine né, se hissa au
rang des plus grandes puissances.
L’organisation du commerce avec les « Indes » fut contrôlée par Isabelle,
qui protégeait les « Indiens » et s’opposa à l’établissement de l’esclavage.

Après la mort d’Isabelle, en 1504, sa fille, Jeanne la Folle (*1479-1555,


devenue folle deux ans plus tard, après la mort de son mari, Philippe le Beau,
archiduc d’Autriche) hérita du trône de Castille, sous la tutelle de son père,
Ferdinand II, qui gouverna donc seul la grande Espagne réunie. Il s’empara
du royaume de Navarre en 1512. Par ses relations avec l’Italie, il facilita la
Renaissance en Espagne.
Après sa mort en 1516, son petit-fils, le fils de Jeanne la Folle, Charles Ier,
futur empereur Charles Quint, monta sur le trône d’Espagne.

La conquête de l’Amérique

La découverte et la conquête de l’Amérique sont indissociables de


l’histoire du royaume d’Espagne.
L’expansion de l’islam et les guerres en Orient avaient rendu difficile et
dangereux le transport des produits venant des Indes et de Chine, devenus
indispensables en Europe. Vasco de Gama contourna l’Afrique pour y
arriver. Christophe Colomb (né à Gènes, 1451-1506), navigateur-
commerçant, envisagea une nouvelle route vers l’ouest. Considérant la Terre
comme sphérique (hypothèse critiquée, mais admise par les savants), il disait
qu’en allant toujours vers l’ouest inconnu, on arriverait obligatoirement en
Chine, puis en Inde. Pour réaliser ce voyage, il demanda l’aide financière du
roi du Portugal, qui la lui refusa. Il tenta donc sa chance en Espagne, où
Isabelle la Catholique accepta de l’aider.
Il embarqua à Palos le 3 août 1492 et partit avec trois navires, la Santa
Maria, la Niña et la Pinta. Toutefois, il sous-estima la distance et ignorait
l’existence de l’Amérique à mi-chemin. Après deux mois de navigation, le 12
octobre, il aperçut enfin la terre. Il accosta aux îles Caraïbes, au San
Salvador, puis à Cuba et Haïti, qu’il baptisa Hispaniola. Il les prenait pour
des îles indiennes et appela donc ses habitants des Indiens. Après son retour
en Espagne, il refit encore trois fois la traversée de l’Atlantique. Il découvrit
d’abord les autres îles Caraïbes, puis longea la côte jusqu’à l’Amérique
centrale. Ses voyages n’ayant pas apporté la fortune espérée, l’aide royale fut
suspendue en 1504, après la mort d’Isabelle la Catholique, sa protectrice. Il
ne sut jamais qu’il avait découvert un nouveau continent.

La découverte de l’Amérique est attribuée à Christophe Colomb.


Cependant, quelques siècles avant lui, les Vikings y passaient déjà
régulièrement par le Groenland, sans parler d’un nouveau continent. Je ne
parle même pas des navigateurs de l’Antiquité qui durent y passer
accidentellement, sans le savoir. Quelques vestiges trouvés en Amérique du
Sud le prouvent.
Peu de gens connaissent les voyages de l’amiral chinois Zheng He qui,
quelques dizaines d’années avant Christophe Colomb, organisa une longue
expédition de plusieurs années et établit même la carte de l’Amérique. Les
Chinois étaient toujours très secrets avec leurs découvertes.
Si le « Nouveau Continent » fut appelé Amérique, cette erreur injuste est
due à l’ignorance du cartographe Waldseemüller, qui l’appela ainsi d’après le
nom du navigateur Amerigo Vespucci, celui-ci ayant longé plusieurs fois les
côtes d’Amérique du Sud. Il le prit pour le découvreur de l’Amérique.

***

Je ne peux pas quitter le Moyen Âge sans dire quelques mots des deux
grands empires américains de l’époque, totalement disparus après l’arrivée
des conquistadors, dont seules les ruines laissent imaginer la richesse.

L’EMPIRE INCA

Lorsqu’on parle des Incas, on pense au peuple indien qui peupla durant
près de 3 000 ans la partie occidentale de l’Amérique du Sud, entre l’océan
Pacifique et les forêts amazoniennes. Ce peuple civilisé atteignit son âge d’or
à la fin de notre Moyen Âge européen. À cette époque, il occupait tous les
territoires le long des Andes. Or « Inca » était le titre et le nom du roi de ce
grand peuple conquérant.

L’origine des Incas est peu connue. C’étaient des tribus indiennes vivant
dans les Andes qui, petit à petit, envahirent les cités États haut perchées dans
les montagnes et y fondèrent leur empire.
Leur structure sociale était comparable à celle des Égyptiens. « Inca », le
roi absolu du peuple, était le fils du Soleil. Il devait épouser sa sœur afin
d’assurer la pureté du sang royal. Personne ne devait lever les yeux devant
lui. Il était le maître absolu. L’empire était géré par la noblesse et par le
clergé, issus probablement de la famille royale, puisque les membres de la
classe inférieure ne pouvaient pas y accéder. Le peuple cultivait les terres,
confectionnait les articles artisanaux, construisait des édifices et formait
l’armée, en cas de guerre.
On cultivait du maïs, des pommes de terre, des haricots, du coton et du
piment. Les femmes tissaient, cousaient et s’occupaient de l’éducation des
enfants. On peut noter que, malgré la culture évoluée des Incas, leurs arts très
simples ne pouvaient pas concurrencer ceux des autres peuples indiens
soumis. Les Incas pratiquaient une écriture primitive que l’on ne put pas
déchiffrer.

La capitale le l’empire inca était Cuzco, construite à plus de 3 000 m


d’altitude. Elle était réservée au roi Inca, entouré des dirigeants de l’empire,
du clergé et de la noblesse. C’était le centre de la culture et du culte, avec ses
édifices et temples extraordinaires. Le peuple vivait en dehors de Cuzco, dans
les villes et villages voisins. Dans la vallée autour de Cuzco étaient érigées
des villes forteresses, Machu Picchu, Pucara, Kencco et Ollantaytambo,
protégeant l’accès de la capitale. Toutes les agglomérations et villes de
l’empire, même éloignées, étaient reliées entre elles par de larges routes. Les
grands édifices, ponts, aqueducs et canalisations pour l’irrigation, étaient
réalisés sans mortier, par simple empilement de blocs de pierre taillés.
Les terres de l’empire, ainsi que les nouveaux territoires acquis, étaient
partagés en trois parties entre l’Inca, la classe dirigeante (clergé et noblesse)
et le peuple. Chaque famille de la population active recevait un lot de terre,
proportionnel au nombre de ses membres.
Le culte de la mort était une tradition, dont l’importance dépendait du rang
social du défunt. Momifié avec des bandeaux de tissus (le climat sec
permettant la conservation du corps), on déposait le corps du défunt dans la
tombe, avec ses objets de valeur, ses outils ou ses armes. Le sacrifice humain
était rarement pratiqué, seulement en cas de catastrophe naturelle ou de
danger menaçant, afin de demander l’aide du dieu Soleil.
Après une première décadence, vers le Xe siècle, l’arrivée des Toltèques
parmi les Incas relança leur culture. Comme, je l’ai dit plus haut, la
civilisation inca atteignit son âge d’or vers la fin du Moyen Âge. À cette
époque, le territoire des Incas s’étendait sur 4 000 km de long, dans les
Andes. Il comptait plus de 10 millions d’habitants, disposait d’une solide
structure sociale et d’une armée puissante. Cette civilisation aurait pu durer
probablement encore bien longtemps, sans l’arrivée des conquérants
espagnols de Pizarro, qui y mirent fin cruellement, avec quelques centaines
de soldats. L’écrasement et la soumission d’un si grand peuple par quelques
centaines d’aventuriers espagnols restent une énigme de l’histoire.
J’ai dû anticiper en peu pour en parler, sans toutefois dépasser la période
décrite dans ce volume, puisqu’elle concerne aussi la Renaissance et le début
de la conquête des Amériques.

L’EMPIRE AZTÈQUE

Les premières tribus sauvages aztèques arrivèrent du nord au Mexique au


XIIe siècle. Le souverain toltèque de Colhuacán les autorisa à se fixer à la
limite de son royaume. Ces chasseurs devinrent des serfs sur ses terres. Après
quelques histoires sordides, il les chassa. Vers 1325, ils revinrent et se
fixèrent, créant une petite bourgade au milieu des roseaux, Tenochtitlan
(Mexico), leur capitale, qui devint la plus belle ville du monde. Leur vie resta
précaire. Ils se nourrissaient de pêche et de chasse. Certains s’engagèrent
comme mercenaires dans l’armée de voisins puissants. Bientôt, leur présence
devint menaçante et ils durent lutter contre leurs voisins. Victorieux, les
Aztèques fondèrent leur royaume et marquèrent un tournant de l’histoire
mexicaine. Avec Itzcoatl, leur souverain, et Tlacaelel, son conseiller, l’ordre
aztèque commença à régner.
Tlacaelel fut un homme politique d’une valeur exceptionnelle et d’une
grande lucidité. Il survécut à trois souverains et orienta tout l’avenir de son
peuple. Ses réformes dans le domaine juridique et administratif permirent la
mise en place du futur empire. Il « officialisa » l’histoire des Aztèques, basée
sur des légendes selon lesquelles ils étaient le peuple élu du Soleil, symbolisé
par Huitzilopochtli (colibri, jeune dieu des tribus aztèques), créé pour le
nourrir et faire vivre le monde. Il détruisit les archives des autres tribus qui ne
faisaient pas la part assez belle à la vocation aztèque. Sur le plan extérieur, il
élabora une politique de conquêtes, faisant reculer les frontières de la
domination aztèque. Pratiquement, à part quelques régions qui résistèrent
toujours à la pression aztèque, comme Tlaxcala, le Michoacán et une certaine
partie de la zone maya, tout le pays jusqu’au Guatemala actuel subit
l’invasion de ce peuple guerrier.

L’empire aztèque prit naissance sous le règne de Motecuzoma Ier, en


1428, par une triple alliance unissant Mexico-Tenochtitlán à ses cités sœurs
de Texcoco et de Tlacopán, au sein de laquelle Mexico avait toujours la
prédominance. Comme l’empire regroupait de nombreuses tribus d’origines
diverses, leurs dieux étaient tous reconnus.
La croyance des Aztèques imposait le sacrifice humain. Plus la tribu
prenait de l’importance, plus grand lui semblait son rôle historique et plus les
sacrifices humains se multipliaient. Sous le règne de Motecuzoma Ier naquit
également une institution appelée la « guerre fleurie » qui était en fait une
sorte d’alliance entre tribus mexicaines pour procurer des victimes destinées
aux dieux. Bien entendu, ces nombreuses guerres rapportaient aussi une
fortune colossale à l’empire.
Sous le règne du sixième roi aztèque, Ahuitzotl, on procéda à la
rénovation du grand temple de Mexico-Tenochtitlan. On évalua à 20 000 le
nombre des prisonniers de la « guerre fleurie » sacrifiés à cette occasion. Les
canaux de la ville charriaient du sang. Toutes les formes de sacrifice étaient
pratiquées : pendaison, crémation, sacrifice par les flèches, etc., mais les plus
fréquentes étaient l’arrachement du cœur sur la pierre de sacrifice.
La structure sociale était différente de celle des peuples voisins. Il n’y avait
pas de chef héréditaire, mais un chef élu (comme l’empereur du Saint Empire
romain germanique !), choisi toutefois au sein des familles princières. Le
pays était gouverné par le clergé et par les seigneurs. La noblesse n’était pas
non plus héréditaire et seuls les mérites permettaient d’y accéder.

Lorsque Cortès débarqua au Mexique (Veracruz) en 1519, l’empire


aztèque vivait son âge d’or. Il fut ébloui par la richesse et l’organisation
sociale, mais aussi par la cruauté naturelle des Aztèques. Il apprit vite que la
vraie richesse se trouvait dans les hautes montagnes, à Tenochtitlan. Pour y
arriver rapidement, il fit prisonnier l’empereur Moctezuma II, en 1520.
Moctezuma II mourut en captivité la même année. Les Aztèques se
révoltèrent, chassèrent Cortès et décimèrent son armée. En 1521, Cortès
revint, écrasa la révolte et reconquit le Mexique, mettant ainsi fin à l’empire
aztèque.

LES CONCLUSIONS CONCERNANT LE MOYEN ÂGE

Comme je l’ai dit déjà plus haut, le Moyen Âge est la plus sombre période
de l’histoire de l’humanité. Il débuta avec la chute de Rome (576) et se
termina avec celle de Byzance (1453). Durant cette période, plusieurs grandes
puissances disparurent, mais d’autres naquirent.

Comment expliquer les problèmes du Moyen Âge, ses cruautés et le


ralentissement brutal (voire le blocage) de l’évolution de la culture ? On ne
peut pas en rendre responsables les invasions d’origine asiatique. C’était un
phénomène presque quotidien depuis l’Antiquité, qui semait momentanément
le désordre dans la structure des pays civilisés, sans toutefois empêcher leur
évolution culturelle. Les « envahisseurs » détruisaient rarement la culture des
pays occupés. Ils se civilisaient plutôt sous leur influence.

En tenant responsable des maux du Moyen Âge, la détention du


pouvoir étatique par des religions, on pourrait me traiter d’athée et de
suppôt de Satan, et on m’aurait brûlé au Moyen Âge !

C’était au nom de Dieu que l’on exterminait les hérétiques dans le monde
chrétien et qu’on se battait contre l’islam. Les deux religions monothéistes, la
chrétienté et l’islam, voulaient dominer le monde. Ces guerres de religion,
caractéristiques principales du Moyen Âge, furent sans limite. Elles ne se
cantonnèrent pas à l’affrontement des chrétiens et des musulmans, mais se
poursuivirent à l’intérieur même de chaque religion contre les
« déviationnistes » ou les sectes qui s’écartaient du dogme officiel, par une
interprétation différente de la Bible ou du Coran. Toute l’énergie et la
richesse des hommes étaient consacrée à la religion et à la guerre. Il était
donc normal que l’on négligeât la culture et les nouvelles connaissances. Je
suis peut-être un peu sévère, mais je ne peux pas m’empêcher de comparer le
peu de résultats des 10 siècles du Moyen Âge, avec ceux des quelques siècles
des différentes civilisations de l’Antiquité.
Les riches seigneurs n’étaient plus des mécènes de la culture. Ils
dépensaient leur fortune à la guerre. Les artistes ne pouvaient valoriser leurs
dons qu’au service de la religion, dans la construction des églises et des
mosquées. Les cathédrales et mosquées furent les seuls monuments
historiques du Moyen Âge.

Mon pessimisme et mon jugement sévère ne doivent pas m’empêcher de


faire le bilan (dans l’ordre chronologique) des quelques résultats positifs et
négatifs du Moyen Âge, sans toutefois les juger.

• Le christianisme, devenu religion de l’Empire romain, domina l’Europe,


mais se scinda définitivement en deux (sans parler des « déviationnistes » et
des sectes) : occidental ou catholique romain, dont le chef suprême était le
pape, à Rome, et oriental ou chrétien orthodoxe (grec), dirigé par le
patriarche, soumis à l’empereur de Byzance.

• Création du Saint Empire romain germanique, dominant l’Europe


occidentale.
On pourrait dire qu’il succéda à l’Empire romain d’Occident. Cependant,
son empereur n’était pas romain. Il était élu par des « monarques électeurs »
européens, entre eux, avec le consentement du pape. Il regroupait la grande
majorité des pays européens. Sa grandeur dépendait de l’ambition et de la
puissance de son empereur. Elle était donc variable.

• Construction des cathédrales et des châteaux forts.


Il est intéressant de constater le lancement presque simultané des
constructions de cathédrales grandioses et de châteaux forts, dans la plupart
des pays européens. Si la construction des châteaux forts et des villes
fortifiées était une nécessité durant cette époque agitée de l’histoire, où les
guerres faisaient rage, on explique difficilement quel besoin poussait les
évêques et même les seigneurs laïcs à se surpasser avec ces cathédrales
gothiques. Elles poussaient comme des champignons. Chaque ville voulait
une cathédrale plus haute et plus belle que la ville voisine.

• Naissance et propagation rapide de l’islam en Asie, en Afrique et en


Espagne. Dans un premier temps, cette propagation était pacifique, mais par
la suite, elle se fit par la force.

• Iconoclasme : destruction des images sacrées et des statues à visage


humain des lieux de culte.
Cette tendance, heureusement de courte durée, fit des ravages dans les
vestiges religieux, même en Égypte et en Grèce. Sous prétexte que ni Dieu ni
ses saints ne pouvaient être personnifiés, de nombreuses statues furent
mutilées pour éliminer leurs visages humains.

• Création du royaume hongrois chrétien, dominant l’Europe centrale à son


âge d’or et jusqu’à sa décadence.
Le Moyen Âge fut une période glorieuse de l’histoire des Hongrois. Au
début de sa période de 10 siècles, les Hongrois dispersés en Asie et en Europe
se regroupèrent et fondèrent un royaume stable, définitif et homogène dans le
bassin des Carpates. Malgré quelques catastrophes nationales et des guerres
civiles, la Hongrie connut plusieurs « âges d’or » jusqu’à la fin du Moyen
Âge et fit partie des grandes puissances européennes, malgré son voisinage
hostile. On pourrait dire que le Moyen Âge fut l’âge des Hongrois. La
Hongrie y naquit et sombra dans l’oubli de son histoire.

Malheureusement, sans être superstitieux, on peut dire que la


malédiction des traîtres de « l’alliance de sang » des fondateurs de la
Hongrie se réalisa. La Grande Hongrie, libre et indépendante, sombra
dans la servitude.

• Trois siècles de croisades contre l’islam se terminèrent par la perte


définitive de la Terre sainte, de l’Asie Mineure, du sud des Balkans et par la
chute de Byzance.

• L’inquisition, la chasse aux hérétiques et aux juifs refusant la conversion


au catholicisme, fut probablement la plus cruelle action de l’histoire de
l’Église catholique. Au début, il s’agissait de ramener les « brebis égarées »
sur le bon chemin, mais très rapidement, l’action des inquisiteurs devint
criminelle. Librement, ils pouvaient juger, torturer, tuer, brûler, sans rendre
de comptes à personne. Leur injustice et leur cruauté terrorisaient les
catholiques, mais en même temps, elle déclencha leur résistance, qui eut peut-
être pour conséquence les nouvelles tendances luthérienne et hussite.
• Création de l’Empire ottoman, menaçant l’Europe durant les siècles à
venir.

• Disparition de la culture grecque et égyptienne. Islamisation du Proche-


Orient.

• Propagation de la Renaissance en Europe : peinture, sculpture, littérature


(voir ci-après).

• Modernisation de la guerre, avec l’utilisation de la « poudre noire » en


artillerie.
La « poudre noire » (mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois)
était déjà connue par les Chinois bien avant notre ère. Ils l’utilisaient pour
illuminer les spectacles. On dit aussi que les Grecs l’utilisèrent pour effrayer
les Perses en 479 avant notre ère, mais pas comme explosif.
En 674, lors du siège de Constantinople par les Arabes, l’empereur
Constantin IV effraya et repoussa les attaquants avec le « feu grégeois »,
mélange de poudre noire et de naphte.
À partir du XIIe siècle, on commença à l’utiliser au cours des batailles pour
envoyer le feu sur le camp de l’adversaire à l’aide de flèches imprégnées de
poudre noire et enflammées.
Au XIIIe siècle, on découvrit la puissance explosive de la poudre noire
emprisonnée dans un récipient. En y mettant le feu, l’explosion projetait
violemment le « bouchon » empêchant la combustion. En France, on
commença à fabriquer les premiers canons (mortiers) dès 1350. Dans un
premier temps, les projectiles utilisés étaient de grosses flèches courtes, puis
de gros galets. À la fin du XVe siècle, les canons à poudre noire devinrent les
armes principales.

• Découverte de l’imprimerie par Gutenberg.


L’imprimerie fut inventée par les Chinois, deux siècles avant notre ère,
sous le règne de Qin Shi Huangli, qui fonda le premier Empire chinois. Bien
entendu, elle était encore très primitive, mais plus rapide pour la reproduction
manuelle des textes. Les « imprimeurs » gravaient les textes sur des plaques,
en céramique ou métalliques. Ces matrices pouvaient servir à de nombreuses
copies. Il suffisait de les badigeonner avec de l’encre, puis de les recouvrir
avec des feuilles préparées de tiges de bambou déroulées, obtenant ainsi la
copie du texte gravé. Il fallut attendre le XVe siècle pour que Gutenberg
découvrît l’imprimerie en Europe et diffusa son application !

• On peut rappeler aussi qu’à la fin du Moyen Âge se terminèrent les


conflits entre Castille et Aragon, entre Angleterre et France, entre Moscou et
les hordes asiatiques, mais commença la guerre interminable entre l’Europe
chrétienne et l’empire ottoman.

• On doit citer aussi la découverte de l’Amérique, en 1492, à l’époque de la


Renaissance.
L’ÈRE DE LA RENAISSANCE

Vers la fin du Moyen Âge, la Renaissance fut une période de transition


vers l’époque moderne.

Elle commença vers la fin du XIVe siècle en Italie, à Florence, à l’abri des
guerres perpétuelles. L’aristocratie et la bourgeoisie aisée éprouvaient le
besoin de la beauté dans leur environnement. Cette Renaissance concerna
tous les arts : peinture, sculpture, architecture, littérature et musique. Les
précurseurs de la Renaissance en Italie furent les écrivains F. Petrarca
(1304-1374) et G. Boccaccio (1313-1375).
Les premières grandes manifestations de l’art renaissant concernèrent
l’architecture et la peinture. On construisit des palais somptueux et, dans les
peintures religieuses, les fonds dorés ou sombres furent remplacés par des
images naturelles, aussi belles que les personnages principaux. Cette nouvelle
tendance s’implanta ensuite rapidement à Venise, encore plus riche que
Florence, puis à Rome et à Milan.
La diffusion rapide des arts de la Renaissance fut initiée par Battista
Alberti (1404-1472), célèbre humaniste et architecte florentin, qui passait
plus de temps à Venise que dans sa ville natale. Il fit lui-même les plans des
édifices à décorer. En Italie, quelques grands mécènes dépensèrent des
fortunes pour ces arts. Parmi les plus généreux, on peut citer Laurent de
Médicis, puis les papes Nicolas V et Pie II.
À Rome eut lieu un double éveil, celui des arts et de la grandeur des papes
qui, après le déclin dû à l’exode papal à Avignon, avaient bien besoin de
redorer leur blason. Quelques violences assombrirent cependant la
propagation naturelle des arts italiens. Lors des campagnes militaires de
Charles VIII, en 1494, et de Louis XII, en 1499, les compagnons du roi
ramenèrent avec eux en France de nombreux artistes italiens et des objets
d’art. Ce pillage fut une grande perte pour l’Italie, mais le butin artistique
éveilla l’intérêt de l’aristocratie française à la renaissance des arts.
La nouvelle mode fut lancée. Les artistes de tous les coins d’Europe
arrivèrent à Florence, à Rome et à Venise pour s’initier aux arts de la
Renaissance dans les grandes écoles. Ils diffusèrent ensuite cette nouvelle
tendance au retour dans leur pays.
On peut rappeler que la Hongrie fut l’un des premiers pays à s’imprégner
des arts de la Renaissance, suivant l’exemple de l’Italie. En effet, son roi
Mátyás Corvin (fils de Jean Hunyadi, vainqueur des Turcs à Belgrade en
1456), très cultivé, fit appel aux artistes italiens pour la décoration de son
château de Visegrád et pour la création de sa célèbre bibliothèque Corvin,
dans la deuxième moitié du XVe siècle. La plupart de ces artistes, peu connus,
s’installèrent définitivement en Hongrie. Malheureusement, peu de temps
après la mort du roi Mátyás, sa bibliothèque fut pillée, puis les Turcs
envahirent la Hongrie, mettant fin au développement de la Renaissance.

On peut citer dans l’ordre chronologique les plus grands artistes italiens de
la première période de la Renaissance :

• Le sculpteur Donatello (1386-1466), créateur de nombreuses statues,


dont des Prophètes et la statue équestre du Gattamelata, ci-dessus.

• Les peintres Fra Angelico (1400-1455, fresques du couvent San Marco


de Florence et de la chapelle du pape Nicolas V), F. Lippi (1406-1469,
fresques la cathédrale de Prato), Gentile Bellini (1429-1507, décors
vénitiens, Mort du Christ), Giovanni Bellini (1429-1516), Botticelli (1444-
1510, La naissance de Vénus, Le Printemps, L’adoration des mages).

• Le peintre, sculpteur, ingénieur, savant Léonard de Vinci (1452-1519)


mérite d’être cité à part. En effet, on peut le considérer comme le plus grand
artiste et inventeur de tous les temps. Ses plus célèbres peintures sont La
Joconde (voir ci-dessus), La Cène, La Vierge aux rochers et Jean-Baptiste.
Il inventa des objets et des mécanismes inimaginables et irréalisables à son
époque : chars de combat, mitrailleuses, engins volants, pompes et engins de
levage, structures de constructions, etc., dont les dessins furent gardés dans
ses cahiers de projets. À la demande de François Ier, il s’installa en France en
1516 jusqu’à son mort, dans un petit château au Clos-Lucé, près du château
d’Amboise, dans la vallée de la Loire, où il put consacrer tout son temps, sans
souci matériel, à ses inventions. Il participa aussi aux projets
d’embellissement de quelques châteaux de la Loire, comme celui de
Chambord.

• Michel-Ange (1475-1564), peintre, sculpteur, architecte et poète assura


avec ses œuvres grandioses la continuité entre la première et la deuxième
période de la Renaissance. On lui doit plusieurs Piéta, deux tombeaux
médicéens, de nombreuses statues célèbres, telles que Les esclaves, David et
Moïse, les fresques de la chapelle Sixtine (voir ci-dessus) ainsi que la coupole
de la basilique Saint-Pierre de Rome.
On peut noter que Michel-Ange préférait la sculpture à la peinture qu’il
pratiquait un peu par « obligation » ! La « nudité » de ses fresques ne fut pas
admise par l’Église qui les fit « habiller » !

Une deuxième vague de Renaissance, beaucoup plus importante que la


première, prit départ à Rome au début du XVIe siècle, après les fouilles des
restes des palais de Titus, d’Hadrien et de Néron, qui conservaient leurs
anciennes décorations de sculptures et de peintures. Des artistes informés
vinrent admirer ces magnifiques vestiges oubliés du passé. Ils découvrirent
aussi la beauté de la nudité des corps proscrite longtemps par l’Église. Parmi
les plus grands artistes de cette période, on peut citer :

• Raphaël (1483-1520, des portraits, des madones, La mise au tombeau,


Sainte Cécile, La Transfiguration, etc., et les fresques des chambres du
Vatican).

• Titien (1488-1576, déesses mythologiques, Piéta, La nymphe et le berger


(voir ci-dessous), La mise au tombeau) qui travailla beaucoup pour les papes,
pour François Ier, pour Charles Quint et pour Philippe II, et Tintoret (1518-
1594, ouvrages religieux, Adoration des bergers, décoration du palais des
Doges à Venise). Il serait trop long d’énumérer tous les grands artistes de la
Renaissance des divers pays. Je ne parle donc que des pays européens avec
leurs réalisations.

En France, comme en Italie, la Renaissance débuta avec la nouvelle


littérature. François Villon (1431-1463), poète plus près de la pègre que de
la bourgeoisie, se rendit célèbre par ses recueils de poèmes souvent très
« osés », comme La ballade des pendus, Le petit et le grand Testament. Il fut
suivi par François Rabelais (1494-1533), homme très cultivé (franciscain,
bénédictin, curé, médecin), mais aux mœurs plutôt légères.

Dès le début du XVIe siècle, l’aristocratie française adopta les arts de la


Renaissance. Les châteaux de Fontainebleau et de la Loire, Amboise, Blois,
Chambord (voir ci-dessous) subirent des travaux de décoration et
d’embellissement. D’autres furent construits sous l’influence de François Ier
qui s’intéressait aussi beaucoup aux arts. Il fonda le Collège de France. Il fit
venir Léonard de Vinci en France pour profiter de ses connaissances
artistiques et pour lui assurer une retraite sans souci.

En Allemagne, le peintre Dürer fut peu influencé par la Renaissance, mais


l’empereur Maximilien s’y intéressait et encourageait son implantation. Des
artistes trouvèrent des mécènes généreux, surtout à Nuremberg et à
Augsbourg.

En Espagne, l’influence arabe fut remplacée par celle de la Renaissance,


vers le milieu du XVIe siècle, sous le règne de Charles Quint, puis celui de
Philippe II. La fortune amassée par les pillages de l’Amérique centrale
facilita les grandes constructions et la décoration des monuments, tels que le
château de Calahorra, les cathédrales de Tolède et de Salamanque et la façade
de l’université de Salamanque.

En Russie, la décoration du Kremlin fut aussi réalisée sous l’influence de


la Renaissance.

En Pologne, le palais royal du Wawel et la chapelle funéraire des Jagellon


furent les témoignages de la Renaissance.

LES CONSÉQUENCES INDIRECTES DE LA RENAISSANCE

La renaissance des arts entraîna aussi des perturbations politiques et


religieuses en Italie, et même en Europe occidentale, du fait des tribulations
de la famille Médicis de Florence.

Les Médicis firent une immense fortune grâce à leur activité bancaire. Ils
géraient également la fortune du Vatican, établissant ainsi des relations
privilégiées avec la papauté.
Amis des arts, les Médicis furent parmi les premiers mécènes des artistes
de la Renaissance. Parmi leurs protégés, on peut citer Michel-Ange qui, dès
son enfance, fut élevé par Laurent de Médicis, dit Laurent le Magnifique.
Ce dernier régna sur Florence jusqu’en 1494, mais fut chassé avec toute sa
famille par les Florentins, qui se révoltèrent contre le luxe et le relâchement.
Après ces évènements, Michel-Ange quitta Florence pour Rome, mais 3 ans
plus tard, y revint pour réaliser la statue de David.

Avec l’appui du pape Jules II, Jean de Médicis (cardinal à l’âge de 13


ans !) et son cousin Jules reprirent le pouvoir à Florence en 1512. À la mort
de Jules II, l’année suivante, Jean de Médicis fut élu pape sous le nom de
Léon X (1513-1521). Il nomma aussitôt cardinal son cousin Jules de Médicis.
Il mena une politique indécise entre les deux grands adversaires,
François Ier et Charles Quint. Après la victoire de François Ier à Marignan en
1515, Léon X reconnut l’autorité du roi sur l’Église de France, perdant ainsi
une grande partie des privilèges du Vatican.
Bien que pieux, il mena un train de vie indigne d’un pape, vidant
rapidement les caisses du Vatican. Cependant, il faut reconnaître qu’une
partie de l’argent dépensé finançait les arts. Les Médicis étaient toujours des
mécènes généreux. Ayant besoin d’argent, il fit vendre des lettres
« d’indulgence » (rachat des péchés) par les ecclésiastiques. Ce n’était pas
une nouveauté de la part de l’Église, mais il le fit pratiquer à tous les niveaux
sociaux, à l’échelle européenne.

Après la mort de Léon X, son cousin Jules de Médicis fut nommé pape
sous le nom de Clément VII (1523-34). Fidèle aux traditions des Médicis,
Clément VII vivait aussi dans un luxe démesuré. Maladroit en politique,
comme son cousin Léon X, il soutint François Ier contre Charles Quint dans
leur lutte pour le pouvoir en Europe. Charles Quint prit donc position contre
le pape et soutint les émeutes au sein des États pontificaux. En 1526, Rome
fut envahie par une armée de coalition menée par Charles Quint. Les
Autrichiens, les Espagnols, la famille Colonna (adversaire vénitien des
Médicis) et même les États protestants allemands y participèrent. La ville fut
pillée, brulée, massacrée. Le prestige et l’autorité de la papauté furent
gravement atteints. Le pape quitta son palais par des souterrains secrets pour
se réfugier au château Saint-Ange, où il resta enfermé durant plusieurs mois.
Il conclut ensuite un traité de paix avec Charles Quint, en 1527. Charles
Quint dut accorder quelques concessions sous la pression des États de
l’Europe catholique qui ne voulaient pas toucher à l’autorité du chef de
l’Église, mais par sa victoire, il réussit à renforcer la prédominance espagnole
sur l’Italie. En 1530, le pape le couronna empereur du Saint Empire romain
germanique, titre qu’il possédait déjà depuis 1519 !
On peut se demander comment un empereur aussi catholique que Charles
Quint put participer au « sac de Rome » et tolérer le viol et le massacre de
toute la population, à cause de sa mésentente avec le pape, sinon pour
montrer sa puissance. Il est vrai qu’il ne pardonna jamais au pape son soutien
à François Ier, son adversaire éternel, qu’il dut combattre durant tout son
règne.

Après la défaite du pape, la famille Médicis fut chassée à nouveau de


Florence. La petite nièce du pape, Catherine de Médicis, fut retenue en
otage, puis libérée. Elle rejoignit son oncle à Rome qui, 3 ans plus tard, la
maria à Henri, duc d’Orléans, le futur roi de France, Henri II.
L’esprit de famille était sacré chez les Médicis !

Avec les guerres internes, Clément VII faillit à son devoir principal :
organiser la défense de l’Europe catholique contre la menace turque qui
s’installait progressivement dans les Balkans, puis en Hongrie. Au lieu de
soutenir François Ier, il aurait dû essayer de le réconcilier avec Charles
Quint, afin que ces deux seigneurs puissants, très catholiques, unissent
leurs armées contre la menace des Turcs.
Il aurait pu éviter ainsi le « sac de Rome » en 1526 et peut-être même
la défaite hongroise face aux Turcs à Mohács, la même année ! Il peut
être donc rendu responsable de ces deux tragédies européennes. La
défaite hongroise à Mohács en 1526 face aux Turcs fut une double
tragédie. La Hongrie cessa d’exister en tant que puissance européenne
protectrice de l’Europe catholique contre l’islam. La menace turque
s’installa en Europe pour 150 ans.
Le bilan global de la politique des Médicis fut donc très négatif au niveau
européen. Seuls les arts en tirèrent bénéfice. Les Médicis auraient dû se
contenter de gérer leur fortune et d’aider les arts !
L’ÉPOQUE MODERNE

Selon certains historiens, l’époque moderne débuta avec la chute de


Byzance en 1453, mais selon d’autres, avec la découverte de l’Amérique en
1492. Les deux dates correspondent à des changements importants dans
l’histoire. Pour cette raison, l’ère de la Renaissance fut un bon compromis,
une bonne période intermédiaire, sans date précise.
La chute de Byzance fut une véritable catastrophe pour le monde chrétien
puisqu’elle l’entraîna dans une guerre permanente contre l’islam, qui
menaçait son hégémonie européenne.
La découverte de l’Amérique rapporta une fortune colossale à l’Europe, lui
permettant de relancer son économie, ses commerces, les arts et de
moderniser son armement. Le Nouveau Monde fut rapidement colonisé par
les Espagnoles, Anglais, Français et Portugais, qui le pillèrent, exterminèrent
sa population et relancèrent l’esclavage, pratiquement disparu en Europe.
Des mouvements chrétiens contestant les décisions abusives des papes et
leur train de vie discréditèrent leur pouvoir.
De nouvelles religions chrétiennes naquirent en Europe qui ne
reconnaissaient pas le pouvoir absolu du pape.

Parmi les réformateurs contestataires, il faut citer Martin Luther (1483-


1546), prêtre, moine augustin puis professeur de théologie, d’origine
modeste, qui fut scandalisé par la richesse et les abus de l’Église, notamment
par la vente démesurée des indulgences. Il étudia la Bible et releva les
nombreuses contradictions entre les textes sacrés et les prescriptions
ecclésiastiques. Il critiqua ouvertement les abus de l’Église. Selon Luther, le
pape lui-même n’était pas autorisé à prescrire ce qui s’oppose à la Bible.
Comme il s’agissait des mesures ordonnées par le pape, son geste lui valut
une dénonciation à Rome de la part de l’archevêque Albrecht. Par ce biais,
l’« affaire Luther » devint bientôt un conflit de principe sur la question de
l’autorité du pape et de l’Église. Après 3 années de procès, il fut excommunié
par le pape en 1520. Il réagit en brûlant la bulle papale et, qui plus est, en
rejetant le droit canon : il ne reconnaissait plus le système juridique
ecclésiastique. La rupture avec Rome fut ainsi consommée. Cependant, ses
enseignements étaient très appréciés dans les États germaniques de l’Europe
gouvernés par des Grands Électeurs, attirés par la réforme de l’Église.
Selon le droit en vigueur, cette excommunication entraînait la mise au ban
impérial. Comme Charles Quint avait promis aux États du Saint Empire
romain germanique que personne ne serait mis au ban sans son accord,
Luther fut convoqué en 1521 devant la Diète qui se tenait à Worms.
Considérant sa conscience liée à la Bible, il refusa de se rétracter comme on
l’exigeait de lui. Charles Quint prit une position mitigée contre Luther en sa
qualité de protecteur de l’Église.

Luther se retira à Wartburg où il traduisit la Bible en allemand. Grâce à


l’imprimerie récemment découverte, la traduction de la Bible et ses œuvres
réformistes concernant l’Église furent largement diffusées en Europe. Selon
Luther, la messe ne devait plus être considérée comme un sacrifice, mais
comme un don de Dieu reçu dans la foi. Les autres sacrements étaient
abrogés comme n’ayant pas été institués par le Christ. L’Église définie
comme une institution sacramentelle fut ainsi mise en question par Luther et
ses disciples réformistes et protestataires, appelés des protestants.

GRANDS ROYAUMES EUROPÉENS DE L’ÉPOQUE MODERNE

L’Angleterre

Henri VIII (Tudor, *1491, 1509-1547) fut célèbre pour son caractère
autoritaire et violent. Il fut roi très jeune et se maria très tôt. N’ayant pas eu
de fils de sa jeune femme, il demanda l’accord du pape pour divorcer et se
remarier. Après la réponse négative du pape Clément VII, il abandonna sa
femme et, en 1534, il rompit avec l’Église catholique de Rome, puis se
nomma chef de l’Église anglicane. Il persécuta les catholiques et les
protestants de son royaume. Il confisqua les biens de l’Église catholique et
nomma lui-même les évêques anglicans.
Les relations entre Londres et Rome furent définitivement rompues.
Après son premier divorce, il se remaria encore cinq fois. Il fit décapiter
deux de ses femmes pour « infidélité ». Plus tard, on l’appela aussi « prince
barbe bleue », en faisant référence au héros des contes de Perrault.

Après sa mort, son fils Édouard, encore enfant, le suivit sur le trône
d’Angleterre, puis ses deux filles Marie et Élisabeth.

Édouard VII (Tudor, 1537, 1547-1553) monta sur le trône à l’âge de


10 ans et mourut encore enfant.

Marie Ire (Tudor, *1516, 1533-1558) prit le pouvoir par la force après la
mort de son jeune frère. Elle fut reine d’Angleterre et d’Irlande. On l’appela
aussi Marie la sanglante, à cause de sa cruauté. Elle persécuta et envoya au
bûcher les protestants et les anglicans après son mariage avec le catholique
Philippe II d’Espagne, en 1554. Elle entraîna son pays dans une guerre contre
la France.

Élisabeth Ire (Tudor, *1533, 1558-1603) fut une reine très énergique et
autoritaire. Elle renforça le pouvoir du gouvernement. Elle rattacha l’Irlande
à l’Angleterre et évita la guerre des religions.
Elle rétablit l’Église anglicane et, par décret, en fit une religion d’État.
Pour cela, elle se heurta à l’opposition des puritains qu’elle pourchassa et des
catholiques, soutenus par sa cousine, Marie Stuart, reine d’Écosse, qu’elle
fit décapiter lors de son exil en Angleterre. Cette exécution déclencha les
hostilités avec l’Espagne catholique qui envoya contre l’Angleterre en 1588
son Invincible Armada. Grâce à ses nouveaux canons à longue portée
récemment inventés, la flotte anglaise coula les grands vaisseaux espagnols,
lourds et lents, avant qu’ils puissent accoster. Cette victoire navale assura à
l’Angleterre une suprématie maritime, encourageant son expansionnisme vers
des terres lointaines : Inde, Amérique, Afrique. Le célèbre amiral Francis
Drake parcourut les mers et fit connaître la grandeur de l’Angleterre dans le
monde entier. Toutefois, l’Angleterre resta en conflit permanent avec
l’Espagne jusqu’à la mort d’Élisabeth.
Le règne d’Élisabeth fut marqué aussi par un essor industriel, culturel et
artistique. Élisabeth autorisa l’installation d’esclaves noirs en Angleterre pour
assurer une main-d’œuvre gratuite au développement industriel. Cependant,
effrayée par la prolifération des Noirs, elle voulut s’en débarrasser, mais sans
succès.
Elle mourut sans descendant.

Jacques Ier (Stuart, *1566, 1603-1625), roi d’Écosse, neveu d’Élisabeth


(fils de Marie Stuart), hérita du trône d’Angleterre, réunissant ainsi à titre
personnel les couronnes de deux royaumes. Son autoritarisme en matière
politique et religieuse le rendit impopulaire. Il autorisa le libre exercice de
chaque religion dans son royaume, mais les pratiquants n’admettaient pas les
croyances des autres. Les catholiques commirent plusieurs attentats contre
lui, mais sans succès.
Durant son règne, à partir de 1607, débuta la colonisation anglaise. De
nombreux Anglais s’installèrent en Amérique du Nord pour des raisons
religieuses (puritains), mais surtout pour posséder des plantations avec des
esclaves noirs.

Charles Ier (Stuart, *1600, 1625-1649), fils de Jacques, gouverna sans


consulter le Parlement, qui déclencha une guerre civile en 1642 entre les
royalistes et les puritains du Parlement. Ces derniers, soutenus par l’armée
écossaise, battirent Charles et le remirent à l’armée puritaine du Parlement.
Charles s’évada et recommença la guerre. Il fut battu par l’armée puritaine
dirigée par Oliver Cromwell et décapité en 1649.

Oliver Cromwell (*1599, 1649-1658) fut un personnage remarquable. Il


commença sa carrière politique comme élu parlementaire, mais lorsque la
guerre éclata entre les membres du Parlement et les royalistes, il devint un
chef d’armée exceptionnel. En 1645, son armée battit celle de Charles Ier et
chassa du Parlement les élus royalistes. En peu de temps, il écrasa les fidèles
de Charles Ier en Angleterre, mais ne modifia pas la structure politique du
royaume, dont il devint le gouverneur.
En 1649, Charles Ier revint en Angleterre pour reprendre son trône, mais il
fut encore battu, puis décapité. Le Parlement instaura un État républicain
appelé Commonwealth, qui fut une véritable dictature militaire, sous la
direction de Cromwell. Il renforça sa domination en Irlande et en Écosse.
Cromwell développa l’industrie navale et fit de l’Angleterre une grande
puissance maritime qui entra en guerre permanente avec l’Espagne et les
Provinces-Unies. En 1653, il fut élu lord protecteur, en partageant le pouvoir
avec un Conseil d’État, mais dès 1655, il devint un véritable souverain,
gouvernant seul son pays.
Après sa mort en 1658, son fils Richard lui succéda, mais le Parlement le
fit démissionner l’année suivante et restaura la dynastie Stuart.

