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Pierres angulaires du sacré dans le proto-

islam : entre itinérance et aniconisme


Écarter tant soit peu, l’Islam de son berceau natal présupposé mecquois et le dissocier de
la figure de « l’envoyé d’Allah », semble une étrangeté pour l’imaginaire du commun des mortels et
un exercice périlleux pour tout chercheur académique. Le paradigme dit de Nöldeke, qui effectue
une lecture univoque du corpus coranique à l’aune des biographies du Messager Muḥammad
prévaut toujours dans la majorité des récits de l’histoire de l’Islam. Pour les premiers orientalistes
occidentaux comme Weil, Blachère, le Coran était à lire linéairement avec la carrière du Prophète
Muḥammad.1

Nous nous porterons en faux de ces thèses postulant que la clé de la chronologie du Coran
est de suivre le développement de la personnalité du Prophète : « Si le Coran est en effet avare de
détails chronologiques et historiques, il fourmille par contre de renseignements sur la vie religieuse
de Muḥammad » ;2 nous avons cherché, en vain, ces derniers. Le Coran ne nous montre jamais la
Face du Messager Muḥammad et encore moins nous dévoile, la géographie du périple de son umma.
On démontrera ici que les pierres angulaires du proto-islam sont à l’image de la pierre noire (et des
bétyles des rituels pagano-arabes décrits par H. Lammens) : itinérantes et aniconiques – dans le sens
où elles dissimulent l’identité et la face réelle du fondateur.

Utiliser un Muḥammad mecquois ou médinois était et est encore, l’axiome principal des
études coraniques. Cette idée reposait sur les convictions que le Coran n’a qu’un seul auteur, aucun
rédacteur, et qu’il reflétait l’expérience de sa communauté partie d’Arabie occidentale. Rares encore
sont les discours académiques qui s’extraient de ce paradigme. Ainsi, la réflexion exégétique
islamique glosant sur le changement de qibla utilise encore la vie du Prophète pour expliciter un
texte très confus sur ce retournement.

Pour autant, l’entièreté des témoins historiques (corpus coraniques anciens, sources
épigraphiques et numismatiques, chroniques extérieures à la Tradition) boude les fondations
mecquoises du sacré en islam mais est extrêmement prolixe à décrire des fondations syriennes (et
syriaques) du sacré du proto-islam. Des monuments du sacré y sont érigés et des controverses avec
des religieux de Syrie sont rapportées. Ainsi tous ces témoins attestent d'un primo culte à Jérusalem
et de fondations architecturales primitives et insistantes (plusieurs constructions successives), d’un
autre à Damas (théâtre du combat eschatologique et lui-aussi lieu des pierres fondatrices), ainsi
qu’un grand attachement aux figures de Jésus, d’Isaac et de Jean-Le-Baptiste (dont les symboles
sont abondamment présents sur les pièces arabo-byzantines).

Les discours de la Tradition islamique qui devraient éclairer sur ces fondations sont, quant à eux
confus, contradictoires entre eux et ils ne sont que d’évanescents commentaires très éloignés du
récit coranique portant sur le sacré. Ni la pierre noire, ni la Ka’ba, ni l’ancrage Mecquois du rite ne
sont à l’honneur dans le corpus primitif. Aucune ligne du corpus coranique ne s’attarde à décrire
ces objets et lieux célestes. Les tafsirs semblent aussi impuissants, à clarifier les incohérences
textuelles du Coran qu’à dire qui est l’objet du sacrifice d’Abraham et où il eut lieu ; de multiples
informations identiques fusant des deux sanctuaires concurrents : les cornes du bélier du sacrifice

1 . Gabriel Said REYNOLDS, Le problème de la chronologie du Coran. Arabica 58 (2011) 477-502


2 . R. BLACHÈRE, Introduction au Coran, Paris, Maisonneuve, 1959. P.255.
abrahamique sont présentes à la fois dans les récits de Jérusalem et de La Mecque, toutes deux
nommées « le nombril du Monde », « les portes du Ciel ». Enfin rien ne justifie que la Ka’ba
mecquoise au sein de laquelle on pouvait pénétrer (selon les récits) se soit transformée en mur bétonné
et qu’elle doive à la fin des temps voyager jusqu’au Rocher du Dôme, porte des Cieux - toujours
selon les récits. Enfin, rien n’explique pourquoi, ni elle, ni le masgid ne sont connus des premiers
historiographes du pèlerinage (Al Waqidi, Hisham, Tabari, Al Yaqubi). D’ailleurs, pourquoi Allah
qui est si omniprésent selon la doctrine islamique, aurait besoin d’une « maison » localisée ? Pourquoi
Ibn Katīr introduit de nouveaux éléments dans son exégèse du sacré, éléments totalement ignorés
par Muqātil ? Comment justifier militairement une attaque de La Mecque par en 630 juste après la
défaite contre les Byzantins à mille kilomètres plus haut en Jordanie ?

Par contre, si on s’extirpe de ce cadre narratif, on est sans cesse stupéfait par la
correspondance extraordinaire entre les structures émergentes du sacré en proto-islam, tant
dogmatiques que symboliques et celles ayant cours dans les milieux syriaques - tant juifs que
chrétiens. D’autant que ces harmoniques des Sacrés se manifestent par des faits tant militaires que
religieux, rapportées par de nombreuses chroniques en Syrie. L’entrée d’Umar sur un âne à
Jérusalem et honoré du titre messianique « le sauveur » est rapportée par des chroniques tant
chrétiennes que musulmanes et s’est manifestée par une Restauration magistrale et inaugurale de
l’esplanade interdite (ḥaram). Or, cette mise en scène sacrale ne se comprend pas à l’aune d’un
paradigme mecquois ni d’un rite, ni d’une obligation coranique. Firestone R.3 et Bashear S.4
montrent que les récits associant La Mecque et Abraham sont très tardifs et se développent à partir
d’Ibn Abbas. Selon Hawting G.,5 le rituel pagano-arabe ne s’enrichit de celui du Temple, du « bayt »
qu’à partir d’Abd Al Malik.

