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Document 1 :
Les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin sont un excellent exemple des débuts de la
politisation du sport orchestrée par l'État et de son utilisation flagrante comme outil de
propagande. L'agenda politique du sport est devenu aujourd'hui plus complexe et
différencié. La plupart des gouvernements ont un vif intérêt pour le sport car il crée des
emplois, fournit aux individus un sentiment d'appartenance et contribue de manière
importante à l'éducation des jeunes, par exemple en leur enseignant les valeurs du travail
d'équipe, le leadership, les règles, la victoire et la défaite, ingrédients clés des systèmes
sociaux et économiques modernes. Le sport est aussi censé résoudre les problèmes sociaux
et intégrer les diverses populations.
Il ne fait aucun doute que les identités de nombreuses personnes et leur sentiment
d'appartenance sont inextricablement liées à leur représentation, personnelle ou collective,
du monde du sport. Les équipes et les clubs sont souvent des points focaux et contribuent
considérablement à la construction et à l'expression des identités locales, régionales et
nationales. Jeux Olympiques, Coupes du Monde et autres tournois internationaux offrent
des occasions de célébrer sa nation, de revivre les rivalités dépassées et, surtout,
d'expérimenter émotionnellement la notion abstraite de citoyenneté.
Toutefois, le sport est une arme à double tranchant. Il révèle et renforce souvent les
divisions et les inégalités fondamentales. En dépit de quelques améliorations spectaculaires
au cours des dernières décennies, le genre, la classe, l'ethnie, la couleur de la peau et
l'orientation sexuelle sont des causes fréquentes de pratiques discriminatoires. La fin de la
guerre froide au début des années 1990 a libéré le monde du sport international d'un lourd
fardeau. Toutefois, ceci n'a pas conduit à une dépolitisation générale du sport, mais à un
changement qualitatif. La rivalité entre l'hôte catalan et l'Etat espagnol dans le contexte
des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992 ou les nombreuses controverses autour des Jeux
de Pékin 2008 sont deux exemples qui illustrent ce changement.
Bien que Kofi Annan ait souligné à plusieurs reprises le pouvoir des manifestations
sportives internationales pour unir les citoyens de différentes nations, cette croyance doit
être traitée avec prudence. La même chose s'applique à tous les bénéfices que le monde du
sport est censé produire, afin de résoudre les problèmes sociaux et d'améliorer la qualité de
vie des citoyens d'un pays.
Udo Merkel
Document 2 :
Sport et politique
Le sport n’a rien à voir avec la politique ! Vraiment ? La neutralité du sport relève du
mythe. Cette foi dans une prétendue autonomie a la vie dure. Ses chantres défendent la
conception d’un sport pur, vecteur d’amitié entre les peuples, une entité qui se placerait
au dessus des Etats, des conflits, des haines. A ce sujet, Fréderic Baillette constatait : "le
sport est trés souvent présenté par ses laudateurs et ses défenseurs comme un fait
universel, un invariant culturel(1)". L’angélisme qui consiste à appréhender le sport
comme un donnée atemporelle nie sa genèse.
" La philosophie qui veut que sport et politique ne se mélangent pas est spécieuse et
hypocrite. Les exploits sportifs sont aujourd’hui utilisés comme étalon de la grandeur d’un
pays. "
NAISSANCE DU SPORT
Dès l’Antiquité, et peut être même avant existaient des jeux et des activités
physiques. Les plus connus étaient les Jeux Olympiques inventés par les grecs ou les
affrontements de gladiateurs chez les romains. Mais les fondements et les objectifs de ces
activités étaient bien différents de ceux du sport. On retrouve aussi avant le XIXème siècle
en Europe des pratiques ludiques (les jeux traditionnels) comme la Soule et le Jeu de paume
en France (2). Mais la naissance du sport est historiquement datée, il s’agit de la première
moitié du XIXème siècle en Angleterre.