Charles II (Stuart, *1630, 1660-1685) eut beaucoup de problèmes pour


remettre de l’ordre dans son royaume. Il dut se réconcilier avec le Parlement,
restituer les fortunes confisquées et poursuivre une politique tolérante avec
les Français et les catholiques. Son règne fut marqué aussi par des
catastrophes, telles que l’épidémie de peste, puis l’incendie de Londres.

Jacques II (Stuart, *1633, 1685-1688, † 1701), frère de Charles II, fut


chassé du trône à cause de sa politique maladroite et impopulaire. Après son
exil en France, de nombreuses révoltes éclatèrent en Irlande et en Écosse. En
1690, il essaya de reprendre son trône, mais sans succès.

Marie II (Stuart, *1662, 1689-1694), fille de Jacques II, fut appelée sur le
trône par le Parlement, avec son mari, Guillaume II d’Orange, qui régna après
sa mort prématurée. Elle garantit la Déclaration des droits et consolida les
libertés traditionnelles.

Anne Ire (Stuart, *1665, 1702-1714), fille de Jacques II, régna ensuite.
Sous son règne, la guerre de Succession d’Espagne renforça la puissance
maritime anglaise. En 1707, par l’Acte d’union, elle lia définitivement
l’Angleterre et l’Écosse. Elle fut le dernier souverain Stuart.

George Ier (Hanovre, *1660, 1714-1727), arrière-petit-fils de Jacques Ier,


fut roi de Grande-Bretagne et prince électeur de Hanovre. Il renforça le
pouvoir parlementaire assuré par des ministres. Durant son règne commença
l’industrialisation de la Grande-Bretagne

George II (Hanovre, *1683, 1727-1760), fils de George Ier, fut également


prince électeur de Hanovre. Il fut le fondateur de l’Empire britannique.

George III (Hanovre *1738, 1760-1810, † 1820), prince électeur de


Hanovre, perdit les colonies anglaises de l’Amérique, mais put conserver le
Canada qu’il partagea avec la France. Il lutta contre la Révolution française.
Il rattacha officiellement l’Irlande à l’Angleterre en 1801, sous le nom de
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. Son règne fut marqué par
deux grandes victoires navales, à Aboukir en 1796 et à Trafalgar en 1805, par
l’amiral Nelson.
On pourrait lui attribuer aussi la victoire de Waterloo sur Napoléon en
1815, qui eut lieu sous son règne, mais depuis 1810, considéré débile mental,
c’est en fait son fils George IV qui assurait la régence.

George IV (Hanovre, *1765, 1820-1830) fut roi de Grande-Bretagne,


d’Irlande et de Hanovre. Son règne vit l’émancipation des catholiques
d’Irlande. L’industrie se développa très rapidement en Angleterre. La
première ligne de chemin de fer fut mise en service en 1825 au nord du pays.
Les pauvres des campagnes envahirent les villes industrialisées pour trouver
du travail. Cependant, la mécanisation progressive des usines diminuait la
demande de main-d’œuvre. Les salaires baissaient et les gens
s’appauvrissaient. La surpopulation des villes et l’abaissement du niveau de
vie des ouvriers créèrent une tension permanente et de nombreuses agitations
dans la classe ouvrière, menant à la naissance des syndicats d’ouvriers.

Guillaume IV (Hanovre, *1765, 1830-1837) abolit l’esclavage dans les


colonies anglaises.

Victoria Ire (Hanovre, *1819, 1837-1901) monta sur le trône à l’âge de


18 ans, après la mort de son oncle, Guillaume IV. Durant son long règne,
grâce à sa politique habile et conseillée par son mari, le prince Albert, la
Grande-Bretagne devint une des plus grandes puissances du monde. Elle
mena une vie exemplaire.
Elle eut 9 enfants qu’elle éleva avec beaucoup de rigueur. Elle les maria
tous avec des familles royales et princières. Son fils aîné, Édouard, lui
succéda sur le trône. Sa fille, la princesse Victoria fut plus tard la mère de
Guillaume II, empereur d’Allemagne. On l’appela « la grand-mère de
l’Europe », puisque tous ses descendants devinrent des monarques des pays
européens. La mort de son mari, en1861, la toucha beaucoup.

Grâce à la sagesse de Victoria, la « deuxième révolution industrielle » se


déroula sans heurts en Angleterre. En collaboration avec ses ministres, elle
améliora les conditions de vie de la classe ouvrière. Elle réforma le droit de
vote, autorisa la création des syndicats et accorda le droit de grève.
Elle fit tout pour équilibrer les divergences entre les puissances
européennes. Elle tenta de freiner l’influence de la Russie dans la guerre de
Crimée. Elle intervint dans les négociations pour accorder l’indépendance des
Turcs des États des Balkans (Serbie, Bulgarie, Roumanie).
L’Allemagne et l’Italie, qui n’étaient que des principautés jusque-là, virent
leur naissance durant son règne.
L’Empire britannique atteignit son apogée avec ses territoires et colonies
partout dans le monde : Australie, Canada, Égypte, Afrique centrale et
Afrique du Sud, Inde, Nouvelle-Zélande, etc.
On appela « ère victorienne » sa longue période de règne.

La France

Les Capétiens-Valois-Angoulême

François Ier (*1494, 1515-1547) fut un personnage célèbre de son époque.


En fait, il avait une double personnalité, celle du « chevalier moyenâgeux » et
celle du « prince de la Renaissance ».
Dès le début de son règne, il gagna la bataille de Marignan en 1515 et
conquit facilement l’Italie. Il visa même la couronne du Saint Empire romain
germanique qu’il aurait sans doute obtenue sans la présence de Charles Quint
(petit-fils de Maximilien de Habsbourg), roi d’Espagne, rendu immensément
riche par la découverte récente de l’Amérique. En effet, en 1419, les princes-
électeurs, soutenus par les « banquiers » d’Europe, préférèrent le « nabab »
Charles Quint au « roi-chevalier » François Ier. On peut penser que, sans la
découverte de l’Amérique, il aurait pu être un grand empereur.
François Ier dut se battre contre l’Europe germanique. En 1525, il perdit la
bataille de Pavie et fut fait prisonnier. L’année suivante, il dut accepter le
traité de Madrid, lui faisant perdre le quart de la France pour retrouver sa
liberté.
À peine libéré, il reprit les hostilités, cherchant l’alliance avec Soliman le
Magnifique et Henri VIII, roi d’Angleterre (opposé au pape). Une longue
lutte confuse et sans succès entre les deux adversaires conduisit au traité de
Crécy, en 1544.
Dans son pays, François Ier fut un grand monarque « éclairé ». On devait
l’appeler « Sa Majesté ». Il aimait les femmes et l’art. Grâce à lui, la France
fit un grand bond en avant sur le plan intellectuel et artistique. Il fonda le
Collège de France et protégea les artistes, humanistes, poètes et musiciens. Il
fit appel aux grands artistes italiens, tels que Benvenuto Cellini et Léonard de
Vinci. Il installa ce dernier au petit château du Clos-Lucé, où il put créer
librement, sans souci matériel, jusqu’à la fin de sa vie. Son règne fut aussi
marqué par la réalisation des châteaux de Fontainebleau et de Chambord.
On peut le citer parmi les plus grands, ou plutôt, les plus célèbres rois de
France.

Henri II (*1519, 1547-1559), fils de François Ier, hérita, à la mort de son


père en 1547, du plus puissant et du plus riche royaume européen, mais il dut
faire face à la coalition antifrançaise d’une partie de l’Europe occidentale.
Il dut aussi faire face à la fois à son épouse Catherine de Médicis et à sa
maîtresse Diane de Poitiers.
Le règne de Henri II fut marqué par la poursuite de la lutte contre Charles
Quint, dont il sortit victorieux. Lors de la campagne de 1552, aidé par le clan
de Diane et de François de Guise, il battit l’armée de Charles Quint. Ce fut
l’apogée de son règne.
En 1557, Philippe II, roi d’Espagne et des Pays-Bas, fils de Charles Quint,
mobilisa une formidable armée de 50 000 hommes, multitude encore jamais
rassemblée. Sa victoire de Saint-Quentin fut écrasante. L’armée espagnole
déferla jusqu’à Noyon, s’empara de Saint-Quentin, mais elle ne put remporter
une victoire décisive. Le duc de Guise en profita pour prendre Calais en 1558
et obtenir le traité de Cateau-Cambrésis (1559). Les historiens français l’ont
longtemps considéré comme la victoire française sur l’encerclement
espagnol.
La France surpuissante fut aussi déchirée. À la cour sévissait la lutte des
clans, Montmorency contre Guise.
Dans les esprits régnait la confusion et la France oscillait entre le
catholicisme et le protestantisme. Vers 1555-1560, le roi le sentit et choisit un
catholicisme combatif.
Il mourut des suites d’un coup de lance donné par Montgommery. Lorsque
Marie Stuart apparut aux fêtes du sacre de son époux François II, fils
d’Henri II, avec les bijoux arrachés à Diane, ce fut le signe que, pour
longtemps, le véritable souverain serait Catherine de Médicis.

Catherine de Médicis (*1519, † 1589), veuve à 40 ans après le tragique


accident qui coûta la vie à Henri II, exerça pendant 30 ans le pouvoir sous les
règnes successifs de ses trois fils : François II (1559-1560), après la mort
duquel elle fut proclamée régente, Charles IX (1560-1574) et Henri III
(1574-1589). Trente années qui comptèrent parmi les plus troublées qu’ait
connues la France. Sa politique était habile mais sans scrupule. Après un
début de tolérance entre catholiques et protestants, elle fut l’instigatrice du
massacre de la Saint Barthélemy en 1572.

Henri III (*1551, 1574-1589) fut également roi de Pologne. À cause de sa


faiblesse et de son manque d’autorité, la Ligue catholique le chassa de Paris.
Il fut assassiné par le moine Jacques Clément, lorsqu’il revint plus tard pour
assiéger Paris.

Les rois Bourbon

Henri IV (*1553, 1589-1610), roi calviniste de Navarre, devint héritier


légal du trône de France en épousant la fille d’Henri II. Cependant, il ne put
accéder au trône que par la force. Il se convertit au catholicisme en déclarant
que « Paris vaut une messe », mais même dans ces conditions, il dut attendre
jusqu’en 1594 pour y entrer.
Il fut un roi fort, juste et populaire. Il fit dissoudre la Ligue catholique, puis
en 1596, il établit « l’édit de Nantes », assurant la liberté religieuse dans son
royaume.
Il entreprit de restaurer l’autorité royale et de réorganiser l’économie de la
France. Il fonda la « Nouvelle France » (Québec) au Canada. Il s’allia aux
protestants allemands contre l’expansion des Habsbourg. Il préparait une
guerre contre l’Espagne et le Saint Empire lorsqu’il fut assassiné par
Ravaillac.

Louis XIII (le Juste, *1601, 1610-1643), fils d’Henri IV, régna longtemps
sous la tutelle de sa mère, Marie de Médicis, qui laissa le pouvoir à Concini.
Après l’assassinat de ce dernier en 1617, Luynes assuma la régence jusqu’à
sa mort en 1621. À la suite des années de troubles, Louis confia le pouvoir au
cardinal Richelieu, dont il suivit les conseils, malgré les intrigues de sa mère.
Il rétablit l’autorité royale en luttant contre les féodaux et les protestants.
Avec sa politique habile, il développa le commerce et la marine.
Malheureusement, en 1635, il engagea la France dans la guerre de Trente
Ans, laquelle ruina son pays et provoqua des jacqueries sanglantes.

Louis XIV (le Roi-Soleil, *1638, 1643-1715) n’avait que 5 ans à la mort
de son père, Louis XIII, qui confia sa tutelle à sa femme, Anne d’Autriche et
au cardinal Mazarin (conseillé par Richelieu). La régence des « étrangers »
déclencha de fréquents soulèvements de la noblesse jusqu’à la majorité de
Louis XIV. En 1648, la guerre de Trente Ans se termina avec la victoire de la
France, mais malgré l’amélioration considérable de la situation économique,
la Fronde, révolte parisienne de la noblesse, persista encore pendant 5 ans. Le
cardinal Mazarin l’ayant bien préparé au pouvoir, le jeune roi devint un
monarque absolu à sa majorité, en 1654, tout en suivant ses conseils. Il
rétablit l’autorité royale et se montra soucieux de la gloire du royaume et de
l’étiquette. Après la Fronde, ne se sentant pas à l’aise à Paris, il fit
transformer le pavillon de chasse de Versailles en un somptueux château où il
s’installa et où toute la grande noblesse devait être présente aux grandes
occasions.
À partir de 1682, Versailles devint ville royale. C’était un grand honneur
d’y être invité, mais en hiver, c’était presqu’une punition puisque peu de
pièces étaient chauffées et que, malgré le grand luxe, le château était
pratiquement dépourvu de moyens d’hygiène. Les hôtes effectuaient leurs
« besoins » sous les escaliers obscurs, nettoyés en permanence par un
personnel attentif et discret (près de 2 000 ans plus tôt, les Romaines
disposaient déjà de salles de bains et de waters !).
Louis XIV mena plusieurs guerres contre le roi d’Espagne, Philipe IV,
affaibli par la guerre de Trente Ans. En 1659, Philipe IV signa la paix des
Pyrénées, cédant à la France le Roussillon et l’Artois, et offrant la main de sa
fille Marie-Thérèse à Louis XIV (dont le petit-fils sera roi d’Espagne en
1700, sous le nom de Philipe V).
Après la mort de Mazarin, en 1661, le roi prit seul toutes les décisions,
mais en s’entourant d’experts de la finance (Colbert) et de l’armée (Louvois).
Il confia la fortification des frontières à Vauban, qui y construisit des
forteresses modernes. Il entretint une armée de 70 000 soldats professionnels,
qui menait une guerre presque permanente contre les pays voisins,
notamment ceux du Saint Empire romain germanique.
En dehors de son expansion européenne, il poursuivit aussi une politique
de colonisation en Nouvelle-France au Canada, à Pondichéry en Inde, en
Louisiane en Amérique, en Guyane française, en Martinique, à Madagascar et
au Sénégal.
Considérant qu’un grand état homogène ne peut avoir qu’une seule
religion, il révoqua l’édit de Nantes en 1685, entraînant la fuite des
protestants de France vers l’Amérique et l’Europe du Nord.
Durant son long règne, la France se développa considérablement, mais les
guerres permanentes et les dépenses excessives de Louis XIV l’appauvrirent.

Louis XV (le Bien-aimé, *1710, 1715-1774), arrière-petit-fils de


Louis XIV, eut beaucoup de difficulté à redresser, avec ses réformes, la
situation économique de la France, ce que ses guerres ne facilitèrent pas. Il
participa aux guerres de succession de Pologne et d’Autriche. En 1756, il
entreprit la guerre de Sept Ans contre l’expansionnisme des rois d’Angleterre
et de Prusse, après laquelle il perdit le Canada et les colonies de l’Inde, mais
il récupéra la Corse.
Durant son règne, la vie culturelle se développa considérablement en
France. « Le Siècle des Lumières » débuta en France avec les grands
philosophes et écrivains, comme Diderot, Rousseau, Voltaire, Montesquieu,
etc.

Louis XVI (*1754, 1774-1792, † 1793), petit-fils de Louis XV, fut un roi
aimable et faible. Sa femme, Marie-Antoinette (fille de Marie-Thérèse
d’Autriche), « responsable de tous les maux », provoqua une haine viscérale
chez les Français. La situation générale était également très défavorable.
L’aide à la guerre d’Indépendance américaine avait affaibli l’économie de la
France. Même les conditions climatiques étaient défavorables, avec les
mauvaises récoltes. L’esprit des Lumières était incompatible avec la
monarchie absolue. La France avait besoin de reformes fondamentales que
Louis XVI ne pouvait pas apporter.
Le mécontentement général et les émeutes conduisirent à la Révolution
française, en 1789. Le roi convoqua les états généraux à Versailles, mais les
députés du tiers exigèrent une Assemblée nationale, puis constituante,
privant Louis XVI de tout pouvoir. Une Déclaration des droits de l’homme
fut publiée. Les privilèges et les droits féodaux furent abolis. Entre temps, la
révolution éclata à Paris. On démolit la Bastille, symbole de l’oppression (on
n’y trouva qu’un seul prisonnier !).
Louis XVI s’installa à Paris avec sa famille, puis s’échappa. On l’attrapa à
Varennes et on l’emprisonna avec sa famille. En 1792, l’Assemblée
constituante déclara la République. En 1793, Louis XVI fut décapité, ainsi
que Marie-Antoinette. Son fils malade mourut en prison en 1795, à l’âge de
10 ans.

La Première République française (1792-1804)

Après la fuite, puis l’arrestation du roi Louis XVI, la monarchie fut


renversée et la Première République française fut proclamée le 22 septembre
1792. Sous la pression de la foule parisienne, la Convention nationale
remplaça la Législative, dominée par deux grands partis, les Girondins et les
Jacobins.
Le roi fut exécuté le 21 janvier 1793.
Un gouvernement révolutionnaire fut institué. Il instaura la Terreur contre
les ennemis internes et externes. Les exécutions à la guillotine devinrent un
spectacle quotidien non seulement à Paris, mais sur tout le territoire français.
Même Danton, leader révolutionnaire, jugé trop faible, fut guillotiné. La
situation de la jeune république devenait compliquée. Les provinces
contestaient les décisions de Paris et les grands royaumes européens, la
Prusse et l’Autriche, attaquèrent la France afin d’empêcher la propagation de
ses idées révolutionnaires. L’armée française repoussa les attaques
extérieures.
La Terreur fut renversée en 1794 par la coalition des modérés et son chef,
Robespierre, fut guillotiné. Une nouvelle constitution fut proclamée.
En 1795, un Directoire, faible et corrompu, remplaça la Convention. En
1799, Napoléon Bonaparte, distingué par ses nombreuses victoires, le
renversa par un coup d’État mené contre les royalistes et le remplaça par le
Consulat, dont il devint le Premier consul. Il rétablit l’ordre en France, puis
créa un État fort et centralisé. Il réorganisa l’administration avec des
préfectures, établit le Code civil (avec des lois toujours en vigueur !), créa des
écoles, des institutions culturelles, des hôpitaux, la Banque de France.

L’Empire de France
Napoléon Ier (Bonaparte, *1769, 1804-1814, † 1821) fut couronné
empereur des Français à Notre-Dame-de-Paris, en présence du pape Pie VII.
Il prit le titre de roi d’Italie en 1805. Il établit une monarchie héréditaire dotée
d’une noblesse d’Empire. Il nomma princes les membres de sa famille et
maréchaux ses meilleurs officiers.
Il poursuivit la réorganisation et la centralisation de la France. En 1805, il
reprit la guerre contre la coalition européenne. Il échoua contre la flotte
anglaise à Trafalgar, mais après ses victoires d’Austerlitz et d’Iéna, il devint
maître de la moitié de l’Europe. En 1806, il mit fin au Saint Empire romain
germanique et se consacra à l’édification de son « Grand Empire ». Après
une nouvelle victoire contre l’Autriche en 1809, il atteignit le sommet de son
pouvoir. Sa première femme, Joséphine de Beauharnais, ne pouvant lui
donner d’héritier, il la répudia puis épousa Marie-Louise d’Autriche, fille de
François Ier d’Autriche, qui, l’année suivante, lui donna un fils (Napoléon II),
nommé roi d’Italie à sa naissance.
En 1812, il attaqua la Russie. Arrivé jusqu’à Moscou entièrement brûlée et
évacuée, il dut quitter la Russie à cause du froid et du manque de
ravitaillement. Sur le chemin du retour, son armée fatiguée subit une lourde
défaite lors de la traversée de la rivière Berezina. Il réorganisa son armée,
mais encouragée par sa défaite, une nouvelle coalition européenne l’attaqua
et le vainquit en 1813, lors de la bataille de Leipzig. La France fut envahie
par l’armée de la coalition. Napoléon dut abdiquer en faveur de son fils,
gardé à Vienne, et s’exiler sur l’île d’Elbe.

Échappant à la surveillance anglaise, il débarqua en 1815 sur la côte


française, à Golfe-Juan. Sur le chemin du retour, il retrouva une grande partie
de sa fidèle armée. À l’été 1815, son armée fut battue de nouveau par l’armée
de la coalition, à Waterloo.
Il fut exilé et gardé sur l’île de Sainte Hélène, où il mourut en 1821, après
son fils, mort en 1818 à Vienne.

Louis XVIII (Bourbon, *1755, 1814-1824), frère cadet de Louis XVI,


reprit le trône de France en 1814, après le départ en exil de Napoléon. Au
retour de ce dernier de l’île d’Elbe, il se réfugia en Angleterre puis, après la
défaite de Waterloo et l’exil définitif de Napoléon, il revint en France et
régna jusqu’à sa mort, en 1824.
Il comprit qu’il ne pouvait pas rejeter tout l’héritage de la Révolution et de
la grandeur de l’Empire. Il essaya donc de réconcilier les Français entre eux.
Il mit fin à la Terreur blanche qui sévissait dans le Midi de la France. Dans le
cadre du traité de Paris, il récupéra les frontières de la France d’avant 1792.
Il intervint dans la guerre d’Espagne en 1823 pour sauver le trône des
Bourbons.

Charles X (Bourbon, *1757, 1824-1830, † 1836), frère cadet de


Louis XVIII, ne pardonna pas à la France la Révolution. Influencé par son
entourage lors de son exil en Angleterre, il voulut rétablir une monarchie
absolue en France, conduisant à la révolution de 1830. Il dut quitter la France
et mourir en exil en 1836.

Louis-Philippe Ier (*1773, 1830-1848, † 1850) fut nommé général durant


la Révolution, puis élu roi des Français. Durant son règne, il dut faire face à
de nombreuses insurrections et tentatives de prise de pouvoir. Il relança la
colonisation, annexant à la France l’Algérie et la Côte d’Ivoire. Il mena une
politique libérale. Il favorisa le développement industriel de la France,
conduisant à la naissance de la classe ouvrière. Toutefois, la France était
gouvernée par la noblesse. La grande crise financière et économique de 1846-
1847 puis la mauvaise récolte relancèrent le mécontentement de la population
républicaine, conduisant à la révolution de 1848, après laquelle Louis-
Philippe abdiqua.

La Deuxième République française (1848-1852)

Après la révolution de 1848 et l’abdication du roi Louis-Philippe, la


Deuxième République fut proclamée. Le nouveau régime fut fraternel et
démocratique. Il abolit l’esclavage, établit le suffrage universel, la liberté de
la presse et des droits sociaux. Cependant, après les premières élections, le
gouvernement fut composé en majorité de modérés, hostiles aux lois sociales,
déclenchant une insurrection ouvrière. De nouvelles élections et une nouvelle
constitution furent nécessaires pour sauver la république. Prenant exemple
sur les États-Unis d’Amérique, le président de la République devait être élu
pour un mandat de 4 ans non renouvelable. Louis Napoléon Bonaparte
(neveu de Napoléon Ier), député des monarchistes, fut triomphalement élu. À
la fin de son mandat, ne pouvant pas être réélu, il profita de sa grande
popularité pour se faire couronner empereur.

Le Second Empire

Napoléon III (Bonaparte, *1806, 1852-1870, † 1873), empereur, consolida


son pouvoir et obtint une réputation internationale en participant à plusieurs
guerres européennes. Il renforça la politique de colonisation de la France. Son
armée arriva jusqu’à la Chine.
Il mena une politique économique ambitieuse et entreprit des travaux de
transformation de la France (routes, ponts, chemin de fer, etc.). Il modernisa
Paris avec les travaux gigantesques du baron Haussmann, qui démolit les
vieux quartiers du centre, construisit de larges avenues, de beaux bâtiments et
des monuments.
En 1870, suivant l’exemple anglais, il voulut transformer son empire en
monarchie parlementaire. Cependant, cette même année, il entra en guerre
contre l’Allemagne. La France fut écrasée, occupée et Paris assiégée par
l’armée allemande. Napoléon III fut fait prisonnier. Un gouvernement
provisoire, la Défense, se forma, organisa la résistance et mit fin à l’Empire.
Il signa la paix avec l’Allemagne, en lui cédant la partie orientale de la
France.
Après sa libération, Napoléon III se retira en Angleterre jusqu’à sa mort, en
1873.
Son règne fut bénéfique pour la France qu’il modernisa. Il réussit le virage
de la République vers l’Empire, tout en conservant un régime social.
Cependant, sa guerre contre l’Allemagne fut inutile et désastreuse.

La Troisième République française (1871-1940)

Après la signature de la paix avec l’Allemagne en 1871, Adolphe Thiers,


chef du pouvoir exécutif du gouvernement provisoire, ordonna le
désarmement général, déclenchant une révolution appelée Commune de
Paris. Thiers quitta Paris, puis revint avec une armée organisée, écrasa la
révolution et proclama la Troisième République, dont il fut élu président. Une
nouvelle constitution fut votée, selon laquelle le président de la République
était nommé pour 7 ans par le Sénat et la Chambre des députés. Les premiers
objectifs de Thiers furent le redressement de la France et sa libération
anticipée de l’occupation allemande. Il fut renversé par la majorité
monarchique de l’Assemblée qui nomma Mac-Mahon à sa place et tenta, sans
succès, de restaurer la monarchie. La République fut consolidée, mais les
gouvernements qui se succédèrent étaient faibles et instables. Mac-Mahon
démissionna en 1879 et Jules Grévy lui succéda.
Malgré la faiblesse des gouvernements successifs, due aux mésententes des
nombreux partis de tendances divergentes, et malgré les nombreux scandales
politiques et financiers, la France retrouva en quelques années sa place parmi
les grandes puissances européennes. Ce redressement rapide peut être attribué
à la décision de Guillaume Ier de se contenter de sa victoire sur la France, en
lui laissant sa totale indépendance.
De nombreuses lois furent votées : liberté de la presse et des partis
politiques, autorisation du divorce, création d’écoles nationales,
enseignement primaire obligatoire et gratuit, séparation de l’État et de
l’Église. Devant la diminution inquiétante de la population, le droit du sol
fut voté, donnant automatiquement la nationalité française à tous les enfants
nés en France.
La France devint rapidement le symbole de la liberté et de légalité, non
seulement en Europe, mais dans le monde entier. La survie d’une telle
République potentiellement « contagieuse » est difficilement explicable dans
une Europe dominée par des empires et royaumes, sinon par une politique
étrangère habile. En effet, devant la menace de l’armement de l’Allemagne,
la République française signa une alliance appelée Entente avec les empires
britannique et russe.
Sous la Troisième République, la France continua sa politique de
colonisation. Son but officiel était la propagation de la civilisation, mais en
réalité, c’était la gratuité des matières premières des pays colonisés qui
l’intéressait.

La Pologne

La Pologne ne comptait pas parmi les grands royaumes européens du


Moyen Âge, mais comme elle atteignit son âge d’or au début de l’époque
moderne, elle mérite d’être citée.

Sigismond Ier (*1467, 1506-1548). Sous son règne, la Pologne connut son
« siècle d’or » avec des réformes, la prospérité économique et l’essor de la
vie intellectuelle. Vers 1500, la Pologne comptait 7 millions d’habitants. En
1525, elle reçut même l’hommage du nouveau duc de Prusse, Albert de
Brandebourg, converti au luthéranisme, qui sécularisa les possessions de
l’ordre teutonique dont il était le grand maître. Mais cet éclat engendra des
ambitions excessives et désordonnées, en même temps qu’il irrita les États
voisins.

Sigismond II (*1520, 1548-1572) fusionna la Pologne avec la Lituanie par


l’acte de Lublin de 1569. En fait, cet acte favorisa surtout les magnats de ces
régions, propriétaires d’immenses domaines. De plus, en rattachant
directement à la couronne polonaise les possessions ukrainiennes du grand-
duché de Lituanie, il dut contribuer à engager davantage vers l’est et le sud-
est la politique extérieure du royaume.
Sans héritier, il fut le dernier roi de la dynastie des Jagellon. Après lui, les
rois de Pologne furent tous des étrangers, choisis par la haute noblesse
polonaise, selon son intérêt.

Báthory Ier (*1533, 1575-1586), prince de Transylvanie, habile politicien


et guerrier, fut appelé sur le trône de la Pologne pour la protéger contre les
invasions. Il mena plusieurs guerres contre la Russie, dont il rattacha les
territoires actuels de l’Estonie et de la Lettonie à la Pologne.

Sigismond Vasa III (*1566, 1587-1632), fils de Jean III, roi de Suède,
dont il devint également le roi après la mort de son père. Il se battit
régulièrement contre les Turcs pour défendre son royaume, mais en même
temps, il attaqua aussi la Russie et prit même Moscou.

Ladislas Vasa IV (*1595, 1632-1648). Durant son règne, la Pologne fut


très affaiblie par la révolte de Cosaques.

Jean-Casimir II (*1608, 1648-1668) dut se battre, sans succès, contre la


Suède et la Russie. Il perdit d’abord la Lituanie et la Biélorussie, puis la
Pologne fut occupée par la Suède.

Jean Sobiewski III (*1629, 1674-1696) fut un grand général. Il repoussa


les Turcs qui assiégeaient Vienne et participa à la libération de l’Europe.
Cependant, comme roi, il ne put protéger son pays contre les agitations
internes qui provoquèrent la chute finale de la Pologne. Elle devint la proie
des attaques permanentes des Russes, Prussiens, Turcs et Suédois, puis perdit
son indépendance.

Au XVIIIe siècle, à l’aide de quelques rois étrangers, la Pologne se redressa


encore, mais sans jamais retrouver son indépendance. À la fin du siècle, elle
était partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche.

L’Allemagne

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’Allemagne n’existait pas ! Son territoire était


composé de principautés germaniques (Bavière, Brandebourg, Cologne,
Mayence, Prusse, Saxe, Trèves, etc.), gouvernées par des « princes-
électeurs » qui choisissaient entre eux l’empereur du Saint Empire romain
germanique. Depuis Albert II (1438), l’empereur était toujours choisi dans la
famille Habsbourg et devint un titre héréditaire.
Depuis le début du XVIIIe siècle, le Saint Empire romain germanique était
gouverné par deux grandes puissances, la monarchie autrichienne de la
famille Habsbourg et le royaume de Prusse de la famille Hohenzollern.

Frédéric Ier (*1657, 1707-1773), prince-électeur, se fit couronner premier


roi de Prusse avec l’accord de l’empereur Léopold Ier. Il réunit et embellit
plusieurs villes de Prusse avec des constructions coûteuses et fonda
l’Académie des Beaux-Arts.

Frédéric-Guillaume Ier (dit roi-sergent, *1688, 1713-1740). Après sa


victoire sur le roi de Suède en 1720, la Prusse devint une des grandes
puissances d’Europe.
Il relança l’économie de son pays et accueillit dans son royaume protestant
les exilés des pays catholiques.

Frédéric II le Grand (*1712, 1740-1786) fut un habile militaire qui


modéra ses guerres. Profitant des problèmes de succession de la maison
Habsbourg, il annexa la Silésie en 1742, que Marie-Thérèse d’Autriche lui
céda après quelques batailles infructueuses. Durant la période de paix, il
relança l’industrialisation de la Prusse, améliora le sort des serfs et se lança
dans la colonisation.
Quelques années plus tard, Marie-Thérèse reprit la guerre pour récupérer la
Silésie, mais sans succès. Elle fit donc alliance avec la France, la Suède et la
Russie contre Fréderic, et lança la guerre de Sept Ans. La situation de la
Prusse devint critique face à une telle supériorité militaire, mais elle fut
sauvée par la mort de l’impératrice Élisabeth Ire de Russie, puisque son
successeur, Pierre III, se retira de l’alliance et proposa même son aide à
Frédéric. Suite à la décision de Pierre III, la France et la Suède abandonnèrent
également Marie-Thérèse qui fut obligée de conclure la paix. Afin d’assurer
sa sécurité, Frédéric réunit les principautés germaniques dans une coalition
allemande.

Frédéric-Guillaume II (*1744, 1786-1797) participa à la guerre de


coalition contre la France, au cours de laquelle il perdit la rive gauche du
Rhin. En revanche, lors du partage de la Pologne, il reçut les villes de Danzig
et Torun.

Frédéric-Guillaume III (*1770, 1797-1840) entra dans la coalition


européenne contre Napoléon. Après les victoires successives de ce dernier, il
perdit la moitié de son pays dans la paix de Tilsit. Profitant de la campagne
de Russie désastreuse de Napoléon, il participa à la nouvelle coalition,
laquelle battit l’armée française à Leipzig, entraînant la chute de l’Empire
français et l’exil de l’empereur.

Frédéric-Guillaume IV (*1795, 1840-1858, † 1861) mena une politique


libérale, supprimant la censure. Il envisagea l’unification des principautés
germaniques et la création d’un grand État allemand, sans la participation de
l’Autriche. Après un accident cérébral, il laissa son trône à son frère,
Guillaume.

Guillaume Ier (*1797, 1861-1888) poursuivit la politique de réunification


de son frère. Il entra en conflit avec François-Joseph d’Autriche qui voulait
réaliser également cette réunification, mais sous sa direction, puisque
l’empereur du Saint Empire romain germanique, dissous par Napoléon en
1806, avait été choisi depuis des siècles dans la famille Habsbourg.
Guillaume Ier s’y opposa en déclarant que, dans la future grande Allemagne,
seuls des États germaniques devaient être acceptés. Or, la monarchie
autrichienne était un conglomérat de peuples germaniques, hongrois et slaves.
Dans cette situation difficile, il choisit Bismarck pour Premier ministre,
réputé par sa grande autorité.
En 1866, il entra en guerre avec l’Autriche et la battit. Comme condition
de paix, il imposa l’acceptation de la création d’une Allemagne, sans la
participation de l’Autriche.

Sachant que les Français ne pourraient pas tolérer la création d’une grande
Allemagne, il leur déclara la guerre en 1870, avant que l’Empire français y
fût préparé. Son armée envahit la France, fit prisonnier Napoléon III et arriva
aux portes de Paris. En 1871, il conclut la paix de Versailles, en annexant
l’Alsace et la Lorraine. Il déclara la création de l’Empire allemand, dont il
fut nommé empereur.
En 1872, il conclut une alliance avec les empereurs François-Joseph
d’Autriche-Hongrie et Alexandre II de Russie. Malgré sa grande popularité,
on commit deux attentats contre lui en 1878, dont le deuxième assez grave.
Afin de calmer les agitations ouvrières, il accorda des avantages sociaux,
uniques à l’époque, tels que l’assurance maladie et la retraite à 65 ans
(sachant que l’espérance de vie des ouvriers ne dépassait pas 60 ans !).

Frédéric III (*1831, 1888-1888) ne régna que 3 mois, à cause de sa


maladie.

La Russie

Jusqu’à la fin du XVe siècle, il n’existait que des principautés russes


assujetties aux Mongoles.

Ivan III le Grand (*1440, 1462-1505), prince de Moscou, fut le fondateur


de l’Empire russe. Il écrasa, puis soumit les autres principautés. Il créa un
empire fort, centralisé, dont il se nomma le souverain. Il libéra la Russie de
l’occupation mongole.

Vassili III (*1479, 1505-1533), prince de Moscou, suivit efficacement la


politique de son père Ivan III. Il relança le commerce, enrichissant ainsi les
grandes villes, mais laissa se détériorer la vie, déjà dure, des serfs. Après sa
mort, son fils Ivan IV lui succéda sur le trône.

Ivan IV le Terrible (*1530, 1553-1584), prince de Moscou, prit le titre de


« tsar », provenant du nom césar. Il mena plusieurs guerres et renforça son
pouvoir centralisé. Il écrasa la moindre résistance et fit assassiner ses
opposants. On l’appela « le Terrible » à cause de sa cruauté.

Fédor Ier (*1557, 1584-1598), fils d’Ivan IV, fut déclaré débile mental.
Boris Godounov régna à sa place.

Boris Godounov (*1552, 1598-1605) réalisa de nombreuses réformes.


Nommé tsar après la mort de Fédor Ier, il mena plusieurs guerres contre la
Pologne et la Suède. Attiré par la culture occidentale, il y envoya de jeunes
savants pour approfondir leurs connaissances. Il favorisa l’installation des
étrangers en Russie.

Vassili Chouïski (*1552, 1606-1610, † 1612) fut renversé par l’invasion


polonaise.

Michel Ier (*1596, 1613-1645), premier tsar de la dynastie des Romanov,


régna longtemps sous l’influence de son père. Il dut se battre contre le roi de
Pologne, qui voulait mettre son fils à sa place. Après la révolte des Cosaques,
il fit empaler les insurgés. Une fois la paix établie, il détaxa le commerce
extérieur, fit créer des entreprises pour relancer l’économie catastrophique de
son pays.

Alexis Ier (*1629, 1645-1676), fils de Michel Ier, régna sous l’influence de
la culture et des traditions occidentales, mais fit appliquer des lois
antilibérales. Les artisans et les commerçants n’avaient pas le droit de quitter
leur ville, et les serfs restaient la propriété des propriétaires terriens. Il mena
plusieurs guerres contre les Polonais et les Suédois. Il annexa la Biélorussie
et une grande partie de l’Ukraine, mais il fut battu par les Turcs.

Fédor III (*1661, 1676-1682), à cause de sa faiblesse et de sa mauvaise


santé, régna sous l’influence de sa mère et de sa famille. Il fit la paix avec les
Turcs.

Ivan V (*1666, 1682-1696) partagea le pouvoir avec son demi-frère,


Pierre Ier.

Pierre Ier le Grand (*1672, 1682-1725), fils d’Alexis Ier. Durant son
enfance il partagea le pouvoir avec son demi-frère, mais jusqu’à sa majorité,
c’est sa mère et sa sœur qui gouvernèrent à sa place. Comme Ivan III, il se fit
appeler le « tsar des Russes ».
Il essaya d’implanter dans son pays la culture et les techniques de l’Europe
occidentale, qu’il avait étudiées durant ses voyages secrets. Il rendit
obligatoire l’utilisation du calendrier chrétien. Il conclut la paix avec les
Turcs afin de pouvoir consacrer toute son énergie à la modernisation de la
Russie.
Il se lança dans la fabrication de la flotte russe, dont il confia l’armement à
l’amirauté. Son œuvre terminée, il reprit Azov aux Turcs.
Il fonda en 1701 l’École d’artillerie, rendit obligatoire le service militaire,
puis créa une armée impériale. En 1703, il créa la ville de Saint-Pétersbourg,
à l’embouchure du fleuve Neva, qui devint la capitale de la Russie en 1712. Il
mena plusieurs guerres contre la Pologne et la Suède, puis annexa les
principautés baltiques.
Il divisa la Russie en plusieurs régions, administrées par des gouverneurs
responsables, nommés par lui-même. Il décida que tous les membres de la
noblesse devaient servir son pays.
Les propriétés devinrent indivisibles en limitant la succession à un seul
membre de chaque famille. Les autres fils devaient servir dans l’armée ou
dans l’administration.
En 1721, Pierre Ier le Grand prit le titre d’empereur de Russie.
Afin de pouvoir financer ses dépenses de guerre et la modernisation de son
pays, il instaura des taxes de moulins, de bains, de ruches d’abeilles et même
de barbe ! Plus tard, il interdit le port de la barbe pour rendre plus occidentale
sa cour.
Il commença à industrialiser la Russie en créant des usines détaxées. À sa
mort en 1725, il y avait déjà en Russie 86 aciéries, des usines de canons et 15
usines de textile. Sa flotte disposait de 800 bateaux et de galères. La Russie
devint un immense pays, faisant un grand pas vers l’Empire russe.
Catherine Ire (*1684, 1725-1727), deuxième femme de Pierre Ier le Grand,
devint première tsarine de Russie. C’était une simple paysanne qui
accompagnait son mari à la guerre, mais n’hésitait pas à le tromper
régulièrement. Elle aimait boire et s’amuser. Le pouvoir ne l’intéressait pas et
elle le confia au Conseil supérieur secret. Toutefois, elle poursuivit
consciencieusement les travaux de son mari, la construction des premiers
ponts sur le Neva et la fondation de l’Académie des Sciences de Russie.

Après sa mort, Pierre II (*1715, 1727-1730), fils né du premier mariage


de Pierre Ier le Grand, gouverna peu de temps.

Anne Ire (*1693, 1730-1740), fille d’Ivan V, confia le gouvernement de la


Russie à Ernst Johann von Biron, son favori allemand. Ivan VI lui succéda au
trône à l’âge de deux ans, mais Élisabeth le fit emprisonner avec toute sa
famille, puis le fit assassiner en 1764.

Élisabeth Ire (*1709, 1740-1761), fille de Pierre Ier et de Catherine Ire vit
sa légitimité contestée du fait qu’elle était née avant le mariage de ses
parents. Toutefois, elle fut protégée par les officiers et les nobles de la cour.
Elle gouverna sous l’influence de Shuvalov, que l’on appela « Pompadour de
la Russie ».
À cause de la mauvaise situation économique de son pays, elle augmenta
les impôts et créa des banques assurant les prêts nécessaires au
développement.
Elle aida les artistes et favorisa l’enseignement. Sous son règne,
Lomonosov, célèbre chimiste, réorganisa l’académie des Sciences et fonda
l’université de Moscou. En 1757, Shuvalov fonda l’Académie des Beaux-
arts. Élisabeth aimait la musique et la gaîté. Les bals et les spectacles furent
fréquents dans son palais.
Elle fit alliance avec l’Autriche et la France contre la Prusse et son armée
entra à Berlin.
N’ayant pas eu d’enfant, elle désigna son neveu, Pierre III, pour lui
succéder. Elle le maria avec Sophie, princesse prussienne (qui prit le nom de
Catherine), pour établir de bonnes relations avec la Prusse.

Pierre III (*1728, 1761-1762) fut maladroit et incapable de régner. Il se


désintéressa de sa femme qui profita de cette situation pour attirer la
sympathie de la cour et préparer la prise de pouvoir.
Il conclut la paix avec la Prusse, lui rendit les territoires pris par Élisabeth
et l’aida financièrement. L’armée se révolta contre lui, le mit sous
surveillance, puis l’assassina.