Cette mise en scène inaugurale, pierre angulaire du sacré, ne se comprend qu’à l’aide de
trois paradigmes : le paradigme d’une appropriation du substrat biblique, celui d’une réorientation graduelle des
espérances et craintes apocalyptiques judéo-chrétiennes et enfin simultanément celui d’un transfert de pôles du sacré
basé sur intense travail sur le corpus sacré. Le travail sur le corpus sacré lui, passe par la mise en place
d’une lexico defectiva, l’emploi d’une réaffectation sémantique soutenu par l’emploi d’un lexique
appauvri et stéréotypé et le recours aux transferts des prérogatives des figurants du sacré qui sont
déracinés et vidés de leur identité puis transplantés dans un cadre de papier carton. Seuls ces trois
paradigmes permettent d’éclairer ce récit fondateur proclamé par le proto-islam, que ce récit soit
mythique ou historique et permettent une relecture du corpus coranique. Selon les récits, les piliers
fondateurs du sacré en islam (tant monumentaux que doctrinaux) auraient été érigés ex nihilo dans le
fin-fond d’une vallée désertique et inondable, éloignée de toute route caravanière et de toute voie
maritime, vallée inconnue des cartes, berceau de l’orphelin arabe sans descendance mâle et
impropre à l’habitation selon les plaintes même de son fondateur putatif, Abraham, puis relégués
dans un temps immémorial tout aussi inaccessible. Ces piliers ont été ébranlé par la thèse de P.
Crone. Cette dernière a montré l’absence absolue d’éléments tant historiques que coraniques
pouvant soutenir le commerce des habitants du site désertique. Par ailleurs, le descriptif islamique
de ces païens invétérés tranche avec la finesse de leurs connaissances christologiques et la
profondeur et des subtilités de leurs débats hérésiologiques.6

3. FIRESTONE Reuven, Abraham and the Meccan Sanctuary. Le Muséon, 1991.p.1 à10.
4. Suliman BASHEAR, Studies in Early Islamic Tradition. 2004. The MAX SCHLOESSINGER MEMORIAL.
5. Gerald R. HAWTING, The ḥajj, an appendix to the cult of the ka’ba, Inarah 2019, p. 389.
6 . Patricia CRONE, How Did the Quranic Pagans Make a Living ? Reviewed work(s) : Source : Bulletin of the School of
Oriental and African Studies, University of London, Vol. 68, N° 3 (2005), p. 387-399. Published by : Cambridge
University Press on behalf of School of Oriental and African Studies, 2005.
1. Géographie et corpus réels : l’appropriation du substrat biblique

Un culte très élaboré et attesté s'est mis en place, sur l'esplanade du Temple à Jérusalem, durant
l’époque marwanide, culte qui n'est pas né ex-nihilo mais s’accommode de rites juifs et de croyances
populaires judéo-chrétiennes, le dôme est éminemment eschatologique et il condense l'essence des
croyances contemporaines. La géographie mecquoise aride et inaccessible s’accommode
difficilement avec le récit du sacré, coranique et le mot « La Mecque » n’est présent dans aucune
sourate. Il existe un terme bi-Bekkata et un autre Mekkata mais aucune indication de Mekka. Il
n’existe aucun témoin sérieux d'un rituel archaïque islamique à La Mecque, comment l’allocutaire
coranique pourrait évoluer dans un lieu sacré sans jamais le nommer ? Le lieu est infiniment éloigné
géographiquement du pôle de pouvoir omeyyade : la Syrie semble plus propre à contextualiser le
corpus sacral.

Un savant rituel non abrahamique s’établit durant la période marwanide à Jérusalem.7 Toutes
les figures bibliques sont sollicitées dans cette esplanade autrefois interdite, détruite et déserte.
Jacob, David, Salomon, Moïse, Aaron, Zacharie et son fils Jean tué sur l’esplanade y sont
convoqués à des espaces spécifiques. Marie y prie dans son mirhab, Jésus y dort dans son berceau,
Muḥammad en escalade les cieux, Gabriel y installe des luminaires célestes, l’Arche y est relocalisée.
Des rites hebdomadaires d’onction du rocher, d’encensement et processions s’y déroulent, un
déambulatoire est l’axe du site. Cinq milles lampes y brûlent en permanence. Dans certains papyrus
d’époque, le ḥajj désigne Jérusalem et l’amir al-mu’minim convoque à un ḥajj sans contenu islamique.
Les tafsirs ne tarissent pas d’éloges sur Jérusalem :

« Avez-vous perçu ce que les gens croient à propos de cette roche ? Est-il vrai que nous
devons suivre, ou est-ce quelque chose qui provient du livre [des Juifs ou des Chrétiens]. Les deux
ont dit : Gloire à Dieu ! Quand Dieu, qu'il soit exalté, est monté de lui (istawa) au Ciel, il a dit, Au
rocher de Jérusalem : c'est ma place (maqam), et la place de mon Trône. Au jour de la résurrection
(yawm al-qyama) et de l'assemblée de mes serviteurs, Et c'est l'endroit de mon paradis à son côté
droit, et mon enfer sur son côté gauche, Et je vais mettre mes écailles devant elle ; Je suis Dieu, le
juge du jour du jugement (dayyanyawm al-dn). Après cela, il est monté au ciel. »8 Les termes qui s'y
réfèrent sont étroitement liés à la Création du monde, réinvestissant et renforçant ce lien entre
Paradis, Création et Rassemblement.

Ainsi la Tradition islamique reflète fidèlement les vues théologiques, les croyances et les
thèmes littéraires connexes à celles-ci, la reprise des motifs sacrés « du livre » est reconnue par Ibn
al-Muragga pour qui « livre » renvoie exclusivement à La Bible des Juifs et des Chrétiens. Le thème
du Rassemblement vers Jérusalem occupe une place particulière puisqu'un groupe de croyants monte
réellement sur Jérusalem (au moins de façon littéraire). La mosquée de Jérusalem porte d’abord, le
nom de mosquée du Rassemblement puis plus tard celui de la mosquée éloignée.

Simultanément ou plus tardivement - puisque la guerre entre Hajjaj et Zubayr aurait eu lieu
en 691– un autre rituel, abrahamique cette fois, fut mis en place. Ce rite délocalisé à 1400 km
emprunte la route du Darb al Baqara et associera Abraham au Mont ‘Arafat (monticule), au sacrifice
de Mina et à la lapidation de Satan. Une déambulation entre Mina et ‘Arafat y serait préconisée. Or
plusieurs anomalies se déploient. La topographie réelle se prête mal à la déambulation. Ni le masgid,
ni la Ka’ba ne sont primitivement décrits dans les récits de la Tradition. La seule Ka’ba historique
est la ka’ba chrétienne de Najran. On peut alors se demander le rôle des rituels préislamiques dans

7. KAPLONY Andreas, The ḥaram of Jérusalem, 324-1099, 2010. p. 39.


8. Ibn AL-MURAGGA (above, note 5), p. 261, no. 399, commenté par Muqatil b. Sulayman. Muqatil' the Praises of
Jerusalem, annexé par Su. al-isrd', 1, Mj. Kister, A Comment on the Antiquity of Traditions Praising Jerusalem, The Jerusalem
Cathedra 1 [1981]), pp. 185-186.
la construction sacrale puisque le nom du Jour du grand sacrifice se nomme Aïd al-Aḍha, nom
absent du Coran ? De ces indices, on peut pertinemment penser que ces monts mecquois soient
une transposition d’un patrimoine cultuel syrien mêlée à celui d’un culte pagano-arabe. Ainsi, l’astre
du jour et son déclin marque l’envoi de l’ifaḍa d’Arafa, où a lieu la ruée vers Mina (elle visiblement
liée au mouvement du soleil). Les lapidations se font après le coucher du soleil alors que le sacrifice
antéislamique dédié à Venus était accompli avant le lever du soleil. Ainsi, le mot ḍaḥiya, signifiant
« éclairé » est absent du Coran et il remplace progressivement le mot de hadiya (« présent »), tout en
récupérant un sens de « sacrifice ».