Le sport tel que nous le définissons ici est "un système institutionnalisé de pratiques
physiques, compétitives, codifiées, réglées conventionnellement, dont l’objectif avoué est
sur la base d’une comparaison des performances, de désigner le meilleur concurrent (le
champion) ou d’enregistrer la meilleure performance (le record) (3)". il prend son essor avec
l’avènement de la société capitaliste industrielle. Il n’est donc pas, comme l’écrit la revue
Quel corps ? "une entité transcendante survolant les époques et les modes de production
(4)".
LE DEVELOPPEMENT DU SPORT
Ensuite beaucoup de pays colonisés par les grandes nations européennes (en premier
lieu la France et la Grande Bretagne) seront touchés par ce phénomène. L’impérialisme qui
vise à faire triompher la conception occidentale du monde contribuera à la diffusion massive
du sport.
Dès la fin du XIXème siècle, certains individus, partis ou Etats utilisent le sport pour
conforter ou développer leurs conceptions politiques et idéologiques.
A partir de 1919, on peut dire que le sport devient partie-prenante des relations
diplomatiques. Il s’enracine dans les stratégies politiques des Etats. Pierre et Lionel Arnaud
notent dans Les premiers boycottages de l’histoire du sport : (6)"Pour la première fois, les
Etats et les gouvernements sont tentés d’utiliser le sport à des fins extra-sportives au
lendemain de la première guerre mondiale. Le sport devient une vitrine de la vitalité et de la
grandeur des nations et, à ce titre , est promu par les hommes politiques comme instrument
de propagande". Ainsi en 1919 ont lieu les Jeux Inter-Alliés (et non pas les J.O.). Dans le
début des années 20, les rencontres sportives voient s’affronter les nations ayant gagné la
Grande guerre. les Allemands, leurs alliés, les pays neutres ainsi que l’URSS en sont exclus.
En France, c’est le ministère des affaires étrangères qui dirige la politique sportive.
SPORT ET FASCISME
Le nazisme imitera le régime mussolinien. Très tôt déjà, Hitler avait compris l’intérêt
que pouvait représenter le sport, il écrivait dans Mein kampf : "des millions de corps
entraînés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie et remplis d’esprit offensif pourraient
se transformer, en l’espace de deux ans, en une armée". L’organisation des Jeux Olympiques
de 1936 revient à l’Allemagne (décision prise avant la venue d’Hitler au pouvoir).
Les nazis profitent de cette occasion inespérée (dans un contexte où l’Allemagne se
trouve isolée sur le plan international) pour montrer la puissance de leur idéologie. Funk, un
assistant de Goebbels déclarait : "Les jeux sont une occasion de propagande qui n’a jamais
connu d’équivalent dans l’histoire du monde (10)". Les Jeux Olympiques de Berlin furent un
succès international qui a permis au régime nazi de montrer sa puissance, par l’intermédiaire
des cérémonies gigantesques et des nombreuses victoires des athlètes allemands,
préambule à ce que seront quelques années plus tard ses conquêtes militaires.
Les pays du bloc soviétique avaient saisi l’enjeu des victoires sportives. Ils se
donnèrent les moyens de réussir, et toute une partie de la jeunesse fut embrigadée ; elle
forma les bataillons d’athlètes qui servirent la propagande. Les régimes staliniens comme le
souligne Ignacio Ramonet n’hésiteront pas "à se livrer aux pires pratiques de sélection, de
dressage, de conditionnement et de dopage pour fabriquer des champions et en faire les
porte-drapeaux de leur politique (11)". Au lendemain des Jeux Olympiques de Munich de
1972, la Pravda déclarait : "Les grandes victoires de l’Union soviétique et des pays frères sont
la preuve éclatante que le socialisme est le système le mieux adapté à l’accomplissement
physique et spirituel de l’homme (12)".