Catherine II (*1729, 1762-1796) succéda à son mari et resta sur le trône


jusqu’à sa mort, sans le laisser à son fils, Paul, héritier légal.
Elle était très influencée par la culture occidentale. Elle protégea et aida les
artistes. Sa collection d’objets d’art privée constitua la base du futur musée de
l’Ermitage.
Elle correspondait régulièrement avec Voltaire. Elle poursuivit une
politique étrangère habile avec les grandes puissances européennes. Elle fit
alliance avec la Suède, la Prusse et la Pologne dans le cadre de la coalition
du Nord, face à la coalition Habsbourg-Bourbon.
Ses frontières occidentales étant sécurisées, elle déclara la guerre à la
Turquie et lui fit subir une écrasante défaite. Avec les nouveaux territoires
annexés, la Russie obtint l’accès à la mer Noire. Elle y installa des artisans,
commerçants, militaires et paysans étrangers bénéficiant d’allègements
fiscaux.
Elle participa au partage de la Pologne entre l’Autriche, la Prusse et la
Russie.
Durant son long règne, elle eut de nombreux amants qu’elle récompensa
avec des titres et des propriétés. Toutefois, ils devaient se méfier de sa
jalousie démesurée.
Elle entretint des relations très froides avec son fils Paul qu’elle voulut
déshériter en faveur de son petit-fils Alexandre, mais elle modifia son
testament juste avant sa mort.

Paul Ier (*1754, 1796-1801) réforma son pays au début de son règne. Il
changea l’uniforme de l’armée, diminua les dépenses d’État, puis créa le
premier ministère de Russie, chargé de la gestion des propriétés de la famille
royale. Il imposa la noblesse. Il créa ensuite un ministère du commerce. Il
interdit le travail dominical des serfs et limita à trois jours par semaine le
travail obligatoire dû à leur seigneur.
Il participa à la coalition Prusse-Angleterre-Autriche contre la France
révolutionnaire.
Alexandre Ier (*1777, 1801-1825) fut un souverain éclairé, mais les
évènements de son époque l’empêchèrent de réaliser les réformes envisagées,
notamment la libération des serfs. Il créa 8 ministères, dont il nomma lui-
même les ministres. Il dissolut la Chancellerie secrète, libéra les prisonniers
politiques et rapatria de nombreux exilés. Il annexa à la Russie la Géorgie et
une partie du Caucase.
Il se rallia à la troisième coalition de l’Angleterre et de l’Autriche, mais
son armée fut battue à la bataille d’Austerlitz. Il participa ensuite, en 1806, à
la nouvelle coalition Prusse-Angleterre-Suède-Russie.
En 1812, Napoléon attaqua la Russie, gagna la bataille de Borodino et
arriva jusqu’à Moscou. Cependant, poursuivi par le général Koutousov, il dut
se retirer à cause du froid et du manque de ravitaillement sur les « terres
brûlées » de la Russie. Son armée affaiblie fut battue par Koutousov lors de la
traversée de la rivière Berezina. Alexandre Ier ne se contenta pas de sa
victoire. Il fit une nouvelle alliance avec la Prusse et l’Autriche, laquelle
vainquit Napoléon à la bataille de Leipzig, en 1813. Napoléon fut exilé sur
l’île d’Elbe.
Après cette victoire, Alexandre Ier compta parmi les plus grands souverains
d’Europe.

Nicolas Ier (*1796, 1825-1855), frère d’Alexandre Ier, commença son


règne par l’écrasement de la révolte des décabristes. Il comprit qu’il devait
régner avec vigueur. Il fut un monarque absolu, prenant seul ses décisions. Il
parcourut son pays afin de connaître personnellement tous les problèmes. Il
freina la corruption et améliora le sort des serfs en les autorisant à disposer
d’un lopin de terre, avec l’accord de leur seigneur.
En 1828, il déclara la guerre aux Turcs qui, après de lourdes défaites,
signèrent la paix.
Suivant l’exemple français, la partie de la Pologne annexée à la Russie se
révolta en 1830. Il écrasa difficilement la révolte, puis dissolut le parlement
polonais et rattacha à la Russie les territoires occupés, y rendant obligatoire
l’enseignement de la langue russe. L’Ukraine et la Biélorussie subirent le
même sort.
Craignant la contagion des révolutions européennes de 1848, il aida
François-Joseph d’Autriche à écraser la guerre d’indépendance de la Hongrie,
puis il envahit la Moldavie. On l’appela le gendarme de l’Europe.
En 1850, suite à sa tentative d’extension au sud, éclata la guerre de
Crimée, au cours de laquelle l’armée de la coalition franco-anglo-turque
reprit la Crimée et occupa les bases de la flotte russe.

Alexandre II (*1818, 1855-1881) succéda à son père dans une Russie


affaiblie par la guerre de Crimée. Il signa la paix, puis essaya de remettre de
l’ordre dans son pays perturbé par des émeutes. Il fit des réformes jugées
insuffisantes par les serfs et inacceptables par les seigneurs.
En 1866, il échappa à un attentat.
Vers la fin de son règne, il donna naissance au mouvement panslave, dont
l’objectif était la défense de tous les peuples slaves par la Russie. Lorsque les
Turcs écrasèrent les Bulgares révoltés, il déclara la guerre à la Turquie.
Cependant, les grandes puissances occidentales imposèrent la paix entre les
deux pays.
Il mourut lors d’un attentat, en 1881.

Alexandre III (*1845, 1881-1894) monta sur le trône d’un pays affaibli,
ruiné par la famine et le choléra. Il créa des organismes de bienfaisance et
interdit l’exportation des céréales.
Par ses réformes, il interdit le travail aux enfants de moins de 12 ans et
limita la durée du travail de ceux de moins de 15 ans. Il contrôla la marche
des usines et interdit la grève.
Afin d’assurer sa sécurité, il fit alliance avec les empires allemand et
austro-hongrois, sachant toutefois qu’en cas de conflit, il ne pourrait pas
compter sur eux. Il se rapprocha aussi de la France en demandant une aide
économique par des investissements, pour l’industrialisation et pour sortir la
Russie de la crise.
Prudemment, sans toucher aux colonies des Occidentaux, il commença une
extension vers le Moyen-Orient. L’Angleterre l’observa avec inquiétude, puis
trouva un arrangement avec la Russie.

L’Espagne

Durant les règnes d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand II, l’Espagne


devint une grande puissance européenne grâce à son immense richesse
ramenée de l’Amérique.
La colonisation de l’Amérique

Dès le début du XVIe siècle, de nombreuses expéditions suivirent la route


de Christophe Colomb. Même François Ier envoya sa flotte.
Les plus célèbres navigateurs du Nouveau Monde furent les conquistadors
espagnols, Cortès et Pizarro qui, avec quelques centaines de soldats
espagnols, réussirent à conquérir les empires des Aztèques et des Incas. Ils
pillèrent leurs villes, tuèrent les « Indiens » et rentrèrent en Espagne avec des
navires remplis d’or. Ils rencontrèrent peu de résistance au début, car les
« Indiens » les prenaient pour des demi-dieux annoncés dans les légendes
anciennes. L’Espagne n’y voyait que son intérêt, avec l’arrivée d’un trésor
illimité, et encouragea l’exploitation du Nouveau Monde. Des colons et des
missionnaires arrivèrent en masse sur les territoires déjà « pacifiés ». Les
premiers pour s’enrichir rapidement, les seconds pour convertir les
« Indiens ».

Le Mexique, facilement accessible par la mer et exploitable, fut colonisé


dès 1521, après le massacre des Aztèques résistants. Cortès fut nommé
gouverneur général de la Nouvelle-Espagne en 1522. Il voulait en tirer le
maximum de profits et laissait agir les colons à leur guise. Or, les Indiens,
traités comme des animaux, ne supportaient pas les travaux pénibles des
plantations et des mines. En quelques années, la population fut décimée. Se
posa aussi la question de savoir si les Indiens étaient des êtres humains et
s’ils avaient une âme. Sinon, on pouvait les exploiter comme des animaux. Et
c’était l’intérêt des colons espagnols.
Quelques missionnaires honnêtes ne se contentaient pas de l’évangélisation
des Indiens et faisaient tout pour les protéger contre la cruauté des colons.
Bartholomé de Las Casas fut le plus célèbre parmi eux.

Bartholomé de Las Casas (1474-1566), naquit à Séville, d’une famille de


marchands. Son père prit part au deuxième voyage de Christophe Colomb.
Bartholomé lui-même partit chercher fortune à Hispaniola (Haïti) en 1502. Il
y reçut le droit d’utiliser le travail d’un groupe d’Indiens pour exploiter des
terres ou des mines. Ordonné prêtre en 1512, son ordination fut la première
célébrée au Nouveau Monde.
En préparant son sermon pour la Pentecôte de 1514, Bartholomé soudain
prit conscience que tout ce qui se commettait aux « Indes » vis-à-vis des
Indiens était injuste et tyrannique : il renonça aussitôt à son « droit
d’exploitation » et commença à prêcher contre les abus des colons. En 1515,
il s’embarqua pour l’Espagne où il voulait intervenir auprès du roi, avec
l’appui des dominicains d’Hispaniola.
Pour convaincre les puissants et surmonter l’opposition des colons, Las
Casas tenta de concilier ses projets de réforme en faveur des Indiens et les
profits que les Espagnols attendaient de l’exploitation des Indes. Il présenta
des plans de mise en valeur des Antilles qui prévoyaient le remplacement du
« droit d’exploitation » par une association entre laboureurs castillans et
Indiens. Pour arrêter le dépeuplement d’Hispaniola (les Indigènes, un million
peut-être en 1492, n’étaient plus que quelques milliers en 1510), il proposa de
substituer aux travailleurs indiens des esclaves africains. Toutefois, il ne fut
pas l’initiateur de la traite négrière, pratique déjà ancienne acceptée par les
chrétiens de l’époque. De retour à Hispaniola avec le titre de procureur des
Indiens, Las Casas se heurta à l’opposition des religieux chargés d’enquêter
sur place. En 1517, il était de nouveau en Espagne, agissant contre l’influence
malfaisante de l’évêque Fonseca dans les affaires des Indes. À Barcelone, en
1519, il soutint avec éclat, dans une controverse publique, la thèse de la
liberté naturelle des Indiens.
Afin de démontrer la possibilité d’une évangélisation pacifique de
l’Amérique, il se fit confier la colonisation de la côte de Cumaná (au nord du
Venezuela) où il devait établir des laboureurs castillans (1520).
Cette retraite de 10 ans (1522-1531) lui permit d’acquérir la formation
théologique qui lui manquait et de se préparer aux grandes polémiques
doctrinales. Il commença aussi à rédiger ses grands ouvrages : Historia de las
Indias (pour laquelle il disposa des papiers de Colomb), Apologetica
Historia, défense des civilisations indigènes, De unico vocationis modo, traité
théorique de l’évangélisation pacifique.
En 1542, il obtint de Charles Quint le décret d’application de l’interdiction
de l’esclavage des Indiens. En 1544, il fut nommé évêque du Chiapas. Dès
son arrivée au Mexique, en 1545, il se heurta violemment aux autorités
locales et à ses ouailles espagnoles, dont il exigeait l’application rigoureuse
des « nouvelles lois » en leur refusant les sacrements. En 1547, il fit
construire la cathédrale de Santo Domingo dans la ville de San-Cristobal-de-
Las-Casas à Chiapas. L’hostilité unanime des colons et la révolte du Pérou
amenèrent Charles Quint à renoncer à la suppression des droits des colons.
Après des incidents dramatiques, de Las Casas retourna en Espagne où il se
consacra à la rédaction de traités doctrinaux et à l’action politique. Plus que
jamais, il continua d’agir en faveur des Indiens, dénonçant au roi et au
Conseil des Indes les abus que lui signalaient ses correspondants en
Amérique. Il mourut à Madrid en 1566.
Dans ce chapitre, j’écris peut-être trop au sujet de Bartholomé de Las
Casas comparé aux autres personnalités de l’histoire, mais je pense
honnêtement qu’il le mérite.

Charles Ier (*1500, 1516-1558), roi d’Espagne, recueillit l’héritage des


maisons princières : les Pays-Bas, la Franche-Comté (1507), la Castille et ses
possessions d’Amérique, l’Aragon et ses dépendances italiennes, la
Sardaigne, la Sicile et le royaume de Naples (1516), et les États héréditaires
des Habsbourg en Allemagne. Après la mort de son grand-père Maximilien, il
fut couronné empereur germanique en 1519, sous le nom de Charles
Quint. La réunion sous un même sceptre de tant de territoires fit de lui le
principal personnage de l’histoire politique de l’Europe entre 1519 et 1556,
date de son abdication.
Après les révoltes du début du règne, l’Espagne fut le pays qui donna le
moins de soucis à l’empereur. Elle constitua le principal support de sa
politique internationale, en lui fournissant d’excellents soldats et des
ressources financières accrues par les trésors d’Amérique. En revanche, il
engagea une guerre interminable contre la France de François Ier, qui dura
jusqu’à la mort de ce dernier. Il gagna la bataille de Pavie en 1525, où il fit
prisonnier François Ier et prit un quart de la France. Mais le roi libéré reprit
progressivement ses territoires perdus.
Il dut aussi se battre contre les Turcs, alliés de François Ier et défendre
Vienne, en 1529. Fidèle à l’idéal de la croisade, Charles Quint fut trop pris
par ailleurs pour s’en occuper sérieusement avant 1535. Il conduisit en
personne l’expédition qui s’empara de La Goulette et de Tunis, puis forma
avec le pape Paul III et les Vénitiens une ligue contre les Turcs. En 1541,
l’empereur tenta de s’emparer d’Alger mais, sa flotte ayant été dispersée par
la tempête, il dut rembarquer précipitamment. Après cet échec, la situation
s’aggrava. D’une part, à deux reprises, les Français joignirent leurs forces
navales à celles des Turcs (siège de Nice en 1543, intervention en Corse en
1553). D’autre part, plusieurs points d’appui africains (Bougie, Tripoli)
furent perdus.
Il voyagea beaucoup. Durant ses nombreuses absences, il confia la régence
de l’Espagne à son fils Philippe et celle de l’Autriche à Ferdinand.
Cependant, il n’a jamais traversé l’Atlantique, au-delà duquel s’édifiait un
nouvel empire. À son avènement, les Espagnols étaient installés à Saint-
Domingue, Cuba, Porto Rico et dans quelques établissements du côté de
Panama. Au total, une œuvre immense de colonisation fut accomplie sous le
règne de Charles Quint sans que celui-ci, trop absorbé par les affaires de
l’Europe, en ait peut-être mesuré l’importance réelle.

La Réforme luthérienne fut au premier plan de ses préoccupations. Dès


1521, il convoqua Luther à la Diète de Worms et il le fit mettre au ban de
l’Empire. Mais, trop occupé par ses guerres contre François Ier, il ne put
s’appliquer aux affaires d’Allemagne lors de la grande crise qui secoua le
pays à la suite de la prédication de Luther et souleva successivement contre
l’ordre établi les chevaliers et les paysans. Il ne revint en Allemagne qu’en
1530, alors que le protestantisme s’était déjà sensiblement fortifié. Charles
Quint s’efforça de rétablir l’unité religieuse en favorisant la tenue de
colloques et en réclamant de la papauté la réunion d’un concile œcuménique,
mais il se heurta à l’intransigeance de Luther et à une certaine défiance de la
part de Clément VII, puis de Paul III. Il tenta de rétablir l’unité religieuse par
l’Intérim d’Augsbourg qui accordait aux protestants quelques concessions,
solution qui se heurta à l’opposition de Paul III, puis de son successeur
Jules III, ainsi qu’à celle des protestants irréductibles. Après plusieurs échecs
militaires et diplomatiques, Charles Quint conclut la paix d’Augsbourg
(1555) et reconnut aux princes le droit de professer la religion de leur choix
et de l’imposer à leurs sujets. À cette date, les luthériens occupaient la
majeure partie de l’Allemagne, le catholicisme ne conservant de fortes
positions que dans le sud et la région rhénane. En 1556, deux ans avant sa
mort, tourmenté par sa maladie, il abdiqua et se retira au monastère de Yuste,
en confiant le trône d’Espagne à son fils Philippe II et son empire germanique
à son frère, Ferdinand Ier.
On dit de Charles Quint qu’il fut « le maître d’un empire sur lequel le
soleil ne se couchait pas ».

Philippe II (*1527, 1556-1598), digne successeur de Charles Ier, compta


aussi parmi les « rois catholiques ». Son règne commença dans une paix
relative avec le traité d’Augsbourg de 1555 entre catholiques et protestants,
mais il entra en guerre avec la France de Charles II dès 1556 et contre les
États pontificaux. Le traité de 1559 mit fin aux guerres avec la France, qui
renonça à Milan et à Naples. Dès cette année, il confia à l’Inquisition la
« purification » de l’Espagne des foyers calvinistes. En 1561, Madrid devint
la capitale de l’Espagne où, 2 ans plus tard, Philippe II lança la construction
de son palais, l’Escurial, sous l’influence de la Renaissance. Il dut ensuite
faire face aux révoltes mauresques au sud de l’Espagne et aux Pays-Bas. Il
écrasa les premières, mais échoua aux Pays-Bas qui se séparèrent en deux
zones : protestants au nord et catholiques au sud.
Devant la menace ottomane en Méditerranée, la ligue entre l’Espagne,
Venise et la Papauté écrasa les Turcs en 1571 et assura une paix durable.
En 1580, Philippe II se proclama roi du Portugal et annexa ses
dépendances. L’Espagne atteignit son apogée et devint un immense empire.
Contrairement au cosmopolitisme de son père, l’empereur Charles Quint,
Philippe II se consacra exclusivement à ses immenses possessions
hispaniques, comprenant les Philippines à l’est et les Amériques à l’ouest.
Voulant dominer seul les voies maritimes après l’annexion du Portugal,
Philippe II s’attaqua à l’Angleterre. Il lança son Invincible Armada contre
les îles Britanniques en 1588. Malgré la supériorité espagnole écrasante, les
Anglais en sortirent vainqueurs grâce à leur armement modernisé. Les
nouveaux canons anglais portaient beaucoup plus loin que ceux des
Espagnols, coulant les gros bateaux avant le sabordage, spécialité espagnole.
En quelques heures, l’Invincible Armada fut complètement anéantie. Cette
défaite sur mer ternit la gloire de Philippe II, sans toutefois diminuer sa
puissance.
Le bilan du règne de Philippe II est positif. S’il échoua dans sa lutte contre
l’Angleterre et dans sa tentative de pacification des Pays-Bas, il remporta des
victoires contre les Français et les Turcs, et s’efforça de défendre la cause du
catholicisme en Europe et en Amérique.

Philippe III (*1578, 1598-1621) hérita d’un immense empire, lequel


connut un début de décadence durant son règne. Profitant de sa faiblesse, les
révoltes devinrent fréquentes sur son territoire européen. Il dépensa son
immense fortune à l’évangélisation de ses colonies et pour la culture.
Ce fut le deuxième âge d’or de la culture espagnole.

Philippe IV (*1605, 1621-1665) participa à la guerre de Trente Ans,


laquelle affaiblit considérablement son empire. Il perdit le Portugal et dut
céder plusieurs de ses territoires à la France.

Charles II (1661, 1665-1700), fils de Philippe IV, fut le dernier roi


espagnol de la famille Habsbourg. Maladif et faible, il ne laissa aucun
souvenir.

Philippe V (*1683, 1700-1746), petit-fils de Louis XIV, commença durant


son règne la guerre de Succession d’Espagne. En 1713, dans le cadre de la
paix d’Utrecht, il perdit Naples, Milan, la Sicile et la Sardaigne.
Il abdiqua en 1724 en faveur de son fils, Louis, qui mourut la même année,
l’obligeant à reprendre le pouvoir. Allié à la France, il participa aux guerres
de Succession de Pologne, puis à celle d’Autriche.

Ferdinand VI (*1713, 1746-1759) fut faible et incapable.

Charles III (*1716, 1759-1788) fut un souverain éclairé. Il réalisa


plusieurs réformes durant son règne. Allié aux Français, il participa à la
guerre de Sept Ans. Il soutint la guerre d’Indépendance américaine. Il reprit
aux Anglais la Havane et le contrôle des régions de la Floride.

Charles IV (*1746, 1788-1808) retira les réformes de son père durant la


Révolution française. Il perdit la guerre contre la France et dut faire alliance
avec Napoléon. Napoléon entra en Espagne en 1807, provoquant une
révolution. Charles IV se réfugia en France où Napoléon le fit abdiquer pour
nommer roi d’Espagne son frère, Joseph Bonaparte, en 1808.

Joseph Bonaparte (*1768, 1808-1813), mis sur le trône par son frère, fut
le « roi non reconnu de l’Espagne ».

Ferdinand VII (*1784, 1814-1833), fils de Charles IV, fut un monarque


absolu. Son absolutisme déclencha une révolution en Espagne. En 1823,
Louis XVIII l’aida à restaurer son pouvoir.

Isabelle II (*1830, 1833-1868, † 1904), fille de Ferdinand VII. Durant son


règne, l’Espagne perdit ses colonies d’Amérique. Elle dut abdiquer et s’exiler
à cause de son impopularité.
Amédée de Savoie (*1845, 1870-1873, † 1890) dut abdiquer face aux
émeutes continuelles. Son règne fut suivi par une république de courte vie.

Alfonse XII (*1857, 1874-1885), fils d’Isabelle II, mit fin aux guerres
internes. Après sa mort, sa femme Marie-Christine gouverna jusqu’à la
majorité de leur fils, Alfonse XIII.

Alfonse XIII (*1886, 1886-1931) gouverna longtemps une petite Espagne


pauvre et affaiblie.

La Hongrie

Après la mort du roi Mátyás, en l’absence d’un héritier (la noblesse


hongroise refusa János Corvin, son fils naturel), le désordre régna en
Hongrie. La haute noblesse prit le pouvoir et fit tout pour le garder, sans se
soucier des intérêts du pays et du danger qui le menaçait.

Ulászló II et la révolte des paysans

Ulászló II (Venceslas, *1456, 1490-1516), roi tchèque, fut couronné roi de


Hongrie à cause de sa faiblesse.
Il fut aussi question de l’autrichien Maximilien, mais il était fort et de plus,
l’opinion générale était antiautrichienne en Hongrie. Béatrix, veuve de
Mátyás, se fit épouser secrètement et presque par la force par le beau Ulászló
pour rester au pouvoir. Or, élu roi de Hongrie, ce dernier avait d’autres
ambitions que ce mariage. Il fit annuler par le pape son mariage secret et
épousa Anne de Habsbourg, nièce de Louis XII, roi de France. Béatrix se
retira à Naples jusqu’à la fin de ses jours.
Ulászló II était réellement un roi très faible. Comme il acceptait tout ce
qu’on lui demandait, on l’appelait aussi Ulászló « dobje » (« d’accord » en
tchèque). La noblesse et la haute noblesse se battaient pour avoir de plus en
plus de pouvoir et de privilèges au détriment du pouvoir royal. Ils remirent en
question les lois de Mátyás, en votèrent de plus favorables à leurs intérêts. La
caisse de l’État fut vite vidée et on ne put plus payer la fameuse Légion noire,
dont les mercenaires se faisaient payer par des pillages. Le fameux Pál
Kinizsi dut avoir beaucoup de chance pour arrêter avec sa petite armée la
nouvelle attaque des Turcs, en 1492.
La guerre éclata en 1500 entre Venise et les Turcs. Le pape organisa
l’union des royaumes catholique contre le danger ottoman. Ulászló II était
obligé d’en faire partie. N’ayant pas d’armée, il signa plusieurs trêves avec
les Turcs.
Sa femme Anne mourut en 1506 en mettant au monde son fils, appelé
Lajos, comme son grand-oncle, roi de France.

Sous le règne d’Ulászló II, István Verböczi, juriste, rédigea en « trois


livres » les nouvelles lois hongroises mises en application en 1514. Bien que
critiquées, ces lois restèrent en vigueur durant 3 siècles. Les Trois Livres
furent la Bible des juristes hongrois. Leurs lois et droits ne servaient que
l’intérêt de la noblesse, privant de tous ses droits la paysannerie. Selon les
nouvelles lois, le pays pouvait être partagé entre les barons et gouverné,
même sans roi. Lorsque Verböczi réalisa les erreurs de son œuvre, c’était trop
tard. En 1514, les paysans, menés par György Dózsa se révoltèrent. Les
causes de la révolte étaient les lois de Verböczi, mais l’étincelle fut donnée
par le primat Tamas Bakócz, qui les arma pour une nouvelle croisade. À
son sujet, on peut rappeler qu’il fut l’un des plus puissants barons de Hongrie,
dont l’ambition ne connaissait pas de limite. Il voulait devenir pape, mais
Jean de Médicis lui ravit le titre sous le nom de Léon II. Pour se consoler et
se rendre célèbre en Europe, il se chargea de l’organisation de la nouvelle
croisade, contre le danger menaçant des Turcs. En peu de temps, il organisa
en Hongrie une armée de 100 000 soldats qu’il confia à Gyögy Dózsa, bon
militaire ayant gagné beaucoup de batailles contre les Turcs, mais mauvais
gestionnaire pour une telle armée de paysans indisciplinés. Après plusieurs
plaintes contre les mauvaises actions, Bakócz fit dissoudre l’armée.
Cependant, les paysans ne rendirent pas les armes. Menés par Dózsa, ils
s’attaquèrent aux barons responsables de leur misère. La guerre fut cruelle
des deux côtés et se termina par l’écrasement de la révolte, grâce à
l’association de toute la noblesse hongroise, cas unique dans l’histoire de la
Hongrie. Les représailles furent terribles. On exécuta tous les meneurs et on
tua Dózsa, « roi des paysans », sur un trône brûlant, avec une couronne de fer
chauffée à blanc sur la tête. Après cette révolte, la noblesse n’osa plus armer
les paysans en cas de guerre.
Ces problèmes ne concernaient pas Ulászló II, qui consacra toute son
énergie à assurer l’avenir de ses enfants. En 1515, il conclut des promesses de
mariage pour ses enfants avec Sigismond, roi de Pologne, et Maximilien,
empereur du Saint Empire romain germanique. À la cathédrale Saint-Étienne
de Vienne, le primat Bakócz maria Lajos avec Marie, petite-fille de
Maximilien. Anne, la fille d’Ulászló II, fut promise à Charles ou à Ferdinand,
petits-fils de Maximilien qui, en attendant que le choix fût fixé, l’épousa lui-
même. Il fit tout pour assurer le trône de la Hongrie à ses descendants.
Ce fut la seule action d’Ulászló II en Hongrie. Il mourut en 1516 en
confiant le tutorat de son fils Lajos, âgé de 10 ans à Sigismond et à
Maximilien. Ce dernier le prit toujours pour son petit-fils. Jusqu’à la majorité
de Lajos, le gouvernement de la Hongrie fut assuré par le primat Tamás
Bakócz et Georges de Brandebourg.
L’histoire ne retient rien de son règne sinon qu’il naquit tôt, fut couronné
tôt et mourut tôt.

Lajos II et la défaite de Mohács

Lajos II (Louis Jagellon, *1506, 1516-1526), reçut le trône de Hongrie à


l’âge de 10 ans, mais son père l’avait déjà fait couronner en 1508. La
noblesse hongroise refusa le tutorat des étrangers désignés par Ulászló II
avant sa mort.
L’éducation de Lajos II fut confiée à Georges de Brandebourg. La
direction du pays était assurée par un Conseil d’État composé de 6 barons, de
6 évêques et de György Szatmári, chancelier. En réalité, le pouvoir était entre
les mains des deux plus grandes familles, véritables ennemies. János Zápolya,
gouverneur de Transylvanie, régnait à l’est et István Báthory palatin, ami des
Habsbourg, à l’ouest de la Hongrie. Le jeune roi ne s’intéressait pas du tout
aux problèmes de son pays.
La popularité et la puissance de Zápolya, soutenu par la petite noblesse, ne
cessa pas de croître. En revanche, à l’ouest de la Hongrie, on soutenait
Báthory qui, en cas d’attaque des Turcs, pouvait compter sur l’aide des
Habsbourg. Sous Ulászló II, les Turcs restèrent à l’écart de la Hongrie
jusqu’en 1520.
Or, le jeune sultan Soliman II, allié de François Ier contre Charles V,
nouvel empereur, voulait remettre de l’ordre dans les affaires de son père,
Soliman Ier. Il s’attaqua d’abord aux Balkans et reprit en 1521 Belgrade,
bastion de la chrétienté européenne. Le jeune roi Lajos II se métamorphosa. Il
demanda l’aide de l’Occident, organisa son armée et arrêta les Turcs aux
frontières hongroises. Soliman II n’insista pas. Il continua son avancée vers
les Balkans. Malheureusement, l’empereur Charles Quint, préoccupé par sa
guerre contre François Ier, ne pouvait pas intervenir pour l’arrêter. Depuis la
dissolution de la Légion noire, la Hongrie ne disposait plus d’armée de métier
et, depuis la révolte de 1514, on n’osait plus réarmer les paysans. Le roi
n’avait pas d’argent pour engager des mercenaires. Les barons ne voulaient
pas sacrifier leurs soldats pour le roi. La jeune reine Marie ne pensait qu’à
s’amuser avec sa cour d’Autrichiens, attirant la haine des Hongrois qui
détestaient leur voisin de l’ouest.
C’était la situation en 1525 lorsque l’immense armée de Soliman II prit la
direction du sud de la Hongrie.
Pál Tomori, franciscain, évêque de Kalocsa, nommé comandant des
armées du sud, ne disposait que d’une petite armée. Lajos II exigea l’aide de
la noblesse, mais ne reçut que des promesses. Désespéré, il partit de Buda
avec ses 3 000 soldats, espérant que son exemple fût suivi par la noblesse. Or,
seul János Zápolya envoya son frère, György, avec quelques milliers de
soldats. Lui-même, il ne se dépêcha pas avec son armée à cause des nouvelles
et ordres contradictoires.
Arrivé à Mohács, Lajos II disposait de 25 000 soldats et de 50 canons face
à Soliman II qui alignait contre lui une immense armée, avec plusieurs
centaines de canons. Les Hongrois survoltés se jetèrent sur les Turcs qui les
laissèrent avancer jusqu’à la ligne des canons. Ni Tamás Tomori, ni György
Zápolya ne purent maîtriser leur ardeur. La canonnade fit un terrible
massacre. En quelques heures, les Hongrois perdirent 15 000 soldats et les
autres, dispersés, fuirent vers le nord. Tomori et Zápolya tombèrent à la
bataille. Lajos II, blessé, se noya dans la petite rivière Csele, rouge de sang,
où son cheval s’enlisa.

Jean Zápolya et les conséquences de la bataille de Mohács

János Zápolya (*1487, 1526-1540) fut élu roi de Hongrie après la mort de
Lajos II. En même temps, Ferdinand Habsbourg se fit couronner à Bratislava
par quelques barons hongrois, amis des Autrichiens. La Hongrie entra dans la
plus sombre période de son histoire.
Dans des conditions normales, la défaite de Mohács n’aurait été qu’une
bataille perdue. Les 15 000 soldats perdus ne représentaient qu’une petite
fraction de la capacité militaire de la Hongrie et Soliman II ne poursuivit pas
les fuyards.
Mais à peine à 100 km au nord de Mohács, à Fehérvár, l’armée de Moravie
de Frangepán arrivait déjà et celle de János Zápolya approchait.
Malheureusement, le jeune Lajos II, survolté, ne les attendit pas. Une contre-
attaque bien organisée aurait permis de chasser les Turcs.
La nouvelle de la défaite de Mohács bouleversa le pays entier. La reine
Marie quitta immédiatement son château de Buda pour Bratislava, avec toute
sa cour, emportant tout le trésor qu’elle pouvait charger sur ses chariots. Sa
fuite ne fit qu’accentuer la colère des Hongrois contre les Autrichiens.
L’ambiance devint favorable à János Zápolya pour accéder au trône de
Hongrie. Deux mois après la bataille de Mohács, il fut élu roi de Hongrie à
Tokaj par l’Assemblée nationale. Il entra victorieusement au château royal de
Buda, puis se fit couronner à Fehérvár, avec la Sainte Couronne.
La reine Marie, veuve de Lajos II, convoqua à Bratislava les barons
sympathisants autrichiens. Elle exigea le trône de Hongrie pour son frère
Ferdinand, prince d’Autriche et roi de Bohême, qui selon le pacte signé entre
Ulászló II et l’ex empereur Maximilien, devait lui revenir, suite au double
mariage de ses enfants, en l’absence d’héritier de Lajos II.

Ferdinand (*1503, 1526-1564) aussi, fut donc élu roi de Hongrie, mais on
ne pouvait pas le couronner avec la Sainte Couronne sans la démission de
János Zápolya. Ainsi débuta la lutte entre les deux rois pour le pouvoir.
Zápolya cherchait des alliés à l’Occident, alors que Ferdinand recrutait des
mercenaires et demandait l’aide de son frère, l’empereur Charles Quint.
Comme il obtint plus de succès que Zápolya, les amis de ce dernier
commencèrent à changer de camp.

En 1527, Ferdinand entra en Hongrie avec son armée et battit toute


résistance de Zápolya, qui dut fuir. Pour pouvoir conserver sa couronne, il se
soumit à Soliman II et lui demanda son aide. Soliman II la lui accorda sous
réserve qu’il restât toujours l’ennemi de Ferdinand. Cet accord lui assura le
passage libre vers l’ouest, à travers la Hongrie. En 1529, Soliman II attaqua
Ferdinand à la demande de Zápolya. Il repoussa les demandes de trêve et
arriva rapidement jusqu’à Vienne, où son armée fut battue, puis repoussée.
La soumission de Zápolya au sultan fut un coup dur pour la chrétienté
européenne. Le pape l’excommunia. Cependant, sa couronne serait assurée
par les Turcs jusqu’à sa mort. En contrepartie, il dut payer un lourd tribut au
sultan et supporter les pillages systématiques des soldats turcs.
Les Hongrois catholiques condamnèrent sévèrement sa soumission
volontaire au sultan et exigèrent sa réconciliation avec Ferdinand, le seul
capable de chasser les Turcs, avec l’aide de son frère, l’empereur Charles
Quint. Zápolya fut obligé de céder à l’exigence de son peuple, mais demanda
de garder en secret son accord jusqu’à l’arrivée d’une puissante armée
européenne le protégeant contre la vengeance du sultan. Afin de s’assurer le
soutien de ses voisins, il épousa Isabelle, la fille de Sigismond, roi de
Pologne. Toutefois, il dut promettre à Ferdinand qu’après sa mort, il céderait
sa couronne aux Habsbourg, même en cas de naissance d’un éventuel héritier.
Pour ce dernier, il demanda le titre de prince, avec rente et domaines.
Le miracle se produisit (aidé d’un tiers, selon les mauvaises langues !). Le
vieux roi mourant eut un fils appelé János-Zsigmond. Il avait des remords de
le déshériter. Il rompit donc son alliance avec Ferdinand. Il désigna János-
Zsigmond héritier de son trône et confia sa protection au sultan. Le sultan
l’accepta, content de récupérer la soumission de la Hongrie, et appela même
« son fils » János-Zsigmond.

La Hongrie déchirée en trois parties

Après la mort de János Zápolya, Ferdinand Habsbourg voulut ignorer la


dissolution de leur accord et se considéra roi de toute la Hongrie. Il assiégea
le château royal de Buda, où demeurait la reine Isabelle avec son fils. Il
attendit le printemps pour l’attaquer. Or, entre temps, le sultan arriva avec
son armée, traversant la Hongrie sans résistance. Il chassa Ferdinand et
s’installa au pied du château sans l’attaquer. Il dit qu’il venait seulement pour
rendre visite à « son fils » János-Zsigmond et demanda à le voir. Ayant
obtenu satisfaction, il organisa une grande fête en l’honneur de ses amis
hongrois durant laquelle les soldats circulèrent librement entre les deux
camps. Les Turcs désarmèrent sans résistance les soldats hongrois saoulés et
s’installèrent dans le château. Soliman II resta toujours amical et, pour
assurer leur « sécurité », il envoya en Transylvanie Isabelle avec son fils.
Buda devint la capitale de la Hongrie centrale, occupée par les Turcs.
Soliman II laissa à l’enfant roi János-Zsigmond, les régions occidentales
de la Hongrie et la Transylvanie, sous sa protection, contre un tribut élevé.
Ferdinand occupa le Nord et l’Ouest de la Hongrie, qui devint un champ de
bataille perpétuel.

La chute de Buda angoissait l’Occident, car l’armée de Soliman II était


toute proche de Vienne.
Avec l’aide du pape, Ferdinand organisa une armée de plusieurs dizaines
de milliers de soldats pour reprendre Buda. Par maladresse stratégique, cette
immense armée s’installa dans la région marécageuse de Pest, face à Buda,
sans pouvoir bouger. Après quelques tentatives d’attaque, sans succès, elle se
retira. Cet échec encouragea le sultan à élargir sa zone d’occupation. Il lança
des raids de plus en plus loin. Petit à petit, la plupart des forteresses
hongroises entre Buda et Vienne tombèrent entre les mains des Turcs, qui
s’approchaient dangereusement de la capitale autrichienne. Ferdinand
demanda l’aide de son frère, l’empereur Charles Quint, mais ce dernier jugea
le temps inopportun pour intervenir et proposa plutôt la paix. Ferdinand et
Soliman II conclurent une trêve en 1545, puis en 1547. Ferdinand pouvait
garder ses zones occupées, mais dut payer un tribut élevé aux Turcs.

Profitant de la trêve, Ferdinand reprit contact avec la Transylvanie pour


demander sa restitution, selon les accords signés avec feu János Zápolya. Il
négocia avec György Fráter, l’évêque de Várad, tuteur de János-Zsigmond.
György Fráter ne voulait pas lui céder la Transylvanie sans avoir la protection
d’une forte armée européenne contre la colère du sultan. Il demanda au pape
de protéger les intérêts de la Transylvanie et de János-Zsigmond auprès de
Ferdinand.
Après des années de négociation, Ferdinand et Isabelle conclurent un
accord en 1551 pour unifier les deux parties de la Hongrie. Isabelle renonça
au trône de son fils en faveur des Habsbourg et remit la Sainte Couronne à
Ferdinand qui, en tant que nouveau roi, devait assurer la défense de la
Transylvanie. En compensation, János-Zsigmond reçut le titre de prince et
une rente importante.
Ferdinand arriva en Transylvanie avec son armée et commença à repousser
les Turcs. Toutefois, Isabelle se réfugia en Pologne avec son fils par
précaution et la Transylvanie continua à verser son tribut au sultan.
Malheureusement, un officier espagnol assassina György Fráter, habile
diplomate entre Ferdinand et le sultan. Cette mort entraîna le bouleversement
de la paix fragile. Le sultan exigea « l’indépendance » de la Transylvanie et
attaqua régulièrement l’armée d’occupation de Ferdinand, reprenant une
grande partie de ses territoires. Ce fut la glorieuse période des luttes entre les
Turcs et les défenseurs héroïques des forteresses hongroises, Dobo,
Bornemissza, Szondi, Losonczi, Zrinyi, etc.
Sans entrer dans les détails, on doit citer le siège de Szigetvár par le vieux
sultan Soliman, en 1566. La forteresse défendue par Zrinyi tomba malgré la
mort du sultan.
Ferdinand mourut à Vienne, en 1564.

Maximilien (*1527, 1564-1576), prince d’Autriche, futur empereur du


Saint Empire romain germanique, fut couronné roi de Hongrie.

János-Zsigmond (*1540) mourut jeune, en 1571. Selon les accords,


Maximilien resta le seul roi de Hongrie. Cependant, on nomma István
Báthory prince de la Transylvanie, que les Turcs voulaient indépendante du
royaume de Hongrie.

Les temps troubles de la Hongrie


Un demi-siècle après la défaite de Mohács, la situation de la Hongrie
restait très compliquée. Les pauvres Hongrois se battaient héroïquement, sans
cesse, mais sans savoir qui était le vrai ennemi. Dans le doute, ils choisirent
ceux qui les pillaient le plus. Ils s’allièrent avec les Autrichiens contre les
Turcs, puis changèrent de camp. Souvent, ils devaient se battre contre les
deux à la fois, ou même entre eux. Il leur manquait un guide honnête, en qui
ils auraient pu avoir confiance.
La plupart de la noblesse hongroise fuit les zones occupées par les Turcs,
vers le nord du royaume de Hongrie, mais le peuple dut rester sur place. Il
était pillé régulièrement par les Turcs. Le royaume de Hongrie était pillé et
saccagé par les mercenaires du roi Habsbourg, trop faible pour les discipliner.

La Grande Hongrie cessa d’exister. Son territoire fut partagé entre deux
puissances étrangères cherchant à imposer leur pouvoir. Les Hongrois, qui
pouvaient, durent choisir leur camp. Leur chrétienté les poussa vers
l’Occident, mais ils furent vite désenchantés par son mépris et par ses guerres
de religion.
La Transylvanie, partie orientale de la Hongrie, opta pour son
indépendance, contre un tribut lourd, payé aux Turcs, que la fière noblesse
hongroise trouva humiliant et accepta difficilement. Elle oscilla entre les
deux camps, entre « la peste et le choléra ». Heureusement, le sultan, trop
occupé par les problèmes internes de son empire, fermait les yeux devant les
tentatives d’infidélité de la Transylvanie. Tout compte fait, dans cette période
obscure et incertaine, la situation de la Transylvanie était la plus sûre, mais
elle la payait cher.

Ne pouvant pas séparer l’histoire de la Hongrie et de la Transylvanie


durant ces temps troubles, leurs souverains seront présentés ensemble,
dans l’ordre chronologique.

István Báthory (*1533, 1571-1586) fut élu prince de Transylvanie en


1571. Suite à la mort de Sigismond II, il fut élu aussi roi de Pologne en 1576.
Afin de mieux s’occuper de la Pologne, attaquée par Ivan le Terrible, il
confia le gouvernement de la Transylvanie à son frère Christophe (*1530,
† 1581). Après sa victoire sur Ivan le Terrible, il envisagea secrètement
d’organiser une croisade contre les Turcs. En cas de victoire, il aurait été
l’empereur d’un grand empire d’Europe centrale. Cependant, l’hésitation du
pape et sa mort prématurée l’en empêchèrent.

Zsigmond Báthory (*1572, 1581-1613), encore enfant, fut élu prince de


Transylvanie après la mort de son père, Christophe. Il gouverna en paix
jusqu’en 1593 lorsque Murad III, sultan turc, rompant la paix d’Andrinople,
déclara la guerre aux Habsbourg et exigea sa participation à la guerre à ses
côtés. Zsigmond Báthory aurait préféré soutenir la Sainte Ligue, laquelle
refusa son aide pour des raisons politiques. Il démissionna du trône de
Transylvanie et s’allia avec l’empereur Rodolphe. Il se battit contre les Turcs
avec succès puis, après une lourde défaite, il se retira à Prague. En 1598, il
retourna en Transylvanie. En 1601, il perdit une bataille contre l’empereur
Rodolphe, puis une deuxième, l’année suivante. Rodolphe envahit la
Transylvanie que Zsigmond Báthory quitta définitivement. Il la rattacha à la
Hongrie, puis confia son gouvernement à son général sanguinaire, Basta. La
cruauté et les pillages de ce dernier déclenchèrent la révolte de la population
menée par István Bocskai en 1604, contre l’occupation étrangère.