Ne pouvant expliquer ces appropriations et re localisations autrement que par des fitnas
internes ou pas, l’effacement des indices géographiques trop marqués et des transferts vont s’imposer.

Les relocalisations s’accompagnent et impliquent des transferts d’attributs car Isaac est
impossible à déraciner de la Syrie, l’expulsion biblique de Hagar au sud d’Hégra sera la piste pour
solutionner. Ainsi, les deux écoles islamiques « pro-Isaac » et « pro-Ismaël » s’affrontent désormais
et au troisième siècle lorsque le site mecquois est valorisé ; les « pro-Ismaël » gagnent sans pour
autant pouvoir effacer les preuves coraniques et doctrinales. La substitution de l’objet du sacrifice
devient nécessaire pour soutenir le transfert du site cultuel mais le personnage Ismaël est vide.

2. a) Discontinuité géographique et doctrinale : redéfinition graduelle du sacré

La discontinuité géographique et doctrinale ne peut se résoudre qu’à l’aune du paradigme


de la stratification et de la redéfinition graduelle du sacré.

Pour prendre un exemple flagrant de discontinuité du culte qui ne s’explique que par une
appropriation et une stratification des biens cultuels prenons le cas du président du culte islamique.
Muḥammad apprend, selon les hadiths, les prières du culte islamique à Jérusalem alors qu’Abraham
avait déjà, fondé une fois pour toutes, un culte pur et inaltérable – qui sera pourtant perverti – avec
Ismaël, à La Mecque. Or dans Le Coran, aucune institution du culte de Muḥammad n’est fournie et
la référence abrahamique avec Ismaël en Q2/124 est détachée de toute notion de sacrifice sanglant
(!𝑛ū𝑛 ḥā 𝑟ā). Le verset Q2/124 ne donne aucune information sur le rite mecquois. Ce verset est
pourtant celui qui pose la pierre angulaire de La Maison absolument pas explicitement associée dans
ce verset, au mot de Ka’ba. Ce verset est pourtant celui qui pose la pierre angulaire de « La Maison de
Dieu » et pourtant il n’est pas non plus associé ni au sacrifice sanglant d’Ismaël, ni à La Ka’ba. En
outre, le concept de Maison de Dieu est une aberration islamique. Par ailleurs, à aucun moment le
lieu du sacrifice n’est décrit, dans aucune ligne, le rituel indispensable n’est détaillé. Conclusion, ce
recours acrobatique à Abraham (Q2/124), premier musulman et fondateur du culte mecquois, est
donc tardif – il accompagne un bloc de différenciation vis-à-vis des communautés juives et
chrétiennes (de Q2/111 à Q2/246). Les manuscrits Hijazi ne comportent pas la sourate 2 qui date
de la période abbasside et reprend le nom de l’antique chemin de pèlerinage syrien appelé Darb al-
Baqara, menant à Ḥégra.

Le culte islamique ne se construit vraiment qu’avec des versets de la sourate 22, partie
visiblement plus ancienne car elle évoque les processions autour de l’Antique maison (nom du Temple de
Jérusalem) où Abraham a selon les croyances classiques, réalisé le sacrifice sanglant (Mont Moriah) et avec le
verset Q3/97. Le verset Q22/78 qui résume sa posture et sa fonction rituelles est un slogan calqué,
bien postérieur.
3 . Discontinuité géographique et doctrinale : la tectonique des lieux du sacré oblige
celle des doctrines et des figurants

Toute idéologie s’accapare du sacré, du licite et de l’illicite. Les Califes omeyades puis
abbasides vont réorienter le discours sacral coranique. Le script coranique déjà fixé ne
pouvait plus être remanié sauf ponctuellement, il était impossible d'y introduire un culte
mecquois à moins de le rendre incompréhensible. Les personnages du Messager et d’Ismaël
sont sous assistance des commentaires et des procédés littéraires, ceci prouve la fixation du
corpus avant celle de la doctrine.

a. Glissements

Notre second paradigme est le glissement doctrinal qui nécessite le transfert des attributs des
figures bibliques, de Jésus vers Le Messager (rassulu), d’Isaac vers Ismaël, transfert accompagnant
ce changement fondamental de lieux du Sacré – de Jérusalem vers La Mecque. Ces derniers
transferts des qiblas sont d’ailleurs admis par la Tradition islamique. Seulement, au lieu d’être lus à
l’aune de la Sirah, ils doivent être étudiés, à la lumière du second principe de transfert. Ce second principe
s’impose à la considération les discontinuités, les aspérités doctrinales, les témoins historiques d'époque (chroniques,
récit de traditions islamiques, les témoins architecturaux), les anomalies observées sur les codex. Le flou
sémantique sera mis en place grâce à la scriptio defectiva et à la lexico defectiva pour effectuer les
transferts doctrinaux. D’autres procédés soutiennent ces réaffectations doctrinales.

Ces procédés, utilisés par des générations de scribes aux ordres des Califes permettront
des glissements de figures bibliques au profit de la figure coranique suprême, qui concentre toutes les
figures de Salut et absorbe finalement toutes leurs prérogatives, figure qui accapare toutes les fonctions
prophétiques en une et qui contracte et clôture l’entièreté du « Verbe » d'Allah. Cette absorption
est intensifiée et soutenue par l'emploi d'un lexique très faible, lexique souvent chimérique, jamais
explicite et l’emploi massif d’hapax et la réorientation des sens (document 9 c).

b. Aniconisme des figurants : lexico defectiva, réaffectation sémantique, permutations et


incarnation de titres

Toute idéologie réoriente le langage. L'emploi hyper intensif de mots aux contours mal définis
comme naṣar (chrétiens, aides), rassulan (un envoyé), kafirun (le mécréant), manafiqun (le traître)
brouille totalement la clarté de signification (document 6 et 9 c ). On note l’emploi massif de
termes et racines polysématiques et indifférenciés comme kfr (mécréance), zlm (ténébres), nsr (aides), ktb
(livre/ loi), hrm (interdit), sbl (chemin), ftn (trouble),hll (profaner), mmn (foi).

Cette réorientation est flagrante sur les mots ṣibġata (baptême puis couleur), ljâhiliya (perdition
puis temps de l’ignorance ), islam (soumission puis religion), dîn (justice puis religion). L'emploi massif du « tu »
jamais défini permet aussi tous les transferts et notamment une identification inconsciente de chaque
personne de l'auditoire au Prédicateur premier. L’action psychologique déployée dans Le Coran
encadre ces procédés cognitifs. Le changement permanent de pronoms personnels, l'absence de
ponctuation, le découpage arbitraire des unités unies de façon purement sonore sont autant d’outils
provoquant ces transferts.

