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histoire
du Yoga
L'HISTOIRE DU YOGA
DÉCRYPTÉE PAR ZINEB FAHSI
Introduction
Discipline extrêmement
populaire,
rassemblant des millions de
pratiquant.e.s en France,
le yoga fait aujourd’hui partie
du paysage culturel occidental
comme pratique corporelle
remédiant aux maux de la
société moderne :
le stress et la sédentarité.
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01 LE YOGA
EST-IL UNE RELIGION ?
Alors certes, ce n’est pas une religion tel qu’on l’entend sous nos
latitudes, au sens monothéiste du terme. Et si vous plongez dans
l’histoire du yoga, vous constaterez que le yoga est davantage une
orthopraxie, une façon de faire, une pratique, qu’une orthodoxie,
avec un dogme figé auquel il faudrait croire au préalable.
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Ainsi, le yoga recouvre de multiples pratiques, qui vont de la
méditation à l’étude des textes sacrés, de la pratique d’austérités et de
postures à la dévotion à une divinité, et qui se sont adossées à tout un
tas de moules théoriques très différents, parfois religieux, et parfois non
: bouddhisme, jaïnisme, Samkhya, Yoga Sutra, Advaita Vedânta,
Shivaïsme du Cachemire, sectes vishnouites, soufisme.
Quels que soient les moules dans lesquels il s’est fondu, le yoga
prémoderne a néanmoins un objectif très religieux : le salut de
l’âme, moksha, la libération de l’âme individuelle du cycle des
réincarnations.
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Ainsi, le yoga postural contemporain mondialisé ne semble plus
pouvoir être assimilé aujourd’hui à une religion.
Rares sont les pratiquants qui se rendent sur leur tapis avec pour
objectif de sortir du cycle des réincarnations !
Ainsi, les cours prennent soin de marquer une certaine rupture entre
le temps « d’avant le cours », profane, et l’espace du cours, « sacré
», sanctuaire en marge du quotidien mondain.
En témoignent l’intériorisation du début du cours, où il est souvent
proposé aux pratiquant.e.s de laisser de côté le monde extérieur et
ses préoccupations, et une certaine sacralisation de l’espace de
pratique, avec la nécessité absolue de se déchausser avant d’entrer, et
l’adoption quasi-unanime d’une attitude plus silencieuse, intériorisée
dès lors qu’on franchit le pas de la porte.
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Enfin, le temps d’intégration en savasana, théâtre ritualisé d’une mort
et renaissance symboliques du pratiquant, renouvelé en profondeur
dans son rapport à lui-même et par là au monde, à travers sa pratique.
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LE YOGA EXISTE-T-IL
VRAIMENT DEPUIS
5000 ANS ?
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La découverte de ces deux artefacts
(parmi d’autres) incite John
Marshall, alors directeur du service
d’archéologie de l’Inde sous
domination britannique, à affirmer
que le sceau du Mohenjo Daro est
une forme de Shiva archaïque en
posture de yoga, que la statue dite
du roi-prêtre représente une
personne en méditation, et donc,
que le yoga serait vieux d’au moins
Statut du roi-prêtre 5000 ans.
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Et enfin, il est impossible d’établir une continuité historique fiable entre
le personnage du sceau et le dieu Shiva, dont le culte apparaît, à priori
bien plus tardivement, autour du début de l’ère commune.
De même, le regard méditatif du roi-prêtre est désormais plutôt attribué
à une interprétation (légèrement coloniale !) des traits asiatiques de la
statuette, l’un de ses bras semblant par ailleurs imprimer l’idée d’un
mouvement.
Enfin, le terme « yoga », lui, fait son apparition un peu plus d’un
millénaire plus tard dans les hymnes du Véda, sans désigner pour
autant à ce moment-là une pratique corporelle ou méditative.
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Ainsi, il est impossible d’affirmer que le yoga est né il y a 5000 ans
dans la vallée de l’Indus.
Ainsi, avant d’être conçu comme une discipline physique, le yoga est
initialement formulé comme une quête de libération.
Une intention à mon sens essentielle à garder en mémoire aujourd’hui
encore, en tant qu’enseignant.e et / ou pratiquant.e de yoga.
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03 LE YOGA, UNE QUÊTE
DE LIBÉRATION
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Ainsi les pensées indiennes anciennes vont s’attacher à dessiner
différentes voies et méthode de salut, visant à libérer l’être humain
du cycle des réincarnations et par là-même, de la souffrance.
L’entrée dans l’époque moderne, ainsi que sa rencontre avec de
nouvelles audiences indiennes et occidentales ont transformé les buts
assignés au yoga.