István Bocskai (*1557, 1605-1606) fut emprisonné durant 2 ans à Prague,


suite à ses protestations contre la cruauté de Basta. À son retour en
Transylvanie en 1604, à la demande de Gábor Bethlen, il organisa la
résistance. Avec son armée de haïdouks, il battit l’armée impériale. La
population mécontente du royaume de Hongrie, pillée par des mercenaires,
rejoignit son armée. En 1605, il fut élu prince de Hongrie et de Transylvanie.
L’empereur Rudolf négocia avec lui et, dans le cadre de la paix de Vienne, il
accorda des droits et la liberté à la Hongrie, et l’indépendance à la
Transylvanie. Grâce à l’intervention de Bocskai, la guerre de Quinze Ans
avec les Turcs prit fin. Le sultan lui envoya même une couronne. Après sa
mort prématurée en 1606, Gábor Bethlen lui succéda sur le trône de
Transylvanie.

Rudolf (Rodolphe, *1552, 1576-1608, † 1612), empereur du Saint Empire


romain germanique, roi de Hongrie, en tant qu’héritier de la famille
Habsbourg, revendiqua définitivement ces deux titres. Il se désintéressa de la
politique et du pouvoir. Ses maladresses attirèrent la colère de la noblesse
hongroise, laquelle le déclara fou et inapte à régner afin de pouvoir le
remplacer sur le trône par son frère Mátyás. Il conserva toutefois son titre
d’empereur.
Mátyás II (Mathias, *1557, 1608-1619), roi de Hongrie, puis empereur
après la mort de son frère, en 1612. Il n’était ni politicien, ni militaire. Au
début de son règne, il respecta l’indépendance de la Transylvanie, mais juste
avant sa mort, il s’opposa à Gábor Bethlen, qui le battit et le chassa de la
Hongrie.

Gábor Bethlen (*1580, 1613-1629) fut un des plus grands princes de


Transylvanie. Jeune, il se battit contre Basta, puis se réfugia en Turquie d’où
il organisa le soulèvement de Bocskai, lui garantissant l’aide des Turcs. En
1619, il battit l’armée de l’empereur Mátyás et le chassa de Hongrie. En
1620, il participa au siège (sans succès) de Vienne.

Cette même année, il fut élu roi de Hongrie, mais l’année suivante, il
renonça au trône. En compensation, il obtint le titre de prince impérial, la
Silésie et quelques départements du nord de la Hongrie.
En 1624, une nouvelle guerre contre l’empereur se termina par la paix de
Vienne. La Transylvanie vécut son âge d’or durant son règne. Il créa des
écoles, aida les sciences et les arts. Il enrichit son pays avec des taxes
commerciales. Il soutint les minorités et favorisa l’installation des étrangers.
Il reconnut et autorisa les différentes religions, y compris le judaïsme.
Il participa à la guerre de religion de Trente Ans aux côtés des protestants
contre Ferdinand II.
Durant son règne, l’Europe reconnut la grandeur de la Transylvanie.

Ferdinand II (*1578, 1619-1637), empereur du Saint Empire romain


germanique, roi de Hongrie et de Bohême, eut une éducation religieuse très
rigoureuse, influençant beaucoup son règne. Il voulut imposer la religion
catholique par la force dans ses royaumes, déclenchant la guerre de religion
de Trente Ans, attirant la haine de la noblesse hongroise. Il fut obligé de
négocier avec Gábor Bethlen, que les Hongrois voulurent mettre sur le trône
de la Hongrie à sa place.
Par chance pour lui, les Turcs, trop occupés par leur guerre contre les
Perses, respectèrent la paix de 1608, lui laissant la liberté de poursuivre sa
guerre de religion.

Ferdinand III (*1608, 1637-1657), empereur du Saint Empire romain


germanique, roi de Hongrie et de Bohême, poursuivit une politique plus
souple que son père. Il fit tout pour mettre fin à la guerre de Trente Ans, mais
il dut attendre jusqu’en 1648 pour la signature de la paix de Westphalie. En
1640, il renouvela la paix avec les Turcs et interdit aux Hongrois les
« incursions » contre eux.
Il fut l’ami des sciences, des arts et de la musique.

György Rakóczi (*1593, 1630-1648) poursuivit la politique de Gábor


Bethlen. Allié à la France et la Suède, il participa à la guerre de Trente Ans
contre Ferdinand III. En 1644, il occupa la Hongrie du Nord. Or, le sultan
ayant signé la paix avec Ferdinand III, exigea la réconciliation entre les deux
adversaires. La paix signée garantissait l’indépendance du royaume et de la
principauté, et la liberté des religions. Durant son règne, il désigna comme
successeur son fils pour le trône de Transylvanie. Malheureusement, György
Rakóczi II n’avait pas les qualités de son père. Il perdit la guerre contre les
Mongoles, qui envahirent son pays. Il mourut en 1660, à la guerre. Il mit fin à
l’âge d’or de la Transylvanie.

Léopold Ier (*1640, 1657-1705), empereur du Saint Empire romain


germanique, roi de Hongrie et de Bohême, ne put pas assurer la paix dans son
royaume. Il envoya son armée, dirigée par Ferenc Wesselény, à l’aide de la
Transylvanie, attirant la colère du sultan turc qui lui déclara la guerre. Les
Turcs traversèrent la Hongrie pour attaquer Vienne. Grâce à l’intervention du
général Montecuccoli, l’armée impériale vainquit les Turcs en 1664, lors de
la bataille de Saint-Gothard. Après sa victoire, Montecuccoli aurait pu
poursuivre les Turcs et peut-être les chasser de Hongrie, mais il se contenta
d’une paix signée, en leur accordant l’occupation des territoires hongrois
qu’ils pillèrent librement, ainsi que les mercenaires de Montecuccoli.
Léopold ne se préoccupait pas des problèmes de la Hongrie qu’il prenait
pour une colonie secondaire de son empire, déclenchant le mécontentement
général de la noblesse hongroise, laquelle organisa un complot contre lui. Les
organisateurs furent trahis et leurs biens confisqués. Beaucoup parmi eux
furent exécutés. Parmi eux, le jeune Imre Thököly réussit à se sauver.

Léopold pratiqua une répression sanglante, attirant la colère et


l’opposition générale et définitive de tous les Hongrois contre les
Habsbourg.
Le royaume de Hongrie devint une colonie autrichienne sans aucun droit.
Sous la pression des attaques d’Imre Thököly, Léopold accorda quelques
concessions, insuffisantes pour les Hongrois.
Malgré son rôle extrêmement négatif, on ne doit pas oublier que la
libération de la Hongrie de l’occupation turque fut réalisée sous le règne de
Léopold Ier.
En effet, les Turcs assiégèrent Vienne à nouveau en 1683. Léopold Ier se
sauva à Passau, mais la population viennoise résista héroïquement jusqu’à
l’arrivée des armées impériales de Charles de Lorraine et du roi de Pologne,
Jean Sobiewski. Vienne fut sauvée et l’armée turque chassée. En 1687,
l’armée impériale libéra Buda et poursuivit les Turcs jusqu’à la victoire
finale.
L’occupation de la Hongrie par les Turcs dura plus de 150 ans. Elle fut
remplacée ensuite par celle des Autrichiens.

Imre Thököly (*1657, † 1705) se rendit célèbre par ses guerres


d’indépendance. Après la découverte du complot contre Léopold Ier, il se
sauva par la Pologne et retourna en Transylvanie. Avec l’aide de Mihály
Apafi, prince de Transylvanie, il organisa une armée privée avec des exilés
recrutés, appelés « kurucs » (provenant de l’appellation « croisés engagés »).
Il se rallia à l’armée d’indépendance de Pál Wesselény, mais il se livra
souvent à des batailles de guérilla contre les partisans de Léopold Ier.
En 1680, il se libéra de l’aide et de l’influence de la Transylvanie et chassa
de la Hongrie du Nord l’armée impériale jusqu’à la Moravie. Léopold Ier lui
proposa la paix, mais il poursuivit la guerre. En 1682, le sultan lui proposa la
couronne de Hongrie.
Il fut l’allié du sultan et du roi Louis XIV. Cependant, il ne participa pas au
siège de Vienne, abandonnant les Turcs, préférant poursuivre la libération de
la Hongrie.
Mais la chance tourna et l’armée impériale renforcée battit Thököly, qui
demanda l’aide des Turcs. Or, le sultan ne lui pardonna pas son « infidélité »
au moment du siège de Vienne. Il le fit arrêter et l’emprisonna en 1685. Il fut
libéré 2 ans après. Avec l’aide des Turcs, il reprit la Hongrie orientale et il fut
nommé prince de Transylvanie en 1690. Quelque temps après, Léopold Ier
reprit définitivement la Transylvanie. Thököly s’exila en Turquie, où il
mourut en 1705.
Il fut le deuxième époux d’Ilona Zrinyi, mère de Ferenc Rákóczi.

Ferenc Rákóczi II (*1676, † 1735, fils de Ferenc Rákóczi I et d’Ilona


Zrinyi) fut élevé à Prague et y fut retenu après la mort de son père. Lorsque
Thököly, deuxième époux de sa mère fut exilé, il resta à Vienne malgré la
demande des Hongrois agités, demandant d’organiser la résistance.
Cependant, il chercha secrètement l’appui de Louis XIV contre Léopold Ier.
Trahi, il fut arrêté et emprisonné à Vienne d’où il réussit à s’échapper. Il
retrouva en Pologne son ami Miklós Bercsényi (créateur des hussards) parmi
les Hongrois exilés.
En 1703, la majeure partie de l’armée impériale quitta la Hongrie à cause
de la guerre de Succession d’Espagne. Les anciens « kurucs » se révoltèrent
et rappelèrent Rákóczi dans son château de Munkács, où Miklós Bercsényi et
Tamás Esze le rejoignirent avec leurs armées, ainsi que les haïdouks.
Il était prêt pour libérer la Hongrie. Cependant, il n’obtint pas le soutien de
la grande noblesse hongroise, laquelle craignait la dégénérescence en
jacquerie de la guerre d’indépendance.
Il renouvela sa demande d’aide à Louis XIV, son cousin lointain par
alliance, qui le reçut dignement à Versailles, mais sa promesse resta verbale.
L’empereur, préoccupé par sa guerre occidentale, accepta la négociation
avec Rakóczi en 1705, qui fut élu prince de Transylvanie. Cette même année
mourut Léopold qui fut remplacé sur trône par son fils Joseph Ier.
En 1707, malgré quelques oppositions, la Diète d’Onod proclama la
déchéance de la maison d’Autriche. Le royaume de Hongrie resta sans roi !
La situation devint confuse. L’argent manquait pour poursuivre la guerre. Le
tsar Pierre le Grand proposa la couronne de la Pologne à Rákóczi, qui hésita à
l’accepter pour raisons des politiques. Cependant, il espérait l’aide des
Russes. Or, entre temps, les Hongrois perdirent plusieurs batailles,
notamment en 1708. Certains rejoignirent l’armée impériale. En 1711,
Rákóczi capitula et signa la paix de Szatmár. Il s’installa d’abord en Pologne,
puis en Angleterre et en France, où il resta jusqu’à la mort de Louis XIV, en
1715. Acceptant l’invitation de la Turquie, il s’installa en 1717 à Rodosto,
jusqu’à sa mort en 1735. Entre temps, l’armée impériale vainquit
définitivement les Turcs et les chassa de toute la Hongrie, qui fut rattachée à
la monarchie autrichienne. En 1718, Charles II réclama la restitution de
Rákóczi que les Turcs refusèrent.
Le règne des Habsbourg en Hongrie

József Ier (Joseph, *1678, 1705-1711), empereur du Saint Empire romain


germanique, roi de Hongrie, aurait aimé faire la paix avec Rákóczi après son
couronnement, mais la révolte des Hongrois l’en empêcha. Malgré son
pacifisme, il dut passer toute sa vie à se battre, d’abord lors de la guerre de
Succession d’Espagne, puis contre Rákóczi. En 1707, il vainquit Louis XIV,
qui dut renoncer à la Savoie.
Par la paix de Szatmár, il aurait accepté l’amnistie générale, le
rétablissement de la constitution de la Hongrie et l’amélioration du sort des
serfs hongrois, mais il mourut juste avant la signature.

Károly II (Charles, *1685, 1711-1740), empereur du Saint Empire romain


germanique, roi de Hongrie et de Bohême, poursuivit la politique de son frère
József. Après la paix de Szatmár, il rétablit le « dualisme » en Hongrie, en lui
accordant une certaine indépendance. En 1717, il chassa les Turcs de tout son
territoire. Sur les territoires dépeuplés, il installa des paysans allemands. Il
gouverna la Transylvanie, territoire « garde-frontière », indépendamment de
la Hongrie.
Il mit fin à la guerre de Succession d’Espagne. En renonçant à l’Espagne, il
reçut en compensation la Hollande et une grande partie de l’Italie.
N’ayant pas eu d’héritier mâle, il fit voter la Pragmatique Sanction,
assurant le trône à sa fille Marie-Thérèse d’Autriche.

Mária-Terézia (Marie-Thérèse,*1717, 1740-1780) accéda au trône de


Hongrie avec l’aide de la noblesse hongroise, mais cette nomination
déclencha la guerre de Succession d’Autriche pour plusieurs années. En
1735, elle épousa François Ier, empereur du Saint Empire romain germanique,
dont elle eut 16 enfants, notamment Joseph et Léopold, futurs rois de
Hongrie, et Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI.
Suite à plusieurs émeutes, elle allégea les lois concernant les paysans.
Elle fut une reine éclairée. Malgré sa grande croyance, elle modéra le
pouvoir de l’Église et dissolut l’ordre des jésuites. La noblesse hongroise la
soutint dans toutes ses actions, lui jurant fidélité éternelle. Aux moments
difficiles, comme la guerre perdue contre les Turcs, la noblesse la soutint en
proposant « son sang et sa fidélité ». Afin d’amadouer ses admirateurs, dans
les situations difficiles, aux réunions, elle se présenta toujours avec un bébé
(elle en avait pas mal !) dans les bras. Selon les mauvaises langues, elle le
faisait pleurer en le pinçant, pour avoir encore plus d’effet. En récompense de
sa fidélité, elle dispensa d’impôt la noblesse. Elle avait beaucoup gâté sa fille
adorée, Marie-Antoinette, que les Français détestèrent. Heureusement, elle
mourut bien avant la Révolution française et ne connut donc pas la
décapitation de sa fille.
Après la mort de son mari, elle partagea le pouvoir avec son fils József,
pour lui apprendre le métier de roi.
Elle rendit obligatoire l’éducation des enfants et poursuivit une politique
générale de santé. Ses réformes relancèrent l’économie de la Hongrie.
Cependant, les avis divergent à son sujet.

József II (Joseph, *1741, 1780-1790), roi de Hongrie, fut également élu


empereur du Saint Empire romain germanique après la mort de son père, titre
qu’il n’a jamais assumé, malgré l’insistance de sa mère. Il refusa aussi de se
faire couronner en 1780. On l’appela donc roi à « chapeau ». Cependant, il
voulut créer un pouvoir absolu, centralisé. Ses réformes scandalisèrent la
noblesse, qui s’y opposa ouvertement. Il amena à Vienne la Sainte Couronne,
puis rendit obligatoire la langue allemande, déclenchant la colère générale
des Hongrois.
Il autorisa le libre exercice de toutes les religions, mais limita le pouvoir de
l’Église. Il défendit les droits des serfs, interdit leur peine de mort et nomma
des avocats pour les défendre.
Reconnaissant ses erreurs, sur son lit de mort, il annula toutes ses lois
concernant la Hongrie, excepté celle protégeant les serfs.

Léopold II (*1747, 1790-1792), empereur du Saint Empire romain


germanique, roi de Hongrie et de Bohême. Durant son court règne, il remit de
l’ordre en corrigeant les « erreurs » de son frère et en les rendant populaires.
Il ramena la Sainte Couronne à Buda, il signa la paix avec les Turcs. Suite à
la Révolution française, il conclut une alliance anti-française avec la Prusse.
Après sa mort, son fils Ferenc lui succéda sur le trône.

Ferenc Ier (François, *1768, 1792-1835) fut le dernier empereur du Saint


Empire romain germanique, roi de Hongrie et de Bohême. Au début de son
règne, il poursuivit la politique libérale de son père, mais après le complot
des « jacobins hongrois », organisé par Ignác Martinovics, inspiré par les
philosophes et par la Révolution française, il établit un régime policier de
terreur. Ignác Martinovics fut exécuté la même année que Robespierre en
France.
Il entra en guerre contre Napoléon puis, après plusieurs défaites, il perdit
de nombreux territoires. Il dut renoncer aussi à son trône d’empereur après la
dissolution définitive du Saint Empire romain germanique par Napoléon, en
1806. Sans le soutien de la noblesse hongroise, son empire autrichien aurait
aussi éclaté !
Il fit la paix en 1810 avec Napoléon, qui épousa sa fille, Marie-Louise.
Après la défaite des Français en Russie, il devint membre de la coalition
qui vainquit Napoléon en 1813. François Ier récupéra ses territoires perdus.
Après sa mort, son fils Ferdinand lui succéda sur les trônes de Hongrie et
de l’empire d’Autriche.

Ferdinand V (*1793, 1835-1848, † 1875) fut faible, maladif et facilement


influençable. Son entourage le considéra débile et confia le gouvernement au
chancelier Metternich. On le jugeait peut-être sévèrement puisqu’il parlait
couramment six langues et était doué pour les arts. Toutefois, il n’avait ni
l’envie ni la capacité de gouverner.
Au moment de la révolution hongroise de 1848, il autorisa la nomination
au poste de Premier ministre de Lajos Batthyány. Fin 1848, la cour le défit de
tous ses titres et nomma à sa place son jeune neveu, Ferenc-József. Toutefois,
selon la loi hongroise, il devait rester roi de Hongrie jusqu’à sa mort ou son
abdication.

1848-1849, révolution et guerre d’indépendance hongroise

1848 fut l’année des révolutions en Europe. Dès le début de l’année,


quelques émeutes éclatèrent en Italie, suivies par la révolution parisienne. Les
raisons de cette dernière furent une tension générale due aux mauvaises
conditions économiques et à la mauvaise récolte. La révolte éclata à cause de
l’intervention militaire agressive contre les manifestants protégés par des
barricades. La foule assiégea le palais royal. Louis-Philippe abdiqua et la
république fut proclamée.
À Vienne, le 13 mars, les ouvriers et les paysans manifestèrent contre le
gouvernement autoritaire de Metternich. Des émeutes éclatèrent aussi à
Berlin et à Munich. Les Italiens se révoltèrent contre Vienne et les Tchèques
exigèrent leur indépendance.

La situation fut également tendue en Hongrie, où les élus de la noblesse


libérale demandaient depuis quelque temps des réformes. Parmi eux se
distinguèrent Lajos Batthyány, Lajos Kossuth, Ferenc Deák, József Eötvös et
István Széchenyi, créateur de l’Académie des Sciences hongroise, de la
navigabilité du Danube avec les premiers bateaux à vapeur et du premier
réseau ferroviaire en Hongrie. Il faut cependant signaler l’opposition entre
Kossuth et Széchenyi. Le premier exigeait l’indépendance de la Hongrie,
lorsque le deuxième reconnaissait la monarchie et ne demandait que des
réformes.
Ici, je résume brièvement les évènements de 1848-1849 afin de connaître
leurs causes et leurs conséquences, sans entrer dans les détails.

Le 15 mars 1848, sous la direction de Kossuth, les députés hongrois


quittèrent le Parlement de Bratislava pour négocier leurs revendications à
Vienne. Entre temps, la révolution éclata à Pest. Informé des évènements,
Ferdinand V accepta de négocier. Avec son accord, en avril 1848, le comte
Lajos Batthyány instaura un gouvernement hongrois indépendant, y
rattachant la Transylvanie.
La révolution de Pest fut pacifique, mais très efficace. La « jeunesse de
mars » suivit attentivement les évènements européens. Le 15 mars, elle
organisa une manifestation devant le musée national, où le poème Debout les
Hongrois de Sándor Petöfi, jeune poète hongrois, et les « douze points »
revendiqués déclenchèrent l’enthousiasme général de la foule, laquelle libéra
aussitôt le poète, prisonnier politique, Mihály Táncsics.
Le nouveau gouvernement siégea ensuite régulièrement à Pest (au lieu de
Bratislava). Tous les problèmes semblaient être résolus. On peut remarquer
cependant que ce nouveau gouvernement omit dans son programme le
traitement des problèmes des « minorités » vivant sur le territoire de la
Hongrie.
Cette omission entraîna l’attaque des Serbes, puis celle des Croates.
Kossuth organisa la résistance et l’armée de la défense nationale appelée
« honvédség ». Par ses actions, Kossuth devint la première personnalité de
Hongrie. Les Hongrois battirent à Pákozd l’armée croate de Jellasics, général
impérial. Suite à cette défaite, une nouvelle révolution éclata à Vienne où on
assassina Latour, ministre de la Guerre. Ferdinand V se sauva de Vienne, puis
nomma le prince Windischgrätz à la tête de l’armée impériale qui écrasa la
révolution et attaqua la Hongrie. Fin 1848, Ferdinand V fut destitué et
remplacé sur le trône par son jeune neveu, François-Joseph, que les
Hongrois ne reconnurent pas, le roi couronné étant encore vivant. De son
côté, le nouvel empereur ne reconnut pas l’indépendance de la Hongrie et
l’attaqua avec son armée.
Windischgrätz envahit une grande partie de la Hongrie, mais dès le début
de 1849, les Hongrois chassèrent son armée de leur pays. Suite à ses défaites,
François-Joseph le destitua.
Le 14 avril 1849, Kossuth fit voter la déchéance de la maison d’Autriche
et l’indépendance de la Hongrie, dont il fut élu président-gouverneur.
Ne pouvant pas vaincre l’armée hongroise, François-Joseph demanda
l’aide du tsar Nicolas, qui envoya 200 000 soldats contre les Hongrois. Pris
en étau entre les immenses armées, impériale à l’ouest et russe à l’est, après
la grande défaite du général Bem à Segesvár (où disparut le poète Petöfi),
Kossuth démissionna. Il confia son gouvernement au général Arthur
Görgey, qui déposa les armes devant les Russes à Világos, le 13 août 1849.
Haynau, chef de l’armée impériale, fit exécuter 13 généraux hongrois à
Arad, le 6 octobre 1849. La défaite fut suivie par une répression sanglante,
laquelle dura plusieurs années. Les soldats hongrois furent incorporés dans
l’armée impériale et la Hongrie devint une colonie autrichienne.
Kossuth se réfugia en Turquie où le rejoignit Gyula Andrássy,
ambassadeur de la Hongrie indépendante (condamné à mort par Haynau).
Kossuth parcourut le monde, Italie, Angleterre, France, États-Unis
d’Amérique, défendant les intérêts de la Hongrie.

Ferenc-József (François-Joseph, *1830, 1848-1916), roi de Bohême, fut


élu empereur d’Autriche à l’âge de 18 ans. Il fut conseillé par sa mère et par
la cour, pour les décisions.
Son armée impériale ayant écrasé la révolte de Vienne, puis la Hongrie, il
lui fit une confiance totale et la favorisa dans toutes ses décisions. Il ne fut
donc que partiellement responsable de la répression de Haynau en Hongrie,
laquelle y déclencha une opposition massive et permanente, malgré
l’amélioration de la situation sous Bach, qui prit la suite.
François-Joseph ne voulut pas se faire couronner roi de Hongrie, qu’il
prenait pour une colonie autrichienne. Il fallut attendre le « Compromis » de
1867 pour qu’il change de politique, suite à sa défaite contre la Prusse,
laquelle mit fin à l’hégémonie autrichienne en Europe. Il réalisa que, sans le
soutien d’une Hongrie puissante, son empire devenait inexistant.
Pour comprendre sa situation, il faut revenir quelques années en arrière.
Malgré la dissolution du Saint Empire romain germanique par Napoléon,
en 1806, dont l’empereur était élu au sein de la famille Habsbourg depuis des
siècles, les Habsbourg restèrent très respectés par les principautés
germaniques en Europe. François-Joseph envisagea leur réunification dans un
empire d’Europe centrale, dont il voulut être l’empereur. La Prusse s’y
opposa, voulant réaliser la même coalition, mais sans l’Autriche (voir plus
haut), composée de Slaves et de Hongrois, en plus des Allemands. Un
compromis provisoire entre les deux puissances repoussa la décision finale.

Profitant du calme momentané, François-Joseph consolida sa puissance.


En 1853, il s’opposa fermement à l’extension de la Russie vers ses territoires.
Le tsar se retira, mais mit fin à l’amitié entre les deux puissances.
En 1857, il gracia Gyula Andrássy qui retourna en Hongrie et entreprit
l’étude d’une réconciliation éventuelle avec l’Autriche.
En 1859, il entra en conflit avec la Prusse qui ne voulut pas l’aider contre
Napoléon III dans sa guerre d’Italie. Après plusieurs batailles perdues, il
perdit la Lombardie. Il réalisa la faiblesse inquiétante de son empire sans le
soutien des Hongrois. Il leur promit donc, en 1860, le rétablissement de leur
constitution, mais les Hongrois exigèrent les réformes de 1848 accordées par
Léopold V. Ferenc Deák était prêt à négocier leurs éventuelles modifications.
En 1866, la guerre entre la Prusse et l’Autriche se termina par la victoire de
Guillaume Ier. François-Joseph perdit ses territoires italiens et la confiance
des principautés germaniques. Afin d’éviter la chute totale de son empire, il
dut changer sa politique interne.

Sans vouloir le juger ni le défendre, il faut dire quelques mots de sa vie. Il


dut assumer très jeune le pouvoir sur un empire hétéroclite, en pleine
effervescence. Étant très ambitieux, il voulut dominer l’Europe centrale dans
le cadre d’une grande coalition avec les principautés germaniques. La Prusse
l’en empêcha. Il consacra toute sa vie au pouvoir. Il travailla énormément,
malgré les nombreuses tragédies touchant sa famille. Après la mort de sa
première fille, sa femme Élisabeth s’éloigna de lui, entreprenant des
« voyages de repos » en Europe. Il perdit son frère, Ferdinand-Maximilien,
empereur du Mexique, assassiné en 1867. Son fils unique, Rodolf, se suicida
en 1889, puis en 1898 un anarchiste assassina sa femme Élisabeth en Suisse.
Malgré tous ces malheurs, il vécut 86 ans, restant au pouvoir durant 68 ans.

La Monarchie d’Autriche-Hongrie

La Monarchie d’Autriche-Hongrie naquit. Sous l’autorité de Ferenc-


József (François-Joseph), l’empire fut séparé en deux entités autonomes.
Ferenc-József se fit couronner roi de Hongrie, qui devint un État indépendant.
Son Premier ministre était nommé cependant par l’empereur, qui garda sous
son autorité les ministères de l’Armée, des Finances et des Affaires
étrangères.

Le gouvernement du royaume de Hongrie géra les affaires de l’ensemble


des États de la Sainte Couronne du bassin des Carpates (Croatie, Slovaquie,
Transylvanie). Les autres États de l’empire dépendaient directement de
l’empire Habsbourg de François-Joseph.
Ce fut une très grande victoire pour la Hongrie, trouvée cependant très
injuste par les autres États, surtout par les Tchèques, qui ne disposèrent pas
des mêmes droits que les Hongrois.
La nouvelle Hongrie

Après plusieurs siècles de souffrance et de privations, considérée disparue


de la carte de l’Europe, la Hongrie renaquit, tournant une page de l’histoire,
comme si rien ne s’était passé. Après les accords de 1867, ses progrès
économiques et culturels ne connurent plus de limites. En quelques années,
elle rattrapa son retard de plusieurs siècles.

Malheureusement, la haute noblesse hongroise, fière, dirigeant le pays,


méprisa les autres peuples minoritaires du royaume, considérant que cet
essor était dû uniquement à la grandeur historique des Hongrois, et les
traitait de « peuples inférieurs ».
Elle oublia qu’il n’existait pratiquement pas de Hongrois « de sang pur »
après les nombreuses invasions et que deux tiers de la population de la
Grande-Hongrie était d’origine étrangère au tournant du siècle. Elle supporta
leur présence puisqu’ils étaient utiles, mais ignora leur identité nationale. Elle
rendit obligatoire la langue hongroise, puis supprima progressivement dans
les écoles l’enseignement des langues des minorités.
L’évolution fut ensuite freinée par le fait que la fortune du pays était entre
les mains de la noblesse, qui continuait à exploiter la population par des
méthodes moyenâgeuses et ne défendait que ses propres intérêts. Se référant
aux lois ancestrales, elle ne payait pas d’impôts et ne voulait pas participer
aux dépenses nécessaires au développement du pays. Tout était payé par les
pauvres.

En plus des problèmes économiques, l’opposition à toute réforme des


nombreux partis politiques qui se battaient entre eux aggrava la situation.
Cependant, même cette « maladie hongroise » ne pouvait pas arrêter la rapide
évolution.

En 1873, on réunit Buda et Pest. Après le premier « pont de chaînes » de


Széchenyi sur le Danube, trois autres furent construits, les ponts Margit,
Erzsébet et Ferenc-József (Liberté). Budapest, nouvelle capitale de la
Hongrie, s’aligna en quelques années sur les plus belles villes d’Europe.
Parmi ses monuments célèbres au tournant du siècle, on peut citer l’opéra, le
Parlement, la basilique Saint-István, la gare de l’Ouest et le bastion des
Pêcheurs, œuvres du célèbre architecte hongrois Miklós Ybl. Il faut y ajouter
le monument de la place des Héros, réalisé pour la fête de Millénium, de
l’arrivée des Hongrois dans le bassin des Carpates, sans oublier le premier
métro d’Europe continentale. Comme curiosité, on peut rappeler que les
travaux de préparation du vrai Millénium n’étant pas terminés pour 1895, on
le repoussa à 1896, qui resta sa date officielle.

Budapest s’agrandit et s’embellit de jour en jour avec de nouvelles


constructions et de nouveaux quartiers. Sa vie culturelle se développa aussi.
On traduisit en hongrois la plupart de la littérature mondiale. De nombreux
artistes hongrois firent connaître la culture hongroise dans le monde entier. Je
ne citerai parmi eux que les plus connus au tournant du siècle.

Les compositeurs Ferenc Liszt, Ferenc Erkel, Ferenc Lehár, Ernö


Huszka, etc.

Les écrivains et poètes Mór Jókai, Kálmán Mikszáth, János Arany, Endre
Ady, Géza Gárdony, etc.

Les peintres Mihály Munkácsy, Pál Szinyei-Merse, Viktor Madarász,


Mihály Zichy, József Rippl-Rónai, Miklós Barabás, etc.

La Hongrie était un pays agraire avant la nouvelle monarchie, mais son


industrie commença à se développer grâce aux efforts d’István Széchenyi. La
possibilité existait donc de s’aligner rapidement au niveau des grandes
puissances européennes, mais lui manquèrent quelques mécènes, des
dirigeants de valeur, une politique sage et de la bonne volonté. Mais pouvait-
on espérer tant dans un pays dont la population ne cessait de se chamailler, de
critiquer les autres et où les riches étaient trop radins et égoïstes ?
Les Hongrois ne pouvaient s’entraider que dans les situations
catastrophiques.

Je préfère m’arrêter ici avec l’histoire de la nouvelle Hongrie, pleine


d’espoir, avant sa nouvelle décadence.

LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

J’ai déjà parlé des grandes civilisations millénaires des Indiens du Sud
(Aztèques, Incas, Mayas, Olmèques) et de leur décadence. Il n’y avait aucune
relation entre eux et les Indiens du Nord, qui vivaient primitivement, en
tribus nomades, de la chasse et d’un peu d’agriculture.
Ces derniers cohabitaient en paix avec les premiers immigrés européens et
faisaient du « troc » avec eux. Cependant, au bout d’un siècle, les immigrés
devinrent très nombreux et chassèrent les Indiens de leurs terrains de chasse,
entraînant des combats avec eux, puis plus tard, leur extermination.

Les Espagnols furent les premiers colonisateurs. Ils s’installèrent en


Amérique centrale après la découverte de l’immense richesse des civilisations
indiennes. Les territoires du Nord, trop pauvre pour eux, ne les intéressaient
pas. Leur extension fut donc limitée à la Floride.

Les côtes du Nord furent envahies par des Français, Hollandais, Suédois,
puis plus tard, par les Anglais. Les premiers Français arrivèrent dès le règne
de François Ier, dans la première moitié du XVIe siècle. Ils occupèrent les
régions des cinq Grands Lacs. Les autres nationalités s’installèrent sur les
côtes orientales.
Durant le règne d’Henri IV, les Français occupèrent le territoire du
Canada, appelé Nouvelle-France, sous Louis XIV. De pauvres paysans, des
aventuriers et les victimes des guerres de religion s’installèrent dans ce
paradis terrestre où ils purent disposer de terres illimitées pour la culture. Plus
tard, ils partirent aussi vers l’ouest et vers le sud, jusqu’à la Louisiane. Leur
production fut achetée par la France, ce qui nécessitait une liaison régulière
entre l’Amérique et l’Europe.
Vers la fin du XVIIe siècle, des conflits éclatèrent entre la Nouvelle-France
et la Nouvelle-Angleterre. Lors de la paix d’Utrecht, en 1713, Louis XIV
renonça à l’Acadie en faveur des Anglais, calmant provisoirement les
tensions. Les conflits se déplacèrent vers l’ouest. En 1763, après la guerre de
Sept Ans, Louis XV perdit ses colonies d’Inde et la Nouvelle-France.
L’Espagne céda la Floride aux Anglais et reçut en compensation les
territoires français du sud du Mississipi.

Les Anglais s’installèrent sur les côtes orientales dès le début du


XVIe siècle, déplaçant les Hollandais. Au début, ils arrivèrent fuyant les
guerres de religion. C’étaient des puritains et des protestants s’imposant une
vie religieuse austère. Ils furent suivis par des exilés et des déportés. Leur
territoire fut appelé Nouvelle-Angleterre. Ils y faisaient de l’agriculture et du
commerce. Ils exportaient du tabac, du thé, du maïs et des céréales en
Angleterre. Comme l’Amérique disposait de beaucoup de bois d’excellente
qualité, on y développa également la fabrication des bateaux transatlantiques.
L’industrie navale fut à l’origine des premières grandes villes américaines,
New York et Boston.
Des institutions sociales et culturelles se développèrent avec l’industrie.
Avec l’initiative des protestants, on créa en 1636 Harvard, la première
université américaine, suivie de Yale (1716) et de Princeton (1746).

On découpa la Nouvelle-Angleterre en 13 unités coloniales autonomes,


disposant chacune de sa propre constitution. Chaque territoire était contrôlé
par un gouverneur désigné par le roi d’Angleterre. Ils dépendaient du
Parlement anglais et appliquaient ses lois.

Au XVIIIe siècle, les activités et les traditions des habitants des 13 États
devinrent différentes :
• Au nord, dans les quatre États, New Hampshire, Massachusetts,
Connecticut et Rhodes Island, habitaient surtout des Anglais puritains,
agriculteurs, artisans et pêcheurs. La ville principale, Boston, avait 20 000
habitants à la fin du XVIIIe siècle.
• Plus au sud, les États de New York, du New Jersey, du Delaware et de
Pennsylvanie étaient habités par des immigrés de diverses nations,
Hollandais, Suédois et Anglais, tous puritains. La ville principale,
Philadelphie, comptait 30 000 habitants.
• Au sud, les 5 États du Maryland, de Virginie, de Caroline du Nord et du
Sud et de Géorgie étaient occupés surtout par des aristocrates européens
faisant la culture du tabac, du coton, du riz et de l’indigo, utilisant des
esclaves noirs.

L’Angleterre investit beaucoup dans ses colonies, dont la population


augmenta de 240 000 à 1,5 million d’habitants, entre 1700 et 1750, lorsque le
nombre des Français ne dépassait même pas 60 000. Dans ces conditions, les
Français perdirent définitivement leurs colonies nord-américaines bien qu’ils
y fussent les premiers colonisateurs. Ceux qui s’installèrent à l’ouest eurent
beaucoup de conflits avec les Indiens. Cependant, de nouveaux immigrés
arrivaient sans cesse.
En 1763, après la guerre de Sept Ans, les conflits cessèrent entre Anglais et
Français. Cependant, l’Angleterre ne se contenta pas de ses nouveaux
territoires américains. Elle voulait faire payer ses pertes matérielles de guerre
aux colonies en leur imposant de nouvelles taxes, déclenchant une révolte
générale contre le monopole anglais. En 1773, on déversa dans la mer, à
Boston, la marchandise partant vers l’Angleterre. En représailles,
l’Angleterre isola le port de Boston par un blocus. Les États révoltés s’unirent
dans une coalition contre l’Angleterre. En 1775, ils élurent comme chef de
guerre Georges Washington, qui avait participé à la guerre de Sept Ans en
Europe. Le 4 juillet 1776, au Congrès de Philadelphie, ils déclarèrent leur
indépendance de l’Angleterre et le député Thomas Jefferson proclama la
création des États-Unis d’Amérique.
Les 14 colonies se séparèrent définitivement de l’Angleterre.

La guerre d’Indépendance américaine


L’Angleterre n’accepta pas l’indépendance de ses colonies américaines et
leur déclara la guerre en 1777. Elle envoya 40 000 soldats contre les insurgés.
Les Américains ne pouvaient leur opposer que 20 000 volontaires qui se
battirent héroïquement, mais au moment des récoltes, ils durent rentrer sur
leurs terres. Le général français, La Fayette participa personnellement aux
batailles au côté des Américains. Devant cette situation difficile, Benjamin
Franklin, ambassadeur en France, demanda l’aide des Français. La France
envoya immédiatement une flotte pour rompre le blocus de Boston. En 1781,
après la perte de la bataille de Yorktown, les Anglais quittèrent
définitivement l’Amérique.

En 1783, le Royaume-Uni reconnut officiellement les États-Unis


d’Amérique et leur céda aussi les régions occidentales, au-delà des cinq lacs,
jusqu’au Mississipi, qui ne faisaient pas partie de la coalition des 13 États. La
même année, la « paix de Paris » mit fin à la guerre et l’Europe reconnut
l’indépendance des États-Unis d’Amérique qui vécurent donc en paix.
Craignant des problèmes internes ultérieurs, Washington estima qu’il était
nécessaire de définir les droits et la politique des États associés dans une
nouvelle constitution qui fut instaurée en 1787, lors du congrès de
Philadelphie.

La constitution des États-Unis d’Amérique

En 1787, dans le cadre de la nouvelle constitution, le gouvernement fédéral


définit les statuts des États membres.

Du gouvernement fédéral dépendaient l’armée et le commerce extérieur.


Les État membres avaient la liberté de gérer leur sécurité interne, les droits
individuels, la justice et l’éducation. Tous les habitants des États membres
étaient automatiquement citoyens de l’État fédéral. Tous les nouveaux
territoires occidentaux ayant plus de 60 000 habitants devinrent
automatiquement des États membres de la fédération.
L’abolition de l’esclavage aurait dû être également proclamée au nom de la
liberté et de l’égalité, mais c’était encore impensable dans les États du sud,
donc l’économie dépendait du travail des Noirs.
Le président du gouvernement fédéral et un vice-président étaient élus pour
4 ans par le pouvoir exécutif, sans mentionner, si leur mandat était
reconductible. C’était une loi « non écrite ».
Le président était le chef de l’armée. Il nommait aussi ses ambassadeurs.
Les lois étaient votées par le Congrès, constitué du Sénat et des
députés élus. Le Congrès proposait au président pour acceptation les
nouvelles lois et les dépenses, qu’il ne pouvait accepter qu’avec le vote
majoritaire du Sénat.
Au départ, les députés étaient élus pour 2 ans, à raison d’un député pour
30 000 habitants, afin de représenter équitablement tous les territoires.

La fondation des États-Unis d’Amérique

Georges Washington (*1732, 1789-1797, † 1799) fut le premier


président, on peut dire le fondateur des États-Unis d’Amérique. C’était un
riche propriétaire de Virginie, dont il devint le député. Organisateur de la
guerre d’Indépendance et chef d’armée réputé, il fut le plus connu et le plus
populaire politicien des États-Unis.

Élu pour 4 ans, son mandat fut reconduit en 1789.


Durant ses deux mandats, plusieurs partis furent créés, dont le plus
puissant, celui des fédéralistes. Au Sud les fédéralistes, au Nord les
démocrates étaient majoritaires. Il renonça aux 25 000 dollars de revenu
annuel proposé au président.
En 1789, le Congrès vota une nouvelle taxe sur l’alcool, déclenchant des
manifestations et des émeutes, mais sans intervention de l’armée. Entre 1785
et 1795, plusieurs guerres furent menées contre les Indiens, très coûteuses
pour le gouvernement, mais terminées par sa victoire.
Son deuxième mandat fut consacré principalement à l’établissement de
bons rapports avec le Royaume-Uni. Il fut donc contre la Révolution
française qu’il condamna.
À la fin de son deuxième mandat, en 1797, il en refusa un troisième. Il se
retira sur sa propriété d Virginie, où il créa une distillerie. Il mourut le 14
décembre 1799.

John Adams fut le nouveau président fédéraliste des États-Unis. En


période de paix, il nomma Washington chef suprême de l’armée américaine.
Après John Adams, le républicain Thomas Jefferson fut élu président de
1801 jusqu’à 1809. Durant ses deux mandats, les États-Unis se développèrent
considérablement et son territoire s’agrandit. Ils achetèrent la Louisiane à
Napoléon Ier, puis la Floride aux Espagnols. Ils battirent le Mexique et lui
prirent le Texas, la Californie, l’Arizona, le Nevada et le Nouveau-Mexique.
On bâtit une nouvelle ville, nommée Washington, où siégea le
gouvernement fédéral.

Durant les mandats du quatrième président, James Madison (1809-1819),


éclata la nouvelle guerre d’Indépendance contre le Royaume-Uni, lequel
voulait arrêter le commerce avec la France par un blocus autour des États-
Unis. Cette guerre dura 3 ans, puis se termina avec la victoire des Américains
lors de la bataille de la Nouvelle-Orléans, en 1815.