Ces glissements liés à l’aniconisme affectent notoirement l’affectataire coranique qui est progressivement
associé exclusivement au Messager Muḥammad. Pourtant plusieurs passages coraniques pourraient décrire tout
aussi bien le Messager Jésus. Les identités sont déconstruites puis recomposées. Ce transfert a été
étudié par C. Ségovia9 et U. Rubin10 sur les attributs lumineux et de préexistence de Muhammad.
Par le procédé presque aléatoire de classement des sourates et des interpolations, des
commentaires, Muḥammad prend en effet, progressivement vie dans l'imaginaire des croyants
chrétiens arabes, au côté puis à la place de Jésus, ce bal subliminal permet de progressivement de
les identifier, et de transférer des attributs messianiques de Jésus ou de ses prérogatives comme
celui de la lumière. Nous notons de fulgurants glissements de la figure de Jésus vers Le nouveau Messager.

Moreno C.11 a établi sa thèse sur les réorientations sémantiques du mot « dîn ». Nous
partageons son hypothèse ; au moment de la construction du Dôme, le paradigme de la nouvelle
communauté n’était pas encore finalisé ; le verset Q3/110 du Coran et du Dôme possédait une autre
signification, il ne fut réinterprété islamiquement que plus tardivement. Le sens donné à
l’installation arabe émergeait à peine, l’umma commençait tout juste à se définir. Ce vocable dîn
prend coraniquement des sens variés, allant de « justice », « religion » à « communauté ». En outre,
cette pierre angulaire du Sacré qui est fondatrice et exalte la supériorité de la communauté, est repris
uniquement mais timidement dans des parties du Coran extrêmement localisées (Q9/71, Q9/112 et
Q22/40) et faciles à réorienter par des exégèses. Le séquencement différent observé par E. Puin, en
scriptio inferior prouve cette construction et composition progressives de la sourate 9. Dans ces
parties, la primauté sur la définition du bien et du mal n’est pas encore reliée à l’émergence de la
nouvelle communauté et au combat pour s’autonomiser. Le slogan, marqueur temporel d’une umma
pure, émerge timidement : « … nous te demandons de bénir Muḥammad, ton serviteur et prophète
et d’agréer son intercession en faveur de son umma » pouvait avoir un autre sens.

Le motif associé coraniquement au verset Q3/110 appelle à la jouissance de la terre. Cette


association correspond à l’époque des conquêtes ou de celle d’‘Abd al-Malik. Il faut se distinguer
des chrétiens en rejetant le dogme trinitaire afin d’obtenir le salut éternel. Les versets exposants les
polémiques contre les juifs sont concentrés aux sourate 2, 3, 4, 5, 17, ils sont concomitants des
versets évoquant les lieux de culte : sourates 2, 3, 5, 17.

4. Exemple de ces procédés de transferts et de construction d’identité :


12
o Réaffectation sémantique de terminologies chrétiennes et païennes de lieux
sacrés : la Ka’ba, le Thabor, les musharraqat.

a. Ka’ba
B. Finster évoque le pèlerinage chrétien de la Ka’ba de Najran (construite par Ḥārith ibn
Kaʿb) et le Martyrion de Arethas (construit vers 520). Ainsi, les Byzantins créèrent le Royaume des
Ghassanides en Syrie. Le plus célèbre de ces rois est Ḥārith V, couronné par l’empereur Justinien
en l’an 529. Son autorité́ était absolue sur tous les Arabes au Nord de la Syrie. Avant la conquête
arabo- islamique, le roi des Ghassanides possédait plus de 100 000 combattants arabes chrétiens.
Cela semble probable, étant donné que le culte des saints a été associé aux cultes des
ancêtres, base de la plupart des lieux sacrés. Yaqut écrit que la Ka’ba était une « qubba », un bâtiment
en forme de dôme, à proximité de la rivière Nuhairdān. Dans la maison et le jardin d'Arethas sont

9. SEGOVIA Carlos, A Messianic Controversy behind the making of Muḥammad as the last prophet ? 2015.
10. RUBIN Uri, Pre-Existence and Light: Aspects of the Concept of Nūr Muḥammad. IOS 5 (1975): 62-119. Reprinted in Uri
Rubin, Mohamed the Prophet and Arabia, No. IV. VCS. Aldershot, UK : Ashgate, 2011.
11. C. MORENO, Analyse littérale des termes dîn et islâm dans le Coran : dépassement spirituel du religieux et nouvelles
perspectives exégétiques. Religions. Université de Strasbourg, 2016. p. 143.
12. Selon AZRAQI : « Les Quraysh ont demandé à Baqum, un byzantin de construire la Ka’ba selon les styles des
constructions syriennes » dans Akhbar Makka al-musharraffa Gottingen .
célébrées des fêtes à l'extérieur. 13 L’existence des images de Jésus et de Marie ne peut se
comprendre que si la Ka’ba mecquoise était confondue avec celle de Najran. Les images seraient le
fait d’un certain Pacomios, maçon byzantin en service des Qurayshites à La Mecque.

b. Monts sacrés : Mont Thabir et Mont Abu Qubays

Le Mont Thabir situé près de La Mecque devient le nouveau Mont Thabor, il est tout près
de Minâ. Pourtant il se pourrait que Le Coran exalte encore Mont Thabor, en effet, la racine
√𝑡ℎā 𝑏ā 𝑟ā est présente trois occurrences à la sourate 25 est traduite par Thabor par Lüling.14
Lüling signale une invocation dans le récit Al-Azraqi, Ahbâr Makka, « Ô Soleil, Éclaire derrière le
Thabir que nous nous empressions de Muzdalifa au sacrifice de Mina ». 15

L’appel d’Abraham pour le pèlerinage selon les récits d’Ibn Abbas sont brefs : il appelle à
la prière l’humanité après avoir posé les fondations de la Ka’ba et après avoir dressé la pierre (al-
hajar et être grimpé sur le Mont Abu Qubays. Un mont du même nom s’élève en Syrie.

c. Musharraqat

Les premières places de prières ne se nommaient pas masgid mais se nommaient musharraqat.
A partir de la même racine, le mot tashriq désigne une festivité liée au lever du soleil et comporte
un sacrifice d’un animal au soleil. Ibn Ḥanbal évoque les récitations de Muḥammad dans
Musharraqat thaqif 16. Le lever du soleil est important puisque la fête principale Aïd al-Aḍha ne
signifie pas sacrifice lumière. Le Seigneur du le Lever du soleil l-mashāriqi est signalé au verset Q
37/5.