Peut-être que comme moi, sans crier gare, le yoga a contribué à vous
libérer, peut-être d’une anxiété latente, d’un rapport au corps
conflictuel, de questionnements existentiels, d’un mal de dos, d’un mal-
être difficile à nommer. Et peut-être aussi que comme moi, en même
temps, le yoga vous a aussi exposé.e à de nouvelles injonctions :
celle d’un corps souple et mince, celle de la « zen / positive attitude » à
tout prix, celle de l’amélioration continue par un travail permanent sur
soi, celle de l’élévation spirituelle ostentatoire, celle de suivre certains
régimes alimentaires restrictifs.
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Comment notre pratique et notre enseignement peuvent-ils être
sources autant que possible d’émancipation pour nous et pour les
autres, et non de nouvelles aliénations ou injonctions ?
Autrement dit, comment faire pour que le yoga reste autant que
possible une pratique de libération dans nos contextes
contemporains ?
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04 À PROPOS DE LA
RÉINCARNATION
Dire que quelqu’un quitte son corps physique pour parler de son décès
est en effet révélateur d'une certaine conception de la mort, de la
vie après la mort, et du corps, conceptions qui sont au cœur des
textes du yoga prémoderne. Si bien sûr ces notions ne sont pas
parfaitement identiques d’une tradition de yoga à l’autre, on retrouve
néanmoins dans la plupart des courants les mêmes grandes idées.
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Cette vision change dans les textes philosophiques des Upanishads. Des
notions inédites font leur apparition à cette époque, à la fois au sein de
la religion védique, mais également chez des petits groupes d’ascètes
renonçants comme les premiers bouddhistes et les jaïns.
Ainsi, à partir du 6e siècle avant notre ère, plus de paradis en vue :
l’être humain est considéré comme étant prisonnier d’une errance
sans fin (ou presque !) dans le cycle des existences, appelé samsâra.
Dans cette conception des choses, l’être humain est voué à renaître
(quasi) éternellement, et donc à vivre de multiples vies. On pourrait
trouver cette perspective plutôt réjouissante ! Mais ce n’est pas l’avis des
sages des Upanishads, ni celui des bouddhistes et des jaïns : la vie
humaine étant appréhendée comme par essence précaire, éphémère,
et donc souffrante, le cycle des renaissances est le mal, la douleur dont
on cherche à se libérer.
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Ce qu’on cherche à libérer du cycle des renaissances, c’est ce que les
textes de l’hindouisme et du yoga appellent tour à tour l’âtman, ou le
purusha, traduits souvent par le « Soi ».
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QU'EST-CE QUI SE
CACHE DERRIÈRE
LE TANTRA ?
Dans les chroniques précédentes, nous constatons que nous cherchons
à nous libérer, notamment de notre corps physique, dont nous
serions prisonnier.e.s.
Souvent conçu comme un obstacle à dépasser, nous sommes bien loin,
dans les premières traditions du yoga, de la vision positive du corps
dont nous héritons en partie aujourd’hui dans le yoga contemporain, à
coup de #moncorpsestuntemple.
C’est le moment de vous parler des tantras !
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Les tantras sont des textes révélés qui apparaissent autour du 5e et 6e
siècle dans le Nord de l’Inde.
Ils proposent une nouvelle vision du monde et de nouvelles voies de
libération du cycle des renaissances, les précédentes étant jugées
comme dépassées. Si ces textes sont très hétérogènes tant dans leurs
doctrines que dans leurs pratiques, ils présentent néanmoins des
caractéristiques communes.
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Par le biais de ces visualisations élaborées, de récitations de mantras, de
gestes de la main, le pratiquant cherche à diviniser son corps, et par
là, à devenir semblable à la divinité suprême, Shiva, ce qui permet au
pratiquant d’atteindre la libération.
Les tantras auront une influence immense sur toutes les religions
indiennes de l’époque : bouddhisme, hindouisme, jaïnisme.
La rencontre entre la vision du corps tantriques et les méthodes
ascétiques de certains ascètes donnera plus tard naissance à une voie
de yoga dont nous héritons aujourd’hui, bien qu’elle ait également
évolué avant d’ arriver jusqu’à nous : le hatha yoga.
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DEPUIS QUAND
PRATIQUE-T-ON
LES POSTURES
DE YOGA ?
Dans toutes les chroniques précédentes, je n’ai pas encore fait la
mention de ce qui aujourd’hui constitue la pratique emblématique du
yoga : les asanas (postures) !
Associé à la pratique posturale au point d’en être presque devenu le
synonyme, le yoga n’a pourtant pas toujours été la pratique athlétique
que nous connaissons. Alors, depuis quand pratique-t-on les postures
de yoga ?