En 1810, les États-Unis comptaient déjà 10 millions d’habitants. Les


nouveaux arrivés convergeaient vers l’Ouest, où ils reçurent gratuitement des
terres cultivables après avoir chassé les Indiens locaux. Les Indiens chassés
se révoltèrent contre les envahisseurs, leur imposant une guerre permanente.
L’armée américaine bien organisée mit fin à cette guerre et, en 1826, déplaça
les Indiens vaincus sur les rives occidentales du Mississipi. Les nouveaux
territoires occupés entrèrent dans l’Union. Devant le flux des arrivées, les
nouveaux territoires ne suffisaient plus. On enferma donc les Indiens dans
des réserves à partir de 1834. Ce fut une condamnation à mort pour un
peuple nomade, habitué aux grands espaces. Ils furent décimés par la maladie
et par la privation.

En 1827, on construisit le premier chemin de fer à l’Est, entre Baltimore et


Ohio. Ce fut un nouvel essor pour le développement de l’industrie et du
commerce. Bientôt, il se révéla insuffisant, car les immigrants dépassaient
déjà le Mississipi. Le gouvernement décida l’extension des États-Unis de
l’océan Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique.
En 1846, le Royaume-Uni céda l’Oregon aux Américains.
À partir de 1848, les chercheurs d’or se ruèrent vers l’Ouest lointain. En
1850, avec l’entrée de la Californie dans l’Union, le territoire des États-Unis
atteignit enfin l’océan Pacifique. Les mormons s’installèrent dans l’État de
l’Utah et fondèrent la ville de Salt Lake City.
L’histoire du Western américain date de cette époque. Les journaux et les
livres ne parlaient que des chercheurs d’or, des chasseurs, de la lutte des
fermiers contre les Indiens et des aventuriers. On peut signaler qu’en 1835,
Samuel Colt inventa le pistolet automatique, lequel porte encore son nom. Il
devint l’arme officielle de l’armée américaine et l’objet personnel usuel des
aventuriers.

À partir des années de 1830, la tension commença à s’aggraver entre les


États du Nord et du Sud. Ces derniers supportaient de plus en plus mal le
système protectionniste des industriels, payant très peu les matières premières
et les produits de l’agriculture. Lorsqu’ils voulaient augmenter leur
productivité, les Sudistes avaient besoin d’immenses territoires face aux
petits producteurs nordistes, qui se contentaient de peu. Quand un nouvel État
entrait dans l’Union, on ne savait pas si l’on pouvait y pratiquer l’esclavage
ou non. En cas d’autorisation, c’étaient les grandes propriétés qui se
développaient, mais en cas de refus, c’étaient les petites fermes. La confusion
était totale.
Officiellement, l’esclavage était admis dans les États du Sud, mais après
son abolition au Royaume-Uni en 1833, puis en France en 1848, il devint
intolérable au grand pays de la liberté et de l’égalité !

Dans les États de l’Est, l’industrie se développa très rapidement. Manquant


de main-d’œuvre, on mécanisait les usines, assurant des bénéfices
inestimables aux industriels. Isaac Singer inventa la machine à coudre
motorisée, développant ainsi très rapidement les grandes confections où
travaillaient 40 000 femmes. Elles se mirent en grève pour demander
l’augmentation et l’égalité des salaires. Or, avec la mécanisation, la
production augmentait, mais le besoin de main-d’œuvre diminuait et les
salaires aussi.
Vers le milieu du XIXe siècle, le contraste devint insupportable entre les
États du Nord et du Sud. Les premiers se développaient très vite avec
l’industrialisation, lorsque la monoculture stagnait au Sud, malgré la gratuité
de la main-d’œuvre. Se référant à la constitution autorisant les États membres
à définir eux-mêmes leurs lois, on ne pouvait rien faire contre l’esclavagisme
des États du Sud.

Abraham Lincoln (*1809, † 1865), républicain, fut élu président des


États-Unis en 1860. Partisan de la liberté et de l’égalité, il ne pouvait pas
accepter l’esclavage, mais officiellement, il ne pouvait pas s’y opposer.
Cependant, le jugeant dangereux, les États du Sud n’acceptèrent pas son
élection et quittèrent l’Union.
Onze États (Texas, Louisiane, Mississipi, Arkansas, Tennessee, Alabama,
Géorgie, Floride, Virginie, Caroline du Sud et du Nord) fondèrent la
Confédération des États-Unis d’Amérique, dont la capitale fut Richmond.
Jefferson Davis fut élu leur président.
Cette séparation déclencha la guerre de Sécession, opposant le Nord au
Sud. Après cette guerre, terminée par la victoire des Nordistes, Abraham
Lincoln réconcilia les adversaires et abolit l’esclavage sur tout le territoire
des États-Unis d’Amérique. En 1865, le jour de la fête de la victoire, un
fanatique sudiste l’assassina.

La guerre de Sécession (1861-1865)

Après la proclamation de la Confédération des États-Unis d’Amérique


le 12 avril 1861, les Sudistes assiégèrent le fort Sumter, déclenchant la guerre
de Sécession entre le Nord et le Sud. Malgré le déséquilibre des forces, 25
millions d’habitants au Nord, contre 9 millions au Sud, sans compter
l’hostilité dangereuse des esclaves, la guerre dura 5 ans. Ce fut la première
guerre moderne, avec des fusils et des canons nouveaux. Le ravitaillement, le
transport des soldats et du matériel de guerre furent assurés par chemin de fer,
et les liaisons entre les armées par télégraphie. Au début, le général Lee, chef
suprême des armées sudistes héroïques, obtint plusieurs victoires contre les
Nordistes, poursuivant la guerre sur leur territoire du Nord. Cependant, la
longue guerre joua en faveur de la majorité écrasante des Nordistes qui, sous
le commandement du général Grant, reprirent le dessus. En 1864, les
120 000 soldats de Grant poursuivirent les 64 000 Sudistes de Lee, les
encerclèrent, sans toutefois les vaincre. Après plusieurs mois de bataille
stérile, de nouveaux soldats arrivèrent du Nord. Avec eux, l’armée de Grant
passa à 280 000. Épuisé par cette guerre inéquitable, Lee déposa les armes le
9 avril 1865. Grant permit aux officiers sudistes de garder leurs armes
personnelles. Quelques jours après la signature de la paix, un fanatique
sudiste assassina Abraham Lincoln.
Après les 5 années de guerre qui coûtèrent la vie de 500 000 soldats,
l’Union fut rétablie. Afin d’assurer la paix, les Nordistes occupèrent le Sud
durant un an, puis se retirèrent. De nombreux aventuriers nordistes profitèrent
de cette situation pour s’enrichir.
En décembre 1865, on modifia la constitution des États-Unis et on
abolit l’esclavage sur son territoire.

Or, l’affranchissement des 3 millions d’esclaves noirs ne fut pas étudié


avant l’abolition. Ils n’avaient aucune expérience de la liberté. Ils n’avaient
rien et pouvaient peut-être tout faire, mais n’avaient aucun « métier
professionnel », sans parler des problèmes d’intégration aggravés par la
couleur de leur peau (voir plus loin). On ne les accepta nulle part, sauf pour la
construction du chemin de fer.
Selon la constitution, ils devinrent citoyens américains, disposant de tous
les droits (y compris le droit de vote, qu’ils ne purent exercer qu’un siècle
plus tard !), mais ceci parut invraisemblable à tout le monde.

Le développement rapide des États-Unis d’Amérique

En 1867, le Nevada et le Nebraska rejoignirent les États-Unis, lesquels


rachetèrent l’Alaska aux Russes.
Il était difficile, voire impossible, de transporter des marchandises et de
circuler sur un si grand territoire. L’implantation du chemin de fer, découvert
récemment, devint vitale. La première ligne de chemin de fer fut construite à
l’Est en 1827, mais devant les énormes difficultés humaines et matérielles,
les travaux d’élargissement avancèrent très lentement. Les 5 années de guerre
de Sécession bloquèrent aussi les travaux. Or, après la guerre, il fallut
rattraper le retard. Les compagnies employèrent 20 000 ouvriers,
principalement des Chinois et des Noirs. Cette construction à travers des
montagnes et des régions hostiles, attaquée sans cesse par des Indiens, fut
inhumaine et coûta la vie de 10 % des ouvriers.
Enfin, le 10 mai 1869, la ligne New York-San Francisco fut terminée,
permettant de parcourir la distance en 15 jours, au lieu de 6 mois en chariot.
Les années après-guerre furent l’âge d’or du chemin de fer. À la fin du siècle,
il existait déjà 6 lignes transcontinentales et plusieurs milliers de kilomètres
de lignes.

Après la guerre, l’assimilation des anciens esclaves noirs posa un problème


pratiquement insoluble. Le gouvernement créa des bureaux de conseil et
d’emploi pour les aider, mais modifier les lois ne pouvait pas changer la
mentalité des gens. La corruption, le racisme, la haine des Noirs rendirent
inefficace son fonctionnement. Les grands propriétaires du Sud ne voulaient
pas accepter les nouvelles lois et la libération de leurs esclaves. Ils refusaient
de payer des impôts afin de gêner le fonctionnement des appareils d’État,
police et justice. Certains créèrent des organismes secrets, tel que le Ku-Klux
Klan pour terroriser les Noirs. Les Noirs tentèrent leur chance dans les villes
du Nord, mais malgré le manque de main-d’œuvre, ils ne trouvaient pas de
travail. Ceux qui restaient à la campagne pour cultiver la terre, vivaient
encore plus misérablement qu’à l’époque de l’esclavage. Cependant, leurs
enfants fréquentaient les écoles obligatoires et pouvaient espérer plus tard une
meilleure vie.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la guerre éclata entre l’armée


américaine et les Indiens, bien organisés suite à la création de deux grandes
réserves en 1867, entre l’Oklahoma et le Dakota, où on voulait les regrouper.
Les escarmouches étaient toujours fréquentes, surtout au moment de la
construction du chemin de fer, mais cette fois-ci, les diverses tribus s’allièrent
et leur guerre dura plusieurs années. Finalement, l’armée américaine les
vainquit.
En 1873, une crise économique générale secoua l’industrie des États-Unis.
De nombreuses entreprises déposèrent le bilan. Les plus fortes les rachetèrent
pour un prix symbolique et créèrent des trusts, disposant du monopole dans
leurs domaines d’activité. En 1880, il existait déjà une quinzaine de trusts,
dont le plus célèbre, celui de Rockefeller, qui racheta 40 sociétés pétrolières.
Pour freiner ce « capitalisme sauvage », le gouvernement fit voter la loi
Sherman, interdisant les trusts, lesquels prirent tout simplement le nom de
holdings.
Malgré ces difficultés internes, entre 1860 et 1890, le rendement de
l’industrie américaine fut multiplié par 10. Les États-Unis devinrent le
premier producteur de charbon et son industrie atteignit 75 % de la
production mondiale. Au Sud, se développa l’industrie légère dépendant des
matières premières du Nord.

Entre 1860 et 1900, 14 millions d’immigrés arrivèrent aux États-Unis.


Avec eux, la population passa de 50 à 75 millions durant cette période. Au
début, arrivèrent des Irlandais, des Allemands et des Scandinaves, puis des
Russes, des Italiens et les habitants de l’Europe centrale. Ils trouvèrent tous
du travail dans l’industrie.
On peut remarquer qu’en Europe, seule la haute société s’enrichit par
l’industrialisation, lorsqu’aux États-Unis tout le monde arrivait pauvre et
pouvait devenir riche.
Les États-Unis se développèrent beaucoup plus vite que les États
européens. En 1900, aux États-Unis, un million de téléphones fonctionnaient
déjà, lorsqu’il n’était encore qu’une curiosité en Europe.
Il faut rappeler aussi les découvertes de Thomas Edison : le phonographe
(1878), l’ampoule électrique (1879), la première centrale électrique de New
York (1882), la batterie électrique (Ni-Fe), le projecteur de cinéma (1888),
etc.

Le 28 octobre 1886, on inaugura à New York l’immense statue de la


Liberté, haute de 46 m, offerte par la France pour le centième anniversaire de
la fondation des États-Unis d’Amérique. Dans le port de New York, elle est
le symbole de la liberté.

À la fin du siècle, les États-Unis comptaient parmi les plus grands États
industrialisés, mais n’étaient pas encore une « grande puissance », puisqu’ils
ne disposaient pas de territoires en dehors des frontières de l’Amérique du
Nord. Ils envisagèrent leur extension sur mer, notamment l’invasion des îles
Philippines et de Cuba, appartenant aux Espagnols. Mais dans un premier
temps, ils étaient plus intéressés par leur marché et par le développement de
leur économie. Toutefois, les Espagnols observaient avec inquiétude la
popularité des Américains à Cuba.
Le 15 février 1898, dans la rade de Cuba, le bateau de guerre américain
Maine explosa et coula. C’était un accident, mais les Américains accusèrent
de provocation les Espagnols. La guerre éclata entre les États-Unis montants
et l’Espagne affaiblie. La bataille des deux flottes se déroula près des
Philippines et se termina par la victoire des Américains. Dans le cadre de la
paix de Paris, Cuba devint indépendante, sous influence américaine.
L’Espagne céda aux États-Unis Porto Rico et les Philippines. La région de
Panama tomba également sous l’influence américaine. Quelques mois plus
tard, les États-Unis annexèrent Hawaï.
LES CONCLUSIONS DE L’ÉPOQUE MODERNE

J’ai essayé de résumer les évènements importants de l’époque moderne,


lesquels, selon moi, jouent un rôle important dans le développement de notre
monde d’aujourd’hui. Naturellement, je ne pouvais pas parler de tout et
d’autres auraient fait un choix différent. Il aurait fallu parler aussi de la
Chine, pour comprendre la renaissance de ce grand pays, le plus peuplé au
monde aujourd’hui. Il aurait fallu suivre attentivement la décadence
progressive de l’Empire ottoman et l’histoire de l’Australie, du Japon, des
États de l’Amérique du Sud et des pays africains. Cependant, un sujet aussi
vaste n’aurait pas pu être résumé dans ce modeste petit livre lequel, ne
l’oublions pas, commence il y a des millions d’années, avec la naissance de
l’humanité !

Je voulais surtout parler de l’origine des Hongrois, peu et mal connue,


depuis la préhistoire, de leurs errances entre Asie et Europe, de la naissance
du peuple hongrois, de son développement et de son adaptation dans le
monde occidental. Afin de mieux comprendre son histoire et la situer, j’ai
jugé utile et nécessaire de décrire ce qui se passait autour d’eux, pouvant
influencer leur façon de vivre. Je devais parler aussi des États-Unis
d’Amérique lesquels concernent aussi les Hongrois. Attila József, grand
poète hongrois du début du XXe siècle, nous le rappelle dans son poème Un
million et demi de nos Hongrois émigrèrent en Amérique, représentant
10 % de sa population à la fin de l’époque moderne ! En grande majorité,
c’étaient de pauvres gens, ne possédant rien, fuyant la misère de leur pays.
Cependant, la Hongrie perdit aussi de grands savants et artistes, qui
n’arrivaient pas à valoriser leur talent dans leur propre pays.

Comment s’adapta la Hongrie à l’époque moderne pleine de


changements ?

Comme je l’ai déjà dit, le Moyen Âge fut l’âge d’or des Hongrois. Les
nombreuses tribus dispersées sur les vastes territoires de l’Asie et de l’Europe
se regroupèrent progressivement et fondèrent un grand État, la Hongrie, dans
le bassin des Carpates, faisant partie des grandes puissances européennes.
Malheureusement, après la mort du dernier grand roi hongrois, Mátyás, le
pays commença une chute brutale vers la disparition.
Comment peut-on expliquer une telle situation catastrophique dans un
aussi grand pays ? Certains la considèrent comme la conséquence de la perte
de la bataille de Mohács contre les Turcs en 1526. C’est faux !
N’oublions pas qu’à peine quelques années après l’invasion des Mongoles,
détruisant le pays et décimant sa population, en 1242, la Hongrie se redressa
et devint encore plus puissante qu’avant avec son roi, Béla IV. Elle aurait pu
donc se redresser à nouveau avec un roi fort et respecté.
Après la bataille de Mohács, les Turcs n’occupèrent pas la Hongrie, qui
perdit 26 000 soldats et son jeune roi inexpérimenté, qui n’attendit pas le
regroupement de toutes les armées hongroises, comprenant près de 200 000
soldats, sans parler de l’armée impériale prête à intervenir pour défendre
l’Europe chrétienne.
Cette bataille ne fut pas la cause de la chute de la Hongrie, mais en offrit
l’occasion.

La vraie responsable était la haute noblesse hongroise, laquelle, avec


peu d’exception, était et resta la plus grande ennemie de la Hongrie,
capable de tout pour conserver son pouvoir, ses privilèges et sa fortune.

Elle n’était pas capable ou ne voulait pas élire un roi hongrois fort,
réunissant tout le pays derrière lui. Elle aurait pu en trouver en Hongrie, mais
elle préféra élire des étrangers faibles, polonais, tchèques, autrichiens, ou
Zápolya, ami des Turcs.
À la fin de l’époque moderne, naquit la monarchie d’Autriche-Hongrie
sous l’autorité d’un souverain fort, François-Joseph, haï par les Hongrois au
début de son règne.
La Grande-Hongrie se redressa en quelques années, rattrapant son retard de
plusieurs siècles. On pouvait croire qu’elle deviendrait riche et puissante,
comme dans le passé, mais pour cela, il aurait fallu s’entraider, reconnaître
l’égalité et les droits des minorités d’origine étrangère, et que la noblesse
partage un peu son immense richesse. Or, les Hongrois recommencèrent à se
disputer entre eux. Ils formèrent plusieurs partis politiques, s’opposant à tout
et critiquant tout le monde.

L’époque moderne changea l’histoire. Au XIXe siècle, on abolit l’esclavage


dans les grandes puissances.
Il faut noter que l’esclavage existait toujours et existe encore aujourd’hui
dans certains États africains, « non officiellement », même s’il est « moins
inhumain ». Après la découverte de l’Amérique, le Nouveau Continent avait
besoin de main-d’œuvre bon marché, voire gratuite. On y transporta donc des
centaines de milliers d’esclaves africains, vendus par les Noirs eux-mêmes !
Sans vouloir les défendre, il faut reconnaître que les esclavagistes blancs
n’étaient pas les seuls coupables. Ils achetaient ceux que les Africains leur
vendaient !
Si en Europe on n’employait plus d’esclaves à l’époque moderne, le sort
des serfs, paysans rattachés aux terres des grands propriétaires, n’y était guère
meilleur, sinon pire quelquefois, déclenchant des révoltes. Les seigneurs
avaient le droit de les traiter comme ils voulaient. On ne pouvait pas les
vendre dans les foires, mais rattachés à la terre, ils étaient vendus avec les
propriétés. En Russie, cette situation existait encore au début du XXe siècle !

Le colonialisme remplaça l’esclavagisme. Le manque de main-d’œuvre


gratuite fut compensé par des matières premières peu chères, voire souvent
gratuites. Ce nouveau système avait cependant quelques mérites aussi. À la
place des guerres de religion, dans les colonies, des missionnaires paisibles
s’occupaient non seulement de l’âme des indigènes, mais aussi de leur
éducation et de leur santé. Ce fut un grand pas vers leur future indépendance.

À la fin de l’époque moderne, les royaumes et les empires se


démocratisèrent ou devinrent des républiques égalitaires. On pouvait
imaginer un monde utopique, où tout le monde vivrait heureux. Des
philosophes du XIXe siècle, comme l’allemand Karl Marx, étudièrent une
nouvelle forme de vie égalitaire, où la richesse serait partagée équitablement
entre tout le monde.
Le féodalisme démodé ne fut remplacé que progressivement par le
capitalisme, donnant naissance à une classe ouvrière. La richesse resta entre
les mains des classes dominantes, grande et moyenne noblesse, mais
progressivement, la classe ouvrière aussi commença à en bénéficier.

• Des réseaux de chemins de fer à vapeur se développèrent partout,


facilitant le transport rapide et peu onéreux des voyageurs et des
marchandises.

• La mécanisation des usines augmenta la production, améliora les


conditions de travail et diminua sa durée quotidienne. Des syndicats se
créèrent pour protéger les travailleurs.

• La médecine et les institutions sociales améliorèrent les conditions de vie.


Ce n’était qu’un début, mais on pouvait espérer son développement rapide.

• L’alchimie mystérieuse devint une chimie scientifique, permettant la


fabrication synthétique de médicaments, de produits industriels, d’engrais et
de matières plastiques. L’industrie chimique naquit.

• Parmi les sciences, la physique fut la plus spectaculaire, surtout dans le


domaine de l’électricité et de l’électronique. La production industrielle de
l’électricité (dynamos, batteries, pile) et son emploi (éclairage, moteurs,
chauffage) facilitèrent et simplifièrent la vie moderne et accélérèrent le
développement rapide. Le téléphone, le télégraphe, l’enregistrement de son et
sa diffusion radiophonique, et la radiographie rendirent la vie plus agréable.
On peut citer les montgolfières dirigeables permettant de décoller de la
terre et de se déplacer dans l’air. Ce fut un premier pas vers l’aviation.
On doit rappeler aussi la découverte de la radioactivité, le premier pas vers
une nouvelle science.

• L’automobile, une curiosité critiquée et contestée, devint vite un moyen


de transport rapide. Au début du XXe siècle, Ford commença sa fabrication à
la chaîne. Elle fut à la base de l’industrie pétrolière.
LE MAGNIFIQUE ET L’ÉPOUVANTABLE
XXE SIÈCLE

Le début du XXe siècle fut une des périodes les plus variées et les plus
insouciantes de notre histoire.

En Europe, de nombreux paysans pauvres se ruèrent vers les grandes


villes, où l’industrie en pleine expansion pouvait leur assurer du travail. Avec
leur arrivée, la population urbaine explosa. Il fallait construire sans cesse
pour pouvoir les loger et développer les transports en commun. Pour faire
face aux besoins de cette nouvelle population, bien que pauvre, il fallut
développer le commerce et l’artisanat urbain. De nombreux constructeurs,
artisans, commerçants s’enrichirent en quelques années, sans parler de
l’aristocratie et des industriels. La population aisée, la bourgeoisie, avait
besoin de distractions locales : théâtres, cabarets, restaurants, etc., lesquels
devinrent de plus en plus nombreux. Ces gens prirent l’habitude de se
retrouver dans les cafés pour lire les journaux, discuter de la politique et des
évènements récents. Dans les grandes capitales, dont faisait partie désormais
Budapest, les habitants circulaient déjà en tramway et on voyait de plus en
plus de voitures et de taxis.

Aux États-Unis d’Amérique, la situation était très différente. Tout était


nouveau, tous les habitants étaient des immigrés, arrivés sans rien, mis à part
les riches aristocrates des États du Sud. Les privilèges héréditaires
n’existaient pas. Le pauvre y était également pauvre, mais il avait la
possibilité de s’enrichir. Les différences des classes sociales ne se
développaient que progressivement, selon la chance et la capacité des gens.
En revanche, le racisme ne laissait aucune chance aux Noirs, anciens
esclaves devenus libres, mais restés pauvres et méprisés.
Les grandes villes furent construites, selon nécessité, avec des tours
immenses pour y loger les bureaux. Les pauvres s’installèrent à la périphérie
des grandes villes. L’industrie se développait très vite, car les matières
premières étaient abondantes et on ne manquait ni de main-d’œuvre ni de
marché pour absorber la production. Au tournant du siècle, les États-Unis
rattrapèrent, puis dépassèrent rapidement la vieille Europe.

L’Asie et l’Afrique étaient encore très peu développées au début du siècle,


et une grande partie de leur territoire était colonisée par les puissances
occidentales, qui les exploitaient librement.

GRANDES PUISSANCES EUROPÉENNES


AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE

L’Empire ottoman

Au début du XXe siècle, l’Empire ottoman était pratiquement inexistant,


sans puissance militaire. Les États des Balkans, qui en dépendaient, firent
alliance et battirent les Turcs dans plusieurs batailles. En 1913, ils obtinrent
leur indépendance. Cependant, l’Empire ottoman joua un rôle important
durant la Première Guerre mondiale. Les Russes l’attaquèrent pour obtenir
l’accès à la mer Méditerranée, mais la monarchie d’Autriche-Hongrie le
protégea, craignant que sa chute éventuelle soit contagieuse.

L’Empire allemand

Guillaume II (*1859, 1888-1918, † 1941) fut un monarque très éclairé,


s’intéressant à tout, sans ambition de grandeur. Cependant, il démit Bismarck
de ses fonctions et gouverna seul son empire, s’appuyant sur le parti
conservateur. Il développa l’industrie navale pour tenir tête aux Anglais. Il
renforça son alliance avec la monarchie austro-hongroise et prit le parti des
Turcs afin de freiner l’extension russe vers la Méditerranée. Poursuivant sa
politique de colonisation en Afrique, le conflit devint inévitable avec le
Royaume-Uni et la France, principaux colonisateurs de ce continent riche en
matières premières, mais il manqua l’occasion pour déclencher la guerre.
L’assassinat de François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie,
offrit cette occasion.
Les Autrichiens envahirent la Serbie. Cependant, ce fut Guillaume II que
les puissances occidentales accusèrent d’être responsable du déclenchement
de la Première Guerre mondiale.

La monarchie d’Autriche-Hongrie

François-Joseph (*1830, 1848-1916), empereur d’Autriche-Hongrie,


monarchie fondée en 1867 et roi de Hongrie, gouverna le pays le plus
hétérogène d’Europe, dont les divers peuples ne disposaient pas des mêmes
droits. Une tension intense y régnait donc en permanence. C’était la seule
grande puissance européenne ne disposant pas de colonies africaines, mais
certains de ses États étaient de vraies colonies.
Lorsque les Turcs furent chassés de Balkans, la monarchie les remplaça, y
déclenchant une tension permanente, surtout en Serbie, conduisant à la guerre
mondiale après l’assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo.
Les Russes, amis des Serbes, prirent position contre la monarchie. Bien
que la monarchie y n’ait aucun intérêt, la guerre devint inévitable entre les
deux camps des grandes puissances.

Le Royaume-Uni

Georges V (*1865, 1910-1936), empereur des Indes, roi de Grande-


Bretagne, du Canada et de l’Afrique du Sud, gouverna la plus grande
puissance mondiale, paisible et riche. Lui non plus n’avait aucun intérêt à
faire la guerre, sinon pour freiner l’extension des autres puissances. La
France seule disposait presque d’autant de colonies, mais le monde était assez
grand pour ces deux puissances.
Georges V fut le plus pacifiste des souverains de son époque. Il entra en
guerre presque par autodéfense. L’histoire lui reproche cependant d’avoir
refusé à Nicolas II de se réfugier en Angleterre durant la révolution russe, ce
qui aurait pu le sauver.
On peut penser que l’extension allemande dérangea les Anglais, mais pas
au point de déclencher une guerre.
L’Empire russe

Nicolas II (*1866, 1894-1917, † 1918) commença mal son règne. Le jour


de son couronnement, plusieurs personnes moururent piétinées par la foule en
liesse.
En 1898, il proposa aux grandes puissances un désarmement général que
les participants au congrès de la paix de la Hague refusèrent par mésentente.
Au tournant du siècle, suite à la crise économique de la Russie, entraînant
la misère des chômeurs, on créa le Parti Social-démocrate des Ouvriers
Russes, lequel s’allia aux partisans des « paysans révolutionnaires ».
En 1904, Nicolas II déclara la guerre au Japon afin de pouvoir poursuivre
son extension en Extrême-Orient. L’année suivante, il perdit toute sa flotte et
ses colonies orientales. Cette perte et la crise économique en résultant
déclenchèrent des émeutes à Saint-Pétersbourg. L’armée tira sur la foule,
tuant de nombreux manifestants.
Ces évènements furent suivis par des grèves quotidiennes. Le tsar promit la
convocation de la Douma, calmant provisoirement les agitations.
Dans le cadre du mouvement panslave, il intervint dans les Balkans,
d’abord contre les Turcs, ses éternels ennemis, puis contre l’Autriche-
Hongrie. La victoire éventuelle d’une guerre générale lui aurait ouvert la voie
vers la Méditerranée, son rêve de toujours.

La République française

Raymond Poincaré (*1860, 1913-1920, † 1934) fut président de la


République française durant la Première Guerre mondiale. Il commença son
septennat en 1913. Son seul pouvoir était la nomination des membres du
gouvernement, lequel décidait tout. On ne peut donc pas l’accuser du
déclenchement de la guerre.
Les Français n’avaient jamais pardonné aux Allemands la défaite de 1870
et la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Ils étaient aussi jaloux de l’essor
allemand dû, selon eux, aux territoires « volés ».
La France était l’alliée de la Russie. Le déclenchement d’une guerre parut
donc une bonne occasion de battre les Allemands, coincés entre les deux
puissances alliées. Poincaré rendit visite personnellement au tsar après
l’assassinat de Sarajevo, pour renforcer l’alliance entre les deux puissances.
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE (1914-1918)

Il n’y avait pas de forte tension entre les puissances européennes,


regroupées en deux camps d’intérêt.

La Triple Entente était une alliance Angleterre-France-Russie,


garantissant la paix entre elles. Dans ses projets d’extension, le tsar faisait
très attention à ne pas déranger ses alliés.

La Double Alliance était un accord d’entraide entre les Allemands et la


monarchie d’Autriche-Hongrie, devenue ouvertement antirusse à cause de
l’intervention menaçante du tsar dans les Balkans.
La veille de la guerre, l’Italie antifrançaise et la Turquie menacée, entrèrent
dans la Double Alliance.
Malgré ces formations opposées, on pouvait encore croire à un
arrangement pacifique entre les deux camps, mais les politiciens partisans de
la guerre firent tout pour mettre fin à la paix.

Le 28 juillet 1914, un fanatique serbe assassina François-Ferdinand,


héritier du trône d’Autriche-Hongrie, à Sarajevo. Un mois après, en
représailles, la Monarchie déclara la guerre aux Serbes, puis l’Allemagne à la
Russie et à la France, lesquelles prirent position en faveur de la Serbie.
L’Allemagne voulut écraser la France par une guerre-éclair, pendant que
sur les fronts de l’Est, l’Autriche-Hongrie se battait contre les Serbes et les
Russes. La Turquie attaqua la Russie, suivie du Japon, antirusse. Enfin,
l’Angleterre entra aussi en guerre contre l’Allemagne pour aider la Russie et
la France. Ainsi éclata la Première Guerre mondiale, qui dura 4 ans et fit 10
millions de victimes civiles et autant de militaires.

Sans entrer dans les détails, je présente brièvement son évolution et ses
conséquences.

Les Allemands entrèrent en France par la Belgique, malgré ses


protestations et, très rapidement, ils s’approchèrent de Paris. Les Français
réussirent à les arrêter, engageant une guerre des tranchées immobile,
laquelle dura plusieurs années.
À l’Est, les armées austro-hongroises, rejointes par la Bulgarie, furent
victorieuses au début, mais après l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de
l’Entente, elles se trouvèrent encerclées.

En 1916, les Russes contre-attaquèrent. La Roumanie, profitant de la


situation, s’allia à l’Entente et attaqua la Transylvanie. En plus cette guerre,
la situation interne de l’Autriche-Hongrie était très tendue. Les États
membres slaves demandaient l’égalité avec les Autrichiens et les Hongrois.
François-Joseph était prêt à leur accorder les droits revendiqués, mais il
mourut avant de le faire. Son successeur, Charles IV, décida de négocier
avec l’Entente, affaiblissant ainsi la situation de ses alliés. Cependant, les
conditions de paix proposées par l’Entente furent inacceptables pour la
Double Alliance. La guerre continua donc.
Dans cette guerre, pour la première fois dans l’histoire, on utilisa des
avions, des chars et des sous-marins. Ils étaient encore très primitifs, peu
dangereux, mais déjà très prometteurs.
L’affrontement des flottes anglaise et allemande n’eut pas de vainqueur,
mais énormément de pertes. Les Anglais ne pouvaient pas entrer dans la mer
Baltique et la route des Allemands vers les colonies se ferma.
Les États-Unis d’Amérique n’étaient pas encore en guerre, mais aidaient
matériellement l’Angleterre. En conséquence, les sous-marins allemands
coulèrent plusieurs bateaux commerciaux, obligeant les États-Unis à entrer en
guerre.

Au printemps 1917, les États-Unis entrèrent en guerre aux côtés de


l’Entente, avec 2 millions de soldats et beaucoup de matériel militaire,
renversant l’équilibre entre les deux camps. Le seul espoir de la Double
Alliance restait la révolution russe latente, retirant la Russie de la guerre.
Pour l’accélérer, les Allemands aidèrent le retour de Lénine par train spécial
en Russie. La révolution russe éclata, Nicolas II abdiqua et le front de l’Est
cessa. Cependant, ce changement se révéla insuffisant, même avec la victoire
des armées austro-hongroises contre les Italiens. Sur le front occidental,
l’arrivée des soldats américains, frais et bien armés, renversa la situation.
Poincaré, président de la France républicaine, donna carte blanche à Georges
Clémenceau pour chasser les Allemands.

En 1918, les armées de l’Entente prirent le dessus. La victoire du Japon


contre les Russes ne changea rien à la situation. La Bulgarie se retira de la
guerre. La Turquie capitula et les Italiens repoussèrent l’armée austro-
hongroise. L’Autriche-Hongrie éclata et des révolutions renversèrent l’ordre
dans ses États membres, à Budapest, à Prague et à Zagreb.

Le 3 novembre 1918, les représentants de l’Autriche et de l’Italie


signèrent la paix, destituant la maison Habsbourg et proclamant la république
dans les États membres de l’ex monarchie.
Après des émeutes en Allemagne, Guillaume II abdiqua et se réfugia en
Hollande.

Le 18 novembre 1918, l’Allemagne signa officiellement la paix avec


l’Entente. La guerre fit 20 millions de victimes et eut de graves conséquences
pour l’avenir.

Population (en Soldats Civils tués Total Soldats


millions) tués blessés
Entente 790 5 696 056 4 655 757 10 351 813 12 809 280
Double 143 4 024 397 5 391 000 9 415 397 8 419 533
Alliance
TOTAL 943 9 720 453 10 048 649 19 769 102 21 228 813

LES CONSÉQUENCES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Cette guerre longue et cruelle épuisa totalement la population des États


concernés.
En 1917, plusieurs révolutions éclatèrent. Celle de Russie obligea le tsar
Nicolas II à arrêter sa guerre et à abdiquer. L’année suivante, les Allemands
se révoltèrent. Guillaume II abdiqua et se réfugia en Hollande. La même
année, en Hongrie, éclata la révolution des Roses d’Automne, mettant fin à la
guerre des Hongrois et à la monarchie d’Autriche-Hongrie. La République
populaire hongroise fut proclamée.
À l’automne 1918, la monarchie d’Autriche-Hongrie, puis l’Empire
allemand déposèrent les armes. Les traités de paix de Versailles de 1919,
puis celle de Trianon de 1920, organisés par les vainqueurs, jugèrent et
condamnèrent l’Allemagne et la monarchie d’Autriche-Hongrie.
Les puissances de la Double Alliance ainsi que l’Empire russe
cessèrent exister. Elles furent remplacées par des républiques nouvelles.

Les révolutions russes

Début 1917, des révoltes se succédèrent en Russie, rendant la situation très


confuse. Je ne présente donc que l’essentiel, en quelques mots.
Les Russes, épuisés par la guerre, se révoltèrent contre la dictature du tsar.
Après une série de grèves en mars 1917, une révolte bourgeoise éclata à
Petrograd (ex Saint-Pétersbourg, jusqu’à 1914). Nicolas II fit tirer sur la
foule. Suite à cette confrontation sanglante, l’armée s’allia aux révoltés et le
tsar fut obligé d’abdiquer. La Douma désigna un chef d’État parmi les
officiers supérieurs, lequel poursuivit la guerre. Le parti socialiste organisa
de nouvelles révoltes et les chefs d’État se succédèrent. Le parti social-
démocrate participa aux luttes sans entrer dans le gouvernement.

Lénine (Vladimir Ilitch Oulianov, *1870, † 1924), révolutionnaire russe


émigré en Suisse, rentra en Russie (avec l’aide des Allemands, comptant sur
lui pour arrêter la guerre du tsar) le 16 avril 1917. Associé à Trotski, il
réorganisa le parti bolchévique, lequel défendait les intérêts de la classe des
ouvriers-paysans, avec les socio-démocrates, tandis que le parti menchévique
représentait la bourgeoisie. Lénine déclara qu’il fallait arrêter la guerre et que
la bourgeoisie n’était pas capable de gouverner un nouvel État. Les soviets
devaient gouverner en distribuant la terre aux paysans et les usines aux
ouvriers.
Le parti socio-démocrate ne partageant pas ces nouvelles thèses, totalement
inconnues, les Bolchéviques ne purent entrer dans le gouvernement.

Le gouvernement provisoire était dirigé par Kerenski, brillant et populaire


orateur socialiste. Il attaqua les Allemands sur le front du Nord au nom du
patriotisme russe, mais subit une lourde défaite.
Les soldats refusèrent de retourner sur le front, provoquant de nouvelles
émeutes à Petrograd. Kerenski écrasa la révolte et instaura un nouveau
gouvernement, mais resta fidèle à ses alliés de l’Entente. Il fit arrêter Trotski.
Lénine se réfugia en Finlande.
En juillet 1917, les ouvriers se révoltèrent, exigeant que le pouvoir soit
remis aux Soviets, qui restaient cependant minoritaires. Kerenski proclama
la République russe.

La grande révolution d’Octobre

Le 7 novembre 1917 (25 octobre, selon le calendrier russe) éclata la


révolution à Petrograd, organisée par Lénine et Trotski, appuyés par l’armée.
À l’aube du 8 novembre, le palais d’Hiver tomba entre les mains des
insurgés. Les ministres furent arrêtés et Kerenski se sauva. Lénine fut élu
président du Conseil du Peuple.
Le nouveau gouvernement populaire nationalisa les banques et autorisa les
paysans à prendre les terres.
Le parti bolchévique prit le nom de parti communiste et, en mars 1918,
signa la paix de Brest-Litovsk mettant fin à la guerre contre l’Allemagne. Les
Russes perdirent la Lituanie, la Pologne, l’Ukraine et la Biélorussie, mais
pour Lénine, le rétablissement de la paix interne était plus important que la
sauvegarde des territoires frontaliers. Il espérait la contagion de sa révolution
dans les pays occidentaux. Il ne se trompait pas beaucoup, puisqu’en automne
1918, l’Allemagne et la Hongrie suivirent l’exemple de la Russie.
Le nouveau gouvernement s’installa à Moscou, où il se heurta à une forte
opposition. À cause de la famine et du mécontentement général, les émeutes
et les attentats étaient quotidiens. Afin d’assurer leur pouvoir, les
bolchéviques instaurèrent une police politique appelée Tcheka, laquelle
poursuivit une répression sanglante contre les opposants du régime. Ce fut le
premier pas vers une nouvelle dictature.
Le 17 juillet 1918, le tsar Nicolas II fut exécuté avec sa femme et ses cinq
enfants. La plupart de la noblesse russe et de la riche bourgeoisie se réfugia
en Occident afin d’éviter l’exil ou l’exécution.

Trotski créa l’Armée Rouge (y acceptant les officiers tsaristes !), laquelle
se battit durant des années contre les Blancs, la résistance interne (opposition
du reste de l’armée tsariste, la noblesse, les opposants politiques et les États
membres révoltés) et les agressions externes de l’Allemagne et de l’Entente.
Ces dernières abandonnèrent assez vite leurs attaques, mais la résistance
interne à laquelle s’ajoutèrent les révoltes des ouvriers et des paysans affamés
dura jusqu’à 1922.

Après la victoire finale de la révolution, Lénine entreprit l’organisation


d’un nouvel État d’ouvriers et de paysans, lequel fut longtemps un exemple
pour les travailleurs du monde entier.

Le sort des perdants de la guerre

En plus des dédommagements de guerre, les vainqueurs imposèrent de


sévères punitions aux perdants. Ils défirent les anciens empires, modifièrent
arbitrairement leurs frontières, créèrent de nouveaux États, comme s’ils
voulaient préparer un nouveau conflit mondial ! L’Histoire n’a jamais
connu une vengeance pareille !

Quelques chefs d’État naïfs (l’américain Wilson et l’anglais Lloyd)


croyaient sincèrement que de telles décisions mettraient fin aux tensions des
minorités, aux injustices historiques et assureraient une paix définitive en
Europe. En revanche, le français Georges Clémenceau n’agit pas en tant
qu’honnête politicien intègre, mais comme un victorieux chef de guerre
assoiffé de vengeance personnelle, voulant humilier ses adversaires vaincus.
La monarchie d’Autriche-Hongrie cessa d’exister. Ses États membres
furent rattachés à d’autres États ou on créa de nouveaux pays.

Pour garantir la paix en Europe, on instaura la Sociétés des Nations,


servant d’arbitre dans les futurs conflits éventuels.

La République allemande (de Weimar)

Déjà, avant la fin de la guerre mondiale, plusieurs émeutes éclatèrent en


Allemagne, provoquant l’abdication de Guillaume II en octobre 1918,
laquelle fut suivie immédiatement par la proclamation de la république. Les
divers partis se battirent entre eux pour le pouvoir. La gauche se sépara en
plusieurs partis. Début janvier 1919, le parti communiste conduit par Rosa
Luxemburg provoqua une révolution que la milice écrasa. Elle assassina son
leader et désarma la révolution. Aux élections suivantes, le parti socio-
démocrate sortit victorieux devant les socialistes et les communistes. Le
projet de Lénine échoua donc en Allemagne.
Les communistes tentèrent de créer une république des soviets à Munich,
mais ils furent écrasés.

Le 28 juillet 1919, la paix de Versailles signée par les représentants du


nouveau gouvernement allemand fut catastrophique pour les Allemands. Ils
perdirent 15 % de leur territoire, avec les plus riches centres industriels. La
France récupéra l’Alsace et la Lorraine (perdues en 1870). Quelques
territoires occidentaux furent partagés entre la Belgique et le Danemark. La
nouvelle république de Pologne reçut la région de Poznan, la Prusse orientale
et la Haute-Silésie. Les colonies africaines furent partagées entre les Anglais
et les Français.
On interdit à l’Allemagne la fabrication des engins de guerre et son armée
fut limitée. Une zone démilitarisée fut créée le long du Rhin, d’une largeur de
50 kilomètres, occupée par les armées des vainqueurs.
L’Allemagne devait payer 30 millions de dollars d’indemnité à la France.
Même les vainqueurs jugèrent cette somme inacceptable, mais Clémenceau
l’exigea pour punir et humilier l’Allemagne.
Bien entendu, l’Allemagne ruinée fut incapable de payer. En représailles,
la France exigea le paiement en matières premières et envahit la région de la
Ruhr en 1923, déclenchant une crise économique, des agitations permanentes
et des changements de gouvernement fréquents.