d. Les délices de vos yeux

La figure principale du sacré dans le Coran prendra le nom de Muḥammad, nom commun
qui existe bel et bien dans des textes d’Ézéchiel 24/14 évoquant le Temple, « Mon Sanctuaire »
qualifié de « délices de vos yeux » « désir de vos âmes » , Temple qui sera détruit. Ce mot, exposé dans les
inscriptions du Dôme, nouveau Temple (documents 9) s’apparente en partie à une incarnation tacite
et progressive de ce qui était primitivement un titre divin connu du Dieu des juifs – voir l’inscription
de Najran observé par C. Robin Rbhd b-Mḥmd.17

Le Temple juif est Le « délices de vos yeux » et ce « délice » de vos yeux est enfin rebâti et ces lettres
‫ מחמד‬sont l’idéogramme du Temple « délices de vos yeux » et le tétragramme du Sanctuaire et de son
bâtisseur le Calife, l’emblème du Temple et de son Messager nouvel hérault d’Allah.
‫ מחמדי עיננ‬: Délices de mes yeux

13. Barbara FINSTER. The Qur’an in Context Historical and Literacy Investigations Arabia in late Antiquity. Angelika
Neuwirth, Nicolaï Sinaï and Michael Marx –Brill, 2010. p.10.
14. G. LÜLING, A Challenge to islam for reformation, P. 265.
15. G. LÜLING, A Challenge to islam for reformation, P 232 .
16. IBN ḤANBAL, Musnad iV, 335.
17 Robin Christian Julien. Himyar et Israël. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres, 148ᵉ année, N. 2, 2004. pp. 831-908; doi : https://doi.org/10.3406/crai.2004.22750
Ézéchiel 24 : « Me voici profanant mon Sanctuaire, l’orgueil de votre force, la joie de vos
yeux, l’espoir de vos vies ».

e. Islamisation du titre de la sourate 17 et invention de La Mecque

Jérusalem est selon les récit islamiques à la fois le Lieu des Prophètes et « La porte du ciel ».

La trace des « pas » du Prophète, est selon la Tradition, inscrite dans le Rocher. Le mur où
la monture, « al-bouraq » fut attachée est localisé à Jérusalem.18 Un Dôme eschatologique
concentrant tous les prophètes et condensant toutes les légitimités et bénédictions y est érigé. Ibn
al-Murajjã dans Faã’il Bayt al-Maqdis (n°119) explique la proximité du ciel et du rocher. Cette
tradition est juive et sera reprise pour le lieu de La Mecque. Le Rocher est associé au nombril du
monde selon le même auteur (n°184) comme l’est La Mecque. Le lieu est identifié au Ciel et les
élus qui y parviennent se voient dire, selon Le Coran : « Salam, Salam » (Q51/25), deux fois,
exactement, faisant penser à l’apostrophe de Jésus à cette ville « Jérusalem, Jérusalem ».

Pour les proto-musulmans, Jérusalem est l'étape nécessaire à l'ascension céleste puisque les
proto-musulmans y construisent leur premier sanctuaire et un petit dôme pour l’ascension du
Messager, sur le modèle du sanctuaire chrétien dédié à l’ascension du Christ (document 8).

La ville est affublée des qualificatifs : « la Sainte et la Noble ». La ville a acquis son statut de
sainte a posteriori sur la base d'une légende d'ascension mystique du Prédicateur. Plusieurs mots
coraniques, Al- Ǧama (Rassemblement), shaʿāira, rites en arabe (portes de Jérusalem, en araméen)
sont en lien avec cette cité vénérable où Le Messager reçoit Le Coran. Dans les récits islamiques,
le Mahdi ramènera l’arche et l’ange rassemblera l’humanité et la ka’ba sera amenée comme une
fiancée à son époux, le Rocher19. La racine coranique !ḥā ṭā ṭā est liée au pardon obtenu à
Jérusalem en passant sous la porte d’entrée de la Cité de Jérusalem.

Document 1 : sourate 17, titre en rouge : sourate « les fils d’Israël »

Le nouveau titre donné à cette sourate par la tradition est Asrā, qui signifierait « voyage de
nuit ». Or ce terme employé au verset Q17/ est déjà utilisé pour le voyage de nuit de Moïse en
Q20/77, Q26/52, Q44/23, et de Lot Q11/81.

La seule sourate où serait citée La Mecque ne désigne pas un lieu puisqu’il n’est pas écrit
« Mekka » mais mekka-ta (document 2) avec « ta » qui correspond à une terminaison araméenne
déterminative à partir d’un nom commun. Ce nom commun de racine, √𝑚𝑘𝑘 signifie, humilité et
il est notamment utilisé dans les hymnes syriaques de la Passion du Christ : « barikh mur hashukh
dahwu hulufayn brik mukokhokh metulothan » (« Bénie soit ta souffrance qui est notre bien, bénie soit
ton (suffixe kh) humilité (mkk)-(k) qui est notre bien ». Le mot Mekkata se retrouve abondamment

18. KAPLONY Andreas, The ḥaram of Jérusalem, 324-1099. p. 39


19. KAPLONY Andreas, The ḥaram of Jérusalem, 324-1099, p. 52.
pour désigner la Passion du Christ 20. Le refrain : « Ahayn enen demhe dhashokh woaloho nhet ethmakak »
exprime la « passion de Dieu descendu -nhet - dans l’humilité ». Ce sens « d’humilité » est d’ailleurs
souligné et enrichi par le terme « btn » qui le précède (Q48/20) et signifiant en araméen et arabe,
« sein », « utérus ».21 Le terme nhet22 abaissement est utilisé dans le Coran (sourate 19) pour désigner
la descente du Christ vers Marie. Le verset de la sourate 48 qui précède exprime la protection divine
du Messager qui échappe aux mains de ses agresseurs. Le seul messager ayant bénéficié d’un tel
régime est Le Messager Jésus.23

Document 2 a : L’expression « btn mkk » traduite usuellement par « dans (le sein) de la Mekka
selon la version officielle mais qui pourrait être lue « au cœur de l’humilité »24 . Le contexte est
celui d’une protection divine qui oppose Ses Mains contre les mains d’opposants rétifs aux
preuves apportées par le Messager. Mais Le Messager obtient l’Ouverture.