Dans ce contexte de guerre froide, l’URSS et les Etats-Unis se livraient une "guerre"
par sportifs interposés. Gérard Ford, président des Etats-Unis exprimait en 1974 les objectifs
américains : "Est-ce que nous réalisons à quel point il est important de concourir
victorieusement contre les autres nations [...] Etant un leader, les Etats-Unis doivent tenir
leur rang. [...] Compte tenu de ce que représente le sport, un succès sportif peut servir une
nation autant qu’une victoire militaire (13)". La petite île de Cuba a elle saisi l’intérêt
politique et idéologique du sport. Face au blocus américain, les succès des cubains dans
différentes manifestations sportives servent de vitrine au régime de Fidel Castro.
UN MOYEN DE RECONNAISSANCE
LE BOYCOTTAGE
Dans son article Au service de la raison d’Etat (14), Xavier Delavoix note que
"L’utilisation la plus symptomatique et désormais la plus répandue du sport sur la scène
politique internationale, est la protestation directement orchestrée par un Etat, le
boycottage". L’histoire des grandes manifestations sportives de la seconde moitié du XXème
siècle est jalonnée de boycottages de nature politique et diplomatique.
L’utilisation du boycott montre que le sport n’est pas la grande fête qui rassemble les
peuples. Il est bel et bien un instrument au service des Etats, voire même une arme.
LE REFLET DU POLITIQUE
Le sport reflète bien souvent la situation sociale d’une ville, d’une région, d’un pays ;
il traduit la conjoncture politique et l’état de la situation diplomatique.
Ignacio Ramonet constate que "Dans les zones de conflits endémiques ou de guerre,
le football, parce qu’il mobilise les foules et exaspère les passions reflète fidèlement la
violence des antagonismes (15)". Les exemples de ces tensions concentrées et symbolisées
par une épreuve sportive pleuvent, autant à une échelle locale qu’à une échelle
internationale. En 1964, un but refusé lors d’un match opposant l’Argentine au Pérou a
provoqué l’explosion des rivalités entre les deux pays provoquant trois cent vingts morts et
plus de mille blessés. Un match entre le Salvador et le Honduras entraîna en 1969 une
rupture diplomatique, suivie d’une déclaration de guerre et de l’invasion du Honduras par le
Salvador. Plus récemment, on a pu assister à la montée des nationalismes entre les
différentes régions de l’ex-Yougoslavie (16) ; les matchs de football se terminaient par des
affrontements extrêmement violents entre les supporters des différentes équipes.
LE NATIONALISME
Ces exemples sont la conséquence directe du rôle joué par le sport dans la plupart
des nations. Le cas du football, sport-roi sur toute la planète (ou presque) est le cas le plus
extrême. Ignacio Ramonet écrit à ce propos : "Parce que chaque rencontre est un
affrontement qui prend les apparences d’une guerre ritualisée, le football favorise toutes les
projections imaginaires et le fanatismes patriotiques (17)". Les passions nationales se
trouvent exacerbées par le sport qui les théâtralise. Dans un rapport sur "Le vandalisme et la
violence dans le sport", les rédacteurs soulignent les enjeux d’une compétition : "Le titre de
champion, n’est pas seulement conquis par une équipe, mais par la société dont elle est
issue. La collectivité se projette donc dans l’équipe et place en elle ses espoirs de conquête,
son énergie de vaincre, mais aussi ses frustrations personnelles et son agressivité (18)".
Le sport sert aussi de sentiment fédérateur à une communauté lorsque les projets
collectifs manquent. "L’équipe nationale n’est donc pas le simple résultat de la création d’un
Etat. Elle aide souvent à forger la nation. (19)" écrit Pascal Boniface. Les jeunes Etats-nations
ont recourt à l’imaginaire produit par le sport pour forger une conscience nationale et
affirmer son existence. Dans les années 60, lorsque les pays africains ont gagné leur
indépendance, ils ont placé dans leurs priorités la mise en place de fédérations sportives.
Dans le début des années 60 le Sénégal par exemple, a employé le sport pour consolider la
nation naissante (20).
Le sport comme l’écrit Philippe Liotard : " participe à l’établissement d’un légendaire
spécifiquement national avec ses héros, ses épopées, ses Austerlitz et ses Waterloo (21)". Il
entretient en assurant une fonction identitaire l’idée de ce qui n’est parfois qu’une fiction :
la nation.