La République d’Autriche

Malgré sa responsabilité principale dans le déclenchement de la guerre


mondiale, l’Autriche fut la nation vaincue qui eut le moins à perdre lors de la
paix. Sa monarchie hétérogène éclata, les États membres s’en dégagèrent,
mais cela serait arrivé tôt ou tard. L’Autriche seul ne devint qu’une
principauté de la maison Habsbourg. Elle devint une république homogène,
gardant ses territoires de langue allemande. Une petite partie du Tyrol, de
langue italienne, fut rattachée à l’Italie. L’empereur Charles IV fut exilé en
Suisse par le nouveau gouvernement socialiste.

La République de Hongrie
Incontestablement, la Hongrie fut la plus grande perdante de cette guerre
mondiale, même si elle n’en était nullement responsable. Elle y avait été
entraînée par la monarchie d’Autriche-Hongrie.
Après sa défaite contre l’Italie, en octobre 1918, la monarchie éclata et
cessa d’exister. Ses États membres devinrent des républiques indépendantes.
Ils auraient pu continuer à vivre ensemble, comme durant des siècles dans la
Grande-Hongrie et avoir leur indépendance dans une « fédération des États
du bassin des Carpates ». Cependant, des politiciens haineux poussèrent ces
populations minoritaires à se séparer des Hongrois. Ils exigèrent le découpage
de la Hongrie et la création de nouveaux États autour d’un petit territoire
laissé aux Hongrois.

En Hongrie, sous la présidence de Michel Károlyi, un Conseil d’État


hongrois se forma, dont un membre fanatique assassina le Premier ministre,
István Tisza. Suite aux évènements éclata la « révolution des Roses
d’Automne ». Son nom était dû aux soldats qui, pour manifester contre la
guerre, accrochèrent une rose sur leur képi et défilèrent dans les rues de
Budapest avec des grévistes. À la demande des manifestants, le gouverneur
Joseph Habsbourg, grand duc, nomma Mihály Károlyi Premier ministre. Il
fut appelé comte rouge à cause de ses idées politiques révolutionnaires.
Béla Kun, prisonnier en Russie, revint en Hongrie et organisa le parti
communiste de la Hongrie. Il organisa une révolte contre Michel Károlyi,
qui le fit arrêter et emprisonner. En prison, il organisa la fusion des partis
communiste et social-démocrate.

Le 16 novembre 1918, le Conseil d’État hongrois proclama la


République populaire, dont Michel Károlyi fut nommé provisoirement le
président en janvier 1919. Le gouvernement de Károlyi fit voter plusieurs lois
sociales (droit de vote, assurance maladie, distribution de terres, etc.), mais
négligea la défense des frontières de la Hongrie. Faisant confiance aux
promesses de l’Entente promettant la sécurité, son ministre de la Défense
déclara qu’il ne voulait plus de soldats hongrois et que, dans l’intérêt de la
paix, il dissolvait l’armée.
Le 20 mars 1919, l’Entente autorisa (note Vix) l’entrée de l’armée
roumaine en Hongrie et la formation d’une zone neutre dans le sud du pays,
jugée inacceptable par le gouvernement hongrois. Les partis communiste et
social-démocrate s’unirent et formèrent un nouveau gouvernement appelé
République de Conseil, après un putsch.
Le nouveau gouvernement rencontra une opposition générale dans le pays
à cause de ses cruautés contre la population. Pour maintenir l’ordre, il
instaura une police politique appelée Garde rouge, sous la direction de
Mátyás Rákosi. Ce régime dictatorial qui dura plusieurs mois, jusqu’à la
chute de la République de Conseil, fut appelé Terreur Rouge. Son président,
Béla Kun, envisagea l’instauration d’une zone communiste en Europe
occidentale, avec la participation de l’axe Budapest-Vienne-Prague-Munich.
Par peur de la contagion communiste, l’Entente autorisa préalablement
l’entrée de l’armée roumaine en Hongrie, chargée de bloquer sa propagation.
Or, ce fut le contraire qui se produisit. Ce fut l’occupation roumaine qui
provoqua l’instauration du communisme en Hongrie. La République de
Conseil instaura une Armée rouge chargée d’imposer le communisme aux
pays voisins. Elle eut plusieurs succès contre les Tchèques, mais fut battue
par les Roumains. Béla Kun demanda l’aide des Russes que Lénine,
préoccupé par ses problèmes internes, lui refusa. Les dirigeants du
gouvernement communiste hongrois se réfugièrent en Russie.
L’occupation roumaine fut une véritable catastrophe pour la Hongrie.
Malgré les protestations de l’Entente, les soldats roumains pillèrent et
massacrèrent la population, puis entrèrent à Budapest. Enfin, l’Entente donna
l’ordre de leur évacuation.

Miklós Horthy (*1868, 1920-1944, † 1957), amiral de l’armée impériale,


resta à Szeged (au sud de la Hongrie) avec son Armée nationale après la
signature de la paix. Suite aux atrocités commises par les soldats roumains, il
reçut l’autorisation de l’Entente de se déplacer vers l’ouest et d’entrer à
Budapest. Son but était l’élimination totale du communisme en Hongrie.
Sous prétexte de nettoyer le pays des communistes, dans un premier temps,
ses soldats commirent presque autant d’atrocités et de pillages que leurs
prédécesseurs roumains. La Terreur rouge fut remplacée par la Terreur
blanche.
Le 1er mars 1920, Horthy fut élu gouverneur de Hongrie. Il choisit pour
Premier ministre Pál Teleki.

Dès le début de son règne, il fut contacté par Charles IV (roi de Hongrie
déchu) qui réclama son trône. Après le refus du gouvernement hongrois, il
organisa une petite armée, avec ses anciens fidèles, pour reprendre son trône
par la force, mais face à l’armée d’Horthy, ses soldats renoncèrent à la
bataille et se dispersèrent. Charles IV fut fait prisonnier, puis exilé sur l’île de
Madère.
Horthy renforça son pouvoir, rétablissant l’ordre du pays. La Hongrie resta
un royaume sans roi, dont il fut le régent. Il nomma le comte Gábor Bethlen
nouveau Premier ministre. Le gouvernement de Bethlen accepta « la
déchéance de la maison d’Autriche » et fonda un parti d’unité, lui assurant
une majorité permanente au Parlement. Il changea de système de monnaie,
rendit obligatoire l’assurance maladie et l’assurance retraite et améliora le
système scolaire. Durant son long mandat, il poursuivit une politique de paix,
tout en essayant d’obtenir la révision du traité de Trianon.

Le traité de Trianon (dictat)

Je ne veux pas parler ici de l’injustice dont fut victime la Hongrie, jugée
inexplicable et inacceptable par tous les historiens honnêtes et intègres. Ce fut
une décision volontairement anti hongroise de la part de quelques politiciens
haineux et malhonnêtes, déformant la vérité historique, ethnique et
géographique de la Hongrie. Je veux seulement présenter quelques données
concernant ce dictat.

Les négociations commencèrent début janvier 1920 entre les vainqueurs et


les États intéressés, qui présentèrent des arguments et des données
volontairement erronés, prétendant que sur les territoires revendiqués, il n’y
avait pratiquement pas de Hongrois. Après la décision prise du découpage de
la Hongrie, une délégation hongroise fut convoquée à Trianon, représentée
par les comtes Albert Apponyi, István Bethlen et Pál Teleki, pour
information. La parole fut donnée, toutefois, à Albert Apponyi pour exprimer
son opinion. Ce dernier se contenta de parler des droits historiques et de
l’injustice faite à la Grande-Hongrie, au lieu de présenter des contre-
arguments chiffrés. Il aurait dû énumérer les quelques grandes villes
historiques détachées, où la population hongroise dépassait 70 à 80 % !
Non, le comte Albert Apponyi, blessé, était trop fier pour discuter les
décisions des vainqueurs. Je ne dis pas qu’il aurait pu modifier les décisions
du dictat, mais il aurait pu influencer le comportement de quelques politiciens
honnêtes, mais mal informés.
Le dictat de Trianon enleva les 2/3 de son territoire à la Hongrie et 3,3
millions de Hongrois. Même l’Autriche, responsable du déclenchement de la
guerre, en reçut une petite partie ! La population de la Hongrie découpée
passa de 18,2 à 7,6 millions.
Avec les territoires détachés, l’économie de la Hongrie fut ruinée. Elle
perdit 61 % de ses terres cultivées, 88 % de ses forêts, 56 % de son industrie,
83 % de ses mines de fer et 62 % de son réseau de chemins de fer. Bref, il ne
lui resta rien !

Avec les territoires détachés de la Hongrie, on créa un nouvel État et on en


agrandit deux autres :
• on créa la république tchécoslovaque ;
• la Hongrie méridionale, la Croatie et la Slovénie furent rattachées au
Royaume serbe ;
• La Transylvanie et la Bucovine furent rattachées au royaume roumain.

Comment expliquer l’éclatement brutal de la Hongrie qui,


géographiquement, durant plus de 1 000 ans fut pratiquement le plus stable
royaume d’Europe ?

Carte de la Hongrie découpée


Durant son histoire dans le bassin des Carpates, la Hongrie subit de
nombreuses guerres et invasions, lesquelles avaient considérablement
diminué sa population. Afin de pouvoir rester une grande puissance, elle
accueillit donc sur son territoire des populations étrangères (allemandes,
italiennes, slaves, roumaines), qui disposaient des mêmes droits que les
Hongrois. Certaines furent totalement assimilées, d’autres gardèrent leur
identité ethnique, tout en respectant les traditions de leur nouveau pays.

Les problèmes de ces minorités ethniques devinrent tendus surtout


après la création de la monarchie d’Autriche-Hongrie en 1867, sous la
pression des Tchèques (totalement indépendants des Hongrois !), des
Croates et des Serbes, dont les représentants élus ne bénéficiaient pas de
tous les droits des Autrichiens et des Hongrois.

T. Masaryk et E. Benes, politiciens tchèques, déjà durant leur émigration,


avaient persuadé les politiciens anglais et français de la nécessité de la
création d’une grande République tchèque indépendante, y ajoutant la
Haute-Hongrie, peuplée surtout de Slovaques et d’une petite minorité
hongroise dispersée ! En 1916, deux ans avant l’éclatement de la monarchie,
ils instaurèrent même à Paris, en exil, la République tchèque, dont le
président était T. Masaryk. Ils auraient même proposé d’y rattacher toute la
partie occidentale de la Hongrie, afin d’obtenir une frontière commune avec
« leurs frères serbes » !

Les représentants du royaume roumain déclarèrent à l’Entente que les


territoires du Sud-Est et de l’Est de la Hongrie étaient habités par des
Transylvaniens (qui ne sont pas des Hongrois !) et par des Roumains et qu’il
y avait très peu de Hongrois. Ils revendiquèrent donc pour leur royaume tous
les territoires hongrois jusqu’à la rivière Tisza.

Le royaume serbe, suivant l’exemple des Roumains et des Tchèques,


revendiqua le Sud de la Hongrie.

J’ai essayé de présenter objectivement la situation de la Hongrie avant et


après le dictat de Trianon. Les vainqueurs ne prirent en compte que les
arguments des bénéficiaires, assoiffés de vengeance. Je ne veux juger
personne. Chacun avait ses raisons et les vaincus ne pouvaient avoir que du
tort. Je pense cependant qu’avec des politiciens hongrois plus habiles, le mal
aurait pu peut-être être limité. Je ne cite que deux cas pour expliquer mon
raisonnement.

Après la guerre, le comte Michel Károlyi, naïf politicien de gauche, fit


désarmer complètement l’armée hongroise afin de prouver sa politique
pacifiste. Or, en disposant d’une armée encore puissante en Hongrie, il aurait
pu négocier une paix plus équitable et proposer la création d’une fédération
pour les peuples du bassin des Carpates, sans être mis devant les faits
accomplis et sans laisser envahir son pays par les Roumains.
La Turquie, pourtant plus faible que la Hongrie, dans la même situation de
perdant, mais avec la présence de son armée, se permit de refuser le dictat de
Trianon et garda la plupart de ses frontières !

Le comte Albert Apponyi aurait pu prouver, chiffres à l’appui,


l’inexactitude des arguments présentés par les représentants des États
intéressés et limiter, peut-être, le découpage catastrophique de la Hongrie.

Quelques dizaines d’années plus tard, ces nouveaux États artificiels


éclatèrent de leur propre volonté (la « grande Roumanie » exceptée où,
cependant, les « Transylvaniens » revendiquent toujours leur identité
hongroise !) et se disputèrent entre eux, en accusant encore les
Hongrois !

LES TEMPS D’APRÈS-GUERRE

Cette longue guerre changea complètement les conditions de vie dans le


monde entier. Aussi bien les vainqueurs que les vaincus en sortirent épuisés
et appauvris. Il fallut des années pour retrouver progressivement le niveau de
vie d’avant la guerre. Les vainqueurs conservèrent leurs structures sociales et
élargirent leur territoire. Les royaumes serbe et roumain, peu victorieux en
guerre, avec leur politique habile, doublèrent carrément la superficie de leur
territoire au détriment des vaincus.
Les vaincus, responsables ou non, perdirent tout. Les trois grands empires
disparurent avec leurs monarques. De nouveaux États républicains naquirent
à leur place, avec de nouvelles structures politiques et sociales. La Russie
subit le plus grand changement, où la dictature du tsar fut remplacée par la
dictature prolétarienne.

La fondation de l’Union soviétique

En Russie, la révolution l’emporta et le parti communiste prit le pouvoir.


Sous la direction de Lénine, une nouvelle forme d’État naquit, dans laquelle
le peuple avait le pouvoir. En 1922, le nouvel État prit le nom d’Union
soviétique. Les paysans reçurent des terres et les ouvriers dirigèrent leurs
usines. Sur papier, tout était parfait, et la classe ouvrière du monde entier était
en admiration devant cet exemple formidable. Cette admiration générale
donna satisfaction à Lénine et à Trotski dont l’objectif était la généralisation
du communisme dans le monde entier. Leur slogan, « prolétaires du monde
unissez-vous », devint le rêve des communistes.

Malheureusement, la réalité fut tout à fait différente.


La guerre civile, la mauvaise gestion et la lutte pour le pouvoir épuisèrent
la Russie. Les paysans et ouvriers affamés se révoltèrent contre le pouvoir.
Les émeutes furent noyées dans le sang. Les meneurs furent exécutés ou
exilés en Sibérie. En peu de temps, le pouvoir des soviets devint une dictature
sanglante. On peut signaler que lors de l’instauration du nouveau régime, il
était question d’abolir la peine de mort, mais Lénine s’y opposa, sachant
qu’elle était indispensable pour assurer son pouvoir. Cependant, Lénine ne
put pas terminer la consolidation de son régime, étant décédé en 1924.

Staline (Joseph Vissarionovitch Djougachvili, *1879, 1924-1953) sortit


vainqueur de la lutte pour le pouvoir après la mort de Lénine, malgré la
grande popularité de Trotski. Durant la révolution, son rôle était limité à
l’organisation de la presse et de la propagande du parti bolchévique, dont il
devint le secrétaire général en 1922. Contrairement à Lénine, le « prolétariat
mondial » le laissa indifférent. Son objectif principal fut la consolidation de
son pouvoir absolu en Union soviétique. Cependant, il exigea que les partis
communistes du monde entier le reconnaissent comme chef suprême et qu’ils
obéissent aveuglement aux directives du parti communiste soviétique. Les
hésitants devaient être expulsés du parti. Personne ne pouvait avoir d’autres
pensées que celles du parti communiste soviétique.
En contrepartie, il finançait les partis communistes obéissants. Afin de
gouverner seul, il élimina progressivement du gouvernement soviétique tous
les « grands de la révolution ».
Il exila Trotski, la plus grande personnalité de la révolution, puis le fit
assassiner au Mexique. Il mena une politique de terreur, avec plusieurs
millions de victimes, dès les premières années de son règne. Tout le monde le
craignit, mais beaucoup le vénérèrent comme un dieu.

Les évènements politiques des années d’après-guerre

La victoire du communisme en Russie eut beaucoup d’effet dans les pays


européens, surtout à cause de leur mauvaise situation économique, touchant
particulièrement les pauvres. La classe ouvrière et les intellectuels prirent
pour exemple à suivre l’Union soviétique. Cependant, le parti communiste ne
prit le pouvoir qu’en Hongrie, pendant quelques mois. Dans les autres pays, il
ne resta qu’un parti d’opposition.
Dans les pays occidentaux, l’opposition du parti communiste perturba
considérablement l’ordre, mais la plupart de leurs gouvernements étant
démocratiques, on ne put y utiliser la force contre les agitateurs communistes.

Après la stabilisation du régime communiste, l’Allemagne en 1922, puis


l’Angleterre et la France en 1924 reconnurent officiellement l’Union
soviétique.

En France, la majorité des écrivains et des ouvriers suivirent avec


beaucoup d’intérêt les évènements russes. En 1920, de nombreux membres
du parti de gauche quittèrent la SFIO pour créer un parti communiste
français, le PCF. Cette séparation affaiblit considérablement l’unité et la
force de la gauche, et mit fin aux agitations et grèves ouvrières quotidiennes,
dues à l’inflation et aux difficultés de la vie après la guerre. Comme Staline
imposait une obéissance totale aux communistes, incompatible avec l’esprit
français, le PCF perdit les trois quarts de ses membres au bout de 4 ans !

En Allemagne, les difficultés furent encore plus graves à cause des


lourdes indemnités de guerre, lesquelles s’ajoutèrent à la crise économique
générale. La nouvelle république ne put se maintenir qu’avec les
interventions systématiques de la police contre les agitations. En 1920, Adolf
Hitler fonda le Parti national socialiste. Il rendit responsable les juifs de la
crise économique et les partis de gauche, notamment les communistes, de la
défaite de l’Allemagne, disant qu’avec « leur révolution, ils tirèrent dans le
dos de soldats allemands » sur le front. En 1923, il organisa un putsch avorté
contre le gouvernement. Il fut emprisonné, mais libéré rapidement. Il écrivit
en prison son célèbre livre, Mein Kampf, qui fonda plus tard la doctrine
raciste du fascisme. Les années suivantes, il réorganisa son parti et prépara la
prise du pouvoir.
En 1924, le vieux général Hindenburg fut élu président de la République. Il
réorganisa le pays et relança son économie.

En Italie, plusieurs partis furent créés, socialiste, communiste, anarchiste,


etc., et surtout le mouvement fasciste de Benito Mussolini, lequel, avec son
programme louant l’ancienne grandeur de Rome, attira beaucoup de
sympathisants. Afin de freiner les agitations quotidiennes, le roi d’Italie,
Victor Emmanuel III, nomma le populaire Mussolini Premier ministre en
1922, qui avec sa garde de chemises noires, terrorisa l’opposition de
gauche, surtout les communistes. En 1925, il dissolut le Parlement, prit le
pouvoir et instaura la dictature. Il dirigea tout, y compris la presse et
l’éducation nationale. Il réorganisa la police et instaura l’internement contre
les opposants violents. Comme l’armée restait fidèle au roi, il s’attribua son
commandement. Afin d’attirer la sympathie des Italiens très croyants, il
rendit la religion catholique, religion d’État. En 1929, il instaura l’État du
Vatican indépendant au cœur de Rome et dédommagea l’Église catholique
appauvrie.

La Turquie, bien que perdante et faible, refusa le dictat de l’Entente


concernant les frontières de son territoire. Elle ne désarma pas et opposa son
armée, dirigée par Mustafa Kemal, à celle de l’Entente qui se retira sans
combat ! On instaura le Parlement national turc, que le sultan refusa de
reconnaître. En 1922, le Parlement d’Ankara dissolut le sultanat et proclama
la République turque, dont Mustafa Kemal devint le président à vie
(† 1938). Grâce à sa popularité immense, Mustafa Kemal modernisa en
quelques années la Turquie moyenâgeuse. La nouvelle constitution laïcisa le
pays, émancipa les femmes, rendit obligatoires l’enseignement, l’écriture
latine, l’horaire européen et le système métrique.
Ankara devint la nouvelle capitale de la Turquie. On pourrait dire qu’en
perdant la guerre, la Turquie réussit à transformer l’Empire ottoman en ruine
en une nouvelle république moderne.

La Chine doit être aussi citée. Même si elle ne participa pas à la guerre
mondiale, ses conséquences la touchèrent. En 1912, après la chute de
l’Empire de Chine, on proclama la République chinoise. Sun Yat-sen fonda
le parti national populaire, le Koumintang. Durant les premières années, la
Chine fut partagée entre les « seigneurs de guerre ». En 1921, Sun Yat-sen
créa un gouvernement à Canton. Il fit alliance avec Mao Tsé-toung,
fondateur du parti communiste chinois et accepta l’aide matérielle de l’Union
soviétique. Après le mort de Sun Yat-sen, en 1925, Tchang Kaï-chek prit le
pouvoir. Son armée prit le Nord de la Chine. En 1927, il rompit l’alliance
avec les communistes et les chassa des territoires de son gouvernement.
Mao Tsé-toung voulut instaurer un régime communiste en Chine avec la
participation des paysans. Son armée, battue par l’armée gouvernementale de
Tchang Kaï-chek, se réfugia dans les montagnes de Jiangxi, où Mao Tsé-
toung réorganisa son parti communiste. Comme il voulait rester indépendant
de l’Union soviétique, Staline cessa de l’aider.

Sciences et technologie

La guerre freina le développement des sciences et de la technologie, car


tous les efforts humains et financiers lui furent consacrés en priorité. Seules
les techniques utiles à l’armement avancèrent, telles que l’aviation (qui
n’était qu’une curiosité avant la guerre), les sous-marins, la
télécommunication et la modernisation de l’automobile.

Après la guerre, il fallait transformer ou fermer les usines d’armement et


donner du travail aux soldats revenus de la guerre. Même si la reconstruction
nécessitait beaucoup de main-d’œuvre, beaucoup de gens restèrent sans
travail et vécurent dans la misère.

La radio se développa et se vulgarisa très vite. En quelques années, elle


devint l’objet usuel de la plupart des familles. On découvrit aussi la
télévision, mais il fallait encore attendre plusieurs dizaines d’années pour sa
diffusion générale. Le téléphone devint aussi un outil répandu.
Le cinéma eut un énorme succès, mais resta « muet » jusqu’à la fin des
années 1920.

L’aviation se développa très vite, après ses débuts durant la guerre. Dès la
fin de la guerre, on ouvrit des lignes régulières pour transporter de 10 à 20
personnes par avion, sur des trajets de quelques centaines de kilomètres. En
1927, Charles Lindbergh traversa l’océan Atlantique et arriva de l’Amérique
à Paris en 33 heures, prouvant la possibilité des vols à grande distance. Après
cette performance, le courrier postal par avion se développa très vite.
En 1928, on relia Paris à New York par câble téléphonique.

Les découvertes scientifiques firent aussi un grand pas. Comme je n’en


parlais pas encore, je présente ici quelques noms de savants ayant obtenu le
prix Nobel avec leurs travaux, sachant que je ne peux pas les énumérer tous.

Découvertes en physique : l’examen radiographique par C. Röntgen,


portant son nom ; la radioactivité par H. Becquerel, M. et P. Curie ; la
télégraphie sans fil par G. Marconi ; la théorie quantique de M. Planck ; la
théorie de la relativité d’A. Einstein ; la structure atomique de N. Bohr ; la
diffusion de la lumière par V. Raman, etc.

Découvertes en chimie : l’osmose par H. Van’t Hoff ; la dissociation


électrolytique par S. Arrhenius ; les pigments synthétiques d’A. Von Bayer ;
la chimie de la radioactivité d’E. Rutherford ; le réactif chimique de V.
Grignard, portant son nom ; la méthode d’hydrogénation de P. Sabatier ; les
liaisons moléculaires d’A. Werner ; la synthèse de l’ammoniac par F. Haber ;
les solutions colloïdales de R. A. Zsigmondy, etc.

Découvertes en médecine : la malaria, par R. Ross ; la tuberculose, par R.


Koch ; la thyroïde par E. Th. Kocher ; la biologie cellulaire d’A. Kossel ; la
transplantation par A. Carrel ; l’appareil auditif de R. Bárány ; le système
immunologique par J. Bordet ; le métabolisme musculaire par A. V. Hill et
O. F. Meherhof ; l’insuline par F. G. Banting et J. J. R. Macleod ;
l’électrocardiographie de W. Einthoven ; le typhus par Ch. J. H. Nicolle, etc.
Arts et littérature

La musique légère des années de 1920 arriva des États-Unis, insouciants,


moins touchés par la guerre que l’Europe.
Le jazz naquit aux États-Unis, dans les quartiers noirs et pauvres de la
Nouvelle-Orléans. Avec ses deux variantes, « hot » (vif) et « blues » (lent),
cette nouvelle musique très rythmée conquit rapidement toutes les
générations de mélomanes et fit oublier les malheurs de la guerre. Au début,
il n’y avait que des musiciens noirs, inventeurs de ces nouveaux rythmes, qui
le pratiquaient, puisqu’« il était dans leur sang ». Les plus célèbres, King
Oliver, Sidney Bechet, Duke Ellington, furent de véritables stars
mondialement connues. Son développement rapide fut facilité par la radio et
les disques à microsillons. Très rapidement, les musiciens blancs l’adoptèrent
également et le jouèrent avec presque autant de vivacité. Il faut citer le nom
de Georges Gershwin, musicien classique, qui fut très influencé par le jazz.

Malgré les difficultés économiques d’après-guerre, Paris devint le centre


des arts et de la culture, étape obligatoire de la célébrité. Les artistes se
retrouvèrent, surtout dans les cafés des quartiers de Montmartre, pour
discuter des derniers évènements et pour échanger leurs idées. Les peintres et
sculpteurs modernes de l’époque, cubistes, dadaïstes, surréalistes y vécurent
et travaillèrent. La plupart de ces artistes devinrent mondialement connus,
pour ne citer que les plus célèbres, tels que les peintres Chagall, Modigliani,
Picasso, Dalí, Miró, Léger et les sculpteurs Brancusi, Boucher, Zadkine.
Il faut citer aussi les poètes et écrivains modernes, tels que Tzara, Baron,
Vitrac, Éluard, Desnos, Aragon, qui firent quelques essais de littérature
moderne, tout en restant classiques.

Les films muets américains, « fabriqués en série », éblouirent le public.


Parmi les plus célèbres acteurs et actrices de l’époque, on peut citer Charlie
Chaplin, Harold Lloyd, Buster Keaton, Rudolph Valentino, Dorothy et Lillian
Gish, Gloria Svanson et Clara Bow. En 1927, arrivèrent les films sonores,
mettant fin à la carrière de nombreux acteurs et actrices à cause de leur voix
ou de leur accent incompatibles avec leur physique.

De nouveaux chanteurs se firent connaître dans les revues et le music-hall


parisien. La plus célèbre, la chanteuse noire américaine Joséphine Baker, eut
un succès fou, non seulement par ses chansons, mais surtout à cause de sa
nudité sur scène, jusqu’alors impensable.
Parmi les interprètes français célèbres de l’époque, on peut citer
Mistinguett, Yvon George, Lucienne Boyer, Maurice Chevalier et Fernandel.
Ce dernier devint par la suite un acteur de cinéma très célèbre.

LES ANNÉES 1930

Après une dizaine d’années d’insouciance, la situation mondiale devint


compliquée. Les nouvelles structures d’États se stabilisèrent. Le
communisme se propagea. Il devint une véritable religion. Les partis
communistes d’Europe occidentale observèrent avec admiration l’Union
soviétique et déifièrent Staline, qui devint le symbole des mouvements
ouvriers et de la liberté. De nombreux artistes éblouis par l’Union soviétique
exclurent de leurs groupes ceux qui se permettaient de mettre en doute leur
croyance. Des erreurs incontestables furent admises dans l’intérêt du bonheur
du futur. Il fallait bien sacrifier une ou deux générations pour la victoire
finale !

La dictature prolétarienne de l’Union soviétique

À la fin des années 1920, Staline devint le seul chef de l’Union Soviétique.
Il élimina ses adversaires et même les fidèles communistes, fondateurs du
régime, en les faisant exécuter ou exiler en Sibérie.
Les quelques « rescapés », restant dans son entourage, le craignirent, lui
obéirent aveuglément et pratiquèrent un culte de la personnalité démesuré
pour le flatter. Les artistes ne louèrent que la grandeur de Staline. Malgré sa
popularité, il souffrait de paranoïa aiguë. Il n’avait confiance en personne et
imaginait des ennemis partout. Entre 1937 et 1939, il fit exécuter près de
700 000 personnalités importantes, parmi lesquelles le chef d’état-major de
l’Armée rouge, accusé de haute trahison par ses espions, désinformés par
l’entourage d’Hitler !
Le gouvernement était dirigé par le parti communiste, c’est-à-dire par son
chef, Staline, qui ne pouvait jamais se tromper. Staline dirigea également les
partis communistes des pays étrangers, lesquels devaient suivre la voie
définie par lui. En Union soviétique, il n’existait que le parti communiste,
lequel fut toujours réélu avec la totalité des voix des électeurs !
Dès le début des années 1930, Staline mit fin au secteur privé, instaura le
plan quinquennal et imposa aux paysans la collectivisation des terres. Il
définit même la quantité de production à livrer à l’État, sans tenir compte des
résultats des récoltes. Les paysans moururent de faim par millions durant des
années car, souvent, ils ne pouvaient même pas garder le grain nécessaire à la
semence !
Le peuple souffrit beaucoup, mais l’Union soviétique, très riche en
minerais et en matières premières, se transforma et s’industrialisa. De
nouvelles villes naquirent partout, avec des usines et des centrales
énergétiques. Cependant, la population ne put pas profiter de l’essor
industriel à cause des abus du pouvoir centralisé et de la mauvaise gestion.
Elle vivait dans la misère et dans la terreur.

Les guerres internes en Chine

La situation en Chine fut très compliquée, car une grande partie du pays
était entre les mains de « seigneurs de guerre ». En 1932, le Japon annexa la
Mandchourie.
Tchang Kaï-chek occupait de plus en plus de territoires et reprit la guerre
contre les communistes, retirés au Sud, dans un État de conseils, sous la
direction de Mao Tsé-toung. Il les encercla, mais les communistes réussirent
à se dégager et fuirent vers l’est. Guidés par Mao Tsé-toung et par Chou En-
Laï, plus de 10 000 Chinois entamèrent la célèbre Longue Marche de 9 000
kilomètres à travers la Chine. Des milliers moururent lors des combats et par
épuisement, mais de nouveaux paysans les rejoignirent. Après une année de
marche, ils arrivèrent au nord, dans la région du Shanxi.
En 1937, le Japon attaqua la Chine à nouveau. Pour faire face, la
Koumintang fit alliance avec les communistes.

LA GRANDE CRISE ÉCONOMIQUE ET SES CONSÉQUENCES

Après la guerre mondiale, l’économie et l’industrie des États-Unis se


développèrent très rapidement. Dans un premier temps, la population profita
de cet essor pour améliorer son niveau de vie. La mécanisation augmenta la
production, entraînant la baisse des prix et rendant accessibles tous les
produits, même pour les gens pauvres, encouragés par l’achat à crédit. On
pouvait acheter tout à crédit, y compris les actions.
La mécanisation de l’agriculture baissa également le prix des produits
alimentaires. Les petits agriculteurs non mécanisés ne pouvant pas suivre la
baisse des prix, se ruinèrent, vendirent leurs terres et fuirent vers les grandes
villes industrialisées, où ils pouvaient encore trouver du travail dans les
usines. Cependant, avec la mécanisation des usines, on avait de moins en
moins besoin de main-d’œuvre. Beaucoup d’ouvriers se trouvèrent sans
travail et obligatoirement, ils consommèrent moins. Dans un premier temps,
la surproduction fut exportée vers l’Europe, qui ne sortait pas encore de la
crise générale d’après-guerre. Toutefois, ce marché n’était pas illimité, à
cause de la pauvreté des États européens sortant de la guerre.
Après plusieurs années d’essor, la crise toucha aussi les États-Unis, à cause
de l’appauvrissement de la population. Les deux activités principales,
l’automobile et la construction, furent sévèrement touchées par la pauvreté.
Les gens pauvres ne pouvaient plus accéder à la construction et encore moins
aux automobiles. Ils étaient endettés et souvent, sans travail, ils ne pouvaient
pas rembourser leurs dettes. L’industrie de l’automobile et la construction,
encouragées par l’essor des années précédentes, avaient surinvesti avec l’aide
des emprunts, qu’elles avaient beaucoup de difficultés à rembourser.

Il fallait diminuer la production et licencier les ouvriers. Beaucoup


d’entreprises déposèrent le bilan et fermèrent les usines. Ni les entreprises, ni
les emprunteurs privés n’arrivaient plus à rembourser leurs dettes. Les
banques se trouvèrent sans argent. Les investisseurs affolés bradèrent leurs
actions, qui ne leur rapportaient plus rien. Le 29 octobre 1929 fut le « jeudi
noir ». Le système bancaire fit faillite. Entre 1929 et 1932, le nombre des
chômeurs passa de 3 à 13 millions. Beaucoup de banquiers et d’investisseurs
perdirent toute leur fortune. Beaucoup se suicidèrent.
Aux élections de 1932, le démocrate Franklin Roosevelt fut élu président
des États-Unis. Il fit voter des lois sociales et, en plusieurs années, il sortit les
États-Unis de cette crise mémorielle.

L’Europe durant la crise économique


En Europe, pauvre, déjà ruinée par la guerre, la crise économique arriva un
peu plus tard qu’aux États-Unis puisqu’il n’y avait pas encore de
surproduction. La pauvreté et le chômage furent cependant importants, à
cause du protectionnisme américain et du développement lent de l’économie.

L’Angleterre instaura un système de douane efficace et dévalua sa


monnaie afin d’augmenter ses exportations et de limiter les importations. De
plus, ses nombreuses colonies lui assurèrent un marché très vaste. Avec son
système politique royaliste, relativement stable, elle fut donc moins touchée
par la crise économique que les autres États européens.

La France, malgré ses colonies, supporta mal la crise. Dans un premier


temps, son gouvernement ne voulait pas dévaluer le franc et il était incapable
de relancer la consommation. Le chômage et la pauvreté provoquèrent des
grèves quotidiennes. L’extrême droite organisa des contre-manifestations,
maintenant une tension permanente.
Inspirés par l’exemple allemand, les partis de gauche s’unirent et créèrent
le Front populaire, lequel prit le pouvoir après les élections de 1936. Il faut
signaler que le Parti communiste français n’entra au Front populaire qu’après
l’autorisation de Staline, qui craignait un pouvoir de droite en France.
Le nouveau gouvernement de gauche unie, mené par Léon Blum, sous la
pression des syndicats, vota de nouvelles lois sociales, notamment les 40
heures de travail hebdomadaire, les 15 jours de congés payés et la scolarité
obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans. Malgré ces réformes, les grèves
continuèrent pour exiger des augmentations salariales, pratiquement
impossibles en pleine période de crise. Ce fut une charge insupportable pour
le pays. Enfin, le gouvernement dévalua le franc, mais c’était encore
insuffisant. De plus, la gauche attaqua ouvertement Léon Blum qui ne voulait
pas aider militairement les républicains durant la guerre civile en Espagne.
Au bout d’un an de pouvoir, le gouvernement de gauche démissionna. Le
républicain Édouard Daladier devint le nouveau chef du gouvernement.

En Hongrie la crise fut extrêmement grave, puisque le dictat de Trianon


privait le nouveau petit pays non seulement de son agriculture, de son
industrie, mais aussi de toutes ses matières premières. Malgré la politique
habile du Premier ministre Bethlen, la situation devint catastrophique. Le
pays, réduit à l’agriculture, vivait dans la misère à cause du féodalisme
archaïque, où toutes les terres appartenaient à la noblesse. Malgré les lois
sociales, les « sans rien » vivaient dans la misère, lorsque les grands
propriétaires gaspillaient sans souci leur fortune, négligeant les réformes
indispensables. Bethlen démissionna et fut remplacé par Gyula Gömbös,
chef du parti « protecteur de la race », qui prit pour exemple l’Allemagne
d’Hitler et l’Italie de Mussolini pour sortir de la crise. Il prit donc contact
avec ces deux chefs d’État pour organiser un régime totalitaire en Hongrie,
comme en Allemagne et en Italie. Son projet échoua à cause de son décès
survenu en 1936 et à cause de l’opposition des partis conservateurs.
Cependant, ses idées furent reprises par son successeur, Béla Imrédy, qui
espérait la révision du traité de Trianon avec l’aide d’Hitler et de Mussolini.
Horthy ne s’y opposa pas et, en conséquence, la petite Hongrie mutilée en
1920 par le traité de Trianon, obtint la restitution de la Haute-Hongrie, d’une
partie de la Transylvanie et du Sud de la Hongrie.

La dictature de l’Allemagne nazie

La situation économique de l’Allemagne vaincue et pillée était déjà


catastrophique après la guerre. La crise mondiale ne fit qu’aggraver sa
situation. Les nombreux partis extrémistes se battirent entre eux pour le
pouvoir, mais aucun ne fut capable de redresser la situation. Aux élections de
1930, le parti national-socialiste d’Hitler arriva en deuxième position,
contre toute attente. Aux élections présidentielles de 1932, le vieux général
Hindenburg fut réélu devant Hitler. Son gouvernement, incapable de
redresser la situation, démissionna. En 1933, Hindenburg nomma Hitler
chancelier, espérant apaiser son ambition et freiner sa politique extrémiste.
Mais il ne connaissait pas Hitler !

Adolf Hitler (*1889, 1933-1945), chancelier, aidé par les industriels, par
les intellectuels de droite et par une grande partie de la classe ouvrière,
lesquels ne voyaient que l’aspect positif de sa politique, transforma la
République allemande en dictature despotique, dès sa prise de pouvoir. Il
suspendit le paiement des indemnités de guerre, supprima le chômage et
relança l’économie en diminuant les salaires. Il réprima toute opposition
idéologique et politique. Afin d’interdire le parti communiste, il fit mettre le
feu au Reichstag et en accusa les communistes. Il les fit arrêter, les
emprisonna ou les expulsa de l’Allemagne. Les membres des autres partis
d’opposition subirent le même sort.
Après la mort d’Hindenburg en 1934, à la place des élections
présidentielles, il instaura le IIIe Reich, dont il devint le seul dirigeant, sous
le nom de chef et chancelier national, regroupant tous les pouvoirs.
Cette même année, il débarrassa son propre parti de ses éléments moins
fidèles et réfractaires.
Au cours de la Nuit des longs couteaux, il fit arrêter les membres de sa
première milice, les SA, et fit exécuter ses chefs.
En 1935, il proclama la révision de la paix de Versailles. Il rendit
obligatoire le service militaire et relança l’économie de l’Allemagne avec les
industries aéronautique et navale. Cette même année, il déchut tous les juifs
de leur nationalité allemande. Il leur était interdit de voyager et d’exercer des
fonctions publiques. Ils devaient porter une étoile jaune et subir des vexations
quotidiennes. Le drapeau à croix gammée devint le nouveau drapeau de
l’Allemagne.
En 1935, après référendum, la région de la Sarre rejoignit la nouvelle
Allemagne, renforçant considérablement son industrie. L’année suivante,
l’armée allemande occupa la zone démilitarisée du Rhin. Comme les
puissances occidentales ne se manifestaient pas, au printemps 1938, l’armée
allemande entra en Autriche et Hitler proclama l’unification des deux pays
dans le cadre de l’Anschluss. Cette même année, à la conférence de Munich,
Hitler réclama l’annexion des Sudètes à l’Allemagne. Dans l’intérêt de la
paix, l’Anglais Neville Chamberlain et le Français Édouard Daladier
acceptèrent cette nouvelle exigence.
En 1939, les Allemands occupèrent la Tchécoslovaquie, puis la Pologne.
Hitler, sachant que ces nouvelles invasions ne pourraient être acceptées par
les puissances occidentales, conclut une alliance de non-agression avec
l’Union soviétique afin d’assurer ses frontières orientales en cas de guerre
avec l’Occident.

L’Italie fasciste

Benito Mussolini, au pouvoir depuis 1925, se méfiait du racisme d’Hitler,


mais il était d’accord avec sa politique nationaliste et expansionniste. Il avait
plutôt intérêt de se placer à côté que contre Hitler, d’autant plus que leurs
programmes étaient très proches. Dans l’intérêt de la dictature, il fallait
écraser toute résistance et dans ce domaine, Mussolini avait plusieurs années
d’avance et d’expérience sur Hitler. Depuis les années 1920, il internait les
opposants de son régime et interdisait la liberté de la presse. Cependant,
contrairement à Hitler, il ne faisait pas exécuter ses opposants, mais les
humiliait.
Il relança l’économie de l’Italie et aida les paysans. Dans l’ensemble, le
peule le soutint. L’alliance entre les deux dictateurs facilita les exigences
territoriales de Mussolini. Lorsqu’il envahit l’Éthiopie, il avait besoin du
soutien d’Hitler contre l’Angleterre et la France. En 1936, l’Allemagne
reconnut l’Empire d’Afrique orientale italien. Cette même année,
Mussolini proclama la création de l’Axe Berlin-Rome. Durant la guerre
civile espagnole avec Hitler, il soutint matériellement et militairement
Franco. Ce fut une excellente occasion pour les deux dictateurs de tester leur
nouveau matériel militaire, avant la future guerre mondiale.
En 1938, il soutint les exigences d’Hitler à la conférence de Munich,
contre l’Angleterre et la France.

La guerre civile en Espagne

En 1931, le royaume d’Espagne affaibli fut remplacé par la République


d’Espagne. Aux élections de 1936, la coalition de gauche prit le pouvoir et
entreprit la politique de collectivisation de l’Union soviétique. Cette nouvelle
politique répartit la population en deux camps opposés. Les socialistes, les
communistes, les syndicats et les anarchistes étaient pour, alors que l’Église
catholique, les artisans, la bourgeoisie, les industriels et les propriétaires
terriens s’y opposèrent. Profitant de la tension, Francisco Franco organisa un
putsch militaire pour renverser la république. Pour se défendre, les
républicains distribuèrent des armes à la population de gauche. Une guerre
civile cruelle de plusieurs années, transformée en guerre idéologique, éclata
entre les deux camps.
Sous la direction de l’Union soviétique, le Komintern (l’Internationale
communiste) organisa dans les pays occidentaux des Brigades
internationales armées par Staline, parmi la population ouvrière et les
intellectuels de gauche, pour soutenir militairement les républicains contre
Franco et surtout, pour répandre le communisme en Occident. Staline avait
bien calculé, puisque la plupart des intellectuels, artistes et écrivains
occidentaux soutinrent, au moins moralement, la république et devinrent les
sympathisants de l’Union soviétique. Beaucoup parmi eux, surtout des
écrivains, participèrent physiquement à la guerre.
On peut noter que les volontaires russes ayant participé à la guerre
d’Espagne, à leur retour en Union soviétique, furent exilés, car Staline estima
qu’après les contacts avec les intellectuels étrangers, ils devaient être
« contaminés » par la vie occidentale !
La France et l’Angleterre n’intervinrent pas dans cette guerre, de peur de
son élargissement aux pays voisins. Cette prudence provoqua la chute du
gouvernement de gauche en France.
Hitler et Mussolini livrèrent des armes modernes à Franco et testèrent leurs
nouveaux chars et avions en Espagne, entraînant la destruction totale de
plusieurs grandes villes. On peut dire que la guerre d’Espagne fut l’essai
grandeur nature de la Deuxième Guerre mondiale.
Après trois années de lutte déchaînée provoquant des centaines de milliers
de victimes, la guerre se termina avec la victoire de Franco qui institua une
dictature totalitaire, en persécutant les républicains. Durant des dizaines
d’années de pouvoir franquiste, la haine persista entre les ex membres des
deux camps et des dizaines de milliers d’Espagnols fuirent leur pays.

LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

Profitant de la faiblesse pacifiste des grandes puissances occidentales, en


1938, Hitler envahit la Tchécoslovaquie, puis l’Autriche, son alliée officielle.
Cette dernière ovationna le défilé de l’armée allemande à Vienne, d’autant
plus qu’Hitler était autrichien de naissance.

En 1939, Hitler conclut une alliance de non-agression avec l’Union


soviétique afin de pouvoir déplacer son armée vers ses frontières occidentales
en toute tranquillité, en vue d’une guerre éclair. Auparavant, il envahit la
Pologne qu’il partagea ensuite avec les Russes. Encouragé par la paix signée
avec Hitler, Staline annexa les pays baltiques et la Bessarabie, et attaqua la
Finlande, laquelle résista héroïquement.
Les grandes puissances occidentales ne pouvaient pas fermer les yeux
devant l’invasion de la Pologne par Hitler. Elles déclarèrent la guerre à
l’Allemagne, sans toutefois l’attaquer.
En 1940, l’armée française, installée derrière « l’imprenable ligne
Maginot », attendit tranquillement, en vain, l’arrivée de l’armée allemande,
laquelle contourna le front français et entra en France, pratiquement sans
résistance, par la Belgique. Le 14 juin 1940, l’armée allemande entra dans
Paris, sans résistance. Les Anglais venus au secours de la France
débarquèrent sur le continent, mais sans l’aide de l’armée française décapitée,
ils furent repoussés par les Allemands. Le vieux maréchal Pétain signa la
paix avec Hitler qui laissa libre le Sud de la France, en exigeant en
contrepartie la collaboration des Français.

Le général de Gaulle se réfugia en Angleterre d’où, par l’appel


radiophonique du 18 juin, il déclara que la France avait perdu une bataille,
mais pas la guerre. Il fit appel aux Français pour résister ou rejoindre son
« armée » en Angleterre.
Ayant envahi la totalité de l’Europe occidentale, Hitler proposa aux
Anglais de signer la paix afin qu’il pût continuer, sans contrainte, son
expansion au-delà des mers. Le Premier ministre anglais Winston Churchill
ayant refusé la paix, l’aviation allemande bombarda l’Angleterre durant un
an, mais sans succès. Comme l’Angleterre ne présentait aucun danger, Hitler
cessa les bombardements coûteux. La première partie de la guerre éclair se
terminait avec succès.
Le Japon, ayant prévu d’annexer les colonies orientales anglaises, fit
alliance avec l’Allemagne et l’Italie contre l’Angleterre.

En 1941, Hitler engagea sa guerre au sud et à l’est. Auparavant, il alla au


secours de Mussolini en Afrique, puis dans les Balkans, contre la Grèce, à
travers la Serbie. Pour cette dernière, il exigea l’aide de la Hongrie qu’il
devait traverser. Ayant bénéficié de l’aide allemande pour la révision du traité
de Trianon, la Hongrie dut accorder sa collaboration militaire à Hitler.
L’armée hongroise participa donc à la guerre des Balkans, puis en juin 1941,
elle attaqua au sud, l’Union soviétique avec les Allemands. Sur les autres
fronts russes, l’armée allemande avança irrésistiblement. Elle occupa les pays
baltiques, puis à la fin de l’année, elle assiégea Leningrad et Moscou. À
l’ouest, Hitler bombardait l’Angleterre.

Le Japon entreprit l’annexion de l’Asie orientale et des îles de l’océan


Pacifique sous domination anglaise. L’Angleterre fit alliance avec les États-
Unis, possédant des bases militaires sur ces îles. Le 7 décembre 1941, sans
déclaration préalable de guerre, les bombardiers japonais détruisirent Pearl
Harbor, la plus importante des bases américaines, obligeant les États-Unis à
entrer en guerre.

L’année 1942 fut le tournant de la guerre. La défaite des Allemands à


Moscou et la résistance héroïque de Leningrad mirent fin à la guerre éclair.
Cependant, malgré ces deux échecs, l’armée allemande poursuivit ses succès
au sud de l’Union soviétique, entre les fleuves Volga et Don, et entreprit le
siège de Stalingrad. À la fin de l’année, les soldats se battirent dans les rues
de la ville détruite.
L’entrée en guerre des États-Unis relança la contre-attaque des Anglais en
Europe occidentale. Ils commencèrent à bombarder sans interruption
l’Allemagne. En même temps, les armées américaine et anglaise
débarquèrent en Afrique, mettant fin aux succès du général Rommel et
préparant le futur débarquement en Europe du Sud. On peut noter que,
malgré l’occupation allemande en France, ses colonies africaines restèrent
indépendantes.

En 1943, la défaite de Stalingrad fut une très grande perte pour les
Allemands. Plus de 100 000 soldats tombèrent entre les mains de Russes,
avec leur général, von Paulus. Après deux autres batailles perdues par les
Allemands, celles du Don et de Koursk, l’Armée rouge avança
irrésistiblement vers l’ouest.
Les armées américaines et anglaises d’Afrique débarquèrent en Sicile,
remontèrent en Italie et arrêtèrent Mussolini. L’intervention de l’armée
allemande arrêta la progression des Anglais et des Américains en Italie, puis
les parachutistes allemands libérèrent Mussolini.
À l’automne 1943, Staline, Roosevelt et Churchill se retrouvèrent au
congrès de Téhéran pour étudier le débarquement des alliés en France et le
découpage de l’Allemagne, après la guerre.

Le 6 juin 1944, les alliés débarquèrent en Normandie et avancèrent très


vite, dans un premier temps. Cependant, les Allemands renforcèrent le front
occidental, arrêtèrent les alliés et bombardèrent l’Angleterre avec leurs fusées
V1 et V2. Profitant de l’affaiblissement du front oriental, les Russes
avancèrent très vite. Ils reprirent la Pologne et l’Ukraine, mais n’aidèrent pas
le soulèvement des Polonais contre l’occupation allemande. La Roumanie et
la Bulgarie s’allièrent avec les Russes et les partisans de Tito reprirent
Belgrade. En Hongrie, Horthy essaya de négocier une paix avec les Anglais.
En prenant connaissance, Hitler l’arrêta et mit en place un gouvernement
fasciste, les Croix fléchées, dirigé par Ferenc Szálasi, qui fut chargé de
ralentir l’Armée rouge à tout prix. Hitler espérait qu’en cas de défaite, les
Américains occuperaient l’Allemagne avant les Russes. Budapest résista
durant plusieurs mois à l’attaque des Russes, qui n’y entrèrent qu’en février
1945.

Le 4 février 1945, les « trois grands », Staline, Roosevelt et Churchill se


réunirent à Yalta pour définir les actions communes, après la guerre, telles
que la création de la Société des Nations, le désarmement et l’occupation de
l’Allemagne découpée en trois zones, le procès des criminels de guerre et le
déplacement des frontières de la Pologne vers l’ouest. Staline promit d’entrer
en guerre contre le Japon après la victoire finale contre l’Allemagne. Il n’était
pas question de découper l’Europe en deux zones. Ce fut, plus tard, la
décision de Staline, qui classa les pays à l’Est de l’Allemagne dans la zone
occupée par l’Armée rouge.
Roosevelt, déjà très malade, assista à cette réunion en fauteuil roulant. Il
n’avait ni la force, ni l’envie de négocier avec Staline. Il voulut lui faire
confiance.
Churchill avait peu d’influence sur Staline. Cependant, il réussit plus tard à
faire accepter une zone d’occupation française aussi en Allemagne.

Afin de renforcer l’amitié avec l’Union soviétique, l’armée des alliés


s’arrêta devant Berlin pour permettre à l’Armée rouge de l’occuper et
s’attribuer ainsi la victoire finale sur le nazisme. Durant les batailles de rue de
Berlin, Hitler se suicida dans son bunker, le 30 avril 1945. Mussolini fut
attrapé par les partisans italiens et exécuté. Ainsi, les deux principaux
responsables de guerre ne purent être jugés par le tribunal militaire.

Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitula officiellement, sans condition.

Après la victoire finale sur l’Allemagne, les vainqueurs s’unirent contre le


Japon qui ne voulait pas capituler malgré les bombardements permanents,
mais sans succès, de ses villes. Les Américains reprirent quelques bases
proches et les Russes la Mandchourie.
Truman, le nouveau président des États-Unis, décida d’employer les
bombes atomiques, récemment découvertes, dont on n’imaginait pas encore
l’effet désastreux. Le 6 août 1945, on lança d’abord une bombe sur
Hiroshima, puis le 9 août, une autre sur Nagasaki, faisant des centaines de
milliers de victimes, sans parler des victimes de la radioactivité plus tard.
Le 15 août 1945, Hirohito, empereur du Japon, capitula. L’acte officiel fut
signé le 2 septembre 1945.

Les atrocités de la guerre

Les cruautés de cette Deuxième Guerre mondiale dépassèrent


l’imagination. Les civils en souffrirent peut-être encore plus que les
militaires, dont c’était le « métier ». La principale raison de la cruauté fut
idéologique, puisqu’Hitler programma scientifiquement l’extermination des
« races inférieures », surtout des juifs. Déjà, avant la guerre, il faisait interner
dans des camps les opposants, les malades mentaux et les « indésirables ».
Dés sa prise de pouvoir, il persécuta les juifs, les privant de leurs droits et
les exilant, puis à partir des années 1940, il les fit interner avec des Tsiganes,
dans des camps d’extermination équipés de chambres à gaz et de fours
crématoires. Ces camps fonctionnèrent en Allemagne et en Pologne. On y
transporta pour les exterminer les juifs de tous les pays occupés par les
Allemands. En 3 ans, on y exécuta près de 6 millions de juifs, sans parler de
leur traitement inhumain avant leur exécution. Vers la fin de la guerre,
sachant leur défaite proche, les atrocités des nazis devinrent démesurées.
Souvent, au lieu de ravitailler les soldats, les wagons furent utilisés en
priorité pour le transport des juifs vers les camps d’extermination. Cette
extermination des juifs porte aujourd’hui le nom d’« holocauste ».

Sur les territoires occupés par les Allemands, la population russe,


considérée comme « race inférieure », subit aussi un traitement inhumain. Le
nombre des victimes est estimé à 1 million. Cependant, souvent les soldats
russes exécutèrent aussi leurs compatriotes, traités de traîtres.
On parle peu des victimes des Japonais, pourtant nombreuses, puisqu’ils ne
pratiquèrent pas « l’extermination scientifique ». Cependant, leur nombre est
estimé à plusieurs millions.
On parle encore moins des victimes des « Russes libérateurs ». On cite
cependant les 10 000 officiers polonais exécutés par les Russes.

Habitants des pays Victimes Victimes Victimes de Total des


en guerre militaires civiles « l’holocauste » victimes
Près de 2 milliards 25 millions 42 6 millions 73 millions
millions

Données chiffrées de la guerre

Les conséquences de la Deuxième Guerre mondiale

Les vainqueurs oublièrent les conséquences de leurs décisions arbitraires


après la Première Guerre mondiale, lesquelles, 20 ans plus tard, avaient
déclenché la nouvelle guerre, et commirent les mêmes erreurs. La Paix de
Paris de 1947 imposa une sévère punition aux perdants. Cette « paix »
rétablit les frontières d’avant la guerre (contre lesquelles la Hongrie était
entrée en guerre à côté des Allemands) et, même encore plus injustes, en
faveur de l’Union soviétique, et leur imposa des dédommagements de guerre
démesurés. L’Allemagne, coupée en deux, et l’Italie furent privées de leurs
colonies en faveur des Anglais et des Français.

L’ONU, créée en 1945 avec la participation de 51 nations, lors de la


conférence de Yalta, devait assurer la paix mondiale, les droits de l’homme et
assurer sous son contrôle les élections libres après la guerre.

Le procès de Nuremberg de 1945 condamna les criminels de guerre


européens des perdants, mais il n’y était pas question des responsables
japonais (et surtout pas des vainqueurs !).

L’Union soviétique compta plus de 23 millions de victimes, plus que le


nombre total de celles de la Première Guerre mondiale ! L’Allemagne perdit
7,3 millions et la Pologne 5,6 millions d’âmes.
On ne doit pas oublier les 20 millions de victimes chinoises des Japonais.
Ce fut une véritable extermination.

La plus grande injustice fut commise contre la Pologne. Pourtant, elle


n’était pas responsable, mais victime de la guerre, dès le début. Elle perdit
16 % de sa population et fut partagée entre les Allemands et les Russes : elle
cessa d’exister durant la guerre. Après la guerre, les Russes exigèrent
l’annexion de ses territoires orientaux à l’Union soviétique. Comme la
Pologne n’était qu’une victime de guerre, elle reçut en compensation des
territoires orientaux de l’Allemagne. Elle fut donc « déplacée » de l’est vers
l’ouest.
Il faut se souvenir aussi des nombreuses victimes des États baltiques. Ces
trois États, Lettonie, Estonie et Lituanie, jadis indépendants, restèrent
rattachés à l’Union soviétique après la guerre !

L’Italie fut la plus chanceuse des perdants, voire de tous les pays
européens, pourtant, principale alliée d’Hitler et responsable des batailles des
Balkans et de l’Afrique. Elle eut peu de pertes matérielles, territoriales et
humaines (1 % de sa population). Même la répression et les exigences des
vainqueurs la touchèrent peu.

Le monde découpé

L’Allemagne et l’Autriche furent découpées en 4 zones d’occupations,


partagées entre les grands vainqueurs, parmi lesquels comptait aussi la
France, grâce à la demande de Churchill. Peu de temps après ce découpage,
naquirent deux Allemagnes : la partie occidentale devint la République
fédérale allemande (RFA), sous le contrôle des États-Unis, de l’Angleterre
et de la France, et la partie orientale devint la République démocratique
allemande (RDA), sous occupation soviétique. L’Autriche devint
indépendante.
Ce découpage conduisit à des dizaines d’années de guerre froide entre les
blocs de l’Est socialiste et de l’Ouest capitaliste, séparés par le rideau de fer.

La situation des pays de l’Ouest

Les vainqueurs de l’Europe occidentale furent épuisés matériellement par


la Deuxième Guerre mondiale. Leur situation n’était guère meilleure que
celle des vaincus. Malgré la richesse de leurs colonies, il fallut plusieurs
années même à l’Angleterre et à la France pour sortir de la crise.
Les États-Unis d’Amérique (USA)

On peut dire que les États-Unis ne devinrent une grande puissance


qu’après et surtout grâce à la Deuxième Guerre mondiale. Leur territoire
n’ayant pas été touché par la guerre, leur industrie se développa très vite,
d’abord avec l’industrie de l’armement, puis avec le marché illimité dans les
pays détruits, incapables de faire face à la demande des produits de première
nécessité. Comme l’économie des pays européens était en très mauvaise santé
après la guerre, afin de les relancer et de leur permettre d’acheter les produits
américains, les États-Unis leur proposèrent un prêt appelé plan Marshall. On
peut noter que Staline n’autorisa pas les pays de sa zone d’influence à
bénéficier de cette aide américaine ! En conséquence, l’Allemagne
occidentale (RFA), bien que complètement détruite par la guerre, se
développa beaucoup plus vite que l’Allemagne orientale (RDA) et les autres
pays du bloc de l’Est.
Les États-Unis n’avaient pas de colonies au sens propre du mot, mais ils
poursuivirent une politique impérialiste. Ils développèrent leur influence
économique sur les pays sous-développés, mais riches en matières premières,
qu’ils leur achetèrent très bon marché ou exploitèrent eux-mêmes.
Avec le développement de la guerre froide, afin de freiner l’extension de
l’Union soviétique, les États-Unis mirent toute leur énergie dans l’armement
moderne et l’établissement de bases militaires partout dans le monde, dans le
cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), organisation
politico-militaire. Ils devinrent les « gendarmes » du monde et la plus grande
puissance mondiale. Dans le cadre de l’OTAN, les États-Unis soutinrent
militairement la Corée du Sud contre celle du Nord, communiste. Cette
intervention ne fit qu’augmenter la tension avec l’Union soviétique. Il faut
rappeler la position maladivement anticommuniste des États-Unis dans les
années 1950, sous l’influence du sénateur McCarthy, qui voyait des espions
communistes partout aux États-Unis. Il fut célèbre pour sa « chasse aux
sorcières » qui fit de nombreuses victimes, surtout parmi les artistes et les
intellectuels américains.
Entre 1953 et 1961, Eisenhower, président des États-Unis poursuivit la
politique énergique des États-Unis. Cependant, après la mort de Staline, la
tension diminua légèrement entre les États-Unis et l’Union soviétique.
La puissance militaire américaine fut beaucoup aidée par la recherche
scientifique développée durant la guerre, permettant la mise au point d’armes
modernes et de la bombe atomique, grâce aux savants étrangers, notamment
allemands, réfugiés aux États-Unis durant la guerre.

La Grande-Bretagne

La guerre, avec les bombardements continus de Londres, affaiblit


considérablement l’économie de la Grande-Bretagne. Elle perdit aussi son
importance politique mondiale. Durant des siècles, ses colonies enrichirent
considérablement la Grande-Bretagne. Après la guerre, elle les perdit toutes
progressivement, mais pacifiquement. Elle quitta d’abord l’Inde, en 1947,
après des années de mouvements pacifistes du Mahatma Gandhi. À ce sujet,
il faut signaler le comportement exemplaire des Anglais qui, après avoir
réalisé leur situation intenable en Inde, avant de la quitter, préparèrent le futur
Premier ministre, Nehru à diriger son pays indépendant. Le départ du
gouverneur anglais fut fêté solennellement et applaudi. Malheureusement, le
lendemain de son indépendance, l’Inde fut victime de guerres internes de
séparation.
En 1952, Élisabeth II succéda à son père sur le trône. En 1956, le
président Nasser étatisa le canal de Suez, contrôlé par la Grande-Bretagne.
L’intervention militaire des Anglais et des Français fut stoppée par
l’intervention diplomatique des États-Unis et de l’Union soviétique.
À partir de 1960, les Anglais ne disposèrent plus de leurs colonies, dont de
nombreux habitants s’installèrent en Grande-Bretagne et obtinrent la
nationalité anglaise.

La France

En France, la situation économique était à peine meilleure que chez les


perdants, après la guerre. Cette situation fut aggravée par la vengeance des
« résistants » contre les « collaborateurs », avec des exécutions sommaires
quotidiennes. Le président de la IVe République ne disposait d’aucun pouvoir
et la politique de relance fut freinée par le changement fréquent de ministres.
Lorsque la situation économique commença à s’améliorer avec l’aide du plan
Marshall, les soulèvements des colonies perturbèrent le bon fonctionnement
de l’État. D’abord, l’Indochine entra en guerre contre la France en 1947 et,
après plusieurs années de guerre, terminée par sa victoire, elle obtint son
indépendance en 1954. En 1956, la Tunisie et le Maroc obtinrent également
leur indépendance, mais la France garda l’Algérie, malgré ses émeutes.

En 1957, à l’initiative de la France, avec la participation de 5 autres pays


européens, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, l’Italie et la RFA, naquit
la Communauté économique européenne (CEE).

Suite aux attentats quotidiens des Algériens en métropole et en Algérie, où


vivaient plus d’un million d’Européens, en 1958, les Français firent appel au
général de Gaulle, retiré de la politique, pour rétablir l’ordre. De Gaulle fit
voter la Ve République, dont il fut élu président. En concentrant le pouvoir
de la présidence, il consolida le gouvernement et mit de l’ordre dans les
systèmes économiques et politiques. Ayant constaté l’insuccès de l’armée
contre les émeutes, il accorda l’indépendance à l’Algérie en 1962. Cette
décision fut contestée en France et surtout en Algérie, que les Européens
durent quitter pour se réfugier en métropole. De Gaulle accorda aussi
l’indépendance aux colonies africaines, tout en gardant de bonnes relations
économiques et culturelles avec elles. Il comprit que la fin de l’ère de la
colonisation était arrivée.

L’Italie

En 1946, après référendum, on proclama la République italienne. Le parti


démocrate-chrétien prit le pouvoir. Avec l’aide américaine, il redressa un peu
la mauvaise situation économique de l’Italie. Malgré des résultats
encourageants, l’opposition communiste réussit à créer une tension
permanente entre la gauche et les chrétiens, prenant pour exemple l’Union
soviétique.
En 1947, l’Italie entra dans l’OTAN. En 1955, elle fut membre de l’ONU,
puis en 1957, membre fondateur de la Communauté économique européenne.

La République fédérale allemande (RFA)

En Allemagne occupée, la situation fut très tendue, à cause de problèmes


économiques et politiques. La zone occupée par les Russes s’isola de plus en
plus du reste de l’Allemagne. En 1948, les zones occupées par les
Américains, les Anglais et les Français s’unirent et mirent en circulation le
nouveau mark allemand, mettant fin à l’inflation. En 1949, l’Allemagne fut
partagée en deux États. La partie occidentale devint la République fédérale
allemande (RFA) avec sa capitale, Bonn, et la partie orientale prit le nom de
République démocratique allemande (RDA), dont la capitale resta Berlin.
L’Allemagne occidentale, complètement détruite par la guerre, se redressa
rapidement avec l’aide du plan Marshall et avec la politique habile de son
chancelier, Konrad Adenauer. En quelques années, la plupart de ses villes
furent reconstruites et son industrie arriva en tête en Europe, grâce au travail
courageux des Allemands, mais aussi à ses usines modernes, les anciennes
ayant été détruites durant la guerre ou démantelées par les Français, à titre de
dédommagement. La présence discrète des armées d’occupation ne gêna pas
la population. Elle fut même utile, dans certaines situations.
En 1950, au moment de la guerre de Corée, craignant la menace de l’armée
soviétique surpuissante, les puissances occidentales autorisèrent le
réarmement partiel de la RFA, puis son entrée dans l’OTAN, en 1955.
En 1957, la RFA fut membre fondateur de la Communauté économique
européenne. La relation amicale entre de Gaulle et Adenauer permit le
rétablissement de bonnes relations entre la RFA et la France.
Le problème principal entre les deux Allemagne était la situation de Berlin,
située en RDA, mais dont la moitié restait sous occupation des puissances
occidentales. La Berlin « occidentale » devint une véritable île durant la
guerre froide. En 1961, la guerre froide atteignit son summum entre les deux
blocs. Les Russes séparèrent Berlin en deux par un mur appelé « mur de
Berlin », ou « mur de la honte », défendu militairement, mettant fin aux
échanges possibles entre les deux populations allemandes. Le ravitaillement
de sa partie occidentale ne fut possible que par voie aérienne, avec
l’autorisation soviétique.

La situation des pays de l’Est

Dès après la guerre, on procéda à des élections libres dans les pays
européens aussi sous occupation soviétique. Cependant, les gouvernements
démocratiquement élus ne durèrent pas longtemps. Avec le soutien de
l’Union soviétique, les partis communistes de ces pays prirent le pouvoir,
en écartant les élus, accusés de collaboration avec l’Occident. Le bloc de
l’Est naquit, dont firent partie la RDA et tous les pays de la partie orientale
de l’Europe, victimes ou responsables de guerre. Les Polonais et Tchèques
« résistants » subirent le même sort que les « criminels » allemands, bulgares,
hongrois et roumains. Dans tous ces pays, on devait appeler « libérateurs »
les Russes, vainqueurs du nazisme. Les « mauvaises langues » dirent que les
Russes les libérèrent de tous leurs biens, de tout ce qu’ils possédaient, y
compris de leur liberté.
La Grèce, position stratégique de l’Angleterre, resta cependant sous
influence occidentale. La Yougoslavie garda son indépendante vis-à-vis de
l’Union soviétique grâce à la victoire de ses partisans communistes et de leur
chef, Tito, sur l’armée occupante allemande. Elle résista à toute tentative
d’approche de l’Union soviétique qui, plus tard, appela Tito « chien enchaîné
des capitalistes ».
Dès 1948, les Russes fermèrent définitivement les frontières occidentales
par des barbelés électrifiés et des zones minées, renforcés de miradors,
occupés par des gardes-frontières armés, isolant ainsi le bloc de l’Est de
l’Occident.

Dans les pays du bloc de l’Est, on appliqua le système soviétique. Seul le


parti communiste, appelé souvent « parti des travailleurs », fut autorisé. On
supprima les secteurs privés en étatisant les moyens de production, le
commerce et les propriétés. Dans un premier temps, les terres furent
distribuées aux paysans, mais ces derniers devaient entrer ensuite avec leurs
terres dans des collectivités agricoles, les privant ainsi de motivation
personnelle.
Tout devint propriété d’État, dirigé par le parti communiste. Les dirigeants
du parti furent désignés par Staline parmi les anciens communistes exilés en
Union soviétique après la Première Guerre mondiale. Ils appliquèrent
aveuglément les directives de leur maître, écrasant toute opposition. Selon
l’exemple soviétique, ils instaurèrent une police politique totalitaire, assurant
la stabilité du régime.

L’Union soviétique

L’Union soviétique fut le principal vainqueur de la Deuxième Guerre


mondiale, malgré ses énormes pertes humaines et matérielles. Elle ne
vainquit l’Allemagne fasciste qu’avec l’aide des puissances occidentales,
mais la victoire héroïque fut attribuée au seul « génie militaire » de Staline.
Admiré déjà avant la guerre, Staline devint un véritable dieu pour la gauche
intellectuelle et ouvrière. Ce rôle lui convint parfaitement, car il put
poursuivre sa cruelle politique autoritaire et l’annexion des pays
démocratiques voisins, sans aucune réaction de la part des puissances
occidentales.

Sous prétexte de dédommagement, l’Union soviétique dépouilla les pays


du bloc de l’Est du peu qu’il leur restait après la guerre. Elle leur imposa un
régime communiste à parti unique, dont les dirigeants obéissants furent
désignés par Staline, parmi ses fidèles.
Le lendemain de la guerre, Staline « mit de l’ordre » à l’intérieur de son
pays et même chez ses voisins. Des centaines de milliers, voire des millions
de « traîtres, criminels politiques », prisonniers de guerre et même des soldats
de ses alliés restés en Russie, furent exilés en Sibérie ou exécutés, sans aucun
procès. Ces esclaves anonymes travaillèrent jusqu’à la fin de leur vie à la
construction de la grande Union soviétique. En guise de punition, Staline
déplaça aussi des pays entiers avec leurs populations à l’intérieur de l’Union
soviétique.
Si beaucoup de gens admiraient Staline, tout le monde le craignait, y
compris les plus fidèles communistes. Staline, paranoïaque, ne voyait que des
ennemis, traîtres, comploteurs autour de lui. Plus il craignait son entourage,
plus il devenait cruel. Après la guerre, il considéra comme des ennemis ses
anciens alliés et il déclencha contre eux une guerre froide. Il investit toute la
richesse de son pays dans l’armement et l’élaboration d’armes nucléaires.
La mort de Staline en 1953 bouleversa son empire, inimaginable sans lui.
Nikita Khrouchtchev sortit victorieux de la lutte pour la succession.
Débarrassé de ses concurrents, il entreprit la « déstalinisation » de l’Union
soviétique pour renforcer son pouvoir. Il dévoila officiellement les atrocités
du régime de Staline et le nombre de ses victimes. Il mit fin au culte de la
personnalité et modéra la terreur communiste dans les pays du bloc de l’Est.
Cependant, il put constater rapidement la fragilité du régime communiste
sans terreur.

Dès l’assouplissement de la terreur, des émeutes populaires éclatèrent en


RDA, que l’Armée rouge écrasa. En 1956, Khrouchtchev s’inclina devant les
exigences de la grève générale polonaise et nomma Gomulka chef du parti
communiste polonais. Les Hongrois exprimèrent leur solidarité avec les
Polonais par une manifestation pacifique, transformée en révolution écrasée
par l’Armée rouge.
En 1961, Khrouchtchev fit séparer Berlin en zones orientale et occidentale,
isolée du reste de la RFA.
En 1962, il fit installer des bases de fusées nucléaires à Cuba, visant les
États-Unis. Cependant, après l’intervention ferme de Kennedy, il les fit
démonter, évitant ainsi une troisième guerre mondiale.

La République démocratique allemande (RDA)

En 1949, la République démocratique allemande (RDA) fut proclamée,


dont la capitale était Berlin et le premier président de la République,
Wilhelm Pieck. Suivant l’exemple soviétique, tout le pouvoir fut détenu par
le parti communiste unique. En 1950, le secrétaire du parti communiste,
Walter Ulbrich prit le pouvoir et organisa le ministère de la Sécurité d’État
(Stasi). La RDA entra officiellement dans le bloc de l’Est des démocraties
populaires, puis dans le Conseil d’aide économique mutuelle (CAEM ou
Comecom).
En 1953, après la mort de Staline, les ouvriers de Berlin se révoltèrent
contre les mauvaises conditions de travail. Cette révolte fut écrasée par
l’Armée rouge occupant la RDA.
En 1954, la RDA adhéra au pacte de Varsovie. L’année suivante, l’Union
soviétique reconnut « l’indépendance » de la RDA. Afin de freiner la
migration des Allemands vers la zone occidentale de Berlin, une loi
réglementant les voyages fut votée. Cependant, le nombre des « fuyants » ne
cessa d’augmenter, mettant en difficulté l’économie du pays. Devant cette
situation et à cause de l’aggravation de la guerre froide, à l’initiation de
Khrouchtchev, Berlin fut séparée de la zone occidentale par un mur, gardé
par l’armée, rendant pratiquement impossible l’émigration clandestine. La
plupart des tentatives coûtèrent la vie des dissidents.

La République populaire de Hongrie

Comme dans les autres démocraties populaires du bloc de l’Est, l’Armée


rouge était appelée libératrice en Hongrie. À cause des injustices du régime
d’Horthy et des cruautés des quelques mois de régime fasciste le remplaçant,
beaucoup de Hongrois croyaient vraiment au changement heureux après la
guerre. D’autres pensèrent que le nouveau régime imposé ne pourrait pas être
pire.

Aux premières élections après la guerre, la Hongrie devint une démocratie


parlementaire multiparti. Le parti communiste soutenu par l’Union
soviétique, dirigé par Mátyás Rákosi (Rosenfeld), ayant obtenu très peu de
voix, accusa de trahison et de collaboration avec l’Occident les élus de
gouvernement, et les fit arrêter, l’un après l’autre. En 1948, selon l’exemple
soviétique et avec le soutien de l’Armée rouge, Mátyás Rákosi instaura un
régime à parti unique, appelé Parti des travailleurs hongrois, lequel se
présenta seul aux élections, et obtint la presque totalité des voix ! Afin
d’assurer sa dictature totalitaire, il instaura une police politique, appelée
Sécurité d’État, disposant d’un pouvoir de répression illimité. Fidèle élève de
Staline, Mátyás Rákosi fit arrêter et exécuter aussi tous les « opposants
soupçonnés », faussement accusés de trahison, y compris ses anciens
camarades communistes, afin de diriger seul le pays. Seuls Mihály Farkas
(Löwy Hermann) et Ernö Gerö (Singer) lui restèrent fidèles et lui obéirent
aveuglément. On l’appela le Staline hongrois. De nombreux communistes
honnêtes le suivirent, pensant qu’il fallait sacrifier une ou deux générations
pour la victoire finale du communisme. D’autres le firent par intérêt
personnel ou par peur.
Après la mort de Staline en 1953, Khrouchtchev démit Mátyás Rákosi de
ses fonctions gouvernementales et nomma premier ministre le populaire Imre
Nagy, pour détendre la tension et pour améliorer la situation économique de
la Hongrie. Nagy mit fin aux arrestations politiques, à l’expatriation des
« non Hongrois » (Souabes) et à la collectivisation forcée des terres. Deux
ans plus tard, Mátyás Rákosi, toujours secrétaire du parti communiste, ne
supportant plus le succès de Nagy, le fit exclure du gouvernement, puis du
parti communiste.
Durant l’été 1956, le XXe congrès du parti communiste démit
l’impopulaire Rákosi de sa fonction de secrétaire et nomma E. Gerö à sa
place.

Le 23 octobre 1956, les étudiants de Budapest voulurent exprimer leur


solidarité avec le mouvement des ouvriers polonais par une manifestation
pacifique. Cette manifestation fut encouragée par le Cercle Petöfi des
écrivains, créé en 1955, critiquant les erreurs du parti, oubliant que nombre
parmi eux avaient loué et admiré la « bonté illimitée » de Rákosi jusqu’à la
mort de Staline, contaminant ainsi la jeunesse, dont leurs œuvres étaient des
lectures obligatoires dans les écoles !
La foule de Budapest se joignit à la manifestation des étudiants, scandant
le retour d’Imre Nagy et le départ des soldats russes. À cause de la réaction
maladroite du gouvernement, la manifestation pacifique devint une
révolution. Les insurgés renversèrent l’immense statue de Staline, symbole de
la dictature communiste, puis assiégèrent la maison de la radio. Ils se
procurèrent des armes et se battirent toute la nuit contre l’armée de police
politique. Le lendemain, Ernö Gerö demanda l’intervention des chars russes
stationnés près de Budapest. Les usines et les transports s’arrêtèrent. Les rues
devinrent des champs de bataille. L’armée hongroise et la police soutinrent
les insurgés contre les chars russes et contre l’armée de la police politique.
Les émeutes devinrent une révolution nationale. Un gouvernement provisoire
se forma sous la direction d’Imre Nagy, qui obtint le retrait des chars russes
de la capitale. Tout laissait à croire à la victoire de la révolution. On se
prépara à des élections multiparti, dont l’un des objectifs principaux était
l’indépendance de la Hongrie.
Le 2 novembre, le communiste János Kádár (Csermanek), membre du
gouvernement provisoire, s’envola à Moscou pour négocier avec
Khrouchtchev. Cependant, trahissant son rôle et ses collègues du
gouvernement provisoire, il instaura un contre-gouvernement, à l’est de la
Hongrie, avec le soutien de l’Armée rouge. Le 4 novembre à l’aube, sans
avertissement, 2 000 chars russes envahirent Budapest, écrasant toute
résistance. Des batailles désespérées durèrent encore une dizaine de jours
dans les rues, détruisant la plupart des immeubles du centre de la ville, puis
les armes se turent.
Fuyant les représailles, plus de 200 000 Hongrois se réfugièrent à
l’Occident.
On peut signaler que les pays occidentaux suivirent attentivement les
évènements de la Hongrie, espérant l’affaiblissement du bloc soviétique. La
radio Europe libre (la voix d’Amérique) encouragea les révolutionnaires,
laissant croire même à une aide armée, mais il n’en était pas question. La
petite Hongrie ne valait pas un conflit avec l’Union soviétique, d’autant plus
que les puissances occidentales étaient plus préoccupées par le problème de
la fermeture du canal de Suez, arrivée en même temps, que par le sort des
Hongrois.
János Kádár, devenu chef du gouvernement, restaura le régime
communiste à parti unique et remit de l’ordre en faisant arrêter les
participants et sympathisants de la révolution. Nombre d’entre eux furent
exécutés, notamment « son ami » Imre Nagy et les membres du
gouvernement provisoire. D’autres furent condamnés à de lourdes peines
d’emprisonnement, sans parler des tortures sadiques auxquelles se livrèrent
les tortionnaires professionnels du régime communiste. Après plusieurs
années de terreur, ayant écarté tout risque de révolte, János Kádár annonça
une amnistie générale, en 1963.
La Hongrie devint « la baraque la plus gaie du camp socialiste ».

La République fédérale yougoslave

La Yougoslavie communiste sut conserver son indépendance entre les


deux blocs opposés grâce à la réputation de Josip Broz Tito, chef des
partisans ayant résisté à l’armée allemande durant la Deuxième Guerre
mondiale. Il réussit à maintenir en paix l’ensemble des États membres de la
fédération. Après des tentatives d’annexion au bloc de l’Est sans succès,
Staline rompit toute relation avec Tito qu’il appela « chien enchaîné des
capitalistes ». Après la mort de Staline, les relations entre la Yougoslavie et
l’Union soviétiques redevinrent amicales. Tito aurait même conseillé à
Khrouchtchev l’intervention de l’Armée rouge en Hongrie durant la
révolution ! Cependant, il permit aux réfugiés hongrois de traverser la
Yougoslavie sans s’y arrêter.

En 1951, Tito, l’Égyptien Nasser et l’Indien Nehru fondèrent le


mouvement des pays non engagés.
Entre 1945 et 1963, Tito fut Premier ministre, puis chef d’État, jusqu’à sa
mort en 1980. Il obtint la cohabitation pacifique des États fédérés, mais il ne
réussit jamais à résoudre les problèmes économiques et ethniques de la
Yougoslavie.

La République populaire de Chine

Durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement Koumintang de


Tchang Kaï-chek et le camp communiste de Mao Tsé-toung se
réconcilièrent et s’unirent contre l’occupation japonaise, mais dès la fin de la
guerre, les hostilités recommencèrent entre eux. En 1949, Mao Tsé-toung
sortit victorieux de cette longue lutte pour le pouvoir. Il proclama cette même
année à Pékin la République populaire de Chine, dont il fut nommé
président. Suivant l’exemple de l’Union soviétique, mais tout en gardant son
indépendance, cette république populaire fut une dictature communiste.
Tchang Kaï-chek se retira sur l’île de Taiwan avec ses fidèles, où il fonda
la République de Chine, seule représentante des Chinois durant des années à
l’ONU. Il fit plusieurs tentatives de débarquement en Chine, mais sans
succès.
Mao Tsé-toung ne renonça jamais à Taiwan, mais ne l’attaqua pas, à cause
de sa protection par les États-Unis, avec lesquels il voulait éviter d’entrer en
conflit militaire. Cependant, en 1950, il soutint ouvertement la Corée du Nord
et il annexa le Tibet, en 1951.
Après la consolidation de son pouvoir, Mao Tsé-toung lança un plan
quinquennal pour améliorer l’industrie et l’économie de la Chine, acceptant
même l’aide de l’Union soviétique.
En 1958, le « grand saut », devant assurer le développement rapide de la
Chine, fut un échec total.
En 1959, Mao Tsé-toung écrasa la révolte des Tibétains et y instaura une
dictature militaire.
En 1960, se croyant suffisamment fort pour transformer la Chine en une
grande puissance, il rompit la relation avec l’Union soviétique, dont il perdit
l’aide économique.
Il faut reconnaître que Mao Tsé-toung réussit à sortir des centaines de
millions de Chinois de plusieurs siècles de misère, même si le prix à payer fut
énorme. Il ne chercha pas à dominer le monde (comme Staline). Seule
l’amélioration de l’économie de son pays l’intéressa, pour laquelle il sacrifia
plusieurs générations.

LES ANNÉES DE RELANCE ÉCONOMIQUE (1960-1975)

Malgré la séparation du monde en deux camps par la guerre froide, les


pays occidentaux se redressèrent rapidement et essayèrent d’oublier las
atrocités de la Deuxième Guerre mondiale. La jeunesse de la nouvelle
génération ignora presque les noms d’Hitler et de Staline, les deux dictateurs
sanguinaires.

L’industrie se développa rapidement, améliorant les conditions de vie.


Après les grandes pertes humaines de la guerre, tout le monde trouva du
travail. Les gens, heureux et insouciants, s’amusèrent et achetèrent beaucoup,
selon leurs possibilités. Tout devint possible.
La guerre froide opposant les camps « capitaliste » et « socialiste » fut le
moteur du développement. Chaque camp voulait prouver sa supériorité
humaine, économique et scientifique. Les grandes puissances dépensèrent des
fortunes pour la recherche, surtout nucléaire, sans compter.
Le niveau de vie des pays socialistes resta très inférieur à celui des pays
occidentaux, à cause de leur mauvaise gestion, mais la recherche, surtout
nucléaire et militaire, n’y accusa pas de retard.

La télévision, noir et blanc au début, devint l’objet préféré de la plupart des


foyers, avec la transmission des évènements, des films et des actualités
sportives. Bientôt, elle transmit des émissions en couleur sur de nombreuses
chaînes.

L’automobile devint un moyen de transport accessible à la plupart des


familles. La demande fut telle qu’il fallait attendre plusieurs mois, voire une
année, pour l’acquisition des certaines marques très recherchées, malgré leur
fabrication sur des chaînes automatisées. Selon leur possibilité, les gens
achetaient des petites voitures pratiques et bon marché, ou des grosses
voitures de luxe. Les routes devinrent encombrées et dangereuses. Il fallut
construire des autoroutes pour faciliter la circulation. On peut noter que la
première autoroute européenne fut construite avant la Deuxième Guerre
mondiale par Hitler, afin d’assurer le transport rapide pour la guerre éclair.
Avec l’automobile, les conditions de vie changèrent considérablement. Les
gens achetèrent des résidences secondaires à la campagne, au bord de la mer
ou à la montagne, facilement accessibles en voiture. Certains achetèrent une
habitation principale peu onéreuse éloignée des villes. L’automobile devint
indispensable. Son développement démesuré ne fut freiné que par la crise du
pétrole de 1973.

L’aviation se développa aussi très vite, pour parcourir rapidement de


grandes distances. Au début, à cause de son prix élevé, ce moyen de transport
fut réservé aux riches, hommes d’affaires, politiciens, artistes, etc.
Cependant, son succès entraîna la fabrication en série de gros avions, de plus
en plus accessibles par des voyageurs moins aisés. Les gros avions à réaction
très rapides remplacèrent les avions à hélices, transportant de plus en plus de
voyageurs, de plus en plus vite et de plus en plus loin. En 1969, s’envola le
premier Boeing 747, transportant de 400 à 500 voyageurs, avec une vitesse
de 900 km par heure, sur une distance de plus de 5 000 km, sans escale. Mais
c’était encore insuffisant aux voyageurs pressés. Cette même année fit son
vol d’essai l’avion franco-anglais Concorde, dépassant la vitesse du son
(2 600 km/h). Quelques années plus tard, il reliait en trois heures Paris à New
York, avec une centaine de voyageurs à bord. Il resta très cher, réservé aux
voyageurs très riches et très pressés, qui pouvaient partir d’Europe en
Amérique le matin et revenir le soir.

Les évènements politiques importants

En 1960, le jeune John Fitzgerald Kennedy fut élu président des États-
Unis.
La France fit exploser au Sahara sa première bombe atomique.