Ainsi la sourate 48, dans une version primitive pourrait selon nous, évoquer la ruse de
Dieu25 qui a extirpé de Ses Mains, Jésus, le soustrayant à l’hostilité des juifs refusant les
« signes » comme le verset le laisse suggérer : hāḏihī wa-kaffa ’aydiya n-nāsi ‛ankum wa-li-takūna ’āyatan
li-l-mu’minīna wa-yahdiyakum. En effet, le Messager non nommé fut sauvé et « retiré » !𝑘𝑎𝑓 𝑓𝑎 𝑓𝑎
(Q48/20) pour que Dieu lui réserve une fā tā ḥā victoire éclatante (titre de la sourate) et lui
permettre d’ouvrir le Paradis. Le titre de la sourate 48 concerne en effet, une ouverture associée à une
victoire, liée au Pardon des Pécheurs. Les versets Q78/18, Q39/71, Q 39/73, Q7/96, Q6/44 réservent
cette expression ( fā tā ḥā) à cette réouverture des cieux26 associée à une victoire des Messagers. Ce
messager correspond à Jésus et le verset Q4/157 explicite notamment cette ruse divine, et ce
« retrait », pour protéger le Christ.27 La sourate 5 utilise aussi cette expression pour Jésus, « Je te
protégeais contre les fils d’Israël pendant que tu leur apportais les preuves » wa-’iḏ kaffaftu banī
’isrā’īla 28 à propos d’Allah qui a retiré Jésus de la main des Juifs 29par cette conception dans l’humilité
btn mkk du sein de Marie pour lui accorder une victoire éclatante. Éphrem célébrait abondamment
cette victoire de Jésus des mains maculées de sang du peuple qui lui lia les mains mais ligature dont
ܿ ܿ
il était libre.30 Il célèbre aussi la victoire sur l’obscurité par ce même terme ‫ܚ‬$ܼ!ܼ (victoire)translitéré
en arabe et signifiant à la fois « ouverture » et « victoire ».

20. Acts 20/19 « Servant le Seigneur en toute humilité, avec larmes, et au milieu des épreuves que me suscitaient les
ܳ
embûches des Juifs . -‫* ݂ܬ‬%ܽ ݂ '%ܺ ݁ #ܰ!݁
21 Matthieu 23:12 - man gēr danrīm napšēh neṯmakkaḵ wəman dənammeḵ napšēh nettəttərīm .
22 n ḥ t
23. « Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont
vraiment dans l’incertitude : ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne
l’ont certainement pas tué.158. Mais Dieu l’a élevé vers Lui. Et Dieu est Puissant et Sage. 159. Il n’y aura personne,
parmi les gens du Livre, qui n’aura pas foi en lui avant sa mort. Et au Jour de la Résurrection, il sera témoin contre
eux. »
24. « Le huitième jour, auquel l'enfant devait être circoncis, étant arrivé, on lui donna le nom de Jésus, nom qu'avait
indiqué l'ange avant qu'il fût conçu dans le sein #"! de sa mère. »
25. Selon les Pères orientaux coptes, Satan est certes rusé, mais Dieu peut ruser à son égard. Satan a été́ vaincu et
trompé par la ruse de Dieu, justement à propos de Jésus, serviteur obéissant parfaitement.
26 wa-futiḥati s-samā’u fa-kānat ’abwāban
27. Par ailleurs, St Éphrem utilise à foison les images du « sein » et de « l’utérus » comme métaphore de la divinité qui
se cache.
28 wa-’iḏ kaffaftu banī ’isrā’īla ‛anka ’iḏ ǧi’tahum bi-l-bayyināti fa-qāla llaḏīna kafarū minhum ’in hāḏā ’illā siḥrun mubīnun
29. wa-huwa llaḏī kaffa ’aydiyahum ‛ankum wa-’aydiyakum ‛anhum bi-baṭni makkata min ba‛di ’an ’aẓfarakum
30 Saint ÉPHREM, Sur les azymes XX. P. 173.
Document 2b : Rectification sur la sourate 48. Occurrence unique de l’expression « Ventre de Mekkata »

f. La shahada islamique primitive comporte de nombreuses variantes :

Dans le proto-islam, il existait une variante de shahada avec Jésus, cette dernière postulait
une parfaite équivalence entre Jésus/Muḥammad 31. Le verset Q4/172 (et beaucoup d’autres versets)
confirment d’ailleurs cette idée forte du proto-islam qui exigeait « la croyance globale » aux
messagers et spécialement à la croyance en Jésus. Ainsi, la primo-shahada – comme laisse suggérer le
verset Q4/159 – la foi dans le rassul incluait Jésus : wa-anna muhammadan ‘abduhu wa-anna ‘isā ‘abdu l-
lahi wa rasuluhu. Le Coran et le Dôme évoquent par cinq fois Jésus en tant que rasuluhu, ‘abdu, parole
de Dieu (document 9). Rien n’est dit sur le nouveau Prophète qui semble apparaître tel un mirage-
erreur de traduction via des slogans stéréotypés. Si on s’en tient au corpus coranique, les invitations
à la croyance globale concernent particulièrement Jésus. Que pensez et déduire de la séquence
suivante sinon que la racine *𝑚ℎ̣𝑚𝑑 correspond à « prières » ou « grâces, délices sur ».

Prié mḥmd soit le Vraiment le Messie


serviteur de Dieu son Jésus, fils de Marie
A lui appartient la Messager est le Messager de
souveraineté et la Dieu
prière ḥmd

a) Lecture selon M. Kropp mḥmd /Muḥammad est le


serviteur de Dieu et son
b) Lecture conventionnelle Messager

Deux orientations de lecture a) ou b).

Des shadaha primitives sur des pièces sassanides et frappées en Mésopotamie, comportaient
« ḥmd Allah » et ensuite vers 685 les pièces sassanides frappées par Ibn Zubayr portaient « bismillah »
« mḥmd Allah ». Ces titres furent repris par le pouvoir de Damas.

Dans la scriptio inférieure du Coran des manuscrits DAM 27 et WEII 1913, on note de
nombreuses variantes et réécritures (document 4) qui affectent spécialement cette proto-croyance en
tous les Messagers avec Jésus en tête de liste. On peut, à la vue des réécritures et des variantes
présentes en sous-strate du DAM27 examiné par E. Puin32 affirmer un affaissement christologique.
Chez exégètes musulmans la christologie est d’ailleurs très forte. Dans les inscriptions du dôme du

31 . BASHEAR Suliman, Jésus in an early muslim shahâda and related issues : a new perspective. p.3.
32. PUIN. E. Inarah 5 et 6 . Die Entstehung einer Weltreligion II.
Rocher, la christologie est le thème de prédilection et Jésus est qualifié deux fois « rassul », « ton
serviteur », « Prie sur ».

Au niveau du Coran, ce sont les réécritures, les interpolations et les outils lexicaux qui sont
utilisés pour faire le flou et permettre l’affaissement de la christologie (document 5 et 9) indispensable
pour faire le transfert. L’annonciation selon les exégètes était faite par l’esprit de Jésus lui-même et
non par Gabriel comme le suggérait la théologie syriaque. Les générations de scribes font surfer
sur les figures bibliques au profit de la figure coranique suprême qui absorbe finalement toutes les
personnalités, toutes les fonctions prophétiques en une, qui contracte et clôture tout le « Verbe »
d'Allah.