LE REGNE DU PROFIT
Les manifestations sportives deviennent des enjeux énormes, sur le plan politique
(comme nous avons essayé de le montrer) mais aussi sur le plan économique. Les sommes
investies dans ces événements sont conséquents, les multinationales et les grands groupes
financiers utilisent le sport non seulement pour augmenter leurs profits, mais aussi pour
faire triompher leur idéologie : "foules conditionnées par l’esprit de compétition et le culte
de la performance sans limite, persuadés de la légitimité du combat perpétuel, de la juste
domination du vainqueur couvert d’or et de prestige, de la soumission du faible au fort, de
l’exploit et de la réussite individuelle (22)". Les médias jouent eux aussi un rôle croissant
dans le sport. Désormais, grands groupes industriels, médias et clubs sportifs se retrouvent
dans un agrégat où seules la performance et la loi du marché règnent. La marchandisation
des épreuves se doublent d’une chosification des athlètes auxquels on demande toujours
plus d’exploits. Christian Bromberger dans Aimez-vous les stades ? résume cela : " Le sport
de compétition n’est pas seulement la religion de la mondialisation, avec ses temples, ses
cérémonies, sa liturgie, son clergé et ses fidèles, ses évangélistes, son inquisition et ses
martyrs, elle est aussi une vitrine ouverte sur l’avenir radieux du capitalisme planétaire, celui
de la société du spectacle et de la marchandisation universelle (22)".
Notes
(1) Frédéric BAILLETTE, "Les arrières-pensées réactionnaires du sport", Quasimodo, octobre 1996.
(2) Lire à ce sujet : Stefano PIVATO, Les enjeux du sport, Casterman/Giunti, 1994.
(3) Jean-Marie BROHM et Bernard YANEZ, "Les fonctions sociales du sport de compétition", L’opium
sportif, L’Harmattan, 1996.
(4) Quel corps ?, "Vingt thèses sur le sport", Quel corps ?, avril-mai 1975.
(5) Lire à ce sujet : Bernard YANEZ, "Deux visages du fascisme : Coubertin et Hitler", Quel corps,
Maspero, 1978.
(6) Pierre et Lionel ARNAUD, "Les premiers boycottages de l’histoire du sport", Nationalismes sportifs,
Quasimodo, printemps 1997.
(7) Ignacio RAMONET, "Le football c’est la guerre", Football et passions politiques, Manière de voir, mai-
juin 1998.
(8) Cité par Christian HUBERT, 50 ans de coupe du monde, Arts et voyages, 1978.
(9) Il Messaggero, journal romain, extrait d’un article publié au lendemain de la victoire de l’Italie.
(10) Cité par Andrew Strenk, The thrill of victory and the agony of defeat, Orbis, 1978.
(11) Ignacio Ramonet, "la mort en direct", Le sport, c’est la guerre, Manière de voir, mai 1996.
(12) Pravda, 17 octobre 1971.
(13) Cité par Andrew Strenk, "What price victory ?", Annals of the American Academy of Political and
Social Science, septembre 1979.
(14) Xavier DELACROIX, "Au service de la raison d’Etat", Cf (11)
(15) Ignacio Ramonet, voir (7).
(16) Lire à ce sujet : Ivan COLOVIC, "Nationalismes dans les stades en Yougoslavie", Cf (7).
(17) Ignacio RAMONET, "Passions nationales", Cf (1).
(18) Rapport sur "Le vandalisme et la violence dans le sport", par Jessica Larive, Parlement européen,
document de séance.
(19) Pascal BONIFACE, "Géopolitique du football", Cf (7).
(20) Lire à ce sujet : Bernadette DEVILLE-DANTHU, "Le sport support de l’idée de nation", Cf (6).
(21) Philippe LIOTARD, "Questions pour les champions", Cf (1).
(22) Christian BROMBERGER, "Aimez-vous les stades", Cf (11).
Document 3 :
NOTES