En 1962, l’intervention ferme de John Kennedy empêcha Nikita


Khrouchtchev d’installer des bases de fusées nucléaires à Cuba, évitant ainsi
le déclenchement d’une troisième guerre mondiale.
Le général Charles de Gaulle, président de la République française,
accorda l’indépendance à l’Algérie, déclenchant le mécontentement de
nombreux militaires. Il échappa avec beaucoup de chance à leur attentat.
Cette même année, il fit voter l’élection présidentielle par référendum.

En 1963, John Kennedy fut assassiné à Dallas. Selon la version officielle,


son assassin agit seul, mais on parla aussi de complot communiste ou
politique et même de la vengeance de la mafia, poursuivie par le
gouvernement qu’elle aurait financé aux élections.

En 1964, les États-Unis soutinrent militairement le Vietnam du Sud contre


l’attaque du Vietnam du Nord, communiste. La guerre se termina en 1975
avec la victoire des communistes, humiliant les États-Unis.
En Union soviétique, Khrouchtchev fut démis des toutes ses fonctions. Ses
adversaires ne lui pardonnèrent jamais son humiliante « déstalinisation »
devant le monde entier. Léonide Brejnev fut élu secrétaire général du parti
communiste russe et Alexeï Kossyguine, président de l’Union soviétique.
La Chine fit exploser sa première bombe atomique.

En 1967, l’Égypte, la Syrie et la Jordanie isolèrent Israël par un blocus


militaire, déclenchant ainsi la guerre de Six Jours. Israël écrasa ses
adversaires, puis occupa Gaza, la presqu’île du Sinaï et le plateau du Golan.

1968 fut l’année des émeutes.


En Tchécoslovaquie, le mouvement du « Printemps de Prague » nomma
le communiste Dubcek chef du gouvernement et demanda des changements
démocratiques. Les blindés soviétiques, soutenus par les armées du pacte de
Varsovie, envahirent la Tchécoslovaquie et étouffèrent le soulèvement sans
résistance.
À Paris, des étudiants déclenchèrent des émeutes et montèrent des
barricades dans les rues. Ils demandèrent le changement radical de
l’éducation nationale. Les ouvriers et les syndicats de gauche s’associèrent
aux mouvements, paralysant la France entière par des grèves. De nombreux
avantages et augmentations de salaire furent accordés, permettant de rétablir
l’ordre à la fin de l’année.
Mao Tsé-toung lança la « révolution culturelle » pour corriger les
erreurs de son régime. Les dégâts furent considérables : les professeurs furent
humiliés, des livres brûlés, des vestiges historiques détruits. Cependant, ce
mouvement rencontra un immense succès en Occident, dans les milieux de
gauche.

En 1972, Richard Nixon, président des États-Unis, détendit les tensions


entre l’Occident capitaliste et l’Orient communiste. Il rencontra Mao Tsé-
toung, puis négocia avec les Russes à Moscou, la diminution de l’armement
nucléaire. Il suspendit le bombardement du Vietnam du Nord.
Aux Jeux Olympiques de Munich, des terroristes palestiniens prirent en
otage des sportifs israéliens. Ils en tuèrent 11, avant que la police tue 5
terroristes.
Début janvier 1973, la Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark
rejoignirent la Communauté économique européenne (CEE), laquelle
comptait désormais 9 membres.
Cette même année, les pays arabes déclenchèrent la première « crise du
pétrole ». À l’origine, cette action était orientée contre les États-Unis et
Israël, mais rapidement devint une crise mondiale, freinant l’essor des années
1960.
L’Égypte et la Syrie attaquèrent à nouveau Israël, mais toujours sans
succès.

En 1974, Richard Nixon, président des États-Unis, démissionna à cause


du scandale de Watergate concernant l’espionnage des locaux du parti
d’opposition.

En 1975 se termina la guerre entre Vietnam du Sud et du Nord, avec la


victoire des communistes.
Dirigés par Pol Pot, les Khmers rouges prirent le pouvoir au Cambodge.
Sa dictature fit plus d’un million de victimes (3 millions, selon certains)
parmi la population.

Les principaux résultats de la recherche scientifique

Les principaux résultats des recherches furent dus à la course à l’armement


et à l’étude de la domination de l’Univers. Après le développement des armes
nucléaires de plus en plus sophistiquées, on étudia le perfectionnement de
leur utilisation. Au lieu de les transporter par avion, on équipa des fusées de
têtes nucléaires, de plus en plus grande portée. Il fallait étudier aussi le
téléguidage de grande précision, lequel permit le développement des
satellites. Heureusement, tous les résultats obtenus furent également
utilisables pour des applications pacifiques.

La conquête de l’espace

Dans la course à la recherche spatiale, l’Union soviétique marqua le


premier point. En 1957, elle lança Spoutnik dans l’espace, lequel gravita
autour de la Terre en émettant des « bip-bip », détectables partout. Ce succès
montra sa supériorité technologique sur les États-Unis, mettant en doute
également la supériorité de l’armement moderne américain. Les pessimistes
imaginaient déjà des fusées nucléaires gravitant autour de la Terre. Les États-
Unis investirent des sommes colossales dans la recherche spatiale pour
rattraper leur retard.
En 1961, les Russes envoyèrent le premier homme dans l’espace, Youri
Gagarine.

Enfin, en 1962, l’américain John Glenn décrivit trois tours autour de la


Terre, dans sa capsule spatiale, Mercury, donnant aux Américains un léger
avantage sur les Russes. Après ce succès, les deux adversaires envoyèrent des
fusées dans l’espace. En 1968, Gagarine fut victime d’un de ces vols d’essai.

Le 21 juillet 1969, les Américains Neil Armstrong et Edwin Aldrin se


posèrent sur la Lune où, après quelques pas, ils plantèrent le drapeau
américain, reprenant l’avantage sur les Russes. Les gens croyaient déjà
qu’avant la fin du XXe siècle, les voyages dans l’espace deviendraient
systématiques et que les planètes proches seraient colonisées.

En août 1971, la navette américaine Apollo 15 déposa sur la Lune un


engin motorisé avec trois cosmonautes, qui parcoururent une distance de 28
km et ramassèrent 77 kg d’échantillons à analyser. Cette même année, un
satellite américain survola la planète Mars et envoya des images précieuses
sur la Terre.

En 1972, une sonde russe se posa sur Mars et transmit des données
durant peu de temps. Par la suite, on étudia également d’autres planètes. En
1973, une sonde américaine atteignit Jupiter.
Cependant, la crise économique mondiale dut freiner la recherche spatiale
coûteuse. Les deux adversaires ne pouvaient plus continuer les surenchères.
Dans certains domaines, ils commencèrent même à travailler ensemble.

Le dernier grand succès spatial fut le voyage du robot Sojourner sur


Mars, en 1997, envoyant des images extraordinaires de la surface de la
planète.
Indépendamment de la recherche spatiale, de plus en plus de satellites
furent envoyés autour de la Terre, servant aux transmissions des images
télévisées et aux communications téléphoniques.

Progrès scientifiques et technologiques

Le développement des ordinateurs et de la télécommunication fut la


retombée directe de la recherche spatiale.

En 1959, les transistors remplacèrent les lampes, donnant lieu au


développement de petites postes de radio portables, puis des premiers
ordinateurs. L’électronique était née.

Depuis 1960, les vaccinations préventives ont permis de diminuer les


risques de maladies infantiles, notamment celui de la poliomyélite. Cette
même année, on commercialisa des pilules contraceptives. On découvrit le
scanner.

En 1967, le professeur Christian Barnard, chirurgien en Afrique du Sud,


réalisa avec succès la première transplantation cardiaque, couramment
utilisée depuis.

En 1970, se généralisa en médecine l’utilisation de l’échographie, du


scanner, du laser et de l’IRM. Les fours à micro-ondes devinrent des
appareils électroménagers.
On termina en Égypte le barrage d’Assouan sur le Nil, avec sa centrale
hydroélectrique, à l’aide de l’Union soviétique. La construction de ce barrage
créa en amont l’immense lac Nasser, noyant de nombreux vestiges égyptiens.
Le temple monumental du pharaon Ramsès II, à Abu Simbel, fut déplacé de
la zone inondée avec la participation de l’UNESCO. Le lit du Nil ayant été
régulé, on mit fin aux crues annuelles créant des terres cultivables depuis des
millénaires. L’usage des engrais chimiques devint indispensable.

En 1975, la généralisation des magnétophones permettant les


enregistrements simples, mit fin au monopole des disques à microsillons.

LE DERNIER QUART DU SIÈCLE


Les mouvements islamistes

Des attentats islamistes se répandirent dans les pays occidentaux, mettant


fin à la vie paisible de populations innocentes. Ils furent d’abord orientés
contre Israël et son soutien américain, au nom de l’islam, mais rapidement, la
plupart des pays occidentaux furent touchés.

En octobre 1973, les producteurs arabes doublèrent le prix du pétrole, puis


en décembre, ils le multiplièrent par cinq, déclenchant une crise mondiale !
Les États arabes ne supportaient pas l’existence d’Israël, créé en Palestine,
sur « leurs terres ». Ils ne reconnurent pas officiellement son existence.
Cependant, leurs attaques militaires contre Israël, même celles de l’Égypte,
soutenue par l’Union soviétique, échouèrent. La plupart des Palestiniens se
réfugièrent dans les pays voisins, au Liban, en Syrie et en Jordanie.

En 1977, Anouar El-Sadat, successeur de Nasser, rompit les relations de


l’Égypte avec l’Union soviétique et accepta l’aide de Jimmy Carter,
président des États-Unis, pour établir la paix avec l’Israël.

En 1978, Anouar El-Sadat et Menahem Begin, Premier ministre


israélien, mirent fin aux hostilités entre les deux pays ennemis par le pacte de
Camp David, assurant la paix durant plusieurs années. À la fin de cette
année, tous les deux obtinrent le prix Nobel de la Paix. Les autres pays arabes
ne pouvaient rien faire contre Israël sans l’aide égyptienne.
Les traditionalistes et les fondamentalistes de l’islam des deux tendances
(sunnites et chiites) se battirent entre eux. Les attentats suicidaires devinrent
quotidiens, au nom d’Allah.

En 1978, en Afghanistan, les communistes prirent le pouvoir par un putsch


militaire. Une résistance islamiste se développa contre eux. L’Union
soviétique soutint le gouvernement communiste et envahit l’Afghanistan en
1979, par crainte de la propagation islamiste dans ses États musulmans du
sud. Les États-Unis soutinrent avec des armes les islamistes contre les
communistes. Après 10 années de guerre interne, les soldats russes se
retirèrent d’Afghanistan et le gouvernement communiste fut renversé. Les
moudjahiddines prirent le pouvoir, puis les talibans, islamistes extrémistes.
En 1979, le régime du shah d’Iran fut renversé par une révolution
islamiste, dirigée par l’ayatollah Khomeiny. La République islamiste
d’Iran, de tendance shiite, fut proclamée. Reza Pahlavi, shah d’Iran, se
réfugia en Égypte. Les Émirats arabes et l’Irak, de tendance sunnite,
craignant la contagion de la révolution iranienne, observèrent avec méfiance
l’évolution de la situation. L’Iran renforça sa politique anti-israélienne et
antiaméricaine.

En 1980, le sunnite Saddam Hussein, président irakien, attaqua l’Iran,


espérant l’aide militaire américaine. Après 8 ans de guerre sans succès, les
deux adversaires conclurent la paix.

En 1990, Saddam Hussein, ruiné par la guerre contre l’Iran, annexa le


richissime Koweït. Les États-Unis organisèrent une armée de coalition pour
la libération de Koweït. En réponse, Saddam Hussein tira des fusées contre
Israël, en espérant qu’une éventuelle riposte israélienne ferait changer
l’objectif des armées arabes. Les États-Unis persuadèrent Israël de ne pas
réagir à la provocation. L’armée de coalition repoussa Saddam Hussein du
Koweït, qui mit le feu à ses puits de pétrole en 1991. Cependant, il n’attaqua
pas l’Irak, zone de protection contre l’Iran.
Ne craignant plus d’attaque irakienne, l’Iran renforcé organisa et finança
ouvertement des groupes fondamentalistes terroristes au Liban, en
Afghanistan et dans les pays islamistes voisins.

Les pays occidentaux furent envahis par des réfugiés économiques et


politiques islamistes, qui fuyaient la misère et la terreur de leur pays
d’origine, où malgré la solidarité prêchée par le Coran, les richissimes
Émirats ne les aidèrent pas. La première génération de ces réfugiés vécut en
paix dans leurs nouveaux pays, mais leurs enfants se laissèrent influencer par
les terroristes musulmans, qui les agitèrent contre l’Occident, au nom de
l’islam. Les plus fanatiques suivirent des « stages de formation terroriste » en
Libye et en Afghanistan, financés par l’Iran. En attendant les ordres, ils
étaient prêts à tout attentat, souvent suicidaire, au nom d’Allah.
Leur comportement déclencha souvent le racisme des habitants des pays
d’accueil, mais dans ces pays libres et démocratiques, on ne pouvait rien faire
contre eux sans preuve irréfutable.
Les États-Unis furent victimes du plus grave attentat islamiste de l’histoire,
au début du XXIe siècle. Bien qu’il dépasse le temps de mes mémoires
historiques, je ne peux pas le passer sous silence.

Le 11 septembre 2001, des terroristes musulmans détournèrent 4 avions


civils aux États-Unis, avec une précision chronométrée et bien ciblée. Deux
Boeing 747 s’écrasèrent contre les tours jumelles (WTC) de New York,
provoquant la destruction des tours et la mort de 3 000 employés et
voyageurs. Le troisième avion toucha le Pentagone du ministère de la
Défense et le quatrième s’écrasa devant la Maison Blanche à Washington,
sans la toucher.
George W. Bush, président des États-Unis, riposta par des campagnes
militaires contre les « nids de terroristes », accusant Bin Laden, chef d’Al-
Qaïda en Afghanistan, et Saddam Hussein, président irakien.

La chute des régimes communistes

L’année 1989 mit fin à la « guerre froide » qui durait depuis plusieurs de
décennies, entre les blocs de l’Ouest et de l’Est. L’Union soviétique, affaiblie
politiquement et économiquement, et ses démocraties populaires ne
pouvaient plus faire la course avec les pays occidentaux. Cette situation
durait déjà depuis plusieurs années, mais il manquait encore « l’étincelle »
qui provoquerait la chute de l’idéologie communiste. En 1989, le bloc des
démocraties populaires éclata et le « pacte de Varsovie » se dissolut. Ses
anciens membres cherchèrent leur sécurité auprès de l’OTAN.

En Union soviétique, en 1986, Mikhaïl Gorbatchev, président de


l’Union soviétique et secrétaire général du parti communiste soviétique, lança
un programme économique et politique pour redresser la situation de son
pays. Par la même occasion, il garantit l’autonomie des démocraties
populaires du bloc de l’Est, pouvant conduire vers leur indépendance totale.
En 1989, il réhabilita les victimes du stalinisme, puis retira l’armée russe
d’Afghanistan. Il interdit l’intervention de l’Armée rouge contre les
manifestants en RDA et, d’une manière générale, dans les affaires internes
des « pays amis ». Il mit fin à la politique d’armement, afin de consacrer
toute l’énergie de l’Union soviétique aux réformes économiques. Sa politique
libérale conduisit à l’indépendance rapide des démocraties populaires et de
certains États membres de l’Union soviétique.
En 1990, il obtint le prix Nobel de la paix.
En 1991, une tentative de putsch militaire échoua contre lui, mais
provoqua la séparation de plusieurs États membres de l’Union soviétique
(Estonie, Lettonie, Lituanie et Géorgie) et la démission de Gorbatchev.

En 1991, Boris Eltsine prit le pouvoir, remplaçant le nom de l’Union


soviétique par Confédération des États indépendants (CEI). Il mit fin au
régime communiste et, l’année suivante, il interdit même le parti communiste
en Russie, attirant la colère des anciens députés communistes. Il dissolut le
Parlement par la force en 1993 et renforça son pouvoir par une nouvelle
constitution. Il privatisa l’industrie et l’agriculture. Il adopta l’économie
de marché et libéralisa le marché international.
Ce changement brutal entraîna une inégalité de richesse de la population.
Certains tombèrent dans la misère, d’autres, bien placés et bien informés,
devinrent milliardaires en rachetant pratiquement pour rien les usines, les
mines et les champs pétroliers. En décembre 1999, Eltsine se retira pour
raison de santé et nomma son Premier ministre, Vladimir Poutine pour lui
succéder.

La Hongrie réagit la première parmi les démocraties populaires à la


possibilité de changement de régime, en écartant du pouvoir le vieux János
Kádár, malade. En février 1989, Károly Grosz, le nouveau secrétaire
général du parti dirigeant, admit le système multiparti et ouvrit les frontières
avec l’Autriche, autorisant les voyages vers l’Occident. Les touristes de
RDA, séjournant en Hongrie, en profitèrent pour fuir en masse vers la RFA à
travers l’Autriche.
En octobre 1989, le gouvernement proclama la République hongroise et
commença la négociation avec l’Union soviétique pour le retrait des soldats
russes stationnés en Hongrie.
L’année suivante, József Antall, du Forum démocratique hongrois (MDF),
vainqueur des élections libres, forma un gouvernement de coalition avec le
parti des petits propriétaires (FKgP) et des démocrates chrétiens (KDNP). Les
élections suivantes furent gagnées, en 1994, par la gauche, puis en 1998, par
la coalition de droite.
En 1991 la Hongrie quitta le pacte de Varsovie. En 1999, elle adhéra à
l’OTAN. Malgré son oscillation entre la gauche et la droite, la Hongrie opta
définitivement pour le camp occidental et, en 2004, elle entra dans l’Union
européenne.

La Pologne vivait une situation très tendue depuis des grèves de 1980. Le
syndicat ouvrier Solidarnosc était interdit. Son responsable, Lech Walesa,
obtint le prix Nobel de la Paix en 1983. En février 1989, Lech Walesa fit
voter les élections parlementaires libres, conduisant à une nouvelle structure
d’État, dont il fut élu le premier président entre 1990 et 1995. Selon les
nouveaux statuts, le gouvernement polonais était dirigé par les élus des
nouveaux partis ou par les héritiers de l’ancien régime.

La Tchécoslovaquie attendit jusqu’à la fin de l’année 1989 pour changer


de régime, après la « révolution de velours ». Vaclav Havel, le résistant
populaire de l’ancien régime, fut élu nouveau président des deux États
fédéraux de la République socialiste tchèque et de la République socialiste
slovaque. La nouvelle république des États confédérés ne dura que 3 ans. En
janvier 1993, les deux États se séparèrent à cause de leur passé historique,
leur mentalité et leur politique divergentes.

La nouvelle République tchèque, dirigée par Vaclav Havel, son


président jusqu’en 2003, s’intégra vite dans l’économie occidentale et son
industrie se développa rapidement grâce aux investissements étrangers.
En 1999, elle entra dans l’OTAN puis, en 2004, dans l’Union
européenne.

La République de Slovaquie se développa rapidement dans les premières


années, puis son essor ralentit à cause des mésententes entre son président de
la République Michal Kovac et le Premier ministre Vladimir Merciar. Suite
à ces problèmes, Michal Kovac démissionna et la Slovaquie resta sans
président de la République.
En 2004, elle entra dans l’OTAN puis dans l’Union européenne.

La Bulgarie resta la plus fidèle alliée de l’Union soviétique, dirigée durant


des dizaines d’années par son président, Todor Jivkov, qui démissionna en
1989. Cependant, après les premières élections libres, le parti communiste
resta au pouvoir. Il fallut attendre 1997 pour avoir de véritables changements
politiques, après des années de crise économique.

LA RDA ne voulait pas de changements. Cependant, les difficultés


économiques et les résultats faussés des élections de 1989 déclenchèrent des
manifestations. Erich Honecker, président du Conseil, demanda
l’intervention de l’armée soviétique pour remettre de l’ordre, mais
Gorbatchev la lui refusa.
De nombreux Allemands tentèrent de fuir leur pays en passant par la
Hongrie, où la frontière avec l’Autriche était ouverte. La RDA protesta
auprès de la Hongrie, qui autorisait cette véritable « transhumance humaine »,
mais sans succès.
En octobre 1989, à Leipzig, la population manifesta contre le régime
communiste et demanda la libre circulation. Une semaine plus tard, Honecker
démissionna et Egon Krenz devint le nouveau président de la RDA. Le 9
novembre 1989, la foule se précipita à la frontière que la garde ne pouvait
plus défendre. À minuit, on démolit des deux côtés le mur de Berlin.
Suite à ces évènements, Helmut Kohl, chancelier d’Allemagne de l’Ouest,
proposa à Gorbatchev la réunification des deux Allemagnes, que ce dernier
ne contesta pas.
En février 1990, débutèrent les longues négociations autour des conditions
de la réunification. Entre temps, le gouvernement de Krenz fut renversé et le
parti de l’Alliance prit le pouvoir.
Le 3 octobre 1990, les deux Allemagnes se réunirent et la RDA cessa
d’exister. À cause de la pauvreté, du chômage et de la crise économique de
l’ex RDA, l’amélioration de son niveau de vie fut extrêmement coûteuse,
freinant pour plusieurs années l’essor de la nouvelle Allemagne. Cependant,
elle réussit à reprendre sa position de leader dans l’économie européenne.

En Yougoslavie, une vive tension se développa entre les États fédérés


après la mort de Tito, en 1980. La politique nationaliste proserbe de
Slobodan Milosevic ne fit qu’aggraver la situation politico-économique.
En 1991, la Croatie et la Slovénie quittèrent la Confédération yougoslave,
suivies de la Bosnie, de l’Herzégovine et de la Macédoine, quelques mois
plus tard. En 1992, l’ONU reconnut l’indépendance de ces nouveaux États,
mais les Serbes s’y opposèrent violemment, déclenchant une guerre contre
eux.
La « grande Serbie » devint une petite République fédérale yougoslave,
avec la participation de la Serbie et du Monténégro, sous la présidence de
Slobodan Milosevic. À l’initiative des Serbes, une longue guerre cruelle
éclata en Bosnie, avec de très nombreuses victimes civiles. En 1995, la
Bosnie éclata en deux parties, la Confédération Croatie Bosnie et la
République serbe de Bosnie.
Cependant, les atrocités continuèrent. À cause de l’influence albanaise au
Kosovo, pour défendre la petite minorité serbe, l’armée yougoslave pratiqua
un grand « nettoyage ethnique », que seule l’intervention de l’OTAN put
arrêter. Le Kosovo fut placé sous la protection de l’ONU et Slobodan
Milosevic fut déclaré criminel de guerre, et condamné.

Parmi les nouveaux États, la Slovénie réussit le mieux à s’intégrer dans le


monde occidental. En quelques années, elle se plaça parmi les plus riches
pays européens. En 2004, elle entra dans l’OTAN, puis dans l’Union
européenne.

La nouvelle Chine

La chute du communisme international ne toucha pas la Chine. Cependant,


depuis la mort du Mao Tsé-toung, en 1976, la Chine subissait des
changements réguliers. En 1989, les émeutes des étudiants et les
manifestations ouvrières furent noyées dans le sang.
La Chine agraire miséreuse s’industrialisa, permettant l’amélioration
rapide des conditions de vie de ses habitants urbains. Cependant, les paysans
continuèrent à vivre dans la misère. La dictature communiste se transforma
en un capitalisme chinois, où certains se contentaient de leurs conditions de
vie très modestes et d’autres s’enrichissaient énormément et très vite.
L’industrialisation de la Chine fut accélérée par l’avidité des capitalistes
occidentaux qui, à cause de la main-d’œuvre bon marché, sous-traitèrent les
fabrications en série par les Chinois. Bientôt, la Chine suivit cet exemple
capitaliste et fit fabriquer en Afrique, encore moins cher, les articles
commandés par les industriels occidentaux. Malgré les longs trajets des
transports, à cause du coût de la main-d’œuvre incomparablement bas, les
articles finis arrivaient beaucoup moins chers sur le marché occidental que les
fabrications locales. Dans un premier temps, tout le monde était satisfait. Les
Chinois développèrent leur industrie et s’enrichirent. En même temps, les
articles fabriqués en Chine permirent de baisser les prix en Occident.
Cependant, « l’exportation du travail » conduisit au chômage et à la
diminution du niveau de vie en Occident.
Malgré la réglementation des naissances, la population de la Chine
atteignit 1,3 milliard à la fin du siècle.
La Chine prit la première place mondiale en production de céréales, en
élevage de bétail et en production de charbon et d’acier.

Nouvelles orientations

La protection de l’environnement

Au dernier quart de siècle, les écologistes réalisèrent la dégradation


dangereuse de l’environnement sous l’effet de la consommation, du
gaspillage et de la pollution, dus à la surproduction. Partout dans le monde,
des partis verts naquirent, dont le programme était la défense de
l’environnement. Dans un premier temps, leur programme, prêchant le retour
à « l’économie primitive », parut utopiste, mais les gens réalisèrent que, dans
le propre intérêt de l’humanité, il fallait modifier les conditions de production
et de consommation, dont les excès conduisaient inévitablement vers la
pollution générale de la biosphère, puis à sa destruction.

Le premier avertissement des risques environnementaux date du début des


années 1970. Au Japon, dans un village de la baie de Minamata, les
pêcheurs étaient atteints depuis des dizaines d’années d’une maladie
inconnue, provoquant la malformation des nouveau-nés, conduisant à la
dégénérescence et souvent à la mort. Il fallut des années de recherches pour
découvrir la vérité. L’usine de produits chimiques de Chisso déversait dans la
mer des déchets de mercure depuis le début du siècle. Le mercure
s’accumulait dans la chair des poissons, seul aliment de la population locale.
Les gens intoxiqués mouraient ou devenaient invalides, ou malades mentaux.

Les premiers scandales écologiques furent provoqués par le naufrage du


pétrolier Torre Canon, en 1973, puis celui de l’Amoco Cadiz, en 1978,
lesquels polluèrent avec leur chargement de goudron noir les côtes de
l’Europe occidentale pour de nombreuses années.
En 1979, à Seveso, l’explosion d’une usine de produits chimiques de Ciba
dégagea des gaz toxiques, recouvrant les régions du nord de l’Italie. Cette
même année, se produisit un grave accident à la centrale nucléaire de Three
Miles Island, aux États-Unis.
En 1985, l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en
Ukraine, contamina toute l’Europe avec ses nuages radioactifs, provoquant le
développement de nombreux cas de cancer. Suite à cet accident, la
construction de nouvelles centrales nucléaires fut suspendue ou stoppée dans
de nombreux pays européens, malgré la crise du pétrole.
Il faut aussi rappeler la contamination du sol et de la nappe phréatique par
l’utilisation abusive des engrais, des pesticides et par les rejets nitrés des
élevages porcins.
À la fin du siècle, on découvrit aussi les risques du réchauffement
climatique de la Terre, dû à la pollution atmosphérique, conduisant au
déséquilibre de la nature et à la disparition de certaines espèces animales et
végétales.

La protection de la santé

La médecine fit des progrès extraordinaires, permettant d’envisager, dans


un avenir proche, la prévention et la guérison de la presque totalité des
maladies. La chirurgie moderne fit des miracles.
Dans les années 1980, une nouvelle maladie incurable, le Sida, fit son
apparition, surtout dans le milieu des homosexuels et des drogués. Cette
maladie virale, transmissible sexuellement et par la contamination du sang,
arrivait d’Afrique, où elle était très répandue, avec des millions de victimes, à
cause de l’ignorance et des mauvaises conditions d’hygiène. Si le Sida reste
encore incurable, le progrès médical permet de soulager son effet et de
prolonger la vie de ses victimes.
En 1997, en Écosse, on effectua la première transplantation de noyau
cellulaire, reproduction par clonage du mouton, donnant naissance à une
agnelle appelée Dolly, copie conforme génétique de la brebis utilisée.

L’informatique

Le développement rapide des sciences et des techniques nécessita la


maîtrise totale de la connaissance des données, rendue possible par les
possibilités illimitées de l’électronique. Je n’ai pas l’intention (ni la
compétence) de parler des bases de l’informatique. Je me limite donc à citer
quelques résultats importants.
La recherche nucléaire et spatiale exigea le développement de calculs
scientifiques. En quelques dizaines d’années, les premiers ordinateurs
rudimentaires firent des progrès inestimables, se miniaturisèrent et se
vulgarisèrent. Au début, on les utilisa dans les bureaux pour le traitement de
texte et pour la gestion, puis dans les usines pour la conduite des
appareillages et des fabrications.
Avant la fin du siècle, grâce aux ordinateurs, la télécommunication, la
transmission des images par satellites, devinrent possibles à l’aide des
ordinateurs, ainsi que le stockage illimité des données.
L’ordinateur entra dans les foyers. Par Internet, tout devint accessible,
l’acquisition des données, la vidéocommunication, les achats par
correspondance, l’enregistrement d’images, de films et de musique.

Les sources modernes d’énergie propre

La crise du pétrole et la pollution inquiétante de l’environnement rendirent


obligatoire la recherche de nouvelles « énergies propres et renouvelables ».

Selon nos connaissances actuelles, l’énergie nucléaire peut être capable


d’assurer les besoins énergétiques de l’humanité entière. Son usage peut être
considéré « propre » pour l’atmosphère, mais les déchets solides radioactifs
de sa production, mis à part dans certains traitements pour recyclage, n’ont
pas encore trouvé d’autres possibilités d’élimination que le stockage
provisoire, en attendant une meilleure solution.
La construction des centrales nucléaires est très coûteuse et leur
fonctionnement n’est pas dépourvu de risques (Tchernobyl !). Plus de 75 %
de la production d’énergie électrique française est assurée par des centrales
nucléaires.

Les éoliennes se répandent de plus en plus, depuis la fin du siècle. Bien


que faibles producteurs d’énergie électrique, ne tournant qu’un tiers du
temps, ces énormes turbines à vent, souvent critiquées, font partie des
campagnes exposées aux vents.
L’énergie solaire fournissant de l’électricité est peu développée, à cause
du faible rendement et du coût élevé des piles solaires. Toutefois,
l’utilisation des récupérateurs de chaleur du soleil devient de plus en plus
répandue.

La géothermie est de plus en plus utilisée, bien qu’elle nécessite aussi un


investissement et un entretien coûteux.

La valorisation des courants et de l’énergie des vagues marines n’est


encore qu’à l’étude, mais prometteuse.

La source d’énergie la plus propre et la plus généralisable pourrait être


l’hydrogène, mais sa fabrication est encore très coûteuse.

Les évènements de la fin du siècle

En 1978, Jean-Paul II, pape polonais, fut élu par le Vatican. Il fut célèbre
par sa popularité et par sa politique pacifique de réconciliation. Il prit position
contre le terrorisme et contre le réarmement. Il aurait joué aussi un rôle
important dans la chute du communisme.

En 1977-1981, Jimmy Carter, président des États-Unis, réussit à


réconcilier pour plusieurs années l’Égypte et Israël. Il rétablit aussi les liens
diplomatiques avec la Chine. Il reçut le prix Nobel en 2002.

En 1979, Margaret Thatcher (la « dame de fer »), Premier ministre


anglais, redressa l’économie de l’Angleterre avec sa sévère politique de
droite, financière et antisyndicale. En 1982, elle mena une guerre rapide
contre l’Argentine, reconquérant les îles de Falkland. En 1990, elle se retira
de la politique.

En 1981-1989, Ronald Reagan, président des États-Unis, se rendit célèbre


par sa politique de « course au réarmement », épuisant économiquement
l’Union soviétique et conduisant à la chute du communisme.
En 1981, aux élections présidentielles, François Mitterrand, candidat de
la gauche commune, fut élu le premier président de la gauche en France.
Cette même année, son gouvernement abolit la peine de mort. Bientôt, toute
l’Europe suivit son exemple et la plupart des pays libres. Durant ses deux
mandats de 7 ans, François Mitterrand fit voter plusieurs lois sociales. Petit à
petit, il s’éloigna de sa politique de gauche et fit même « couler » le parti
communiste français, son allié.
Parmi ses réalisations culturelles, il faut citer la pyramide du Louvre et la
nouvelle Bibliothèque nationale.

En 1982-1998, Helmut Kohl, chancelier de la RFA, joua un rôle


important dans la réunification des deux Allemagne et le renforcement des
relations amicales avec la France. Il fut à l’origine de la création de l’Union
européenne.

Le 7 février 1992, la Communauté économique éuropéenne devint


l’Union européenne, avec la participation de 12 pays : l’Allemagne, la
Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grèce, la Hollande, l’Irlande,
le Luxembourg, la Grande-Bretagne, l’Italie et le Portugal.

En 1994, on inaugura le tunnel sous la Manche, reliant l’Angleterre à


l’Europe. Le TGV relia Londres à Paris en 3 heures.

En 1997, la Grande-Bretagne restitua Hong-Kong à la Chine, après 150


ans de colonisation. Cette décision, provoquant l’effroi de sa population, se
passa cependant sans heurts. La Chine communiste ne modifia pas la
structure socio-économique de Hong-Kong, la jugeant très utile pour relancer
son économie et son commerce.

COMMENTAIRES SUR LA SITUATION GÉNÉRALE


À LA FIN DU XXE SIÈCLE

La chute du communisme ne permit pas d’obtenir les résultats escomptés.


La dictature communiste disparut et les démocraties populaires se détachèrent
de l’Union soviétique. Elles rejoignirent aussitôt les pays occidentaux.
Cependant, la fin de la concurrence entre le capitalisme et le communisme,
assurant un certain équilibre, libéra un capitalisme sauvage, pratiquement
sans règles, conduisant à une crise générale. La classe dirigeante ne reculait
plus devant rien pour s’enrichir le plus vite possible, au détriment de la classe
ouvrière.
Il faudrait des années d’essais et d’expérience pour rétablir un nouvel
équilibre.

Le communisme aurait pu devenir un régime exemplaire avec des


dirigeants honnêtes, même si son idéologie égalitaire, n’est pas motrice du
développement rapide, nécessitant de la concurrence et de la productivité.
Avec ses dirigeants (souvent malhonnêtes et égoïstes), persuadés de leur
vérité incontestable, le communisme devint une dictature sanglante, ne
tolérant aucune contestation et aucune liberté individuelle.

Le capitalisme favorisa le développement illimité des techniques et de la


production, augmentant le niveau de vie, et donna la possibilité à tout le
monde de s’enrichir, mais il ne recula devant rien pour s’enrichir, en
exploitant sans pudeur la classe ouvrière. Toutefois, avec des lois et des
syndicats honnêtes, on pourrait le rendre plus humain.

La guerre froide, la course aux armements et les risques d’une troisième


guerre mondiale cessèrent entre les grandes puissances. Cependant, des
guerres inter-ethniques, religieuses et pour le pouvoir existent toujours,
quelque part dans le monde. Il faut bien utiliser les armes fabriquées à grande
échelle, assurant des bénéfices confortables à leurs fabricants. Heureusement,
peu de pays à risques disposent encore d’armes nucléaires puissantes.
Cependant, les fanatiques pourraient s’en contenter pour provoquer des
désastres !

Il faut rappeler la situation désastreuse des pays africains, à la fin du siècle.


Les jeunes États libérés de la colonisation ne purent pas profiter de l’immense
richesse de leur territoire. On ne peut pas en accuser éternellement les anciens
colonisateurs et leur politique égoïste. Ils aident les Africains par des moyens
techniques, culturels et sanitaires, même s’ils les exploitent en achetant leurs
richesses naturelles et leurs productions à des prix défiant toute concurrence.
Les Africains sont responsables de leur sort, car ce sont leurs élus qui les
exploitent le plus et qui détournent à leur bénéfice les aides financières des
pays occidentaux. Ce sont eux-mêmes qui déclenchent les guerres inter-
ethniques ou les guerres de « punition », détruisant des peuples entiers. Les
Africains se révoltent quelquefois contre leurs tyrans, mais pour mettre
ensuite un autre tyran à leur place.
De nombreux Africains fuient leur misère en émigrant dans les pays
occidentaux, où ils sont exploités. Cependant, malgré leurs salaires miséreux,
ils peuvent faire vivre leur famille et quelquefois des villages entiers en
Afrique.
Même si cela paraît méprisant, on peut dire qu’ils ne sont pas encore
mûrs pour l’indépendance !

J’aurais dû parler aussi de l’art et du sport, mais ils devinrent des


« articles de luxe » très chers, déviant de leur vocation initiale. Ils ne
méritent donc pas leur place.

Je dois dire, toutefois, quelques mots des « arts modernes


contestataires », développés avec grand succès parmi les jeunes des quartiers
pauvres des banlieues, du « tag » et du « rap ».
Le tag représente des peintures naïves et personnalisées, salissant les murs
et les moyens de transport. Son but est de montrer partout la « signature » de
son « artiste ». Il doit être réalisé avec de la peinture volée.
Le rap est une contestation sonore, un texte « aboyé », accompagné par
une musique de fond, de préférence du tambour, mixée par de jeunes révoltés
de la société. Il est à la portée de tout le monde, avec ou sans talent. Les
rappeurs les plus talentueux peuvent devenir très célèbres, mais leurs œuvres,
dépourvues de toute mélodie, laisseront peu de souvenirs aux futures
générations. Pour cela, je ne peux pas les appeler « arts ».
ÉPILOGUE

J’arrive à la fin de mon long voyage dans l’histoire de l’homme.


L’évolution rapide, voire exponentielle, de l’humanité me paraît incroyable et
me laisse perplexe. Les découvertes des dernières années sont tellement
nombreuses et tellement incroyables que j’ai peur de penser au futur. Sans la
maîtrise raisonnable des découvertes, le danger de l’autodestruction de
l’humanité nous guette ! Que deviendrons-nous, que deviendra la Terre ? Va-
t-on la faire exploser et chercher une nouvelle vie dans l’espace pour
survivre ? Je préfère ne pas y penser.

Au cours de l’histoire mondiale, les évolutions importantes se terminèrent


toujours par la décadence, par la chute des grandes civilisations, mais les
connaissances et les vestiges furent repris par de nouvelles puissances.
Suivant cette « loi », les résultats des grandes puissances d’aujourd’hui se
poursuivront, même s’ils ralentissent provisoirement après quelques crises.

J’ai suivi attentivement les évènements du passé et l’histoire des peuples


des différents pays dans le monde entier. Même brièvement, il m’était
impossible de donner une image globale de tous les évènements importants.
Sans diminuer l’importance de celle des autres peuples, j’ai donné donc une
petite priorité à l’histoire du peuple hongrois, qui mérite d’être connue et dont
je suis issu.

Après sa chute, sa disparition presque définitive à la fin du Moyen Âge,


puis après à sa renaissance incroyable en quelques dizaines d’années dans la
monarchie d’Autriche-Hongrie, je croyais que rien n’était impossible pour ce
peuple. En effet, tout se passa merveilleusement bien. Les Hongrois
retrouvèrent les frontières anciennes de la Grande Hongrie du bassin des
Carpates. Cette renaissance laissait à croire qu’ils cohabiteraient en paix, dans
une confédération, avec les minorités immigrées repeuplant ce grand pays,
après son dépeuplement tragique au cours de l’histoire.
La plupart de ces peuples devinrent des Hongrois, tout en gardant leurs
traditions et quelquefois même leurs langues. Tout était donc possible. Mais
non, cela aurait été trop bon !
Il fallait que la Hongrie participe à la Première, puis à la Deuxième Guerre
mondiale, avec l’Autriche, puis avec l’Allemagne, qu’elle aurait pu, peut-
être, éviter, avec une politique sage et raisonnable. Mais elle n’avait pas de
politiciens de valeur. Ses représentants fiers, maladroits et méprisants
attirèrent la haine de ses voisins avec leurs idées revanchardes.

« Tous les peuples ont les chefs qu’ils méritent. »

Il fallait que, dans la Grande Hongrie de la monarchie austro-hongroise, les


dirigeants hongrois traitent avec mépris les minorités d’origine étrangère, les
prenant pour des citoyens inférieurs, malgré leurs droits historiques. Humiliés
dans leur fierté, ils se révoltèrent à la première occasion, présentée par
l’éclatement de l’empire d’Autriche-Hongrie. Ils revendiquèrent les territoires
habités par eux, depuis des centaines d’années, à côté des Hongrois ou
mélangés avec eux. Au traité de Trianon, la Grande Hongrie perdit les deux
tiers de son territoire. Ses anciens peuples minoritaires créèrent de nouveaux
États autour de la nouvelle petite Hongrie.
La perte de la Deuxième Guerre mondiale ne fit que détériorer sa situation
géographique. La Grande Hongrie cessa d’exister pour toujours.
Un jour, peut-être, on s’en souviendra comme d’un vestige du passé,
comme d’une grande puissance européenne de l’histoire ancienne.
Déjà, dans son histoire, elle ne pouvait exister et survivre que grâce à ses
immigrés, vivant en bonne intelligence avec les Hongrois, et ayant tous
les droits. Nous les poussâmes à la révolte en supprimant leurs droits et en
les traitant de « peuples inférieurs » (comme Hitler !). Ne soyons donc pas
étonnés qu’ils aient voulu se débarrasser de nous et aient pris les terres où ils
avaient vécu en paix avec leurs hôtes hongrois durant des siècles.

Soyons honnêtes. Que pourraient faire aujourd’hui dans un si grand pays


les 10 millions de Hongrois habitant dans leur petit pays actuel, répartis dans
des « partis ennemis », incapables de s’entendre entre eux ?
Durant le régime communiste, on pouvait encore dire que l’Union
soviétique, nous privant de toute notre liberté, était responsable de tous nos
malheurs et que si un jour nous nous libérions, nous serions grands et
puissants, comme dans le passé.

Aujourd’hui, nous sommes enfin libres. Nous sommes membres de la


Communauté européenne et de l’OTAN. Rien ne nous menace plus. Il
n’existe plus aucune menace extérieure, mais celle de l’intérieur est pire. Les
nombreux partis répartis dans des camps opposés se battent entre eux pour le
pouvoir, et surtout pour remplir leurs poches. Ils accusent de tous les maux
les partis au pouvoir, qu’ils soient de gauche ou de droite, au lieu de
s’entraider pour améliorer la situation de leur pays. Si l’on coupait en deux ce
petit pays, créant un État de gauche et un État de droite, ils trouveraient
encore des raisons pour se battre entre eux, à l’intérieur de leurs nouveaux
États !

Mais je reste optimiste, car si dans l’histoire de l’humanité tous les


peuples et toutes les grandes civilisations disparurent en quelques
milliers ou après quelques centaines d’années, le peuple hongrois existe
toujours, avec son passé de plusieurs milliers d’années.

J’espère toujours sa renaissance. Pas sa puissance ou sa grandeur, mais tout


simplement son épanouissement et son bonheur, entouré de voisins amicaux,
guidé par des politiciens honnêtes.

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