Des shadaha primitives sur des pièces de monnaies comportaient les injonctions « ḥmd
Allah » et non « mḥmd Allah » (document 3), on les trouve sur les pièces sassanides puis près de
Damas. Au dôme du Rocher, on trouve aussi cette alternance ḥmd/ mḥmd, formes qui doivent être
traduites par conséquent de façon équivalente. Pourquoi traduire l’une forme par « loué » et l’autre
par « Muḥammad » comme le montre le schéma admis de façon conventionnelle ? Éphrem utilisait
souvent « Gloire à celui qui a envoyé », « gloire à l’envoyeur ».

Document 3 a : « Il n’y a pas de Dieu qu’Allah Un, Prié (ℎ̣md) soit Allah »

Succession des deux formes (ḥmd) mḥmd) qui sont donc ici équivalentes, Loué (ḥmd), Prié (mḥmd) soit Allah
et donc adressées à Allah

`
Document 3 b : Doxologie variée préislamique. La racine ḥmd est bien réservée à Dieu et non à
une créature et est souvent suivie de la forme mḥmd, son équivalent. Loué soit Allah. Rassul Allah
g. Affaissements de la christologie au fil du temps
§ Christologie plus forte chez Al-Rabī ibn Anas (compagnon du Messager) via Abū
l-‘Aliyah, de Ubbay ibn Ka’b

« L’esprit de Jésus était parmi les esprits de l’alliance. Cet esprit a été envoyé à Marie. (ḥamalat bi’-
llaḏī ḫātabahā wa-huwa rūḥu ‘īsā. » Abū Bakr al-Firyābī, K. al-Qadar

§ Affaissement de la christologie au fil des strates sur le verset Q19/21 on lit « Elle
le conçut » et non plus « elle conçut » et sur le verset Q 19/11 on note la modification
du mot « enseigner » par celui de « recevoir ». Des rectifications abondantes de la
sourate 19.

Scriptio inférieure : « Elle conçut » et non « Elle le conçut » Q19/21

Q 19/11- Dans la scriptio inférieure il n’est pas question de « livre donné » mais d’un Messager
« enseigné ». Cette substitution diminue la christologie et met Jésus au niveau des autres
Messagers, simple récipiendaire de « feuilles ».

Q 19/34 - Wetzstein II 1913


De multiples réécritures sur le personnage central de Jésus constatées par l’équipe de Corpus
Coranicum

Q 19/34 DAM 27
De multiples réécritures sur le personnage central de Jésus et attaque frontale de la christologie
classique qui se renforce au fil des strates
Document 4 : réécritures sur un verset polémique et christologique

a) Rectifications abondantes de la sourate 19

Fils de Marie ou Fils

b) Variantes 33 sur des versets qui présentent un ʿĪsā Jésus, le Fils et non un Jésus, Fils
de Marie.
Q 2/253 San’a 01-18-9 wa-’ātaynā ‛īsā bna (maryama absent) l-bayyināti wa-’ayyadnāhu bi-rūḥi l-qudusi
Document 5 : a : Rectifications abondantes de la sourate 19 et variante b : Q2/253

33 .http://corpuscoranicum.de/handschriften/index/sure/2/vers/255?handschrift=269
§
§
§
§

§
§
§ Mhmd et image de l’oiseau
§ « Prié soit L’envoyé ». « Béni soit celui qui vient » « Gloire à celui qui envoie »

Transfert des motifs animaliers de L’église de Temanaa34

Document 5 b : Symboles chrétiens sur pièces : empruntés par le pouvoir omeyade

34 https://journals.openedition.org/syria/1647
§ Invention du kfr et du koufar

La sourate 9 (verset 70 à 80) serait le récit d’une expédition militaire. Or la plupart des mots
désignant le terrible et irréductible mécréant sont inexistants dans la sous strate. Déjà, la racine
*𝑘𝑎 𝑓𝑎 𝑟𝑎 était spécifiquement utilisée par la polémique chrétienne contre les juifs.
On assiste à une mise en scène d’une défection au combat de ceux qui répugnent, des
groupes restent en arrière, restent assis, les bédouins : les mots kafirun, islam ne sont pas présents
dans le texte inférieur, la racine signifiant rendre facile, interpréter *𝑓𝑎 sin 𝑞𝑎𝑓 est présente au lieu
de *ℎ𝑎 𝑙𝑎𝑚 𝑓𝑎 traduit par « jurer ».

*𝑓𝑎 sin 𝑞𝑎𝑓 est traduit par « désobéissant » alors qu’il signifie « interpréter » présente au lieu de
*ℎ𝑎 𝑙𝑎𝑚 𝑓𝑎
Le mot islam . Deux *𝑘𝑎 𝑓𝑎 𝑟𝑎 absente

*𝑘𝑎 𝑓𝑎 𝑟𝑎

L’invention de la figure du kfr au lieu de la racine *𝑓𝑎 sin 𝑞𝑎𝑓

Document 6 : Invention de l’ennemi ontologique, transfert de cible doctrinal


Symboles chrétiens associés à Mḥmd et mslm

.
Dôme du Prophète identique à celui de Jésus

Document 8 : Symboles chrétiens emprunts et transferts

§ Abondance des références au Christ au Dôme du Rocher qui reprend les


versets Q4/171, Q4/172 (modifié), Q 19/30, Q19/33-36
Le messager Jésus est qualifié de rassulu, ‘abdan au verset Q4/172 . Mais ce sont exactement les
mêmes termes sont utilisés pour désigner Le Messager Muḥammad. Jésus au Dôme se nomme ‘abdan,
rassulu. Les insertions du dôme mḥmd ont pour résultat un transfert subliminal entre les deux.

Abondantes des références christologiques et transfert-incarnation de doxologie en personnes : l-


Allah ḥamdu
Muḥammad (est) serviteur et rassulu
Dôme : présence d’une variante de 4/172 normalement consacrée au Messie : Mhmd serviteur et
messager, vraiment Allah et les Anges prient sur le nabi, ô vous qui croyez, la paix soit sur lui et sa
bénédiction
Dieu et les Anges prient sur le Nabi (variante de 4/172, bloc consacré au Messie)

Coran : Q 4/172 : « Jamais le Messie ne trouve indigne d’être un adorateur de Dieu, ni les Anges
rapprochés. Et ceux qui trouvent indigne de L’adorer et s’enflent d’orgueil. Il les rassemblera tous
vers Lui. »

Les gens du livre, ne dites que la vérité sur Dieu, vraiment le Messie Jésus est vraiment rassul et sa
parole insufflée en Marie et l’esprit de Dieu. Croyez en Dieu et à son Messager sans dire trois.
C’est mieux pour vous.
Dieu est unique, gloire à lui, il ne peut pas avoir de fils, à lui les cieux et sur terre et il suffit de
s’appuyer sur lui