Ces postures qu’on nous présente comme venant du fond des âges, aux
vertus thérapeutiques, énergétiques et spirituelles éprouvées par les
siècles, ont-elles vraiment été pratiquées en Inde depuis des millénaires
? Autrement dit, notre pratique de yoga contemporain ressemble-t-
elle à celle des yogis du début de notre ère ?
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La pratique de yoga est née initialement comme une pratique visant
l’immobilité, et non le mouvement. Par l’arrêt des mouvements
physiques et mentaux, le yogin cherche à entrer dans des états
méditatifs profonds, porte vers la sortie du cycle des renaissances.
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Dans la Hatha Pradipika, texte du 15e
siècle qui compile et synthétise les
connaissances sur le Hatha yoga, on
dénombre 7 postures non
méditatives, et les postures sont
décrites comme faisant partie
intégrante des techniques du Hatha
yoga. Des vertus thérapeutiques et
spirituelles leur sont attribuées, et elles
visent à préparer un corps fort, sain et
souple pour la tenue de l’assise
prolongée.
C’est au cours des 19e et 20e siècles que la pratique posturale prend
un tournant particulier dans la pratique du yoga.
Alors que le Hatha yoga est une pratique marginale et plutôt mal vue
par les élites indiennes et par les colons britanniques, l’éclosion de la
lutte pour l’indépendance en Inde combinée à l’essor d’une culture
physique hygiéniste et nationaliste en Europe et dans ses colonies va
contribuer à une renaissance du Hatha yoga en Inde.
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Perçu comme une pratique de culture physique autochtone, capable de
renforcer le corps et l’esprit des indiens et d’affirmer leur puissance
pour mener à bien leur lutte pour l’indépendance et la construction
d’une Inde libre du joug colonial, le yoga est réapproprié par les
sphères nationalistes.
Ainsi, s’il est sans doute difficile de retracer l’historique des postures
une à une, il est probable que notre pratique quotidienne soit bien
éloignée de celle des premiers yogis, en apparence.
Les postures que nous pratiquons sont le fruit d’une histoire longue
et d’influences diverses. Et qu’elles soient millénaires ou récentes ne
change rien à leurs potentiels bienfaits !
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DEPUIS QUAND
SALUE-T-ON
LE SOLEIL ?
S’il est difficile de retracer l’histoire des postures une à une, il est
possible pour certaines d’assembler prudemment les pièces du puzzle
historique qui les a menées jusqu’à nous. C’est en partie le cas du plus
emblématique des enchainements du yoga : la salutation au soleil.
Alors… depuis quand salue-t-on vraiment le soleil ?
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Néanmoins, nulle trace de la pratique de la salutation telle que nous
la connaissons dans les rites védiques, et encore moins dans les
Védas, contrairement à ce que prétendait Patthabi Jois, fondateur de
l’Ashtanga Vinyasa Yoga. Celui-ci affirmait en effet que les séquences
des salutations y sont décrites avec exactitude, asseyant ainsi leur
légitimité en situant leur origine dans un corpus à la fois plurimillénaire
et d’origine suprahumaine, les textes védiques étant considérés comme
révélés dans la tradition hindoue.
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Le bodybuilder indien K.V Iyer, véritable star de l’époque et incarnation
de l’idéal physique masculin indien, intègre la salutation au soleil dans
sa routine d’entraînement, ainsi que des postures issues du hatha yoga,
contribuant ainsi à leur popularisation comme exercices typiquement
indiens favorisant la puissance musculaire.
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POURQUOI
JE NE CÉLÈBRE PAS
LA JOURNÉE
INTERNATIONALE
DU YOGA
À propos de soleil, c'est le temps du 21 juin, journée internationale du
yoga. Comme évoqué dans une précédente chronique, le yoga est
aujourd’hui instrumentalisé par les nationalistes hindous. Le cas de la
journée internationale du yoga est révélateur de cette
instrumentalisation.
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Milice paramilitaire créée à l’époque de l’Inde colonisée par l’empire
britannique, le RSS défend une vision de l’identité indienne
exclusiviste, l’hindutva, consubstantielle à la race et la religion hindoue,
niant ainsi le pluralisme religieux de l’Inde et rejetant la possibilité
d’une Inde laïque et multiconfessionnelle.
* Lina Sankari, « Inde. Modi rêve d’une race supérieure », L'Humanité, 30 juillet 2017, consulté le 14 juin 2021
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Symbole de paix et de tolérance, le yoga est devenu une vitrine et un
instrument de soft power idéal pour adoucir et maquiller la
politique xénophobe du gouvernement, au profit d’une image de
nation tolérante et pacifiste qui ferait cadeau de ses sagesses
ancestrales pour le bien-être et l’harmonie du monde.
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DEPUIS QUAND
CHANTE-T-ON
LE MANTRA OM ?