Ne négligez pas que le Messie est adorateur de Dieu ainsi que les Anges rapprochés, et si
quelqu’un se détourne de son adoration, Dieu va les rassembler au Jugement
« Dieu prie sur ton prophète et ton adorateur Jésus, fils de Marie et le Salut soit sur lui, le jour de
sa naissance, le jour de sa mort, le jour de sa Résurrection vivant ; c’est lui Jésus, fils de Marie,
Parole de vérité dans laquelle vous trouvez ; il n’y a pas nécessité pour Dieu de prendre un fils,
gloire à Lui, s’il décrète une chose, cela est, Dieu est mon Dieu et le vôtre, adorez-le, c’est un
chemin droit. »
Document 9 a : Dôme et christologie
Q17/111 ḥamdu li-Llāhi
111
wa-quli l-ḥamdu li-Llāhi llaḏī lam yattaḫiḏ waladan wa-lam yakun lahū šarīkun fī l-mulki wa-lam yakun
lahū waliyyun mina ḏ-ḏulli wa-kabbirhu takbīran
Q19/35
35
mā kāna li-Llāhi ’an yattaḫiḏa min waladin subḥānahū ’iḏā qaḍā ’amran fa-’innamā yaqūlu lahū kun fa-
yakūnu
Q4/172
172
lan yastankifa l-masīḥu ’an yakūna ‛abdan li-Llāhi wa-lā l-malā’ikatu l-muqarrabūna wa-man yastankif ‛an
‛ibādatihī wa-yastakbir fa-sa-yaḥšuruhum ’ilayhi ǧamī‛an `
Q4/171
171
yā-’ahla l-kitābi lā taġlū fī dīnikum wa-lā taqūlū ‛alā Llāhi ’illā l-ḥaqqa ’innamā l-masīḥu ‛īsā bnu
maryama rasūlu Llāhi wa-kalimatuhū ’alqāhā ’ilā maryama wa-rūḥun minhu fa-’āminū bi-Llāhi wa-
rusulihī wa-lā taqūlū ṯalāṯatun-i ntahū ḫayran lakum ’innamā Llāhu ’ilāhun wāḥidun subḥānahū ’an
yakūna lahū waladun lahū mā fī s-samāwāti wa-mā fī l-’arḍi wa-kafā bi-Llāhi wakīlan
Q33/56
56
’inna Llāha wa-malā’ikatahū yuṣallūna ‛alā n-nabiyyi yā-’ayyuhā llaḏīna ’āmanū ṣallū ‛alayhi wa-sallimū
taslīman
Q3/18 et Q3/19
18
šahida Llāhu ’annahū lā ’ilāha ’illā huwa wa-l-malā’ikatu wa-’ulū l-‛ilmi qā’iman bi-l-qisṭi lā ’ilāha ’illā
huwa l-‛azīzu l-ḥakīmu
19
’inna d-dīna ‛inda Llāhi l-’islāmu wa-mā ḫtalafa llaḏīna ’ūtū l-kitāba ’illā min ba‛di mā

Au Dôme nous avons par deux fois, un appel vibrant à la prière, un explicite sur Jésus :
« Croyez en Jésus, ton Messager et appelez la Prière sur lui Jésus, ton adorateur. » Cet appel à la
prière n’a pas été reprise dans Le Coran. Le Messager ainsi désigne Jésus. Or dans Le Coran, le
Messager désigne Jésus en Q3/53, Q4/157, Q4/170, Q5/111, Q7/158 (verset où le mot kalimat
qui désigne Jésus est présent). Au Dôme, deux fois Jésus est dit adorateur ou Serviteur.

Simultanément appel de prière sur « Muḥammad », dont rien n’est dit, « ton prophète » (nabi).

Mais au niveau du Coran de nombreuses occurrences de Mon Prophète, nabiyi sont


absentes en sous-strate comme le prouve le document 9 b, ce qui signifie que ce mot a été orienté
vers le dernier Messager, figurant en construction.
L’occurrence « nabiyi » du verset (Q7:158) est un résumé de la doxologie du Dôme : il faut
croire en Allah et en son prophète. Or cette requête « de croire aussi à » concerne souvent Jésus.
Au vu de tous ces éléments, Muhammaḥun ‘abdu llāhi wa rasūluhū peut vouloir dire : « Prières,
louanges sur l’adorateur de Dieu et son envoyé. »

§ Occurences nabiyi : l’occurence est Q 9/61 absente DAM 27


§ Q9/73, Q9/113 sont réécrites
Verset Q 9/73 reconstruit en strate supérieure, du manuscrit DAM 27

Les occurrences du mot nabiyi, elles sont en Q33/6 Q33/13 Q33/28 Q33/30 Q33/32 Q33/38
Q33/45 Q33/50. Sur le DAM 27 Q 33/53 Q 33/56 sont suspectes. Q9/73, Q9/113 sont absentes.

Document 9 b: Qui est le nabiyi?

!𝑓ā𝑟ā𝑞ā
Possède deux sens salut ou discernement Q21/48 : « nous avons donné le salut/discernement à
Moïse »
Q2/53 : « salut/discernement à Moïse »
Q8/41 : « nous avons fait descendre sur notre serviteur…Le jour du Salut/discernement…le jour des deux
armées »
Q25/1 : « Béni celui qui a faire descendre le Salut/le discernement sur son serviteur

!𝑛𝑢𝑛 𝑑ℎā𝑙 𝑟ā
Possède deux sens : consacrer /avertir

*𝑟ā𝑟 𝑤ā𝑤 ℎ̣ā :


Possède deux sens : Esprit, esprit, vent (l-riyāḥa), Gabriel :
Au verset Q25/48 deux lectures sont possibles : « C’est Lui qui envoya les vents ou l’Esprit
comme une annonce précédant Sa miséricorde. Nous fîmes descendre du ciel une eau pure
et purifiante »
*𝑑ā𝑙 𝑦ā 𝑛ū𝑛
Possède deux sens : justice/ religion (islam)
Jugement/religion 101 occurrences traduites « religion » au lieu de Jugement/ Justice
*𝑛ū𝑛 𝑧ā𝑦 𝑙ā𝑚
Possède deux sens : révélation/ descente 393 occurrences

*ℎ𝑎𝑚𝑧𝑎 𝑦𝑎 𝑦𝑎

Possède deux sens : signe divin/ verset


√𝑏ā 𝑟ā 𝑘ā ou √𝑡ā 𝑟ā 𝑘ā
Laisser ou bénir
*𝑡ā 𝑔ℎ𝑎𝑦𝑛 𝑦ā
Translitération de *)(' signifie « égarement » et est interprété « transgresseur » donnant
un sens beaucoup plus négatif (39 occurrences)
√𝑛𝑢𝑛 𝑑ā𝑙 𝑑ā𝑙
Translitération de 0‫ܘܬ‬,-,+ abomination traduit « donner un égal »
*𝑞𝑎 𝑟𝑎 𝑏𝑎
Possède deux sens : s’approcher de Dieu ou sacrifice/communion (Q5/27)

o Document 9 c: Lectio defectiva

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