Pour terminer ce voyage ensemble, une question bonus pour vous !
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Le sacrifice rituel est ainsi le moyen de demander au dieux, en échange
des offrandes qui leur sont destinées, de garantir la sécurité du
royaume, une bonne descendance, et la prospérité matérielle.
Un peu plus tard, dans les Brahmana, textes qui décortiquent le rituel et
qui datent du début du premier millénaire avant notre ère, le mantra
OM est présenté comme étant issu du premier homme cosmique,
appelé Prajapati. Par son ascèse, Prajapati donne naissance à trois
dieux, qui eux mêmes donnent naissance aux trois Veda, qui eux-
mêmes donnent naissance aux trois mondes, qui eux-mêmes donnent
finalement naissance aux son A, U et M : le son OM. Ainsi, le son OM
devient le son qui contient tout, les trois mondes, les trois Vedas, les
dieux.
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Plusieurs Upanishads affirment elles aussi que « Le monde entier est
OM ». La Mandukya Upanishad, qui date du début de notre ère, est
consacrée au son OM et le présente aussi comme étant l’agrégation
des 3 sons A, U et M, et y ajoute un quatrième composante : le
silence. Les sons A, U, M sont respectivement associés aux états de
veille, de rêve, et de sommeil profond, tandis que le silence est
associé à un quatrième état au-delà de toute distinction, celui de la
conscience absolue.
Avec les Upanishads, le son OM n’est non plus une formule à réciter, à
scander à destination des dieux, mais un support de méditation. Il
passe du monde de la parole, celui de la religion védique, au monde du
silence, celui des renonçants des Upanishads. La syllabe sacrée OM
devient le symbole de la transcendance, l’Absolu fait son. Le répéter
ou le contempler permet d’appréhender l’Absolu, et d’atteindre le but
ultime : la libération. Ces enseignements sont repris dans le Yoga
Sutra, texte fondateur de l’école classique du yoga.
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L’autrice et professeure de yoga Susanna Barkataki, dans son ouvrage
qui interroge l’appropriation culturelle Embrace Yoga Roots, invite à
tisser une relation sincère avec sa pratique.
Si le OM est purement décoratif, chanté pour « faire yoga »,
instrumentalisé pour vendre des T-shirts ou autres, alors probablement
vaut-il mieux s’en abstenir. Elle insiste sur la dimension unitive du son
OM, qui rappelle que nous sommes tous.tes lié.e.s, et à agir dans le sens
d’une plus grande émancipation collective.
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Nous espérons que ce bref voyage dans
l’histoire du yoga vous a plu !
https://ayuyogaschool.com/histoire
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Bibliographie
Le yoga, 2500 ans d’histoire, Clémentine Erpicum, Editions La Plage
Key Chapple, Christopher, « Spéculations et pratiques tantriques »
dans l’Encyclopédie du yoga, dirigée par Ysé Tardan Masquelier, Albin
Michel, 2021
Mallinson, James et Singleton, Mark, Les racines du yoga, Almora, 2020
Padoux, André, Comprendre le tantrisme. Les sources hindoues, Paris,
Albin Michel, coll. «Spiritualités vivantes», 2010
Sur le podcast Yogic Studies : les entretiens avec Ben Williams et
Sravana Borkataky-Varma
Mark Singleton, Aux origines du yoga postural moderne, éditions Almora,
2020
Elliott Goldberg, L’Encyclopédie du yoga, « L’invention de la salutation au
soleil », p. 499 – 501, direction Ysé Tardan Masquelier, éditions Albin
Michel, 2021
Daniel Simpson, The Truth of Yoga, « Saluting the Sun », éditions North
Point Press, 2021
Raphaël Voix, « L’Inde ‘guru du monde’ ? Le yoga instrumentalisé »,
dans l’Encyclopédie du Yoga (dir. Ysé Tardan Masquelier), éditions Albin
Michel, 2021
L’article en trois volets de Jeanne Pouget « Yoga et nationalismes », sur
notre blog Citta Vritti : https://cittavritti.fr/2020/11/24/yoga-
nationalisme-arme-propagande-politique-religieuse/
Sur l’appropriation culturelle, l’article de Jeanne Pouget sur notre blog
Citta Vritti : https://cittavritti.fr/2021/07/27/glossaire-appropriation-
culturelle/
Ainsi que son interview de Susanna Barkataki, traduite en français par
Anaïs Raspail : https://cittavritti.fr/2021/06/18/interview-avec-susanna-
barkataki-fr-le-veritable-objectif-du-yoga-est-la-souverainete/
Sur le son OM, voici le lien vers le site web de Finnian M.M. Gerety et
ses publications (en anglais) : http://finniangerety.com/publications
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